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République Du Sénégal

Un Peuple – Un But – Une Foi


Ministère
de l’Éducation nationale PAQEEB CELLULE GENRE /MEN

MON LIVRET DE
PHILOSOPHIE
CLASSE DE TERMINALE

Classe de Troisième
DIRECTION DE L’ENSEIGNEMENT MOYEN
SECONDAIRE GENERAL (DEMSG)
-2-
MON LIVRET
DE PHILOSOPHIE
CLASSE DE TERMINALE

AUTEURS
Adama DIOUF, Inspecteur de l’Enseignement moyen secondaire à l’IA de Ziguinchor

Lamine SYLLA, Inspecteur de l’Enseignement moyen secondaire à l’IA de Sédhiou

ÉQUIPE DE COORDINATION ET DE SUPERVISION


Ce travail est réalisé sous la coordination de Dr Oumar SAGNA, Chef de la division
Enseignements Apprentissages de la DEMSG et la supervision de
Papa KANDJI, Directeur de l’Enseignement moyen secondaire général

DIRECTION DE L’ENSEIGNEMENT MOYEN


SECONDAIRE GENERAL (DEMSG)

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-4-
Préface
Le Ministère de l’Éducation nationale (MEN), conformément aux orientations du
Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Équité et de la Transparence dans le
secteur de l’Éducation et de la Formation (PAQUET-EF 2018-2030), s’est inscrit dans
une dynamique d’amélioration continue des rendements scolaires pour contribuer
efficacement au développement du capital humain, axe majeur du Plan Sénégal
émergent (PSE).

Dans cette optique, une politique cohérente de promotion de l’équité et l’égalité de


chances au bénéfice de l’ensemble des apprenants est enclenchée. Elle se déploie dans
une Ecole au service de la réussite de toutes et de tous, reposant sur un environnement
apaisé et des conditions d’apprentissage améliorées.

Il s’agit, dans ce contexte, de consolider la mise en œuvre de la politique du manuel


scolaire qui vise la dotation des élèves et des professeurs en manuels scolaires et
matériels didactiques conformes aux curricula en vigueur, afin d’améliorer la qualité
des enseignements apprentissages.

C’est dans ce cadre que la Direction de l’Enseignement moyen secondaire général


(DEMSG), avec l’appui du Programme d’Amélioration de la Qualité et de l’équité dans
l’Education de Base (PAQEEB) à travers la Cellule Genre et équité (CGE) du ministère,
a élaboré, en collaboration avec les acteurs du niveau déconcentré, notamment les
Inspections d’Académie, le présent livret destiné aux élèves.

Ce livret, nous l’espérons, contribuera à améliorer grandement la qualité des


enseignements apprentissages et les performances des élèves.

C’est l’occasion pour moi, d’adresser mes remerciements au Directeur de


l’Enseignement moyen secondaire général et à l’équipe de rédaction du livret pour le
travail de qualité accompli au bénéfice du système éducatif sénégalais.

Le Ministre de l’Education nationale


Mamadou TALLA
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Avant-propos
L’enseignement de la philosophie en classe de terminale au Sénégal, conformément au
programme officiel, n’est surtout pas un enseignement livresque mais plutôt un apprentissage,
fondé sur des notions et des thèmes, qui entend donner aux élèves les instruments nécessaires
pour mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.

C’est une initiation au philosopher qui doit viser les objectifs permettant à l’élève :
• d’apprendre à réfléchir par lui- même ;
• de développer l’esprit critique ;
• d’être capable de se démarquer des opinions et préjugés.

La découverte de la philosophie en classe de terminale par les apprenants, au-delà de la


curiosité que suscite la nouveauté de la discipline, installe souvent une sorte de désarroi parfois
teintée d’incertitude et d’angoisse au fur et à mesure que s’approche l’échéance du
baccalauréat alors qu’ils commencent à peine à se familiariser aux concepts et aux questions
de de la philosophie.

Par ailleurs, il y a un préjugé tenace chez les apprenants selon lequel en philosophie,
tout et son contraire est possible parce qu’il y aurait autant d’approches que de professeurs
appelés à corriger les épreuves. Un tel préjugé repose sur une méconnaissance des exigences
de la pensée philosophique. Celle-ci, est au contraire en quête d’universel, et obéit ainsi à des
manières de penser et de discuter partagées par tous ceux qui s’y consacrent sérieusement.

Ce petit livret s’adresse donc à ceux qui sont à leurs premiers pas dans l’apprentissage
de la philosophie dans nos classes de terminale L et S. il s’agit ici, modestement, de présenter
brièvement quelques éléments de réflexion et de méthodologie à nos apprenants.

L’intention première est d’aider nos élèves à s’approprier et à s’habituer à la démarche


philosophique, afin d’acquérir, dans la perspective de M. Tozzi 1, des capacités à
conceptualiser, à problématiser et à argumenter pour acquérir les compétences du philosopher,
à savoir lire, écrire, et discuter philosophie. Dans cette perspective, l’usage des textes est
indispensable puisque c’est en lisant de la philosophie qu’on apprend à philosopher. Leur
analyse permet par ailleurs de mettre au jour une certaine profondeur historique car la
philosophie a, ou plutôt est une histoire qui se confond avec celle de l’histoire de l’usage de la
raison.

1
Michel Tozzi, né le 23 février 1945 à Nîmes, est un didacticien de
la philosophie français. (Réf. Wikipédia)

-6-
Le livret revisite sommairement les quatre domaines du programme de philosophie,
propose quelques textes d’appui, des fiches sur les grands auteurs, et une méthodologie de la
dissertation et du commentaire de texte. Ce n’est surtout pas un manuel ni un recueil de texte.
Son dessein n’est point de parcourir systématiquement tout le programme de philosophie. Il
essaye humblement de mettre en œuvre une aide à l’apprentissage découlant d’une articulation
entre un contenu philosophique et une méthodologie.

Au total, il s’inscrit dans l’approche qu’exprime si bien Emmanuel Kant2: « Ne pas


enseigner des pensées, mais apprendre à penser, ne pas porter l’élève, mais le guider pour
qu’il devienne capable de marcher lui-même ».

Les auteurs

2
Emmanuel Kant (1724- 1804 ),est le premier grand philosophe moderne à donner un
enseignement universitaire régulier. (Réf. Wikipédia)

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Sommaire
Préface ............................................................................................................................................... 5

Avant-Propos ..................................................................................................................................... 6

Sommaire ........................................................................................................................................... 8

Domaine I : Philosopher ................................................................................................................... 10

Thème 1 : La réflexion philosophique ............................................................................................ 11

Thème 2 : Philosophie et sagesse .................................................................................................. 13

Thème 3 : Philosophie et mythe .................................................................................................... 15

Thème 4 : La connaissance et la vérité .......................................................................................... 16

Thème 5 : La métaphysique........................................................................................................... 17

Thème 6 : Philosophie et science ................................................................................................... 18

Thème 7 : La philosophie et la révolution de la physique moderne ................................................ 20

Thème 8 : La fonction critique de la philosophie ............................................................................ 21

Thème 9 : Les origines et la spécificité de la réflexion philosophique ............................................. 23

Textes de référence ...................................................................................................................... 26

Domaine II : Penser l’individu, la société, la culture et la politique .................................................. 36

Thème 1 : Individu et société ........................................................................................................ 37

Thème 2 : Normes sociales et normes morales .............................................................................. 38

Thème 3 : Conformité et déviance................................................................................................. 39

Thème 4 : Nature, culture, travail, langage .................................................................................... 41

Thème 5 : Conscience et inconscient ............................................................................................. 47

Thème 6 : La liberté ...................................................................................................................... 51

Thème 7 : L’Etat ............................................................................................................................ 54

Textes de référence ...................................................................................................................... 58

Domaine III : Penser les sciences modernes et les techniques ......................................................... 75

Thème 1 : la réflexion épistémologique ......................................................................................... 76

Thème 2 : La science ou les sciences ............................................................................................. 77

Textes de référence ...................................................................................................................... 83

Domaine IV : Penser les Arts et le Beau............................................................................................ 95

-8-
Thème 1 : La réflexion esthétique ................................................................................................. 96

Thème 2 : L’œuvre d’art et la nature .....………………………………………………………………………………………97

Thème 3 : De la quête du beau à la quête du sens ….…………………………………………………………………..99

Thème 4 : La révolution populaire de l’art contemporain ………………………………………………………….100

Thème 5 : Art, sociétés et histoire ……………………………………………………………………………………………102

Thème 6 : Du rôle et des fonctions de l’art…………………………………………………………………………………104

Textes de référence .................................................................................................................... 106

Méthodologie................................................................................................................................. 112

La dissertation philosophique...................................................................................................... 113

Le commentaire de texte philosophique ..................................................................................... 120

Quelques grands penseurs ............................................................................................................ 124

-9-
DOMAINE I :
PHILOSOPHER

- 10 -
Thème 1 : La réflexion philosophique
Qu’est-ce que la philosophie ? Quel est son objet et quelle est sa méthode ? Est-elle
une science ? Peut-on parler de connaissance philosophique ? Peut-on prétendre tout
connaitre ? Y a-t-il des limites à la connaissance en général et à la connaissance
philosophique en particulier ?

Doit-on apprendre à philosopher ? Comment devient-on philosophe ? Qui sont les


pères fondateurs de la réflexion philosophique ?

Y a-t-il une philosophie ou des philosophies ? Pourquoi les philosophes ne s’accordent-


ils pas sur leurs conclusions ?
L’essentiel
Qu’est-ce qui distingue la philosophie de la science ? Du
mythe ? de la religion ? De l’opinion ?

❖ L’exercice de définition des notions et des concepts est constitutif de la philosophie. Elucider
et clarifier les outils de la pensée est une tâche incontournable de l’activité philosophique.
Définir la philosophie permet ainsi d’en déterminer les contours et de distinguer ce qui relève
du philosopher et ce qui s’en démarque.

❖ Toutes les questions – la liste est loin d’être exhaustive- qui sont ainsi adressées à la philosophie
depuis les origines et la grande variété des réponses possibles témoignent de cette tâche infinie
et sans cesse recommencée qu’est le philosopher. Elle témoigne aussi de l’évolution des
connaissances et des différentes révolutions de la pensée au cours de notre histoire.

❖ On peut essayer de passer par l’étymologie pour définir la philosophie. Assemblage originel de
deux mots grecs (philein : « aimer » et sophia : « sagesse » ou « savoir »), la philosophie
signifie donc littéralement l’amour du savoir ou de la sagesse. Par conséquent, le philosophe
n’est pas un savant ou un sage mais un amoureux ou un amant de la sagesse (savoir). [réf.
Platon, Le Banquet]. Cette définition du philosophe est attribuée à Pythagore qui s’est prétendu
philosophe (philosophos « amant de la sagesse ») plutôt que sage (sophos « sage »).

❖ La notion de sagesse connote une double acception théorique et pratique. Elle est à la fois savoir
et manière d’être ou de vivre. Savoir-savoir et savoir-être.

❖ Cette dualité détermine la quête philosophique dès ses origines. Elle est tout autant une
recherche du savoir qu’un art de vivre.

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❖ C’est d’ailleurs ce savoir qui doit fonder la manière de vivre du philosophe. La philosophie est
alors recherche d’un savoir qui doit fonder en raison les valeurs qui commandent notre
existence.

❖ Nous retrouvons ainsi dans cette définition initiale les deux champs dans lesquels s’expriment
depuis toujours les philosophes : la connaissance qui renvoie aux savoirs théoriques et aux
sciences tandis que l’action fait signe essentiellement vers la morale et la politique.

❖ Ce modèle du philosopher façonne toute la philosophie grecque antique. Platon et Aristote en


sont les figures les plus influentes. Leur système de pensée pose les grandes questions
philosophiques qui orientent les différentes écoles de pensée de l’antiquité au moyen-âge.
Celles-ci portent essentiellement sur les trois domaines de la physique, de la métaphysique et
de la morale.

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Thème 2 : Philosophie et sagesse
L’essentiel Qu’est-ce que la sagesse ? Comment devenir
sage ? La sagesse est-elle un idéal ou une
recherche ?
❖ En grec ancien, la notion de sagesse a une double signification. Elle est à la fois théorique
et pratique. La sagesse est synonyme de savoir mais elle est aussi manière d’être au monde.
❖ Le sage est celui qui possède le savoir. Plus son savoir est grand, plus sa sagesse augmente.
Il y a une corrélation fonctionnelle entre le savoir et la sagesse.
❖ Le sage est aussi celui qui mène une vie exemplaire. C’est un modèle pour les autres
humains. Cette acception est celle que l’on retient davantage aujourd’hui. On dit par
exemple d’un enfant qu’il est sage quand il a un bon comportement.
❖ C’est à Pythagore qu’on attribue l’invention du mot philosophie. A ceux qui le considéraient
comme un sage à cause de son grand savoir, il répondait toujours qu’il n’était pas un sage
(« Sophos ») mais bien plutôt un amoureux de la sagesse (« Philosophos »).
❖ La sagesse est donc un idéal d’être et de savoir et la philosophie une quête qui tend vers cet
idéal. Cette quête ne peut s’achever que quand elle coïncide avec la « totalité du savoir »
selon la formule d’Aristote. On appréhende alors pourquoi la philosophie est une tâche
infinie, une recherche incessante pour répondre à toutes les questions que les hommes se
posent.
❖ Toutes les grandes écoles philosophiques grecques de l’antiquité ont cherché à donner sens
et contenu à cette conception philosophique de la sagesse.
❖ D’une manière générale, elles considèrent que la sagesse est toujours la résultante d’un
savoir véritable. Quand Platon affirme que « Nul n’est méchant volontairement » et
professe que l’ignorance c’est le mal, il souligne cette relation inséparable entre le savoir et
la vertu. L’ignorant ne peut être vertueux car il méconnait ce qu’est véritablement le bien.
Le sage qui connait le bien agit bien.
❖ Platon fonde ainsi la morale et la politique sur la connaissance. Dans la cité idéale qu’il
décrit dans son dialogue, La République, ce sont les philosophes qui doivent la gouverner
parce qu’eux seuls connaissent vraiment ce que sont la vérité, la justice et le bien.
❖ Les successeurs de Platon comme les épicuriens ou les stoïciens, vont s’évertuer à
rechercher dans leur quête de sagesse philosophique un idéal éthique permettant une vie
heureuse. La sagesse est un art de vivre heureux, une quête du bonheur identifié à l’ataraxie
qui signifie la paix ou la tranquillité de l’âme. Celle-ci ne peut se réaliser que dans la
maitrise de soi et des passions et non dans une vie soumise à la démesure (« hubris en grec)
des désirs et de leur satisfaction toujours inassouvie. « Rien de trop » est la formule qui
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résume cette vision du bonheur. La sagesse dérive toujours certes du savoir mais sa visée
n’est pas politique mais purement éthique.
❖ Le sage stoïcien s’efforce de connaitre l’ordre nécessaire et rationnel de l’univers pour vivre
conformément à ses exigences. Il s’essaye à conformer ses désirs à l’ordre du monde et non
le contraire. « Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux, mais veux ce qui
arrive comme il arrive et tu seras heureux » écrit un des plus célèbres philosophes stoïciens,
Epictète.
❖ Le sage épicurien fonde la vie heureuse sur les plaisirs naturels et nécessaires et se défie des
plaisirs non naturels et non nécessaires. Epicure écrit qu’« un peu de pain, un peu d’eau, un
peu de paille pour dormir, un peu d’amitié…suffisent à l’homme pour rivaliser de bonheur
avec les Dieux ». Contrairement à l’usage courant du terme, l’épicurisme se distingue
radicalement d’une philosophie de la jouissance mais aussi de l’hédonisme qui professe que
le but de notre existence est la recherche de toutes sortes de plaisirs tout en évitant au
maximum la souffrance. Lé sage épicurien est un ascète, un hédoniste mesuré et
raisonnable.
❖ Généralement, les philosophes grecs conçoivent toujours la sagesse comme une vie
vertueuse. On ne peut dissocier le bonheur de la vertu. Cette notion signifie la nature ou la
qualité propre de chaque être ou de de chaque chose. Puisque l’homme est par nature un
« animal rationnel », sa vertu consiste alors à mener une existence réglée par la raison. Par
conséquent le sage ne peut être ni déraisonnable, ni injuste, ni intempérant.
❖ Cette approche morale est totalement différente de la philosophie morale kantienne. Pour
Kant on ne peut fonder la morale sur la connaissance car cela reviendrait à affirmer que
seuls ceux qui savent sont capables de moralité. La morale repose sur la conscience de notre
devoir. Elle répond à la question « Que dois-je faire ? » et non à celle de savoir comment
trouver le bonheur. Tout être humain sait parfaitement en toutes circonstances quel est son
devoir même s’il peut agir autrement parce que l’obligation suppose toujours la liberté de
s’y conformer ou pas.

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Thème 3 : Philosophie et mythe
Qu’est-ce qu’un mythe ? Qu’est-ce qui distingue le récit mythique de
l’explication philosophique ?
L’essentiel ❖ Le mythe raconte l’origine de l’univers, celle de l’homme
et la généalogie des dieux. C’est un récit cosmogonique (cosmos, « monde » et genesis,
« genèse »), théogonique (theos, « dieu ») ou anthropogonique (anthropos, « homme »). Il met
en scène des personnages surnaturels (dieux, demi-dieux, démons, ...)
❖ Chaque société humaine crée et véhicule ses propres mythes qui donnent sens à ses
systèmes de croyances et aux différents rites qu’elle pratique. La vérité du mythe réside
donc dans l’adhésion d’une population à sa vision du monde.

❖ Dès les origines, la philosophie remet en question la vision mythique du monde qu’elle
juge insatisfaisante parce que sa vérité est relative à chaque peuple et à chaque système
de croyances. En quête d’un savoir universel, valable pour la totalité des êtres
raisonnables, la philosophie ne peut donc s’accommoder du récit mythique.

❖ Le discours philosophique est dès ses débuts une volonté de démythification, une
entreprise de désenchantement du monde. Il s’emploie à substituer des cosmologies
rationnelles aux cosmogonies mythiques et tente d’expliquer les phénomènes naturels par
des causes naturelles.

❖ La philosophie invente ainsi non pas la raison mais plutôt le discours rationnel
(logos, « raison », « langage ») comme méthode pour accéder à la connaissance. Le
raisonnement philosophique en quête de vérités universelles ( valable pour tout et pour
tous) s’oppose au récit mythique qui sollicite davantage l’imagination et la croyance.

❖ Il faut se garder toutefois de considérer le discours mythique comme totalement


irrationnel. Le mythe véhicule toujours une certaine rationalité dont la signification se
révèle dans les représentations et les actions d’un groupe d’êtres humains.

❖ Le récit mythique subsiste d’ailleurs assez longtemps dans la philosophie antique grecque
surtout chez les présocratiques. Platon lui-même s’en sert abondamment pour illustrer ses
théories philosophiques.

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Thème 4 : La connaissance et la vérité
Comment parvient-on à connaitre ? Qu’est-ce qui permet la
production d’un discours universel, rationnel c’est-à-dire vrai pour
tous les êtres de raison, et intemporel, c’est-à-dire qui n’est pas
susceptible de changer au gré du devenir ?
❖ .Les phénomènes qui constituent le monde sont divers et
L’essentiel variés. Ce que nous percevons par nos sens est relatif et soumis
à un changement perpétuel. Le devenir semble insaisissable.
Or la vérité doit être universelle et non soumise au changement historique et à la relativité de
nos opinions.

❖ Les sophistes soutiennent que toute connaissance est forcément relative. Une vérité universelle
est donc chimérique ou illusoire. L’un d’entre eux, Protagoras écrit que « l’homme est la
mesure de toutes choses »

❖ Les sceptiques affirment l’impossibilité d’une connaissance véritable de la nature des choses.
Notre connaissance reste phénoménale et nous contraint à la suspension du jugement. Il faut se
contenter de dire ce que les choses nous semblent être et non pas ce qu’elles sont.

❖ Platon rejette le relativisme des sophistes et distingue la science véritable de l’opinion. Alors
que cette dernière est assujettie aux apparences toujours changeantes des phénomènes, la
science, elle, doit aller au-delà des phénomènes pour découvrir la véritable réalité qui échappe
à nos sens. Il y a un monde visible des apparences qu’il appelle « sensible » et un mode invisible
des réalités en soi, des essences qu’il nomme « intelligible ». Ce dernier est le véritable objet
de la connaissance.

Une telle connaissance est-elle possible ? Peut-on connaitre au-delà de ce que nous
montre nos sens ?

❖ Platon et Aristote défendent la possibilité philosophique d’accéder à cette connaissance.

❖ Elle est non seulement possible mais de surcroit elle constitue la connaissance la plus haute
dans la hiérarchie des savoirs.

❖ Cette connaissance c’est celle que la tradition philosophique va désigner sous la notion de
métaphysique.

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Thème 5 : La métaphysique
Qu’est-ce que la métaphysique ? Quels sont ses objets ? Peut-on la
considérer comme une connaissance ou une science ?

L’essentiel ❖ Etymologiquement, le mot métaphysique vient du grec


ancien, de meta (« après, au-delà ») et de phusica
(«physique»). Il désigne dans le classement des œuvres d’Aristote faite par un bibliothécaire
du nom d’Andronicos de Rhodes au 1er siècle av. J.C., les ouvrages qui viennent après ceux
de physique. Ces ouvrages portent sur des questions telles que Dieu, l’âme et son
immortalité, le destin, l’existence.
❖ La métaphysique désigne globalement ce qu’Aristote appelle les sciences théoriques
(théologie, mathématiques et physique) qu’il distingue des sciences pratiques (morale et
politique).

❖ Ces sciences théoriques sont purement contemplatives (Theoria signifie contemplation en


grec) et désintéressées. Elles ne sont mues que par un désir de savoir. Elles représentent un
idéal déjà présent chez Platon, d’une connaissance universelle qui s’abstrait du devenir et
du changement.

❖ Il s’agit dans cette démarche de dire non pas seulement ce qui est mais pourquoi ce qui
est est comme il est. La connaissance est ainsi conçue comme une remontée des causes
pour découvrir ainsi la première cause, inconditionnée, parce que première et antérieure à
toutes les causes.

❖ La métaphysique est donc la tentative de connaitre par le discours rationnel des réalités qui
échappent à nos sens : l’origine du monde, de l’âme, la nature du divin et de l’Être sont des
questions métaphysiques.

❖ La métaphysique pose aussi des questions comme celles-ci : Pourquoi y a-t-il quelque
chose plutôt que rien ? Qu’est-ce que l’Être ? Le devenir a-t-il un sens ? Quel est la
signification de l’existence et de la mort ?...

❖ Si c’est bien l’œuvre d’Aristote qui conduit à forger le concept de métaphysique, Platon
peut être considéré toutefois comme le premier métaphysicien. C’est lui qui conçoit en
premier la connaissance comme une ascension par laquelle l’âme s’élève vers les essences
du monde intelligible qui sont la cause véritable de tout ce qui existe.

- 17 -
Thème 6 : Philosophie et science
Quels sont les rapports entre la philosophie et la science ?
Qu’est-ce qui les distinguent ? Peuvent-elles se passer l’une de
l’autre ?

. La philosophie comme science de la totalité


L’essentiel
Platon et Aristote considèrent la métaphysique, appelée
aussi philosophie première, par ce dernier, comme la science suprême dont les objets sont les
plus élevés : le divin, l’être, l’immortalité de l’âme, les premiers principes et les premières
causes, les réalités ultimes, etc.

❖ Aristote écrit ainsi que « le philosophe est celui qui possède la totalité du savoir dans la
mesure du possible ». Toutefois la totalité du savoir n’est pas le savoir de tout mais très
précisément le savoir du Tout qui permet de comprendre l’univers dans sa globalité.

❖ Ainsi conçue, la philosophie est la science qui englobe toutes les autres : physique,
mathématiques, politique, morale…Il ne saurait donc y avoir de distinction entre elles
même si une hiérarchie est possible dans la quête ultime de la vérité en partant du
sensibles au suprasensible.

❖ Cette conception perdure jusqu’au XVIIème siècle malgré l’avènement de la physique


expérimentale.

❖ Galilée à cette époque, écrit ceci : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui
continuellement reste ouvert devant les yeux (je dis l'Univers), mais on ne peut le
comprendre si, d'abord, on ne s'exerce pas à en connaître la langue et les caractères dans
lesquels il est écrit. II est écrit dans une langue mathématique, et les caractères en sont
les triangles, les cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible
humainement d'en saisir le moindre mot ; sans ces moyens, on risque de s'égarer dans un
labyrinthe obscur. »

❖ Isaac Newton considéré comme un des pères de la physique moderne, intitule son ouvrage
fondateur publié en 1687, Principes mathématiques de la philosophie naturelle.

❖ Mathématicien et philosophe, René Descartes peut encore écrire que « Toutes les sciences
ne sont rien d’autre que la sagesse humaine, qui demeure toujours une et toujours la
même, si différents que soient les objets auxquels elle s’applique ».

❖ L’unité des sciences repose sur l’unité de la raison qui fait que les mêmes règles
rationnelles s’appliquent partout.

- 18 -
❖ C’est pourquoi, dit Descartes, « Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines
sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont
toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la
mécanique et la morale ».

❖ Cette célèbre métaphore cartésienne illustre parfaitement cette conception de la


philosophie comme totalité unifiée du savoir qui subsiste encore jusqu’aux débuts de la
révolution entrainée par la naissance de la physique moderne.

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Thème 7 : la philosophie et la révolution de
la physique moderne
❖ Au XVIIème siècle, se produit une des plus grandes
L’essentiel révolutions intellectuelles de l’humanité : la naissance de la
physique expérimentale.

❖ Galilée et Newton publient successivement des ouvrages de physique et de


mathématiques qui vont bouleverser la physique classique d’inspiration aristotélicienne.
Leurs travaux, ainsi que ceux de Copernic et Kepler, vont mettre fin au géocentrisme* au
profit d’un système du monde héliocentrique*.

❖ Cette révolution, appelée galileo-copernicienne, se caractérise par la mathématisation des


lois qui gouvernent la nature et par la mise en œuvre d’une méthode expérimentale dont
les succès vont peu à peu remettre en question les méthodes spéculatives dans
l’explication des phénomènes naturels.

❖ Toutefois, beaucoup de philosophes contemporains de cette révolution et férus de


mathématiques comme Descartes, Pascal, Spinoza ou Leibniz (co-inventeur du calcul
infinitésimal avec Newton), vont s’efforcer de conformer la philosophie à cette
mathématisation du monde.

❖ Le modèle déductif des mathématiques, à l’exemple de la géométrie d’Euclide, apparait


comme la langue universelle de la raison et de la science qui permet de tout démontrer
même les vérités morales et métaphysiques. Raisonner à la « manière des géomètres » ou
construire une « algèbre de la pensée » semble le mot d’ordre des philosophes du XVIIème.

❖ En réalité cette proximité entre la philosophie et les mathématiques est présente dès
l’antiquité. Thalès, Pythagore sont de grands mathématiciens tout autant que des
philosophes. Platon écrit sur le fronton de son Académie « que nul n’entre ici s’il n’est
géomètre » et pour lui comme pour son disciple Aristote, la connaissance mathématique
constitue un des savoirs les plus élevés.

❖ L’essor de la physique mathématique et expérimentale au XVII ème bouleverse


radicalement la philosophie. Son statut de « mère des sciences » se dilue et sa volonté de
construire un savoir de la totalité se dissipe peu à peu avec l’apparition de nouvelles
sciences à partir du XIXème comme la biologie dont le modèle est justement la nouvelle
physique.

❖ « Ombre portée de la science », tributaire des découvertes scientifiques, la philosophie se


découvre alors de nouvelles fonctions.

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Thème 8 : La fonction critique de la philosophie

Qu’est-ce que la critique philosophique ? Quel est son objet ?


Comment s’exerce-t-elle ? A-t-elle des limites ?
❖ Dès ses origines la philosophie se définit comme une
L’essentiel critique des mythes, des faux savoirs et des préjugés.

❖ Socrate, manie la maïeutique et l’ironie pour montrer à ses interlocuteurs que ce qu’ils
croient savoir repose plutôt sur de fausses représentations ou sur des opinions injustifiées
qui ne peuvent rendre raison d’elles-mêmes.

❖ Ses adversaires sont surtout les Sophistes qui enseignent l’art oratoire et l’argumentation
en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes. Ces derniers excellent dans les joutes
oratoires où il s’agit plus de séduire que de trouver la vérité. Ils peuvent aisément défendre
une chose et son contraire

❖ Un des sophistes les plus célèbres, Protagoras, défend la thèse selon laquelle « l’homme
est la mesure de toutes choses ». Par conséquent toutes les opinions se valent, il s’agit de
choisir celle qui importe pour soi ou pour la société.

❖ Platon, disciple de Socrate, s’insurge férocement contre cette conception relativiste de la


vérité défendue par Protagoras et ses disciples. On ne peut préférer l’opinion, toujours
changeante à la vérité immuable et permanente.

❖ Cette fonction critique de la philosophie de la philosophie traverse toute son histoire


depuis l’antiquité et la condamnation à mort de Socrate. Le moyen-âge caractérisé par la
domination de la pensée religieuse s’est très fortement méfié du pouvoir critique et
subversif de la philosophie. Elle en a donc fait sa servante théologique pour forger des
preuves de l’existence de Dieu et convaincre de la rationalité de la croyance religieuse.

❖ A partir de la Renaissance, le retour vers les sources grecques et latines de la philosophie


redonne de la vigueur au potentiel critique de la philosophie. L’autonomie de la raison
par rapport aux croyances religieuses et aux pouvoirs politiques est de plus en plus
revendiquée. Ce mouvement culmine au XVIIIème siècle, appelé aussi siècle des Lumières
pour l’opposer aux siècles de l’obscurantisme moyenâgeux. Kant résume cette
renaissance de la rationalité critique par cette devise : « Ose te servir de ton propre
entendement ! ». Ses mutations intellectuelles conduisent à des bouleversements
scientifiques comme la naissance de la physique moderne et politiques comme la
révolution démocratique américaine ou celle française qui ébranlent les monarchies
occidentales.

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❖ D’une manière générale les historiens de la pensée considère que c’est ce puissant
mouvement qui accouche de notre modernité. Le développement des sciences entraine
l’émergence de nouveaux savoirs et de nouvelles conceptions du monde.

❖ Les philosophes contemporaines de cette période sont très critiques à l’égard des
représentations et des valeurs traditionnelles. Même la philosophie n’échappe pas à leur
critique féroce. C’est le cas de ceux qu’on appelle les philosophes du soupçon, Marx,
Nietzsche et Freud. Leurs philosophies bien que différentes se présentent toutes comme
une entreprise critique de démystification des idéologies pour Marx, des valeurs morales
et religieuses pour Nietzsche et de la conscience subjective pour Freud.

- 22 -
Thème 9 : les origines et la spécificité de la
réflexion philosophique
Où et quand est née la philosophie ? Qu’est-ce qui conduit à sa
naissance ? Comment s’est-elle manifestée ? A-t-elle des origines
particulières ou plurielles ? Y a-t-il une philosophie européenne ?
Indienne ? Chinoise ? Africaine ?
❖ La question de l’origine d’une science ou d’une discipline
L’essentiel intéresse très peu de monde en dehors de la philosophie. Elle
se pose presque toujours dans l’approche d’un thème ou d’une
notion du programme de philosophie.

❖ S’interroger sur les origines de la philosophie n’est pas un exercice neutre et dénué de
portée philosophique. Il peut même conduire à des controverses, des disputes et des débats
qui soulignent la pluralité des conceptions de la philosophie qui se sont succédé au cours
des siècles. .

Le « Miracle Grec »
❖ La tradition philosophique occidentale situe l’origine de la philosophie dans l’histoire de
la civilisation et des cités grecques de l’antiquité.

❖ La philosophie est née dans l’univers hellénique plus précisément dans les colonies
éparses de Milet et d’Elée entre le VIIème et le V siècle av. J.C.

❖ Ses inventeurs sont des penseurs parfois appelés sages dont les plus célèbres sont Thalès,
Anaximandre, Anaximène, Héraclite, Pythagore, Parménide. Ces penseurs appelés
présocratiques (ils sont nés avant Socrate,) ont jeté les rudiments de la réflexion
philosophique en s’affranchissant peu à peu des visions du monde de leur époque
construites essentiellement autour des mythes et des religions. Leurs préoccupations
essentielles tournent autour d’une tentative d’explication de l’origine des phénomènes
naturels. Pour cela ils mettent en œuvre une enquête (historia en grec) pour remonter aux
premières causes et aux premiers principes de la nature. On peut les qualifier de premiers
physiciens (en grec phusis signifie « la nature »).

❖ La philosophie prend son essor à Athènes au IVème siècle av. J.C. avec Socrate (et surtout
avec ses disciples et successeurs, Platon (428 – 348 av J.C.) et Aristote.

❖ Ces deux grands penseurs de l’antiquité font de la philosophie une pensée de la totalité et
de l’universel et fonde ainsi le modèle de la pensée systémique qui perdure jusqu’au

- 23 -
XIXème siècle. Aristote affirme dans ce sens que « La philosophie est la connaissance de
la totalité dans la mesure du possible ».

❖ Whitehead, un philosophe anglais écrit que toute la philosophie occidentale n’est qu’une
suite de notes au bas des pages des dialogues de Platon.

❖ L’invention de la raison, qualifiée de « Miracle Grec », se situe ainsi durant cette époque
que certains considèrent comme la première révolution de l’histoire de la connaissance
humaine.

❖ La philosophie apparait alors comme une entreprise de démythification qui substitue peu
à peu dans l’explication du réel et des phénomènes naturels, le discours rationnel au
mythe, la cosmologie à la cosmogonie et les concepts aux êtres surnaturels et aux dieux.

❖ Cette révolution est rendue possible par un certain nombre de conditions historiques et
sociales qui culminent dans l’Athènes du IVème siècle av. J.C. à l’apogée de la civilisation
grecque. Outre le développement des arts et des techniques, on cite surtout l’essor de la
démocratie athénienne et l’existence d’une classe d’hommes riches et oisifs (à l’instar de
Platon) qui peuvent s’adonner aux spéculations intellectuelles et réfléchir à l’envi sur les
questions de l’existence et de la finitude.

