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LA RELATION D'AIDE ET LA QUESTION DU DON

Paul Fustier

ERES | Nouvelle revue de psychosociologie

2008/2 - n° 6
pages 27 à 39

ISSN 1951-9532

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :
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Fustier Paul, « La relation d'aide et la question du don »,
Nouvelle revue de psychosociologie, 2008/2 n° 6, p. 27-39. DOI : 10.3917/nrp.006.0027
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La relation d’aide et la question du don

Paul FUSTIER
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DISTRIBUER À L’AYANT DROIT

Le venir en aide se décline selon plusieurs modalités. Dans une


première formulation, on fournit une aide (argent, objet, service) à
quelqu’un parce qu’il a droit à celle-ci. La décision s’applique à un ensem-
ble d’individus concernés, allant des êtres humains en général, jusqu’à
des catégories particulières (l’éducation pour ce qui est des enfants, la
formation pour ce qui est des chômeurs…).
Si on définit cette modalité d’aide sociale sur un plan « théorique »,
on peut la caractériser par les points suivants :
– une décision en provenance du politique crée un droit ;
– ce droit s’applique à une catégorie plus ou moins vaste (l’être humain,
une catégorie d’âge, un groupe social) qui sera constituée d’ayants droit ;
– pour ce qui est du venir en aide, ce n’est pas au titre de sujet qu’un
ayant droit est théoriquement considéré. Ce n’est pas son identité d’indi-
vidu qui entraîne son droit mais le fait qu’il soit considéré comme étant
membre de la catégorie qui « donne droit à… ». Il prend alors une identité
de SDF, de chômeur, d’enfant en échec scolaire ;
– il n’y aura donc pas lieu de penser échange ou réciprocité au moment
de la « fourniture » de l’aide. Celle-ci va de soi, elle est dans l’univers du
droit, comme un dû qui ne se laisse pas interroger. Celui qui n’en dispose
pas, alors que c’est son droit, est victime d’une injustice ;

Paul Fustier, professeur émérite de psychologie clinique, université Lumière-


Lyon 2, vielle.baroque@wanadoo.fr

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– autrement dit, l’aide pourrait être distribuée par une procédure d’auto-
maticité, sans intervention d’un lien entre l’ayant droit et un opérateur
distributeur de dus.
Cette forme d’aide permet de garantir aux plus défavorisés, aux plus
fragiles, ce minimum d’appuis qui leur permet de vivre à hauteur des
normes de la condition humaine que notre société a construites. Elle est
aussi une amorce de redistribution des richesses et une tentative pour
combattre des injustices. Cependant, ce venir en aide rencontre ses limi-
tes dans de nombreuses situations auxquelles sont confrontés les
travailleurs sociaux. Notre exposé se construit sur l’idée que cette forme
d’aide ne fonctionne de façon efficace que si le problème de l’ayant droit
peut être isolé comme étant seulement « objectif » ou objectivable. Il faut
pour cela, non seulement que son origine soit économique ou sociale et
non psychologique, mais encore qu’il n’ait pas eu d’effet de désorganisa-
tion de la personnalité rendant toute solution « sèche » inopérante.
Donnons trois exemples montrant les limites de la modalité
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« Distribuer à l’ayant droit ».

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1. En France, nombreux étaient autrefois les orphelinats. Ultérieurement,
les pouvoirs publics eurent à prendre en compte le grand nombre d’en-
fants, ayant une famille (donc non orphelins), mais une famille suffisam-
ment en difficulté pour entraîner un placement des enfants. Ainsi sont
nées les maisons d’enfants à caractère social, s’inspirant souvent de
l’ancien modèle de l’orphelinat. À l’époque, les pouvoirs publics ont traité
le problème comme s’il contenait sa solution par une simple substitution :
ces enfants ont manqué d’une famille suffisamment solide, on leur
propose (comme en remplacement) une organisation institutionnelle de
type familial et tout devrait bien se passer. On a rapidement vu qu’il n’en
était rien, parce que les difficultés rencontrées en famille avaient des
effets de désorganisation psychique durables sur les enfants concernés,
difficultés que le placement devait aussi, et même surtout, prendre en
compte.
2. On sait que le taux de chômage est particulièrement élevé chez les
jeunes vivant dans les « quartiers défavorisés ». Mais on sait aussi que,
pour une proportion importante de ceux-ci, se contenter de leur offrir du
travail dans une tentative sèche de résolution du problème sera une
mesure totalement inefficace. Se voir proposer un emploi ne sert à rien
si la question du rapport au travail n’est pas traitée. Les situations de vie
que ces jeunes ont connues ont pu détruire en eux un certain rapport à
la réalité, se traduisant par ce que l’on appelle maintenant « l’inemploya-
bilité » ; la recherche d’un emploi ne sera efficace que si ce « point
d’achoppement » peut être mis au travail dans un accompagnement
prolongé.
3. Un cadre d’entreprise, père de famille, est licencié pour raisons écono-
miques, ce qui produit, comme il est fréquent, un bouleversement dans
l’équilibre familial. Après quelques mois il retrouve un emploi grâce à

