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VERS UNE PHILOSOPHIE DE LA LIMITE

La notion peircienne d’« état intermédiaire ou naissant »

Pierre Thibaud

Centre Sèvres | « Archives de Philosophie »

2018/1 Tome 81 | pages 143 à 166


ISSN 0003-9632
DOI 10.3917/aphi.811.0143
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Archives de Philosophie 81, 2018, 143-166

Vers une philosophie de la limite


La notion peircienne d’« état intermédiaire ou naissant »

P i E R R E T H i BaU d *
aix-Marseille Université

J’ai senti depuis longtemps qu’un défaut sérieux dans la


logique existante était qu’elle ne tient aucun compte de la
limite entre deux royaumes.
[C. S. PEiRCE, NEM 3:851, 1909 1]
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Les commentateurs de Peirce ont souvent souligné l’importance dans sa
philosophie de certains couples de termes contradictoires, en particulier des
couples déterminé/indéterminé, actuel/non-actuel, affirmation/négation
mais rares sont ceux ayant étudié les efforts déployés par Peirce pour en
explorer ce qu’il appelle les « états intermédiaires ou naissants » dans Issues
of Pragmaticism (5.450) 2. C’est ainsi qu’il y écrit :
il est à remarquer qu’il y a des cas où nous pouvons avoir une idée apparem-
ment définie d’une frontière entre l’affirmation et la négation. ainsi, un point
sur une surface peut être situé dans une région de cette surface, ou en dehors,
ou sur sa limite. Ceci nous donne une conception indirecte et vague d’un état
intermédiaire entre affirmation et négation en général, et, par conséquent,
d’un état intermédiaire, ou naissant, entre détermination et indétermination.

* Une première version de cet article est une conférence donnée le 12 mai 2014 au Collège
de France (Paris) dans le cadre du Colloque C. S. Peirce : Logic and Metaphysics, organisé par
Claudine Tiercelin (Chaire de Métaphysique et Philosophie de la Connaissance) à l’occasion du
centenaire de la mort de Peirce.
1. NEM renverra à The New Elements of Mathematics, C. Eisele éd., 1976, 4 vol. ; Ms à
l’édition microfilmée des manuscrits de Peirce, dans la numérotation de Robin ; OE à l’édition
française des œuvres de Peirce : Charles Sanders PEiRCE, Œuvres, sous la direction de Claudine
Tiercelin et Pierre Thibaud, éditions du Cerf, 3 volumes parus à ce jour ; RLC à la traduction
française par C. Chauviré, P. Thibaud et C. Tiercelin de The Reasoning and the Logic of
Things, K. Ketner, éd., 1992 ; PPM à Pragmatism as a Principle and Method of Right
Reasoning: The 1903 Harvard Lectures on Pragmatism, P. Turrisi, éd., 1997 ; EP à The
Essential Peirce, t. 1-2, N. Houser et C. Kloesel éds, 1992-1998 ; enfin la notation décimale n.m
(resp. vol. et paragraphe) aux Collected Papers of C. S. Peirce, Hartshorne, Weiss et Burks éd.,
1931-1958, 8 vol.
2. Les seules études en profondeur que nous connaissions sur ce thème sont celles de R.
Lane (1997, 1999), centrées sur le couple affirmation/négation.
144 Pierre Thibaud

il doit exister un état intermédiaire semblable entre général et vague. de fait,


dans un article publié dans le septième volume du Monist 3 il y a, juste en fili-
grane de ce qui est dit de façon explicite, l’idée d’une série infinie de tels états
intermédiaires (5.450 ; OE ii, p. 58-59).

Et à la fin du même article, développant sa propre conception du temps,


il analyse le présent comme « état naissant entre le déterminé et l’indéter-
miné » (5.459 ; OE ii, p. 66), ou encore « état naissant de l’actuel » (5.462 ;
OE ii, p. 68).
dans ces brèves et si denses remarques de 1905 apparaît, nous semble-t-
il, au travers des concepts de « frontière » et de « limite », une notion dont
Peirce va n’avoir de cesse de développer à la fois la logique et la philosophie
sous-jacentes, ainsi que nous voudrions le montrer dans cette étude guidée
par l’espoir d’obtenir ainsi l’un des concepts peut-être les plus éclairants de
toute sa pensée.
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1 — LES éTaTS iNTERMédiaiRES OU NaiSSaNTS COMME éTaTS LiMiTES

dans Issues of Pragmaticism la notion d’état intermédiaire ou naissant


semble apparaître dans le double contexte d’une philosophie de la détermi-
nation et d’une philosophie du vrai.

1.1. Entre détermination et indétermination

Entre le déterminé et l’indéterminé se situe le royaume du vague. Mais


l’on peut dire que le projet peircien d’une logique du vague ne prend tout
son sens que si l’on remarque que les deux extrêmes entre lesquels apparaît
ce dernier sont deux extrêmes imaginaires : aucun terme ou signe n’est abso-
lument déterminé (3.93, 1870) car tout terme est toujours susceptible de
division logique et il est illusoire d’espérer trouver un élément ultime ina-
nalysable, pas plus qu’absolument indéterminé (L 224, Lettre à W. James,
août 1904 ; NEM 3 : 813) car, s’il l’était, il désignerait une propriété parta-
gée par toutes choses et dont nous aurions à épeler l’indétermination pour
tous les prédicats possibles, ce qui est impossible. Naviguant entre ces deux
extrêmes, la logique peircienne du vague n’apparaît pas très éloignée des ten-
tatives contemporaines pour sauver la « cohérence des prédicats vagues » au
sens de Fine (1975) : il est toujours possible de décider de préciser un concept
vague. Un tel concept n’est pas un concept ayant des limites vagues mais un

3. « The Logic of Relatives », The Monist, 7 (janvier 1897), p. 208-209.


Vers une philosophie de la limite 145

concept caractérisé par l’absence de limites (Sainsbury 1988, Engel 1992),


ce qui ne l’empêche pas de jouer un rôle classificatoire. Une sémantique en
termes de degrés est ici inadéquate. Quand Peirce utilise le concept de
chauve, il ne signifie pas quelque degré précis de calvitie, situé entre la pleine
chevelure et son absence, mais veut dire seulement « que nous sommes inca-
pables d’associer un degré précis à l’application du concept, quoique nous
soyons capables de faire une distinction entre le vaguement vague et le réel-
lement vague » (Tiercelin 1996, p. 704). Quand il écrit qu’avec de tels prédi-
cats « une absolue précision est impossible » (5.506), cette « absence de pré-
cision absolue n’implique pas nécessairement l’absence absolue de
précision » (Tiercelin 1993, p. 332) : si « to precide » (supprimer toute indé-
termination) est impossible, préciser est toujours possible et s’il n’y a pas de
limite entre l’application d’un degré et l’application d’un autre degré proche,
on doit admettre cependant des degrés d’application. On voit ici que le
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concept vague apparaît comme un concept régulateur entre deux concepts
régulateurs et que le qualifier en disant qu’il renvoie à un état « naissant »,
c’est mettre d’abord l’accent sur l’inépuisabilité même du processus de
détermination induit par le concept vague : ce dernier, sur le chemin vers la
détermination, est fondamentalement dans un état d’« incipience, de crois-
sance » (1.615), pour reprendre une expression que Peirce applique à la rai-
son et, en ce sens, comme cette dernière, n’est jamais pleinement réalisé dans
ses incarnations 4.
dans le texte d’Issues of Pragmaticism cité plus haut, Peirce illustre la
dialectique infinie du déterminé et de l’indéterminé au travers de deux oppo-
sitions, celle existant entre général et indéfini 5 d’une part, entre actuel et
non-actuel d’autre part.
La première oppose général et indéfini. Ces deux concepts « antithé-
tiques » (5.505) apparaissent comme deux figures radicalement distinctes de
l’indéterminé. La première, exprimée par l’idée de généralité, renvoie à une
notion de latitude d’interprétation laissée à l’interprète :
Un signe... est objectivement général dans la mesure où il étend à l’interprète
le privilège de poursuivre sa détermination. Exemple : ‘L’homme est mortel’.

