Rot Borzeix Michelcrozieret Sociologiedutravail

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Michel Crozier et la revue Sociologie du travail
Article in Entreprises et histoire · September 2016

DOI: 10.3917/eh.084.0049
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Gwenaële Rot
Sciences Po Paris
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MICHEL CROZIER ET LA REVUE SOCIOLOGIE DU TRAVAIL
Gwenaële Rot, Anni Borzeix
ESKA | « Entreprises et histoire »
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2016/3 n° 84 | pages 49 à 76
ISSN 1161-2770
ISBN 9782747226615
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Gwenaële Rot, Anni Borzeix« Michel Crozier et la revue Sociologie du travail »,
Entreprises et histoire 2016/3 (n° 84), p. 49-76.
DOI 10.3917/eh.084.0049
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© Éditions ESKA, 2016
50 ANS DE SOCIOLOGIE
DES ORGANISATIONS
MICHEL CROZIER
ET LA REVUE
SOCIOLOGIE DU TRAVAIL
par Gwenaële ROT
professeur de sociologie à Sciences Po Paris
et Anni BORZEIX
directrice de recherche honoraire au CNRS
Quels ont été les liens, les circulations et les différenciations entre
sociologie des organisations et sociologie du travail ? Cette enquête
sur les origines – en France et aussi en Amérique – et l’histoire de la
revue Sociologie du travail, fondée sur de nouvelles archives et des
entretiens, fait apparaître fidélités, inflexions et distances dans les liens
maintenus au fil du temps entre les sociologues des organisations et la
revue. Elle souligne le rôle créateur des revues dans la vie scientifique
et intellectuelle.
Cet article vise à interroger les circu- sa présentation institutionnelle, cet héritage2.
lations entre un homme, une institution et La revue, Sociologie du travail, a toujours
une revue1. L’homme, Michel Crozier, est le compté, parmi ses membres, des chercheurs
fondateur d’un laboratoire de sociologie qui a de ce laboratoire. L’article complète et
longtemps fait école (le Centre de sociologie prolonge une recherche sur l’histoire de cette
des organisations) et qui affiche toujours, dans revue engagée par ailleurs par les auteurs3.
1
Les auteurs remercient chaleureusement Marie-Emmanuelle Chessel et Patrick Fridenson pour leurs commentaires
d’une première version de ce texte.
2
On peut ainsi lire sur le site Internet du laboratoire consulté le 25 juillet 2016 la présentation suivante : « À
l’origine de l’école française de sociologie des organisations, le CSO est un laboratoire de sciences sociales qui
développe une réflexion originale sur les régulations privées et publiques, marchandes et non-marchandes à partir
de recherches qui portent sur les organisations, les marchés et les groupes professionnels. Unité mixte de recherche
de Sciences Po et du CNRS depuis 2001, le CSO a été fondé par Michel Crozier au début des années soixante. Il est
actuellement dirigé par Olivier Borraz, succédant à Christine Musselin (2007-2013), Erhard Friedberg (1993-2007),
et Catherine Grémion (1985-1993). Si le CSO s’est d’abord fait connaître par ses travaux sur l’État et l’administration
française, il a rapidement étendu son éventail de recherches à des objets publics et privés, français et internationaux.
Tout en conservant un attachement prioritaire à une sociologie des organisations qui part des acteurs et de leurs
comportements pour comprendre comment s’agencent des formes de coopération, le CSO inscrit simultanément
ses travaux dans la sociologie économique et la sociologie de l’action publique. Aujourd’hui, le CSO oriente ses
recherches autour de cinq grands programmes de recherche qui traitent de questions aussi centrales que les risques,
l’enseignement supérieur et la recherche, la santé, le développement durable, les mutations des entreprises, les
transformations de l’État… ».
3
A. Borzeix et G. Rot, Genèse d’une discipline, naissance d’une revue. Sociologie du travail, Paris, Presses
Universitaires de Paris Ouest, 2010. L’article qui suit doit sans doute un peu – à côté des archives dépouillées – aux
souvenirs personnels d’Anni Borzeix, longtemps présente au comité de rédaction de cette revue (entre 1982 et 2012).
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Gwenaële ROT et Anni BORZEIX
Ainsi, alors que Michel Crozier a marqué par contours de cet héritage (à supposer qu’il y
sa présence et son action les premières années en ait un) nous avons suivi plusieurs pistes.
de cette revue, que peut-on dire de cette Nous avons remonté le temps en tentant
présence après son départ, lorsqu’en 1966, de cerner quel a été le rôle de Michel Crozier
avec ses partenaires, il décide de passer la dans la création de cette revue et son orien-
main à une nouvelle génération ? tation éditoriale. Nous avons cherché à
identifier sa « marque » lorsqu’il était aux
Chercher à caractériser les liens entre
commandes de la revue et après son départ.
un homme, un laboratoire, une tradition
de recherche et une revue sur une période Pour ce faire nous avons bénéficié de la
longue relève de la gageure car le temps découverte d’un nouveau fonds documen-
des hommes et de leur vie professionnelle taire versé aux Archives Nationales4. Ce
n’est pas celui des organisations. En outre, fonds comprend notamment des corres-
même si certaines institutions sont caracté- pondances de Michel Crozier avec Alain
risées par leur longévité – et c’est le cas à Touraine, Jean-Daniel Reynaud et Jean-René
la fois de la revue Sociologie du travail et Tréanton, alors qu’il était aux États-Unis.
du Centre de Sociologie des organisations –, L’éloignement géographique de Michel
la permanence des désignations ne doit pas Crozier a été très bénéfique pour les
masquer les transformations profondes, voire archives : la correspondance qu’oblige le
des changements plus radicaux. En effet travail à distance permet de garder des traces
qu’y a-t-il de commun entre entre la socio- de son rôle dans l’animation de la revue
logie d’hier et celle d’aujourd’hui ? Entre alors qu’il était à Stanford. Elle documente
une revue créée et tenue par quatre jeunes la nature du travail éditorial réalisé par
sociologues (Michel Crozier, Jean-Daniel l’équipe fondatrice de Sociologie du travail.
Reynaud, Alain Touraine, Jean-René Ces traces se volatilisent quand les quatre
Tréanton), au fonctionnement artisanal, fondateurs se retrouvent à Paris, la commu-
sans secrétariat de rédaction, et cette même nication orale étant privilégiée. Nous avons
revue qui, 60 ans plus tard, est éditée par un par ailleurs retrouvé d’autres lettres5, liées à
éditeur international (Elsevier-Masson), qui un moment critique : une crise qui témoigne
comprend, outre un secrétariat de rédaction, de son attachement à la revue. Nous sommes
un comité de rédaction d’une quinzaine enfin allées à la rencontre de chercheurs et
de membres chargés de sélectionner des chercheuses du CSO qui ont succédé à Michel
articles et de les évaluer suivant un protocole Crozier dans la revue : Jacques Lautman,
bien rodé et aligné sur d’autres revues de Jean-Pierre Worms, Catherine Ballé,
rang international ? Catherine Grémion, Christine Musselin pour
les interroger sur leurs liens avec Michel
Interroger l’existence de l’héritage Crozier et leur engagement dans cette revue.
croziérien dans la revue Sociologie du travail On aura l’occasion, au fil de cette histoire,
est une question délicate. Mais qu’est-ce de vérifier et la fragilité de la mémoire
qu’un héritage ? « Patrimoine que laisse une humaine et la robustesse des sources écrites
personne à son décès » ; « ce qui est transmis de l’époque. Nous avons également cherché à
par les ancêtres ou plus directement par identifier dans la revue Sociologie du travail
les parents », « ce qui est transmis par les la présence des travaux de recherche du CSO
générations précédentes, ce qui est reçu par marqués du sceau croziérien, c’est-à-dire
tradition » peut-on lire dans le Trésor de la se revendiquant explicitement du modèle
Langue Française. Pour tenter de cerner les théorique (« l’analyse stratégique ») qu’il
4
Fonds Crozier, Archives Nationales (AN), 20090319/03. Lorsque nous avions commencé en 2002 notre travail sur la
naissance de la revue Sociologie du travail, nous n’avions pas connaissance de l’existence de ces archives qui n’avaient
pas encore été déposées aux Archives Nationales. Elles le furent en 2009 alors que notre livre était sous presse.
5
Archives conservées par Anni Borzeix.
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MICHEL CROZIER ET SOCIOLOGIE DU TRAVAIL
a cherché à promouvoir. Nous avons par de nouvelles inflexions se dessinent à partir

exemple relevé qui signait, qui dirigeait les de la fin des années 1980.
numéros thématiques. Une analyse biblio-
métrique systématique des citations de M.
Crozier dans la revue aurait permis aussi 1. UN « CHEF DE COMMANDO »
de donner des indications sur son influence
intellectuelle. Envisagée dans un premier DANS UNE REVUE REVENDI
temps, cette tâche n’a pu être menée à bien QUANT SON INDÉPENDANCE
faute de pouvoir composer et traiter une base
de données suffisamment homogène. En 1959, avec trois partenaires 6 :
Jean-Daniel Reynaud, Alain Touraine,
Cet article suivra un plan chronologique.
Jean-René Tréanton, Michel Crozier participe
Dans un premier temps nous reviendrons sur
à la fondation d’une revue, Sociologie du
le « temps des fondateurs » pour documenter
travail, au sein de laquelle il joue un rôle
le travail de Michel Crozier avec ses coéqui-
singulier pendant les six premières années,
piers au sein de cette revue. Nous voudrions

jusqu’en 1966.
notamment insister sur le caractère paradoxal
de son rôle : bien qu’absent au moment clé de Sociologie du travail est portée par ces
sa création (le lancement des trois premiers quatre jeunes chercheurs, mais qui n’étaient
numéros), Michel Crozier n’en a pas moins pas des débutants puisque qu’ils avaient tous
été très présent, notamment grâce au « pont » réalisé des recherches personnelles consé-
qu’il assure avec l’Amérique. La période quentes et, pour trois d’entre eux, dirigé des
qui suit le départ groupé des fondateurs en enquêtes collectives d’importance, gérées,
1966 ne connaît pas une trajectoire linéaire pour la très grande majorité d’entre elles,
et l’on peut tenter de caractériser plusieurs au sein de l’Institut des sciences sociales
moments. Michel Crozier quitte la revue en du travail (ISST)7. Ainsi, Alain Touraine
1966 alors que ses responsabilités profes- et Jean-Daniel Reynaud avaient piloté
sionnelles se renforcent. Si Michel Crozier une enquête à Mont-Saint-Martin sur la
n’est plus dans la revue, son laboratoire, le sidérurgie8. Avec Antoinette Catrice-Lorey,
Centre de Sociologie des Organisations, y est Jean-Daniel Reynaud travaillait sur une
toujours représenté. Mai 1968 entraîne une enquête consacrée aux assurés de la sécurité
réorientation éditoriale importante avant que sociale9. De son côté Michel Crozier avait déjà
6
Michel Crozier, né en 1922, avait 37 ans, Jean Daniel Reynaud, né en 1926, 33 ans, Alain Touraine et Jean- René
Tréanton, nés en 1925, avaient 34 ans. Tous les quatre faisaient partie de l’entourage du sociologue du travail Georges
Friedmann. Sur leur trajectoire nous écrivions notamment ceci : « Le fondateurs peuvent se prévaloir de parcours
de jeunes intellectuels de bonne famille : École normale supérieure et agrégation d’histoire pour Alain Touraine, de
philosophie pour Jean-Daniel Reynaud, diplôme de l’École Libre des Sciences Politiques pour Jean-René Tréanton
et de l’École des Hautes études commerciales pour Michel Crozier. Aucun n’a reçu un enseignement universitaire
de sociologie, discipline qu’ils ont découverte au hasard de leurs lectures : il ne pouvait qu’en être ainsi puisque la
licence de sociologie n’a été créée qu’en 1958, un an avant la naissance de Sociologie du travail. » (A. Borzeix et G.
Rot, Genèse d’une discipline, naissance d’une revue, op. cit., p. 23 et suiv.).
7
En 1951 l’Université de Paris et le ministère du Travail se sont associés pour créer l’ISST. Cet institut de formation
préparait au brevet supérieur du travail et au diplôme de conseiller du travail ; une section de recherche fut créée
en 1954. Yves Delamotte (1922-2014) en était le secrétaire général avant d’en être le directeur. Olga Raffalovich,
directrice adjointe des Relations professionnelles, représentait le ministère du Travail. Pour un développement voir L.
Tanguy, « Retour sur l’histoire de la sociologie du travail en France : place et rôle de l’Institut des sciences sociales
du travail », Revue française de sociologie, vol. 49, n° 4, 2008, p. 723-761.
8
G. Rot et F. Vatin, « L’enquête des Gastons ou les sociologues au travail. Jacques Dofny et Bernard Mottez à la
tôlerie de Mont-Saint-Martin en 1955 », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 175, décembre 2008, p. 62-81.
9
Cette enquête, publiée sous forme de rapport en 1958, a été rééditée en 1996, à la demande d’Antoinette Catrice-
Lorey, par le Comité d’histoire de la sécurité sociale : J.-D. Reynaud et A. Catrice-Lorey, Les assurés et la sécurité
sociale. Étude sur les assurés du régime général, Paris, Comité d’histoire de la sécurité sociale, 1996, avec une
préface d’A. Prost.
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à son actif plusieurs recherches d’envergure : La revue est née d’une initiative du socio-
il venait d’achever, avec Colette Eichisky, logue Georges Friedmann (1902-1977). Elle
l’enquête de terrain sur la manufacture des répond, dans un premier temps, au projet de
Tabacs (SEITA), qui allait fournir le matériau valorisation des travaux réalisés au sein de
de sa thèse d’État ainsi qu’une vaste enquête l’Institut des sciences sociales du travail12.
sur des compagnies d’assurances (réalisée Une « note relative aux problèmes posés par
d’abord avec Pierre Guetta puis poursuivie le lancement d’une revue » retrouvée dans les
avec Bernard Pradier)10. En 1958 il avait archives de l’Institut des sciences sociales du
également entrepris, avec Colette Eichisky et travail et très probablement rédigée en 1958
Bernard Pradier, d’explorer un terrain consacré par son secrétaire général, Yves Delamotte,
aux préfectures en réalisant une première éclaire ce contexte :
enquête exploratoire à Nevers. Enfin il venait « L’importance du besoin d’infor-
d’engager deux lourdes enquêtes consacrées mation, de communication et de
aux employés : l’une sur la BNCI, l’autre discussion qui se manifeste dès
sur le ministère des Anciens Combattants, maintenant dans un assez large public
en collaboration avec Claudine Marenco justifie donc pleinement le lancement
pour la première et Bernard Pradier pour la d’une revue de Sociologie du travail, et
seconde. Dans ses mémoires Michel Crozier l’Institut des sciences sociales du travail,
évoque cette période intense qui précède la grâce à la situation centrale qu’il occupe
constitution de Sociologie du travail (1955- dans le domaine de la recherche et dans
1959) comme celle où il devient « chef de celui de la formation et des contacts, se
commando ». C’est même en véritable entre- trouve exactement qualifié pour assurer
preneur de PME qu’il se décrit : la réussite d’une telle entreprise.
« Quand j’ai essayé de comprendre D’ailleurs s’il existe un large public