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l’assistance d’un service spécialisé. Le problème du travail est résolu,


mais pas la question de la perte des repères familiaux : un des enfants
dont la scolarité était jusqu’alors normale est maintenant en échec
scolaire, l’épouse veut divorcer. Les effets de la crise déclenchée par le
chômage n’ont pas disparu avec la résolution du problème. L’équilibre
familial en a été durablement affecté. Pour quelles raisons ? On s’aperce-
vra, dans l’après-coup, que monsieur avait déposé dans le travail quelque
chose qui tenait à son propre idéal et que son estime de soi était nourrie
des apports narcissiques que lui fournissait son emploi. L’effondrement
de la sphère de l’idéal chez monsieur, entraîné par la perte de l’emploi,
avait produit un « vide » chez les autres membres de la famille qui ne
pouvaient plus déposer chez lui une part d’idéalité. De plus, monsieur, ne
disposant plus des apports narcissiques que son emploi lui fournissait,
tentait de les obtenir de sa famille. Les enfants, et surtout madame,
n’étaient pas prêts à remplir cette nouvelle fonction psychique de pour-
voyeur d’apports narcissiques… Il aurait fallu aborder la question de
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l’emploi comme un problème objectif mais enchâssé dans une dimension

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psychique à traiter absolument.

LE SUJET ET L’ÉCHANGE

Il est dans la tradition du travail social de mettre en place une relation


d’aide qui s’adresse à un sujet. Un sujet peut être, mais pas nécessaire-
ment, un ayant droit. En revanche, il dispose obligatoirement de deux
attributs. Le premier tient à la posture du travailleur social qui reconnaît
l’usager comme une personne et pas seulement comme membre anonyme
d’une catégorie (il n’est pas un chômeur mais monsieur Durand chômeur).
Le deuxième attribut de l’usager tient à sa manière d’aborder sa situation
personnelle ; il se doit d’être dans l’échange, c’est-à-dire actif ou réactif,
manifestant, comme on dit, le désir de se prendre en charge et non d’être
pris en charge dans un système pérenne d’assistanat ; à ce titre il est
sujet, mais dans quel type d’échange ?
Si l’on regarde la situation de l’extérieur, comme un observateur des
systèmes, il semble évident que l’acte professionnel du « venir en aide »
relève d’une logique institutionnelle, proche de la logique d’entreprise. Un
travailleur social échange, contre un salaire, des prestations sous forme
de services dont bénéficie la personne à aider.
À en rester là, on rencontre une difficulté majeure. La personne qui
« bénéficie » de l’aide l’est au titre de simple récipiendaire, comme ayant
droit et non comme sujet, pour reprendre notre distinction. Autrement
dit, on est confronté au paradoxe connu : plus on cherche à aider
quelqu’un à devenir autonome, plus on l’assiste, et plus on le stabilise
dans une position de demandeur d’aide (plus il devient assisté), alors que
le travail social le veut sujet de son proche changement.

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Il est donc nécessaire de contractualiser la relation d’aide. Au contrat


de travail qui lie le travailleur social à son employeur se joint un « contrat
d’aide » supposant engagement réciproque ; l’un (le travailleur social)
apporte un soutien, une assistance technique à l’autre (l’usager) qui s’en-
gage en retour (au titre d’acteur) dans un processus de changement. Il y
a obligation d’échange, autrement dit interdit de parasitage 1.

SOCIALITÉ PRIMAIRE, SOCIALITÉ SECONDAIRE 2

Notre propos suppose un rapide détour concernant la socialité. Nous


reprendrons à Alain Caillé (1991) l’idée d’une socialité duale qui peut être
secondaire ou primaire.
La socialité secondaire régit la scène économique et se déploie dans
l’entreprise, les administrations, le commerce. Caractéristique de nos
sociétés industrielles, elle s’impose depuis l’avènement du capitalisme qui
a, selon Mauss, transformé l’homme en « animal économique ». Elle
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trouve son origine dans le lien marchand et s’épanouit dans la condition

