Vous êtes sur la page 1sur 82

Comptes rendus

Dans Le Moyen Age 2001/3 (Tome CVII), pages 569 à 649


Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0027-2841
ISBN 2-8041-3657-4
DOI 10.3917/rma.073.0569
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-le-moyen-age-2001-3-page-569.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Comptes rendus

Corinne PIERREVILLE, Gautier d’Arras. L’autre chrétien, Paris, Champion, 2001 ; 1 vol.
in-8°, 380 p., ann., bibl., index (Nouvelles Bibliothèque du Moyen Âge, 55).
De la thèse qui a été soutenue le 4 avril 1997 devant l’Université Jean-Moulin (Lyon
3) sous le titre La rivalité littéraire entre Chrétien de Troyes et Gautier d’Arras (660 p.),
C. Pierreville a tiré, sous un nouveau titre, Gautier d’Arras. L’autre chrétien, un ouvrage
de 380 pages, dense, soigné et riche, qui représente un travail considérable et de
vastes lectures, et qui a éliminé tout ce qui était inutile, désuet ou ressortissant à un
rationalisme étroit, tout en restant de facture classique. En filigrane, on devine que
l’A. a tenu compte des apports les plus récents sur l’intertextualité, le réalisme…, ainsi
que des distinctions les plus opératoires que la critique a peu à peu élaborées. Le
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


changement de titre indique que la thèse a été recentrée sur l’écrivain arrageois, dont
l’œuvre a été étudiée en cinq chapitres : 1) L’intertextualité (p. 19-63) ; 2) Une
conception originale du temps, de l’espace et de la structure narrative (p. 65-138) ;
3) Un idéal chevaleresque entre tradition et modernité (p. 139-188) ; 4) De la fin’amor
à l’amour courtois conjugal (p. 189-241) ; 5) L’esthétique romanesque de Gautier
(p. 243-283) – à quoi s’ajoutent une conclusion exemplaire dans sa concision, situant,
l’un par rapport à l’autre, Chrétien de Troyes et Gautier d’Arras « dont la pensée
originale fut injustement étouffée par la célébrité de Chrétien de Troyes » (p. 289) et
quinze fort utiles annexes portant, le plus souvent, sur une comparaison entre les
deux romanciers.
Très vite, dans ce très beau travail, se décèle l’influence bénéfique de son directeur,
Cl. Lachet, et du modèle qu’a été sa thèse d’État1 dont les qualités se retrouvent dans
le livre de C.P. : rigueur et honnêteté intellectuelle ; soin apporté à tous les aspects
d’un travail qui vise à être exhaustif ; recours à l’analyse littéraire, à la lexicologie, à
la symbolique, à l’histoire… ; dépouillement minutieux d’un gros corpus ; prudence
dans les jugements ; goût des relevés complets et des tableaux ; netteté de l’écriture
sans jargon ni faux brillant ; souci de ménager les transitions et de rassembler les
résultats de l’enquête en des conclusions partielles, puis générales ; enfin, volonté de
restituer son importance à l’œuvre encore méconnue de Gautier d’Arras (bien que

1. Sone de Nansay et le roman d’aventures en vers au XIIIe siècle, Paris, 1992.


570 COMPTES RENDUS

L. Renzi lui ait consacré un livre pionnier en 1964, Tradizione cortese e realismo in
Gautier d’Arras) sans toutefois diminuer le génie de Chrétien de Troyes. Le seul texte
qui pourrait pâtir de cette judicieuse comparaison des deux grands romanciers est
sans doute Guillaume d’Angleterre qu’on peut hésiter, après C.P., à attribuer à Chrétien
de Troyes. Pourtant, cette œuvre d’un débutant mérite mieux que des jugements un
peu hâtifs qui en font un repoussoir : toutes les défaillances qu’on relève ne
s’expliquent-elles pas par le fait que ce roman est un conte hagiographique qui subit
les contraintes du genre et la première œuvre d’un auteur qui fait son apprentissage ?
Quoi qu’il en soit, on ne peut que suivre C.P. dans sa réhabilitation de Gautier
d’Arras. Elle sert bien un écrivain qu’elle aime et admire. Elle est même la première
à traiter de problèmes négligés par la critique, tels que la structure temporelle d’Éracle
et d’Ille et Galeron (p. 65-84), « triomphe du temps divin sur le temps humain ». Elle
montre avec finesse qu’aux romans problématiques et ouverts de Chrétien qui cultive
les vertus et les séductions du clair-obscur, de l’ellipse et de la demi-teinte s’opposent
les romans plus didactiques, plus explicites, plus austères, plus sobres et plus
généreux de Gautier qui présente une vision plus religieuse du monde et de l’histoire,
sans renoncer à faire œuvre d’art. Gautier ne fut-il pas « didactique par générosité » ?
De là des pages et des développements sur des points essentiels : habilité de Gautier
à utiliser le procédé de l’entrelacement en variant les procédés stylistique ;
inexistence de la forêt et rejet du merveilleux celtique ; refus de multiplier duels et
tournois, remplacés par des engagements guerriers dont l’action est centrée sur le
héros ; vision critique des rois dont le rôle est de conduire la guerre dans le cadre
d’une monarchie héréditaire ; absence de la coutume et conception augustinienne de
la royauté ; importance du mérite personnel ; dévalorisation de la vie curiale ;
exaltation de la petite noblesse, de la générosité et de l’humilité ; glorification des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


petits et idéal évangélique ; présence des gens du commun et des bourgeois ; place
privilégiée des personnages féminins ; refus de l’extase amoureuse et de l’adultère,
mais acceptation de certaines formes de divorce et de remariage ; recherche de
métaphores originales, filées, à mettre en rapport avec les recommandations des arts
poétiques ; sobriété des portraits ; utilisation personnelle des proverbes…
Peut-être eût-il fallu indiquer plus nettement qu’il est, pour une large part, le
promoteur de l’autre tradition romanesque, loin d’Arthur, et qu’il a mis en place des
motifs qui caractériseront ce courant qu’il vaut mieux ne pas appeler réaliste :
importance de Rome et du mariage consacré par l’Église ; merveilleux
technologique ; rôle actif de la femme dans le couple ; travail manuel de nobles
personnages ; promotion sociale de la petite noblesse et des héros pauvres ; choix de
la vraisemblance et moralisation de la vie ; présence du peuple ; envers du décor des
tournois ; image favorable du sénéchal…
D’un autre côté, C.P. a réuni un imposant dossier sur ce qui constituait le cœur de
sa thèse de 1997 et qui demeure constamment à l’arrière-plan du livre, la rivalité de
Chrétien et de Gautier, à partir de leurs pratiques littéraires, des thèmes et des motifs,
de certains échos entre des vers et des mots, comme entre les v. 2844-2846 d’Éracle et
les v. 7938-7945 du Conte du graal. Prudente, elle évite de trancher brutalement,
d’affirmer nettement lequel a précédé l’autre, et elle a raison, car c’est un problème
très difficile, comme c’est souvent le cas quand se crée un genre. Sans doute faut-il
penser à une influence réciproque de deux auteurs qui ont pu s’imiter mutuellement
et dont l’un, plus aristocratique, a mis au centre de son dernier roman le graal, qui
COMPTES RENDUS 571

parle au cœur et à l’imagination, et dont l’autre, plus populaire, a choisi la croix, qui
relève davantage de la raison. Il semble cependant que C.P. accorde un petit plus à
Gautier.
Sans doute, si la place ne lui avait pas été comptée, aurait-elle poussé la réflexion
plus loin sur quelques points, comme sur le personnage du sénéchal : Chrétien
n’aurait-il pas pris le contrepied d’une tradition bien établie du bon sénéchal que suit
Gautier et qui perdure dans les romans de Philippe de Rémy ? Quelle est la fonction
de Keu, image archaïque de la chevalerie qui empêche la courtoisie de s’amollir,
nécessaire à la cour arthurienne, prolongeant un type ancien dont l’ambiguïté est
l’essence même, utile et nuisible, indispensable et malfaisant, aimé et haï, accepté et
rejeté ? Il eût fallu rappeler des réflexions de M.L. Chênerie, de D. Boutet et de
J. Grisward. Ne fallait-il pas s’interroger davantage sur les formes que prend
l’émulation (reprises, surenchères, inversions…) et sur la bipartition ou la
bipolarisation à l’œuvre dans une bonne partie de la littérature contemporaine,
comme le Conte du graal, les branches du Roman de Renart, le Jeu de saint Nicolas… ?
Ces dernières remarques ne sauraient masquer que nous avons affaire à un
ouvrage très important qu’on lit avec plaisir, intérêt et profit, sans jamais s’ennuyer,
et qui, en conservant un heureux équilibre entre une abondante documentation et un
regard personnel, fort des derniers apports de la critique, rend à Gautier d’Arras la
place de premier plan qu’il mérite aux origines du roman français. À coup sûr, il ne
s’agit pas d’un auteur mineur : C.P. nous en a définitivement persuadés.
Jean DUFOURNET

Elizabeth A. ANDERSEN, The Voices of Mechthild of Magdeburg, Oxford-Berne-


© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Berlin-Bruxelles-Francfort-New York-Vienne, Lang, 2000 ; 1 vol. in-8°, 255 p.
ISBN : 3-906765-60-1. Prix : BEF 1 560.
Le titre exprime d’emblée la complexité de l’auteur que E.A.A. se propose de
présenter puisqu’il s’agit d’entendre les voix de Mechthild de Magdebourg (ca 1207-
ca 1282), et ce essentiellement à travers son œuvre, Das Fließende Licht der Gottheit [La
lumière ruisselante de la Déité]. Quatre chapitres nous guident dans cette exploration.
Le premier est une introduction générale qui replace Mechthild de Magdebourg dans
son contexte social, culturel et historique. C’est l’occasion d’évoquer le paysage
religieux dans lequel elle évoluait et le mouvement des béguines. Le deuxième
chapitre présente Mechthild de Magdebourg comme l’auteur d’un livre dont l’unité
n’est pas évidente au premier abord, puisqu’il se compose de notes accompagnées de
poèmes et de proses rythmées, et dans lequel Mechthild de Magdebourg insiste
souvent sur la source divine de ses écrits, effacement et modestie qui relèvent de la
tradition, mais aussi sur le fait que tout ce qu’elle dit se fonde sur sa propre expérience.
Un troisième chapitre est consacré aux influences exercées par les textes qui entraient
dans l’éducation des femmes religieuses aux XIIe et XIIIe siècles, surtout les Psaumes
et le Cantique des cantiques. Des premiers, Mechthild de Magdebourg reprend un
fond prophétique qui enseigne, admoneste et encourage et, du second, une
inspiration mystico-extatique. Elle apparaît ainsi à la fois comme mystique et
prophète et E.A.A réussit à la sortir du cliché dépréciatif de la Nonnenmystik puisque,
à côté de la mystique de l’amour, se dégage une métaphysique selon laquelle Dieu est
572 COMPTES RENDUS

Être et qu’il faut devenir cet Être, identification qui mit Mechthild de Magdebourg en
péril et explique que, à la fin de sa vie, elle se soit réfugiée dans un couvent cistercien
à Helfta afin de se mettre à l’abri des calomnies et des persécutions. N’oublions pas,
en effet, que des femmes, comme Marguerite Porete († 1310), connurent le supplice
du feu pour leurs propos et leurs écrits. Un quatrième chapitre, enfin, analyse la
représentation complexe du temps dans une sélection représentative des récits de
visions offerts dans le FLdG, d’où il ressort que le salut s’inscrit dans un temps linéaire
et l’éternité dans un temps circulaire. Ainsi, E.A.A nous remet en mémoire
l’importance de la spiritualité féminine au Moyen Âge et particulièrement de cette
femme dont les textes rédigés en langue vernaculaire transmirent des pensées qui,
jusque-là, étaient l’apanage des clercs et qui participèrent donc à une laïcisation, ce
qui leur valut la menace d’être mis au feu. Elle met en lumière une religieuse qui
représente le deuxième sommet de la théologie charismatique au Moyen Âge après
Hildegarde de Bingen.
Florence BAYARD

An SMETS, Le Liber accipitrum de Grimaldus : un traité d’autourserie du haut Moyen


Âge, Nogent-le-Roi, Jacques Laget-Librairie des Arts et Métiers Éditions, 1999 ;
1 vol. in-8°, 187 p. (Bibliotheca Cynegetica, 2). Prix : FRF 350.
Issu d’un travail universitaire, l’ouvrage qu’An Smets consacre au Liber accipitrum
de Grimaldus apporte un éclairage inédit sur la littérature que l’art cynégétique
suscite au cours du haut Moyen Âge. Le traité de Grimaldus, conservé dans un
manuscrit unique (ms. 184 de la Médiathèque Fr. Mitterand de Poitiers), est un texte
très court : quatre folios seulement compilant des remèdes destinés à soigner les
oiseaux de chasse et notamment les autours, mais n’ayant guère retenu jusqu’ici
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


l’attention des historiens en dépit de la richesse de leur contenu médical.
En huit chapitres articulés autour de l’édition et de la traduction en français
moderne de ce texte et agrémentés de huit reproductions dont une en couleur, A.S.
offre ici un remarquable travail d’investigations.
Après un premier chapitre consacré à l’introduction de la chasse au vol dans
l’Occident médiéval et à la tradition cynégétique dont il faut bien admettre qu’il
n’apporte rien aux études précédentes et en particulier aux travaux de B. Van den
Abeele, le second chapitre poursuit l’examen approfondi du manuscrit dans lequel
s’insère le traité de Grimaldus. Analyses du support, de la composition, de l’écriture
permettent de conclure au caractère assez homogène du codex : il s’agirait ainsi d’un
ensemble de textes d'ordre médical réunis à dessein, s’inscrivant dans la tradition
« de manuscrits médicaux latins du haut Moyen Âge, dont les origines se situent à
Ravenne, aux Ve et VIe siècles » (p. 34).
Avec tout autant de minutie et de prudence, A.S. passe en revue un certain nombre
des questions posées par cette œuvre : sa datation, même s’il est admis qu’elle date
du XIe siècle, son contenu pourrait être bien plus ancien ; l’identité de son auteur
baiulus et comes sacri palatii à la cour d’un roi Charles, identifié avec réserve à Grimald
abbé de Saint-Gall entre 841 et 872 ; son contenu exclusivement thérapeutique et ses
origines. Il ressort alors qu’il s’agit là de la « copie d’un manuscrit antérieur perdu, qui
à son tour est une compilation de deux traités antérieurs perdus » (p. 51).
COMPTES RENDUS 573

La partie la plus novatrice de ce travail est sans conteste celle consacrée à l’analyse
de la riche et variée materia medica éclairant un aspect peu connu : celui des soins
vétérinaires mis en œuvre dans la volerie des premiers siècles médiévaux. Sont ainsi
identifiées, classées, commentées les 95 substances différentes, mélanges de produits
locaux et exotiques, domestiques ou sauvages, bien connus ou plutôt rares, utilisées
pour les soins aux autours. Qu’ils soient d’origine végétale, animale ou minérale, les
ingrédients cités par Grimaldus figuraient pour une bonne part dans la médecine
antique, notamment chez Pline ainsi que dans la médecine humaine présalernitaine.
Tout aussi inédite et importante l’étude des dénominations des maladies
(chapitre 5). Une vingtaine sont évoquées dans le traité dont le niveau de précision se
révèle, à cet égard, tout à fait exceptionnel puisque énonçant à la fois les symptômes
et le nom de la maladie. Avec l’A., on regrettera cependant que l’analyse ne puisse être
plus concluante et définitive par manque d’ouvrages de références et d’études
similaires. L’analyse des indications de mesure – de poids et de capacité – (chapitre 6)
et de la langue (chapitre 7) tout comme le glossaire quasi exhaustif des mots de
Grimaldus constituent les autres points forts de cette recherche.
L’ouvrage d’A.S., à l’écriture parfois heurtée, apporte assurément une pierre
nouvelle à la connaissance de l’art vétérinaire appliqué aux oiseaux de chasse. Sa
démonstration est claire et convaincante : l’importance du traité de Grimaldus est
évidente, témoignage essentiel d’une tradition littéraire cynégétique existant dès le
haut Moyen Âge. La prudence dont ne se départ pas l’A. doit être constructive et les
questions laissées en suspens inciter d’autres chercheurs à poursuivre.
Corinne BECK

Denise BONAN, Genèse de la pensée en Occident, Paris, Maisonneuve et Larose,


© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


1999 ; 1 vol., 439 p. ISBN : 2-7068-1344-X. Prix : FRF 160.
Un titre dans le vent1 pour une enquête sur l’antijudaïsme tant au Moyen-Orient
qu’en Occident… l’ouvrage de D. Bonan risque de décevoir plus d’un lecteur.
Pourtant, en traquant les politiques de répression intellectuelle qui frappent le peuple
juif de la Grèce ancienne à l’Empire romain, de l’Empire byzantin au Royaume
abasside et à l’Occident latin l’A. a le bonheur d’ouvrir quelques nouvelles pistes de
compréhension. Elle décloisonne également notre façon de lire l’histoire, trouvant
chez un Alexandre, un Théodose, un Justinien, un Charlemagne, un Frédéric II ou un
Saint Louis le même souci de l’uniformitas, moteur de l’antijudaïsme. La pensée
médiévale se trouve ainsi éclairée par la volonté d’Alexandre d’assurer l’intégration
des populations en recourant à la philosophie, d’une philosophie dont la pensée juive
sera considérée comme concurrente. Cette même intrication de la philosophie à des
motifs politiques se manifeste à l’époque romaine avec Philon d’Alexandrie. Issu
d’une famille très engagée au service de Rome, il se serait vu confier par l’État la
charge de l’élaboration d’un système qui introduit dans l’histoire des idées, de la
pensée, la conception d’un Dieu absolu et transcendant associé à la notion, distincte,
du logos divin. L’enjeu étant de syncrétiser au Dieu d’Israël les différents dieux qui

1. Cf. les ouvrages aujourd’hui incontournables de L. COULOUBARITSIS, Aux origines de la


pensée européenne, Bruxelles, 1992 et de R. BROXTON ONIANS, Les origines de la pensée européenne,
Paris, 1999.
574 COMPTES RENDUS

s’imposent à l’Empire. En commun avec Alexandre, donc, la volonté de limer les


différences, de raboter les excroissances formées par les pensées diverses, mais ici
sous une forme extrêmement perverse puisqu’il s’agit de partir de la pensée juive
pour la ramener à un système philosophique précis. Cette tentative conduira en
réaction à la composition du Talmud et, plus tard au commentaire des Septantes par
Saadia Gaon, le Tafsir pour faire face à celui de Philon. L’exclusion de la pensée juive
se poursuit avec Eusèbe de Césarée qui crée un nouveau système : le juif devient plus
dangereux que l’hérétique, puisqu’il est à l’origine de toutes les hérésies… Cette
même idée préside aux décisions de Justinien lorsque, pour se débarrasser de l’effet
désintégrateur de la philosophie, il ferme les Écoles d’Athènes puis, par la Novelle
146, interdit l’usage du Talmud, n’admet que la septante et punit comme hérétique
quiconque, comme les juifs, interprète les livres saints… Il s’agit encore d’imposer le
cadre de pensée unificateur de l’État. Car la pensée juive inquiète. C’est par exemple,
dans l’Occident chrétien du XIIe siècle, le cas de celle de R. Yehuda Halévi : L’Église
[…] « tentera d’abord avec Abélard d’en neutraliser les grandes idées » (p. 294). Tout
le livre de D.B. est construit sur l’opposition entre l’État et la minorité juive. Ainsi,
sous les Almohades, Averroès serait « un philosophe au service de l’État » qui
présente « un libéralisme qui n’a pour objectif que de détruire les fondements
religieux de la pensée d’Occident » dont celle des juifs… (p. 333). Au XIIIe siècle
Frédéric II, œuvrant à la perfection de l’ordre universel, épure son royaume en
séparant les juifs ainsi que les arabes, – « ennemis de l’État », « fauteurs de
confusion », « qui sèment le doute dans les devoirs et les coutumes de la foi
chrétienne » –, du reste de la population. C’est à la même époque que, selon l’A.,
l’Église organise le savoir pour assurer l’enseignement de la philosophie
conformément à la vision chrétienne et pour en réaliser des systèmes de pensée
universelle. C’est ainsi que le Saint-Siège érige et organise l’Université de Paris…
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


(p. 382). Quelques temps après, Saint Louis, proche des maîtres de l’Université, rejette
les impurs tels que les juifs ou les arabes… Mais qu’en est-il réellement ?
Abélard commandité par l’Église ? Averroès idéologue et faussement libéraliste ?
L’Université de Paris créée par le Saint-Siège ? On voit que l’ouvrage, partisan, de
D.B. n’est pas sans excès. La quatrième de couverture présente l’A. comme une
historienne et philosophe. L’historien voudrait savoir sur quelle source D.B. s’appuie
pour établir, par exemple, qu’Eusèbe de Césarée a hérité « de la bibliothèque officielle
grecque puis romaine que l’État met à sa disposition après son maître Origène […] »
(p. 139). Le philosophe s’étonnera, entre autre, d’apprendre que Cicéron est sans
nuance « hostile à la philosophie et à tous ses courants de pensée » (p. 79). Et le
théologien, souvent convoqué, se hérissera de lire, par exemple, que la pratique de
l’allégorie était « très chère à Augustin » (p. 314), auteur tout de même d’un De Genesi
ad litteram et pour le moins méfiant envers la liberté d’interprétation…
Outre ces excès, la facture même du livre laisse à désirer. L’omniprésence des
longues citations fait de l’ouvrage une étude appartenant à un genre mal défini, entre
l’essai – inaccompli – et l’anthologie – trop commentée. Le courage de l’A. qui
entreprend de traduire des textes inédits en français est pondéré par son obstination
à traduire des passages du Tractatus de unitate intellectus contra Averroistas de Thomas
d’Aquin (Rome, 1953) plutôt que de recourir à l’édition accompagnée de la traduction
française due à A. de Libera (Paris, 1994). Peut-être l’excuse est-elle que le passage en
question, traduit à la p. 346, semble emprunté au chapitre 7 d’un ouvrage qui, dans
les éditions dont nous disposons, n’en compte que 5…
COMPTES RENDUS 575

L’usage qu’elle fait des commentateurs laisse parfois le lecteur circonspect. Où


E. Boutroux a-t-il pu affirmer que Socrate fut « […] accusé d’avoir abjuré la religion
de l’État, introduit des diversités [sic] nouvelles, et exercé sur la jeunesse la plus
permicieuse influence » (n. 26, p. 24) ?
Quant à l’orthographe des noms propres, elle mériterait d’être au moins
normalisée. Faut-il préférer Ibn Rushed (p. 13) ou Ibn Rushd (p. 307) ; Rabbi Solomon
Ibn Guevirol ou R. Salomon ibn Gabirol ; Boès (p. 192) ou Boèce (p. 308) ; Sa’adia
Gaon (p. 222) ou Saadia Gaon (p. 222) ; Ibn Tufayl (p. 337) ou Ibn Tuffayyl (p. 337) ;
l’auteur du mouvement théologique au XIIe siècle, Bruxelles-Paris, 1948, s’appelle-t-il I.
De Ghellinik (p. 299), J. De Ghellinck (p. 325), est-il le même que le J. De Ghellinik
auteur de L’essor de la littérature latine au XIIe siècle, Paris, 1954 (p. 310) ?
Un livre de 439 pages peut rester un livre léger. Un peu de soin et de maturation
en auraient fait un grand livre.
François BEETS et Gaëlle JEANMART, Aspirant FNRS

Pierre BONNASSIE, Les sociétés de l’an mil, un monde entre deux âges, Bruxelles, De
Boeck Université, 2001 ; 1 vol. in-8°, 517 p. (Bibliothèque du Moyen Âge, 18). ISBN :
2-8041-3479-2. Prix : FRF 750.
Voici un grand livre, œuvre d’un grand historien. Ce recueil de dix-neuf articles,
parus – ou à paraître –, entre 1968 et fin 2001, se trouve au cœur des réflexions en cours
sur l’histoire des sociétés au temps de l’an mil. Les historiens discutent des
changements intervenus, de leurs origines, de leur chronologie, de leurs incidences.
L’ouvrage retrace l’itinéraire intellectuel d’un des grands historiens de cette période
charnière, celui sans doute qui, sans jamais dévier de ses lignes de réflexion, s’est le
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


plus consacré aux thèmes aujourd’hui débattus. Le livre expose les étapes de cette
réflexion et plusieurs des conclusions auxquelles il est parvenu. Il formule aussi une
série de propositions qui visent à dépassionner le débat et à jalonner la voie sur
laquelle la recherche devrait désormais progresser. À partir du champ d’observation
initial, la Catalogne, l’A. a élargi le cadre géographique de son enquête à la France du
Midi et à l’Espagne du Nord où l’évolution sociale et culturelle présente nombre de
traits similaires, et a pris le risque, sur quelques grands problèmes, « de proposer des
schémas d’explication à l’échelle de l’ensemble du royaume franc, voire de l’Occident
tout entier ». L’ouvrage s’ordonne selon un plan chronologique. Après une première
partie où P.B. présente, en forme d’hommage, ses réflexions sur quelques travaux de
M. Bloch, G. Duby et P. Toubert, la deuxième partie est consacrée au haut Moyen Âge,
en souligne les pesanteurs et les rémanences sociales et économiques, afin de mieux
apprécier, en termes de continuité ou de rupture, la période de l’an mil. La troisième
partie se réfère aux décennies qui entourent l’an mil, déterminantes dans l’histoire
des sociétés médiévales. La dernière partie, centrée sur le XIe siècle, est consacrée à
l’émergence des structures féodales et au concept de « mutation féodale ». L’A. a
inséré, en tête de chacune des quatre parties, quelques pages introductives destinées
à en préciser la problématique et à en dessiner le contexte. Par ailleurs, il a
accompagné chaque chapitre d’une brève mise à jour et de compléments où le lecteur
trouvera des rectifications et un état de la question fin 1999. Ces ajouts sont nettement
distingués des textes antérieurs. Les lecteurs connaissent de longue date le talent
d’exposition de P.B., l’art avec lequel il sait aller droit au concret et à l’humain, son
576 COMPTES RENDUS

souci de rester clair tout en marquant les nuances, sa volonté surtout de puiser au plus
profond des sources, sans pour autant cacher les incertitudes qu’elles laissent
subsister ni les questions auxquelles elles ne peuvent répondre. C’est dire que le
tableau auquel aboutit l’assemblage cohérent, à la fois logique et chronologique, des
textes sélectionnés, est une des plus séduisantes synthèses qu’il nous ait été donné de
lire.
Maurice BERTHE

André VAUCHEZ, Saints, prophètes et visionnaires. Le pouvoir surnaturel au Moyen


Âge, Paris, Albin Michel, 1999 ; 1 vol. in-8°, 276 p. (Bibliothèque Albin Michel
Histoire). ISBN : 2-226-10694-4. Prix : FRF 120.
Ce livre d’A. Vauchez est un recueil d’articles. Au total, quinze études remaniées,
presque toutes parues au cours des dix dernières années. « Saints, prophètes et
visionnaires », trois types de personnages qu’A.V. envisage sous une même
catégorie, celle de « surnaturel », à laquelle il accole le terme de « pouvoir ». A.V.,
historien médiéviste et directeur de l’École française de Rome, a notamment dirigé
certains tomes de l’Histoire du christianisme1 ainsi que le Dictionnaire encyclopédique du
Moyen Âge2. Grand spécialiste de la sainteté3 et de la spiritualité4 médiévales, il se
penche ici sur les marges de cette sainteté dont il avait précédemment étudié les
critères.
L’ouvrage est divisé en trois parties de tailles analogues. Le tout est encadré par
une introduction (p. 7-16) et une conclusion (p. 221-229). Il n’y a malheureusement
pas d’index (quant à la bibliographie, elle est distillée au fil des nombreuses notes, qui
sont regroupées en fin de volume, p. 231-272).
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Les cinq études de la première partie du livre portent sur « la sainteté comme
pouvoir » (p. 17-91). Présentée comme « un surnaturel efficace et accessible » dans un
premier chapitre (p. 19-38), la « sainteté » est abordée ensuite sous l’angle de ses
manifestations miraculeuses dans la seconde étude (p. 39-55). Dans le troisième
chapitre, A.V. présente un modèle figurant les deux pôles entre lesquels se
partageraient les saints à toute époque : « saints admirables », « saints imitables » (p.
56-67). À partir du XIIe siècle, l’Église institutionnelle s’efforce de favoriser les saints
imitables, car ce sont des modèles contrôlables. Le mouvement se renforce à la fin du
XIIe et au début du XIIIe siècle avec l’instauration de la procédure de canonisation des
saints par la papauté. Cette politique de contrôle de la sainteté va amener une réaction
de la part de ceux qui en sont exclus, d’où une opposition entre les saints du peuple
et ceux de l’Église. A.V. a montré dans ses travaux antérieurs5 que, du haut Moyen
Âge au bas Moyen Âge, on passait d’un modèle qui privilégie les saints admirables
à un modèle qui favorise les saints imitables. Il corrige ici ce schéma trop mécaniste :
« il n’est nullement établi que l’évolution globale de l’hagiographie, aux derniers

1. T. 4, 5 et 6, Paris, 1990-1993.
2. 2 vol., Paris, 1997.
3. Il est l’auteur d’une thèse – devenue un ouvrage de référence classique – sur La sainteté
en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, 2e éd., Rome, 1988.
4. Cf. La spiritualité de l’Occident médiéval (VIIIe-XIIIe siècle), 2e éd., Paris, 1994.
5. La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, p. 614-622.
COMPTES RENDUS 577

siècles du Moyen Âge, soit allée dans le sens d’une accentuation de l’imitabilité des
saints, qui se serait opérée aux dépens de l’admiration suscitée par leurs pouvoirs
surnaturels. » (p. 65). Dans la quatrième étude (p. 67-78), l’A. se penche sur cette
tentative de la part du pouvoir politique laïque de s’attacher la sainteté par fonction,
afin de produire une sainteté héréditaire et dynastique. Dans le dernier chapitre de
cette première partie sur la sainteté, A.V. s’intéresse au pouvoir de certaines « images
saintes » aux derniers siècles du Moyen Âge, époque au cours de laquelle les images
prennent de plus en plus le relais des reliques comme substituts des saints (p. 79-91).
Après le pouvoir surnaturel des saints, A.V. aborde, dans la deuxième partie de
son ouvrage (p. 93-148), celui des prophètes et visionnaires. Avec pour commencer
deux chapitres centrés sur l’« eschatologie » : en rapport avec la croisade pour le
premier (p. 95-105) et, pour le second, avec l’utilisation politique qui en est faite par
les prophètes et visionnaires dans les derniers siècles du Moyen Âge (p. 106-113). Cet
aspect eschatologique est aussi très présent dans le prophétisme médiéval. Le
prophète est celui qui parle au nom de Dieu, plus encore que celui qui dit l’avenir. Le
prophétisme chrétien a été très florissant à la fin de l’Antiquité tardive et, après une
éclipse quasi totale de plusieurs siècles pendant le haut Moyen Âge, a connu un
renouveau important à partir du XIIe siècle en Occident. Le plus illustre de ces
prophètes à la fin du XIIe siècle est Joachim de Flore. Moine calabrais de l’ordre
cistercien, il a développé un prophétisme exégétique et eschatologique, fondé sur la
succession de trois âges : celui du Père, celui du Fils, et celui – à venir – de l’Esprit.
Joachim aura une grande postérité, notamment au sein de l’ordre franciscain. Dans
la fresque qu’il brosse du « prophétisme médiéval d’Hildegarde de Bingen à
Savonarole » (p. 114-133), A.V. propose une distinction intéressante entre deux
formes différentes de prophétismes : le « prophétisme ecclésial », le « prophétisme
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


contestataire ». Le premier recherche la réforme de l’institution ecclésiale. C’est ce
type de visée morale que développent l’abbesse et visionnaire Hildegarde de Bingen
au XIIe siècle et, au XIVe, sainte Brigitte de Suède et sainte Catherine de Sienne, qui
menèrent un combat parallèle pour le retour des papes à Rome. À l’opposé de ce
prophétisme ecclésial, le prophétisme contestataire est plus dur et plus critique à
l’égard de l’Église institutionnelle. Ce prophétisme contestataire, qui connaîtra un
grand essor à la fin du Moyen Âge, a été incarné notamment par des personnages
comme Joachim de Flore au XIIe siècle, Pierre de Jean Olieu et Arnaud de Villeneuve
au XIIIe, Jean de Roquetaillade au XIVe, et Jean Savonarole au XVe siècle. Dans le
chapitre qui clôt la seconde partie, A.V. nous présente « un prophète contestataire au
temps des papes d’Avignon : Jean de Roquetaillade » (p. 134-148)1. Entré en 1332 chez
les franciscains, après des études à Toulouse, Jean de Roquetaillade est un visionnaire
dont les dons commencent à se manifester dès 1335. À partir de ce moment-là, il ne
cessera d’annoncer la venue prochaine de l’Antéchrist. En lutte contre les abus de la
papauté, il mènera une existence tourmentée, passant de prison en prison, jusqu’à la
prison du Soudan en Avignon où il est assigné à résidence à partir de 1349 (on perd
sa trace en 1365).

