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BOUTEILLES ET SACHETS EN PLASTIQUE.

Pratiques et impacts des modes de consommation d'eau à boire au Sénégal

Manuel Valentin

Presses de Sciences Po | « Autrepart »

2010/3 n° 55 | pages 57 à 70
ISSN 1278-3986
ISBN 9782724631746
DOI 10.3917/autr.055.0057
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Bouteilles et sachets en plastique.
Pratiques et impacts des modes de consommation d’eau
à boire au Sénégal*

Manuel Valentin**

Le développement du marché de l’eau de boisson conditionnée en Afrique est un


phénomène relativement récent. Il pose de façon pragmatique la question de l’égalité
d’accès à une eau potable de qualité et soulève une multitude de facettes qui s’inter-
pénètrent. Celles-ci rejoignent les grandes problématiques associées à la pénurie, à
l’exploitation et à la distribution de l’eau sur ce continent et concernent aussi bien des
aspects environnementaux et de santé publique que des choix en matière de gouver-
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nance et de politique d’investissement [Niasse et al., 2006 ; Merino, 2008] Depuis les
années 1980, déclarées « décennie mondiale de l’eau », cette question de l’accessibi-
lité à une eau de qualité et à moindre coût soulève débats et polémiques à travers le
monde. Plusieurs logiques s’affrontent qui font écho à des réalités de terrain
complexes et diverses [Cans, 2001 ; Descroix, 2003 ; Larbi Bouguerra, 2003 ; Jaglin,
2005]. L’aménagement du réseau hydrographique, l’irrigation agricole, ou encore les
forages de puits, s’inscrivent comme des priorités nationales et internationales sur
fond d’aléas climatiques et parfois d’incertitudes politiques. Dans les zones à forte
concentration urbaine, le problème du traitement des eaux usées comme celui de la
mise en place et de l’entretien d’un réseau de distribution d’une eau répondant aux
normes de sécurité sanitaire reviennent avec insistance [Diagne, 2008].
L’eau à boire est partie intégrante de ces préoccupations, tout en se situant en
marge, et cela, pour des raisons qui sont d’ordre socioculturel et historique. Sur
l’ensemble des volumes d’eau en jeu, l’eau de « boisson » représente une part

* Cet article fait suite à une mission de terrain effectuée en novembre 2009 à Dakar et ses environs,
ainsi qu’à Mbour, en collaboration avec Caroline Dervault, chercheuse africaniste associée à l’UMR 208
(IRD/MNHN) « Patrimoines locaux », Nos remerciements s’adressent à Marie-Christine Cormier-Salem et
Dominique Guillaud, directrices de l’UMR 208 ainsi qu’à Ludivine Goisbault. Au Sénégal même, nom-
breuses sont les personnes qui ont accepté de répondre à nos questions et encouragé notre démarche, en
particulier M. Alexandre Alcantara (Directeur Général de la Société Kirène, Dakar), Cheik Faye Diawerinne
et Cheikh Berndé (Madinatou Salam, Grand Mbour) et Adrien Coly (hydrologue, Université Gaston Berger,
Saint-Louis).
** Maître de conférences, Musée de l’Homme, UMR 208 « Patrimoines locaux » (IRD/MNHN),
valentin@mnhn.fr