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salariale. S’échange un produit ou un travail contre de l’argent, cet
échange devant être équilibré, reposant sur un accord d’équivalence
négocié. Ce modèle convient à la description de la situation du travailleur
social, membre d’une institution qui le rémunère. On peut vouloir aussi
l’appliquer à la relation d’aide. Le travailleur social fournit un « produit »
réel ou symbolique ; en retour il est « rémunéré » par un changement
psychologique chez l’usager qui prend valeur de réussite professionnelle
ou d’apport narcissique pour le travailleur social.
En vis-à-vis, Caillé décrit la socialité primaire qui s’épanouit dans les
sociétés « orales », hors notre civilisation, alors qu’elle régissait aussi,
avant industrialisation, nos sociétés occidentales. De nos jours, on la
repère, de façon dominante ou résiduelle, dans « des domaines aussi
variés et étendus que ceux de la parenté, de l’alliance, du voisinage, de
la camaraderie, de l’amitié, de l’amour » (Caillé, op. cit., p. 115). Le venir
en aide, quand il est spontané, quand il ne se réfère ni à un salaire, ni à
l’exercice d’une profession, ni à une formation particulière, se noue hors
socialité secondaire. Il prend corps dans des espaces-temps appartenant
encore à la socialité primaire et qui demeurent un peu communautaires,
comme les bistrots, les repas de famille, les pas de porte des grands
ensembles, ou, dans une institution, la salle où se trouve la machine à

1. Nous avons proposé l’hypothèse que l’interdit de parasitage est un interdit


majeur en institution. C’est « l’interdit de parasiter l’institution en vivant de ses
offres, en profitant des personnes, des objets matériels et des services, sans
introduire aucun échange ». C’est être dans le dû et non dans l’échange (voir
P. Fustier, 2008, p. 102-103).
2. Nous avons consacré un ouvrage aux questions que nous allons évoquer main-
tenant (Fustier, 2000).

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café… Ces interstices où se déploient les « temps perdus » échappent à


une gestion marchande et font appel à l’échange par le don.
Dès lors, on distinguera deux formes de productivité. Il y aurait une
productivité d’objets que l’on peut évaluer quantitativement (nombre
d’actes produits et efficacité) et qualitativement, concernant la valeur du
service rendu. Mais il y aurait aussi une productivité de lien social plus
difficile à mesurer puisque sa fonction est de rétablir de la communication
et des solidarités entre personnes.
Autrefois, certaines professions développaient clairement ces deux
formes de productivité. Le marchand ambulant, jadis très attendu dans
les fermes reculées, vendait des produits nécessaires (productivité d’ob-
jets), mais il tissait aussi des liens, donnant et prenant des nouvelles,
échangeant sur le climat ou la politique, luttant ainsi contre l’isolement et
la solitude (productivité de lien social). Ce personnage a presque disparu,
sa productivité d’objets étant insuffisante ; s’y substituent alors les servi-
ces sociaux et l’intervention de professionnels apportant des solutions à
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ceux qui sont condamnés à la solitude en raison de leur âge ou de leur

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état de santé.
Mais les pratiques sociales sont certainement plus complexes que ce
que donne à voir notre exemple un peu outré. En effet, nos actes sont
souvent métissés, ambigus, relevant des deux socialités, à la fois dans
l’échange équilibré et dans l’échange par le don. Ce qu’ils sont « objecti-
vement » (par exemple, un acte qui relève du contrat de travail) peut tout
à fait dissimuler une vérité subjective de l’échange qui se situerait tout à
fait ailleurs. Disons que la socialité secondaire clairement dominante dans
notre modèle social peut masquer dans les contacts intersubjectifs, même
s’ils sont professionnels, un échange relevant de la socialité primaire.

LES PERSONNALITÉS DÉCONSTRUITES

Nous avons été amenés à distinguer deux modalités d’aide sociale.


D’abord il y a le distribuer à l’ayant droit qui permet de trouver solution
à un problème « objectif » n’ayant pas eu d’effets psychologiques néfas-
tes. Il y a ensuite la relation d’aide traditionnelle, centrée aussi sur le
problème, mais supposant un échange équilibré.
Nous voudrions montrer que les personnes en grande difficulté
psychique entendent la relation d’aide pour ce qu’il n’était pas prévu
qu’elle soit, ce qui la transforme et suppose une attention particulière de
la part du travailleur social.
Il nous faut rapidement rappeler ce qui caractériserait une personna-
lité « déconstruite » en utilisant le concept de carence ou de tendance
antisociale au sens de Winnicott (1956). Dans la plupart des situations
qu’elle rencontre, une personnalité carencée vit dans la désillusion. Elle
se sent exclue de toute forme de lien (la déconstruction se manifeste par
défaut) parce qu’elle est prisonnière du dû. Winnicott nous le fait sentir

