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Corinne PIERREVILLE, Gautier d’Arras. L’autre chrétien, Paris, Champion, 2001 ; 1 vol.
in-8°, 380 p., ann., bibl., index (Nouvelles Bibliothèque du Moyen Âge, 55).
De la thèse qui a été soutenue le 4 avril 1997 devant l’Université Jean-Moulin (Lyon
3) sous le titre La rivalité littéraire entre Chrétien de Troyes et Gautier d’Arras (660 p.),
C. Pierreville a tiré, sous un nouveau titre, Gautier d’Arras. L’autre chrétien, un ouvrage
de 380 pages, dense, soigné et riche, qui représente un travail considérable et de
vastes lectures, et qui a éliminé tout ce qui était inutile, désuet ou ressortissant à un
rationalisme étroit, tout en restant de facture classique. En filigrane, on devine que
l’A. a tenu compte des apports les plus récents sur l’intertextualité, le réalisme…, ainsi
que des distinctions les plus opératoires que la critique a peu à peu élaborées. Le
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L. Renzi lui ait consacré un livre pionnier en 1964, Tradizione cortese e realismo in
Gautier d’Arras) sans toutefois diminuer le génie de Chrétien de Troyes. Le seul texte
qui pourrait pâtir de cette judicieuse comparaison des deux grands romanciers est
sans doute Guillaume d’Angleterre qu’on peut hésiter, après C.P., à attribuer à Chrétien
de Troyes. Pourtant, cette œuvre d’un débutant mérite mieux que des jugements un
peu hâtifs qui en font un repoussoir : toutes les défaillances qu’on relève ne
s’expliquent-elles pas par le fait que ce roman est un conte hagiographique qui subit
les contraintes du genre et la première œuvre d’un auteur qui fait son apprentissage ?
Quoi qu’il en soit, on ne peut que suivre C.P. dans sa réhabilitation de Gautier
d’Arras. Elle sert bien un écrivain qu’elle aime et admire. Elle est même la première
à traiter de problèmes négligés par la critique, tels que la structure temporelle d’Éracle
et d’Ille et Galeron (p. 65-84), « triomphe du temps divin sur le temps humain ». Elle
montre avec finesse qu’aux romans problématiques et ouverts de Chrétien qui cultive
les vertus et les séductions du clair-obscur, de l’ellipse et de la demi-teinte s’opposent
les romans plus didactiques, plus explicites, plus austères, plus sobres et plus
généreux de Gautier qui présente une vision plus religieuse du monde et de l’histoire,
sans renoncer à faire œuvre d’art. Gautier ne fut-il pas « didactique par générosité » ?
De là des pages et des développements sur des points essentiels : habilité de Gautier
à utiliser le procédé de l’entrelacement en variant les procédés stylistique ;
inexistence de la forêt et rejet du merveilleux celtique ; refus de multiplier duels et
tournois, remplacés par des engagements guerriers dont l’action est centrée sur le
héros ; vision critique des rois dont le rôle est de conduire la guerre dans le cadre
d’une monarchie héréditaire ; absence de la coutume et conception augustinienne de
la royauté ; importance du mérite personnel ; dévalorisation de la vie curiale ;
exaltation de la petite noblesse, de la générosité et de l’humilité ; glorification des
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parle au cœur et à l’imagination, et dont l’autre, plus populaire, a choisi la croix, qui
relève davantage de la raison. Il semble cependant que C.P. accorde un petit plus à
Gautier.
Sans doute, si la place ne lui avait pas été comptée, aurait-elle poussé la réflexion
plus loin sur quelques points, comme sur le personnage du sénéchal : Chrétien
n’aurait-il pas pris le contrepied d’une tradition bien établie du bon sénéchal que suit
Gautier et qui perdure dans les romans de Philippe de Rémy ? Quelle est la fonction
de Keu, image archaïque de la chevalerie qui empêche la courtoisie de s’amollir,
nécessaire à la cour arthurienne, prolongeant un type ancien dont l’ambiguïté est
l’essence même, utile et nuisible, indispensable et malfaisant, aimé et haï, accepté et
rejeté ? Il eût fallu rappeler des réflexions de M.L. Chênerie, de D. Boutet et de
J. Grisward. Ne fallait-il pas s’interroger davantage sur les formes que prend
l’émulation (reprises, surenchères, inversions…) et sur la bipartition ou la
bipolarisation à l’œuvre dans une bonne partie de la littérature contemporaine,
comme le Conte du graal, les branches du Roman de Renart, le Jeu de saint Nicolas… ?
Ces dernières remarques ne sauraient masquer que nous avons affaire à un
ouvrage très important qu’on lit avec plaisir, intérêt et profit, sans jamais s’ennuyer,
et qui, en conservant un heureux équilibre entre une abondante documentation et un
regard personnel, fort des derniers apports de la critique, rend à Gautier d’Arras la
place de premier plan qu’il mérite aux origines du roman français. À coup sûr, il ne
s’agit pas d’un auteur mineur : C.P. nous en a définitivement persuadés.
Jean DUFOURNET
Être et qu’il faut devenir cet Être, identification qui mit Mechthild de Magdebourg en
péril et explique que, à la fin de sa vie, elle se soit réfugiée dans un couvent cistercien
à Helfta afin de se mettre à l’abri des calomnies et des persécutions. N’oublions pas,
en effet, que des femmes, comme Marguerite Porete († 1310), connurent le supplice
du feu pour leurs propos et leurs écrits. Un quatrième chapitre, enfin, analyse la
représentation complexe du temps dans une sélection représentative des récits de
visions offerts dans le FLdG, d’où il ressort que le salut s’inscrit dans un temps linéaire
et l’éternité dans un temps circulaire. Ainsi, E.A.A nous remet en mémoire
l’importance de la spiritualité féminine au Moyen Âge et particulièrement de cette
femme dont les textes rédigés en langue vernaculaire transmirent des pensées qui,
jusque-là, étaient l’apanage des clercs et qui participèrent donc à une laïcisation, ce
qui leur valut la menace d’être mis au feu. Elle met en lumière une religieuse qui
représente le deuxième sommet de la théologie charismatique au Moyen Âge après
Hildegarde de Bingen.
Florence BAYARD
La partie la plus novatrice de ce travail est sans conteste celle consacrée à l’analyse
de la riche et variée materia medica éclairant un aspect peu connu : celui des soins
vétérinaires mis en œuvre dans la volerie des premiers siècles médiévaux. Sont ainsi
identifiées, classées, commentées les 95 substances différentes, mélanges de produits
locaux et exotiques, domestiques ou sauvages, bien connus ou plutôt rares, utilisées
pour les soins aux autours. Qu’ils soient d’origine végétale, animale ou minérale, les
ingrédients cités par Grimaldus figuraient pour une bonne part dans la médecine
antique, notamment chez Pline ainsi que dans la médecine humaine présalernitaine.
Tout aussi inédite et importante l’étude des dénominations des maladies
(chapitre 5). Une vingtaine sont évoquées dans le traité dont le niveau de précision se
révèle, à cet égard, tout à fait exceptionnel puisque énonçant à la fois les symptômes
et le nom de la maladie. Avec l’A., on regrettera cependant que l’analyse ne puisse être
plus concluante et définitive par manque d’ouvrages de références et d’études
similaires. L’analyse des indications de mesure – de poids et de capacité – (chapitre 6)
et de la langue (chapitre 7) tout comme le glossaire quasi exhaustif des mots de
Grimaldus constituent les autres points forts de cette recherche.
L’ouvrage d’A.S., à l’écriture parfois heurtée, apporte assurément une pierre
nouvelle à la connaissance de l’art vétérinaire appliqué aux oiseaux de chasse. Sa
démonstration est claire et convaincante : l’importance du traité de Grimaldus est
évidente, témoignage essentiel d’une tradition littéraire cynégétique existant dès le
haut Moyen Âge. La prudence dont ne se départ pas l’A. doit être constructive et les
questions laissées en suspens inciter d’autres chercheurs à poursuivre.
Corinne BECK
Pierre BONNASSIE, Les sociétés de l’an mil, un monde entre deux âges, Bruxelles, De
Boeck Université, 2001 ; 1 vol. in-8°, 517 p. (Bibliothèque du Moyen Âge, 18). ISBN :
2-8041-3479-2. Prix : FRF 750.
Voici un grand livre, œuvre d’un grand historien. Ce recueil de dix-neuf articles,
parus – ou à paraître –, entre 1968 et fin 2001, se trouve au cœur des réflexions en cours
sur l’histoire des sociétés au temps de l’an mil. Les historiens discutent des
changements intervenus, de leurs origines, de leur chronologie, de leurs incidences.
L’ouvrage retrace l’itinéraire intellectuel d’un des grands historiens de cette période
charnière, celui sans doute qui, sans jamais dévier de ses lignes de réflexion, s’est le
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souci de rester clair tout en marquant les nuances, sa volonté surtout de puiser au plus
profond des sources, sans pour autant cacher les incertitudes qu’elles laissent
subsister ni les questions auxquelles elles ne peuvent répondre. C’est dire que le
tableau auquel aboutit l’assemblage cohérent, à la fois logique et chronologique, des
textes sélectionnés, est une des plus séduisantes synthèses qu’il nous ait été donné de
lire.
Maurice BERTHE
1. T. 4, 5 et 6, Paris, 1990-1993.
2. 2 vol., Paris, 1997.
3. Il est l’auteur d’une thèse – devenue un ouvrage de référence classique – sur La sainteté
en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, 2e éd., Rome, 1988.