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minime. La quantité d’eau effectivement bue par habitant est d’autant plus difficile
à évaluer qu’elle se fond dans la catégorie de l’eau à usage domestique. Celle-ci,
tirée d’un puits, d’une citerne, d’une borne-fontaine ou du robinet, est multifonc-
tionnelle puisqu’elle sert à laver le linge, à cuisiner, à faire sa toilette, à arroser les
plantes, tandis qu’une petite fraction seulement est ingérée, un acte qui la rattache
au domaine alimentaire des habitants, et qui sans doute la prédisposait à se trans-
former au moins partiellement, en un produit commercial, par le biais de condi-
tionnements spécifiques. Cette transformation correspond elle-même à un processus
qui a pris naissance en Europe occidentale, dans la continuité de l’engouement des
cures thermales, au XIXe siècle. Entre nécessité vitale et souci thérapeutique, l’eau
« bonne à boire » oscille aujourd’hui entre plusieurs représentations qui sont décli-
nées à des degrés divers dans les discours publicitaires. Celle d’un élément insipide
permettant d’étancher la soif, celle d’une substance dotée de propriétés médicamen-
teuse, et celle d’une boisson à part entière, source de plaisir gustatif et de bien-être
[Raboud-Schüle et al., 2005]. En outre, les progrès des connaissances dans le
domaine des maladies et des épidémies transmises par l’eau de consommation ont
permis de souligner la nécessité, pour tout individu, en particulier les nourrissons
et les femmes enceintes, de boire une eau parfaitement saine. Cependant, boire de
l’eau est un acte individuel qui s’inscrit comme une nécessité du quotidien, sur fond
d’inégalité socio-économique profonde entre les individus. Dans les pays d’Afrique
en particulier, en période de forte chaleur, acheter des petites unités d’eau à boire
sous forme de bouteille ou de sachet devient souvent la seule alternative possible
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lorsque les systèmes de distribution collective sont défaillants.
Une approche anthropologique devient intéressante, car elle permet de porter
un regard sur des contextes géoculturels variés, situés en marge des grilles du
modèle occidental, qui connaissent depuis quelques années une transformation des
modes consommatoires de l’eau. En effet, comment s’effectue le passage d’une
eau « gratuite » mais aléatoire à une eau conditionnée, « payante » mais supposée
saine ? Les succès respectifs que connaissent actuellement l’eau embouteillée et
l’eau en sachet correspondent-ils vraiment à une disparité socio-économique ?
Quelles sont les conséquences de la consommation d’eau en bouteille sur les
pratiques de gestion des déchets ? À travers ce type de question, il est apparu
intéressant d’aborder le thème de l’eau à boire à partir des divers contenants qui
leur sont associés, tandis que le choix d’un premier terrain d’enquête s’est porté
sur le Sénégal, à Dakar même et dans ses environs. Depuis le début des années
2000, en effet, le marché de l’eau minérale au Sénégal a connu de profondes
transformations comme le montrent quelques rares travaux, déjà anciens, sur la
question [Ndiaye, 2001-2002]. Sur un marché intérieur dominé par des eaux
d’importation essentiellement d’origine française sont venues s’imposer des pro-
ductions minéralières locales moins onéreuses, et donc plus largement accessibles
aux habitants des classes moyennes. La bouteille d’eau en plastique s’est effecti-
vement banalisée dans le quotidien, mais parallèlement au mode de conditionne-
ment de l’eau de boisson par ensachage plastique, plutôt destiné aux quartiers
d’habitations périphériques de Dakar et bien au-delà.

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Magasin de revente de récipients usagers, quartier de la Medina, Dakar. La bouteille
d’1,5 l. coûte 100 FCfa, le même prix que pour une bouteille en verre. Les récipients de
10 l., en haut, à gauche, valent 150 FCfa. À titre de comparaison, les bouteilles de
marque «Kirène » d’1,5 sont vendues 500 FCfa, celles de 10 l., 1 000 FCfa.
© Manuel Valentin, novembre 2009.

Au cours de cette enquête menée essentiellement en milieu urbain et périur-


bain, la méthode a consisté à privilégier l’observation et les rencontres, aussi bien
en nouant des contacts avec différents acteurs tels que des restaurateurs et des
directeurs ou gérants de sociétés minéralières locales qu’avec de simples consom-
mateurs. La question de l’eau de boisson a sans doute facilité les contacts car le
sujet intéresse. Il ne comporte aucun tabou et les gens donnent volontiers leur avis
sur cette question qui touche leur quotidien, aussi bien alimentaire qu’environne-
mental. La dimension post consommatoire de l’eau embouteillée ou ensachée a
constitué l’autre volet important de la mission. Elle a conduit à effectuer plusieurs
visites dans les quartiers dakarois réputés pour leur savoir-faire en matière de
récupération et de recyclage, ainsi qu’à observer divers types de déchetteries,
depuis l’amoncellement de bord de route aux décharges sauvages. L’idée étant
d’évaluer les impacts respectifs de la consommation de l’eau embouteillée et ensa-
chée, à partir des déchets matériels générés.

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L’émergence du marché de l’eau conditionnée


