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Paul Federn
Ce radicalisme révolutionnaire s’est créé une forme d’action propre dans les
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tion des conseils une seconde chambre des députés représentant les temps
nouveaux de manière évidente contrairement au Parlement, ce rebut du régime
autoritaire renversé. Une telle seconde chambre née du pouvoir réel aurait
vraiment une légitimation intérieure plus grande et un droit à une part de
pouvoir plus juste que ceux que possédaient les Grandes Maisons d’Autriche ou
de Prusse dont les privilèges ont été si longtemps intouchables. Cette seconde
chambre serait comme un manifeste du fait que le pouvoir est passé du capita-
lisme au socialisme.
Ainsi nous voyons dans l’organisation des conseils la forme d’action des forces
constructives de la révolution. Le signe de ses tendances destructrices sont les
grèves gigantesques. Elles ne s’expliquent pas simplement par le fait que les
ouvriers ont toujours été habitués à faire la grève dans la lutte économique et
que, dans la lutte politique, la grève générale appartenait depuis longtemps aux
idées des socialistes comme ultime recours décisif. Les grèves exprimeraient alors
seulement le mécontentement économique et politique des ouvriers. Mais quels
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lité servile qui caractérisait l’ordre maintenant déchu. Mais la brutale menace de
sanction n’empêchait pas bon nombre de natures plus ou moins prédisposées au
crime de briser ou contourner l’ordre, tandis que l’homme doté d’une prédispo-
sition éthique normale n’en avait pas besoin pour s’intégrer socialement. Il est lié
par des puissances émotionnelles plus fortes du domaine de la morale : la honte
et la sauvegarde de sa réputation et de sa valeur morale, mais avant tout un
respect social pour les institutions existantes. Ce sentiment donnait à tous les
partis conservateurs, fidèles à l’État et à l’empereur, l’assurance fière et solidaire
d’avoir tout à fait raison de mépriser les opposants comme des apatrides et de ne
pas voir leurs propres intérêts égoïstes. Qu’est-ce donc que le respect de tout ce
qui est légal, prescrit par la loi, autorisé ?
Nous n’allons pas répondre à cette question par une définition mais en exami-
nant comment cet auto-enrôlement social est né. Nous ne voulons pas nous
contenter de la référence générale aux instincts sociaux primitifs, à l’instinct
grégaire de nos ancêtres animaux, aussi juste soit-elle. L’instinct grégaire, l’imita-
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L’impression que fait le père, qui paraît gigantesque, sur le petit être dépen-
dant est plus puissante que ce que nous pouvons imaginer. Cette impression a en
fait trouvé sa forme artistique dans les mythes et contes autour des géants
énormes. Du père viennent toute protection et tout secours ; lui appartient tout
ce que l’enfant reçoit et dont il a besoin ; il est la dernière instance à laquelle
l’enfant s’adresse ; contre sa volonté, l’opposition obstinée et égoïste de l’enfant
échoue. De lui viennent punitions et récompenses. C’est avec lui qu’il faut se
réconcilier quand il est fâché et lui obéir est un commandement de l’éducation
et d’une sagesse naissante.
chaque révolte et au reproche qui en est fait à l’enfant est liée une nouvelle
preuve de l’engagement respectueux envers l’autorité du père. La conscience
morale naissante renforce ces liens. La réalité amplifie cette relation dès que
l’enfant passe d’un temps d’activité imaginaire qui agrandit tout, au sens de la
réalité. Car le père est en fait maître du destin de l’enfant. L’hérédité y entre en
jeu également, car il l’était encore davantage aux temps anciens où l’enfant ne
restait en vie que par la volonté du père et où le père possédait le droit exclusif
de propriété de l’enfant. Cette autorité trop puissante du père est accentuée par
la relation opposée à la mère normale qui fait toujours de l’enfant un petit dieu
et le sert, et par la position complémentaire du père typique, qui reste, comparé
à la mère, étranger au petit enfant, et qui est lui-même à son tour prêt à prendre
le rôle autoritaire de père parce qu’il a gardé de son enfance l’idéal de devenir
comme le père.