potentiel capable de s’intéresser à une
ce qui m’arrivait et comment et pourquoi
revue scientifique dont les rédacteurs
j’avais été capable d’un tel effort pendant accepteraient d’écarter tout pédan-
si longtemps, je me suis dit que j’ai tisme et toute obscurité de technicien,
été comme un chef de PME ayant eu on peut affirmer qu’il existe en contre-
l’intuition d’un créneau ou d’un marché partie une volonté et même un besoin
porteur et disposant, en même temps, d’exprimer très grand de la part des
d’une liberté d’action totale, ce qui était chercheurs de l’Institut des sciences
rare à l’époque dans le milieu universi- sociales du travail, comme de la part
taire […]. C’est ainsi que peu à peu je suis des universitaires, membres du C.N.R.S,
devenu un petit patron. Pas un patron de organisateurs-conseils, cadres de
droit divin, bien au contraire, mais ce chef l’industrie ou syndicalistes qui travaillent
de commando qui vit au sein de sa petite sur ces problèmes. On ne trouve, à l’heure
troupe, qui s’occupe de tout pour elle et actuelle, aucune publication permettant
avec elle »11. de satisfaire pleinement ces besoins. »13
10
Qu’il qualifie de « première du genre en Europe » (Ma belle époque. Mémoires 1947-1969, Paris, Fayard,
2002, p. 129).
11
M. Crozier, Ma belle époque, op. cit., p. 129.
12
Georges Friedmann fait partie du conseil d’administration de l’ISST et participe à la conception des programmes
d’enseignement. Il a sollicité pour l’animation de la section enseignement de l’ISST le quatuor qui, quelques années
plus tard, dirigera la revue. Ce quatuor est composé des chercheurs les plus actifs dans le programme d’enseignement
et de recherche de l’ISST. Pour un développement sur cette histoire nous renvoyons à notre ouvrage Genèse d’une
discipline, histoire d’une revue, op. cit. Pour une présentation de l’œuvre de Georges Friedmann voir P. Grémion et
F. Piotet (dir.), Georges Friedmann. Un sociologue dans le siècle, 1902-1977, Paris, CNRS Éditions, 2004 et notre
compte rendu dans Sociologie du travail, vol. 47, juillet-septembre 2005, p. 421-423 (avec F. Vatin).
13
AN, 20010498/194, Anonyme, Note relative aux problèmes posés par le lancement d’une revue, 7 p.
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C’est avec le lancement de l’enquête pour que l’association que nous constituerons
le SEITA, en 1955, que Michel Crozier intègre ne comprenne pas de représentants des
le centre de recherche de cette institution14. administrations et de l’université. Nous
Il y trouve un bureau, des financements, un pourrons ainsi faire en toute liberté et en
espace de travail, la possibilité de travailler toute responsabilité la revue que nous
sur contrat. C’est au sein de l’ISST qu’il crée, souhaitons. D’autres institutions d’ail-
à cette époque, le Groupe de recherches de leurs, comme l’École des Hautes Études,
sociologie administrative en 1955-195615. seraient disposées à s’y intéresser. »
Il y restera jusqu’en 1960, date à laquelle il
rejoint, à son retour des États-Unis, le Centre Ce positionnement témoigne de l’action
de sociologie européenne (CSE) nouvellement volontariste de jeunes gens ambitieux
créé à la VIe section de l’École Pratique des souhaitant garder les mains libres pour
Hautes Études à partir de 1959 à l'initiative de construire un territoire propre et s’affirmer
Raymond Aron16. ainsi comme des têtes de pont d’une socio-
logie en pleine voie d’institutionnalisation. Il
Mais très vite le quatuor cherche exprime aussi le souhait d’élaborer une revue
à s’émanciper de l’instance tutélaire que qui ne soit pas repliée sur un espace acadé-
représente l’ISST pour faire valoir son mique étroit. Les entreprises représentaient, à
autonomie. Une lettre envoyée le 3 juillet cet égard, une cible importante. La prospection
1958 par Michel Crozier à Jean Bardet, co-di- engagée à l’époque pour obtenir des abonne-
recteur des Éditions du Seuil, exprime bien ments en témoigne. Des publicités ont été
cette intention : faites dans L’Express, France-Observateur
« La véritable difficulté, c’était, mais aussi L’Usine nouvelle, Entreprise.
comme je vous l’avais laissé entendre, le Des abonnements furent obtenus de la part
problème du contrôle de l’orientation de des Charbonnages de France (38), de la
la revue. Ce point ne pouvait être abordé BNCI (50).
directement, c’est ce qui explique les Cette revue n’avait donc pas vocation à
lenteurs de la procédure. Notre patience être strictement académique comme elle l’est
finalement a eu sa récompense puisque devenue par la suite. Il était en effet attendu
la formule qui nous a été proposée va que les articles émanent « de personnalités de
même au-delà de ce que nous jugions l’université, de l’administration, de l’industrie
possible. L’Institut accepte, en effet, que ou des syndicats »17. L’intitulé même de la
la revue soit complètement autonome et revue avait été envisagé, dès le début, dans une
14
Dans ses mémoires Michel Crozier raconte que l’initiative venait de Pierre Grimanelli (1905-1966) à qui
avait été confiée la direction générale des Tabacs lorsque Gabriel Ardant fut nommé à sa place à la direction du
Commissariat général à la productivité. Il demanda que soit réalisée une enquête sur le fonctionnement de ce monopole
d’État. « Personne n’en voulait, et mes amis de l’Institut des sciences sociales du travail me demandèrent si cela
pouvait m’intéresser […]. Olga Raffalovich, elle, voyait là la possibilité de lancer son institut grâce à l’argent de
la Productivité ; si je décidais d’y aller elle m’appuierait » (Ma belle époque, op. cit., p. 106 et suiv.). Notons que
l’hebdomadaire Entreprise, n° 4, du 15 mai 1953, p. 32, écrit de lui qu’il « a toujours manifesté un goût prononcé
pour les études d’histoire, de religion et de sociologie ». Nous remercions Patrick Fridenson d’avoir bien voulu nous
transmettre cette information.
15
Cette date est donnée par Michel Crozier dans le dossier de demande de création d’équipe de recherche du CNRS
en juin 1966.
16
R. Aron est élu à la VIe section de l’EPHE en 1960. L’histoire du rattachement de Michel Crozier au CSE
mériterait d’être documentée plus précisément. Au vu des archives consultées on peut toutefois considérer que M.
Crozier cherchait à s’affranchir de la tutelle de Yves Delamotte qu’il jugeait trop présente et avec qui les relations de
travail s’étaient détériorées et à se rapprocher de Raymond Aron dans la perspective d’obtenir un poste au sein de la
VIe section des Hautes Études, comme l’avait fait son camarade Alain Touraine en 1960.
17
AN, 20010498/194, Note relative aux problèmes posés par le lancement d’une revue, 1958, p. 3.
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perspective très ouverte destinée à intéresser constituait une trame commune d’inter-
un maximum de lecteurs : la note d’intention rogation déclinée dans différents univers
de 195818 indique que « le contenu de la revue organisationnels : grande industrie bien sûr
témoignerait que, dans ce titre, les termes de mais aussi monde des assurances et des
« sociologie » et « travail » doivent être pris bureaux, terrain d’investigation privilégié
dans un sens large, autorisant des ouvertures par Michel Crozier à l’époque.
sur l’ensemble des sciences humaines ». Les
On comprend mieux, dans ce contexte,
mots qui désignent la cible soulignent les
pourquoi, au début de sa carrière de socio-
enjeux de l’époque : comprendre la vie des
logue, Sociologie du travail constitua le
organisations qu’il s’agisse « de l’industrie »
premier espace de valorisation des travaux
ou de « l’administration ». Une plaquette de
de recherche réalisés par Michel Crozier.
présentation de la revue fixe bien un domaine
Dans le n° 1 de 1960, il signe un article sur
d’investigation inscrivant le monde des
« Les relations de pouvoir dans un système
administrations et des entreprises dans un
d’organisation bureaucratique » qui mobilise
continuum qui rassemble de fait, des domaines
les résultats de deux enquêtes : celle sur les

qui, ultérieurement, s’autonomiseront :
Chèques postaux de Paris (réalisée en 1954)21
« Sociologie du travail justifie son titre en et celle sur le SEITA (réalisée en 1956-1958).
s’intéressant Dans le n° 1 de l’année suivante, il publie
avec Bernard Pradier une contribution sur
1. Aux attitudes et aux comportements des « La pratique du commandement en milieu
travailleurs : ouvriers, employés, techni- administratif », portant sur son enquête sur
ciens et cadres six compagnies d’assurances (réalisée en
2. Aux aspects humains de l’organisation 1957-195822). Ce ne fut pas, bien sûr, le seul
des entreprises espace de publication pour lui, mais il n’en
3. Au syndicalisme et aux relations collec- demeura pas moins essentiel.
tives de travail
4. Au progrès technique, au développement
industriel et à leurs effets sur l’homme
5. À la vie hors-travail (loisirs, habitat, 2. « L’AMÉRICAIN » :
retraite) dans ses rapports avec la vie PARTICIPER À LA FONDATION
de travail »
D’UNE REVUE À DISTANCE
Notons qu’au milieu des années 1950, et
contrairement à ce qu’a pu affirmer Michel Quelle était la place de Michel Crozier
Crozier lui-même ultérieurement 19 , la lors du démarrage de la revue ? Il occupe une
distinction entre sociologie du travail et des position singulière car il est à la fois présent
organisations n’était pas aussi marquée qu’au- et absent. Quand la revue démarre en 1959,
jourd’hui20. On peut même dire que la question il réside au Center for Advanced Study in
des attitudes des salariés au travail et face the Behavioral Sciences, institution fondée
au changement (technique, organisationnel) en 1954 par la fondation Ford et rattachée
18
Ibid.
19
M. Crozier, « La sociologie du travail dans le discours sociologique : les paradoxes de la marginalisation et de
l’éclatement », Sociologie et sociétés, vol. 23, n° 2, automne 1991, p. 57-60.
20
Michel Crozier a joué la distinction après son retour des États-Unis. À un niveau institutionnel c’est en 1970, au Vlle
Congrès Mondial de Sociologie à Varna, que se fit la scission du groupe de Sociologie du travail et des organisations.
21
Pour une présentation de cette enquête cf. A. Paulange-Mirovic, « La sociologie des organisations telle qu’elle
(s’) est faite. Michel Crozier sur le terrain, 1954-1974 », Entreprises et Histoire, n° 84, septembre 2014, p. 29-48.
22
Un premier rapport avait été publié en 1959 : M. Crozier et B. Pradier, Les relations entre cadres subalternes et
employés dans six compagnies d’assurances parisiennes, Université de Paris, Institut des Sciences sociales du travail,
Groupe de recherches de sociologie administrative, 1959.
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à l’Université de Stanford. Il s’agit de son « L’Amérique m’a surpris. J’avais fini

troisième séjour aux États-Unis. Le premier par l’idéaliser et les rapides contacts des
avait été celui de 1947-1948 où il avait traversé missions productivistes (sic) permettent
l’Amérique23 ; le second date d’une mission de facilement de donner un semblant de
productivité réalisée en 1956 où il découvre confirmation concret à des vues trop
le Survey Research Center de l’Université du optimistes de la vie américaine. La réalité
Michigan à Ann Arbor et où il rencontre des du jeu social n’en apparaît ensuite que
chercheurs comme Arnold Tannenbaum dont plus dure. Le voyageur ne perçoit que ce
il publiera deux articles dans les colonnes de la ton général plus libre et plus heureux des
revue (2/1960 ; 2/1965). Lors de cette mission rapports humains. Le résident apprend
de productivité, il rencontre aussi Daniel Katz, vite à quel point cette gentillesse super-
Bob Kahn et Floyd Mann, disciples de Kurt ficielle laisse l’individu isolé et désarmé.
Lewin et auteurs qu’il contribuer également Il en souffre d’abord jusqu’au moment
à faire connaître dans des recensions de où, ayant compris les règles du jeu, il
la revue24.
est capable à la fois de participer à cette

