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Augustin Planty

Dissertation en Philosophie
Sujet : Suffit-il de penser seul pour bien penser ?

“Le paradoxe de la condition humaine, c'est qu'on ne peut


devenir soi-même que sous l'influence des autres.” dit Boris
Cyrulnik. Par cette citation, Cyrulnik appuie sur le fait que la
pensée des hommes est influencée par celle des autres, et
qu’elle nous permet de nous trouver nous même. Mais au-delà
de la question de la recherche de soi, l’idée de l’influence des
autres sur notre pensée est intéressante. Il apparaît comme clair,
dans nos sociétés actuelles, que l’homme ne peut plus penser
seul, tant il est soumis aux multiples influences des technologies
de l’information (radio, internet, télévision, presse…). Ainsi
donc, avec toutes ces influences, de quelle manière l’homme
peut-il accéder à la vraie connaissance ?
Il convient dans un premier temps de définir les termes du
sujet, à savoir “seul”, “penser” et surtout “bien penser”. Être
seul apparaît a priori comme étant en l’absence d’altérité
humaine, la question est de savoir si nous parlons du solitude
réelle (“il n’y a personne autour de moi et je vis entièrement
seul”), ou bien d’une solitude dans l’esprit (“je vis avec les autres
mais je ne me laisse pas influencer par eux). La seconde
définition étant la plus générale (tant l’homme est un “animal
social” comme le dit Aristote), nous la favoriserons. Le fait de
penser semble renfermer en lui un principe de production. Si je
pense, alors je forme une pensée dans mon esprit, à partir
d’éléments déjà existants. C’est donc une action volontaire qui à
pour but principal la fondation de nouvelles idées. D’autre part,
“bien penser” implique un jugement moral sur la pensée que
nous produisons, et amène ainsi l’idée que nous pourrions “mal
penser”. Comme le bien et le mal dépendent généralement d’un
contexte socio-politique, le “bien penser” découlerait donc de ce
contexte. Pour cette définition, nous garderons donc à l’esprit
que “bien penser”, c’est avoir des opinions conformes à la vérité,
ou ce qu’on croit être la vérité.
Ainsi donc, l’Homme n’a-t-il qu'à penser par lui-même
pour bien penser ? Nous tenterons de résoudre cette
problématique en plusieurs parties. Tout d’abord, nous
avancerons que nous avons besoin des autres pour bien penser,
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par la suite que bien penser dépend avant tout de nous même,
et enfin nous soulèverons cette tension en montrant que bien
penser, c’est avant tout penser avec méthode.

Nous pensons d’abord en fonction de préjugés dont nous


ne sommes pas les auteurs. En effet, nous subissons toutes
sortes d’influences qui, consciemment ou non, nous amènent à
penser d’une certaine manière. Sans nous en rendre compte,
nous avons été habitués, depuis notre plus jeune âge, à certains
concepts qui ne nous posent plus question. Les préjugés entrent
ici en jeu : il s’agit littéralement de ce qui est “pré-jugé”, c’est à
dire ce qui ne nécessite plus de faire l’effort penser. Face à ce
constat, l'allégorie de Platon issue de La République nous
apporte une élément de résolution. Dans cette allégorie, c’est à
dire une narration avec des éléments concrets, mais illustrant un
contenu abstrait, se trouve un homme dans une caverne. Cet
homme est attaché et ne peut sortir, et il voit apparaître devant
lui des ombres qu’il prend pour la réalité. Ces ombres sont issues
de porteurs qui derrière cet homme font défiler des motifs.
Arrive alors le philosophe. Le philosophe alerte l’homme en lui
expliquant que ce qu’il voit devant lui n’est pas la réalité.
L’homme ne voulant pas sortir à la vraie lumière (la lumière du
soleil), le philosophe doit le sortir de force à l'extérieur de la
caverne, et lorsque celui-ci s'y trouve, la lumière l'éblouit
tellement, qu’il en souffre. Dans cette allégorie, les ombres
représentent les fausses idées, les préjugés, et les porteurs
représentent les politiciens, les sophistes et les rhéteurs, qui
trompent les hommes. Pour pouvoir apercevoir le vrai monde, le
philosophe doit sortir de force l’homme à la vraie lumière.
Platon démontre le caractère hétéronome de la pensée,
c’est-à-dire le fait que l’homme ne puisse pas bien penser par
lui-même. Dans un premier temps, l’homme ne pense pas par
lui-même à cause des ombres qui le trompent, puis lorsque le
philosophe, l’homme libre, vient le chercher, il doit le
contraindre à le suivre en dehors de la caverne : une fois de plus
il est lié aux autres pour bien penser. Ainsi, Platon avance que
l’homme ne pense jamais seul, et qu’il doit y avoir une altérité
pour qu’il pense bien.
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La résolution d’user de son propre entendement est la
première étape hors de l’ignorance. La thèse de Platon pourrait
en effet être nuancée par le fait que ce qui permet à l’homme
d'accéder à la connaissance, c’est la volonté. C’est comme si
l’individu dans la caverne choisissait lui-même d’en sortir, en
usant de son entendement, c'est-à-dire de sa faculté de
comprendre, sans que le philosophe l’en sorte. L’individu est
autonome dans son chemin vers la connaissance. La thèse
d’Emmanuel Kant démontre précisément le caractère autonome
de la pensée. Sapere aude, “ose penser”, voilà ce que nous dit
Kant. Il ne dit pas que nous pouvons accéder à toute la
connaissance par nos seules facultés individuelles, mais qu’en
tout cas, le premier pas vient de l’individu. La volonté de savoir
est pour Kant le premier pas hors de l’ignorance. Kant n’invalide
pas entièrement la thèse de Platon : nous restons selon lui
soumis aux préjugés, et donc à une pratique hétéronome de la
pensée. Mais pour Kant cette pratique de la pensée est due
avant tout à un manque de volonté, et que si l’on “ose penser”,
alors une autonomie de la pensée est quand même possible.
Ainsi, Kant nous apporte, face à Platon, un élément nouveau,
mais la question demeure de savoir entre ces deux thèse vis à vis
du rôle des autres si c’est l’autre qui m'emmène à la
connaissance, ou si je peux y accéder en faisant le premier pas.