Ce lien psychique entre enfant et père ne reste intact que peu de temps mais
suffisamment longtemps pour continuer inconsciemment à produire en l’homme
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Mais bientôt les limites de la réalité montrent à l’enfant à quel point la toute-
puissance du père est en fait bornée. Dès que l’enfant peut prendre d’autres
hommes adultes pour comparaison, le père devient en réalité de plus en plus un
homme comme tous les autres. Le lien plus fort et pulsionnel à la mère fait
ressentir le père comme un trouble-fête, un ennemi. À aucun garçon n’est
épargné ce moment tragique qui trouve sa réalisation dans le mythe d’Œdipe.
Bientôt il commence à observer le père de façon critique avec pour résultat des
déceptions répétées. Cette déception est la chute d’une sécurité sereine qui reste
apparemment oubliée à jamais, mais qui, en réalité, comme la psychanalyse le
prouve, reste préservée dans l’inconscient, un de ces vécus que l’on ne cesse de
répéter – dès qu’une autorité dans la vie est renversée. Ce vécu de la déception
intérieure par le père crée immédiatement une insécurité psychique qui s’exprime
de façon enfantine sous forme de mauvaises manières, désobéissance, impatience
jusqu’à l’effarement. Un nouvel équilibre s’installe bientôt chez les enfants
normaux, tard ou pas du tout chez les enfants anormaux. Toutes les différences
héréditaires individuelles de l’enfant, les événements réels, et surtout la relation
à la mère et le caractère du père y jouent un rôle. Nous voulons seulement souli-
gner les troubles aigus et poursuivrons avec le développement typique.
L’enfant peut réagir de deux façons que nous pouvons déjà qualifier de
conservatrice et oppositionnelle. La manière de réagir est absolument décisive
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1. Voir C. G. Jung : « Die Bedeutung des Vaters für das Schicksal des Einzelnen », Vienne,
Deuticke ; NdT : dont la traduction en français se trouve dans le livre Psychologie et
éducation, traduction par Yves Le Lay, L. Devos et Olga Raesvski, Éditions Buchel
Chastel, au chapitre « De l’importance du père pour la destinée de l’individu », p. 205-
240.
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Au moins, malgré toute révolte contre le père, demeure dans la plupart des
cas une partie de dévouement au père et de la nostalgie à son égard, menant
souvent à l’âge mûr à une réconciliation tardive. L’association d’un esprit génial
et d’une passion sans retenue fait de la vie de Mirabeau un exemple remarquable
de la façon dont la révolte contre le père conduit à la rébellion contre le roi et à
la direction de la Révolution. Mais l’homme qui a renversé la royauté voulait à
tout prix sauver le roi, et en même temps ne voulait en aucune façon être enterré
ailleurs que dans le tombeau de son père, de ce même père qui avait voulu si
souvent enfermer la haine du fils entre les murs d’une prison.
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Nous savons maintenant par l’analyse des destins individuels que les liens
inconscients sont déracinés quand ils ne satisfont plus l’ancien désir inconscient
qui les a créés. Mais alors perd en valeur et en pouvoir tout ce sur quoi le lien
inconscient fut transféré. Un tel détachement est accompagné d’un fort senti-
ment de déplaisir et cause souvent une maladie psychique. J’ai décrit en détail
l’impression gigantesque que l’enfant se fait de son père et l’enchaînement
intérieur de l’enfant à l’égard du père. L’enfant a le désir de dépendre d’un être
aimé dont la grandeur, la puissance et le savoir lui procurent une sécurité et une
protection absolues. Le désir d’avoir un tel père provoque la chute du père réel
et demeure comme condition au choix des représentations du père. Il crée
l’intensité de l’adoration et de la dépendance envers les autorités futures, en
tant que dernière image de ce monde, envers le roi et l’empereur. Le gain de
sécurité de l’accomplissement du désir très ancien, qui conservait au plus
profond de l’âme le paradis de l’enfance avec son père incomparable, subsista
malgré la critique de la raison. Mais la chute de l’empereur, qui perdit pouvoir
et terres et qui désormais ne pouvait plus offrir aucune sécurité, lui enleva cette
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2. La perte des terres a une signification aussi parce que dans l’inconscient la terre est
un symbole de la mère, l’amour pour la patrie tire sa force inconsciente de l’amour pour
la mère. L’enfant est fixé au père par médiation de la mère, et n’est pas père celui qui
ne put sauver la mère. (Voir Dr Ludwig Jekels, « Napoléon », Imago, 1914.)