1. Notons qu’A. Vauchez prépare, avec l’aide d’une équipe, la publication d’un traité de
Jean de Roquetaillade, le Liber ostensor (le « livre qui révèle ») composé en 1356, qui devrait
bientôt paraître.
578 COMPTES RENDUS

Dans la dernière partie, qui compte six chapitres, A.V. se penche sur les rapports
entre « les pouvoirs établis et le surnaturel » (p. 149-219). L’A. commence par analyser
les raisons de la dévotion particulière du pieux duc Charles de Blois, qui vécut au XIVe
siècle, pour divers saints bretons du haut Moyen Âge (p. 151-161). Suit un chapitre sur
« la faible diffusion des Révélations de sainte Brigitte dans l’espace français » dans
lequel A.V. s’interroge sur les causes de ce rejet (p. 162-174) : l’inexistence en France
d’un milieu spirituel laïque ouvert à des lectures de ce type, comme on pouvait en
trouver chez les béguines de l’Europe du Nord. C’est précisément d’une béguine –
Marie d’Oignies – dont il est question dans le chapitre suivant, plus exactement de sa
biographie spirituelle rédigée par Jacques de Vitry et de la manière dont celle-ci a été
utilisée comme « arme contre l’hérésie » cathare (p. 175-188). Dans le chapitre 13, A.V.
montre comment la prophétie a été un élément de légitimation important pour l’ordre
des prêcheurs (p. 189-198). Les deux derniers chapitres montrent la méfiance
croissante de l’Église face à ces personnages inspirés, dotés de pouvoirs surnaturels :
saints, prophètes et visionnaires. À partir du XIVe siècle, l’attitude des théologiens à
l’égard de la prophétie et des révélations devient très réservée, telles les mises en
garde de Henri de Langenstein et de Gerson contre les faux prophètes (p. 199-207).
C’est, comme l’écrit A.V., la « naissance du soupçon » : l’institution ecclésiale
s’efforce de séparer les « vrais » des « faux » saints (p. 208-219).
Au total, c’est un très beau livre d’histoire des mentalités religieuses que nous offre
ici A.V. Les analyses y sont toujours fines et stimulantes. Avec ce travail sur l’usage
du surnaturel au Moyen Âge, A.V. continue de renouveler en profondeur l’histoire
religieuse.
Benoît BEYER DE RYKE.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Frédéric DUVAL, La traduction du Romuleon. Étude sur la diffusion de l’histoire
romaine en langue vernaculaire à la fin du Moyen Âge, Genève, Droz, 2001 ;
1 vol. in-8°, 480 p. (Publications romanes et françaises, 228). ISBN : 2-600-00480-7.
Prix : FRF 408.
Cet ouvrage est l’indispensable complément de l’édition de la traduction du
Romuleon par Sébastien Mamerot procurée par le même A. En effet, certaines
questions que l’on s’était posées au cours de la lecture de l’excellente édition, dont il
a été rendu compte dans cette revue même1, reçoivent une réponse dans ce nouvel
ouvrage. C’est le sous-titre qui renseigne sur le véritable objectif du livre. Sans doute
Sébastien Mamerot en est-il le centre, mais, en fait, l’A. nous présente ici, avec une
méthode rigoureuse, l’essentiel du cheminement de la culture antique en langue
vernaculaire, et particulièrement dans le domaine de l’histoire romaine, au
XVe siècle.
La démarche de Fr. Duval est telle que son livre couvre le rayonnement complet
de l’œuvre de Sébastien Mamerot. En effet, l’A. part du texte latin de Benvenuto da
Imola, en passant par les traductions italiennes, et en arrive à la vie et aux œuvres de
Mamerot. En bon historien de la langue et de l’histoire des idées, Fr.D. présente un
chapitre extrêmement bien documenté sur Louis de Laval, le commanditaire de la
traduction de Mamerot. Nécessairement, l’A. est amené à évoquer et à étudier la

1. T. 106, 2000, p. 617-620 (Ch. BRUCKER).


COMPTES RENDUS 579

diffusion de la culture antique à travers une analyse de l’histoire romaine au milieu


du XVe siècle. Ensuite, le lecteur se voit offrir – originalité et non des moindres de cet
ouvrage – en plus de 30 p., une description détaillée des illustrations du manuscrit de
base A (B.N.F. fr. 364) ; il faut savoir gré à Fr.D. de ces analyses, car les ouvrages
traitant du rapport du texte à l’image quand il s’agit des traductions du XIVe et du
XVe siècle sont encore trop rares. Enfin, c’est un long examen du texte de la traduction
française qui clôt l’ouvrage : méthode de traduction, aspects stylistiques, tendance à
la moralisation, esprit critique ; cette dernière partie comporte une synthèse de tous
les aspects de la « polynomie synonymique » : style et rhétorique y tiennent leur
place. Une bibliographie fort bien organisée et parfaitement à jour suit une conclusion
générale qui rappelle la nécessité de donner « une seconde chance » à des auteurs tels
que Mamerot ou Miélot condamnés « par quelque érudit du passé ».
Les originalités de cet ouvrage sont nombreuses, et, faute de place, nous nous
contenterons ici de rendre compte de quelques-unes seulement.
D’abord, de quelque côté qu’il se tourne, le lecteur est conduit à apprécier la
richesse de la documentation, une documentation inédite, source d’une recherche
authentique. Il en est ainsi du chapitre concernant le texte du Romuleon latin de
Benvenuto da Imola. Jamais encore une vue synthétique aussi riche n’avait été
fournie sur la vie et, surtout, les œuvres de cet auteur italien. Les activités
intellectuelles de Benvenuto se situent dans une période où l’on s’intéresse tout
particulièrement à l’historiographie. Ce mouvement est entamé vers 1340 à
l’instigation de Pétrarque. Une nouvelle conception de l’histoire se manifeste : on a
tendance à rejeter les chroniqueurs médiévaux au profit des modèles antiques. C’est
dans ce cadre que se placent deux ouvrages historiographiques de Benvenuto, le Liber
augustalis et le Romuleon. Le même souci de documentation exemplaire concerne
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


l’analyse des sources du Romuleon (p. 31-46). La langue même de Benvenuto fait
l’objet d’un examen fort intéressant.
Tout aussi originale, ensuite, l’étude des traductions italiennes qui témoignent du
succès de l’œuvre historique de Benvenuto. Dans tous ces chapitres, comme dans
celui qui a pour objet l’examen de la traduction française, le lecteur a le plaisir de
trouver des tableaux synoptiques plaçant face à face le texte latin et ses sources (p. 99),
le texte latin et le texte en langue vernaculaire (p. 362). La diffusion des traductions
françaises du Romuleon achève de donner une idée exacte de l’importance de la
traduction française du Romuleon par Mamerot, comparée à celle de Miélot. Grâce
aux nombreuses analyses de langue et de style de la traduction de Mamerot, le lecteur
peut se faire une idée précise de l’apport de ce traducteur.
C’est pour la première fois que nous disposons d’une étude aussi analytique et
aussi synthétique à la fois d’une traduction française d’un texte latin d’origine
proprement médiévale. C’est pour la première fois aussi que les historiens, les
philologues et les littéraires se voient mettre à leur disposition des analyses
extrêmement fines des contextes historique et littéraire qui ne mettent que davantage
en lumière l’intérêt de l’édition du Romuleon procurée par Fr.D. Autant de raisons
pour saluer les mérites de cet ouvrage.
Charles BRUCKER
580 COMPTES RENDUS

Jacques BERLIOZ et Marie Anne POLO DE BEAULIEU, coll. Pascal COLLOMB, L’animal
exemplaire au Moyen Âge (Ve-XVe siècles), Rennes, P.U. Rennes, 1999 ; 1 vol.
in-8°, 333 p. (Histoire). ISBN : 2-86847-435-7. Prix : FRF 140.
Parmi toutes les fonctions dévolues à l’animal dans la culture médiévale, celle qui
l’a fait utiliser comme exemple à des fins didactiques et moralisatrices reste attestée
par de multiples sources textuelles. Les fables et les « romans animaliers », objets
d’une abondante bibliographie, viennent en premier lieu à l’esprit. Ils ne peuvent
occulter l’apport de témoignages jusqu’ici délaissés ou pas exploités par
l’anthropozoologie historique, les récits exemplaires, recueils de distinctiones
bibliques alphabétiques, encyclopédies ou encore textes juridiques. À des degrés
divers, en fonction de leur finalité propre, tous font appel à l’animal pour instruire et
convaincre auditeurs et lecteurs. Cette part de la documentation a suscité, les 26 et
27 septembre 1996 à Orléans, un colloque international, dont les actes sont désormais
disponibles dans le présent volume. Très soigneusement mis en page, il reflète la
qualité des différentes interventions, que les limites imposées à la recension
empêchent d’approfondir autant qu’elles le mériteraient. Après l’avant-propos des
co-éditeurs, M. Pastoureau signe, sous le titre L’animal et l’historien du Moyen Âge, un
exposé introductif général qui devrait être lu, en raison de sa portée épistémologique
et méthodologique pour l’histoire des relations entre l’homme et l’animal, bien au-
delà du cercle des médiévistes. Quatre parties structurent l’ouvrage. Les exposés
réunis dans la première illustrent le thème De l’Occident à l’Orient (J. Voisenet,
Animalité et mépris du monde [Ve-XIe siècle] ; G. Ortalli, Animal exemplaire et culture de
l’environnement : permanence et changements ; P. Boglioni, Les animaux dans
l’hagiographie monastique ; C. Mayeur-Jaouen, L’animal exemplaire dans les récits de
miracles en Islam). La « rhétorique animale » est considérée par trois auteurs (A. Boureau,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


L’animal dans la pensée scolastique ; Cl. Bremond, Le bestiaire de Jacques de Vitry [† 1240] ;
B. Van den Abeele, L’allégorie animale dans les encyclopédies latines du Moyen Âge). Pour
faire valoir Les vecteurs de l’exemplarité, M.A. Polo de Beaulieu a traité Du bon usage de
l’animal dans les recueils d’exempla, Fr. Morenzoni a examiné Les animaux exemplaires
dans les recueils de Distinctiones bibliques alphabétiques du XIIIe siècle, B. Ribémont a
analysé L’animal comme exemple dans les encyclopédies médiévales : morales et
« naturalisme » dans le Livre des propriétés des choses, tandis que P. Arabeyre a
enquêté sur les liens entre Animaux « exemplaires » et droit canon. Le commentaire de la
décrétale Raynutius par Guillaume Benoît (1455-1516). Quant à L’animal à l’œuvre, il a été
scruté à travers quatre espèces : le chat, par L. Bobis (Chasser le naturel… L’utilisation
exemplaire du chat dans la littérature médiévale) ; le singe, par C. Ribaucourt (Le singe à
la bourse d’or) ; l’escargot, par M.Fr. Cranga (Lâcheté et paresse, conception virginale et
Résurrection : les images contrastées de l’escargot médiéval) ; le crapaud par J. Berlioz (Le
crapaud, animal diabolique : une exemplaire construction médiévale). Il est tout
naturellement revenu à R. Delort, créateur du concept de « zoohistoire », de dégager
la synthèse des travaux et des échanges, qu’il a intitulée Pour conclure. Animal,
environnement, ambivalence exemplaire. Elle aussi est nourrie de réflexions
méthodologiques bonnes à méditer. Outre les documents annexés à plusieurs
contributions, le résumé français de toutes et la liste des auteurs, le livre inclut deux
index (animaux cités ; auteurs, artistes, œuvres anonymes et manuscrits). Il apporte
une nouvelle démonstration de l’importance des animaux pour la pensée du Moyen
Âge et il confirme la fécondité, elle-même exemplaire, de la recherche menée par les
COMPTES RENDUS 581

médiévistes au sujet de l’animal, ce « champ pour l’histoire »1 qu’ils ont été parmi les
premiers à faire systématiquement fructifier.
Liliane BODSON

« The fragility of her sex » ? Medieval Irish women in their European context, éd.
Christine E. MEEK et M. Katharine SIMMS, Dublin, Four Courts Press, 1996 ; 1 vol. in-
8°, 208 p. Prix : GBP 27,50.
Deux historiennes de Trinity College (Dublin), spécialistes respectivement de
l’Italie et de l’Irlande médiévales, ont conçu le présent volume dans la foulée d’un
colloque tenu en 1993 (cf. Chr.E. Meek et M.K. Simms, Introduction, p. 7-15). Le pari
de replacer l’historiographie de l’Irlande médiévale dans son contexte européen et de
rompre ainsi son isolement me semble réussi. L’intérêt de l’ouvrage ne se limite
d’ailleurs pas à replacer le monde celtique dans une perspective comparatiste,
puisqu’il offre des contributions qui intéresseront directement les spécialistes de
l’Italie, de la France ou de l’Angleterre, qu’il s’agisse d’histoire politique, du droit ou
de la littérature. B. Jaski présente une mise au point intéressante sur Marriage laws in
Ireland and on the continent in the early Middle Ages (p. 16-42), et montre que les
coutumes irlandaises attestées depuis le VIIIe siècle et condamnées aux XIe-XIIe siècle
par l’Église anglo-normande et par la papauté (mariage au sein des degrés de parenté
prohibés, répudiation, concubinage et polygynie) sont en fait comparables à celles du
Continent durant le haut Moyen Âge. Il discute la possible cléricalisation de certaines
règles dès cette époque, et compare les différents types d’unions avec leurs
équivalents en droits romain et germanique (par exemple, le mariage par aititiu est
analogue au mariage sine manu romain et au Friedelehe germanique). Dans cette
classification, seules certaines femmes mariées disposent d’une capacité juridique en
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


vertu de leurs biens propres, hérités à titre viager à défaut de frère ou acquis par don.
Les poétesses irlandaises font l’objet d’un article érudit et nuancé de la part de
Th.O. Clancy (Women poets in early medieval Ireland : stating the case, p. 43-72). Leur
existence est attestée avant 1200, mais les textes restent généralement anonymes. Il
s’agit donc de distinguer les voix féminines fictives de la production authentique des
poétesses. L’A. reste prudent voire sceptique quant à la recherche d’un « point de vue
typiquement féminin » comme critère permettant d’opérer ce diagnostic (méthode
utilisée notamment par J. Nelson). Par contre, il en reconnaît l’intérêt pour
commenter des textes déjà attribués à des femmes. Enfin, fidèle à ces principes, il
remet en cause les attributions masculines trop hâtives de plusieurs textes (VIIIe-
XIIe siècles), se refusant pour autant de les attribuer avec certitude à des femmes.
B. Williams met en évidence le point de vue féminin du XIIe siècle dans « Cursed by my
parents » : a view of marriage from the Lais of Marie de France (p. 73-86). Marie milite en
faveur du mariage consensuel prôné à cette époque par les clercs, en dénonçant les
effets du mariage imposé (du déracinement et du désespoir de l’épouse, prisonnière
virtuelle de son mari, à la femme rebelle prenant un amant librement choisi), tout en
exprimant sa méfiance quant à la sincérité des amants courtois et au danger de
grossesse rarement reconnu par les romanciers masculins (curieusement les

1. Selon la formule d’É. BARATAY et J.L. MAYAUD, Un champ pour l’histoire : l’animal,
Cahiers d’Histoire, t. 42, 1997, p. 409-442
582 COMPTES RENDUS

références sont celles d’une traduction et non du texte original). G. Neville étudie un
poème bardique de la Contre-Réforme probablement inspiré par un exemplum
médiéval, dans Short shrouds and sharp shrews : echoes of Jacques de Vitry in the Danta
Gradha (p. 87-100). Ses conclusions, fortement contestables, sont souvent sans rapport
avec les deux textes et reposent sur des extrapolations et des a priori. Un seul exemple :
l’enfermement absolu des femmes aisées est soi-disant confirmé par l’envoi d’une
servante à l’extérieur, alors que la question n’est pas de savoir si la maîtresse quitte
ou non sa maison, mais si elle accomplit elle-même ou non des tâches ancillaires
comme l’achat d’une pièce de drap. Avec The absentee landlady and the sturdy robbers :
Agnes de Valence (p. 101-118), C.O Cleirigh nous donne par contre de bonnes pages
d’histoire politique mêlant le récit et l’analyse des faits. Il met en évidence le réseau
de relations et l’action d’une nièce du roi Henri III, veuve à trois reprises († 1309) et
en dernier lieu du Hainuyer Jean d’Avesnes, seigneur de Beaumont. Elle est dépeinte
comme « a capable and rather unscrupulous businesswoman » dans sa gestion
domaniale (douaire et acquisitions). Le corps de l’étude porte sur le long conflit,
émaillé de coups de main et de procès, soutenu pour la possession de ses domaines
irlandais contre John fitzThomas, baron d’Offaly et futur comte de Kildare, un cousin
de son premier mari. J. Ward (The English noblewoman and her family in the later Middle
Ages, p. 119-135) poursuit les travaux qui lui ont déjà donné l’occasion d’un livre. On
notera que les éléments avancés dans cette contribution (patriarcat n’excluant pas une
connaissance des futurs époux avant le mariage, affection et confiance durant le
mariage) conduisent à relativiser les images présentées plus haut par B. Williams et
G. Neville. Dans Women, dowries and the family in late medieval Italian cities (p. 136-152),
Chr. E. Meek, l’une des deux É., présente une synthèse des travaux portant sur le
régime dotal et la famille dans les villes italiennes, enrichie de quelques données
lucquoises inédites. Dans The lady in the tower : the social and political role of women in
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


tower houses (p. 153-162), M. MC Auliffe examine successivement le cadre de vie
matériel, le mécénat artistique (les bardes) et l’activité politique des femmes dans les
familles nobles anglo-irlandaises et dans celles des chefs gaéliques, jusqu’au
XVIIe siècle. Elle estime, en citant quatre exemples, que « many of the noblewomen
of medieval Ireland were as bloodthristy and warlike as their men ». E. MC Kenna
termine le volume sur l’interrogation Was there a political role for women in medieval
Ireland ? Lady Margaret Butler and Lady Eleanor Mac Carthy (p. 163-174). En présentant
notamment le rôle politique joué en tant qu’épouses par deux sœurs (fin XVe-début
XVIe siècle), elle peut démentir l’idée courante de la femme irlandaise reléguée au
foyer, objet matrimonial exclu de la sphère publique. L’ouvrage possède un index
(p. 197-208) et une bibliographie (p. 175-194). Celle-ci ne se veut probablement pas
exhaustive mais compile utilement les références des différentes contributions (titres
essentiellement en anglais et allemand ; inévitable coquille « Tournhout » pour
« Turnhout » à la p. 181 dernière ligne). Répondant à la mise en question de la
« fragility of her sex » (notion de droit romain) par les É. du volume (p. 7-9), plusieurs
contributions mettent clairement en évidence le rôle actif et apprécié des femmes au
sein des structures dites patriarcales (Clancy, O Cleirigh, Ward, McAuliffe et
McKenna). Cette activité féminine est implicitement présentée comme équivalente à
celle d’un homme ; elle ne l’est pourtant pas tout à fait, puisqu’elle s’intègre à des rôles
passifs non partagés par les hommes (femmes épargnées dans un massacre de place
forte : p. 160) et qu’elle s’inscrit dans un cadre d’inégalités foncières rappelé par
d’autres collaborateurs (Jaski, Williams, Meek). Face à ces contradictions, seule
COMPTES RENDUS 583

Mc Kenna nous offre une piste d’explication structurelle, à laquelle je souscris


volontiers : « all of them operated within the system as adjuncts of their menfolk »
(p. 174).
Éric BOUSMAR

Hans-Jürgen H ÜBNER, Quia bonum sit anticipare tempus. Die kommunale


Versorgung Venedigs mit Brot und Getreide von späten 12. bis ins 15.
Jahrhundert, Francfort, Lang, 1998 ; 1 vol. in-8°, 504 p. (Europäische Hochschul-
schriften, III, 773).
Le pain est au cœur, matériel et métaphorique, de la vie sociale, mais rares sont les
historiens des économies médiévales qui en ont fait un objet d’enquête1. H.P. Hübner
s’est saisi du dossier par une étude de cas, celle d’une ville majeure dépourvue de
campagnes, et a installé son poste d’observation à Venise à la fin du XIIe siècle ; il a
traversé, comme tant d’autres chercheurs, le massif documentaire laissé par les
institutions publiques jusqu’au milieu du XVe siècle, situant ainsi son étude en amont
d’un livre qui fit date, celui de M. Aymard2, et en parallèle au monument dédié par
J.Cl. Hocquet à l’histoire du sel3 : comme ces deux ouvrages fondamentaux, celui de
H.J.H. démontre qu’en partant des subsistances on arrive au centre des mécanismes
de l’État. Et ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que d’associer à l’histoire
d’approvisionnements indispensables – la métropole des lagunes doit pratiquement
importer tous ses moyens de subsistance – une histoire monétaire profondément
déterminée par l’impérialisme marchand4. Monnaie, fiscalité, trafics lointains et
politique coloniale sont étroitement liés par la stratégie des Conseils et les intérêts des
groupes dominants : les blés, comme le sel, sont au centre d’une habile gestion des
prix, des stocks et de la dette par l’État vénitien, et des appétits de profits particuliers
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


d’importateurs et de propriétaires fonciers. Anticipare tempus, c’est sous le signe de la
prévision économique que l’A., dès le titre, place la pratique d’hommes d’affaires qui
calculent le rendement de leurs investissements à des centaines ou des milliers de
kilomètres, alors que les blés sont encore en herbe, et celle de responsables du « bien
commun », qui doivent, sans y perdre, faire face aux besoins élémentaires d’une
population dont les plus démunis font le nombre.
Divisé en cinq parties, l’ouvrage commence par expliquer, en la situant dans son
contexte institutionnel, la création, puis la montée en puissance de la Chambre du
blé : née à la suite de la rupture avec l’Empire byzantin en 1171, l’annone fut gérée par
différents Conseils avant d’être confiée à un office de délibération et de contrôle à
pouvoirs judiciaires qui devint, dans les années 1300, l’un des organes financiers les
plus importants de l’État. La Chambre du blé administrait les revenus des ventes de
céréales (froment, millet, panic), mais surtout, obligée de recourir à l’emprunt pour
payer ses fournisseurs, elle en vint à jouer le rôle d’une banque de dépôt,

1. Fr. DESPORTES, Le pain au Moyen Âge, Paris, 1987.


2. M. AYMARD, Venise, Raguse et le commerce du blé pendant la seconde moitié du XVIe siècle,
Paris, 1966.
3. J. Cl. HOCQUET, Le sel et la fortune de Venise, I, Production et monopole, II, Voiliers et commerce
en Méditerranée (1200-1650), Lille, 1978-1979.
4. R.C. MULLER, L’imperialismo monetario veneziano nel Quattrocento, Società e Storia, t. 8,
1980, p. 277-297.
584 COMPTES RENDUS

immobilisant et rémunérant les capitaux étrangers attirés par des taux d’intérêt
élevés. Pour donner la mesure des engagements financiers de l’État vénitien, l’A.
calcule que l’approvisionnement en blés lointains nécessitait vers 1300 la sortie de 6
à 9 tonnes d’argent fin par an. Le Sénat fut amené à détacher le commerce du blé du
commerce au long cours fondé sur des monnaies standard d’or ou d’argent, en
imposant en Crète, colonie céréalière, le cours forcé d’une monnaie spécifique et
surévaluée, le « tornesello » ; en recourant aussi à des manipulations sur le rapport
entre le gros d’argent et le « piccolo », tout pain vendu à Venise apportant ainsi sa
contribution à peine identifiable au financement de dépenses extraordinaires.
Les chapitres consacrés à une revue dynamique des lieux d’approvisionnement en
blés, de la petite Arménie à la plaine du Pô, à l’organisation des flottes céréalières, puis
aux greniers, à la meunerie et à la distribution du pain fourmillent de traits saisissants.
Qu’il suffise ici de citer un chiffre qui matérialise les besoins annuels de la seule ville
de Venise au XVe siècle : 28 000 m3 de grains à stocker, à renouveler et à retourner en
permanence pour qu’ils ne se gâtent pas.
L’ouvrage se conclut par un ensemble de remarques de méthode sur l’histoire des
prix, introduites par des réflexions sur les rapports entre annone et marché libre. Face
à l’impérialisme vénitien, les pays producteurs pratiquent, lorsqu’ils le peuvent, des
prix maximums au-delà desquels les exportations sont interdites. Mais pour sa part,
la Chambre du blé en affichant des prix d’achat incitatifs assortis de primes, pouvait
favoriser des catégories d’acheteurs, des variétés de céréales ou des provenances et
directions de commerce. Un système de prix garantis, institué à la fin du XIIIe siècle,
fit de la Chambre du blé le véritable acheteur sur le marché libre. Tant de variables
affectent les fluctuations ou l’apparente stabilité du marché qu’une histoire de la
consommation ne peut s’établir à partir de simples courbes de prix ; qualités des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


grains, rapport entre volume et poids des céréales, techniques de mouture, taxes sur
le pain, prix du sel, et surtout rapports entre prix et poids du pain, autant d’occasions
de profits déguisés, qui, tout au long du parcours, des champs au comptoir du
boulanger, font de ce secteur sensible et capital un domaine de recherche, auquel
H.J.H. annonce lui-même qu’il continuera de s’appliquer. Par ses acquis et ses
ouvertures, l’ouvrage s’inscrit parmi les études qui renouvellent à la fois l’histoire de
trafics essentiels en Méditerranée et l’histoire des pratiques d’un milieu dirigeant
vénitien dont la permanence au pouvoir est fondée sur la prévision économique et les
profits qu’elle assure.
Philippe BRAUNSTEIN

Multilingualism in later medieval Britain, éd. D.A. TROTTER, Woodbridge,


D.S. Brewer, 2000 ; 1 vol. in-8°, X-237 p. Prix : GBP 35 ; USD 63.
Si la présence en Grande-Bretagne, au Moyen Âge comme de nos jours, de
plusieurs langues (le gallois, le gaélique, l’anglais), ne fait pas de l’île une exception
sur le plan européen, son cas présente tout de même la particularité d’une dichotomie
entre ces langues dites populaires et les deux langues médiévales de prestige – non
seulement le latin des clercs, mais aussi, pendant plusieurs siècles après la Conquête
normande, le français, parler d’une noblesse minoritaire mais puissante. Ce conflit a
d’abord frappé l’Angleterre, premier royaume conquis par le duc de Normandie en
1066, plus tard le Pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande, où la monarchie anglo-
COMPTES RENDUS 585

normande, puis anglo-angevine, appuyée par les barons aventuriers, a réussi peu à
peu, à étendre son hégémonie – sans toutefois transformer les îles Britanniques en état
unitaire, ce qui ne se fera que progressivement sous les souverains Tudor et Stuart.
L’extraordinaire complexité politique trouve son reflet dans la diversité, voire la
multiplicité des langues, qui caractérisent les îles Britanniques durant le Moyen Âge,
où le brassage des populations et des classes a produit des situations linguistiques
imbriquées. Qui pouvait savoir, à l’époque, que l’anglais – une forme créolisée, au
moins, de cette langue – s’en sortirait comme parler dominant, vainqueur en
apparence, mais transformé pour toujours par le contact avec ses concurrentes ? Car
les langues médiévales, contrairement à ce que l’on croit couramment, n’étaient ni
séparées, ni séparables, dans la vie quotidienne.
D.A. Trotter de l’Université d’Aberystwyth – l’un des responsables du Anglo-
Norman Dictionary – a réuni ici treize articles par treize auteurs différents, à la suite
d’un colloque organisé par lui en 1997, qui était consacré à la question de
l’interdépendance et de l’interpénétration des langues médiévales. Si la majorité des
contributeurs (huit) sont d’origine britannique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et
la Suisse sont également représentées ; à une exception près (l’un des auteurs suisses,
A. Kristol, qui écrit en français), tous les articles sont en anglais. Ces chercheurs se
sont plongés dans des textes bi- ou multilingues, caractérisés par divers niveaux de
mélanges, allant de la traduction simple aux bizarreries macaroniques. Les
principales langues traitées sont l’anglais et le français et/ou le latin, plus rarement
le gallois, avec parfois des allusions au gaélique d’Irlande et d’Écosse ; mais on
rappelle également, sans toutefois creuser la question, l’influence d’autres langues
minoritaires, comme le norrois, voire des langues plus inattendues, comme le
néerlandais ou le moyen-bas-allemand, qui ont laissé des traces dans le jargon de
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


certains métiers.
Il est clair, d’après ces études, que de nombreux Britanniques étaient bien obligés,
pour réussir une carrière dans le monde médiéval, de travailler d’une façon trilingue,
parfois quadrilingue, notamment dans le domaine des affaires, du commerce, du
droit, de la médecine ou de l’artisanat, plus particulièrement de l’orfèvrerie. Pour ce
dernier métier, L. Jefferson a fait une recherche tout à fait originale dans les archives
de la compagnie des orfèvres, qui recense de nombreux vocables anglo-français
inconnus des lexicographes précédents. E. Weiner, l’un des responsables actuels du
Oxford English Dictionary (dont on n’attend la troisième édition qu’en 2010), s’accorde
à reconnaître que les documents mamoniques et multifingues, souvent ignorés par
les éditeurs anciens, forment une source de richesse lexicale jusqu’ici largement
inexploitée.
S’il y a une leçon importante à retenir de ce livre précieux, c’est que le modèle
unilingue, qui domine les États-nations depuis la Renaissance – la langue du roi
devient la langue, au besoin imposée par la force, du peuple – demeure totalement
inadéquat pour juger et comprendre la situation telle qu’on la vivait partout en
Europe, et cela d’une façon poussée en Grande-Bretagne, durant le Moyen Âge. Tous
les auteurs insistent sur le fait qu’on ne peut étudier une langue toute seule, comme
si elle existait en dehors de toute influence extérieure, car nos ancêtres connaissaient
rarement un tel isolement. Pour eux, c’était plutôt le plurilinguisme qui était la norme.
Un petit pays moderne comme la Suisse ou le Luxembourg, où l’on pratique un parler
586 COMPTES RENDUS

local en même temps que les langues des puissantes nations voisines, semble
beaucoup plus proche de la réalité de l’Europe médiévale que ne le sont nos grands
États où l’on vit (mais pour combien de temps encore ?) dans un monde uniquement
francophone, ou anglophone, ou germanophone. Le volume de D.A.T. remet en
cause beaucoup d’idées reçues et réveillera tant les historiens que les linguistes.
Leo CARRUTHERS

Daniel LE BLÉVEC, La part du pauvre. L’assistance dans les pays du Bas-Rhône du


XIIe siècle au milieu du XVe siècle, Rome, École française de Rome, 2000 ; 2 vol.
in-8°, 960 p. (Collection de l’École française de Rome, 265). ISBN : 2-7283-0564-1.
L’École française de Rome nous offre avec cette très belle publication en deux
volumes une « enquête globale, parfaitement documentée, menée de main de
maître » ainsi que G. Duby qualifiait l’ouvrage de D. Le Blévec dans son introduction.
L’historiographie de la pauvreté et de l’assistance religieuse et laïque s’enrichit d’un
travail qui restera de référence.
Le Rhône est placé au centre de cette étude : les liens qu’il crée entre les régions qu’il
traverse, forgent un ensemble géographique et culturel méridional, languedocien et
provençal, dont les traits communs surmontent les frontières. Le premier choix de
l’A. a été de faire de cette région naturelle, un large delta où le défilé de Donzère
occupe la pointe et dont la base s’étend entre le rebord des Cévennes à l’ouest et le
plateau du Vaucluse à l’est, sa zone d’étude, reléguant, sans les ignorer, les divisions
administratives, religieuses et politiques au second plan. Heureux choix, qui est déjà
un parti pris, celui de privilégier l’unité profonde de ces terres aux aléas de leurs
destinées politiques. Là où le Rhône s’impose comme facteur de cohésion, la nécessité
de son franchissement a donné naissance à des « œuvres de pont » à la fois devoirs de
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


piété et enjeux de pouvoir. La circulation le long du fleuve et par-dessus lui revêt une
importance plus grande encore à partir du milieu du XIIIe siècle, quand les rois de
France et la papauté prennent conscience que cette vaste région, le Bas-Rhône, est à
saisir et que l’installation des papes à Avignon, après 1316, vient encore renforcer cet
enjeu.
L’intérêt de l’A. pour le thème de l’hospitalité et de l’assistance, dans la lignée des
travaux de M. Mollat, a trouvé un riche matériau dans ce Bas-Rhône, qui a connu
toutes les formes possibles d’assistance aux pauvres. D.L.B. a voulu prendre en
compte cette diversité des formes d’assistance et examiner tous les aspects de la
naissance, la multiplication et l’évolution des institutions d’assistance sur une
période de trois siècles. L’étude des conditions économiques de l’apparition des
institutions de charité et de leur existence postérieure offre des éclairages nouveaux
sur les bienfaiteurs, comme sur les pauvres. L’attention de l’A. s’est par ailleurs
surtout portée sur l’histoire religieuse, examinant l’évolution du sentiment religieux
que reflète l’attitude face à la pauvreté. L’accomplissement de ce devoir religieux
fondamental éclaire les manières de croire et de sentir des hommes de ces siècles.
La diversité des organismes qui pourvoient à l’assistance, l’étendue du territoire
considéré – Comtat pontifical, Provence comtale et Languedoc, soit environ 9 000 km2
et 250 paroisses – et l’épaisseur chronologique de l’étude ont conduit à multiplier les
approches : comptes des institutions, registres de l’aumône pontificale, chartriers et
cartulaires des maisons hospitalières, auxquels s’ajoutent ponctuellement les
COMPTES RENDUS 587

registres notariaux et communaux. Face à une documentation qui, de fait, privilégiait


les formes de la charité organisée, laissant dans l’ombre ses manifestations
individuelles, et qui risquait aussi de donner une place par trop prééminente à la ville
d’Avignon, l’A. a réussi à rééquilibrer partiellement son propos en portant une
attention volontariste aux petites bourgades, aux zones rurales.
Face à l’ampleur d’un sujet qui risquait, comme le Rhône impétueux, de noyer la
clarté de l’exposé sous un flot d’informations, ou d’enliser les traits originaux d’une
région singulière dans les généralités d’un discours valable pour tout l’Occident
médiéval, le plan de l’ouvrage dégage la présentation historique d’ensemble de celle
des traits plus spécifiques de la charité bas-rhodanienne. La première partie expose
les grands traits de l’évolution de l’assistance aux pauvres et sa diffusion dans la
plaine rhodanienne : ses premiers temps, la naissance des institutions hospitalières et
la répartition des ordres charitables, les formes successives de la miséricorde des laïcs,
depuis la charité individuelle jusqu’à la mise en place des institutions caritatives
municipales. Le premier tiers du livre expose ainsi comment le secours aux pauvres
est passé de l’obligation d’assistance exercée essentiellement par les clercs – moines
et chanoines d’abord, puis dévolue aux ordres spécialisés –, à un souci de miséricorde
ressenti individuellement, puis collectivement par les fidèles et alors assurée sous la
forme organisée de l’assistance publique. Les deuxième et troisième parties éclairent
l’originalité de la région étudiée : les œuvres des ponts et l’aumône pontificale
d’abord, puis le secours aux voyageurs et aux sans-abris, dans cette zone de grande
circulation. La troisième partie représente une somme considérable d’informations et
de réflexions quant à l’institution hospitalière, son histoire, son évolution, ses moyens
et ses formes d’intervention.
Œuvre de grande ambition, ce livre offre – dans un cadre régional, mais dont les
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


démarches et les conclusions prennent une valeur générale – une vision des
problèmes posés à toute la société par une question essentielle : l’accomplissement du
devoir de charité du chrétien. Les réponses individuelles et collectives que laïcs et
clercs y ont apporté montrent que cet impératif de charité chrétienne fut à la fois plus
largement ressenti par tous et de plus en plus délégué à des institutions spécialisées.
D.L.B. livre ainsi aux historiens, au-delà de l’étude d’une région et d’un problème, un
apport de valeur bien plus générale sur les ressorts profonds unissant la mentalité
religieuse et les comportements sociaux des hommes du Moyen Âge.
Aymat CATAFAU

Political thought and the realities of power in the Middle Ages. Politisches Denken
und die Wirklichkeit der Macht im Mittelalter, éd. Joseph CANNING, Otto Gerhard
O EXLE , Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998 ; 1 vol. in-8°, 277 p.
(Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 147). Prix : DEM 59.
Il existe beaucoup d’études sur la pensée politique au Moyen Âge auxquelles, en
dépit de leur érudition et de leur originalité, on peut reprocher d’être parfois
(souvent ?) « déconnectées » du vécu historique. À quoi sert-il de penser, si la
spéculation n’inspire pas des actions, des formes de gouvernement, des solutions aux
problèmes quotidiens dans la gestion de « l’État » et de la société ? Pour la France, les
contacts entre le pensé et le vécu politiques sont particulièrement bien mis en
évidence dans les travaux connus et appréciés de J. Krynen (Toulouse). Pour les
588 COMPTES RENDUS

anciens Pays-Bas, où l’autorité princière demeura longtemps éclatée, presque tout


reste à faire (on verra, à titre d’illustration, notre modeste étude sur La législation et les
auteurs de la doctrine dans les Pays-Bas, XIVe-XVe siècles1). Le British Centre for Historical
Research in Germany et le Max-Planck-Institut für Geschichte – tous deux établis à
Göttingen – ont pris l’heureuse initiative de confronter autour de pareilles
préoccupations les vues de douze spécialistes d’Outre-Rhin et d’Outre-Manche.
Dans Mündlichkeit, Erinnerung und Herrschaft. Zugleich zum Modus De Heinrico (p.
9-32), J. Fried exploite le discours politique, rituel et commémoratif, que véhicule un
poème de l’époque ottonienne, tiré des Carmina Cantabrigiensia, mettant en scène un
duc Henri de Bavière. Deux siècles passent déjà, et voici l’étude en parallèle proposée
par H. Vollrath sur Politische Ordnungsvorstellungen und politisches Handeln im
Vergleich. Philipp II. August von Frankreich und Friedrich Barbarossa im Konflikt mit ihren
mächtigsten Fürsten (p. 33-51), deux monarques en butte à de rudes grands vassaux et
aboutissant dans leurs efforts pour les dompter à des résultats très différents, ce qui
suscite une interrogation sur des divergences dans les fondements conceptuels de
deux actions politiques. Dans The roots of Magna Carta. Opposition to the Plantagenets
(p. 53-65), N.M. Fryde valorise la portée idéologique, et non simplement
pragmatique, de l’illustre texte de 1215, en soulignant le rôle moteur de l’Église
d’Angleterre dans la contestation du gouvernement « bureaucratique » du roi Jean et,
dans la ligne du Policraticus de Jean de Salisbury (1159), l’inspiration du célèbre
principe « law above the king ». La recherche de signes extérieurs aptes à asseoir les
prétentions seigneuriales des prélats d’abbayes, auxquelles ne peut suffire l’arsenal
du droit, de la théologie ou de l’histoire, nourrit l’étude fouillée de K. Schreiner,
Legitimation, Repräsentation, Schriftlichkeit. Gedankliche Begründungen und symbolische
Formen mittelalterlicher Abtsherrschaft (p. 67-111) ; sur la base d’une vaste
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


documentation tirée de sources principalement monastiques de tout l’Occident
médiéval – sans oublier les Écritures et les Pères –, il passe en revue tout ce qui, idées,
mots et choses, peut contribuer à l’indispensable « mise en scène » du pouvoir
abbatial et à la démonstration de sa légitimité.
Le reste du volume est concentré sur ce qu’il est convenu de dénommer avec plus
ou moins de pertinence le « bas Moyen Âge ». D.E. Luscombe, Hierarchy in the late
Middle Ages : criticism and change (p. 113-126), met un concept à l’épreuve d’un
florilège d’auteurs des XIVe-XVe siècles, dissertant en positif ou en négatif sur les
rapports en ligne du Ciel, de l’Église et de l’État. Pour sa part, J. Coleman envisage
dans des cadres bien circonscrits Some relations between the study of Aristotle’s Rhetoric,
Ethics and Politics in late thirteenth- and early fourteenth-century university arts courses
and the justification of contemporary civic activities (Italy and France) (p. 127-157), soit un
aperçu très systématique de l’étude de ce que nous dénommons les sciences morales
et politiques (philosophica moralis vel practica) et de leur vocabulaire. Dans Hervé de
Nédellec, Pierre de la Palud and France’s place in Christendom (p. 159-172), J. Dunbabin
confronte les visions politiques bien distinctes de deux auteurs contemporains de
Philippe le Bel, tous deux dominicains, issus des mêmes milieux intellectuels
parisiens, nourris d’idées et d’expériences analogues, mais s’exprimant
différemment sur les relations entre papauté et royauté, selon qu’ils assoient
respectivement l’autorité pontificale sur un principe christologique ou contractuel. À