4. On notera que c’est parce que le réel est vague que le langage doit l’être et, en ce sens,
c’est grâce au vague du langage que le vague du réel peut être capté et donc que le réel peut être
approché.
5. On utilisera le terme « indéfini » (souvent employé par Peirce) à la place du terme
« vague » (également employé par lui) pour ne pas le confondre avec la notion de vague intro-
duite plus haut à propos de l’exemple de « chauve ». Ce qui signifie que « vague » renverra à la
notion de cas d’application indéterminée et « indéfini » à la notion de forme particulière d’in-
détermination de l’objet d’une proposition.
146 Pierre Thibaud

À la question : Quel homme ? la réponse est que la proposition vous laisse


explicitement libre d’appliquer l’assertion à l’homme ou aux hommes de votre
choix (5.447 ; cf. L 224, Lettre à W. James, août 1905 ; NEM 3 : 812).

La seconde figure, exprimée par l’idée d’indéfini, renvoie à une notion de


latitude d’interprétation laissée au locuteur lui-même :

Un signe... est objectivement vague (indéfini) dans la mesure où il réserve sa


détermination ultérieure à quelque autre signe concevable, ou du moins ne
nomme pas l’interprète comme son délégué dans cette tâche. Exemple : ‘Un
homme que je pourrais nommer semble être assez imbu de lui-même’. La sug-
gestion faite ici est que l’homme visé est la personne à laquelle le discours
s’adresse ; mais la personne qui énonce n’autorise pas une telle interprétation,
ni aucune autre application de son propos. Elle peut toujours dire, si elle le
désire, qu’elle ne veut pas dire qu’il s’agit de l’interlocuteur. Tout énoncé laisse
de façon naturelle à l’énonciateur le droit d’interprétation ultérieure (5.447).
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Pragmatiquement différents, général et indéfini, analysés sur le plan
d’une logique des prédicats, renvoient respectivement aux quantificateurs
universel et existentiel. En écrivant qu’il « doit exister » (5.450) – car Peirce
n’a pu développer son intuition – non seulement un état intermédiaire ou
naissant entre les deux mais une infinité de tels états, Peirce semble préfigu-
rer ici les recherches les plus actuelles portant sur l’existence de quantifica-
teurs non-standards. Mais dans un sens radicalement différent des
recherches d’un Mostowski. Car si le travail de ce dernier consiste simple-
ment à étendre la logique des prédicats du premier ordre par l’introduction
de nouveaux quantificateurs (Mostowski 1957 ; cf. également Fuhrken 1964,
Vaught 1964 et Keisler 1970), la problématique de Peirce est tout autre. il
s’agit de penser jusqu’au bout, non pas l’extension d’une logique donnée,
mais l’émergence d’une infinité de logiques nouvelles : entre deux logiques
opposées (prenons comme exemple commode la logique classique et la
logique intuitionniste), il doit exister, semble dire Peirce, une infinité de
logiques intermédiaires caractérisées chacune par un statut particulier donné
aux quantificateurs et c’est cet éclatement que nous invite à penser la notion
même d’état naissant appliquée au domaine de la quantification. Ce à quoi
nous sommes conviés ici, c’est sans doute à une sorte de modélisation quan-
tificationnelle de la logique, préfigurant en ce sens la ligne ouverte par les
recherches récentes de Gila Sher (1991).
La seconde opposition illustrant la dialectique déterminé/indéterminé
est celle renvoyant, dans le cadre d’une philosophie du temps, à la distinc-
tion actuel/non-actuel. Comprendre l’idée peircienne de présent comme
« état naissant de l’actuel » (5.462) suppose que le problème de la relation
entre actuel et non-actuel ne se ramène pas à l’opposition présent/futur mais
Vers une philosophie de la limite 147

qu’au niveau même du présent se joue une relation entre actuel et non-actuel
(possible) 6. Ce qui signifie que le présent possède deux dimensions, l’une
d’actualité, l’autre de non-actualité. Si l’on se souvient que, du point de vue
d’une théorie des catégories, l’actualité est pour Peirce une question de
secondéité et la non-actualité une double question à la fois de possibilité
négative (priméité comme pur may-be) et de possibilité positive (tiercéité
comme would be) 7, alors il s’agit de penser comment, dans le présent, opè-
rent les trois catégories. L’image la plus suggestive donnée par Peirce est sans
doute celle du tableau noir sur lequel est tracée une ligne à la craie. Le
tableau est considéré par Peirce comme continuité rendant tout ce qui est
sur lui continu. La ligne tracée sur le tableau est une discontinuité qui pré-
sente en même temps un aspect de continuité :

il y a un certain élément de continuité dans cette ligne. d’où vient cette conti-
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nuité ? Elle n’est rien d’autre que la continuité originelle du tableau noir qui
fait que tout sur lui est continu (6.203).

Sans doute pourrait-on dire que le tableau originel, perçu comme passé,
contient l’ensemble infini des possibilités négatives de la priméité comme
pur hasard ; le tracé de la ligne, comme secondéité, l’actualisation présente
de l’une des possibilités négatives du tableau ; la continuité de la ligne,
comme tiercéité, contenant tout le futur possible (would be) de cette ligne.
ainsi le présent – qui est « moitié passé et moitié à venir » (6.126) – est-il au
croisement de l’actuel comme secondéité et du non-actuel comme priméité
et tiercéité. Le présent comme actuel est riche d’un continuum inépuisable
de possibilités, non-actuelles quoique réelles, qui font que passé et futur
sont, dans une certaine mesure, dans le présent même, rendant ce dernier
en partie indéterminé. En ce sens on voit que le présent apparaît comme un
véritable état intermédiaire ou naissant entre actuel et non-actuel. On devine
ici l’arrière plan anti-atomiste et donc anti-Whiteheadien 8 d’une telle posi-
tion (Rosenthal 1996) dont on peut suivre les riches et subtiles variations
chez James 9 et Mead 10.

6. Cf. Rosenthal 1968 et 1996.


7. L’importance du non-actuel au travers des potentialités que sont may-be et would be a
été bien mise en lumière par Sfendoni-Mentzou (1991). On notera que may-be et would be s’op-
posent comme potentialité indéfinie et potentialité définie, ou encore pure possibilité abstraite
et possibilité comme disposition à être actualisé dans un certain sens (cf. sur ce point Hausman
1998).
8. Cf. Whitehead 1960 et 1967.
9. James 1977.
10. Mead 1959.
148 Pierre Thibaud

1.2. Entre affirmation et négation

Mais tous les couples d’opposés étudiés jusqu’ici comme donnant nais-
sance à une multiplicité d’états intermédiaires ou naissants – naissance ici
envisagée comme mise en branle d’un processus inépuisable – sont sous-ten-
dus par une opposition plus fondamentale qui nous introduit au cœur même
d’une philosophie de la vérité.
Nous voulons parler de l’opposition affirmation/négation notée dans le
texte de 1905 cité au début et dont l’importance est soulignée en 1909 :

Je déclare que dans tout domaine de la pensée quel qu’il soit il y a un terrain
intermédiaire entre l’assertion positive et la négation positive, qui est tout
aussi réel que ces dernières (NEM 3 : 851, 26 fev. 1909).

