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UN QUART DE SIÈCLE DE MOUVEMENTS ÉTUDIANTS

Permanences et mutations

Robi Morder
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Presses de Sciences Po | « Agora débats/jeunesses »

2020/3 N° 86 | pages 127 à 141


ISSN 1268-5666
ISBN 9782724636277
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2020-3-page-127.htm
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Un quart de siècle
de mouvements étudiants
Permanences et mutations

Robi Morder
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I
l n’est guère aisé de retracer l’histoire et les problèmes des mouvements
étudiants du quart de siècle qui s’est écoulé depuis 1995, année de création
de la revue Agora débats/jeunesses et du Groupe d’études et de recherche
sur les mouvements étudiants (GERME) en peu de pages (voir Morder, 2014,
pour une analyse sur une période plus longue et sur un champ qui s’étend
aussi aux mouvements lycéens). Nous ne décrirons donc pas ici dans le détail
les diverses mobilisations et évolutions des espaces de la représentation
étudiante, mais nous nous attacherons à en dégager quelques éléments
permettant de mieux comprendre la situation présente. Entre 1995 et 2020,
en vingt-cinq ans, l’enseignement supérieur, les mouvements étudiants, les
organisations ont changé de visage. Mais, comme toujours, il convient de
distinguer ce qui reste d’actualité de ce qui s’est profondément et fondamen-
talement transformé.

QUEL EST L’ÉTAT DES LIEUX EN 1995 ?


En 1995, l’enseignement supérieur et le mouvement étudiant sont encore
marqués par le succès du plus grand mouvement étudiant et lycéen depuis
1968, à savoir le retrait du projet de loi Devaquet en 1986, qui envisageait
la sélection à l’entrée à l’université et la concurrence entre les établisse-
ments (Crouillebois, 2020). Les formes prises par le mouvement étudiant de
1986 ne sont pas nouvelles : les coordinations font déjà partie du répertoire
d’actions collectives des mobilisations de la jeunesse scolarisée depuis les
années 1970 (Morder, 2003). Toutefois, la force de la mobilisation, eu égard
à la fois à l’augmentation des effectifs étudiants et à l’affaiblissement du
nombre de militants1, impose aux syndicats étudiants une reconnaissance et
un respect du monopole de la représentativité de la coordination (Lévy, 1997).

1. En 1986, pour un million d’étudiants, on ne compte pas plus d’un millier de militants actifs dans
les organisations étudiantes (Morder, 1989).

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L’échec de la réforme Devaquet, c’est un coup d’arrêt donné à toute tentative


générale d’introduction de la sélection à l’entrée de l’université, d’augmen-
tation significative des droits d’inscription, de remise en cause des diplômes
nationaux. C’est en réalité, par des réformes sectorielles successives qu’en
trois décennies un certain nombre de transformations rejetées par les étu-
diants de 1986 se réaliseront. Les effectifs étudiants augmentent, les mobi-
lisations qui succèdent à celle de 1986 au cours des rentrées 1987 et 1988
sont beaucoup plus éclatées et concernent essentiellement les conditions
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budgétaires et matérielles (Molinari, 2006). Le plan Université 2000 en 1990
visant à augmenter le nombre de locaux2, pour faire face à l’augmentation du
nombre d’étudiants, a constitué une réponse à la pression et aux aspirations
sociales de poursuite d’études.
En 1989, la loi d’orientation de l’enseignement supérieur, dite « Jospin »,
introduit des critères pour la reconnaissance d’organisations représentatives
étudiantes à l’échelle nationale, ce qui a pour effet d’amener une série de
« corpos » et d’associations de filières ou locales à constituer la Fédération
des associations générales étudiantes (FAGE), nouvelle venue dans un champ
où existent déjà l’Union nationale interuniversitaire (UNI) et surtout les deux
Unions nationales des étudiants de France (UNEF), l’une appelée « SE » (soli-
darité étudiante), l’autre « ID » (indépendante et démocratique), l’UNEF-ID étant
sortie la grande gagnante du mouvement Devaquet dans les arènes institu-
tionnelles3. En 1994, l’opposition au contrat d’insertion professionnelle (CIP) du
gouvernement Balladur voit l’unité d’action entre ces deux UNEF se faire dans
un mouvement qui touche d’abord les instituts universitaires de technologie
(IUT) et qui préfigure par sa thématique (l’insertion professionnelle et le droit
du travail) [Roulleau-Berger, 1994] et par ses formes (intersyndicale avec des
confédérations) le mouvement anti-contrat première embauche (CPE) de 2006.