Le principe du conditionnement de l’eau, en tant que produit commercial n’est
pas fondamentalement contesté, ni en Occident, ni en Afrique. Par son traitement
et son emballage, l’eau devient un « produit » alimentaire qui l’isole du vaste
ensemble « eau potable ». Par rapport à l’eau du robinet, cette eau embouteillée
représente un produit complémentaire et optionnel, dont l’unique fonction est
d’être bue. La montée en flèche du chiffre d’affaire des industries minéralières au
cours des dernières décennies indique que l’on est passé d’un caractère anecdo-
tique et marginal à un phénomène durable de grande ampleur. Le succès du plas-
tique PET (Polyéthylène téréphtalate), mis au point à la fin des années 1980, a
certainement contribué à cet essor. Beaucoup plus léger et moins cassant que le
verre, il s’est également imposé aux autres matières plastiques comme le PVC
(Polyvinyle de chlore) qui a comme inconvénient majeur de dégager du chlore en
se consumant. De fait, actuellement, toutes les bouteilles d’eau en plastique mises
sur le marché sont en PET.
Omniprésente et bien visible, la bouteille d’eau symbolise les processus de pri-
vatisation et de marchandisation de ce bien naturel et nécessaire à la vie, qui était
jusqu’à présent inscrit dans une logique de partage et de gratuité. L’embouteillage
justifie un prix de vente qui la rend prohibitive pour les classes sociales à faible
revenu, entraînant de fait une inégalité d’accès de cette eau alimentaire et saine entre
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les individus. Cet obstacle financier qu’impose le choix de l’embouteillage explique
sans doute l’essor d’autres modes de conditionnement de l’eau autres que celui de
la bouteille, en particulier dans les régions où le réseau de distribution public est
défaillant, ou à l’état embryonnaire. C’est ainsi que l’on observe le développement,
depuis près d’une décennie, de la technique de l’ensachage plastique de l’eau, dans
de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie tandis que se maintien-
nent des pratiques plus anciennes de consommation d’eau.
En parallèle à cette dimension économique et sociale, le conditionnement de
l’eau destinée à l’alimentation génère une quantité industrielle d’objets matériels
uniformes, conçus à partir de quelques modèles seulement. Fabriqués en usine,
les bouteilles, les sachets et les autres catégories de récipients associés au condi-
tionnement de l’eau exercent un impact de plus en plus visible sur les sociétés,
par rapport à leurs habitudes de consommation d’eau, mais aussi par rapport à
leurs environnements. La bouteille d’eau et le sachet n’ont pas le même statut
selon qu’ils apparaissent, par exemple, dans la sphère domestique ou profession-
nelle. Leur signification en tant que contenant s’avère également différente encore
lorsque leur contenu d’origine a été consommé. L’un et l’autre n’offrent pas le
même potentiel de réutilisation et de recyclage, mais tous les deux sont suscep-
tibles de devenir des déchets parmi d’autres, en particulier sur le bord des routes.
L’incidence visuelle plutôt négative qu’ils ont sur le paysage urbain et périurbain
suscite des réactions parfois extrêmes, du côté des pouvoirs locaux. L’interdiction
de la vente de l’eau en sachet par la municipalité de Kinshasa en 2010 en est un
exemple intéressant car à travers le sachet d’eau en plastique se révèle un équilibre

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complexe entre les nécessités biologiques du quotidien des populations à moyens


et faibles revenus, les défaillances d’un système de distribution collective d’eau
potable et l’impact de la composante matérielle d’un produit commercial sur
l’environnement. La plupart des sites internet qui font état de ce problème dans
les grandes métropoles africaines évoquent les sacs et les sachets en plastique en
terme de nuisance, tout en leur reconnaissant une certaine utilité.
Au Sénégal, les observations et les recherches effectuées lors de l’enquête ont
permis de mettre en évidence trois modes d’accessibilité à l’eau « de boisson ». Le
premier procède en droite ligne de pratiques anciennes et traditionnelles, faisant usage
de poteries ou de jarres à eau, ou plus couramment, de récipients en plastique. Maintes
fois décrite, elle ne sera évoquée que sur quelques aspects significatifs. Le second, qui
se développe dans la seconde moitié du XXe siècle, correspond à l’eau embouteillée.
Elle connaît d’abord une phase d’importation exclusive avant de donner lieu, à partir
des années 1990, à une production locale destinée aux classes moyennes, pour le
compte de grandes sociétés nationales. Le troisième correspond à l’émergence de
l’ensachage mécanisé de l’eau, dont l’essor, situé dans la première décennie du
XXe siècle, est amené à se poursuivre dans les prochaines années. Ces trois modes de
consommation se chevauchent dans le temps et si l’on est tenté de faire correspondre
chacun à des niveaux de catégories sociales différentes, l’enquête de terrain montre une
réalité plus nuancée. Toutes les personnes rencontrées, ont au moins une fois goûté de
l’eau minérale naturelle en bouteille, ce qui leur confère un élément de comparaison
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avec l’eau conditionnée sous d’autres formes ainsi qu’avec l’eau du robinet. Celle-ci,
lorsqu’elle est accessible, demeure l’eau de référence. Elle est perçue comme une
nécessité vitale du quotidien. Elle est en effet à usages multiples (lessive, toilette,
cuisine...), ce qui la distingue de l’eau en bouteille ou en sachet, exclusivement destinée
à être bue. Cette spécialisation fonctionnelle de l’eau conditionnée, qui implique à
terme une démarche consciente et volontaire du consommateur, résulte d’un change-
ment progressif dans la perception culturelle de l’eau produite localement. Cette évo-
lution est parfaitement sensible chez les populations du centre urbain de Dakar, plus
exigeantes en matière de qualité gustative et plus attentive à l’hygiène alimentaire.
Le mode de conditionnement signe en quelque sorte la qualité et la fiabilité
de son contenu. De l’eau du robinet à la bouteille, en passant par le sachet en
plastique, s’instaure une échelle de confiance dans la qualité de l’eau à boire,
tandis que les pratiques plus anciennes de consommation d’eau suscitent para-
doxalement un attachement territorial, tout en présentant un statut à part,
puisqu’elles sont détachées de toute pensée commerciale. C’est pourquoi on peut
dire que les pratiques modernes de conditionnement que sont l’embouteillage et
l’ensachage instaurent une nouvelle image de l’eau de boisson. Calibrée ou for-
matée à travers des modèles de capacité différente, elle est payante, et son accès
se fait à travers les réseaux de distribution commerciaux formels et informels. Les
ressemblances s’arrêtent là. Si l’eau en bouteille est présente à peu près partout,
de la grande enseigne de supermarché au petit détaillant de quartier, en passant
par les stations services, en revanche, l’eau en sachet est surtout vendue dans les
petits commerces de proximité, dans les quartiers populaires urbains de Dakar (La