3. La référence au fait que des centaines de milliers d’enfants sont devenus orphelins se
conçoit aisément. Selon les expériences de la psychanalyse, la mort du père renforce le
lien du fils à la lignée paternelle. En revanche, la guerre, par la destruction de la famille
durant des années, a rendu l’intégration patriarcale souvent très difficile.
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ils restèrent tels qu’ils s’étaient toujours sentis : des « Landeskinder 4 ». Ce mot
exprime linguistiquement la relation séculaire, retenue dans l’inconscient, à la
mère, au pays et à la terre. Ainsi, ils restèrent conservateurs mais devinrent
indépendants de l’ancienne organisation patriarcale, l’État.
Le désordre aurait été encore plus grand si les sociaux-démocrates organisés
n’avaient pas appris depuis longtemps l’intégration volontaire dans leur parti et
s’ils n’avaient satisfait leur besoin de père idéal depuis longtemps auprès de leur
dirigeant. Nous devons le fait que la révolution se passa en Autriche allemande
sans la fureur de hordes d’humains devenues intenables, à la chance que Viktor
Adler, que chaque camarade ressentait presque consciemment comme père,
vivait encore et gouvernait. À la partie radicale du parti dont la représentation
du fils se séparait depuis longtemps de l’État autoritaire et, pendant la guerre,
également des dirigeants des partis, se présentait de nouveau dans – on peut le
dire sans exagération – la figure héroïque de Fritz Adler une relation commune
au père.
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Nous voyons que l’apparition d’une organisation aussi puissante que celle des
conseils, si l’on reconnaît sa structure psychique comme celle d’une confrérie,
ouvre des perspectives beaucoup plus larges que si on la considère seulement
comme un moyen de lutte du prolétariat. Il serait bien possible que malgré la
dévastation par la guerre l’ordre patriarcal puisse résoudre le problème
technique de la reconstruction de l’économie, si la condition psychologique, la
soumission inconsciente à la relation père-fils, n’était pas tombée. Qui connaît la
force du besoin de fusion de gens du même âge ayant les mêmes intérêts et
opinions, sait que la relation au frère possède également une grande force liante
– et d’un autre côté très repoussante – due au fait de grandir ensemble. Il est très
curieux que les tentatives révolutionnaires de briser l’organisation des supérieurs
par l’union des frères libérés, devenus eux-mêmes des maîtres, soit une répétition
des mêmes processus d’un temps préhistorique et que de telles tentatives
indiquent dans une période antérieure de l’humanité la direction pour le
développement de toute culture intellectuelle.