UNE UNIVERSITÉ ET UN ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR TRANSFORMÉS :


UN NOUVEAU CADRE POUR LES LUTTES UNIVERSITAIRES
La massification s’instaure ainsi dans l’enseignement supérieur, mais la part
relative de l’université décroît4, et ce, dans un cadre institutionnel bouleversé,
ce qui n’a pas manqué d’avoir des effets sur les mobilisations étudiantes.
En effet, le développement de l’autonomie des universités et les modalités

2. Sont construits 8 nouvelles universités, 196 départements d’IUT et 24 IUT de plein exercice. Lors
de la « seconde cohabitation », le plan U3M (Université du troisième millénaire) lui succède en
1999 ; il s’agira alors non pas de construire de nouveaux établissements mais de réparer, d’amé-
liorer, d’agrandir l’existant.
3. Pour en savoir plus, voir Les Cahiers du Germe, 2009 et 2010-2011.
4. Entre 1990 et 2018, les effectifs de l’enseignement supérieur passent de 1 700 000 à 2 600 000 élèves.
Dans le même temps, ceux de l’université passent de 1 160 000 à 1 600 000, soit de 67 % à 61 % de
l’ensemble (source : État de l’enseignement supérieur en France, 2017 et 2018).
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d’adoption, et surtout d’application des réformes opérées, modifient le cadre


dans lequel agissent les mouvements étudiants, ce qui s’avère notable au
cours de deux mobilisations relatives aux réformes de l’enseignement supé-
rieur : la réforme licence-master-doctorat (LMD) en 2003, puis la loi relative
aux libertés et responsabilités des universités (LRU) en 2007. Certes, il y
avait eu d’autres mouvements en 1991 (réforme Jospin des premiers cycles)
et en 1998 (réforme Allègre), mais la LMD et
la LRU sont symptomatiques de nouveaux
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problèmes de construction de mobilisations Le développement de l’autonomie des
nationales à partir de « réformes cadres » à universités et les modalités d’adoption, et
application locale (Porte, 2007). surtout d’application des réformes opérées,
En 2003, la réforme LMD visait la mise en modifient le cadre dans lequel agissent
place d’équivalences de diplômes européens les mouvements étudiants, ce qui s’avère
au travers de « crédits » (European Credits notable au cours de deux mobilisations
Transfer System [ECTS]) capitalisables. Dans relatives aux réformes de l’enseignement
le même temps, la loi dite de « modernisa- supérieur : la réforme licence-master-
tion universitaire », devenue d’« autonomie doctorat (LMD) en 2003, puis la loi relative
des établissements », devait accroître l’auto- aux libertés et responsabilités des
nomie des universités et la régionalisation universités (LRU) en 2007.
des offres de formation avec un finance-
ment privé et territorial renforcé5. Or, cette
réforme était une réforme cadre que les universités pouvaient, si elles le
voulaient, appliquer au moment où elles le décideraient. Le processus a pris
plusieurs années, et l’on a assisté à des mobilisations, certes importantes,
mais étalées dans le temps, certaines universités étant touchées chaque
année, d’autres pas. Pour obtenir ce que les syndicats étudiants revendi-
quaient comme des « garanties », c’est en réalité à l’échelle locale, avec des
actions débouchant sur des votes dans les conseils d’université ou d’unité
de formation et de recherche (UFR) au moment de l’adoption des nouvelles
maquettes des diplômes, que se sont situés les enjeux. Les tentatives de
centralisation se sont avérées difficiles, les coordinations problématiques
avec aussi bien des universités en grève que des délégués de « petites »
assemblées générales (AG) guère représentatives. Ainsi, la réforme fut en
fin de compte appliquée.
Quand la loi LRU est adoptée en 2007 sous l’impulsion de Valérie Pécresse,
la mobilisation va connaître les mêmes caractéristiques que pour la réforme
LMD, avec des universités qui, au fur et à mesure que les années passent,
vont se couler dans le moule. Les deux bastions d’opposition, les universités

5. Autour de la loi LRU et de l’autonomie des universités, voir les dossiers : « Universités : vers
quelle autonomie ? », Esprit, décembre 2007 ; « Que faire pour l’Université ? », Mouvements,
no 55-56, 2008 ; voir aussi Morder R., 2010, Gouvernement des universités et relations avec les
mondes socio-économiques, Rapport, Laboratoire OMI, URCA Reims.

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de Paris 8-Vincennes à Saint-Denis et Paris 10-Nanterre, sont les derniers


