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Lorenzo Barrault-Stella
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 26/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 88.138.232.215)
ISSN 1150-1944
ISBN 9782724635225
DOI 10.3917/soco.108.0125
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2017-4-page-125.htm
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False Addresses To By-Pass the School Map
Arrangements with Law and Loyalty in the State
From a qualitative localized survey crossing repeated interviews, observations
and personal archives, this article deals with the practices of false addresses to
by-pass the school map of cultural fractions of elites. Leaning on sociology of law
and sociology of education, the analysis questions the social and contextual condi-
tions of this strategy. Then, the article analyses the resources, the know-how, the
apprenticeships and the administrative procedures necessary to produce a false
address. This paper underlines the ambivalent relationships to the law et to the
State of social groups enough endowed to adapt successfully legal rules.
L
es sciences sociales ont souligné de longue date la diversité des
principes de domination, en insistant par exemple sur l’impor-
tance du capital culturel dans la différenciation des classes supé-
rieures (Bourdieu, 1979). La distinction de fractions, strates ou pôles,
dans la perspective de désagréger les groupes sociaux, les mieux
dotés mais pas uniquement, constitue une piste de recherche désor-
mais bien connue (Wagner, 2007) que l’on peut mobiliser dans
l’étude des rapports au droit (Israël, 2008). La question des usages
sociaux du droit au quotidien (Curapp, 1989), par différents groupes
et par ceux les mieux dotés en particulier, mérite ainsi d’être appro-
fondie en portant attention à leurs ancrages sociaux et à l’hétérogé-
néité des catégories étudiées. Les riches travaux de sociologie du
droit, en particulier ceux relevant du courant des legal consciousness
studies 1, aujourd’hui relativement dispersés et en quête de renouvel-
lement (Silbey, 2005), ont pointé de nombreux résultats. À partir
1/ Sur ces recherches, inspirées de l’étude pionnière (voir Felstiner, Abel et Sarat, 1981) et surtout déve-
loppées aux États-Unis (voir Levitsky, 2014), s’intérressant aux rapports au droit des « profanes » et leur
circulation en France (voir Israël et Pélisse, 2004 ; Pélisse, 2005). Voir aussi les travaux relatifs aux usages
protestataires du droit (Agrikoliansky, 2010).
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ment documenté les pratiques de scolarisation et les « choix » sco-
laires qui sont partie prenante des stratégies de reproduction
(Bourdieu, 1979, p. 145) des différents groupes sociaux. Qu’ils
soient classiques (Bourdieu, Boltanski et de Saint-Martin, 1973)
ou plus récents (Oberti, 2007 ; Ben Ayed et Poupeau, 2009 ;
Broccolichi, 2009), ces travaux ont mis en évidence diverses formes
d’inégalités sociales, culturelles et territoriales. Ils ont toutefois laissé
dans l’ombre certaines dynamiques politiques et bureaucratiques
façonnant les pratiques de scolarisation des familles et, particulière-
ment, leurs usages des normes juridiques 5. Agnès Van Zanten a
pourtant souligné que « les choix parentaux dépendent des contextes
institutionnels et politiques dans lesquels ils sont insérés » (2009,
p. 235). Ainsi, un détour par l’État et l’analyse sociologique de
l’action publique autorise, outre l’étude de la fabrique de la carte
scolaire (Barrault-Stella, 2012), une réinterprétation des comporte-
ments des familles confrontées au dispositif – en tant qu’« usagers »
2/ Les legal consciousness studies ont tendance à adopter un regard universalisant sur les « profanes ». Si la
question des conditions sociales des rapports au droit est parfois posée, l’hypothèse d’une différenciation
interne aux groupes sociaux (les classes moyennes, les classes supérieures, etc.) est rarement mobilisée par
ces travaux, comme l’illustre Austin Sarat (1992) dans son étude des appréhensions du droit des « groupes
démunis » confrontés aux bureaux d’aide légale aux États-Unis durant les années 1980.
3/ Le terme de fausse adresse est utilisé de manière récurrente par divers parents et agents publics. Il
renvoie à des pratiques contrastées formellement (toutes ne passent pas par l’usage de faux documents). La
qualification de fausse adresse, potentiellement moralisante et délégitimante, fait parfois l’enjeu de débats
parmi les enquêtés. Ici détachée de ses acceptions normatives, l’expression permet de penser ensemble,
au-delà de leurs formes variées, toutes les pratiques qui consistent à déclarer intentionnellement à l’admi-
nistration scolaire une adresse qui n’est pas celle de résidence effective de la famille.
4/ La carte scolaire constitue un système à deux niveaux : la répartition territoriale des ressources de
l’Éducation nationale (offre scolaire, postes, etc.) et la sectorisation des élèves (qui est le plus souvent
nommée carte scolaire alors qu’elle n’en constitue qu’un aspect). Les termes de sectorisation et de carte
scolaire sont utilisés de manière indifférenciée pour ne pas complexifier inutilement l’analyse.
5/ Sur ces tendances que l’on retrouve plus généralement dans nombre de recherches en éducation en
France comme à l’international (voir Barrault-Stella et Goastellec, 2015).
