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CHAPITRE 20.

L'ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES

Andy Smith
in Thierry Balzacq et al., Traité de relations internationales

Presses de Sciences Po | « Références »

2013 | pages 439 à 466


ISBN 9782724613308
Article disponible en ligne à l'adresse :
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CHAPITRE 20
L’ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES
Andy Smith

Ce chapitre rend compte du rapport complexe mais riche entre les relations inter-
nationales (RI) et l’analyse des politiques publiques (APP). Comparons tout d’abord les
points de vue de deux spécialistes français. D’un côté, dès 1998, Bertrand Badie n’hésite
pas à souligner l’apport de l’APP pour les RI : « L’étude des relations internationales
a fait des progrès sensibles en profitant des réflexions menées par les spécialistes des
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politiques publiques qui nous apprennent que, loin d’être la réalisation d’un hypothé-
tique intérêt national unifié, la politique internationale des États est le produit d’une
composition d’acteurs multiples, gouvernants, partis, bureaucraties, médias, groupes
de pression, porteurs de valeurs, de perceptions et d’intérêts divergents » (Badie, 1998,
p. 47-48). De l’autre, tout au long des années 2000, les éditions successives du manuel
des RI de Dario Battistella ne font aucune référence à l’APP. Bien plus, même si cet
auteur reconnaît désormais que les RI doivent mieux intégrer « certaines dimensions
oubliées ou négligées » du « critère d’anarchie », ce dernier « reste pertinent pour définir
la discipline des relations internationales » (Battistella, 2012, p. 664).
L’écart entre ces deux points de vue peut sans doute s’expliquer par le projet que porte
chacun de ces auteurs pour les RI. Pour Bertrand Badie, les RI sont et doivent être une
composante intégrale de la science politique, tandis que selon Dario Battistella, l’étude
des relations internationales comporte une telle singularité qu’elle doit constamment
chercher son autonomie. Bien entendu, ce débat se trouve au cœur de cet ouvrage,
qui cherche à s’interroger sur « l’identité » des RI, dans l’objectif d’approfondir et
d’équilibrer leur institutionnalisation. Si ce débat passionnel se poursuit presque iné-
vitablement, aujourd’hui, force est toutefois de reconnaître que son caractère dicho-
tomique polarise les parties prenantes davantage qu’il ne les incite à entendre leurs
points de vue respectifs.
C’est la raison pour laquelle nous cherchons ici à décaler notre regard en partant plutôt
de la production contemporaine des savoirs en RI et de sa relation avec l’une des
composantes les plus dynamiques de la science politique : l’APP. Selon nous, ce n’est
qu’après avoir fait un tel détour qu’on peut ensuite revenir sur les questions plus
générales de l’identité et de l’institutionnalisation des RI. Loin de constituer une simple
manœuvre tactique, le choix de cette entrée en matière s’appuie sur le constat que
depuis une quinzaine d’années, un double mouvement a lieu sur le plan de la pro-
duction de connaissances. D’une part, un nombre croissant de chercheurs formés

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TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

initialement en APP s’intéressent de près aux pratiques et aux controverses politiques


qui, en dépassant les frontières nationales, ont longtemps représenté la chasse gardée
de leurs collègues en RI (Hassenteufel, 2005). D’autre part, du moins en France, un
certain nombre d’entre eux se tournent de plus en plus vers l’APP pour les concepts,
les problématiques et les méthodes d’enquête (Petiteville, 2006). En effet, comme le
montrent ces deux séries de travaux, il existe une complémentarité de fait entre ces
deux parties de la science politique. Pour autant, les concurrences, les méfiances et
les malentendus persistent encore et entravent l’établissement d’un dialogue fructueux
durable. Peu de chercheurs formés en APP lisent véritablement leurs collègues en RI
et vice versa. Peu de colloques ou de panels les réunissent, même ponctuellement. Peu
de programmes de recherche combinant les forces de ces deux composantes de la
science politique sont conçus, financés et mis en œuvre. Trop de politistes persistent
à caricaturer l’APP et les RI comme des ensembles homogènes et des sous-disciplines
à part. Trop de spécialistes d’APP et des RI se déconsidèrent mutuellement faute d’avoir
fait l’effort de véritablement comprendre le questionnement de fond, les controverses
scientifiques et les démarches de recherche de chacun.
Afin de poser quelques prémisses pour sortir de ces oppositions stérilisantes, ce texte
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propose une lecture du développement et de l’évolution de l’APP qui l’analyse moins
comme une science « des politiques publiques » et davantage comme une démarche
de recherche sociologique pour saisir le gouvernement des espaces politiques à
diverses échelles en dépassant celle de l’État-nation. Sous cet angle, nous verrons
que de nos jours, l’APP se prête bien à l’étude de nombreux enjeux « internationaux ».
Qui plus est, afin d’améliorer la production des connaissances sur ces derniers, un
rapprochement avec les chercheurs formés en RI est incontournable. Pour autant, le
chemin vers un tel niveau de coopération semble très difficile à trouver pour le plus
grand nombre de chercheurs intéressés dans les deux « camps ». Plutôt que de saisir
l’opportunité de pouvoir profiter des acquis respectifs des RI et de l’APP, on craint
trop souvent un « adversaire » à qui l’on prête spontanément, et sans preuves réelles,
une volonté d’hégémonie.
Rédigé par un chercheur formé en APP qui, en passant par l’étude de l’Union euro-
péenne, s’intéresse de plus en plus aux questions « internationales », ce texte présente
et défend ce point de vue en trois temps1. Il cherche tout d’abord à répondre à la
question : qu’est-ce qu’une approche en termes d’action publique des enjeux de poli-
tique internationale ? Étant donné la méconnaissance d’une telle approche chez la
plupart des spécialistes des RI, voire des politistes, on présentera d’abord un bref exposé
de l’intérêt de cette question pour les sciences du politique en général. Une fois ces
bases posées, nous pourrons dans un deuxième temps prendre la mesure du comment
et du pourquoi les tenants de cette approche se sont progressivement mis à « bra-
conner » sur les terres anciennement réservées aux RI et, inversement, pourquoi cer-
tains spécialistes de ces dernières empruntent de plus en plus les outils de l’APP. Notre

1. Ce faisant, il prolonge une première réflexion entamée avec Franck Petiteville (Petiteville et Smith, 2006).
En remerciant ce dernier, ainsi que Thibaud Boncourt, de leur contribution indirecte à notre réflexion, nous
tenons à souligner que les thèses défendues ici, ainsi que les imperfections qui restent, sont de la seule
responsabilité de l'auteur.

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L’analyse des politiques publiques

interrogation portera enfin sur l’impact en France2 d’une telle démarche sur la
recherche en RI en termes de publications et de pratiques quotidiennes. Sans être
négligeable, celui-ci demeure plus que fragile, notamment parce que tout en parta-
geant les mêmes bases épistémologiques et ontologiques, l’APP demeure étrangement
éloignée de la sociologie des RI à la française.
Plus globalement, ce texte cherche à montrer que, notamment pendant « une époque
d’interdépendance admise » (Hay, 2010), l’autonomisation épistémologique des RI par
rapport au reste de la science politique la conduirait dans une impasse et limiterait
sérieusement sa production de savoirs cumulatifs. Dans tous les cas, il est plus que
nuisible que les spécialistes des RI et de l’APP continuent à s’ignorer ou à se méfier
les uns des autres. Pour chacune des disciplines, le développement d’identités plus
sereines, fondées sur une connaissance de soi et de l’autre plus approfondie, constitue
la seule solution pour mettre fin à des craintes de « subordination » ou d’impérialisme
infradisciplinaire qui n’ont plus lieu d’être.

QU’EST-CE QUE L’ANALYSE DES POLITIQUES


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PUBLIQUES ?
Pour répondre à cette question, les définitions données dans les manuels récents d’APP
fournissent un point de départ utile. Ainsi, selon Patrick Hassenteufel, « les politiques
publiques correspondent à l’ensemble des actions de l’État. L’étude des politiques publi-
ques est donc l’étude de l’État en action » (Hassenteufel, 2008, p. 7). De manière simi-
laire, pour Daniel Kübler et Jacques de Maillard, « les politiques publiques sont au
cœur du questionnement sur le mode de gouvernement des sociétés contemporaines »
(Kübler et Maillard, 2009, p. 8). On voit donc bien que le cœur du métier des chercheurs
en APP demeure ce qu’on appelait autrefois en France « la sociologie de l’État ». Pour
autant, de telles définitions nous éclairent peu sur la pratique de recherche des spé-
cialistes de l’APP et, plus généralement, sur ce qui anime leur travail. Afin d’éclairer
ces points essentiels, il est plus judicieux de décrire successivement les outils d’analyse,
les interrogations récurrentes et les techniques d’enquête favorisées qui, pris ensemble,
façonnent l’objet et le « savoir-faire » de cette partie de la science politique.

Un faisceau de concepts cohérents


De nombreux politistes non spécialistes de l’APP reprochent souvent à cette dernière
son langage « jargonnesque » et excessivement codé. S’il n’y a pas de doute que certains
écrits en APP renforcent cette image en portant trop la marque d’une conversation entre
hyperspécialistes, les publications les plus réussies (par exemple Jobert et Muller, 1987 ;
Muller, 1990 ; Lascoumes et Le Galès, 2004) sont tout à fait accessibles à un public plus

2. Cette analyse se limite au cas français pour des raisons de temps et d'espace. Toutefois, nos connais-
sances plus ou moins anecdotiques sur d'autres communautés scientifiques nationales, notamment celle du
Royaume-Uni, nous poussent à faire l'hypothèse que des phénomènes similaires existent ailleurs.