à basculer vers des « compétences élargies ». Bien que la LRU soit contes-
tée par des mouvements étudiants renforcés par leur victoire contre le CPE
en 2006, les mobilisations étudiantes sont hétérogènes. Malgré également
la mobilisation inédite du monde de la recherche (mouvement Sauvons la
recherche de 2009) avec une faible implication étudiante, à la fin du quin-
quennat de Nicolas Sarkozy, la loi s’applique partout.
Il est vrai que le thème de la LRU était difficilement mobilisateur. Autant
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dans le système LMD la question des diplômes était sensible, autant la LRU
pouvait paraître très technique, ou alors faisant appel à une opposition plus
politique (contre la logique libérale de l’autonomie). Certes, même si les étu-
diants peuvent se sentir concernés par la réduction de la proportion d’élus
étudiants dans les conseils inscrite dans cette loi, il est certain que les ques-
tions institutionnelles relatives aux pouvoirs des présidents d’université, aux
compétences budgétaires élargies, sont assez éloignées des préoccupations
immédiates des scolarisés, apparaissant comme des sujets très techniques,
délégués aux « spécialistes », syndicats et élus dans les conseils.
En 2018, la réforme des modalités d’inscription à l’université (Parcoursup),
qui devait s’appliquer partout au même moment, n’a pas provoqué, malgré
l’opposition d’une partie des syndicats étudiants (UNEF, SUD Étudiant), de
grandes mobilisations. D’autres syndicats étudiants, dont la Fédération des
associations générales étudiantes (FAGE), soutenaient cette réforme ; les
étudiants en place, puisque déjà inscrits, ne se sentaient que peu directe-
ment concernés. En réalité, les effets sélectifs de Parcoursup n’ont touché
qu’une minorité de filières « en tension ». De surcroît, la mobilisation des
premiers concernés, les lycéens de terminale eux-mêmes, a été très faible6.
C’est sur un autre terrain que celui des réformes ou des thématiques univer-
sitaires que se situe la victoire étudiante de 2006.

MOBILISATIONS ÉTUDIANTES ET REVENDICATIONS


« EXTRA-UNIVERSITAIRES »
Le mouvement étudiant de 1995 a été en grande partie effacé des mémoires
par le puissant mouvement social de novembre-décembre 1995 contre le
plan Juppé de réforme de la sécurité sociale et du régime des retraites des

6. Les premiers résultats de Parcoursup sont tombés au même moment que l’arrestation de plu-
sieurs dizaines de lycéens le 1er mai 2018 au lycée Arago (Paris). Ce qui aurait pu être un cocktail
explosif – mécontentement et inquiétude face au nombre d’élèves refusés dans leurs choix et
solidarité face à la répression – s’est soldé par des protestations très marginales. Quelles sont les
causes de cette passivité ? Le sentiment de ne pouvoir influer sur le cours de la réforme après les
échecs des mobilisations sur la loi Travail en 2016 ? La faiblesse numérique et d’organisation des
syndicats lycéens ? La question demeure. La sociologie de l’action étudie souvent les causes des
mobilisations, plus rarement celles des non-mobilisations.
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fonctionnaires et des agents publics. Pourtant, ce sont les mobilisations


universitaires qui ont ouvert le bal dès le mois d’octobre sur les conditions
matérielles et budgétaires des universités. Parti de Rouen, le mouvement
gagne une vingtaine d’autres villes, puis les universités d’Île-de-France. À la
fin novembre, on a pu compter jusqu’à 100 000 manifestants. Une coordina-
tion se met en place, mais les caractéristiques de cette mobilisation diffèrent
de celles du mouvement contre la loi Devaquet. Les revendications sont loca-
lisées ; le ministère tente d’éteindre les « incendies » en intervenant au cas
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par cas en accordant des rallonges budgétaires, ce qui encourage d’ailleurs
les autres universités à entrer ou à poursuivre l’action, mais peut aussi la
faire arrêter là où les revendications semblent avoir été satisfaites. Le mou-
vement étudiant s’affirme solidaire et partie prenante du mouvement social
mais tend toutefois à s’y diluer. Massivement présent dans les cortèges
intersyndicaux, il a du mal à apparaître de façon autonome, sans compter la
démobilisation d’un certain nombre d’étudiants entrés en grève et descendus
dans la rue uniquement sur les questions universitaires.
En revanche, le mouvement de 2006 contre le CPE est un mouvement qui se
développe progressivement et qui fait tache d’huile avec une grève générale,
des occupations de locaux, reprenant le terme « blocage » qui était apparu
dans le mouvement lycéen l’année précédente7. La particularité de cette
mobilisation, c’est qu’elle s’oppose à une réforme non de l’université mais du
code du travail, réforme qui touche particulièrement les jeunes (prévoyant un
contrat à durée indéterminée spécifique pour les moins de 26 ans, avec une
période d’essai de deux ans, versus quatre mois maximum, six mois excep-
tionnellement pour un CDI « normal » ; une possibilité de rupture de contrat
sans justification par l’employeur ; une exonération des charges patronales,
etc. Comme pour le CIP (dit « SMIC jeune ») de 1994, le thème concerne
les syndicats de salariés et l’on va voir se développer une double légitimité.
D’abord celle du mouvement étudiant lui-même avec ses formes d’organi-
sation classiques : AG, coordination nationale, locomotive entraînant au fur
et à mesure des secteurs entiers du monde du travail. En même temps, une
intersyndicale réunissant les organisations syndicales étudiantes, parties
prenantes également de la coordination, et des syndicats de salariés, prend
des initiatives nationales. Les tensions pouvant exister du fait de cette dualité
de représentations sont toutefois réduites par l’augmentation régulière du
nombre de manifestants, jusqu’à l’abrogation du CPE.
Quant à l’organisation des étudiants eux-mêmes pendant ces mobilisations
contre le CPE, on a constaté un très fort attachement aux procédures de vote,
avec beaucoup de votes à bulletin secret après des débats contradictoires,

7. Le mouvement s’opposait à la réforme du baccalauréat du ministre François Fillon. Il a duré


deux mois, touché des centaines d’établissements et provoqué la manifestation de dizaines de
milliers d’élèves. Voir le dossier « Le printemps des lycéens », Vacarme, no 33, octobre 2005.