1. « Houd voet bij stuk ». Xenia iuris historiae G. van Dievoet oblata, Louvain, 1990, p. 209-223.
COMPTES RENDUS 589

une époque quelque peu postérieure et au-delà du Rhin, J. Miethke explore


Wirkungen politischer Theorie auf die Praxis der Politik im Römischen Reich des 14.
Jahrhunderts. Gelehrte Politikberatung am Hofe Ludwigs des Bayern (p. 173-210), dans le
contexte du dernier grand épisode de l’affrontement entre Sacerdoce et Empire, le
temps des « protégés » impériaux, Marsile de Padoue et Guillaume d’Ockham ; il
considère le dossier comme l’un de ceux où la connexion entre le grand débat et la
décision politiques ressort le mieux des sources disponibles – au moins des
intellectuels ne se sont-ils pas exprimés ici pour la seule beauté de l’idée !
Sous le titre The oath of fealty and the lawyers (p. 211-228), M. Ryan envisage comment
les juristes médiévaux « de métier » ont acheminé le concept très présent de fidelitas,
lié à la vassalité, notamment dans le recueil des Libri feudorum (début XIIIe siècle), et
enjeu dans les controverses sur le pouvoir où s’engagent encore au XIVe siècle
souverain pontife et empereur. J. Canning confronte brièvement Italian juristic
thought and the realities of power in the fourteenth century (p. 229-239) : c’est le ius
commune, combinant apports romains et canoniques, et ses thuriféraires que l’on voit
ici en action, dont en bonne place Baldus de Ubaldis, face au champ d’expériences
diversifiées qu’offre la Péninsule et à la nécessité que vivent ces hommes d’agencer
le fait et le droit. Juristes savants italiens mais aussi allemands, experts en consilia, sont
interrogés par H.G. Walther, Die Macht der Gelehrsamkeit. Über die Meßbarkeit des
Einflusses politischer Theorien gelehrter Juristen des Spätmittelalters (p. 241-267), sur leur
apport à la praxis politique, repéré dans les communes italiennes depuis le XIIe siècle,
dans des « dossiers » précis tels que celui du vicariat impérial (1380) puis de la dignité
ducale (1395) conférés aux Visconti à Milan, ou d’autres, relatifs aux villes de
Nuremberg et Lubeck, au XVe siècle. A. Black clôture le volume par une rapide
incursion à plus grande échelle géographique et chronologique : Islamic and European
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


political thought. A comparative overview, 700-1650 (p. 269-276).
En conclusion, il nous paraît manquer à ce livre dense et difficile quelques pages
de synthèse, aussi exigeant et périlleux que puisse être pareil travail, susceptible de
mettre en valeur le flot de connaissances précises rassemblées par les spécialistes.
Jean-Marie CAUCHIES

La trace médiévale et les écrivains d’aujourd’hui, sous la dir. de Michèle GALLY,


Paris, P.U.F., 2000 ; 1 vol. in-8°, 256 p. (Collection Perspectives Littéraires).
Se situer exprès hors du strict enclos chronologique qui circonscrit le Moyen Âge
afin de le considérer de loin. Ce qui fonde la coalition et le propos de ce recueil,
délibérément tourné vers la période contemporaine, consiste à ouvrir une large
enquête sur ce qui demeure de la « matière médiévale » quand justement « ce qui l’a
produit – onde, vision – a disparu ». Pour mieux poser ce dont on parlera, M. Gally
jette à la volée un mot distingué et conceptuel, celui de rémanences, terme dérobé au
domaine scientifique (utilisation à propos de laquelle on se demande vraiment si c’est
pour dérider les fronts, les faire se plisser, ou bien pour inciter les cerveaux à
davantage s’activer qu’un réflexe universitaire assez répandu croit nécessaire de
lancer dans l’aire des lettres et l’air de la terminologie moderne ce type de faux
néologisme différantiel ?). Le vulgaire quant à lui peut préférer s’en tenir à la première
indication, celle qu’offre le titre de l’ouvrage, plus simple, moins maniérée et
banalement (serait-ce un défaut ?) compréhensible.
590 COMPTES RENDUS

Cinq regroupements de témoignages ou d’études se relaient, et, comme au théâtre,


l’organisation prévoit de farcir le programme sérieux d’intermèdes récréatifs,
particules littéraires fournies en accompagnement comme autant de pièces à
conviction chargées de prouver que la médiévité, comme on tiendra à l’appeler, se
maintient en pleines formes et reste à l’ordre du jour.
À tout seigneur tout honneur : la parole est d’abord confiée aux écrivains. Y.
Bonnefoy rend compte du fort attrait qu’ont exercé sur lui les romans bretons. La
littérature arthurienne est avant tout poésie ; elle donne à rêver et maintient le
mystère d’un sens à trouver jamais défini par avance, grâce à quoi elle sait fasciner et
façonner le poète en devenir. P. Lartigue se tournera vers Arnaut Daniel pour prendre
et nous donner une leçon de sextine ; les formes qu’il saisit dans les œuvres
médiévales, il les fait siennes. Dûment averti, le lecteur pourra reconnaître dans ses
Beaux Inconnus plusieurs éléments d’influence remontant aux troubadours ou au
roman de Flamenca. Puis le degré d’intimité des confidences émises se renforce :
quand F. Delay a rencontré J. Roubaud, elle est tombée amoureuse de… Gauvain et
la vue du travail de L. Ronconi sur l’Orlando furioso a propulsé sur des roulettes son
envie d’écrire : tant d’émotions heureusement combinées ont abouti à Graal Théâtre,
né en soixante-treize. Enfin, pour J. Darras, prendre son nom de famille au pied de la
lettre a établi son programme d’études : Adam de la Halle, les Beaumanoir, tous les
Picardiseurs et les Picardisants ont su l’accrocher au terroir nominal et rendre cet
Arrageois arrangé « plus arrageois », avoue-t-il, « que les Arrageois mêmes ».
Le deuxième groupe d’articles se plaît à réunir certaines Paroles d’aujourd’hui
recouvrant quelques Formes d’hier. P.M. Joris note que le Moyen Âge du poète Ch.A.
Cingria conduit de Dante à Saint-Gall pour rebondir des moines de Saint-Gall jusqu’à
James Joyce. L. Flieder constate l’existence de multiples points de concordance entre
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


la recherche des Grands Rhétoriqueurs et les pratiques ludiques de modernes bon
teint (tels que Cocteau, Desnos, Aragon, etc.). Pour M. Bacilupo, Pound et Eliot
offrent deux types contrastés de relation avec le Moyen Âge.
Passons maintenant aux démarches plus conscientes et volontaires perçant dans
les réécritures ou les exercices de « variations à partir de… ». A. Corbellari se penche
avec objectivité sur l’exemple français le plus représentatif (le célébrissime Tristan du
romancier Bédier). Que du côté anglais The Lord of the Rings puise une vaste part de
son inspiration dans le Moyen Âge ne sera pas, en soi, une révélation, mais les
précisions que V. Ferré apporte sont multiples (quantité de passerelles relient, en
effet, l’univers de Tolkien aux textes médiévaux). La dernière de ces trois analyses se
fixe sur une production romanesque plus récente et détermine comment, en 1989, M.
Rio a, dans son Merlin « reformul[é] un mythe médiéval à la lumière du
désenchantement contemporain » (M. Séguy).
Puisque la bande dessinée et le théâtre ont ceci de commun qu’ils « donnent à
voir », ils deviennent pour cette raison Les Compagnons du Groupuscule numéro quatre
du recueil. On saute directement de l’album du Dernier Chant des Malaterre de F.
Bourgeon – dans lequel J.J. Vincensini regarde quel sort est dessiné au mythe
mélusinien – aux cinq mansions du Martyre de saint Sébastien de d’Annunzio, quand
J. Lacroix ressuscite pour nous ce mystère moderne de 1911. Le Roi Pêcheur vient
ensuite dans les années 40 lancer au Graal un cortège de questions pointues,
soigneusement déchristianisées et déplacées sur un nouveau terrain, celui du rapport
COMPTES RENDUS 591

de l’homme au monde, mais, comme le fait valoir J.Ch. Huchet, la quête de


reconnaissance de la pièce auprès du public échouera : le rendez-vous manqué de J.
Gracq avec le théâtre a incité le dramaturge vexé à renoncer à ce type d’écriture (tout
se passant comme si l’auteur héritait après coup de la blessure d’Amfortas et du
mutisme de Perceval).
Le Moyen Âge propre à J. Gracq revient sur le devant de la scène en version élargie
avec M. Murat, qui sonde maintenant toute l’œuvre de l’écrivain. E. Angel-Perez
montre, elle, comment les dramaturges contemporains anglais ont utilisé à des fins
politiques plusieurs apports du théâtre médiéval, tandis que L. Giavarini nous invite
à découvrir la variété des modes d’approche avec lesquels l’art cinématographique
s’est laissé impressionner par la matière de Bretagne.
Après quoi l’épilogue de M. Gally réfléchit de manière pointue sur le fond des
problèmes soulevés et synthétise les grandes leçons à tirer de tous ces examens de
passage(s). Le bilan est abondant et chaque secteur entrevu appelle une conclusion
nuancée. Bref ce livre dynamique, parce qu’il a l’excellente idée de limiter son champ
opératoire au seul XXe siècle et la belle énergie d’examiner les multiples retombées de
notre rapport poétique au Moyen Âge, vient démontrer une fois de plus à quel point
« le Moyen Âge dans la modernité » est un sujet passionnant, dont on n’aura jamais
fini d’envisager tous les aspects.
Caroline CAZANAVE

The Saxon Mirror. A Sachsenspiegel of the fourteenth century, trad. Maria DOBOZY,
Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1999 ; 1 vol. in-8°, XI-263 p. Prix :
USD 55.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Est-il encore nécessaire de présenter le Sachsenspiegel, la compilation de droit saxon
(Land- und Lehnrecht) rédigée vers 1225 par Eike von Repgow, un chevalier des
environs de Dessau ? En effet, tout étudiant en droit ou en histoire vous dira, ou
devrait pouvoir vous dire, qu’il s’agit d’un des recueils privés de coutumes les plus
connus et les plus anciens du bas Moyen Âge.
Le texte, largement diffusé à travers l’Europe centrale dès le XIIIe siècle, a été
décortiqué sous toutes ses coutures : juristes, historiens et philologues se sont
penchés sur ce texte, les historiens de l’art ont minutieusement analysé l’iconographie
et aucun des 450 manuscrits conservés n’a échappé à l’examen des codicologues. Et
pourtant, on ne disposait pas de version anglaise complète et critique du
Sachsenspiegel ! C’est aujourd’hui chose faite grâce à la traduction que M. Dobozy,
professeur de littérature germanique du Moyen Âge à l’Université de Pennsylvanie,
a réalisée à partir d’un manuscrit enluminé du milieu du XIVe siècle conservé à la
Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel (Allemagne).
Traduire est toujours un exercice délicat, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un
texte juridique ancien. Il faut peser la signification de chaque terme, veiller à
conserver le sens général des dispositions juridiques sans pour autant oublier de
soigner le style. Il faut surtout s’imprégner du cadre historique dans lequel la source
originale se situe tout en sachant rendre la traduction compréhensible par un
vocabulaire contemporain adapté. Ces problèmes se posent avec plus d’acuité encore
lorsqu’on traduit vers l’anglais, cela en raison du particularisme de la culture
592 COMPTES RENDUS

juridique anglo-saxonne. L’A. de la présente traduction en était pleinement


consciente en entamant son travail et cette préoccupation ne semble jamais l’avoir
abandonné. Dans l’appareil critique, elle propose d’amples explications
philologiques, juridiques et historiques, multipliant pour chaque notion technique
synonymes et circonlocutions. L’ensemble des termes pouvant prêter à confusion, ou
susceptibles de plusieurs significations selon le contexte, sont également repris dans
un glossaire donnant, pour chacun d’eux, outre l’équivalent anglais, allemand et en
Hochdeutsch, les interprétations différentes que peut révéler l’étude approfondie du
texte.
On constate que, à défaut d’avoir publié en vis-à-vis le texte original – qui demeure
la solution idéale, même si on comprend qu’elle n’est pas toujours matériellement
réalisable – les plus grandes précautions ont été prises pour préserver l’authenticité
du texte. La traduction, d’une lecture très agréable, est en outre enrichie d’une bonne
introduction fondée sur un dépouillement bibliographique exhaustif ainsi que d’un
index général très utile. L’édition est enfin agrémentée de quelques reproductions –
trop peu nombreuses sans doute – des illustrations du manuscrit original.
En résumé, un instrument de travail solide qui, outre l’intérêt qu’il devrait susciter
auprès des linguistes, ouvrira aux médiévistes et historiens du droit anglo-saxons de
nouvelles perspectives de recherche. Ces derniers n’oublierons toutefois pas qu’il
s’agit d’une traduction, aussi fiable et critique soit-elle.
Serge DAUCHY

La vie matérielle au Moyen Âge. L’apport des sources littéraires, narratives et de la


pratique. Actes du Colloque international de Louvain-la-Neuve, 3-5 octobre
1996, éd. Emmanuelle RASSART-EECKHOUT, Jean-Pierre SOSSON, Claude THIRY et
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Tania VAN HEMELRYK, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain, 1997 ;
1 vol. in-8°, 366 p., ill. (Publications de l’Institut d’Études Médiévales, Textes, Études,
Congrès, 18). Prix : BEF 1 750 ; € 43,38.
La notion de vie matérielle est tellement vaste qu’il est difficile de garder une ligne
directrice dans un recueil d’articles comme celui-ci. Le sous-titre pourtant apporte un
fil d’Ariane. Le but de l’ouvrage n’est pas de retracer une histoire de la vie matérielle
à la fin du Moyen Âge, ou de faire une synthèse sur le sujet. C’est plutôt de décortiquer
les sources, tous les types de sources : littéraires, normatives et de la pratique,
autrement dit les sources émanant de ceux qui racontent, décrivent, légifèrent,
ordonnent, comptent ou représentent. On verra alors ce qu’elles peuvent ou pourront
apporter aux connaissances sur la vie privée, quotidienne, matérielle dans l’Occident
chrétien pendant les deux derniers siècles du Moyen Âge. Il sera alors peut-être
possible de répondre à la question de Ph. Contamine, qui signe les conclusions : « les
hommes des XIVe-XVe siècles voyaient-ils, entendaient-ils, sentaient-ils, goûtaient-
ils, touchaient-ils exactement comme nous ? ».
La plus grande prudence s’impose dans l’étude et l’utilisation des sources. Il faut
sans doute les répertorier, les classer, les tester, mais aussi les comprendre, les mettre
en rapport les unes avec les autres et voir leurs apports réciproques, tout en se gardant
de les superposer, chacune ayant ses caractéristiques propres. Les sources littéraires
sont certes des documents d’histoire. Le Mesnagier de Paris, le Miroir de mariages
informent sur la vie quotidienne et la mentalité de la bourgeoisie parisienne à la fin
COMPTES RENDUS 593

du XVe (K. Ueltschi, Cl. Thiry). L’œuvre d’Eustache Deschamps fait entrer le concret
dans la poésie. Il n’empêche qu’il ne faut pas oublier que ce sont, avant tout, des textes
littéraires. De même, la Chronique de Jean Molinet comprend des données factuelles,
énumératives, à côté d’envolées rhétoriques. Les proverbes, les locutions, des
expressions diverses émanent de la culture populaire et peuvent donc nous éclairer
sur cette dernière, même s’ils nous parviennent à travers des textes destinés aux riches
et aux puissants (E. Rassart-Eeckhout). Ils pourront donner une idée des pratiques
alimentaires, de la valeur attribuée aux différents aliments par un groupe social
pauvre. Le théâtre informe aussi sur la manière dont la cuisine et les réjouissances
festives sont perçues (J. Koopmans, G.A. Runnalls). La littérature informe encore sur
les fleurs, leur rôle, leurs usages, et de là on débouche sur les rites, les coutumes, les
fêtes, les tournois, les banquets, les processions, les enterrements, les mariages, autant
d’événements de la vie quotidienne (T. Van Hemelryck). On peut aussi en apprendre
beaucoup de textes parlant de personnages types, comme maître Aliborum qui a
traversé les siècles, le sot qui fait le pédant, mais aussi l’espiègle, le magicien, le
charlatan (P. Verhuyck). Les comptes des dépenses d’un prince à la cour des comtes
de Bourgogne nous éclairent sur sa personnalité, ses activités, ses préoccupations
religieuses, intellectuelles, sur son rôle public, et plus généralement sur la vie d’une
cour princière vue par un de ses acteurs (M.Th. Caron).
Souvent la combinaison de différents types de source est appelée à la rescousse.
Connaître la manière dont les problèmes de ravitaillement sont résolus en temps de
guerre implique de recourir aux sources littéraires, chroniques et poésies de
circonstance, mais aussi, entre autres, aux traités politiques et militaires (J. Devaux).
La confrontation de sources littéraires, comme les Cent nouvelles nouvelles, reflets de
l’activité juridique, de sources chiffrées, de lettres de rémission, de comptes des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


officiers de justice, donne une approche du vécu, des gestes et des attitudes, et plus
spécialement de l’opinion des élites au sujet de comportements jugés inadmissibles
et punissables (M. Boone). Des données comptables rapprochées de sources
narratives comme les chroniques brabançonnes (Brabantsche Yeesten) peuvent rendre
compte de la vie matérielle du Brabant au XVe siècle, en sachant que dans celles-ci
sont reprises presque exclusivement les célébrations d’envergure, comme les
funérailles (A. Chevalier-De Gottal). Les inventaires après décès constituent des
mines d’information puisqu’ils présentent des listes de biens dans une maison, leurs
prix, leur origine géographique, en plus des dettes et des gages éventuels
(C. Vandeuren-David). Certains comptes permettent d’en savoir plus sur la vie
quotidienne de la main-d’œuvre, sur son alimentation, connaissances nécessaires
pour avoir une vue de sa vie de tous les jours (D. Rippmann). Le recours systématique
aux sources chiffrées, doublé d’un recours aux sources narratives et archéologiques
donne des résultats intéressants pour une véritable histoire de l’alimentation
(C. Dyer), pour la reconstitution des réseaux d’approvisionnement alimentaire dans
les villes et à la campagne, mais aussi pour les circuits d’approvisionnement à longue
distance (J.M. Yante). Les sources autres que les textes écrits, par exemple les sources
iconographiques, gagnent à être utilisées. Les illustrations des mois de l’année
trouvées dans des églises et des maisons dans les Alpes permettent de comprendre
le rôle de l’image dans la société, le contexte qui a amené sa production et permis sa
diffusion. On peut en tirer des données concrètes ou imagées sur la vie quotidienne
(S. Boscani).
594 COMPTES RENDUS

Une histoire de la vie matérielle au Moyen Âge implique le recours à une variété
incroyable de sources : annales, chroniques, mesures fiscales, tarifs et comptes de
péages, traités commerciaux, sources judiciaires, réglementations corporatives,
iconographie, topographie, archéologie, et j’en passe. La conclusion, c’est un terrain
défriché mais qui nécessite encore beaucoup de travail. Des pistes sont tracées, des
idées de recherche sont lancées. L’histoire de l’alimentation connaît, par exemple, un
grand succès et nos connaissances en ce domaine se développent. Peut-être au
détriment d’autres sujets de la vie quotidienne ? Mais après tout, l’alimentation au
Moyen Âge a toujours été une préoccupation prioritaire et même obsédante à
certaines époques.
Christiane DE CRAECKER-DUSSART

Jennifer R. GOODMAN, Chivalry and exploration. 1298-1630, Woodbrigde-Rochester,


Boydell & Brewer, 1998 ; 1 vol. in-8°, VII-234 p., ill. ISBN : 0-85115-700-9. Prix :
GBP 35 ; USD 63.
J.R. Goodman réhabilite les romans de chevalerie de la fin du Moyen Âge qui, faut-
il le dire, sont souvent dédaignés et considérés comme la manifestation mièvre d’un
idéal noble : l’esprit chevaleresque. Elle constate que ces textes, loin d’être un genre
déclinant, sont très populaires et jouissent d’une audience non négligeable. La preuve
en est le nombre de copies, d’éditions et de traductions. Or, ils ne portent pas que sur
l’amour et les faits de vaillance, mais aussi sur les voyages. Le chevalier des romans
circule à travers des pays variés, est éprouvé par la fatigue et par les difficultés du
voyage, il rencontre des êtres étranges dans les contrées lointaines qu’il traverse. Il
n’est donc pas étonnant de constater que les explorateurs du temps relatent leurs
expériences en faisant appel à des romans de chevalerie comme modèle textuel. Les
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


idéaux chevaleresques perçus à travers les romans ont bien une influence sur les
hommes qui ont exploré et conquis les territoires non européens. Les fantaisies
chevaleresques façonnent ce que les Européens voient ailleurs et ce qu’ils écrivent à
propos de leurs aventures au loin. Pour étayer cette thèse, J.R.G. compare la littérature
chevaleresque du XIVe au XVIe siècle et les récits d’exploration à la même période.
Parmi les textes étudiés, trois sont de la période médiévale : le Devisement du Monde
ou Il Milione de Marco Polo, le Canarien et la Cronica de Tomada de Ceuta de Eanes de
Zurara.
Le récit de Marco Polo est écrit par Rusticello de Pise. Il est pourtant difficile de dire
dans quelle mesure il a participé à la rédaction du livre : l’a-t-il simplement transcrit,
ou plutôt traduit, complété, embelli ? Comme on attribue par ailleurs à Rusticello des
romans de chevalerie arthuriens (Gyron le Courtoys et Meliadus de Leonnoys), J.R.G.
conclut que la narration des aventures de Marco Polo a été façonnée par Rusticello
selon la mode chevaleresque qui lui était coutumière. Encore que cette hypothèse se
heurte à d’autres conclusions qui laissent planer un doute quant au contact de
Rusticello avec l’Angleterre. Alors, Marco Polo « à l’impressionnante faconde » ou
Rusticello « rompu à la technique de la rédaction, amateur et peut-être compilateur
de récits merveilleux »1 ? Après tout, peu importe : les romans de chevalerie hantent
ce texte…

1. A. JORIS, Autour du Devisement du Monde, Le Moyen Âge, t. 100, 1994, p. 354.


COMPTES RENDUS 595

Le Canarien relate l’expédition française menée en 1402 aux Canaries par Gadifer
de la Salle qui s’était associé à Jean de Béthencourt. Ce texte connaît deux versions,
l’une à la gloire de Gadifer de la Salle, l’autre plutôt favorable à Béthencourt. J.R.G.
s’intéresse à la première des deux. Son analyse minutieuse du texte lui fait dire qu’il
peut être lu comme une biographie chevaleresque de Gadifer qui, comme tant de
chevaliers dans les romans, est trahi par ses partenaires. Ici aussi elle détecte une
influence manifeste de l’idéal chevaleresque.
La Cronica de Tomada de Ceuta écrite vers 1440 par Gomes Eanes de Zurara raconte
la croisade menée par les princes portugais, notamment Henri le Navigateur, pour
prendre Ceuta. Là aussi J.R.G. détecte des influences arthuriennes.
Par l’analyse approfondie de ces différents textes et d’autres datant des XVIe et
XVIIe siècles, l’A. démontre que la chevalerie est une force vitale, qu’elle marque
l’imagination et l’action des hommes qui ont exploré (comme le seul Marco Polo ici)
ou plutôt conquis le monde. Pour comprendre ces hommes, il faut prendre conscience
de leurs « fantaisies ». Et nous ne pouvons comprendre celles-ci que si nous nous
rendons compte à quel point ils étaient conditionnés par les romans de chevalerie
florissant à la fin du Moyen Âge. Les arguments de J.R.G. sont originaux et sans doute
justifiés en grande partie. On a juste l’impression que le composant chevaleresque
dans les textes étudiés a une importance énorme, voire écrasante…
Christiane DE CRAECKER-DUSSART

Kathy Lynne Roper PEARSON, Conflicting loyalties in early medieval Bavaria. A


view of socio-political interaction, 680-900, Aldershot, Ashgate, 1999 ; 1 vol. in-
8°, XV-247 p. Prix : GBP 45.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Cet ouvrage est conçu de manière symétrique. Il est ouvert par un chapitre sur « la
Bavière avant le règne du duc Théodo » qui fait office d’introduction et sert à brosser
un tableau de la Bavière à la charnière du VIIe et du VIIIe siècle. Puis le VIIIe et le
IXe siècle sont évoqués de manière similaire : d’abord l’A. propose une trame
événementielle, placée sous le thème de la formation d’une « territoriality » dont on
cherche à cerner le sens précis, alors même que certaines formulations contribuent à
en rendre la teneur sibylline (ainsi, p. 214 : « Charlemagne’s support of the church
was another factor in his strong territoriality ») ; ensuite, un chapitre est à chaque fois
consacré aux élites foncières. Eu égard à l’importance des transactions foncières dans
l’approche retenue (comme en témoignent par exemple les tableaux en annexe, où les
chartes des principaux cartulaires font l’objet d’une analyse quantitative d’après leur
nature), il est dommage que l’A. n’ait pas eu connaissance de certains travaux de son
compatriote C. Hammer, spécialiste de l’histoire bavaroise1. Quant à la conclusion de
ce livre oscillant sans cesse entre un travail de compilation et une approche fondée sur
les sources, elle s’avère d’autant plus fade que le titre de l’ouvrage était
particulièrement alléchant.
Plusieurs négligences irritent le lecteur. Les publications évoquées dans les notes
infrapaginales ne sont pas toutes répertoriées dans la bibliographie. Par exemple, on
y cherche en vain le recueil de sources édité par P. Fouracre et R. Gerberding2, auquel

1. Cf. notamment Early medieval Europe, t. 6, 1997.


2. Late Merovingian France. History and Hagiography, 640-720, Manchester, 1996.
596 COMPTES RENDUS

il est fait référence p. 30 n. 3 : « Fouracre and Gerberding, 1996 ». Certaines citations


latines sont erronées. Ainsi, p. 90, il faut corriger superdictam hominem, qui n’a aucun
sens, par supradictorum hominum1. Une formulation concernant Adalram de
Salzbourg s’avère particulièrement malheureuse. L’A. écrit que le successeur d’Arn
sur le siège de Salzbourg « servit initialement comme archidiacre à la cour de Louis
le Pieux » (p. 164) en se fondant sur H. Wolfram (qui n’affirme rien de tel) et sur un
acte relatant en fait comment Adalram, archidiacre de Salzbourg, fut envoyé par son
archevêque à la cour de Louis le Pieux pour obtenir la confirmation d’un privilège !
Contrairement à ce que laisse entendre l’A., Adalram ne fit pas partie du palais
impérial. Il s’agit d’ailleurs d’un personnage que J. Fleckenstein avait retenu comme
exemple de prélat n’ayant pas fait carrière à la cour2. Reste un trait fort gênant : la
faiblesse de l’analyse critique des sources. Il est en effet troublant que l’A. utilise la Loi
des Bavarois pour étudier la société d’« avant Théodo » (p. 17 s.), alors même qu’il
reconnaît que ce texte date du milieu du VIIIe siècle (p. 11). De même, la Vita
Corbiniani d’Arbéo de Freising († 783) est utilisée comme source concernant l’époque
de Théodo (p. 45 s.) sans un mot pour évoquer les risques inhérents à l’analyse d’un
texte tardif. Quant à l’appréciation selon laquelle la Conversio Bagoariorum et
Carantanorum est un texte du « début » du IXe siècle (p. 31), elle est tout simplement
erronée.
Si l’on en croit la préface, le livre de K.L.R.P. a pour objet d’offrir au public
anglophone une synthèse des travaux allemands relatifs à l’histoire de la Bavière au
haut Moyen Âge. De fait, la bibliographie en langue allemande citée en fin de volume
est abondante, mais il manque certains titres importants publiés dans les dernières
années (on conçoit par exemple difficilement qu’il soit désormais possible de
s’intéresser à Tassilon en ignorant la thèse de M. Becher, publiée en 1993) – sans parler
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


de la bibliographie française (alors que l’A. accorde à juste titre une place non
négligeable aux liens familiaux, la thèse d’État de R. Le Jan, publiée en 1995, lui
semble également inconnue). Bref, si l’on peut glaner quelque idée à la lecture de cet
ouvrage, il ne dispense aucunement de la fréquentation des classiques de l’histoire
bavaroise, dus à W. Störmer ou à J. Jahn pour n’en citer que deux.
Philippe DEPREUX

Karina KELLERMANN, Abschied vom « historischen Volkslied ». Studien zu


Funktion, Ästhetik und Publizität der Gattung historisch-politische
Ereignisdichtung, Tübingen, Niemeyer, 2000 ; 1 vol., 416 p. ISBN : 3-484-15090-4.
Prix : DEM 136 ; ATS 993 ; CHF 121.
K. Kellermann fait ses adieux à la « chanson populaire historique ». Dans son
ouvrage, elle dresse un tableau précis des différentes caractéristiques d’un genre,
rangé à l’origine par les Romantiques sous l’étiquette « chanson populaire
historique », puis considéré comme tel par l’ensemble de la critique. En restituant
précisément la « chanson populaire historique » dans un contexte historique et

1. Cf. F. LOSEK, Notitia Arnonis und Breves Notitiae. Die Salzburger Güterverzeichnisse aus
der Zeit um 800 : Sprachlich-historische Einleitung, Text und Übersetzung, Mitteilungen der
Gesellschaft für Salzburger Landeskunde, t. 130, 1990, p. 5-192, à la p. 112 (K.P. ignore cette édition
de référence).
2. Die Hofkapelle der deutschen Könige, t. 1, Stuttgart, 1959, p. 183 n. 128.
COMPTES RENDUS 597

politique bien défini, K.K. suggère une nouvelle appellation, plus précise, plus
adéquate pour qualifier ce genre : elle propose de le nommer désormais « poésie de
l’événement historico-politique » (p. 5), mettant ainsi fin à une longue et dense
discussion autour de la définition du concept.
L’ouvrage est composé de six parties, organisées comme suit : 1) Introduction, 2)
Historique du genre, 3) Présentation et analyse de huit poèmes événementiels ayant
trait à la guerre des margraves (1449-53), 4) Approche historique de la fonction du
genre, 5) Profil esthétique de la poésie de l’événement historico-politique, 6) Étude de
la réception du genre.
Dans sa première partie (p. 7-34), K.K. déplore le manque d’intérêt de la critique
pour le sujet mais présente, sur plus d’une vingtaine de pages tout de même, un bilan
chronologique détaillé et complet de l’ensemble des recherches réalisées sur la
question, discutant ou précisant nombre de travaux antérieurs.
Dans sa deuxième partie (p. 35-104), l’A. réfléchit à une définition précise de la
poésie de l’événement, ainsi qu’à la méthode et à la terminologie à employer pour
analyser les textes de son corpus ; elle fait le point sur la matière qui se trouve à sa
disposition et situe le genre par rapport à d’autres, relevant ressemblances et
différences. La poésie de l’événement est abordée ici en tant que concept et en tant que
forme poétique littéraire et historique.
La troisième partie (p. 105-216) retrace le contexte historico-politique troublé des
années 1449 à 1453, période durant laquelle les princes et les villes de l’Empire se
livrent bataille pour des raisons principalement politiques et juridiques. L’A.
présente les huit textes de son corpus dans leur langue originale du XVe siècle avec
leur traduction moderne en synoptique, ainsi que l’ensemble de leur tradition
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


manuscrite. Elle fait enfin de chacun des textes une analyse détaillée et rigoureuse qui
révèle leur structure narrative, leur contexte historico-politique, leur référent
littéraire et thématique. La confrontation comparée des textes VII et VIII (p. 182-186)
est particulièrement enrichissante. Elle montre deux rédactions différentes d’un
poème retraçant un événement similaire ; leur analyse révèle des similitudes ou des
divergences en partie dues à l’anonymat ou, au contraire, à la célébrité (Hans
Rosenplüt) de leur auteur respectif. K.K. met l’accent sur l’importance de la paternité
ou de la non-paternité littéraire de la poésie événementielle : les auteurs connus,
inconnus, anonymes ou parfois cachés derrière un pseudonyme se considèrent dans
tous les cas comme les témoins d’actes qu’il faut rapporter pour informer le citadin.
Dans sa quatrième partie (p. 217-284), l’A. s’interroge sur la fonction du genre, sur
le contexte dans lequel les différents auteurs évoluent, ainsi que sur les intentions et
l’effet de cette littérature, elle conclut : l’intention pragmatique de la poésie de
l’événement s’inscrit dans une optique didactique, documentaire, politique et morale
(p. 268).
Dans sa cinquième partie (p. 285-332), K.K. cherche à définir précisément le profil
esthétique de la poésie de l’événement historico-politique. Le caractère
propagandiste de certains poèmes n’étant pas à négliger, l’A. étudie dans la mesure
du possible la part de vérité et de fiction propre à ce genre. Le postulat veritas reste
intimement lié au concept d’historicité mais, en fonction des auteurs et de la
poétisation du texte, le rapport à la vérité est plus ou moins confus (p. 293). Aussi,
598 COMPTES RENDUS

cette partie met-elle également en évidence la part de fiction présente dans les récits
historiques.
La sixième partie (p. 333-364) offre un aperçu précis du public auquel a pu
s’adresser le genre : la poésie de l’événement n’est pas destinée qu’à quelques nobles,
comme cela a pu être le cas pour d’autres textes médiévaux, elle touche au contraire
un public plus large, citadin et très concerné par les événements qui se déroulent dans
la ville.
On appréciera tout particulièrement la présence de trois index fournis (des textes,
des noms et des lieux) et d’une bibliographie fort dense. Compte tenu de la
pluridisciplinarité du sujet traité, il est cependant regrettable que cette bibliographie
ne soit pas davantage subdivisée ce qui aurait pu en faciliter la consultation.
Écrit dans une langue claire et pourtant élaborée, riche en nouveaux concepts,
l’ouvrage de K.K. intéressera autant l’historien que le littéraire.
Astrid GUILLAUME

Antonio Ivan PINI, Città, chiesa e culti civici in Bologna medievale, Bologne,
C.L.U.E.B. [Cooperativa Libraria Universitaria Editrice Bologna], 1999 ; 1 vol. in-
8°, 346 p., cartes, ill. (Bibliotheca di storia urbana medievale, 12). ISBN : 88-491-1368-
4. Prix : ITL 45 000, € 23,24.
Grand historien de la Bologne médiévale et explorateur infatigable de richesses
archivistiques prodigieuses et encore sous-exploitées, A.I. Pini est bien connu pour
ses travaux essentiels sur la vie communale, ses heurts politiques et l’articulation de
ses quadrillages multiples, sur le travail et les métiers, sur la démographie de la ville
et l’économie rurale du « contado ». Il n’a pas pour autant négligé un autre angle
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


d’attaque, l’histoire de l’église bolonaise, son difficile passage au camp grégorien, sa
place dans la société locale. Les articles assez dispersés où il a mûri ces thèmes se
trouvent aujourd’hui très commodément réunis, et mis en perspective par une utile
introduction (p. 7-29) et par une bibliographie large et à ce titre fort précieuse (p. 305-
321).
Parues depuis près de trente ans, les études montrent bien à l’œuvre des
interrogations dont la fertilité a été parfois reconnue plus récemment, comme
l’apport des sources liturgiques, ou l’attention aux « religions civiques »
communales, depuis lors promues comme une voie royale de l’histoire urbaine. La
table rase critique dont l’A. est familier s’attaque à presque tous les domaines :
critique archéologique pour la date et l’étendue de la première enceinte (redatée
d’une hâtive campagne byzantine en 637-641), critique diplomatique des faux
privilèges de Grégoire VII et Pascal II pour l’église bolonaise (celui de 1074 étant
fabriqué aux années 1140, celui de 1114 au XIIIe siècle), critique d’attribution d’un
célèbre mais difficile calendrier des jours fériés de la fin du IXe siècle (rapporté
désormais à l’église de Faenza), critique des légendes hagiographiques, surtout, et au
sens large, qui décape les strates de « bolonisation » de saints aux origines gênantes
(Vital de Ravenne) ou spécialement douteuses (Procolo), les transferts aussi (avec la
victoire de Vital et Agricola sur Ambroise, puis la promotion de Petronio).
C’est dans ce contexte que rebondit et chemine la recherche la plus captivante, en
trois temps et deux protagonistes : celui de l’évêque à peine converti à la Réforme aux
COMPTES RENDUS 599

premières années du XIIe siècle et aussitôt modèle et moule pour les élites laïques, qui
collaborent avec lui pour achever de secouer la tutelle ravennate, pour soumettre et
unifier le « contado » ; celui de la ville en plein essor dont la conscience citadine aurait
été retardée, sinon dans son éclosion du moins dans son expression, par
l’internationalisme du studium ; celui enfin de l’envolée laïque de la seconde moitié
du XIIIe siècle, qui se trouve des motifs propres d’orgueil communal (aux dépens du
pauvre roi Enzo) sans abandonner la veine hagiographique, réorientée vers de
« purs » Bolonais, Procolo et surtout l’évêque Petronio, alternativement anti-
ravennate et anti-romain, et titulaire de l’extraordinaire basilique construite par la
commune à la fin du Moyen Âge. La complexité et la richesse du sujet est
magnifiquement saisie dans la dernière étude, qui interroge les dédicaces des
chapelles fondées dans ce sanctuaire : plutôt délaissées par les vraies familles
gouvernantes, qui ont d’autres ancrages et peut-être aussi auto-limitent ici comme
ailleurs les manifestations trop voyantes de leur puissance, les créations de chapelles
sont « abandonnées » ou aux lignages d’ancienne noblesse, disqualifiés
politiquement, ou aux manieurs d’argent assoiffés de reconnaissance sociale, ou aux
métiers les plus en vue, notaires et bouchers.
Autant de jalons rigoureusement posés à des enquêtes de grande ampleur sur
l’Église à Bologne et sur Santo Stefano, qu’annonce l’A. et que l’on attend avec
d’autant plus d’impatience.
Olivier GUYOTJEANNIN