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TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

large. Il importe plutôt de comprendre que l’APP représente une approche cumulative
du politique qui s’est progressivement développée autour d’un certain nombre de
concepts clés. En ne présentant ici que quatre d’entre eux (l’acteur, la décision, le
« problème public » et les instruments d’action publique), on mettra en évidence ce que
l’APP doit à la sociologie et, ce faisant, à un mode de théorisation qui « doit servir avant
tout à bien construire l’objet d’analyse, à proposer une simplification du réel convain-
cante et qui résiste à l’épreuve empirique » (Kübler et Maillard, 2009, p. 14).

L’acteur
Dans le cadre de l’APP, l’acteur peut être un ministre, voire un chef d’État. Mais le
plus souvent, les acteurs étudiés sont des organisations (par exemple le ministère des
Affaires étrangères) ou les segments de telles instances (son bureau de la Chine). En
effet, en s’inspirant de la sociologie des organisations (Friedberg, 1993), l’une des
toutes premières questions que soulève un spécialiste de l’APP, lorsqu’il démarre une
recherche se résume à : quel processus d’organisation a participé à la formulation des
préférences défendues par tel acteur ? Cette question est familière, bien entendu, à tout
spécialiste des RI qui a lu l’ouvrage classique de Graham Allison (1971) sur la crise de
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Cuba au début des années 1960. Après avoir présenté d’autres lectures de la gestion
de ce moment crucial dans les relations entre les États-Unis et l’Union soviétique,
Graham Allison privilégie une analyse en termes de bureaucratic politics qui souligne
l’influence des tensions au sein de l’état-major américain. Plus exactement, grâce à
cette perspective, l’auteur montre l’impact des structures et des règles organisation-
nelles sur le comportement des représentants d’instances comme la Marine.
Partant du constat de l’importance de facteurs infra-organisationnels, une recherche
en APP enchaîne généralement sur une deuxième question concernant les interactions
et les relations interorganisationnelles qui se tissent entre les acteurs (par exemple,
entre les ministères des Affaires étrangères et de la Défense). Ici les concepts tels que
« l’ordre local » (Friedberg, 1993) ou, plus fréquemment, le « réseau d’action publique »
(Marsh et Rhodes, 1992 ; Le Galès et Thatcher, 1995) sont utilisés afin de saisir les
causes et les effets de cette interdépendance interorganisationnelle. Il importe de savoir
que le concept de réseau peut être utilisé de manière plus ou moins formalisée. Pour
certains, il n’est guère plus qu’un outil descriptif qui aide le chercheur à ordonner et
à présenter la multiplicité d’acteurs intervenant dans un secteur. D’autres, toutefois,
raccordent le concept de réseau à des méthodologies qui visent à mesurer la fréquence
et la densité des échanges entre les acteurs étudiés. Si cette dernière approche a pu
être utilisée avec bonheur par des sociologues étudiant les populations « ordinaires »,
force est toutefois de constater qu’elle s’applique plus difficilement aux acteurs de
l’action publique et des relations internationales. Il n’en reste pas moins vrai que cet
intérêt pour la proximité développée entre acteurs travaillant pour différentes orga-
nisations demeure au cœur de toute recherche en APP.

La décision
Étroitement lié à cette préoccupation, le deuxième concept central pour l’APP est celui
de la décision. Si une partie importante du travail du chercheur en APP consiste à

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L’analyse des politiques publiques

expliquer les causes et les effets d’une décision publique (par exemple, la suspension
du service militaire en France), le curseur analytique n’est presque jamais mis sur le
moment décisionnel formel (la prononciation d’un discours ou l’adoption d’une loi).
Au contraire, l’APP s’intéresse de près à l’ensemble des processus et des échanges qui
ont contribué à façonner un tel acte, soit en amont, à travers les phénomènes de
cadrage et de sélection parmi des alternatives (voir infra), soit en aval à travers la
multiplicité de micro-décisions qui constituent la mise en œuvre d’une action publique.
De même, tout en partageant l’intérêt d’autres parties de la science politique pour les
séquences particulières de l’action politique (par exemple, la mise sur l’agenda ou la
médiatisation), l’APP cherche constamment à éviter d’être prisonnière de lectures
excessivement linéaires d’une décision publique. En effet, tout l’intérêt de la critique
du modèle « séquentiel » des politiques publiques consiste à montrer le caractère désor-
donné, voire chaotique, de la plupart des processus de décision publique (Muller, 1990).
Cette critique montre que, bien souvent, les décisions d’agir sont prises avant que les
préférences des acteurs ne soient stabilisées. On le voit avec la suspension du service
militaire français au milieu des années 1990. Mais la critique du « séquentialisme »
pousse également le chercheur à observer de près la mise en œuvre d’une politique
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publique en tant que phase durant laquelle des décisions cruciales peuvent intervenir.
C’est notamment le cas lors de la mise en application de la professionnalisation des
armées françaises qui a impliqué des débats approfondis sur la forme et le sens contem-
porains de « la condition militaire » (Joana, 2004).
Au total, cette manière d’aborder la décision présente le grand intérêt de réfuter les récits
qui « héroïsent » l’intervention d’un seul acteur (le général de Gaulle pour la création de
la Cinquième République ; Jacques Delors pour la relance de l’intégration européenne
en 1985, etc.). Si le reste des sciences sociales n’est pas à l’abri de ce type d’analyse
simpliste, il apparaît qu’une partie des RI semble avoir encore plus de mal à s’en défaire.
Forte de plus de cinquante ans de lutte contre ce décisionnisme, l’APP fournit donc un
appui solide pour tout chercheur en RI souhaitant analyser de près le caractère non
linéaire, mais non pas aléatoire, de la décision publique.

Les problèmes publics


En effet, afin de saisir l’épaisseur de la décision, les chercheurs en APP consacrent
toujours une partie importante de leurs recherches aux processus et aux interactions
qui ont cadré le problème public auquel une intervention publique est censée remédier.
S’inspirant ici d’une sociologie des « problèmes sociaux » (Gusfield, 1981), la question
de fond qui se pose est : quand et comment un disfonctionnement social est-il défini
comme méritant une intervention publique ? À partir du « problème de l’alcool au
volant » dans la Californie des années 1970, Joseph Gusfield montre non seulement
que ce problème aurait pu être qualifié autrement (par exemple, comme celui de la
vitesse excessive des voitures), mais aussi que certains acteurs ont longuement travaillé
à le cadrer ainsi (les fabricants d’automobiles américains). Depuis, la recherche sur les
« problèmes sociaux » est prolongée par les spécialistes des « problèmes publics »
(Rochefort et Cobb, 1994), avant de pénétrer des champs d’étude comme celui de
l’intégration européenne (Campana et al., 2007). Ainsi, armé du concept de « problème

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TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

européen », on se demande à partir de quand, et après quels échanges politiques, a


émergé un consensus inter- et infragouvernemental sur la thèse d’un salut de l’éco-
nomie européenne passant par l’achèvement d’un marché unique et par la mise en
place d’une politique monétaire communautaire.
Pour les chercheurs en APP, le concept de problème public permet d’abord de remonter
à la genèse d’une décision publique en prêtant attention aux phénomènes cognitifs et
symboliques. Mais il facilite également l’intégration dans l’analyse du rôle joué dans ces
processus par des acteurs tels que les experts scientifiques, les consultants privés ou les
médias. En effet, aujourd’hui, l’analyse de la construction de la réputation, voire des
carrières des « experts », s’impose presque d’office comme un questionnement de base
de tout chercheur en APP. Questionnement que l’on retrouve dans le champ d’étude de
l’intégration européenne au sein duquel les sources du cadrage des « problèmes euro-
péens » demeurent incertaines et, par conséquent, stimulantes à analyser (Robert, 2010).