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puisque, dans les AG, partisans et opposants au CIP pouvaient s’exprimer,


alors que dans les mobilisations précédentes les procédures étaient plus
sommaires (vote à main levée) et que les partisans des réformes contestées
n’y étaient généralement pas admis. Cette légitimité donnée aussi bien aux
procédures de vote qu’à l’action collective directe évoque l’usage que les
jeunes ont fait de la rue dans l’entre-deux-tours des élections présidentielles
de 2002, en défilant pour appeler à voter contre Jean-Marie Le Pen. Nombre
de ces jeunes lycéens de 2002 seront étudiants en 2006.
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2006 marque la dernière victoire en date
d’un mouvement social face à une réforme
2006 marque la dernière victoire en date du code du travail, de surcroît déjà votée et
d’un mouvement social face à une réforme que la majorité parlementaire fut contrainte
du code du travail, de surcroît déjà votée d’abroger. En ce sens, le CPE a été plus une
et que la majorité parlementaire fut victoire des étudiants – et pas seuls – contre
contrainte d’abroger. En ce sens, le CPE une mesure affectant l’ensemble du monde
a été plus une victoire des étudiants du travail qu’une victoire étudiante sur un
– et pas seuls – contre une mesure sujet strictement universitaire (Stuppia,
affectant l’ensemble du monde du travail 2020).
qu’une victoire étudiante sur un sujet La perspective d’intégrer le monde du tra-
strictement universitaire. vail, avec les difficultés liées à l’insertion
professionnelle et le développement du sala-
riat étudiant expliquent cette volonté pour
beaucoup de faire « cause commune » lors de mobilisations ultérieures
(réformes des retraites de 2010 et de 2020, loi Travail en 2016). Mais ces
mobilisations sociales n’ont pas débouché sur des reculs gouvernemen-
taux. Si le travail étudiant n’est pas une nouveauté en soi – le pourcentage
d’étudiants qui travaillent pendant leurs études n’a guère varié depuis au
moins les années 1950 (autour de 40 %) –, en raison du nombre d’étudiant·e·s
concerné·e·s aujourd’hui, l’imbrication entre monde du travail et monde étu-
diant transforme qualitativement les relations entre deux univers souvent
autrefois conçus comme séparés8. En effet, un million d’étudiants qui tra-
vaillent représente de 5 à 6 % du salariat (autrement dit, un salarié sur 20 suit
des études supérieures), sans compter les stages. Cela change les rapports
entre les étudiants et la société, les représentations mentales, et constitue
une des bases matérielles à des intersyndicalismes entre étudiants et organi-
sations syndicales professionnelles et des actions sur des thèmes communs.

8. Sur les spécificités du travail étudiant, voir les travaux suivants : Pinto V., 2014, Les étudiants et
leurs « petits boulots », Paris, Presses universitaires de France ; Pinto V., 2014, « Les étudiants et
leur famille face à l’exercice d’activités rémunérées en cours d’études » (ETUFACT), Post-enquête
qualitative associée à l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ), INSEE/DREES ;
Béduwé C., Berthaud J., Giret J.-F., Solaux G., 2019, Salariat étudiant, parcours universitaires et
conditions de vie, Paris, La Documentation française/OVE ; Bérail L., 2007, Le travail des étudiants,
Rapport CESE.
Un quart de siècle de mouvements étudiants