Dyan ELLIOTT, Fallen bodies : pollution, sexuality & demonology in the Middle
Ages, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1998 ; 1 vol. in-8°, 300 p. (The
Middle Ages Series). ISBN : 0-8122-1665-2.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Ce nouveau livre de D. Elliott comporte six chapitres qui peuvent être lus de
manière indépendante mais qui sont tous liés du point de vue du contenu. L’approche
n’est pas chronologique mais thématique : par une juxtaposition originale – et même
parfois inattendue – de textes, D.E. veut montrer comment les vieux thèmes de la peur
de la pollution provoquée par la sexualité – et de la femme qui l’incarne – aussi bien
que ceux des régulations sexuelles et de la place du démoniaque, ont pris des formes
nouvelles entre le XIe et XVe siècle et comment ils se sont graduellement et de plus en
plus associés. En étudiant tous ces développements, elle veut aussi éclairer comment
le passé se maintient et s’affermit souvent dans les discours mêmes qui s’emploient
à l’effacer.
Les thèses centrales du livre sont inspirées par le concept psychanalytique de la
répression : selon la psychanalyse freudienne, les instincts libidineux qui sont
réprimés et bannis vers l’inconscient reviendraient d’une manière (symbolique) ou
autre et sous un aspect déformé dans la vie des personnes concernées. D.E. transpose
ces idées a l’époque médiévale en avançant l’hypothèse que la lutte pour la pureté
rituelle qui implique la répression des instincts sexuels par le clergé et le rejet de la
femme (du prêtre), aurait provoqué la démonification progressive de la femme et
plus concrètement la matérialisation de la figure de la sorcière à la fin du Moyen Âge.
La réforme grégorienne et plus spécifiquement la propagation du célibat
ecclésiastique aurait fonctionné comme catalyseur dans ce processus.
600 COMPTES RENDUS

Le chapitre premier traite – à l’aide de sources théologiques et d’exempla – de la


pollution nocturne qui menace la pureté rituelle des prêtres et dont l’absence est
considérée comme signe de la plus grande pureté. Toutefois les auteurs décrivent
comment les appétits sexuels réprimés par les clercs réapparaissent par exemple dans
leurs rêves qui sont souvent peuplés de femmes séductrices ; dans la figure de
l’amante démoniaque (le succube) ces appétits prennent même une forme
matérielle. Selon D.E. les idées concernant la matérialité des démons manifestent les
mêmes préoccupations que le discours contemporain sur la transsubstantiation.
Le chapitre 2 décrit les opinions sur la sexualité féminine qu’on peut déduire des
textes théologiques (surtout) dominicains. Les théologiens expriment l’idée que la
femme, pour des raisons physiques et psychologiques, a une plus grande fantaisie
que l’homme et qu’elle est beaucoup plus sensuelle (même voluptueuse) et moins
rationnelle que lui. Par conséquent elle est plus susceptible d’inspirations divines
dans le cadre de la mystique aussi bien que de visitations diaboliques. Ce dernier
aspect se manifeste particulièrement en ce qui concerne le sexe avec les incubes
auquel elle participe volontairement. L’asymétrie entre les genres est claire : bien que
l’on attache de l’importance à la virginité mentale, l’intégrité corporelle reste
beaucoup plus importante pour les femmes que pour les hommes et tandis qu’un
homme peut être pollué sans le vouloir, la pollution féminine est toujours considérée
comme le résultat d’un acte conscient et intentionnel ; les auteurs pensent même que
les femmes éprouvent du plaisir sexuel lors d’un viol.
Le chapitre 3 s’occupe du thème du sexe dans des endroits saints. Ce sacrilège, qui
est perçu de longue date comme une menace pour la pureté de la communauté,
préoccupe beaucoup les réformateurs grégoriens ; il est par exemple décrit dans
plusieurs collections de miracles et d’exempla et les théologiens s’en occupent aussi.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


D.E. montre que – probablement sous l’influence d’une attitude plus positive envers
la sexualité conjugale – les personnes mises en scène qui étaient d’abord des
fornicateurs deviennent ensuite des gens mariés. Elle insiste aussi sur le fait que la
communauté joue un rôle de témoin du miracle de punition et elle démontre que cette
communauté, par ses prières, participe de manière active à la purification du lieu
concerné.
Le sort de la femme du prêtre et les conséquences des efforts pour la bannir de sa
vie constituent le sujet des chapitres 4 et 5. En effet, la femme du prêtre est l’avatar de
la sexualité pour les clercs médiévaux ; elle menace la pureté sacerdotale et par
conséquent l’efficacité de l’eucharistie et même le bien-être de la communauté pour
laquelle le prêtre fonctionne comme intermédiaire avec le divin. En plus, la femme du
prêtre est un obstacle concret pour la ségrégation totale entre laïcs et clercs tant désirée
par les réformateurs grégoriens. D.E. voit aussi un rapport entre l’image de la femme
(du prêtre) comme danger pour la pureté sacerdotale et rituelle d’une part et l’accent
progressif sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et de la corporalité
purifiée de Marie de l’autre. Ce dernier aspect est élaboré dans le chapitre 5.
Utilisant les différentes versions successives de la vie d’un clerc marié, Severus,
aussi bien que les écrits de Pierre Damien, D.E. démontre d’abord que la femme du
prêtre est culpabilisée graduellement comme complice du diable qui essaie de
dominer son mari par sa sexualité. La chaste et pure Marie constitue un contrepoids
et un substitut pour la présence polluante de la femme du prêtre ; tandis que la sainte
COMPTES RENDUS 601

mystique qui vénère l’hostie est le contrepoids de la mauvaise femme/de la sorcière


qui ne lui montre pas de respect. Pour ma part, j’ai l’impression que sa conclusion
concernant la culpabilité de la femme devrait être nuancée en tenant compte de la
responsabilité morale du prêtre lui-même, une responsabilité qui est d’ailleurs
mentionnée dans le passage de Pierre Damien cité à la même page (p. 106). La
conclusion du chapitre 6 (p. 126) concernant la réapparition symbolique de la femme
(bannie), du prêtre entre le chaste clerc et la pieuse femme me paraît aussi trop
recherchée.
Le dernier chapitre décrit les tentatives des théologiens des XIIe-XIIIe siècles pour
séparer les démons et les anges des hommes en ce qui concerne la (im)matérialité
corporelle. Selon D.E., cette évolution pourrait être une conséquence de la nouvelle
appréciation du corps humain et de sa dimension salvatrice dans la religiosité
chrétienne aussi bien qu’une réaction contre l’attitude dualiste des cathares. Ceux-ci,
en effet, rejettent le corps comme faisant partie du monde du malin bien qu’ils
l’emploient pendant leurs cycles d’incarnations. L’orthodoxie va finalement
incorporer les démons sans corps, qui ne peuvent être sauvés eux-mêmes, comme
protecteurs de la morale sexuelle chrétienne.
Dans sa postface l’A. répète à juste titre que la lutte pour la pureté cléricale, la
vénération croissante de Marie et la doctrine de la transsubstantiation aussi bien que
les idées d’Aristote sur la femme et les démons sont liées de manière étroite dans la
période étudiée et que tous ses aspects ont à voir avec les ambiguïtés et les
ambivalences autour de la peur de la pollution. Son appel à la psychanalyse comme
moyen d’expliquer ces connexions compliquées me semble aussi très valable. Je suis
également partisane d’une approche qui « va plus loin qu’une description de ce que
les auteurs médiévaux ont dit eux-mêmes et qui ne donne pas seulement des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


interprétations que ceux-ci auraient approuvées » (cf. p. 8).
Mais est-ce qu’on est sûr que les exempla sont bien la source adéquate pour
découvrir les préoccupations réprimées, comme le prétend D.E. (p. 11) ? Est-ce que
le matériel apporté « prouve » que (l’image de) la femme du prêtre a vraiment incarné
tous ces aspects de la problématique de la pollution pour les auteurs d’antan et que
la sorcière est la matérialisation inévitable de cette femme (p. 160-161) ? Un bon
nombre des opinions avancées dans ce livre devront être confirmées par d’autres
recherches.
Cette remarque ne change rien au fait que le livre de D.E. est intellectuellement très
stimulant et qu’il provoquera sans doute beaucoup de discussions animées. Le fait
que l’A. donne beaucoup de place aux antécédents des thèmes décrits et qu’elle nous
offre tant de citations en traduction, sans omettre d’ailleurs le latin dans les notes,
témoigne de son sérieux professionnel. La liste de sources primaires et la
bibliographie des sources secondaires est vraiment impressionnante ; comme
hagiologue j’aurais seulement aimé qu’elle prête encore plus d’attention au
témoignage des sources hagiographiques surtout celles concernant les saints
contemporains. Il me semble qu’il aurait été très intéressant d’apprendre comment,
selon les hagiographes, ces « chrétien(ne)s parfait(e)s » se sont comporté(e)s devant
les phénomènes complexes traités dans ce livre.
Katrien HEENE
602 COMPTES RENDUS

Dominique BOUTET, Formes littéraires et conscience historique aux origines de la


littérature française (1100-1250), Paris, P.U.F., 1999 ; 1 vol. in-8°, 296 p. (Moyen
Âge). Prix : FRF 158.
À une époque où la littérature vernaculaire s’impose comme véridique et où l’on
assiste à une émergence empirique des genres, comment les auteurs et leur public
pensaient-ils le rapport de l’individu à l’Histoire ? Telle est la question à laquelle
s’attache D. Boutet.
La première partie examine les systèmes idéologiques qui sous-tendent
l’ensemble de la littérature des XIIe-XIIIe siècles, sans distinction de genres. Tout
d’abord, il s’agit d’interroger la présence des allusions historiques chez les auteurs de
fictions. D.B. y voit le signe d’une « conscience dialectique » (p. 22), où le présent et
le passé tirent leur sens de leur association, où la fiction et le réel se complètent dans
la quête d’une réponse aux problèmes contemporains. Puis la prise en compte du
platonisme augustinien, qui a marqué cette période, permet de cerner le rôle des
modèles : « conjurer le cours naturel de l’Histoire, qui ne peut être que dégradation,
par le recours à une référence universelle qui revête les couleurs de l’éternité », afin
que chacun construise son salut et que tous œuvrent à la superposition des deux cités,
terrestre et céleste (p. 44). L’Histoire repose sur l’idée de translatio : « l’Orient, qu’il
soit grec, troyen ou biblique, est le lieu du péché » (p. 64), du désordre qui précède la
mise en ordre. Ce thème utilise la « structure anthropologique » du héros fondateur
(p. 72). Mais les vicissitudes du devenir historique invitent à une remise en cause des
modèles, dont témoignent les littératures arthurienne et épique. La laïcisation des
explications causales, qui place l’homme au premier plan, s’oppose au déterminisme
théologique.
Dans la deuxième partie, D.B. montre que cette nouvelle conscience historique a
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


favorisé le développement d’une poétique. Car « les genres littéraires émergents se
présentent […] comme des structures d’intelligibilité, des grilles de lecture du
monde » (p. 107). Les indications chronologiques revêtent un caractère
paradigmatique. Les thèmes et les motifs nourrissent une mise en forme de la
réflexion historique propre à chaque genre : romans d’Antiquité et mythe national,
chansons de geste et quête de l’unité politique, récits courtois et promotion sociale du
héros, historiographie, enfin, où interfèrent interprétations transcendantales et
réalistes. Plus largement, la « fictionnalisation » (p. 135) et la « modélisation » (p. 137)
de la pensée de l’Histoire s’appuient sur la récurrence des schémas trifonctionnels
indo-européens. Quant à l’émergence de la prose, elle participe d’une « conquête de
l’épaisseur historique » (chap. 6). Les mémorialistes y trouvent un cadre propre à
relater et commenter leur expérience de la croisade. L’auteur de la Mort le roi Artu s’en
sert pour fonder « un système complet d’interprétation de la marche de l’Histoire »
(p. 162) où s’entrecroisent passions humaines et principe « célestiel », dans un climat
d’angoisse et d’incertitudes. Le compilateur de l’Histoire ancienne jusqu’à César, enfin,
l’utilise comme support d’une logique causale qui dépasse le caractère épisodique de
ses sources romanesques. Mais le XIIIe siècle assiste aussi à la vogue des compositions
cycliques. Les cycles épiques réutilisent les mêmes topiques pour inciter à réfléchir
sur le présent et à construire un avenir meilleur. Les cycles romanesques, à travers la
reformulation de l’univers arthurien, s’offrent comme la réécriture fictive de
l’Histoire humaine, à l’inverse du Roman de Renart qui, par sa fragmentation en
COMPTES RENDUS 603

branches, suggère un temps répétitif, dépourvu d’orientation finalisée, où Dieu


n’intervient pas.
Dans la troisième partie, D.B. s’interroge sur la fonction des genres littéraires dans
la société qui les consomme. La célébration des valeurs courtoises et des origines du
monde occidental ressort des romans antiques et arthuriens. L’importance accordée
à l’ordre formel entraîne une distinction des publics aptes à l’apprécier. De plus, « les
formes littéraires réfractent […] le monde dans lequel elles prennent naissance » (p.
226-227). Ainsi le genre épique traduit une « introspection sociale […] à une époque
où […] les vieux schémas se brouillent » (p. 227). Le roman arthurien, lui, s’attache
plutôt aux relations de l’individu avec sa collectivité, perspective que reprend, sous
une forme parodique, le Roman de Renart. Mais l’inquiétude née des
dysfonctionnements de l’ordre féodal se tempère dans les fabliaux par le comique,
qui dévoile les interdits et signe l’essor d’une société rajeunie. La création de formes
nouvelles répond à une nouvelle perception du monde. Dans la littérature épique,
arthurienne et renardienne, apparaissent le goût des masques et la figure du
« trickster », « qui falsifie la réalité » (p. 257) au profit de son désir individuel. Car la
montée de l’individualisme et l’expression de la subjectivité passent par le rire et
l’autodérision. Même le théâtre religieux contribue à cette poétique du défoulement.
À l’inverse, le roman en prose témoigne d’un sentiment de l’absurde face à la
complexité du monde.
Ainsi, entre 1100 et 1250, s’affirme une conscience historique issue d’une
sensibilité critique, qui oscille entre l’attachement aux modèles et la nécessité d’en
reconnaître les failles.
La réflexion menée par D.B., fondée sur une vaste documentation, se distingue par
l’originalité de son enjeu et la logique de sa démarche. Grâce à cet essai, l’étude des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


genres littéraires dépasse le niveau descriptif au profit d’une approche
herméneutique, qui nous invite à voir, au-delà des œuvres, l’expression d’un
nouveau rapport au monde.
Élisabeth GAUCHER

Le Roman de Guillaume d’Orange, éd. Madeleine TYSSENS, Nadine HENRARD et Louis


GEMENNE, Paris, Champion, 2000 ; 1 vol. in-8°, 588 p. (Bibliothèque du XVe siècle, 62).
C’est une grande joie pour tous les médiévistes, et spécialement pour les amateurs
d’épopée et de chansons de geste, que la publication de ce premier tome de l’édition
critique du Roman de Guillaume d’Orange. Le projet initial fut annoncé en 1970 par M.
Tyssens, à l’occasion d’une communication présentée dans le cadre du Ve Congrès de
la Société internationale Rencesvals d’Oxford, ainsi que l’indique l’Avant-Propos (p.
II), pour ceux qui l’ignoreraient. Moins de dix ans plus tard, parut le remarquable
ouvrage de Fr. Suard1, émanation d’une thèse de doctorat d’État, soutenue en 1976.
Extrêmement fouillé, précis, méticuleux, nuancé dans les moindres détails, le travail
du savant français donnait ses lettres de noblesse à une prose trop longtemps
négligée, voire méprisée et que la critique, au lieu de l’envisager pour elle-même,
comparait constamment aux chansons en vers du Cycle de Guillaume d’Orange, pour
aboutir sans cesse à la même conclusion : la mise en prose, eu égard à sa médiocrité

1. Guillaume d’Orange. Étude du roman en prose, Paris, 1979.


604 COMPTES RENDUS

littéraire, ne méritait pas qu’on s’y intéressât ! Fr. Suard, poussé tout au départ dans
la bonne direction par J. Frappier, bouscula les idées reçues. Il mit en évidence une
réelle originalité du romancier.
Le concepteur de la mise en prose (à supposer qu’il ait été unique) s’est fortement
préoccupé de créer une belle cohérence entre les épisodes, structurés en chapitres, de
contenus et de dimensions d’ailleurs variés. S’il écarte la technique de
l’entrelacement, il recourt volontiers au procédé de l’alternance et, même si
l’innovation est limitée par la fidélité aux chansons en vers, la distinction est sensible
entre le personnage épique et le personnage romanesque. La phrase s’étire parfois en
circonlocutions, abuse quelque peu de la subordination, trahit une nette prédilection
pour les termes abstraits ; le ton sentencieux, moralisant, caractérise parfois le style
des interventions ou des discours de personnages. Sans doute peut-on considérer que
les affrontements de la guerre de Cent Ans ont influencé la technique de description
des combats dans le roman : ils se signalent par une plus grande organisation, tandis
que la démesure est supplantée par la ruse. Pour ce qui est des relations humaines, le
roman laisse à l’amour une place beaucoup plus importante que celle qui lui était
réservée dans les chansons en vers, le héros amoureux conservant, toutefois, recul et
lucidité. Un certain raffinement des mœurs a gagné la société, mais aussi la littérature
qui en émane.
L’analyse littéraire existait, mais il manquait toujours une édition solide, fiable,
fidèle à la tradition manuscrite, car on sait que Fr. Suard avait conduit son entreprise
à terme, en utilisant les seules éditions partielles qui existaient (et qui sont rappelées
par M. Tyssens et ses collaborateurs), celles d’E. Langlois, C. Wahlund et H. von
Feilitzen, G. Schläger, A.L. Terracher, H. Suchier, J. Weiske, W. Scherping,
H. Theuring, C. Weber, Fr. Reuter, W. Castedello. Aucune n’était vraiment
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


satisfaisante, les critères et principes d’édition divergeant le plus souvent et ayant
maintenant un caractère obsolète. De toute façon, et curieusement, la longue mise en
prose du Siège de Barbastre restait inédite.
L’Introduction du volume (p. V-XII) présente brièvement la tradition manuscrite
du roman et expose les normes de l’édition. L’œuvre n’est conservée que dans deux
manuscrits : A (B.N.F., fr. n° 1497) et B (B.N.F., fr. n° 796), l’un et l’autre du XVe siècle.
Le manuscrit B, d’écriture soignée, n’a pas eu le destin qui semblait lui être assigné :
des emplacements étaient prévus pour 83 miniatures qui n’ont pas été exécutées. Dès
1898, H. Suchier, dans son édition des Narbonnais avançait, preuves à l’appui, que B
est une copie de A. Pour sa part, Fr. Suard avait découvert trois passages confirmant
cette analyse et M.T. en ajoute d’autres (p. V-VI), notamment fondés sur de
« mauvaises lectures de tracés ambigus », sur « le saut d’une ligne de A », sur le « saut
du même au même favorisé par la disposition de A » ou sur des omissions (ainsi, dans
la mise en prose des Narbonnais – voir chap. VII, § 7, p. 74 – le mot verve, mal tracé dans
A, a conduit le copiste de B à supprimer qui recommença sa verve). L’édition de M.T. et
de ses collaborateurs donne même un exemple, ténu mais convaincant (p. VI),
indiquant que A et B ont pu se trouver côte à côte sous les yeux du même lecteur.
Les indications concernant les normes de l’édition se répartissent en sept
rubriques : le texte et l’apparat critique ; divisions du texte et ponctuation ;
abréviations ; interprétation de tracés ; usages graphiques ; traitement des faits
morphologiques ; notes. Le texte choisi pour l’édition est celui de A, éventuellement
COMPTES RENDUS 605

corrigé par la version de B, si elle n’est pas elle-même fautive, sinon une correction
raisonnable est proposée, avec le rejet, en note de bas de page, du texte des deux
manuscrits. Par ailleurs, seules les variantes lexicales ou morphologiques de B sont
retenues. L’organisation du texte est sans surprise : maintien de la numérotation des
chapitres utilisée par les prédécesseurs et, dans un souci de clarté accrue, ajout d’une
numérotation des paragraphes. Les É. ont, dans l’ensemble, peu tenu compte de la
ponctuation des copistes, qui ne correspond pas à nos habitudes ; en revanche, ils ont
cherché à respecter le rythme des phrases et le mouvement de la prose, pas forcément
animé par le souffle épique. Ils abordent franchement leurs scrupules et commentent
les décisions qu’ils ont été amenés à prendre pour résoudre certaines abréviations ou
pour trancher entre deux possibilités : couvient ou convient ? Le maintien de la graphie
ct dans octire (pour occire) et octupoient (pour occupoient) surprend davantage. Les
remarques sur les « faits morphologiques » sont rapides, ponctuelles. Elles
confirment des traits de langue attendus et caractéristiques de la fin du Moyen Âge.
En fait, pour ce qui est de la répartition des constituants de l’apparat critique, nous
regrettons que ce premier tome ne contienne ni l’introduction grammaticale (étude
de la langue de A) ni le glossaire (dont l’insertion est prévue dans le tome 2), car le
lecteur aurait à sa disposition de précieuses indications pour juger l’ensemble de
l’édition.
Le Roman de Guillaume d’Orange correspond à treize chansons du Cycle de
Guillaume (environ soixante mille vers). Ce premier tome contient les mises en prose
d’Aymery de Narbonne (p. 1-68, chap. I-VI), des Narbonnais (p. 69-183, chap. VII-XVII),
des Enfances Guillaume (p. 185-316, chap. XVIII-XXVIII), du Couronnement de Louis (p.
317-354, chap. XXIX-XXXII), du Charroi de Nîmes (p. 355-362, chap. XXXIII), de la Prise
d’Orange (p. 363-412, chap. XXXIV-XXXVIII) et du Siège de Barbastre (p. 413-587, chap.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


XXXIX-LVII). Leur lecture ne manque ni d’attrait ni de séduction, les mises en prose
les plus novatrices – elles donnent lieu à des développements considérables – étant
celles qui laissent s’épanouir leurs tendances courtoises : Aymery de Narbonne, les
Narbonnais, les Enfances Guillaume et surtout le Siège de Barbastre1. Cette littérature
romanesque valorise une élite sociale qui est attirée par les bonnes manières et le
raffinement affectif. Le thème de l’amour est valorisé par le translateur, pourvu d’une
sensibilité de bon aloi et habile créateur de scènes délicates, comme celle où Salatrie,
prenant Butor par les dois, analyse avec complaisance la passion qu’elle éprouve pour
Gerart de Commarchis (chap. XLVI, § 9, p. 486-487).
Le Roman de Guillaume d’Orange n’a pas été imprimé, les exploits de la célèbre
famille de Narbonne sont tombés dans l’oubli, pratiquement jusqu’à l’époque de L.
Gautier, mais cela ne saurait nous empêcher de trouver cette réécriture attachante de
bien des points de vue. Que M. Tyssens, N. Henrard et L. Gemenne soient vivement
remerciés ! Chacun attendra avec impatience la publication du tome second.
Bernard GUIDOT

1. À cet égard, nous avons particulièrement scruté les chapitres XXXIX-LVII du Roman de
Guillaume d’Orange, en vue de la rédaction d’un article intitulé Le Siège de Barbastre dans le
Guillaume d’Orange en prose : l’originalité dans l’écart, paru à Montpellier, en 1995, dans le
volume Conformités et déviances au Moyen Âge.
606 COMPTES RENDUS

Il Fierabraccia comense fra preziosità umanistiche e antico dialetto lombardo, éd.


Elio MELLI, Bologne, Pàtron, 1996 ; 1 vol. in-8°, 359 p. (Biblioteca di Filologia romanza
della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università di Bologna, 10). ISBN : 88-555-2504-2.
Prix : ITL 44 000.
L’édition du Fierabraccia comense qu’E. Melli nous propose est précieuse pour
maintes raisons. Elle met à jour une version jusqu’à présent inconnue de ce cantare,
qui est, on le sait, un « rifacimento », ou remaniement, du poème épique français
connu sous le titre de Fierabras. Le manuscrit (G) est aujourd’hui conservé à Côme
dans le « Fondo Aliati » de la Società Storica Comense, mais il a longtemps appartenu
à la famille Giovio, donc aux descendants du célèbre historien P. Giovio. Aprè s une
première signalation, en 1845, par un lexicographe comasque (P. Monti, qui avait
analysé le lexique du poème pour rédiger un Vocabolario dei dialetti della città e della
diocesi di Como), le volume avait disparu, jusqu’à ce qu’E. Travi le retrouve et le confie,
par l’intermédiaire de R. Spongano, à E. Melli.
Il existe plusieurs versions italiennes, mais seules la plus connue, celle du
manuscrit C (Rome, Biblioteca Nazionale dei Lincei e Corsiniana (coll. 51.C.32), S.L.
e S.A.) et celle du manuscrit V (Volterra, Biblioteca Guarnacci, 6208), avaient fait
l’objet d’éditions critiques. Ces deux versions ont une patine linguistique
« centrale » : la première plus nettement toscane, la seconde plus ombrienne, de la
Marche et du Latium septentrional ; la version G est donc la seule d’origine lombarde.
Son caractère atypique la rend précieuse, non seulement comme témoignage
linguistique, mais aussi comme document d’histoire littéraire : au lieu d’aspirer à une
langue littéraire, donc toscane à hauteur du XVe siècle – car nous n’avons pas
d’éléments de datation plus précis pour le ms. G –, l’auteur de ce Fierabraccia a préféré
donner à son texte une couleur lombarde, ce qui témoigne certes d’une diffusion du
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


genre cantare bien au-delà de la Toscane ; mais cela pourrait faire penser à un choix
délibéré, peut-être encouragé par le projet d’unification politique de l’Italie du Nord
et du Centre, prônée par Gian Galeazzo Visconti dès 1398. E.M. ne manque pas de
mettre en valeur la spécificité linguistique du texte de Côme, en consacrant de
nombreuses pages à la description minutieuse et exhaustive de la langue du
Fierabraccia comense.
Le respect de la langue conduit au respect du texte tout court, et l’attitude
philologique d’E.M. est à cet égard exemplaire. Après avoir analysé les rapports entre
la version G et les Fierabras français et provençal, dont aucun n’est son modèle direct,
E.M. situe le texte de Côme par rapport aux autres manuscrits italiens, tous décrits
avec précision : il ne s’agit pas de rédactions fondamentalement différentes quant au
contenu, mais chacune a son individualité. Le copiste de G, bien qu’il semble par
moment transcrire le texte de mémoire, ne manque pas d’originalité, et se montre
parfois même doué d’une certaine « genialità » (p. 136). Les nombreuses variantes de
G sont dûment répertoriées et classées dans l’introduction au texte, qui contient aussi
de claires explications sur les critères adoptés pour l’édition et un bref résumé de
l’histoire.
Les notes qui suivent le texte critique sont pour ainsi dire complètes : elles rendent
compte des choix de l’É. et donnent d’utiles éclaircissement sur la lettre du texte. Le
glossaire (très utile instrument de travail pour ceux qui s’intéressent à la variété
dialectale du texte) et la table des noms propres complètent cet ouvrage de grande
COMPTES RENDUS 607

valeur. Un excellent exemple d’édition, où l’esprit critique du lecteur est


constamment sollicité à vérifier l’hypothèse de travail de l’É., dont l’honnêteté
intellectuelle et la maîtrise philologique sont remarquables.
Paola MORENO

Alfred TAMERL, Hrotsvit von Gandersheim. Eine Entmystifierung, Gräfelfing,


Mantis Verlag, 1999.
Le petit monde de Gandersheim s’est ému récemment de la parution de l’ouvrage
d’A. Tamerl, qui un siècle et demi après l’Autrichien J. Aschbach – lequel fut relayé
ensuite par quelques historiens friands de scandale – ressert la thèse négationniste
selon laquelle Hrotsvita n’aurait pas existé, ou plus exactement selon laquelle elle ne
serait pas celle que l’on croit. A.T. affirme qu’il n’a découvert la thèse d’Aschbach
qu’après avoir eu lui-même l’intuition de la supercherie : étant donné la mauvaise foi
générale de l’ouvrage, on est en droit d’en douter. Ce livre est discrédité d’emblée par
la collection dans laquelle il prend place : H. Illig, directeur de la maison d’édition
Mantis – dont le nom lui-même annonce la couleur de la parapsychologie et de la
pseudo-science – et président du comité de lecture, a aussi signé et auto-publié un
ouvrage intitulé Hat Karl der Grosse je gelebt ? Fidèle à l’esprit révisionniste qui réunit
tous les auteurs de cette série, A.T. construit une démonstration dans laquelle les
raisonnements viciés, la mauvaise foi et les erreurs historiques se parent du manteau
de l’érudition et de la rigueur.
L’assise de sa démonstration est un leitmotiv que les médiévistes ne
supporteraient même plus chez leurs étudiants : une femme, qui plus est une
religieuse, n’a pas pu écrire une telle œuvre dans la Saxe du Xe siècle. Pourquoi ?
demandera-t-on. Parce que le Xe siècle fut barbare, surtout en Saxe, la culture
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


ottonienne n’ayant produit aucune littérature, et parce que les femmes n’y étaient pas
instruites : il fallait leur prêcher en allemand, et d’ailleurs la grande Hildegarde elle-
même était un sommet d’inculture, qui n’aurait jamais rien écrit sans l’aide de ses
secrétaires masculins ! Les femmes auraient même été interdites d’écriture ! Il n’y a,
bien sûr, dans le livre d’A.T. aucune allusion aux travaux de R. McKitterick et de P.
Dronke, ni à deux ouvrages récents qui contredisent absolument cette vision ringarde
et erronée du haut Moyen Âge : A. Van Euw et P. Schreiner, Kaiserin Theophanu.
Begegnung des Ostens und Westens um die Wende des ersten Jahrtausends1, et Lateinische
Kultur im X. Jahrhundert2. Fruits de réflexions collectives et de travaux de colloques
internationaux, ces deux publications battent en brèche le vieux cliché du « siècle de
fer », et d’ailleurs un critique de bonne foi aurait repéré dans la vieille histoire de la
littérature latine de M. Manitius quelques auteurs notables et notoires ayant côtoyé
le milieu ottonien : Liutprand de Crémone, Rathier de Vérone, l’auteur anonyme des
deux Vies de la reine Mathilde, Ruotger biographe de Brunon de Cologne, etc. On ne
peut ici offrir qu’un petit florilège des contrevérités et des énormités littéraires
énoncées par A.T. : l’hexamètre épique n’aurait été utilisé qu’au XIIe siècle (et la
Bibelepik de la basse Antiquité et du très haut Moyen Âge ?) ; la prose rimée ne serait
pas antérieure au XIIe siècle, et utilisée surtout aux XIVe et XVe (que faire alors de toute
l’hagiographie des Xe-XIe siècles, par exemple ?) ; en poésie la rime serait rarissime

1. 2 vol., Cologne, 1991.


2. Mittellateinisches Jahrbuch, t. 24-25, 1991.
608 COMPTES RENDUS

avant le Moyen Âge central (en réalité les hexamètres à rime interne sont partout !) ;
il n’y avait pas de théâtre à cette époque (ce qui est vrai, mais Hrotsvita écrit davantage
des dialogues hagiographiques dramatiques que du théâtre, le titre de Drames ayant
été imposé par Celtis) ; les légendes hagiographiques développées par Hrotsvita
seraient étrangères à l’univers monastique du haut Moyen Âge (elles sont presque
toutes répandues en Occident entre le IVe et le IXe siècles, ainsi qu’en attestent les
versions publiées par les Bollandistes dans les Acta Sanctorum, versions dont
Hrotsvita s’inspire souvent littéralement).
À ces objections A.T. rétorquera sûrement qu’il convient de redater tous ces textes :
sa technique favorite est en effet de reculer après le Xe siècle toutes les sources
identifiées dans l’œuvre de Hrotsvita : ainsi Bède, selon lui, n’a pas pu écrire autour
de 700, puisqu’il est le premier à utiliser la datation à partir de l’Incarnation du Christ,
laquelle, selon A.T., ne serait pas antérieure à l’an Mil ; il n’est pas gêné par le fait que
Bède affirme avoir emprunté le comput de l’Incarnation à Denys le Petit (VIe s.), ou,
bien plus vraisemblablement, il l’ignore. Mais sans doute faudrait-il aussi redater
Denys le Petit, tout comme Hugebuc et comme Dhuoda, précurseurs et sœurs en
écriture de Hrotsvita, dont les œuvres coïncideraient mal avec la représentation
qu’on se fait des époques où elles ont vécu, lesquelles ont été datées avec une précision
suspecte ! Les maîtres mots d’A.T. sont en effet les termes « suspicion » et « complot »,
ce qui n’a rien d’étonnant chez un révisionniste. Puisqu’il y a eu un « complot-
Shakespeare », dit-il, pourquoi pas un « complot-Hrotsvita » : Hrotsvita n’est
d’ailleurs que la face cachée de l’iceberg, et il convient de réécrire toute l’histoire
littéraire médiévale ! Le Moyen Âge est un monde de faussaires : il faut revoir à la
hausse le nombre des faux diplomatiques, et les humanistes, en quête d’argent et de
scoops d’inspiration nationaliste auraient, d’après lui, fabriqué quantité de faux
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


manuscrits ! On sait les dégâts qu’a produits en d’autres temps, et dans des
circonstances bien plus tragiques, la stratégie du soupçon et du discrédit
systématiques.
Après la phase destructrice, la phase constructive, si l’on peut dire. Puisque
l’œuvre de Hrotsvita n’est pas du Xe siècle, de quand date-t-elle, et qui l’a écrite ? A.T.
prépare son coup de théâtre en mystificateur chevronné : par une série de parallèles
littéraires et lexicaux, il conduit le lecteur crédule à admettre d’abord l’idée que
l’œuvre de la pseudo-Hrotsvita n’a pu être écrite que par une femme cultivée d’un
milieu franciscain : ne trouve-t-on pas parmi ses sources Thomas de Celano, proche
de saint François lui-même ? Quant à l’idéal du Christ-Époux, n’est-il pas un motif
typique chez les clarisses, et le général Gallicanus – héros de Hrotsvita – un disciple
de François d’Assise ! La candidate toute trouvée à l’attribution est Caritas
Pirckheimer, abbesse des clarisses de Nuremberg liée de près au cercle des
humanistes, qui aurait ainsi assouvi à la demande de son mentor Conrad Celtis une
vocation de latiniste contrariée par les autorités de son ordre. Il n’est que de voir les
parallèles lexicaux entre les textes conservés de Caritas et ceux de Hrotsvita, étalés
avec complaisance par A.T. Malheureusement ces pseudo-parallèles ne dépassent
pas le stade du mot isolé ou de l’expression passe-partout, par exemple antistes
(l’évêque), vanitas (la vanité), abbatissa (l’abbesse), se deo devovit (elle se voua à Dieu),
etc. (v. p. 153-156 et 183-184). Et combien même ces parallèles existeraient, ne
pourrait-on les attribuer tout simplement à une influence de la récente découverte de
Hrotsvita par Celtis sur Caritas ? L’une des lettres de Caritas à Celtis, utilisée comme
COMPTES RENDUS 609

« preuve », date de 1502 et l’édition princeps de l’œuvre de Hrotsvita de 1501.