Les instruments d’action publique


Cet intérêt de l’APP pour le cadrage des enjeux et pour les batailles entre « experts »
figure également dans le quatrième concept central : l’instrument d’action publique.
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Défini comme « un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports
sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des
représentations et des significations dont il est porteur » (Lascoumes et Le Galès, 2004,
p. 13), un tel instrument cherche à faire « le lien entre l’orientation de la politique
publique (représentation du problème) et sa matérialisation résultant de son application
à un (ou des) public(s) » (Hassenteufel, 2008, p. 9). Plus concrètement encore, un instru-
ment d’action publique représente un mode d’intervention gouvernementale dans la
société et peut prendre plusieurs formes : celle d’une règle (une loi interdisant les
monopoles économiques), d’une norme (un standard de comptabilité publique qui caté-
gorise les faits sociaux) ou d’un système de subvention (pour les régions « défavori-
sées »). Ce qui importe surtout ici, c’est de comprendre que si chaque chercheur en APP
doit maîtriser la technicité de chacun des instruments qui pèsent sur le gouvernement
de « son » sujet d’étude (par exemple, le secteur du vin), l’objectif de sa recherche n’est
pas de la décrire. En restant davantage dans un registre analytique, il cherche plutôt à
identifier les origines de l’instrument et ses effets en termes de distribution des res-
sources, et donc du pouvoir, sur les publics visés par ceux qui le mettent en œuvre (par
exemple, l’impact sur les entreprises viticoles d’une limitation de l’usage des pesticides).
Notons toutefois que certains chercheurs travaillant sur les objets classiques des RI
considèrent que cette perspective sur les instruments de l’action publique mérite d’être
radicalisée. Par exemple, selon un spécialiste de la politique étrangère européenne,
Yves Buchet de Neuilly, « les instruments ne renvoient pas seulement à des modalités
préférentielles de gestion des “problèmes” publics. Les instruments sont eux-mêmes
et pour eux-mêmes des enjeux majeurs de l’action. Et la prise en charge d’un « pro-
blème » permet alors, en premier lieu, de valider et de consolider l’instrument (qui est
lui-même, bien sûr, une répartition du pouvoir) » (Buchet de Neuilly, 2011, p. 39).
Dans une perspective similaire, Thierry Balzacq montre empiriquement comment un
instrument d’action publique – l’échange d’informations – devient la pièce maîtresse

444
L’analyse des politiques publiques

d’une politique de sécurité intérieure européenne fortement marquée par les profes-
sionnels de la sécurité et la dépolitisation des enjeux (Balzacq, 2008). De manière plus
générale, d’autres spécialistes des RI comme Guillaume Devin considèrent que dans le
domaine des régulations qui dépassent le cadre national, les instruments se sont his-
toriquement diversifiés en plusieurs types (traités, principes, normes, codes de conduite,
etc.). Toutefois, selon Guillaume Devin et Claude Gauthier (Devin et Gauthier, 2003),
la réglementation n’est aujourd’hui qu’un pôle extrême situé sur un continuum
construit autour de deux indices de normativité : la précision de la règle et sa force.
Ce qui importe surtout, c’est que les instruments de régulation à cette échelle connais-
sent une diversité intra- et infrasectorielle qui nécessite de nouveaux éclairages.
Finalement, et comme ce dernier point sur les instruments permet de le souligner, ni
l’APP, ni ses concepts centraux n’ont été conçus comme des moyens pour redécrire
dans un langage savant, voire ésotérique, ce que sont les politiques publiques. Au
contraire, les outils théoriques développés au sein de cette partie de la science politique
guident et forcent les chercheurs qui les adoptent à structurer leurs recherches et leurs
publications autour d’analyses rigoureusement problématisées de l’action publique et,
ce faisant, de la politique.
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Un triple questionnement constamment revisité
La deuxième source de cohérence interne pour l’APP provient du constat que ses
spécialistes tournent tous autour de trois interrogations fondamentales (Hassenteufel,
2008, p. 9). Pourquoi les politiques publiques sont-elles mises en place ? Comment les
acteurs impliqués agissent-ils ? Quels sont les effets de l’action publique ?

Le pourquoi des politiques publiques


Comme nous l’avons vu plus haut, la première de ces questions renvoie tout d’abord à
la genèse de chaque action publique et à la définition du problème public que ce
processus a connu. Mais une telle problématique ne se résume pas simplement à « la
recherche des origines » des politiques publiques. De manière aussi importante, la
recherche qui s’inspire de l’APP vise à expliquer leur reproduction et leur changement.
En effet, partant du constat empirique qu’une fois établie, une politique publique tend
à être maintenue en place, l’APP développe une série d’hypothèses, parfois complé-
mentaires, parfois concurrentes, sur les causes de telles « institutionnalisations ». Pour
certains, l’absence de changement s’explique surtout par les « coûts de transaction »
élevés qu’implique tout changement de politique publique (Pierson, 2000), tandis que
pour d’autres, l’explication d’une telle inertie se trouve davantage dans la sociologie
des acteurs concernés (Genieys et Smyrl, 2008). Cela dit, l’APP ne s’intéresse pas uni-
quement à la reproduction et à l’institutionnalisation de l’action publique. Au contraire,
depuis la dernière décennie, elle cherche plus systématiquement à saisir et à expliquer
le changement de l’action publique et notamment son rapport avec l’évolution des
espaces politiques (Fontaine et Hassenteufel, 2002). Qu’il s’agisse des évolutions
des rapports centre/périphérie (Carter et Pasquier, 2010), de celles liées à l’intégration
européenne (Radaelli, 2001) ou encore de celles que l’on associe à « la globalisation »

445
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

(Jullien et Smith, 2008), les causes du changement des actions publiques sont forcément
au cœur de l’APP. Or, si un tel ordre de changement intéresse un grand nombre de
politistes, et notamment ceux spécialisés dans les RI, c’est surtout au sein même de
l’APP que sa théorisation a connu le plus d’investissement et de développement. Plus
exactement, en dépassant les explications en termes de « chocs exogènes », la recherche
en APP construit comme défi permanent l’analyse de la construction des politiques
publiques au sein de secteurs ou de « réseaux » de politiques publiques. Sans être auto-
nomes par rapport à des acteurs et des influences externes, ces derniers constituent les
« sites » centraux et durables de telles constructions.

Comment les acteurs s’impliquent-ils


dans les politiques publiques ?
La deuxième question fondamentale de l’APP – comment agissent les acteurs ? – renvoie
aux trois concepts explicités plus haut : la décision, les problèmes publics et les instru-
ments d’action publique. Étant donné que, dans la plupart des espaces politiques étudiés
sous cet angle3, chaque décision représente le produit d’un processus long qui implique
une multitude d’acteurs, l’APP cherche avant tout à reconstituer l’ensemble des inter-
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actions et des échanges pertinents. Afin de préciser cette piste, nous proposons un déve-
loppement du concept de « travail politique » pour guider le chercheur vers l’analyse
concomitante de deux phénomènes : la problématisation et la politisation (Jullien et
Smith, 2008). Le premier concerne la « mise en problème » d’un enjeu social, ou les
tentatives pour infléchir un « problème public » déjà institutionnalisé. On peut citer un
exemple empirique que nous développons plus longuement ci-dessous (Smith, 2008b) : au
début des années 1990, des entreprises et des interprofessions agro-alimentaires euro-
péennes se sont mobilisées pour transformer un enjeu commercial – « l’usurpation » de
noms d’aliments liés à certaines régions (le jambon de Parme ou le foie gras du Sud-Ouest
de la France) – en un « problème » méritant l’intervention de l’Union européenne. Grâce à
un travail d’argumentation et de constitution d’alliances, elles ont finalement réussi à faire
adopter une directive européenne protégeant ces « indications géographiques » et à peser,
cette fois-ci à l’échelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sur le contenu de
l’accord sur les « Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce »
(ADPIC). Mais tout ce travail de problématisation n’aurait sans doute pas débouché sur de
tels instruments d’action publique sans le déploiement simultané d’une politisation de ce
« problème » (Lagroye, 2003). En l’occurrence, les acteurs concernés ont réussi à traduire
leur enjeu en un problème « d’intérêt général », et cela notamment à travers l’invocation
répétée de symboles chargés de sens social (les paysans d’Europe, l’alimentation « authen-
tique » et « culturelle », etc.). En résumé, c’est à travers des concepts comme « le travail
politique » que l’APP cherche, le plus systématiquement possible, à mettre en lumière
comment les acteurs fabriquent et mettent en œuvre des interventions gouvernementales.

3. Jusqu'ici, l'APP a surtout été développée et appliquée dans les pays occidentaux, c'est-à-dire dans les
espaces politiques où les gouvernements autoritaires se font rares. Cela étant, certains chercheurs, notam-
ment Dominique Darbon, préconisent à juste titre un usage adapté de l'APP même dans les pays non
démocratiques.

446
L’analyse des politiques publiques

Les effets des politiques publiques


Enfin, la troisième et dernière interrogation fondamentale de l’APP concerne les effets
de l’action publique, c’est-à-dire son impact sur les sociétés et les espaces politiques
concernés. Il importe ici de contester une ambiguïté parfois prêtée à cette partie de la
science politique qui voudrait qu’elle évalue elle-même l’impact social et économique
des politiques publiques. Certes, les consultants qui, depuis une quinzaine d’années
en France, effectuent de telles évaluations pour le compte des pouvoirs publics sont
de plus en plus souvent formés en APP (Matyjasik, 2010). Pour autant, les chercheurs
spécialisés en ce domaine n’effectuent presque jamais de telles évaluations. En
revanche, ce courant de recherche prête une grande attention à la manière dont est
évalué l’impact des politiques publiques, afin notamment d’y pointer les phénomènes
de pouvoir qu’implique généralement ce processus. De manière plus générale, la
recherche en APP s’intéresse donc de près à la question des éventuelles redistributions
de ressources que peuvent provoquer la mise en place ou le changement d’une poli-
tique publique, ainsi que son évaluation (qu’elle soit formalisée ou « spontanée »).
Ainsi, notre recherche sur l’institutionnalisation des « indications géographiques » pour
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les produits alimentaires européens montre qu’elle a eu un impact considérable sur la
définition des agriculteurs éligibles pour produire du foie gras dans le Périgord et ainsi
sur l’expansion rapide de ce secteur. Autrement dit, la question de fond d’un chercheur
en APP inclut aussi une préoccupation pour les évolutions dans la légitimité, et donc
pour le pouvoir des acteurs concernés, ce qui l’éloigne de manière significative des
problématiques de la plupart des sciences économiques ou de gestion.
En résumé, s’il va sans dire que chaque recherche effectuée à l’aide de l’APP comporte
des questionnements plus spécifiques ou originaux, et il importe de comprendre que ces
trois interrogations fondamentales – le pourquoi, le comment et l’impact – contribuent
fortement à la cohérence et à la cumulativité de cette partie de la science politique.