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LA REPRÉSENTATION ÉTUDIANTE : UN PAYSAGE SYNDICAL


EN RESTRUCTURATION PERMANENTE
Les restructurations de la représentation étudiante que nous allons aborder
à présent ne peuvent être dissociées des évolutions sociologiques du milieu
étudiant et des bouleversements institutionnels. Ce que l’on peut souligner,
même si en la matière rien n’est jamais définitivement acquis, c’est la place
de plus en plus importante prise par des étudiantes dans les instances de
direction des grandes organisations. Aujourd’hui, l’UNEF comme la FAGE
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sont présidées par des femmes, et la parité est de mise à SUD Étudiant.
Le répertoire classique des organisations étudiantes correspondait à une
université centralisée, à un monde étudiant où les (futures) préoccupations
professionnelles n’étaient certes pas absentes, mais pas sous les formes
actuelles d’un monde de l’entreprise bien présent à l’université, à travers
les stages, l’apprentissage et la mission d’insertion professionnelle que lui
assigne la LRU.
Depuis 1961, et surtout après 1968, l’UNEF n’existe plus comme « syndi-
cat unique » des étudiants, la notion même de syndicalisme étudiant étant
contestée. Avec l’éloignement de 1968 et l’installation d’un chômage de
masse durable, on assiste à la mise en avant de revendications plus uni-
versitaires, plus syndicales. Le mouvement étudiant demeure divisé, mais
chacun accepte l’idée d’un syndicalisme étudiant, et le mouvement de 1986
permet d’opérer une sorte de fusion entre un répertoire syndical traditionnel
et un répertoire d’actions issu des années 1970, principalement avec l’appa-
rition des coordinations, lors des grandes mobilisations. Mais, contrairement
à ce qui existe dans les entreprises, il n’y a pas de monopole syndical pour
la représentation des étudiants, syndicats, associations, groupes politiques
ou confessionnels pouvant présenter des listes et obtenir des élus dans les
conseils d’UFR, d’université, au Conseil national de l’enseignement supé-
rieur et de la recherche (CNESER) ou dans les centres régionaux des œuvres
universitaires et scolaires (CROUS). À côté des grandes organisations natio-
nales, UNI pour la droite étudiante, les deux UNEF pour la gauche, issues
de la scission de 1971, qui ne dépassent pas ensemble quelques dizaines
de milliers d’adhérents, une kyrielle d’associations locales ou sectorielles
(dites « monodisciplinaires ») en médecine, pharmacie, droit par exemple,
et de collectifs plus ou moins éphémères agissent. Quant à la participation
des étudiants aux élections universitaires et pour les CROUS, elle se main-
tient à un faible taux, qui ne varie guère qu’à la marge depuis un demi-siècle
(Legois et al., 2020). Les « représentants » des étudiants tirent leur légitimité
de diverses sources : élections, audience dans les luttes, activité quotidienne
(Côme, Morder, 2009).
La loi Jospin de 1989 change un peu la donne, en tout cas à l’échelle de la
représentation nationale. En attribuant des moyens pour la formation des

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élus étudiants aux seules organisations ayant obtenu au moins un siège


au CNESER ou au Centre national des œuvres universitaires et scolaires
(CNOUS), cette disposition qui devait pour leurs inspirateurs et auteurs
favoriser les deux grands pôles, UNI et UNEF-ID, au détriment des listes
minoritaires à droite et à gauche, a eu l’effet inverse en donnant naissance
à une nouvelle venue : la FAGE. En effet, pour obtenir des moyens, une série
d’associations et de fédérations regroupant des étudiants d’une même filière
au niveau national (qu’on appelle les « monodisciplinaires ») se sont mises
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d’accord pour présenter une liste nationale et se partager la subvention. Au
départ, il ne s’agissait ainsi que d’un simple sigle électoral, de surcroît connu
des seuls grands électeurs (élus dans les conseils d’université et dans les
CROUS), puisque, dans les universités et les établissements, les étudiants ne
connaissent que les associations locales qui se présentent. Par un proces-
sus qui est un véritable cas d’école pour la sociologie des organisations, la
logique de la fédération s’est imposée. La FAGE avec des locaux, des perma-
nents, son propre appareil, s’est développée en partie indépendamment de
ses composantes locales, ce qui n’est pas allé sans provoquer des tensions, à
la fois de forme et de fond, le processus pouvant ne pas convenir à certaines
fédérations de filière jalouses de leurs prérogatives. Cela explique égale-
ment la création en 1994 de Promotion et défense des étudiants (PDE), union
exclusive de fédérations monodisciplinaires. Au fur et à mesure, la FAGE va
sortir de son « apolitisme », appelant en 2002 à battre le candidat Le Pen
au second tour des élections présidentielles, n’hésitant plus à se prévaloir
d’une vocation syndicale en partie, affirmant enfin que la charte de Grenoble
de l’UNEF de 1946 fait aussi partie de son patrimoine.
Du côté de l’UNEF, ou plutôt des UNEF au début de la période, l’UNEF-SE
est restée dominée, au moins institutionnellement dans les élections, par
l’UNEF-ID, syndicat qui, malgré les difficultés parfois rencontrées, demeu-
rait majoritaire. Après le CIP, et jusqu’à la « réunification » de 2000, les
relations entre ces deux UNEF ont oscillé entre des moments successifs
de rapprochements et de tensions. L’UNEF-SE apparaissait comme plus
combative, captant une aile militante, promouvant les coordinations, moins
encline aux compromis que sa rivale UNEF-ID, ce qui rendait la base de
militants de moins en moins contrôlable par la direction même de l’UNEF-
SE. Finalement, par un accord plus politique que syndical, impliquant les
partis socialiste et communiste, mais aussi des dirigeants syndicaux en
plein gouvernement Jospin de la « gauche plurielle », les deux UNEF n’en
font plus qu’une à la suite d’un « congrès de réunification » non public
(Jourdain, 2007). Il s’agit alors d’une fusion dynamique plus que d’une
« fusion absorption » refusée par de nombreuses sections locales de
l’UNEF-SE. C’est cette UNEF unifiée qui sort renforcée aux yeux de l’opi-
nion publique, des institutions, et auprès des étudiants qui ont participé au
mouvement contre le CPE.
Un quart de siècle de mouvements étudiants