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quand il écrit, pour expliquer les vols que commet l’adolescent délin-
quant : « Il réclame ce à quoi il a droit ; il réclame à son père et à sa mère
des dommages et intérêts [souligné par nous] parce qu’il se sent privé de
leur amour » (Winnicott, 1956). Toute entrée en relation devient alors
impossible, parce que l’autre (par exemple le travailleur social) est déshu-
manisé, considéré comme un simple pourvoyeur automatique de biens et
de services.
En revanche, il existe des situations rares et particulières qui font
renaître l’illusion (comme si la déconstruction se manifestait alors dans
l’excès). La personne carencée ressent alors l’espoir (autre mot du
langage winnicottien) de retrouver dans une personne de rencontre une
figure idéale merveilleuse et toute-puissante, émanation de l’imago
maternelle bienveillante dont il a été précocement privé. C’est à coup sûr
une illusion, mais si le travailleur social se trouve à cette place-là dans un
moment qui fait exception, c’est parce que quelque chose dans sa façon
d’être ou d’agir a permis qu’il devienne, par externalisation de l’usager,
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l’objet convoqué pour la réalisation d’un désir impossible.

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On voit que l’enjeu est tout autre. Nous proposons l’idée qu’à travers
la personne du travailleur social se joue et peut se traiter cette question
de l’énigme d’autrui qui est, nous semble-t-il, au centre des préoccupa-
tions de l’être humain.

LA MISE AU TRAVAIL DE L’ÉNIGME

Les personnes qui bénéficient de l’intervention d’un travailleur social


s’interrogent sur le pourquoi. Pourquoi fait-il cela ? Qui est donc cette
personne qui s’occupe de moi ? Dans la mesure où elles ne sont pas
totalement envahies par la désillusion et où elles restent actives dans
l’échange, elles se livrent à un travail herméneutique consistant à tenter
de déchiffrer le sens des actes du professionnel, même et peut-être
surtout ceux qui paraissent les plus anodins. Dévoilée par cette interro-
gation, vient se loger l’énigme de la question de l’autre : Qui est l’autre ?
Qui suis-je pour lui et qui est-il pour moi ? Cette énigme est fondamentale
pour tout être humain et se pose dans les relations de couple, de famille,
d’amitié ou professionnelles…
Revenons aux personnes carencées. Elles vont chercher à donner
sens à l’énigme à partir d’une opposition binaire. Dans un premier cas,
elles pensent qu’il n’y a pas d’écart entre ce qu’elles ressentent de l’acte
professionnel du travailleur social et la définition légale et technique de
celui-ci. Le lien est alors équilibré, caractérisé par un échange entre deux
acteurs qui vise à la résolution du problème responsable de l’intervention
programmée. Il est conforme à la norme d’emploi, nous le disons égo-
excentré (ou copernicien) dans la mesure où l’usager sent que son inter-
locuteur agit selon un code externe qui est celui de sa profession. À la
question Pourquoi fait-il cela ?, la réponse est simplement Parce que c’est

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son travail : nous sommes dans la socialité secondaire, dans l’explication,


dans l’échange contractuel relativement « neutre » pour ce qui est des
affects.
Les personnes en difficulté peuvent, dans certaines situations, adop-
ter une position tout à fait autre. Portées par l’espoir, elles peuvent voir
renaître l’illusion de retrouver chez le professionnel la figure maternelle
toute bienveillante que nous évoquions plus haut. Elles déchiffrent une
intention. Il n’est plus question de norme d’emploi ou de professionnalité,
mais d’une relation égocentrée (ou non copernicienne). L’usager sent
fortement que c’est à partir de lui et pour lui que se déploient les actes
du professionnel. Pourquoi fait-il cela ? Parce que je suis aimable (digne
d’amour), ce qu’il me fait savoir par ses dons. Nous sommes ici dans la
socialité primaire, dans un échange en déséquilibre caractéristique de
l’échange par le don.
Le travail psychique suppose que l’énigme demeure comme telle,
c’est-à-dire non résolue, dans la vérité des situations. Aucune des deux
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modalités de réponse n’est définitive et la personne en difficulté peut

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interpréter l’agir du professionnel comme relevant d’une pratique neutre,
dictée par les seules règles du métier, alors qu’à d’autres moments surgit
l’espoir que l’acte relève d’un don faisant preuve d’amour. Quand l’usa-
ger vit espoir et renoncement, illusion et désillusion, ce tâtonnement, ce
va-et-vient, témoignent d’un lien qui s’élabore dans le balbutiement.