La Pensée « Décoloniale »
❖ La conception d’une seule origine de la philosophie, réduite au « Miracle Grec », est
fortement remise en cause par nombre de penseurs contemporains, notamment par le
célèbre savant sénégalais Cheikh Anta Diop (réf.) et surtout par les tenants de la pensée
« décoloniale » qui travaillent à changer la « géographie de la raison ».

❖ Il a existé beaucoup de brillantes civilisations (égyptienne, babylonienne…) avant celle


des Grecs. Pourquoi la philosophie serait-elle née là plutôt qu’ailleurs ?

❖ Les Grecs, grands voyageurs, ont beaucoup appris des autres civilisations. Les
philosophies grecques ont très probablement été influencées par les sagesses ou les
pensées de leurs contemporains et de leurs prédécesseurs.

❖ La notion de « Miracle Grec » est un non-sens qui cache mal ces apports incontestables.
Il n’y a pas de pensée philosophique spontanée.

❖ Les balbutiements de la philosophie ne sont pas en rupture totale avec les autres formes
de pensée. Elles s’en nourrissent plutôt.

❖ La raison humaine ne se définit pas uniquement par opposition aux mythes, aux religions
et autres formes de sagesse qualifiées a contrario d’irrationnelles.

- 24 -
❖ Il y a de forts relents d’européocentrisme derrière cette vision contestable et contradictoire
d’une pensée à vocation universelle qui serait géographiquement et culturellement
déterminée. Une telle approche appelle nécessairement une critique idéologique.

❖ Il faut aussi se garder de l’attitude consistant à réduire les africains à une identité
singulière qui les fige dans une essence ou une nature commune. Cette approche
« essentialiste » est très certainement lié à l’anthropologie coloniale qui choisit d’ignorer
la diversité des cultures et des civilisations africaines pour justifier une prétendue
« mission civilisatrice ». Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne dénonce
cet « universalisme vertical » pour lui préférer un « universalisme horizontal »
permettant de mieux rendre compte des péripéties de l’histoire de la pensée
philosophique.

- 25 -
TEXTES DE REFERENCE 1)

Les textes ci-dessous permettent d’illustrer et de compléter l’essentiel


des thèmes et notions qui ont été présentés dans cette première
partie consacrée à la réflexion philosophique.

Les professeurs et leurs élèves peuvent ainsi construire à leur


convenance des parcours de conceptualisation, de problématisation
et d’argumentation grâce à la lecture et à la discussion de ces textes.

TEXTE 01
Selon une tradition rapportée par Cicéron (Tusculanes, V, chap. lll, § 7-6), le mot « philosophie
» aurait été créé par Pythagore, un grec originaire de samos, qui vécut au Ve siècle av.
J.C.et dont l'influence a été considérable dans l'histoire de la pensée grecque (…). Comme
on lui demandait s'il était un « sage » (en grec : sophos), c'est-à- dire un homme
s'occupant de connaître la nature des choses, il aurait répondu : « je ne suis pas un sophos,
mais un philosophos », c'est-à-dire un « ami » (philos) de la sagesse (Sophia), et non pas
un possesseur de cette sagesse. Quoi qu'il en soit de l'authenticité de cette tradition, les
termes philosophia et philosophos sont employés, dès l'antiquité hellénique, en des sens
divers et passent en latin (philosophia, philosophus), puis dans toutes les langues
européennes : philosophie (français, allemand), philosophy (anglais), filosifia (Italie,
espagnol, russe), etc.; les Arabes, lorsqu'ils découvrirent la culture antique, transcrivirent
directement les termes grecs : falsafa, faylasùf.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, on distinguait la philosophie naturelle, qui étudiait la nature
(l'astronomie, la physique, la biologie, etc., sont, en ce sens, des parties de la philosophie
naturelle), et la philosophie morale, qui concernait tout ce qui a trait à l'homme, à sa
nature, à sa pensée, à ses rapports avec l'univers, à sa destinée et tout ce qui a trait aux
principes premiers de la réalité (ou considérés comme tels) : Dieu, l'âme, etc., principes
qui sont l'objet de la métaphysique ou philosophie première.

Roger CARATINI, Initiation à la philosophie, Paris : éd. Archipoche, 2012, p. 21.

TEXTE 02
La philosophie n'est plus uniquement universitaire et ses divisions traditionnelles perdent de
leur rigueur. Elle peut se décrire comme une démarche très générale qui utilise tous les
procédés dont l'esprit humain dispose pour réfléchir, comme l'observation, la déduction, le
- 26 -
calcul, les ordinateurs, l'amour, l'extase, la parole, le silence, la souffrance. C'est une réflexion
sur la totalité de l'être, aussi bien sur l'homme et sa destinée que sur la science et l'univers,
sur l'histoire de l'humanité, sur la création du poète, du peintre ou du musicien : sa prétention
est encyclopédique. Mais c'est aussi une systématique : alors que les sciences cherchent à
connaître les lois des phénomènes, le « savoir affectif » nous fournit- selon la doctrine du
philosophe français contemporain Ferdinand Alquié- le sens diffus de l'être ; la philosophie
tend vers la mise en ordre rationnelle, universelle, de tous nos pouvoirs de connaissance, de
sentiment et d'action, et cette mise en ordre se présente comme une explication dernière des
choses. Voilà pourquoi il y a philosophie de tout. Philosophie des sciences, philosophie de
l'action, philosophie de la technique, philosophie de l'univers, philosophie de l'art, philosophie
de la philosophie. La philosophie ne se définit pas, elle se construit.

Rappelons enfin que le mot « philosophe » a pris, à certaines époques un sens particulier, en
rapport plus ou moins lointain avec ce qui vient d'être dit. Au moyen âge, par exemple, la
philosophie convergeait vers la théologie et ses tenants étaient qualifiés de doctes ou de
docteurs ; le terme « philosophe » servait alors à désigner les alchimistes, les illuminés qui
recherchaient la transmutation des métaux en or (d'où l'expression « pierre philosophale »
pour nommer la substance imaginaire qui devait opérer cette transmutation). Au XIII siècle,
on a appelé « philosophes » (avec un « P » majuscule) les écrivains comme Voltaire, Diderot,
Rousseau, d'Alembert, d'Holbach, Helvétius, etc. Qui combattaient en particulier
l'obscurantisme et l'intolérance.

Roger CARATINI, Initiation à la philosophie, Paris : éd. Archipoche, 2012, pp. 22-23.

TEXTE 03
CALLICLES
Qu’entends-tu par se commander soi-même ?
SOCRATE
Rien de compliqué ; j'entends, comme le vulgaire, être tempérant et maître de soi et
commander en soi aux plaisirs et aux passions.
CALLICLES
Que tu es plaisant! Ce sont les imbéciles que tu appelles tempérants.

SOCRATE
Comment cela ! Qui ne voit que ce n'est pas d'eux que je parle ?
CALLICLES
C'est d'eux très certainement, SOCRATE. Comment en effet un homme pourrait-il être
heureux, s'il est esclave de quelqu'un. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature,
je te le dis en toute franchise, c'est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses
passions tout l'accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint

- 27 -
toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son
intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu'ils éclosent.

Mais cela n'est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu'il décrie les gens qui en
sont capables, parce qu'il a la honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit
que l'intempérance est une chose laide, essayant par-là d'asservir ceux qui sont mieux
doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter,
il fait l'éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux
qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un
commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir quelque chose de plus
honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu'il leur est loisible de jouir des
biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s'imposeraient eux- même pour
maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient-ils pas
malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance, puisqu'ils
ne pourraient rien donner de plus à leurs amis qu'à leurs ennemis, et cela, quand ils sont
les maîtres de leur propre cité ? La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le
luxe, l'incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le
bonheur; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que
niaiseries et néant.

PLATON, GORGIAS 492c- 493b

TEXTE 04 :
Calliclès- […] « Voilà la vérité, et tu t'en convaincras si tu renonces à la philosophie pour
aborder de plus hautes études. La philosophie, Socrate, n'est sans doute pas sans charme, si
l'on s'y livre avec modération dans la jeunesse ; mais si l'on s'y attarde au-delà d'une juste
mesure c'est une calamité. Quelque bien doué que soit un homme, s'il continue à philosopher
dans son âge mûr, il est impossible qu'il ne se rende pas étranger à toutes les choses qu'il faut
connaître pour devenir un homme bien élevé et considéré.

Le philosophe ignore les lois qui régissent la cité ; il ignore la manière dont il faut parler aux
autres dans les affaires privées et publiques ; il ne sait rien des plaisirs ni des passions, et, pour
tout dire d'un mot, sa connaissance de l'homme est nulle. Aussi, quand il se trouve mêlé à
quelque affaire publique ou privée, il fait rire de lui, de même que les hommes d'Etat, je
suppose, lorsqu'ils abordent vos entretiens et vos discussions, sont ridicules

[...] La philosophie est bonne à connaître dans la mesure où elle sert à l'éducation, et il n'y a
pas de honte, quand on est jeune, à philosopher. Mais l'homme mûr qui continue à
philosopher fait une chose ridicule, Socrate, et pour ma part j'éprouve à l'égard de ce gens-là
le même sentiment qu’à l’égard d'un homme fait qui bégaie et qui joue comme un enfant.
- 28 -
Quand je vois un enfant qui bégaie et qui joue, c'est de son âge, j'en suis ravi, je trouve cela
charmant, tout à fait convenable à l'enfance d'un homme libre ; tandis que si j'entends un
bambin s'exprimer avec netteté, cela me chagrine, cela blesse mon oreille et me paraît avoir
quelque chose de servile. Un homme fait qui bégaie et qui joue est ridicule ; ce n'est pas un
homme, on a envie de le fouetter.

C'est précisément ce que j'éprouve à l'égard des philosophes. Chez un tout jeune homme je
goûte fort la philosophie ; elle est à sa place et dénote une nature d'homme libre ; le jeune
homme qui ne s'y adonne pas me semble d'âme illibérale, incapable de viser jamais à rien de
noble et de beau. Mais devant un homme âgé que je vois continuer à philosopher sans
s'arrêter jamais, je me dis, Socrate, que celui-là mériterait d'être fouetté. Car un pareil
homme, comme je le disais tout à l'heure, a beau être bien doué naturellement, il devient
moins qu'un homme à fuir toujours le cœur de la cité, ces assemblées où, comme dit le poète,
les hommes s'illustrent, et à faire le plongeon pour le restant de sa vie, babillant dans un coin
avec trois ou quatre jeunes hommes, sans jamais faire entendre une parole libre, grande,
généreuse. »

PLATON, Gorgias, 484 c-485e, trad. A. Croiset. Ed "les belles lettres". Coll. Budé 1967 pp.
163-165.

TEXTE 05
Quand on est jeune il ne faut pas hésiter à s'adonner à la philosophie, et quand on est vieux
il ne faut pas se lasser d'en poursuivre l'étude. Car personne ne peut soutenir qu'il est
trop jeune ou trop vieux pour acquérir la santé de l'âme. Celui qui prétendrait que l'heure
de philosopher n'est pas encore venue ou qu'elle est déjà passée, ressemblerait à celui qui
dirait que l'heure n'est pas encore arrivée d'être heureux ou qu'elle est déjà passée. Il faut
donc que le jeune homme aussi bien que le vieillard cultivent la philosophie : celui-ci pour
qu'il se sente rajeunir au souvenir des biens que la fortune lui a accordés dans le passé,
celui-là pour être, malgré sa jeunesse, aussi intrépide en face de l'avenir qu'un homme
avance en âge (...).Ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, les jouissances
des jeunes garçons et des femmes, les poissons et les autres mets qu'offre une table
luxueuse, qui engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante, qui recherche
minutieusement les motifs de ce qu'il faut choisir et de ce qu'il faut éviter et qui rejette les
vaines opinions, grâce auxquelles le plus grand trouble s'empare des âmes. De tout cela la
sagesse est le principe et le plus grand des biens. C'est pourquoi elle est même plus
précieuse que la philosophie, car elle est la source de toutes les autres vertus, puisqu'elle
nous enseigne qu'on ne peut pas être heureux sans être sage, honnête et juste- ni être
sage, honnête et juste sans être heureux. Conçois-tu maintenant que quelqu'un puisse
être supérieur au sage, qui a sur les dieux des opinions pieuses, qui est toujours sans

- 29 -
crainte à la pensée de la mort, qui est arrivé à comprendre quel est le but de la nature qui
sait pertinemment que le souverain bien est à notre portée et facile à se procurer et que le
mal extrême, ou bien ne dure pas longtemps, ou bien ne nous cause qu'une peine légère
(...). Médite, par conséquent, toutes ces choses et celles qui sont de même nature.
Médite-les jour et nuit, à part toi et avec ton semblable. Jamais alors, ni en état de veille
ni en songe, tu ne seras sérieusement troublé, mais tu vivras comme un dieu parmi les
hommes. Car celui qui vit au milieu de biens impérissables ne ressemble en rien à un être
mortel.

EPICURE, Lettre à Ménécée, trad. Hermann, pp.73, 79-81.

TEXTE 06
La philosophie entre en conflit avec la religion, du fait que celle-ci se veut l'autorité absolue
tant dans le domaine de la vérité que dans celui de la pratique. Mais la vérité de la religion
se présente comme un donné extérieur en présence duquel on s'est trouvé. Cela est
particulièrement net dans les religions dites révélées, celles dont la vérité a été annoncée
par quelque prophète, quelque envoyé de Dieu. Ainsi dans la religion « le contenu est
donné, il est considéré comme au-dessus ou au-delà de la raison ». La religion conçoit
l'esprit humain comme borné, limité et ayant donc besoin que les vérités essentielles pour
l'homme, que sa raison infirme serait incapable de découvrir par elle-même, lui soient
révélées d'une façon surnaturelle et mystérieuse. Mais l'idée d'une vérité au-delà de la
raison, inaccessible naturellement à l'esprit humain, est absolument inconcevable par la
philosophie qui repose sur le principe diamétralement opposé selon lequel la pensée ne
doit rien présumer en dehors d'elle-même, c'est-à-dire, que la philosophie ne doit rien
admettre comme vrai qui n'ait été saisi comme tel par la pensée. L'homme est certes un
être borné, fini (sauf du côté de l'esprit). « Le fini concerne les autres modes de son
existence... ; mais, quand, comme esprit, il est esprit alors il ne connaît pas de limites. Les
bornes de la raison ne sont que les bornes de la raison de ce sujet-là, mais s'il se comporte
raisonnablement l'homme est sans bornes, infini. »

Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, CLE,
1971, p. 62.

TEXTE 07
Excepté l'homme, aucun être ne s'étonne de sa propre existence, c'est pour tous une chose
si naturelle qu'ils ne le remarquent même pas. (...). L'homme est un animal métaphysique.
Sans doute, quand sa conscience ne fait encore que s'éveiller, il se figure être intelligible
sans effort ; mais cela ne dure pas longtemps : avec la première réflexion se produit déjà

- 30 -
cet étonnement, qui fut pour ainsi dire le père de la métaphysique. C'est en ce sens
qu'Aristote a dit aussi au début de sa métaphysique : « C'est l'étonnement qui poussa,
comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. » (...)De
même, avoir l'esprit philosophique c'est être capable de s'étonner des événements
habituels et des choses de tous les jours, de se poser comme sujet d'étude ce qu'il y a de
plus général et de plus ordinaire ; tandis que l'étonnement du savant ne se produit qu'à
propos de phénomènes rares et choisis, et que tout son problème se réduit à ramener ce
phénomène à un autre plus connu.

Plus un homme est inférieur par l'intelligence, moins l'existence a pour lui de mystère.
Toute chose lui paraît porter en elle-même l'explication de son comment et de son
pourquoi. Cela vient de ce que son intellect est encore resté fidèle à sa destination
originelle, et qu'il est simplement le réservoir des motifs à la disposition de la volonté;
aussi, étroitement uni au monde et à la nature, comme partie intégrante d'eux- mêmes,
est-il loin de s'abstraire pour ainsi dire de l'ensemble des choses, pour se poser ensuite en
face du monde et l'envisager objectivement , comme si lui-même, pour un moment du
moins, existait en soi et pour soi.

Au contraire, l'étonnement philosophique, qui résulte du sentiment de cette dualité,


suppose dans l'individu un degré supérieur d'intelligence, quoique pourtant ce n'en soit
pas là l'unique condition : car, sans aucun doute, c'est la connaissance des choses de la
mort et de la considération de la douleur et de la misère de la vie qui donne la plus forte
impulsion à la pensée philosophique et à l'explication métaphysique du monde. Si notre
vie était infinie et sans douleur, il n'arriverait à personne de se demander pourquoi le
monde existe, et pourquoi il a précisément telle nature particulière ; mais toutes choses
se comprendraient d'elles-mêmes. (...) Suivant moi, la philosophie naît de notre
étonnement au sujet du monde et de notre propre existence, qui s'imposent à notre
intellect comme une énigme dont la solution ne cesse dès lors de préoccuper l'humanité.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, traduction A.


Bureau, revue et corrigée par R. Roos, Paris, Edition PUF, 2004, pp.851-857.

TEXTE 08
MENON
J'avais déjà ouï dire Socrate, avant que de converser avec toi, que tu ne savais autre chose que
douter toi- même, et jeter les autres dans le doute : et je vois à présent que tu me fascines
l'esprit par tes charmes et tes maléfices, enfin que tu m'as comme enchanté, de manière que
je suis tout rempli de doutes. Et, s'il est permis de railler, il me semble que tu ressembles
parfaitement, pour la figure et pour tout le reste, à cette large torpille marine qui cause

- 31 -
l'engourdissement à tous ceux qui l'approchent et la touchent. Je pense que tu as fait le même
effet sur moi : car je suis véritablement engourdi d'esprit et de corps, et je ne sais que te
répondre. Cependant j'ai discouru mille fois au long sur la vertu devant beaucoup de
personnes, et fort bien, à ce qu'il me paraissait. Mais à ce moment je ne puis pas seulement
dire ce que c'est. Tu prends, à mon avis, le bon parti, de ne point aller sur mer, de voyager en
d'autres pays : car si tu faisais la même chose dans quelque autre ville, on te punirait bien vite
du dernier supplice comme un enchanteur.
SOCRATE
Tu es un rusé, Menon, et tu as pensé m'attraper.
MENON
En quoi donc, Socrate ?
SOCRATE
Je vois bien pourquoi tu m'as comparé.
MENON
Pourquoi, je te prie ?
SOCRATE
Afin que je te compare à mon tour. Je sais que tous ceux qui sont beaux aiment qu'on les
compare : cela tourne à leur avantage ; car les images des belles choses sont belles, ce me
semble. Mais je ne te rendrai pas comparaison pour comparaison. Quant à moi, si la torpille
étant elle-même engourdie jette les autres dans l'engourdissement, je lui ressemble ; sinon,
je ne lui ressemble pas ; car si je fais naître des doutes dans l'esprit des autres, ce n'est pas
que j'en sache plus qu'eux : je doute au contraire plus que personne, et c'est ainsi que je fais
douter les autres. Maintenant, quant à la vertu, je ne sais point du tout ce que c'est : pour toi,
peut-être le savais-tu avant que de t'approcher de moi ; et à ce moment tu parais ne le point
savoir. Cependant je veux examiner et chercher avec toi ce que ce peut être.
PLATON, Ménon

TEXTE 09
La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain
même. Celui qui n'a aucune teinture de philosophie traverse l'existence, prisonnier de
préjugés dérivés du sens commun, des incroyances habituelles à son temps ou à son pays
et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.

Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident. Les objets ordinaires ne
font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris.
Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous
voyons, comme il a été dit dans nos premiers chapitres, que même les choses les plus
ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des
réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu'elle ne soit pas en mesure de nous

- 32 -
donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même
suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la
tyrannie de l'habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui
nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d'une réalité possible et
différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n'ont
jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment
d'émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.

Bertrand RUSSEL, Problèmes de philosophie, trad. Petite bibliothèque Payot, 1968,


pp.182-183.

TEXTE 10
La première question, celle des origines, reste sans solution précise. A côté de ceux qui, avec
Aristote, font de Thalès, au VIe siècle, le premier philosophe, il y avait déjà en Grèce des
historiens pour faire remonter au-delà de l'hellénisme, jusqu'aux barbares, les origines de la
philosophie ; Diogène Laërce, dans la préface de ses Vies des Philosophes nous parle de
l'antiquité fabuleuse de la philosophie chez les Perses et chez les Égyptiens. Ainsi, dès
l'antiquité, les deux thèses s'affrontent : la philosophie est-elle une invention des Grecs ou un
héritage qu'ils ont reçu des « Barbares » ?

Il semble que les orientalistes, à mesure qu’ils nous dévoilent les civilisations préhelléniques,
comme les civilisations mésopotamienne et égyptienne avec lesquelles les cités de l'Ionie,
berceau de la philosophie grecque, ont été en contact. donnent raison à la seconde de ces
thèses. Il est impossible de ne pas sentir la parenté de pensée qu'il y a entre la thèse connue
du premier philosophe grec, Thalès, que toutes choses sont faites d'eau, et le début du Poème
de la Création, écrit bien des siècles auparavant en Mésopotamie : « Lorsqu'en haut le ciel
n'était pas nommé, et qu'en bas la terre n'avait point de nom, de l'Apsou primordial, leur père,
et de la tumultueuse Tiamat, leur mère à tous, les eaux se confondaient en un" De pareils
textes suffisent au moins pour nous faire voir que Thalès n'a pas été l'inventeur d'une
cosmogonie originale ; les images cosmogoniques, que, peut-être, il précisa, existaient depuis
de longs siècles. Nous pressentons que la philosophie des premiers physiologues de l'Ionie
pouvait être une forme nouvelle d'un thème extrêmement ancien.

Émile BREHIER.

TEXTE 11

- 33 -
C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux
spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se
présentaient les premières à l'esprit; puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur
exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la lune, ceux du
soleil et des étoiles enfin la genèse de l'univers. Or apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est
reconnaître sa propre ignorance (c'est pourquoi même l'amour des mythes est, en quelque
manière amour de la sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si
ce fut bien pour échapper à l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la
philosophie, c'est qu'évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance
et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s'est passé en réalité en fournit la preuve : presque
toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément
avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je
conclus que, manifestement, nous n'avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt
étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe
pas pour un autre ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une
discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.

ARISTOTE Métaphysique A, 2, 982 b 10, trad. J. Tricot Vrin.

TEXTE 12
Amener au jour une authentique philosophie négro-africaine établirait à coup sûr que nos
ancêtres ont philosophé, sans pour autant nous dispenser, nous, de philosopher à notre
tour. Déterrer une philosophie, ce n'est pas encore philosopher. L'Occident peut se vanter
d'une brillante tradition philosophique. Mais l'Occident qui a reconnu l'existence de cette
tradition et qui en a même saisi le contenu, n'a pas encore commencé à philosopher. La
philosophie ne commence qu'avec la décision de soumettre l'héritage philosophique et
culturel à une critique sans complaisance. Pour le philosophe aucune donnée, aucune idée
si vénérable soit-elle, n'est recevable avant d'être passé au crible de la pensée critique. En
fait la philosophie est essentiellement sacrilège en ceci qu'elle se veut l'instance
normative suprême ayant seule le droit de fixer ce qui doit ou non être tenu pour sacré,
et de ce fait abolit le sacré pour autant qu'il veut s'imposer à l'homme du dehors. C'est
pourquoi tous les grands philosophes commencent par invalider ce qui était considéré
jusqu'à eux comme absolu. On prétendra peut-être que cela ne vaut que pour la
philosophie européenne et non pour la philosophie négro-africaine. Mais si on pousse à
ce point le culte de la différence, on ne voit plus la raison de faire passer nos modes de
pensée pour de la philosophie ».

Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, CLE,
1971, pp. 29-30.

- 34 -
TEXTE 13
Leur façon de procéder n'est ni purement philosophique, ni purement ethnologique, mais
ethno-philosophique. L'ethnophilosophie expose objectivement les croyances, les
mythes, les rituels, puis brusquement, cet exposé objectif se mue en profession de foi
métaphysique, sans se soucier, ni de réfuter la philosophie occidentale, ni de fonder en
raison son adhésion à la pensée africaine. De la sorte l'ethnophilosophie trahit à la fois
l'ethnologie et la philosophie. L'ethnologie décrit, expose, explique, mais ne s'engage pas
(du moins pas ouvertement) quant au bien-fondé de ce qui est décrit, expliqué. Elle trahit
aussi la philosophie parce que la pierre de touche qui lui permet d'opérer un choix entre
les diverses opinions est avant tout l'appartenance ou la non-appartenance à la tradition
africaine, alors qu'un exposé philosophique est presque toujours une argumentation, une
démonstration ou une réfutation. Ce qu'un philosophe retient et propose est toujours,
du moins en droit, la conclusion d'un débat contradictoire, c'est-à-dire d'un examen
critique et absolument libre.

Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, CLE,
1971, p.31.

TEXTE 14
L'émergence de la question philosophique en Afrique noire s'est faite sous une forme
problématique pour avoir longtemps tourné autour de sa propre existence. A en retracer
l'histoire, nous sommes en effet mis en présence d'une littérature variée qui articule
essentiellement deux thèses contradictoires. La première voudrait voir dans la tradition
africaine les rudiments composites d'une philosophie à exhumer alors que la seconde
disqualifie une telle démarche qui lui apparaît non philosophique et partant affirme
l'inexistence d'une philosophie africaine ainsi entendue. Dans le premier cas il s'agit de
l'ethnophilosophie et dans le second, de sa critique.

Cette controverse est le produit d'une réaction contre un certain préjugé raciste. Ledit
préjugé et son invalidation prendront des formes différentes (...)

Sans trop vouloir s'y attarder, remarquons que ce préjugé remonte au moins à David Hume
: « je suspecte les Nègres, en général les autres espèces humaines d'être naturellement
inférieures à la race blanche. Il n'y a jamais eu de nation civilisée d'une autre couleur que
la couleur blanche, ni d'individu illustre par ses actions ou par sa capacité de réflexion... il
n'y a chez eux ni engins manufacturés, ni art, ni science. Sans faire mention de nos colonies,
il y a des nègres esclaves dispersés à travers l'Europe ; on n'a jamais découvert chez eux
le moindre signe d'intelligence ».

- 35 -
Il nous semble inutile d'allonger la liste, aussi pouvons-nous en venir au premier type de
réactions enregistrées contre ce préjugé et que la tradition caractérise par le vocable
d'ethnophilosophie.

(...) le commencement de la question est marqué par la parution de La Philosophie Bantoue


du R.P. Placide Tempels. Ce texte inaugural interroge les diverses formes de la pensée des
Bantous pour n'en retenir que la « raison intime ». (...) L'ethnophilosophie a découvert
plusieurs philosophies et non pas une. Sa méthode se caractérise par la recherche, dans
la tradition culturelle africaine, d'éléments passibles d'un traitement philosophique.
Louis-Roi Boniface Attolodé « Philosophie africaine : un visage nouveau ». in Revue
Sénégalaise de Philosophie, pp. 111-117.

- 36 -
DOMAINE II :
PENSER
L’INDIVIDU, LA
SOCIETE, LA
CULTURE ET
POLITIQUE

- 37 -
Thème 10 : Individu et société
❖ L’humanité et la société sont indissociables, car l’homme
L’essentiel est par définition un être social dans la mesure où pour lui
exister c’est coexister avec ses semblables.

❖ « Quiconque est incapable de vivre dans la société des hommes ou n’en éprouve
nullement le besoin est une bête ou un Dieu ».Cette célèbre affirmation d’Aristote atteste
que l’homme est un « animal politique », un animal social qui ne se réalise que dans la
cité (polis en grec).

❖ Mais la vie en société est aussi faite de contraintes parce que chaque individu a un désir
de solitude, de penchants, et un intérêt propre opposé à celui de son prochain.

❖ Evoquant cette contradiction Emmanuel Kant parle de « l’insociable sociabilité des


hommes ». Selon lui tous les hommes sont animés par des tendances contradictoires.
D’une part ils sont attirés par leurs semblables et tentent de se lier à eux .D’autre part, ils
sont constamment exaspérés par les obstacles que les autres opposent à leurs désirs.

❖ Et s’il ne peut y avoir société quand les hommes n’ont pas entre eux quelques intérêts
communs, il ne peut non plus y avoir société s’il ne subsiste entre eux aucune différence.
En tout état de cause il n’y a pas de vie sociale sans normes. Celles-ci permettent
l’insertion de l’individu dans le groupe social, mais elles ne sont jamais aptes à installer
une harmonie absolue.

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Thème 11 : Normes sociales et normes morales
❖ Du latin norma : équerre, par extension règle qui ne
L’essentiel s’écarte ni d’un côté ni de l’autre.
❖ Le normal serait donc une ligne, un chemin, un espace
défini, dans tous les cas c’est une adéquation à des règles, une conformité à des lois établies.
Quand nous disons d’un organisme ou d’une mécanique qu’il est normal, nous voulons
signifier qu’il fonctionne sans dérangement susceptible d’entrainer son dysfonctionnement.
De même on dira d’une société qu’elle est normale quand son dispositif que sont ces règles
est respecté.

❖ Il faut noter une différence entre normes sociales et normes morales, les premières sont
clairement instituées dans des textes juridiques, alors que les obligations morales sont
diffuses. De plus les obligations juridiques portent sur des actes manifestes, alors que celles
morales peuvent aussi bien porter sur des actes manifestes que sur des intentions. Ainsi le
droit ne peut pas me sanctionner lorsque je souhaite du mal à mon prochain, alors que ma
conscience peut me le reprocher.

❖ On note aussi une différence dans les sanctions, au niveau des règles sociales la sanction est
physique (prison, peine de mort etc.), pour les règles morales elle se manifeste par une
désapprobation, une marginalisation.

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Thème 12 : Conformité et déviance
❖ Si le normal c’est ce qui est en conformité avec les règles
L’essentiel de la société, l’anormal peut être décrit comme ce qui n’est pas en
conformité avec le fonctionnement de la société parce qu’il se situe
soit à la lisière soit en dehors de cet espace. Dans cette optique l’anormal est en non-
conformité relative ou absolue aux règles sociales. Les personnages du déviant, du marginal
et du fou constituent les indicateurs sociaux de cette non-conformité. Ces trois figures
symbolisent autant d’écart d’avec la norme, ce n’est toutefois pas de la même manière.

❖ La déviance : dévier c’est sortir de la direction normale, dans ce cas le déviant est celui qui
ne respecte plus à la lettre les prescriptions du groupe. Mais si la déviance est un refus, elle
n’est jamais un refus anarchique dans la mesure où elle propose toujours quelque chose.
Elle est essentiellement déviation, or il n’y a de déviation que là où il existe un obstacle
c’est à cette image que nous renvoie notre expérience du voyage.

❖ Dans le cas d’un voyage une déviation est un changement de direction momentanée, on
quitte la route pour mieux y revenir. Le déviant lui propose une nouvelle route, une nouvelle
direction. Il demande à la société de se joindre à son nouveau projet, les exemples les plus
illustres de déviants sont les prophètes des religions révélées, les savants, les grands
révolutionnaires, les gourous.

❖ La marginalité : Du latin marginis qui signifie situé à la marge, au bord, le marginal est
donc celui qui refuse de se retrouver au centre préférant se placer à la périphérie d’où le
statut ambiguë du marginal. Il n’est ni totalement à l’intérieur ni entièrement à l’extérieur ;
autrement dit il n’applique que partiellement les règles sociales, non pas d’ailleurs parce
qu’ils les ignorent mais parce qu’il a des références autres que celles proposées. Ce qu’il
veut surtout c’est d’être reconnu dans sa différence. A l’opposé du déviant il ne propose
rien, il se contente de se forger une ligne de conduite, un genre de vie.

❖ La simplicité de sa revendication est proportionnelle au malaise qu’il éprouve à faire comme


les autres. La marginalité est presque toujours le symptôme d’une inadaptation sociale, tels
peuvent être perçus : les clochards, les hippies etc.

❖ La folie : A la différence du marginal qui aurait été réprimé par sa déviation, le fou est
comme pardonné son statut est celui du toléré, car si la société le défini comme n’ayant plus
de raison, elle est obligé sous peine d’inconséquence de le dispenser de la sanction pénale
et sociale. Dès lors la norme ne peut plus l’impliquer dans son déploiement aussi la société
ne peut-elle que constater et proclamer son irresponsabilité civile. Dans cette optique figure
nettement ce que Pierre Jacerme voit en lui, c’est-à-dire : « Le privilégié qui peut errer et
passer sans avoir égard à la hiérarchie sociale, qui est admis partout, qui peut tout voir et
entendre ».

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❖ La folie c’est l’indice de la différenciation qui sans cesse nous rappelle la possibilité
d’anéantissement de notre être normal, alors pourquoi ne pas laisser le fou se mouvoir ?

❖ C’est que le fou dérange, il semble tourner la norme en dérision, la société qui ne survit que
par la norme est-elle obligée de réagir en instituant le corps des psychiatres. Et peut-être
que dans sa réaction la société est allée trop loin.

❖ D’abord parce que le psychiatre est à craindre du fait de sa trop grande puissance qui
l’autorise à délimiter raison et déraison. Il a en effet la redoutable tâche de dire qui est fou
et ne l’est pas.

❖ Ensuite comment le psychiatre homme de science peut-il élucider la folie considérée comme
déraison ? S’il réussissait cela ne voudrait-il pas dire qu’il y a de la raison dans la supposé
déraison du fou ? Une rationalité propre à la folie et au fou. Le fou ne possèderait il pas sa
propre rationalité même si elle est autre que celle de la société ?

❖ Disons pour terminer que le fou tout en étant parmi nous est rejeté hors de la vie sociale, à
cause de sa défaillance mentale. Il est le présent absent, l’exilé parmi nous, ce comédien
debout face à un théâtre vide, c’est véritablement selon Jacques Lacan « le porte-parole de
notre inconscient », il ose faire ce que chacun souhaiterait faire sans oser le faire.

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Thème 13 : Nature, culture, travail, langage
L’homme est-il entièrement le produit d’une nature qui le caractérise
et le détermine ?
❖ S’interroger sur l’idée d’une nature humaine c’est déjà
L’essentiel poser une question qui relève de la culture. Sous l’aspect
naturel on peut dire évidemment que l’homme est un organisme qui obéit à des lois biologiques
mais son comportement ne se réduit pas à des besoins naturels et à des instincts car il est aussi
un être social, sociable et intellectuel.