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ou gouvernés – qui implique de mettre le rapport aux institutions Un détour par l’État
et l’analyse
et au droit des familles au cœur de l’analyse (Barrault-Stella, 2013, sociologique
p. 269-565), dans la perspective d’étudier le placement scolaire en de l’action
publique autorise
train de se faire. Ce ne sont alors pas les questions des causes ou des une réinter-
effets qui sont centralement posées, contrairement à la plupart des prétation
des compor-
travaux ou des commentaires politiques relatifs à la carte scolaire, tements
mais plutôt celle du comment les familles inscrivent leurs enfants des familles
confrontées
dans tel ou tel établissement. Ce déplacement du regard conduit à au dispositif
porter une attention aux démarches, administratives par exemple qui implique
(Siblot, 2006), engagées par les familles, ainsi qu’à leurs usages de mettre
le rapport
concrets des règles du droit. On sait qu’« aucune institution, aussi aux institutions
contraignante soit-elle, ne peut obliger à ce que les usages institu- et au droit
des familles
tionnellement prescrits soient effectivement réalisés, ni empêcher au cœur
que des usages non prévus se déploient » (Dubois, 2003, p. 5). La de l’analyse.
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(location d’un appartement pour l’occasion, usage de la boîte aux
lettres d’un proche, etc.), permet en ce sens à certaines familles
d’obtenir une position dans un établissement public hors secteur par
des moyens défendus 6.
Partie prenante des arts de faire avec l’État et le droit (De Certeau,
Jameson et Lovitt, 1980 ; Scott, 1987), la déclaration d’une fausse
adresse constitue une transgression des règles légales relatives à l’ins-
cription scolaire dans l’établissement de sectorisation du domicile
(articles 131-5 et 217-7 du Code de l’éducation). Effectuant les
démarches administratives pour leurs enfants (dans l’enseignement
primaire et souvent au collège), les parents font alors mine de se
conformer à la carte scolaire (qui, rappelons-le, ne concerne pas
l’enseignement privé). Pour les acteurs institutionnels, l’établisse-
ment d’inscription est celui du secteur de l’adresse déclarée. Les
familles recourant à ce type de contournement par transgression sont
par conséquent peu visibles statistiquement et leur importance
numérique, sans doute très variable localement, est difficilement
mesurable puisqu’elles sont considérées officiellement comme res-
pectant la carte scolaire. En se fondant sur des entretiens a posteriori
des « choix » scolaires, en particulier dans des quartiers en cours de
gentrification, Agnès Van Zanten a noté que les justifications de
l’usage d’une fausse domiciliation avancées par des familles des frac-
tions culturelles des classes moyennes-supérieures étaient liées à leur
6/ Par contraste avec les demandes de dérogation qui sont proposées, voire prescrites, par nombre d’agents
de l’institution scolaire et relèvent in fine de la conformation à l’ordre institutionnel (Barrault-Stella, 2013).
Il existe en effet diverses manières de s’accommoder de la carte scolaire, que ce soit par une scolarisation
dans l’enseignement privé, une demande de dérogation, l’obtention d’un passe-droit ou encore une stratégie
résidentielle en amont ou par déménagement. Toutes les pratiques recensées par la littérature sociologique
ont pu être observées dans le cadre de l’enquête.
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autorise l’étude de ces pratiques illégales, l’article aborde les condi-
tions sociales de ce type d’arrangement avec le droit, puis les savoir-
faire, les apprentissages et les démarches administratives nécessaires
au déploiement de cette stratégie qui apparaît particulièrement effi-
cace du point de vue du contournement des contraintes étatiques.
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nistration scolaire. Pour éclairer ces pratiques de transgression du
droit, les investigations ont également porté sur les comportements
d’autres familles, ce qui permet de saisir – par la mise en relation
de ces pratiques avec d’autres contrastées face à la carte scolaire –
les spécificités de celles recourant à de telles domiciliations non
véridiques.
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peler que les pratiques de scolarisation, comme celle analysée ici, ne
doivent pas être essentialisées : elles sont à la fois contextuelles, au
sens où elles varient fortement selon les contextes et offres scolaires
locales (Oberti, 2007 ; François et Poupeau, 2008) ; et relationnelles,
c’est-à-dire que les pratiques des uns sont aussi fonction de celles
des autres (Barrault-Stella, 2013). Pour autant, les parents rencontrés
ayant déclaré une fausse adresse appartiennent tous aux classes supé-
rieures (si on les compare aux chiffres moyens de l’Insee en parti-
culier, voir supra), et à leurs fractions culturelles, comme en attestent
leurs professions, leurs diplômes et leurs revenus. Vivant dans la
même localité urbaine très hétérogène socialement, ces enquêtés
(de 38 à 45 ans) exercent les professions suivantes : maître de confé-
rences en psychologie, chef d’une petite entreprise de design, cadre
de la fonction publique, cadre au sein d’un cabinet d’avocats et pro-
fesseure agrégée de lettres. Ceux en couple vivent dans des confi-
gurations familiales plutôt homogamiques. Dans les cinq cas, malgré
la durée de l’enquête, aucun désaccord entre le père et la mère n’a
été relevé quant à l’opportunité de déclarer ou non une fausse
adresse 12. À l’exception de François qui est en ascension sociale (voir
tableau 1), tous sont issus de catégories sociales favorisées. Tous dis-
posent de ressources économiques plutôt élevées (revenus et patri-
moine, ce dernier est cependant peu fongible pour ces familles qui
9/ Olivier Schwartz explique : « Compte tenu du rapport public/privé tel qu’il fonctionne dans les sociétés
occidentales, il est peu probable que les régions les plus intimes du privé [puissent] accéder à l’expression
en dehors d’une communication elle-même privée, supposant le secret et donc l’absence de magnétophone. »
10/ C’est-à-dire avant, pendant et après les choix effectifs, d’où l’expression d’étude de pratiques de sco-
larisation en train de se faire.
11/ Sur l’éthique de doute adoptée face aux discours en entretien, et l’intérêt de croiser avec d’autres
sources comme des archives personnelles (voir Poliak, Mauger et Pudal, 2010).
12/ Cela pourrait soit constituer un effet d’enquête, soit suggérer que le consensus intrafamilial est l’une
des conditions à ce type de transgression du droit.