Dans son autobiographie publiée en 2002, universelle bonne volonté et de s’en servir
Ma belle époque, Michel Crozier se remémore sans honte dans la libre et plutôt dure
les conditions de son séjour à Stanford en compétition qu’elle limite et règle tout en
1959-1960. Il a 36 ans : « J’avais terminé les la masquant. Nous nous sommes à peu
études de terrain nécessaires pour écrire ce près habitués maintenant. Je commence
que je croyais être mon grand livre et je serais même à me reposer sérieusement et avec
tout aussi bien, et même sans doute mieux, une bonne conscience qui m’étonne. »26
à Stanford pour en commencer la rédaction
[…]. Ce fut pour moi la grande halte avant la À Stanford, Michel Crozier s’attèle donc
nouvelle donne »25. Cette grande halte ne fut à la rédaction d’un long travail solitaire : la
toutefois pas si enthousiasmante, au départ. rédaction de sa thèse d’État de sociologie.
Depuis Stanford il écrit régulièrement à ses Mais ses liens avec le vieux continent ne
amis de Sociologie du travail et il laisse sont pas coupés pour autant et le préoc-
poindre certaines désillusions : cupent souvent. Il s’efforce en effet de
23
Cf. M. Crozier, « « Étudier de près comment la machine fonctionne ». Une lettre d’Amérique », document présenté
par G. Rot, Entreprises et Histoire, n° 84, septembre 2016.
24
Il rendra hommage à ces auteurs dans un compte rendu d’un ouvrage collectif (3/1963, p. 308) où il met en avant
la qualité des contributions de ces chercheurs avec lesquels il s’était lié d’amitié.
25
Ma belle époque, op. cit., p. 163.
26
Lettre du 8 décembre 1959 à Jean-Daniel Reynaud. Dans une lettre du 3 décembre 1959 adressée à Jean-Marie
Domenach, directeur de la revue Esprit, à qui il avait promis d’envoyer une série de « lettres d’Amérique », il écrit dans le
même sens ceci : « C’était bien la peine de te promettre des lettres d’Amérique pour disparaître trois mois dans un silence
complet. Pourtant j’ai pensé à toi et à Esprit tout le temps. J’ai un beau dossier Esprit avec deux plans dont un détaillé qui
auraient dû se transformer en deux excellents articles. Et puis le feu n’a pas pris. J’écris lentement. J’ai beaucoup de mal
à me mettre en route. Quand je te parlais d’une série Amérique revisitée je pensais à un sujet de développements dans
le sens que des thèses que j’avais jusqu’à présent soutenues : [la] défense et l’illustration du progrès et de la confiance
dans l’être humain. Or, heureusement je pense, pour moi, et malheureusement pour la rédaction d’un article rapide, mon
projet intellectuel a été une nouvelle fois détruit. L’Amérique a été pour moi une nouvelle fois un choc. J’avais trop rêvé,
trop projeté sur elle nos insuffisances et nos frustrations de Français. Tu me connais trop, bien sûr, pour penser que je
suis en train de changer mes batteries. Je n’en deviens pas pour cela conservateur ou stalinien. Mais il me faut intégrer
beaucoup de nouvelles variables, nuancer, tenir compte de valeurs que je voulais négliger, reconsidérer mes idées sur la
perfectibilité humaine et le changement de nos sociétés. Oui, les sociétés changent et l’homme est perfectible, oui, nous
sommes responsables de notre société et notre action n’est pas négligeable. Mais la résistance de la matière humaine est
bien plus grande que je ne voulais le penser. Nous ne ferons pas des Français des citoyens disciplinés et responsables
à l’anglo-saxonne. Nous nous adapterons bien ou mal aux données nouvelles qu’impose la transformation du monde
mais à notre manière qui a ses limites, ses désavantages mais aussi son bon côté. Je suis toujours et même de plus en
plus un réformateur mais je me fais moins d’illusions sur les vertus spécifiques américaines et l’intérêt qu’il y a à les
imiter. Je commence à penser que nous devons découvrir nous-mêmes notre voie ».
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superviser plusieurs travaux collectifs lancés rédaction qui n’est même pas capable
depuis Paris avant son départ. D’une part, d’envoyer un compte rendu succinct
il pilote à distance les deux enquêtes qu’il de ses séances. Je n’ai pas la moindre
avait engagées avec Bernard Pradier et information sur le sommaire définitif
Claudine Marenco27 (Ministère des Anciens du 2 et sur les projets du 3 et du 4 […].
Combattants et BNCI), d’autre part, il doit Mon petit vieux, excuse ces demandes
écrire un chapitre d’ouvrage (« Le citoyen ») trop pressantes mais je me sens tout seul
pour le livre collectif que publiera le Club dans ma Californie et j’aimerais bien
Jean Moulin aux Éditions du Seuil28. Enfin, participer un peu plus activement à la
il accompagne de très près le démarrage navigation de cette galère où nous nous
de la revue en s’efforçant – non sans mal – sommes embarqués ensemble »30.
d’assurer le « pont » avec l’Amérique.
« Touraine m’écrit mais ses pattes
Lors des premiers temps de son arrivée,
de mouche sont illisibles et quand on
Michel Crozier se montre assez inquiet,
arrive à les déchiffrer cela reste mysté-
éprouvant le sentiment qu’il n’a aucune

rieux. Je viens d’envoyer un cri d’alarme
prise sur ce que le trio parisien met en route.
à Tréanton, ne pouvez-vous pas faire
Pour croiser les informations, il sollicite de
taper par une secrétaire un compte
manière concomitante ses trois camarades,
rendu analytique de vos discussions ou
non sans leur reprocher de ne pas le tenir
au moins de vos décisions pour la revue.
suffisamment informé :
Où en est le rapport Sécurité sociale ?
Peux-tu m’en envoyer un exemplaire ?
« Comment va la revue ? J’ai eu le Pour une fois que j’ai le temps de lire, il
[premier] numéro envoyé par Touraine faut saisir l’occasion »31.
par air mail. Il m’a dans l’ensemble
beaucoup plu et rassuré sur notre avenir. D’une certaine manière Michel Crozier
À force de méditer dans le vide j’avais fait les frais d’un fonctionnement très artisanal
fini par redouter beaucoup le contact de et très informel, puisqu’aucun compte rendu
la réalité. Mais l’enfant est finalement de réunion n’est réalisé. Ses coéquipiers ne
arrivé à temps et il a bonne mine. Qu’en semblent pas avoir répondu à sa demande (la
dit-on à Paris et dans le petit monde de rédaction de comptes rendus de séance) mais
la Sociologie ? Où en sont les affaires lui adressent des courriers assez détaillés sur
Stoetzel29 ? Envoie des nouvelles un les conditions de mise en route des premiers
peu plus précises que Touraine qui est numéros. C’est ainsi que Michel Crozier est
aussi elliptique dans le contenu que dans tenu au courant du devenir de la concurrence,
la forme matérielle. Je dois te dire en la Revue française de sociologie32, de l’évo-
passant que je suis douloureusement lution du nombre des abonnements, mais
surpris par la légèreté du comité de également des difficultés rencontrées pour
27
G. Rot et F. Vatin, « Correspondances d’enquête : expérience du terrain et conduite à distance du travail socio-
logique », in G. Laferté, P. Pasquali et N. Renahy (dir.), La fabrique des sciences sociales. Histoires d’enquêtes et
politiques de recherche, Paris, Raisons d’Agir, à paraître.
28
Club Jean Moulin, L’Etat et le citoyen, Paris, Le Seuil, 1961.
29
Il s’agit d’une référence implicite au projet de création de la Revue française de sociologie, porté par Jean Stoetzel.
30
Lettre de Michel Crozier à Jean-René Tréanton du 10 décembre 1959.
31
Lettre de Michel Crozier à Jean-Daniel Reynaud du 8 décembre 1959.
32
Nouvelles également apportées par Georges Friedmann qui, dans une correspondance, l’informe de la publication
du premier numéro : « Autre parution : le premier numéro de la Revue française de sociologie, éditée chez Julliard et
qui rendra certainement des services. Le numéro I, vous le savez sans doute par Touraine, contenait un peu trop de
textes de sociologie du Travail : inadvertance, j’en suis sûr et non malice de la part des responsables » écrit Georges
Friedmann à Michel Crozier le 4 février 1960.
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alimenter la revue en articles de qualité. Ses « De mon côté, comme je l’avais

camarades lui envoient également un certain expliqué à Tréanton, je n’ai rien fait
nombre de demandes. ici jusqu’à présent. Je vais faire une
diffusion personnelle en avril et envoyer
Michel Crozier est missionné pour quelques lettres la semaine prochaine
effectuer un travail de prospection afin après consultation avec les collègues.
d’obtenir des abonnements au sein des univer- L’atmosphère du Centre ne prédispose
sités américaines. Mais en décembre 1959, pas à l’activité commerciale mais il n’y
soit trois mois après son arrivée à Stanford, a pas de temps perdu et je me sentirai
Michel Crozier reconnaît qu’il n’a « encore plus à l’aise quand j’aurai pu mieux
rien fait » : prendre le vent. Je dois enfin la semaine
prochaine voir l’éditeur de Stanford
« Si tu peux me brosser un tableau University Press avec lequel je vais
général de la situation je pourrais essayer de mettre sur pied sur de bonnes
peut-être pousser à la roue. Ici je
base l’obtention des services de presse

n’ai encore rien fait. J’attends 50
exemplaires que j’ai demandés au Seuil des maisons d’édition »35.
et que j’enverrai d’ici avec une lettre C’est effectivement fin février et
personnelle. Par ailleurs je ferai une mars 1960 lorsqu’il prépare son voyage à
prospection orale au cours d’un voyage « l’est » pour visiter d’autres universités et
que je compte faire dans l’est en avril. qu’il contacte de nombreux chercheurs qu’il
Cela devrait nous donner une bonne base en profite pour joindre à l’envoi de ses propres
de départ »33. articles un exemplaire de la revue : Peter
Blau (University of Chicago), Chris Argyris
Chaque courrier qui lui est adressé fait (Yale University, Connecticut), James R.
le point sur la progression des abonnements Pitts (Wayne State University, Detroit),
(300 en décembre 1959, 600 en février 1960, Arnold R. Rose (University of Minnesota) ;
700 en mai 1960). La progression est encoura- William Foote Whyte (Cornell University,
geante, même si elle reste encore en deçà des NY), Rensis Likert, Harold Wilenski, Morris
objectifs fixés initialement34. Dans une lettre Janowitz (University of Michigan, Ann
du 22 février 1960 Alain Touraine insiste sur Arbor) ; Herbert Simon (Carnegie Institute
son rôle de passeur : « Revenons-en à nos of Technology, Pittsburgh, Pennsylvania),
petits moutons. La revue d’abord. Elle ne se Robert Weiss (University of Chicago) ; Paul
porte pas mal… Je viens de faire un relevé des Lazarsfeld, Nicholas Wahl, David Riesman
abonnements : 600 exactement […]. Mais il (Harvard University), Anselm Strauss
faut continuer la diffusion. Je te fais envoyer (Research Center, Michael Reese Hospital,
20 exemplaires du n° 2 nous comptons sur toi Chicago) furent ainsi, parmi tant d’autres, les
pour les USA. […] aucune université n’est destinataires de ses envois.
abonnée. Il nous faudrait 30 ou 50 abonne-
ments américains ». Alors que ses amis le Il faut dire que ses amis ne cessent de le
pressent, Michel Crozier prend ses marques relancer sur ce point : « Nous avons interrompu
à Palo Alto. C’est ainsi qu’il justifie, à Alain toute prospection systématique en USA et
Touraine, une certaine inertie : Canada, nous déchargeant sur toi […]. Nous
33
Lettre à Jean-René Tréanton, op. cit.
34
Dans la note sur la revue de 1958 il était envisagé un tirage de 2500 exemplaires pour les deux premiers numéros,
ce chiffre pouvant, par la suite, être réduit à 2000 si les prévisions initiales s’avéraient avoir péché par excès d’opti-
misme. Il est indiqué dans cette note que les revues scientifiques ont des tirages avoisinant les 1500 exemplaires.
35
Lettre tapuscrite à Alain Touraine, 29 février 1960. Michel Crozier avait contacté les Presses de Stanford dans
la perspective d’y publier son ouvrage en préparation (Le phénomène bureaucratique) qui fut finalement publié aux
Presses de l’Université de Chicago.
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espérons ferme que tu nous décrocheras au ce numéro 3 manque un peu de relief.