❖ D’un côté il y a donc le naturel, c’est-à-dire l’inné qui renvoie à ce qui est donné et de l’autre
le culturel, qui renvoie à ce qui est acquis ou construit.

❖ L’inné renvoie donc à ce qui est naturel, qu’on peut définir par l’ensemble des caractéristiques
avec lesquels l’homme nait. La nature de l’homme est alors ce qui lui est donné au travers de
l’hérédité biologique tels que le corps et les instincts par exemple.

❖ La culture quant à elle désigne ce qui est acquis par apprentissage ou imitation. C’est la façon
artificielle dont l’être humain vit et se comporte dans son milieu, ce qu’il ajoute à son animalité
mais aussi à son milieu environnant par ses propres œuvres.

❖ Ces définitions ont le mérite de montrer que l’homme est effectivement un être bioculturel, car
tout trait humain a une source biologique. Nous portons tous l’héritage de notre passé animal
dans notre manière d’aimer, de pleurer, de rire etc...

❖ L’homme accomplit et développe son animalité dans et par la sphère sociale et culturelle qui
n’existe pas ou très peu chez l’animal.

Mais alors s’il est vrai que tous les hommes sont dotés de la même nature
et de la même raison comment s’explique l’extrême diversité culturelle qui
caractérise l’humanité ?

❖ La culture est en dernière instance la totalité des façons de penser d’agir et de sentir que les
membres d’un groupe ont acquis sur la base de l’éducation ou de l’imitation. Une culture est
toujours spécifique et différente des autres cultures, c’est ainsi que l’on a pu dire que toute
culture est un label d’identité collective et individuelle.

❖ Même si la mondialisation tend à uniformiser les cultures, il faut dire que chacune d’elles garde
encore quelques spécificités que l’on peut noter dans les façons de penser, les rapports avec
l’étranger, les rapports entre l’homme et la femme, le divin etc…

❖ Ce qui est remarquable en tout état de cause c’est l’extrême diversité des cultures que les
hommes sont capables de produire. Il s’agit donc de savoir comment s’explique cette diversité
- 42 -
culturelle si l’on postule l’unité du genre humain c’est-à-dire si les êtres humains sont
semblables tant du point de vue physiologique que du point de vue de la raison.

❖ Une réponse possible consisterait à dire que les différences culturelles sont dues à la multiplicité
des groupes humains qui ont apporté des solutions différentes face aux sollicitations de leurs
milieux naturels. C’est cette différence qui s’illustre dans la diversité des façons de vivre en
société, de se loger, de se nourrir, de se vêtir, de danser etc…

❖ Toutefois cette explication qui affirme la relativité culturelle semble simpliste aux yeux de
certains théoriciens qui ont tenté de trouver des causes naturelles (biologiques, raciales) à la
diversité culturelle. Arthur de Gobineau (1816-1882) considère que c’est l’inégalité des
aptitudes qui fait que certaines civilisations sont plus brillantes que d’autres. Pour Hegel il y a
des sociétés incultes, non civilisées, c’est le cas de l’Afrique un continent non intéressant ou
jamais le soleil ne s’est levé. D’autres encore comme Levy Brühl (1857-1939) ont affirmé qu’il
y a des civilisations supérieures à d’autres, mais aussi des sociétés sauvages plus proches de
l’animalité et qui sont en dehors de toute culture.

❖ De tels arguments installent l’impossibilité d’une communication humaine et féconde entre les
cultures. Si une certaine forme d’ethnocentrisme peut être positivement comprise comme
moquerie sociale (cousinage à plaisanterie) ayant des fonctions d’intégration et de
reconnaissance de l’autre et de sa différence, il ne saurait pourtant se justifier de manière
scientifique si l’on essaye de le fonder sur des bases biologiques ou raciales.

❖ En définitive aucune culture n’est supérieure à l’autre, puisque toute culture exprime le génie
d’un peuple qui a su trouver des réponses particulières à des problèmes spécifiques. Que des
cultures soient différentes n’est pas le problème, ce qui importe c’est qu’elles soient
l’expression de notre humanité. Cette « humanitude » s’exprime singulièrement dans la
transformation que nous faisons de notre nature par le travail.

Pourquoi travaille-t-on ? Sommes-nous obligés de travailler ? Qui


travaille ?

❖ A l’opposé des autres êtres vivants sur la terre, les hommes sont condamnés à travailler. Cette
nécessité s’impose à eux car ils n’ont pas comme les animaux des dispositions naturelles pour
s’adapter directement à leur milieu.

❖ Le travail caractérise fondamentalement l’humanité, chaque jour des millions d’individus se


livrent à cette activité si essentielle à l’existence et au maintien de la société.

❖ Le paradoxe du travail, c’est qu’il est à la fois source d’épanouissement et de contrainte. Son
étymologie latine, tripalium, désigne un outil et un instrument de torture.

❖ Le travail est vécu à la fois comme une source de liberté, mais aussi comme un facteur
d’aliénation pour l’homme. Déjà le fait qu’il faille nécessairement travailler pour vivre est en
soi une contrainte. En outre le fait que le travailleur soit soumis à des règles et obligations

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comme l’assiduité, la concentration, l’effort et le rythme de la production etc…tout cela rend
le travail pénible.

❖ On peut chercher d’abord la signification du travail dans la religion et le mythe. En effet dans
la Bible Dieu dit à Adam : « C’est au prix d’un travail pénible que tu en tireras ta nourriture
tous les jours de ta vie. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras le pain jusqu’à ce que
tu retournes dans la terre dont tu as été tiré ».A Eve Il dit « J’aggraverais les souffrances de
ta grossesse… tu enfanteras dans la douleur » ( sentence qui donne au moment de
l’accouchement l’expression « femme en travail »).

❖ Si dans le jardin d’Eden, l’homme ne travaille pas car la nourriture est abondante, à partir du
péché originel, les hommes sont condamnés à travailler pour survivre.

❖ Dans la société grecque de l’antiquité comme dans toutes les sociétés aristocratiques, le travail
symbolise la misère de l’homme et non sa noblesse. C’est le signe de sa déchéance et de son
animalité car il travaille au même titre que les animaux chassent ou pêchent. Dans ce contexte
ce sont les gens de métier qui travaillent pendant que les nobles sont oisifs ou s’adonnent aux
joutes intellectuelles ou guerrières. C’est pourquoi Platon a pu écrire ceci : « Je ne donnerai
jamais ma fille à un ingénieur parce qu’il travaille ».

Mais le travail n’est-il pas plutôt facteur d’humanisation et source


d’épanouissement et de liberté ?

❖ Par le travail l’homme transforme la nature, et se transforme lui-même, il développe de plus en


plus son intelligence en surmontant les obstacles qu’il rencontre dans le cadre de son activité.

❖ Le travail est aussi un véritable facteur d’intégration sociale. En effet aucun être humain ne peut
satisfaire tout seul l’ensemble de ses besoins, le travail de chacun est alors nécessaire aux autres
pour l’équilibre de la société. Le travail est un devoir envers soi-même, mais aussi envers autrui,
il confère à l’individu une valeur sociale.

❖ Le travail peut par ailleurs être considéré comme un moyen d’accéder à la liberté, en effet grâce
au travail l’individu peut acquérir une indépendance économique en cessant d’être sous la
dépendance des autres.

❖ C’est Hegel qui montre véritablement la dimension libératrice du travail dans son ouvrage : La
phénoménologie de l’esprit au chapitre : la dialectique du maitre et de l’esclave. L’esclave a
une double contrainte celle du maitre et celle de la nature qu’il doit affronter pour satisfaire les
besoins du maitre, tandis que le maitre se repose, l’esclave lui travaille. Or tout comme le
maitre, l’esclave a aussi ses propres désirs, mais il ne peut pas les satisfaire, alors il les refoule
et acquiert petit à petit la maitrise de lui-même.

❖ Ainsi l’esclave se libère de la domination de ses propres instincts. En plus en travaillant dans la
nature, l’esclave maitrise les lois qui la gouvernent et se libère des contraintes qu’elle lui
impose. En effet il devient de plus en plus ingénieux car chaque conquête sur la nature est un
nouveau savoir qu’il gagne. Alors s’opère un renversement dans les rapports entre le maitre et
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l’esclave. Tandis que l’esclave devient maitre de lui-même, maitre de la nature et maitre du
maitre (puisque le maitre ne peut plus vivre sans lui), le maitre lui devient esclave de ses
instincts, esclave de la nature, et esclave de l’esclave. C’est en cela que le travail est à la fois le
véritable fondateur de la culture, mais aussi un éminent facteur de liberté.

Le travail : source de contrainte


❖ Mais la dimension contraignante du travail se remarque surtout à l’époque moderne avec le
salariat. Dans les services une grande masse de travailleurs se livrent chaque jour à des taches
pénibles et stressantes dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas toujours, et cela pour des
salaires toujours insuffisants.

❖ Dans les industries, les ouvriers des chaines devenus esclaves de la machine font le travail en
miette dont le produit dépasse de loin leur pouvoir d’achat.

❖ Karl Marx dans son ouvrage le Capital affirme et démontre que le travail sous sa forme
industrielle moderne, est source de déshumanisation et perte de liberté. Dans bien des cas, le
travailleur du système capitaliste selon Karl Marx devient étranger à sa force de travail (qui est
échangé contre un salaire modique), étranger au produit de son travail (non seulement à cause
du caractère émietté de son activité, mais aussi parce que son produit dépasse son pouvoir
d’achat). Finalement il devient aliéné c’est-à-dire étranger à lui-même et dans un état de
servitude permanente. Face à cette situation déplorable Marx a préconisé une nouvelle manière
d’organiser l’économie, la politique du travail et la distribution des ressources. Il considère que
la société pourra être organisé si on met fin à l’exploitation de l’homme par l’homme et au
capitalisme qui en est le fondement.

Le langage
❖ Le langage est à la fois un élément de la culture, et en même temps le véhicule de toute culture.

❖ Il peut être défini au sens général comme étant : tout système de signe pouvant servir de moyen
de communication. Cette définition ne montre pas que le langage est spécifiquement humain,
en l’analysant de prés ne sommes-nous pas habilités à parler d’un langage animal, d’un langage
de la machine, d’un langage de la fleur, en sommes à dire que tout est langage ?

❖ Pour montrer que le langage est le propre de l’homme, on peut le définir comme étant un
système de signes servant de moyen de communication en même temps moyen d’exprimer une
pensée. Cette seconde définition pose déjà l’idée que le langage est spécifique à l’homme car
seuls les hommes inventent des signes, pensent et parlent. Les animaux n’émettent que des
signaux qui sont instinctifs et universels. Les signes quant à eux sont des instruments des outils
linguistiques qui sont conventionnels.

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Langage et pensée
❖ Il est admis en général que la pensée est antérieure au langage, il arrive à chacun d’avoir des
idées qu’il ne peut pas exprimer, qu’il habille de termes impropres qui ne le satisfont pas et
qu’il rejette tour à tour. Cela conduit d’emblée à croire que si la pensée cherche ses mots c’est
parce qu’elle les précède. Tout se passe comme s’il y avait un monde de pensée pure et
autonome, et un monde de mots qui ne seraient que le vêtement de la pensée. Mais en réalité il
n’en est rien la pensée ne vient pas avant le langage. En effet dès qu’on pense, on parle, car on
ne peut penser qu’avec des mots puisque nos pensées naissent toutes habillées. On ne peut donc
dire que le langage ne présuppose pas la pensée, puisque le mot par lequel on pense est rythmé
par un langage intérieur, comme le dit Maurice Merleau Ponty (1908-1961) : « La pensée n’est
rien d’intérieur, elle n’existe pas hors du monde et hors des mots. Mais en réalité ce silence
prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur. »

❖ En fait plutôt qu’un rapport d’antériorité langage et pensée entretiennent un rapport de


simultanéité dans le processus de leur élaboration, au point que la pensée fait le langage en se
faisant par le langage.

❖ Mais malgré tout si dans la réalité pensée et langage sont inséparables, il arrive souvent que le
langage trahisse la pensée. C’est dire qu’il y a des moments ou le langage n’exprime pas
adéquatement la pensée d’où l’expression : mon langage m’a trahis. C’est Henri Bergson
(1859-1941) qui a le plus développé cette idée, il a essayé de montrer que la pensée est
incommensurable avec le langage. Si ce dernier peut bien exprimer les objets qui sont dans
l’espace, il est incapable de bien dire mon expérience intime, mes émotions bref ma vie
intérieure. C’est pourquoi certains philosophes comme Ludwig Wittgenstein (1889-1951) face
à la misère du langage ne considèrent que l’ineffable (l’indicible) qui est la plus haute forme de
communication, plutôt que de mal dire il faut vivre les choses dans un contact silencieux car :
« Ce qui ne peut être dit doit être tu ».

❖ D’autres sentent que le langage ordinaire est incapable d’exprimer leur vie intérieure, ils
choisissent le langage de la poésie ou celui des larmes pour dire leurs émotions.

❖ Mais selon Hegel c’est une fausse querelle adressée au langage que de dire qu’il est inapte à
traduire les pensées. Pour lui une pensée qui ne trouve pas son mot n’est pas encore arriver à
maturité, elle est une pensée à l’état de fermentation et trouvera forcément ses mots lorsqu’elle
sera mure. Il critique la philosophie de l’ineffable en affirmant que c’est seulement dans et par
le langage que la pensée peut se réaliser. On pourrait dire à l’instar de Nicolas Boileau(1636-
1711) : « Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrive
aisément ».

Quelques fonctions du langage


❖ La fonction essentielle du langage est celle de la communication entre les individus et entre les
groupes, cette communication peut être verticale c’est le cas de l’éducateur qui inculque des
valeurs à l’apprenant ou encore du chef qui ordonne. Elle peut être aussi horizontale dans ce
- 46 -
cas il y a échange entre un locuteur et un récepteur. L’échange par le langage est plus
enrichissant que l’échange économique, par exemple si deux individus ont chacun une pièce
après échange chacun se retrouve avec une pièce. Mais s’ils échangent des idées chacun se
retrouve à la fois avec deux idées.

❖ La fonction communication peut être subdivisée en quelques autres sous fonctions :

❖ La fonction d’expression : le langage exprime c’est-à-dire qu’il extériorise l’intériorité des


individus, en parlant nous livrons ce que nous avons dans nos têtes, dans nos cœurs. Hegel
disait justement que le langage est une manifestation par laquelle l’individu ne s’appartient plus,
il sort de lui-même pour livrer son intimité à autrui.

❖ La fonction magique : le langage est un moyen d’action grâce à lui on peut faire advenir ce qui
n’est pas encore. Le magicien en récitant quelques formules peut amener à l’existence des
objets, la dimension magique du langage trouve son expression la plus achevée dans le verbe
divin qui a fait advenir la terre.

❖ La fonction thérapeutique : le langage soigne, il peut permettre de soulager l’individu de ses


peines et souffrances (la confession, la psychanalyse).

❖ La fonction poétique : Rendre belles et agréables des réalités laides ou qui, pourraient laisser
indifférents c’est le cas de la poésie.

La communication et ses enjeux


❖ Il est établi que détenir le langage c’est détenir le pouvoir, ce n’est pas pour rien que la presse
est considéré comme étant le quatrième pouvoir. C’est grâce à la magie du verbe que le
politicien, le sophiste, l’avocat, arrivent à convaincre et à faire adhérer son interlocuteur.

❖ Aujourd’hui il y a une véritable révolution dans le domaine de la communication avec les NTIC
(nouvelles technologies de l’information et de la communication). Etre présent sur le web et ou
les réseaux sociaux est devenu un art de vivre et un gage de modernité.

❖ Les entreprises, les partis politiques, les services publics ont tous adopté la communication
digitale qui permet d’échanger et de transmettre des informations via l’ensemble des médias
numériques tels que le web, les réseaux sociaux.

❖ Nous sommes véritablement dans un monde avec une communication multicanale, qui consiste
à mettre en œuvre une stratégie de communication via différents réseaux (Messenger,
WhatsApp, Google Chat etc…)

❖ Le digital a permis à un grand nombre de professionnels et de particuliers de publier d’échanger


en un temps record, afin de susciter l’adhésion et de créer du lien.

- 47 -
Thème 14 : Conscience et inconscient
Quel statut donner à la conscience ? Est-elle autonome du corps ?
Toute pensée est-elle uniquement consciente ? La conscience est-elle une entité purement
autonome ? L’hypothèse d’une pensée inconsciente est-elle acceptable ? La conscience n’a-
t-elle pas besoin du monde et du corps pour exister ?

Le règne de la conscience
L’essentiel
❖ La réflexion sur la conscience fut dès l’origine prise en
charge par un Socrate attentif à l’injonction de l’oracle de Delphes « Connais-toi toi-
même ». Cette injonction convie la conscience à une introspection pour mettre à l’épreuve
ses savoirs et ses certitudes.

❖ Au terme de cette auto-inspection, Socrate n’a pas pu dire ce qu’est véritablement la


conscience, ni de quoi elle est constituée. Il n’a pu arriver qu’à la certitude qu’il ne savait
rien.

❖ Après Socrate la réflexion philosophique s’est désintéressée du problème de la


conscience elle-même pour s’intéresser davantage à la réalité extérieure.

❖ Ce n’est qu’à partir du XVIIème siècle que la réflexion sur la conscience va être renouvelée
dans la philosophie par René Descartes (1596-1650) qui va lui donner une définition et
un statut qui consacre l’avènement du sujet comme fondement de la connaissance.

❖ Avec l’existence de la conscience l’homme a un statut privilégié qui le différencie des


autres animaux. Grâce à sa conscience il est capable de déployer le monde et de se
déployer devant lui-même pour se connaitre et connaitre le monde. L’homme s’éveille
donc à l’existence grâce à sa conscience, qu’on peut définir comme l’intuition ou le savoir
qu’il a de lui-même et du monde.

❖ Pour aboutir à une certitude indubitable, Descartes entreprend de douter de tout. A l’issue
de ce doute hyperbolique, la certitude qu’il trouve est le constat de son existence en tant
que sujet pensant : « Je pense donc je suis ». De cette certitude Descartes tire une
première conséquence : la pensée, qui est la preuve de mon existence est le lieu, l’instance
de la transparence à soi. Autrement dit dès que je pense et au moment où je pense, j’ai en
même temps et nécessairement conscience de cette pensée. Toute pensée est par
conséquent consciente puisqu’elle s’accompagne nécessairement du savoir de celui qui
la pense.

❖ Retenons donc que pour Descartes, le psychisme humain est entièrement et totalement
conscient car l’individu en faisant une simple introspection peut s’informer de tout ce qui
le constitue. Aucune pensée n’échappe à la conscience c’est ainsi que l’expression pensée
inconsciente ou inconscient psychique pour lui est une contradiction dans les termes.

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❖ Descartes va plus loin d’ailleurs en considérant que même si le monde et le corps
n’existait pas, la conscience elle existerait.

La fin de l’autonomie de la conscience


❖ Descartes affirme que la conscience dans sa solitude n’a besoin que d’elle-même pour
exister. Mais cette conception est contestable puisque la conscience ne peut pas être
considérée comme une chose, une entité autonome.

❖ En vérité la conscience n’existe que dans la mesure où elle se rapporte à un objet : on


n’est jamais seulement conscient, c’est toujours de quelque chose qu’on est conscient, et
sans cette chose, la conscience elle-même n’existerait pas. Une conscience de rien serait
en fait un rien de conscience.

❖ Le propre de la conscience, c’est d’être non pas une substance, une chose mais une visée,
une relation, une manière de se diriger vers un objet. Comme le remarque G.W.F.Hegel
(1770-1831) « C’est dans la mesure où elle se manifeste à un objet que la conscience est
conscience ».

❖ C’est justement parce que la conscience est toujours relation à un objet que l’on dit qu’elle
est intentionnelle. L’intentionnalité est en effet le fait que toute conscience soit
conscience de quelque chose. Si Descartes se limite au « Cogito Ergo Sum » refusant
ainsi de considérer les objets de la conscience, Edmund Husserl (1859-1938), remarquant
que la conscience n’est rien sans son objet, lui rétorque que : « Tout Cogito a un
Cogitatum ». Autrement dit, toute pensée a un contenu, la conscience n’est jamais un
contenant vide.

❖ A l’analyse on s’aperçoit que ce Cogitatum, c’est-à-dire l’objet de la conscience, est


toujours distincte de la conscience elle-même. Déjà on sait que le monde extérieur n’est
pas à confondre avec notre conscience qui s’en informe.

❖ La conscience n’est donc jamais adéquation avec qu’elle-même car elle est ouverture vers
autre chose qu’elle-même.

❖ Par ailleurs, la conscience ne peut exister sans le corps qui en constitue l’enveloppe
originelle et qui la lie au monde. En effet, par le biais de l’apparition du corps on signe
l’existence d’autrui et mon existence à la fois en tant que présence au monde, objet
perceptible et perçu, toutes choses opposées au solipsisme cartésien.

❖ Pour Descartes la conscience est le lieu de la transparence de soi, elle règne et gouverne.
Elle règne car elle jette une lumière totale sur le psychisme, elle gouverne car elle est la
source de provenance de nos pensées et idées.

❖ Mais le fait que la conscience soit toujours relation à autre chose qu’elle-même, le fait
qu’elle soit nécessairement logée dans un corps vivant aux influences énigmatiques, le
fait qu’elle soit incarnée par un individu vivant dans la société qui le façonne, tout cela
- 49 -
amène à douter que notre conscience puisse nous dire la vérité sur nous-même. Nombre
de nos pensées, de nos actes et de nos désirs échappent au contrôle de notre conscience.

❖ L’homme est un être obscur à lui-même, ses pensées et ses désirs ne sont pas toujours
conscients, et même s’ils peuvent l’être, leurs mobiles et significations peuvent échapper
totalement à la conscience. C’est sans doute pourquoi, considérant que la conscience peut
s’illusionner sur elle-même, trois philosophes du soupçon ont refusé de lui faire
confiance : Karl Marx (1818-1883), Friedrich Nietzsche (1844-1900), Sigmund Freud
(1856-1939).

❖ Selon eux, si la conscience règne, elle ne gouverne certainement pas. Elle n’est pas la
source qui détermine nos actes et nos pensées. C’est ailleurs qu’il faut aller chercher cette
source. Pour Nietzsche c’est au niveau du corps, pour Karl Marx au niveau des structures
sociales, et enfin pour Freud au niveau de l’inconscient psychique.

❖ C’est Freud qui développe une véritable théorie de l’inconscient. Il soupçonne très tôt que
la conscience n’est pas seule à régner dans le psychisme et en déduit que le psychisme
comporte une dimension inconsciente que l’individu ne peut remarquer.

❖ C’est en observant que beaucoup de nos idées ont une origine mystérieuse, et en
remarquant les cas de lapsus et d’actes manqués, que Freud envisage une nouvelle
conception du psychisme. Selon lui, il doit exister dans le psychisme un domaine ou
siègent les pensées et tendances inconscientes, ce domaine qui échappe à notre
conscience, c’est ce qu’il appelle d’abord le subconscient puis finalement le ça.

❖ Il affirme que les actes qui relèvent de l’inconscient psychique dépassent de loin ceux
qui dépendent de la conscience. La conscience n'est que “ce qui est connu de soi-même”
: “il se passe dans le psychisme bien plus de choses qu'il ne peut s'en révéler à la
conscience”. Freud note : « Si la conscience a la dimension d’un lac, l’inconscient a la
dimension d’un océan ». Ainsi il va diviser le psychisme en trois instances : le moi, le ça
et le surmoi.

❖ Le moi : c’est la conscience claire, qui joue un rôle de conciliation entre l’énergie
pulsionnelle du ça et les exigences du surmoi. Le moi ne conjugue qu’un seul verbe : Je
peux.

❖ Le surmoi : C’est une sorte de censeur qui filtre les tendances provenant du ça, leur
interdit ou leur autorise l’accès au Moi selon qu’elles sont compatibles ou non avec les
exigences morales, il ne conjugue que le verbe tu dois, tu ne dois pas.

❖ Le ça : c’est le siège des pulsions, tendances, désirs. Pôle pulsionnel de la personnalité,


réservoir d’une énergie surpuissante inconsciente, la libido, il ne conjugue qu’un seul
verbe : Je veux.

- 50 -
❖ Le rôle du surmoi est important dans l’équilibre mental de l’individu. Lorsque celui-ci est
« normal », il contrôle ses tendances et surtout celles qui sont incompatibles avec les
exigences sociales.

❖ Chaque homme est le produit de son histoire personnelle selon Freud. Les évènements de
l’enfance ont une importance décisive dans la formation de la personnalité adulte. Les
comportements et plus singulièrement, ceux qui sont pathologiques, les névroses et les
psychoses, trouvent leur racine dans cette histoire. Partant de la division du psychisme en
instance consciente et inconsciente, Freud fonde une théorie et une méthode, la
psychanalyse, qui permet de les expliquer et éventuellement de les soigner.

- 51 -
Thème 15 : La liberté

❖ En donnant à la liberté une définition suffisamment large


L’essentiel pour qu’elle s’applique à toutes les formes de liberté, on ne peut
qu’adopter une définition négative : la liberté est absence de
contraintes. Le mot contrainte peut être entendu à un double sens, au sens général et au
sens spécial.
❖ Au sens général c’est tout ce qui entrave la liberté d’action d’un être soit du dehors, soit
même du dedans.

❖ S’agissant du sens spécial il s’applique précisément à ce qu’on entend par contrainte au


niveau social, c’est-à-dire à ce type de contrainte que subit tout individu vivant en
société : les lois et règlements, la morale etc…

❖ Au vu de ces considérations, on peut affirmer que les contraintes sociales font partie
intégrante de la vie sociale. L’individu vit à l’intérieur des cadres sociaux comme la
famille, le clan, la tribu, l’Etat, la nation dont les normes et principes de fonctionnement
circonscrivent ses actions, ses pensées, dans les limites tracées par ces derniers.

❖ C’est dire que la définition de la liberté comme absence de contrainte pose plus de
problème qu’elle n’en résout. La première difficulté se trouve dans la question suivante :
peut-on vivre en société sans aucune forme de contrainte ? Le simple fait élémentaire de
vivre en société soumet les individus à des contraintes qu’il serait onéreux d’énumérer.
Ne peut-on pas dire d’ailleurs que ce sont les contraintes sociales qui expliquent
l’exigence de liberté. L’argument que l’on fournit pour soutenir cette thèse est que ce sont
les peuples qui manquent de plus de liberté qui en ressentent l’impérieuse nécessité. On
peut donc affirmer que c’est le déploiement le surgissement de la liberté humaine qui crée
les obstacles. En effet l’obstacle a un retentissement psychologique il n’existe pas pour
un homme qui n’entreprend rien, qui n’agit pas. La hauteur d’une montagne ne constitue
un obstacle que pour l’alpiniste qui cherche à la gravir pour atteindre le sommet, pour le
simple passant, elle lui est totalement indifférente puisqu’elle ne constitue pas une entrave
à ces désirs et actions présentes. En dernière analyse il est impossible de penser liberté et
contrainte séparément.

La théorie du libre arbitre


❖ Cette théorie considère que ni mes idées, ni mes actes, ni mes habitudes, encore moins le
monde extérieur ne saurait déterminer mon acte libre. Cette position nous conduit vers
une liberté qui repose sur l’indétermination, celle-ci peut être considérée comme le
pouvoir d’exécuter des actes gratuits accomplis sans motif. René Descartes théoricien du
libre arbitre écrit : « Je ne vois que ce que je regarde et je regarde ce que je veux », en
réalité notre attention ne semble pas indéterminée, je fais attention à ce qui m’intéresse,

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si je détourne mon attention sur un objet immédiatement intéressant c’est pour le porter
sur un objet différent qui directement ou indirectement m’intéresse aussi.

❖ C’est dire que le libre arbitre est une illusion, car notre volonté dépend de toutes sortes
de conditions physiques, morales, habitudes acquises en société etc…

❖ Concernant l’acte gratuit la psychanalyse l’a bien montré les actes bizarres dont nous
ignorons les motifs sont les moins libres de tous, car ici nous agissons par des mobiles
inconscients dont nous sommes d’autant plus esclaves que nous les ignorons.

Liberté et déterminisme
❖ Au regard de certaines disciplines et théories qui ont étudié l’homme, tout en l’homme
semble être déterminé.

❖ La biologie considère que nos conduites même les plus intimes sont conditionnées par
des facteurs biologiques et cliniques.

❖ La sociologie affirme que les conduites humaines s’expliquent par le déterminisme social
comme l’éducation qui influence à notre insu nos choix et actes.

❖ Pour la psychanalyse nos conduites sont déterminées par des mobiles psychiques
inconscients.

❖ Ces différentes conceptions ruinent la théorie du libre arbitre. C’est la raison pour laquelle
des philosophies comme le Stoïcisme et Spinozisme apparaissent comme plus
conséquente que la théorie du libre arbitre.

❖ Pour les Stoïciens il faut reconnaitre l’existence d’une nécessité qui gouverne le monde,
et cette nécessité est divine. Dans le monde tout arrive inéluctablement (nécessairement)
selon un destin préétabli. Il faut donc savoir qu’on ne peut rien contre ce qui nous arrive
et accepter de bon cœur notre destin. C’est ainsi que l’on comprend ces mots des
Stoïciens : « L’obéissance à Dieu est liberté », comme l’écrit Epictète : « La liberté
consiste à vouloir que les choses arrivent non comme il me plait, mais comme elles
arrivent ».

❖ Pour Spinoza (1632-1677), être libre c’est accepter la nécessité de l’ordre du monde, on
ne peut pas avoir tout ce que l’on veut on sera libre en voulant ce que l’on a.

▪ Critique du Stoïcisme : la liberté comme libération


❖ La liberté consiste-t-elle vraiment à accepter passivement le déterminisme naturel et
social ? La sagesse résignée des Stoïciens n’est-elle pas un esclavage volontaire ?

❖ Il a fallu le passage d’une conception fataliste à une conception déterministe pour que
l’on comprenne que la connaissance des causes des phénomènes est un moyen de

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s’affranchir des contraintes qu’ils nous imposent. Grace aux principes du déterminisme
les hommes ont la possibilité de prévoir, d’empêcher ou d’entrainer le déroulement des
phénomènes. Ainsi grâce au pouvoir d’action qu’ils ont sur la nature, pouvoir que les
confère la science et la technique, les hommes ont renoncé de plus en plus à l’attitude
fataliste pour envisager de devenir maitre et possesseur de la nature. En effet l’homme au
début de son histoire incapable de maitriser les lois de la nature en était esclave, grâce à
son intelligence il va progressivement maitriser les lois de l’univers, il va se libérer en se
soumettant le monde. D’esclave de l’univers il va devenir maitre, en utilisant habilement
les lois de la nature il va transformer en moyens les obstacles.

▪ La conception Sartrienne de la liberté


❖ Jean Paul Sartre (1905-1980) s’oppose aux philosophes du soupçon dont les conceptions
aboutissent à l’idée selon laquelle l’homme n’est pas responsable de son devenir. En effet
il admet que la société a une influence sur l’individu, mais il pose que cette influence
n’est pas décisive puisqu’entre elle et l’acte individuel se trouve l’espace de la liberté.
Autrement dit c’est moi en tant que sujet conscient qui choisit d’être ce que la société
veut faire de moi. Il en est de même pour le conditionnement instinctuel dont parlait
Nietzsche ; pour Sartre c’est moi qui choisis d’être doux, passionné, agressif etc... Il nie
l’existence de l’inconscient psychique freudien, toutes ces théories fonctionnent comme
des alibis pour ne pas assumer ses responsabilités.

❖ La philosophie Sartrienne remet en question l’existence d’une nature humaine, d’une


essence qui ferait qu’il soit au départ ceci ou cela. En effet si l’homme a une essence cela
signifierait qu’il est condamné à être ce pourquoi il est programmé, et n’a aucune
possibilité de devenir autre. Il refuse ainsi l’essentialisme en considérant que l’homme
existe d’abord avant d’être ceci ou cela. Tant qu’il vit, il est une somme de possibilité ce
qui signifie qu’il peut choisir de devenir n’importe quoi dans la société.

❖ Ainsi l’homme n’est l’instrument d’aucune fatalité, il n’est le jouet d’aucune force qui le
dépasserait puisqu’il est entièrement conscient, libre et responsable de ses actes. Et c’est
dans la mesure où aucune fatalité ne le conditionne que l’homme se trouve jeté dans le
monde seul face à son histoire. Nous sommes condamnés à être libre, nous n’avons pas
demandé à naitre, mais une fois là nous sommes totalement libres. C’est donc à chacun
d’inventer son propre destin en faisant des choix. Pour Sartre nous avons toujours le
choix, on peut même choisir de ne pas choisir, en ce moment on se donne l’illusion de
n’avoir pas choisi, alors que précisément on a fait un choix qui consiste à choisir de ne
pas choisir.

❖ La conception Sartrienne de la liberté met l’homme face à ses possibilités, ses


responsabilités, et face à son destin.

- 54 -
Thème 16 : L’Etat
Pourquoi l’Etat ? Qu’est-ce qui le fonde ? A-t-il toujours existé ? Comment exerce-t-il son
autorité ? Quel est la meilleure forme de gouvernement ?

L’essentiel ❖ Il est établi que les hommes ne peuvent vivre qu’en


société, ce qui pose immédiatement le problème de la
coordination de leurs activités et l’existence de types d’actions menés au nom de la
collectivité tout entière. Justement l’Etat est l’appareil politique c’est-à-dire l’autorité
chargée d’organiser et gérer la vie à l’intérieur de la société. L’Etat coordonne les relations
entre individus et entre groupes, il arbitre les litiges en les maintenant dans les limites du
supportable. Il représente la communauté vis-à-vis des autres communautés et vise à rendre
possible une vie sociale stable en évitant le chaos et l’anarchie.
❖ Pour que l’Etat puisse atteindre ses objectifs il doit disposer non seulement d’un appareil
répressif mais aussi comme le dit Max Weber (1864-1920) du monopole de la violence
physique légitime. Autrement dit nul n’a le droit de se faire justice soi-même, ce droit est
dévolu seulement à l’Etat qui peut en faire usage dans les limites défini par la loi et qui
amène ainsi les individus à renoncer à se venger par eux-mêmes. Ainsi l’une des fonctions
de l’Etat est d’évacuer la violence dans les rapports sociaux.