4. Cf. La spiritualité de l’Occident médiéval (VIIIe-XIIIe siècle), 2e éd., Paris, 1994.
5. La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, p. 614-622.
COMPTES RENDUS 577
siècles du Moyen Âge, soit allée dans le sens d’une accentuation de l’imitabilité des
saints, qui se serait opérée aux dépens de l’admiration suscitée par leurs pouvoirs
surnaturels. » (p. 65). Dans la quatrième étude (p. 67-78), l’A. se penche sur cette
tentative de la part du pouvoir politique laïque de s’attacher la sainteté par fonction,
afin de produire une sainteté héréditaire et dynastique. Dans le dernier chapitre de
cette première partie sur la sainteté, A.V. s’intéresse au pouvoir de certaines « images
saintes » aux derniers siècles du Moyen Âge, époque au cours de laquelle les images
prennent de plus en plus le relais des reliques comme substituts des saints (p. 79-91).
Après le pouvoir surnaturel des saints, A.V. aborde, dans la deuxième partie de
son ouvrage (p. 93-148), celui des prophètes et visionnaires. Avec pour commencer
deux chapitres centrés sur l’« eschatologie » : en rapport avec la croisade pour le
premier (p. 95-105) et, pour le second, avec l’utilisation politique qui en est faite par
les prophètes et visionnaires dans les derniers siècles du Moyen Âge (p. 106-113). Cet
aspect eschatologique est aussi très présent dans le prophétisme médiéval. Le
prophète est celui qui parle au nom de Dieu, plus encore que celui qui dit l’avenir. Le
prophétisme chrétien a été très florissant à la fin de l’Antiquité tardive et, après une
éclipse quasi totale de plusieurs siècles pendant le haut Moyen Âge, a connu un
renouveau important à partir du XIIe siècle en Occident. Le plus illustre de ces
prophètes à la fin du XIIe siècle est Joachim de Flore. Moine calabrais de l’ordre
cistercien, il a développé un prophétisme exégétique et eschatologique, fondé sur la
succession de trois âges : celui du Père, celui du Fils, et celui – à venir – de l’Esprit.
Joachim aura une grande postérité, notamment au sein de l’ordre franciscain. Dans
la fresque qu’il brosse du « prophétisme médiéval d’Hildegarde de Bingen à
Savonarole » (p. 114-133), A.V. propose une distinction intéressante entre deux
formes différentes de prophétismes : le « prophétisme ecclésial », le « prophétisme
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1. Notons qu’A. Vauchez prépare, avec l’aide d’une équipe, la publication d’un traité de
Jean de Roquetaillade, le Liber ostensor (le « livre qui révèle ») composé en 1356, qui devrait
bientôt paraître.
578 COMPTES RENDUS
Dans la dernière partie, qui compte six chapitres, A.V. se penche sur les rapports
entre « les pouvoirs établis et le surnaturel » (p. 149-219). L’A. commence par analyser
les raisons de la dévotion particulière du pieux duc Charles de Blois, qui vécut au XIVe
siècle, pour divers saints bretons du haut Moyen Âge (p. 151-161). Suit un chapitre sur
« la faible diffusion des Révélations de sainte Brigitte dans l’espace français » dans
lequel A.V. s’interroge sur les causes de ce rejet (p. 162-174) : l’inexistence en France
d’un milieu spirituel laïque ouvert à des lectures de ce type, comme on pouvait en
trouver chez les béguines de l’Europe du Nord. C’est précisément d’une béguine –
Marie d’Oignies – dont il est question dans le chapitre suivant, plus exactement de sa
biographie spirituelle rédigée par Jacques de Vitry et de la manière dont celle-ci a été
utilisée comme « arme contre l’hérésie » cathare (p. 175-188). Dans le chapitre 13, A.V.
montre comment la prophétie a été un élément de légitimation important pour l’ordre
des prêcheurs (p. 189-198). Les deux derniers chapitres montrent la méfiance
croissante de l’Église face à ces personnages inspirés, dotés de pouvoirs surnaturels :
saints, prophètes et visionnaires. À partir du XIVe siècle, l’attitude des théologiens à
l’égard de la prophétie et des révélations devient très réservée, telles les mises en
garde de Henri de Langenstein et de Gerson contre les faux prophètes (p. 199-207).
C’est, comme l’écrit A.V., la « naissance du soupçon » : l’institution ecclésiale
s’efforce de séparer les « vrais » des « faux » saints (p. 208-219).
Au total, c’est un très beau livre d’histoire des mentalités religieuses que nous offre
ici A.V. Les analyses y sont toujours fines et stimulantes. Avec ce travail sur l’usage
du surnaturel au Moyen Âge, A.V. continue de renouveler en profondeur l’histoire
religieuse.
Benoît BEYER DE RYKE.
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Jacques BERLIOZ et Marie Anne POLO DE BEAULIEU, coll. Pascal COLLOMB, L’animal
exemplaire au Moyen Âge (Ve-XVe siècles), Rennes, P.U. Rennes, 1999 ; 1 vol.
in-8°, 333 p. (Histoire). ISBN : 2-86847-435-7. Prix : FRF 140.
Parmi toutes les fonctions dévolues à l’animal dans la culture médiévale, celle qui
l’a fait utiliser comme exemple à des fins didactiques et moralisatrices reste attestée
par de multiples sources textuelles. Les fables et les « romans animaliers », objets
d’une abondante bibliographie, viennent en premier lieu à l’esprit. Ils ne peuvent
occulter l’apport de témoignages jusqu’ici délaissés ou pas exploités par
l’anthropozoologie historique, les récits exemplaires, recueils de distinctiones
bibliques alphabétiques, encyclopédies ou encore textes juridiques. À des degrés
divers, en fonction de leur finalité propre, tous font appel à l’animal pour instruire et
convaincre auditeurs et lecteurs. Cette part de la documentation a suscité, les 26 et
27 septembre 1996 à Orléans, un colloque international, dont les actes sont désormais
disponibles dans le présent volume. Très soigneusement mis en page, il reflète la
qualité des différentes interventions, que les limites imposées à la recension
empêchent d’approfondir autant qu’elles le mériteraient. Après l’avant-propos des
co-éditeurs, M. Pastoureau signe, sous le titre L’animal et l’historien du Moyen Âge, un
exposé introductif général qui devrait être lu, en raison de sa portée épistémologique
et méthodologique pour l’histoire des relations entre l’homme et l’animal, bien au-
delà du cercle des médiévistes. Quatre parties structurent l’ouvrage. Les exposés
réunis dans la première illustrent le thème De l’Occident à l’Orient (J. Voisenet,
Animalité et mépris du monde [Ve-XIe siècle] ; G. Ortalli, Animal exemplaire et culture de
l’environnement : permanence et changements ; P. Boglioni, Les animaux dans
l’hagiographie monastique ; C. Mayeur-Jaouen, L’animal exemplaire dans les récits de
miracles en Islam). La « rhétorique animale » est considérée par trois auteurs (A. Boureau,
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médiévistes au sujet de l’animal, ce « champ pour l’histoire »1 qu’ils ont été parmi les
premiers à faire systématiquement fructifier.
Liliane BODSON
« The fragility of her sex » ? Medieval Irish women in their European context, éd.
Christine E. MEEK et M. Katharine SIMMS, Dublin, Four Courts Press, 1996 ; 1 vol. in-
8°, 208 p. Prix : GBP 27,50.
Deux historiennes de Trinity College (Dublin), spécialistes respectivement de
l’Italie et de l’Irlande médiévales, ont conçu le présent volume dans la foulée d’un
colloque tenu en 1993 (cf. Chr.E. Meek et M.K. Simms, Introduction, p. 7-15). Le pari
de replacer l’historiographie de l’Irlande médiévale dans son contexte européen et de
rompre ainsi son isolement me semble réussi. L’intérêt de l’ouvrage ne se limite
d’ailleurs pas à replacer le monde celtique dans une perspective comparatiste,
puisqu’il offre des contributions qui intéresseront directement les spécialistes de
l’Italie, de la France ou de l’Angleterre, qu’il s’agisse d’histoire politique, du droit ou
de la littérature. B. Jaski présente une mise au point intéressante sur Marriage laws in
Ireland and on the continent in the early Middle Ages (p. 16-42), et montre que les
coutumes irlandaises attestées depuis le VIIIe siècle et condamnées aux XIe-XIIe siècle
par l’Église anglo-normande et par la papauté (mariage au sein des degrés de parenté
prohibés, répudiation, concubinage et polygynie) sont en fait comparables à celles du
Continent durant le haut Moyen Âge. Il discute la possible cléricalisation de certaines
règles dès cette époque, et compare les différents types d’unions avec leurs
équivalents en droits romain et germanique (par exemple, le mariage par aititiu est
analogue au mariage sine manu romain et au Friedelehe germanique). Dans cette
classification, seules certaines femmes mariées disposent d’une capacité juridique en
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1. Selon la formule d’É. BARATAY et J.L. MAYAUD, Un champ pour l’histoire : l’animal,
Cahiers d’Histoire, t. 42, 1997, p. 409-442
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références sont celles d’une traduction et non du texte original). G. Neville étudie un
poème bardique de la Contre-Réforme probablement inspiré par un exemplum
médiéval, dans Short shrouds and sharp shrews : echoes of Jacques de Vitry in the Danta
Gradha (p. 87-100). Ses conclusions, fortement contestables, sont souvent sans rapport
avec les deux textes et reposent sur des extrapolations et des a priori. Un seul exemple :
l’enfermement absolu des femmes aisées est soi-disant confirmé par l’envoi d’une
servante à l’extérieur, alors que la question n’est pas de savoir si la maîtresse quitte
ou non sa maison, mais si elle accomplit elle-même ou non des tâches ancillaires
comme l’achat d’une pièce de drap. Avec The absentee landlady and the sturdy robbers :
Agnes de Valence (p. 101-118), C.O Cleirigh nous donne par contre de bonnes pages
d’histoire politique mêlant le récit et l’analyse des faits. Il met en évidence le réseau
de relations et l’action d’une nièce du roi Henri III, veuve à trois reprises († 1309) et
en dernier lieu du Hainuyer Jean d’Avesnes, seigneur de Beaumont. Elle est dépeinte
comme « a capable and rather unscrupulous businesswoman » dans sa gestion
domaniale (douaire et acquisitions). Le corps de l’étude porte sur le long conflit,
émaillé de coups de main et de procès, soutenu pour la possession de ses domaines
irlandais contre John fitzThomas, baron d’Offaly et futur comte de Kildare, un cousin
de son premier mari. J. Ward (The English noblewoman and her family in the later Middle
Ages, p. 119-135) poursuit les travaux qui lui ont déjà donné l’occasion d’un livre. On
notera que les éléments avancés dans cette contribution (patriarcat n’excluant pas une
connaissance des futurs époux avant le mariage, affection et confiance durant le
mariage) conduisent à relativiser les images présentées plus haut par B. Williams et
G. Neville. Dans Women, dowries and the family in late medieval Italian cities (p. 136-152),
Chr. E. Meek, l’une des deux É., présente une synthèse des travaux portant sur le
régime dotal et la famille dans les villes italiennes, enrichie de quelques données
lucquoises inédites. Dans The lady in the tower : the social and political role of women in
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immobilisant et rémunérant les capitaux étrangers attirés par des taux d’intérêt
élevés. Pour donner la mesure des engagements financiers de l’État vénitien, l’A.