D’ailleurs A.T. se piège lui-même à son insu : en disant retrouver dans Pafnutius, III,
7 l’expression vinum compunctionis, présente dans le manuscrit qu’on appelle « le livre
de prières de Caritas », il avoue du même coup ne pas avoir regardé le manuscrit
unique de Pafnutius : celui-ci donne en effet vimen compunctionis, et une main
médiévale a corrigé, au-dessus de la ligne, le non-sens vimen en lacrima ; il revient à
H. Homeyer d’avoir proposé la correction vinum, à la lumière de Ps, 59, 5. Exit le
parallèle, ou bien il faut supposer que le faussaire a introduit à dessein cette faute pour
engendrer un effet de réel. C’est précisément là l’argument facile que A.T. utilise
contre les objections les plus sérieuses que suscite sa thèse, à savoir les impossibilités
de type codicologique.
En effet si on peut admettre à la rigueur, contre toutes les évidences codicologiques
et paléographiques, que Celtis a fabriqué un faux, comment peut-on rendre compte
de l’existence des autres témoins partiels de l’œuvre de Hrotsvita, retrouvés aux
époques moderne et contemporaine ? A.T. répond sans broncher que ces manuscrits
sont eux aussi des faux, fabriqués l’un par Celtis lui-même pour le cas où serait né un
doute sur l’authenticité de l’œuvre de Hrotsvita, l’autre par des historiens désireux
d’asseoir précisément cette authenticité. A.T. appelle de ses vœux une expertise
paléographique et codicologique sérieuse : que ne l’a-t-il demandée aux spécialistes
compétents, avant même d’écrire ce livre ? Je détiens d’ailleurs une lettre, que m’a
adressée en 1990 le grand et regretté paléographe et codicologue allemand, le
Professeur B. Bischoff, pour me certifier que le Clm 14485 de Munich a été copié dans
le dernier quart du Xe siècle par six scribes différents, et qu’il n’y a pas l’ombre d’un
doute sur le fait qu’il l’ait été à Gandersheim. De même le manuscrit de Cologne est
du XIIe siècle, et il n’y a qu’un imbécile pour penser pouvoir suggérer qu’on aurait
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


confectionné tout l’énorme légendier d’Alsderspach dans le seul but de forger un
témoin supplémentaire de Gallicanus !
C’est certainement faire trop de publicité au livre d’A.T. que de lui répondre aussi
longuement. Mais peut-être peut-on espérer décourager ainsi d’autres candidats à
des entreprises d’intoxication aussi stupides.
Monique GOULLET

Dominique BARTHÉLEMY, L’an mil et la paix de Dieu. La France chrétienne et féodale,


980-1060, Paris, Fayard, 1999 ; 1 vol. in-8°, 637 p.
Le mouvement de la Paix de Dieu lancé par les évêques en Auvergne ou dans le
Poitou à la fin du Xe siècle voulait réglementer la pratique de la guerre et sanctionner
l’agression de personnes non armées. On avance d’habitude que son apparition
coïncide avec l’échec des derniers souverains carolingiens à maintenir l’ordre public
et la naissance de la seigneurie châtelaine dans un climat de violence généralisée. On
affirme aussi que l’initiative des évêques reçut l’appui massif des foules enthousiastes
et engendra l’un des premiers mouvements religieux populaires du Moyen Âge.
Poursuivant sa relecture des années 980-1060 qui l’avait conduit à « quelques
interrogations provocatrices » sur la « révolution féodale »1, D. Barthélemy soumet

1. D. BARTHÉLEMY, La mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France
des Xe et XIe siècles, Paris, 1997. Un compte rendu de ce livre paraîtra ici même.
610 COMPTES RENDUS

les dossiers de la paix de Dieu à une critique « décapante » et porte un regard neuf sur
la « France » de l’an mil. Il reconnaît que l’époque est brutale, mais de là à croire que
l’Église reprend le flambeau de la civilisation au milieu de la barbarie et prépare la
voie au redressement royal, il y a de la marge. Les guerres privées et les prélèvements
seigneuriaux n’ont en rien entravé la dynamique de croissance rurale et urbaine qui
se dessine depuis le VIIe siècle, assure la multiplication des paroisses au sein des
diocèses et supporte l’élan monastique, clunisien ou non.
D’autre part, dans la société des Xe et XIe siècles imprégnée de culture juridique et
de morale chrétienne, la guerre privée est une institution avec ses règles. Les querelles
d’honneur sont traditionnellement apaisées par des pactes dans lesquels l’Église joue
un rôle. La paix de Dieu n’est pas une nouveauté radicale et encore moins un
mouvement populaire ou subversif. Elle n’entend ni renverser l’ordre seigneurial, ni
changer le monde. Elle est une manière parmi d’autres pour l’Église de participer au
règlement des conflits et de défendre ses propriétés. Il n’y a toutefois pas lieu de
minimiser la portée des institutions de paix. Elles contribuent à soutenir la montée en
puissance des évêques qui étendent ou veulent étendre leur juridiction sur la
chevalerie, le clergé et le commun des fidèles dans leur diocèse.
Le livre de D.B. est important à plus d’un titre. Il reconsidère cas par cas les réalités
régionales avec lesquelles les paix de Dieu sont en prise ; il met en lumière l’écheveau
de tensions et d’intrigues dans lequel chacune a sa place ; il rend sensibles la
complexité et les équilibres de la société féodale, que les lectures romantiques de l’an
mil ne permettaient pas de saisir.
Willy STEURS

Bat-Sheva ALBERT, Le pèlerinage à l’époque carolingienne, Louvain-la-Neuve-


© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Bruxelles-Louvain, Coll. Érasme-Éd. Nauwelaerts-Universiteit bibliothek, 1999 ;
1 vol. in-8°, VIII-462 p. (Bibliothèque de la Revue d’Histoire ecclésiastique, 82).
Mis à part quelques chapitres dans des ouvrages généraux comme celui publié
sous la direction de H. Branthomme et J. Chélini1, il n’existait pas, jusqu’à nos jours,
d’ouvrage consacré au pèlerinage carolingien. C’est donc une importante lacune
historiographique qui est comblée par le livre de B.S. Albert.
Laissant de côté le pèlerinage vers les Lieux Saints, qu’elle estime, avec raison déjà
bien étudié, ainsi que le pèlerinage vers Compostelle, jugé extérieur à l’espace
carolingien, l’A. se limite à l’étude du pèlerinage à l’intérieur du monde politique
carolingien. Mettant à profit toutes les catégories de sources de l’époque, elle essaie
de mettre en rapport le pèlerinage et les données sociales et économiques de
l’Occident carolingien. Elle étudie successivement la crise sociale et les rapports entre
pauvreté et pèlerinage, l’évolution du pèlerinage sous l’influence irlandaise et son
essor en relation avec le culte des saints et la réforme religieuse carolingienne. Un
chapitre obligatoire étudie les lieux de pèlerinage et enfin un chapitre très abondant,

1. Les chemins de Dieu. Histoire des pèlerinages chrétiens des origines à nos jours, Paris, 1982.
Contrairement à ce qu’affirme B.S. Albert, H. Branthomme et J. Chélini ne sont pas les auteurs
de cet ouvrage mais ont simplement rassemblé une équipe de collaborateurs. Toutefois, le
chapitre sur le pèlerinage dans le haut Moyen Âge occidental a été rédigé par J. Chélini qui
reprend là, avec quelques additions, un chapitre de sa thèse, L’aube du Moyen Âge, Paris, 1991.
COMPTES RENDUS 611

qui représente environ 40 % du livre, traite de l’hospitalité et de l’hébergement du


pèlerin sur la route et au sanctuaire.
Il faut saluer d’abord, outre une solide érudition, l’honnêteté et la prudence de l’A.
En face de sources parfois difficiles à interpréter, B.S.A. n’émet pas d’affirmations
péremptoires et présente, chaque fois qu’elle avance une hypothèse, les éléments qui
peuvent la fragiliser. Il en est ainsi de l’importante ambiguïté entre pauper et
peregrinus. L’A. l’évoque à plusieurs reprises, notamment p. 21-25, 278-280 et 348.
L’hypothèse retentie est que les pèlerins pauvres sont en fait englobés dans le terme
pauperes et que les pauvres non pèlerins se faisaient passer comme tels pour bénéficier
de l’hospitalité accordée à ces derniers et pour justifier leur errance. Cette hypothèse
est intéressante mais ne peut être prouvée et il est peut-être risqué de la généraliser.
L’A. le reconnaît elle-même mais c’est quand même sur elle que repose l’étude
approfondie des établissements hospitaliers dont beaucoup n’ont, selon les textes,
que la destination d’accueillir les pauperes. En tout cas, l’étude des hôtelleries et des
xenodochia (établissements pour lesquels l’A. invente le néologisme de « xenodoche »)
est menée avec beaucoup d’érudition, aussi bien en ce qui concerne les fondations que
dans le domaine des dotations et des revenus et constituera désormais la référence
indispensable sur ce sujet. Après des considérations générales, l’étude est faite région
par région. L’A. montre bien les difficultés de financement de ces hôtelleries,
notamment dans la seconde moitié du IXe siècle, qu’il s’agisse d’établissements
monastiques ou épiscopaux.
Pour en revenir au pèlerinage proprement dit, de bonnes pages évoquent la
pérégrination irlandaise et sa difficile conciliation avec la volonté de réforme
carolingienne, notamment dans le domaine du pèlerinage pénitentiel. L’expansion
du pèlerinage religieux expiatoire se fit malgré les restrictions législatives car il était
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


inséparable de la peregrinatio religiosa. À ce propos, l’A. ne cite qu’un seul exemple de
la pénitence des parricides, objet principal, pour les laïcs, de ce genre d’expiation. Il
est tiré de la Vita S. Liudgeri. Or on peut en trouver beaucoup d’autres, comme l’a
montré H. Platelle dans une étude que semble ignorer l’A.1. Une étude de l’ensemble
de ces exemples aurait permis de donner un caractère plus concret et plus vivant à
l’ouvrage. C’est, de façon générale, ce qui manque dans ce livre. Certes, B.S.A.
évoque, dans son chapitre 4 intitulé Les lieux de pèlerinage, les manifestations de piété
des pèlerins mais seulement en une quinzaine de pages, ce qui est maigre.
L’utilisation plus abondante des sources hagiographiques, en partie négligée par l’A.,
aurait permis des développements intéressants. Parmi les œuvres ignorées par celle-
ci, citons le plus important recueil de miracles de la Bavière carolingienne, les
Miracula S. Walburgis, de Wolfhard, rédigés à l’extrême fin du IXe siècle2. B.S.A. a
cependant bien vu que les translations de reliques, rédigées en assez grand nombre
à cette époque, fournissaient des renseignements valables à propos des modalités du
culte des saints, tel qu’on le rencontrait dans les sanctuaires, mais ici aussi,
l’utilisation des sources n’est que partielle, peut-être par défaut de connaissance de

1. H. PLATELLE, La violence et ses remèdes en Flandre au XIe siècle, Sacris erudiri, t. 20, 1971,
p. 101-173. Malgré le titre, on y trouve de nombreuses références à la période carolingienne.
2. Cf. Ein bayerisches Mirakelbuch aus der Karolingerzeit. Die Monheimer Walpurgis-Wunder des
Priesters Wolfhard, Quellen zur Geschichte der Diözese Eichstätt, éd. A. BAUCH, t. 2, Ratisbonne, 1979.
612 COMPTES RENDUS

l’ouvrage de synthèse de M. Heinzelmann sur la question1. Pour en terminer avec les


lieux de pèlerinage, l’importance de Rome est bien mise en valeur. Cette étude est
aujourd’hui complétée par celle de D. J. Birch2, que l’A. n’a sans doute pas eu le temps
de consulter.
Un autre aspect bien mis en valeur dans ce livre est l’échec relatif de la tentative
d’implantation de nouveaux cultes : qu’il s’agisse des cultes surhumains du Saint
Sauveur ou de saint Michel ou du culte de nouveaux saints dont les reliques ont été
rapportées de Rome. Les pèlerinages nationaux, et au premier rang celui de Saint-
Martin-de-Tours, gardent la prééminence. La continuité avec le culte des saints gallo-
romains et mérovingiens l’emporte. Les grands sanctuaires sont davantage
concurrencés par l’essor des pèlerinages en l’honneur de saints locaux. Pour se
développer, ces sanctuaires locaux organisaient de véritables « campagnes
publicitaires », bien étudiées au chapitre 4. On peut cependant douter de
l’affirmation, p. 213, selon laquelle « les monastères ne trouvaient aucun avantage
matériel de l’affluence des pèlerins à l’époque carolingienne ». L’A. nuance d’ailleurs
ses propos dans les pages suivantes en montrant, p. 215, que « le succès du culte
contribuait à faire accumuler les concessions, les contributions et les donations et, de
ce fait, constituait un facteur économique non négligeable ». L’A. mésestime, faute
d’avoir dépouillé systématiquement les textes hagiographiques, l’importance des ex-
voto3.
De façon générale, la bibliographie est insuffisante. De nombreux ouvrages
importants manquent, comme les publications de P. Riché ou de M. Mollat, dont
l’ouvrage fondamental, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, 1978, n’est même pas cité.
Autre faiblesse, la cartographie. Les deux cartes des p. 458 et 459 sont rudimentaires
et insuffisantes. L’étude du lieu d’origine des miraculés permet souvent d’avoir une
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


idée de l’extension géographique de la réputation d’un saint. L’A. aurait pu le faire
pour certains sanctuaires. Enfin, pour en terminer avec les critiques, il faut noter que
l’orthographe et la syntaxe sont parfois défaillantes. B.S.A. a eu le mérite d’écrire
directement en français, langue qu’elle maîtrise très bien, mais n’a pu éviter quelques
imperfections ; mauvais emploi de la concordance des temps, abus du futur, mots
employés à contresens comme exhaustif p. 125.
En conclusion, le livre de B.S.A. apparaît comme une étude très sérieuse, appuyée
sur une documentation approfondie, notamment dans le domaine diplomatique,
législatif et canonique. Sur beaucoup de points, la synthèse est réussie et permet
d’avoir une vue d’ensemble : organisation de l’hébergement des pèlerins, évolution
du culte des saints et de leurs reliques, évolution de l’attitude de autorités religieuses
et laïques à l’égard du pèlerinage. Sur d’autres points : organisation du pèlerinage au
sanctuaire, pratiques et mentalités des pèlerins, le lecteur reste un peu sur sa faim.
Pierre André SIGAL

1. Cf. M. HEINZELMANN, Translationsberichte und andere Quellen des Reliquienkultes,


Turnhout, 1979.
2. Pilgrimage to Rome in the Middle Ages, Bury-St.-Edmunds, 1998.
3. Sur ce point, voir l’article, qui semble ignoré par B.S.A., d’A.M. BAUTIER, Typologie des
ex-voto mentionnés dans des textes antérieurs à 1200, Actes du 99e Congrès des Sociétés savantes,
t. 1, Paris, 1977.
COMPTES RENDUS 613

ALBERTANO DA BRESCIA, Liber de doctrina dicendi et tacendi. La parola del cittadino


nell’Italia del Duecento, éd. Paola NAVONE, Florence, SISMEL-Edizioni del
Galluzzo, 1998 ; 1 vol. in-8°, CXXIV-62 p. (Per verba. Testi mediolatini con
traduzione, 11). Prix : ITL 40 000.
Le personnage d’Albertano da Brescia est resté longtemps dans l’ombre, et c’est
seulement depuis une quinzaine d’années que grâce aux efforts de chercheurs comme
E. Artifoni et C. Casagrande, il est revenu au premier plan, en liaison avec les
recherches sur la rhétorique politique au XIIIe siècle dans les Communes italiennes,
alors qu’elles connaissent des troubles liés aux luttes de factions, que ne peuvent
apaiser les podestats. Albertano da Brescia était l’un des rhéteurs et avocats, peut-être
formé à Bologne, qui tentait, en tant que spécialiste des fonctions technico-
administratives propres aux gouvernements communaux, de donner corps à une
culture propre à ceux qui étaient appelés à les exercer.
Le traité que présente P. Navone est une sorte d’ars loquendi et tacendi, parallèle à
l’ars dictaminis ou l’ars praedicandi du temps. L’É., formée à Gênes et à Florence (sous
la férule de Cl. Leonardi) a divisé son ouvrage en trois parties. Elle présente dans
l’introduction l’auteur et l’œuvre, assumant pour la connaissance de l’auteur la
bibliographie très récente qui s’est multipliée autour de la figure d’Albertano,
cependant qu’elle s’efforce de donner une analyse fouillée du traité qu’elle a choisi de
publier. Elle donne ensuite une recension des manuscrits d’Albertano, complétant un
travail de 1994, à partir des catalogues, répertoires, inventaires de bibliothèques et
listes de manuscrits, qui ne peut manquer de se révéler fort utile aux chercheurs qui
voudraient s’initier à l’œuvre d’Albertano. À travers les prolegomena, elle indique les
critères qu’elle a suivis pour son édition, signalant ainsi qu’elle a pris en compte une
vingtaine de manuscrits dispersés entre Brescia, Cambridge, Florence, Madrid,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Manchester, Milan, New Haven, Novare, Paris, Rome et le Vatican. Elle s’est surtout
appuyée sur ceux de Cambridge, Florence, Paris, Rome et le Vatican, en fournissant
une description détaillée de chacun d’entre eux pour justifier ses choix. Elle donne en
apparat critique les différentes versions, permettant à son lecteur de comprendre la
solution à laquelle elle s’est ralliée. Elle s’est par ailleurs efforcée d’éviter les
oscillations graphiques des manuscrits tant pour les noms propres que pour les
vocalismes y/i ou les consonantes c/t, c/q, m/n, x/ss. Une riche bibliographie
distingue soigneusement les éditions, la bibliographie des sources des essais
critiques, des éditions et essais cités dans l’introduction et des catalogues de
manuscrits.
Quant au traité lui-même, qui est plus une œuvre moralisatrice que proprement
politique, il apporte une série de notations intéressantes sur la manière de se
comporter en société. Le raisonnement de l’auteur tourne autour d’un verset simple :
quis, quid, cui dicens, cur, quomodo, quando requiras, autrement dit la recherche de qui
tu es, à qui tu t’adresses, pourquoi, comment et quand tu parles. L’analyse se déroule
à travers un ensemble de citations tirées tant de la Bible et saint Augustin que
d’auteurs profanes comme Cicéron, Sénèque, Cassiodore, et P.N. a pris soin de
rassembler dans un index l’ensemble des auteurs cités. Se lit ainsi la culture d’un laïc
du XIIIe siècle, qui aime à se référer à des citations vraisemblablement tirées de
collections de manuscrits. La démonstration, rhétorique, s’inspire des procédés des
rhéteurs antiques, et chaque chapitre est ponctué en conclusion d’une
614 COMPTES RENDUS

recommandation générale. Faut-il penser à une sorte de traité du comportement de


l’« honnête homme » du XIIIe siècle ? Toujours est-il que le lecteur ne manquera pas
de trouver là des sujets de réflexion sur les règles sociales du temps. La traduction
donnée par P.N. en italien suit de près le texte latin, mais le respect du texte originel
n’exclut pas une forme littéraire de bon ton. Il serait souhaitable que d’autre œuvres
d’Albertano puissent voir le jour en d’aussi bonnes conditions.
Pierre RACINE

Kathryn KLINGEBIEL, Bibliographie linguistique (1983-1997) de l’ancien occitan,


Birmingham, University of Birmingham-A.I.E.O., 1999 ; 1 vol., III-296 p.
(Association internationale d’Études occitanes, 8). ISBN : 0-9512004-5-3.
On attendait avec impatience que K. Klingebiel donne une suite au premier
volume de sa Bibliographie linguistique de l’ancien occitan (1960-1982)1. Lors de sa
parution en 1986, l’ouvrage avait reçu de la critique un accueil très favorable, et l’on
avait loué à juste titre la richesse de l’information autant que la clarté de
l’organisation. On retrouvera les mêmes qualités dans ce deuxième travail, qui
couvre la production des années 1983 à 1997.
L’économie de l’ensemble est restée identique, à peu de chose près. Sous l’intitulé
Sigles et autres références, une première section dresse la liste des périodiques et
collectifs dépouillés (plus de 650 références contre 228 dans le précédent volume). On
retrouve ensuite le classement de la matière selon les catégories suivantes :
Bibliographies (numéros 1 à 123) ; Dictionnaires (124-168) ; Manuels et anthologies (169-
216) ; Grammaires médiévales (217-294) ; Histoire de la langue. Grammaires. Dialectologie
(295-433) ; Langue littéraire. Scripta. Graphies (434-543) ; Phonétique et phonologie (544-
565) ; Morphosyntaxe (566-639) ; Mots individuels : étymologies, histoire des mots,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


formation des mots (640-725) ; Lexicologie et lexicographie (726-830) ; Onomastique (831-
1291) ; Édition de textes (1292-1559). En ce qui concerne les éditions, K.K. a renoncé avec
raison à la subdivision entre textes littéraires et textes non littéraires : cette distinction
n’apportait pas de réel bénéfice tout en étant que la distribution de certaines œuvres
posait de délicats problèmes. À l’inverse, l’A. a ajouté deux nouvelles sections d’une
utilité indéniable et on ne peut que saluer l’introduction dans la Table des matières de
l’Histoire de la linguistique et de la lexicographie occitanes (n° 234-294) et des Commentaires
et critiques de textes (n° 1560-1945). Un Supplément lexicographique (Dictionnaires
occitans parus ou réimprimés depuis 1983 et atlas) et des Corrigenda au premier volume
complètent cet ensemble bien conçu.
La qualité de l’information reste excellente, tant pour les publications européennes
que pour les travaux parus Outre-Atlantique. C’est d’ailleurs un des grands mérites
de cette Bibliographie que de porter à notre connaissance quantité d’études menées par
nos collègues occitanistes d’Amérique, qui font preuve d’une importante activité,
mais dont les recherches restent encore souvent trop méconnues sur notre continent.
K.K. a tenu compte des observations qui lui ont été faites en 1986 : les omissions ont
été réparées ; la pagination des ouvrages a cette fois été systématiquement indiquée,
ce qui permet au chercheur de se faire une première idée de l’importance relative des
différents travaux ; les auteurs des comptes rendus ont été intégrés dans l’Index. La

1. K. KLINGEBIEL, Bibliographie linguistique de l’ancien occitan (1960-1982), Hambourg, 1986.


COMPTES RENDUS 615

présentation typographique enfin, plus claire et plus élégante, a tiré avantage du


changement d’éditeur ; les noms des auteurs se détachent cette fois nettement du
corps du texte.
Les coquilles sont peu nombreuses. Signalons la graphie constante Sénéfiance pour
Senefiance (p. 15, 16, 37, 42…) ; inedit (p. 72, notice 262) ; comparison (p. 106, n° 605) ;
Léxicologie (p. 117). On corrigera à la notice 391, p. 371-380 au lieu de 371-180 ; à la
notice 1643, CN 56, p. 251-408 au lieu de CN 61, p. 251-209 ; à la notice 1732, p. 425-455
au lieu de 425-255.
On relève, dans les différents Index, un certain nombre de lacunes. Ainsi, à titre
d’exemple, dans l’Index des auteurs modernes, il faudrait ajouter sous le nom de
P.H. Billy les n° 884 à 903 ; sous le nom de la M.G. Boutier les n° 649 et 650 ; pour A.B.
Boyrie-Fénié (sub Fénié), les n° 928 à 932 ; pour Y. Lavalade les n° 1090 à 1098 ; pour
P. Maureille le n° 1118 ; pour A. Soutou les n° 1233 à 1261 etc. Dans l’Index des auteurs
et des titres cités (dont la dénomination serait peut-être à ajuster puisqu’on trouve
parmi les vedettes les mots « obituaire », « manuscrits », « livre d’heures »), l’entrée
« manuscrit » n’est pas à sa place près « Mout d’es bel… ».
Enfin, la conception de la partie Sigles et autres références gagnerait, à notre avis, à
être reconsidérée, en particulier en ce qui concerne le classement de Mélanges et des
Actes et, corrolairement, le choix des titres abrégés qui les désignent. La cohérence du
système adopté échappe quelque peu. Si, pour les revues, on a repris les abréviations
traditionnellement en usage, pour les autres collectifs, c’est une forme raccourcie du
titre qui sert le plus souvent de référence. Or, dans sa sélection des mots-clefs, l’A. a
opté tantôt pour les termes les plus évocateurs (p. 23, Hommage Payen pour Hommage
à Jean-Charles Payen. Farai chansoneta novele ; p. 27, Mélanges Bec pour Il miglor
fabbro. Mélanges de langue et de littérature occitanes en hommage à Pierre Bec…), tantôt
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


pour la formule utilisée en frontispice (p. 15, De Mot en mot pour Essays in honour of
William Rothwell. De Mot en mot : Aspects of medieval linguistics ; p. 16, Ensi firent li
ancessor pour Ensi firent li ancessor : Mélanges de philologie médiévale offerts à M.R.
Jung, etc.). Quant aux Mélanges Guarner (Estudios en memòria del prof. Manuel Sanchis
Guarner : Estudis de llengua i literatura catalanes), on s’attendrait à les retrouver p. 17
avec les autres Estudios, mais on a choisi de les désigner par les termes Miscel.lània
Sanchis Guarner (p. 30), en innovant par rapport au titre original du volume.
Estudios, Festschrift, Hommage, Mélanges, Miscellanea, Miscel.lània, Studi,
Studia et autres Studies, les Mélanges sont bien sûr, par la diversité même de leurs
origines, appelés à être nécessairement dispersés quand on opère un classement
alphabétique d’ensemble de tous les collectifs. L’arbitraire des choix de siglaison ne
devrait toutefois pas ajouter encore à cet éclatement. Pour surmonter cette difficulté,
on pourrait d’ailleurs suggérer d’ouvrir dans la liste des collectifs une sous-section
qui réunirait cette production particulière et tellement riche que constituent les
Mélanges. Des remarques similaires pourraient s’appliquer aux Actes. Pourquoi
regrouper p. 1-5 une série d’Actes (dont notamment ceux de l’A.I.E.O. ou Société de
linguistique romane), et appliquer un traitement différent aux Actes des congrès
organisés par la Société Rencesvals (p. 7 sub Aspects de l’épopée ou p. 11 sub Au carrefour
des routes…, rangé à la suite de l’entrée Carnets…) ?
Quoi qu’il en soit, ces reproches sont somme toute assez secondaires en regard de
la richesse de l’information et des services que rendra cet instrument de travail à un
616 COMPTES RENDUS

très large cercle de chercheurs. Car il ne faut pas se laisser tromper par le titre : si l’axe
central est bien celui de la linguistique de l’ancien occitan, quantité de références
touchent à des champs d’investigation bien plus vastes, et l’ouvrage ne devrait
évidemment pas manquer d’intéresser les spécialistes de l’occitan moderne et des
langues romanes en général, les historiens de la lexicologie etc. Quant aux littéraires,
ils consulteront avec grand profit les p. 167-231 (Éditions de textes ; Commentaires et
critiques de textes). C’est dire si cette Bibliographie trouvera sa place dans bien des
bibliothèques.
Les recherches dans le domaine de l’occitan sont en pleine expansion : de 804
entrées dans le répertoire consacré aux années 1960-1982, on est passé à 2 137
références pour la période 1983-1997, auxquelles s’ajoutent encore plus de 900
comptes rendus. Cette belle vitalité a de quoi réjouir, mais il importe plus que jamais
de pouvoir rester correctement informé des publications qui paraissent. Responsable
du supplément bibliographique pour les revues américaines Tenso et Comparative
Romance Linguistics Newsletter, K.K. prend chaque année la mesure de ce phénomène
de croissance. Il reste donc à souhaiter que son enthousiasme à la tâche restera intact
pour longtemps encore, car au rythme où s’accumulent les matériaux, les outils
rétrospectifs comme celui-ci sont indispensables pour faciliter l’accès aux ressources
et guider le chercheur dans la masse documentaire. Espérons donc que ce deuxième
volume recevra une suite dans les prochaines années, et nul n’est sans doute mieux
armé que K.K. pour en assumer la charge.
Nadine HENRARD

Matthias BECHER, Eid und Herrschaft. Untersuchungen zum Herrscherethos Karls


des Großen, Sigmaringen, Thorbecke, 1993 ; 1 vol. in-8°, 239 p. (Vorträge und
Forschungen, Sonderband, 39). Prix : DEM 64.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


La source « principale » sur les rapports entre Tassilon, duc de Bavière, et
Charlemagne est ici mise en doute. Une comparaison critique entre les données
contenues dans les Annales regni Francorum d’une part et celles proposées par d’autres
sources narratives contemporaines, mais indépendantes, de l'autre nourrissent les
soupçons de l’A. de cette thèse de doctorat soutenue à l’Université de Constance.
Toujours d’après les Annales regni Francorum, en 749, Pépin III investit Tassilon de son
duché per beneficium. L’annaliste n’a pas voulu décrire les événements qui se sont
déroulés, mais souligner que le duc bavarois dépendait du roi franc. En 757, la même
source parle d’une commendatio de Tassilon effectuée devant Pépin et d’un serment
de vassal prêté, propos qui n’est confirmé par aucune autre source contemporaine. Et
en 763, à la diète de Nevers, Tassilon – selon les Annales regni Francorum – aurait quitté
de façon dolosive l’armée de Charlemagne se rendant ainsi coupable de félonie, sans
que nous n’ayons de confirmation par une autre source. En 781, d’après les Annales
regni Francorum Tassilon aurait renouvelé le serment de vassalité devant
Charlemagne. En 787, menacé par une guerre de Charlemagne, il prête un serment de
fidélité devant le roi des Francs, et cette fois l’événement est confirmé, pour la
première fois, par d’autres sources contemporaines. L’année suivante, Charlemagne
intente un procès à Tassilon, qui se voit non seulement déposé mais aussi condamné
à mort, peine commuée immédiatemment en une réclusion perpétuelle dans un
monastère. Le rédacteur des Annales regni Francorum a donc tendance, à la manière
d’un romancier, à falsifier vers les années 90 du VIIIe siècle les données de la période
antérieure consignées après coup, le tout pour justifier l’action menée contre Tassilon.
COMPTES RENDUS 617

Sur cette base, M.B. souhaite comprendre un autre événement de la même année.
Charlemagne décide d’imposer à ses sujets la prestation d’un serment de fidélité.
Comme date de ce serment, l’on a proposé 789 et l’an 793. La conspiration ourdie par
Hardrade (785) était peut-être à l’origine de cette mesure, mais le procès contre les
conspirateurs traîna jusqu’au synode de Francfort, en 794. D’un autre côté, en 792, la
conjuration de Pepin le Bossu et de ses partisans a été découverte, raison pour laquelle
Fr.L. Ganshof fixe la date de la prestation du serment de fidélité à l’année 793. M.B.
opte pour l’an 789 et considère la conspiration ourdie par Hardrade comme à l’origine
de cette mesure considère ; il pense que ce serment s’inscrit bien dans la tradition de
rois mérovingiens, dont nous ne connaissons les textes des sermons prêtés que par
des sources narratives, car ils étaient tombés en désuétude.
Après le couronnement impérial de 800, Charlemagne décida en 802 que tous ses
sujets devaient lui jurer fidélité en tant qu’empereur ; à cette occasion la notion de
fidélité s’élargit sensiblement et la formule du serment change. Elle supposait de ceux
qui prêtaient le serment, un dévouement voisin de celui des vassaux et qui s’accordait
mieux avec la conception nouvelle, plus exigeante, de la fidélité. Cette fois, la fidélité
impliquait d’autres éléments : servir Dieu, respecter et ne pas soustraire à l’empereur
ses terres et ses serfs, s’abstenir de porter atteinte aux églises et aux veuves, orphelins
et pèlerins, obéir au ban impérial et payer les redevances et cens dus… Avec les
modalités d’application conférées aux missi, Charlemagne chercha à réaliser sa
nouvelle conception de son propre rôle dans la société.
Les résultats obtenus par M.B. méritent une sérieuse discussion.
Ludwig FALKENSTEIN

Chris WICKHAM, Land and power. Studies in Italian and European social history,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


400-1200, Londres, The British School at Rome, 1994 ; 1 vol. in-8°, 323 p.
Voilà un livre qui bouleverse bien des idées reçues sur le haut Moyen Âge en
abordant les questions théoriques majeures, telles la fin de l’Antiquité ou la naissance
du féodalisme, sans renier l’héritage de la pensée marxiste, mais en le renouvelant par
l’apport de l’archéologie, de l’anthropologie et de la sociologie, et n’oubliant jamais
qu’en réalité ces débats tournent autour de questions bien concrètes, comme la
disparition ou la survie de l’esclavage et de l’impôt. Ses conclusions peuvent se
résumer ainsi. L’esclavage dans sa forme classique n’avait plus beaucoup
d’importance dans le Bas Empire, les esclaves étant désormais pour la plupart
transformés en tenanciers et les immenses plantations de l’époque d’Auguste ayant
presque partout disparu. Cette façon nouvelle d’employer le labeur servile, ainsi que
l’importance grandissante des tenanciers libres permet de conclure que, déjà sous
Dioclétien, l’ancien mode de production avait disparu, et qu’un mode de production
que l’on peut s’y était appeler féodal s’y était substitué. La société du Bas Empire,
pourtant, n’était pas la société féodale car le rapport entre le tenancier et son maître,
donc le paiement de la rente, avait moins d’importance que le rapport entre les deux
et l’État, donc le paiement de l’impôt. Ce qui caractérisait, à cette époque, le mode de
production ancien, c’était le système fiscal, qui permettait aux élites urbaines de
drainer le surplus du produit agricole ; on peut calculer que pour les colons, l’impôt
atteignait jusqu’au double des cens dus au maître.
618 COMPTES RENDUS

La transition vers la société féodale ne se réalise donc pleinement qu’avec


l’écroulement de l’impôt foncier, lorsque la rente en vient à représenter la façon
ordinaire de prélèvement du surplus. L’évasion de l’impôt par les riches et l’entrée
massive des paysans libres dans le patronage des grands, pour tâcher justement
d’échapper aux impôts, ne suffirent pas, à eux seuls, pour détruire l’État et son
système fiscal, qui allaient survivre longtemps à l’Est ; mais à l’Ouest, les invasions
firent la différence. Bien entendu, les rois germaniques s’efforcèrent d’abord, non
sans succès, de lever eux aussi l’impôt, à l’aide de fonctionnaires romains, mais leurs
moyens étaient faibles, et surtout ils n’avaient pas vraiment besoin de ce revenu, leur
armée étant formée par des propriétaires qui servaient à leurs frais, et les métropoles,
que l’impôt nourrissait jadis, étant en train de se vider. Les Mérovingiens, qui
conservèrent le système fiscal de l’Empire mieux et plus longtemps qu’aucun autre,
ne savaient que faire de ces richesses, si ce n’est y alimenter leurs réseaux de
patronage ; ils ne donnèrent pas seulement les revenus, mais aussi les droits fiscaux,
ce qui amena l’émiettement du système, puis son effondrement.
Avec la disparition de l’impôt, c’est l’État lui-même qui disparaît, en tant que
source primaire de richesse et de statut social. Au Bas Empire encore, le service de
l’État enrichissait ; sous les rois germaniques, l’office n’est recherché qu’en tant qu’il
permet de s’emparer de la terre, devenue la vraie source de la richesse et du pouvoir ;
dans la longue période, l’office lui même se confondra avec la possession de la terre.
Entre la disparition de l’impôt, qu’on peut considérer achevée à la fin du VIIe siècle,
et l’installation d’un lourd système d’exploitation des paysans par leurs maîtres, qui
se dessine avec la villa carolingienne et atteint son point culminant avec la seigneurie
banale, s’ouvre cependant une période où les paysans ont peut-être gardé pour eux-
mêmes une partie moins chiche de leurs récoltes. L’anéantissement, comme en Italie,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


ou du moins la dislocation de l’aristocratie foncière, le désordre social et administratif
qui permit à bien des tenanciers de s’emparer de leur terre, la redistribution de chaque
grande propriété parmi plusieurs maîtres de moindre envergure, bref tous les
développements bien connus suscités par les invasions et l’effondrement de l’État
romain, allaient dans le sens d’une réduction de la ponction opérée sur les récoltes.
Si l’on veut dépasser les idiosyncrasies des différentes historiographies nationales,
pour donner une idée d’ensemble de ce que fut l’Europe dans le haut Moyen Âge, on
pourra peut-être parler, propose l’A., d’une « société paysanne » : pas forcément
égalitaire, tant s’en faut, car l’opposition entre richesse et pauvreté, entre liberté et
servitude y serait familière, mais qui ne serait plus écrasée par l’État, et pas encore par
les grands propriétaires, où le pouvoir des grands dépendrait de leur succès en tant
que patrons plutôt que de la possession de la terre, qui pourrait d’ailleurs ne pas être
toujours réglée selon les principes abstraits du droit romain. C’est là un tableau tout
à fait familier aux anthropologues, et qui a le grand mérite de cadrer parfaitement
avec l’image de la société que nous ont laissée les sources juridiques.
C’est bien la difficulté d’exploiter les paysans, qu’il s’agisse de tenanciers ou de
petits alleutiers, qui explique la pauvreté des rois et des aristocrates du haut Moyen
Âge, la médiocrité de leur luxe et de leurs bâtiments ; car d’ailleurs ces paysans
n’étaient pas tellement moins nombreux qu’à l’époque ancienne. L’A. ne croit pas à
l’effondrement démographique du VIe siècle, pas plus qu’à un haut Moyen Âge
devenu pastoral, où l’élevage aurait eu autant de poids que la culture des blés ; son
raisonnement à ce propos est un bel exemple de la méthode qu’il applique tout au
COMPTES RENDUS 619

long des onze articles réunis dans ce livre. Il exploite les travaux des anthropologues,
des archéologues et des économistes pour montrer que les systèmes de valeurs de
l’aristocratie, même là où ils exaltent la consommation de viande et la possession du
bétail, cèdent forcément le pas aux contraintes économiques, la survie d’une véritable
économie pastorale n’étant possible qu’en conjonction avec une agriculture et un
commerce très développés, les Européens du premier millénaire chrétien, grands
mangeurs de porc, n’en devaient pas moins être, foncièrement, des paysans,
cultivateurs et consommateurs de grains.
Où donc se faisait la culture des blés, pour nourrir cette paysannerie nombreuse,
dans une Europe où la forêt avait gagné tant d’espace ? À cette question l’A. en oppose
une autre, bien embarrassante : les nombreux mots latins qu’on trouve dans les
sources pour désigner la forêt indiquent-ils nécessairement des espaces boisés, ou
plutôt des aires en possession du fisc, où le bois, toujours présent, côtoyait peut-être
l’essart et la pâture ? Et de montrer, avec force exemples, que ces forêts publiques
étaient souvent exploitées par des ayants droit, qui y vivaient, labouraient la terre et
remettaient parfois des redevances en blé ; ce qui nous ramène d’ailleurs à nous
interroger, à la suite d’A. Gourévitch, sur les différents concepts de propriété qui ont
pu exister, en dehors du droit romain, dans l’Europe de cette époque. La
transformation de l’espace rural entre le Bas Empire et haut Moyen Âge a donc été
surestimée, à ce que croit Chr. Wickham ; ce n’est pas tant par la déchéance des
conditions matérielles, mais par la transformation des relations humaines que
l’Europe ancienne a changé de visage.
On voit que les outils de la pensée marxiste sont maniés avec subtilité. L’A. affirme
clairement que plusieurs modes de production peuvent coexister et en fait coexistent
généralement, dans une même société, tout en distinguant chaque fois le mode
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


dominant, qui donne le ton à la société dans son ensemble. Aussi s’efforce-t-il de
simplifier autant qu’il peut la définition du mode de production féodal, qui n’est pas
autre chose que la dépendance économique des tenanciers vis-à-vis des maîtres de la
terre ; il peut donc conclure que ce mode de production a existé presque partout dans
le monde, de la Chine des Soung au Guatemala d’aujourd’hui, tout en reconnaissant
l’unicité de l’Europe médiévale et moderne, où il était dominant. À son tour, l’idée
d’une société paysanne, qu’il développe dans ses articles plus récents, et qui pourrait
expliquer la réalité sociale du haut Moyen Âge après la disparition de la société
étatique et avant l’établissement de la société féodale, trouve son point de départ dans
l’analyse de l’Islande de l’an Mil, mais l’A. souligne qu’il aurait pu aussi bien choisir
la Nouvelle-Guinée ou la Birmanie.
On pourrait, bien entendu, mettre en doute l’utilité heuristique de modèles aussi
œcuméniques, si l’A. ne montrait tout le parti que l’on peut tirer, par exemple, en
juxtaposant les groupements d’intérêts axés sur la rente et ceux qui misent sur
l’impôt, soit l’aristocratie foncière et la bureaucratie d’État ; d’où des observations
lumineuses sur la fin de l’Empire romain, accélérée par l’emprise des aristocraties
locales sur la levée de l’impôt ou sur le prétendu féodalisme de l’empire seldjouk, l’iqta’
n’étant pas une concession foncière, mais bien une assignation de droits fiscaux. Il est
impossible de rendre justice en quelques pages aux réflexions de Chr.W., fondées sur
une maîtrise incontestable des sources et de l’historiographie internationale, et où
l’on ne décèle jamais de parti pris. On ne sera pas toujours d’accord avec lui ; c’est qu’il
y a très peu de choses sûres à propos du haut Moyen Âge, et que malgré tout ces « dark
620 COMPTES RENDUS

ages » demeurent bien obscurs à nos yeux. Après avoir lu ses articles, on se dit que,
cependant, il vaut la peine d’éprouver son intelligence à les éclairer autant que
possible.
Alessandro BARBERO