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D’autres organisations émergent durant cette période, mais elles vont pour
la plupart disparaître. La Confédération étudiante (CE), issue d’un courant
de l’UNEF se voulant « réformiste », soutenue par la Confédération démo-
cratique du travail (CFDT), est créée en 2005 ; connue en 2006 à travers la
personnalité de Julie Coudry, elle obtient suffisamment de voix pour être
déclarée représentative, mais n’arrivera pas à s’implanter durablement.
N’ayant plus de sièges au CNOUS ou au CNESER en 2012, elle finit par s’auto­
dissoudre, tout comme ultérieurement PDE qui perd son dernier siège en
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2015. La Fédération syndicale étudiante (FSE) regroupant au sein de l’UNEF-
SE une partie des opposants ayant refusé la fusion avec l’UNEF-ID se main-
tient pendant quelques années, puis finit par fusionner avec SUD Étudiant
au sein de Solidaires. L’organisation SUD Étudiant, créée en 1995 après le
mouvement social, n’a certes jamais pu obtenir un siège lui assurant la repré-
sentativité nationale, mais cette dimension est pour elle secondaire. Elle tire
sa légitimité de son influence dans les luttes étudiantes, et son appartenance
à l’union syndicale Solidaires lui garantit également une certaine continuité.
Pendant plusieurs années, l’UNEF et la FAGE sont les deux organisations
représentatives dominantes, mais la première décline tandis que la seconde
progresse en nombre d’élus et en visibilité. En 2006, ces deux organisations
opposées au CPE participent aux actions et à l’intersyndicale, mais la FAGE
s’y trouve noyée, au contraire de l’UNEF dont le sigle est connu. En 2016,
l’opposition de la FAGE à l’UNEF au moment de la loi Travail la fait connaître
au grand public, qui voit ainsi un bloc CFDT/FAGE opposé à un bloc CGT/FSU/
UNEF. La FAGE (comme SUD d’ailleurs) revendique la suppression du régime
de sécurité sociale étudiante, dont le maintien est défendu par l’UNEF. Cette
succession de revers – loi Travail, fin du régime de sécurité sociale étu-
diante, maintien de la réforme Parcoursup – contribue à accentuer la crise
de l’UNEF, qui en 2019 subit une nouvelle scission (nouvelle FSE9) et un recul
électoral au CNESER où elle ne dispose plus que de deux sièges sur 1110.
Aujourd’hui, le paysage des syndicats et des associations étudiantes est
divisé avec, d’un côté, la FAGE dite « réformiste », majoritaire au plan institu-
tionnel, ayant agrégé en son sein une diversité d’associations, et, d’un autre,
un pôle ou une nébuleuse de « luttes » avec l’UNEF, la FSE, SUD Étudiant
et d’autres groupements. À droite, l’UNI subsiste toujours11. Mais rien n’est

9. Les militants et associations de l’UNEF-SE qui avaient refusé l’unification avec l’UNEF-ID avaient
fondé la FSE en 2000, puis cette dernière a fusionné avec SUD Étudiant en 2013. C’est donc le
même nom qui a été repris en 2019.
10. Avec 5 élus chacune en 2015 au CNESER, la FAGE et l’UNEF font jeu égal, puis la FAGE l’em-
porte en 2017 par 5 élus contre 4, et obtient 6 sièges sur 11 en 2019. Au CNOUS, la tendance est
identique : égalité en 2015 avec 4 sièges chacune, puis en 2017 et 2019 avec 5 sièges pour la FAGE
et 3 pour l’UNEF.
11. L’UNI, fondée en 1969 avec une référence ouvertement de droite, comporte des branches ensei-
gnante et étudiante et a des positions clairement politiques : elle a toujours soutenu les candidats
issus du parti gaulliste, tels Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy.

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Un quart de siècle de mouvements étudiants

136

figé dans un milieu étudiant qui se renouvelle constamment, où une posi-


tion n’est jamais définitivement acquise, et surtout pas l’adhésion durable et
majoritaire, sur fond de participation électorale bien minoritaire.