calcule que l’approvisionnement en blés lointains nécessitait vers 1300 la sortie de 6
à 9 tonnes d’argent fin par an. Le Sénat fut amené à détacher le commerce du blé du
commerce au long cours fondé sur des monnaies standard d’or ou d’argent, en
imposant en Crète, colonie céréalière, le cours forcé d’une monnaie spécifique et
surévaluée, le « tornesello » ; en recourant aussi à des manipulations sur le rapport
entre le gros d’argent et le « piccolo », tout pain vendu à Venise apportant ainsi sa
contribution à peine identifiable au financement de dépenses extraordinaires.
Les chapitres consacrés à une revue dynamique des lieux d’approvisionnement en
blés, de la petite Arménie à la plaine du Pô, à l’organisation des flottes céréalières, puis
aux greniers, à la meunerie et à la distribution du pain fourmillent de traits saisissants.
Qu’il suffise ici de citer un chiffre qui matérialise les besoins annuels de la seule ville
de Venise au XVe siècle : 28 000 m3 de grains à stocker, à renouveler et à retourner en
permanence pour qu’ils ne se gâtent pas.
L’ouvrage se conclut par un ensemble de remarques de méthode sur l’histoire des
prix, introduites par des réflexions sur les rapports entre annone et marché libre. Face
à l’impérialisme vénitien, les pays producteurs pratiquent, lorsqu’ils le peuvent, des
prix maximums au-delà desquels les exportations sont interdites. Mais pour sa part,
la Chambre du blé en affichant des prix d’achat incitatifs assortis de primes, pouvait
favoriser des catégories d’acheteurs, des variétés de céréales ou des provenances et
directions de commerce. Un système de prix garantis, institué à la fin du XIIIe siècle,
fit de la Chambre du blé le véritable acheteur sur le marché libre. Tant de variables
affectent les fluctuations ou l’apparente stabilité du marché qu’une histoire de la
consommation ne peut s’établir à partir de simples courbes de prix ; qualités des
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normande, puis anglo-angevine, appuyée par les barons aventuriers, a réussi peu à
peu, à étendre son hégémonie – sans toutefois transformer les îles Britanniques en état
unitaire, ce qui ne se fera que progressivement sous les souverains Tudor et Stuart.
L’extraordinaire complexité politique trouve son reflet dans la diversité, voire la
multiplicité des langues, qui caractérisent les îles Britanniques durant le Moyen Âge,
où le brassage des populations et des classes a produit des situations linguistiques
imbriquées. Qui pouvait savoir, à l’époque, que l’anglais – une forme créolisée, au
moins, de cette langue – s’en sortirait comme parler dominant, vainqueur en
apparence, mais transformé pour toujours par le contact avec ses concurrentes ? Car
les langues médiévales, contrairement à ce que l’on croit couramment, n’étaient ni
séparées, ni séparables, dans la vie quotidienne.
D.A. Trotter de l’Université d’Aberystwyth – l’un des responsables du Anglo-
Norman Dictionary – a réuni ici treize articles par treize auteurs différents, à la suite
d’un colloque organisé par lui en 1997, qui était consacré à la question de
l’interdépendance et de l’interpénétration des langues médiévales. Si la majorité des
contributeurs (huit) sont d’origine britannique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et
la Suisse sont également représentées ; à une exception près (l’un des auteurs suisses,
A. Kristol, qui écrit en français), tous les articles sont en anglais. Ces chercheurs se
sont plongés dans des textes bi- ou multilingues, caractérisés par divers niveaux de
mélanges, allant de la traduction simple aux bizarreries macaroniques. Les
principales langues traitées sont l’anglais et le français et/ou le latin, plus rarement
le gallois, avec parfois des allusions au gaélique d’Irlande et d’Écosse ; mais on
rappelle également, sans toutefois creuser la question, l’influence d’autres langues
minoritaires, comme le norrois, voire des langues plus inattendues, comme le
néerlandais ou le moyen-bas-allemand, qui ont laissé des traces dans le jargon de
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local en même temps que les langues des puissantes nations voisines, semble
beaucoup plus proche de la réalité de l’Europe médiévale que ne le sont nos grands
États où l’on vit (mais pour combien de temps encore ?) dans un monde uniquement
francophone, ou anglophone, ou germanophone. Le volume de D.A.T. remet en
cause beaucoup d’idées reçues et réveillera tant les historiens que les linguistes.
Leo CARRUTHERS
Political thought and the realities of power in the Middle Ages. Politisches Denken
und die Wirklichkeit der Macht im Mittelalter, éd. Joseph CANNING, Otto Gerhard
O EXLE , Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998 ; 1 vol. in-8°, 277 p.
(Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 147). Prix : DEM 59.
Il existe beaucoup d’études sur la pensée politique au Moyen Âge auxquelles, en
dépit de leur érudition et de leur originalité, on peut reprocher d’être parfois
(souvent ?) « déconnectées » du vécu historique. À quoi sert-il de penser, si la
spéculation n’inspire pas des actions, des formes de gouvernement, des solutions aux
problèmes quotidiens dans la gestion de « l’État » et de la société ? Pour la France, les
contacts entre le pensé et le vécu politiques sont particulièrement bien mis en
évidence dans les travaux connus et appréciés de J. Krynen (Toulouse). Pour les
588 COMPTES RENDUS
1. « Houd voet bij stuk ». Xenia iuris historiae G. van Dievoet oblata, Louvain, 1990, p. 209-223.
COMPTES RENDUS 589
The Saxon Mirror. A Sachsenspiegel of the fourteenth century, trad. Maria DOBOZY,
Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1999 ; 1 vol. in-8°, XI-263 p. Prix :
USD 55.
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du XVe (K. Ueltschi, Cl. Thiry). L’œuvre d’Eustache Deschamps fait entrer le concret
dans la poésie. Il n’empêche qu’il ne faut pas oublier que ce sont, avant tout, des textes
littéraires. De même, la Chronique de Jean Molinet comprend des données factuelles,
énumératives, à côté d’envolées rhétoriques. Les proverbes, les locutions, des
expressions diverses émanent de la culture populaire et peuvent donc nous éclairer
sur cette dernière, même s’ils nous parviennent à travers des textes destinés aux riches
et aux puissants (E. Rassart-Eeckhout). Ils pourront donner une idée des pratiques
alimentaires, de la valeur attribuée aux différents aliments par un groupe social
pauvre. Le théâtre informe aussi sur la manière dont la cuisine et les réjouissances
festives sont perçues (J. Koopmans, G.A. Runnalls). La littérature informe encore sur
les fleurs, leur rôle, leurs usages, et de là on débouche sur les rites, les coutumes, les
fêtes, les tournois, les banquets, les processions, les enterrements, les mariages, autant
d’événements de la vie quotidienne (T. Van Hemelryck). On peut aussi en apprendre
beaucoup de textes parlant de personnages types, comme maître Aliborum qui a
traversé les siècles, le sot qui fait le pédant, mais aussi l’espiègle, le magicien, le
charlatan (P. Verhuyck). Les comptes des dépenses d’un prince à la cour des comtes
de Bourgogne nous éclairent sur sa personnalité, ses activités, ses préoccupations
religieuses, intellectuelles, sur son rôle public, et plus généralement sur la vie d’une
cour princière vue par un de ses acteurs (M.Th. Caron).
Souvent la combinaison de différents types de source est appelée à la rescousse.
Connaître la manière dont les problèmes de ravitaillement sont résolus en temps de
guerre implique de recourir aux sources littéraires, chroniques et poésies de
circonstance, mais aussi, entre autres, aux traités politiques et militaires (J. Devaux).