Castrum 5. Archéologie des espaces agraires méditerranéens au Moyen Âge,


éd. André BAZZANA, Madrid-Rome-Murcie, Casa de Velazquez-École française, de
Rome-Ayuntamiento de Murcia, 1999 ; 1 vol. in-4°, 496 p. (Collection de l’École
française de Rome, 105-Collection de la Casa de Velazquez, 55). ISBN : 2-7283-0587-0.
Ce gros ouvrage (près de 500 pages, format in-4°) est le cinquième dans la série
intitulée Castrum, publiée conjointement par l’École française de Rome et la Casa de
Velazquez (Madrid). Grâce à l’initiative prise en 1982 par P. Toubert, elle fait
connaître, en publiant les actes de colloques tenus à des intervalles irréguliers, les
résultats de la collaboration d’historiens et d’archéologues médiévistes travaillant
sur l’histoire du peuplement et de l’habitat dans les pays riverains de la Méditerranée.
Si le thème initial qui a donné son nom à la série était étroitement lié au rôle du
château, celui du présent volume, résultat d’un colloque tenu à Murcie en 1992 mais
publié seulement en 1999, s’en éloigne sensiblement, même si le site castral, inséré
dans son territoire, n’y est pas totalement absent. Ce thème en effet, c’est « l’espace
agraire » dans toute sa complexité, ce qui explique la diversité des grandes
subdivisions du livre sous lesquelles A. Bazzana a groupé les contributions dont la
diversité est également très grande.
En début d’ouvrage figurent les communications portant sur Murcie et sa région,
dont quatre en espagnol et une en français. Celle de J. Manzano retiendra l’attention
à cause de l’extrême morcellement de la propriété musulmane des terres de quelques
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


villages de la huerta, dont la moyenne n’atteignait pas un demi-hectare. À travers la
communication d’A.L. Molina on suit les phases de « repeuplement » et de
désertions entre la conquête chrétienne de 1266 et la seconde moitié du XVe siècle,
lorsque se développent les espaces irrigués dont traite la contribution de
G. Lemeunier.
Dans la section suivante, consacrée à la représentation de l’espace agraire dans la
documentation médiévale, sont examinés, dans autant de communications, toutes en
français, quatre types, très différents, de documents : les actes des monastères de
l’Athos (J. Lefort), les actes notariés du Sud de l’Italie (J.M. Martin), les répertoires des
distributions domaniales faites par les rois chrétiens après la conquête des terres
andalouses (P. Guichard) et les consultations juridiques en langue arabe
(V. Lagardère).
Comme le titre de la partie Genèse et structuration des espaces médiévaux le suggère,
la grande mobilité des paysages méditerranéens ressort de presque chacune des six
communications qui y ont été réunies. Les régions étudiées, soit dans leur ensemble,
soit à partir d’un site, sont : l’Italie du Nord à la fin de l’Antiquité et au début du
Moyen Âge (G.P. Brogiolo), le terroir de Bas-Segura près de Valencia (R. Azuar et
S. Guttiérrez) et celui de Dassargues en Languedoc oriental du IVe au XIe siècle
(C. Mercier et Cl. Raynaud), la Toscane entre le Xe et le XIVe siècle (G. Cherubini), la
Marche tolédane, en Nouvelle-Castille (J.P. Molénat) et la Sardaigne (J.M. Poisson).
COMPTES RENDUS 621

Le titre assez banal de la section Paysages et espaces médiévaux ne dit rien de la


richesse d’une série de sept contributions qui, comme la section précédente, révèlent
à peu près chacune l’instabilité, les transformations parfois très profondes et la
mutation des modes d’occupation du sol de paysages que les conditions naturelles
généralement difficiles ont rendus très sensibles aux interventions de l’homme et
qu’on aurait tort, par conséquent, de considérer comme figés, définitifs et
« typiquement méditerranéens ». Ainsi en est-il du Languedoc dont l’étude
archéobotanique d’A. Durand montre une transformation profonde du couvert
végétal au cours du Moyen Âge, de la Bithynie (B. Geyer) et des vallées piémontaises
où la diffusion du châtaignier aux XIIe-XIIIe siècles, décrite par R. Comba, débouche
sur une véritable « métamorphose » du paysage. Si l’agriculture sèche marque les
paysages siciliens, l’essor des vignes-jardins au XIIe siècle a créé, d’après H. Bresc, un
paysage contrasté, clos et arrosé. C. Torres étudie les formes d’habitat du Garb
portugais et B. Vincent, à propos de la région d’Alméria, souligne l’importance de la
transhumance aux XVIe et XVIIe siècles, sortant ainsi, faute de documents, du Moyen
Âge. Une réflexion plutôt théorique de M. Barcelo sur ce qu’on peut appeler
« l’archéologie hydraulique » a également trouvé place dans cette section un peu
disparate.
Dans un ouvrage où l’agriculture tient une place aussi importante une section
Aspects agronomiques et technologiques ne pouvait manquer. M.P. Ruas y étudie les
semences fossiles du Midi de la France ; L. Bolens, a l’aide d’une nouvelle traduction
de l’arabe du Calendrier de Séville, fait connaître la variété de plantes et de fruits de cette
région ; l’outillage agricole découvert dans une grotte de la province d’Albacète,
décrit par J. Navarro et A. Robles, élargira de façon radicale nos connaissances dans
ce domaine. Pour la conservation des grains les greniers étaient d’une importance
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


capitale : plusieurs greniers collectifs fortifiés, en Murcie et au Maroc, ont été étudiés
respectivement par une équipe franco-belge composée des archéologues F. Amigues,
J. De Meulemeester et A. Matthys et par deux géographes A. Humbert et M. Fikri.
Des citernes dans les châteaux et autres habitats fortifiés de l’al-Andalus ont fait
l’objet des recherches d’A. Bazzana.
Enfin, sous le titre Le castrum et son territoire ont été groupées des contributions
consacrées principalement à cet élément clé de structuration de l’espace agraire
méditerranéen. Dans le Sud de la Macédoine A. Dunn (en anglais) retrace l’évolution
de la ville antique au kastron byzantin, tandis qu’en Bithynie le réseau de
fortifications, décrit par Chr. Giros, sans l’intervention de l’armée impériale, n’a pas
pu résister au XIVe siècle à la pression turque. Les mêmes problèmes de luttes, cette
fois contre l’agresseur chrétien au royaume nasride de Grenade, sont abordés par
M. Acièn. Le fonctionnement de cet espace islamique structuré par le château a été lié
davantage au problème de la gestion des terroirs irrigués qu’à des considérations
d’ordre militaire, comme le montre P. Cressier dans sa contribution à cette partie de
l’ouvrage. Les interactions du château et de la voirie médiévale en Italie sont révélées
par Th. Szabo, tandis que R. Francovich et R. Farinelli décrivent la dénomination du
château sur les mines de métal en Toscane médiévale.
Les points forts et les points faibles de cet ouvrage ont été exposés avec une grande
franchise dans la synthèse finale de J.M. Pesez. On ne nous en voudra pas, pour finir
ce compte rendu dans lequel nous espérons avoir donné une idée de l’extrême
richesse du livre, de ne retenir que les points faibles que J.M. Pesez énumère.
622 COMPTES RENDUS

L’excellent aperçu par P. Toubert, au début de l’ouvrage, de l’historiographie


allemande depuis le XIXe siècle dans le domaine de l’histoire de l’occupation du sol
(all. « Siedlungsforschung ») n’est peut-être pas, comme le dit J.M. Pesez, intervenu
trop tard comme formulation de la problématique du rapport entre les formes de
l’habitat rural, du castrum en particulier, et les systèmes d’organisation du terroir. Il
y est plutôt mal à l’aise comme l’a senti P. Toubert lui-même d’après les premières
phrases de son introduction. Différents thèmes que l’auteur distille des études
allemandes (p. 29), comme celui de la continuité de l’occupation du sol entre
Antiquité et Moyen Âge – si important en région méditerranéenne –, celui de la
typologie des terroirs ou encore celui de la colonisation agraire – thème par excellence
après la reconquête chrétienne en Espagne – n’ont guère été abordés dans l’ouvrage
dont nous rendons compte. L’unique référence, à l’historiographie et la
problématique allemandes aurait peut-être eu plus d’effet si elle avait pu être
complétée par une référence aux travaux similaires publiés récemment mais
visiblement après la rédaction des textes du présent ouvrage et en France même, sous
l’impulsion de G. Chouquer1. Complétée ainsi et aussi par un aperçu des travaux
similaires en Grande-Bretagne qui sont en train de surpasser la recherche allemande,
l’introduction de P. Toubert pourrait être le point de départ d’une publication
autonome sur ce sujet.
Regrettons ensuite avec J.M. Pesez l’absence de l’archéologie aérienne, dont
plusieurs éminents représentants actuels ont collaboré à l’ouvrage et dont la
Méditerranée, depuis les années soixante, avait été l’un des objectifs préférés.
Finalement les systèmes de cultures, comme l’a aussi remarqué J.M. Pesez, n’ont
guère occupé l’attention, de même, ajouterions-nous, que les structures parcellaires.
Sur ce dernier sujet il manque toujours, même après l’ouvrage dont il est rendu
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


compte ici, un aperçu des régions méditerranéennes, comme me l’a fait remarquer,
peu avant sa mort, L. Génicot, lorsqu’il regretta que mon petit livre sur les structures
parcellaires de l’Europe du Nord-Ouest, que j’ai écrit à sa demande2, laisse hors de
vue les régions de l’Europe du Sud.
Adriaan VERHULST

Morkinskinna. The earliest Icelandic chronicle of the Norwegian kings (1030-1157),


trad., introd. et notes de Theodore M. ANDERSSON et Kari Ellen GADE, Ithaca-
Londres, Cornell U.P., 2000 ; 1 vol. in-8°, XIV-555 p. (Islandica, LI). Prix :
USD 49,50.
Morkinskinna marque la naissance de l’historiographie scandinave en langue
vernaculaire ; c’est la première compilation des sagas des rois norvégiens, qui couvre
les années 1030-1157 et s’ouvre par l’histoire des rois Magnus et Harald et s’achève
par la mort du roi Sigurd. Les É. reconstruisent le texte à partir des manuscrits et des
éditions de F. Jonsson et C.R. Unger (cf. p. 405) ; ils en donnent une traduction fidèle
et largement annotée, mais les notes se trouvent en fin de volume (p. 406-495). En
introduction, ils rappellent les textes antérieurs (Livre des Islandais d’Ari Thorgilsson
et Saemund Sigfusson, le Noregs konungatal, chroniques latines, etc.), dressent la liste

1. Sous le titre Les formes du paysage, 3 vol., Paris, 1996 et 1997.


2. Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc. 73, Turnhout, 1995.
COMPTES RENDUS 623

des manuscrits (avec stemmas), examinent les sources locales et établissent des
parallèles avec d’autres sagas et montrent qu’une des caractéristiques de
Morkinskinna est de comporter un grand nombre de dits (thaettir) semi-indépendants,
– et procurent une analyse du texte. Ils se penchent ensuite sur le corpus poétique du
texte (qui comporte 156 strophes éparses) et sur les problèmes d’interpolation, puis
sur les sources orales, le lieu et la date de composition, et cherchent enfin à établir le
profil de l’auteur.
Les notes textuelles informent sur les divergences des diverses rédactions et les
parallèles avec d’autres textes, notamment le Flateyarbok, et commentent certains
passages, apportant des précisions historiques sur les personnages. Un premier
appendice fournit la concordance entre Morkinskinna et la Heimskringla de Snorri
Sturluson, et un second une analyse du compendium latin de Hakon Ivarsson. Sept
cartes des lieux de l’action, une bibliographie et deux index (un pour l’introduction
et les notes, un autre pour le texte) accompagnent l’ouvrage.
Th.M.A. et K.E.G. ont fait un travail particulièrement soigné, mettant à la
disposition des historiens un beau morceau d’historiographie norroise, bien explicité
par le commentaire. On ajoutera à la bibliographie quelques ouvrages en français qui
aideront les chercheurs à mieux apprécier Morkinskinna1.
Claude LECOUTEUX

Ronnie ELLENBLUM, Frankish rural settlement in the Latin kingdom of Jerusalem,


Cambridge, Cambridge U.P., 1998 ; 1 vol. in-8°, XVII-321 p.
L’implantation d’une population rurale venue d’Occident dans les États des
Croisés et l’insertion de ces éléments au sein d’une société orientale ont suscité des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


controverses au dossier desquelles l’A. verse la contribution de la recherche des
archéologues. Cette recherche, menée en territoire israélien (Judée, Samarie, Galilée),
a permis de retrouver des ensembles indiscutablement francs : l’association du
château, du bourg et du village, telle qu’elle se révèle à Château-du-Roi et ailleurs,
l’aménagement du terroir agricole où on reconnaît jusqu’au réseau des chemins qui
structurent le terroir, les équipements industriels (moulin, pressoir à olives). L’église
paroissiale, au plan caractéristique, jouit d’une dîmerie pesant sur les récoltes des
paysans (à la différence des dîmes sur les revenus seigneuriaux que nous avons eu
l’occasion d’étudier et qui appartiennent aux évêques), comme en Occident. L’A.
retrouve les traces d’un incastellamento et il nous invite à rechercher les causes de la
construction des châteaux autant dans l’aménagement du territoire que dans le souci
de la sécurité des frontières (ici nous relèverons que la construction du Châtel-
Arnout, couvrant la route d’Ascalon, remonte à une époque antérieure à celle qui est
attribuée, p. 15, à la fortification de cette frontière). On notera le nombre de sites
recensés (plus de 80), l’existence de maisons-fortes associées à l’exploitation
domaniale et formant le noyau de ces fiefs que cite Jean d’Ibelin dans sa liste des
services des fieffés ; R. Ellenblum identifie ceux de Jean Gothman, de Geoffroy le Tort,
de Laurent de Franclieu. Il s’intéresse aussi aux domaines des ordres militaires,
notamment Doc et Recordane, près d’Acre.

1. Sagas islandaises, trad. R. BOYER, Paris, 1987 et Le livre de la colonisation de l’Islande, trad.
R. BOYER, Turnhout, 2000.
624 COMPTES RENDUS

L’étude s’étend aux conditions de la création de ces villeneuves, au mode de vie


des colons, à leurs ressources et à leurs procédés d’exploitation du sol. Ici l’A. aurait
sans doute pu tirer davantage parti de l’article de J. Prawer (Colonization activities,
réimprimé en 1980 dans Crusader institutions) et aussi du chapitre que nous avions
consacré dans notre Royaume latin de Jérusalem (1953) aux Bourgeois et colons en
insistant sur les filiations de chartes de franchises, chapitre qu’il semble ne pas avoir
connu. Pour ses comparaisons avec le mouvement de peuplement occidental, il se
réfère surtout au livre de M. Bourin sur le Bas-Languedoc, qui a été un bon guide.
Par-delà la reconstitution minutieuse de cette colonisation plus importante qu’on
ne l’a dit, et qu’il appuie sur un recensement attentif, l’A. s’est interrogé sur l’insertion
de ces Francs parmi les populations locales, ce qui l’a amené à étudier les composantes
de celles-ci, et à arbitrer un débat opposant les tenants d’un « modèle français » (celui
des historiens français qui voyaient les Francs bien accueillis par elles) à d’autres qui
insistaient sur un phénomène de rejet, en accusant les premiers d’avoir été trop
influencés par leur histoire coloniale. Il n’hésite pas à réagir. La solidarité des Syriens
encore peu arabisés avec les musulmans arabes (ou assimilés) et surtout avec les
Turcs, souvent mal accueillis par ces derniers, lui paraît très contestable. Il cite tel texte
de Benoît d’Alignan qui donne en faveur de la construction d’un château à Safed cet
argument, qu’on trouvera dans le ressort de ce château plus de 10 000 archers pour
résister à une attaque : les Francs comptent donc sur les Syriens chrétiens,
particulièrement nombreux ici (cette proportion varie selon les régions). Et il constate
que les villages de peuplement franc ne se sont guère installés que dans les contrées
à forte population chrétienne, ce qui témoigne de l’existence d’une symbiose entre
Chrétiens orientaux et Latins.
Un peu foisonnant peut-être, mais très riche d’informations, l’ouvrage de R.E. se
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


révèle novateur là même où il retrouve les perspectives d’historiens plus anciens. Une
abondante documentation archéologique, une bibliographie parfois pléthorique,
étayent une analyse nourrie d’une réflexion toujours enrichissante.
Jean RICHARD

Elena E. RODRIGUEZ DIAZ, El libro de la Regla Colorada de la catedral de Oviedo.


Estudio y edición, Oviedo, Real Instituto de Estudios Asturias, 1995 ; 1 vol. in-8°,
XXVII-639 p., ill. (Fuentes y estudios de Historia de Asturias, 6).
Le cartulaire connu sous le nom de Regla Colorada a été confectionné à l’initiative
de Gutierre de Tolède, évêque d’Oviedo de 1377 à 1390 et pour son usage personnel.
Copié en 1384 par un clerc, Juan Fernandez, dit Juan Rubio, il est conservé aux
archives de la cathédrale de la capitale asturienne.
L’étude qui précéde le texte du cartulaire comprend trois chapitres. Le deux
premiers sont consacrés respectivement au cartulaire en tant que livre (Estudio
codicológico, p. 3-80) et à son écriture (Estudio paleográfico, p. 83-127). Il s’agit d’un
manuscrit enluminé de 158 folios dont 4 en blanc, écrit par une seule main en gothique
du type littera textualis. E.E. Rodriguez Diaz décrit et analyse ses caractéristiques avec
perspicacité et de façon exhaustive.
On trouvera dans le troisième chapitre (Transmisión documental, p. 131-275) d’une
part des renseignements sur le contenu de la Regla Colorada et son organisation
COMPTES RENDUS 625

interne, d’autre part l’apparat critique qui, d’habitude, accompagne les textes édités
mais en est ici séparé. Le cartulaire renferme 104 pièces et un total de 135 documents :
5 du IXe siècle, 4 du Xe, 5 du XIe, 22 du XIIe, 23 du XIIIe et 76 du XIVe. Le plus ancien
est du 20 avril 857, le plus récent du 31 mai 1384. Tous concernent le temporel de la
cathédrale d’Oviedo. D’une grande variété, ils ont été ordonnés selon un critère
géographique. Quant à l’apparat critique, E.E.R.D. a pris les documents dans l’ordre
où ils figurent dans la Regla. Chacun fait l’objet d’une présentation conforme aux
normes de la Commission Internationale de Diplomatique : date, brève analyse du
contenu, mention de l’original (s’il existe) et des copies, éditions, photographies et
fac-similés s’il y a lieu, études dont il a fait l’objet. À quelques exceptions près, le
copiste de la Regla a utilisé un autre manuscrit, également commandé par l’évêque
Gutierre, le Libro de los Privilegios, comme modèle. Il en a reproduit les fautes de lecture
dont E.E.R.D. donne la typologie.
En ce qui concerne l’édition du texte, la disposition et la structure du cartulaire ont
été fidèlement respectées. Elle est suivie de trois index : des documents rangés dans
leur ordre chronologique, des noms de personnes et des noms de lieux.
Jean GAUTIER DALCHÉ

Graeme J. WHITE, Restoration and reform, 1153-1165 : recovery from civil war in
England, Cambridge, Cambridge U.P., 2000 ; 1 vol. in-8°, XVII-248 p. (Cambridge
studies in medieval life and thought, fourth series, 46). ISBN : 0-521-55459-4. Prix :
GBP 40 ; USD 64,95.
La période qui correspond, en Angleterre, à la fin du règne d’Étienne et au début
de celui d’Henri II Plantagenet, de l’accord de paix de Winchester de 1153 aux
premières réformes administratives du milieu de la décennie 1160, vit la
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


reconstruction du gouvernement royal après la guerre civile. Le but de l’ouvrage de
G.J. White, lequel vient contribuer de manière notable à notre connaissance d’une
phase relativement obscure, à certains égards, de l’histoire de ce pays, est double : il
s’agit de replacer cette reconstruction dans le contexte des dernières années du règne
d’Étienne, mais aussi d’étudier les moyens utilisés par Henri II pour restaurer
l’autorité royale, œuvre préliminaire à son entreprise de réforme administrative.
Après une discussion du contexte politique et des buts avoués d’Henri II, qui se posa
en successeur direct de son grand père Henri Ier Beauclerc, refusant notamment de
reconnaître les actes de son prédécesseur, sans pour autant aller jusqu’à nier la légalité
de son règne, la première partie de l’ouvrage est consacrée à un examen attentif de
l’« anarchie » du règne d’Étienne, si souvent dénoncée, depuis Freeman et Stubbs, par
les historiens. Le souhait général de voir un retour de la paix et de l’ordre, après plus
de dix années de guerre civile, et le souci des grands de préserver leurs héritages,
qu’on perçoit nettement dans la dernière phase du conflit, expliquent largement
qu’on soit parvenu, en 1153, à des accords négociés entre les parties en présence. Mais
la préservation des structures gouvernementales pendant la période de troubles
contribue aussi à expliquer la rapidité de la restauration de l’autorité royale sous
Henri II. G.J.W. s’interroge en effet sur l’étendue de l’autorité effective exercée
pendant le conflit par Étienne dans le sud-est de l’Angleterre, par l’impératrice
Mathilde dans la région autour de Gloucester, par le roi des Écossais, David, dans le
nord du royaume et, localement, par un certain nombre de magnats : il conclut en
626 COMPTES RENDUS

soulignant le fait que l’autorité royale en elle-même ne fut jamais contestée, chacun
cherchant à la maintenir dans une région donnée, mais à son profit. La fin du règne
d’Étienne fait aussi l’objet d’une réhabilitation importante. L’accord de paix
de novembre 1153 prévoyait la pacification du royaume, et plus spécifiquement la
déposition des armes, la destruction des châteaux adultérins, le retour des héritages
usurpés à leurs détenteurs légaux, et la restauration générale de la justice en accord
avec les précédents du règne de Henri Ier : dans les derniers mois de sa vie, Étienne
mena à bien une partie de ce programme, préparant le terrain pour l’œuvre du
gouvernement d’Henri II. Ce dernier cependant, bénéficiant d’une autorité plus
grande, parvint non seulement, à partir de son accession en 1154, à restaurer
complètement l’autorité royale, mais également à mettre en place, dès son retour en
Angleterre en janvier 1163 après une absence de plus de quatre ans, un certain
nombre de réformes décisives dans l’administration du royaume.
G.J.W. replace l’action du roi angevin dans le cadre de l’itinéraire royal, et montre
dans quelle mesure certains actes furent promulgués, des deux côtés de la Manche,
sous une forme assez proche. Henri II respecta les droits à l’héritage des vassaux, en
matière de tenure mais aussi d’office, au moins pour ceux qui pouvaient démontrer
l’existence de tels droits pour la période antérieure au coup de 1135. Les offices
héréditaires pouvaient être locaux, mais il est intéressant de constater que la
nomination aux offices de l’Hôtel royal suivait la même logique : cette question est
traitée ici avec une grande clarté et contribue à notre compréhension du
fonctionnement de l’Hôtel au XIIe siècle. Cherchant à restaurer le domaine royal dans
l’étendue qu’il avait sous son grand-père, Henri II, aidé d’administrateurs qui
avaient, pour une partie d’entre eux, acquis une expérience du gouvernement sous
son prédécesseur, œuvra également à la reconstruction des finances royales. Tout un
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


pan de l’histoire financière de la période est condamné à rester obscur, dans la mesure
où la chambre royale n’a pas laissé d’archives, mais une analyse fine des premiers
comptes de l’Échiquier (pipe rolls) d’Henri II, que l’A. compare systématiquement
avec le seul pipe roll à avoir survécu pour la période antérieure à l’accession du
Plantagenet, celui de 1130, permet d’approcher cette question complexe. G.J.W. met
en évidence les difficultés rencontrées par les administrateurs dans leur gestion des
fermes royales dans les années 1150. Dans un premier temps, ils se contentèrent de
calquer leur œuvre sur le modèle offert par l’Échiquier du temps d’Henri Ier, une
tendance que l’on retrouve aussi dans la perpétuation de certaines formes de taxation,
comme le danegeld, qui continua à être perçu pendant la première partie du règne. Un
changement notable est cependant perceptible, à partir de 1163, dans les techniques
de l’Échiquier, un développement que l’A. situe dans le contexte du retour du roi en
Angleterre, mais l’introduction, entre autres, de l’essai des monnaies, peut être mise
en rapport avec la nomination d’administrateurs de talent, comme le clerc royal
Richard d’Ilchester.
Si l’on peut regretter que cet ouvrage, en grande partie basé sur le texte de la thèse
que l’A. soutint à Cambridge en 1974, n’ait pas été publié plus tôt, on constate qu’il
tient cependant pleinement compte des publications récentes, et finalement cette
étude vient s’insérer avec bonheur dans le débat sur le gouvernement royal au
XIIe siècle, auquel ont si brillamment contribué depuis quelques années J. Hudson,
J. Green ou E. Amt. Cela est particulièrement sensible dans la dernière partie de
l’ouvrage, qui porte sur la restauration de l’autorité royale dans le domaine de la
COMPTES RENDUS 627

justice. L’accession au trône d’Henri II ne marqua pas une rupture, dans la mesure où
le roi angevin se plaçait fermement dans la lignée des rois anglo-normands, et où il
n’eut sans doute pas, préoccupé par d’autres tâches et souvent absent du royaume
entre 1154 et 1163, la volonté d’étendre la juridiction de ses propres cours, cherchant
plutôt à améliorer le fonctionnement des cours seigneuriales ou ecclésiastiques. Mais
dès 1163, Henri II œuvra de façon à rendre sa justice plus attrayante et plus accessible,
développant certaines procédures qui allaient mener à l’introduction de writs de novel
disseisin en 1166. Cette étude souligne nettement le tournant que constitue l’année
1163 dans les domaines de l’administration financière et de la justice, et apporte un
éclairage nouveau sur les étapes préliminaires aux grandes réformes angevines, tout
en nuançant le contraste avec la période d’« anarchie » du règne d’Étienne.
Frédérique LACHAUD

Miguel Ángel LADERO QUESADA, Los señores de Andalucía. Investigaciones sobre


nobles y señoríos en los siglos XIII a XV, Cadix, Université de Cadix, 1998 ; 1 vol.,
619 p. ; Lecturas sobre la España historica, Madrid, Real Academia de la Historia,
1998 ; 1 vol., 341 p. (Coll. Clave Historial, 9).
Voici deux ouvrages de réédition des articles de l’éminent médiéviste espagnol. Le
premier se consacre aux questions andalouses, car M.Á. Ladero Quesada a travaillé
depuis 1974 au moins sur Séville, Niebla, l’Algarve, les terres, les villes, leurs
seigneurs, pour son enseignement et ses recherches personnelles. Vingt articles
complètent, illustrent, creusent en détail, ses livres parus pendant cette vingtaine
d’années. L’A. les a regroupés selon trois thèmes : 1) Les questions générales, 3 articles :
La consolidation de la noblesse à la fin du Moyen Âge ; Société féodale et seigneuries en
Andalousie ; Le genre de vie noble et son contexte social et culturel en Andalousie à la fin du
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Moyen Âge. 2) L’Algarve andalou, 7 articles : Les seigneurs de Gibraleón ; Les origines de la
seigneurie de Palos (1285-1395) ; Palos à la veille des Découvertes ; La seigneurie de Lepe et
Ayamonte à la fin du XVe siècle ; Sur les relations entre seigneurs et conseils urbains en 1493 ;
Les esclaves de la maison ducale des Medina Sidonia (1492-1511) ; Secteur agraire et
ordonnances locales, l’exemple du duché de Medina Sidonia et du comté de Niebla. 3) Séville,
sa région, ses frontières, 10 articles : De Per Afan à Catalina de Ribera, un siècle et demi
d’histoire d’un lignage sévillan (1371-1514) ; Le peuplement de la frontière de Gibraltar ; La
Castille et la Bataille du Détroit vers 1292 ; Les seigneuries médiévales autour de Cadix et de
Jerez de la Frontera ; Cadix, de la seigneurie au Realengo (terre du domaine royal) ; Une
comptabilité à Cadix en 1485-1486 ; Les seigneurs des Canaries dans leur contexte sévillan
(1403-1477) ; L’Ordre de Santiago en Andalousie ; L’islam, réalité et imagination au bas
Moyen Âge castillan ; Le héros sur la frontière de Grenade.
L’Andalousie du Guadalquivir est reconquise au XIIIe siècle par la Couronne de
Castille, les familles nobles s’installent à Séville et à Cadix, les Guzman ducs de
Medina Sidonia, les Ponce comtes d’Arcos, ou les Ribera, Stuñiga, Saavedra,
Fernandez de Cordoba, d’autres bien sûr. Ils tiennent la terre comme les
gouvernements urbains, la justice, la fiscalité, les revenus du commerce, donc le poids
politique. Tous ces articles, étayés de très nombreux documents d’archives, de cartes,
de tableaux, de généalogies, animent ces grandes familles, expliquent leurs majorats,
leurs gestion domaniale. On connaît des inventaires, dont celui de la bibliothèque du
duc de Medina Sidonia, des testaments, des maisons seigneuriales peuplées
d’esclaves ; on suit des lignages et des attitudes de grands seigneurs, dans un contexte
628 COMPTES RENDUS

particulier qui est, avec Séville, Niebla, Palos de Moguer, le point de départ vers les
exploitations maritimes, et avec l’ensemble de la « Frontière », la zone des contacts et
des affrontements avec les terres de l’islam.
Le premier article (les généralités sur la noblesse) et les deux derniers, sur la
perception de l’islam et le concept du héros, annoncent les développements réunis
dans le second livre, l’édition de la Real Academia de Historia. Son ton est en effet très
différent, car il s’agit de la publication de conférences et de réflexions synthétiques de
l’A. : Espagne, royaumes et seigneuries médiévales ; projet politique et groupes
sociaux dans l’Espagne du temps des Découvertes ; le passé historique et fabuleux de
l’Espagne dans les traités nobiliaires castillans au début du XVIe siècle ; la
« décadence » espagnole, argument historiographique ; Ramon Menendez Pidal,
philologie, littérature et histoire ; est-ce que l’Espagne est toujours une énigme
historique ?
L’Espagne fut une construction politique au Moyen Âge, sur ses propres terres et
ses trois religions monothéistes, tout en étant frontière de l’Europe. Les Rois
Catholiques ont mené à terme cette reconquête, en donnant à leurs peuples une
nouvelle idée de nation. À la veille des Découvertes, l’Espagne avait ses valeurs issues
de l’époque médiévale, son Église et son aristocratie, toutes valeurs qui perdurent
dans l’idée de noblesse au XVIe siècle. Au XXe siècle, l’historiographie occidentale
s’est interrogée sur l’idée de « décadence » (dès le XVIIe siècle en Espagne ?).
Menendez Pidal, puis Castro et Sanchez Albornoz ont donné au monde leurs vues
personnelles sur les rapports et les affrontements entre chrétiens, juifs et musulmans
en Espagne. Questions qui ne trouveront sans doute jamais de réponse définitive.
Les bibliothèques, les vêtements, les esclaves, les terres, les millions de maravedis,
des grands seigneurs andalous ; la colonisation des Canaries après celle de l’Algarve ;
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


le héros espagnol, ses valeurs, ses regrets ; la réflexion sur les composantes d’une
Histoire nationale ; tout cela est à lire, a été lu dans les articles lorsqu’ils paraissaient
dans les revues spécialisées, mais il est bien agréable et utile de les posséder sous une
seule reliure dans une bibliothèque de chercheur et d’enseignant.
Béatrice LEROY

Béatrice LEROY, Histoire et politique en Castille au XVe siècle. Biographies et


portraits de Fernán Pérez de Guzmán (1380-1460), Limoges, PULIM, 2000 ; 1 vol.
in-8°, 127 p. ISBN : 2-84287-166-9. Prix : FRF 90, € 13,70.
Spécialiste de la Navarre au Moyen Âge, B. Leroy ne dédaigne pas de s’intéresser
aux royaumes voisins. C’est ce qu’elle a fait dans ce petit volume consacré à un des
auteurs les plus attachants de la première moitié du XVe siècle castillan, Fernán Pérez
de Guzmán (1380-1460). Une première partie nous offre une traduction vivante de 34
portraits de rois, de favoris et de Grands. Puis une seconde partie est consacrée à la
présentation de l’auteur, homme de lettres. « Historien discret et sage », comme il se
définit, Guzmán estime que l’historien doit avoir du style, connaître les événements
qu’il relate (ce qui est son cas), ou avoir lu des historiens dignes de foi, enfin ne pas
être à la solde d’un prince (ce qui n’a pas été son cas !). Appartenant à une vieille
famille noble, il se mêle au jeu politique national, dans les années 1420-1435, à
l’époque de Juan II, puis se retire sur ses terres pour méditer et écrire des poèmes et
des portraits. Très cultivé et humaniste, il se propose de donner à la noblesse des
modèles de conduite dans ses célèbres Generaciones y semblanzas.
COMPTES RENDUS 629