CE QUI FAVORISE L’INTERPRÉTATION PAR LE DON

Dans nos sociétés contemporaines et industrielles, on a dit de


l’échange par le don qu’il était seulement résiduel, en voie de disparition,
ayant perdu sa puissance organisatrice des échanges sociaux. Là où il y
avait autrefois l’existence d’une solidarité et d’un étayage générés par la
socialité primaire, il y a maintenant invention rapide de nouveaux emplois,
de nouvelles professions, de nouvelles théories substituant une résolution
professionnelle des problèmes à la prise en charge communautaire et
spontanée d’autrefois. Nous défendons une autre thèse : s’il est vrai que
les échanges sont, dans la réalité directement observable, de moins en
moins référés à la question du don, ce dernier conserve toute son impor-
tance au titre de modalité subjective d’échange infiltrant la vie sociale et
modifiant le sens des interactions de manière performatrice, puisque le
rapport à l’autre s’en trouve transformé.
Dans le cadre de la relation d’aide, il sera donc très important de
comprendre ce qui est susceptible d’entraîner une interprétation, égocen-
trée, élaborée à partir du modèle du don. Nous avons indiqué plus haut
que la carence, au sens de Winnicott, pouvait en être responsable. Reste
à voir maintenant ce qui, du fait du dispositif d’intervention comme du
fait des actes du professionnel, favorise chez l’usager la naissance d’une
interprétation par le don.

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Pour ce qui est du dispositif institutionnel, plus la prise en charge est


globale, plus elle favorise les interprétations par le don. En effet, les acti-
vités culturelles et récréatives qui en font partie, ainsi que l’hôtellerie
(couchage, repas) dans le cas d’un internat, sont plus difficilement objets
de contrats, ne serait-ce que parce qu’elles empruntent au modèle familial
certaines de ses caractéristiques. Ce type d’institution est construit sur
la contenance, la socialité primaire s’y inscrit et la présence proche au
quotidien donnera de nombreuses occasions d’interprétation par le don.
En revanche, dans les pratiques moins englobantes, centrées sur la
résolution d’un problème et non sur l’accueil d’une personne (par exem-
ple aider un adolescent dans sa scolarité mais sans l’éloigner de son
milieu de vie), la socialité secondaire est plus présente. L’objectif
« partiel » d’une pratique permet plus facilement l’élaboration d’un
contrat, encore que l’échange par le don puisse s’y substituer.

Les actes professionnels pourront aussi être des incitateurs pour une
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interprétation par le don. Ainsi :

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– l’interprétation par le don sera favorisée toutes les fois qu’une personne
a l’impression que le travailleur social lui propose un plus. Elle propose-
rait, dans une « lueur de gratuité » (Hochmann, 1984), quelque chose
que son contrat ne l’obligerait pas à fournir ;
– fréquemment, il s’agira de temps, temps « en plus » donné à la
personne, alors qu’il pourrait être occupé à autre chose. C’est bien d’une
interprétation qu’il s’agit dans la mesure où le travailleur social peut ne
pas donner réellement de temps hors contrat, mais manifester, en revan-
che, une qualité de disponibilité qui en donne l’impression. La disponibilité
psychique est alors « traduite » dans les termes d’un don de temps ;
– le sentiment de reconnaissance (être reconnu comme personne) est un
autre incitateur pour une interprétation par le don fondée aussi sur un
plus : la personne se sent reconnue comme individualité, comme étant
considérée comme « plus » que le membre anonyme d’une catégorie.
Monsieur Durand se sent être monsieur Durand, reconnu par le profes-
sionnel comme individu et pas seulement comme un chômeur ;
– autre incitateur : le travailleur social dévoile à la personne quelque
chose de sa sphère privée. Conduire la personne dans sa voiture person-
nelle, lui prêter un livre, lui donner une information sur sa famille, montrer
une photo de ses enfants, la recevoir chez lui… autant d’actes qui rédui-
sent la distance ou l’asymétrie relationnelle et qui sont interprétés comme
un don que le travailleur social fait de son intimité, témoin de l’estime
qu’il porte à la personne en la reconnaissant comme un proche ;
– de façon voisine, on peut considérer aussi que la manifestation visible
d’émotions ressenties par le professionnel à propos de la personne dont
il s’occupe est aussi un incitateur possible de l’interprétation par le don.
Par exemple la colère provoquée chez un éducateur par les comporte-
ments déviants d’un adolescent pourra être interprétée par ce dernier

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comme marque de l’intérêt particulier (pas seulement professionnel) dont


il est l’objet, ce qui est une autre forme de don de reconnaissance.
S’il fallait résumer l’ensemble de ces marqueurs, il faudrait dire que
l’incitation à une interprétation par le don opère toutes les fois que, pour
l’usager, le travailleur social est ressenti comme produisant du profes-
sionnel en dépassement.