Freud réussit en effet sur son parcours de recherche particulier à découvrir de
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aux deux il avait accès par la théorie des névroses. Occupé par la psychologie du
développement de la culture humaine, il la voyait éclairée nouvellement par les
résultats de la psychiatrie. Son collègue chercheur le plus important, Jung, et son
élève Honegger avaient en effet éprouvé la surprise de trouver, par la méthode
de Freud, l’identité complète des représentations et systèmes religieux très
anciens grâce aux produits de l’imagination de certains malades mentaux de la
maison de fous. Cela prouvait que des formes de pensée très anciennes n’étaient
pas perdues mais dormaient seulement dans l’inconscient pour resurgir lors de la
perte des capacités de penser plus élevées acquises pendant les millénaires
ultérieurs : cela montrait aussi que nous avons dans notre âme des pensées et des
relations sentimentales inconscientes héréditaires très anciennes, qui n’apparais-
sent que dans le rêve et dans les maladies. Ensuite Freud trouva une analogie
totale entre les mœurs des sauvages et les phénomènes obsessionnels de certains
malades, entre les représentations des sauvages et les fantasmes des malades,
entre ses conflits et ceux des névrosés – seulement, pour le névrosé, ils sont restés
inconscients avant l’analyse. Mais, avant, Freud avait prouvé la validité des
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femmes aussi. Cette position dominante était sanctifiée par un système de super-
stition primitive, le germe des religions ultérieures, et était tenue par la plus
grande force du chef de tribu-père. Quelques fils atteignant l’âge d’hommes ne
voulant pas s’insérer furent d’abord tués et plus tard chassés. De nombreux
éléments indiquent que cette lutte entre père et fils était cruelle et inexorable,
entre autres le rôle de la castration qui est démontrée par le droit des pères, par
la peur des fils au fil de l’histoire des religions et des mœurs, comme elle revient
encore aujourd’hui dans les représentations de peur spontanées des petits
garçons.
La fin d’un tel tyran et père ne fut pas douce. Quand ses forces s’affaiblirent
ou quand la haine commune des fils privés de droits et chassés les unit dans une
horde de frères, ils combattirent et vainquirent finalement le père et il s’ensuivit
– du temps où le cannibalisme existait encore par crainte superstitieuse – un
repas de victoire, entre autres pour qu’ainsi la magie mystérieuse présentée par
la superstition passe du père aux vainqueurs. Après le meurtre, le repentir saisit
la horde de frères. Elle n’était pas fière de son action, une dispute autour de la
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Si, en effet, l’âme perdait une instance aussi puissante que le lien au père,
tout ce qui était maintenu en fonction par elle serait emporté, à savoir avant tout
la capacité de travail et le pacifisme intérieur et extérieur. Jamais les hommes
n’ont été aussi chicaniers que maintenant, aussi peu disposés à s’entraider, à une
époque où les optimistes attendaient pour les hommes une trêve aux disputes et
aux guerres. Dans l’âme humaine reste une corrélation très ancienne selon
laquelle les enfants ne s’entendent qu’à cause de la discipline du père et par
timidité envers lui. Au manque de subordination normale et d’esprit belliqueux
correspond aussi le sentiment de manque d’assurance de ces hommes qui, sans
autorité paternelle, doivent diriger de leur influence les groupes et les peuples
sans pères. Leur manque d’assurance, leur sentiment de n’être portés par aucune
autorité instinctive les conduisent à avoir recours à des moyens de contrainte et
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de frayeur parce qu’ils ont quand même besoin du pouvoir pour organiser la
nouvelle société et pour réprimer leurs adversaires. De ce fait, la terreur est un
signe de faiblesse et devient superflue dès qu’il se produit de nouveau une
intégration affective des individus dans la société. Quand cela se passera dépend
aussi bien de la personnalité des dirigeants et du maintien des sentiments frater-
nels que de la victoire sur les conflits d’intérêts et de la disparition de la misère
accablante.
Une autre facette est la tendance puissante à l’expropriation qui apparaît au
grand jour dans tous les pays. Elle se manifeste par l’apparition débridée
d’innombrables atteintes à la propriété et par une politique rationnelle d’expro-
priation des partis communistes et socialistes. Dans l’inconscient, les pères étaient
restés porteurs de la propriété, comme ils l’étaient dans l’enfance. Au père appar-
tient le monde dans lequel l’enfant est né. Et comme la horde de frères, aux
temps préhistoriques, s’attaquait à la propriété qui n’était enfin plus protégée
par la crainte du père, la fortune et la propriété sont maintenant privées de la
protection psychique par la chute des autorités patriarcales. Les classes possé-
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Les batailles en Allemagne montrent les trois partis séparés aussi au niveau
psychologique : le premier est celui des socialistes majoritaires devenus sans pères
mais persévérant dans la position de fils qui pouvaient ainsi sans résistance
intérieure être en accord avec les restes du militarisme bourgeois ; le deuxième
est celui des « indépendants » devenus sans père et détachés du père ; le
troisième est le groupe spartakiste au sein duquel la relation au père s’est trans-
formée en une haine instinctive envers tout ce qui s’y rapporte. Je veux dire que
la plupart des adhérents ne choisissent pas leur parti selon leur réflexion mais
selon leur relation inconsciente au père. Dans l’ancien État, les combats
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Que cette lutte mène également à des mouvements de grève violents est très
compréhensible de notre point de vue. Comme un communisme politique dans
les atteintes à la propriété, la cessation politique du travail trouve son parallèle
au niveau individuel dans les perturbations psychogènes du travail de l’individu.