Une méthodologie d’enquête largement partagée


Si les concepts et les questionnements stabilisés et enrichis au fil des années participent
donc à ce qui fait la formation de base d’un chercheur en APP, ils sont fortement
connectés à sa troisième composante clé : la méthodologie d’enquête utilisée. En effet,
et plus généralement, cette partie de la science politique, comme bien d’autres mais
pas nécessairement l’ensemble des RI, trouve une majeure partie de son unité dans
l’importance fondamentale qu’elle accorde aux « terrains » empiriques et surtout à la
manière dont on les construit et dont on les investit.
Cette importance de la méthodologie transpire tout d’abord dans la préparation des
protocoles d’enquête. Chaque année, les enseignants en APP insistent ainsi auprès de
leurs étudiants en master : plutôt que d’investir un sujet d’actualité « tête baissée » en
prenant pour argent comptant les informations officielles et les comptes rendus de
journalistes, chaque étude en APP passe d’abord par une phase de construction de
l’objet. C’est l’occasion de bien s’imprégner des écrits scientifiques existant sur le sujet,
ainsi que des controverses analytiques au sein desquelles il importe de se situer. Cette

447
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

première étape vers la cumulativité aboutit logiquement à une deuxième qui consiste
à développer une problématique ainsi que les hypothèses spécifiques à l’objet grâce
aux acquis théoriques de l’APP. Afin d’illustrer ce point, revenons à notre étude des
indications géographiques (IG) alimentaires. Les financiers de l’enquête – la chambre
d’agriculture, le conseil régional et la préfecture de la région Aquitaine – n’ont ini-
tialement souhaité qu’un « bilan » de l’impact économique et organisationnel des IG
sur l’industrie agro-alimentaire locale. Une bonne partie du début de l’enquête a donc
consisté à élargir et à approfondir ce thème pour y inclure les représentations des
« problèmes » individuels, collectifs et publics au sein de cette industrie, ainsi que les
interdépendances entre les acteurs, comme éléments de contextualisation de l’appro-
priation des IG en tant qu’instrument d’action publique. Notre objet est ainsi devenu
la redistribution éventuelle du pouvoir au sein d’un secteur régionalisé.
Une fois l’objet de recherche construit, il s’agit ensuite de passer à la sélection et à la
circonscription des terrains. Ici, l’APP n’a pas de formule à appliquer car tout dépend de
ce que l’on veut découvrir et des hypothèses à vérifier. Dans certains cas, les études
monographiques sont appropriées, alors que dans biens d’autres, la comparaison inter-
territoriale et/ou intersectorielle s’impose (Hassenteufel, 2000). Ici, l’un des critères
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déterminants est forcément « l’étudiabilité » de l’objet. Nécessite-t-il une équipe de
recherche ou un chercheur individuel suffit-il ? De combien de temps dispose-t-on ?
Quel budget faut-il et comment l’obtenir ? Ces questions matérielles s’enchevêtrent
enfin, et peut-être surtout, avec celle de l’accès aux données et aux acteurs concernés.
Avoir un financement de la chambre régionale d’agriculture peut certes entraîner des
contraintes, mais aussi grandement aider à ouvrir des portes difficiles d’accès.
La troisième étape méthodologique d’une enquête en APP concerne encore plus direc-
tement la génération d’informations et de données à même de vérifier et de faire évoluer
les hypothèses. Si les techniques d’enquête privilégiées dans cette partie de la science
politique sont essentiellement qualitatives, contrairement à ce que pensent certains
« quantitavistes », ce n’est pas pour autant qu’elles sont dénuées de contenu et de
réflexivité scientifique. Au contraire, un tel engagement se lit d’abord dans l’analyse
documentaire pratiquée par tout spécialiste de l’APP. Même si relativement peu d’entre
eux utilisent actuellement les outils de l’analyse formelle du discours (comme le logiciel
ALCESTE), une attention systématique doit constamment être accordée à la production,
au contenu et à l’usage des documents pertinents, tels que les rapports d’expertise, les
prises de position par site web ou les discours publics. Mais afin d’étudier le sens et la
portée de tels « artifices » politiques, une enquête en APP ne peut jamais se passer de sa
technique méthodologique majeure : l’entretien semi-directif. S’il va de soi que cette
technique d’enquête est loin de constituer le monopole de l’APP, il importe de souligner
qu’au sein de cette démarche de recherche, on y consacre davantage de débats et de
réflexions collectifs. Pour n’en donner qu’un seul exemple, à la suite d’une certaine mise
en question de la manière dont on pratique les entretiens en APP (Bongrand et Laborier,
2005), Gilles Pinson et Valérie Sala Pala ont publié une mise au point approfondie et
éclairante sur l’usage de cette technique d’enquête. Selon eux, et tous les spécialistes de
l’APP y souscriraient, « l’entretien peut produire des données fiables aussi bien sur les
processus historiques d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques [...] que

448
L’analyse des politiques publiques

sur les pratiques effectives des acteurs et des représentations sous-tendant ces pratiques
[...] ; dans nombre de cas, il est même la meilleure (ou la seule) voie pour y parvenir »
(Pinson et Sala Pala, 2007, p. 557).
Enfin, les préoccupations méthodologiques communes aux spécialistes de l’APP ne
s’arrêtent pas avec la fin de l’enquête empirique parce que sa restitution écrite nécessite
aussi une attention particulière. Celle-ci concerne avant tout les plans adoptés pour
présenter et analyser les données à l’aide d’une écriture disciplinée. À nouveau, et bien
entendu, cette préoccupation traverse la science politique. Mais force est de reconnaître
que c’est notamment au sein de l’APP, et en particulier autour de la restitution des
enquêtes comparatives, que « la mise au garage » des enquêtes a suscité une réflexion
cumulative (Maillard et Smith, 2004 ; Hassenteufel, 2000).
En résumé, une méthodologie relativement stabilisée, voire standardisée, constitue
pour une partie importante « la marque de fabrique » de l’APP. Plus généralement, elle
contribue de manière significative à la cohérence de celle-ci en tant qu’approche de
l’analyse politique. Si certains, y compris l’un de ses fondateurs (Thoenig, 1996), ont
pointé les risques d’une certaine « routinisation » de la production des connaissances,
il semble plus juste de considérer que ceux-ci peuvent être surmontés par des travaux
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de qualité qui, surtout, demeurent ouverts aux apports d’autres parties de la sociologie
politique (Hassenteufel et Smith, 2002). C’est cette exigence d’ouverture qui nous
pousse à réfuter la catégorisation de l’APP comme sous-discipline de la science poli-
tique et, à l’inverse, à la considérer comme une démarche de recherche à même d’être
combinée avec celles d’autres chercheurs animés par l’analyse du travail
gouvernemental.

UN CROISEMENT GRANDISSANT ENTRE L’APP


ET LES RI : DES DÉBUTS PROMETTEURS
C’est sans doute ce potentiel de développement de l’APP, voire sa malléabilité, qui en
fait actuellement une force de propositions pour les RI à une époque que Colin Hay
qualifie « d’interdépendance admise » (Hay, 2010). D’ailleurs, son introduction à
l’ouvrage collectif New Directions in Political Science apporte à maints égards un
soutien considérable à ce chapitre. Tout d’abord, Colin Hay souligne qu’il existe
aujourd’hui « une reconnaissance croissante du hiatus entre le caractère global des
problèmes contemporains et l’identité nationale des institutions qui tendent à être
déployées afin de les solutionner » (Hay, 2010, p. 1-2). Ensuite, il montre que si le
monde a changé, « notre compréhension de celui-ci doit aussi le faire, tout comme la
manière dont nous nous organisons afin de générer cette compréhension » (Hay, 2010,
p. 9). Enfin, il conclut que le défi intellectuel et organisationnel le plus important pour
les politistes contemporains n’est rien d’autre que d’actualiser les « définitions conven-
tionnelles à la fois de la science politique et des relations internationales et, surtout,
celle de la division du travail entre les deux » (Hay, 2010, p. 12).
Fort heureusement, un certain nombre de collègues travaillent précisément pour relever
ce défi, parfois depuis longtemps. L’ouvrage classique de Graham Allison (1971) sur

449
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

la décision de la crise de Cuba allait déjà dans ce sens, tout comme de nombreux écrits
de spécialistes français de « la sociologie des relations internationales » (Smouts, 1998).
Plutôt que de rappeler l’apport de ces travaux, résumé ailleurs dans cet ouvrage, nous
avons choisi de braquer les projecteurs sur les publications plus récentes qui, en faisant
un usage explicite de l’APP, tentent d’étudier plus rigoureusement le lien entre les
dimensions « nationale » et « internationale » des enjeux politiques contemporains. Plus
exactement, après avoir présenté des exemples de chercheurs formés en APP qui se
sont aventurés sur les terres des RI, nous décrirons la trajectoire de quelques chercheurs
qui ont fait le chemin inverse. Au cours de ce développement, nous verrons notamment
que ce qui rend possible ces regards croisés ne tient pas seulement à un attachement
général à « la sociologie du politique ». Fondamentalement, les conditions qui permet-
tent et encouragent ce rapprochement théorique et identitaire se trouvent dans le
partage d’une épistémologie et d’une ontologie à la croisée du constructivisme et de
l’institutionnalisme.