❖ On peut définir le pouvoir politique comme l’autorité que l’Etat exerce sur les membres
de la société. Lorsque cette autorité est trop forte, l’Etat devient nuisible pour la liberté et
l’épanouissement des individus. Mais lorsqu’elle est trop faible, il y a risque d’anarchie.

❖ Il faut donc que le pouvoir politique soit modéré en délimitant la sphère de son action et
en réservant aux individus une marge de liberté. Mais tel n’est pas toujours le cas.

L’Etat et le citoyen

❖ Le citoyen est une personne qui vit à l’intérieur d’un Etat et qui se définit non pas par
rapport à sa race, sa religion, sa langue, ou ses convictions philosophiques ; mais plutôt
par rapport à ses droits et devoirs. Pour être citoyen il faut en effet, à côté des devoirs,
jouir des droits et libertés : droit de vote, d’être élu, de vivre, de travailler, de revendiquer,
liberté de penser, de s’exprimer, de se déplacer etc…

❖ On voit donc que tout individu vivant dans un Etat n’est pas automatiquement citoyen.
En effet dans les régimes politiques totalitaires, despotiques ou tyranniques, les individus
n’ont aucun droit, comme le dit Montesquieu (1689-1755) : « Ce sont des corps morts
ensevelis les uns après les autres ».

❖ Il faut donc dire que l’existence du citoyen n’est ni innée, ni automatique. La citoyenneté
véritable n’existe que dans un Etat démocratique ou la volonté populaire et les libertés
individuelles sont respectées. Dans l’Etat démocratique les lois sont certes contraignantes
mais elles émanent du peuple lui-même qui les établies par l’intermédiaires de ses

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représentants. Donc en obéissant à la loi, on obéit à soi-même, comme le dit Jean Jacques
Rousseau (1712-1778) : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

❖ Tel n’est pas le cas dans les autres régimes ou le peuple ne se reconnait pas dans les lois
qui ont été imposées par l’Etat sans le consulter.

❖ En outre l’Etat démocratique se laisse contrôler par la société qu’il administre, il se laisse
sanctionner par la volonté populaire, enfin il laisse aux individus la liberté d’organiser
leur vie privée dans les limites définies par la loi.

❖ C’est pourquoi l’Etat démocratique se distingue du totalitarisme, qui est un pouvoir


absolu exercé non pas par le peuple lui-même mais par un appareil bureaucratique comme
le parti unique. Contrairement à la démocratie qui fait une différence entre vie publique
et vie privée, le totalitarisme confond les deux. Du coup il nie la liberté d’opinion,
d’appartenance religieuse, philosophique et politique. Dans un tel Etat l’existence
d’institutions intermédiaires comme les syndicats et les organisations de la société civile
qui doivent être un contre-pouvoir est purement formelle. Le totalitarisme considère que
puisque l’individu est un pur produit de la société ; il lui doit tout et n’a rien à lui réclamer.
Le totalitarisme repose sur l’idée que l’individu laissé libre représente un danger pour la
société, il faut donc accorder de l’importance aux exigences de cohésion de la société et
non à la liberté individuelle, d’où la présence massive de l’Etat contrairement à la
démocratie ou c’est la liberté individuelle qui est la fin visée.

❖ Il ne faut toutefois pas se leurrer en pensant que la démocratie est un régime parfait. En
réalité elle comporte des tares notamment les inégalités socio-économiques, la
domination de l’homme par l’homme etc. ce sont là des problèmes qui ont sans doute
conduit à voir dans l’anarchisme et le marxisme des remèdes aux insuffisances de la
démocratie.

L’anarchisme
❖ C’est une doctrine politique qui dénonce le caractère superflu de l’Etat et de toutes formes
d’autorité. Selon les anarchistes, l’homme est un être naturellement bon et altruiste, il ne
peut s’épanouir que s’il est libéré de toutes formes de contraintes.

❖ Les hommes ont vécu pendant des millénaires sans aucune forme d’Etat, pour eux l’Etat
quel que soit sa forme introduit plusieurs maux dans la société.

❖ *En imposant aux individus des lois qui vont à l’encontre de leur élan spontané et en
réprimant ces derniers, l’Etat entrave leur liberté et leur épanouissement. Dans son rôle
même de législateur de force coercitive l’Etat apparait comme un mal radical. Il brime les
individus, ignore les sentiments, et comme une machine terrifiante il hypothèque les
droits et libertés. En plus il se réclame de la volonté populaire alors qu’en fait il est
l’instrument que se donne une minorité pour dominer la majorité. Comme l’écrit

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Nietzsche : « l’Etat est un monstre froid le plus froid des monstres froids. Et le mensonge
qui rampe dans sa bouche est : Moi l’Etat je suis le peuple ».

❖ *En délimitant ses frontières, en se dotant d’armées chaque Etat se pose en s’opposant
aux autres Etats, ce qui est source de guerre et d’intolérance. Ainsi l’existence de l’Etat a
rompu la solidarité et la fraternité universelle entre les communautés du monde. C’est sur
la base de ces constats que l’anarchisme exige la dissolution immédiate de toutes formes
d’Etat afin que les hommes puissent s’épanouir dans de libres associations.

Le marxisme
❖ Contrairement aux anarchistes qui affirment que l’Etat n’a jamais été nécessaire, Karl
Marx et Friedrich Engels (1820-1895) considèrent que les sociétés humaines ont eu
besoins de l’Etat à un moment déterminé de leur histoire. Selon eux, c’est vrai que
l’humanité a vécu longtemps sans Etat, mais avec la naissance des classes sociales aux
intérêts économiques divergents ; il y a eu un conflit qui menaçait de détruire l’équilibre
social. C’est pourquoi les classes en conflit ont décidé de mettre en place un appareil
spécial chargé d’arbitrer les litiges, de les réguler en les maintenant dans les limites du
supportable, cet appareil c’est l’Etat. Mais comme l’Etat est né au milieu de conflits de
classes, il est forcément un instrument qui favorise la classe la plus forte, c’est-à-dire celle
qui détient la puissance économique et qui dominait lors du conflit. Ainsi pour Marx et
Engels l’Etat n’est point l’expression de la volonté populaire, il est plutôt un appareil de
domination d’une classe sur une autre. Cette domination se fait par le biais d’appareils
répressifs et d’appareils idéologiques.

❖ Mais dans l’analyse marxiste il y aura des bouleversements historiques liés à certains
faits : Les dominés seront de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres, alors que
les dominants seront plus riches et moins nombreux. Sensibilisé par une élite avant-
gardiste, les dominés vont entreprendre une révolution qui va instaurer un Etat socialiste
qui est comme le dit Engels : « La dictature démocratique du prolétariat ». Cet Etat va
procéder à la socialisation de tous les moyens de production, à une distribution plus
équitable des richesses, et à une organisation plus rationnelle du travail. L’opulence et la
justice vont triompher ce qui amènera les anciens dominants à rallier la classe du peuple,
du coup il n’y aura plus de classes sociales.

❖ Dès lors l’Etat qui était né pour arbitrer les conflits de classes n’a plus sa raison d’être, il
s’éteindra de lui-même et ce sera alors le communisme : Une société sans Etat, sans
classes, et sans misère économique.

▪ Les mouvements citoyens


❖ Aujourd’hui on assiste à un phénomène nouveau, la remise en question des partis
politiques traditionnels, et la ruée vers ce qu’on appelle les mouvements citoyens.

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❖ Ces mouvements sont des cadres d’action animés le plus souvent par des jeunes, et qui se
proposent de bâtir une nouvelle citoyenneté centrée sur les idéaux de démocratie, de
justice, de responsabilité, de transparence, et de solidarité.

❖ A travers le monde il y a une floraison de mouvement qui propose une autre manière de
faire de la politique. Nous pouvons citer PODEMOS en Espagne qui a comme
slogan : « Prendre les choses en main : convertir l’indignation en changement politique. »

❖ En Italie le mouvement cinq (5) étoiles, qui ne se définit pas comme parti politique, mais
qui milite pour une forme de démocratie directe par opposition aux formes de démocraties
représentatives. Ce mouvement est aussi anti-élite et ne se réclame ni de gauche ni de
droite.

❖ En Afrique c’est au Sénégal ou le mouvement y en a marre sera véritablement le


précurseur de ces mouvements on aura par la suite le balai citoyen au Burkina Faso, Lucha
et Filimbi au Congo, Sofas au Mali etc. Tous ces mouvements luttent contre la mal
gouvernance, le népotisme, la corruption, le clientélisme politique, l’impunité.

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TEXTES DE REFERENCE 1)

TEXTE 01
La discipline transforme l'animalité en humanité. Par son instinct un animal est déjà tout
ce qu'il peut être, une raison étrangère a déjà pris soin de tout pour lui. Mais l'homme
doit user de sa propre raison. Il n'a point d'instinct et doit fixer lui-même le plan de sa
conduite. Or, puisqu'il n'est pas immédiatement capable de le faire, mais au contraire
vient au monde pour ainsi dire à l'état brut, il faut que d'autres le fassent pour lui. (...)

La discipline empêche que l'homme soit détourné de sa destination, celle de l'humanité,


par ses penchants animaux. Elle doit par exemple lui imposer des bornes, de telle sorte
qu'il ne se précipite pas dans les dangers sauvagement et sans réflexion. La discipline est
ainsi simplement négative ; c'est l'acte par lequel on dépouille l'homme de son animalité
; en revanche l'instruction est la partie positive de l'éducation.

L'état sauvage est l'indépendance envers les lois. La discipline soumet l'homme aux lois
de l'humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir
lieu de bonne heure. C'est ainsi par exemple que l'on envoie tout d'abord les enfants à
l'école non dans l'intention qu'ils y apprennent quelque chose, mais afin qu'ils s'habituent
à demeurer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu'on leur ordonne, en
sorte que par la suite ils puissent ne pas mettre réellement et sur-le-champ leurs idées à
exécution. E. KANT : Traité de pédagogie, pp. 35s

TEXTE 02
Posons donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de l'ordre de la nature
et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme
appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. Nous nous
trouvons alors confrontés avec un fait qui n'est pas loin à la lumière des définitions
précédentes d'apparaître comme un scandale, nous voulons dire cet ensemble
complexe de croyances, de coutumes, de stipulations et d'institutions que l'on
désigne sommairement sous le nom de la prohibition de l'inceste. Car la prohibition
de l'inceste présente sans la moindre équivoque et indissolublement réunis les deux
caractères par où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres
exclusifs : elle constitue une règle, mais une règle qui, seule entre toutes les règles
sociales, possède en même temps un caractère d'universalité. (...) Le "fait de la règle",
envisagé de façon entièrement indépendante de ses modalités, constitue en effet, les
sens même de la prohibition de l'inceste. Car si la nature abandonne l'alliance au
hasard et à l'arbitraire il est impossible à la culture de ne pas introduire un ordre, de

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quelque nature qu'il soit, là où il n’en existe pas. Le rôle primordial de la culture est
d'assurer l'existence du groupe comme groupe, et donc de substituer, dans ce
domaine comme tous les autres, l'organisation au hasard. La prohibition de l'inceste
constitue une certaine forme et même des formes très diverses d'intervention. Mais
avant toute autre chose elle est intervention ; plus exactement encore elle est :
l'Intervention. (...)

La prohibition de l'inceste n'est pas seulement (...) une interdiction ; en même temps
qu'elle défend, elle ordonne. La prohibition de l'inceste, comme l'exogamie qui est
son expression sociale élargie, est une règle de réciprocité. La femme qu'on se refuse,
et qu'on vous refuse, est par cela même offerte. A qui est-elle offerte ? Tantôt à un
groupe défini par les institutions, tantôt à cette collectivité indéterminée et toujours
ouverte, limitée seulement par l'exclusion des proches, comme c'est le cas dans notre
société. Mais à cette étape de notre recherche, nous croyons possible de négliger les
différences entre la prohibition de l'inceste et l'exogamie : envisagées à la lumière des
considérations précédentes, leurs caractères formels sont, en effet, identiques.

Il y a plus : que l'on se trouve dans le cas technique du mariage dit « par échange »,
ou en présence de n'importe quel autre système matrimonial, le phénomène
fondamental qui résulte de la prohibition de l'inceste est le même : à partir du
moment où je m'interdis l'usage d'une femme, qui devient ainsi disponible pour un
autre homme, il y a, quelque part, un homme qui renonce à une femme qui devient,
de ce fait, disponible pour moi. Le contenu de la prohibition n'est pas épuisé dans le
fait de la prohibition ; celle-ci n'est instaurée que pour garantir et fonder, directement
ou indirectement, immédiatement ou médiatement, un échange. Claude Lévi-Strauss
Les Structures élémentaires de la parenté

TEXTE 03
L'homme a un penchant à s'associer, car dans un tel état, il se sent plus qu'homme
par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une
grande propension à se détacher (s'isoler), car il trouve en même temps en lui le
caractère d'insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens ; et de ce
fait, il s'attend à rencontrer des résistances de tout côté, de même qu'il se sait par lui-
même enclin à résister aux autres. C'est cette résistance qui éveille toutes les forces
de l'homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l'impulsion de
l'ambition, de l'instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses
compagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer.

L'homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la grossièreté le mènent à la


culture dont le fondement véritable est la valeur sociale de l'homme. [...] Sans ces
qualités d'insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la

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résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes,
tous les talents resteraient à jamais enfouis en germe, au milieu d'une existence de
bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction et un amour mutuel parfaits ;
les hommes, doux comme les agneaux qu'ils font paître, ne donneraient à l'existence
guère plus de valeur que n'en a leur troupeau domestique. [...] Remercions donc la
nature pour cette humeur non conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour
l'appétit insatiable de possession ou même de domination. Sans cela toutes les
dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel
sommeil. E. KANT La Philosophie de L'Histoire, Médiations, p. 31-32.

TEXTE 04
Le mot "culture" recouvre trois sens ou trois groupes de sens. Il est d'abord employé
dans un sens technique par les ethnologues ou par les historiens des cultures, pour
rassembler tous les éléments de la vie humaine qui sont transmis par la société, qu’ils
soient matériels ou spirituels. Dans cette acception, la culture est coextensive à
l'homme lui-même, car il n'est pas jusqu' à la vie des sauvages les plus primitifs qui ne
s'inscrive dans un univers social, caractérisé par un réseau complexe d'usages,
d'habitudes et d'attitudes conservés par la tradition. Les techniques de chasse du
Bushman sud-africain, la croyance de l'indien nord-américain dans la sorcellerie, la
tragédie grecque de l’Athénien sous Périclès, la dynamo électrique de l'industrie
moderne, sont tous sans distinction des éléments de culture à part entière... De ce
point de vue, tous les êtres humains, ou du moins tous les groupes humains, ont une
culture, bien que leurs différences puissent être considérables et leurs degrés de
complexité très inégaux. Pour l'ethnologue, il existe de nombreux types de cultures
et une variété infinie d'éléments de culture, sans qu'il ne leur associe jamais aucun
jugement de valeur. (...)

La seconde acception du mot est plus largement répandue. Elle désigne un idéal assez
académique de raffinement individuel, élaboré à partir d'un petit nombre de
connaissances et d'expériences assimilées, mais fait surtout d'un ensemble de
réactions particulières sanctionnées par une classe et une longue tradition. (...) La
troisième acception du mot est la moins facile à définir et à illustrer de manière
satisfaisante ; sans doute parce que ceux qui l'emploient sont eux-mêmes très
rarement capables de formuler clairement ce qu'ils entendent exactement par le mot
"culture". Ce troisième sens participe de la première acception (l'acception
technique) en ce qu'il met, lui aussi, l'accent sur les biens spirituels du groupe plutôt
que sur ceux de l'individu. Il participe de la deuxième acception dans la mesure où il
insiste sur un petit nombre de facteurs prélevés dans l'immense courant de culture
dont l'ethnologue a révélé l'existence. ( ...)

- 61 -
La culture se rapproche ainsi de "l'esprit" ou du "génie " d'un peuple sans que ces
mots ne lui soient d'exacts synonymes ; employés dans un sens vague, ils se réfèrent
surtout au passé psychologique ou pseudo-psychologique d'une civilisation nationale,
tandis que la culture comprend, en plus de ce passé, une série de manifestations
concrètes dont on estime qu'elles sont particulièrement symptomatiques. On peut
ainsi définir grossièrement la culture comme la civilisation, pour autant qu'elle
comprend le génie national. E. SAPIR, Anthropologie, 1967, trad. Baudelot et
Clinquart, Minuit.

TEXTE 05
L'existence précède l'essence. (...) Que faut-il au juste entendre par là ? Lorsqu'on
considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet
objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept ; il s'est référé au
concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui
fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois
un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie,
et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi
l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence - c'est-à-dire
l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir -
précède l'existence ; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel
livre est prédéterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans
laquelle on peut dire que la production précède l'existence.

Lorsque nous concevons un Dieu créateur, ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un
artisan supérieur ; et quelle que soit la doctrine que nous considérions, qu'il s'agisse d'une
doctrine comme celle de Descartes ou de la doctrine de Leibniz, nous admettons toujours
que la volonté suit plus ou moins l'entendement, ou tout au moins l'accompagne, et que
Dieu, lorsqu'il crée, sait précisément ce qu'il crée. Ainsi, le concept d'homme, dans l'esprit
de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel ; et Dieu
produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme l'artisan
fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. Ainsi l'homme
individuel réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin. Au XVIIlème siècle,
dans l'athéisme des philosophes, la notion de Dieu est supprimée, mais non pas pour
autant l'idée que l'essence précède l'existence. Cette idée, nous la retrouvons un peu
partout : nous la retrouvons chez Diderot, chez Voltaire, et même chez Kant. L'homme
est possesseur d'une nature humaine ; cette nature humaine, qui est le concept humain,
se retrouve chez tous les hommes, ce qui signifie que chaque homme est un exemple
particulier d'un concept universel, l'homme ; chez Kant, il résulte de cette universalité que
l'homme des bois, l'homme de la nature, comme le bourgeois sont astreints à la même
définition et possèdent les mêmes qualités de base. Ainsi, là encore, l'essence d'homme
précède cette existence historique que nous rencontrons dans la nature.
- 62 -
L'existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu
n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui
existe avant de pouvoir être défini par aucun concept... cet être, c'est l'homme. Qu'est-
ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe
d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le
conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera
qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait... Nous voulons dire que l'homme existe d'abord,
c'est à dire que l'homme est d'abord ce qui se projette vers un avenir, et ce qui est
conscient de se projeter dans l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit
subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n'existe
préalablement à ce projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il
aura projeté d'être. (...) S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence
universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de
condition. Ce n'est pas par hasard que les penseurs d'aujourd'hui parlent plus volontiers
de la condition de l'homme que de sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou
moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation fondamentale
dans l'univers. Les situations historiques varient : l'homme peut naître esclave dans une
société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité
pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu d'autres et d'y être
mortel. Les limites ne sont ni subjectives ni objectives ou plutôt elles ont une face
objective et une face subjective. Objectives parce qu'elles se rencontrent partout et sont
partout reconnaissables, elles sont subjectives parce qu'elles sont vécues et ne sont rien
si l'homme ne les vit, c'est-à-dire ne se détermine librement dans son existence par
rapport à elles. Et bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-
t-il tout à fait étranger parce qu'ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces
limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s'en accommoder. J-P. SARTRE :
L'Existentialisme est un humanisme.

TEXTE 06
« L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements
psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand
nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et
simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui
sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.

« Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne devrait pas


admettre cela », etc. ; autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson,
cette même répulsion, en présence de manière de vivre, de croire ou de penser qui
nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas
de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la
civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or
- 63 -
derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot
barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des
oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire
« de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture
humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité
culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se
conforme pas à la norme sous laquelle on vit. (...) Cette attitude de pensée, au nom
de laquelle on rejette les «sauvages» (ou tous ceux qu'on choisit de considérer
comme tels) hors de l'humanité est justement l'attitude la plus marquante et la
plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion
d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes
de l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée. Là-même
où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n'est nullement certain
- l'histoire récente le prouve - qu'elle soit établie à l'abri des équivoques ou des
régressions. Mais, pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des
dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente. L'humanité
s'arrête aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village;
à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un
nom qui signifie les « hommes » (ou parfois - dirons-nous avec plus de discrétion -
les « bons », les « excellents», les « complets»), impliquant ainsi que les autres
tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus - ou même de la nature -
humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de «
singes de terre » ou « d'œufs de poux ». On va souvent jusqu'à priver l'étranger de ce
dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Lévi-
Strauss (Races et histoire)

TEXTE 07
C'est dans les mots que nous pensons. Nous n'avons conscience de nos pensées
déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous
les différencions de notre intériorité, et par suite, nous les marquons d'une forme
externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus
haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et
l'interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est
une tentative insensée. (...) Et il est également absurde de considérer comme un
désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot.
On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable. Mais
c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l'ineffable, c'est
la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que
lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute
et la plus vraie. Georg Wilhelm Friedrich HEGEL Philosophie de l'Esprit

- 64 -
TEXTE 08
Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue
entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà
derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets
extérieurs, ce sont aussi nos propres états d'âmes qui se dérobent à nous dans ce qu'ils
ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu. Quand nous éprouvons de l'amour ou
de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-
même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les milles
résonances profondes qui en font quelque chose d'absolument nôtre ? Nous serions alors
tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent nous n'apercevons de
notre état d'âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments
que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce
qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi,
jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe. Henri Bergson¸Le Rire

TEXTE 09
En posant l'homme dans sa relation avec la nature ou dans sa relation avec l'homme, par le
truchement du langage, nous posons la société. Cela n'est pas coïncidence historique mais
enchaînement nécessaire. Car le langage se réalise toujours dans une langue, dans une
structure linguistique définie et particulière, inséparable d'une société définie et particulière.
Langue et société ne se conçoivent pas l'une sans l'autre. L'une et l'autre sont données. Mais
aussi l'une et l'autre sont apprises par l'être humain, qui n'en possède pas la connaissance
innée. L'enfant naît et se développe dans la société des hommes. Ce sont des humains adultes,
ses parents, qui lui inculquent l'usage de la parole. L'acquisition du langage est une expérience
qui va de pair chez l'enfant avec la formation du symbole et la construction de l'objet. Il
apprend les choses par leur nom ; il découvre que tout a un nom et que d'apprendre les noms
lui donne la disposition des choses. Mais il découvre aussi qu'il a lui-même un nom et que par
là il communique avec son entourage. Ainsi s'éveille en lui la conscience du milieu social où il
baigne et qui façonnera peu à peu son esprit par l'intermédiaire du langage. À mesure qu'il
devient capable d'opérations intellectuelles plus complexes, il est intégré à la culture qui
l'environne. J'appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-delà l'accomplissement des
fonctions biologiques, donne à la vie et à l'activité humaine forme, sens et contenu. La culture
est inhérente à la société des hommes, quel que soit le niveau de civilisation. Par la langue,
l'homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque
culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s'identifie chaque société.
La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature
conventionnelle du symbolisme qui les articule. C'est en définitive le symbole qui noue ce lien
vivant entre l'homme, la langue et la culture. Emile Benveniste, Problèmes de linguistique
générale, t. l, Éd. Gallimard, 1966, pp. 29

- 65 -
TEXTE 10
Le problème des rapports entre langage et culture est un des plus compliqués qui soient. On
peut d'abord traiter le langage comme un produit de la culture : une langue, en usage dans
une société, reflète la culture générale de la population. Mais en un autre sens, le langage est
une partie de la culture ; il constitue un de ses éléments, parmi d'autres. Rappelons-nous la
définition célèbre de Tylor (…), pour qui la culture est un ensemble complexe comprenant
l'outillage, les institutions, les croyances, les coutumes et aussi, bien entendu, la langue. Selon
le point de vue auquel on se place, les problèmes posés ne sont pas les mêmes. Mais ce n'est
pas tout : on peut aussi traiter le langage comme condition de la culture, et à un double titre
: diachronique (…) puisque c'est surtout au moyen du langage que l'individu acquiert la culture
de son groupe ; on instruit, on éduque l'enfant par la parole ; on le gronde, on le flatte avec
des mots. En se plaçant à un point de vue plus théorique, le langage apparaît aussi comme
condition de la culture, dans la mesure où cette dernière possède une architecture similaire à
celle du langage. Une et l'autre s'édifient au moyen d'oppositions et de corrélations,
autrement dit, de relations logiques. Si bien qu'on peut considérer le langage comme une
fondation, destinée à recevoir les structures plus complexes parfois, mais du même type que
les siennes, qui correspondent à la culture envisagée sous différents aspects ». Claude Lévi-
Strauss, «Linguistique et anthropologie» (1953), in Anthropologie structurale, Éd. Pion, 1958,
pp. 78-79.

TEXTE 11
L'homme est le seul animal qui doit travailler. Il lui faut d'abord beaucoup de préparation
pour en venir à jouir de ce qui est supposé par sa conservation. La question de savoir si le
Ciel n'aurait pas pris soin de nous avec plus de bienveillance, en nous offrant toutes les
choses déjà préparées, de telle sorte que nous ne serions pas obligés de travailler, doit
assurément recevoir une réponse négative : l'homme, en effet, a besoin d'occupations et
même de celles qui impliquent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s'imaginer
que si Adam et Eve étaient demeurés au Paradis, ils n'auraient rien fait d'autre que d'être
assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature. L'ennui
les eût torturés tout aussi bien que d'autres hommes dans une situation semblable. L'homme
doit être occupé de telle manière qu'il soit rempli par le but qu'il a devant les yeux. Kant,
Réflexions sur l’éducation.

TEXTE 12
À l'issue d'une lutte à mort en vue de s'approprier un bien, l'un des protagonistes, le Maître,
a eu le dessus. Le Maître force !' Esclave à travailler. Et en travaillant, l'Esclave devient maître
de la Nature. Or, il n'est devenu l'esclave du Maître que parce que - au prime abord - il était
esclave de la Nature, en se solidarisant avec elle et en se subordonnant à ses lois par
l'acceptation de l'instinct de conservation. En devenant par le travail maître de la Nature,
- 66 -
l'Esclave se libère donc de sa propre nature, de son propre instinct qui le liait à la Nature et
qui faisait de lui l'Esclave du Maître. En libérant l'Esclave de la Nature, le travail le libère donc
aussi de lui-même, de sa nature d'Esclave : il se libère du Maître. Dans le monde technique
transformé par son travail, il règne - ou du moins il régnera un jour - en Maître absolu [...].
L'avenir et !'Histoire appartiennent donc non pas au Maître guerrier, qui ou bien meurt ou
bien se maintient indéfiniment dans l'identité avec soi-même, mais à !'Esclave travailleur.
Celui-ci, en transformant le Monde donné par son travail, transcende le donné et ce qui est
déterminé en lui-même par ce donné ; il se dépasse donc, en dépassant aussi le Maître qui est
lié au donné qu'il laisse - ne travaillant pas - intact. Si l'angoisse de la mort incarnée pour
!'Esclave dans la personne du Maître guerrier est la condition sine qua non du progrès
historique, c'est uniquement le travail de l'esclave qui le réalise et le parfait.

A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel

TEXTE 13
Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y
joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle. Les forces dont son
corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler
des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce
mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et
développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêtons pas à cet état primordial
du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de
départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une
araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la
structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès
l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule
dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste
idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un
changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but
dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit
subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L'œuvre exige
pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent, une attention soutenue,
laquelle ne peut-elle même résulter que d'une tension constante de la volonté. Elle l'exige
d'autant plus que, par son objet et son mode d'exécution, le travail entraîne moins le
travailleur, qu'il se fait moins sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles et
intellectuelles ; en un mot, qu'il est moins attrayant. Karl MARX, Le Capital, livre I, section
3, chapitre VII

- 67 -
TEXTE 14
Le plus proche, également décisif peut-être, voici un autre événement non moins menaçant.
C'est l'avènement de l'automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les
usines et libérera l'humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du
travail, l'asservissement à la nécessité. Là, encore, c'est un aspect fondamental de la condition
humaine qui est en jeu, mais la révolte, le désir d'être délivré des peines du labeur, ne sont
pas modernes, ils sont aussi vieux que l'histoire. Le fait même d'être affranchi du travail n'est
pas nouveau non plus ; il comptait jadis parmi les privilèges les plus solidement établis de la
minorité. A cet égard, il semblerait que l'on s'est simplement servi du progrès scientifique et
technique pour accomplir ce dont toutes les époques avaient rêvé sans jamais pouvoir y
parvenir. Cela n'est vrai, toutefois, qu'en apparence. L'époque moderne s'accompagne de la
glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en
une société de travailleurs. Le souhait se réalise donc, comme dans les contes de fées, au
moment où il ne peut que mystifier. C'est une société de travailleurs que l'on va délivrer des
chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus
enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société
qui est égalitaire, car c'est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus
de classe, plus d'aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration
des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient
dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il
ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu'ils font comme des œuvres et non
comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective
d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste.
On ne peut rien imaginer de pire. H. Arendt, Condition de l'homme moderne,

TEXTE 15
Qui dit esprit dit avant tout conscience. Mais, qu'est-ce que la conscience ? Vous
pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment
présente à l'expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une
définition qui serait moins claire qu’elle, je puis la caractériser par son trait le plus
apparent : conscience signifie d’abord mémoire. La mémoire peut manquer
d'ampleur ; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé ; elle peut ne retenir
que ce qui vient d'arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n’y est
pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse
elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement
l'inconscience ? Quand Leibniz disait de la matière que c’est "un esprit instantané",
ne la déclarait-il pas, bon gré, mal gré, insensible ? Toute conscience est donc
mémoire - conservation et accumulation du passé dans le présent. Mais toute
conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à

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n’importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue
surtout de ce qui va être. L’attention est une attente, et il n'y a pas de conscience
sans une certaine attention à la vie. L’avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous
tire à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps,
est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement
sur l’avenir. Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà
donc la première fonction de la conscience. Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le
présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite,
purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il
n'est jamais perçu ; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que
nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux
parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes
appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le
propre d’un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait
d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir.
Bergson, La conscience et la vie

TEXTE 16
On nous conteste de tous côtés le droit d'admettre un psychique inconscient et de
travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que
l'hypothèse de l'inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de
multiples preuves de l'existence de l'inconscient. Elle est nécessaire parce que les
données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l'homme sain
que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être
expliqués, présupposent d'autres actes, qui eux, ne bénéficient pas du témoignage de
la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués et les rêves, chez
l'homme sain, et tout ce que l'on appelle symptômes psychiques et phénomènes
compulsionnels chez le malade ; notre expérience quotidienne la plus personnelle
nous met en présence d'idées qui nous viennent sans que nous en connaissions
l'origine, et de ces résultats de pensées dont l'élaboration nous est demeurée cachée.
Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous
obstinons à prétendre qu'il faut bien voir par la conscience tout ce qui se passe en
nous en faits d'actes psychiques ; mais ils s'ordonnent dans un ensemble dont on peut
montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or, nous
trouvons ce gain de sens et de cohérence une raison pleinement justifiée, d'aller au-
delà de l'expérience immédiate. Et s'il s'avère de plus que nous pouvons fonder sur
l'hypothèse de l'inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous
influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous
aurons acquis avec ce succès, une preuve incontestable de l'existence de ce dont
nous avons fait l'hypothèse. Freud, Métapsychologie

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TEXTE 17
Le freudisme si fameux, est un art d'inventer en chaque homme un animal redoutable, d'après
des signes tout à fait ordinaires : les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours
interprété leurs rêves, d'où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce
symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce qu'il y a d'indirect. Les choses
du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi
auxquels on assiste. On devine par-là que ce genre d'instinct offrait une riche interprétation.
L'homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs
que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient
est un autre moi ; un moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais
ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensée en nous
sinon par l'unique sujet, je ; cette remarque est d'ordre moral. Alain, Éléments de philosophie

TEXTE 18
Si en effet nous repoussons le langage et la mythologie chosiste de la psychanalyse
nous nous apercevons que la censure, pour appliquer son activité avec discernement,
doit connaître ce qu'elle refoule. Si nous renonçons en effet à toutes les métaphores
représentant le refoulement comme un choc de forces aveugles, force est bien
d'admettre que la censure doit choisir et, pour choisir, se représenter. D'où viendrait,
autrement, qu'elle laisse passer les impulsions sexuelles licites, qu'elle tolère que les
besoins (faim, soif, sommeil) s'expriment dans la claire conscience ? Et comment
expliquer qu'elle peut relâcher sa surveillance, qu'elle peut même être trompée par
les déguisements de l'instinct ? Mais il ne suffit pas qu'elle discerne les tendances
maudites, il faut encore qu'elle les saisisse comme à refouler, ce qui implique chez
elle à tout le moins une représentation de sa propre activité. En un mot, comment la
censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les
discerner ? Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de soi ? Savoir, c'est
savoir qu'on sait, disait Alain. Disons plutôt : tout savoir est conscience de savoir. Ainsi
les résistances du malade impliquent au niveau de la censure une représentation du
refoulé en tant que tel, une compréhension du but vers quoi tendent les questions
du psychanalyste et un acte de liaison synthétique par lequel elle compare la vérité
du complexe refoulé à l'hypothèse psychanalytique qui le vise. Et ces différentes
opérations à leur tour impliquent que la censure est consciente de soi. Mais de quel
type peut être la conscience de soi de la censure ? Il faut qu'elle soit conscience d'être
conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour n'en être pas
conscience. Qu'est-ce à dire sinon que la censure doit être de mauvaise foi ? La
psychanalyse ne nous a rien fait gagner puisque, pour supprimer la mauvaise foi, elle
a établi entre l'inconscient et la conscience une conscience autonome et de mauvaise
foi. Sartre, L'Être et le Néant

- 70 -
TEXTE 19
On pense que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui
agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être
captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le
pire esclavage, et la liberté n'est qu'à celui qui de son entier consentement vit sous la
seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire à
l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la libe1té, elle ne fait cependant pas sur-
le-champ un esclave, c'est la raison déterminante de l'action qui le fait. Si la fin de l'action
n'est pas l'utilité de l'agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l'agent est un
esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un Etat et sous un commandement pour
lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui
obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui-même, mais un
sujet. Ainsi cet Etat est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans
cet Etat chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est à dire vivre de son entier
consentement sous la conduite de la Raison. Spinoza, Traité théologico-politique

TEXTE 20
Le règne de la liberté ne commence, en réalité, que là où cesse le travail imposé par le
besoin et la nécessité extérieure ; il se trouve donc, par la nature des choses, en dehors
de la production matérielle proprement dite. Tout comme le sauvage, l'homme civilisé
doit lutter avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie ; cette
obligation existe dans toutes les formes sociales et les modes de production, quels qu'ils
soient. Plus l'homme civilisé évolue, plus s'élargit cet empire de la nécessité naturelle,
parallèlement à l'accroissement des besoins ; mais en même temps augmentent les forces
productives qui satisfont ces besoins. Sur ce plan, la liberté ne peut consister qu'en ceci :
l'homme socialisé, les producteurs associés règlent de façon rationnelle ce procès
d'assimilation qui les relie à la nature et le soumettent à leur contrôle commun, au lieu
de se laisser dominer par lui comme par une puissance aveugle, l'accomplissant avec le
moins d'efforts possibles et dans les conditions les plus conformes à leur dignité et à la
nature humaine. Mais ce domaine est toujours celui de la nécessité. C'est au-delà de ce
domaine que commence l'épanouissement de la puissance humaine qui est son propre
but, le véritable règne de la liberté. Mais ce règne ne peut s'épanouir que sur la base du
règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail en est la condition
fondamentale". K. MARX, Le Capital, III, Paris, Pléiade, p. 1487.