En reconnaissant dès 1905 l’existence d’une « frontière » (5.450) entre


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affirmation et négation – frontière où Peirce voit un aspect essentiel de la
notion d’état naissant –, il prend, on l’a vu, l’exemple mathématique d’un
point sur une surface pouvant être ou bien « situé dans une région de cette
surface, ou en dehors, ou sur sa limite » (5.450). il faudra attendre 1909 pour
qu’apparaisse à nouveau cette notion de limite, mais cette fois dans le
contexte d’une recherche sur des opérateurs de logique trivalente :

La Logique triadique est cette logique qui, quoique ne rejetant pas entière-
ment le Principe du Tiers Exclu, reconnaît néanmoins que toute proposition,
S est P, est ou bien vraie ou bien fausse ou bien S a un mode d’être inférieur
tel qu’il ne peut être ni de façon déterminée P, ni de façon déterminée non-P,
mais est à la limite entre P et non-P (Ms 339, 23 fév. 1909).

dans l’embryon de son système de logique trivalente joint à ce manus-


crit, Peirce emploie les valeurs « V », « F » et « L » pour respectivement « vrai »,
« faux » et « la limite ». Mais le manuscrit en question ne précise pas quel type
de proposition Peirce plaçait à la limite entre vrai et faux. Ce qui nous amène
à tenter de reconstituer en détail, en nous appuyant pour l’essentiel sur les
travaux de R. Lane (1997, 1999), d’une part la logique et d’autre part la phi-
losophie sous-jacentes à cette notion de limite.

2 — UNE LOGiQUE dE La LiMiTE

2.1. La recherche d’un état limite situé entre le général et l’indéfini, c’est-
à-dire entre l’universel et l’existentiel, entraîne des conséquences impor-
tantes quant au statut et au fonctionnement des principes de contradiction
(PC) et de tiers exclu (PTE). En effet on se souvient que pour Peirce :
Vers une philosophie de la limite 149

une chose quelconque est générale dans la mesure où le principe du tiers exclu
ne s’y applique pas (5.448, 1905 ; cf. Ms 530, p. 15, vers 1903).

Ce que Peirce présente comme une conséquence du caractère « partiellement


indéterminé » du général :
l’individu est déterminé par rapport à toute possibilité, ou qualité, soit comme
la possédant, soit comme ne la possédant pas. C’est le principe du tiers exclu,
qui n’est pas valable pour quelque chose de général, parce que le général est
partiellement indéterminé (1.434, vers 1896).

On voit ici que Peirce faisait une analyse non standard du PTE 11 dans la
mesure où celui-ci se présente sous la forme d’une négation interne (portant
sur des prédicats) et non externe (portant sur une proposition entière),
comme le confirme un autre passage :
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Par le principe du... tiers exclu on signifie toujours le principe que deux pré-
dicats mutuellement contradictoires ne sont pas tous les deux faux de tout
sujet individuel (Ms 611, p. 13, 1908).

Ce qui signifie que PTE pourrait s’exprimer ainsi : pour tout couple de pré-
dicats contradictoires « P » et « non-P » et pour tout sujet individuel (non
général) S, ou bien « S est P » ou bien « S est non-P » est vrai.
d’un autre côté :
une chose quelconque... est vague (indéfinie) dans la mesure où le principe
de contradiction ne s’y applique pas (5.448, 1905 ; cf. Ms 530, p. 14, vers 1903).

Ce que Peirce commente ainsi en 1908 :


Par le principe de contradiction, des écrivains rigoureux durant presque deux
siècles ont compris le principe que deux prédicats contradictoires tels que
« est P » et « est non-P » sont tous les deux vrais seulement du Néant et non de
quelque sujet défini que ce soit (Ms 611, p. 12-13, 1908).

On retrouve ici la même analyse non standard du PC, qui pourrait ainsi
s’exprimer : pour tout couple de prédicats contradictoires « P » et « non-P »
et pour tout sujet défini « S », « S est P » et « S est non-P » ne sont pas simul-
tanément vrais. On voit donc que, dans la mesure où le général se caracté-
rise par la non-applicabilité du PTE et l’indéfini par la non-applicabilité du
PC, un état limite entre le général et l’indéfini sera caractérisé par l’applica-
bilité des principes de contradiction et de tiers exclu. Mais cette applicabi-
lité va entraîner à son tour deux conséquences.

11. analyse d’ailleurs envisagée à titre de simple possibilité (mais non retenue) par Russell
1905, p. 98.
150 Pierre Thibaud

2.2. La première concerne la modalité des propositions L. En effet :


ce qui caractérise et définit une assertion de Possibilité est son émancipation
du Principe de Contradiction 12, tandis qu’elle reste sujette au Principe du
Tiers Exclu ; tandis que ce qui caractérise et définit une assertion de Nécessité
est qu’elle reste sujette au Principe de Contradiction, mais rejette le joug du
Principe du Tiers Exclu ; et ce qui caractérise et définit une assertion
d’actualité, ou de simple Existence, est qu’elle reconnaît son allégeance aux
deux formules, et est juste à mi-chemin entre les deux « Modaux » rationnels,
comme tous les anciens logiciens appellent les formes modifiées (Ms 678, p. 34-
35, 1910 ; cf. 8.216, vers 1910 et 6.182, vers 1911).

Ce qui signifie que les propositions L – qui sont des propositions auxquelles
PC et PTE s’appliquent – ne peuvent être des propositions modales et sont
donc des propositions exprimant une actualité (Lane 1999).
2.3. La seconde conséquence de l’applicabilité de PTE et PC aux propo-
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sitions L concerne les sujets de telles propositions. Puisque les propositions
L ne sont ni indéfinies (puisque PC s’applique aux propositions L mais non
aux propositions indéfinies), ni générales (puisque PTE s’applique aux pro-
positions L mais non aux propositions générales), les sujets des propositions
L doivent être à la fois définis et individuels, c’est-à-dire singuliers :
Une proposition universelle est non-individuelle... par rapport à son sujet. Une
proposition particulière est indéfinie... par rapport à son sujet. Une proposi-
tion singulière est à la fois définie et individuelle par rapport à son sujet (Ms
515, p. 21, sans date).

En résumé, les sujets des propositions L sont singuliers, c’est-à-dire des


individus définis (Lane 1999).
2.4. Une dernière caractéristique de la logique des propositions L est que
si PTE s’applique à ces propositions, il est faux pour ces mêmes proposi-
tions. Peirce n’a jamais exprimé comment il entendait que PTE soit faux par
rapport à une proposition. En revanche, il nous a dit comment il entendait
que PC le soit. Son raisonnement, comme le montre Lane, se trouve pour
l’essentiel dans un manuscrit de novembre 1909 :
Je ne dis pas que le Principe de Contradiction est faux des indéfinis. il ne
pourrait l’être sans s’appliquer à ces derniers, ce qui est précisément ce que
je nie de lui. Un argument contre ce que je dis, à savoir que le Principe de
Contradiction ne s’applique pas à ‘Un homme’ parce que ‘Un homme est
grand’ et ‘Un homme n’est pas grand’ reviennent seulement à dire que cet
homme-là qui est grand ne l’est pas, en étant grand ne l’étant pas. Cela est
vrai ; et c’est ce que je veux dire en refusant de dire que le Principe de

12. « Le principe de contradiction ne s’applique pas aux possibilités » (Ms 137, 1904).
Vers une philosophie de la limite 151

Contradiction est faux de ‘Un homme’, mais quand il est dit de cet homme
qui est grand qu’il n’est pas grand, ceci est dit de l’homme existant, qui n’est
pas indéfini, mais est au contraire un certain homme et aucun autre » (Ms 641,
p. 24 2/3-3/4, 3-18 novembre 1909).