La trajectoire APP vers RI


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Dans la même lignée que Colin Hay, Patrick Hassenteufel, l’un des spécialistes de l’APP
les plus connus en France, montre bien l’importance de la « transnationalisation des
politiques publiques » : « non seulement la construction collective de l’action publique
nationale [...] est également le fait d’acteurs supranationaux, mais aussi de nouveaux
modes de construction collective de l’action publique se donnent à voir aux niveaux
européen et international » (Hassenteufel, 2008, p. 18 ; 2005). En termes de recherches et
de publications, jusqu’ici, les chercheurs formés en APP ont surtout investi le versant
européen de cette tendance, notamment autour de la notion d’européanisation (Radaelli,
2001). Mais depuis peu, davantage de travaux commencent à paraître sur les terrains
extra-européens. En présentant trois illustrations qui mobilisent chacune au moins deux
concepts tirés de l’APP – le secteur et la régulation ; l’organisation et l’expertise ;
l’expertise et « le problème public » –, nous chercherons d’abord à mettre en lumière les
déplacements de regard sur l’objet « international » proposés par les auteurs concernés.

Un secteur globalisé : au-delà des visions simplistes


du politique et du « multiniveaux »
Une première illustration mobilise nos propres travaux sur la régulation mondialisée
des industries, et celle de Scotch Whisky en particulier (Smith, 2009), afin de montrer
comment l’APP permet d’approfondir le champ traditionnel de l’économie politique
internationale (EPI) (Blyth, 2009). Au cours d’une enquête qui nous emmène en Écosse,
à Londres, Bruxelles et Genève, le principal défi consiste à montrer l’interdépendance
des acteurs et des règles concernés, sans tomber ni dans la facilité d’une distinction
trop classique entre l’économie et la politique, ni dans celle de la conclusion que nous
vivons dans un monde « multiniveaux ».
Sur le premier point, l’antidote proposé se fonde surtout sur les concepts de secteur
et de régulation (Jobert et Muller, 1987). En conceptualisant l’industrie du Scotch
comme un secteur, une attention majeure est accordée à l’institutionnalisation

450
L’analyse des politiques publiques

progressive des règles et de configurations d’acteurs qui participent à sa stabilisation


et à sa reproduction. En effet, la question centrale de l’enquête devient : comment la
régulation de ce secteur s’articule-t-elle avec l’établissement de l’OMC et la mise en
application des textes fondateurs (notamment ceux concernant les barrières tarifaires
et la propriété intellectuelle : l’accord ADPIC) ? En analysant le travail politique de
nombreux acteurs, ce qui conduit à actualiser au quotidien ces deux enjeux en tant
que « problèmes publics » internationaux, on démontre qu’il est illusoire d’attribuer
l’adjectif « politique » aux seules actions des représentants des pouvoirs publics
concernés. Au contraire, le critère discriminant d’une action politique est plutôt la
mobilisation ou l’enterrement de valeurs (Jullien et Smith, 2011).
De manière similaire, cette recherche nous permet également de contester les analyses
en EPI qui abordent l’émergence de l’OMC comme simplement l’ajout d’un « niveau »
de gouvernement additionnel (Putnam, 1988 ; Meunier, 2005). Partant résolument de
l’analyse sectorielle, il s’agit plutôt de montrer que les industries sont régulées à la
fois par les enchevêtrements singuliers d’arènes et de règles, et par les traductions
spécifiques de régulations trans-industrie (par exemple sur les tarifs et sur les indi-
cations géographiques [IG]). À certains moments, le travail politique dans une indus-
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trie se concentre effectivement « sur Genève ». Mais celui-ci est indissociable, tant en
amont qu’en aval, des actions politiques construites et mises en application ailleurs
(Wolfe, 2005). Ainsi, dans le cas du Scotch, nous montrons que défendre sa propriété
intellectuelle à travers une IG implique simultanément des tentatives de dépolitisation
dans les arènes de transaction multilatérales et des politisations à l’échelle de l’Écosse.
Il s’ensuit que le défi principal pour le chercheur consiste à produire des connais-
sances sur la manière dont les acteurs concernés développent et actualisent les res-
sources politiques qui, selon eux, correspondent à la « logique de conformité » des
sites d’interaction qu’ils investissent, tout en gérant les contradictions qui ne man-
quent pas d’émerger.
Au total, et plus généralement, cette étude de cas participe d’une proposition de pro-
blématisation de « la globalisation » qui ne la réduit ni à des explications structuralistes
désincarnées, ni à une description métaphorique de « niveaux » de gouvernance (Jul-
lien et Smith, 2008). Si pour bâtir cet argumentaire, l’économie industrielle et certains
constructivistes en RI (Wolfe, 2005) constituent des points d’appui essentiels, celui de
l’APP l’est encore plus.

Les organisations internationales en concurrence :


le cas de la FAO
Notre deuxième exemple de recherche effectuée par un chercheur formé en APP sur
un sujet traditionnellement dominé par les RI concerne une agence des Nations unies :
The Food and Agriculture Organisation (FAO). Après avoir passé deux ans d’observa-
tion participante au sein de cette instance, Ève Fouilleux (2009) publie un article
stimulant sur sa faiblesse par rapport à d’autres organisations internationales, notam-
ment la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’OMC. En allant
plus loin, ce texte devrait se lire comme une contribution à un débat scientifique plus
large concernant la concurrence internationale dans la production de normes. En se

451
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

positionnant dans ce débat, Ève Fouilleux reconnaît tout d’abord l’apport des travaux
estampillés « RI » effectués par des auteurs comme Peter Haas, Kathleen McNamara ou
Deborah Stone. Toutefois, son cadre d’analyse, qui met en avant la structure interne
de la FAO et son rapport à l’expertise, doit finalement plus aux chercheurs en APP,
notamment à Bruno Jobert, Pierre Muller ou Vivienne Schmidt, ainsi qu’à ses propres
travaux antérieurs sur la politique agricole commune. En effet, ces sources théoriques
et conceptuelles vont permettre de développer l’hypothèse selon laquelle les difficultés
de la FAO « renvoient à des défaillances dans l’emploi de ses ressources analytiques
et dans la qualité de sa production discursive, qui empêchent la FAO d’apporter une
valeur ajoutée au débat international et d’apparaître comme un interlocuteur légitime »
(Fouilleux, 2009, p. 759).
Mais l’intérêt de cet article réside moins dans la validation de cette hypothèse que
dans la quête de ses trois causes. Selon Ève Fouilleux, la première se résume au manque
d’ouverture intellectuelle et aux cloisonnements bureaucratiques de la FAO elle-même.
Ses cadres sont depuis toujours essentiellement des agronomes qui, depuis une quin-
zaine d’années, se trouvent faiblement armés intellectuellement et peu légitimes, pour
concurrencer les économistes qui dominent les débats mondiaux sur les politiques
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agricoles et la sécurité alimentaire. Déjà marginalisés par ce mode de recrutement, qui
différencie notamment la FAO de la Banque mondiale, ses fonctionnaires sont en outre
souvent divisés entre eux par un organigramme et des règles internes qui portent
toujours la marque d’un passé lointain.
La deuxième raison pour laquelle la FAO n’est plus au centre de ce domaine d’action
publique concerne le pouvoir des pays développés au sein de ses organes de décision.
Certains contribuent à la quasi-totalité du budget de l’instance, bénéficiant ainsi au
moins d’un pouvoir de blocage. Mais, selon Ève Fouilleux, à cette pression budgétaire
s’ajoutent les effets sur la décision interne de « l’indifférence historique de nombreux
pays du Sud à l’enjeu “politique agricole et rural” » (Fouilleux, 2009, p. 780).
Enfin, la troisième et dernière cause de faiblesse de la FAO réside dans son incapacité
à inclure « le forum scientifique » international dans ses réflexions internes et donc
à se doter d’une expertise autonome des grands pays développés ou d’autres ins-
tances internationales. Au contraire des organisations comme la Commission euro-
péenne, « la FAO a tendance à attendre des consultants et des experts qu’ils lui
procurent des idées et des stratégies, au lieu de se servir d’eux comme fournisseurs
d’arguments pour mettre en valeur ses propres propositions, idées et stratégies »
(Fouilleux, 2009, p. 779).
En somme, l’article d’Ève Fouilleux montre à la fois l’importance de l’expertise au sein
des relations internationales contemporaines et celle des outils scientifiques adaptés
pour pouvoir la saisir. Plutôt que d’opposer « les facteurs endogènes et exogènes » de
manière simpliste, son cadre d’analyse structuré par l’APP lui permet d’analyser la
dynamique de la FAO autour de l’influence réciproque de ses caractéristiques infra-
et extra-organisationnelles.