La confrontation de sources littéraires, comme les Cent nouvelles nouvelles, reflets de
l’activité juridique, de sources chiffrées, de lettres de rémission, de comptes des
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Une histoire de la vie matérielle au Moyen Âge implique le recours à une variété
incroyable de sources : annales, chroniques, mesures fiscales, tarifs et comptes de
péages, traités commerciaux, sources judiciaires, réglementations corporatives,
iconographie, topographie, archéologie, et j’en passe. La conclusion, c’est un terrain
défriché mais qui nécessite encore beaucoup de travail. Des pistes sont tracées, des
idées de recherche sont lancées. L’histoire de l’alimentation connaît, par exemple, un
grand succès et nos connaissances en ce domaine se développent. Peut-être au
détriment d’autres sujets de la vie quotidienne ? Mais après tout, l’alimentation au
Moyen Âge a toujours été une préoccupation prioritaire et même obsédante à
certaines époques.
Christiane DE CRAECKER-DUSSART
Le Canarien relate l’expédition française menée en 1402 aux Canaries par Gadifer
de la Salle qui s’était associé à Jean de Béthencourt. Ce texte connaît deux versions,
l’une à la gloire de Gadifer de la Salle, l’autre plutôt favorable à Béthencourt. J.R.G.
s’intéresse à la première des deux. Son analyse minutieuse du texte lui fait dire qu’il
peut être lu comme une biographie chevaleresque de Gadifer qui, comme tant de
chevaliers dans les romans, est trahi par ses partenaires. Ici aussi elle détecte une
influence manifeste de l’idéal chevaleresque.
La Cronica de Tomada de Ceuta écrite vers 1440 par Gomes Eanes de Zurara raconte
la croisade menée par les princes portugais, notamment Henri le Navigateur, pour
prendre Ceuta. Là aussi J.R.G. détecte des influences arthuriennes.
Par l’analyse approfondie de ces différents textes et d’autres datant des XVIe et
XVIIe siècles, l’A. démontre que la chevalerie est une force vitale, qu’elle marque
l’imagination et l’action des hommes qui ont exploré (comme le seul Marco Polo ici)
ou plutôt conquis le monde. Pour comprendre ces hommes, il faut prendre conscience
de leurs « fantaisies ». Et nous ne pouvons comprendre celles-ci que si nous nous
rendons compte à quel point ils étaient conditionnés par les romans de chevalerie
florissant à la fin du Moyen Âge. Les arguments de J.R.G. sont originaux et sans doute
justifiés en grande partie. On a juste l’impression que le composant chevaleresque
dans les textes étudiés a une importance énorme, voire écrasante…
Christiane DE CRAECKER-DUSSART
1. Cf. F. LOSEK, Notitia Arnonis und Breves Notitiae. Die Salzburger Güterverzeichnisse aus
der Zeit um 800 : Sprachlich-historische Einleitung, Text und Übersetzung, Mitteilungen der
Gesellschaft für Salzburger Landeskunde, t. 130, 1990, p. 5-192, à la p. 112 (K.P. ignore cette édition
de référence).
2. Die Hofkapelle der deutschen Könige, t. 1, Stuttgart, 1959, p. 183 n. 128.
COMPTES RENDUS 597
politique bien défini, K.K. suggère une nouvelle appellation, plus précise, plus
adéquate pour qualifier ce genre : elle propose de le nommer désormais « poésie de
l’événement historico-politique » (p. 5), mettant ainsi fin à une longue et dense
discussion autour de la définition du concept.
L’ouvrage est composé de six parties, organisées comme suit : 1) Introduction, 2)
Historique du genre, 3) Présentation et analyse de huit poèmes événementiels ayant
trait à la guerre des margraves (1449-53), 4) Approche historique de la fonction du
genre, 5) Profil esthétique de la poésie de l’événement historico-politique, 6) Étude de
la réception du genre.
Dans sa première partie (p. 7-34), K.K. déplore le manque d’intérêt de la critique
pour le sujet mais présente, sur plus d’une vingtaine de pages tout de même, un bilan
chronologique détaillé et complet de l’ensemble des recherches réalisées sur la
question, discutant ou précisant nombre de travaux antérieurs.
Dans sa deuxième partie (p. 35-104), l’A. réfléchit à une définition précise de la
poésie de l’événement, ainsi qu’à la méthode et à la terminologie à employer pour
analyser les textes de son corpus ; elle fait le point sur la matière qui se trouve à sa
disposition et situe le genre par rapport à d’autres, relevant ressemblances et
différences. La poésie de l’événement est abordée ici en tant que concept et en tant que
forme poétique littéraire et historique.
La troisième partie (p. 105-216) retrace le contexte historico-politique troublé des
années 1449 à 1453, période durant laquelle les princes et les villes de l’Empire se
livrent bataille pour des raisons principalement politiques et juridiques. L’A.
présente les huit textes de son corpus dans leur langue originale du XVe siècle avec
leur traduction moderne en synoptique, ainsi que l’ensemble de leur tradition
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cette partie met-elle également en évidence la part de fiction présente dans les récits
historiques.
La sixième partie (p. 333-364) offre un aperçu précis du public auquel a pu
s’adresser le genre : la poésie de l’événement n’est pas destinée qu’à quelques nobles,
comme cela a pu être le cas pour d’autres textes médiévaux, elle touche au contraire
un public plus large, citadin et très concerné par les événements qui se déroulent dans
la ville.
On appréciera tout particulièrement la présence de trois index fournis (des textes,
des noms et des lieux) et d’une bibliographie fort dense. Compte tenu de la
pluridisciplinarité du sujet traité, il est cependant regrettable que cette bibliographie
ne soit pas davantage subdivisée ce qui aurait pu en faciliter la consultation.
Écrit dans une langue claire et pourtant élaborée, riche en nouveaux concepts,
l’ouvrage de K.K. intéressera autant l’historien que le littéraire.
Astrid GUILLAUME
Antonio Ivan PINI, Città, chiesa e culti civici in Bologna medievale, Bologne,
C.L.U.E.B. [Cooperativa Libraria Universitaria Editrice Bologna], 1999 ; 1 vol. in-
8°, 346 p., cartes, ill. (Bibliotheca di storia urbana medievale, 12). ISBN : 88-491-1368-
4. Prix : ITL 45 000, € 23,24.
Grand historien de la Bologne médiévale et explorateur infatigable de richesses
archivistiques prodigieuses et encore sous-exploitées, A.I. Pini est bien connu pour
ses travaux essentiels sur la vie communale, ses heurts politiques et l’articulation de
ses quadrillages multiples, sur le travail et les métiers, sur la démographie de la ville
et l’économie rurale du « contado ». Il n’a pas pour autant négligé un autre angle
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premières années du XIIe siècle et aussitôt modèle et moule pour les élites laïques, qui
collaborent avec lui pour achever de secouer la tutelle ravennate, pour soumettre et
unifier le « contado » ; celui de la ville en plein essor dont la conscience citadine aurait
été retardée, sinon dans son éclosion du moins dans son expression, par
l’internationalisme du studium ; celui enfin de l’envolée laïque de la seconde moitié
du XIIIe siècle, qui se trouve des motifs propres d’orgueil communal (aux dépens du
pauvre roi Enzo) sans abandonner la veine hagiographique, réorientée vers de
« purs » Bolonais, Procolo et surtout l’évêque Petronio, alternativement anti-
ravennate et anti-romain, et titulaire de l’extraordinaire basilique construite par la
commune à la fin du Moyen Âge. La complexité et la richesse du sujet est
magnifiquement saisie dans la dernière étude, qui interroge les dédicaces des
chapelles fondées dans ce sanctuaire : plutôt délaissées par les vraies familles
gouvernantes, qui ont d’autres ancrages et peut-être aussi auto-limitent ici comme
ailleurs les manifestations trop voyantes de leur puissance, les créations de chapelles
sont « abandonnées » ou aux lignages d’ancienne noblesse, disqualifiés
politiquement, ou aux manieurs d’argent assoiffés de reconnaissance sociale, ou aux
métiers les plus en vue, notaires et bouchers.
Autant de jalons rigoureusement posés à des enquêtes de grande ampleur sur
l’Église à Bologne et sur Santo Stefano, qu’annonce l’A. et que l’on attend avec
d’autant plus d’impatience.
Olivier GUYOTJEANNIN
Dyan ELLIOTT, Fallen bodies : pollution, sexuality & demonology in the Middle
Ages, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1998 ; 1 vol. in-8°, 300 p. (The
Middle Ages Series). ISBN : 0-8122-1665-2.
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littéraire, ne méritait pas qu’on s’y intéressât ! Fr. Suard, poussé tout au départ dans
la bonne direction par J. Frappier, bouscula les idées reçues. Il mit en évidence une
réelle originalité du romancier.
Le concepteur de la mise en prose (à supposer qu’il ait été unique) s’est fortement
préoccupé de créer une belle cohérence entre les épisodes, structurés en chapitres, de
contenus et de dimensions d’ailleurs variés. S’il écarte la technique de
l’entrelacement, il recourt volontiers au procédé de l’alternance et, même si
l’innovation est limitée par la fidélité aux chansons en vers, la distinction est sensible
entre le personnage épique et le personnage romanesque. La phrase s’étire parfois en
circonlocutions, abuse quelque peu de la subordination, trahit une nette prédilection
pour les termes abstraits ; le ton sentencieux, moralisant, caractérise parfois le style
des interventions ou des discours de personnages. Sans doute peut-on considérer que
les affrontements de la guerre de Cent Ans ont influencé la technique de description
des combats dans le roman : ils se signalent par une plus grande organisation, tandis
que la démesure est supplantée par la ruse. Pour ce qui est des relations humaines, le
roman laisse à l’amour une place beaucoup plus importante que celle qui lui était
réservée dans les chansons en vers, le héros amoureux conservant, toutefois, recul et
lucidité. Un certain raffinement des mœurs a gagné la société, mais aussi la littérature
qui en émane.