Peirce soutient ici que PC ne peut être faux des indéfinis que s’il doit
s’appliquer à eux ; c’est-à-dire dire quelque chose d’eux. Un principe qui ne
dit rien sur x ne peut être faux (ou vrai) par rapport à x. Et puisque PC ne
dit rien des indéfinis, il ne peut être faux (ou vrai) par rapport à eux. donc
si PC est faux par rapport à une proposition, et donc s’applique à elle, alors
la proposition n’est pas indéfinie, c’est-à-dire qu’elle possède un sujet défini
(Ms 515, p. 20-21, sans date). ainsi, dire que PC est faux par rapport à « Un
homme est grand », c’est nier que le sujet de la proposition soit indéfini, c’est
donc prendre « Un homme » comme se référant à un individu défini. il s’en-
suit que si PC est faux par rapport à la proposition « Un homme est grand »,
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alors le même homme est à la fois grand et non-grand et « Un homme est
grand » est à la fois vrai et faux.
dans la même ligne de pensée, on dira que PTE ne peut être faux (ou
vrai) par rapport à une proposition que s’il en dit quelque chose. Comme
PTE porte sur des propositions à sujet individuel, il ne peut être faux par
rapport à des propositions générales. donc si PTE est faux par rapport à « S
est P », alors le même sujet individuel n’est ni P ni non-P et « S est P » n’est
ni vrai ni faux. Car, comme l’écrit Peirce :
dire que toute proposition est ou vraie ou fausse est dire que, quel que soit le
prédicat X d’une proposition, son sujet est ou X ou non-X. Mais c’est le
Principe du Tiers Exclu... et le principe du tiers exclu définit simplement l’in-
dividualité (PPM, p. 175, 1903 ; cf. Ms 515, p. 21, sans date et 6.168, vers
1903).

Et c’est dans ce contexte qu’il faut lire ce que Peirce dit des propositions L,
à savoir, on l’a vu, que :
S a un mode d’être inférieur tel qu’il ne peut être ni de façon déterminée P,
ni de façon déterminée non-P, mais est à la limite entre P et non-P (Ms 339,
23 fév. 1909).

Peirce pensait que la logique avait besoin d’être amendée pour tenir compte
des propositions auxquelles PTE s’applique mais par rapport aux-quelles
il est faux 13. Mais quelles pouvaient être les motivations philosophiques

13. On notera ici que Peirce ne va pas jusqu’à dire que PTE est faux mais simplement non
« tout à fait faux » (NEM iii : 851, 26 fév. 1909) ou encore qu’il n’est pas « entièrement » rejeté
(Ms 339, 23 fév. 1909), ce qui signifie qu’il désirait simplement l’affaiblir (Lane 1999).
152 Pierre Thibaud

d’un tel amendement ? L’examen des exemples donnés par Peirce de pro-
positions L, en nous orientant clairement vers une philosophie du continu,
va nous permettre de mieux comprendre le sens des recherches nouvelles
de 1909.

3 — UNE PHiLOSOPHiE dE La LiMiTE : LiMiTE ET CONTiNUiTé


3.1. Propositions L et brèches de continuité

Nous avons vu plus haut que les objets des propositions L sont des indi-
vidus définis. Comme exemple de tels objets, Peirce citait en 5.450 celui du
point situé sur une surface, ou en dehors, ou sur sa limite. Exemple qu’il
précise en 1909, au travers de la tache d’encre, dans le texte cité plus haut
consacré à la logique trivalente :
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ainsi, une tache est faite sur la feuille. alors tout point de la feuille est non-
noirci ou noirci. Mais il y a des points sur la ligne frontière, et ces points ne
sont pas susceptibles d’être non noircis ou d’être noircis, étant donné que ces
prédicats se réfèrent à la surface autour de S et une ligne n’a aucune surface
autour de n’importe lequel de ses points (Ms 339, p. 344 recto, 23 fév. 1909).

L’objet singulier visé par Peirce est la ligne limite (soit a) entre deux
régions d’une surface, une région noire (la tache) et une non-noire. Selon la
formulation d’un autre passage de Ms 339 déjà cité, a n’est « ni déterminé-
ment (noire), ni déterminément (non-noire), mais est à la limite entre (noire)
et (non-noire) ». ainsi la proposition « a est noire » n’est pas vraie, puisqu’il
n’est pas vrai que a est noire ; mais elle n’est pas fausse puisqu’il n’est pas
vrai que a est non-noire. On voit donc que « a est noire » (comme « a est
non-noire ») est à la limite entre vérité et fausseté.
On notera que, dans ces exemples, les propositions L portent sur des
brèches de continuité et nous abordons ici le second sens de la notion d’état
naissant, exprimant le fait que toute naissance n’est pas seulement mise en
branle d’un processus inépuisable mais aussi rupture, en l’occurence rup-
ture dans un continu. Ces brèches, qui peuvent être mathématiques (point
sur une ligne, ligne sur une surface), peuvent être aussi temporelles (instant
dans un intervalle) 14. Est-ce à dire que toute proposition sur ces brèches
n’est ni vraie ni fausse, c’est-à-dire que PTE s’applique à ces propositions
tout en étant faux par rapport à elles ? il faut bien voir que cette caractéris-
tique ne concerne que les propositions frontières (Lane 1999), c’est-à-dire

14. Cf. 6.164, 1889 ; 6.162, 1892 ; NEM 3 : 747, sans date ; NEM 3 : 925, 1902 ; NEM 2 : 482,
1904 ; NEM 2 : 526 sq., 1904 ; 4.641 sq., 1908 ; 6.326, vers 1909.
Vers une philosophie de la limite 153

celles qui prédiquent d’une brèche une propriété frontière relative à cette
dernière, propriété que le continu a sur un seul côté de la brèche. Quelques
exemples de ces propriétés frontières :
— la ligne frontière a entre la tache d’encre et la surface blanche du
papier n’est ni noire ni non-noire : noir et non-noir sont des propriétés fron-
tières relatives à a ;
— un point P divisant une ligne en deux moitiés (soit g et d mis pour
« gauche » et « droite ») n’appartient ni à g ni à d : appartenir à g et apparte-
nir à d sont des propriétés frontières relatives à P ;
— un instant i séparant un intervalle de temps en deux moitiés (soit av
et ap mis pour « avant » et « après ») n’appartient ni à av ni à ap : apparte-
nir à av et appartenir à ap sont des propriétés frontières relatives à i.
Nous dirons que seules les propriétés frontières peuvent prendre la
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valeur L de Peirce. Ce qui explique sans doute, comme le note Lane (1999),
l’hésitation de Peirce à dire que PTE soit « tout à fait faux » : PTE n’est faux
que par rapport à un domaine très restreint de propositions, celui des pro-
positions frontières.

3.2. Propositions L et théories du continu

L’intérêt, pour Peirce, d’une étude des propositions L apparaît claire-


ment si l’on se souvient du rôle central accordé à la notion de continuité,
notion qui, dit-il, « joue un grand rôle dans toute pensée scientifique » (1.163,
vers 1897) et est « de première importance en philosophie » (6.169, 1902), au
point d’apparaître comme « le passe partout qui, nous le disent les initiés,
donne accès aux arcanes de la philosophie » (1.163). Et l’on peut voir qu’à
chaque grande étape de la philosophie peircienne du continu (synéchisme)
correspond une analyse différente des propriétés frontières. En s’inspirant
des travaux de Potter, Shields 15 et Moore 16 on peut, à la suite de Lane (1999),
caractériser trois grandes étapes significatives pour les brèches de continuité :
— la première, de 1868 à 1890, correspond à l’époque dite kantienne où
le continu est défini comme « ce dont toute partie a des parties, dans le même
sens » (5.335, 1868 ; cf. 3.256, 1881). Ce qu’il illustre dans un petit texte de
1873 :
Un continuum (comme le temps et l’espace) est défini comme étant quelque
chose dont n’importe quelle partie, aussi petite qu’elle soit elle-même, a des

15. Potter et Shields 1977 et Potter 1996.


16. Moore 2007.
154 Pierre Thibaud

parties du même genre. Toute partie d’une surface est une surface et toute
partie d’une ligne est une ligne 17

C’est l’idée, qui restera constante dans la pensée peircienne, que le


continu ne peut être composé de points (c’est-à-dire de parties discrètes),
propriété qu’on pourrait qualifier de « réflexivité », pour reprendre le terme
de Fernando Zalamea 18. L’idée nous renvoie directement au Kant de la
Critique de la Raison pure :