TEXTE 21
Le champ où la liberté a toujours été connue, non comme un problème certes, mais
comme un fait de la vie quotidienne, est le domaine politique. (...) En dépit de la grande
influence que le concept d'une liberté intérieure non politique a exercée sur la tradition
- 71 -
de la pensée, il semble qu'on puisse affirmer que l'homme ne saurait rien de la liberté
intérieure s'il n'avait d'abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le
monde. Nous prenons conscience d'abord de la liberté ou de son contraire dans notre
rapport avec d'autres, non dans le commerce avec nous-mêmes. Avant de devenir un
attribut de la pensée ou une qualité de la volonté, la liberté a été comprise comme le
statut de l'homme libre, qui lui permettait de se déplacer, de sortir de son foyer, d'aller
dans le monde et de rencontrer d'autres gens en actes et en paroles. (...) Manifestement,
la liberté ne caractérise pas toute forme de rapports humains et toute espèce de
communauté. Là où des hommes vivent ensemble mais ne forment pas un corps politique
- par exemple, dans les sociétés tribales ou dans l'intimité du foyer - les facteurs réglant
leurs actions et leur conduite ne sont pas la liberté, mais les nécessités de la vie et le souci
de sa conservation. En outre, partout où le monde fait par l'homme ne devient pas scène
pour l'action et la parole - par exemple dans les communautés gouvernées de manière
despotique qui exilent leurs sujets dans l'étroitesse du foyer et empêchent ainsi la
naissance d'une vie publique - la liberté n'a pas de réalité mondain e. Sans une vie
publique politiquement garantie, il manque à la liberté l'espace mondain où faire son
apparition. Certes, elle peut encore habiter le cœur des hommes comme désir, volonté,
souhait ou aspiration ; mais le cœur humain, nous le savons tous, est un lieu très obscur,
et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné comme un fait
démontrable. La liberté comme fait démontrable et la politique coïncident et sont
relatives l'une à l'autre comme deux côtés d'une même chose. Arendt, Qu'est-ce que la
liberté ?

TEXTE 22
L’Etat laisse autant que possible les individus jouer librement pourvu qu'ils ne prennent pas
leur jeu au sérieux, et ne le perdent pas de vue, lui, L'Etat. Il ne peut s'établir d'homme à
homme de relations qui ne soient inquiétées sans surveillance d'une intervention supérieure.
Je ne puis pas faire tout ce dont je serais capable, mais seulement ce que L'Etat me permet de
faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni mon travail, ni en général rien de ce qui est à
moi. L'Etat ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le
subordonner à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu
ne soit pas pour soi-même dans le tout ; il implique de toute nécessité la limitation du moi,
ma mutilation et mon esclavage. Jamais L'Etat ne propose de stimuler la libre activité de
l'individu : la seule activité qu'il encourage est celle qui se rattache au but que lui-même
poursuit. [...] L'Etat cherche par sa censure, sa surveillance et sa police, à enrayer toute activité
libre ; en jouant ce rôle de bâton dans les roues, il croit (avec raison d'ailleurs, car sa
conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'Etat veut faire de l'homme quelque chose, il
veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que vivant dans L'Etat, n'est-il qu'un homme factice
; quiconque veut être soi-même est adversaire de L'Etat et n'est rien. » Il n'est rien « signifie :

- 72 -
L'Etat ne l'utilise pas, ne lui accorde aucun titre, aucune commission, etc. Max STIRNER,
L'unique el sa propriété.

TEXTE 23
On considère l'État comme l'antagoniste de l'individu et il semble que le premier ne puisse
se développer qu'au détriment du second. La vérité, c'est que l’État a été bien plutôt le
libérateur de l'individu. C'est l'État qui, à mesure qu'il a pris de la force, a affranchi
l'individu des groupes particuliers et locaux qui tendaient à l'absorber : famille, cité,
corporation, etc. L'individualisme a marché dans l'histoire du même pas que l'étatisme.
Non pas que l'État ne puisse devenir despotique et oppresseur. Comme toutes les forces
de la nature, s'il n'est limité par aucune puissance collective qui le contienne, il se
développera sans mesure et deviendra à son tour une menace pour les libertés
individuelles. D'où il suit que la force sociale qui est en lui doit être neutralisée par
d'autres forces sociales qui lui fassent contrepoids. Si les groupes secondaires sont
facilement tyranniques quand leur action n'est pas modérée par celle de l'État,
inversement celle de l'État, pour rester normale, a besoin d'être modérée à son tour.
Le moyen d'arriver à ce résultat, c'est qu'il y ait dans la société, en dehors de l'État,
quoique soumis à son influence, des groupes plus restreints (territoriaux ou
professionnels, il n'importe pour l'instant) mais fortement constitués et doués d'une
individualité et d'une autonomie suffisante pour pouvoir s'opposer aux
empiétements du pouvoir central. Ce qui libère l'individu, ce n'est pas la suppression
de tout centre régulateur, c'est leur multiplication, pourvu que ces centres multiples
soient coordonnés et subordonnés les uns aux autres. Émile Durkheim, L'État et la
société civile

TEXTE 24
La liberté n'est pas un état naturel et immédiat, elle doit plutôt être acquise ou conquise
par la médiation de l'éducation du savoir et du vouloir. L'état de nature est plutôt l'état
de l'injustice, de la violence, de l'instinct naturel déchaîné, des actions et des sentiments
inhumains. La société et l'Etat imposent assurément des bornes, mais ce qu'ils limitent, ce
sont ces sentiments, ces instincts bruts et plus tard les opinions et les besoins, les caprices
et les passions que crée la civilisation. Cette limitation est due à la volonté consciente de
la liberté telle qu'elle est en vérité selon la Raison. C'est de son concept que relèvent le
droit et les mœurs. Le droit et les mœurs doivent imprégner la volonté sensible et la
mater. L'éternel malentendu provient donc du concept [...] subjectif qu'on se fait de la
liberté. Ainsi on confond la liberté avec les instincts, les désirs, les passions, le caprice et
l'arbitraire des individus particuliers et l'on tient leur limitation pour une limitation de la
liberté. Bien au contraire, cette limitation est la condition même de la délivrance : l'Etat
et la société sont précisément les conditions dans lesquelles la liberté se réalise. Hegel, La
Raison dans L'Histoire
- 73 -
TEXTE 25
Nous entendrons uniquement par politique la direction du groupement politique que
nous appelons aujourd'hui « État », ou l'influence que l'on exerce sur cette direction.
Mais qu'est-ce donc qu'un groupement, « politique » du point de vue du sociologue
? Qu'est-ce qu'un État ? Lui non plus ne se laisse pas connaître logiquement par le
contenu de ce qu'il fait. Il n'existe en effet presque aucune tâche dont ne se soit pas
occupé un jour un groupement politique quelconque ; d'un autre côté il n'existe pas
non plus de tâches dont on puisse dire qu'elles aient de tout temps, du moins
exclusivement, appartenu en propre aux groupements politiques que nous appelons
aujourd'hui États ou qui ont été historiquement les précurseurs de l'État moderne.
Celui-ci ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen spécifique qui lui est
propre, ainsi qu'à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique. «
Tout État est fondé sur la force », disait un jour Trotski à Brest-Litovsk. En effet, cela
est vrai. S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente,
le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens
propre du terme, I'« anarchie». La violence n'est évidemment pas l'unique moyen
normal de l'État - cela ne fait aucun doute - , mais elle est son moyen spécifique. De
nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis
toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle -
ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il
faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les
limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses
caractéristiques -, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de
la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est
qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire
appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour
l'unique source du « droit» à la violence. Par conséquent, nous entendrons par
politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou
d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes
à l'intérieur d'un même État.

En gros, cette définition correspond à l'usage courant du terme. Lorsqu'on dit d'une
question qu'elle est« politique», d'un ministre ou d'un fonctionnaire qu'ils sont«
politiques », ou d'une décision qu'elle a été déterminée par la « politique », il faut
entendre par là, dans le premier cas que les intérêts de la répartition, de la
conservation ou du transfert du pouvoir sont déterminants pour répondre à cette
question, dans le second cas que ces mêmes facteurs conditionnent la sphère
d'activité du fonctionnaire en question, et dans le dernier cas qu’ils déterminent cette
décision. Tout homme qui fait de ta politique aspire au pouvoir - soit parce qu'il le considère
- 74 -
comme un moyen au service d'autres fins, idéales ou égoïstes, soit qu'il le désire pour lui-
même en vue de jouir du sentiment, de prestige qu'il confère. Comme tous les groupements
politiques qui l'ont précédé historiquement, l'Etat consiste en un rapport de domination de
l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence lég1hme (c'est-à-dire sur la violence
qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc exister qu'à la condition que les
hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs.
Max Weber, Le savant et le politique

TEXTE 26
Nous pensons que la politique, nécessairement révolutionnaire, du prolétariat, doit avoir
pour objet immédiat et unique la destruction des États. Nous ne comprenons pas qu'on puisse
parler de la solidarité internationale lorsqu'on veut conserver les États, - à moins qu'on ne
rêve l'État universel, c'est-à-dire l'esclavage universel, comme les grands empereurs et les
papes, l'État par sa nature même étant une rupture de cette solidarité et par conséquent une
cause permanente de guerre. Nous ne concevons pas non plus qu'on puisse parler de la liberté
du prolétariat ou de la délivrance réelle des masses dans l'État et par l'État. État veut dire
domination, et toute domination suppose l'assujettissement des masses et par conséquent
leur exploitation au profit d'une minorité gouvernante quelconque. Nous n'admettons pas,
même comme transition révolutionnaire, ni les Conventions nationales, ni les Assemblées
constituantes, ni les gouvernements provisoires, ni les dictatures soi-disant révolutionnaires;
parce que nous sommes convaincus que la révolution n'est sincère, honnête et réelle que dans
les masses, et que, lorsqu'elle se trouve concentrée entre les mains de quelques individus
gouvernants, elle devient inévitablement et immédiatement la réaction. Telle est notre
croyance, ce n'est pas ici le moment de la développer. Les marxiens professent des idées
toutes contraires. Ils sont les adorateurs du pouvoir de l'État, et nécessairement aussi les
prophètes de la discipline politique et sociale, les champions de l'ordre établi de haut en
bas, toujours au nom du suffrage universel et de la souveraineté des masses, auxquelles
on réserve le bonheur et l'honneur d'obéir à des chefs, à des maîtres élus. (...) Entre les
marxiens et nous il y a un abîme. Eux, ils sont les gouvernementaux, nous les anarchistes
quand même. Bakounine, Lettre à la rédaction de « La Liberté »

- 75 -
DOMAINE III :
EPISTEMOLOGIE

- 76 -
Thème 17 : Qu’est-ce que l’épistémologie ?

❖ Les succès de la physique expérimentale après les


L’essentiel découvertes significatives de Galilée et Newton au XVII ème
siècle produisent au cours des siècles qui suivent une explosion
rapide de différentes disciplines scientifiques qui prennent cette nouvelle
physique comme modèle.
❖ Ainsi vont se constituer des sciences comme la chimie, la biologie, la géologie, etc., qui
prennent pour objet différents états de la matière vivante ou inerte. Elles s’attachent toutes
à produire un savoir de leur objet fondé sur l’expérimentation et l’observation plutôt que
sur la spéculation théorique. Elles cherchent aussi à découvrir des lois qu’elles s’efforcent
d’exprimer en utilisant le formalisme des mathématiques.

❖ Leur succès grandissant conduit à étendre ce modèle à l’étude de l’homme à la fois


comme individu et comme être social. Vont naitre alors des sciences comme la sociologie
qui veulent traiter, à l’image d’un de ses pères fondateurs, Durkheim, « les faits sociaux
comme des choses ».

❖ La philosophie qui est fondamentalement réflexion sur la connaissance ne peut donc


éviter de prendre comme objet ces bouleversements ainsi que leurs conséquences.
L’épistémologie est cette réflexion philosophique sur les sciences qui peut prendre
différentes directions.

❖ Elle peut apparaitre comme philosophie des sciences c’est-à-dire comme une théorie de
la connaissance, toujours préoccupée par l’unité des sciences et par la constitution d’un
savoir de l’universel qu’elle poursuit grâce au développement des différentes sciences.

❖ Elle peut aussi se manifester comme critique de la connaissance scientifique qui tente
d’interroger les fondements, les conséquences et les limites des savoirs scientifiques.

❖ L’épistémologie n’est plus l’apanage des philosophes traditionnels. La plupart des


scientifiques finissent par questionner leur discipline, ses fondements et ses implications.
La réflexion épistémologique est au cœur même de l’activité scientifique. Si les œuvres
de Popper et Bachelard ont marqué la réflexion épistémologique, de grands savants
comme Albert Einstein, Niels Bohr ou Henri Poincaré ont énormément contribué par
leurs écrits à mieux comprendre la science, sa méthode et ses résultats.

- 77 -
Thème 18 : La science ou les sciences ?
Qu’est-ce que la science ? Quel est son objet ? Quelle est sa méthode ?

Qu’est-ce qui distingue la science des autres approches du réel ?


❖ Historiquement, la science est aussi désenchantement du
L’essentiel monde. Comme la philosophie au VIème siècle avant J.C., elle se
démarque des premières formes d’approche du réel comme le mythe et la magie.

❖ La physique expérimentale qui nait au XVIIème siècle conduit à réfuter à la fois une vision
anthropomorphique du monde et une approche magique de la nature.

❖ La formule de Descartes selon laquelle « la nature n’est pas une déesse » traduit cette dé
personnification de la réalité assimilée alors à un être vivant, « Dame Nature ».

❖ L’imagination humaine qui est à l’œuvre dans la « pensée magique » nous donne un
univers soumis à des forces occultes où tout est possible. Un homme peut-être par
exemple transformé en chien ou une femme donner naissance à un serpent. C’est un
univers peuplé d’êtres fantasques, mi-homme, mi-animal, et où tout peut arriver selon les
caprices ou désirs d’êtres surnaturels.

❖ Cette capacité de l’imagination humaine à concevoir des êtres et des phénomènes


fantasmagoriques fait dire à Malebranche que « l’imagination est la folle du logis » qui
s’oppose à l’entendement et à la raison.

❖ L’approche scientifique du réel impose peu à peu une conception déterministe de la


nature. Cela signifie que celle-ci est soumise à des lois causales naturelles qu’il est
possible de connaitre et d’en prévoir les manifestations.

❖ Il y a lieu de distinguer le déterminisme de la science du fatalisme des premières


approches du réel que sont le mythe, la magie ou la religion.

❖ Le fatalisme relève d’une conception finaliste des phénomènes naturels. Il présuppose


que tout ce qui arrive se produit en raison de fins qui échappent au pouvoir et au vouloir
de l’être humain.

❖ Les lois naturelles définissent des rapports constants et nécessaires entres les phénomènes
qui rendent leurs manifestations prévisibles. Par ailleurs s’il est possible de désobéir aux
lois humaines, il est absurde de penser qu’on peut se soustraire aux lois de la nature. A
contrario, leur connaissance permet à l’homme de conquérir la nature et de s’en rendre
« comme maitre et possesseur » dit Descartes mais « on ne commande à la nature qu’en
lui obéissant » prévient Bacon.

- 78 -
Y a-t-il une science ou des sciences ? Peut-on parler d’unité de la science ?

❖ La pluralité des sciences conduit à se poser la question de leur unité. Même si la physique
est le modèle historique de scientificité, il semble difficile de traiter les faits sociaux
comme on traite les phénomènes naturels.

❖ Pour résoudre la question de l’unité, la réflexion épistémologique propose de classer les


sciences.

❖ On peut classer les sciences selon leur objet. C’est ce que fait Auguste Comte en
proposant de partir du plus simple au plus complexe. Plus un objet est simple plus ses lois
sont générales et plus un objet est complexe plus ses lois sont particulières.

❖ Notons que cette classification est adossée à sa « loi des trois états ». Cette loi postule que
l’esprit humain passe forcément par trois stades.

❖ Le premier stade est appelé « théologique ». Les phénomènes sont expliqués par des êtres
surnaturels.

❖ Le deuxième stade est dit « métaphysique ». Des concepts abstraits se substituent aux
causes surnaturelles.

❖ Le troisième est le stade positif. La science positive ne cherche plus vraiment des causes
mais plutôt des lois, des régularités pour expliquer les phénomènes. On ne se demande
plus pourquoi ce qui est est comme il est mais bien comment se produisent les
phénomènes. Une science ne peut être considéré comme telle que lorsqu’elle accède à ce
stade positif.

❖ Auguste Comte arrive ainsi à diviser les sciences en six grands domaines, en partant du
plus simple au plus complexe : les mathématiques, l’astronomie, la physique, la chimie,
la biologie, la sociologie. Toutes les autres spécialités scientifiques, affirme-t-il,
proviennent de ces sciences fondamentales.

❖ La loi comtienne est une loi du progrès scientifique. Elle nous explique pourquoi les
mathématiques sont la première science positive parce que ses objets sont les plus simples
et la sociologie la dernière parce que son objet est plus complexe.

❖ On peut aussi fonder l’unité des sciences selon leur méthode. C’est ce que fait le savant
Claude Bernard en affirmant que c’est la méthode expérimentale qui unit toutes les
sciences. Cela signifie que toute science digne de ce nom doit soumettre ses théories à
l’épreuve des faits. Elle doit vérifier ses hypothèses qu’il appelle « idées préconçues »
par l’expérimentation (ou l’observation) pour les confirmer ou les infirmer.

❖ Aujourd’hui l’épistémologie établit une typologie des sciences qui se fonde à la fois sur
leur objet et sur leur méthode : les sciences logico-formelles comme les mathématiques
et la logique, les sciences expérimentales, appelées aussi sciences dures, à l’exemple de

- 79 -
la physique ou de la biologie et enfin les sciences humaines et sociales, appelées parfois
sciences molles, à l’instar de la sociologie ou de l’anthropologie.

❖ Il existe toutefois de nombreuses connections et passerelles entre ces différentes sciences


qui rendent parfois ces classifications inopérantes. Les mathématiques par exemple sont
utiles à toutes les sciences. Les champs interdisciplinaires sont aussi très fréquents et
contribuent à explorer de nouveaux objets et repousser toujours plus loin les frontières de
la connaissance humaine. C’est le cas entre la physique et la biologie, la neurologie et la
psychologie, l’économie et la sociologie…La liste est loin d’être exhaustive car la
curiosité humaine est insatiable.

Comment prouver une vérité scientifique ? Par quelle méthode ? Y a-t-il une ou des
méthodes ?

❖ C’est la physique expérimentale qui réalise la révolution de la science moderne. Grâce à


sa méthode fondée sur l’observation, le calcul et la réalisation d’expérience, elle découvre
rapidement des lois naturelles comme le mouvement elliptique des planètes du système
solaire grâce à Copernic, Kepler et Galilée, la loi de la gravitation universelle grâce à
Newton. Ces succès imposent la physique et sa méthode comme modèle de scientificité.
Pour décrire cette méthode, deux conceptions s’opposent.

❖ La première affirme que les découvertes scientifiques sont faites par induction. La
méthode consiste à partir de faits observables pour élaborer des hypothèses qu’on vérifie
ensuite par l’expérience ou l’expérimentation. Elle prétend ainsi à une objectivité fondée
sur les faits et uniquement les faits dépouillés de toute idée préconçue et de tout préjugé.

❖ La deuxième conception méthodologique postule que la science procède plutôt par


déduction à partir d’hypothèses conçues pour résoudre des problèmes. Claude parle
d’idées préconçues pour désigner ces hypothèses. La science ne peut se fonder sur des
observations car « il n’y a de science que du général » comme le disait déjà Aristote. Les
théories scientifiques sont des énoncés généraux (par exemple « tous les moutons sont
blancs ») alors que les observations ne peuvent donner lieu qu’à des énoncés particuliers
(« j’ai vu des milliers de moutons blancs »).

❖ Par ailleurs l’observation est toujours informée par la théorie. Elle est toujours liée à un
cadre théorique préexistant que Thomas Kuhn appelle paradigme. Les observations de
Ptolémée, façonnées par la cosmologie d’Aristote, débouchent sur un géocentrisme selon
lequel la terre est le centre du monde. Avec l’invention de la lunette astronomique, les
observations et les calculs de Copernic puis de Galilée ne s’accordant pas avec le modèle
géocentrique de Ptolémée, la nécessité d’inventer un nouveau paradigme a donné
naissance au paradigme héliocentrique galileo-copernicien.

❖ Le rôle décisif de la lunette télescopique dans ce changement de paradigme est souligné


par Gaston Bachelard qui écrit dans ce sens que même les instruments scientifiques sont
des « théories matérialisées ». Autrement dit l’objet qui permet à Galilée d’observer la

- 80 -
lune, les planètes, le ciel relève de la théorie optique. Tout comme le microscope dont
l’invention joua un rôle décisif dans les progrès scientifiques de la biologie au XIXème
siècle.

❖ Le célèbre philosophe des sciences Karl Popper a formulé une critique remarquable de
l’induction. Il ne se contente pas de réfuter la conception inductiviste selon laquelle les
théories scientifiques dérivent de l’observation mais il va plus loin. Il est tout aussi erroné
de penser que les théories sont vérifiées par l’expérience.

❖ Imaginons quelqu’un qui vit dans une île où tous les moutons sont blancs. Par cette
expérience régulière, il serait fondé à dire naïvement que tous les moutons qui existent
sont blancs. S’il est assez audacieux il ferait aussi la prédiction que tous les moutons qui
vont naitre dans le futur seront aussi blancs. Si au cours d’un voyage dans un autre pays,
on lui présente un mouton noir, son expérience passée le pousserait certainement à croire
que ce n’est pas un mouton ou alors qu’il est malade ou anormal. Cet exemple est assez
illustratif de l’approche inductive fondée sur notre expérience. Bachelard qui l’appelle
« expérience première » dit qu’elle presque toujours erronée. Il la qualifie
d’« obstacle épistémologique » qui doit toujours être surmonté par le scientifique.

❖ Les philosophes grecs de l’antiquité comme Platon avaient déjà souligné ce rôle négatif
de l’expérience sensible. Nos sens nous trompent et ne peuvent donc fonder la véritable
connaissance. Le mouvement de la planète sur laquelle nous passons toute notre existence
nous est toujours imperceptible alors que la science nous a définitivement prouvé qu’elle
tourne quotidiennement sur elle-même.

❖ L’énoncé universel selon lequel « tous les moutons sont blancs » est invérifiable par
l’expérience. Popper affirme qu’une véritable théorie scientifique doit pouvoir énoncer
les conditions dans lesquelles elle peut être réfutée. C’est ce qu’il appelle d’abord la
réfutabilité avant de lui préférer le concept de falsifiabilité.

❖ Pour lui la théorie de la relativité d’Einstein est l’illustration achevée de ce modèle de


scientificité. Elle définit dès son élaboration les conditions dans lesquelles elle peut être
fausse. Elle est par conséquent non pas vérifiable mais assurément falsifiable. Il suffit
qu’une de ses implications soit fausse pour que tout son édifice théorique s’écroule.
Certes elle a été soumise depuis le début du XXème à des expériences cruciales qui l’ont
davantage confortée mais elle n’est toujours pas vraie dans l’absolu.

❖ La science ne cherche donc pas des vérités absolues. Popper dit qu’elle se caractérise par
sa faillibilité. L’expérimentation vise plutôt à infirmer ses énoncés théoriques et non à les
vérifier. La falsifiabilité est donc le critère de démarcation qui permet de distinguer la
science et la non-science. Selon Popper, la métaphysique, le marxisme et la psychanalyse
ne sont pas des sciences. Elles ne sont ni réfutables ni falsifiables. Elles ont toujours
réponse à tout. Popper dit qu’elles sont « justificationnistes » et ont donc toujours raison
quelque soient les circonstances.

- 81 -
❖ Ce n’est pas la vérité mais bien l’erreur qui est le véritable moteur de la science. Celle-ci
est donc toujours une tâche toujours recommencée, une « quête inachevée ».

Toute vérité est-elle scientifique ? La science peut-elle tout résoudre ? Quelles sont les
limites de la science ?

➢ Le modèle hypothético-déductif des mathématiques informe presque toutes les sciences


qu’elle que soit leur objet. Pour expliquer les phénomènes, la démarche scientifique
consiste à formuler des hypothèses et de les confronter aux faits par l’expérimentation ou
l’observation. Quand les faits contreviennent régulièrement à la théorie, il faut alors tester
d’autres hypothèses.

➢ Ce modèle de rigueur scientifique s’étend peu ou prou aux sciences de l’homme. Elles
s’efforcent de mettre en œuvre la même démarche rigoureuse pour essayer de découvrir
des corrélations constantes entre des faits dont la caractéristique contrairement aux
phénomènes naturels, est d’être soumise à une grande diversité et à une variabilité
permanente.

➢ La limite ici est non seulement la relativité des cultures mais aussi la grande diversité des
comportements. Pour surmonter cet obstacle épistémologique, Durkheim préconise
de traiter les faits sociaux « comme des choses ». Tout le long du XXème siècle, les sciences
humaines et sociales se sont évertuées à objectiver les faits en explorant des
représentations et des comportements inconscients, des structures et des processus
impersonnels indépendants des perceptions et des consciences individuelles. On peut ainsi
parler de la « mort de l’homme » selon le mot de Michel Foucault pour désigner cette
volonté de dépersonnifier leur objet de recherche.

➢ Le philosophe allemand Wilhelm Dilthey a rejeté ce modèle de scientificité pour ce qu’il


appelle les « sciences de l’esprit » et qu’il oppose radicalement aux sciences de la nature.
Leur démarche n’est pas expérimentale mais herméneutique. Elles doivent interpréter les
motivations et le sens que les hommes donnent à leurs interactions pour expliquer les faits
sociaux. La raison expérimentale n’est pas toujours la meilleure.

➢ Une telle critique interroge le sens que nous donnons à la science dans le monde
contemporain. Pendant longtemps, à l’instar des conceptions positivistes de Comte ou des
philosophes du Cercle de Vienne, on a défendu l’idée que la science était le principal
moteur du progrès humain. C’est ce qu’on appelle le scientisme.

➢ En raison d’une conscience accrue des limites de la science, une telle croyance positiviste
est en déclin. Pourtant l’influence de la science sur nos vies s’est largement décuplée grâce
à ce qu’on appelle aujourd’hui après le philosophe belge, Gilbert Hottois, la
technoscience. L’alliance entre la science et la technologie a révolutionné les sociétés
humaines et leur rapport à la nature.

- 82 -
➢ Toutefois des voix s’élèvent de toute part pour dénoncer ce scientisme et la tyrannie des
objets technologiques. Les nombreuses crises sociales et politiques du XXème siècle ont
aussi coïncidé avec des crises de la raison ou plus précisément de la rationalité.

➢ La science est certes une forme importante de la culture mais elle ne suffit pas pour prendre
en charge tous les besoins de l’être humain. Elle doit coexister avec d’autres formes
culturelles comme la religion, la littérature, la poésie qui satisfont davantage notre quête
de sens et nos besoins spirituels.

➢ Aujourd’hui le réchauffement climatique, la dégradation des écosystèmes naturels


largement imputés à la domination technoscientifique suscitent une conscience écologique
grandissante chez les jeunes générations. L’humanité a perdu sa candeur et son innocence.
Le « bon sauvage » de Rousseau a laissé définitivement place à l’espèce la plus
dangereuse pour le futur de la planète Terre : l’homo faber dont l’appétit consumériste
conduit à l’épuisement de ses ressources naturelles.

➢ Penser toutes ces incertitudes est aussi une des tâches récurrentes de la philosophie depuis
les origines.

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TEXTES DE REFERENCE 1)

TEXTE 01
« Dans la formation d'un esprit scientifique, le premier obstacle, c'est l'expérience
première, c'est l'expérience placée avant et au-dessus de la critique qui, elle, est
nécessairement un élément intégrant de l'esprit scientifique. Voici alors la thèse
philosophique que nous allons soutenir l'esprit scientifique doit se former contre la
Nature, contre ce qui est, en nous et hors de nous, l'impulsion et l'instruction de la
Nature, contre l'entraînement naturel, contre Le fait coloré et divers.

L'esprit scientifique doit se former en se réformant. Il ne peut s'instruire devant la


Nature qu'en purifiant les substances naturelles et qu'en ordonnant les phénomènes
brouillés. » Bachelard, La Formation de l'Esprit Scientifique

TEXTE 02
« On a dit souvent qu'une hypothèse scientifique qui ne peut se heurter à aucune
contradiction n'est pas loin d'être une hypothèse inutile. De même, une expérience qui
ne rectifie aucune erreur, qui est platement vraie, sans débat, à quoi sert-elle ? Une
expérience scientifique est alors une expérience qui contredit l'expérience commune.
D'ailleurs, l'expérience immédiate et usuelle garde toujours une sorte de caractère
tautologique, elle se développe dans le règne des mots et des définitions ; elle manque
précisément de cette perspective d'erreurs rectifiées qui caractérise, à notre avis, la
pensée scientifique. » Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique

TEXTE 03
« La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose
absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion,
c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en
droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en
connaissances ! En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître.
On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier
obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points
particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance
vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des
questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas
formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise,
dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément
ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit
scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de

- 84 -
question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est
donné.

Tout est construit. » Gaston Bachelard La Formation de l'esprit scientifique

TEXTE 04
La notion d'obstacle épistémologique peut être étudiée dans le développement
historique de la pensée scientifique et dans la pratique de l'éducation. Dans l'un et
l'autre cas, cette étude n'est pas commode. L'histoire, dans son principe, est en effet
hostile à tout jugement normatif. Et cependant, il faut bien se placer à un point de vue
normatif, si l'on veut juger de l'efficacité d'une pensée. Tout ce qu'on rencontre dans
l'histoire de la pensée scientifique est bien loin de servir effectivement à l'évolution de
cette pensée. Certaines connaissances même justes arrêtent trop tôt des recherches
utiles. L'épistémologue doit donc trier les documents recueillis par l'historien. Il doit
les juger du point de vue de la raison et même du point de vue de la raison évoluée, car
c'est seulement de nos jours, que nous pouvons pleinement juger les erreurs du passé
spirituel. D'ailleurs, même dans les sciences expérimentales, c'est toujours
l'interprétation rationnelle qui fixe les faits à leur juste place. C'est sur l'axe expérience-
raison et dans le sens de la rationalisation que se trouvent à la fois le risque et le succès.
Il n'y a que la raison qui dynamise la recherche, car c'est elle seule qui suggère au-delà
de l'expérience commune (immédiate et spécieuse) l'expérience scientifique (indirecte
et féconde). C'est donc l'effort de rationalité et de construction qui doit retenir
l'attention de l'épistémologue. On peut voir ici ce qui distingue le métier de
l'épistémologue de celui de l'historien des sciences. L'historien des sciences doit
prendre les idées comme des faits. L'épistémologue doit prendre les faits comme des
idées, en les insérant dans un système de pensées. Un fait mal interprété par une époque
reste un fait pour l'historien. C'est, au gré de l'épistémologue, un obstacle, c'est une
contre-pensée. Gaston Bachelard La Formation de l'esprit scientifique

TEXTE 05
La science n'est pas un système d'énoncés certains ou bien établis, non plus qu'un
système progressant régulièrement vers un état final. Notre science n'est pas une
connaissance (épistêmê) : elle ne peut jamais prétendre avoir atteint la vérité ni même
l'un de ses substituts, telle la probabilité.

Pourtant, la science a plus qu'une valeur au titre de simple survie biologique. Elle est
plus qu'un instrument utile. Bien qu'elle ne puisse atteindre ni la vérité, ni la probabilité,
son effort pour atteindre la connaissance, sa quête de la vérité, sont encore les motifs
les plus puissants de découverte scientifique.

Nous ne savons pas, nous ne pouvons que conjecturer. Et des croyances non
scientifiques, métaphysiques (bien que biologiquement explicables) en des lois, des
régularités que nous pouvons découvrir, mettre en évidence, guident nos conjectures.
- 85 -
Comme Bacon, nous pourrions décrire ainsi la science de notre temps : « la méthode
de raisonnement que les hommes d'aujourd'hui ont l'habitude d'appliquer à la nature »
- consistant dans un ensemble d'« anticipations, téméraires et prématurées », et de «
préjugés » Bacon, Novum Organum, 1, 26.

