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TYPES

Sara Casella Colombeau


in Laurie Boussaguet et al., Dictionnaire des politiques publiques

Presses de Sciences Po | « Références »

2019 | pages 673 à 680


ISBN 9782724625110
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Types 673

Types
Aborder les politiques publiques par le biais de l’élaboration d’une
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typologie, c’est s’inscrire dans une tradition wébérienne des sciences
sociales qui considère le « concept idéal-typique » comme « un
concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour cla-
rifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants,
et avec lequel on la compare » (Weber, 1965, p. 185). Il s’agit donc
avant tout d’un « moyen de la connaissance » (Weber, 1965, p. 183),
d’un outil méthodologique et non d’un but de la recherche en
sciences sociales. Nous allons voir comment la construction d’une
typologie des politiques publiques, à partir du travail précurseur de
Theodore J. Lowi, pose les bases d’une réflexion sur des questions
essentielles de la science politique.

Theodore J. Lowi : une typologie structurante


Dans son élaboration d’une définition de l’État, Theodore J. Lowi
se positionne par rapport aux deux approches de la sociologie de
l’État qui structurent le débat dans les années 1960 aux États-Unis :
l’approche « pluraliste », qui conçoit les politiques publiques comme
le résultat de la compétition entre « coalitions » (Lowi, 1964, p. 678)
aux intérêts divers et concurrents, et celle qui considère que les élites
politiques, bien qu’agissant dans des arènes différentes, partagent des
caractéristiques et un statut socio-économique. Il reproche à ces deux
approches de créer des « théories » ad hoc à partir d’études de cas
adaptées qui ne peuvent, de ce fait, pas être testées empiriquement.
Il construit sa typologie avec la volonté de dépasser cette opposition
en redonnant une centralité à la contrainte étatique tout en recon-
naissant, le rôle d’acteurs aux ressources et intérêts divers dans la
définition des politiques publiques. Il tente ainsi de définir un modèle
qui soit à la fois empirique et systématique en se servant de la compa-
raison comme d’un moyen efficace de généralisation et de dépasse-
ment des simples études de cas. Il revendique une étude de l’État
674 Dictionnaire des politiques publiques

partant du contenu des politiques publiques pour comprendre les


réalités des structures de pouvoir et la nature des acteurs politiques.
La définition d’une typologie de politiques publiques correspond
dans le même temps à une volonté de systématiser l’étude des « poli-
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tiques publiques ». Ainsi, la typologie de Theodore J. Lowi, esquissée
dans un article de 1964 puis amendée et complétée dans son article
de 1972, s’inscrit dans une démarche de légitimation des policy ana-
lysis. Theodore J. Lowi la conçoit comme un outil théorique à même
de faire de la policy analysis une « science » prédictive, et d’influencer
les décideurs politiques.
Les deux paramètres qui définissent la typologie de Theodore J.
Lowi sont liés à la coercition exercée par l’État. Il distingue les poli-
tiques publiques en fonction de l’objet de cette coercition (compor-
tement des individus ou environnement des individus) et des
caractéristiques de celle-ci (directe ou indirecte). Il définit ainsi quatre
types de politiques publiques (voir tableau ci-après).

Theodore J. Lowi : une typologie critiquée


Une typologie opératoire se caractérise par des catégories exclu-
sives les unes des autres tout en étant assez inclusives pour être per-
tinentes. Les types de politiques publiques mis en évidence par
Theodore J. Lowi, construits de manière largement théorique, avec
une démarche déductive, peuvent par conséquent apparaître comme
inopérants pour la comparaison.

Les critiques principales


Les critiques les plus récurrentes sont liées à la nature multidi-
mensionnelle des politiques publiques, et au fait qu’une même poli-
tique est difficilement assignable à l’un des types identifiés. Par
exemple, les politiques de lutte contre les discriminations entre les
femmes et les hommes mettant en œuvre des mesures de parité sont
à la fois réglementaires et redistributives (grâce à l’existence de taxes
condamnant le non-respect des dispositions légales). De plus, la
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La coercition opère sur :

Le comportement L'environnement
individuel des individus
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La contrainte est Politiques distributives Politiques constitutives
lointaine (indirecte) Exemple : attribution de Exemple : réforme de
permis de construire. l’administration.
Ce type de politiques La transformation des
publiques correspond à structures et des règles de
l’attribution de prestation fonctionnement de
ou d’autorisation à des l’administration
individus, elle agit sur les correspond à la redéfinition
dotations des individus et de « règles du jeu » et agit
non sur leurs sur le contexte qui
comportements. détermine les
comportements
individuels.