On nomme continuité des grandeurs la propriété qu’elles ont de n’avoir en


soi aucune partie qui soit la plus petite possible (aucune partie simple).
L’espace et le temps sont des quanta continua, parce qu’aucune partie n’en
peut être donnée qui ne soit enfermée dans certaines limites (points et
moments) et parce qu’il faut, par suite, que cette partie elle-même soit à son
tour un espace ou un temps. L’espace donc ne se compose que d’espaces et le
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temps que de temps 19

dans cette perspective, ce qui différencie le continu de ce que Peirce


appelle des quanta discrets, c’est l’infinie divisibilité du continu par oppo-
sition à la divisibilité finie des derniers : « Un quantum discret, d’un autre
côté, contrairement à un continuum, a des parties uniques ultimes 20 ». L’on
voit alors Peirce s’orienter vers une analyse des points comme de simples
façons de parler, en tant que produits finaux de processus qui n’ont pas de
fin : « Le point de temps et d’espace n’est rien d’autre que la limite idéale de
laquelle nous nous approchons indéfiniment, sans jamais l’atteindre en
divisant le temps ou l’espace 21 ». Et c’est durant cette période, où se forge
peu à peu la notion de continuité, qu’il écrit à propos des limites géomé-
triques : « il n’est à vrai dire pas contradictoire, par exemple, de dire qu’une
frontière est à la fois dans et hors de ce qu’elle limite » (2.420, 1867). Ce qui
signifie que la limite est en partie à l’intérieur et en partie à l’extérieur de ce
qu’elle relie, ou encore, si B est une brèche de continuité et P et non-P ses
propriétés frontières, que B est en partie P et en partie non-P.

17. « The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 3 (cf. « Time and Thought »,
Ms 377, p. 2).
18. Zalamea 2001.
19. E. KaNT, Critique de la Raison Pure (a 170 / B 212). On pourrait sans doute faire
remonter à aristote cette idée de réflexivité, si l’on considère ensemble les deux définitions du
continu apparaissant dans la Physique en 232 b 24-5 et 234 a 8-9 : «  j’appelle continu ce qui est
divisible en parties toujours divisibles » et « tout continu est tel qu’il y a quelque chose de syno-
nyme entre les limites ».
20. « The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 4-5.
21. « The Conception of Time essential in Logic », Ms 390, p. 3-4 ; cf. « Time and Thought »,
Ms 377, p.2.
Vers une philosophie de la limite 155

— la seconde, de 1891 à 1895, durant laquelle Peirce complète la défi-


nition kantienne par une propriété appelée « aristotélicité » :
la continuité se compose de Kanticité et d’Aristotélicité. La Kanticité consiste
en la propriété d’avoir un point entre deux points quelconques. L’aristotélicité
consiste en la propriété d’avoir tout point qui est une limite à une suite infi-
nie de points qui appartiennent au système (6.166, vers fin 1891),

ou encore : l’aristotélicité est la propriété qu’un continuum « contient le


point final qui appartient à chaque suite infinie de points qu’il contient »
(6.123, 1892), ce qui revient à écrire que l’aristotélicité consiste, pour un
continuum, à inclure tout point qui est une limite. Peirce en vient à soute-
nir que les points « n’existent pas au sens où ils auraient des caractères entiè-
rement déterminés qui leur seraient attribués » (4.127, 1893). Ce n’est pas
le point (ligne, instant) lui-même mais la région dans le « voisinage immé-
diat » du point (ligne, instant) qui est en partie P et en partie non-P (cf. 6.126
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1892 ; 4.127, 1893). On doit considérer la région à l’intérieur d’une distance
infinitésimale de la brèche de continuité 22 et c’est la région immédiatement
près de B qui est en partie P et en partie non-P. Mais il faut bien voir qu’à
l’époque, si l’importance de l’infinitésimal est bien mise en évidence (les lois
de la nature sont sujettes à des changements infinitésimaux, « design and
Chance », in E.P.l, p. 219), la théorie des infinitésimaux est loin encore d’être
intégrée à une conception du continu.
— à partir de 1896, Peirce en vient à penser qu’il faut revenir au vrai
Kant. La définition de la continuité comme Kanticité plus aristotélicité :
...implique une incompréhension de la définition de Kant, dans laquelle
(Kant) lui-même est tombé. À savoir, il définit un continuum comme ce dont
toutes les parties ont des parties du même genre. Lui-même, et moi après lui,
nous avons compris que cela signifiait une infinie divisibilité, ce qui claire-
ment n’est pas ce qui constitue la continuité (6.168, 1903 ; cf. NEM ii : 482,
vers 1904 et NEM iii : 748, sans date).

Et Peirce propose une dernière conception du continu à laquelle il res-


tera fidèle jusqu’au bout :
un continuum est un ensemble d’une multitude si grande que, dans tout l’uni-
vers des possibles, il n’y a pas de place pour qu’ils puissent conserver leurs
identités distinctes ; mais ils deviennent soudés les uns aux autres 23. ainsi le

22. Pour une discussion approfondie des conceptions peirciennes des infinitésimaux, voir
Herron 1997.
23. Ceci aperçu par Peirce dès 1897 ; « En elle (la ligne), les identités individuelles des uni-
tés sont totalement confondues, de telle manière que pas une seule d’entre elles ne peut être
identifiée, même approximativement » (4.219, 1897). Ou encore : « Continuité et généralité sont
deux noms pour la même absence de distinction des individus » (4.172, 1897).
156 Pierre Thibaud

continuum est tout ce qui est possible, quelle que soit la dimension selon
laquelle il soit continu (NEM iV : 343, RLC, p. 218).

Ce texte, extrait de la troisième Conférence de Cambridge de 1898 (qui


reprend et développe des idées exprimées en 1896 dans « On Quantity » et
en 1897 dans « Multitude and Number » et « On Multitude ») énonce deux
caractéristiques essentielles des ensembles continus selon Peirce, caractéris-
tiques qui s’ajoutent à la réflexivité déjà vue plus haut, à savoir :
— leur multitude (puissance, nombre cardinal) dépasse toute multitude
cantorienne. Comme l’écrit Putnam, « (Son) hypothèse métaphysique auda-
cieuse » est que « ce qui répond à notre conception d’un continuum est une
possibilité de division répétée qui ne peut jamais s’épuiser dans un monde
possible quelconque, pas même dans un monde possible dans lequel on peut
accomplir des processus non-dénombrablement infinis » (Putnam 1995,
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p. 17 ; cf. Sfendoni-Mentzou 1993 et 1997). C’est pourquoi Peirce forgera, à
propos des ensembles continus, la notion de « supermultitude » (Ms 28, p. 8
et NEM iii : 86), vers 1897, par opposition aux multitudes transfinies de
type cantorien. dans « On Multitude » Peirce dit qu’il faut réserver le terme
de multitude aux ensembles discrets (p. 87). On voit que la transinfinitude
implique l’impossibilité de définir les points en termes de passages à la limite
car ceci ferait du continu un ensemble déterminé de discreta ayant une mul-
titude définie ;
— la dissolution de la notion d’individu comme individu distinct et indé-
pendant des autres individus, propriété de confusion présentée comme consé-
quence directe de la transinfinitude du continu 24. Pour Cantor, les éléments
d’un ensemble, de quelque puissance que soit ce dernier, sont des individus
distinguables les uns des autres, c’est-à-dire « discrets » : « ils sont décrits…
comme étant par leur propre nature distincts, et ainsi comme étant discrets »
(Ms 137 et NEM ii : 527) – en 1904 25. L’intuition décisive de Peirce va consis-
ter ici à donner aux entités d’un ensemble continu un statut modal, en l’oc-
currence le statut d’une entité possible 26 : « les points inoccupés d’une ligne
sont de simples possibilités de points » (« Note on Continuity », 4. 537-542),
ou encore, ainsi qu’on l’a vu: « le continuum est tout ce qui est possible, quelle
que soit la dimension selon laquelle il soit continu » (NEM iV : 343). dans la