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À partir d’une analyse sociologique mettant en relation ces cinq
cas – et plus largement armés d’une enquête menée auprès de
familles de différents milieux sociaux qui mobilisent d’autres
pratiques face à la carte scolaire – cet article éclaire les usages trans-
gressifs du droit de ces parents bien dotés en matière de carte sco-
laire. Il s’agit d’apporter une contribution à l’étude de la posture
d’engagement avec le droit en portant la focale sur les conditions
sociales, les modalités de négociation et d’ajustements des règles juri-
diques, ainsi que les conditions de félicité de ces pratiques.
13/ Le taux d’adhésion moyen aux associations de parents d’élèves en France est de 7 %. Les femmes y
sont surreprésentées avec un taux à 10 % ; celui des hommes est à 5 % (Béréni, Chauvin, Jaunait et Revillard,
2008, p. 162-163). Au sein des couples étudiés, j’ai laissé les parents choisir qui mènerait les entretiens. La
présence de quatre hommes sur cinq (et le fait que la seule femme soit mère célibataire) illustre des inégalités
genrées bien connues.
14/ Fédération de conseils de parents d’élèves, tendanciellement orientée à gauche politiquement. L’autre
principale association de parents, située plus à droite, la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement
public (PEEP) est quasiment absente sur le terrain étudié, mais il existe des associations locales
indépendantes.
15/ Objectiver une position supérieure dans l’espace social ne revient pas à considérer que les groupes en
question sont nécessairement « dominants » dans tous les rapports sociaux (de classe, de genre, de race,
etc.). On peut ainsi être à la fois dominant sous l’un de ces rapports, et dominé sous un autre (Jaunait et
Chauvin, 2012). Néanmoins, en matière de placement scolaire, les familles ici étudiées apparaissent, dès
lors que l’on pense ensemble les différents groupes sociaux, largement dominantes du point de vue de leur
maîtrise des règles juridiques et de leurs possibilités d’adaptation aux contraintes de l’action publique. Cela
ne signifie pas que d’autres groupes, mieux dotés économiquement au sein des classes supérieures, ne soient
pas dominants, peut-être même davantage, comme suggéré dans la conclusion de l’article.
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TABLEAU 1
Les enquêtés ayant déclaré une fausse adresse
16
Enquêtés Profession Diplôme Revenu net Profession Scolarisa- Profession Militantisme
mensuel 17 du ou de la tion des des parents
et patrimoine conjoint.e enfants
du ménage 18
Frédéric Cadre au sein Bac pro 5 700 e Journaliste Fils en CM2 Banquier et Sa femme est
d’un logistique 850 000 e hors secteur. professeure à la FCPE
prestigieux et maîtrise Second fils en des écoles
cabinet de droit 4e hors secteur
d’avocats
Murielle Professeure Agrégation 3 100 e (mère Deux filles Cardiologue et SNES et FCPE
agrégée de de lettres 250 000 e célibataire, en 3e et 6e sans-emploi
lettres en lycée modernes ex-mari cadre hors secteur
du privé)
Didier Maître de Doctorat de 6 000 e Psychologue à Fils en CE2 Hauts Non
conférences psychologie 400 000 e l’hôpital public du secteur fonctionnaires
en psychologie Second fils en
6e hors secteur
Gregory Chef École d’art 7 000 e Employée de Fils unique en Cadres Non
de sa petite (bac + 5) et 350 000 e banque 6e hors secteur du privé
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entreprise licence de (banque et
mathématiques assurance)
François Cadre Deug 5 000 e Comptable Fils en CM1 Agent de PS et FCPE
de la fonction d’Histoire 180 000 e dans une du secteur La Poste et
publique entreprise Fille en 5e hors sans-emploi
territoriale privée secteur
16/ Selon l’Insee, en 2014, seuls 39,4 % des 25-49 ans sont diplômés du supérieur, dont 22,5 % du supé-
rieur long.
17/ Selon l’Insee, en 2010, le niveau de revenu médian par foyer s’élève à 30 500 euros annuels en France,
soit 2 541 euros par mois.
18/ Hors crédit. Selon l’Insee, en 2010, le patrimoine médian des ménages en France est de 150 000 euros.
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Tout d’abord, ces familles bien dotées vivent toutes à une adresse
où l’établissement public de secteur – le collège pour cinq d’entre
elles, l’école élémentaire pour une seule – est considéré comme « dif-
ficile » au vu des résultats scolaires et des comportements des élèves.
Didier (maître de conférences en psychologie) raconte : « L’école
[publique] du quartier [que fréquente son fils cadet], ça va encore, il
y a une certaine mixité et on trouve de tout. Mais le collège lui, il est
franchement craignos. Les résultats au brevet ne sont pas bons du
tout et tout le monde sait dans le quartier qu’il y a des problèmes de
discipline, pour ne pas dire de sécurité, voire de deal, dans ce col-
lège. » De même, Frédéric (cadre au sein d’un cabinet d’avocats), qui
vit dans un appartement de 150 m2 dans un des secteurs les plus
populaires du terrain étudié (où les prix de l’immobilier sont relati-
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vement plus bas), et dont la déclaration d’une fausse adresse est inter-
venue dès l’école élémentaire pour le premier enfant, explique : « À
la maternelle, on venait d’arriver dans le quartier et on s’en foutait un
peu. C’est pas trop là que ça se joue. Mais pour le CP, on savait que
ça n’allait pas le faire. L’école X [du secteur] est bien pourrie,
sérieux... » Il faudrait sans doute approfondir les logiques des choix
de domiciliation de ces familles, celles-ci ne se réduisant pas à des
considérations scolaires (Authier, Bonvalet et Lévy, 2010). Il reste que
ces parents sont confrontés à la même logique de situation (Dobry,
2007) : leur position dans l’espace territorial et l’école publique qui
lui est attachée par la sectorisation constituent pour eux des
contraintes à écarter, du fait de leurs aspirations scolaires et sociales.