LE DON EST DANS L’ÉCHANGE

Jusqu’à maintenant, et pour des raisons de présentation, nous avons


considéré le don comme un élément isolable. Or, on ne comprend le don
que si, à la suite de Mauss (1925), on réintroduit l’idée d’un échange par
le don. Il suppose en effet l’enchaînement d’une triple obligation :
– l’obligation de donner qui est en quelque sorte un « principe de généro-
sité », pour parler comme Bataille, ou l’obligation à manifester une attitude
« chevaleresque » ou noble, pour parler comme Bourdieu (1988) : « Quand
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on dit noblesse oblige, c’est bien que le noble est obligé à être désinté-

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ressé, à être généreux… L’univers social lui demande d’être généreux » ;
– l’obligation d’accepter le cadeau. Le refuser, c’est rompre le lien, refu-
ser l’alliance, laisser l’autre à sa place d’étranger. L’accepter, c’est
accepter la dette et qu’il faudra l’honorer ;
– d’où la troisième obligation : l’obligation de rendre. Il s’agit d’offrir un
contre-don, normalement de valeur supérieure au don. Ne pas pouvoir
obéir à cette obligation, c’est se reconnaître serviteur ou vassal, recon-
naître la supériorité du donateur, voir une relation hiérarchique se substi-
tuer à l’échange par le don.
Mais le contre-don ne termine pas l’échange, il entraîne chez celui qui
le reçoit la nécessité de rendre un « contre-contre-don », et l’échange se
poursuit… Ainsi s’enchaînent les obligations à moins que l’on ne dise,
avec Lévi-Strauss, qu’il n’y a pas de triple obligation mais une seule obli-
gation, celle d’échanger, à quoi renvoie l’interdit de parasitage dont nous
parlions plus haut.
Lorsque le bénéficiaire interprète comme un don l’acte du travailleur
social, il aura donc à y répondre par un contre-don. Il pourra s’agir d’un
retour conforme à l’attente raisonnable du professionnel : la personne
devient active, fait des démarches, accepte de changer ou esquisse des
tentatives de sortie de crise. Le travailleur social sentira que l’on est dans
le registre du contre-don de reconnaissance (aux deux sens du terme) s’il
a l’impression qu’il s’agit aussi de lui faire plaisir en validant l’efficacité
de son travail.
Le contre-don peut aussi prendre la forme d’un apport narcissique
direct ; la personne donne à entendre que « son » travailleur social est
exceptionnel et qu’il lui doit beaucoup.
Le don de confidence est une autre forme de contre-don. On dévoile
à quelqu’un un événement intime, tout en lui donnant à entendre qu’il est

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36 Nouvelle Revue de psychosociologie - 6

le seul à qui on le confie. La confidence s’apparente par là à une « décla-


ration ». Ce contre-don est susceptible de bouleverser le lien, dans la
mesure où le travailleur social aura, après confidence, une représentation
de la personne très différente de celle qu’il en avait avant. Elle est deve-
nue exception et le travailleur social pourra très difficilement la mettre
encore sur le même plan que les autres usagers.
Aux contre-dons succéderont les contre-contre-dons en provenance
du professionnel. Ils conforteront un peu plus l’usager dans l’idée qu’il est
reconnu et individué, qu’il compte comme quelqu’un d’important dans la
vie privée/professionnelle du travailleur social.
Cette esquisse de la dynamique de l’échange par le don montre que
celui-ci est essentiellement en déséquilibre. Dans un échange équilibré,
l’offre cherche à réduire la dette et à la résorber ; alors se termine
l’échange. A contrario, l’échange par le don nourrit la dette, l’alimente,
pour ainsi dire la dramatise. Rappelons que le contre-don doit toujours,
en principe, être de valeur supérieure au don et qu’ainsi se poursuit
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l’échange : les enjeux sont de plus en plus importants et engagent les

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personnes de façon de plus en plus intime.
Comment donc cet échange peut-il s’achever ?
L’ultime forme prise par l’échange sera souvent marquée par la dispa-
rition du cadre professionnel qui devait, en principe, le contenir. Ainsi un
éducateur et un enfant carencé pourront-ils au bout du compte se retrou-
ver dans une situation d’« adoption imaginaire », l’enfant n’ayant plus rien
à offrir que lui-même à un éducateur qui lui sacrifie sa professionnalité au
profit d’une parentalité déréelle. Ce sacrifice de la professionnalité, consi-
dérée alors comme un obstacle à une relation « vraie et authentique », se
retrouve aussi chez les travailleurs sociaux prenant en charge des adultes.
Il s’agit de ne pas trahir, de ne pas se dérober aux enjeux affectifs, l’autre
devenant in fine ami ou partenaire. Ont disparu cette asymétrie, ce main-
tien d’une distance suffisante caractéristiques du lien professionnel.
On comprend que cette forme d’échange par le don, quand on la
rencontre à l’état brut sans mise au travail des enjeux personnels et sans
place laissée aux « règles du métier », aboutisse à une violente crise qui
ne peut s’achever que dans une rupture. Le poids de la dette deviendra
insupportable à l’un des protagonistes qui n’aura d’autre recours que de
casser ce lien, devenu ligature, pour s’en débarrasser. Le travail que le
professionnel et la personne en situation d’être aidée avaient pu mener
conjointement aura perdu le sens et s’en trouvera annulé ; il n’en demeu-
rera qu’un souvenir de souffrance pour les deux protagonistes.