CONCLUSION
En un quart de siècle, le monde étudiant est passé de 1 700 000 à
2 700 000 individus. Mais cette massification confirmée s’est accompagnée
de profonds bouleversements institutionnels et pédagogiques avec l’auto-
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nomie, la diversification des filières, le développement de l’apprentissage12.
Ces transformations ont eu des effets aussi bien sur les formes que sur
les thèmes revendicatifs des mobilisations et des collectifs conjoncturels
ou pérennes. Les formes de mobilisation antérieures, centralisées, sont
en partie devenues obsolètes sur le terrain
de réformes décentralisées et d’autonomie
des universités, voire des filières. Si la thé-
Si la thématique de l’égalité dans l’accès
matique de l’égalité dans l’accès aux études,
aux études, au centre du mouvement
au centre du mouvement contre la réforme
contre la réforme Devaquet, demeure,
Devaquet, demeure, les conditions de vie et
les conditions de vie et de travail ainsi
de travail ainsi que l’insertion professionnelle
que l’insertion professionnelle occupent
occupent une place de plus en plus impor-
une place de plus en plus importante.
tante. Ainsi, depuis le début du xxie siècle sont
revenues avec force les revendications sur
l’autonomie des étudiants et plus largement
l’autonomie de la jeunesse (allocation d’études, allocation d’auto­nomie,
et même salaire étudiant) [Casta, Porte, 2015]. L’emploi et l’insertion, au
centre du mouvement contre le CPE, contribuent à établir des ponts entre
les jeunes scolarisés et le monde du travail, d’où une sensibilité et un intérêt
croissant des étudiants aux évolutions sociologiques et juridiques du monde
du travail, et l’émergence d’intersyndicalismes.
Les difficultés de mobilisation sont bien réelles, y compris sur la précarité
étudiante. Cette précarité et la misère étudiante, constatées depuis plusieurs
années par les associations, les syndicats, les organisations humanitaires tels
ATD Quart Monde ou le Secours populaire, ont été mises en évidence auprès
du grand public quand le jeune Anas, 22 ans, étudiant à Lyon s’est immolé par
le feu le 8 novembre 2019 devant le CROUS. Pourtant, si l’émotion a été par-
tagée par la « communauté » étudiante, et si l’appel à des rassemblements
a été porté dans la plupart des villes par l’ensemble des organisations, la
mobilisation dans la rue, sur les places ou dans les amphithéâtres n’a pas

12. Il faut évidemment sortir des grandes masses et aller dans le détail, selon les filières, hors
de l’université. Voir Prost A., Cytermann J.-F., 2010, « Une histoire en chiffres de l’enseignement
supérieur en France », Le mouvement social, no 233.
Un quart de siècle de mouvements étudiants

137

été au rendez-vous. Cette « passivité étudiante », récurrente dans l’histoire


des mouvements étudiants, vaut-elle adhésion aux valeurs libérales, entre-
preneuriales ? Où ne manifeste-t-elle pas plutôt une soumission à une réalité
qui paraît difficilement réductible faute d’alternatives crédibles ? La faible
adhésion aux organisations représentatives, avec des variétés de situation
selon les conjonctures et les particularités, comme la faiblesse maintenue de
la participation électorale aux élections universitaires témoigne-t-elle d’une
« dépolitisation » ? Ce serait une conclusion hâtive, puisque, paradoxalement,
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le taux de participation des étudiants aux élections politiques (présidentielles,
législatives, municipales) est plus élevé qu’aux élections universitaires, et on
a pu constater que sur des questions extra-universitaires – manifestations
contre Le Pen en 2002, contre le CPE en 2006, Nuit debout, mobilisations
climatiques –, il y a eu de grands évènements. L’existence d’une vie associa-
tive intense sur des sujets aussi variables que l’altermondialisme, le soutien
aux réfugiés, les actions humanitaires et solidaires, les épiceries sociales, les
droits des femmes va dans le même sens.
En réalité, la relative abstention sur le terrain des élections étudiantes est
plutôt liée à la conviction que l’université n’est pas un lieu légitime d’expres-
sion de la citoyenneté. L’étudiant n’est que de passage quelques années,
il n’est « pris au sérieux » ni par les institutions, ni parfois par les autres
catégories, qui peuvent penser que l’université appartient aux personnels,
enseignants ou non, qui y travaillent toute leur vie. Dès lors, devant la variété
de l’offre représentative avec sa diversité de listes, d’organisations aux divi-
sions inintelligibles, l’abstention étudiante pourrait s’analyser comme une
sorte de délégation de pouvoir par défaut, délégation aux « spécialistes » (les
militants, les élus) sur des sujets finalement techniques ; cependant, quand
la conjecture met en jeu de grands principes, une masse plus importante
s’empare de l’enjeu et de l’action collectifs.

Principales mobilisations des étudiant·e·s en France. Repères chronologiques


1986
n Mouvement étudiant et lycéen contre le projet de loi Devaquet.

1989
n Loi d’orientation Jospin. Attribution de crédits pour la formation des élus
aux organisations disposant d’élus au Conseil national de l’enseignement
supérieur et de la recherche (CNESER) ou au Centre national des œuvres
universitaires et scolaires (CNOUS).
n Septembre : création de la Fédération des associations générales
étudiantes (FAGE).

nnn

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Un quart de siècle de mouvements étudiants

138

1990
n Autodissolution de Pour un syndicalisme autogestionnaire (PSA), syndicat
étudiant lié à la Confédération française démocratique du travail (CFDT),
fondé en 1982.