Cette situation les distingue d’autres familles des mêmes fractions des
classes supérieures aux dispositions proches, mais dont l’établisse-
ment de secteur n’est selon eux pas problématique. Ainsi, Natacha
(avocate spécialisée en droit des étrangers, mariée à un cadre en infor-
matique), très militante (Parti de gauche, Ligue des droits de l’homme,
FCPE), vit dans un quartier plus favorisé et a choisi son logement en
anticipant les contraintes de la carte scolaire. La respecter lui apparaît
donc indolore et, on le voit, se conformer au dispositif n’est pas néces-
sairement moins stratégique que le contourner. La comparaison des
familles étudiées recourant à une fausse adresse à d’autres parents aux
propriétés sociales et dispositions similaires, mais « mieux » sectorisés
de leur point de vue, souligne ainsi toute l’importance des situations
dans l’activation de certaines dispositions susceptibles d’orienter les
« choix » scolaires. Les usages du droit de ces familles bien dotées
apparaissent étroitement dépendants de leur situation 19 dans l’espace
19/ Par analogie avec les usages du droit de mouvements sociaux (McCann, 1994).
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Comme d’autres parents (mais pas tous), ces déclarants de fausses
adresses entretiennent un rapport investi et stratégique à l’institution
scolaire, dans laquelle ils placent de fortes attentes quant à la réussite
sociale de leurs enfants. Ils tiennent des propos relativement simi-
laires dans différentes situations. Par exemple, Frédéric (cadre dans
un prestigieux cabinet d’avocats) déclare : « Évidemment, on veut le
meilleur pour nos gosses, donc plus ils auront de super résultats
dans de bonnes écoles, mieux ce sera. » De son côté, Murielle (pro-
fesseure agrégée en lycée) annonce : « Les filles choisiront un peu
les études qu’elles préfèrent, tant que ce ne sont pas des filières de
relégation, comme il y en a malheureusement trop. Il faut juste
que ce soit de bonnes formations, dans de bons établissements. »
Gregory (chef de sa petite entreprise de design) ajoute : « Pour notre
fils, avec ma femme, on veut juste ce qu’il y a de mieux, les écoles,
le collège, les profs... même après le bac, on y pense déjà parfois.
Faut pas se rater aujourd’hui. » Bien connues et désormais largement
diffusées – bien qu’inégalement – dans différents milieux sociaux 20,
de telles dispositions ne sont pas propres à ces parents, mais elles
sont récurrentes chez ceux rencontrés ayant déclaré une fausse
domiciliation.
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Ils se disent « fondamentalement convaincus de la supériorité »
(François) éthique et politique de l’école publique 21. Cela fait notam-
ment écho à leur socialisation politique familiale. François raconte à
quel point son père, fonctionnaire de La Poste, athée convaincu
(« bouffeur de curés ») et syndiqué à gauche (CGT) toute sa carrière,
« se retournerait dans la tombe s’il voyait ses petits enfants dans une
école privée [...] ! Il répétait que l’école publique laïque était un pro-
grès ». De même, Didier (maître de conférences en psychologie dans
une université publique) explique le rôle central de son « modèle
éducatif familial où l’école ne pouvait être que publique », et des
« choix militants » de ses parents (hauts fonctionnaires aux minis-
tères de la Culture et de l’Intérieur) pour l’éducation nationale. Ainsi,
aucun de ces enquêtés n’envisage d’inscrire un de ses enfants dans
un collège ou une école privés, alors qu’ils en ont les moyens finan-
ciers et qu’ils savent que cela pourrait être une solution alternative
pour s’accommoder de la carte scolaire. Pour eux, une inscription
dans le privé constituerait une faute morale du fait de leurs incli-
naisons politiques et militantes (une enquêtée est syndiquée au
SNES, un autre engagé au PS, tous se disent « de gauche »).
21/ Sur la base de matériaux quantitatifs, François Héran a noté à quel point « le système de valeurs des
parents joue un rôle central » dans le recours à l’enseignement privé (Héran, 1996, p. 29). À la fin des
années 1990, Vincent Tournier remarque aussi, à partir d’un échantillon de près de 1 400 questionnaires,
que « la scolarisation dans le public est massive lorsque les parents se classent à gauche », à savoir 83 % de
son échantillon (Tournier, 1997, p. 571).
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risation dans un établissement privé. Par contraste, d’autres parents
aux propriétés sociales proches et placés dans la même situation face
à la carte scolaire, mais qui ne sont pas particulièrement attachés à
l’école publique, recourent volontiers au privé, à l’image de Julian et
Charlotte, photographe professionnel et architecte, qui habitent dans
le même immeuble que Frédéric. Tout se passe finalement comme
si c’était paradoxalement la morale de classe de ces familles, celle de
fractions culturelles des classes supérieures attachées aux institutions
publiques de par leurs trajectoires scolaires et leurs dispositions poli-
tiques, qui les conduisait à des pratiques illégales comme les décla-
rations de fausses adresses. Selon Didier, cette stratégie permet de
« rester fidèle » à l’école publique, elle est conforme à leur propre
morale et elle est même justifiée par leurs valeurs politiques.