LA CONFUSION DES GENRES

La mise en échec d’une relation d’aide sera souvent la conséquence


d’une mésentente dans l’interprétation. Un travailleur social se pensera

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La relation d’aide et la question du don 37

dans un échange équilibré, alors que l’usager aura interprété qu’il est
dans un échange par le don.
Yves, 14 ans, est en difficulté : il « sèche » ses cours au collège,
commet de petits vols. De ce fait, il est l’objet d’une mesure d’action
éducative en milieu ouvert et une éducatrice, Noëlle, le rencontre très
régulièrement. Le suivi se passe très bien, Yves retrouve un équilibre de
vie et, après quelques mois, Noëlle demande et obtient la mainlevée de
la mesure. On observe alors un renversement de la situation : effondre-
ment brutal d’Yves : retour des vols et de l’absentéisme scolaire, violence
et alcoolisation.
Une réunion d’équipe est alors consacrée à cette situation. Noëlle
décrit le déroulement de la mesure tel qu’elle l’a pensé. Il y avait un
contrat clair dont elle avait exposé les termes à Yves : elle l’aiderait dans
la situation difficile qu’il traversait ; en retour il accepterait de modi-
fier son comportement ; ce résultat obtenu, chacun était quitte et la
mesure levée. Tout s’est apparemment passé comme prévu, et Noëlle ne
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comprend pas le pourquoi de ce retournement qu’elle qualifie de « catas-

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trophique ».
Les autres éducateurs du service qui connaissent Noëlle et ont eu
l’occasion de rencontrer Yves insistent sur le très fort engagement
personnel dont Noëlle a fait preuve, lui consacrant temps et énergie, lui
trouvant un club sportif, l’aidant dans son travail scolaire, l’emmenant
faire des courses dans sa voiture… De son côté Yves demandait à
rencontrer Noëlle de façon exclusive, voire tyrannique, « ignorant » les
autres éducateurs, ou semblant les mépriser.
Parmi les nombreuses hypothèses en recouvrement partiel qui sont
proposées en équipe pour comprendre le retournement constaté, on peut
retenir celle-ci : Noëlle a pensé agir (comme pour se défendre contre ses
propres affects, semblent sous-entendre ses collègues) dans un système
d’échanges centré sur une résolution de problème, sur un objectif à
atteindre (le retour d’Yves à la normale) dans un donnant-donnant équili-
bré. Le problème réglé à la satisfaction des deux parties, la mesure devait
disparaître d’elle-même. Mais Yves ne l’a pas pensé ainsi. Il a interprété
l’aide de Noëlle comme des dons (d’amour ou d’estime) et ses propres
efforts et changements comme des contre-dons (pour faire plaisir à
Noëlle), ce qui aurait dû entraîner celle-ci à donner toujours plus. Il pensait
en termes de liens entre personnes et non en termes de résolution du
problème. Quand Noëlle arrête la mesure (pour elle parce que le problème
est réglé), il y a pour Yves trahison comme si, en retour du don d’un
changement réussi qu’il lui faisait, elle l’abandonnait. Il manifeste alors
violence et envie (au sens de Melanie Klein), en détruisant ce qui était
bon et qui devient « empoisonné » lorsqu’il en est privé.

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COMMENT FAIRE ?

Quels repères peut-on se donner pour contenir cette forme énigmati-


que de lien, qui met en cause socialité secondaire et socialité primaire,
échange par le don et échange équilibré ?
Il va de soi qu’un travail clinique en continu est nécessaire pour
suivre au plus près la nature de l’échange, sans être prisonnier de celui-ci.
Une particulière attention doit être portée au sens que prennent les sépa-
rations.
Les externalisations de l’usager, c’est-à-dire ce qu’il dépose dans le
travailleur social (une figure maternelle idéalisée par exemple), doivent
être tolérées. Accepter d’être partiellement « reconstitué » par l’imagi-
naire de l’usager fait partie de la professionnalité du travailleur social.
En revanche, les agir professionnels doivent rester stables ; ils sont
délimités par un cadre externe défini par le contrat de travail ; ce ne sont
ni l’usager ni ses « besoins » qui vont définir les contours des actes
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professionnels ou les règles du métier. C’est seulement à l’intérieur d’un