24. déjà en 1897 dans « On Multitude » il écrivait : « Un ensemble supermultitudinien est si


grand que ses individus ne sont plus distincts les uns des autres » (p. 86-87).
25. On peut dater la première découverte par Peirce des œuvres de Cantor de l’hiver 1883-
84, mais ce n’est que dans les années 85-95 qu’il en fera une lecture approfondie (cf. M. E. Moore
2007)
26. Noble 1989 a bien montré que c’est un changement dans la définition même du possi-
ble, intervenu vers 1896/1897, qui a permis à Peirce d’élaborer une nouvelle théorie du continu.
Vers une philosophie de la limite 157

mesure où le possible fait référence, non à des individus (comme dans une
sémantique de mondes possibles à la Rescher), mais à un général conçu
comme « un continu vaguement défini » (NEM iii : 925, en 1902), il est indé-
terminé, c’est-à-dire vague et indistinguable d’autres possibles du même
ordre, ce qui entraîne que les entités constituant un continuum ne sont plus,
en tant que possibles, distinctes, indépendantes, mais deviennent des entités
n’existant qu’à travers les rapports qu’elles entretiennent avec les autres enti-
tés 27, de sorte qu’aucune multitude de cas individuels ne peut les épuiser :
En résumé, l’idée d’un général implique l’idée de variations possibles qu’au-
cune multitude de choses existantes ne pourrait épuiser mais qui laisseraient
entre deux choses quelconques non simplement plusieurs possibilités mais
des possibilités absolument au-delà de toute multitude (5.103, 1903).

dans une telle conception, la ligne apparaît comme faite d’infinitésimaux


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(Ms 955) conçus comme pures possibilités ne contenant aucun point actuel :
(la ligne) ne contient aucun point jusqu’à ce que la continuité soit rompue en
marquant les points. En accord avec cela, il semble nécessaire de dire qu’un
continuum, là où il est continu et non rompu, ne contient aucune partie défi-
nie ; que ses parties sont créées dans l’acte qui consiste à les définir et leur
définition précise rompt la continuité (6.168, 1903) 28

dans cette conception, la ligne ne contient aucun point actuel mais seu-
lement des points possibles. Ce que, dira Peirce dans une lettre à Paul Carus
de 1899, Kant n’a pas vu, « considérant les points comme existants dans la
ligne » (même s’il le crédite de « ne pas essayer de construire un continuum
à partir de points, comme le fait Cantor 29 »). Les points possibles de la ligne
sont présentés comme des possibilia 30 et la ligne devient ce que Peirce
appelle un « agrégat potentiel » (4.172), le mot « potentiel » signifiant qu’on
passe ici d’une pure possibilité négative à une possibilité réelle, comme dis-
position à être actualisée selon une certaine manière et dans une certaine
direction 31. En tant que potentialité la ligne contient, non des individus,

27. « Les points existent seulement en vertu de… connections », in « Multitude and
Continuity », NEM iii : 95.
28. Cf. Ms 137, 1904 : « il n’existe réellement aucun point sur une ligne continue… ils ont
un être potentiel ; mais ils n’existent pas jusqu’à ce que quelque chose se produise qui les
marque… telle est la notion de continuité ».
29. Lettre à Paul Carus du 17 août 1899, citée par M.E. Moore 2007.
30. ii en serait de même pour un intervalle de temps ne contenant que des instants possi-
bles et non-actuels (cf. Ms 137, p. 4-5, 1904).
31. Hausman 1998 a bien souligné la différence entre pure possibilité et possibilité dispo-
sitionnelle ou potentialité. Une qualité est une pure possibilité, une qualité de couleur une
potentialité.
158 Pierre Thibaud

mais simplement « des conditions générales permettant la détermination


d’individus 32 », et une telle ligne découle, selon Peirce, d’une définition de
la continuité comme Kanticité, mais où cette dernière signifie, non une divi-
sibilité infinie, mais la propriété d’avoir des parties dont toutes ont des par-
ties de la même espèce (réflexivité). On voit ici le renversement complet par
rapport à Cantor, qui construisait son continu à partir du discret, c’est-à-dire
d’une façon totalement contre-intuitive, ne cadrant pas avec l’idée intuitive
de « smoothness » telle qu’elle apparaît dans le langage et la perception ordi-
naires, ce qui ne pouvait qu’interpeller le pragmatiste du « Comment rendre
nos idées claires ». Pour Peirce – qui considère que le paradis de Cantor est
décidément trop petit pour contenir un vrai continu – la réflexivité signifie
que le continu est premier, antérieur au discret qui ne peut apparaître que
par passage du potentiel à l’actuel, passage faisant jaillir une brèche de conti-
nuité :
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Je suis entièrement d’accord avec James, contre l’idée de dedekind ; et sou-
tiens qu’il n’y aurait aucun point actuellement existant dans un continuum
existant, et… si un point était placé dans un continuum, il constituerait une
brèche de continuité (6.182, vers 1911).

Ou encore, le point :
réellement n’existe pas, sauf s’il y a actuellement quelque chose qui est là pour
le marquer, qui… interrompt la continuité (Century Dictionary, p. 168).

dans cette perspective résolument constructiviste, le point sur la ligne


est la conséquence d’une discontinuité :
s’il n’y avait là aucune discontinuité, il n’y aurait aucun point distinct, c’est-
à-dire aucun point absolument distinct dans son être de tous les autres (3e
Conférence de Cambridge, RLC, p.217).

Une assez bonne illustration du modèle peircien de la ligne continue pour-


rait, comme le remarque Herron (1997), être trouvée dans le modèle
développé en 1981 par Kock et Lawvere 33, dans le cadre de ce qu’on a appelé
la géométrie synthétique, géométrie dont les idées remontent au moins à isaac
Barrow, le professeur de Newton. dans ce modèle popularisé par J. L. Bell
en 1988 et 1998 – modèle différent de ceux de Robinson (1974) ou de Nelson
(1977) et plus proche que ces derniers, comme le montre Herron (1997), des
idées de Peirce –, entourant tout point, il y a un petit intervalle autour du

32. Huitième Conférence de Cambridge, RLC, p. 317. Ou encore, à la même page : « le mot
‘potentiel’ signifie indéterminé et pourtant susceptible de détermination dans n’importe quel
cas spécial ».
33. Kock 1981. Cf. Moerdijk et Reyes 1991 ainsi que Petitot 1999.
Vers une philosophie de la limite 159

point donné dans lequel on peut définir une fonction continue linéaire, où
la loi du tiers exclu ne fonctionne pas. Ces intervalles infinitésimaux sont les
vraies parties à partir desquelles la ligne peut être construite ; mais ce ne sont
pas des parties atomiques. dans cette théorie délibérément anti-fondation-
naliste, la ligne apparaît comme un système sans fin de parties de plus en
plus petites, mais où il n’y aurait aucune partie qui soit atomique. dans ce
modèle, les points ne sont pas les éléments atomiques puisque la loi du tiers
exclu ne peut être utilisée pour distinguer entre deux points avec une infi-
nie précision. Les points apparaissent, ainsi qu’on le voit chez Peirce, comme
des éléments potentiels de la ligne, se produisant, dira Peirce, quand une
brèche de continuité actuelle est opérée. Un véritable continu peircien, en
ce qui concerne les brèches de continuité, ne peut contenir que des brèches
potentielles. Mais les propositions L ne concernent que des brèches actuelles.
Quand en 1898 Peirce écrivait, à propos de la ligne tracée à la craie sur le
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tableau noir, que « la frontière entre le noir et le blanc n’est ni noire, ni
blanche, et elle n’est ni l’un ou l’autre, ni les deux » (6.203 et RLC, p. 333,
1898) – ce qui signifie que si B est une brèche de continuité et P et non-P
ses propriétés frontières, B n’est ni P ni non-P – il se référait à des brèches
actuelles. Brèches dans lesquelles, si PC et PTE s’appliquent, PC est vrai
tandis que PTE est falsifié. dans l’exemple peircien de la tache d’encre sur
la feuille blanche, il est faux que les points sur la frontière soient blancs et
noirs et il est faux de dire qu’ils sont blancs ou noirs (ceci violant PTE) 34.
En termes de valeurs de vérité, la troisième valeur L est un cas évident de
violation du principe de bivalence selon lequel une proposition concernant
un état de choses est ou vraie ou fausse. On voit ici que la logique triadique
peircienne ne cherche pas à éliminer les principes fondamentaux de la
logique mais seulement à rendre compte des états de choses se trouvant en
position de limites dans un système continu.
Le problème fondamental qui apparaît dans le modèle peircien du
continu est celui du rapport continu/discret, problème sur lequel Peirce va
revenir jusqu’à sa mort sans pouvoir en trouver une formulation logico-
mathématique satisfaisante à ses yeux, ainsi que le montre bien Jérôme
Havenel (2008). On peut dire qu’à partir de 1908 Peirce devient de plus en
plus conscient qu’une théorie des ensembles est incapable de rendre compte
du continu et qu’il faut chercher du côté d’une géométrie projective (3.526)
avec son modèle de ligne infinie qui ne saurait être la droite euclidienne mais
le cercle de rayon infini, et surtout du côté de la topologie qui, disait-il, est