Dans leurs « choix des armes » face à la carte scolaire, ces parents
ont également tendance à considérer la demande de dérogation
comme une stratégie trop risquée qui n’a, dans la conjoncture de
l’enquête 22, qu’une faible chance d’aboutir. Ils disposent en effet de
connaissances très précises du fonctionnement de l’action publique
et des pratiques des acteurs institutionnels locaux. Tous expliquent
avoir anticipé l’échec d’une éventuelle demande de dérogation. Pour
Didier : « Les dérogations, c’est très incertain, on ne peut pas compter
dessus (...). Il fallait s’assurer que ça marcherait. » ; ou Gregory :
22/ Après la réforme de 2007, les possibilités de demander une dérogation ont été généralisées, publicisées
et facilitées par le ministère de l’Éducation nationale, ce qui a conduit à une démonétisation relative d’une
des stratégies scolaires les plus utilisées par les familles des fractions culturelles des classes supérieures
(Barrault-Stella, 2013).
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« Ici, ils refusent toujours les dérogations parce qu’il n’y a pas de
place. » Aucun d’entre eux n’a d’ailleurs sollicité de dérogation
pour pouvoir s’arranger autrement. Ces parents semblent avoir
compris les contraintes stratégiques et les effets-cliquets 23 induits
par une demande de dérogation auprès de l’administration scolaire.
Didier raconte : « Évidemment, si vous demandez une dérogation et
qu’elle est refusée, il est trop tard pour dire “au fait je n’habite pas
là.” Les deux choix ne sont pas vraiment compatibles parce que vous
n’êtes pas crédible. » Murielle ajoute : « Je sais comment ça marche,
je n’allais pas prendre le risque de demander une dérog’ qu’on
m’aurait probablement refusée. Ensuite, j’aurais eu du mal à pré-
texter un déménagement au dernier moment. J’ai joué la sécurité
comme on dit, en anticipant. » Ces familles déclarent ainsi leur chan-
gement de domicile de longs mois avant les affectations scolaires,
bien avant l’attribution des dérogations (qui intervient généralement
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en mai-juin). La connaissance de l’aléa, voire de l’improbabilité, de
l’attribution institutionnelle d’une dérogation (Barrault-Stella, 2011)
conduit donc ces parents bien dotés à s’en détourner tactiquement,
laissant cette option désormais bien connue à d’autres familles. Par
contraste, parmi les parents des classes populaires rencontrés, dont
les investissements autour de l’école sont parfois sous-estimés, la
demande de dérogation peut constituer une stratégie considérée
comme efficace tant la croyance en leur attribution politiquement
facilitée était répandue pendant l’enquête, quitte à générer dans ces
milieux un fort sentiment d’injustice en cas de refus 24. La proximité
avec l’institution scolaire et la connaissance du fonctionnement de
l’action publique, inégalement réparties socialement, conduisent
ainsi des parents bien dotés culturellement, comme Muriel, Gregory
ou Didier, à ne pas demander de dérogation, par anticipation d’un
probable refus, pour privilégier une stratégie jugée moins risquée,
soit l’usage d’une fausse adresse.
23/ L’effet-cliquet relève d’une situation, produite et entretenue par des acteurs et des dispositifs, qui
empêche les retours en arrière et contraint les individus à poursuivre leurs actions dans la même voie
(Goffman, 1970, p. 85-145).
24/ Sur ces questions, outre des parents observés dans le cadre de l’enquête, voir les entretiens a posteriori
menés auprès de familles populaires déçues à la suite d’un refus de dérogation à la même période (Oberti,
Rivière, 2014).
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cas particulier. Frédéric explique : « La carte scolaire, c’est plutôt
positif en soi, pour créer de la mixité, mélanger les enfants de dif-
férents milieux et tout. Nous, on est de gauche et on est pour. Sauf
qu’ici, comme dans tous les endroits ségrégués, elle pose problème
parce qu’elle enferme les gens dans leurs ghettos. Donc moi, je suis
obligé de m’arranger et je sais pourquoi je le fais. Faut comprendre.
On n’a pas le choix en fait, sinon on va à l’école privée. » Ces parents
entretiennent ainsi ce que Neal Shover a nommé, dans ses travaux
sur les élites délinquantes, un rapport « élastique » à la légalité sus-
ceptible de varier selon les circonstances (2007, p. 88 26). Gregory
(chef de sa petite entreprise de design) affirme entre autres : « Il ne
faut pas faire un drame de ces petits arrangements. On ment à l’école
et alors ? La carte scolaire est une bonne idée par certains aspects,
c’est une règle générale de vivre ensemble. Mais bon, il y a des cas
comme le nôtre, où il faut savoir s’adapter. Il y a des contextes
particuliers. » La transgression juridique qu’implique la déclaration
d’une fausse adresse est ainsi fortement relativisée dans le cas par-
ticulier de ces parents : « les règles ne sont pas toujours faites pour
être appliquées partout », comme l’explique Murielle. Cela ne signifie
aucunement que, de leur point de vue comme pour d’autres parents
aux caractéristiques proches rencontrés pendant l’enquête (au sein
25/ Comme Bernadette (46 ans), titulaire d’un doctorat en économie, directrice de service au ministère de
l’Écologie, mariée à un haut fonctionnaire du ministère de la Culture, se disant « totalement pour le service
public d’éducation » raconte : « On n’a pas choisi notre appartement au hasard quand on a déménagé. On
a regardé précisément sur quel collège on était sectorisé. »
26/ D’autres travaux relatifs à des enjeux financiers ont également souligné le lien entre statut social élevé
et capacité transgressive accrue (Lascoumes et Le Hay, 2013 ; Spire et Weidenfeld, 2015), ou encore la plus
grande disposition des élites à cacher des éléments importants pour la compréhension de la situation quand
ceux-ci leur sont défavorables (Piff et al., 2012). Il n’est toutefois pas certain que ce type de rapport relativiste
au droit concerne également toutes les fractions des classes supérieures, ni que d’autres groupes sociaux ne
soient pas susceptibles d’entretenir la même posture face aux règles juridiques.