TEXTE 06
Mais ces conjectures ou « anticipations », ces merveilles d'imagination et d'audace,
sont contrôlées avec soin et rigueur, par des tests systématiques. Une fois avancée,
aucune de nos « anticipations » n'est soutenue de manière dogmatique. Notre méthode
de recherche n'est pas de les défendre, en vue de prouver combien nous avions raison,
mais d'essayer, au contraire, de les ruiner. Utilisant toutes les armes de notre panoplie
logique, mathématique et technique, nous essayons de prouver que nos anticipations étaient
fausses, afin de mettre à leur place de nouvelles anticipations injustifiées et injustifiables,
de nouveaux « préjugés téméraires et prématurés », comme Bacon les appelait par dérision.
(...)

Le progrès de la science n'est pas dû à l'accumulation progressive de nos expériences. Il


n'est pas dû non plus à une utilisation toujours améliorée de nos sens. Des expériences
sensorielles non interprétées ne peuvent sécréter de la science, quel que soit le zèle avec
lequel nous les recueillons et les trions. Des idées audacieuses, des anticipations
injustifiées et des spéculations constituent notre seul moyen d'interpréter la nature, notre
seul outil, notre seul instrument pour la saisir. Nous devons nous risquer à les utiliser pour
remporter le prix. Ceux parmi nous qui refusent d'exposer leurs idées au risque de la
réfutation ne prennent pas part au jeu scientifique.

Les tests expérimentaux, prudents et rigoureux, auxquels nous soumettons nos idées sont
eux-mêmes inspirés par des idées : l'expérience est une action concertée dont chaque étape
est guidée par la théorie. Nous ne tombons pas fortuitement sur des expériences, pas plus
que nous ne les laissons venir à nous comme un fleuve. Nous devons, au contraire, être
actifs : nous devons « faire » nos expériences. C'est toujours nous qui formulons les
questions à poser à la nature ; c'est nous qui sans relâche essayons de poser ces questions
de manière à obtenir un « oui » ou un « non » ferme. (Car la nature ne donne de réponse
que si on l'en presse.) Enfin, c'est nous encore qui donnons la réponse ; c'est nous qui
décidons, après un examen minutieux, de la réponse à donner à la question posée à la
nature - après avoir longuement et patiemment essayé d'obtenir d'elle un « non » sans
équivoque. (...)

Le vieil idéal scientifique de l'épistêmê, l'idéal d'une connaissance absolument certaine et


démontrable s'est révélé être une idole. L'exigence d'objectivité scientifique rend inévitable
que tout énoncé scientifique reste nécessairement et à jamais donné à titre d'essai. En effet
un énoncé peut être corroboré mais toute corroboration est relative à d'autres énoncés qui
sont eux aussi proposés à titre d'essai. Ce n'est que dans nos expériences subjectives de
conviction, dans notre confiance personnelle, que nous pouvons être « absolument certains
».
- 86 -
Avec l'idole de la certitude (qui inclut celle de la certitude imparfaite ou probabilité) tombe
l'une des défenses de l'obscurantisme, lequel met un obstacle sur la voie du progrès
scientifique. Car l'hommage rendu à cette idole non seulement réprime l'audace de nos
questions, mais en outre compromet la rigueur et l'honnêteté de nos tests. La conception
erronée de la science se révèle dans la soif d'exactitude. Car ce qui fait l'homme de science,
ce n'est pas la possession de connaissances, d'irréfutables vérités, mais la quête obstinée et
audacieusement critique de la vérité. Karl POPPER, La logique de la découverte
scientifique (1959)

TEXTE 07
« L'idée la plus simple que l'on puisse se faire de la naissance d'une science expérimentale
est celle qui repose sur la méthode inductive Des faits isolés sont choisis et regroupés de
manière à faire ressortir les régularités qui les relient. Et regroupant ensuite ces régularités,
on en fait apparaître de nouvelles plus générales, jusqu' à obtenir un système plus ou moins
unitaire capable de rendre compte de l'ensemble des faits donnés, de telle manière que, par
une démarche inverse, purement intellectuelle, l'esprit puisse, à partir des dernières
généralisations effectuées, retrouver à nouveau les faits isolés.

Un regard même rapide sur ce qui s'est effectivement produit nous enseigne que les grands
progrès de connaissance scientifique n'ont été que pour une faible part réalisés de cette
manière Si le chercheur, en effet abordait les choses sans la moindre idée préconçue
comment pourrait-il dans l'incroyable complexité de tout ce qui fournit l'expérience isoler
des faits bruts assez simples pour qu’apparaisse la loi à laquelle ils obéissent ? [.. .]

Les progrès véritablement importants réalisés dans notre connaissance de la nature sont nés
d'une démarche presque diamétralement opposée à la démarche inductive Une
compréhension intuitive de ce qui est essentiel dans un ensemble complexe de faits amène
le chercheur à poser une ou plusieurs lois fondamentales à titre d'hypothèses. De cette loi
fondamentale (système d axiomes) il tire ensuite les conséquences par une démarche
purement logico-déductive et de façon aussi complète que possible ». Albert Einstein,
Induction et déduction en physique

TEXTE 08
« C'est en réalité tout notre système de conjectures qui doit être prouvé ou réfuté par
l'expérience. Aucune de ces suppositions ne peut être isolée pour être examinée séparément.
Dans le cas des planètes qui se meuvent autour du soleil, on trouve que le système de la
mécanique est remarquablement opérant. Nous pouvons néanmoins imaginer un autre
système, basé sur des suppositions différentes, qui soit opérant au même degré.

Les concepts physiques sont des créations libres de l'esprit humain et ne sont pas, comme
on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l'effort que nous
faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l'homme qui essaie de
comprendre le mécanisme d uns montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en
- 87 -
mouvement, il entend le tic-tac, mais il n'a aucun moyen d'ouvrir le boîtier. S'il est
ingénieux il pourra se former quelque image du mécanisme, qu'il rendra responsable de
tout ce qu'il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable
d'expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le
mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d'une
telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu'à mesure que ses connaissances
s'accroîtront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des
domaines de plus en plus étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à
l'existence d'une limite idéale de la connaissance que l'esprit humain peut atteindre. Il
pourra appeler cette limite idéale la vérité objective ». Einstein et lnfeld L'évolution des
idées en physique §1. (1938)

TEXTE 09
"Toute théorie mathématique est un enchaînement de propositions, se déduisant les unes
des autres conformément aux règles d'une logique qui, pour l'essentiel, est codifiée depuis
Aristote sous le nom de « logique formelle », convenablement adaptée aux buts du
mathématicien. C'est donc un truisme banal de dire que ce « raisonnement déductif » est
un principe d'unité pour la mathématique ; mais une remarque aussi superficielle ne peut
certainement rendre compte de l'apparente complexité des diverses théories
mathématiques, pas plus que l'on ne saurait, par exemple, réunir en une science unique la
physique et la biologie, sous le prétexte qu'elles appliquent toutes deux la méthode
expérimentale. Le mode de raisonnement par enchaînement de syllogismes n'est qu'un
mécanisme transformateur, applicable indifféremment à toutes sortes de prémisses, et qui
ne saurait caractériser la nature de celles-ci. En d'autres termes, c'est la forme extérieure
que le mathématicien donne à sa pensée, le véhicule qui la rend accessible à d'autres, et,
pour tout dire, le langage propre à la mathématique ; mais il n'y faut pas chercher autre
chose. Codifier ce langage, en ordonner le vocabulaire et en clarifier la syntaxe, c'est faire
œuvre utile, et qui constitue effectivement une face de la méthode axiomatique, celle qu'on
peut proprement appeler le formalisme logique (ou, comme on dit aussi, la logistique).
Mais - et nous insistons sur ce point - ce n'en est qu'une face, et la moins intéressante.

Ce que propose pour but essentiel l'axiomatique, c'est précisément ce que le formalisme
logique, à lui seul, est incapable de fournir, l'intelligibilité profonde des mathématiques.
De même que la méthode expérimentale part de la croyance a priori en la permanence des
lois naturelles, la méthode axiomatique trouve son point d'appui dans la conviction que, si
les mathématiques ne sont pas un enchaînement de syllogismes se déroulant au hasard,
elles ne sont pas davantage une collection d'artifices plus ou moins « astucieux », faits de
rapprochements fortuits où triomphe la pure habileté technique. Là où l'observateur superficiel
ne voit que deux ou plusieurs théories en apparence très distinctes, se prêtant, par l'entremise
d'un mathématicien de génie, un "secours inattendu", la méthode axiomatique enseigne à
rechercher les raisons profondes de cette découve1te, à trouver les idées communes enfouies
sous l'appareil extérieur des détails propres à chacune des théories considérées, à dégager ces

- 88 -
idées et à les mettre en lumière." Nicolas Bourbaki, "L'architecture des mathématiques", 1948,
in Les Grands Courants de la pensée mathématique

TEXTE 10
« Il y a lieu de distinguer deux sortes de vérités et d'erreurs : la vérité ou l'erreur formelle des
propositions, qui résulte soit de leur forme, soit de leur enchaînement logique ; la vérité ou
l'erreur matérielle, empirique des propositions, qui résulte de l'accord ou du désaccord de leur
contenu avec l'expérience, ou, plus généralement, avec un donné auquel on les réfère.

Si l'on convient de définir une proposition comme un énoncé susceptible de prendre


seulement deux valeurs logiques, le vrai et le faux, et si l'on désigne par p une proposition
quelconque, alors l'assertion : « La proposition p est vraie ou fausse » est formellement vraie,
en vertu de sa seule forme, parce qu'elle épuise toutes les possibilités envisagées dans la
convention verbale dont on est parti : c'est ce qu'on appelle une tautologie. Si l'on convient, au
surplus, de définir le faux comme la négation du vrai, alors l'assertion « la proposition p est
vraie et fausse à la fois » est formellement fausse, en vertu des conventions adoptées : c'est ce
qu'on appelle une contradiction. L'énoncé : « le système d'axiomes d'Euclide implique l'égalité
de la somme des angles d'un triangle à deux droits » est une implication formelle, c'est-à-dire
une proposition formellement vraie, une fois admis le système d'axiomes d'Euclide et les
règles logiques de la déduction : c'est une tautologie. Cette vérité formelle est indépendante du
résultat des mesures empiriques de triangulation que l'on peut faire à la surface de la Terre ou
sur des parallaxes d'étoiles. Le sens intuitif, concret, des mots « triangle, » « angle droit »
n'intervient pas dans la démonstration du théorème précédent qui montre seulement sa
dépendance logique par rapport au système d'axiomes d'Euclide, en vertu des règles admises de
déduction.

Il en est tout autrement des propositions empiriques, telles que la loi : « À pression normale, le
phosphore fond à 90°. » Le sens concret, intuitif, des termes «phosphore», « fondre
à 90° »,« pression normale » intervient, et ce sens est déterminé par une correspondance établie
entre ces termes et une certaine espèce de corps chimique, certaines opérations physiques
comme I'« échauffement jusqu'à l'ébullition », « la mise en contact d'un thermomètre avec une
cuve de phosphore en fusion», et certaines constatations, telles que « la coïncidence de
l'extrémité d'une colonne de mercure avec tel trait d'une échelle graduée». Ces correspondances
constituent la définition empirique des termes employés. La proposition est empiriquement
vérifiée si, les conditions qu'elle envisage étant réalisées et l'appareil de mesure étant réglé
conformément à son mode d'emploi, la lecture effectuée correspond à celle prévue par la loi. »
Louis Rougier ; Traité de la connaissance,

- 89 -
TEXTE 11
« Le but final des sciences théoriques est donc de trouver les causes constantes des phénomènes.
Il ne s'agit pas ici de décider si réellement tous les faits peuvent se ramener à de telles causes ;
c'est-à-dire, si la nature est toujours intelligible, ou bien si elle présente des variations qui, se
dérobant à la loi d'une causalité nécessaire, appartiennent au domaine de la spontanéité,
de la liberté. Mais, on peut l'affirmer, la science qui a pour but de concevoir la nature,
doit admettre la possibilité de cette conception ; et elle doit, en suite de son hypothèse,
poursuivre son œuvre, ne fut-ce que pour acquérir la certitude irrécusable que nos
connaissances sont limitées. [... ]

Enfin le problème des sciences physiques consiste à ramener tous les phénomènes
naturels à des forces invariables attractives et répulsives, dont l'intensité dépend de la
distance des centres d'action. La possibilité de comprendre parfaitement la nature est
subordonnée à la solution de ce problème. (...)

La science théorique, à moins de s'arrêter à mi-chemin, doit donc mettre ses vues en
harmonie avec le principe présenté sur la nature des forces élémentaires et les
conséquences de ce principe. Sa mission sera achevée lorsqu'elle aura défini tous les
phénomènes au moyen de forces élémentaires, et démontré que cette définition est la
seule possible et compatible avec les faits. Une telle définition serait considérée comme
la forme nécessaire de la conception de la nature, et l'on pourrait lui donner le titre de
Vérité objective." Hermann Ludwig von Helmholtz, Mémoire sur la conservation de
l'énergie, 1847

TEXTE 12
« Puisqu'il est question de vérité, je tiens à préciser que notre but est de découvrir des
théories vraies, ou tout au moins des théories qui se rapprochent davantage de la vérité
que celles que nous connaissons jusqu'à présent. Ce qui ne veut pas dire pour autant
que nous puissions savoir avec certitude si une seule de nos théories explicatives est
vraie. Il nous arrive de pouvoir critiquer une théorie explicative et d'établir qu'elle est
fausse. Mais une bonne théorie explicative est toujours une anticipation audacieuse de
choses à venir. On devrait pouvoir la tester et la critiquer, mais il sera toujours
impossible de montrer qu'elle est vraie ; et, pourvu que l'on prenne « probable » dans
l'une des nombreuses acceptions qui satisfont aux exigences du calcul des probabilités,
il sera toujours impossible de montrer qu'elle est «probable» (c'est-à-dire plus probable
que sa négation).» Karl Popper, L'évolution et l'arbre de la connaissance, in La
connaissance objective, 1961,

TEXTE 13
J'avais remarqué que ceux de mes amis qui s' étaient faits les adeptes de Marx, Freud et Adler
étaient sensibles à un certain nombre de traits communs aux trois théories, et tout

- 90 -
particulièrement à leur pouvoir explicatif apparent. Celles-ci semblaient aptes à rendre compte
de la quasi-totalité des phénomènes qui se produisaient dans leurs domaines d'attribution
respectifs. L'étude de l'une quelconque de ces théories paraissait agir à la manière d'une
conversion, d'une révélation intellectuelle, exposant aux regards une vérité neuve qui demeurait
cachée pour ceux qui n'étaient pas encore initiés. Dès lors qu'on avait les yeux dessillés, partout
l'on apercevait des confirmations : l'univers abondait en vérifications de la théorie [...] Les
analystes freudiens insistaient sur le fait que leurs théories se trouvaient continuellement
vérifiées par leurs « observations cliniques ». Quant à Adler, une expérience qu'il m'a été donné
de faire m'a vivement marqué. Je lui rapportai, en 1919, un cas qui ne me semblait pas
particulièrement adlérien, mais qu'il n'eut aucune difficulté à analyser à l'aide de sa théorie des
sentiments d'infériorité, sans même avoir vu l'enfant. Quelque peu choqué, je lui demandai
comment il pouvait être si affirmatif. Il me répondit : « grâce aux mille facettes de mon
expérience » ; alors je ne pus m'empêcher de rétorquer : « avec ce nouveau cas, je présume que
votre expérience en comporte désormais mille et une... »

Ce qui me préoccupait, c'était que ses observations antérieures risquaient de n'être pas plus
fondées que cette nouvelle observation, que chacune d'elles avait été interprétée à la lumière de
I'«expérience antérieure», mais comptait en même temps comme une confirmation
supplémentaire. Que confirmait en réalité l'observation ? Rien de plus que le fait qu'un cas peut
être interprété à la lumière de la théorie.

Or je remarquai que cela n'avait pas grand sens, étant donné que tous les cas imaginables
pouvaient recevoir une interprétation dans Je cadre de la théorie adlérienne ou, tout aussi bien,
dans Je cadre freudien. J'illustrerai ceci à l'aide de deux exemples, très différents, de
comportement : celui de quelqu'un qui pousse à l'eau un enfant dans l'intention de le noyer, et
celui d'un individu qui ferait le sacrifice de sa vie pour tenter de sauver l'enfant. On peut rendre
compte de ces deux cas, avec une égale facilitée, en faisant appel à une explication de type
freudien ou de type adlérien. Pour Freud, le premier individu souffre d'un refoulement
(affectant, par exemple, l'une des composantes de son complexe d'Œdipe), tandis que, chez le
second, la sublimation est réussie. Selon Adler, le premier souffre de sentiments d'infériorité
(qui font peut-être naître en lui le besoin de se prouver à lui-même qu'il peut oser commettre un
crime), tout comme le second (qui éprouve le besoin de se prouver qu'il ose sauver l'enfant). Je
ne suis pas parvenu à trouver de comportement humain qui ne se laisse interpréter selon l'une
et l'autre de ces théories. Or c'est précisément cette propriété - la théorie opérait dans tous les
cas et se trouvait toujours confirmée - qui constituait, aux yeux des admirateurs de Freud et
d'Adler, l'argument Je plus convaincant en faveur de leurs théories. Et je commençais à
soupçonner que cette force apparente représentait en réalité leur point faible. Popper,
Conjectures et Réfutations

- 91 -
TEXTE 14
"Un credo religieux diffère d'une théorie scientifique en ce qu'il prétend exprimer la
vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère
provisoire : elle s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent
tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable
d'arriver à une démonstration complète et définitive. Mais, dans une science évoluée,
les changements nécessaires ne servent généralement qu'à obtenir une exactitude
légèrement plus grande ; les vieilles théories restent utilisables quand il s'agit
d'approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus
minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles
théories continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité
pratique, si l'on peut dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la
vérité absolue, et à y substituer ce qu'on peut appeler la vérité « technique », qui est le
propre de toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l'avenir.

La vérité « technique » est une affaire de degré : une théorie est d'autant plus vraie
qu'elle donne naissance à un plus grand nombre d'inventions utiles et de prévisions
exactes. La « connaissance » cesse d'être un miroir mental de l'univers, pour devenir
un simple instrument à manipuler la matière. Mais ces implications de la méthode
scientifique n'apparaissaient pas aux pionniers de la science : ceux-ci, tout en utilisant
une méthode nouvelle pour rechercher la vérité, continuaient à se faire de la vérité elle-
même une idée aussi absolue que leurs adversaires théologiens." Bertrand Russell,
Science et Religion, 1935, trad. P.-R. Mantoux, Éd Gallimard, Folio Essais, 1990, p.
12-13.

TEXTE 15
« Au contraire, par l'activité technique, l'homme crée des médiations, et ces médiations
sont détachables de l'individu qui les produit et les pense ; l'individu s'exprime en elles,
mais n'adhère pas à elles ; la machine possède une sorte d'impersonnalité qui fait qu'elle
peut devenir instrument pour un autre homme ; la réalité humaine qu'elle cristallise en elle
est aliénable, précisément parce qu'elle est détachable. Le travail adhère au travailleur, et
réciproquement, par l'intermédiaire du travail, le travailleur adhère à la nature sur laquelle
il opère. L'objet technique, pensé et construit par l'homme, ne se borne pas seulement à
créer une médiation entre homme et nature ; il est un mixte stable d'humain et de naturel,
il contient de l'humain et du naturel ; il donne à son contenu humain une structure semblable
à celle des objets naturels, et permet l'insertion dans le monde des causes et des effets
naturels de cette réalité humaine. La relation de l'homme à la nature, au lieu d'être
seulement vécue et pratiquée de manière obscure, prend un statut de stabilité, de
consistance, qui fait d'elle une réalité ayant ses lois et sa permanence ordonnée. L'activité
technique, en édifiant le monde des objets techniques et en généralisant la médiation
objective entre homme et nature, rattache l'homme à la nature selon un lien beaucoup plus
riche et mieux défini que celui de la réaction spécifique de travail collectif. Une
- 92 -
convertibilité de l'humain en naturel et du naturel en humain s'institue à travers le
schématisme technique. » Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques,
1969, Aubier, p. 245

TEXTE 16
Le terme technoscience exprime une réaction critique contre la conception trop
théorique et discursive de la science contemporaine, et contre la philosophie aveugle à
l'importance de la technique. Il associe la technoscience à la question éthique «
Qu'allons-nous faire de l'homme ? » posée dans une perspective évolutionniste ouverte
à l'intervention technique.

(...) Ce qui caractérise la science contemporaine comme technoscience est qu'elle est
physiquement opératoire, interventionniste et créatrice, à la différence de l'entreprise
philosophique de science identifiée à une activité fondamentalement langagière et
théorique. La détermination de la fonctionnalité d'un gène en vue de mettre au point
un médicament et la participation au projet fondamental du séquençage génétique
généralisé vont dans le même sens du développement des savoir-pouvoir-faire
technoscientifiques. Dans notre civilisation technoscientifique, les distinctions entre
théorique et pratique, fondamental et appliqué, sont devenues floues. Les philosophes
y sont invités à définir la mort ou le début de la vie humaines en tenant compte des
conséquences de ces définitions au plan pratico éthique, c'est-à-dire de ce qu'il sera
permis ou non de faire (par exemple, prélever des organes, expérimenter sur
l'embryon).

Autre exemple familier aux bio éthiciens : depuis deux décennies, on a breveté une
lignée de souris transgéniques oncogènes (la " souris de Harvard ") comme modèle
pour la recherche cognitive sur la genèse de certains cancers. Voilà donc un objet à la
fois naturel et artificiel, physique et technique, théorique et concret, vivant et breveté
comme une invention, et suscitant autant de questions et d'intérêts scientifiques
cognitifs que pratiques : thérapeutiques, économiques, éthiques, juridiques, et aussi
politiques, car la souris transgénique fut au centre d'un long conflit opposant l'Union
Européenne et les USA à propos du problème de la " brevetabilité du vivant ". Les
interrogations les plus radicales suscitées par les technosciences concernent leur
application à l'être humain " naturalisé " (assimilé à un vivant parmi les autres vivants
naturels produits de l'évolution) et " opérationnalisé " (considéré comme produit
naturel contingent modifiable techno-physiquement). Ces problèmes acquièrent toute
leur portée lorsque l'on prend en compte l'immensité passée et future (inanticipable) de
la temporalité biologique, géologique et cosmique, en posant une question comme : "
Qu'en sera-t-il de l'homme dans un, dix ou cent millions d'années ? ". Sous cet angle,
l'interrogation sur l'homme paraît ouverte non seulement au plan de l'invention
symbolique (définitions, images, interprétations, valeurs, ...) mais aussi au plan de
l'invention techno-physique (expérimentations, mutations, prothèses, cyborgs, ...).
Semblable interrogation place les technosciences dans le prolongement d'une évolution

- 93 -
désormais de plus en plus affectée par l'intervention humaine consciente. Elle soulève
des questions et entraînent des responsabilités qui ne sont pas étrangères à l'éthique et
à la politique mais qui invitent en même temps à considérer d'un œil critique toute éthique
et toute politique définies, car ces questions excèdent tout projet de société concevable.
Gilbert Hottois (2012) Quelques remarques au sujet de la notion de Technoscience

TEXTE 17
Seulement la situation des sciences de l’homme est bien plus complexe encore car le sujet
qui observe ou expérimente sur lui-même ou autrui peut-être, d’une part, modifié par les
phénomènes observés, et, d’autre part, source de modifications quant au déroulement et à
la nature même des phénomènes. C’est en fonction de telles situations que le fait d’être à
la fois sujet et objet crée, dans le cas des sciences de l’homme, des difficultés
supplémentaires par rapport à celles de la nature ou le problème est cependant déjà assez
général de dissocier le sujet et l’objet.

En d’autres termes la décentration qui est nécessaire à l’objectivité est bien plus difficile
dans le cas où l’objet est formé de sujets et cela pour deux raisons, toutes deux assez
systématiques. La première est que la frontière entre le sujet égocentrique et le sujet
épistémique est d’autant moins nette que le moi de l’observateur est engagé dans les
phénomènes qu’il devrait pouvoir étudier du dehors. La seconde est que dans la mesure où
l’observateur est « engagé » et attribue des valeurs aux faits qui l’intéressent, il est porté à
croire les connaitre intuitivement et sent d’autant moins la nécessité des techniques
objectives. Jean Piaget, Epistémologie des sciences de l’homme.

TEXTE 18
La lignée des égyptologues de mauvaise foi, armée d’une érudition féroce, a accompli le
crime contre la science que l’on sait, en se rendant coupable d’une falsification consciente
de l’histoire de l’humanité. Soutenue par les pouvoirs publics de tous les pays occidentaux,
cette idéologie à base d’escroquerie intellectuelle et morale l’emporta facilement sur le vrai
courant scientifique développé par le groupe parallèle des égyptologues de bonne foi, dont
on ne saurait trop souligner la probité intellectuelle et même le courage. La nouvelle
idéologie égyptologique, née au moment opportun, est venue renforcer les bases théoriques
de l’idéologie impérialiste. C’est pour cela qu’elle couvrit facilement la voix de la science,
en jetant sur la vérité historique le voile de la falsification.

Ainsi l’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement et


culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de
l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs et le meurtre culturel,
mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde. Cheikh Anta
Diop, Civilisation ou Barbarie

- 94 -
DOMAINE IV :
Penser les Arts et le
Beau

- 95 -
Thème 1 : La réflexion esthétique
Qu’est-ce que l’art ? A quoi servent les activités artistiques ?

Que signifie une œuvre d’art ? Qu’est-ce qui fonde la création artistique ?

Qu’est-ce que le Beau ? Le jugement esthétique est-il objectif ?

Comment devient-on artiste ? Le talent est-il inné ou acquis ?

❖ Le mot « art » a la même étymologie que le mot « technique » en


L’essentiel grec ancien. Il désigne toute activité humaine de production et renvoie
ainsi à des savoir-faire. Dans le sens le plus général, l’art signifie donc
quelque chose que l’homme ajoute à la nature. L’homme est un être qui crée et qui
fabrique des artefacts. Cette faculté semble lui être propre et le distinguer des autres
animaux.

❖ Tandis que l’activité technique est orientée par des préoccupations utilitaires, l’activité
de l’artiste vise une valeur spécifique : le beau. D’après le Vocabulaire Technique et
Critique de la Philosophie de Lalande, « l’art ou les arts désignent toute production de la
beauté par les œuvres d’un être conscient ».

❖ C’est à partir du XVIIIe siècle que le terme d’art recouvre essentiellement les beaux-arts
qui recouvrent au départ sept formes d’expression : la sculpture, l’architecture, la peinture
(et le dessin), la musique, la danse, la poésie (qui comprend alors le théâtre) et la
littérature. Aujourd’hui le théâtre vivant , le cinéma, la photographie, la bande dessinée,
la mode et même d’autres formes de création artistique dits numériques se rangent sous
la bannière de l’activité artistique.

❖ C’est aussi au XVIIIe siècle que le philosophe Emmanuel Kant donne à la réflexion sur
les beaux-arts et sur la production du beau une valeur philosophique. Certes, celle-ci
existe depuis l’antiquité, chez Platon et Aristote par exemple, mais à cette époque, il n’y
a pas de distinction véritable entre les arts et les techniques et la beauté artistique n’a pas
une dignité philosophique spécifique.

❖ En élaborant une réflexion sur le jugement de goût, Kant définit une théorie de la beauté
et de sa signification qui jette les fondements d’une véritable réflexion philosophique sur
les arts.

❖ Il apparait ainsi que tout art est lié à une époque historique. L’interrogation philosophique
sur l’art ne peut faire l’économie du contexte historique dans ses tentatives de donner sens
et signification à la création artistique et au statut des artistes dans une société ou dans
une époque singulière.
- 96 -
Thème 2 : L’œuvre d’art et la nature
L’œuvre d’art est-elle une simple imitation de la nature ?

Doit-elle être le fidèle reflet de la réalité ?

Qu’est-ce qu’elle dit du monde, de l’humanité, de notre présence au monde ?

❖ Les hommes ont été sensibles à la beauté d’une fleur, d’un


L’essentiel coucher de soleil, d’un visage, avant qu’il n’existe de belles peintures ou
de belles sculptures. Il existerait donc une beauté naturelle
indépendamment de la beauté artistique.

❖ Plusieurs artistes et philosophes ont toujours pensé que l’art est imitation de la nature
(Aristote, Platon), que l’art est mimesis.

❖ Pour Platon l’art n’est que simple imitation des apparences. Quand il dessine l’ébauche
de la société idéale, Socrate affirme qu’on fera bien de s’y passer des artistes. Si l’art est
ainsi répudié c’est parce qu’il n’est que la fausse copie des apparences sensibles. Socrate
n’affirme-t-il pas que « l’imitation est loin du vrai et si elle façonne tous les objets c’est
semble-t-il parce qu’elle ne touche qu’à une petite partie de chacun laquelle est d’ailleurs
une ombre ». De ce point de vue, l’art ne saurait révéler la vraie nature de la réalité. Il ne
peut donc prétendre à la vérité.

❖ Et pourtant cette confusion entre beauté naturelle et beauté artistique n’est qu’un préjugé,
quand on sait que la nature qu’on demande de recopier s’offre à nos sens dans sa
simplicité, elle n’existe que pour susciter des sentiments ou des émotions.

❖ Quand les artistes de la Renaissance inventent la technique de la perspective permettant


de figurer la profondeur sur un tableau, ils ne cherchent pas seulement à copier la réalité.
Ils veulent exprimer le caractère naturel et vivant des personnages qu’ils représentent.

❖ Hegel lui affirme que la beauté de la nature n’est pas une beauté immédiate, mais une
beauté médiatisée. La vérité est que l’art n’est aucunement une imitation. Reproduire ce
qui existe déjà n’a aucun intérêt. Ce serait altérer la signification de l’œuvre d’art que de
la réduire à des techniques imitatives. Car tout se passerait comme si l’artiste n’ajoute
rien à l’œuvre.

❖ Pour Hegel, l’ambition d’imiter la nature est vouée à l’échec, les moyens dont dispose
l’artiste ne lui permettront jamais de reproduire fidèlement la nature. Il écrit : « En
voulant rivaliser avec la nature par l’imitation, l’art restera toujours au-dessous de la
nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant ».

- 97 -
❖ L’imitation permet pourtant à l’artiste débutant par exemple d’apprendre les techniques
des Grands Maîtres, de maitriser l’usage et la combinaison des couleurs pour le futur
peintre ou l’exposition à la lumière pour l’apprenti photographe.

❖ Hegel reconnait la nécessité de l’apprentissage mais écrit-il, « nous n’avons pas attendu
l’œuvre d’art pour percevoir pleinement ce que sont les raisins, les fleurs, les cerfs, les
rives sablonneuses, la mer, le soleil […] : il y en a assez dans la nature. ». Ce qui nous
plait dans une œuvre, ce n’est ni son contenu, ni sa capacité à représenter la réalité, ni non
plus l’habileté technique de l’artiste. Ce qui nous plait, c’est la touche personnelle et
subjective de l’artiste, sa manière de donner à voir une réalité ou de manifester l’éternité
d’un instant. « L’art ne rend pas le visible, il rend visible. » dit le célèbre peintre Paul
Klee.

❖ Définir l’œuvre d’art comme une imitation de la nature ou de la réalité, « c’est priver l’art
de sa liberté, de son pouvoir d’exprimer le beau. ». L’œuvre d’art n’a pas d’autre but
qu’elle-même. Son sens lui est propre et ne dépend pas d’une finalité extérieure. La
création artistique est d’ordre spirituel. Elle témoigne de notre humanité et manifeste la
liberté de l’esprit qui s’émancipe de l’ordre naturel qui lui relève de la nécessité.

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Thème 3 : De la quête du beau à la quête
du sens.
Comment définir la beauté ? Le beau existe-t-il en dehors de l’art ? Peut-on s’accorder sur
la beauté d’une œuvre d’art ? Le jugement esthétique est-il universel ?

L’art vise-t-il uniquement la beauté ? Qu’est-ce qui se joue dans la création artistique

L’essentiel ❖ Emmanuel Kant propose de définir ainsi la beauté : « Est


beau ce qui plait universellement sans concept ». Une telle
définition apparait d’emblée paradoxale car elle semble contredire la relativité et la
subjectivité du jugement de goût.

❖ Le jugement esthétique peut difficilement prétendre à l’universalité d’un jugement


scientifique. Autant la loi de la gravitation universelle ne souffre jusqu’à présent d’aucune
contestation dans la communauté des physiciens, autant l’appréciation d’une œuvre d’art
peut diviser même ceux qui font métier d’en faire ou défaire la réputation, les critiques
d’art. Un adage bien connu d’ailleurs affirme que « des goûts et des couleurs on ne discute
pas ».

❖ Kant émet l’hypothèse que chaque être humain possède un sens esthétique a priori qui
fonde le sentiment de plaisir qu’il éprouve devant la beauté naturelle ou esthétique. Ce
sentiment s’exprime certes sans concept parce qu’il est subjectif mais il prétend cependant
à l’universalité. Chacun s’attend à ce que ce sentiment soit partagé par les autres. Celui
qui juge une œuvre belle présume l’accord de tous ses semblables.

❖ Pour Kant, le beau se distingue de l’utile et de l’agréable. L’œuvre d’art est désintéressée
et contrairement à l’objet technique ne peut servir à satisfaire un besoin. Elle n’est pas
non plus soumise à la relativité des saveurs, des couleurs et des odeurs qui peuvent relever
d’une appréciation particulière. L’œuvre d’art est une entité autonome, « une finalité sans
fin », qui nous procure un plaisir subjectif certes mais universalisable puisque nous
aimerions que tout le monde partage notre satisfaction esthétique.

❖ Pour Hegel l’œuvre d’art est l’expression sensible d’une idée et c’est ce qui fait sa
singularité. Elle traduit une idée spirituelle dans la matière et exprime la marque de notre
humanité dans le monde. En retour, l’activité artistique permet à l’être humain de prendre
conscience de lui-même.

- 99 -
Thème 4 : La révolution populaire de l’art
contemporain

L’œuvre d’art doit-elle être forcément originale ? Une œuvre d’art est-elle reproductible ?

L’essentiel ❖ Une œuvre d’art doit donc être originale et ne saurait être
reproductible. Cette originalité constitue son authenticité. C’est
pourquoi pour Walter Benjamin, « [A] l’époque de la reproductibilité technique, ce qui
dépérit dans l’œuvre d’art, c’est son aura ».