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cadre fixe que toutes les variations sont possibles.
Les institutions du travail social ont tout intérêt à rester « lacunai-
res » pour parler comme Jacques Hochmann (1985). Cela veut dire qu’el-
les doivent renoncer à servir l’usager de façon totale, à satisfaire tous ses
« besoins ». La manifestation d’une extrême bienveillance colmatant
toutes les brèches facilite l’interprétation par le don ; mais les dons sont
alors aliénants parce que trop envahissants ou étouffants pour autoriser
des contre-dons de valeur suffisante. Ainsi se réalise un lien d’assistance.
Le manque est nécessaire pour que naisse l’échange.

BIBLIOGRAPHIE

BOURDIEU, P. 1988. « Intérêt et désintéressement », Cahiers du groupe de recher-


che sur la socialisation, n° 7, p. 1-55.
CAILLÉ, A. 1991. « Postface au manifeste du Mauss », La revue du MAUSS, 14,
p. 101-116.
FUSTIER, P. 2000. Le lien d’accompagnement entre don et contrat salarial, Paris,
Dunod.
FUSTIER, P. 2007. « Personnalité carencée et lien d’accompagnement », dans
P.-P. Boutinet (sous la direction de), N. Denoyel, G. Pineau, J.-Y. Robin,
Penser l’accompagnement adulte, Paris, PUF.
FUSTIER, P. 2008. Les corridors du quotidien, Paris, Dunod.
HOCHMANN, J. 1984. Pour soigner l’enfant psychotique, Toulouse, Privat.
HOCHMANN, J. 1985. « L’institution sans institutions », Cahiers de l’IPC, n° 1,
p. 33-42.
MAUSS, M. 1925-1968. « L’échange par le don », dans Sociologie et anthropo-
logie, Paris, PUF.
WINNICOTT, D.W. 1956. « La tendance antisociale », dans De la pédiatrie à la
psychanalyse, Paris, Payot.

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La relation d’aide et la question du don 39

PAUL FUSTIER, LA RELATION D’AIDE ET LA QUESTION DU DON

RÉSUMÉ
Dans le travail social, une première manière de « venir en aide » consiste à four-
nir des objets réels ou symboliques à une personne que l’on range dans la caté-
gorie de ceux qui en ont besoin (les « ayants droit »). Ce mode d’intervention est
insuffisant quand on a affaire à des personnes en difficulté psychique. À une
pratique unilatérale, on substitue alors un lien d’échange, constituant l’usager
comme un sujet ou comme coauteur de l’aide qu’il reçoit. Cet échange peut être
équilibré, prenant généralement forme contractuelle. Notre travail veut souligner
que dans un certain nombre de cas, difficiles parce que marqués par l’existence
d’une carence précoce, l’usager aura tendance à interpréter les agir profession-
nels du travailleur social non comme un élément contractualisé mais comme
relevant d’un don, entraînant un contre-don alimentant la dette, donc un lien
puissant mais en déséquilibre. Nous indiquons ce qui favorise, dans le quotidien
du travail social et du côté des deux interlocuteurs, ce ressenti subjectif. Nous
pointons les risques encourus à se tromper de registre (s’agit-il d’un échange
contractuel ou d’un échange par le don ?) et à ne pas s’interroger sur la nature
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du lien qui se noue entre travailleur social et usager.

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MOTS-CLÉS
Don et contre-don, contrat, assistance, carence précoce, sujet, travail social.

PAUL FUSTIER, THE HELPING RELATIONSHIP AND THE GIFT QUESTION

ABSTRACT
The first way of getting to help somebody within social work is to provide real or
symbolic objects to that person. But this is not enough for those suffering from
psychological troubles. An exchange practice must then be substituted for a
unilateral practice establishing the user as a subject or a co-author of the help he
receives. This exchange can be equalized, usually in a contractual manner. In this
article, we try to emphasise the fact that, in difficult cases, marked by the
presence of an early deficiency, the user is prone to interpret the professional
intervention not as the result of a mutual contract, but as the result of a Gift
(according to the meaning given to the sociologist Marcel Mauss) that provokes
a debt. This process has a great impact but constitutes an unbalanced operation.
We also intend to indicate what, in daily social practice, favours such a subjective
feeling from both participants. And finally we try to underline what risks are taken
when, by lack of a clear view of the nature of the bond established between the
social worker and the user, a mistake is made concerning the method employed
(Gift or mutual contract ?).

KEYWORDS
Gift, contract, early deficiency, subject, social work.

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