De nombreuses personnes, y compris celles dont l’activité ne dépend ni du
charbon ni des matières premières, se plaignent de leur propre inaptitude à
travailler et de l’absence d’envie de travailler dans leur entourage. La désaccou-
tumance par la guerre ne peut pas en être la cause car, avant la Révolution, les
vacanciers et les soldats démobilisés reprirent leur travail dans la joie. Seule la
Révolution brisa la volonté de travailler. Cela dépend, comme nous voulons le
montrer maintenant, des motifs inconscients du travail.
Nous avons mentionné plus haut à quel point le professeur emprunte au père
sa position dans l’âme de l’enfant. Cependant les conditions d’élève et d’apprenti
sont à la source de l’acclimatation dans le travail, depuis l’enseignement primaire
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obligatoire général encore plus qu’avant. Seul le jeune adulte travaille pour
salaire et profit. Au début, l’enfant passe du jeu au travail. Les deux représentent
une activité ; ils se distinguent, abstraction faite d’éléments dont la discussion n’a
pas lieu d’être ici, le plus souvent par la valeur réelle du produit de travail et,
dans l’activité même, du fait que lors du jeu l’activité peut être quittée à son gré
mais pas au travail. Le travail doit être exécuté à cause de son objectif sans tenir
compte du plaisir y afférent bien que le plaisir y soit utile. L’enfant apprend à
vaincre l’absence d’envie de travailler pour l’amour du père et du professeur et
par crainte d’une privation d’amour et d’une punition. En effet, les difficultés
d’apprentissage et de travail sont d’origine psychique : la distraction jusqu’à
l’incapacité de penser, la défaillance de la mémoire, la fatigue intellectuelle et
physique. Elles s’aggravent, à un degré supérieur, jusqu’à rendre apparemment
réfractaire au travail, ce qui représente en fait une instabilité obligeant à
changer continuellement le poste de travail, l’aspect du travail, souvent la profes-
sion. Ils sont en quelque sorte des déserteurs de travail. Si cet état devient perma-
nent, ils préfèrent être à la charge des autres, le plus souvent de la mère qui reste
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Pour cette raison, la question des grèves ne peut pas être dissociée de celle
des conseils des ouvriers. Une influence autoritaire venant d’en haut, fût-elle du
gouvernement, fût-elle du vieux dirigeant habituel, trouve aujourd’hui difficile-
ment assez de résonance psychique parmi les ouvriers justement parce que la
subordination inconsciente fut interrompue avec la chute du règne du père. Mais
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Mais cela ne doit pas se passer ainsi. Les républiques existantes le prouvent.
Certes, elles ont encore conservé beaucoup d’éléments de l’État autoritaire et ne
sont pas à considérer comme des formations étatiques selon le principe d’une
confrérie d’hommes égaux en droits parce que les conditions de propriété et de
travail induisent trop de dépendance et de subordination au sens du rapport du
père-fils. Toujours est-il que cela se fait beaucoup moins valoir en Suisse et en
Amérique que dans les vieux empires. Il est caractéristique pour la république
que les positions ne s’unissent pas durablement dans le même père commun,
mais changent. Nous voyons là une satisfaction du désir d’une figure de père
dans le très fort attachement à des hommes exceptionnels. J’ai eu l’occasion
avant la guerre d’être en contact avec la vénération de la jeunesse américaine
pour Roosevelt dans son fort fanatisme et de voir qu’elle est caractérisée par la
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