452
L’analyse des politiques publiques

La définition d’un intérêt national :


la Pologne face au « Partenariat oriental » de l’UE
Notre troisième et dernier exemple de recherche effectuée à l’aide d’outils d’APP
concerne un objet classique des RI : la formulation de l’intérêt d’un État en vue de
sa défense au sein des enceintes internationales. Après avoir commencé sa thèse de
doctorat sur la théorie des systèmes internationaux appliquée à l’émergence d’un
« Partenariat oriental » entre l’UE et ses voisins de l’Est, Marie Campain choisit de
bifurquer sur une interrogation à la fois plus structurée par les concepts de l’APP
et plus empirique (Campain, 2010). Partant de l’hypothèse que la genèse de ce par-
tenariat se trouve au sein du pays pour lequel il a suscité le plus de controverses
– la Pologne –, Marie Campain cherche à mettre en lumière les acteurs, les argu-
ments et les stratégies qui façonnent la proposition de l’UE, avant de lui permettre
d’aboutir. Selon elle, le travail de certains acteurs permet non seulement de cadrer
« le voisinage oriental » comme un problème public national et européen, mais éga-
lement de parvenir aux deux échelles à une acceptation relativement consensuelle
de ce dernier.
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Plus généralement, partant du postulat « qu’il n’existe pas vraiment de spécificité
au processus décisionnel de la politique étrangère » par rapport à d’autres politiques
publiques (Campain, 2010, p. 54), Marie Campain considère que la position officielle
de la Pologne concernant le Partenariat oriental ne peut s’étudier qu’à travers la
mise sur l’agenda de ce dernier comme problème méritant un traitement national
et européen. En effet, au cœur de ce processus se trouve une élite composée notam-
ment « des experts ou autres membres de think tanks qui se trouvent en position
d’intermédiaire entre mondes politique et savant, entre niveau national et européen.
[...] Ils aident au cadrage du problème public mais également au déploiement d’une
stratégie en vue de faire adopter le projet au niveau européen » (Campain, 2010,
p. 720-721).
Comme pour Ève Fouilleux, l’accent mis sur l’expertise et son rôle dans la fabrication
des politiques publiques conduit Marie Campain à générer des informations précises
sur la manière dont le champ bureaucratique polonais évolue depuis l’entrée de la
Pologne dans l’UE. En mettant en lumière les apprentissages individuels et collectifs
connus autour de (puis après) cette adhésion, son analyse accorde une importance
centrale « aux savoir-faire européens mobilisés par les acteurs polonais pour assurer
la promotion de leur projet de Partenariat oriental » (Campain, 2010, p. 718).
En résumé, comme les deux séries de travaux décrits plus haut, cette thèse ajoute « une
pierre de plus » aux tentatives de normaliser l’étude de la fabrication des politiques
étrangères et internationales. En mobilisant les outils d’analyse couramment utilisés
dans l’APP, ces auteurs partagent l’ambition de désingulariser la recherche sur les
phénomènes politiques qui dépassent le cadre des États-nations, sans pour autant nier
la possibilité qu’ils comportent des spécificités. Au contraire, loin de vouloir écraser
d’office l’éventuel exotisme des RI, l’objectif est plutôt de les rendre comparables aux
actes, aux forces et aux causes politiques qui jusqu’ici ont généralement été étudiés
aux échelles nationales et infranationales.

453
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

La trajectoire RI vers APP


Si, comme nous venons de le voir, certains spécialistes de l’APP se mettent à transposer
leur démarche de recherche aux sujets classiquement réservés aux RI, qu’en est-il des
chercheurs formés au sein de celles-ci ? Si depuis quelques années, certains affichent,
voire revendiquent (Petiteville, 2006) un plus grand intérêt pour les questions, les
concepts et les méthodes de l’APP, en France comme à l’étranger, cet esprit d’ouverture
n’a pour l’instant produit que très peu d’études et de publications. En résumant briè-
vement les croisements entre les approches en RI et en APP réalisés par deux jeunes
politistes qui dérogent à cette règle – Bastien Irondelle et Cornelia Woll –, il s’agit ici
de montrer la faisabilité et l’apport de telles innovations.

Gouverner la défense :
un renouvellement de l’analyse décisionnelle
Résumé succinctement par l’auteur lui-même, la thèse de doctorat de Bastien
Irondelle répond à deux questions : qui gouverne la politique militaire de la France ?
Comment change-t-elle (Irondelle, 2003) ? Réformée profondément en 1996, notam-
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ment à travers la suspension du service militaire obligatoire, cette politique a
jusque-là toujours été étudiée soit à travers la théorie réaliste en RI privilégiant
l’intérêt « de la France », soit sous l’angle de la bureaucratic politics (Allison, 1971 ;
McKenzie, 1990), c’est-à-dire de la concurrence entre la multiplicité d’acteurs impli-
qués dans la formulation des politiques de défense. Insatisfait par ces explications,
Bastien Irondelle propose à leur place une « analyse décisionnelle » inspirée par les
écrits existant en RI (Cohen, 1998) et par l’APP qui « s’attache prioritairement aux
processus internes de nature politique, bureaucratique ou cognitive qui contribuent
à la formation de la décision (Irondelle, 2003, p. 20). Toutefois, à la différence de
ces deux sources théoriques, sa recherche empirique sur la réforme de 1996 le
conduit à affirmer avec force qu’une place primordiale demeure pour le pouvoir du
président de la République : « le leadership présidentiel est déterminant tant pour la
conduite de la réforme, que pour la formulation des décisions qui en constituent le
cœur. Le processus décisionnel repose sur un mode de relation hiérarchique entre
l’autorité politique et l’administration ou les groupes sociaux concernés » (Irondelle,
2003, p. 26).
Outre le fait que Bastien Irondelle arrive à étayer et à valider cette hypothèse dans sa
propre étude de cas en montrant « la clôture de la configuration décisionnelle »
(Irondelle, 2003, p. 27), l’intérêt plus général de cette recherche réside surtout dans sa
volonté de s’engager véritablement dans un dialogue approfondi et constructif avec
l’approche cognitive de la décision et du changement des politiques publiques qui, du
moins en France, domine l’APP. Selon l’auteur, cette « réforme régalienne » s’explique
avant tout par une variable souvent sous-estimée par les spécialistes des politiques
publiques : le leadership présidentiel ou, plus exactement, la forme particulière qu’il
prend. En considérant que beaucoup de chercheurs en APP minimisent le pouvoir des
dirigeants politiques en opérant « une généralisation hâtive » à partir d’exemples de
décisions plus émiettées, Bastien Irondelle tente au contraire d’identifier les conditions

454
L’analyse des politiques publiques

qui favorisent « les changements non incrémentaux » (Irondelle, 2003, p. 89). Plus
exactement, sa thèse met à jour les ressources politiques développée par le président
Chirac afin d’imposer aux acteurs concurrents sa vision d’une réforme de la politique
militaire de la France.
Par rapport au propos défendu dans ce chapitre, l’intérêt de la thèse de Bastien Irondelle
est donc double. D’une part, elle montre que les politiques de défense ne peuvent plus
être une chasse gardée pour la recherche conduite uniquement à l’aide des théories
des RI. D’autre part, et inversement, cette thèse souligne comment et pourquoi les
questionnements et les concepts développés par des « internationalistes » peuvent venir
enrichir une APP qui, comme tout champ des sciences sociales, court le risque de
s’enfermer dans des problématiques routinisées.

Le commerce extérieur et le lobbying :


une approche de l’EPI centrée sur les acteurs
Notre deuxième exemple de recherche conduite dans le champ des RI à l’aide de l’APP
est l’ouvrage tiré de la thèse de Cornelia Woll (Woll, 2008). Centrée sur la manière
dont les grandes entreprises s’investissent dans des négociations sur la régulation
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internationale du commerce, cette recherche vise surtout à contester le paradigme
dominant dans l’économie politique internationale (EPI) : le structuralisme. Armés de
la théorie des choix rationnels et des données sur les ressources matérielles des entre-
prises et des États, les structuralistes, selon Cornelia Woll, choisissent de postuler
l’intérêt des entreprises plutôt que d’étudier les processus menant à sa définition (Woll,
2008, p. XII). Gênée par cette approche de la génération et de la mobilisation des
données, et plus profondément par l’épistémologie qui les sous-tend, Cornelia Woll
bâtit sa démarche sur l’hypothèse qu’en réalité, les entreprises ne savent pas toujours
ce qu’elles attendent des négociations internationales sur le commerce extérieur. En
s’appuyant sur la sociologie économique (Beckert, 1996) et, plus généralement, sur le
constructivisme (Blyth, 2006), cet ouvrage cherche à montrer que « les firmes sont les
acteurs rationnels et intentionnels, mais que le contenu de cette rationalité est socia-
lement construit » (Woll, 2008, p. 8).
Le livre de Cornelia Woll étaye et valide cette hypothèse en comparant le compor-
tement d’entreprises européennes et américaines dans les négociations internationales
qui se sont déroulées depuis les années 1980 dans deux secteurs de services : les
télécommunications et le transport aérien. Dans chacune de ces études de cas, sa
recherche vise à comprendre pourquoi, au cours de cette période, ces firmes aban-
donnent progressivement la défense acharnée d’un protectionnisme national en
faveur de la libéralisation de leurs secteurs respectifs et, plus généralement, de l’ins-
titutionnalisation de l’OMC. La grille d’analyse développée pour générer les infor-
mations sur cette question repose sur un triptyque – identité, croyances, contexte
stratégique – qui ressemble fortement à l’approche des politiques publiques déve-
loppée par Pierre Muller (1995). Le concept d’identité est mobilisé afin de déterminer
comment les grands fournisseurs de télécommunications, de « champions nationaux »,
deviennent des « acteurs globaux », tandis que les sociétés de transport aérien échan-
gent leur image de « porteuses de drapeaux nationaux » pour celle d’entreprises