L’analyse littéraire existait, mais il manquait toujours une édition solide, fiable,
fidèle à la tradition manuscrite, car on sait que Fr. Suard avait conduit son entreprise
à terme, en utilisant les seules éditions partielles qui existaient (et qui sont rappelées
par M. Tyssens et ses collaborateurs), celles d’E. Langlois, C. Wahlund et H. von
Feilitzen, G. Schläger, A.L. Terracher, H. Suchier, J. Weiske, W. Scherping,
H. Theuring, C. Weber, Fr. Reuter, W. Castedello. Aucune n’était vraiment
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corrigé par la version de B, si elle n’est pas elle-même fautive, sinon une correction
raisonnable est proposée, avec le rejet, en note de bas de page, du texte des deux
manuscrits. Par ailleurs, seules les variantes lexicales ou morphologiques de B sont
retenues. L’organisation du texte est sans surprise : maintien de la numérotation des
chapitres utilisée par les prédécesseurs et, dans un souci de clarté accrue, ajout d’une
numérotation des paragraphes. Les É. ont, dans l’ensemble, peu tenu compte de la
ponctuation des copistes, qui ne correspond pas à nos habitudes ; en revanche, ils ont
cherché à respecter le rythme des phrases et le mouvement de la prose, pas forcément
animé par le souffle épique. Ils abordent franchement leurs scrupules et commentent
les décisions qu’ils ont été amenés à prendre pour résoudre certaines abréviations ou
pour trancher entre deux possibilités : couvient ou convient ? Le maintien de la graphie
ct dans octire (pour occire) et octupoient (pour occupoient) surprend davantage. Les
remarques sur les « faits morphologiques » sont rapides, ponctuelles. Elles
confirment des traits de langue attendus et caractéristiques de la fin du Moyen Âge.
En fait, pour ce qui est de la répartition des constituants de l’apparat critique, nous
regrettons que ce premier tome ne contienne ni l’introduction grammaticale (étude
de la langue de A) ni le glossaire (dont l’insertion est prévue dans le tome 2), car le
lecteur aurait à sa disposition de précieuses indications pour juger l’ensemble de
l’édition.
Le Roman de Guillaume d’Orange correspond à treize chansons du Cycle de
Guillaume (environ soixante mille vers). Ce premier tome contient les mises en prose
d’Aymery de Narbonne (p. 1-68, chap. I-VI), des Narbonnais (p. 69-183, chap. VII-XVII),
des Enfances Guillaume (p. 185-316, chap. XVIII-XXVIII), du Couronnement de Louis (p.
317-354, chap. XXIX-XXXII), du Charroi de Nîmes (p. 355-362, chap. XXXIII), de la Prise
d’Orange (p. 363-412, chap. XXXIV-XXXVIII) et du Siège de Barbastre (p. 413-587, chap.
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1. À cet égard, nous avons particulièrement scruté les chapitres XXXIX-LVII du Roman de
Guillaume d’Orange, en vue de la rédaction d’un article intitulé Le Siège de Barbastre dans le
Guillaume d’Orange en prose : l’originalité dans l’écart, paru à Montpellier, en 1995, dans le
volume Conformités et déviances au Moyen Âge.
606 COMPTES RENDUS
avant le Moyen Âge central (en réalité les hexamètres à rime interne sont partout !) ;
il n’y avait pas de théâtre à cette époque (ce qui est vrai, mais Hrotsvita écrit davantage
des dialogues hagiographiques dramatiques que du théâtre, le titre de Drames ayant
été imposé par Celtis) ; les légendes hagiographiques développées par Hrotsvita
seraient étrangères à l’univers monastique du haut Moyen Âge (elles sont presque
toutes répandues en Occident entre le IVe et le IXe siècles, ainsi qu’en attestent les
versions publiées par les Bollandistes dans les Acta Sanctorum, versions dont
Hrotsvita s’inspire souvent littéralement).
À ces objections A.T. rétorquera sûrement qu’il convient de redater tous ces textes :
sa technique favorite est en effet de reculer après le Xe siècle toutes les sources
identifiées dans l’œuvre de Hrotsvita : ainsi Bède, selon lui, n’a pas pu écrire autour
de 700, puisqu’il est le premier à utiliser la datation à partir de l’Incarnation du Christ,
laquelle, selon A.T., ne serait pas antérieure à l’an Mil ; il n’est pas gêné par le fait que
Bède affirme avoir emprunté le comput de l’Incarnation à Denys le Petit (VIe s.), ou,
bien plus vraisemblablement, il l’ignore. Mais sans doute faudrait-il aussi redater
Denys le Petit, tout comme Hugebuc et comme Dhuoda, précurseurs et sœurs en
écriture de Hrotsvita, dont les œuvres coïncideraient mal avec la représentation
qu’on se fait des époques où elles ont vécu, lesquelles ont été datées avec une précision
suspecte ! Les maîtres mots d’A.T. sont en effet les termes « suspicion » et « complot »,
ce qui n’a rien d’étonnant chez un révisionniste. Puisqu’il y a eu un « complot-
Shakespeare », dit-il, pourquoi pas un « complot-Hrotsvita » : Hrotsvita n’est
d’ailleurs que la face cachée de l’iceberg, et il convient de réécrire toute l’histoire
littéraire médiévale ! Le Moyen Âge est un monde de faussaires : il faut revoir à la
hausse le nombre des faux diplomatiques, et les humanistes, en quête d’argent et de
scoops d’inspiration nationaliste auraient, d’après lui, fabriqué quantité de faux
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1. D. BARTHÉLEMY, La mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France
des Xe et XIe siècles, Paris, 1997. Un compte rendu de ce livre paraîtra ici même.
610 COMPTES RENDUS
les dossiers de la paix de Dieu à une critique « décapante » et porte un regard neuf sur
la « France » de l’an mil. Il reconnaît que l’époque est brutale, mais de là à croire que
l’Église reprend le flambeau de la civilisation au milieu de la barbarie et prépare la
voie au redressement royal, il y a de la marge. Les guerres privées et les prélèvements
seigneuriaux n’ont en rien entravé la dynamique de croissance rurale et urbaine qui
se dessine depuis le VIIe siècle, assure la multiplication des paroisses au sein des
diocèses et supporte l’élan monastique, clunisien ou non.
D’autre part, dans la société des Xe et XIe siècles imprégnée de culture juridique et
de morale chrétienne, la guerre privée est une institution avec ses règles. Les querelles
d’honneur sont traditionnellement apaisées par des pactes dans lesquels l’Église joue
un rôle. La paix de Dieu n’est pas une nouveauté radicale et encore moins un
mouvement populaire ou subversif. Elle n’entend ni renverser l’ordre seigneurial, ni
changer le monde. Elle est une manière parmi d’autres pour l’Église de participer au
règlement des conflits et de défendre ses propriétés. Il n’y a toutefois pas lieu de
minimiser la portée des institutions de paix. Elles contribuent à soutenir la montée en
puissance des évêques qui étendent ou veulent étendre leur juridiction sur la
chevalerie, le clergé et le commun des fidèles dans leur diocèse.
Le livre de D.B. est important à plus d’un titre. Il reconsidère cas par cas les réalités
régionales avec lesquelles les paix de Dieu sont en prise ; il met en lumière l’écheveau
de tensions et d’intrigues dans lequel chacune a sa place ; il rend sensibles la
complexité et les équilibres de la société féodale, que les lectures romantiques de l’an
mil ne permettaient pas de saisir.
Willy STEURS
1. Les chemins de Dieu. Histoire des pèlerinages chrétiens des origines à nos jours, Paris, 1982.
Contrairement à ce qu’affirme B.S. Albert, H. Branthomme et J. Chélini ne sont pas les auteurs
de cet ouvrage mais ont simplement rassemblé une équipe de collaborateurs. Toutefois, le
chapitre sur le pèlerinage dans le haut Moyen Âge occidental a été rédigé par J. Chélini qui
reprend là, avec quelques additions, un chapitre de sa thèse, L’aube du Moyen Âge, Paris, 1991.
COMPTES RENDUS 611
1. H. PLATELLE, La violence et ses remèdes en Flandre au XIe siècle, Sacris erudiri, t. 20, 1971,
p. 101-173. Malgré le titre, on y trouve de nombreuses références à la période carolingienne.
2. Cf. Ein bayerisches Mirakelbuch aus der Karolingerzeit. Die Monheimer Walpurgis-Wunder des
Priesters Wolfhard, Quellen zur Geschichte der Diözese Eichstätt, éd. A. BAUCH, t. 2, Ratisbonne, 1979.
612 COMPTES RENDUS
très large cercle de chercheurs. Car il ne faut pas se laisser tromper par le titre : si l’axe
central est bien celui de la linguistique de l’ancien occitan, quantité de références
touchent à des champs d’investigation bien plus vastes, et l’ouvrage ne devrait
évidemment pas manquer d’intéresser les spécialistes de l’occitan moderne et des
langues romanes en général, les historiens de la lexicologie etc. Quant aux littéraires,
ils consulteront avec grand profit les p. 167-231 (Éditions de textes ; Commentaires et
critiques de textes). C’est dire si cette Bibliographie trouvera sa place dans bien des
bibliothèques.