❖ L’art contemporain remet en cause ce dogme et invente un pluralisme esthétique qui ne


ravit pas toujours les nostalgiques d’une idée kantienne de la beauté et de la nécessaire
originalité de l’œuvre d’art.

❖ Des artistes comme Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat, pionniers du Pop’art, ont
ainsi mis fin à l’idée qu’une œuvre doit nécessairement être originale et non reproductible.
Warhol se sert de la sérigraphie pour reproduire à volonté des photographies et des
dessins. L’œuvre d’art est désacralisée et l’art se popularise ; il n’est plus l’apanage d’une
élite.

❖ Marcel Duchamp français naturalisé américain, artiste provocateur, théoricien de l’art


envoie en 1917 de manière anonyme une pissotière à un jury artistique américain dont il
est membre par ailleurs. L’objet a été choisi par lui parmi des centaines d’autres, tous
semblables, dans une fabrique de sanitaire qui les manufacture en série. Une seule chose
distingue cet urinoir devenu célèbre dans le monde entier d’un autre produit dans la même
usine mais utilisé à ses fins habituelles : La signature. Duchamp n’a pas signé de son nom
mais d’un pseudonyme : R. Mutt, en référence à un héros de bande dessinée (un petit gros
rigolo, connu de la plupart des américains).

❖ Les membres du jury ignorent l’identité de l’auteur de ce geste. Duchamp appelle cet
objet un Ready-made (un objet prêt, déjà fait). Cet objet se distingue de ses semblables
par l’intention de l’artiste qui préside sa présence dans une exposition d’art. Qu’un
plombier spécialiste en sanitaire fixe cet urinoir dans une salle de bain ou qu’un artiste le
place dans une salle d’exposition, il reste matériellement le même. Mais il se charge
symboliquement dans le musée d’une signification autre que dans les lieux d’aisance. Sa

- 100 -
fonction change, sa destination aussi, sa finalité première et utilitaire disparait au profit
d’une finalité secondaire et esthétique.

❖ C’est ainsi que le ready-made entre dans l’histoire de l’art et le fait basculer du côté de la
modernité. Voilà comment Marcel Duchamp révolutionne l’esthétique du vingtième
siècle en libérant les supports.

❖ Quel est le sens de la révolution opérée par la pissotière ? Duchamp met à mort la beauté,
après cet artiste on aborde plus l’art en ayant en tête l’idée de la beauté, mais celle du
sens, de la signification. Une œuvre d’art n’a plus à être belle, on lui demande de faire
sens.

❖ Pendant des siècles, on créait non pas pour représenter une belle chose, mais pour réussir
la belle représentation d’une chose : pas un coucher de soleil, un paysage, un corps de
femme, mais un beau traitement de tous ces objets possibles. Duchamp tord le cou à la
beauté et invente un art radicalement cérébral, conceptuel, et intellectuel.

❖ Depuis Platon la tradition enseignait l’existence d’un monde intelligible entièrement


peuplé d’idées pures : le Beau en soi, le Vrai en soi. Dans l’esprit de Platon une belle
chose définit un objet qui participe de l’idée de beauté, qui en découle, en provient. Plus
sa relation avec l’idée de beau est proche, intime, plus la chose est belle ; plus elle est
lointaine moins elle l’est.

❖ Cette conception de l’art traverse vingt-cinq siècle jusqu’à Duchamp. La pissotière met à
mort cette vision platonicienne du monde esthétique.

❖ Duchamp réalise une autre mise à mort : celle des supports. Avant lui, l’artiste travaille
des matériaux nobles (or, argent, marbre, bronze etc.) Après lui, tous les supports
deviennent possibles. Et l’on voit, dans l’histoire de l’art du vingtième siècle, surgir des
matériaux pas nobles du tout (objet de récupération, objet usagé, poussière, boue, graisse,
ordures etc.). Avec Duchamp il est certain que l’art d’aujourd’hui ne peut pas être
semblable à celui d’hier ou d’avant-hier.

❖ Duchamp pense que les consommateurs (regardeurs) font partie des médiateurs sans
lesquels l’art est impossible. Pour lui le regardeur fait le tableau, une vérité qui vaut pour
toutes les œuvres et toutes les époques. L’art contemporain exige une participation active
du regardeur.

❖ On peut se contenter, dans l’art classique, de s’extasier sur l’habileté d’un artiste qui peint
son sujet avec ressemblance et fidélité, on peut s’ébahir de l’illusion plus ou moins grande
produite par une peinture qui donne l’impression d’être vraie ou d’une sculpture à laquelle
il ne semble manquer que la parole.

❖ Mais depuis la pissotière de Duchamp, la beauté est morte, le sens l’a remplacé.

- 101 -
Thème 5 : Art, sociétés et histoire
L’art est-il historiquement déterminé ? Les œuvres d’art ne sont-elles que le produit d’une
société ou d’une époque ?

Quel est le statut de l’art et des artistes dans les sociétés humaines ?

❖ L’art procède à la manière d’un langage avec sa syntaxe, sa sémantique, ses conventions,
ses styles. Quiconque ignore la langue dans laquelle est écrite une œuvre d’art s’interdit
pour toujours d’en comprendre la signification, donc la portée.

❖ De la même manière que les langues parlées, le langage artistique change en fonction des
époques et des lieux. Il existe des langues mortes (grec ancien, latin), des langues
pratiquées par des minorités, des langues actives mais en décadence, des langues
dominantes (l’anglais), etc.

❖ En matière d’art aussi les œuvres sont issues de civilisations disparues (Egypte
pharaonique, Grèce, Rome), de petites civilisations, des civilisations naguères puissantes
mais aujourd’hui déclinantes (l’Europe), des civilisations dominantes ( American way of
life) ou émergentes (Chine, Inde). Cette grande diversité témoigne malgré les apparences
de notre humanité au travers de l’universalité des pratiques artistiques. Il existe dans
toutes les cultures des formes d’expression artistique.

❖ Mais pour mieux appréhender une œuvre, il faut d’abord la restituer dans son contexte
géographique et historique. Comme le note Michel Onfray dans son Anti-manuel de
philosophie : « l’époque et le tempérament du créateur se concentrent dans l’objet d’art ».

❖ Le jugement esthétique est alors forcément déterminé par la culture et l’époque à laquelle
appartient l’individu. C’est le produit d’un apprentissage au même titre que la pratique
artistique. Apprécier une œuvre d’art à sa juste valeur présuppose une certaine forme
d’éducation artistique.

❖ Le sociologue Pierre Bourdieu affirme radicalement que « le goût classe, et classe celui
qui classe. ». Distinguer entre le bon et le mauvais goût peut ainsi révéler les différences
de classe sociale et conduire à une hiérarchisation des formes d’expression artistiques.
Certains stigmatisent ainsi le rap issu des banlieues et l’opposent à la musique classique
considérée comme la « grande musique » des privilégiés.

❖ Dans chaque société, la place de l’art, ses fonctions et le statut des artistes sont déterminés
par des distinctions et des hiérarchisations.

❖ La stratification sociale, les systèmes de croyances et les représentations déterminent


toujours la valorisation qui est faite de l’art et des artistes dans une société donnée.

- 102 -
Certains artistes, au sommet de leur art sont célébrés et adulés tandis que d’autres mènent
une existence précaire.

❖ Il faut toutefois distinguer l’artiste de l’artisan. L’artisan est celui qui apprend et maitrise
des règles et des procédés qui le rendent compétent dans son métier. L’artiste en ce sens
peut être aussi un artisan mais selon Kant, c’est son génie qui fait la différence.

❖ D’après Kant trois caractéristiques définissent le génie de l’artiste : l’originalité,


l’exemplarité et le je-ne-sais-quoi d’inexplicable qui fait la singularité de son œuvre. Le
génie ne s’acquiert pas car il est naturel. Le talent dit Kant est inné.

❖ Pour Nietzsche en revanche, le génie est un mythe, une illusion. Aucune création humaine
ne saurait relever du miracle. Derrière toute œuvre d’art réussie, il y a beaucoup de travail
qui échappe à l’amateur d’art. Les chefs-d’œuvre musicaux par exemple suscitent du
plaisir et de l’admiration mais ils masquent les heures d’exercices et de répétitions
qu’aucun talent ne peut occulter.

- 103 -
Thème 6 : Du rôle et des fonctions de l’art.
A quoi servent véritablement les arts ? L’art a-t-il la même fonction en tout temps et en tout
lieu ?

Doit-on chasser les artistes de la cité ?

❖ Nonobstant la grande diversité des arts et la grande variété de leur statut dans les sociétés
humaines, il y a un certain nombre d’invariants qui expliquent leurs fonctions. On peut
en citer quelques-uns sans prétendre à l’exhaustivité.

❖ Une des fonctions premières de l’art est expressive. Par ses œuvres, l’artiste exprime ses
sentiments, ses émotions et même ses passions. Chez Freud, l’art fournit à nos pulsions
les plus intenses un moyen de se réaliser de manière socialement acceptable dans une
œuvre picturale par exemple. C’est ce qu’il nomme la sublimation.

❖ On saisit alors la fonction thérapeutique de l’art à laquelle nous conduit la psychanalyse.


Déjà les Grecs de l’antiquité définissaient l’art comme catharsis et avaient découvert la
fonction thérapeutique du théâtre. L’art-thérapie est aujourd’hui une méthode
thérapeutique qui utilise les différentes formes d’expression artistique pour traiter
certaines névroses, le stress, le burn-out…

❖ L’art possède aussi une fonction éducative indéniable. Il est attesté que l’éducation
artistique des enfants développe à la fois leur sensibilité mais aussi leurs capacités
cognitives (imagination, créativité…). Il n’est pas étonnant que les artistes apparaissent
très souvent comme des modèles d’ouverture et de tolérance. Ils jouent ainsi un rôle
important dans le changement sociétal et la construction de l’identité des individus.
Toutefois, l’influence des artistes sur leurs jeunes adorateurs (leurs « fans ») peut parfois
avoir des effets pervers ou négatifs.

❖ Dans nos sociétés africaines surtout, la fonction commémorative de l’art est massive. La
glorification des individus, les cérémonies traditionnelles ou religieuses nécessitent
toujours la médiation des artistes. Cette fonction est corrélée à sa fonction de
communication : par sa plume, son pinceau, sa musique, l’artiste communique, exprime
ce qu’il a dans son cœur (ses émotions) et dans sa tête (sa vision du monde) et réussit par
son talent à le partager avec ses semblables.

❖ La fonction subversive de l’art est presque naturelle dans les sociétés modernes. L’art
contemporain a bouleversé les codes et les règles des mouvements artistiques précédents.
Cependant c’était déjà le cas dans les époques précédentes. Les artistes sont fréquemment
à la pointe des luttes sociales et politiques. Ils dénoncent, critiquent, mettent en cause des

- 104 -
croyances, des convictions des habitudes, des coutumes, des opinions, des valeurs. Pour
paraphraser Sartre, il est difficile pour un artiste de tirer son épingle du jeu social.

❖ La fonction esthétique de l’art est surement la plus universelle. L’art est l’expression de
la beauté. Il permet aux êtres humains de décorer leur environnement et ainsi de
l’humaniser.

❖ L’art participe véritablement de la spécificité de notre présence au monde. Il marque la


singularité de l’espèce humaine dans le règne animal. On peut penser avec Bergson la
proximité entre l’art et la philosophie. « La philosophie, écrit-il, n’est pas l’art, mais elle
a avec l’art de profondes affinités. Qu’est-ce que l’artiste ? C’est un homme qui voit
mieux que les autres, car il voit la réalité nue et sans voile. ».

- 105 -
TEXTES DE REFERENCE 1)

TEXTE 01
Le Beau de l'art est supérieur au beau naturel. L'esthétique a pour objet le vaste empire du
beau... et, pour employer l'expression qui convient le mieux à cette science, c'est la philosophie
de l'art, ou, plus précisément, la philosophie des beaux-arts.
Mais cette définition qui exclut de la science du beau le beau dans la nature, pour ne considérer
que le beau dans l'art, ne peut-elle paraître arbitraire ? Il est vrai que toute science est en droit
de se fixer l'extension qu'elle veut ; mais nous pouvons prendre en un autre sens cette limitation
de l'esthétique. Dans la vie courante, on a coutume, il est vrai, de parler de belles couleurs, d'un
beau ciel, d'un beau torrent, et encore de belles fleurs, de beaux animaux et même de beaux
hommes. Nous ne voulons pas ici nous embarquer dans la question de savoir dans quelle mesure
la qualité de beauté peut être attribuée légitimement à de tels objets et si en général le beau
naturel peut-être mis en parallèle avec le beau artistique. Mais il est permis de soutenir dès
maintenant que le beau artistique est plus élevé que le beau dans la nature car le beau artistique
est la beauté née comme deux fois née de l'esprit. Or autant l'esprit et ses créations sont plus
élevés que la nature et ses manifestations, autant le beau artistique est lui aussi plus élevé que
la beauté de la nature. Même, abstraction faite du contenu, une mauvaise idée, comme il nous
en passe par la tête, est plus élevée que n'importe quel produit naturel ; car en une telle idée sont
présents toujours l'esprit et la liberté. Hegel, Esthétique, Textes choisis par Claude Khodoss,
P.U.F., 1992, P.11

TEXTE 02
Il ne peut y avoir de règle objective du goût qui détermine par un concept ce qui est
beau. Car tout jugement issu de cette source est esthétique, c'est-à-dire : son principe
déterminant est le sentiment du sujet, non un concept de l'objet. Chercher un principe
du goût, qui indiquerait par des concepts déterminés le critérium universel du beau, est
une entreprise stérile car ce que l'on recherche est impossible et en lui-même
contradictoire. La communicabilité universelle de la sensation (de satisfaction ou
d'insatisfaction), qui se réalise sans concept ; l'unanimité, aussi parfaite que possible, de
tous les temps et de tous les peuples concernant le sentiment donné dans la
représentation de certains objets, est le critérium empirique, faible certes et à peine
suffisant pour permettre de supposer que le goût, ainsi garanti par des exemples, a pour
origine le principe profondément caché et commun à tous les hommes de l'accord qui
doit exister entre eux dans le jugement qu'ils portent sur les formes sous lesquelles les
objets leur sont donnés. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger. 17, De l'idéal
de beauté », trad. Philonenko, Vrin, 1968,p. 73.

TEXTE 03
Il reste à dire maintenant en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée
précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent,
même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait
- 106 -
pensé dès qu'il essaye ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la
représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme
le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine
bien réglée d'abord ferait l'œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail
du peintre du portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il
emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même
rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur et qu'il est spectateur
aussi de son œuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie
ait la grâce de nature et s'étonne lui- même. Un beau vers n'est pas d'abord un projet,
et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au
sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau (...). (...) Ainsi la règle du
beau n'apparaît que dans l'œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais,
d'aucune manière, à faire une autre œuvre. Alain, Système des Beaux-arts, Coll. Idées,
Gallimard.

TEXTE 04
L'art commence du moment où l'homme crée non plus, comme les animaux dans un dessein
utilitaire, mais pour représenter ou pour exprimer. Dans l'un et l'autre cas, il se sert d'un
objet, façonné de sa main, créé par lui : l'œuvre d'art. Par elle, il représente ou il exprime,
c'est-à-dire qu'il essaie de rompre, dans l'un et l'autre cas, une des limites que lui impose la
nature. Quand il représente, il lutte contre l'impossibilité où il est mis d'échapper à la fuite
du temps, qui abolit sans cesse ce que nous sommes ; il le confie à une matière plus stable
et durable que la mémoire. Dans les sociétés anciennes, il sculptait ou il peignait le mythe
religieux ou l'événement historique dont il voulait fixer le spectacle ; dans les temps plus
récents, il s'attache de plus en plus à préserver un visage ou un paysage dont la fugitive
beauté l'a ému. Mais il est une autre impossibilité : celle de faire reconnaître à autrui ce que
l'on porte en soi, le monde inconnu, inexprimable, de ce l'on porte en soi, le monde inconnu,
inexprimable, de ce que l'on ressent, de ce que l'on imagine, de ce que l'on rêve. L'artiste
tente de faire rentrer dans le visible le monde invisible qui n'existe que dans notre tête ou
dans notre cœur : il essaie de projeter dans son œuvre ce qu'il détient en lui, aussi bien le
besoin d'une certaine harmonie qu'une manière de penser ou une manière de sentir. Ce
secret, il cherche à en donner l'équivalence lisible dans une image et à le faire ainsi éprouver
à ceux qui le déchiffreront. René Huyghe. L'Art et l'Homme. Larousse

TEXTE 05
Une chanson que braille une fille en brossant l'escalier me bouleverse plus qu'une savante
cantate. Chacun son goût. J'aime le peu. J'aime aussi l'embryonnaire, le mal façonné,
l'imparfait, le mêlé. J'aime mieux les diamants bruts, dans leur cangue. Et avec crapauds.
Où viennent s'installer les estrades pompeuses de la Culture et pleuvoir les prix et lauriers
sauvez-vous bien vite l'art a peu de chance d'être de ce côté. Du moins n'y est-il plus s'il y
avait peut-être été, il s'est pressé de changer d'air. Il est allergique à l'air des approbations
collectives. Bien sûr que l'art est par essence répréhensible ! inutile ! et antisocial, subversif,
dangereux ! Et quand il n'est pas cela il n'est que fausse monnaie, il est mannequin vide,
sac à patates. (...) Le vrai art il est toujours là où on ne l'attend pas. Là où personne ne pense
à lui ni ne prononce son nom. L'art il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve
aussitôt. L'art est un personnage passionnément épris d'incognito. (...) Vous comprenez,
- 107 -
c'est le faux monsieur Art qui a le plus l'air d'être le vrai et le vrai qui n'en a pas l'air ! Ça
fait qu'on se trompe ! Beaucoup se trompent ! Jean DUBUFFET. L'Homme du commun
à l'ouvrage, J. J. Pauvert, pp. 3 - 5

TEXTE 06
La fonction de l'artiste est capitalement celle d'un inventeur. Des inventeurs il y en a
plus qu'on ne croit. Mais le caractère propre d'un art inventé est de ne pas ressembler à
l'ait en usage et par conséquent - et cela d'autant plus qu'il est plus inventé de ne pas
sembler n'être de l'ait. D'apparaître seulement production oiseuse, absurde ;
inutilisable. Il faut bien un usager à une production d'art, comme au vin un buveur,
sans quoi pas de vin. Je ne dis pas forcément des usagers en grand nombre - le nombre
n'y fait rien - mais tout de même un ou deux. A vous de jouer messieurs les usagers !
La part qui vous revient est très importante, elle l'est presque autant que celle de
l'inventeur. Portez vos yeux attentivement non plus sur ce qui a l'air d'être de l'art mais
sur ce qui n'en a pas l'air du tout et pourtant est prêt à le devenir si vous savez le faire
fonctionner : devenez inventeurs des inventions ! li en surgit de tous côtés, grosses de
potentialités merveilleuses et dont personne ne fait usage : elles disparaissent sans
laisser trace ni souvenir pendant que, bat son plein la foire aux œuvres creuses.
Cette idée que notre monde serait constitué pour la plus grande part d'objets laids et
d'endroits laids, tandis que les objets et endroits doués de beauté seraient des plus rares
et difficiles à rencontrer, je n'arrive pas à la trouver très excitante. Il me semble que
l'Occident, à perdre cette idée, ne ferait pas une grande perte. S'il prenait conscience
que n'importe quel objet du monde est apte à constituer pour quiconque une base de
fascination et d'illumination, il ferait là une meilleure prise. Cette idée-là, je pense,
enrichirait plus la vie que l'idée grecque de la beauté. Jean DUBUFFET, L'Homme du
commun à l'ouvrage, J. J. Pauvert, pp. 20- 21.

TEXTE 07
(...) Il faut comparer le choix moral avec la construction d'une œuvre d'art.(...) A-t-on
jamais reproché à un artiste qui fait un tableau de ne pas s'inspirer des règles établies a
priori ? A-t-on jamais dit quel est le tableau qu'il doit faire ? II est bien entendu qu'il
n'y a pas de tableau défini à faire, que l'artiste s'engage dans la construction de son
tableau, et que le tableau à faire c'est précisément le tableau qu'il aura fait ; il est bien
entendu qu'il n'y a pas de valeurs esthétiques a priori, mais qu'il y a des valeurs qui se
voient ensuite dans la cohérence du tableau, dans les rapports qu'il y a entre la volonté
de création et le résultat. Personne ne peut dire ce que sera la peinture de demain ; on
ne peut dire ce que sera la peinture qu'une fois faite. Quel rapport cela a-t-il avec la
morale ? Nous sommes dans la même situation créatrice. Nous ne parlons jamais de
la gratuité d'une œuvre d'art. Quand nous parlons d'une toile de Piscasso, nous ne
disons jamais qu'elle est gratuite (...). (...) Ce qu'il y a de commun entre l'art et la morale,
c'est que, dans les deux cas, nous avons création et invention.J.P. Sartre,
L'Existentialisme est un humanisme, Nagel, P. 75 – 77.

- 108 -
TEXTE 08
C'est un vieux précepte que l'art doit imiter la nature ; on le trouve déjà chez Aristote.
Quand la réflexion n'en était encore qu'à ses débuts, on pouvait bien se contenter d'une
idée pareille ; elle contient toujours quelque chose qui se justifie par de bonnes raisons
et qui se révélera à nous comme un des moments de l'idée ayant, dans son
développement, sa place comme tant d'autres moments. D'après cette conception, le
but essentiel de l'art consisterait dans l'imitation, autrement dit dans la reproduction
habile d'objets tels qu'ils existent dans la nature, et la nécessité d'une pareille
reproduction faite en conformité avec la nature serait une source de plaisirs. Cette
définition assigne à l'art un but purement formel, celui de refaire une seconde fois, avec
les moyens dont l'homme dispose, ce qui existe dans le monde extérieur, et tel qu'il y
existe. Mais cette répétition peut apparaître comme une occupation oiseuse et
superflue, car quel besoin avons-nous de revoir dans des tableaux ou sur la scène, des
animaux, des paysages ou des événements humains que nous connaissons déjà pour
les avoir vus ou pour les voir dans nos jardins, dans nos intérieurs ou, dans certains
cas, pour en avoir entendu parler par des personnes de nos connaissances ? On peut
même dire que ces efforts inutiles se réduisent à un jeu présomptueux dont les résultats
restent toujours inférieurs à ce que nous offre la nature. C'est que l'art, limité dans ses
moyens d'expression, ne peut produire que des illusions unilatérales, offrir l'apparence
de la réalité à un seul de nos sens ; et, en fait, lorsqu'il ne va pas au-delà de la simple
imitation, il est incapable de nous donner l'impression d'une réalité vivante ou d'une
vie réelle : tout ce qu'il peut nous offrir, c'est une caricature de la vie [...]
C'est ainsi que Zeuxis peignit des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle
que les pigeons s'y trompaient et venaient les picorer, et Praxeas peignit un rideau qui
trompa un homme, le peintre lui-même. On connaît plus d'une de ces histoires d'illusion
créées par l'art. On parle, dans ces cas, d'un triomphe de l'art. [...]On peut dire d'une
façon générale qu'en voulant rivaliser avec la nature par l'imitation, l'art restera toujours
au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un
éléphant. Hegel. Esthétique I, (1829). Trad. S Jankélévitch, coll. Champs, Ed.
Flammarion, 1979, pp. 35-37

TEXTE 09
L'artiste comme le névropathe s'était retiré loin de la réalité insatisfaisante dans ce
monde imaginaire, mais à l'inverse du névropathe il s'entendait à trouver le chemin de
retour et à reprendre pied dans la réalité. Ses créations, les œuvres d'art, étaient les
satisfactions imaginaires de désirs inconscients, tout comme les rêves, avec lesquels
elles avaient d'ailleurs en commun le caractère d'être un compromis, car elles aussi
devaient éviter le conflit à découvert avec les puissances de refoulement. Mais à
l'inverse des productions asociales narcissiques du rêve, elles pouvaient compter sur la
sympathie des autres hommes, étant capables d'éveiller et de satisfaire chez eux les
mêmes inconscientes aspirations du désir. De plus elles se servaient, comme « prime de
séduction », du plaisir attaché à la perception de la beauté de la forme. Ce que la
psychanalyse pouvait faire, c'était - d'après les rapports réciproques des impressions

- 109 -
vitales, des vicissitudes fortuites et des œuvres de l'artiste - reconstruire sa constitution
et les aspirations instinctives en lui agissantes, c'est-à-dire ce qu’il présentait
d'éternellement humain. C'est dans une telle intention que je pris par exemple Léonard
de Vinci pour objet d'une étude, étude qui repose sur un seul souvenir d'enfance dont
il nous fit part, et qui tend principalement à élucider son tableau de la Sainte Anne. Mes
amis et élèves ont depuis entrepris de nombreuses analyses semblables d'artistes et de
leurs œuvres. La jouissance que l'on tire des œuvres d'art n'a pas été gâtée par la
compréhension analytique ainsi obtenue. Mais nous devons avouer aux profanes, qui
attendent ici peut-être trop de l'analyse, qu'elle ne projette aucune lumière sur deux
problèmes, ceux sans doute qui les intéressent le plus. L'analyse ne peut en effet rien
nous dire de relatif à l'élucidation du don artistique, et la révélation des moyens dont se
sert l'artiste pour travailler, le dévoilement de la technique artistique, n'est pas non plus
de son ressort. S. FREUD, Ma vie et la psychanalyse.

TEXTE 10
Si l’unité du langage symbolique se fonde sur celle de sa signification, nous ne
prétendons cependant pas que cette unité soit unicité. Nous disons au contraire que s'il
y a universalité au plan de la signification, il y a diversité, et donc relativité au plan
de l'expression. Il serait naïf par conséquent de s'étonner qu'il y ait à la fois tant de
convergences en Afrique, à l'intérieur du langage de la symbolique. C'est une pure
question de niveaux. L'Afrique est unanime, quand elle s'éprouve in exercito, quand
elle vit, au niveau de la conscience, son jaillissement vital. L'Afrique est multiple,
quand elle s'objective dans la multiplicité des signes. Entre le signe et l'exercice, la
coïncidence demeure à jamais impossible, du moins à l'intérieur de notre univers
d'existence ; ce qui nous paraît admirable, c'est que l'Afrique ait si bien réussi à
réduire sa diversité. Même au niveau des signes, les convergences l'emportent sur
les divergences, l'unanimité sur les diversités. Entre le serpent de l'art dahoméen,
celui des Ghandi de l'Oubanghi, celui des Bamoun du Cameroun, on retrouve la
même idée, celle de la gémellité comme rencontre de l'univers des vivants et de
celui des morts, celle de la force royale en tant que située au point d'intersection de
ces deux univers, celle enfin de la force protectrice de la vie. Autour de ce thème, le
véhicule du mythe développera d'innombrables volutes.
Ailleurs, le génie de l'homme apprivoisera d'autres objets pour porter le même message.
Nous savons très bien que le crapaud des tribus du Tchad n'est pas celui des artistes
Bamoun ; nous savons que la mante religieuse des tribus bantoues de l'Afrique Australe
n'est pas la tarentule des devins semi-bantous de l'ouest-camerounais ; et pourtant, derrière
le signe, nous retrouvons le même visage de l'homme d'Afrique, écartelé entre la vie et le
mort, dans sa lente et pathétique ascension vers son accomplissement, sur les degrés de
l'échelle dialectique des choses. À vrai dire, le langage de la symbolique est complexe
comme le mystère de l'homme qu'il veut exprimer. Il importe de la reconnaître en toute
loyauté. Mveng Engelbert, L'Art d'Afrique Noire, Ed. Clé, Yaoundé.

TEXTE 11
L'art africain, qu'il s'agisse des lignes, des couleurs, des formes, des gestes, de la parole, est
soumis au rythme selon des lois qui, à la limite, rejoignent la dialectique de la dyade et de la
triade... li existe donc un rythme verbal ou mieux oratoire, qui n'est pas essentiellement différent
- 110 -
du rythme artistique. Ce dernier, selon les genres, sera graphique, quand l'art est création
linéaire, chromatique, quand il emploie la couleur, plastique dans le cas de la sculpture,
chorégraphique dans la danse qui est l'expression totale de l'âme africaine en tant que génie
"poétique". Dans la musique, c'est la durée que le rythme humanise, lui insufflant, par la magie
des sons, une partie de notre âme. Dans les arts figuratifs, le génie africain, partant des mêmes
principes, recrée l'espace, faisant de ce qui était un vide un milieu humain lui-même ouvert au
milieu divin. La même dialectique des contrastes que nous avons vue plus haut se retrouve ici
plus simplifiée au dépa1t. Elle exprime avant tout l'espace comme structure, et cette structure
est rupture, rupture entre la verticale et l'horizontale. Espace à deux dimensions, si l'on veut,
car la troisième n'est au fond qu'un moment dialectique, celui que nous avons appelé le moment
de la triade. Ici il est facile de supprimer un élément pour rentrer dans la dyade. Mais avant de
voir l'investissement de l'espace par la dialectique du rythme linéaire, il importe au préalable de
faire l'inventaire de ses éléments. Le premier moment de notre investigation sera donc un
moment d'analyse. Nous découvrons ainsi qu'au départ du système décoratif Bantou, nous
passons du point, à la ligne, et de la ligne à l'onde, selon une dialectique qui s'avère rythme, et
ce rythme s'accorde étonnamment avec celui que nous avons découvert dans l'expression
musicale. L'humanisation de l'espace suit donc identiquement les lois de l'humanisation de la
durée. La poétique bantoue, nous entendons par là les lois du génie créateur de notre culture,
ne peut donc en aucune façon être une esthétique. L'esthétique traduit la passivité du système
sensoriel de l'homme devant le réel construit en spectacle et servi en nourriture pour sa
concupiscence. La poétique, elle, se situe au moment où la spontanéité créatrice de l'homme se
dresse contre la détermination de la nature et se constitue en liberté créatrice du génie humain
refaisant le monde pour l'intégrer au destin de l'homme. Sa loi élabore une synthèse universelle
en qui la durée et l'espace s'unissent en s'humanisant. Mveng Engelbert, L'Art d'Afrique Noire,
Ed. Clé, Yaoundé.

TEXTE 12
Contre l'art des œuvres d'art. - L'art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous-
mêmes tolérables aux autres et agréables si possible : ayant cette tâche en vue, il modère
et nous tient en bride, crée des formes de civilité, lie ceux dont l'éducation n'est pas faite à
des lois de convenance, de propreté, de politesse, leur apprend à parler et à se taire au bon
moment. De plus, l'art doit cacher ou réinterpréter tout ce qui est laid, ces choses pénibles,
épouvantables ou dégoûtantes qui malgré tous les efforts, à cause des origines de la nature
humaine, viendront toujours de nouveau à la surface : il doit agir ainsi surtout pour ce qui
est des passions, des douleurs de l'âme et des craintes, et faire transparaître, dans la laideur
inévitable ou insurmontable, son côté significatif. Après cette tâche de l'art, dont la grandeur
va jusqu'à l'énormité, l'art que l'on appelle véritable, l'art des œuvres d'art n'est qu'accessoire.
L'homme qui sent en lui un excédent de forces qui embellissent, cachent, transforment,
finira par chercher à s'alléger de cet excédent par l'œuvre d'art ; dans certaines
circonstances, c'est tout un peuple qui agira ainsi. - Mais on a l'habitude, aujourd'hui, de
commencer l'art par la fin ; on se suspend à sa queue, avec l'idée que l'art des œuvres d'art
est le principal et que c'est en partant de cet art que la vie doit être améliorée et transformée.
Fous que nous sommes ! Si nous commençons le repas par le dessert, goûtant à un plat
sucré après l'autre, quoi d'étonnant si nous nous gâtons l'estomac et même l'appétit pour le
bon festin, fortifiant et nourrissant, auquel l'art nous convie ? Nietzsche, Humain, trop
humain, II, 174.

- 111 -
Méthodologie

- 112 -
LA DISSERTATION PHILOSOPHIQUE
La dissertation philosophique peut être définie comme un
L’essentiel exercice de réflexion à la fois personnelle et informée sur un
problème posé par un sujet donné en vue de lui apporter une
solution. Ecrite normalement dans une langue maitrisée, elle est l’occasion pour l’élève qui la
pratique de montrer d’abord leur aptitude à analyser et à problématiser le sujet qui leur a été
soumis et ensuite à organiser une discussion élaborée, dénuée de préjugés, ouverte, cohérente
et documentée. L’exercice de la dissertation philosophique se mène à travers trois grands
moments : L’introduction, le développement et la conclusion.

I. L’INTRODUCTION
Du latin introducere, qui veut dire « mener », « conduire à l’intérieur », l’introduction est
donc une entrée en matière, une préparation, une présentation. Elle est un moment essentiel de
la dissertation philosophique parce qu’elle permet au lecteur – correcteur de se faire
immédiatement une idée sur la teneur et l’organisation de la pensée de l’élève. L’élève doit
donc apporter le plus grand soin à sa rédaction pour au moins deux raisons : d’abord parce que,
comme on l’a sous-entendu tantôt, l’introduction est la première impression que le lecteur-
correcteur se fait de la copie de l’élève. Ensuite plus fondamentalement, c’est dans
l’introduction que l’on trouve la clé de la réussite de la dissertation philosophique : la
problématique. En principe la simple lecture de l’introduction devrait permettre au lecteur-
correcteur de savoir si la construction de la problématique du sujet, opérée par le candidat, est
pertinente. L’introduction d’une dissertation de philosophie est composée de trois moments
clés : la situation générale du sujet, la problématique et le plan.

❖ Situation générale du sujet


Si introduire signifie conduire à l’intérieur, alors introduire un sujet de dissertation
philosophique exige de la part de l’élève la capacité à conduire le lecteur- correcteur vers la
difficulté fondamentale que comporte le sujet- question, et cela de la façon la plus concise et la
plus rigoureuse qui soit. Ainsi, il est indispensable de commencer l’introduction par la situation
générale du sujet qui consiste à circonscrire et à baliser le champ précis d’interrogation dans
lequel il s’inscrit.