moins (!!) Stanford et Berkeley qui jusqu’à Tout à fait d’accord pour essayer de
présent n’ont pas donné signe de vie » lui constituer des réserves. Qui ne le serait ?
écrit Jean-René Tréanton le 12 mars 1960. On Mais comment ? Il faut que la revue ait
apprend, de la plume d’Alain Touraine, que suffisamment de lustre pour attirer les
l’objectif est de dépasser le plus vite possible manuscrits. Cercle vicieux que nous ne
1 000 abonnements, condition pour envisager pouvons briser je crois que par notre
le passage à un 128 pages sans augmenter le travail personnel. La revue de Stoetzel
prix, ce qui permettra, dit Touraine, de réaliser [la Revue française de sociologie] de
une « revue plus vivante », grâce à des notes, ce point de vue est une catastrophe pour
des comptes rendus étoffés36. En effet l’une nous car elle attire tout ce qui est encore
des préoccupations évoquées par Touraine est indécis […]. Au risque de passer pour une
d’en modifier le « ton ». Le débat survient à chapelle, je ne vois qu’une seule solution,
l’occasion de la préparation du n° 3 : « Le travailler nous-mêmes. Après tout, nous
troisième manque de tête d’affiche » annonce sommes quatre, il y a une dizaine de
Jean-Daniel Reynaud le 12 décembre 1959 ; chercheurs valables autour de nous ; cela

en février, alors que le numéro est presque peut alimenter la revue pendant les deux,
bouclé, le diagnostic est sévère et Michel trois ans nécessaires pour lui donner sa
Crozier est relancé pour une contribution personnalité… Certes, si nous nous
destinée à remonter le niveau : « J’attends concentrons ainsi nous courons un risque,
avec impatience ta note critique indispensable nous devenons plus vulnérables, mais je
au numéro 3. Celui-ci va être d’un niveau crois que nous avons les épaules assez
disons moyen : les articles de B. et de O. B.- larges, que nous sommes assez divers
M.M. sont juste au-dessous de la ligne de et riches pour le supporter. Si nous
flottaison peut-être même un peu en dessous », essayons de jouer l’éclectisme et l’univer-
écrit Jean-René Tréanton dans une lettre salité académique nous aurons des noms
du 19 février 1960. L’appréciation d’Alain et du vent […]. Personnellement j’ai
Touraine n’est pas moins sévère : « Mon confiance à condition que nous sachions
inquiétude vient du n° 3 qui est franchement nous débrouiller avec les collègues
médiocre, ta note critique est appréciée pour et imposer, j’y reviens toujours, des règles
remonter ce numéro » lui écrit-il le 22 février de style, d’honnêteté et de non jargon
1960. « L’expérience montre qu’il faut à nous-mêmes et à ceux qui nous
absolument que nous ayons au moins 3 ou entourent. C’est dur mais enfin on y
4 papiers d’avance dans nos tiroirs […]. Je arrive. N. a dû m’en vouloir, mais son
pense aussi qu’il ne faut plus demander des papier tout de même a gagné. D. de
articles à des noms. D. était insipide et B. frôle confus était devenu excellent. Il s’agit
la catastrophe. Le troisième numéro est donc de continuer à raboter »37.
terminé. Le 4e, je l’espère, sera plus nerveux » Entre Michel Crozier et Alain Touraine
poursuit Touraine dans cette même lettre. s’engage ainsi un dialogue au sujet des orien-
Michel Crozier répond de manière tations à prendre concernant le « style » de
détaillée aux différents points soulevés par la revue, dialogue qui fait ressortir aussi
Alain Touraine : certaines dissonances. Si Alain Touraine
encourage Michel Crozier à solliciter des
« En ce qui concerne le contenu contributions de chercheurs américains, il le
enfin, il m’est difficile de juger à met toutefois en garde contre des choix qui
distance bien sûr mais il est vrai que cibleraient mal l’attente du public français :
36
Lettre du 22 mars 1960.
37
Lettre tapuscrite de Michel Crozier à Alain Touraine, 29 février 1960.
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« L’essentiel à mon avis n’est pas ton article du n° 4/1960 au 1/1961 de telle
tellement du côté des articles : ceux-ci manière que tu aies la possibilité de le revoir
sont directement commandés, au moins toi-même de plus près à ton retour. Le gars
pour le moment, par l’état de la production Pradier me dit que tu ne lui as jamais parlé de
française, que nous ne pouvons pas cet article à faire en commun43 . Il paraît plutôt
changer du jour au lendemain. La revue soulagé par notre suggestion. Comme ta note
aurait plus de vue et de personnalité si critique – excellente – paraît dans le 1960/2
la partie « critique » était plus vivante ; (15 mai), il nous a également paru préfé-
1) Les comptes rendus doivent être plus
rable de ne pas faire paraître ta signature – si
vivants en évitant le style Delamotte sur
Chevalier38 […] 2) Il faut absolument appréciée soit elle – trois fois de rang dans
fournir des informations, des discus- la revue. (Certains censeurs nous reprochent
sions. Les Annales de L. Febvre ont eu facilement notre caractère de chapelle). »44.
leur succès grâce à ce style combatif. Il publie ainsi les premiers résultats de ses
recherches sur les compagnies d’assurances
Il ne s’agit pas d’imiter cet exemple mais

de ne pas faire trop emmerdant. Cela et sur le SEITA, enquête à partir de laquelle
dit : prospecte des articles, si possible il réalisa sa « grande œuvre », à savoir Le
généraux, donnant une vue d’ensemble phénomène bureaucratique.
d’un problème ou d’une méthode, mais
Michel Crozier est aussi sollicité pour
en évitant le « Case study » qui ne touche
pas le public français. Il est [clair ?] que réaliser des comptes rendus : « Si tu pouvais
notre public veut du politique et ne peut nous envoyer quelques notes de lecture ou
pas – probablement par insuffisance C.R sur la production américaine récente on
de niveau – supporter le style American te bénirait ! Tu nous dois bien ça : tu n’ima-
Sociological Review 39. Je trouve par gines pas le travail que nous demande cette
exemple l’article de Tannenbaum40 assez fichue revue ! » lui écrit Jean-René Tréanton
plat » 41. le 24 janvier 1960. Michel Crozier répondra
à cette attente. Il faut dire qu’il s’attèle à la
Que restera-t-il de cet échange42 ? Force
est de constater que Michel Crozier « s’est rédaction de sa thèse et lit énormément à cette
bien mis au travail » en publiant plusieurs occasion. Il demandait qu’on lui photocopie
articles (6) dont il a d’ailleurs fallu gérer le toutes les critiques et recensions d’ouvrages
calendrier de publication, comme le signale relevant de ses centres d’intérêt 45. Il écrit
un mot de Jean-René Tréanton : « Réflexion aussi aux collègues américains pour se faire
faite, notre trio jugerait préférable de remettre adresser les ouvrages [figure 1].
38
Yves Delamotte avait rédigé un compte rendu sur l’ouvrage de Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes
dangereuses, Paris, Plon, 1958.
39
Dont Michel Crozier deviendra advisor quelques années plus tard (en 1963)…
40
« La participation aux activités syndicales », Sociologie du travail, n° 2, mai 1960, p. 141-150.
41
Lettre manuscrite d’Alain Touraine, 7 mars 1960.
42
Qui n’a rien perdu de son actualité.
43
Il s’agit de l’article publié avec B. Pradier : « La pratique du commandement en milieu administratif », Sociologie
du travail, vol. 3, n° 1, janvier 1961, p. 40-52.
44
Lettre manuscrite de Jean-René Tréanton à Michel Crozier, 12 mars 1960.
45
M. Crozier, Ma belle époque, op. cit., p. 166.
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Figure 1 : La revue est domiciliée 10 rue Monsieur le Prince,

qui est l’adresse du Laboratoire de Sociologie Industrielle
de la VIe section, dirigé par Alain Touraine et créé en janvier 1958
à l’initiative de Fernand Braudel et Georges Friedmann.
Ce courrier est suggestif car il met en de spécialité aux délimitations très larges.
avant une conception assez large de la Sa participation à distance à la vie de cette
« sociologie du travail » qu’il décline en revue prend place dans un réseau de sociabi-
trois axes : « Industrial sociology, Sociology lités et d’échanges qu’il tisse tout au long de
of organizations, The sociology of industrial son séjour, comme le suggère cet extrait du
relations » (Sociologie industrielle, Sociologie courrier qu’il adresse à Chris Argyris :
des organisations, Sociologie des relations
professionnelles).
« PS : I am in the middle of a difficult
On peut dire que la revue Sociologie struggle with my English for writing two
du travail bénéficie de l’investissement chapters of the book before leaving. I
livresque engagé par Crozier pour sa thèse, won’t have time to write down my notes
et qu’en retour, le levier de Sociologie du on your book but if you can have the
travail lui a sans doute permis d’accéder publisher send a copy to Sociologie du
aux ouvrages les plus récents dans ce champ Travail, I’ll be glad to write a review. By
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the way can you secure some subscrip- systèmes de pouvoir », une note publiée dans
tions from the librairies, Institutes and le premier numéro de 1961, portant sur des
Departments of Yale University ? »46 ouvrages de Melville Dalton, Lloyd Warner
et Norman Martin, Dorwin Cartwright50, est
Dans le numéro 1/59 de la revue, dans l’occasion de revenir sur sa critique de l’école
la rubrique « Note critique »47 Crozier livre des Relations humaines et de faire connaître
une note de lecture sur un livre récent de les approches qui ont sa préférence :
William F. Whyte, « L’homme de l’organi-
sation. Ouvrage sur les grands directeurs ». Il « À l’optimisme naïf des prosé-
y évoque aussi les travaux de David Riesman lytes des « relations humaines » qui se
et C. Wright Mills48. Il fournit d’autres riches flattaient de posséder les moyens de faire
notes critiques dont certaines seront publiées disparaître les tensions, succède une
après son retour aux États-Unis. Dans le Amérique nouvelle que la redécouverte
troisième numéro de la revue (2/1960) il des traditions humanistes européennes et
signe une longue note consacrée à « Quelques une longue série de déboires politiques
études récentes sur le monde des employés et culturels ont contribué à rendre plus
de bureau ». En février 1960, alors que le avertie, plus sceptique et finalement
troisième numéro est en route et qu’il attend plus sensible à la complexité des
avec impatience cette note critique consacrée systèmes institutionnels qu’aux possi-
aux employés de bureau, Jean-René Tréanton bilités apparentes d’action rapide sur les
relance Michel Crozier à propos d’un autre individus » écrit-il51.
projet d’article : « Il faudrait que tu penses à Il salue une thématique qui lui sera
ton article Où en est la sociologie du travail chère : « l’étude de l’entreprise comme un
aux USA ? ou quelque chose d’appro- système de relations de pouvoir constitue
chant »49. Il n’y eut pas vraiment de suite faite certainement un pas en avant intéressant »
à cette demande mais Michel Crozier en 1960 conclut-il dans sa note portant sur l’ouvrage
rédige d’autres notes permettant de rendre de Melville Dalton (p. 83). Dans le numéro
compte des travaux américains sur le travail suivant, Michel Crozier propose une autre
et… les organisations. Intitulée « De l’étude longue note critique (« Quelques développe-
des « relations humaines » à l’étude des ments récents des recherches théoriques sur
46
Lettre tapuscrite adressée à Chris Argyris, 1er juin 1960.
47
Il existe dans la revue dès sa parution deux rubriques, une rubrique « Note critique » et une rubrique
« Comptes rendus ».
48
W. F. Whyte, Man and Organization: Three Problems in Human Relations in Industry, Homewood (Il.), R. D.
Irwin, 1959 ; D. Riesman, The Lonely Crowd, New Haven, Yale University Press, 1950 ; C. Wright Mills, White
Collar : The American Middle Classes, New York, Oxford University Press, 1951.
49
Lettre manuscrite de Jean-René Tréanton à Michel Crozier, 19 février 1960. Dans cette même lettre Jean-René
Tréanton donne son feu vert à Michel Crozier pour rédiger un compte rendu sur l’ouvrage de March et Simon,
Organizations (1958) ; en revanche il n’accepte pas la proposition faite par M. Crozier de réaliser un compte rendu
sur l’ouvrage collectif très généraliste dirigé par Robert K. Merton, Leonard Broom, Leonard S. Cottrell, Sociology
to-day. Problems and prospects, New York, Basic Books, 1959, celui-ci lui paraissant « en dehors de notre spécialité ».
Il n’y eut donc pas de compte rendu de cet ouvrage dans Sociologie du travail. Il fut en revanche recensé dans le
premier numéro de la Revue française de sociologie par Haroun Jamous. Cet ouvrage généraliste comprenait, outre
des contributions de Parsons, Lazarsfeld, Lipset, un chapitre d’Alvin Gouldner sur la bureaucratie, auteur qui compta
beaucoup pour Michel Crozier.
50
D. Cartwright, Studies in Social Power, Ann Arbor, Research Center for Group Dynamics, Institute for Social
Research, University of Michigan, 1959, W. L. Warner et N. H. Martin, Industrial Man: Business Men and Business
Organizations, New York, Harper, 1959 et M. Dalton, Men Who Manage. Fusions of Feeling and Theory in
Administration, New York, Wiley, 1959.
51
Sociologie du travail, vol. 3, n° 1, janvier 1961, p. 80-83.
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les organisations ») dans laquelle il discute de « PS : Je n’ai pas encore vu de près

