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Paul Fustier
2008/2 - n° 6
pages 27 à 39
ISSN 1951-9532
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La relation d’aide et la question du don
Paul FUSTIER
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– autrement dit, l’aide pourrait être distribuée par une procédure d’auto-
maticité, sans intervention d’un lien entre l’ayant droit et un opérateur
distributeur de dus.
Cette forme d’aide permet de garantir aux plus défavorisés, aux plus
fragiles, ce minimum d’appuis qui leur permet de vivre à hauteur des
normes de la condition humaine que notre société a construites. Elle est
aussi une amorce de redistribution des richesses et une tentative pour
combattre des injustices. Cependant, ce venir en aide rencontre ses limi-
tes dans de nombreuses situations auxquelles sont confrontés les
travailleurs sociaux. Notre exposé se construit sur l’idée que cette forme
d’aide ne fonctionne de façon efficace que si le problème de l’ayant droit
peut être isolé comme étant seulement « objectif » ou objectivable. Il faut
pour cela, non seulement que son origine soit économique ou sociale et
non psychologique, mais encore qu’il n’ait pas eu d’effet de désorganisa-
tion de la personnalité rendant toute solution « sèche » inopérante.
Donnons trois exemples montrant les limites de la modalité
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LE SUJET ET L’ÉCHANGE
quand il écrit, pour expliquer les vols que commet l’adolescent délin-
quant : « Il réclame ce à quoi il a droit ; il réclame à son père et à sa mère
des dommages et intérêts [souligné par nous] parce qu’il se sent privé de
leur amour » (Winnicott, 1956). Toute entrée en relation devient alors
impossible, parce que l’autre (par exemple le travailleur social) est déshu-
manisé, considéré comme un simple pourvoyeur automatique de biens et
de services.
En revanche, il existe des situations rares et particulières qui font
renaître l’illusion (comme si la déconstruction se manifestait alors dans
l’excès). La personne carencée ressent alors l’espoir (autre mot du
langage winnicottien) de retrouver dans une personne de rencontre une
figure idéale merveilleuse et toute-puissante, émanation de l’imago
maternelle bienveillante dont il a été précocement privé. C’est à coup sûr
une illusion, mais si le travailleur social se trouve à cette place-là dans un
moment qui fait exception, c’est parce que quelque chose dans sa façon
d’être ou d’agir a permis qu’il devienne, par externalisation de l’usager,
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Les actes professionnels pourront aussi être des incitateurs pour une
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on dit noblesse oblige, c’est bien que le noble est obligé à être désinté-
dans un échange équilibré, alors que l’usager aura interprété qu’il est
dans un échange par le don.
Yves, 14 ans, est en difficulté : il « sèche » ses cours au collège,
commet de petits vols. De ce fait, il est l’objet d’une mesure d’action
éducative en milieu ouvert et une éducatrice, Noëlle, le rencontre très
régulièrement. Le suivi se passe très bien, Yves retrouve un équilibre de
vie et, après quelques mois, Noëlle demande et obtient la mainlevée de
la mesure. On observe alors un renversement de la situation : effondre-
ment brutal d’Yves : retour des vols et de l’absentéisme scolaire, violence
et alcoolisation.
Une réunion d’équipe est alors consacrée à cette situation. Noëlle
décrit le déroulement de la mesure tel qu’elle l’a pensé. Il y avait un
contrat clair dont elle avait exposé les termes à Yves : elle l’aiderait dans
la situation difficile qu’il traversait ; en retour il accepterait de modi-
fier son comportement ; ce résultat obtenu, chacun était quitte et la
mesure levée. Tout s’est apparemment passé comme prévu, et Noëlle ne
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COMMENT FAIRE ?
BIBLIOGRAPHIE
RÉSUMÉ
Dans le travail social, une première manière de « venir en aide » consiste à four-
nir des objets réels ou symboliques à une personne que l’on range dans la caté-
gorie de ceux qui en ont besoin (les « ayants droit »). Ce mode d’intervention est
insuffisant quand on a affaire à des personnes en difficulté psychique. À une
pratique unilatérale, on substitue alors un lien d’échange, constituant l’usager
comme un sujet ou comme coauteur de l’aide qu’il reçoit. Cet échange peut être
équilibré, prenant généralement forme contractuelle. Notre travail veut souligner
que dans un certain nombre de cas, difficiles parce que marqués par l’existence
d’une carence précoce, l’usager aura tendance à interpréter les agir profession-
nels du travailleur social non comme un élément contractualisé mais comme
relevant d’un don, entraînant un contre-don alimentant la dette, donc un lien
puissant mais en déséquilibre. Nous indiquons ce qui favorise, dans le quotidien
du travail social et du côté des deux interlocuteurs, ce ressenti subjectif. Nous
pointons les risques encourus à se tromper de registre (s’agit-il d’un échange
contractuel ou d’un échange par le don ?) et à ne pas s’interroger sur la nature
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ABSTRACT
The first way of getting to help somebody within social work is to provide real or
symbolic objects to that person. But this is not enough for those suffering from
psychological troubles. An exchange practice must then be substituted for a
unilateral practice establishing the user as a subject or a co-author of the help he
receives. This exchange can be equalized, usually in a contractual manner. In this
article, we try to emphasise the fact that, in difficult cases, marked by the
presence of an early deficiency, the user is prone to interpret the professional
intervention not as the result of a mutual contract, but as the result of a Gift
(according to the meaning given to the sociologist Marcel Mauss) that provokes
a debt. This process has a great impact but constitutes an unbalanced operation.
We also intend to indicate what, in daily social practice, favours such a subjective
feeling from both participants. And finally we try to underline what risks are taken
when, by lack of a clear view of the nature of the bond established between the
social worker and the user, a mistake is made concerning the method employed
(Gift or mutual contract ?).
KEYWORDS
Gift, contract, early deficiency, subject, social work.