Les recherches dans le domaine de l’occitan sont en pleine expansion : de 804
entrées dans le répertoire consacré aux années 1960-1982, on est passé à 2 137
références pour la période 1983-1997, auxquelles s’ajoutent encore plus de 900
comptes rendus. Cette belle vitalité a de quoi réjouir, mais il importe plus que jamais
de pouvoir rester correctement informé des publications qui paraissent. Responsable
du supplément bibliographique pour les revues américaines Tenso et Comparative
Romance Linguistics Newsletter, K.K. prend chaque année la mesure de ce phénomène
de croissance. Il reste donc à souhaiter que son enthousiasme à la tâche restera intact
pour longtemps encore, car au rythme où s’accumulent les matériaux, les outils
rétrospectifs comme celui-ci sont indispensables pour faciliter l’accès aux ressources
et guider le chercheur dans la masse documentaire. Espérons donc que ce deuxième
volume recevra une suite dans les prochaines années, et nul n’est sans doute mieux
armé que K.K. pour en assumer la charge.
Nadine HENRARD
Sur cette base, M.B. souhaite comprendre un autre événement de la même année.
Charlemagne décide d’imposer à ses sujets la prestation d’un serment de fidélité.
Comme date de ce serment, l’on a proposé 789 et l’an 793. La conspiration ourdie par
Hardrade (785) était peut-être à l’origine de cette mesure, mais le procès contre les
conspirateurs traîna jusqu’au synode de Francfort, en 794. D’un autre côté, en 792, la
conjuration de Pepin le Bossu et de ses partisans a été découverte, raison pour laquelle
Fr.L. Ganshof fixe la date de la prestation du serment de fidélité à l’année 793. M.B.
opte pour l’an 789 et considère la conspiration ourdie par Hardrade comme à l’origine
de cette mesure considère ; il pense que ce serment s’inscrit bien dans la tradition de
rois mérovingiens, dont nous ne connaissons les textes des sermons prêtés que par
des sources narratives, car ils étaient tombés en désuétude.
Après le couronnement impérial de 800, Charlemagne décida en 802 que tous ses
sujets devaient lui jurer fidélité en tant qu’empereur ; à cette occasion la notion de
fidélité s’élargit sensiblement et la formule du serment change. Elle supposait de ceux
qui prêtaient le serment, un dévouement voisin de celui des vassaux et qui s’accordait
mieux avec la conception nouvelle, plus exigeante, de la fidélité. Cette fois, la fidélité
impliquait d’autres éléments : servir Dieu, respecter et ne pas soustraire à l’empereur
ses terres et ses serfs, s’abstenir de porter atteinte aux églises et aux veuves, orphelins
et pèlerins, obéir au ban impérial et payer les redevances et cens dus… Avec les
modalités d’application conférées aux missi, Charlemagne chercha à réaliser sa
nouvelle conception de son propre rôle dans la société.
Les résultats obtenus par M.B. méritent une sérieuse discussion.
Ludwig FALKENSTEIN
Chris WICKHAM, Land and power. Studies in Italian and European social history,
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long des onze articles réunis dans ce livre. Il exploite les travaux des anthropologues,
des archéologues et des économistes pour montrer que les systèmes de valeurs de
l’aristocratie, même là où ils exaltent la consommation de viande et la possession du
bétail, cèdent forcément le pas aux contraintes économiques, la survie d’une véritable
économie pastorale n’étant possible qu’en conjonction avec une agriculture et un
commerce très développés, les Européens du premier millénaire chrétien, grands
mangeurs de porc, n’en devaient pas moins être, foncièrement, des paysans,
cultivateurs et consommateurs de grains.
Où donc se faisait la culture des blés, pour nourrir cette paysannerie nombreuse,
dans une Europe où la forêt avait gagné tant d’espace ? À cette question l’A. en oppose
une autre, bien embarrassante : les nombreux mots latins qu’on trouve dans les
sources pour désigner la forêt indiquent-ils nécessairement des espaces boisés, ou
plutôt des aires en possession du fisc, où le bois, toujours présent, côtoyait peut-être
l’essart et la pâture ? Et de montrer, avec force exemples, que ces forêts publiques
étaient souvent exploitées par des ayants droit, qui y vivaient, labouraient la terre et
remettaient parfois des redevances en blé ; ce qui nous ramène d’ailleurs à nous
interroger, à la suite d’A. Gourévitch, sur les différents concepts de propriété qui ont
pu exister, en dehors du droit romain, dans l’Europe de cette époque. La
transformation de l’espace rural entre le Bas Empire et haut Moyen Âge a donc été
surestimée, à ce que croit Chr. Wickham ; ce n’est pas tant par la déchéance des
conditions matérielles, mais par la transformation des relations humaines que
l’Europe ancienne a changé de visage.
On voit que les outils de la pensée marxiste sont maniés avec subtilité. L’A. affirme
clairement que plusieurs modes de production peuvent coexister et en fait coexistent
généralement, dans une même société, tout en distinguant chaque fois le mode
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ages » demeurent bien obscurs à nos yeux. Après avoir lu ses articles, on se dit que,
cependant, il vaut la peine d’éprouver son intelligence à les éclairer autant que
possible.
Alessandro BARBERO
des manuscrits (avec stemmas), examinent les sources locales et établissent des
parallèles avec d’autres sagas et montrent qu’une des caractéristiques de
Morkinskinna est de comporter un grand nombre de dits (thaettir) semi-indépendants,
– et procurent une analyse du texte. Ils se penchent ensuite sur le corpus poétique du
texte (qui comporte 156 strophes éparses) et sur les problèmes d’interpolation, puis
sur les sources orales, le lieu et la date de composition, et cherchent enfin à établir le
profil de l’auteur.
Les notes textuelles informent sur les divergences des diverses rédactions et les
parallèles avec d’autres textes, notamment le Flateyarbok, et commentent certains
passages, apportant des précisions historiques sur les personnages. Un premier
appendice fournit la concordance entre Morkinskinna et la Heimskringla de Snorri
Sturluson, et un second une analyse du compendium latin de Hakon Ivarsson. Sept
cartes des lieux de l’action, une bibliographie et deux index (un pour l’introduction
et les notes, un autre pour le texte) accompagnent l’ouvrage.
Th.M.A. et K.E.G. ont fait un travail particulièrement soigné, mettant à la
disposition des historiens un beau morceau d’historiographie norroise, bien explicité
par le commentaire. On ajoutera à la bibliographie quelques ouvrages en français qui
aideront les chercheurs à mieux apprécier Morkinskinna1.
Claude LECOUTEUX
1. Sagas islandaises, trad. R. BOYER, Paris, 1987 et Le livre de la colonisation de l’Islande, trad.
R. BOYER, Turnhout, 2000.
624 COMPTES RENDUS
interne, d’autre part l’apparat critique qui, d’habitude, accompagne les textes édités
mais en est ici séparé. Le cartulaire renferme 104 pièces et un total de 135 documents :
5 du IXe siècle, 4 du Xe, 5 du XIe, 22 du XIIe, 23 du XIIIe et 76 du XIVe. Le plus ancien
est du 20 avril 857, le plus récent du 31 mai 1384. Tous concernent le temporel de la
cathédrale d’Oviedo. D’une grande variété, ils ont été ordonnés selon un critère
géographique. Quant à l’apparat critique, E.E.R.D. a pris les documents dans l’ordre
où ils figurent dans la Regla. Chacun fait l’objet d’une présentation conforme aux
normes de la Commission Internationale de Diplomatique : date, brève analyse du
contenu, mention de l’original (s’il existe) et des copies, éditions, photographies et
fac-similés s’il y a lieu, études dont il a fait l’objet. À quelques exceptions près, le
copiste de la Regla a utilisé un autre manuscrit, également commandé par l’évêque
Gutierre, le Libro de los Privilegios, comme modèle. Il en a reproduit les fautes de lecture
dont E.E.R.D. donne la typologie.
En ce qui concerne l’édition du texte, la disposition et la structure du cartulaire ont
été fidèlement respectées. Elle est suivie de trois index : des documents rangés dans
leur ordre chronologique, des noms de personnes et des noms de lieux.
Jean GAUTIER DALCHÉ
Graeme J. WHITE, Restoration and reform, 1153-1165 : recovery from civil war in
England, Cambridge, Cambridge U.P., 2000 ; 1 vol. in-8°, XVII-248 p. (Cambridge
studies in medieval life and thought, fourth series, 46). ISBN : 0-521-55459-4. Prix :
GBP 40 ; USD 64,95.
La période qui correspond, en Angleterre, à la fin du règne d’Étienne et au début
de celui d’Henri II Plantagenet, de l’accord de paix de Winchester de 1153 aux
premières réformes administratives du milieu de la décennie 1160, vit la
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soulignant le fait que l’autorité royale en elle-même ne fut jamais contestée, chacun
cherchant à la maintenir dans une région donnée, mais à son profit. La fin du règne
d’Étienne fait aussi l’objet d’une réhabilitation importante. L’accord de paix
de novembre 1153 prévoyait la pacification du royaume, et plus spécifiquement la
déposition des armes, la destruction des châteaux adultérins, le retour des héritages
usurpés à leurs détenteurs légaux, et la restauration générale de la justice en accord
avec les précédents du règne de Henri Ier : dans les derniers mois de sa vie, Étienne
mena à bien une partie de ce programme, préparant le terrain pour l’œuvre du
gouvernement d’Henri II. Ce dernier cependant, bénéficiant d’une autorité plus
grande, parvint non seulement, à partir de son accession en 1154, à restaurer
complètement l’autorité royale, mais également à mettre en place, dès son retour en
Angleterre en janvier 1163 après une absence de plus de quatre ans, un certain
nombre de réformes décisives dans l’administration du royaume.