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Médina, Rebeuss...) par exemple, mais aussi bien au-delà, de la capitale. L’ambu-
lantage est une pratique qui, bien qu’attestée au Sénégal, n’a pu être observée au
cours de la mission, faute de temps, mais sans doute aussi en raison de la présence,
dans les zones étudiées, d’un réseau de petits commerces suffisant, Par contre,
l’eau en bouteille est proposée dans les restaurants et les hôtels, ce qui n’est
absolument pas le cas pour l’eau ensachée.

L’eau en bouteille
Les années 1990 ont vu le marché des eaux minérales se développer à travers
le monde. Au Sénégal, comme dans bon nombre de pays du Tiers-monde, l’eau
produite localement jouissait d’une réputation peu enviable. Les Occidentaux s’en
méfiaient, préférant importer des bouteilles, en l’occurrence, de France. Aujourd’hui
encore, dans la rubrique « santé », les guides touristiques recommandent fortement
de boire de l’eau en bouteille et d’emmener dans sa trousse à pharmacie des
comprimés, telles les pastilles de chloramine, destinées à stériliser l’eau. Pour cer-
tains, le jugement est sans appel puisqu’il « vaut mieux boire de l’eau filtrée ou
minérale même dans les grandes villes où celle-ci est traitée » [Rémy, 2003, p. 202].
Pendant longtemps, cette eau en bouteille importée, d’abord en verre, puis en plas-
tique PET, était considérée par les populations locales comme une commodité super-
flue et inaccessible. C’était l’eau des Européens, du « Blanc », lesquels préféraient
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payer cher une eau importée que de subir les conséquences d’une eau locale aux
qualités sanitaires douteuses. Au Sénégal, plusieurs facteurs ont contribué à changer
cette situation : le développement continu du tourisme, la commercialisation des
bouteilles en PET, ainsi que la demande croissante d’une eau à boire de bonne
qualité, au sein des classes moyennes, plutôt méfiantes à l’égard de l’eau du robinet.
Les personnes interrogées sur ce sujet consomment néanmoins cette eau de ville.
Elles disent qu’elles y sont habituées. La coloration rougeâtre ou brunâtre que prend
l’eau du robinet à Dakar à certaines heures de la journée, ainsi que l’odeur qu’elle
dégage occasionnellement les incite à beaucoup de vigilance.
Il est bien difficile de déterminer la part de tel ou tel facteur dans le développement
de l’eau minérale en bouteille. Les progrès en matière de techniques de forage de
puits, ainsi que la fiabilité des analyses physico-chimiques des eaux ont contribué à
asseoir une production locale d’eaux minérales, de qualité égale à la plupart de leurs
homologues européennes. À côté des eaux embouteillées d’importation, notamment
Evian, qui reste la marque de référence, trois eaux minérales effectivement produites
au Sénégal se partagent le marché intérieur « Kirène », « Safy » et « Fontaine ». Dans
tous les commerces visités sur place, elles reviennent constamment. Néanmoins, il
s’agit d’un secteur qui évolue très vite. La bouteille d’eau minérale Montrolland qui
fut jusqu’au début des années 2000 la seule eau minérale exploitée et commercialisée
par une société nationale sénégalaise, dans la région de Thies, a aujourd’hui quasiment
disparu. Plus récemment, la bouteille « Valentine », relativement connue, était
devenue introuvable dans les grandes surfaces comme chez les petits détaillants visités
durant la mission. Actuellement, la marque « Kirène » est sans conteste la plus