1991-1992
n Réforme Jospin des premiers cycles, inaboutie face aux protestations
étudiantes, et instaurée par décret par le ministre Jack Lang en 1992.
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1994
n Mars : mobilisations contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP)
ou SMIC jeunes ; disposition – finalement abrogée – de la loi quinquennale
pour l’emploi du Premier ministre Édouard Balladur.
n Plusieurs fédérations de filières quittent la FAGE pour créer l’association
Promotion et défense des étudiants (PDE).

1995
n Printemps : le rapport Laurent préconisant une réforme universitaire
provoque des manifestations, principalement dans les instituts
universitaires de technologie (IUT).
n Octobre-novembre : grèves dans les universités sur les budgets
et la pénurie. Participation étudiante au mouvement général contre
le plan Juppé.
n Création d’Animafac, réseau associatif, par des anciens de l’Union
nationale des étudiants de France-indépendante et démocratique
(UNEF-ID) avec le soutien de La Ligue de l’enseignement.

1996-1997
n Réforme Bayrou de l’université, mobilisations au printemps 1997,
discussions d’un plan social étudiant avec les syndicats étudiants.

1999
n Naissance de la fédération des syndicats SUD Étudiant – existant dans
certaines universités depuis 1996 – affiliée à l’Union syndicale Solidaires.

2000
n Création de la Fédération syndicale étudiante (FSE) par les militants
et les structures de base de l’UNEF refusant l’alliance UNEF/UNEF-ID.
n Dissolution de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF).

2001
n Juin : assemblée de « réunification » de l’Union nationale des étudiants
de France-solidarité étudiante (UNEF-SE) et de UNEF-ID au sein
de l’UNEF.

2002
n Avril-mai : manifestations et mobilisations des jeunes contre Jean-Marie
Le Pen dans l’entre-deux tours des élections présidentielles.
Un quart de siècle de mouvements étudiants

139

2002-2004
n Assemblées générales et mobilisations contre la réforme licence-
master-doctorat (LMD).

2003
n Création de la Confédération étudiante (CE) par une tendance de l’UNEF,
avec le soutien de la CFDT.
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2005
n Printemps : participation de nombreux étudiants au mouvement lycéen
contre la loi Fillon (réforme du baccalauréat).
n Automne : « crise » des banlieues avec mobilisations des jeunes des
quartiers.

2006
n Mouvement étudiant contre le contrat première embauche (CPE).

2007-2009
n La loi responsabilité des universités (LRU) de Valérie Pécresse donne lieu
à des mobilisations qui s’étalent sur trois ans.

2010
n Participation étudiante à la mobilisation des salariés contre la réforme
des retraites.

2013
n Mise en veille de la CE après la perte de sa représentativité nationale
et de son dernier siège au CNESER et au CNOUS.
n Janvier : fusion de la FSE avec SUD Étudiant au sein de Solidaire Étudiant·e·s.
n Juin : la CE perd son élu au CNESER.

2016
n Sur la loi Travail, mobilisations étudiantes avec un clivage entre l’UNEF et
Solidaires opposées à la loi, et la FAGE, reproduisant le clivage CGT/FO/FSU
avec la CFDT.

2018
n PDE annonce sa « mise en veille » le 12 août 2018, estimant que
l’association « ne permet plus de répondre aux besoins des étudiants »
après la perte de son dernier siège au CNESER et au CNOUS.
n Fin du régime de la sécurité sociale étudiante.
n Réforme Parcoursup.

2019
n La FAGE confirme sa première place avec une majorité absolue d’élus
au CNESER et au CNOUS ; crise de l’UNEF avec une dissidence créant
une nouvelle FSE et le succès de la liste L’ Alternative emportant des sièges
au CNESER.

A G O R A D É B A T S / J E U N E S S E S N° 86, ANNÉE 2020 [3]


Un quart de siècle de mouvements étudiants

140

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Un quart de siècle de mouvements étudiants

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n L’AUTEUR

Robi Morder  robimorder@aol.com


Juriste et politiste, enseigne le droit du travail et les relations professionnelles à l’uni-
versité de Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines ; président du Groupe d’études et de
recherches sur les mouvements étudiants (GERME).
Thèmes de recherche : formes d’organisations collectives et syndicalismes dans les
mouvements étudiants et lycéens.
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A notamment publié
Leschi D., Morder R., 2018, Quand les lycéens prenaient la parole. Les années 68, Paris,
Syllepse.
Morder R., 2020, « Étudiants en élections : les stratégies des acteurs », in Legois J.-P.,
Marchal M., Morder R. (coord.), Démocratie et citoyennetés étudiantes depuis 1968,
Paris, Éditions Syllepse.
Morder R., 2020, « En guise de conclusion provisoire : corps étudiant et communauté
universitaire, face-à-face ou côte-à-côte ? », in Legois J.-P., Violeau J.-L. (dir.), Institution
universitaire et mouvement étudiant. Entre intégration et ruptures, Paris, L’Harmattan.

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