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Loin d’être universelle, la possibilité de jouer avec la règle juri-
dique – et plus généralement de s’engager avec le droit pour reprendre
la formule des legal consciouness studies – en déclarant une fausse
adresse, a donc ses conditions sociales et contextuelles. Les décla-
rants de fausses adresses rencontrés, qui appartiennent aux fractions
culturelles des classes supérieures, sont placés dans une même situa-
tion qui est contraignante à leurs yeux (leur position territoriale les
conduisant à considérer un respect de la carte scolaire comme négatif
pour leur enfant) et ils partagent une configuration de dispositions
communes (investissement scolaire stratégique, attachement à l’école
publique et rejet de l’enseignement privé, scepticisme à propos des
chances d’aboutir des demandes de dérogations, rapport relativiste
aux règles de droit). C’est l’articulation de cette situation et de ces
dispositions qui rend possible leur usage ambivalent de la règle.
27/ Au sens de Michel Foucault, il s’agit de l’ensemble des pratiques illicites qui, soit transgressent déli-
bérément, soit contournent, ou même détournent les normes juridiques et qui sont généralement associées
à différents groupes sociaux (1975, p. 84-89).
28/ Léon Festinger a souligné que l’un des principaux procédés de réduction de la dissonance consiste à
ajuster ses représentions et ses croyances à la nouvelle situation et à ses pratiques.
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de dix ans, travailleur non déclaré dans un restaurant africain (pour
environ 800 euros par mois). Il scolarise ses enfants dans l’école de
secteur qu’il n’estime pourtant « pas très bien ». Dans les fractions
les plus économiques des classes supérieures, d’autres familles
connaissent la possibilité de s’arranger avec le droit en mettant en
avant une domiciliation stratégiquement erronée, mais ces enquêtés
estiment généralement ce procédé coûteux en démarches, voire
« ennuyeux à mettre en œuvre », ou « un peu bas », comme
l’explique Louis, avocat en droit des affaires, diplômé d’une presti-
gieuse école de commerce et qui recourt à l’enseignement privé pour
scolariser ses enfants 29. L’étude de fausses adresses, au regard des
attitudes de familles n’y recourant pas, confirme ainsi l’existence de
possibilités socialement différenciées de jeu avec le droit, mais aussi,
au sein des classes supérieures, d’appétences inégales et potentielle-
ment distinctives à (ne pas) transgresser les règles juridiques.
29/ Il appartient à une famille de viticulteurs au patrimoine très important, son épouse est femme au foyer.
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train de vie. Par le biais de déclarations d’une fausse adresse, leurs
deux enfants sont scolarisés dans une école élémentaire et un collège,
situés à moins de dix minutes à pied de leur domicile, établissements
qui ne sont pas ceux du secteur. Le domicile déclaré à la mairie et
au rectorat correspond à celui des parents de Frédéric qui « habitent
du bon côté ». Frédéric raconte : « Quand on est arrivé dans le quar-
tier, il y a cinq ans, mes parents habitaient encore à X [une commune
favorisée à une dizaine de kilomètres], et puis ils ont voulu se rap-
procher, pour nous voir plus, les gosses surtout. Je les ai aidés à
acheter leur appart’, j’ai fait les visites, etc. Et un truc qu’on a bien
regardé, c’est les écoles. Parce qu’on savait que celles de notre secteur
n’étaient pas terribles et parce que Léon [leur fils aîné alors scolarisé
conformément à la carte scolaire] souffrait déjà. Donc après on a pu
changer facilement, on a dit qu’on avait déménagé quoi, et l’école
comme le collège sont à peine plus loin en fait. » En l’espèce, ce ne
sont pas leurs ressources économiques propres qui leur permettent
d’obtenir une fausse adresse, mais le capital économique familial qui
les autorise à acheter (sans crédit) un appartement – celui des grands-
parents – coûtant plus de 600 000 euros dans un secteur beaucoup
plus favorisé à proximité de chez eux. Une stratégie résidentielle qui
permet, par ricochet, à des membres de la famille de bénéficier d’une
« bonne » sectorisation. Le capital économique, personnel ou col-
lectif, donne accès à l’obtention d’une adresse favorable scolairement,
30/ Que certains travaux ont nommé le capital d’autochtonie (Retière, 2003 ; Renahy, 2010). L’intérêt de
la notion est d’insister sur les dimensions territorialisées de ces ressources d’interconnaissance ouvrant des
possibilités dans l’espace local (et donc soumis, au-delà, à d’éventuelles démonétisations). Si ces travaux ont
tendance à considérer que le capital d’autochtonie constitue une ressource de substitution propre aux classes
populaires, rien n’interdit d’observer des formes proches de capital social dans les classes supérieures (Geay,
2015). Plus généralement, sur cette espèce de capital – territorialisée ou non – central dans la reproduction
des classes supérieures (voir Lenoir, 2016).
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et l’appartement reste vide. » Ainsi, ces trois familles, aux profils
sociaux proches et aux ressources économiques élevées, partagent la
boîte aux lettres et les justificatifs de domicile qui sont liés à leur
colocation. C’est à la fois leur dotation en revenus réguliers élevés
(davantage qu’en patrimoine qui, on l’a dit, est peu fongible dans
leur cas), laissant une marge de manœuvre importante au quotidien,
et la richesse de leurs relations sociales dans l’espace local qui per-
mettent à ces familles de louer collectivement un logement à des fins
de placement scolaire.
