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« La première expérience ou, pour parler plus exactement, l'observation première est toujours un
premier obstacle pour la culture scientifique. En effet, cette observation première se présente avec un
luxe d'images ; elle est pittoresque, concrète, naturelle, facile. Il n'y a qu'à la décrire et à s'émerveiller.
On croit alors la comprendre. Nous commencerons notre enquête en caractérisant cet obstacle et en
montrant qu'il y a rupture et non pas continuité entre l'observation et l'expérimentation. (…) Le réel
n’est jamais ‘ce qu’on pourrait croire’, mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. »
Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique (1938).
« En fait, l'objectivité scientifique n'est possible que si on a d'abord rompu avec l'objet immédiat, si on
a refusé la séduction du premier choix, si l'on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la
première observation. Toute objectivité, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l'objet. Elle
doit d'abord tout critiquer : la sensation, le sens commun, la pratique même la plus constante,
l'étymologie, enfin, car le verbe, qui est fait pour chanter et séduire, rencontre rarement la pensée. Loin
de s'émerveiller, la pensée objective doit ironiser. Sans cette vigilance malveillante, nous ne prendrons
jamais une attitude objective. »
Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu (1949).
« Je dis que je me sens nécessairement amené, sitôt que je conçois une matière ou substance
corporelle, à la concevoir tout à la fois comme limitée et douée de telle ou telle figure, grande ou petite
par rapport à d’autres, occupant tel ou tel lieu à tel moment, en mouvement ou immobile, en contact
ou non avec un autre corps, simple ou composée et, par aucun effort d’imagination, je ne puis la
séparer de ces conditions ; mais qu’elle doive être blanche ou rouge, amère ou douce, sonore ou
sourde, d’odeur agréable ou désagréable, je ne vois rien qui contraigne mon esprit de l’appréhender
nécessairement accompagnée de ces conditions ; et, peut-être, n’était le secours des sens, le
raisonnement ni l’imagination ne les découvriraient jamais. Je pense donc que ces saveurs, odeurs,
couleurs, etc. eu égard au sujet dans lequel elles nous paraissent résider, ne sont que de purs noms et
n’ont leur siège que dans le corps sensitif, de sorte qu’une fois le vivant supprimé, toutes ces qualités
sont détruites et annihilées ; mais comme nous leur avons donné des noms particuliers et différents de
ceux des qualités (accidenti) réelles et premières, nous voudrions croire qu’elles en sont vraiment et
réellement distinctes. »
Galilée, L’Essayeur (1623).
« Ce que dans la vie préscientifique nous éprouvons sur les choses comme couleurs, sons, chaleurs,
poids, et causalement comme rayonnement de chaleur d’un corps qui rends chauds les corps
environnants, et autres choses semblables, cela renvoie naturellement au point de vue « physicaliste »
à des vibrations sonores, des ondes calorifiques, bref de purs processus du monde des formes. Cette
Indication universelle est traitée aujourd’hui comme une évidence non questionnée. Mais si nous
revenons à Galilée, il n’était pas possible que pour lui, en tant que créateur de la conception qui a
rendu d’abord une physique possible, fût déjà évident ce qui ne devait le devenir que grâce à son
œuvre. (…) Si nous nous en tenons maintenant uniquement à la motivation galiléenne, (…) nous
devons nous rendre claire l’étrangeté de sa pensée fondamentale dans la situation de l’époque. (…)
Celle-ci consiste en ce que tout ce qui s’annonce comme réel dans les qualités sensibles spécifiques
devait avoir son Index mathématique dans les processus de la sphère de la forme, sphère évidemment
toujours idéalisée d’avance, et qu’à partir de là une mathématisation indirecte devait être possible (…).
Ce qui a été gagné est alors une idée générale, ou plutôt une hypothèse générale : à savoir l’hypothèse
qu’une inductivité universelle règne dans le monde de l’intuition, qu’elle s’annonce dans ces
expériences quotidiennes, mais qu’elle demeure cachée dans son infinité ».
Edmund Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, (1936).
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« Je crois en outre déceler chez Sarsi la ferme conviction qu‘en philosophie il est nécessaire de
s’appuyer sur l'opinion d'un auteur célèbre et que notre pensée, si elle n'épouse pas le discours d'un
autre, doit rester inféconde et stérile. Peut-être croit-il que la philosophie est l'œuvre de la fantaisie
d'un homme, comme l’Iliade et le Roland furieux, où la vérité de ce qui y est écrit est la chose la
moins importante.
La philosophie (i.e. la physique) est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant
nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique pas d’abord à en
comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue
mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le
moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. »
Galilée, L’Essayeur (1623).
« Moi, j’ai un petit livre bien plus court que ceux d’Aristote ou d’Ovide, dans lequel sont contenues
toutes les sciences et chacun peut, avec très peu d’étude, s’en former une idée tout à fait parfaite : c’est
l’alphabet ; il n’y aura pas de doute que celui qui sera capable assembler de manière ordonnée les
voyelles et les consonnes y puisera les réponses les plus vraies à toutes les questions, et en tirera les
enseignements de toutes les sciences et de tous les arts ; c’est exactement ainsi qu’un peintre, avec les
différentes couleurs simples, placées les unes à côté des autres sur sa palette, sait, mêlant un peu de
l’une avec un peu de l’autre et encore un peu d’une troisième, figurer des hommes, des plantes, des
édifices, des oiseaux, des poissons, en un mot imiter tous les objets visibles ; et pourtant, sur sa palette,
il n’y a pas d’yeux, de plumes, d’écailles, de feuilles ou de pierres. »
(…) Dans la compréhension d'une proposition, je dis que l'intellect humain en comprend parfaitement
certaines et en a une connaissance aussi absolue que la nature elle-même peut en avoir ; c'est le cas des
sciences mathématiques pures, c'est-à-dire de la géométrie et de l'arithmétique [...] la connaissance
qu'a l'intellect humain du petit nombre de celles qu'il comprend parvient à égaler en certitude objective
la connaissance divine, puisqu'elle arrive à en comprendre la nécessité et qu'au- dessus de cela il n'y a
rien de plus assuré. Pour mieux m'expliquer, je dirai que la vérité que nous font connaître les
démonstrations mathématiques est celle-là même que connaît la sagesse divine. »
Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632).
« La physique expérimentale roule sur deux points qu’il ne faut pas confondre, l’expérience
proprement dite, et l’observation. Celle-ci, moins recherchée et moins subtile, se borne aux faits
qu’elle a sous les yeux, à bien voir et à détailler les phénomènes de toute espèce que le spectacle de la
Nature présente : celle-là au contraire cherche à la pénétrer plus profondément, à lui dérober ce
qu’elle cache ; à créer, en quelque manière, par la différente combinaison des corps, de nouveaux
phénomènes pour les étudier : enfin elle ne se borne pas à écouter la Nature, mais elle l’interroge et la
presse. On pourrait appeler la première, la physique des faits, ou plutôt la physique vulgaire et
palpable ; et réserver pour l’autre le nom de physique occulte, pourvu qu’on attache à ce mot une idée
plus philosophique et plus vraie que n’ont fait certains physiciens modernes, et qu’on le borne à
désigner la connaissance des faits cachés dont on s’assure en les voyant, et non le roman des faits
supposés qu’on devine bien ou mal, sans les chercher ni les voir. »
D’Alembert, Article « Expérimental » de l’Encyclopédie (1751)

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