La contrainte est Politiques réglementaires Politiques redistributives


immédiate (directe) Exemple : limitation de Exemple : impôts
vitesse pour les progressifs.
automobilistes. La contrainte est
Ce type de politiques immédiate, le prélèvement
publiques agit directement et la distribution des
sur le comportement sommes monétaires
individuel de tous. agissent sur la structure de
la société par le transfert
entre différents groupes.

typologie de Theodore J. Lowi renvoie à une conception statique de


l’action publique. Or les politiques publiques ne sont pas définies
une fois pour toutes, elles évoluent dans le temps, notamment en
interaction avec les effets qu’elles produisent.
Une autre critique majeure adressée à la typologie de Theodore J.
Lowi est liée au caractère stato-centré des variables choisies : dans ce
modèle, l’État est le seul acteur de la fabrique de l’action publique.
En outre, Theodore J. Lowi se réfère uniquement au caractère coer-
citif de l’État. Or, les politiques de santé publique, par exemple, met-
tent en jeu une dimension incitative plutôt que coercitive de l’État
(campagnes de prévention par exemple).
676 Dictionnaire des politiques publiques

De nouvelles dimensions
Theodore J. Lowi est généralement cité par les auteurs et autrices
de sciences sociales qui, construisant leur propre typologie, insistent
sur les dimensions « oubliées » de sa typologie initiale.
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Certains mettent en avant la dimension discursive des politiques
publiques. Murray J. Edelman montre par exemple l’importance de
cette dimension dans la fabrique des politiques et de la politique.
Selon lui, « le langage politique est la réalité politique » (1991, p. 196).
Cette vision constructiviste du politique met l’accent sur la dimen-
sion symbolique des politiques publiques, laissée de côté par Theo-
dore J. Lowi. Ainsi en matière migratoire, la littérature a montré
l’importance de la dimension symbolique des politiques menées, qui
relèvent autant d’une stratégie de positionnement et d’affirmation de
valeurs que d’une volonté d’obtenir des effets tangibles (Slaven et
Boswell, 2019).
Par ailleurs, l’intensification de l’intégration européenne a
conduit d’autres analystes à s’interroger sur la pertinence des travaux
de Lowi pour les politiques européennes. Laura Cram propose ainsi
une typologie spécifique reprenant trois des types de Theodore J.
Lowi (politiques publiques réglementaires, constitutives et distribu-
tives), auxquels elle ajoute un quatrième qu’elle qualifie de « soft law
– non-binding legislation which nevertheless has political significance »
(1993, p. 138), que l’on pourrait aussi appeler « politique incitative »
dans le sens où les contraintes qui s’exercent sur les individus appar-
tiennent à un registre discursif, bien que des impacts se fassent
ressentir.
Dans la même perspective, Stephen H. Linder et B. Guy Peters
(Linder et Peters, 1989), qui proposent une typologie des instruments
de politiques publiques, distinguent l’impact explicite et l’impact
implicite d’une politique publique. Leur analyse décompose la
contrainte étatique en distinguant affichage, discours politique et
contenu réel des politiques publiques.
Enfin, d’autres auteurs et autrices travaillent non pas à partir des
effets (ou des effets attendus) des politiques publiques, mais à partir
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du type d’acteurs engagés dans la fabrique des politiques publiques.


Ainsi, Jacques Lagroye, Bastien François et Frédéric Sawicki propo-
sent de considérer l’ouverture et la pluralité des réseaux d’acteurs qui
sont à l’origine des politiques publiques (Lagroye, François et Sawicki,
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2012).

Les liens entre policy et politics


L’un des apports majeurs de la typologie de Theodore J. Lowi est
le lien qu’elle établit entre policy et politics. L’apparition et le déve-
loppement de types de politiques publiques donnent lieu à des chan-
gements des institutions politiques, des « political process » (Wilson,
1995, p. 327), tels que le poids du Congrès ou le rôle du président
aux États-Unis. C’est à travers ces political process que les types de
politiques publiques affectent la politics, au sens de politique parti-
sane. Selon Theodore J. Lowi, c’est donc le type de politiques publi-
ques qui influe sur le rôle et la structure des institutions politiques
et par là même sur la nature et les capacités des acteurs de la politique.
James Q. Wilson réfute cette articulation entre policy et politics.
Selon lui, l’influence des policies sur le politics s’explique par un autre
mécanisme : les acteurs concernés par une politique publique. Il pro-
pose une autre typologie construite à partir de l’anticipation des coûts
et bénéfices des politiques publiques par leurs ressortissants.
L’influence que le type de politique a sur la politique partisane passe
par un calcul coût/avantage de la part des acteurs concernés. Par
exemple, les politiques de protection de l’environnement ont des
coûts concentrés et des bénéfices diffus ; cette caractéristique présente
des conséquences directes sur les formes de mobilisation des acteurs
concernés (ONG environnementales, consommateurs, etc.) et sur les
types de politiques publiques mises en place (la dimension commu-
nicationnelle s’en trouve par exemple renforcée).
678 Dictionnaire des politiques publiques