Enfin, une partie des enquêtés, même bien dotés, n’est pas en
mesure de dépenser autant d’argent pour ces enjeux scolaires et
mobilise exclusivement son capital social localisé pour obtenir de
fausses adresses. Tel est le cas des trois autres familles rencontrées
qui s’appuient sur des amis, vivant à proximité mais sectorisés sur
de « bons » établissements, pour proposer à l’administration une
domiciliation fictive leur permettant d’inscrire leurs enfants dans les
établissements publics de leurs choix. François, cadre de la fonction
publique territoriale (au sein d’un conseil général dirigé par le PS
où il est aussi militant) qui gagne 2 800 euros mensuels, marié à une
comptable dans une entreprise privée rémunérée 2 200 euros par
mois, scolarise son fils cadet dans l’école primaire de secteur mais a
déclaré une fausse adresse à l’entrée de sa fille aînée en 6e. Il explique
s’être « arrangé avec un bon copain » domicilié près d’un collège
plus favorisé, situé dans un quartier à proximité. François habite la
localité de longue date, y connaît beaucoup de monde dans le milieu
31/ Le coût économique n’est pas beaucoup plus élevé que celui d’une scolarisation dans un établissement
privé (en particulier avec les frais de restauration).
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d’une fausse adresse (achat d’un appartement, location collective,
domiciliation chez un proche) apparaissent ainsi liées à de petites
différences de ressources – économiques et/ou d’interconnaissance –
entre ces familles des fractions culturelles des classes supérieures.
32/ Par contraste avec la famille de Frédéric, installée dans la localité depuis seulement cinq ans. Frédéric
est par ailleurs peu enclin aux investissements hors du foyer.
33/ Didier explique : « Je ne voulais pas qu’ils m’embêtent donc je leur ai écrit dès le début de l’année [en
janvier] en précisant que je venais de déménager. »
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sition, quittance d’assurance logement). Pourtant, l’existence de
déclarations de fausses adresses en matière scolaire est assez connue,
les agents publics ne les ignorent pas et portent parfois une attention
particulière aux justificatifs produits par les familles.
34/ À l’école élémentaire, ce sont les agents du service Éducation de la municipalité qui se chargent des
affectations, tandis qu’au collège cette tâche est dévolue aux agents de la direction des Services départe-
mentaux de l’Éducation nationale (DSDEN), nommée Inspection académique jusqu’en 2012.
35/ À la demande du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, lequel affirmait vouloir lutter contre
les fraudes, une exception temporaire concernant l’inscription à l’école avait été mise en place en avril 2000,
puis supprimée dès le mois de décembre de la même année.
36/ En complément, les certificats d’inscription sont envoyés par courrier postal par les agents municipaux
(et non par voie électronique) : cela permet de contrôler que le courrier ne revient pas en mairie avec la
mention « n’habite pas à l’adresse indiquée », mais ce dispositif peut être facilement contourné si la famille
met en place un « suivi de courrier » auprès des services postaux.
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CARTE SCOLAIRE À LA CARTE
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les titres de propriété, qu’il valait mieux faire avec la facture EDF.
Donc bon j’ai mis l’EDF de mes parents à mon nom, et voilà. J’ai
laissé quelques mois et on leur a rendu l’EDF ensuite. [...] Pour
assurer le coup, j’avais aussi déclaré à tous les services de la mairie
le même changement d’adresse. »
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quittance d’assurance logement effectivement à leur nom. Cependant,
les familles moins pourvues économiquement et s’appuyant sur des
proches qui acceptent d’ajouter leur nom sur la boîte aux lettres sont
dans une situation plus délicate. Ils ne disposent a priori d’aucun
document attestant de leur résidence à l’adresse déclarée. L’anticipa-
tion des démarches est alors essentielle, car ils doivent non seulement
être informés mais aussi produire, en amont de la déclaration de la
nouvelle adresse, les deux justificatifs requis. Si l’on suit Michel
Dobry : « Le rapport à la règle tend en effet à passer par les antici-
pations de l’individu. [...] Ces anticipations semblent porter, d’abord,
non sur le contenu de la règle mais sur ce que, d’ordinaire, les autres
acteurs font de la règle. C’est dire que “le rapport à la règle” de
l’individu passe d’abord, fondamentalement, par ses rapports avec les
autres. » (2015, p.302-303) Et, dans le cas des familles étudiées, par
leurs rapports aux agents de l’administration scolaire comme à
d’autres parents qui connaissent les règles de l’action publique.
37/ Dans la période la plus récente, postérieure à l’enquête, il semble que l’adresse déclarée doive aussi
figurer sur la dernière déclaration d’impôts.
38/ On sait que ces dispositions sont favorisées par la détention d’un fort capital culturel et/ou la fréquen-
tation assidue des institutions (Siblot, 2006).
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Tout ça est bien connu, comment ça marche, etc., dans les milieux
qui s’intéressent à ça. À la FCPE ici, la fausse adresse c’est le sport
national ! Et on sait bien comment faire. Même si on ne peut pas
assumer politiquement qu’on est pour le contournement de la carte
scolaire. » Dans le contexte d’hétérogénéité sociale et scolaire étudié,
les associations de parents constituent ainsi des lieux d’apprentissage
de savoir-faire en matière de démarches administratives qui visent à
justifier de fausses adresses.
39/ Sur les divers apprentissages résultant de la participation aux activités d’associations de parents d’élèves,
qui peuvent fournir des ressources politiques et/ou administratives susceptibles d’être mobilisées pour négo-
cier l’action publique (voir Barrault-Stella, 2009 et 2014). À l’encontre d’interprétations rationalistes et/ou
réifiantes, les organisations de parents comme la FCPE ne constituent pas des ensembles monolithiques, et
le fait que l’association prenne officiellement position pour la carte scolaire et son respect n’empêche aucu-
nement que nombre de ses membres, particulièrement dans des contextes comme ceux étudiés, s’en accom-
modent par le biais de fausses adresses.
