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TRIMESTRE 3.

Aristote, Métaphysique Livre A, I,1.
Eléments de corrigé [non exclusifs] du texte 2/3.
 
« C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations
philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l'esprit ;
puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les
phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l'Univers. Or apercevoir une difficulté
et s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance (c'est pourquoi même l'amour des mythes est, en quelque
manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour
échapper à l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c'est qu'évidemment ils
poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s'est passé en
réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et
son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. [ Je conclus
que, manifestement, nous n'avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous
appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule
de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin ]. »
Aristote, Métaphysique

1. Thème central :
Point de méthode. Le thème, c'est la question ou le problème auquel le texte répond
(problema = obstacle) et en vue duquel tout le texte s'organise.
 
Dans cet extrait de la Métaphysique, trois questions portant sur l'acte de
philosopher étaient ainsi admissibles :
Qu'est-ce que philosopher ? Comment les hommes en vinrent-ils à
philosopher ? Pourquoi philosopher ?
 
2. Quel lien Aristote établit-il entre l'étonnement et l'ignorance ?
Point de méthode. En règle général, à un thème correspond une ou plusieurs thèses. Par
thèse, il faut entendre réponse à la question identifiée en 1. Dans tous les cas il faut
tenter de rendre raison de la nécessité de la réponse ou des réponses apportées en les
justifiant.
 
En liant l'étonnement à la reconnaissance de sa propre ignorance, Aristote décrit le
mouvement même de toute réflexion, et il fait de ces 2 états les conditions indissociables
du « philosopher » ou de la pensée en général :
a. premier temps : comme Platon, Aristote pense que "la philosophie commence avec
l'étonnement". Ce qui étonne c'est, d'un côté, ce qui arrête et "ébranle l'âme tout entière",
et, de l'autre, ce qui nous est inconnu et nous fait ainsi obstacle (double sens
de problema : arrêt, obstacle). Tout le problème est alors de savoir si, face à ce que je ne
connais pas, je vais rester étourdi comme un sot (comme “un lapin devant les phares
d'une voiture” ; "un sot au moindre mot paraît renversé", Héraclite), ou si, au contraire,
prenant conscience de mon ignorance, je vais vouloir chercher à la dépasser.
b. deuxième temps : seule la reconnaissance de notre ignorance signe l'entrée en scène de
la pensée (Socrate : la première chose que je sais, c'est que je ne sais rien). Pour illustrer
notre propos, prenons l'exemple de l'éclipse, suggéré par Aristote au second § : là où les
uns imaginaient que de mauvais esprits dévoraient le soleil et qu'il fallait les chasser, les
autres découvrirent par l'observation rigoureuse et la seule force de la raison que sa
disparition résultait de l'interposition momentanée de la lune entre le soleil et nous, et
qu'il fallait laisser faire. La différence fondamentale entre les deux attitudes, c'est que les
uns veulent chasser l'obstacle qu'ils voient situé devant eux, tandis que les autres veulent
échapper à l'obstacle de l'ignorance qu'ils ont reconnu être située en eux-mêmes.
Conclusion : l'étonnement est bien ce moment décisif qui soit laisse le sot dans
l'ignorance, soit pousse l'homme à surmonter son ignorance en vue du savoir véritable.
La caractéristique de ce moment est la reconnaissance ou la réflexion. Reconnaissance
du fait que si "La nature aime à se cacher" (Héraclite), le privilège de la penser ou de la
découvrir appartient à l'homme seul.
 
3. Expliquer : "ils poursuivent le savoir [...] non pour une fin utilitaire".
Derrière cette phrase qui répond très précisément à la question pourquoi philosopher,
Aristote s'oppose à deux reproches que le sens commun adresse généralement  à la
philosophie:
a. le reproche d'inutilité : chaque métier produit quelque chose de bon pour l'homme,
mais que lui apporte la philosophie ?
b. le reproche d'immobilité : non seulement le philosophe ne produit pas d'objets
immédiatement utiles, mais il semble vouloir détourner de l'action.
 
Analyse critique de ces deux arguments : ils reposent sur l'idée que seul l'immédiatement
utile ou "consommable" a de la valeur. Ils méconnaissent le fait que la connaissance peut
être désintéressée. Ils méconnaissent donc tout autant la valeur de la prise de distance de
la raison à l'égard de la réalité que la jouissance qu'il y a à la pénétrer par le moyen de la
raison ? Les Grecs eux-mêmes avaient une anecdote au sujet de Thalès, le premier des
philosophes : tombé dans un puits alors qu'il contemplait les étoiles, il fit rire jusqu'à sa
servante. Hegel explique que, dans leur incapacité à s'étonner, à s'émerveiller comme lui
du spectacle des étoiles, ils ne rient en vérité que d'une chose, c'est de voir Thalès
tombés comme eux au fond du puits (au fond de la caverne de Platon). Mais ce qu'ils
sont à jamais incapables de voir c'est le bénéfice incalculable de ses vues théoriques,
comme le savoir de l'éclipse ou son célèbre théorème. Du second exemple, les arpenteurs
et charpentiers se servent toujours, et du premier on peut rappeler cette victoire des
Grecs sur leurs ennemis qui s'enfuirent parce qu'un éclipse débuta au moment  de livrer
bataille — revanche du savoir de Thalès sur l'ignorance ou la vue courte de sa servante,
au choix.
 
Enfin, s'il est vrai que l'homme est l'être par essence insatisfait, il faut considérer
pourquoi la philosophie n'apparaît qu'une fois les besoins élémentaires satisfaits : c'est
qu'elle est une connaissance réfléchie, laquelle dépasse les simples besoins physiques, et
qui, comme telle, constitue sans doute la première expérience d'une liberté
voulue, choisie. Car connaître c'est aussi nommer. Or nommer, paradoxalement, n'est-ce
pas prendre aussi le pouvoir sur les choses, ne plus être dominé par elles ? Connaître
apparaît ainsi, au final, comme un pouvoir infiniment supérieur à l'utile. Ne serait-ce que
parce que l'utile même en dépend intégralement !
                                                                                                                                                               ©Pierre
Rostaing et ses élèves

 
 
TRIMESTRE 3. 1 élément de corrigé de dissertation.
Sujet : Penser, est-ce dire non ?
 

Réponse du philosophe E. Chartier, alias Alain : « Penser, c'est dire non. Remarquez que
le signe du oui est d'un homme qui s'endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit
non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n'est que l'apparence. En tous
ces cas-là, c'est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l'heureux acquiescement.
Elle se sépare d'elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n'y a pas au monde d'autre
combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses
chocs détournés, c'est que je consens, c'est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui
fait que le tyran est maître de moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner. Même une
doctrine vraie, elle tombe dans le faux par cette somnolence. C'est par croire que les
hommes sont esclaves. Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit. Qui croit ne sait même plus
ce qu'il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. » Propos sur les pouvoirs
 
 

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