455
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

« compétitives » (Woll, 2008, p. 71-77). Ensuite, la campagne d’entretiens menée par


Cornelia Woll avec les dirigeants de ces entreprises lui permet de saisir leurs
croyances respectives et comment, au fil du temps, un certain nombre de « dépla-
cements cognitifs » peuvent avoir lieu (notamment celui qui conduit ces acteurs à
abandonner une préoccupation pour « la réciprocité » en faveur de celle pour les « éco-
nomies d’échelle » : Woll, 2008, p. 111). Enfin, en mobilisant la notion de « contexte
stratégique », Cornelia Woll analyse comment les identités des entreprises et les
croyances de leurs dirigeants sont toujours encastrées dans des environnements poli-
tiques sectoriels et intersectoriels. C’est pourquoi le livre se termine en concluant que
si les identités et les croyances expliquent comment les entreprises changent leurs
préférences respectives, ce sont les « contextes stratégiques » qui déterminent pour-
quoi ils le font (Woll, 2008, p. 151).
Au total, l’approche développée de l’EPI par Cornelia Woll fournit un exemple éclairant
d’un constructivisme inféodé à l’analyse des représentations sociales et des compor-
tements des acteurs qui dirigent les grandes entreprises du monde. Dans ce cas-ci,
l’APP est tellement intégrée dans la grille d’analyse développée que l’auteure ne prend
presque pas la peine de le signaler. Comme pour Bastien Irondelle, la fertilisation
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croisée des questionnements, des concepts et des méthodes de recherche en RI et en
APP débouche sur une lecture stimulante d’objets qui, jusque-là, ont été dominés par
les internationalistes plus intéressés à défendre leur pré carré respectif qu’à s’ouvrir
aux sources potentielles du renouvellement théorique.
Pris dans son ensemble, ce dernier paragraphe montre que pour les chercheurs initia-
lement formés en RI et en APP, un voyage chez leur « voisin » scientifique est plus
que salutaire. Si le ticket d’entrée peut sembler cher en termes de lecture et d’échanges
au sein de colloques et de séminaires « étrangers », il ouvre les portes à l’innovation
conceptuelle et méthodologique. Toutefois, il montre aussi que les portes ne peuvent
s’ouvrir que lorsque certaines conditions sont réunies, avant tout celles de partager la
même base épistémologique, ontologique et méthodologique. Sans forcément le reven-
diquer eux-mêmes, l’ensemble des chercheurs mentionnés dans ce paragraphe sont
constructivistes, possèdent une ontologie du monde politique institutionnaliste et, dans
leurs enquêtes respectives, pratiquent tous la méthode sociologique. À l’inverse, il ne
sert à rien de chercher à croiser les regards des RI et de l’APP si les parties prenantes
sont partisans des choix rationnels, du structuralisme ou de l’analyse politique sans
recherche de terrain.

LA FRAGILITÉ DU COUPLE APP-RI : INDIFFÉRENCE


MUTUELLE, CONCURRENCES ET MALENTENDUS
Fort heureusement, il existe, du moins en France, beaucoup de chercheurs en APP, et
un certain nombre en RI, qui combinent un engagement aux postulats constructivistes,
institutionnalistes et sociologiques. On pourrait donc penser que ce pays constitue un
terreau propice pour le développement du couple APP-RI. Or une telle floraison n’a
pas encore vu le jour, et les résistances à une telle évolution demeurent.

456
L’analyse des politiques publiques

Un impact faible sur les publications


Objectiver de manière rigoureuse l’indifférence, voire l’ignorance mutuelle, qui marque
le rapport entre les RI et l’APP impliquerait un travail bibliométrique gigantesque qui
dépasserait largement l’ambition de ce texte. Idéalement, il faudrait rassembler
l’ensemble des supports de publication en langue française et anglaise utilisés par les
chercheurs de ces deux traditions de recherche pour recenser les citations croisées
éventuellement présentes au sein d’un tel corpus. Beaucoup plus modestement, nous
réduirons ce dernier, d’une part, aux manuels et aux dictionnaires français, d’autre part,
aux dix dernières années d’articles publiés dans deux revues comparables : la Revue
française de science politique (RFSP) et la Revue canadienne de science politique (RCSP).
Sous le premier angle, du côté des écrits canoniques en RI, le résultat est sans appel :
la recherche en APP n’est quasiment jamais citée. Le manuel de Dario Battistella fait
référence à un seul auteur – Graham Allison (1971) – qui, sans travailler au sein même
de l’APP, y est très largement reconnu et discuté. Le Dictionnaire des relations inter-
nationales (2006) écrit par Dario Battistella, Marie-Claude Smouts et Pascal Vennesson
ne fait guère mieux. Parmi près de cent quatre-vingt entrées, seules quatre d’entre
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elles citent un auteur de l’APP : « Communauté épistémique » (Callon, Lascoumes et
Barthe, 2001) ; « État » (Chevallier, 2004) ; « Politique étrangère » (Kessler, 1999) ; et
« Régulation » (Commaille et Jobert, 1999 ; Majone, 1996 ; Thatcher et Stone-Sweet,
2003). Ensuite, on ne peut qu’être frappé par le fait que des entrées comme « Acteurs »,
« Décision », « Idées » et « Identité » font toutes comme si ces concepts n’étaient abordés
qu’en RI. Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que même les ouvrages sur « la
sociologie des relations internationales » souffrent de cette caractéristique. Le petit
« Repère » sur ce thème de Guillaume Devin (Devin, 2007) évoque à répétition et de
manière stimulante les problématiques et les notions qui sont monnaie courante en
APP4, sans jamais y faire référence.
Qu’en est-il alors de l’APP elle-même ? Nous avons évoqué plus haut pourquoi et
comment un nombre croissant d’auteurs formés dans cette partie de la science poli-
tique analysent de plus en plus les phénomènes « internationaux ». Toutefois, en dépit
de cette tendance, leur connaissance et leurs usages de travaux en RI demeurent
presque nuls. Tout d’abord, le manuel de Daniel Kübler et Jacques de Maillard (Kübler
et Maillard, 2009) ne cite que le fameux livre de Graham Allison, tandis que celui de
Patrick Hassenteufel (2008) ne fait qu’y ajouter les références à Peter Haas (1992), à
Samy Cohen (1998) et à notre propre plaidoyer pour un rapprochement des RI et de
l’APP (Petiteville et Smith, 2006). Ensuite, cette partie de la science politique a éga-
lement son « dictionnaire » régulièrement réactualisé (Boussaguet, Jacquot et Ravinet,
2010). À nouveau, cependant, il tourne le dos aux RI, puisque seulement cinq de ses

4. Par exemple, Guillaume Devin démarre son ouvrage en dessinant le projet scientifique de la sociologie
des RI de la manière suivante : « en bâtissant un cadre d'analyse suffisamment large, l'objectif consiste ainsi
à souligner les continuités et les discontinuités dans les modes d'action, les contraintes et les dynamiques
que les acteurs contribuent à créer, mais dans lesquelles ils sont également plus ou moins involontairement
pris » (Devin, 2007, p. 3-4). G. Devin a néanmoins animé avec Andy Smith, lors du dernier congrès de l'AFSP
(Sciences Po, juillet 2013), un module transversal à la charnière entre RI et APP, « Les politiques interna-
tionales : objets et stratégies de recherche ».

457
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

quatre-vingt-dix entrées comportent des références aux travaux « internationalistes » :


« Communauté épistémique » (Haas, 1992) ; « Décision » (Allison, 1971) ; « New Public
Management » (Allison, 1971) ; « Régulation » (Drezner, 2007 ; Mattli et Woods, 2009)
et l’entrée rédigée par Franck Petiteville, « Politiques internationales », dont toutes les
références proviennent sans surprise des RI. Bien entendu, les textes dans un diction-
naire de ce type sont essentiellement de la responsabilité de leurs auteurs qui, d’ail-
leurs, sont généralement contraints à limiter leurs références à cinq ou six. Mais on
peut quand même légitimement s’étonner du peu de références à la dimension inter-
nationale de l’action publique contemporaine qui s’accompagne en outre de l’absence
d’entrées du type « Transnationalisation » ou « Globalisation ».
Mettons donc de côté ces manuels et ces dictionnaires pour interroger les pratiques de
chercheurs qui publient dans les principales revues de la science politique en France et
au Canada : la RFSP et la RCSP. Bien entendu, les travaux en RI et en APP sont publiés
dans bien d’autres revues. Pour autant, aucun de ces domaines ne possède actuellement
une revue en langue française qui lui soit « propre »5. Par conséquent, si l’on veut publier
un article conséquent en français, c’est généralement vers la RFSP ou la RCSP que se
tournent les chercheurs français et canadiens à la fois en RI et en APP. Selon nos
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calculs6, et comme le montre le tableau ci-dessous, au cours des années 2000, la RFSP
a publié pas moins de 63 textes fortement informés par l’APP et 19 par les RI, tandis
que la RCSP en a publié respectivement 14 et 7. Même si les chiffres pour la RFSP sont
quelque peu biaisés par l’impact de certains numéros spéciaux volumineux, ils confir-
ment très largement la popularité croissante des approches en termes de l’APP au sein
de la science politique française évoquée en début de ce texte. Inversement, ils montrent
également la faible emprise des chercheurs en RI par rapport au contenu de cette revue.
Si les mêmes chiffres pour la RCSP sont moins élevés, et donc moins significatifs du
point de vue de l’analyse statistique, nous découvrons à nouveau que les recherches
en RI sont rarement valorisées dans cette revue généraliste.
Mais à notre sens, il est encore plus utile de regarder de près la pratique de citations
que révèlent ce tableau et plus largement notre modeste exercice bibliométrique. On
voit tout de suite que les représentants de ces deux parties de la science politique se
citent extrêmement peu : 2,53 citations par article pour les internationalistes ; 0,66
pour les textes en APP. Le tableau montre aussi que les spécialistes de l’action publique
lisent encore moins les travaux de leurs voisins que vice versa. En revanche, cette
tendance s’inverse dans le cas de la RCSP, où les 7 articles en RI ne citent aucune
publication en APP, alors que les 14 publications en APP citent en tout 15 références