40/ Dont des modèles sont disponibles sur internet.
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parce qu’il me comprenait, qu’il voyait bien que je voulais éviter
d’aller dans le privé. Il a l’habitude. » Pour les parents distants des
structures associatives, des relations de proximité avec les profes-
sionnels de l’institution scolaire (chefs d’établissements, enseignants,
etc.) sont susceptibles de favoriser les apprentissages en la matière.
41/ Ce qui rappelle les phénomènes d’évitement de certains sujets (politiques par exemple) observés par
Nina Eliasoph (1998) dans son enquête ethnographique au sein d’associations de parents d’élèves aux
États-Unis durant les années 1990.
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publiques et prend acte des règles du droit qui sont alors ajustées.
Les familles concernées ne se passent pas de l’État, ni ne tentent
d’échapper à son intervention, par contraste avec diverses pratiques
de résistance contre le droit, ou même avec des parents optant pour
l’enseignement privé. Mais ces familles trompent les agents de l’admi-
nistration pour bénéficier d’un bien public (une position scolaire
dans un établissement public hors secteur) auquel elles ne devraient
pas avoir accès. Elles parviennent à adapter les règles juridiques à
leur situation personnelle. Ce mode d’accommodement à l’action
publique ne saurait être interprété comme une forme de défiance
généralisée à l’égard des institutions publiques : la transgression du
droit constitue paradoxalement une manière de rester fidèle à l’ensei-
gnement public, conformément aux valeurs politiques et à la morale
socialement située de ces familles favorables à l’instruction d’État.
Très ambivalente et liée pour partie à des contraintes de situation,
cette stratégie illégale est acceptable, voire souhaitable, pour ces
familles du fait de leur aversion pour l’enseignement privé et de
certaines de leurs dispositions politiques. Elle nécessite aussi une
maîtrise des procédures administratives et des règles juridiques
(favorisée par un capital culturel élevé) comme des ressources
(économiques et/ou d’interconnaissance dans l’espace local) inéga-
lement réparties socialement, lesquelles expliquent l’usage privilégié
de cette pratique dans certaines fractions culturelles des classes supé-
rieures. Ce type de jeu avec les règles juridiques permet donc à
certaines franges des groupes sociaux les mieux dotés, dont la posi-
tion est particulièrement dépendante du succès scolaire, de s’arranger
42/ La mise en relation et la comparaison des cas observés intensivement, en particulier au sein d’un
matériel empirique plus vaste comme en l’espèce, permet de passer de la description de singularités à
certaines formes de généralisations à travers un mode de pensée par cas (Passeron, Revel, 2005).
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CARTE SCOLAIRE À LA CARTE
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discrètement avec les règles étatiques dans leur cas particulier sans
remettre en cause, de manière plus générale, le dispositif de carte
scolaire auquel elles sont favorables. On mesure ainsi toute l’ambi-
valence d’une stratégie d’arrangement avec le droit qui vise à l’adapter
à sa situation personnelle tout en considérant comme légitime sa
validité générale.
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ment en particulier, se passent volontiers par leurs choix résidentiels
ou le recours à des enseignements privés. Cela conduit alors à se
demander, plus généralement, si les attitudes d’engagement avec le
droit ne constituent pas, en matière scolaire au moins mais peut-être
ailleurs, une stratégie pour les fractions les plus dominées des
groupes dominants. Quoi qu’il en soit, les contraintes pratiques que
cette stratégie implique ne sauraient faire oublier les privilèges dont
bénéficient ces familles bien dotées dans leur capacité à s’arranger
avec le droit et les règlements étatiques. En outre, si les usages d’une
fausse adresse semblent être l’apanage de familles des classes supé-
rieures et forment de ce fait des pratiques très inégalitaires sociale-
Un mode
ment, cela ne signifie pas qu’elles remettent en cause l’ordre de gouvernement
institutionnel. On sait en effet que « les pratiques déviantes et même par accommo-
dements laisserait
subversives ne sont [...] pas forcément “désintégrantes” » (Dulong, alors perdurer
2011, p. 264). Concernant ces fausses adresses, les agents de l’ins- certaines
inégalités face
titution scolaire tiennent un discours volontariste en matière de lutte à l’institution
contre la fraude et effectuent quelques contrôles. Mais ils disposent scolaire
afin de rendre
de peu de moyens et ont surtout tendance à fermer les yeux sur les acceptable,
quelques cas découverts 43, faisant preuve, comme en matière fiscale par les groupes
sociaux les mieux
(Spire, Weidenfeld, 2015), d’une certaine tolérance face à des tri- dotés, une action
cheries finalement peu visibles 44. Cette stratégie d’arrangement avec publique
le droit est donc non seulement particulièrement efficace, mais aussi à prétention
générale
peu risquée dans les faits. Puisque l’on sait que « la légitimité des qui ne contrarie
dirigeants [...] [est parfois] renforcée par le fait de tolérer des finalement
pas vraiment
pratiques qui ne sont pas encouragées explicitement par l’institution » leurs stratégies
de reproduction.
43/ Aucun contentieux contre les familles « fraudeuses » repérées par l’administration n’est observable. Sur
le travail des agents publics en la matière (voir Barrault-Stella, 2013).
44/ On sait que la fraude est parfois « fonctionnelle », notamment dans le cadre d’échanges clientélaires
aux frontières des institutions publiques (Combes et Vommaro, 2015, p. 67).
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CARTE SCOLAIRE À LA CARTE
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Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris – CSU
Centre national de recherche scientifique
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CARTE SCOLAIRE À LA CARTE
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© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 26/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 88.138.232.215)
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