Il semblerait que nous puissions dépasser cette tension


par la méthode : bien penser, c’est d’abord penser
méthodiquement. Descartes nous apporte un élément de
réponse dans son Discours de la méthode. Il explique sa
méthode en prenant l’exemple d’un voyageur qui ce serait égaré.
Selon Descartes, le voyageur perdu dans une forêt qui
souhaiterait en sortir, plutôt que de s’y balader de manière
hasardeuse, doit se fixer une direction et s’y tenir jusqu’à savoir
ce qu’il en est. Ainsi, même s’il n’arrive pas à l’endroit désiré, le
voyageur arrivera quelque part, et saura qu’il ne doit plus aller
dans cette région de la forêt. Descartes ajoute qu’il sera
“vraisemblablement mieux qu’au milieu d’une forêt”. Ce principe
peut être utilisé comme une maxime, c'est-à-dire une formule
brève énonçant une règle morale et de conduite, et donc
comme une méthode. Elle énonçait qu’en toute chose, il faut
aller jusqu’au bout et ne pas se laisser distraire pour de faibles
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raisons. Même si l’on venait à se tromper, l’erreur constitue
malgré tout une base solide pour trouver la connaissance.
Aristote nous éclaire également sur la question grâce à la
logique. Selon lui, la logique obéit à 3 principes qui nous
permettent d’évaluer la valeur d’un raisonnement, et donc d’une
connaissance. Le premier principe est le principe d’identité, qui
veut dire qu’une chose est une chose, que A est A, que la réalité
à une certaine immuabilité. Le second est le principe de
non-contradiction, qui veut dire que les choses conservent leurs
attributs, qu’une proposition ne peut pas être à la fois vraie et
fausse. Et enfin le dernier principe est celui du tiers exclu, qui
refuse un intermédiaire entre deux énoncés contradictoires (ou
bien Socrate est vivant, ou bien il est mort, il n’y a pas de
troisième voie). Ces principes selon Aristote constituent donc
une méthode pour soumettre la connaissance à son jugement et
“bien penser”. La méthode constitue donc un dépassement de la
tension qui peut exister entre les deux thèses de Platon et de
Kant qui, sans être entièrement opposées, restent
contradictoires.

En conclusion, il était question de savoir si bien penser,


c’était penser seul. Nous avons vu dans un premier temps par
l'allégorie de Platon qui nous a montré le caractère hétéronome
de la pensée, que nous avions besoin d’une altérité pour sortir
de l’ignorance. Par la suite, grâce à la thèse de Kant, nous avons
vu que nous restions dans l’ignorance par manque de volonté,
ce qui suggère donc qu’une autonomie de la pensée, qu’une
sortie de l’ignorance par soi-même est possible. Dans un
troisième temps, nous avons tenté de dépasser cette tension
entre hétéronomie et autonomie par le biais de la méthode avec
la maxime de Descartes, et la logique aristotélicienne.

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