5. Certes, il existe des revues qui se penchent soit vers les RI (par exemple Critique internationale), soit
vers l'APP (Politiques et management public). Toutefois, souvent expertisées partiellement par les acteurs
professionnels, elles favorisent les textes courts qui combinent rarement un développement théorique et
une démonstration empirique. Depuis, l'offre s'est enrichie dans le domaine de l'APP avec Gouvernement
et action publique (GAP), qui accueille des articles traitant de RI.
6. Cet exercice quantitatif comporte inévitablement une dimension subjective. D'abord, afin d'identifier et
de classer ces textes, nous sommes partis de leur titre et de leur résumé afin de cerner l'approche qui les
domine. Ensuite, en examinant et en comptant les citations, nous avons opéré des distinctions structurées
par notre propre connaissance des références bibliographiques traitées. Néanmoins, dans un cas comme
dans l'autre, nous nous sommes efforcé d'être le plus objectif possible en recourant, si nécessaire, aux
dictionnaires et aux manuels précités.

458
L’analyse des politiques publiques

TABLEAU 1 : TEXTES DE RI ET D'APP PUBLIÉS DANS LA RFSP ENTRE 2001


ET 2010

Années Textes en RI Textes en APP

Articles Citations d'APP Articles Citations des RI

2001 1 1 4 3

2002 0 0 7 7

2003 3 6 2 9

2004 6 3 5 0

2005 1 7 13 8

2006* 4 15 8 3

2007 0 0 2 0

2008 3 6 4 1

2009 1 10 14 1
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2010 0 0 4 10

Total 19 48 63 42

* Nous avons exclu notre propre article coécrit avec Franck Petiteville (Petiteville et Smith, 2006) car, en
préconisant un rapprochement entre les RI et l'APP, il contient forcément un nombre très important de
références qui aurait biaisé l'analyse quantitative tentée ici.
Source : auteur.

d’internationalistes. Bien entendu, on pourrait nous répondre que certains objets empi-
riques couramment traités en APP (les politiques locales), tout comme certains étudiés
en RI (la guerre), rendent l’emprunt des outils développés dans d’autres parties de la
discipline peu approprié. Mais il est quand même frappant de se rendre compte à quel
point, et autant au Canada qu’en France, mis à part quelques exceptions souvent citées
en passant7, les écrits de caractère théorique et méthodologique traversent si rarement
les cloisons au sein de notre discipline.
En résumé, nonobstant les rapprochements possibles entre les RI et l’APP exposés dans
le paragraphe précédent, notre examen rapide des pratiques de citation au sein de la
science politique française tend fortement à suggérer que ces deux composantes de
notre discipline restent aussi éloignées l’une de l’autre en 2010 qu’en 2001.

Les causes extrascientifiques


des clivages persistants
Comment comprendre le tableau noir que nous venons de dresser autrement qu’en
appliquant les acquis de la sociologie des professions, des organisations et de la science

7. En termes relatifs, les chercheurs en RI citent souvent les travaux de Pierre Muller, de Bruno Jobert et
d'Yves Surel. En revanche, les seules citations qui se répètent dans les articles en APP concernent les textes
de Graham Allison et de Peter Haas.

459
TRAITÉ DE RELATIONS INTERNATIONALES

à nous-mêmes ? Sans prétendre maîtriser l’ensemble de ces littératures, ni avoir


effectué une enquête spécifique sur cette question, les quelques explications qui sui-
vent s’appuient plutôt sur une pratique de recherche qui, depuis une vingtaine
d’années, m’ont amené à observer celle de mes collègues français et étrangers en APP
et, dans une moindre mesure, en RI. L’analyse globale qui en découle est qu’au moins
en France, la quasi-totalité de l’organisation institutionnalisée de la science politique
conduit à maintenir des barrières étanches entre ces deux branches de la discipline.
Ce phénomène de séparation commence dès les premiers cycles de l’enseignement
supérieur. En effet, à partir de leur deuxième ou troisième année, les étudiants qui
choisissent les options en RI ne peuvent le plus souvent suivre en même temps les
enseignements en APP. Renforcé autrefois dans les instituts d’études politiques (IEP)
par les clivages entre sections « politique » et « service public », ce « carrefour » crucial
est aujourd’hui rarement signalé clairement ni justifié dans les maquettes d’enseigne-
ment autrement que par les souhaits des enseignants concernés. Dans tous les cas, les
conséquences de cette obligation implicite de choisir très tôt dans le cursus univer-
sitaire entre les RI et les APP ne cessent d’apparaître et de se durcir lors des ensei-
gnements de troisième cycle. Pour ne citer que l’exemple de notre propre établissement
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– l’IEP de Bordeaux –, un étudiant qui choisit le parcours de master en RI terminera
sa vie universitaire sans jamais avoir suivi un enseignement en APP.
Sans surprise, cet éloignement structurel entre les RI et l’APP se poursuit au cours des
études doctorales où, sauf exception, chaque directeur de thèse tend à se positionner
dans l’une ou l’autre de ces parties de la science politique. Si les thèses précitées de
Marie Campain, de Bastien Irondelle et de Cornelia Woll montrent qu’un doctorant
imaginatif et volontaire peut malgré tout traverser le fossé créé au cours de sa for-
mation initiale, ces exemples demeurent des « exceptions qui confirment la règle ».
Ensuite, une fois la thèse terminée, le recrutement en tant que chargé de recherche, de
maître de conférences ou de professeur des Universités porte également l’empreinte des
clivages infradisciplinaires qui n’ont que peu de choses à voir avec la capacité analy-
tique et professionnelle des candidats. Pour les deux premiers types de poste, le jeu de
fléchage favorise rarement les dossiers de candidature qui démontrent une capacité à
effectuer une recherche sous un angle qui combine RI et APP. Quant aux recrutements
via l’agrégation de science politique, la distinction faite entre les épreuves en RI et en
APP semble également faire perdurer ces catégories infradisciplinaires désuètes.
Enfin, une fois en poste, les caractéristiques de notre profession évoquées plus haut
conduisent presque toutes à la reproduction de ces catégories et au manque de véri-
tables dialogues soutenus entre les membres des différentes parties de la discipline :
revues et collections des maisons d’édition par branche, organisation sectorielle des
congrès de l’Association française de science politique, appels d’offre trop spécialisés,
etc. En somme, la structuration de la science politique, l’identité professionnelle et la
pratique quotidienne de la plupart de ses « membres » constituent de toute évidence
les causes profondes de la séparation scientifiquement injustifiée et néfaste qui conti-
nuent d’empêcher toute fertilisation croisée entre les RI et l’APP.

***

460
L’analyse des politiques publiques

Si la sociologie de la science politique, notamment française, conduit à mettre en


avant les raisons pour lesquelles une distance importante entre les RI et les APP risque
de se reproduire, pour autant, les partisans du changement, dont nous sommes, ne
doivent pas sombrer dans le défaitisme et le fatalisme. Après tout, le raisonnement
sociologique sert aussi à corriger les tirs et à agir de manière plus efficace. Ajoutée
aux « bonnes raisons » de combiner davantage les meilleurs éléments de ces deux
parties de la science politique présentés ci-dessus, cette affirmation nous conduit plutôt
à considérer que le moment est venu pour une nouvelle tentative de rapprochement.
En effet, même la conclusion de la dernière édition du manuel de Dario Battistella
semble abonder en ce sens, lorsqu’il suggère de nuancer l’importance du « critère
d’anarchie » dans les RI contemporaines, ceci en faveur « de l’hypothèse d’un monde
articulé autour d’une dialectique relations de domination matérielle/relations de dis-
crimination normative [qui] nous paraît alors une piste de recherche heuristique pour
l’avenir de la discipline des relations internationales » (Battistella, 2012, p. 665-666).
Étant donné que les approches institutionnalistes et constructivistes en APP tentent
justement depuis plus de trois décennies de prendre à bras le corps cette articulation
entre ce que Dario Battistella appelle le matériel, le relationnel et le normatif, nous
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persistons à croire qu’elles peuvent et doivent participer au renouvellement des RI que
cet auteur, et bien d’autres, appellent de leurs vœux. En effet, si aujourd’hui les rela-
tions entre RI et APP ressemblent à celles d’un couple en pleine tourmente, il existe
d’excellentes raisons pour que les deux continuent à habiter la même « maison », et
que leurs représentants cherchent ensemble un mode de vie commun plus épanoui.

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