G.J.W. replace l’action du roi angevin dans le cadre de l’itinéraire royal, et montre
dans quelle mesure certains actes furent promulgués, des deux côtés de la Manche,
sous une forme assez proche. Henri II respecta les droits à l’héritage des vassaux, en
matière de tenure mais aussi d’office, au moins pour ceux qui pouvaient démontrer
l’existence de tels droits pour la période antérieure au coup de 1135. Les offices
héréditaires pouvaient être locaux, mais il est intéressant de constater que la
nomination aux offices de l’Hôtel royal suivait la même logique : cette question est
traitée ici avec une grande clarté et contribue à notre compréhension du
fonctionnement de l’Hôtel au XIIe siècle. Cherchant à restaurer le domaine royal dans
l’étendue qu’il avait sous son grand-père, Henri II, aidé d’administrateurs qui
avaient, pour une partie d’entre eux, acquis une expérience du gouvernement sous
son prédécesseur, œuvra également à la reconstruction des finances royales. Tout un
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justice. L’accession au trône d’Henri II ne marqua pas une rupture, dans la mesure où
le roi angevin se plaçait fermement dans la lignée des rois anglo-normands, et où il
n’eut sans doute pas, préoccupé par d’autres tâches et souvent absent du royaume
entre 1154 et 1163, la volonté d’étendre la juridiction de ses propres cours, cherchant
plutôt à améliorer le fonctionnement des cours seigneuriales ou ecclésiastiques. Mais
dès 1163, Henri II œuvra de façon à rendre sa justice plus attrayante et plus accessible,
développant certaines procédures qui allaient mener à l’introduction de writs de novel
disseisin en 1166. Cette étude souligne nettement le tournant que constitue l’année
1163 dans les domaines de l’administration financière et de la justice, et apporte un
éclairage nouveau sur les étapes préliminaires aux grandes réformes angevines, tout
en nuançant le contraste avec la période d’« anarchie » du règne d’Étienne.
Frédérique LACHAUD
particulier qui est, avec Séville, Niebla, Palos de Moguer, le point de départ vers les
exploitations maritimes, et avec l’ensemble de la « Frontière », la zone des contacts et
des affrontements avec les terres de l’islam.
Le premier article (les généralités sur la noblesse) et les deux derniers, sur la
perception de l’islam et le concept du héros, annoncent les développements réunis
dans le second livre, l’édition de la Real Academia de Historia. Son ton est en effet très
différent, car il s’agit de la publication de conférences et de réflexions synthétiques de
l’A. : Espagne, royaumes et seigneuries médiévales ; projet politique et groupes
sociaux dans l’Espagne du temps des Découvertes ; le passé historique et fabuleux de
l’Espagne dans les traités nobiliaires castillans au début du XVIe siècle ; la
« décadence » espagnole, argument historiographique ; Ramon Menendez Pidal,
philologie, littérature et histoire ; est-ce que l’Espagne est toujours une énigme
historique ?
L’Espagne fut une construction politique au Moyen Âge, sur ses propres terres et
ses trois religions monothéistes, tout en étant frontière de l’Europe. Les Rois
Catholiques ont mené à terme cette reconquête, en donnant à leurs peuples une
nouvelle idée de nation. À la veille des Découvertes, l’Espagne avait ses valeurs issues
de l’époque médiévale, son Église et son aristocratie, toutes valeurs qui perdurent
dans l’idée de noblesse au XVIe siècle. Au XXe siècle, l’historiographie occidentale
s’est interrogée sur l’idée de « décadence » (dès le XVIIe siècle en Espagne ?).
Menendez Pidal, puis Castro et Sanchez Albornoz ont donné au monde leurs vues
personnelles sur les rapports et les affrontements entre chrétiens, juifs et musulmans
en Espagne. Questions qui ne trouveront sans doute jamais de réponse définitive.
Les bibliothèques, les vêtements, les esclaves, les terres, les millions de maravedis,
des grands seigneurs andalous ; la colonisation des Canaries après celle de l’Algarve ;
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B.L. souligne le sens critique de l’homme de lettres qui l’amène à dénoncer les
ascendances douteuses, la conversion récente au christianisme de tel ou tel lignage
(préoccupation qui devient croissante dans la société de ce temps). Remarquons que
les qualités inhérentes au « sang noble » n’échappent guère au poncif, alors que
Guzmán excelle dans le portrait, la description physique, les traits de caractère et qu’il
manie l’ironie avec beaucoup d’art, surtout pour dénoncer le manque de courage. Il
sait dire l’essentiel en peu de mots et s’exprime d’une manière vivante qui fait la joie
de ses lecteurs. La troisième partie est consacrée à « un historien témoin de son
temps ». B.L. insiste sur la fidélité avec laquelle Guzmán relate ce qu’il a vécu. On note
malgré tout des oublis, probablement volontaires, en particulier dans le portrait de
Fernando de Antequera, futur roi Fernando Ier d’Aragon, dont il omet de dire qu’il a
acheté le trône d’Aragon. Malgré quelques infidélités à la vérité, il nous offre
cependant un exceptionnel tableau des grandes familles de Castille de l’époque.
Enfin, la dernière partie est consacrée au « penseur politique ». L’histoire est
formatrice, les rois se doivent donc de la connaître. Régner est un métier qui requiert
du roi de savoir bien s’entourer, d’agir avec honneur et de garder ses distances.
L’historien est un « spectateur engagé », le « serviteur d’une nation ». Ces réflexions
ne sont guère originales à l’époque.
Dans ces portraits, Guzmán ne met pas toujours en pratique ce qu’il préconise et
ses portraits sont surtout précieux par leur psychologie et leur finesse. Remercions
B.L. de les avoir rendus accessibles au public français, mais pas les Presses de
l’Université de Limoges pour leur méconnaissance presque totale de l’accentuation
en espagnol !
Marie-Claude GERBET
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témoins partiels toutefois recopient souvent très librement les fables de l’opusculum :
ainsi, si G est très proche de B, V présente une version plus courte, dans laquelle le
vocabulaire rare est volontiers remplacé par des mots plus communs ; M donne lui
aussi une version beaucoup plus ramassée que celle de B et apparentée à l’univers
linguistique germanique, tout comme les remaniements très proches l’un de l’autre
de R et S. Quant à Conrad, il s’est manifestement appuyé sur un meilleur texte que B,
qui était encore en grande partie vierge des nombreuses inflexions chrétiennes
présentes dans le manuscrit de Berlin.
Devant une tradition de ce genre, il eût été évidemment illusoire de vouloir
« reconstituer » un texte « originel », si bien que les É. ont choisi, ce dont il faut les
féliciter, de rendre compte de toutes les versions et remaniements que l’on connaît de
l’O.F. B étant le seul témoin complet, l’édition repose d’abord sur lui : l’œuvre est donc
ici divisée en trois livres, comme dans le manuscrit, et les pièces se suivent selon
l’ordre adopté par B. Pour chaque fable transmise par un autre témoin, sont éditées,
à la suite de la version B, les autres versions (G, M, R, S, V), sauf lorsque celles-ci sont
à un ou deux mots près semblables à celle de B (dans ce cas, les É. éditent par exemple
la version B G, comme ils le font souvent pour R S). Cette édition de l’œuvre
proprement dite (p. 57-156) est suivie par l’édition critique d’après 6 manuscrits des
123 fables du Tripartitus moralium de Conrad de Halberstadt, qui n’a jamais été édité,
présentées ici selon l’ordre de B (p. 157-212) : sans ce complément, il aurait donc été
impossible pour les chercheurs de confronter cette version avec les autres et il aurait
de toute façon été plus difficile pour les lecteurs d’apprécier le texte critique que les
éditeurs donnent de B dans la mesure où ses erreurs et ses lacunes sont parfois (un
recours systématique à Conrad aurait évidemment créé un effet de contamination)
corrigées et comblées à la lumière du texte de Conrad. Cet ensemble soigné et
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S.D. CHURCH, The household knights of King John, Cambrigde, Cambridge U.P.,
1999 ; 1 vol. in-8°, XIX-177 p. ISBN : 0-521-55319-9. Prix : GBP 35.
Issu de la dissertation doctorale de l’A., cet ouvrage explore un sujet surprenant.
On découvre que les chevaliers attachés à la « maison » (« household ») du roi Jean
sans Terre (1199-1216), soit une centaine d’hommes triés sur le volet que les sources
désignent la plupart du temps comme les milites de familia (ou hospitio) regis, sont sortis
du cadre de leur mission guerrière pour jouer un rôle fondamental dans le
gouvernement du royaume anglo-normand à un moment clé de son histoire.
L’existence de ce corps d’élite avait déjà été reconnue par les historiens à travers les
XIIe et XIIIe siècles, mais personne ne l’avait imaginé aussi cohérent et aussi
polyvalent que ne le dépeint ici S.C. C’est essentiellement sur base d’un
dépouillement minutieux des « rolls » de l’administration royale que l’A. a pu
identifier un grand nombre de ces milites et reconstituer les étapes de leur carrière. La
présentation de ses résultats est un compromis entre la démarche prosopographique
et les nécessités de la synthèse : cinq grands chapitres thématiques constituent le
corps de l’ouvrage, qui se referme sur l’évocation de parcours individuels illustrant
les principales filières qui s’offraient aux chevaliers du roi.