34. On notera cependant que certains textes (NEM ii : 531, NEM iii : 747 et 6.126) sem-
blent dire qu’ici PC est falsifié. Cf. Lane 1999 et annoni 2006. On peut penser que ces textes
renvoient non à des brèches actuelles mais à des brèches potentielles où en fait PC ne s’applique
pas (cf. Lane 1999).
160 Pierre Thibaud

la seule géométrie abstraite traitant purement des propriétés de continuité


et de discontinuité et qu’il présente comme « le compte rendu complet de
toutes les formes de continuité » (NEM ii : 626, Ms 145). Topologie qui est
essentielle car dans un continuum parfait (sans brèches de continuité) « toute
partie suffisamment petite possède le même mode de connexion immédiate
avec les autres qu’à chaque autre » (4.642, 1908) et la topologie est l’étude
de ces connexions. Mais la topologie ne peut in fine qu’échouer à rendre
compte du continu car elle « présuppose la doctrine du temps car elle consi-
dère des mouvements » (NEM ii : 481). Plus généralement, Peirce finit par
se rendre compte que la meilleure théorie du continu « se trouve au-delà de
la juridiction de la Mathématique Pure » (6.182, 1911, A Sketch of Logical
Critic). Car la mathématique pure ne peut rendre compte de l’aspect dyna-
mique du continu, tel qu’il apparaît dans l’évolution. Le vrai continu doit
être recherché du côté du « sens commun », c’est-à-dire des phénomènes
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mentaux (pensée, mémoire, perception) : « dire que les phénomènes men-
taux sont gouvernés par des lois ne signifie pas seulement qu’ils sont décri-
vables par une formule générale ; mais qu’il y a une idée vivante, un conti-
nuum conscient de sentiment, qui les traverse et auquel ils se plient »
(6.152)
Ce n’est pas pour rien qu’« On Multitude » s’arrête brutalement au
moment où Peirce semble sur le point de tenir sa promesse de « réexaminer
soigneusement la relation d’un ensemble supramultitudinien à ses indivi-
dus » (p. 100). La quête peircienne, qui partait d’une analyse logico-mathé-
matique du continu, va s’achever par une explication métaphysique qualita-
tive de ce dernier où le temps, qui est un « continuum par excellence à travers
les lunettes duquel nous regardons tout autre continuum » (6.86), apparaît
comme « une forme, c’est-à-dire... de la nature d’une Loi et non d’une
Existence » (6.96). de même que la loi est antérieure à ses instances et ne
saurait s’épuiser en elles, de même le continu est antérieur à ses discrets et
ne saurait s’épuiser en eux. Le rejet d’une théorie nominaliste de la loi est
un trait fondamental de la philosophie de Peirce et, sur ce point, ses idées
sont inséparablement liées à sa théorie du continu, qui n’est peut-être au
fond qu’une tentative désespérée pour jeter une lumière plus profonde sur
la notion même de généralité.
Elle le fait tout d’abord en nous offrant l’exemple le plus parfait de géné-
ralité et donc en sauvant la notion même de généralité. Comme le fait remar-
quer Johanson, la meilleure justification du continu supermultitudinien est
qu’il réalise ce que Peirce souhaitait, à savoir « la généralité la plus extrême
possible 35 ». Par rapport à la couleur, par exemple, le continu transinfini de

35. Johanson 2001, p. 10.


Vers une philosophie de la limite 161

couleurs permet le plus grand nombre de solutions pour x de la relation tria-


dique dans laquelle a et b sont des couleurs et x une couleur possible entre
a et b.
d’autre part le continu peircien jette une lumière nouvelle sur les géné-
ralités à l’œuvre dans la science, à savoir les lois de la nature, en nous pré-
sentant ces dernières non comme des réels existant dans un monde trans-
cendantal platonique totalement non instancié ou dans un monde physique
nominaliste totalement instancié, mais comme de simples possibilités d’exis-
tence, infiniment riches en contenu en tant que contenant virtuellement
l’inépuisable richesse concrète de leurs futures instanciations (cf. Sfendoni-
Mentzou 1997), à la façon du dieu du Buisson ardent ne se déclinant à
Moïse qu’en un présent irrémédiablement lié à un futur infini (à travers le
fameux « qui je suis et serai » biblique). de même que le dieu de la Bible est,
comme disent les théologiens, toujours à venir autant qu’il est déjà venu, de
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même pour Peirce, comme nous le montre sa notion si riche de continu, la
possibilité dépasse l’actualité, mais de façon intrinsèque et non à cause de
la finitude des pouvoirs humains ou des limitations imposées par les lois phy-
siques. On voit ici que l’analyse que fait Peirce des lois concrètes, comme le
montre sa théorie du continu, se veut d’abord une analyse délibérément phi-
losophique et non seulement mathématique, dans la mesure où son but était,
non de fonder les mathématiques comme pouvait à l’époque chercher à le
faire un Weierstrass, mais de pousser aussi loin que possible les consé-
quences logiques de ses idées pour les besoins de la philosophie 36, plus pré-
cisément d’une analyse philosophique du fonctionnement même de l’esprit
humain. Par exemple, la propriété de confusion des entités entrant dans le
continu peircien a amené certains logiciens à étudier en logique mathéma-
tique de nouvelles lois, dans le cadre des recherches des dernières décennies
portant sur les topologies sans points (cf. Johanson 1981 et 2001). Mais il
faut bien voir qu’une topologie à la Peirce, à la différence des topologies
modernes, est une topologie qui exclut la mathématique des nombres, dans
la mesure où les points potentiels, en tant qu’indéterminés, ne peuvent rece-
voir de signification algébrique et où, par conséquent, la notion de continu
potentiel ne peut être utilisée dans d’autres domaines de la mathématique.
Mais si le concept de continu potentiel ne peut être un concept mathémati-
quement fondationnel, comme l’a bien montré Hudry 37, il reste, et c’est cela

36. Cf. dauben 1981.


37. Hudry 2004. Hudry montre que l’erreur de Peirce est d’avoir voulu faire de la topolo-
gie la branche la plus haute de la mathématique, alors que la topologie moderne se veut la
branche la plus basse et la plus large commune à une majorité d’autres domaines mathéma-
tiques.
162 Pierre Thibaud

qui compte aux yeux de Peirce, un concept heuristiquement fécond. Nous


l’avons déjà vu plus haut au niveau de la quantification, mais il faudrait ici
généraliser et dire qu’avec l’idée peircienne d’état intermédiaire apparaît
l’idée d’une proposition comme espace de variations infinitésimales entre
des états propositionnels (Thibaud 1997), la logique devenant alors l’étude
des degrés infinis de vérité, d’assertabilité, de connexion, de quantification
et de modalité appartenant à toute proposition. « Proposition » qui mérite
bien alors son nom de « pro-position », c’est-à-dire de position se projetant
en avant vers une infinité d’univers logiques possibles. Mais c’est une ques-
tion que nous ne pouvons aborder ici et, pour terminer, nous nous conten-
terons de montrer brièvement l’intérêt du concept peircien de continu pour
une analyse des changements de lois opérés dans la science.
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3.3. Propositions L et création de continua