nombreux auteurs ayant pour ancrage l’entre- la question de la commande d’articles
prise ; le liminaire renseigne également sur américains. J’aimerais avoir un peu
ses affinités intellectuelles. C’est ainsi que votre avis à ce sujet. Ici au Centre il n’y
« l’analyse stratégique », qui sera, à son retour a personne qui soit suffisamment dans
en France, la marque de fabrique croziérienne, la ligne de Sociologie du travail, sauf
apparaît en filigrane de ses lectures : peut-être Arensberg54. Je l’ai un peu tâté
et il voulait me passer un article relati-
« Deux grandes voies d’approche vement théorique sur le problème de
opposées semblent en effet encore se l’organisation dont il avait présenté le
partager la réflexion sur les organisa- schéma à une récente conférence mais
tions, l’une qui apparaît relativement sur s’il a un nom, il écrit un peu pâteux et
le déclin, du moins sous sa forme systé- je n’ai pas trop poussé. Il m’a signalé
matique, celle des « relations humaines », par contre un de ses anciens élèves
l’autre qui bénéficie d’une vogue souvent Abruzzi qui a écrit de bonnes choses sur
inconsidérée mais paraît cependant offrir la comparaison des organisations indus-
des possibilités de renouvellement indis- trielles Italie Amérique. À Columbia,
pensables, celle de l’analyse stratégique, parmi les élèves et associés de Merton il
ou, pour reprendre l’expression améri- doit y avoir de la ressource. Merton m’a
caine, du decision making »52. passé un bon papier d’un de ses associés
sur le problème de la succession au sein
Ces recensions53 témoignent de la sensi-
d’une organisation. Je peux prospecter
bilisation de Michel Crozier aux thématiques
de ce côté. À Ann Arbor, je compte
de l’organisation et du pouvoir, qui caractéri-
commander quelque chose à Wilensky
seront la suite de son œuvre. Elles permettent
et à Floyd Mann ; à Cornell je discuterai
ainsi de mieux identifier les influences intel-
avec Whyte et son groupe. Je passe aussi
lectuelles dont Michel Crozier saura tirer parti
à Chicago et à Minneapolis mais je n’y
et qui vont inspirer ou du moins irriguer ses
vois rien pour le moment de vraiment
centres d’intérêt.
intéressant. À Yale je vois Argyris et le
La prospection d’articles américains groupe Walker et à Pittsburgh Simon. À
est plus difficile. Si Alain Touraine malgré Stanford il n’y a personne, à Berkeley
ses mises en garde à l’égard des case Lipset est jusqu’au cou dans la sociologie
studies l’encourage à rechercher des articles, politique mais Selznick travaille sur le
les résultats s’avèrent en définitive assez due process au sein de l’usine, je vais
maigres. Michel Crozier reconnaît lui-même tâter. Par ailleurs, le projet syndical du
être un peu désarmé : Fund for the Republic55 a déjà donné
52
M. Crozier, « Quelques développements récents des recherches théoriques sur les organisations », Sociologie du
travail, n° 2/1961, p. 182-185.
53
Dans ce même numéro Michel Crozier signe un compte rendu sur l’ouvrage de J. Abegglen, The Japanese Factory:
Aspects of its Social Organization, Glencoe (Il.), The Free Press, 2e édition, 1960. Son intérêt pour le Japon est sans
doute à mettre en relation avec sa rencontre avec Nakane. Il publie également un compte rendu sur l’ouvrage de B.
M. Berger, Working Class Suburb, a Study of Autoworkers in Suburbia, Berkeley, University of California Press,
1960. Dans le numéro suivant (3/61), notons que Crozier signe un bref compte rendu sur l’ouvrage de A. Grimshaw
et J. W. Hennessey, Jr., Organizational Behavior : Cases and Readings, New York, McGraw-Hill, 1960. Tout en
écrivant dans le 2/63 une note sur R. Likert, New Patterns of Management, New York, McGraw-Hill, 1961.
54
C. Arensberg, “The Community as Object and as Sample”, American Anthropologist, New Series, Vol. 63, No. 2,
Part 1, April 1961, p. 241-264. C. Arensberg et G. Tootell, “Plant Sociology : Real discoveries and new problems”,
in M. Komarovsky (ed.), Common frontiers of the social sciences, Glencoe (Il.), Free Press, 1957. C. Arensberg avait
dirigé un ouvrage sur les relations industrielles : Research in Industrial Human Relations: A Critical Appraisal, New
York, Harper and Brothers, 1957.
55
Think tank pour les libertés civiques, créé en 1952 avec le concours de la Fondation Ford.
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quelques contributions possibles. mais on n’a pas réussi à le faire, à trouver

Ecris-moi vite à ce sujet suggestions une formule, et je ne sais pas qui a dit « le
et commentaire. »56 mieux, c’est de passer la main carrément ».
Cette quête difficile d’articles rappelle Je regrette que nous ayons passé le flambeau
que l’alimentation de la revue n’allait pas de de manière brutale, je crois que cela aurait été
soi. Le risque de rupture d’approvisionnement plus humain de le faire graduellement, avec
était une préoccupation pour les quatre de meilleurs résultats, mais de toute façon
fondateurs. Au final la commande d’articles avec 1968 cela aurait été impossible… ».
américains n’a pas été fructueuse. Elle a juste Interrogé par ailleurs sur la perspective
débouché sur la publication d’un article de d’une autre voie de sortie – la création d’une
Seymour Martin Lipset sur « le syndicalisme revue propre –, Michel Crozier répond ainsi :
américain et les valeurs de la société améri- « J’avais conscience de mes limites et de mes
caine » (2/1961, p. 161-181) dont le premier capacités de travail. Je n’étais pas du tout un
volet est traduit de l’anglais par Michel polygraphe, j’écrivais assez difficilement et
Crozier et dont le second, publié dans le l’idée de créer une revue c’était… Bourdieu à
numéro suivant du 3/1961 (p. 268-286), sera lui tout seul était une revue, moi je n’en étais
traduit par sa femme Christina. pas capable du tout, j’en avais conscience
Ces échanges mettent en avant le caractère et n’ai pas réussi. C’est peut-être une limite
très artisanal de cette revue à ses débuts : que j’ai rencontrée, savoir attirer des gens
absence de comité de rédaction, fonction- capables d’écrire. Les gens qui travail-
nement à la « commande », engagement laient avec moi étaient peut-être un peu…,
fort des deux personnalités que sont Michel peut-être que je les paralysais un peu, c’est
Crozier et Alain Touraine quant à la définition possible, je ne sais pas… En même temps,
de la « ligne éditoriale ». je n’ai pas vraiment pensé à créer une revue
comme Sociologie du travail : c’était très
bien, mais j’eusse aimé que Sociologie du
3. 1966 : LA RELÈVE travail devienne Sociologie du travail et
de l’organisation »58.
ET LE DÉTACHEMENT
Les trois chefs de laboratoire que sont
Dans l’entretien qu’il nous a accordé en Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud et
2004, Michel Crozier évoque la revue en ces Alain Touraine vont donc passer le relais
termes : « La revue était une entreprise. Mais à leurs disciples, dans une distribution qui
par la suite cela a été sa faiblesse quand elle est loin d’être équilibrée puisque Alain
a perdu son identité conquérante et qu’elle Touraine « place » plus de monde que les
est devenue une revue comme les autres »57. autres : Claude Durand, Daniel Pécaut,
C’est en ces termes qu’il s’est remémoré Bernard Mottez et Lucien Karpik. Michel
la décision de quitter les commandes : « Et Crozier, quant à lui, passe la main à Jacques
d’une certaine façon, c’est moi qui ai posé Lautman et, dans la foulée, à Jean-Pierre
Worms, tandis que le choix de Jean-Daniel
le problème […], c’est moi qui ai lancé le
Reynaud se porte sur Marc Maurice et Odile
mouvement du [départ], mais cela s’est passé
Benoit-Guilbot.
sans drame. Ce que souhaitait Touraine, c’est
qu’on fasse venir une nouvelle génération Cette « règle de trois » – un comité de
tout en restant. On en a un peu discuté rédaction qui se renouvelle régulièrement
56
Lettre de Michel Crozier à Alain Touraine, 22 février 1960.
57
Le 2 juin 2004, publié dans A. Borzeix et G. Rot, Genèse d’une discipline, op. cit., p. 95.
58
Ibid.
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mais dont les membres appartiennent son « école », d’une quête d’espace d’auto-
toujours à l’un de ces trois laboratoires – est nomie et de reconnaissance pour développer
restée opérante pendant près de 40 ans59, son équipe et son centre de recherche. Ce
même si à partir des années 1990, on le verra, moment est l’occasion de faire savoir aux
des entrants issus d’autres laboratoires y sont instances du CNRS la manière dont il conçoit
plus nombreux que les membres historiques. « sa » sociologie des organisations :
On peut donc considérer qu’elle a servi à
structurer durablement la composition du « Le Groupe de sociologie des
comité de rédaction et, au-delà, du milieu organisations rassemble autour de
scientifique. On a là un bel exemple de Michel Crozier 61 un certain nombre
performativité d’une règle dont la légitimité de chercheurs du CNRS qui se sont
s’est imposée à la fois tacitement et collecti- donné pour tâche d’étudier, de façon
vement à deux générations de sociologues ; scientifique, le fonctionnement, le
une règle qui a contribué à maintenir l’exis- développement et la transformation
tence non d’une école de pensée mais d’une d’organisations ou de systèmes inter-or-
communauté au sens large, d’un groupe ganisationnels complexes.
dont la finalité est une activité commune.
Tout se passe comme si, grâce à cette règle, L’organisation toutefois ne se
les fondateurs avaient parié, probablement définit pas, dans leur esprit, comme un
sans l’avoir prémédité, sur la transmission objet d’analyse que l’on distinguerait
implicite d’un ensemble de choses – objet, d’autres objets comme la religion ou le
idées, engagements, ligne éditoriale, réseau syndicalisme. L’étude des organisations
de relations, mémoire, expérience – qui font ou de systèmes inter-organisationnels a
la personnalité d’une revue. pour objectif de déterminer les condi-
tions, les limites et les conséquences de
Michel Crozier quitte donc Sociologie du l’intégration consciente et rationnelle
travail en 1966, non sans signer un numéro d’un ensemble de moyens humains
spécial consacré à « l’administration face autour d’un but collectif. Plutôt que
au problème du changement », manière de décrire un champ, elle s’efforce de
élégante de dire adieu à la revue en publiant dégager une problématique et d’élaborer
les résultats de recherches réalisées avec la une méthode. Aussi débouche-t-elle
seconde équipe de jeunes chercheurs qu’il donc naturellement sur des réflexions
a constituée après son retour de Stanford60. plus générales qui peuvent être appli-
1966 marque aussi pour l’histoire du Groupe cables aussi bien dans le domaine de
de sociologie des organisations un tournant la politique et de la culture que dans
puisque c’est en juin de cette même année que
celui des entreprises industrielles ou
Michel Crozier demande que son groupe de
des administrations »62.
recherche soit reconnu équipe de recherche
du CNRS. Il s’agit donc d’une nouvelle Dans ce dossier Michel Crozier insiste
étape d’émancipation et de consolidation de aussi sur le fait que depuis deux ans le
59
Et les successeurs de la première génération, Odile Benoit-Guilbot, Marc Maurice et Claude Durand, entrés en
1966, comme on l’a vu, ne quitteront le comité que 30 ans plus tard, entre 1997 et 1998.
60
Comme nous l’avons vu, Michel Crozier quitte l’ISST en 1960, date de son retour à Stanford, pour rejoindre le
Centre de Sociologie Européenne dirigé par Raymond Aron à la VIe section de l’EPHE.
61
L’équipe est composée de Pierre Grémion, Jean-Pierre Worms, Renaud Sainsaulieu (attachés de recherche au
CNRS), Jean-Claude Thoenig (attaché de recherche sous contrat DGRST), Catherine Grémion (aide technique
rattachée à Michel Crozier).
62
AN, 20090319/5, Dossier de demande d’équipe de recherche présenté par Monsieur Michel Crozier, maître de
recherche, juin 1966, p. 2.
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« problème du changement » devient un options quant à l’orientation générale de

axe de réflexion majeur, la ligne de force la revue sont présentées par Jean-Pierre
des programmes de recherche engagés 63. Worms : « Thèse Karpik : plus théorique ;
Trois enquêtes principales en cours de réali- Thèse Reynaud : revue de sociologie indus-
sation sont évoquées : une enquête sur les trielle ; Thèse Durand : revue plus attachée
transformations du système politico-admi- aux problèmes du travail (salaires, rendement
nistratif local qu’entraîne la mise en place de à la tâche) ». Trois solutions proposées par
nouvelles institutions régionales ; une autre Lucien Karpik dans un courrier adressé à
sur « les facteurs structurels de la résistance Michel Crozier sont évoquées : « soit la
au changement au sein d’une adminis- revue reste telle qu’elle est ; soit elle prend la
tration centrale » ; une troisième sur « les forme d’une revue de sociologie industrielle
fondements culturels des comportements (cette option est rejetée) ; soit « Ouverture »
de coopération en milieu ouvrier »64. Il est de la revue. « Nouvelle frontières » confron-
précisé qu’à travers toutes ces enquêtes le tation des idées de plusieurs groupes
« Groupe poursuit en même temps une sociologiques ». Au cours de cette réunion,