Exemple à partir du sujet : « Être libre, est-ce dire non ? »

La manifestation de la liberté s’assimile en général à une forme de refus : de la grève des


travailleurs aux insurrections populaires pour le renversement de régimes politiques, les
hommes expriment leur liberté en s’opposant à ceux qui de leur point de vue bafounte leurs
droits fondamentaux. L’histoire de l’humanité le montre abondamment ; la conquête des
libertés fondamentales a toujours été le résultat d’un refus, d’un conflit, mieux, d’un rejet d’une
situation devenue inacceptable.

- 113 -
❖ La problématique
Problématiser un sujet de dissertation c’est mettre à jour la difficulté fondamentale qui
l’habite, son paradoxe interne, voir sa contradiction apparente. C’est amener son lecteur, après
le travail de fond mené sur ce qui semblait évident dans le sujet, à prendre conscience, comme
l’interlocuteur de Socrate, de son ignorance sur la question. Comme Socrate, on ne commence
véritablement à philosopher que quand on prend conscience du fait que tout ce que l’on sait
c’est qu’on ne sait rien.

Problématiser ne se limite pas à reformuler le sujet mais plutôt à interroger ce dernier de


sorte à en extraire ce qui ne va de soi, ce qui n’est pas évident et qui exige d’être pensé.

La dissertation ne commence que quand l’élève réussit à prendre conscience que le sujet-
question pose problème, qu’il ne va de soi et qu’il comporte des enjeux. C’est à ce moment
seulement qu’il sera en mesure d’identifier et de formuler explicitement le problème du sujet
qui sera traité dans le développement. La réussite de la dissertation dépend donc d’une
identification exacte du problème posé par le sujet. Identifier un faux problème dans un sujet
donné conduit fatalement à faire un hors sujet à son propos. C’est dans ce sens que Dominique
Folscheid et Jean- Jacques Wunenburger écrivent : « Une dissertation est hors sujet lorsqu’elle
traite d’un problème qui n’est pas strictement conforme au libellé du sujet ».

Un sujet de dissertation ne contient donc pas autant de problèmes philosophiques que


d’élèves appelés à disserter. En réalité, un sujet de dissertation ne renferme qu’un unique
problème qu’il est possible de formuler de différentes manières. Dans la même perspective, il
n’existe pas une infinité de questions également valables sur un sujet et parmi lesquelles l’élève
n’aurait qu’à choisir. Les axes de questionnement sur un sujet donné sont les mêmes puisqu’ils
correspondent à un même problème. Ce qui change, ce sont les formulations produites par les
élèves.

Exemple de problématisation du sujet proposé

Mais faut-il en conclure qu’être libre suppose de toujours s’opposer et de dire


systématiquement non à tout ce qui nous oblige ou que nous n’aimons pas ? Ne serait- pas
confondre liberté et licence ou encore juger que tout ce qui vient d’autrui ou de la société
représente un risque dont il faut se protéger ? En réalité le refus systématique est aussi aveugle
que l’est la soumission inconditionnelle. La vraie liberté s’accomplit dans des œuvres, elle
s’affirme comme puissance tournée vers la vie. Elle suppose un état de droit pour régler les
conflits mais elle implique aussi le refus de tout ce qui peut nous asservir.

- 114 -
❖ Le plan
Le plan consiste, en s’appuyant sur les questionnements du moment précédent qui ont
conduit à la formulation du problème posé par le sujet, à proposer des pistes de réflexion pour
lesquelles l’élève ne dispose pas encore de réponses.

Il se présente donc comme la structure d’ensemble de toute la dissertation philosophique


et à ce titre donne une indication claire des principales parties du développement qui va suivre.

Comme le développement qu’il commande, le plan de la dissertation philosophique est


structuré de façon logique est cohérente. C’est dire qu’il n’y a pas de plan standard qui
conviendrait aux différents types de sujets de dissertation.

Sur cette question précise des différents types de sujets de dissertation, il faut
définitivement ôter de la tête des élèves l’idée que le plan tripartite « thèse- antithèse- synthèse »
convient à toutes les formes de sujets. D’ailleurs Dominique Folscheid et Jean- Jacques
Wunenburger écrivent justement à ce propos : « Le plan d’une dissertation n’est donc rien
d’autre que la forme de tel contenu, et non la forme de n’importe quel contenu. Il y a un plan
par contenu, un plan pour telle dissertation. L’ordre, ou le plan, variera donc selon les sujets ».

Le cadre de réflexion de la dissertation philosophique varie nécessairement en fonction


des différentes formes de sujets. Pour éclairer ce point délicat de la dissertation philosophique,
procédons à une typologie des différents sujets possibles de dissertation même si certains
d’entre eux ne sont pas éligibles au baccalauréat sénégalais.

A. Les sujets sous forme de question


Ils sont les plus courants à l’examen du baccalauréat. Le sujets- question renvoie à un
problème philosophique précis qui n’est pas immédiatement perceptible et que l’élève doit
découvrir, définir et formuler de la façon la plus rigoureuse et explicite qui soit. En général, il
donne lieu à deux types de plan : le plan dialectique et le plan progressif.

• Le plan dialectique
Le plan dialectique est le fameux plan en trois parties : thèse, antithèse, synthèse. La
première partie consiste à exposer ce que le sujet a d’évident, c’est- à dire la thèse qui y semble
défendue. L’antithèse consiste à apporter des objections à la thèse exposée et défendue dans la
première partie. Elle n’en est donc pas le contraire. Elle révèle juste les limites de la position
défendue dans la première partie. Quant à la synthèse, elle est un dépassement des deux
premières parties (thèse et antithèse).

• Le plan progressif
Il découle d’un sujet-question se rapportant à une ou deux notions philosophiques. Il
consiste donc à analyser, en les approfondissant à travers des points successifs et progressifs,
- 115 -
la ou les notions sur lesquelles porte le sujet. Il peut également consister à élaborer et à produire,
à partir de points de vue différents, des définitions successives et progressives de la notion ou
du concept sur lequel porte la question du sujet.

Exemple de sujet commandant un plan progressif : Qu’est- ce que le beau ?

B. Les sujets comprenant une seule notion


Simple du point de vue de la formulation, ce type de sujet obéit aux mêmes exigences que
celles du sujet question. Si l’interrogation et la problématisation n’y sont pas immédiatement
perceptibles, l’élève n’est pas dispensé pour autant de les trouver et de les formuler clairement.
Pour traiter ce type de sujet il faut d’abord commencer à chercher la définition ou l’essence (en
posant la question qu’est-ce que ?) de la notion ou du concept proposé, puis poursuivre la
réflexion en montrant les différences conceptuelles avec des notions voisines et opposées.

Exemple de sujet avec une seule notion : « Le silence »

C. Les sujets comprenant deux notions


Ce type de sujet s’apparente au précédent, mais une copule (soit et, soit ou) relie les deux
notions ou concepts. Il s’agit de définir les deux notions et d’analyser les points de convergence
et de divergence.

Exemple : « Philosophie et Science »

Malgré les différences dont on vient de parler entre ces types de sujets, aucun des plans
qu’ils commandent ne doit être annoncé sous forme de pancarte du genre « dans une première
partie….puis dans une deuxième partie….enfin dans une troisième partie ». En lieu et place du
plan pancarte, il faut plutôt s’appuyer sur des connecteurs logiques : « d’abord, puis, enfin »
ou des expressions plus appropriées comme « mouvements ou moments de la réflexion » pour
annoncer son plan.

Exemple d’annonce de plan pour le sujet proposé

Faut-il alors opposer refus et acceptation, négation et affirmation ? De la même façon


qu’un esprit tolérant ne peut tout tolérer sauf à se perdre, la liberté ne peut tout accepter sauf
à se voir condamné à l’impuissance.

II. LE DEVELOPPEMENT
Le développement de la dissertation philosophique est commandé par le plan dégagé à la
fin de l’introduction. Comme celui-ci il se doit d’être logique et cohérent. Un plan logique et
cohérent est un plan irréversible dans lequel il est impossible d’intervertir les différentes parties
sans modifier la logique d’ensemble de la réflexion. Conformément à un plan de ce type, l’ordre
de traitement des questions dans le développement est un ordre croissant de pertinence. Chaque

- 116 -
partie du développement est constituée de sous- parties ou paragraphes reliés entre eux de façon
logique et cohérente.

Descartes définissait le discours philosophique comme une longue chaine de raisons. Cette
définition est valable pour la dissertation philosophique et surtout pour son développement ou
chaque idée est normalement à sa place et non pas indifféremment soit au début, au milieu ou
à la fin.

La règle d’or pour la rédaction des paragraphes est une idée par paragraphe et un paragraphe
par idée. Passer d’un paragraphe à un autre c’est donc passer d’une idée à une autre. Les parties
et les paragraphes sont liés entre eux par des transitions (transition entre la première et deuxième
partie et entre la deuxième partie et la troisième partie mais également entre les différents
paragraphes des différentes parties).

III. CONCLUSION
Si l’introduction est la première impression que le lecteur-correcteur se fait de la copie de
l’élève, la conclusion en est bien la dernière. Pour cette raison, l’élève doit également apporter
le plus grand soin à sa rédaction. Correspondant au moment où la réflexion est parvenue à son
terme, la conclusion doit mettre en perspective les acquis du devoir et achever les étapes
démonstratives. Comme l’introduction, la conclusion comporte trois moments qu’il est
impératif de respecter :

❖ Bilan de la réflexion
La première étape de la conclusion de la dissertation philosophique consiste à faire le
bilan de la réflexion en récapitulant et en reprenant (et non en résumant) l’itinéraire parcouru
dans le développement c’est-à-dire ce qu’on a appris de son point de départ à son point
d’arrivée.

❖ Réponse à la problématique
A ce niveau, il faut reprendre la problématique posée en introduction et lui donner la
réponse à laquelle est parvenue la réflexion. C’est pourquoi, il est utile, d’une part, de lui donner
un contenu et, d’autre part, d’insister sur cette réponse afin de la justifier au vu de l’ensemble
de la réflexion.

❖ Reprise et interprétation de l’avant-propos de l’introduction

Ce moment de la conclusion est dans le fond facultatif. Les élèves l’assimilent souvent
par maladresse à ce qu’ils considèrent comme une « ouverture » qui n’est rien d’autre qu’une
nouvelle piste de réflexion qui serait susceptible d’être développé à partir du sujet déjà traité.
L’objectif de la dissertation, même s’il est évident qu’elle ne peut en aucun cas prétendre

- 117 -
apporter une réponse définitive à un sujet donné, est de proposer un cheminement de réflexion
avec un début et une fin.

IV. QUELQUES CONSEILS


Sur le plan formel, le style doit être clair et précis en veillant au respect de la ponctuation
et des règles de grammaire.

Il faut bannir les expressions argotiques (le truc du sujet.), mais aussi les expressions
laudatives du genre : « Kant grand philosophe allemand, Descartes le plus célèbre penseur
français).

L’élève doit éviter à tout prix les développements hors sujets, incohérents.

L’élève ne doit pas aussi s’effacer pour faire défiler les doctrines philosophiques, il doit
comprendre que c’est le déploiement de sa réflexion qui importe ; les références aux auteurs ne
valent que comme appui à la pertinence d’une réflexion personnelle.

V. LA DISSERTATION EN ACTES
1. Choisir le sujet
➢ C’est lire et relire la totalité des sujets proposés pendant 10 minutes et ne jamais se
précipiter sur un sujet parce qu’on le juge plus facile ou plus abordable.

➢ C’est ne jamais revenir sur le sujet sélectionné une fois que le choix est fait.

➢ C’est mettre en œuvre l’association automatique des idées en écrivant au brouillon


pendant 20 à 40 minutes tout ce qui vient à l’esprit (idées, citations, exemples…)
concernant le sujet choisi sans se soucier de leur mise en cohérence.

2. Elaborer un plan
➢ C’est commencer la mise en ordre du matériau collecté pendant l’étape précédente.

➢ C’est diviser sa feuille de brouillon en deux parties pour construire une argumentation
et une contre-argumentation autour de la problématique identifiée. L’une peut servir de
thèse et l’autre d’antithèse.

➢ C’est se donner une idée directrice qui servira de conclusion ou de synthèse à la


réflexion.

➢ C’est prendre le temps d’écrire l’introduction au brouillon après avoir conçu le plan
détaillé de son argumentaire. La conclusion sera elle rédigée à l’étape suivante.

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➢ C’est consacrer 1h voire 1h30 à ce travail patient de construction de la réflexion. Il faut
surtout éviter de rédiger entièrement sa dissertation au brouillon pour simplement la
recopier ensuite sur sa feuille de copie.

3. Rédiger
➢ C’est se donner 1h30 à 1h45 pour conduire la rédaction de sa dissertation en développant
la réflexion élaborée à l’étape précédente.

➢ C’est ne jamais écrire au fil de la plume mais plutôt prendre le temps de soigner son
expression, la cohérence et l’articulation des différentes parties de l’épreuve.

➢ C’est aussi prendre le temps de bien formuler sa conclusion qui est très souvent la
synthèse de la réflexion et la tentative de répondre à la question posée par le sujet.

➢ C’est se donner 10 à 15 minutes pour se lire et se relire afin de rattraper quelques fautes
et de combler certains oublis.

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LE COMMENTAIRE DE TEXTE PHILOSOPHIQUE
Au Sénégal depuis le séminaire des professeurs de
L’essentiel philosophie en 1997 à la FASTEF, il est précisé que pour le
commentaire de texte il faut rendre systématiquement la consigne suivante : « Expliquez et
discutez le texte suivant »

Il s’agit dans ce type d’exercice de voir comment l’élève réagit face à un texte
philosophique. Est-il capable d’en saisir le sens, de dégager sa structure interne, de repérer les
différents arguments avancés par l’auteur et enfin de bien cerner les problèmes que le texte
soulève.

I. Les moments du commentaire de texte


Comme la dissertation, le commentaire philosophique comprend trois parties : une
introduction, un développement et une conclusion.

A. L’introduction
Elle doit contenir quatre éléments : Le thème du texte, la problématique, la thèse de
l’auteur, et le plan.

a) Le thème :

La première étape consiste à identifier le thème dont il est question, il s’agit de


comprendre de manière déterminée de quoi parle exactement l’auteur. Pour y arriver,
il faut se demander quel est l’objet du texte ? De quoi est-il question dans ce texte ?

b) La problématique :

C’est la question fondamentale que le philosophe a implicitement posée. Dans un texte,


le problème peut ne pas être décelable immédiatement.

c) La thèse :

Il s’agit de déterminer la position de l’auteur dans le texte, ce qu’il a voulu démontrer


dans un contexte précis. Il faut se demander : qu’est-ce que l’auteur soutient, établit,
défend ? Où veut-il en venir ? Le but de ces questions : découvrir la solution du
problème réglé par le texte.

d) Le Plan

Il s’agit de voir la progression intellectuelle du texte, quel rapport entre les différentes
idées ? pour y répondre, il faut être attentif aux connecteurs logiques, tels que : donc,
or, parce que… le but c’est de dégager la structure du texte.

- 120 -
B. Le développement
L’élève peut d’abord expliquer le texte et ensuite discuter la thèse de l’auteur en
interrogeant de manière critique les arguments clés avancés par ce dernier. Cependant l’élève
peut s’il le désir discuter les thèses de l’auteur au fur et à mesure qu’il les explique de sorte
qu’il n’y aura pas deux parties distinctes dont la première serait réservée à l’explication et la
suivante à la discussion.

Mais en règle générale la classe de terminale étant une classe d’initiation à la réflexion
philosophique il vaut mieux scinder le développement en deux moments : Explication d’abord,
ensuite discussion.

a) L’explication :

Expliquer un texte, c’est rendre compte de son sens. Expliquer c’est littéralement et
étymologiquement dé-pli-er le texte, rendre explicite tout ce qui est contenu implicitement,
autrement dit, ce que l’auteur lui-même expose de façon précise et concise.

• Il convient d’expliquer le texte en se fondant sur son mouvement qu’on avait déjà
pris le soin de dégager dès l’introduction. Pour chaque idée du texte il faut mettre en
évidence les problèmes, les questions et les arguments qui s’y trouvent.

• L’élève doit faire apparaitre l’argumentation de l’auteur et expliciter clairement la


thèse que ce dernier défend de telle sorte qu’en lisant l’explication on parvient à
mieux cerner la pensée de l’auteur sans le trahir.

• Dans tous les cas il s’agit de tout mettre en évidence, de repérer et de dégager le
thème, la thèse défendue par l’auteur, les arguments clés et de tout expliquer
clairement en restant fidèle dans la phase explicative à la pensée de l’auteur.

b) La discussion :

C’est le moment d’interroger l’auteur sur la pertinence des thèses qu’il défend. L’élève
peut émettre des objections, montré des insuffisances par rapport à une idée défendue par
l’auteur. Il s’agit véritablement d’établir une discussion entre l’auteur et l’élève, cette
discussion, ce dialogue doit être fondé en raison.

C. La conclusion
Dernière impression du lecteur-correcteur sur la copie de l’élève, la conclusion doit
comme l’introduction, être rédigée avec le plus grand soin. Elle comporte au moins trois étapes :

a) Faire le bilan des principaux résultats auxquels est parvenu le développement. Il


s’agit, dans cette première étape de la conclusion, de montrer l’intérêt du texte en
insistant essentiellement sur ce que l’on a appris du développement.

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b) Prendre clairement et explicitement position par rapport au problème du texte et à la
solution que lui a apporté son auteur.

c) Dégager si possible la portée philosophique du texte en le situant dans l’histoire des


idées (facultatif).

II. Les écueils qu’il faut éviter


1 : l’élève doit éviter de prendre le texte comme sujet de dissertation sur lequel il faut
nécessairement disserter. Il doit toujours se rappeler que contrairement à la dissertation le
commentaire part du texte et revient au texte.

2 : Eviter de paraphraser le texte, c’est-à-dire de répéter avec d’autres mots ce qu’a dit l’auteur.

3 : Eviter les digressions, les idées n’ayant rien à voir avec le problème du texte.

4 : Eviter les contresens qui amènent à faire dire à l’auteur du texte le contraire de ce qu’il a dit.

III. Le commentaire de texte philosophique en actes


1) Lire le texte
➢ C’est le lire plusieurs fois après son choix définitif pour laisser libre cours à l’association
des idées que l’on note scrupuleusement au brouillon.
➢ C’est souligner tout ce qui parait important pour le comprendre et l’analyser.
➢ C’est le découper en autant de parties que d’idées ou arguments qui le rendent
intelligible.
➢ C’est extraire au brouillon l’idée ou l’argument qui semble constituer l’argument
principal ou la thèse de l’auteur.
➢ C’est formuler une question philosophique à laquelle cette thèse semble répondre. Cela
permet de mettre au jour le thème autour duquel la discussion philosophique peut
➢ C’est consacrer 1h à cette étape fondatrice.

2) Elaborer un plan
➢ C’est rédiger au brouillon une introduction qui renverse l’ordre de l’étape précédente.
Il s’agit de présenter le thème ou le problème philosophique posé par le texte avant
d’exposer la thèse ou position spécifique de l’auteur avant de signifier le découpage du
texte qui révèle son argumentaire.
➢ C’est ensuite construire un plan à deux parties. La première constitue l’explication
détaillée du texte où on évitera la paraphrase et le copier-coller. La seconde organise la
discussion qui souligne l’intérêt philosophique du texte. Il s’agit d’organiser une sorte
de dissertation où la position de l’auteur est confrontée à d’autres points de vue sur le
thème philosophique déjà identifié.
➢ C’est prendre 1h pour cette étape charnière.

- 122 -
3) Rédiger
➢ C’est l’étape de la rédaction définitive qui dure entre 1h30 et 1H45.
➢ C’est prendre le soin de bien présenter l’argumentaire de l’auteur pour signifier sa
pertinence.
➢ C’est recourir à d’autres positions possibles autour du thème identifié pour organiser
une discussion avec celle de l’auteur du texte.
➢ C’est formuler une synthèse qui permet d’apprécier la thèse de l’auteur à sa juste valeur
tout en essayant d’en souligner les limites ou insuffisances.
➢ C’est prendre le temps de se relire pendant 10 à 15 minutes pour ne pas se mordre les
doigts ou avoir des regrets après l’épreuve.

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QUELQUES
GRANDS
PENSEURS

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1. EMILE CHARTIER dit ALAIN (1868-1951) : Philosophe français qui s’est voulu
avant tout professeur de philosophie de l’enseignement secondaire, un éveilleur.IL nous
enseigne qu’il faut douter, sinon la pensée se met à « croire » en ses pensées. Nos idées
ne sont pas des êtres, mais des outils, des clés que l’on pense.

Quelques œuvres : Propos sur le bonheur (Gallimard 1928), Propos sur l’éducation
(PUF 1932), Eléments de philosophie (Gallimard 1941).

2. LOUIS ALTHUSSER (1918-1990) : Philosophe français marxiste, il insiste sur le lien


étroit qui unit, à ses yeux, théorie et pratique. L’idée que la philosophie est partie
prenante dans la lutte politique, qu’elle est elle-même une pratique théorique
inséparable de la pratique politique.

Agrégé de philosophie en 1948, il restera à l’Ecole Normale Supérieur comme agrégé-


répétiteur jusqu’à ce qu’en 1980, le meurtre de sa femme, lors d’une crise de démence
maniaco-dépressive, le conduise à un internement psychiatrique. Il meurt en 1990, après
10 ans de silence.

Quelques œuvres : Lire le Capital (Maspero 1965), Lénine et la philosophie (Maspero


1969), Philosophie et philosophie spontanée des savants (Maspero 1974).

3. HANNAH ARENDT (1906-1975) : Née à Hanovre d’une famille juive, « juive


allemande chassée par les nazis », c’est ainsi qu’elle se désigne, elle s’exile tout d’abord
en France en 1933, puis émigre aux Etats Unis en 1941, elle y acquiert la nationalité
américaine, et va commencer une carrière universitaire.

Quelques œuvres : Origines du totalitarisme(1951), La condition de l’homme


moderne(1958), Essai sur la banalité du mal(1966).

4. ARISTOTE (384-322 av. J.C) : Il naquit à Stagire son père NICOMAQUE était le
médecin particulier du roi AMYNTAS. Philosophe grec qui fut pendant vingt ans élève
de Platon, il bâtit sa doctrine sur une critique de la théorie platonicienne des Idées.

Aristote vint à ATHENES à 17 ans, ou il fut à l’Académie un brillant disciple de Platon


jusqu’à la mort de celui-ci. Il fonda à 49 ans, sa propre école rivale de l’Académie : le
Lycée, centre actif de recherches et d’études.

Quelques œuvres : Ethique à Nicomaque (Flammarion, 1965), Métaphysique (Vrin


1985).

5. AVERROES : (1126-1198) : Le plus célèbre philosophe du Moyen Age d’expression


arabe. Sa théorie de l’unicité de l’intellect bouleversa les conceptions philosophiques et
théologiques de l’Occident.

Quelques œuvres : La béatitude de l’âme (Vrin 2001).


6. GASTON BACHELARD : (1884-1962) : Il commença modestement sa carrière
comme agent des PTT, tout en poursuivant des études universitaires. Licencié en maths
il enseigna au collège, en même temps entama des études de philosophie ; il obtient
l’agrégation et le doctorat en philosophie.

Son œuvre est construite autour d’une conception nouvelle de l’histoire des sciences,
progressant par crises et ruptures successives. La notion d’obstacle épistémologique
commande la double orientation de sa philosophie :

- La formation de l’esprit scientifique contre les valorisations inconscientes ;

- La réhabilitation dans l’ordre de l’imaginaire des expériences condamnées sur le


plan de la rationalité.

Quelques œuvres : Le nouvel esprit scientifique (PUF 1934), La formation de


l’esprit scientifique (Vrin 1938), La philosophie du non (PUF1940).

7. HENRI BERGSON (1859-1941) : Né à Paris il est le fils d’un musicien juif polonais
naturalisé français. Agrégé en philosophie il enseigna pendant longtemps dans les lycées
d’Angers puis à Louis- le Grand et enfin au Collège de France.

Sa philosophie s’attache à montrer que le contact avec la réalité n’a rien d’utopique. A
une époque où le scientisme exerce sa tyrannie sur les esprits, il propose de restaurer la
métaphysique dans sa vocation à atteindre l’absolu et à nous transporter par l’intuition
au cœur même du réel.

Quelques œuvres : Essai sur une nouvelle théorie de la vision (GF Flammarion 1998),
Traité des principes de la connaissance humaine (GF Flammarion 1998).

8. CLAUDE BERNARD (1813-1878) : IL fut aide-pharmacien avant d’étudier la


médecine, il devient médecin illustre physiologiste français, fondateur et théoricien de
la médecine expérimentale. Sa réflexion sur la méthode expérimentale constitue un
tournant décisif pour l’histoire des sciences et l’épistémologie.

Quelques œuvres : Autodidacte en philosophie son écrit le plus célèbre, c’est :


l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (GF Flammarion 1984).

9. AUGUSTE COMTE (1798-1857) : Fondateur du positivisme, système posant les bases


d’une réorganisation mentale générale qui achèverait les conquêtes de l’esprit positif
propre à l’âge industriel. Ce système est nommé par Comte la philosophie positive qui
ne cherche de certitude que dans les acquis des sciences et leur méthode bien comprise.

Quelques œuvres : les 6 volumes du Cours de philosophie positive.

10. RENE DESCARTES (1596-1650) : Si comme le dit HEGEL, DESCARTES est le


héros de la philosophie moderne, c’est parce que, en faisant table rase du passé et

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rompant avec la tradition, il s’est trouvé dans une solitude totale et a eu cette
extraordinaire ambition de tout reprendre par lui-même.

Sa pensée prend son origine dans la reconnaissance de l’autonomie d’un sujet qui
revendique la seule autorité de la raison en matière de connaissance. Avec
DESCARTES, symbole de l’esprit rationaliste, s’amorce le déclin des dogmatismes et
s’affirme la toute-puissance d’une raison consciente de sa capacité de rendre l’homme
maitre et possesseur de la nature.

Quelques œuvres : Règles pour la direction de l’esprit (Vrin 1970), Le discours de la


méthode (GF Flammarion 1966).

11. SOULEYMANE BACHIR DIAGNE : Philosophe Sénégalais né le 8 novembre 1955 à


Saint- Louis, professeur de philosophie à l’Université Columbia spécialiste de l’histoire
des sciences et de la philosophie islamique.

Sa pensée se développe autour de l’histoire des maths et de la logique, de


l’épistémologie ainsi que des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde
islamique.

Quelques œuvres : Logique pour philosophes (Neas 1991), Léopold Sédar Senghor l’art
africain comme philosophie, Comment philosopher en islam (2008), le Fagot de ma
mémoire (2021).

12. SIGMUND FREUD (1856-1939) : Médecin psychiatre autrichien fondateur de la


psychanalyse : méthode de traitement purement psychique des maladies mentales. Il a
donné à la notion d’inconscient le statut d’une hypothèse scientifique.

Quelques œuvres : L’interprétation des rêves(1899), Psychopathologie de la vie


quotidienne (1901), Malaise dans la civilisation(1929).

13. JOSTEIN GAARDER : né en 1952 à Oslo écrivain et philosophe norvégien, il est


professeur de philosophie et d’histoire des idées, il a publié un manuel à succès pour les
élèves de terminales : Le monde de Sophie traduit dans plusieurs langues.

14. GEORG WILHELM FRIEDRICH HEGEL (1770-1831) : Philosophe Allemand,


auteur du plus grand système philosophique qui prétendait concilier et fonder en raison
toutes les doctrines et toutes les formes de la culture.

Quelques œuvres : Phénoménologie de l’esprit (1807), Propédeutique philosophique


(œuvre posthume), Principes de la philosophie du droit (1821).

15. THOMAS HOBBES (1588-1679) : Contesté de son vivant, il a été ignoré et méconnu
pendant trois siècles. Trop longtemps il a été considéré comme le théoricien de la
dictature, précurseur du totalitarisme. Ce n’est qu’à notre époque qu’une lecture plus

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attentive de son œuvre s’est efforcée de le réhabiliter, reconnaissant en lui un des
premiers grands penseurs après Machiavel de la réalité politique.

Quelques œuvres : Le Léviathan(1651), Du citoyen (1996 Livre de poche), Les éléments


du droit naturel et politique(1640).

16. EDMUND HUSSERL (1859-1938) : Fondateur de la phénoménologie, mouvement


philosophique qui entreprend d’instaurer la philosophie comme science rigoureuse par
un retour aux phénomènes, c’est-à-dire aux choses mêmes.

Quelques œuvres : Recherches logiques (1901), Les méditations cartésiennes(1929).

17. PAULIN HOUNTONDJI : Né le 11 Avril 1942 le philosophe béninois récuse


fermement l’attitude qui consiste à appeler philosophie la vision du monde collective et
hypothétique d’un peuple donné.

Il publie en 1976 : Sur la philosophie africaine.

18. Emmanuel KANT (1727-1804) : Il a opéré un bouleversement total dans l’appréhension


des problèmes philosophiques, sa conception de la philosophie comme réflexion
critique sur les fondements du savoir inaugure une ère nouvelle pour la philosophie.

Quelques œuvres : Critique de la raison pure (1781), Critique de la raison pratique


(1788).

19. CLAUDE LEVI-STRAUSS (1908-2009) : Ethnologue et philosophe français fondateur


de l’anthropologie structurale, il formule les principes du structuralisme tels qu’il les
emprunte à la linguistique de Saussure et à la phonologie de Jakobson pour les adapter
à l’anthropologie : prendre pour objet d’étude non plus les phénomènes conscients, mais
leurs infrastructures inconscientes.

Quelques œuvres : Les structures élémentaires de la parenté (1949), Le totémisme


aujourd’hui (1962).

20. NICOLAS MACHIAVEL (1469-1527) : Ce philosophe Italien est considéré comme le


père de la philosophie politique moderne, il refuse de fonder la politique sur une morale
naturelle ou un ordre religieux transcendant. En ce sens il est le premier à laïciser la
politique, il ouvre une route nouvelle en substituant au modèle idéal de ce qui doit être
à ce qui est, en révélant comment nous sommes réellement gouvernés.

Œuvre principale : Le Prince.

21. KARL MARX (1818-1883) : Philosophe, économiste et théoricien du socialisme


allemand, il met la philosophie au service de l’histoire sa pensée exerça une énorme
influence dans le champ de la connaissance. La philosophie doit constituer la science de
la transformation des rapports sociaux qui permettra de rendre la liberté effective.

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Quelques œuvres : L’idéologie Allemande, Manifeste du parti communiste, Le Capital.

22. MONTESQUIEU (1689-1755) : Premier théoricien moderne des formes de


gouvernement fondateur de la théorie constitutionnelle, il a décrit la rationalité des lois,
montré qu’elles ne sont pas le fruit du hasard, mais de facteurs naturels et humains.

De l’esprit des lois (1748) constitue son œuvre majeur.

23. FRIEDRICH WILHELM NIETZSCHE (1844-1900) : Sa philosophie s’est constituée


à partir de cette unique ambition : soutenir la cause de la vie sous toutes ses formes, son
œuvre se veut provocante, scandaleuse, intempestive : en refusant tout système et tout
dogme, il entend assumer jusqu’au bout la liberté totale.

Le Gai Savoir (1882), Ainsi parlait Zarathoustra(1885).

24. BLAISE PASCAL (1623-1662) : Sa philosophie a pu avec une acuité exceptionnelle


rendre compte du tragique de la condition humaine, marquée par la finitude et par la
mort, de la solitude de l’homme dans un univers d’où toute présence de Dieu est exclue
par le rationalisme scientifique. Seule la foi peut sauver l’homme de l’absurde et du
désespoir.

Œuvre principale : les Pensées

25. PLATON (427-347av.J.C.) : Il est le premier des grands philosophes et c’est par lui que
nous connaissons Socrate dont il fut le disciple. Dans ses dialogues de jeunesse Socrate
joue un rôle de questionneur ironique, d’éveilleur habile à déjouer le faux savoir des
sophistes et à accoucher les esprits du vrai qu’ils ont en eux sans le savoir.

Quelques dialogues : Le Banquet, Menon, Apologie de Socrate, La République.

26. KARL POPPER (1902-1994) : Son œuvre bouleverse tous les grands principes de
l’épistémologie classique et propose une nouvelle méthode scientifique et une nouvelle
théorie de la connaissance. Il propose à l’épistémologie contemporaine des principes
tels que la falsifiabilité, le faillibilisme. Il montre le caractère conjectural de la
connaissance scientifique qui procède par approximation sans fin.

Quelques œuvres : La logique de la découverte scientifique, Conjectures et Réfutations,


La quête inachevée.

27. JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712-1778) : Partant du constat de la corruption


profonde de l’homme dans la société de son temps, il propose de démontrer qu’elle n’est
pas liée à la nature mais à une mauvaise socialisation. Pour retrouver la véritable nature
de l’homme, il faut par une fiction méthodologique, imaginer un état de nature, à savoir
déterminer un repère fixe et originel à partir duquel on puisse retracer la généalogie
complexe d’une dépravation corrélative aux progrès de la sociabilité.

Quelques œuvres : Le Contrat social, les Confessions.


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28. JEAN PAUL SARTRE (1905-1980) : Philosophe, écrivain dramaturge ; il est le chef
de file des courants phénoménologiques et existentialistes français.L’homme a une
infinie, une liberté qui cherche son chemin dans l’opacité. Sa philosophie de
l’engagement l’a conduit tout au long de sa vie, à jouer un rôle de premier plan dans les
grands débats politiques, philosophiques, et littéraires de son époque.

Quelques œuvres : L’existentialisme est un humanisme, Critique de la raison


dialectique, l’Etre et Néant.

29. SOCRATE (v.469-399av.J.C.) : Sa personnalité domine toute la tradition


philosophique occidentale ou il assume à la fois le rôle de héros fondateur de la
philosophie et de la figure exemplaire du philosophe. C’est pourquoi il appartient
indissociablement à l’histoire et au mythe.

N’ayant rien écrit, il n’est connu qu’indirectement à travers Platon.

30. MARCIEN TOWA : Philosophe Camerounais il fait une critique sans complaisance de
l’ethnophilosophie, il montre que la philosophie africaine, si elle existe devrait se
conformer à la philosophie au sens strict du terme.

Quelques œuvres : Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle.

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