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innovante en matière de contenant, n’hésitant pas à mettre sur le marché, en plus des
bouteilles classiques d’un litre et demi, des conteneurs de 5 litres, puis de 10 litres,
avec un succès populaire renouvelé. Le conditionnement de gros volume permit en
effet de faire baisser le prix de l’eau au litre, ce qui donne un rapport qualité prix
attractif, d’autant plus que cette eau minérale est très appréciée localement pour sa
douceur et ses qualités gustatives. Mais d’autres facteurs expliquent sans doute ces
succès commerciaux. La forme de la bouteille comme certains éléments iconogra-
phiques s’inspirent directement de la bouteille d’Évian, qui demeure une référence
en matière de qualité et à laquelle s’identifie « Kirène ». Mais cette marque de bou-
teille d’eau minérale naturelle s’affirme avant tout comme étant « sénégalaise », ce
qui est un des arguments commerciaux mis en avant. Elle provient effectivement
d’un puits de forage situe à environ 40 km au sud-ouest de Dakar, à proximité du
village de Kirène. Les opérations de pompage et d’embouteillage se font sur place,
à l’intérieur d’un complexe minéralier ultra moderne. Elle participe d’une volonté de
s’émanciper économiquement des produits d’importation en valorisant des ressources
naturelles locales. Consommée par les classes sociales à revenu moyen et élevé, mais
aussi de plus en plus par les touristes et les expatriés, l’eau « Kirène » domine lar-
gement le marché intérieur sénégalais. Elle n’est conditionnée qu’en bouteille, la
direction de l’entreprise refusant clairement toute idée d’ensachage, car elle aboutirait
à ternir l’image de sérieux et de qualité de la marque (entretien A. Alcantara, 23 nov.
2009). Cette position fait apparaître l’existence de deux logiques distinctes dans la
production et la commercialisation de l’eau de boisson dans la région de Dakar. L’une
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relève du secteur formel de l’économie et trouve son modèle dans les grandes entre-
prises minéralières occidentales. L’autre procède du secteur informel et s’appuie sur
les réalités socioéconomiques à l’échelle territoriale.

L’eau en sachet
Le conditionnement de l’eau en sachet, au Sénégal, relève principalement du
secteur informel de l’économie. Tout individu, s’il possède un accès à l’eau du robinet
et est propriétaire d’un réfrigérateur peut créer un « petit business ». C’est une pratique
courante dans les quartiers populaires. Pour les familles modestes, elle fournit un
revenu d’appoint. Cela va de l’ensachage de l’eau dans des plastiques fins et trans-
parents, sans aucune indication de provenance ni de qualité de l’eau, aux sachets
d’eau soumis à autorisation préfectorale avec indications sur l’origine et les caracté-
ristiques de l’eau contenue. Elle est l’œuvre d’initiatives individuelles et familiales,
et représente une activité qui implique le respect de certaines normes sanitaires. Le
produit doit être conforme aux normes de la Direction de la Qualité du Ministère du
Commerce. L’eau n’est en aucun cas « minérale », ce qualificatif étant réservé à une
eau d’origine souterraine, de composition chimique constante et n’ayant subi aucune
altération jusqu’au consommateur. L’eau qui est ensachée ainsi, dans des volumes
allant de 250 à 400 ml, est en réalité de l’eau du robinet « filtrée et purifiée » par un
appareil de filtrage et de conditionnement spécifique qu’il suffit de brancher sur une
arrivée d’eau. Il existe actuellement plusieurs marques d’eau ensachée qui portent les

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noms évocateurs de « Bara jii », « Si Belle », « Teranga », « Melam », « Ndiyam »...


Ce secteur d’activité est très dynamique et de nouvelles sociétés voient le jour chaque
année, comme la marque « Khaïrate », installée dans une maison familiale à Grand
Mbour, qui était prête à lancer sa production au moment de notre passage. La machine
à filtrer et à ensacher l’eau était de fabrication allemande, tandis que les sachets en
plastique pré-imprimés, livrés sous forme de rouleau, avaient été achetés auprès d’un
grossiste de la banlieue dakaroise. Les sachets remplis d’eau sont ensuite distribués
auprès d’un réseau de revendeurs et de magasins de proximité, qui se chargent de
les réfrigérer avant de les vendre. Les enfants sont les principaux acheteurs et consom-
mateurs. Cela semble plus occasionnel pour les personnes adultes. Le principe est
simple, puisqu’il suffit de déchirer un coin du sachet en plastique avec les dents pour
en boire le contenu. En période de forte chaleur, la fraîcheur de cette eau est très
appréciée et, de toute façon, personne n’achèterait une eau en sachet à température
ambiante. Avant d’être ouvert, le sachet peut être apposé sur le visage ou une autre
partie du corps avant d’être consommé. Il est vrai également que la réfrigération
permet de masquer le goût de cette eau. L’inconvénient majeur est celui du sachet
une fois vide, peu agréable à garder en main. Le premier réflexe est de s’en débar-
rasser sur le bas-côté de la route.
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Jardinerie, quartier de Grand Mbour. En bas, au centre, des sachets en plastiques qui
ont été ouvert complètement sur un côté pour servir de récipient à plante. Plus haut, on
distingue des pots obtenus par découpage de bouteilles en plastique PET.
© Manuel Valentin, novembre 2009.