réflexion plus générale sur les facteurs Jean-Pierre Worms est alors missionné pour
organisationnels et les facteurs de relations « Observer, revoir les options de chacun sans
humaines qui conditionnent l’émergence, le chercher une finalité dominante ; proposer
développement et la diffusion d’un nouveau ce que le groupe pourrait apporter : une
type de rationalité »65. réflexion théorique sur un problème socio-
En cette période charnière Michel Crozier logique ; organiser un échange de différents
reste pourtant vigilant. L’avenir de la revue points de vue ; poser la question de savoir si
le concerne encore. S’il évoque en 2004 la revue est une revue de spécialistes ou, au
un passage de flambeau assez « brutal », la contraire, ouverte ; avancer l’argument qu’on
réalité a sans doute été plus nuancée. En effet ne peut faire mieux que la Revue française
un compte rendu du « comité de direction » de sociologie, excellente revue [spécialisée]
du GSO, datant de 1967, indique bien qu’il pour sociologues »66.
entendait garder l’œil, au moins au départ, Que retenir de ce compte rendu ? Des
sur la publication. La veille d’une réunion de divergences de vue sur la ligne éditoriale
la nouvelle équipe de Sociologie du travail, constituent l’enjeu d’un débat. Michel
en 1967, le comité de direction du GSO met Crozier et ses collaborateurs de « l’Atelier
en effet le fonctionnement de la revue à son Saint-Hilaire »67 redoutaient la spécialisation
ordre du jour. trop grande et affirmaient clairement une
Plusieurs points de discussion sont stratégie de distinction forte par rapport à
abordés. Les chercheurs du GSO se disent la Revue française de sociologie, qui, elle,
favorables à « une ouverture plus grande sur jouait la carte de l’académisme. Ne pas faire
un public de lecteurs non spécialisés » et à une « revue pour sociologues » : tel était le
« des numéros spéciaux sur les problèmes crédo défendu, à l’époque, par l’équipe du
qui se posent à la société ». Différentes Groupe de sociologie des organisations.
63
Thématique qui sera présentée et discutée dans les colonnes mêmes de la revue Sociologie du travail en 1980,
dans le numéro anniversaire des 30 ans de la revue, par Catherine Ballé : « Sociologie du travail et sociologie du
changement », n° 1/1980.
64
Que réalisera Renaud Sainsaulieu.
65
Dossier de demande d’équipe de recherche, op. cit., p. 3.
66
AN, 20090319 /1.
67
Voir P. Grémion, « L’Atelier Saint-Hilaire (1962-1974) », Entreprises et Histoire, n° 84, septembre 2016, p. 11-28.
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Après cette date, la plume de Michel l’objet d’une attaque frontale de la part, par
Crozier se fera très discrète. En 1967 exemple, d’un texte de Jean Lojkine68 qui
(1/1967) il contribue à un débat intitulé « À se présentait comme une critique en règle
propos de la recherche dans l’industrie » des approches du changement travaillées
avec D. Benusiglio, M. et Mme Moscovici, par l’équipe du CSO. C’est d’ailleurs non
P. Piganiol. Il publie aussi un article dans le pas Michel Crozier mais Pierre Grémion
premier numéro de 1968 sur le « Problème de et Jean-Pierre Worms, très impliqués dans
l’innovation dans les organisations ». ce programme de recherche, qui prirent la
Mais c’est à partir de 1968 qu’une plume pour répondre à cette attaque dans le
même numéro (3/1969). Sans trop forcer le
inflexion dans la ligne éditoriale de
Sociologie du travail se fait nettement sentir. trait, on peut dire que la période des années
Elle se traduit par une présence beaucoup 1970-1980 fut celle d’une prise de distance
plus discrète des contributions de l’équipe entre la revue, Michel Crozier et le Centre
du GSO puis du CSO. Cette inflexion se de Sociologie des Organisations. Michel
prolongera jusque dans les années 1980. Crozier – contrairement à Alain Touraine
L’approche croziérienne jugée trop réfor- et Jean Daniel Reynaud – ne publiera plus
miste (et donc compromise) est même aucun autre article dans ses colonnes.
Figure 2 : Verso du n° 2/1970. Une publicité à «contre-courant » ?

Alors même que Michel Crozier n’investit plus la revue,
les Éditions du Seuil publient une publicité
de son ouvrage La société bloquée.
68
« Pour une analyse marxiste du changement social », Sociologie du travail, vol. 11, n° 3, juillet-septembre 1969,
p. 259-286.
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Un exemple de cette prise de distance est ou libéraux, les jeunes économistes

celui de la préférence accordée par Michel considèrent maintenant que la variable
Crozier à une revue autre que celle qu’il a organisationnelle est déterminante. Les
contribué à fonder. Au moment même où patrons « éclairés » déclarent de plus
un numéro spécial de Sociologie du travail en plus souvent que le rôle du chef
est consacré aux effets délétères de la ratio- d’entreprise comporte une large part
nalisation du travail, c’est vers la Revue de pratique sociologique. Quant aux
française de sociologie qu’il se tourne pour praticiens des bureaux d’études ou des
publier en juillet-septembre 1979, avec cabinets de consultants, ils appliquent
Erhard Friedberg, une série de recherches une doctrine du management qui est
du CSO consacrées aux entreprises. Cette largement inspirée d’études de cas et
revue est dotée d’un comité de rédaction69 de généralisations normatives dans le
offrant des affinités plus robustes que celles domaine de la théorie des organisations.
disponibles au sein de Sociologie du travail. C’est donc un véritable paradoxe de
C’est donc en compagnie de l’un de ses plus constater à quel point, malgré ce remar-
fidèles disciples, Erhard Friedberg, avec qui quable concert de protestations d’intérêt,
il a publié deux ans auparavant L’acteur et ces problèmes, en France au moins,
le système, que Crozier dirige ce numéro sont particulièrement mal compris. Les
spécial sur « Sociologie des organisations raisons de ce paradoxe tiennent aux
et fonctionnement des entreprises ». Y sont pressions contradictoires, d’une part,
présentées sous forme de case studies des d’un utilitarisme à courte vue qui conduit
enquêtes réalisées dans de grandes entreprises les dirigeants à exploiter les recettes
(Danone et Saint-Gobain notamment70) par américaines sans mettre en question
une nouvelle génération de chercheurs71, dont la validité de leur application dans un
certains feront carrière dans le secteur privé et milieu différent et, d’autre part, d’une
notamment dans le conseil en organisation72 . réaction très vive des jeunes générations
contre les contraintes organisation-
Ce numéro signale que la sociologie des nelles qui a tendu toutes ces dernières
organisations telle qu’elle est défendue par années à les détourner même de toute
Michel Crozier et Erhard Friedberg n’est pas analysée sérieuse des faits » (Michel
cantonnée au monde des administrations, et Crozier et Erhard Friedberg, extrait
qu’elle peut être un instrument d’accompa- de l’avant-propos du numéro).
gnement du changement.
Dans le contexte intellectuel des années
« Les problèmes d’organisation sont 1970 où les recherches dominantes en socio-
des problèmes essentiels aussi bien du logie privilégient l’analyse des rapports de
point de vue de la théorie sociologique classe, des conflits, des relations profes-
que du point de vue de la pratique de sionnelles, la dénonciation des inégalités,
l’action. Tout le monde semble en les processus de mise sous contrainte, les
être d’accord. Qu’ils soient socialistes auteurs revendiquent une autre perspective
69
Appartiennent au comité à l’époque des chercheurs comme Raymond Boudon, François Chazel, Renaud
Sainsaulieu, ainsi que deux « transfuges » de Sociologie du travail, Jean-Daniel Reynaud et Jean-René Tréanton.
70
Pour une présentation des enquêtes réalisées à Saint-Gobain nous renvoyons à A. Paulange-Mirovic, « La socio-
logie des organisations telle qu’elle (s’)est faite. Michel Crozier sur le terrain, 1954-1974 », Entreprises et Histoire,
n° 84, septembre 2016, p. 29-48. Les rapports de ces enquêtes ont été archivés dans AN, 20090319/6.
71
Paulo Borsato, Roland Lussey, Mario d’Angelo et François Dupuy, Francis Pavé, Didier Lanson (programme de
recherche financé par la DGRST).
72
On pense à François Dupuy et Roland Lussey.
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et rappellent ce qu’ils avaient énoncé avec « Après l’explosion de 1968 qui

fermeté dans L’Acteur et le système : « En faisait éclater le mythe, trop facilement
faisant ressortir la diversité des situa- adopté par les sociologues eux-mêmes,
tions réellement rencontrées, nos résultats d’une société capable de dominer souve-
soulignent d’autre part l’importance et l’auto- rainement et de maîtriser rationnellement
nomie du construit humain sous-jacent à tout sa propre modernisation par la planifi-
système organisé, aussi contraint soit-il ». cation et par la négociation, de nouveaux
conflits sociaux apparurent, qui eurent
Ces articles consacrés aux « Nouvelles « droit de cité » dans la revue, mais dont
formes d’organisation du travail » 73 il n’était plus possible de rendre compte
s’adossent tous au même cadre théorique, à l’aide de la problématique de la civili-
croziérien : les auteurs cherchent, dans sation industrielle. […] En simplifiant un
une perspective descriptive assumée, et peu carrément les choses, on peut dire
conformément au mode de raisonnement que le centre de gravité idéologique
de « l’analyse stratégique », à « recons- de Sociologie du travail était plutôt

truire à travers l’analyse des stratégies plus à gauche et moins respectueux de
poursuivies par les acteurs en présence les la tradition sociologique française et
mécanismes de jeux par lesquels ceux-ci américaine que d’autres revues profes-
sionnelles » (Liminaire, Sociologie du
réussissent à gérer leur interdépendance et
travail, 1/1982).
à régler leur coopération conflictuelle, et
à mettre ainsi en évidence les propriétés Cette inflexion n’est sans doute pas sans
particulières et chaque fois contingentes du lien avec le changement d’éditeur, puisque
construit humain qui sous-tend et ordonne dans cet éditorial il est également fait
l’ensemble des comportements et interac- référence non seulement aux « raisons écono-
tions observés empiriquement »74. Il s’agit de miques », mais également à la « disparition
« mesurer la fécondité du concept de système des affinités » qui unissaient les Éditions du
d’action concret par rapport au concept tradi- Seuil aux fondateurs.
tionnel d’organisation »75. Cette période est d’ailleurs caractérisée
par un engagement à géométrie variable des
Un autre exemple illustre bien ce membres du comité de rédaction issus du
changement d’orientation et ses effets sur CSO : Jacques Lautman qui quitte le CSO
le « centre de gravitation idéologique » des très vite (en 1968)76 reste 15 ans dans la
publications dans la revue. Un liminaire du revue ; Jean-Pierre Worms y restera sept ans
comité de rédaction publié en 1982 à (1967-1974) et passera le relais à Catherine
l’occasion du changement d’éditeur (qui Ballé (1978-1982), suivie de Catherine
a lieu à l’initiative des Éditions du Seuil), Grémion (1983-1988), puis de Philippe
revenant sur ces années, signale bien que Urfalino (1988-1991), qui quitte le CSO en
d’autres paradigmes se sont affirmés : 1996. Leur place et leur investissement dans
73
Sur ce thème « serpent de mer », et la manière dont il a été traité par la revue Sociologie du travail, nous renvoyons
à G. Rot, « Nouvelles formes d’organisation du travail industriel et modèles productifs : regards rétrospectifs », in A.
Pouchet (dir.), Sociologies du travail : quarante ans après, Paris, Elsevier, 2001, p. 79-98.
74
M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p. 482.
75
M. Crozier et E. Friedberg, « Avant-propos », Revue française de sociologie, vol. 20, n° 3, juillet-septembre 1979,
p. 492. Les auteurs renvoient à L’acteur et le système, op. cit., p. 217-266.
76
Interrogé sur les raisons de son départ du CSO, Jacques Lautman nous a dit : « Moi, je ne me suis jamais fâché
avec Crozier, mais je suis parti le jour où il m’a dit : « Dans mon équipe, on développe mes idées » » (entretien du
2 octobre 2014).
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la revue restent assez discrets contrairement et stratégies coopératives » qui permet

à celui de Claude Durand (disciple dissident de valoriser les résultats d’un nouveau
d’Alain Touraine qui avait fondé au début programme de recherche lancé au CSO à la
des années 1970 le Groupe de sociologie du fin des années 1960 sur l’action collective
travail, installé à l’Université Paris VII) dont urbaine. Plusieurs chercheurs du CSO y
ils se souviennent tous et qui incarnerait à signent des articles tels Alain Cottereau,
leurs yeux une sociologie du travail « ouvrié- Jean-Claude Thoenig et Erhard Friedberg.
riste »77 qui n’est pas la leur. Mais sans doute est-ce une image réduc-
Sont-ils pour autant, quand ils siègent au trice des appartenances dans lesquelles les
comité, les représentants de l’école crozié- chercheurs en général – et ceux du CSO
rienne, les défenseurs d’une démarche en particulier – se reconnaissent à cette
époque où ils s’identifient plus à leur objet
sociologique pro domo ? Ces premiers
de recherche qu’à une sous-discipline ou une
successeurs ne se voient nullement en héritiers école de pensée. La sociologie elle-même
directs : ils nous ont affirmé 78 qu’ils ne
reste encore fragile dans les années 196080