Theodore J. Lowi : caractériser les politiques publiques


ou l’État ?
Les critiques adressées à l’encontre de la typologie de Theodore J.
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Lowi ne doivent pas éclipser son réel apport en termes d’usage his-
torique. Ainsi cette typologie renseigne aujourd’hui sur la nature
des politiques publiques disponibles lors de son élaboration, et donc
sur la nature de l’État à cette époque. Selon Theodore J. Lowi, étu-
dier les types de politiques publiques permet de mettre en lumière
les évolutions de l’État. Il étudie ainsi les transformations de l’État
américain de 1789 aux années 1960. Par conséquent, l’action de
l’État renseigne sur l’État lui-même ; un lien est établi entre policy
et polity.
Dans la continuité de ces réflexions sur les reconfigurations de
l’État, Giandomenico Majone identifie un changement intervenu à
la fin des années 1970, à savoir le passage d’un État redistributeur et
interventionniste à un État régulateur. Cette transformation a lieu
sous la pression de deux principaux facteurs : une intégration éco-
nomique et monétaire croissante des États européens et une compé-
tition internationale accrue. La référence en termes de types de
politiques publiques passe alors du « taxing and spending » au « rule-
making » (Majone, 1997, p. 139). Avec la consolidation des institu-
tions européennes, on assiste à l’émergence de politiques
transnationales, et ces politiques sont généralement de type régle-
mentaire car elles se révèlent plus aisées à adopter en raison de leur
budget limité.
Plus généralement, l’apparition ou la montée en puissance de tel ou
tel type de politiques publiques est déterminante dans la compréhen-
sion des évolutions des configurations de l’État, ou de tout autre polity,
producteur de politiques publiques. Par exemple, Laura Cram montre
que la majorité des législations adoptées dans le domaine des politiques
sociales au niveau européen ont été des « process policies », les politi-
ques constitutives dans la typologie de Theodore J. Lowi. Le but de la
Commission européenne dans ce domaine est en effet d’« expanding
the frontiers of the possible » (Cram, 1993, p. 144) en mettant en place
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les structures institutionnelles nécessaires pour conduire de nouvelles


initiatives, et d’étendre ainsi son pouvoir décisionnel dans le domaine
des politiques sociales. Mais dans le même temps, l’apparition de
politiques publiques du type « soft law » (Cram, 1993, p. 138) non
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contraignantes ou incitatives, utilisées notamment par l’intermédiaire
de mécanismes de comparaison/compétition et de définition de bonne
pratiques, correspond à une autre forme d’intervention publique.
En s’appuyant sur la typologie de Theodore J. Lowi, Jeremy J.
Richardson (1982) identifie des « styles de politiques publiques »
propres à chaque État, qui se caractérisent par la domination de
tel ou tel type de politiques publiques ou par des combinaisons
particulières de ces types. Le tableau ci-dessous (inspiré de Has-
senteufel [2011]) est construit à partir de cet apport majeur de
Theodore J. Lowi. Il donne une vision dynamique de l’État en
décrivant de manière synthétique ses transformations (évolution
chronologique). Les politiques publiques y sont caractérisées
comme dominantes lorsque leur utilisation est la plus fréquente
et/ou relève d’une innovation.

État Types de politiques


publiques dominants

État redistributeur et producteur de 1. Politiques redistributives


richesse 2. Politiques distributives

État régulateur 1. Politiques réglementaires


2. Politiques constitutives
3. Politiques transnationales

État mobilisateur 1. Politiques incitatives


2. Politiques transnationales

Instrument précurseur de la prise en compte du changement dans


l’analyse des politiques publiques, la typologie de Theodore J. Lowi
se révèle donc un outil méthodologique précieux qui permet de poser
les bases d’une réflexion sur l’articulation entre policy et politics, mais
aussi entre policy et polity ; elle participe de l’institutionnalisation
d’une discipline académique, la policy analysis.
680 Dictionnaire des politiques publiques

Références essentielles
CRAM Laura, « Calling for the Tune without LOWI Theodore J., « American Business,
Paying the Piper ? Social Policy Regulation : Public Policy, Case Studies, and Political
The Role of the Commission in European Theory », World Politics, 16 (4), 1964,
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Community Social Policy », Policy and Poli- p. 677-715.
tics, 21 (2), 1993, p. 135-146. LOWI Theodore J., « Four Systems of Policy,
HASSENTEUFEL Patrick, Sociologie poli- Politics and Choice », Public Administration
tique. L’action publique, Paris, Armand Review, 32 (4), 1972, p. 298-310.
Colin, 2011, [2e éd.]. MAJONE Giandomenico, « From the Positive
LAGROYE Jacques, FRANÇOIS Bastien et to the Regulatory State : Causes and Conse-
SAWICKI Frédéric, Sociologie politique, quences of Changes in the Modes of Gover-
Paris, Presses de Sciences Po-Dalloz, 2012. nance », Journal of Public Policy, 17 (2),
LINDER Stephen H. et PETERS B. Guy, « Ins- 1997, p. 139-167.
truments of Government : Perceptions and WILSON James Q., Political Organizations,
Contexts », Journal of Public Policy, 9 (1), Princeton (N. J.), Princeton University
1989, p. 35-58. Press, 1995.

Sara Casella Colombeau

Voir aussi
Comparaison · État · Genèse de l’analyse des politiques publiques ·
Instrument · Politiques européennes · Sociologie de l’État et politi-
ques publiques · Style

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