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La consommation de l’eau en sachet est très répandue dans les classes moyennes
et défavorisées. Les sachets sont bus à toute heure de la journée. Les observations
effectuées sur place montrent qu’il s’agit d’un mode de conditionnement qui
s’adresse à celles et ceux, enfants comme adultes, pour qui le prix d’une bouteille
d’eau minérale, même locale, est encore trop élevé. Sa consommation répond à un
besoin ponctuel et passager, pour tout individu qui se déplace hors de son domicile.
En effet, la consommation d’eau chez soi semble avoir plutôt recours à l’eau du
robinet, sinon à d’autres modes d’approvisionnements qui dérivent de pratiques plus
anciennes, que l’on peut observer en dehors des grandes métropoles. Bien que cette
dimension « traditionnelle » de l’eau à boire ne constituait pas l’objet de cette étude,
elle est apparue plusieurs fois au cours de la mission. Moins ostentatoire que les
pratiques de consommation d’eau en bouteille ou en sachet, elle relève de la sphère
domestique. Certains aspects de cette pratique ont été repris sous forme iconogra-
phique pour servir le discours marketing de certaines marques de bouteille ou de
sachets. La bouteille « Safy » montre ainsi la silhouette d’une femme africaine en
train de marcher, une grande poterie posée en équilibre sur la tête, évoquant la
collecte de l’eau. De même, le dessin d’une calebasse sert de thème iconographique
à certaines marques d’eau en sachet, notamment « Baraji ». La consommation d’eau
de boisson sous emballage plastique ne constitue pas une rupture par rapport à ces
pratiques dites « traditionnelles ». En réalité, les matières plastiques sont encore
perçues positivement au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest, moins
parce qu’elles représentent symboliquement une certaine modernité que par leurs
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avantages pratiques. Plus légères et moins cassantes que la terre cuite, elles ont très
tôt été intégrées dans les pratiques de portage et de stockage de l’eau à travers les
jerricans et autres bidons en plastique de grande capacité.

Les bouteilles en plastique, ainsi que les sachets semblent bénéficier jusqu’à
présent d’une certaine confiance et sont perçus comme une garantie respective-
ment optimale et minimale de la qualité hygiénique de leur contenu. Le débat
qui agite l’opinion publique occidentale quant à la fiabilité des matières plasti-
ques, en particulier le PET, depuis que des études ont montré des phénomènes
de migration de molécules chimiques du matériau du contenant au contenu
[Shotyk et Krachler, 2007 ; Wagner et Oehlman, 2009], n’a aucune incidence
dans les pratiques de consommation d’eau conditionnées dans des emballages
en plastique. Les rares acteurs sénégalais qui ont connaissance de la polémique
ont réfléchi à la question mais, à défaut de solution de remplacement économi-
quement viable, poursuivent la production (Entretien A. Alcantara, 23 nov.
2009). En revanche, la situation est légèrement différente pour les sachets sup-
posés contenir de l’eau « filtrée et purifiée ». Des soupçons pèsent à juste titre
sur la qualité sanitaire de cette eau, ce que semblent confirmer quelques rares
études menées sur ce sujet [Blé et al., 2009]. Pourtant, les critiques les plus
vives, attestées au cours de l’enquête, touchent moins des problèmes éventuels
de santé de cette eau « filtrée et purifiée » que des problèmes de dégradation
rapide de l’environnement.

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66 Manuel Valentin

L’autre visage de l’eau conditionnée au Sénégal


Le sachet, comme la bouteille, sont deux objets dont la matérialité s’est imposée
dans le paysage quotidien de Dakar et de sa région. Si leur succès participe d’une
attention plus grande à la qualité de l’eau de boisson, l’un comme l’autre alimen-
tent le problème plus général de la gestion des déchets domestiques urbains, dont
l’efficacité s’avère encore balbutiante en dépit des initiatives locales. Les bou-
teilles, comme les sachets, constituent en effet une cause de dégradation de l’envi-
ronnement, du fait de leur incidence visuelle importante. Leur apparition massive
et récente, leur caractère commercial, ainsi que la résistance de leurs matériaux
sont des facteurs qui les inscrivent durablement dans l’espace public. Pourtant,
l’observation systématique du devenir post consommatoire de la bouteille et du
sachet a permis d’établir des différences notoires.