B.L. souligne le sens critique de l’homme de lettres qui l’amène à dénoncer les
ascendances douteuses, la conversion récente au christianisme de tel ou tel lignage
(préoccupation qui devient croissante dans la société de ce temps). Remarquons que
les qualités inhérentes au « sang noble » n’échappent guère au poncif, alors que
Guzmán excelle dans le portrait, la description physique, les traits de caractère et qu’il
manie l’ironie avec beaucoup d’art, surtout pour dénoncer le manque de courage. Il
sait dire l’essentiel en peu de mots et s’exprime d’une manière vivante qui fait la joie
de ses lecteurs. La troisième partie est consacrée à « un historien témoin de son
temps ». B.L. insiste sur la fidélité avec laquelle Guzmán relate ce qu’il a vécu. On note
malgré tout des oublis, probablement volontaires, en particulier dans le portrait de
Fernando de Antequera, futur roi Fernando Ier d’Aragon, dont il omet de dire qu’il a
acheté le trône d’Aragon. Malgré quelques infidélités à la vérité, il nous offre
cependant un exceptionnel tableau des grandes familles de Castille de l’époque.
Enfin, la dernière partie est consacrée au « penseur politique ». L’histoire est
formatrice, les rois se doivent donc de la connaître. Régner est un métier qui requiert
du roi de savoir bien s’entourer, d’agir avec honneur et de garder ses distances.
L’historien est un « spectateur engagé », le « serviteur d’une nation ». Ces réflexions
ne sont guère originales à l’époque.
Dans ces portraits, Guzmán ne met pas toujours en pratique ce qu’il préconise et
ses portraits sont surtout précieux par leur psychologie et leur finesse. Remercions
B.L. de les avoir rendus accessibles au public français, mais pas les Presses de
l’Université de Limoges pour leur méconnaissance presque totale de l’accentuation
en espagnol !
Marie-Claude GERBET
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Pascual ORTEGA, Musulmanes en Cataluña. Las comunidades musulmanas de las
encomiendas templarias y hospitalarias de Ascó y Miravet (siglos XII-XIV),
Barcelone, CSIC, 2000 ; 1 vol. in-8°, 192 p. (Anuario de Estudios Medievales-Anejo,
39). ISBN : 84-00-07871-3.
Moderniste, connu pour ses travaux sur les hospitaliers de la Ribera d’Ebre
(Tarragone) aux XVIe et XVIIe siècles, P. Ortega s’est tourné vers la période médiévale
afin de saisir l’origine de la situation des morisques dans cette région de la Catalogne :
il s’est attaché, à partir des archives de l’ordre de l’Hôpital, à reconstituer le sort des
communautés musulmanes de la Ribera d’Ebre entre le XIIe et le XIVe siècle. Avec
l’incorporation du sud-ouest de la Catalogne dans la chrétienté, les communautés
musulmanes de la Ribera d’Ebre, région située entre Lérida et Tortosa, se retrouvent
aux mains des Templiers, qui organisent le territoire en deux commanderies, celle
d’Ascó au nord et celle de Miravet au sud. L’ouvrage s’ouvre, tout naturellement, par
les conditions de la conquête et par le sort des communautés musulmanes au
lendemain de la prise de Tortosa (30 décembre 1148) et de Lérida (24 octobre 1149) par
le comte de Barcelone Ramón Berenguer IV : l’A. montre en particulier comment les
relations initiales entre seigneurs chrétiens et communautés musulmanes se sont
nouées sur un fond d’autonomie et de tolérance, proche du modèle de la dhimma et
indispensable au maintien des communautés musulmanes ; celles-ci permettent en
effet aux seigneurs de percevoir la rente, à un moment où a cessé la manne des parias.
Peu à peu, ces relations sont profondément transformées et les accords initiaux
630 COMPTES RENDUS

transgressés. Le chapitre consacré au travail de la terre montre l’extrême


parcellisation des exploitations musulmanes et l’importance de l’exariquia, qui
équivaut à un système d’exploitation collective ou bien à la possession franche d’une
petite partie des terres : à l’origine et jusqu’au XIVe siècle, ce système est plus
avantageux pour le paysan musulman que l’emphythéose, même si le cens est un peu
plus élevé, tandis qu’aux XVe et XVIe siècles, l’exariquia est peu à peu assimilée aux
tenures des paysans chrétiens. Les conditions de soumission de la population
musulmane ont tendance à s’aggraver : aux concessions initiales favorables aux
musulmans qui conservent leurs terres moyennant le versement d’un dixième de
leurs récoltes, s’oppose une réalité infiniment plus complexe, composée de nombreux
tributs qui pèsent sur les musulmans. L’analyse des différentes impositions et des
prestations en travail met ainsi en évidence l’offensive seigneuriale pour accroître les
exactions dans le dernier tiers du XIIIe siècle et dans le second tiers du XIVe siècle, de
telle sorte que l’ensemble des exigences qui pèsent sur les musulmans représente un
régime de dépendance lourd et une servitude personnelle plus dure que celle qui pèse
sur les chrétiens. Les communautés islamiques conservent, dans un premier temps,
un mode d’organisation hérité de la période antérieure à la conquête ; puis, jusqu’à
la fin du XIIIe siècle, les institutions islamiques sont lentement déformées : l’amin, par
exemple, devient le fonctionnaire le plus important des communautés musulmanes.
L’ouvrage s’achève par un chapitre consacré à la pression des pouvoirs chrétiens
pour réduire l’espace culturel vital des communautés islamiques : au XIVe siècle, les
offensives des seigneurs pour priver les juges musulmans de leurs pouvoirs de
justice, leurs tentatives pour limiter la liberté religieuse, leurs exigences de tributs sur
les mosquées et les biens habous, conduisent à des tensions entre communautés
musulmanes et pouvoir seigneurial. En fin de compte, l’A. s’attache à montrer
comment, peu à peu, les éléments de cohérence interne des communautés
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


musulmanes sont détruits et remplacés par des systèmes d’organisation qui servent
les intérêts des détenteurs du pouvoir : il en résulte une acculturation de ces
communautés, acculturation inéluctable pour des hommes soumis aux pressions
d’une formation sociale différente de la leur, dont les pratiques de discrimination et
de profit ont, trop souvent, été qualifiées de « tolérance ».
Christine MAZZOLI-GUINTARD

Dieter SCHALLER, Studien zur lateinischen Dichtung des Frühmittelalters, Stuttgart,


Hiersemann, 1995 ; 1 vol. in-8°, XI-469 p. (Quellen und Untersuchungen zur
lateinischen Philologie des Mittelalters, 11). ISBN : 3-7772-9516-7. Prix : DEM 290.
Une grande partie des travaux de D.S. a été consacrée à la poésie latine du haut
Moyen Âge (du VIIe au Xe siècle), dont le savant allemand s’est fait sans conteste un
des meilleurs spécialistes. On ne peut donc que se réjouir de voir réunies ici, en un
volume, 17 de ses études, parues dans des publications aujourd’hui épuisées, mais
qui continuent d’être souvent citées par les chercheurs. On retrouvera ainsi des
articles fondés sur des découvertes manuscrites ayant contribué à une meilleure
connaissance de la poésie latine du haut Moyen Âge (par ex. article n° 2 sur des
poèmes latins altimédiévaux dans un ancien manuscrit de St-Gall ; n° 9 sur un recueil
d’épigrammes d’Urbana ; n° 10 sur une séquence d’Ekkehard I de St-Gall ; n° 18 sur
un carmen paschale inédit de Paulin d’Aquilée), des articles axés sur les intentions
politiques et poétiques de certaines œuvres (n° 1 sur les poèmes à figures du codex
COMPTES RENDUS 631

Bernensis 212 ; n° 4 sur la poésie animale à l’époque carolingienne ; n° 5 sur la poésie


épistolaire à la cour de Charlemagne ; n° 6 sur le carmen 27 de Théodulfe ; n° 8 sur les
problèmes d’interprétation posés par l’Épopée de Paderborn ; n° 16 sur le carmen 1
d’Angilbert), des contributions consacrées, à travers des recherches sur la langue
poétique et sur les rapports à la tradition, à des problèmes de datation et d’attribution
(n° 3 sur le poème de dédicace du Waltharius ; n° 7 sur l’Épopée de Paderborn ; n° 11 sur
le De mundi transitu, attribué par D.S. à Colomban ; n° 12 sur l’hendécasyllabe
alcaïque dans la poésie du haut Moyen Âge ; n° 15 sur le poète du Carmen de
conversione Saxonum, identifié avec Paulin d’Aquilée ; n° 17 sur la réception de
Corripe à l’époque carolingienne ; et n° 18, cf. supra).
On notera qu’il ne s’agit pas ici d’une pure et simple reproduction d’articles,
puisque le volume a une réelle unité thématique et qu’il contient une contribution
inédite (n° 18, avec édition princeps et commentaire d’un poème de Paulin), ainsi que
32 pages de suppléments, auxquelles renvoient des astérisques dans les marges, qui
complètent la bibliographie et rectifient certains points de détails (p. 399-431). Par
ailleurs, l’ensemble est accompagné d’une bibliographie de l’A. (p. 432-437) et de
plusieurs indices (index des noms historiques, des concepts, mots et choses, p. 438-
449 ; index des manuscrits, p. 450-453 ; index des incipit des poèmes cités, p. 454-460 ;
index des noms d’auteurs modernes, p. 461-469). Tout cela fait de ce volume un
instrument de travail très riche et très commode dans un domaine où les volumes de
ce genre sont rares. Les lecteurs qui suivent depuis longtemps les travaux de D.S.
s’étonneront peut-être de voir ici si peu de choses touchant à Théodulfe d’Orléans,
auquel le savant a pourtant consacré plusieurs travaux importants, mais, comme
l’explique l’A. dans son introduction (p. X), il espère – et l’on ne peut que souhaiter
que ce vœu se réalise prochainement – pouvoir rassembler l’essentiel de ses
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


recherches sur Théodulfe dans une nouvelle édition commentée.
Bref, ce beau volume rendra des services précieux à tous les spécialistes, et les
jeunes chercheurs, intéressés par ce champ encore trop négligé de la poésie latine
altimédiévale, y trouveront des modèles d’étude. Car D.S. est un philologue
exemplaire qui maîtrise toutes les disciplines (codicologie, paléographie, critique
textuelle, métrique, etc.) et dont l’érudition et la rigueur forcent l’admiration.
Jean MEYERS

Christina M ECKELNBORG , Bernd S CHNEIDER , Opusculum fabularum. Die


Fabelsammlung der Berliner Handschrift Theol. lat. fol. 142, Leyde-Boston-
Cologne, Brill, 1999 ; 1 vol. in-8°, VII-237 p. (Mittellateinische Studien und Texte, 26).
Cet ouvrage donne la première édition critique d’un recueil de 146 fables latines
connues sous le nom d’Opusculum fabularum. Cette collection de fables ésopiques, qui
semble avoir vu le jour en Italie vers la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle, est en
fait une adaptation latine (plutôt qu’une traduction, comme le dit l’auteur du
prologue : de Greco in Latinum transtulimus) d’un recueil grec apparenté à celui qu’on
appelle la Collectio Augustana. L’œuvre complète n’est transmise que dans un seul
manuscrit, le manuscrit de Berlin Theol. lat. fol. 142 (B), mais certaines pièces se
retrouvent dans cinq autres manuscrits (G, M, R, S, V) et 123 d’entre elles ont aussi été
reprises par le dominicain Conrad de Halberstadt (vers 1312-ap. 1354), qui les a
insérées dans le troisième livre de son recueil d’extraits, le Tripartitus moralium. Ces
632 COMPTES RENDUS

témoins partiels toutefois recopient souvent très librement les fables de l’opusculum :
ainsi, si G est très proche de B, V présente une version plus courte, dans laquelle le
vocabulaire rare est volontiers remplacé par des mots plus communs ; M donne lui
aussi une version beaucoup plus ramassée que celle de B et apparentée à l’univers
linguistique germanique, tout comme les remaniements très proches l’un de l’autre
de R et S. Quant à Conrad, il s’est manifestement appuyé sur un meilleur texte que B,
qui était encore en grande partie vierge des nombreuses inflexions chrétiennes
présentes dans le manuscrit de Berlin.
Devant une tradition de ce genre, il eût été évidemment illusoire de vouloir
« reconstituer » un texte « originel », si bien que les É. ont choisi, ce dont il faut les
féliciter, de rendre compte de toutes les versions et remaniements que l’on connaît de
l’O.F. B étant le seul témoin complet, l’édition repose d’abord sur lui : l’œuvre est donc
ici divisée en trois livres, comme dans le manuscrit, et les pièces se suivent selon
l’ordre adopté par B. Pour chaque fable transmise par un autre témoin, sont éditées,
à la suite de la version B, les autres versions (G, M, R, S, V), sauf lorsque celles-ci sont
à un ou deux mots près semblables à celle de B (dans ce cas, les É. éditent par exemple
la version B G, comme ils le font souvent pour R S). Cette édition de l’œuvre
proprement dite (p. 57-156) est suivie par l’édition critique d’après 6 manuscrits des
123 fables du Tripartitus moralium de Conrad de Halberstadt, qui n’a jamais été édité,
présentées ici selon l’ordre de B (p. 157-212) : sans ce complément, il aurait donc été
impossible pour les chercheurs de confronter cette version avec les autres et il aurait
de toute façon été plus difficile pour les lecteurs d’apprécier le texte critique que les
éditeurs donnent de B dans la mesure où ses erreurs et ses lacunes sont parfois (un
recours systématique à Conrad aurait évidemment créé un effet de contamination)
corrigées et comblées à la lumière du texte de Conrad. Cet ensemble soigné et
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


rigoureux est précédé d’une introduction fournissant tous les éléments utiles (p. 1-55)
et suivi d’une série de tables (répartition des fables dans les différents témoins,
endroit exact de chaque fable dans les manuscrits de Conrad), de concordances
(permettant à partir de la numérotation des fables dans l’O.F. de retrouver leur
numéro dans la Collectio Augustana ou dans le catalogue de Dicke/Grubmüller),
d’indices (index des animaux, personnes et choses ; index des citations) et d’un
bibliographie (p. 213-237).
L’O.F. est une œuvre moralisatrice, qui a manifestement été conçue pour être plus
qu’un simple recueil de fables. La division en trois livres et la répartition en chapitres
sont destinées, comme l’indique le prologue, à ce que le lecteur puisse retrouver sine
mora exemplum quod proponit (p. 60). Or, quand on songe que les prédicateurs ont
volontiers utilisé les fables comme sources d’exempla, on comprend que le recueil est
aussi un outil de travail dans lequel les clercs pouvaient facilement tirer l’un ou l’autre
exemplum pour préparer leurs prédications. Ce beau travail devrait donc intéresser
bien sûr tous les spécialistes, antiques ou médiévistes, de la fable, mais aussi les
spécialistes de l’exemplum et de l’homilétique.
Jean MEYERS
COMPTES RENDUS 633

S.D. CHURCH, The household knights of King John, Cambrigde, Cambridge U.P.,
1999 ; 1 vol. in-8°, XIX-177 p. ISBN : 0-521-55319-9. Prix : GBP 35.
Issu de la dissertation doctorale de l’A., cet ouvrage explore un sujet surprenant.
On découvre que les chevaliers attachés à la « maison » (« household ») du roi Jean
sans Terre (1199-1216), soit une centaine d’hommes triés sur le volet que les sources
désignent la plupart du temps comme les milites de familia (ou hospitio) regis, sont sortis
du cadre de leur mission guerrière pour jouer un rôle fondamental dans le
gouvernement du royaume anglo-normand à un moment clé de son histoire.
L’existence de ce corps d’élite avait déjà été reconnue par les historiens à travers les
XIIe et XIIIe siècles, mais personne ne l’avait imaginé aussi cohérent et aussi
polyvalent que ne le dépeint ici S.C. C’est essentiellement sur base d’un
dépouillement minutieux des « rolls » de l’administration royale que l’A. a pu
identifier un grand nombre de ces milites et reconstituer les étapes de leur carrière. La
présentation de ses résultats est un compromis entre la démarche prosopographique
et les nécessités de la synthèse : cinq grands chapitres thématiques constituent le
corps de l’ouvrage, qui se referme sur l’évocation de parcours individuels illustrant
les principales filières qui s’offraient aux chevaliers du roi.
Ce sont tout d’abord les modalités du recrutement qui sont examinées : selon quels
critères, dans quels milieux Jean sans Terre a-t-il choisi ceux qui devaient être ses
hommes de confiance ? Initialement, s’il a repris à son service une partie des
chevaliers de son prédécesseur, il a surtout gardé auprès de lui des gens qu’il
connaissait auparavant et dont la loyauté lui était acquise. Durant le règne, les
recommandations personnelles émanant des proches du roi, qu’il s’agisse de barons
ou de chevaliers déjà sous ses ordres, ont été pour les nouveaux venus le principal
moyen d’approcher le cercle royal. Liens de parenté, de dépendance ou de voisinage
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


ont donc joué un rôle important. La plupart des milites entrés dans le groupe étaient
issus des familles chevaleresques de la petite aristocratie, même si certains fils de haut
lignage n’ont pas dédaigné une place dans la familia. Comme toujours, une origine
modeste constituait une garantie de fidélité. Une catégorie fait un peu exception,
puisque S.C. note aussi la présence d’un fort contingent de chevaliers étrangers –
probablement plus d’un quart de l’effectif global ! – essentiellement recrutés en
Flandre.
Le choix de ces hommes était crucial pour le souverain car ils étaient non seulement
« la colonne vertébrale de son armée », mais aussi « ses châtelains, ses diplomates, ses
gardes du corps et parfois même ses amis » (p. 36). Ces professionnels des armes
pouvaient en effet être investis de multiples fonctions non martiales. En temps de
guerre, ils assuraient naturellement diverses tâches d’intendance, de
commandement ou de surveillance des châteaux stratégiques. Mais c’est surtout leur
contribution à l’exercice du pouvoir royal en période de paix que l’A. met en évidence.
Son étude poussée révèle qu’ils partageaient leur temps entre le service auprès du roi
et des missions extra curiam de toutes natures : ils assuraient la garde des grands fiefs
et des patrimoines ecclésiastiques échus à la Couronne (les « escheats »), participaient
à la gestion locale comme châtelains, shérifs ou juges itinérants (devenant alors « les
yeux et les oreilles du roi dans les localités » [p. 60]), effectuaient des ambassades
secrètes au cours desquelles ils négociaient au nom de leur maître. Tous les chevaliers
de la familia ne se voyaient bien sûr pas confier des tâches aussi prestigieuses : ce sont
634 COMPTES RENDUS

les plus huppés et les plus influents d’entre eux qui cumulaient les charges de
gouvernement.
Le problème du mode de rétribution des milites de familia regis est un point sur
lequel S.C. innove singulièrement. Il s’inscrit radicalement en faux contre la thèse –
défendue notamment par J.O. Prestwich – suivant laquelle les chevaliers royaux
auraient perçu des émoluments réguliers dès l’époque d’Henri Ier. Les fiefs-rentes
(feoda) et les gages (liberaciones) n’étaient pas inconnus au début du XIIIe siècle, mais
seule une minorité d’hommes en a bénéficié, et ce dans des circonstances
particulières : il s’agissait plutôt d’expédients destinés à retenir provisoirement des
combattants étrangers ou à dédommager des fidèles en attente d’un fief. L’argent
intervenait somme toute fort peu, si ce n’est sous forme de rémunérations immédiates
en début de mission. C’est en réalité de manière indirecte, à travers les manifestations
de son patronage, que le roi récompensait ses serviteurs. Il leur cédait en mariage des
héritières ou des veuves richement possessionnées, leur confiait la tutelle –
généralement très lucrative – d’héritiers mineurs, les dotait sur le domaine royal, leur
donnait la garde de terres confisquées, leur conférait des offices aussi prestigieux que
profitables. Les milites se trouvaient donc étroitement associés aux droits de la
Couronne. La fréquentation de la cour les introduisait de surcroît dans l’univers des
barons, eux-mêmes susceptibles de les engager à leur service. Comblés d’honneurs
et de biens, plusieurs chevaliers ont été propulsés au premier rang de l’élite
aristocratique. Cette politique de munificence ponctuelle n’était pas, selon l’A., la
conséquence des difficultés financières de Jean. Elle visait à entretenir la loyauté de
ceux qui espéraient en bénéficier.
Mais il suffisait que cet espoir de récompense s’évanouisse pour que le système
s’effondre. C’est ce que met en évidence l’analyse du comportement adopté par les
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


milites durant la guerre civile qui a marqué la fin du règne de Jean. Une spectaculaire
augmentation des gratifications foncières entre 1214 et 1216 n’a pas empêché une
vingtaine de chevaliers de prendre le parti des barons rebelles. La fidélité qu’ils
devaient au roi n’a pas résisté aux puissants liens de voisinage, de vassalité ou de
parenté qu’ils avaient tissés à l’échelon local, ni à leur crainte de perdre les terres
durement acquises – des terres bien souvent confisquées « virtuellement » aux
traîtres – parce que le pouvoir royal, affaibli, ne pouvait plus en garantir la sécurité.
Les milites de familia regis ont trahi dans les mêmes proportions que les autres
chevaliers anglais, ce qui prouve bien l’échec de la politique adoptée par le souverain
à leur égard. Une liste des chevaliers qui ont accompagné Jean dans l’expédition
punitive de décembre 1215 montre que celui-ci a été contraint de recruter une armée
d’étrangers, parmi lesquels on retrouve une majorité de nobles flamands. Il avait alors
perdu le soutien de beaucoup de ses hommes, attirés par les sollicitations puissantes
des rebelles auxquels ils étaient liés.
Poussant ensuite l’investigation en aval du règne de Jean, S.C. s’est penché sur la
destinée des milites de familia regis durant la minorité d’Henri III (1216-1234). Il
constate que leur nombre diminue radicalement avant de croître à nouveau pour
retrouver un effectif d’une centaine d’hommes vers 1225. Les noms qui émergent sont
ceux d’individus liés aux membres du gouvernement collégial de régence, individus
dont la carrière évolue d’ailleurs en fonction de celle de leur patron. Plusieurs anciens
milites de Jean réintègrent – parfois tardivement – la familia à la faveur de ces hautes
COMPTES RENDUS 635

protections, tandis que d’autres restent actifs au service de la cause royale tout en ne
faisant plus partie du groupe. Par contre, à une exception près, ceux qui ont rejoint les
rebelles durant la guerre civile ne retrouvent pas leur statut antérieur : étant donné
leur relation privilégiée avec le roi, la trahison était de leur part inacceptable.
L’ouvrage se termine sur la présentation de sept carrières individuelles,
caractérisant divers types de parcours effectués par les chevaliers de Jean. Ce sont
celles d’hommes aux origines sociales très contrastées, qui servent le roi plus ou
moins longuement, avec des fortunes diverses. On voit encore que les plus favorisés
sont ceux qui ont pu exercer des fonctions non militaires, et que le roi préférait placer
à ces fonctions des gens qui ne possédaient rien avant d’entrer à son service.
Rigoureux et toujours étayé par des exemples concrets, le livre de S.C. est tout à fait
convaincant. L’A. a su tirer le meilleur parti des « rolls » dont les sèches mentions
composent le plus clair de sa documentation, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher
d’avoir, ici et là, forcé ses déductions quand les sources étaient équivoques ou
défaillantes. On regrettera par contre qu’il n’ait pas conçu un répertoire
prosopographique reprenant les données essentielles sur chacun des milites dont il a
reconstitué la carrière. Une telle annexe eût été fort utile pour les chercheurs
susceptibles de rencontrer l’un de ces individus polyvalents au cours de leurs
travaux. Elle aurait aussi incité S.C. à définir plus explicitement les critères dont il s’est
servi pour distinguer les chevaliers attachés à la familia regis de ceux qui interviennent
dans l’entourage de Jean sans Terre à d’autres titres. De même, quelques cartes et
tableaux eussent parfois été souhaitables pour l’intelligence du propos. Mais ces
petites absences n’enlèvent rien à la valeur d’un ouvrage qui fera date dans les
recherches sur l’administration royale d’Angleterre.
Jean-François NIEUS
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Martine OSTORERO, Agostino PARAVICINI BAGLIANI, Kathrin UTZ TREMP, L’imaginaire du
sabbat. Édition critique des textes les plus anciens (1430-1440), Lausanne,
Université, 1999 ; 1 vol. in-8°, 572 p. (Cahiers Lausannois d’Histoire médiévale, 26).
Prix : CHF 65.
Le premier paragraphe de la conclusion résume très exactement le dessein des A.
et on ne peut mieux faire que de reprendre leurs propres termes. « Une conviction
profonde nous a guidés du début à la fin : pour mieux saisir le phénomène de la
genèse du sabbat dans ses implications intellectuelles, spirituelles, politiques et
sociales, il faut disposer d’une base textuelle complète, solide et renouvelée. Pour
cette raison nous avons recueilli les textes les plus anciens qui élaborent le concept du
sabbat des sorciers et des sorcières, et avons établi l’édition critique, proposé une
traduction française et rédigé un commentaire détaillé ayant pour objectif d’analyser
l’histoire et la structure de chaque texte et de dégager les liens, directs et indirects, qui
existent entre eux. Il s’agissait d’étudier chacun de ces textes séparément, tout en les
considérant comme faisant partie d’un corpus. Il fallait, en définitive, reconstruire le
plus fidèlement possible le chemin parcouru par les auteurs eux-mêmes ».
Ce beau volume est d’abord une suite d’éditions critiques, de traductions et de
commentaires qui a fait appel à la collaboration de plus de spécialistes encore qu’il
n’en apparaît sur la couverture. Le lecteur trouvera successivement le Rapport sur la
chasse aux sorciers et aux sorcières menée dès 1428 dans le diocèse de Sion, de Hans Fründ,
636 COMPTES RENDUS

puis quelques chapitres du Formicarius de Johannes Nider. Suit un traité anonyme


intitulé Errores gazariorum seu illorum qui scopam vel baculum equitare probantur. Vient
ensuite de Claude Tholosan le Ut magorum et maleficorum errores et pour finir presque
un millier de vers tirés du Champion des Dames de Martin Le Franc. On aurait grand
tort de ne pas signaler également l’édition et la traduction du Procès d’Aymonet
Maugetaz qui, pour bref qu’il soit, n’en est pas moins du plus haut intérêt. Certes, ces
différents ouvrages, en dehors des quelques pages de ce procès, n’étaient pas
inconnus puisqu’ils ont été l’objet d’une édition en 1901. Le volume présent permet
de voir le chemin parcouru en un siècle, en particulier dans la connaissance du texte
et de sa tradition, puisque dans certains cas, les É. jugent préférable de donner les
deux versions d’une même œuvre. L’édition critique a été faite avec beaucoup de
soins par les spécialistes de chaque texte. Chaque ouvrage est doté d’une introduction
particulière, précise à souhait. Les É. y font le point sur l’auteur, sur ses sources et son
expérience des sorciers et sorcières, sur le lieu de composition et sur les rapports
éventuels avec les autres traités. Les traductions claires et bien venues donnent un
charme certain à cet ouvrage qui aurait pu être austère. Chaque œuvre enfin est
commentée pour elle-même avec prudence et même avec une certaine réserve. Les É.
qui ont manifestement cherché à mettre en valeur les auteurs du XVe siècle se gardent
de tout développement théorique ou de toute extrapolation. Il règne dans cet ouvrage
collectif une sobriété de bon aloi.
Le regroupement de ces différentes œuvres dans ce volume n’a rien d’arbitraire.
Ces textes concernent les régions alpines, le Dauphiné où Claude Tholosan, juriste, est
juge mage, le val d’Aoste d’où vient selon toute vraisemblance le traité anonyme,
ainsi que le Valais et le diocèse de Lausanne. Il y a également une grande cohérence
chronologique puisque le tout est composé en guère plus de dix ans. L’ensemble se
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


présente comme un faisceau de lumière sur une région assez bien délimitée pendant
un court laps de temps. C’est une aubaine exceptionnelle. Si l’on ajoute que c’est dans
ces vallées que les phénomènes de sorcellerie prennent le plus tôt un tour dramatique
on comprendra tout l’intérêt qu’il y a à suivre les historiens dans leur quête.
L’objet de la recherche est circonscrit à l’imaginaire du sabbat. Il faut comprendre
qu’à partir des années 1420-1430, le vol nocturne des sorciers et sorcières quitte le
domaine de l’illusion risible pour devenir réalité. Les œuvres éditées sont les témoins
de ce changement que leurs auteurs accueillent cette nouvelle perception ou non. Il
y a là une étape capitale dans la formation de l’image classique du sorcier et de la
sorcière en Europe. Désormais ces réunions avec le diable sur quelques sommets des
montagnes ont consistance et réalité. Le terme de sabbat est communément employé
pour les désigner. Pour aller à ces rencontres sorciers et sorcières volent dans les airs
sur des bâtons ou chevauchent des animaux. Ils élaborent des onguents en usant de
la chair d’enfants qu’ils tuent, ils se livrent à des maléfices et à des horreurs diverses.
Les commentateurs étudient récits et théories du côté de l’élaboration imaginaire.
On ne voit pas comment ils pourraient faire autrement, car nul ne peut donner la
moindre réalité à de pareilles sornettes. Ils suivent d’un texte à l’autre les divers
thèmes et s’efforcent d’en comprendre la genèse et le développement. Ce qu’ils en
écrivent permet d’en suivre l’histoire dans une littérature spécifique, ce qui n’est pas
rien. L’analyse va rarement au-delà, ce qui s’explique. On relève quelques remarques
sur les guerres qui sont à l’origine de troubles dans le Valais et sur quelques autres
phénomènes de déstabilisation sociale. La prudence, de règle en ces matières, incite
COMPTES RENDUS 637

les historiens à se tenir un peu en retrait. Ils auraient pu, sans trop de témérité, poser
quelques autres questions sans sortir pour autant du domaine de l’imaginaire.
Plusieurs de ces auteurs du XVe siècle croient au caractère réel de ce qu’ils rapportent.
Ce n’est pas élaboration de fantaisie ou manipulation d’inquisiteur pour déclencher
une répression. Un juriste n’accueille pas n’importe quelle rumeur. D’où viennent ces
convictions ? Certains la tirent d’une expérience ou de la pratique. Le procès
d’Aymonet Maugetaz est là pour le montrer. Si l’on admet un instant que ces auteurs,
abusés autant qu’on le voudra, sont sérieux et sincères, on est plongé dans
l’épouvante à la simple idée de la perception qu’ils peuvent avoir du monde.
L’imaginaire de la sorcellerie ne se réduit pas à un conte de fée, mais nourrit de
lourdes angoisses.
Le vol nocturne du sorcier passe de l’imaginaire au réel. La preuve est là. Ce n’est
certainement pas la seule mutation de cette nature à affecter l’univers mental
médiéval. Ce processus est important. Dans certains milieux savants une part du
symbolisme se dissipe au profit d’une conscience plus réaliste des phénomènes. Ce
qui reste d’irrationnel est alors interprété trop radicalement.
Nul n’en doute, sur la base de textes bien édités et bien commentés, il y a toujours
des brassées de réflexions nouvelles à cueillir.
Jacques PAUL

Stephen D ÖRR , Der älteste Astronomietraktat in französischer Sprache :


L’Introductoire d’astronomie. Edition und lexikalische Analyse, Tübingen,
Niemeyer, 1998 ; 1 vol. in-8°, VII-208 p. (Beihefte zur Zeitschrift für romanische
Philologie, 289). Prix : DEM 94 ; ATS 686, CHF 86.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Il est bien connu que, sauf le cas particulier de disciplines qui sont aux franges de
la science (bestiaires, encyclopédies) et dont la littérature s’adresse volontiers à des
non-clercs, la langue normale des textes scientifiques médiévaux est le latin ; non
seulement il est la langue de leur première expression, mais il n’y a pas, dans le
domaine français, de traductions de textes conçus en latin avant celles qui ont été
faites dans l’entourage de Charles V, à la fin du XIVe siècle. L’édition d’un texte
d’astrologie qui précède ces dernières d’un siècle est donc un événement qu’il
convient de souligner, ne serait-ce que pour les enrichissements qu’il apporte, en
particulier, au vocabulaire scientifique du moyen français.
Ce texte, qui est anonyme, n’était pas inconnu puisqu’il avait déjà fait l’objet de
deux copieuses notices : l’une de P. Paris dans l’Histoire littéraire de la France, en 1847,
l’autre de P. Duhem dans son Système du monde, en 1915. Son titre, Introductoire
d’astronomie, est évidemment décalqué du titre de quelques manuels classiques
d’astrologie traduits de l’arabe en latin, ceux d’Alchabitius ou d’Albumasar, par
exemple, mais le traité lui-même ne paraît pas être la traduction de l’un ou de l’autre.
L’ouvrage compte deux parties, l’une proprement d’astrologie, qui est seule éditée
par S. Dörr, l’autre d’astronomie très élémentaire dont Duhem avait souligné le
caractère retardataire. Il a été daté par ces différents auteurs des environs de 1270.
S’il est dommage que la deuxième partie ait été laissée de côté par son É. (mais ce
n’est peut-être que provisoire), il l’est davantage encore que ce texte n’ait pas été traité
comme une des composantes de l’un des deux manuscrits qui le conservent, et qui sert
638 COMPTES RENDUS

d’ailleurs de base à l’édition, le Paris fr. 1353, manuscrit dont les autres composantes
le complètent et l’éclairent : c’est l’ensemble du manuscrit qui mérite une étude et une
édition complète.
L’Introductoire s’y présente en effet, de même que les autres textes d’astrologie qui
le suivent, comme destiné à aider à la compréhension ou à commenter l’horoscope,
également en français, de l’empereur de Constantinople Baudouin II de Courtenay,
horoscope dont les deux parties encadrent ces textes d’astrologie en français : une
pièce de près de quatre cents vers au début du manuscrit, suivie du carré astrologique
de la naissance, et l’horoscope proprement dit à la fin. L’édition de cet ensemble aurait
été d’autant plus souhaitable que, dans la situation actuelle, la documentation sur ce
dossier est dispersée et très fragmentaire : si le volume sous recension nous offre
l’édition de la première partie de l’Introductoire (f° 7-24), la deuxième partie (f° 25-66)
n’est accessible que par les copieux extraits qu’en a publiés Duhem dans le t. 3 de son
livre, la pièce de vers (f° 3-4) et l’horoscope lui-même (f° 4 v° et 101-102) ont été
publiés en 1973 dans le numéro 3-4 de la revue Anagrom, et les autres textes
d’astrologie en français (f° 66-100) restent inédits et inexplorés.
Or tout cela forme un ensemble cohérent, dont l’intérêt n’est pas seulement
philologique : la naissance de Baudouin II ayant eu lieu en 1218, son carré
astrologique s’avère un des plus anciens carrés des souverains du Moyen Âge, et les
horoscopes, qui sont des commentaires motivés des carrés, sont quant à eux d’une
très grande rareté. Or il apparait que, avec les textes qui accompagnent l’horoscope,
on dispose là du dossier, entièrement en langue vulgaire, qui a, très évidemment, été
préparé à l’intention de l’empereur chassé de Constantinople pour lui permettre
d’organiser son action politique en tenant compte de l’influence que les astres étaient
censés exercer sur cette action : nous avons là le premier témoignage, et il est
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


remarquablement circonstancié, d’aide scientifique à la décision, alors qu’on ne
perçoit que beaucoup plus tard, à compter du XVe siècle, et seulement au travers de
rares indices, combien les responsables politiques de la fin du Moyen Âge et de la
Renaissance ont été tentés d’avoir recours à ce mode très moderne de gouvernement.
Le fait que les dernières années de la vie de Baudouin, mort en 1273, n’aient pas
apporté une démonstration convaincante de la validité de l’astrologie dans la
conduite des affaires politiques n’enlève rien à l’intérêt dont témoigne ce dossier pour
l’histoire de la genèse des États modernes.
Si la qualité philologique de l’édition de S.D. n’est pas en cause, et la réputation de
la collection où elle a pris place en est le garant, on regrettera que la préparation
bibliographique en ait été aussi discutable. L’A. ne sait pas, par exemple, que le grand
livre de Duhem ne compte pas cinq volumes, mais dix, puisque sa fille a fait paraître
les tomes posthumes en 1954-1959, tomes où il aurait trouvé (t. 8, p. 401-416) une
analyse et de copieux extraits de la première partie de l’Introductoire, celle que
précisément il publie, qui complètent ceux de la deuxième partie que Duhem avait fait
figurer dans son t. 3. Il ignore l’existence de l’édition de l’horoscope parue dans
Anagrom, et s’en tient, pour dater l’Introductoire, aux conclusions de P. Paris, que
pourtant une étude de R.L. Wolff en 1954 ont fortement nuancées et précisées pour
ce qui est de la biographie de Baudouin II. Enfin, dans le domaine lui-même du
moyen français, la confrontation du très copieux glossaire technique de son édition
avec le Lexique de la langue scientifique qu’ont établi D. Jacquart et Cl. Thomasset en
1997 aurait été pleine d’enseignements.
COMPTES RENDUS 639

Comme les parties non éditées du dossier du manuscrit fr. 1353 recèlent
certainement, à la même date, des trésors philologiques aussi fructueux que la partie
éditée, il est raisonnable d’espérer que le même É. et la même collection leur
accorderont des soins semblables.
Emmanuel POULLE