On devine l’importance des brèches de continuité pour une philosophie


du continu dans laquelle les lois de la nature, en tant que générales, sont de
pures continuités 38 mais plongées dans un univers soumis à un principe
général de transformation et d’évolution rendant toute philosophie du
continu par essence paradoxale. Comment un synéchisme de type évolution-
niste peut-il assumer en même temps les continuités que sont les lois de la
nature et les discontinuités que sont les changements intervenant dans ces
lois ? Une réponse particulièrement éclairante nous est fournie par l’exem-
ple de la coupure de dedekind. En effet, la division conceptuelle de la ligne
continue ad au point P par la coupure :
a—–————————————–d
P
donne naissance à deux points nouveaux :
a——–——— B C———————d
B et C introduits au point P et deux lignes continues nouvelles aB et Cd
non réductibles à la ligne initiale ad 39. On peut dire, en langage peircien,
que la division au point P correspond, dans la ligne continue de la semiosis,
à un acte interprétatif de l’esprit qui vient briser une continuité mais pour
en produire de nouvelles 40. Et en ce sens on peut dire que la coupure en P –

38. « La généralité… est la même chose que la continuité » (6.173).


39. Le caractère irréversible de la transformation opérée par la coupure a été bien souligné
par Putnam 1995, p. 6-7.
40. On lira sur ce thème les remarques pertinentes de C. Hausman 1998.
Vers une philosophie de la limite 163

véritable état naissant que Peirce décrit en Ms 439 comme une « explosion 41 »
par laquelle le potentiel devient actuel – représente l’état naissant par excel-
lence au travers duquel peuvent être envisagés tous les autres, dans la mesure
où elle montre comment peuvent se créer, à partir d’un continuum originel,
des continua nouveaux, par le moyen même d’une discontinuité introduite
lors de l’actualisation d’une potentialité. Par où l’on voit que, dans la philo-
sophie peircienne du continu, les discontinuités sont moins des « défauts »
de continuité que ce par quoi de nouvelles continuités peuvent naître. d’où
la justification ultime du beau qualificatif de « naissant » donné par Peirce
aux états limites. Peut-être est-ce seulement à travers de tels états que peut
être pensé – dans le cadre d’une philosophie synéchiste posant la médiation
et la continuité comme conditions fondamentales de l’intelligibilité – le
dynamisme des généraux ? On saisit mieux alors l’importance que pouvaient
revêtir, aux yeux de Peirce, les recherches menées à la toute fin de sa vie pour
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tenter de capter, à travers une logique nouvelle de type trivalent, la logique
des ruptures du continu 42 : « J’ai senti depuis longtemps qu’un défaut
sérieux dans la logique existante était qu’elle ne tient aucun compte de la
limite entre deux royaumes 43 » (NEM iii : 851, 26 fév. 1909).

CONCLUSiON

La notion peircienne d’état intermédiaire ou naissant – naissance envi-


sagée dans son triple aspect, d’une part d’engendrement d’un processus
continu où la notion de potentialité joue un rôle essentiel, d’autre part de
rupture dans un continu et enfin de création de nouveaux continua (deux
derniers aspects où la notion de passage du potentiel à l’actuel joue un rôle
déterminant) – nous apparaît comme l’une des notions les plus éclairantes
de toute la pensée de Peirce. Car elle nous renvoie à un réel caractérisé par sa
nature fondamentalement potentielle, mais en état constant de transition du
potentiel à l’actuel, ce dernier servant de potentialité pour une nouvelle étape
à venir, dans un mouvement irréversible et sans fin aux formes typiquement

41. Un point « pourrait exploser en une multitude discrète de points quelconques et ils
auraient tous été un seul point avant l’explosion » (Ms 439, p. 27).
42. Ce lien des états naissants avec la logique trivalente, pressenti par C. Eisele (cf. NEM
iii, 1976, p. XViii) ne sera pleinement mis en lumière que par Lane 1999 et annoni 2006.
43. Quand, dans son manuscrit de 1909 où il fait une présentation matricielle de sa logique
trivalente (MS 339), Peirce écrit que « tout ceci est très proche du non-sens », il ne faut pas voir,
contrairement à ce que semblent penser Fisch 1986 (p. 172) et Williamson 1994 (p. 102), un
aveu d’échec de la part de Peirce. Ce dernier est très conscient de l’importance de sa décou-
verte, allant même jusqu’à écrire que sa « logique triadique est universellement vraie », et nous
verrions volontiers dans la remarque de Peirce une anticipation de la notion Halldénienne de
« proposition absurde » comme proposition ni vraie ni fausse (Halldèn 1949, p. 9).
164 Pierre Thibaud

aristotéliciennes. Mouvement capté par un langage dont les signes, comme


le maître dont l’oracle est à delphes, ne disent ni ne dissimulent mais, dans
leur dimension proprement intermédiaire ou naissante, font signe selon la
belle expression d’Héraclite 44.
La notion d’état naissant jette, ainsi qu’on l’a vu, une lumière nouvelle
sur un certain nombre de couples de contradictoires ou d’antithétiques. Mais
d’autres couples pourraient être envisagés. Si l’on considère, par exemple,
le couple Signe/non-Signe, sans doute y aurait-il intérêt à penser l’habitude,
qui se trouve à la frontière des deux 45, à la lumière des états naissants. Et
c’est bien ce vers quoi nous oriente la remarque de Peirce sur l’habitude pré-
sentée comme étant un « signe d’une autre façon » (5.491), ce qui montre
qu’elle n’est ni signe ni non-signe et peut donc s’analyser dans le cadre des
propositions L. On pourrait faire la même analyse à propos du couple
Réel/Fictif et de la notion de « Réel interne » (Ms 333, p. 19) 46 se situant à
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la limite entre les deux. Ou encore à propos du couple dedans/dehors et de
sa région intermédiaire ou naissante où se jouent les expériences décisives
de la sensation et de l’effort 47. Peut-être est-ce à la lumière de la notion d’état
intermédiaire ou naissant, envisagée dans le contexte d’une philosophie du
continu, que certaines arcanes de la philosophie pourraient être « déverrouil-
lées (unlocked) », selon l’expression et le voeu même de Peirce.

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44. « Le maître à qui appartient l’oracle de Delphes ne parle pas, ne dissimule pas : il fait
signe », HéRaCLiTE, frag. 93 (diels).
45. Cf. Thibaud 1983, p. 25.
46. Cf. dozoretz 1979.
47. Cf. 5.539 (vers 1902).
Vers une philosophie de la limite 165

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Résumé : Cette notion apparaît dans Les enjeux du pragmaticisme (1905), où Peirce évoque
la notion de « frontière » ou de « limite ». Le concept prend tout son sens dans le cadre d’une
philosophie de la détermination et d’une philosophie du vrai. On essaiera d’en analyser
à la fois la logique et la philosophie sous-jacentes, en cherchant à montrer que nous avons
peut-être là, au travers d’une philosophie originale du continu, l’un des concepts les plus
éclairants du pragmatisme peircien.
Mots-clés : Limite. État intermédiaire. Vérité. Détermination. Potentialité. Continuité.
Vague. Infinitésimaux.

abstract: This notion appears in Issues of Pragmaticism (1905), in which Peirce evokes the
notion of “boundary” or “limit.” The concept acquires its very meaning within the fra-
mework of a philosophy of determination and a philosophy of truth. We shall try to ana-
lyze both the underlying logic and philosophy of it, by seeking to show that therein lies
perhaps, through an original philosophy of the continuum, one of the most enlightening
concepts of Peirce’s pragmatism.
Keywords: Limit. Intermediate state. Truth. Determination. Potentiality. Continuity.
Vagueness. Infinitesimals.

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