La bouteille PET ne fait pas l’objet de processus de recyclage au sens propre.


Une fois vidée de son contenu, elle est tout simplement réutilisée en tant que
contenant. On la remplit avec de l’eau du robinet, le plus souvent, que l’on va
placer dans le réfrigérateur, pour un besoin de consommation ultérieur. Ce réem-
ploi de la bouteille, qui cette fois-ci ne garantit pas une qualité bactériologique
du contenu, donne lieu à un circuit parallèle, informel, dans lequel tout type de
récipient, en plastique, métal ou verre peut être récupéré et revendu à quiconque
moyennant une certaine somme. Certains petits commerces se sont spécialisés
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dans cette activité qui consiste à racheter et à revendre contenants et récipients
auprès de particuliers ou bien auprès de personnes qui elles-mêmes collectent les
bouteilles dans des restaurants et des hôtels, avec l’assentiment et l’accord, au
sens propre et figuré, d’un ou d’une employée. Une autre source de collecte est
celle des ramasseurs/collecteurs d’ordures et de déchets. Étant donné les lacunes,
sinon l’inexistence de service de ramassage d’ordures ménagères, ces collecteurs
de déchets sont payés par certaines familles pour effectuer cette tâche. La plupart
du temps, ils circulent au moyen d’une charrette tirée par un âne. Ils ramassent
ce qu’ils peuvent et mettent de côté les objets et autres éléments dont ils peuvent
tirer un intérêt. Les bouteilles en plastique non écrasées en font partie. Sur plu-
sieurs de ces charrettes aperçues, par exemple dans le quartier de Grand Mbour,
une dizaine d’entre elles pouvait être attachée au moyen d’une cordelette sur les
montants latéraux du véhicule. Les plus prisées sont celles à contenance de dix
litres. Dans les marchés et les quartiers « populaires », tous les contenants sont
exposés tels quels par les « grossistes-revendeurs » à la vue des acheteurs poten-
tiels. Les bouteilles en plastique ne sont ni lavées ni retravaillées. Selon leur forme,
leur couleur, leur contenance, elles servent à contenir diverses substances : graines,
médicaments artisanaux, liquides plus ou moins visqueux. Pharmacie et médecine
locales en font un grand usage. En marge de ce circuit, les bouteilles en plastique
sont utilisées à des usages occasionnels, selon les besoins individuels. C’est ainsi
que beaucoup de bouteilles finissent par être coupées en deux. Le fond sert à
confectionner un récipient plus petit, sorte de gobelet improvisé. La bouteille est
d’autant plus facile à couper quelle présente une série de « bagues » en creux. Ces

Autrepart (55), 2010


Bouteilles et sachets en plastique au Sénégal 67

récipients, confectionnés à partir des bouteilles d’1,5 l., de 5 l. ou de 10 l., servent


également de pots de fleurs dans les jardineries.

Il existe d’autres usages de la bouteille. L’un des plus inattendus consiste, à


partir d’une découpe appropriée, à en faire un réflecteur d’ampoule. Tous ces
exemples montrent que la bouteille en PET, au-delà de son usage préétabli, pré-
sente potentiellement un intérêt de deux ordres, en tant que matériau de confection,
mais aussi en tant qu’objet de revente, et de réemploi. À ce jour, il n’existe pas,
au Sénégal, de filière de recyclage. La raison vient sans doute d’un écart trop
grand entre l’investissement financier et la rentabilité effective. Un autre obstacle
qui apparaîtrait vient justement du fait de la valeur élevée de réutilisation et d’usage
de la bouteille en plastique, et de son relais dans le circuit informel de l’économie
locale. De par les pratiques de revente et de réemploi, une bouteille en plastique
possède plusieurs vies et ne devient un déchet dont on se débarrasse que lorsqu’elle
est trop abîmée pour un quelconque autre usage. Cette situation a pour consé-
quence de limiter la quantité de bouteilles en PET dans les dépotoirs et les
décharges. Le phénomène serait, par exemple, pénalisant pour toute entreprise qui
se lancerait dans le recyclage de ces récipients, à moins de les acheter pour un
montant au moins équivalent à celui pratiqué dans le marché de la revente actuelle.
Ce deuxième circuit de la bouteille en PET a néanmoins une capacité d’absorption
limitée. Si le marché de l’eau en bouteille poursuit son essor, il est possible que
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l’abondance relative des bouteilles vides engendre à terme une baisse de leur prix
de revente. Sauf si des mesures de ramassage des ordures ménagères sont prises,
soit à l’échelle des quartiers, soit à l’échelle municipale, il est à prévoir une
proportion plus importante et plus visible de bouteilles en plastique dans l’envi-
ronnement urbain et périurbain.