représentaient qu’eux-mêmes. L’empreinte et la situation n’a pas beaucoup changé après
croziérienne – si toutefois celle-ci existait 1966 puisque Jacques Lautman et Jean-Pierre
– ne passait donc pas, d’après eux, par la Worms ont tous deux fait des études de philo-
promotion consciente et fidèle de sa pensée. sophie ; seule Catherine Ballé est formée en
Ce sont plutôt de « fortes têtes » et leurs liens sociologie à la Sorbonne puis à Columbia
avec le CSO sont, selon eux, assez distendus. chez Lazarsfeld et Merton81. Le milieu est
Jacques Lautman, qui « hérite » des relations moins spécialisé qu’il ne l’est devenu par la
avec l’éditeur (Le Seuil), se souvient de s’être suite : l’entrée chez Michel Crozier se fait
senti « un petit peu obligé de se soucier » de pour les deux premiers par l’intermédiaire de
ramener des articles relevant de la socio- sociologues du travail : Georges Friedmann
logie des organisations et reconnaît que, pour Jacques Lautman et Jean-Daniel
lors du passage de relais, la revue a bénéficié Reynaud pour Jean-Pierre Worms et par le
des réseaux et des collaborateurs des choix du domaine pour Catherine Ballé qui
fondateurs. Jean-Pierre Worms se dit découvre le champ durant son séjour aux
« très peu investi dans la revue » et Catherine États-Unis. Tous trois encore entrent au CSO
Ballé n’a pas vraiment l’impression d’avoir embauchés pour faire des enquêtes de terrain,
« participé à la revue »79. Cependant on peut sur la mensualisation, sur les institutions
relever que Jean-Pierre Worms minimise régionales… Ils valorisent une sociologie
son rôle puisqu’il assure la coordination empirique, démarche méthodologique dont
d’un numéro double spécial (en 1969 Michel Crozier, parmi quelques autres,
et 1970) consacré aux « Politiques urbaines s’est fait le défenseur. Jean-Pierre Worms
77
« La sociologie du travail incarnée par lui était ouvriériste et la sociologie des organisations ne l’était pas du
tout ; la sociologie du travail s’intéressait à l’usine… à la sociologie industrielle, aussi. Et l’organisation, c’était autre
chose… » (Jacques Lautman, entretien, septembre 2014).
78
À l’occasion d’une série d’entretiens qu’ils nous ont accordés en 2014. On peut penser que cette revendication
d’autonomie s’est un peu accentuée avec le temps.
79
« Dans mon cas, c’était particulier, parce que j’étais déjà, quand même, pas mal en rupture de ban par rapport à la
ligne qui est devenue de plus en plus ferme du CSO ; et moi, j’ai toujours le sentiment que c’était des individus dans
la revue si ce n’est Claude Durand. Claude Durand qui défendait vraiment une ligne que je… telle qu’on pouvait se
représenter, sans la connaître, la ‘Sociologie du travail’ ». (Catherine Ballé, entretien avec les auteurs, septembre 2014).
80
Où « le problème, c’était d’abord de faire reconnaître une discipline et les fondateurs se sont retrouvés dans cette
volonté : « la sociologie ça existe ! », alors qu’aucun d’entre eux n’était de formation sociologue parce qu’il n’y avait
pas de formation de sociologie » (Jean-Pierre Worms, entretien avec les auteurs, septembre 2014).
81
Même si, formée à Columbia où elle a « appris la sociologie empirique à son mieux », elle s’estime en désaccord
avec les méthodes (et non l’objet) du CSO, méthodes qui ne mobilisent pas suffisamment l’histoire.
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et Catherine Ballé restent fidèles à cette publication de son livre Les Règles du jeu
échelle intermédiaire que sont les organisa- (2/1990). Après son départ de la revue en
tions, située entre acteur et système, soit pour 1966 les interventions directes de Michel
en faire la sociologie soit pour transformer Crozier dans les affaires courantes sont plus
la société : Catherine Ballé s’est consacrée symboliques qu’opérationnelles et surtout,
à une sociologie des institutions culturelles quand il y en a, ne relèvent pas de son
après avoir travaillé sur l’informatique en initiative personnelle mais de celle du comité
entreprise et sur les institutions judiciaires, de rédaction désireux de commémorer en
Jean-Pierre Worms, qui a privilégié l’enga- présence des fondateurs deux anniversaires
gement militant à la carrière académique est de la revue, les 30 et les 40 ans, ou encore
passé de l’analyse des organisations (préfets) lors d’une crise en 1991.
et des politiques publiques à l’organizing82. C’est à la demande du comité de rédaction
Sociologie du travail publie-t-elle que Michel Crozier accepte d’intervenir
pour autant des articles du CSO dans cette – avec les trois autres fondateurs – à la journée
période de distanciation ? En définitive très de débats organisée en novembre 1989 à

peu : outre l’article de Jean-Louis Peaucelle l’occasion des 30 ans de la revue. L’occasion
(1/1969) sur la théorie des jeux, Catherine pour lui de faire le point, trente ans après,
Ballé publie deux articles sur le changement sur la genèse, le sens et la durée de ce qu’il
et les institutions judiciaires, et de Touhami nomme une aventure. Qu’a représenté pour
Bencheikh – qui deviendra consultant en lui la revue ? Quel est l’avenir du domaine
organisation – paraît dans le n° 1/ 1986 un couvert ?
article sur « Construit social et innovation Dans sa « Vue rétrospective à trente
technologique », issu de sa thèse de 3 e ans de distance »84 Michel Crozier revient
cycle83. Il faut attendre la fin des années sur ce qu’il nomme une « aventure », celle
1980 – en 1989 – pour voir réapparaître d’une « génération de pionniers ». Ce qui les
l’empreinte théorique du CSO croziérien rapproche, écrit-il, c’est la « soif de savoir
avec un numéro spécial dirigé par Erhard empirique et la volonté de comprendre
Friedberg et Christine Musselin consacré autrement un monde qu’ils croient radica-
aux universités. lement différent [de ce qu’il était avant la
guerre] ». Cette volonté farouche de découvrir
« ce qui se passe réellement sur le terrain »
s’accompagne d’exigences méthodolo-
4. DISTANCE ET FIDÉLITÉ : giques nouvelles et « fait de la méthode une
QUELQUES ÉPISODES priorité qui constitue leur armature intel-
lectuelle ». D’où la référence essentielle à
MARQUANTS la sociologie américaine : « une référence
de méthode et non pas une philosophie
On l’a vu, Michel Crozier n’a plus écrit sociale ». Le « succès relatif mais succès
dans les colonnes de la revue après 1968 à tout de même » de la revue contribue, selon
l’exception d’un compte rendu favorable lui, au développement d’un âge d’or de
à Jean-Daniel Reynaud à l’occasion de la la sociologie française, cette « sociologie
82
Il a livré un témoignage sur son parcours, dans la revue Sociologie du travail, dans un « dossier-débat » consacré
à « l’engagement du sociologue » : J.-P. Worms, « Un sociologue engagé… De l’autre côté du miroir », Sociologie
du travail, vol. 42, avril-juin 2000, p. 301-311.
83
Bricolage et innovation technologique, contribution à une approche systémique de la recherche industrielle, thèse
de 3e cycle de sociologie, Institut d’études politiques de Paris, 1984.
84
Titre de sa communication à la journée anniversaire organisée par le comité de rédaction le 8 novembre 1989 :
M. Crozier, « L’aventure de Sociologie du travail, une vue rétrospective à trente ans de distance », publiée dans un
numéro spécial, Actes du Colloque de Sociologie du travail, juin 1991, p. 11-15.
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empirique, critique certes mais responsable » plus vécues seulement comme des conflits
qui « semble offrir une réponse partielle mais d’intérêt ou d’idéologie. La réflexion straté-
indispensable aux interrogations des techno- gique permet à la fois d’étendre et de dépasser
crates ». Il décrit l’aventure de Sociologie les oppositions simplistes de pouvoir ».
du travail comme une « synthèse provi-
Quant à l’avenir du domaine couvert par
soire d’orientations qui auraient dû autrement
la revue, Michel Crozier se montre plutôt
paraître contradictoires mais que les circons-
optimiste : il tient à souligner l’actualité
tances rendaient compatibles » : « priorité
nouvelle du domaine du travail qui, grâce à
à l’empirique et au concret du terrain mais
ces « nouveaux paradigmes », alimentera une
en même temps vision « fondamentaliste »
demande de recherche accrue en sociologie.
des problèmes sociétaux autour du travail
« Jamais encore ne s’était développé, selon
comme acte social déterminant » ; « volonté
lui, un tel marché porteur pour la connaissance
d’aller au plus brûlant des problèmes de la
empirique et la formation au raisonnement
politique d’une société » mais « refus du
sociologique ». La page est désormais bien
politique tel qu’il est vécu en France » ;

tournée et loin de « l’ouvriérisme et [du]
« radicalisme encore révolutionnaire mais
millénarisme social qui animaient les socio-
refus implicite de la filiation intellectuelle
logues des années 50 et 60 […] c’est autour
marxiste dominante ». Ce mélange impro-
du travail que cette demande et ce marché
bable réussit, estime-t-il, non pas grâce au
s’expriment, même si et surtout si le travail
« ciment de l’idéologie du travail », présent
devient tout à fait différent […]. Au moment
certes et qui justifie le titre, mais grâce à la
où nous passons à une phase de société
« volonté de réalisme scientifique opposée
« postindustrielle »85 […] la réflexion sur
instinctivement à la réflexion sociologique
la réalité concrète de la coopération et des
antérieure considérée (abusivement certes)
conflits qui constituent l’univers du travail
comme philosophique, abstraite et détachée
devient essentielle ».
de la réalité ». Le jugement rétrospectif par
lequel Crozier conclut ce texte tient en trois Par ces propos Michel Crozier donne
mots : échec intellectuel, celui du « type une représentation assez réductrice de ce
d’ambition naturellement irréaliste qui que fut la sociologie du travail des années
accompagne généralement toute entreprise d’après-guerre86 à laquelle il a amplement
de pionniers » ; réussite institutionnelle, contribué. Ses recherches sur les attitudes
« celle des générations suivantes » ; fécondité au travail engagées avant son voyage à
heuristique « à retardement » : « dirigeants Stanford convergeaient pourtant, dans leur
d’entreprises et d’institutions publiques questionnement et leur méthodologie, avec
emploient, sans généralement le savoir, des celles qui étaient entreprises par les autres
concepts et des mécanismes de raisonnement chercheurs de l’ISST et dont la valorisation
tirés des travaux » des sociologues. Et Michel a été à l’origine de la création de la revue.
Crozier de fournir quelques exemples de la Cette réécriture de l’histoire est sans doute
postérité intellectuelle de ces recherches : à mettre en rapport avec les engagements de
« On ne parle plus de groupes ou de catégories M. Crozier à l’époque. Au milieu des années
mais d’acteurs. La pensée système influencée 1980 il se rapproche du milieu des patrons
par le raisonnement sociologique a fait son libéraux et notamment du think tank qu’est
chemin. Les relations professionnelles ne sont l’Institut de l’entreprise87 et se laisse séduire
85
Clin d’œil sans doute au titre de l’intitulé de l’ouvrage de son coéquipier A. Touraine, La société post-industrielle.
Naissance d’une société, Paris, Denoël, 1969.
86
M. Crozier, « La sociologie du travail dans le discours sociologique : les paradoxes de la marginalisation et de
l’éclatement », art. cit., p. 57-60.
87
Voir son témoignage dans le deuxième tome de ses mémoires, À contre-courant. Mémoires, 1969-2000, Paris,
Fayard, 2004, chapitre X.
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par le monde des consultants. Il est sur le je ressens à l’idée que Sociologie du travail
point de faire paraître un ouvrage à desti- puisse disparaître.
nation de ce public, L’entreprise à l’écoute.
Apprendre le management post-industriel, Cette revue présente en effet plusieurs
publié par InterEditions en 1990. caractéristiques qui en font un instrument de
développement et de renouvellement pour
La seconde occasion pour Michel Crozier un domaine clé des sciences sociales à un
de manifester son soutien à la revue se situe moment où la contribution du sociologue
en 1991 lors d’un événement critique auquel commence à être prise au sérieux enfin par
la revue aurait bien pu succomber. En 1991 la les entreprises.
secrétaire de rédaction employée à mi-temps
et mise à disposition de Sociologie du travail 1. Elle est le fruit d’une initiative de
depuis huit ans par le CNRS tombe malade. chercheurs qui ont poursuivi leur tâche de
L’existence même de la revue est menacée car vulgarisation des résultats de la recherche
le CNRS n’est pas disposé à la remplacer. Le et de discussion avec les entreprises avec
comité de rédaction appelle au secours et les persévérance pendant 30 ans et dispose

responsables de laboratoire et personnalités de ce fait d’un crédit durable auprès d’un
académiques sont sollicités avec succès pour milieu professionnel assez large.
faire pression auprès du CNRS88. Chacun des 2. Sa crédibilité est accrue par le fait qu’elle
trois fondateurs intervient à sa manière pour a toujours été un organe indépendant
proposer des solutions à même de soutenir aussi bien des institutions officielles que
et défendre l’avenir de la publication. Selon des chapelles particulières de chercheurs.
Jean-Daniel Reynaud, il y a lieu d’envisager 3. Elle a pu connaître comme toute insti-
un complément de financement propre tution des périodes moins dynamiques
grâce à des subventions versées à l’asso- mais elle s’est renouvelée grâce à l’entrée
ciation qui détient le titre, ceci pour garantir successive de deux générations de jeunes
l’indépendance de la revue. Alain Touraine chercheurs. Elle se trouve actuellement
et Michel Crozier prônent quant à eux le
dans une situation de redémarrage très
rétablissement de la subvention publique,
favorable. Le succès du colloque qu’elle a
en mobilisant deux registres d’arguments
organisé pour son trentième anniversaire
très différents. Michel Crozier met en avant
en a été le témoignage.
les liens des sciences sociales avec les entre-
prises, tandis qu’Alain Touraine met au cœur 4. Elle représente un capital important dans
de son argument l’importance politique des la communauté scientifique internationale
problèmes du travail. Les courriers adressés grâce à l’audience dont elle jouit du fait
par Michel Crozier et Alain Touraine au de sa qualité intellectuelle ; grâce aussi à
directeur du département SHS du CNRS sont une continuité dont la recherche française
ainsi l’occasion de défendre des conceptions ne donne pas toujours l’exemple.
très différentes de la discipline. Je comprends, Monsieur le Directeur,
Michel Crozier (au directeur du dépar- le souci qui doit être le vôtre d’instituer des
tement SHS du CNRS) règles de subvention plus strictes. Sociologie
du travail coûte peu d’argent mais pourrait
« Je tiens […] à vous exprimer de la façon néanmoins survivre théoriquement sans
la plus nette l’émotion et l’inquiétude que subvention. Mais dans l’état actuel des
88
Répondront à cet appel le professeur italien Luciano Gallino, président de l’Association Internationale de
Sociologie, le profeseur allemand Leo Kibler, Duncan Gallie (Nuffield College), Nicolas Herpin, Michael Pollak
(GSPM), Michel Arliaud (LEST), Jean-Claude Passeron (Cercom), Philippe Bernoux (Glisy), Nicole Gadrey
(LASTREE), Pierre Bourdieu (CSE), Bruno Latour (CSI), François Eymard-Duvernay (CEE) et le directeur de la
revue canadienne Sociologie et sociétés Louis Maheu.
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choses, la suppression des moyens dont perception des problèmes de la production.