Le Jeu théâtral, ses marges, ses frontières, Actes de la deuxième rencontre sur
l’ancien théâtre européen de 1997, éd. Jean-Pierre BORDIER, Paris, Champion, 1999 ;
1 vol. in-8°, 202 p. (Le savoir de Mantice, 6). ISBN : 2-7453-0155-1. Prix : FRF 290.
Le titre des actes de cette seconde rencontre sur le théâtre européen du Moyen Âge
et de la Renaissance est à la fois prometteur et inquiétant. Prometteur, car l’étude des
marges et des frontières de notre ancien théâtre ne peut que confirmer ce que l’on sait
déjà, à savoir qu’à la fin du Moyen Âge les manifestations théâtrales sont multiformes
et l’objet théâtral lui-même perméable à toutes sortes d’influences. Inquiétant, car
cette large plasticité théâtrale peut nuire à la cohérence que l’on est en droit d’attendre
d’un volume d’actes. Celui-ci tient ses promesses, mais confirme nos craintes
initiales. La mise en perspective liminaire de J.P. Bordier, pour brillante et habile
qu’elle soit, ne parvient pas, nous semble-t-il, à dissiper le sentiment que le volume
vaut plus pour quelques contributions individuelles de grand intérêt que pour son
unité. Nous donnerons donc simplement un aperçu de celles qui nous ont paru les
plus novatrices. La démarche de J. Koopmans est de celle-ci : à partir de quelques
pièces profanes, l’A. se demande si le théâtre de la fin du Moyen Âge que l’on présente
volontiers comme un théâtre qui tend à l’universel, notamment avec les moralités,
n’est pas en réalité un théâtre fermé sur lui-même, un théâtre qui se prend pour objet
avant même d’être reflet du monde extérieur. Manière donc d’aborder la question des
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


frontières de l’intérieur. J. Koopmans montre en effet que les pièces choisies sont
régies par de multiples renvois internes (le topos du Cardinal Lemoine) attestant
l’existence de véritables communautés théâtrales qu’il situe ensuite dans l’univers
des « subcultures parisiennes » et dans le monde lyonnais. Tout cela est à affiner, mais
les pistes que propose J. Koopmans sont extrêmement prometteuses. Autre manière
d’aborder les marges du théâtre de l’intérieur, l’étude des possibilités de mise en
scène qu’offre tel ou tel texte : D. Huë s’intéresse à la mise en scène de Griseldis, tandis
que V.L. Hamblin s’attache au Mistère du Siège d’Orléans qui a la particularité de
présenter une histoire se déroulant dans la ville même de la représentation. Ce sont
là deux textes dont on ignore s’ils ont ou non donné lieu à une représentation
scénique, mais qui sont aux confins du dramatique et du narratif pour l’un, de la
procession, du jeu dialogué et des combats militaires pour l’autre. Dans une
perspective assez semblable, G. Gros étudie les différentes versions de l’Advocacie
Nostre Dame pour montrer comment ce texte change progressivement de forme et se
dramatise.
Il est clair que toutes les communications tendent, peu ou prou, à définir la nature
du jeu théâtral de la fin du Moyen Âge, même si J.P. Bordier, dans sa préface, se défend
d’un tel objectif, alors que sa contribution aborde explicitement le problème à partir
de La moralité du jour saint Antoine. La moralité trouve sa justification dans sa fonction
didactique, mais dans les interstices de cet objectif majeur se cache une apologie plus
subtile du théâtre où le plaisir du jeu le dispute à la pédagogie du sermon, où l’histoire
640 COMPTES RENDUS

jouée n’est pas si édifiante qu’on pourrait l’imaginer, Inversement, on peut aussi
étudier, comme le fait Ch. Mazouer pour Michel Menot, la manière dont le théâtre fait
irruption dans le sermon. Ces deux communications confirment la porosité des
frontières entre le théâtre religieux et l’art du sermon. Leurs objectifs et leurs moyens
sont souvent les mêmes ; tout est affaire de dosage entre le plaisir et la leçon. Ce
chevauchement des genres se pose évidemment pour la définition des limites entre
théâtre et liturgie. La question est connue, déjà largement débattue, mais quelques
contributions apportent des éclairages intéressants. Si l’on peut douter, comme en
témoignent les discussions qui ont suivi la communication de Th. Revol, que l’analyse
des costumes, liturgiques ou dramatiques, puisse fournir un critère vraiment
pertinent de distinction, le cas de Frère Guillebert et de quelques autres farces permet
à Br. Roy de montrer que ces pièces se greffent parfois entièrement sur un genre
liturgique. En fait cette communication dépasse largement ce problème, puisque
Br. Roy insiste avec raison sur la prudence qu’il nous faut avoir quand on s’efforce de
reconstituer le programme scénique à partir d’un imprimé : en matière de liturgie, les
auteurs de farce se contentent souvent indiquer les incipit latins, masquant ainsi toute
la réalité dramaturgique, probablement débridée, qu’ils en tiraient. Le texte de farce
tel que nous le possédons n’est pas un texte fini, mais la simple transcription, dont les
codes nous échappent partiellement, d’une réalité scénique complexe. G.A. Runnalls
soulève également ce problème des relations entre l’imprimé et la représentation,
mais dans le cas des mystères, et plus particulièrement du Mystère de l’Assomption de
la Vierge. Il voit dans la publication des mystères et des pièces théâtrales en général
une étape importante du théâtre européen, celle du moment « où le théâtre comme
spectacle cède le pas devant le théâtre comme genre littéraire ».
C’est donc bien à une tentative de définition du fait théâtral médiéval que se livrent
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


les participants de ce colloque. La dernière communication du volume, celle que
B. Faivre a consacrée à la farce de Frère Guillebert, décidément bien sollicitée, est
exemplaire. « Le dit et le joué », pose-t-il en titre. À travers cette question, B. Faivre,
à la suite au fond de G.A. Runnalls, montre que c’est la relation du public à l’égard de
ces œuvres qui est en jeu. Ce qu’il convient de faire, c’est donc une sorte d’archéologie
du regard de ce public. La sociologie en a déjà été faite ; attachons-nous désormais à
cette « dramaturgie de connivence » qui caractérise des œuvres par nature rebelles à
la dramaturgie de l’illusion. Avec Frère Guillebert, nous sommes à ce moment
charnière, frontière plutôt, où le théâtre hésite entre privilégier la relation au public
ou la richesse textuelle.
Colloque fécond donc, mais d’une fécondité qui réside plus dans la valeur propre
des contributions que dans la cohérence qui s’en dégage. Certains axes de recherche
ont été dégagés – existence d’un « monde du théâtre », « relations entre l’imprimé et
le texte », « dramaturgie de connivence » avec le public –, qui devraient renouveler
notre approche du théâtre des années 1450-1550, à la frontière entre le Moyen Âge et
la Renaissance.
Pierre SERVET
COMPTES RENDUS 641

Die Regesta Imperii im Fortschreiten und Fortschritt, sous la direction d’Harald


ZIMMERMANN, Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau, 2000 ; 1 vol. in-8°, VII-158 p.
(Forschungen zur Kaiser- und Papstgeschichte des Mittelalters. Beihefte zu J.F. Böhmer,
Regesta Imperii, 20). ISBN : 3-412-10899-5. Prix : DEM 44.
Bien qu’aucun anniversaire particulier n’en soit le prétexte, H. Zimmermann,
président des Regesta Imperii, a eu l’heureuse idée de publier un livre qui éclaire à la
fois le passé, le présent et le futur des Regesta Imperii et, d’une manière plus générale,
des regestes, de leur pratique et de leur rôle dans l’histoire. Les origines du regeste se
perdent évidemment un peu dans la nuit des temps. Il faut citer Chr. Juncker et son
Chur- und Fürstlicher Sächsicher Geschichtskalender paru en 1697 et couvrant la période
1400-1600, et plus encore P. Georgisch, dont les Regesta chronologica-diplomatica
publiés en quatre volumes en 1740-1744 (d’après H. Zimmermann, p. 13 ; 1741-1744
d’après J. Mötsch, p. 116) constituent un vaste ensemble de résumés d’actes rangés
dans l’ordre chronologique, malheureusement sans aucun esprit critique. C’est dire
que Böhmer n’a pas inventé les regestes. D’autant que Böhmer voulait autre chose.
Bibliothécaire et archiviste de la ville de Francfort, secrétaire de la « Gesellschaft für
ältere deutsche Geschichtskunde », ancêtre des Monumenta Germaniae Historica, il fut
en 1829 chargé de l’édition des diplômes des empereurs et rois allemands du Moyen
Âge. C’était beaucoup pour un seul homme, et Böhmer s’en aperçut quand après un
an de travail il constata avoir déjà réuni près de 5 000 textes. Assurer seul l’édition de
tous ces actes était impensable. Aussi Böhmer eut-il l’idée de publier d’abord, pour
rendre service aux historiens, un résumé de ces actes. Et c’est ainsi que parurent en
1831 les Regesta chronologico-diplomatica regum atque imperatorum Romanorum inde a
Conrado I. usque ad Heinricum VII. 911-1313. Un autre but de Böhmer, ce faisant, était
de reconstituer aussi des registres de chancellerie ; ce n’est que par la suite qu’on
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


comprit que de tels registres n’avaient pas existé en Allemagne à cette période.
Böhmer poursuivit le travail, et légua même une large partie de sa fortune pour que
l’entreprise se poursuive après sa mort. En dépit de nombreuses difficultés, les
Regesta ont continué, et, protégés depuis 1980 par l’académie de Mayence, ils sont
toujours très vivants. Pour illustrer cette histoire, H. Zimmermann a eu l’excellente
idée de republier quelques textes importants : l’introduction de Böhmer en 1831, et
différents autres textes de 1853, 1913, 1928, 1950 et 1978 (les très officielles Richtlinien
für die Regestierung von Urkunden), dont la lecture est tout à fait passionnante.
Le volume se termine par quelques contributions relatives aux Regesta aujourd’hui
et demain. Les défis ne sont pas minces. À cause du nombre des actes. On pourrait
dire que les règnes « faciles » ont été traités en 170 ans. Mais comment affronter
Frédéric III et ses quelque 40 000 actes conservés, ou Maximilien Ier pour lequel le
chiffre monte à 100 000 ? D’autant que la diversité documentaire est-elle aussi
croissante. L’informatique offre certes de nouvelles possibilités, mais qui sont surtout
utiles pour l’utilisateur : possibilité pour le lecteur d’effectuer tous les tris et les
recherches qu’il veut, et cela très facilement. Et il va de soi que les Regesta vont aller
dans cette direction (H. Zielinski et P.J. Heinig insistent en ce sens). Mais pour
l’élaborateur du regeste, c’est plus une source de complication que de facilité. Et cela
ne résoudra qu’en très petite partie un des plus gros problèmes actuels :
l’identification des noms de personnes et de lieux. En revanche, le caractère répétitif
des actes permet peut-être un traitement plus sériel.
642 COMPTES RENDUS

Le point essentiel est, me semble-t-il, touché par J. Mötsch, à propos de la


concurrence entre édition et regeste. En bon archiviste (et c’est lui même qui met en
avant la distinction archiviste/historien), il insiste sur l’importance du regeste, vu
que la connaissance du latin et du moyen haut-allemand se perd et que le nombre
d’actes qui ne sont encore ni édités, ni regestés est énorme. En tant qu’historien, je ne
suis pas d’accord. La technique du regeste est devenue si lourde et si complexe, ne
permettant qu’un travail très lent, qu’il faut se demander dans quelle mesure les
efforts ainsi déployés ne seraient pas plus rentables s’ils étaient déployés dans
l’édition des textes. D’autant, il ne faut pas l’oublier, que le regeste constitue, entre le
chercheur et le document, un écran supplémentaire. Une double publication, regestes
et édition, se comprend lorsqu’il s’agit d’un personnage important, comme un roi, et
lorsque le regeste ne se limite pas aux textes diplomatiques, mais s’applique aussi aux
sources narratives (comme le fait, entre autres, W. Petke dans ses regestes de
Lothaire III parus en 1994).
Si cet ouvrage est tout à fait passionnant et pose d’excellentes questions quant au
métier de l’historien, il faut cependant lui reprocher une approche très germano-
germanique. Ce volume ne concerne pas que les Regesta Imperii, mais la
problématique et la technique des regestes en général, dit H. Zimmermann en
préface. Mais alors, pourquoi ne pas s’intéresser aussi à ce qui se fait ailleurs ? Les
problèmes et les difficultés, sinon les solutions, y sont les mêmes. Et à notre époque,
alors que les travaux d’érudition sont devenus rares, voire méprisés, peut-on encore
y penser dans un cadre étroitement national ? Quoi qu’il en soit, on félicitera les
Regesta Imperii pour leur travail en général, et pour leur présente contribution à la
réflexion sur l’histoire en particulier.
Benoît-Michel TOCK
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Herbert ZIELINSKI, Die Regesten des Kaiserreiches unter den Karolingern 751-918
(926/962), t. 3, Die Regesten des Regnum Italiae und der Burgundischen Regna,
2e part., Das Regnum Italiae in der Zeit der Thronkämpfe und Reichsteilungen
888 (850)-926, Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau, 1998 ; 1 vol. in-4°, VII-380 p. (J.F.
Böhmer, Regesta Imperii, I, 3). ISBN : 3-412-10899-5. Prix : DEM 44.
Les débuts de la longue cure de jouvence à laquelle ont été soumis les Regesta
Imperii de Böhmer-Mühlbacher-Lechner (2e éd., Innsbruck, 1908) ont été retracés par
L. Santifaller en manière de préface à la réédition du tome 1 (Hildesheim, 1966)
procurée par le regretté C. Brühl. Selon les conceptions de ce dernier, la notion de
régeste s’est alors à la fois élargie et restreinte. Elle s’est élargie dans la mesure où des
actes d’un souverain particulier, elle s’est étendue à l’ensemble des données
documentaires concernant la vie de l’Empire et, en particulier, aux actes émanés de
pouvoirs délégués. Elle s’est d’autre part restreinte dans la mesure où, faute de
pouvoir traiter en même temps de l’ensemble des territoires appartenant à l’Empire,
C. Brühl avait choisi pour commencer de mettre ses conceptions nouvelles à
l’épreuve d’un sous-ensemble qu’il connaissait particulièrement bien lui-même :
celui du Regnum Italiae à partir des débuts du règne de Louis II (840-875). Ce travail,
en soi déjà considérable, a été confié au professeur H. Zielinski. La première partie,
publiée en 1991, embrassait le Regnum Italiae sous la domination unitaire des
empereurs carolingiens, souvent d’ailleurs perçus par leurs contemporains comme
COMPTES RENDUS 643

Imperatores Italiae. Elle s’étendait donc de l’avènement de Louis II en 840 à la


disparition de Charles III (888). La seconde partie qui nous est ici livrée comprend
toute la période dite des rois « nationaux » qui a vu le regnum soumis au pouvoir ou
aux aspirations de plusieurs souverains concurrents. Ce sont les régestes complets de
ces rois « nationaux » qui sont ici diligemment édités. Selon les conceptions voulues
dès le départ par C. Brühl, l’É. a défini les régestes de la manière la plus large,
englobant à la fois les activités des différents souverains et les actes de souveraineté
liés à l’action ou à la présence du souverain et de sa cour. Ainsi, pour le plus grand
profit des utilisateurs potentiels, on trouvera dans ce volume à la fois des régestes
diplomatiques de type traditionnel (« Urkundenregesten ») et des régestes que H.Z.
définit justement comme « historiographiques ». Ces derniers sont d’un évident
intérêt puisqu’ils replacent dans notre champ d’observation l’activité du personnel
aulique et de l’entourage royal. Une telle ouverture du concept de régeste est
accentuée par le fait que l’É. a, de plus, pris en considération les activités et les actes
des souverains étrangers (y compris les papes) au Regnum Italiae stricto sensu, mais
adressés à des destinataires italiens et qu’il a inclus les missions diplomatiques dans
cette définition élargie.
Le présent volume intéresse ainsi, dans ce projet notablement élargi, les régestes
concernant le Regnum d’Italie depuis l’ascension de Béranger Ier, fixée aux alentours
de 850, jusqu’au retour en Bourgogne de Raoul II en 926, qui marque le début de la
vacance du trône impérial jusqu’à la Renovatio ottonienne. Au total, nous sommes en
présence de quelque 641 régestes classés suivant l’ordre chronologique, y compris
lors des périodes de compétition entre pouvoirs souverains concurrents comme c’est
le cas au temps de Béranger Ier – Gui et Lambert – ou à l’époque de la présence de Raoul
de Bourgogne en Italie (921-926).
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Le soin avec lequel les régestes ont été établis est digne de tous les éloges. Ils
comprennent, naturellement, tous les renvois aux sources et aux éditions antérieures
et comportent, chaque fois que le régeste l’exige, les références bibliographiques
propres à replacer l’acte ou les faits enregistrés dans leur contexte. Comme dans la
première partie, H.Z. a accordé une grande attention aux identifications
toponymiques. La supériorité de cette nouvelle formule sur l’ancienne conception
des Regesta Imperii de Böhmer est si évidente et bien admise qu’il serait oiseux d’y
insister. Mis bout à bout, les deux volumes de régestes du Regnum Italiae publiés par
H.Z. en 1991 et 1998 constituent désormais, avec leurs 1 435 numéros de référence une
base de travail essentielle pour l’histoire de l’Italie de Louis II à 926. Ils fournissent au
lecteur bien plus que le simple repérage documentaire que facilitaient les
« Urkundenregesten » d’ancien style. Ils mettent l’utilisateur en contact direct avec
toute la trame politique et toute la vie institutionnelle du royaume d’Italie. Ils lui
offrent grâce à ses bibliographies soignées tous les moyens de procéder aux
recoupements et enquêtes ultérieures souhaités. Voici décidément un instrument de
travail de la meilleure qualité. Il est quand même permis de rêver au moment où l’on
pourra disposer de régestes de cette qualité pour l’ensemble des territoires
constitutifs de l’empire caroligien. Ce n’est pas pour demain.
Pierre TOUBERT
644 COMPTES RENDUS

Blütezeit. Festschrift für L. Peter Johnson zum 70. Gebrutstag, éd. Mark CHINCA,
Joachim HEINZLE, Christopher YOUNG, Tübingen, Niemeyer, 2000 ; 1 vol. in-8°, IX-
488 p. ISBN : 3-484-64018-9. Prix : DEM 196 ; CHF 174 ; ATS 1 431.
Ce volume de mélanges comporte trois sections : le lyrisme, l’épopée et la langue,
avec respectivement huit, dix-sept et une contributions. O. Sayce traite de la
comparaison de la femme dans la poésie allemande ; C. Young de vision constitutive
du discours chez Henri de Morungen ; E. Nellmann s’interroge sur « les sages »
évoqués dans un poème de Walter von der Vogelweide et réfute l’interprétation de
P. Wapnewski les comprenant comme « les sages d’Orient » ; J. Ashcroft analyse des
réflexions de Walter sur lui-même dans deux pièces poétiques (L 62,6 et 66,21) ;
C. Bertelsmeier-Kierst se penche sur la réception précoce des poésies de Walter ;
M. Chinca cerne la situation de L 69,1 sans cacher la part d’hypothèse de ses
réflexions ; avec humour H. Brunner se penche sur la façon dont les professeurs de
Würzburg ont traité Walter, et pour clore cette section, V. Mertens rend compte d’un
atelier de traduction de la poésie en moyen haut-allemand et donne de nombreux
exemple.
Dans la seconde section, D.H. Green propose une rectification de l’utilisation du
concept d’oralité fictive (« fingierte Mündlichkeit ») ; W. Haubrichs nous donne une
analyse très bien documentée et fort intéressante des noms composés sur Sigi- et en
rapport avec la légende des Nibelungen, J. Heinzle cherche quelle est l’importance de
la rédaction *C de la Chanson des Nibelungen ; A. Robertshaw étudie les dialogues
entre Hagen et Siegfried ; G. Vollmann-Profe réfléchit sur le personnage de Kudrun,
« une héroïne froide », et met au jour une tendance de l’œuvre à la rationalisation et
à la suppression des émotions ; A. Ebenbauer se penche sur la description littéraire
de la découverte de l’adultère, essentiellement à l’aide du corpus tristanien ; W. Haug
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


nous livre quelques réflexions sans grande nouveauté sur Joie de la Curt (Erec, v. 7788-
9857) ; M.H. Jones prend l’Erec de Hartmann von Aue et l’étudie sous l’angle du point
de vue narratif et dégage des différences par rapport au roman de Chrétien de
Troyes ; B. Murdoch met en parallèle le Gregorius de Hartmann, The incestuous
daughter, Trentalle sancti Gregorii et Sir Eglamour of Artois selon trois axes : le péché, le
religieux et le séculier ; J. Schulz-Grobert compare le motif de la vision du portrait
dans le Roman d’Alexandre de Lamprecht et dans le Parzival de Wolfram
d’Eschenbach ; H. Brackert réinterprète les vers d’ouverture du Parzival et met en
relief la notion de doute (zwîvel) ; E. Schmid se tourne vers le Willehalm de Wolfram
pour étudier le champ sémantique de « snîden » et de ses dérivés ; U. Wyss aborde
l’esthétique des mots étrangers dans la même œuvre ; S.M. Johnson réfléchit sur les
théories génétiques chez Wolfram, malheureusement il ignore les travaux de
D. Jacquart et Cl. Thomasset sur la sexualité au Moyen Âge et méconnaît l’influence
des théories aristotéliciennes ; J.L. Flood traite du motif de la couronne de lauriers
décernée aux poètes entre l’Antiquité et la Renaissance ; A. Stevens évoque la mise à
mort des géants et la translation d’empires à l’aide de Geoffroy de Monmouth et des
Tristan de Gottfried de Strasbourg et de Thomas, mais il aurait tiré des arguments
supplémentaires s’il avait lu la grande thèse de Fr. Dubost1 et les travaux de
Ph. Walter ; W.H. Jackson donne enfin une analyse du vocabulaire de la chevalerie
dans les œuvres de Rodolphe d’Ems.

1. Aspects fantastiques de la littérature médiévale, 2 vol., Paris, 1991.


COMPTES RENDUS 645

La dernière section comporte l’étude de hin und he(h)r ? par C.J. Wells : une
contribution fort bienvenue de l’adaptation lexicale des deux termes aboutit à
montrer que hehr perd peu à peu toute connotation de prééminence sociale et « est
utilisé dans le discours politique pour des valeurs numineuses et sublimes ».
Il n’y a pas d’index et la bibliographie est à tirer des notes.
Claude LECOUTEUX

* * *

Tobias ULBRICH, Päpstliche Provision oder patronatsherrliche Präsentation ? Der


Pfründenerwerb Bamberger Weltgeistlicher im 15. Jahrhundert, Husum,
Matthiesen Verlag, 1998 ; 1 vol. in-8°, 579 p. (Historische Studien, 455). ISBN : 3-
7868-1455-7.
Issu d’une dissertation doctorale présentée durant l’hiver 1996-1997 à la Faculté de
Philosophie de l’Université de Göttingen, sous la direction de W. Petke, l’ouvrage de
T. Ulbrich traite du clergé du diocèse de Bamberg au bas Moyen Âge. L’A. a
largement bénéficié des travaux de l’École historique allemande, particulièrement de
l’Institut historique allemand de Rome : le Repertorium Germanicum et le récent
Repertorium Poenitentiariae Germanicum, outils de travail dont on mesure aujourd’hui
toute l’utilité. L’ouvrage est divisé en « séquences », numérotées de 1 à 10, et
comprenant, outre une introduction, une analyse en profondeur du système
bénéficial, de la concession des bénéfices par le pape, de l’acquisition des bénéfices à
travers la présentation puis la provision, une synthèse des résultats obtenus, des
perspectives de recherche, une liste des abréviations utilisées, un relevé des tableaux
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


(près de 60 !), des cartes et des schémas, une bibliographie (Quellen- und
Literaturverzeichnis) distinguant les sources inédites, les sources imprimées et les
travaux, et des tables (noms de personnes, noms de lieux, matières) qui, à elles seules,
totalisent 174 pages, soit le tiers du volume, l’index rerum occupant à lui seul plus de
70 % de l’ensemble ! Que les travaux cités dans la bibliographie (191 titres) soient
essentiellement des productions allemandes, on peut le comprendre aisément, eu
égard au sujet, mais que l’historiographie française, pourtant renouvelée depuis ces
vingt-cinq dernières années, en soit le parent pauvre, avec seulement 16 titres, nous
paraît quelque peu injuste… Que l’on ne s’y trompe pas, si l’A. a voulu mesurer le
poids des provisions apostoliques par rapport aux collations ordinaires (les
impétrants qui choisissent de solliciter la Curie romaine sont minoritaires, moins de
21 %, et proviennent de l’aristocratie, de l’Université ou de clientèles), il a surtout
œuvré dans le riche domaine de l’histoire sociale, en menant une étude
prosopographique fondée sur une vaste banque de données informatisée.
Monique MAILLARD-LUYPAERT

L’histoire littéraire : ses méthodes et ses résultats. Mélanges offerts à Madeleine


Bertaud, Genève, Droz, 2001 ; 1 vol., 870 p., index (Histoire des idées et critique
littéraire, 389).
Seuls quatre articles de ce gros recueil concernent le Moyen Âge. L’excellente
étude de Ph. Ménard, Le vin de Chablis dans la littérature médiévale (p. 405-414), enrichit
646 COMPTES RENDUS

et parfois corrige les éminents travaux d’A. Henry1 et rappelle avec raison qu’au
Moyen Âge le vin d’Auxerre est un vin blanc. B. Guidot, au terme d’une étude fouillée
(p. 415-428), peut affirmer que, dans Raoul de Cambrai, « le démon est partout présent
et Raoul lui-même en est une incarnation brillante et désespérée. » Quant à P. Nobel,
revenant sur les travaux de S. Berger, J. Bonnard et P. Meyer, il est amené à conclure
que la Bible anglo-normande et la Bible d’Acre (p. 429-448) ont utilisé une même source,
anglo-normande, élaborée en Angleterre (au XIIe siècle) et diffusée en Terre sainte.
Enfin, prolongeant le beau travail de B.G. Keller2, M. Stanesco (p. 53-71) qui a raison
d’écrire que la redécouverte du Moyen Âge s’est faite contre la pensée des Lumières,
s’intéresse surtout à Sismondi et à son ouvrage De la littérature du Midi de l’Europe
(1813) où se décèle, entre autres, l’influence de Schlegel et de Herder, et où l’accent est
mis sur la double origine, arabe et nordique, de l’esprit chevaleresque, sur
l’originalité de la poésie provençale, modèle de toutes les autres, et sur l’idée que les
littératures romanes, hormis la littérature française moderne, sont romantiques parce
que chevaleresque : le Moyen Âge est la vraie « nature » de la civilisation européenne.
Jean DUFOURNET

La Normandie vers l’An Mil, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, 2000 ; 1 vol.
in-8°, 222 p.
La Société de l’Histoire de Normandie a choisi de célébrer à sa manière son entrée
dans le nouveau millénaire en se tournant vers le début du précédent. Or, les
commémorations ou les « Mélanges » sont bien souvent l’occasion de publications
d’articles disparates et de qualité fort inégale, ce que l’on regrette toujours. Il faut donc
dire tout de suite que cette commémoration normande de l’An Mil échappe à ce genre
de critique. Presque toutes les contributions se sont appuyées sur des sources inédites
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


ou peu connues ; leurs thèmes environnent sagement le moment choisi, depuis ses
approches jusqu’aux relations de la province avec le Moyen-Orient, en passant par
des études sur les ducs, leurs constructions et leur famille. Autant qu’on puisse les
déchiffrer, les structures de la société ne sont pas négligées. Elles ont même été
l’occasion d’une amusante erreur typographique à propos de l’article de P. Bauduin,
intitulé Aperçu sur les débuts et Aperçu sur les débats de la féodalité normande ! On aurait
justement aimé que l’A. nous donne son point de vue sur le débat ouvert si
intelligemment par S. Reynolds dans Fiefs and vassals à propos de la féodalité
normande. Malheureusement, l’A. se contente de reconduire les vieux schémas du
XVIIIe siècle, sans la moindre interrogation. Églises et monastères se taillent la part du
lion, et c’est normal au vu de l’état des archives et de la réalité d’une multiplication
de centres de culte en Normandie autour de l’An Mil. J. Le Maho s’est attaché à
présenter aussi bien la Tour de Rouen, que le milieu urbain normand (Rouen autour
de l’An Mil), ou encore les techniques savantes que les artisans que cette époque
appliquaient avec virtuosité quand ils construisaient le canal de la Voûte, toutes
enquêtes fort remarquables. Très précieuses aussi sont la présentation des sources et
de la bibliographie normandes concernant l’An Mil de V. Gazeau et P. Bauduin, et la

1. 3e éd. du Jeu de saint Nicolas, Bruxelles, 1981 ; Contribution à l’étude du langage œnologique
en langue d’oïl (XIIe-XVe siècle), 2 vol., Bruxelles, 1996.
2. The Middle Ages reconsidered. Attitudes in France from the eighteenth century through the
Romantic Movement, New York, 1994.
COMPTES RENDUS 647

contribution de F. de Beaurepaire sur la formation des noms de lieux en Normandie


à la même époque.
Pour qui veut se faire une idée plus juste de l’état de la Normandie au temps des
deux ducs Richard, on recommande vivement la lecture fort instructive de ce livre.
Élisabeth MAGNOU-NORTIER

Catálogo dos Códices da Livraria de Mão do Mosteiro de Santa Cruz de Coimbra


na Biblioteca Pública Municipal do Porto, éd. Aires Augusto NASCIMENTO, José
Francisco MEIRINHOS, Porto, Biblioteca Pública Municipal do Porto, 1997 ; 1 vol.,
CXIV-524 p.
Cet ouvrage se compose dans la première partie d’essais historiques sur le
monastère de Sainte-Croix de Coïmbre et son scriptorium et codicologiques et, dans
la seconde partie, du catalogue des manuscrits subsistants. Ces manuscrits sont au
nombre de 98, datant du IXe au XVIe, mais majoritairement des XIIe-XIVe siècles.
Chaque manuscrit est minutieusement décrit et analysé et il faut noter la richesse des
annexes. Relevons, en dehors des ouvrages religieux, la présence d’ouvrages
historiques (les Antiquités juives de Flavius Josèphe, les Anciennes Annales portugaises,
des petites œuvres historiques du XVe siècle, la Chronique de D. Afonso Henriques de
Duarte Galvão), les Étymologies d’Isidore de Séville, l’Art démonstratif de Raymond Lulle,
le Livre des oiseaux d’Hugues de Fouilloy, une vie (nommée navigation dans l’analyse)
de saint Brendan, l’Image du monde de Gossouin de Metz, enfin un ouvrage de musique
comportant des traités de Johannes de Muris et des compositions de Geoffroy l’Anglais,
Robert l’Anglais, Jean Bedingham, Guillaume Dufaÿ et Gilles Joye.
Jacques PAVIOT
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


Horst FUHRMANN, coll. Markus WESCHE, « Sind eben alles Menschen gewesen ».
Gelehrtenleben im 19. und 20. Jahrhundert, dargestellt am Beispiel der
Monumenta Germaniae Historica und ihrer Mitarbeiter, Munick, Beck, 1996 ;
1 vol. in-8°, 218 p.
Mû par l’intérêt qu’il porte au destin des personnes ayant contribué au renom
d’une entreprise érudite dont bénéficie l’ensemble de la communauté scientifique,
bien que cette même entreprise fût – et soit encore si l’on en croit la devise toujours
imprimée au frontispice de ses publications, selon laquelle Sanctus amor patriae dat
animum – au service d’une nation longtemps en quête de son identité ; mû également
par le désir de présenter au grand public l’institut qu’il présida de 1971 à 1994,
H. Fuhrmann a puisé dans les archives des M.G.H. la matière d’un ouvrage montrant
que ces historiens employés à collationner les manuscrits, comparer les écritures,
identifier les citations n’étaient pas que des « Urkundionen » (selon le mot assassin de
J. Burckhardt), des tâcherons de l’acte écrit, sans relief et sans vie, mais… des hommes
(et quelques femmes) en proie au joies et aux peines de tout un chacun. D’aucuns
savourent les occasions de nouvelles découvertes, tel L. Bethmann que son goût des
voyages mène jusqu’en Égypte au milieu du siècle dernier ; d’autres quémandent
une augmentation chichement accordée ; certains, enfin, doivent fuir le régime nazi
en raison de leur ascendance, tel W. Levison. Une figure domine l’histoire des
M.G.H. : celle de G.H. Pertz, éditeur de génie, mais patron despotique – cruel envers
Ph. Jaffé, qui s’abandonna au suicide, et mégalomane au point de vouloir préparer
son fils Karl à lui succéder alors que ce dernier n’avait que quelques mois d’âge ! Qui
648 COMPTES RENDUS

s’intéresse à la condition des historiens essentiellement jusqu’à la seconde guerre


mondiale (les débuts incertains des M.G.H. et la marche vers la fonctionnarisation
sont présentés en détail) lira avec plaisir et profit ce livre largement illustré et
complété par l’édition de plusieurs extraits de correspondance et autres documents
richement annotés.
Philippe DEPREUX

Literaturbericht zur mittelalterlichen und neuzeitlichen Epigraphik (1992-1997),


éd. Walter KOCH, Maria GLASER et Franz-Albrecht BORNSCHLEGEL, Hanovre,
Hahnsche Buchhandlung, 2000 ; 1 vol. in-8°, 767 p. (Monumenta Germaniae
Historica. Hilfsmittel, 19).
R.M. Kloos avait donné une première synthèse bibliographique sur l’épigraphie
en 1977. Son successeur à la tête de la Commission épigraphique de l’Académie des
sciences de Bavière, le professeur W. Koch, a constitué, à l’Université de Munich une
bibliothèque d’épigraphie du Moyen Âge et des Temps Modernes régulièrement
enrichie, qui est la base des recensions bibliographiques qu’il a publiées en 1987 pour
les années 1976-1984, en 1994 pour 1985-1991, 147 et 441 pages, et dont le présent
volume prend la suite.
Il s’agit d’une présentation des publications d’épigraphie donnant résumés et
commentaires des différentes études, dont les références bibliographiques sont
données seulement en notes. L’ouvrage est divisé en huit parties : congrès, manuels,
mélanges ; éditions nationales ; autres éditions ; méthodes, problématiques, projets ;
écriture ; langue, formulaire, métrique, « mentalité » ; monuments et objets dans leur
contexte historique ; épigraphie et histoire de l’art, ces deux dernières divisions
représentant près de 45 % du texte. Si l’on note que la table des auteurs – et
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


collaborateurs, éditeurs, recenseurs – compte environ 1 800 noms, on voit quelle
richesse d’information on pourra tirer, dans les domaines les plus divers, de cette
somme bibliographique. On se permettra seulement de souhaiter quelques
subdivisions ou caractères gras pour guider le lecteur dans une édition un peu trop
compacte.
Le lecteur pourra trouver aisément les renseignements qui l’intéressent plus
particulièrement en utilisant les tables. À la suite de la table des auteurs on trouve la
table des noms de lieu ; on aura quelques corrections à faire dans la mesure où on a
voulu suivre au plus près les divisions administratives actuelles qu’il est difficile de
bien connaître pour tous les pays (en France Tours dans la région Centre et non en
Poitou-Charentes, Valence dans la région Rhône-Alpes et non en Provence). On a
enfin un index des personnes et des matières qui donne la meilleure idée de la variété
et de l’intérêt des sources épigraphiques pour l’histoire, l’histoire de l’art, la
littérature. Un ouvrage de référence indispensable.
Robert FAVREAU

Marc CARNIER, Parochies en bidplaatsen in het bisdom Terwaan vóór 1300. Een
repertorium van de parochies van de dekenijen Veurne en Ieper en een
overzicht van alle bidplaatsen van het bisdom, Bruxelles, Archives Générales du
Royaume, 1999 ; 1 vol. in-8°, 412 p. (Publ. 2832). Prix : BEF 650.
Conçu comme annexe d’une thèse sur les églises du diocèse de Thérouanne avant
1300, le présent répertoire concerne plus précisément celles des deux doyennés de
COMPTES RENDUS 649

Fumes et d’Ypres. Les autres paroisses du diocèse font l’objet d’une présentation
sommaire : titulaire, première mention, appartenance décanale et patron. Par contre,
pour les 90 églises des circonscriptions étudiées les fiches sont autrement plus riches.
En effet, des données y sont en plus fournies sur l’origine du toponyme, les
découvertes archéologiques ou les liens de filiation entre les paroisses. La possession
des dîmes a fait l’objet de recherches très poussées. L’A. est ainsi en mesure de
présenter une notice explicative pour chaque église paroissiale. Un relevé
bibliographique, qui paraît exhaustif, complète la fiche qui se termine par la mention
du premier desservant connu. L’enquête a été sérieusement menée. La méthode
suivie, qui consiste à se baser sur les plus anciens pouillés, en l’occurrence ceux du
XIV e siècle, semble pertinente. Les sources disponibles, principalement
diplomatiques, ont été utilisées. Le résultat est probant : une documentation
remarquable est ainsi mise à disposition mais il s’agit, pourrait-on dire, de données
brutes car il est évident qu’une introduction de sept pages ne permet pas d’en donner
une interprétation suffisante. La publication de la thèse elle-même est annoncée, on
s’en réjouira. Certes, il ne faut pas s’attendre à trouver dans un répertoire la réponse
à toutes ses questions mais quelques éléments de synthèse seraient les bienvenus. Par
exemple, une carte montrant la localisation des paroisses et leurs liens de filiation
serait fort éclairante pour le lecteur. On comprend le souci d’alléger le volume
d’impression en publiant séparément ce que l’on pourrait nommer des pièces
justificatives telles que la répartition des paroisses selon leurs titulaires ou la liste des
actes de confirmation des dîmes pour chaque institution mais, sans commentaires,
ces données perdent de leur intérêt, même si elles permettent quelques comparaisons
utiles. Nul doute qu’après la publication de la thèse, l’étude menée par l’A. apparaîtra
comme une contribution substantielle à la connaissance de l’institution paroissiale au
Moyen Âge.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.76.148)


André DEBLON

Vous aimerez peut-être aussi