Par contraste, rien de tout cela n’apparaît avec les sachets en plastique. Une
fois consommés, ils sont abandonnés sur le sol, dans la rue. Le vent et les dépla-
cements d’air engendrés par la circulation des véhicules se chargent de les
regrouper sur les bas-côtés, au pied d’arbres et de broussailles, ou bien aux car-
refours. C’est ainsi que s’accumulent par plusieurs dizaines, jusqu’à plusieurs
milliers, des petits sachets en plastique de marque différente, dont rien n’est fait.
Sur les différentes décharges et dépotoirs sauvages, la proportion de sachets est
bien supérieure à celle des bouteilles en plastique. Le phénomène concerne toutes
les grandes villes d’Afrique où le commerce de l’eau en sachet s’est développé.
Certaines municipalités, comme Kinshasa en arrivent à prendre des décisions dra-
coniennes et à prôner l’interdiction de cette activité. Le seul cas de réutilisation
effective des sachets en plastique qui a pu être relevé se situe dans les pépinières
et les jardineries improvisées le long de certaines routes, à Dakar comme à Mbour.
Le sachet, dont le bord supérieur est ouvert complètement, sert d’enveloppe pro-
visoire pour les plantes de petite taille. Il s’agit d’une réutilisation temporaire car
une fois achetée, la plante doit être rempotée ou mise en terre, ce qui signifie que
le sachet finit de toute manière dans les déchets.

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68 Manuel Valentin

Les bouteilles en PET comme les sachets en plastique introduisent un véritable


changement dans les pratiques de consommation d’eau, qui se manifeste aussi par
rapport au contenant matériel. Acheter une bouteille d’eau signifie un investisse-
ment double. On achète deux éléments distincts : le contenu, à caractère alimen-
taire et éphémère, et le contenant. Celui-ci n’est pas vu comme une simple enve-
loppe ou un emballage. C’est un objet à part entière qui possède une valeur en
soi, plus grande que celle du contenu. Cela explique en partie le succès des condi-
tionnements des volumes plus importants, de cinq et de dix litres. Le prix à l’achat
d’une unité est certes plus élevé qu’une bouteille d’1,5 l., mais le contenant, de
plus grande capacité, est plus solide et se prête à des usages multiples, d’où sa
valeur importante de revente. L’impact culturel des modes de conditionnement de
l’eau réside justement dans cette échappatoire située en aval du cycle produc-
tion-consommation. Concernant le sachet en plastique, les possibilités de réemploi
sont beaucoup plus limitées car l’emballage une fois ouvert, il est difficile d’y
remettre un contenu. L’eau est achetée pour elle-même et non pour son emballage.

Conclusion
L’existence de nouvelles formes d’accessibilité à l’eau de boisson inscrit une
rupture « en douceur » dans les pratiques de consommation d’eau. Les bouteilles
et les sachets en plastique ne remplacent pas les pratiques antérieures ni ne concur-
rencent sérieusement l’eau du robinet en général, laquelle reste beaucoup moins
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chère. Boire de l’eau minérale en bouteille ou boire de l’eau purifiée en sachet
peut se faire dans le cadre familial mais c’est à l’extérieur, dans des circonstances
de déplacements quotidiens ou occasionnels que ces deux pratiques trouvent leur
intérêt. La première permet l’affichage d’un certain standing et participe surtout
d’un contexte de réussite professionnelle et sociale. La seconde, correspond davan-
tage à une nécessité pratique, celle d’assurer au corps les besoins ponctuels en
eau, au goût supposé meilleur que celui de l’eau du robinet. L’étude de terrain a
montré que la différence entre ces deux modes de conditionnement se répercute
également sur l’environnement socio culturel. En dépit de leur développement
récent, les produits et les déchets matériels issus de ces deux marchés très dyna-
miques sont amenés à marquer durablement le paysage urbain et extra urbain du
Sénégal contemporain.

Autrepart (55), 2010


Bouteilles et sachets en plastique au Sénégal 69

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ques-la-pollution-de-plus-en-plus-preoccupante&catid=35:articles-de-societe&Itemid=54
http://anr.typepad.com/anr/2010/03/au-s%C3%A9n%C3%A9gal-comme-dans-toutelafrique-
les-sacs-plastiques-sont-un-fl%C3%A9au.html
http://www.journalducameroun.com/article.php?aid=4554
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http://www.afrik.com/article8483.html
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Autrepart (55), 2010

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