elle disposait de façon régulière la forcerait Aujourd’hui, laisser disparaître Sociologie du
à cesser ses activités. Un tel résultat me travail reviendrait à contribuer de manière
semblerait désastreux dans la conjoncture notable à cette irresponsabilité croissante de
actuelle. Au moment où, grâce à l’ANVIE89, la société française dans laquelle on entend
un effort considérable est tenté pour parfois dire avec une extrême légèreté que
développer les liens avec les entreprises, ce les problèmes du travail relèvent du passé.
serait une erreur en tout cas de se priver d’un La France a le plus grand besoin de s’indus-
support comme Sociologie du travail. trialiser, de développer et d’utiliser mieux
les nouvelles technologies, d’opérer des
Ne serait-il pas possible d’envisager un transferts accélérés de main-d’œuvre, de
soutien temporaire, une mesure stop-gap réduire le chômage de jeunes, d’intégrer les
permettant de préparer une organisation tout immigrés. Sur tous ces problèmes essentiels
à fait viable ? la sociologie du travail a beaucoup à dire et
Michel Crozier »90 notre préoccupation à tous doit être d’aug-

menter le volume et la qualité des recherches
Alain Touraine (au directeur du dépar- menées dans ce domaine. Il serait vraiment
tement Sciences Humaines et Sociales paradoxal de laisser disparaître la revue qui
du CNRS) est le lieu central de communication entre
« Ce n’est pas en tant qu’un des quatre tous les chercheurs intéressés aux problèmes.
fondateurs de cette revue que j’interviens Croyez, je vous prie, Monsieur le
auprès de vous mais en tant que sociologue Directeur, à l’assurance de mes sentiments
qui sait tout ce qu’il doit à cette revue. Mais je les meilleurs
sais que sur ce point votre opinion personnelle
n’est certainement pas différente de la mienne. Alain Touraine »
Ne serait-il pas sage d’assurer d’abord la C’est encore à l’occasion d’un anniver-
survie de cette revue et ensuite d’examiner saire, le troisième, en 2000, que le comité
comment sa formule peut être améliorée ? de rédaction fera appel une fois de plus au
Permettez-moi une observation plus parrainage des fondateurs en invitant ces
générale. Au cours des deux dernières derniers à intervenir au colloque organisé
décennies les problèmes du travail semblent pour les 40 ans de la revue, comme en
être devenus plus marginaux pour l’opinion témoigne la photo ci-après91.
publique et les milieux intellectuels. Il ne faut
à aucun prix céder à cette tentation qui est
associée aux aspects les plus dangereux de
notre société dans laquelle les problèmes du
marché et en particulier des marchés finan-
ciers semblent oblitérer de plus en plus la
89
L’Association Nationale pour la Valorisation Interdisciplinaire de la recherche en sciences de l’homme et de
la société auprès des Entreprises a été créée en 1991, à l’initiative du ministère de la Recherche, avec pour finalité
de renforcer les relations entre les sciences sociales et les entreprises. Michel Crozier était membre de son conseil
d’administration, aux côtés notamment de Marc Augé, président de l’EHESS, Renaud Sainsaulieu, directeur du
Laboratoire de Sociologie du Changement des Institutions …et d’Alain d’Iribarne, directeur du département des SHS
au CNRS à qui il s’adresse dans ce courrier. Parmi les entreprises représentées au sein de ce CA figuraient Carrefour,
Elf Aquitaine, UAP et BSN. Pour un développement sur ce thème nous renvoyons à P. Fridenson (dir.), Le recours
aux sciences sociales, Entreprises et Histoire, n° 7, décembre 1994.
90
Courrier adressé à Alain d’Iribarne par Michel Crozier, 19 septembre 1991.
91
Elle est bien floue, mais a le mérite de montrer, en 2010, le parrainage continué des fondateurs.
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© photo Anni Borzeix
Figure 3, de gauche à droite : Jean-René Tréanton, Jean-Daniel Reynaud,
Christine Musselin (alors présidente de l’Association pour le développement
de la revue Sociologie du travail), Alain Touraine et Michel Crozier.
Mais cette fois on ne trouvera pas trace et suivantes, les recherches sur l’entreprise
de leurs interventions dans l’ouvrage 92 se développent au CSO. La popularité de la
issu de ce colloque et signé fictivement du sociologie des organisations dans le monde
nom d’Amélie Pouchet 93. Oubli ? Choix de l’entreprise, notamment grâce au travail
délibéré ? Conseil d’éditeur ? Changement de réseau et de vulgarisation entrepris par
de génération ? Une page semble désormais Michel Crozier et Erhard Friedberg 94, a
bel et bien tournée. sans doute facilité l’ouverture de terrains.
Sociologie du travail se fait l’écho de ces
recherches. Ceci correspond aussi à une
5. ÉPILOGUE période d’ouverture et de normalisation
académique qui se traduit à la fois par un
Si l’on peut identifier très nettement la renforcement du poids de l’institution CSO
« marque » de la pensée croziérienne dans au sein de la revue et par un effacement
les années qui ont suivi son départ de la relatif de la pensée croziérienne dans
revue, il est plus difficile de le faire au fur ses colonnes. Plusieurs facteurs peuvent
et à mesure que l’on avance dans le temps. expliquer cette évolution : le renouvellement
L’histoire des orientations éditoriales de la du comité de rédaction et sa préoccupation
revue fait apparaître des inflexions sensibles. de maintenir une « ouverture » plus tangible.
On pourrait repérer plusieurs temps : les L’inflexion par rapport à ce que l’on pourrait
débuts ou le moment pré-1968 qui intègre la nommer, sans doute trop schématiquement,
période des fondateurs et les deux années qui « la période tour Jussieu » s’affirme d’ail-
ont suivi ; l’éclipse : la période post-68, qui a leurs dans un avis au lecteur publié dans le
duré plus d’une vingtaine d’années, marquée numéro 1/1998 où le comité de rédaction
par un net retrait de la figure tutélaire de insiste sur :
Michel Crozier et du Centre de sociologie
des organisations. Au cours des années 1990
92
Publié en 2001 par les Éditions Elsevier qui éditent la revue depuis 1999 : A. Pouchet (dir.), Sociologies du travail :
quarante ans après, op. cit.
93
Du nom de la rue Amélie où se tiennent les réunions du comité (au CSO), suivie de la rue Pouchet où le CNRS
héberge plusieurs unités de recherche (aujourd’hui l’UPS Pouchet).
94
Notamment par la formation continue en entreprise.
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« Le souci de faire de la revue un comité de rédaction, liés le plus souvent

outil mieux en prise sur les débats et les à l’adresse du secrétariat de la revue, ont
pratiques de la communauté scientifique souvent changé, passant du nomadisme
et d’accorder une place nouvelle à des (jusqu’en 1973 : rue Monsieur le Prince,
écritures plus ouvertes, parfois descrip- boulevard Raspail) à vingt ans de stabilité
tives, au plus près des transformations au Groupe de sociologie du travail (Tour
de la société ; pour le reste Sociologie Centrale de Jussieu, de 1973 à 1992), puis,
du travail conserve son positionnement après une nouvelle période d’instabilité
de revue de sciences sociales, ouverte (1993-1995), ces réunions se tiennent depuis
aux problèmes contemporains, avec 1995 jusqu’à aujourd’hui au CSO, 18 rue
une prédominance pour ce qui touche Amélie dans le septième arrondissement
au travail, et aux systèmes productifs. La de Paris. Désormais la convergence des
revenue demeure aussi un lieu accordant champs thématiques du CSO et ceux, élargis,
plus d’importance aux résultats de couverts par la revue contribue à faire de
recherche qu’à l’appartenance à une celle-ci une destination naturelle pour les
école ou une discipline ». jeunes chercheurs de ce laboratoire98. Ceci
dit, la publication régulière, dans les colonnes
Ce redéploiement se confirmera par
de la revue, d’une nouvelle génération de
l’augmentation progressive du nombre
chercheurs n’est pas pour autant le signe
des membres du comité de rédaction, leur
d’une transmission de la pensée crozié-
diversification et le changement d’éditeur
rienne. Le CSO des années 2010 n’est plus
en 1999 qui participe à l’alignement de
celui des années 1960 : un bon nombre de
la revue sur les standards internationaux.
ses chercheurs ont suivi par exemple la
Parallèlement la présence du CSO-Sciences
mouvance de la sociologie économique, et
Po95 dans le comité de rédaction est plus
l’application du raisonnement croziérien
nette depuis l’arrivée de Christine Musselin
à travers l’analyse stratégique n’est plus
en 1991 et celle de Didier Demazière, venu
incontournable même si elle demeure
du laboratoire Printemps (Université de
présente. Depuis le début des années 2000,
Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines),
une nouvelle génération de chercheurs ayant
membre du CSO depuis 2010 et par ailleurs
fait leur thèse dans d’autres laboratoires que
élève de Jean-René Tréanton, le quatrième
le CSO sont même assez peu familiarisés
fondateur96. Tous deux ont été présidents de
avec ce cadre de pensée. On peut donc dire
l’association pour le développement de la
que l’héritage croziérien au sein du CSO…
revue97.
et donc de la revue est plus diffus, aussi
Autre signe de cet « ancrage », géogra- parce que les analyses organisationnelles
phique cette fois : les lieux de réunion du se sont enrichies d’autres courants. Dans
95
Le CSO n’est plus un laboratoire propre puisqu’il est devenu une UMR avec Sciences Po en 2001. Notons que le
poids de Sciences Po dans les revues en sciences sociales n’a cessé de grandir avec le rattachement récent de deux
revues de sociologie (Sociétés contemporaines, la Revue française de sociologie) aux Presses de Sciences Po (qui
gèrent également la Revue française de science politique).
96
Qui n’a pas créé de laboratoire. Sa présence et cette fonction réhabilitent sur le tard – si on force un peu le trait – la
règle non plus des trois mais des quatre fondateurs, conformément à l’histoire. J.-R. Tréanton est décédé en 2015 :
B. Convert et B. Duriez, « Jean-René Tréanton (1925-2015) », Revue française de sociologie, vol. 57, avril-juin 2016,
p. 207-210 et F. Chazel, « Hommage à Jean-René Tréanton, maître ciseleur du compte rendu », ibid., p. 211-212.
97
La présidence de l’association est faite de responsabilités administratives (contacts avec les éditeurs, le CNRS,
le secrétariat) mais aussi scientifiques (animation du comité de rédaction).
98
Entre 2012 et 2016, 9 articles de membres du CSO ont été publiés dont 8 écrits par de jeunes chercheurs, soit
10 % des articles publiés dans la revue sur cette période.
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un laboratoire qui ne se pense plus comme s’est normalisé, les cartes ainsi rebattues
une école de pensée mais qui s’est ouvert dessinent une nouvelle reconfiguration des
et diversifié y compris en accueillant des liens entre Sociologie du travail et le Centre
chercheurs historiens en son sein, bref qui de Sociologie des Organisations.
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Michel Crozier et la revue Sociologie du travail

Article in Entreprises et histoire · September 2016

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ESKA | « Entreprises et histoire »

Pour citer cet article :

Distribution électronique Cairn.info pour ESKA.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Entreprises et Histoire, 2016, N° 84, pages 49 à 76 49

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a cherché à promouvoir. Nous avons par de nouvelles inflexions se dessinent à partir

piers au sein de cette revue. Nous voudrions

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« Quand j’ai essayé de comprendre D’ailleurs s’il existe un large public

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978-2-7472-2661-5_EH-84_BAT3.indd 53 22/12/2016 12:14

les résultats de deux enquêtes : celle sur les

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à l’Université de Stanford. Il s’agit de son « L’Amérique m’a surpris. J’avais fini

est capable à la fois de participer à cette

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éprouvant le sentiment qu’il n’a aucune

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alimenter la revue en articles de qualité. Ses « De mon côté, comme je l’avais

base l’obtention des services de presse

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espérons ferme que tu nous décrocheras au ce numéro 3 manque un peu de relief.

Jean-Daniel Reynaud le 12 décembre 1959 ; chercheurs valables autour de nous ; cela

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Il ne s’agit pas d’imiter cet exemple mais

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Figure 1 : La revue est domiciliée 10 rue Monsieur le Prince,

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les organisations ») dans laquelle il discute de « PS : Je n’ai pas encore vu de près

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quelques contributions possibles. mais on n’a pas réussi à le faire, à trouver

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« problème du changement » devient un options quant à l’orientation générale de

« Groupe poursuit en même temps une sociologiques ». Au cours de cette réunion,

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Figure 2 : Verso du n° 2/1970. Une publicité à «contre-courant » ?

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Un exemple de cette prise de distance est ou libéraux, les jeunes économistes

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et rappellent ce qu’ils avaient énoncé avec « Après l’explosion de 1968 qui

de « l’analyse stratégique », à « recons- de Sociologie du travail était plutôt

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la revue restent assez discrets contrairement et stratégies coopératives » qui permet

reste encore fragile dans les années 196080

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période de distanciation ? En définitive très de débats organisée en novembre 1989 à

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politique tel qu’il est vécu en France » ;

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comité de rédaction appelle au secours et les persévérance pendant 30 ans et dispose

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choses, la suppression des moyens dont perception des problèmes de la production.

Michel Crozier »90 notre préoccupation à tous doit être d’aug-

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© photo Anni Borzeix