Ce sont tout d’abord les modalités du recrutement qui sont examinées : selon quels
critères, dans quels milieux Jean sans Terre a-t-il choisi ceux qui devaient être ses
hommes de confiance ? Initialement, s’il a repris à son service une partie des
chevaliers de son prédécesseur, il a surtout gardé auprès de lui des gens qu’il
connaissait auparavant et dont la loyauté lui était acquise. Durant le règne, les
recommandations personnelles émanant des proches du roi, qu’il s’agisse de barons
ou de chevaliers déjà sous ses ordres, ont été pour les nouveaux venus le principal
moyen d’approcher le cercle royal. Liens de parenté, de dépendance ou de voisinage
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les plus huppés et les plus influents d’entre eux qui cumulaient les charges de
gouvernement.
Le problème du mode de rétribution des milites de familia regis est un point sur
lequel S.C. innove singulièrement. Il s’inscrit radicalement en faux contre la thèse –
défendue notamment par J.O. Prestwich – suivant laquelle les chevaliers royaux
auraient perçu des émoluments réguliers dès l’époque d’Henri Ier. Les fiefs-rentes
(feoda) et les gages (liberaciones) n’étaient pas inconnus au début du XIIIe siècle, mais
seule une minorité d’hommes en a bénéficié, et ce dans des circonstances
particulières : il s’agissait plutôt d’expédients destinés à retenir provisoirement des
combattants étrangers ou à dédommager des fidèles en attente d’un fief. L’argent
intervenait somme toute fort peu, si ce n’est sous forme de rémunérations immédiates
en début de mission. C’est en réalité de manière indirecte, à travers les manifestations
de son patronage, que le roi récompensait ses serviteurs. Il leur cédait en mariage des
héritières ou des veuves richement possessionnées, leur confiait la tutelle –
généralement très lucrative – d’héritiers mineurs, les dotait sur le domaine royal, leur
donnait la garde de terres confisquées, leur conférait des offices aussi prestigieux que
profitables. Les milites se trouvaient donc étroitement associés aux droits de la
Couronne. La fréquentation de la cour les introduisait de surcroît dans l’univers des
barons, eux-mêmes susceptibles de les engager à leur service. Comblés d’honneurs
et de biens, plusieurs chevaliers ont été propulsés au premier rang de l’élite
aristocratique. Cette politique de munificence ponctuelle n’était pas, selon l’A., la
conséquence des difficultés financières de Jean. Elle visait à entretenir la loyauté de
ceux qui espéraient en bénéficier.
Mais il suffisait que cet espoir de récompense s’évanouisse pour que le système
s’effondre. C’est ce que met en évidence l’analyse du comportement adopté par les
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protections, tandis que d’autres restent actifs au service de la cause royale tout en ne
faisant plus partie du groupe. Par contre, à une exception près, ceux qui ont rejoint les
rebelles durant la guerre civile ne retrouvent pas leur statut antérieur : étant donné
leur relation privilégiée avec le roi, la trahison était de leur part inacceptable.
L’ouvrage se termine sur la présentation de sept carrières individuelles,
caractérisant divers types de parcours effectués par les chevaliers de Jean. Ce sont
celles d’hommes aux origines sociales très contrastées, qui servent le roi plus ou
moins longuement, avec des fortunes diverses. On voit encore que les plus favorisés
sont ceux qui ont pu exercer des fonctions non militaires, et que le roi préférait placer
à ces fonctions des gens qui ne possédaient rien avant d’entrer à son service.
Rigoureux et toujours étayé par des exemples concrets, le livre de S.C. est tout à fait
convaincant. L’A. a su tirer le meilleur parti des « rolls » dont les sèches mentions
composent le plus clair de sa documentation, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher
d’avoir, ici et là, forcé ses déductions quand les sources étaient équivoques ou
défaillantes. On regrettera par contre qu’il n’ait pas conçu un répertoire
prosopographique reprenant les données essentielles sur chacun des milites dont il a
reconstitué la carrière. Une telle annexe eût été fort utile pour les chercheurs
susceptibles de rencontrer l’un de ces individus polyvalents au cours de leurs
travaux. Elle aurait aussi incité S.C. à définir plus explicitement les critères dont il s’est
servi pour distinguer les chevaliers attachés à la familia regis de ceux qui interviennent
dans l’entourage de Jean sans Terre à d’autres titres. De même, quelques cartes et
tableaux eussent parfois été souhaitables pour l’intelligence du propos. Mais ces
petites absences n’enlèvent rien à la valeur d’un ouvrage qui fera date dans les
recherches sur l’administration royale d’Angleterre.
Jean-François NIEUS
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les historiens à se tenir un peu en retrait. Ils auraient pu, sans trop de témérité, poser
quelques autres questions sans sortir pour autant du domaine de l’imaginaire.
Plusieurs de ces auteurs du XVe siècle croient au caractère réel de ce qu’ils rapportent.
Ce n’est pas élaboration de fantaisie ou manipulation d’inquisiteur pour déclencher
une répression. Un juriste n’accueille pas n’importe quelle rumeur. D’où viennent ces
convictions ? Certains la tirent d’une expérience ou de la pratique. Le procès
d’Aymonet Maugetaz est là pour le montrer. Si l’on admet un instant que ces auteurs,
abusés autant qu’on le voudra, sont sérieux et sincères, on est plongé dans
l’épouvante à la simple idée de la perception qu’ils peuvent avoir du monde.
L’imaginaire de la sorcellerie ne se réduit pas à un conte de fée, mais nourrit de
lourdes angoisses.
Le vol nocturne du sorcier passe de l’imaginaire au réel. La preuve est là. Ce n’est
certainement pas la seule mutation de cette nature à affecter l’univers mental
médiéval. Ce processus est important. Dans certains milieux savants une part du
symbolisme se dissipe au profit d’une conscience plus réaliste des phénomènes. Ce
qui reste d’irrationnel est alors interprété trop radicalement.
Nul n’en doute, sur la base de textes bien édités et bien commentés, il y a toujours
des brassées de réflexions nouvelles à cueillir.
Jacques PAUL
d’ailleurs de base à l’édition, le Paris fr. 1353, manuscrit dont les autres composantes
le complètent et l’éclairent : c’est l’ensemble du manuscrit qui mérite une étude et une
édition complète.
L’Introductoire s’y présente en effet, de même que les autres textes d’astrologie qui
le suivent, comme destiné à aider à la compréhension ou à commenter l’horoscope,
également en français, de l’empereur de Constantinople Baudouin II de Courtenay,
horoscope dont les deux parties encadrent ces textes d’astrologie en français : une
pièce de près de quatre cents vers au début du manuscrit, suivie du carré astrologique
de la naissance, et l’horoscope proprement dit à la fin. L’édition de cet ensemble aurait
été d’autant plus souhaitable que, dans la situation actuelle, la documentation sur ce
dossier est dispersée et très fragmentaire : si le volume sous recension nous offre
l’édition de la première partie de l’Introductoire (f° 7-24), la deuxième partie (f° 25-66)
n’est accessible que par les copieux extraits qu’en a publiés Duhem dans le t. 3 de son
livre, la pièce de vers (f° 3-4) et l’horoscope lui-même (f° 4 v° et 101-102) ont été
publiés en 1973 dans le numéro 3-4 de la revue Anagrom, et les autres textes
d’astrologie en français (f° 66-100) restent inédits et inexplorés.
Or tout cela forme un ensemble cohérent, dont l’intérêt n’est pas seulement
philologique : la naissance de Baudouin II ayant eu lieu en 1218, son carré
astrologique s’avère un des plus anciens carrés des souverains du Moyen Âge, et les
horoscopes, qui sont des commentaires motivés des carrés, sont quant à eux d’une
très grande rareté. Or il apparait que, avec les textes qui accompagnent l’horoscope,
on dispose là du dossier, entièrement en langue vulgaire, qui a, très évidemment, été
préparé à l’intention de l’empereur chassé de Constantinople pour lui permettre
d’organiser son action politique en tenant compte de l’influence que les astres étaient
censés exercer sur cette action : nous avons là le premier témoignage, et il est
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Comme les parties non éditées du dossier du manuscrit fr. 1353 recèlent
certainement, à la même date, des trésors philologiques aussi fructueux que la partie
éditée, il est raisonnable d’espérer que le même É. et la même collection leur
accorderont des soins semblables.
Emmanuel POULLE
Le Jeu théâtral, ses marges, ses frontières, Actes de la deuxième rencontre sur
l’ancien théâtre européen de 1997, éd. Jean-Pierre BORDIER, Paris, Champion, 1999 ;
1 vol. in-8°, 202 p. (Le savoir de Mantice, 6). ISBN : 2-7453-0155-1. Prix : FRF 290.
Le titre des actes de cette seconde rencontre sur le théâtre européen du Moyen Âge
et de la Renaissance est à la fois prometteur et inquiétant. Prometteur, car l’étude des
marges et des frontières de notre ancien théâtre ne peut que confirmer ce que l’on sait
déjà, à savoir qu’à la fin du Moyen Âge les manifestations théâtrales sont multiformes
et l’objet théâtral lui-même perméable à toutes sortes d’influences. Inquiétant, car
cette large plasticité théâtrale peut nuire à la cohérence que l’on est en droit d’attendre
d’un volume d’actes. Celui-ci tient ses promesses, mais confirme nos craintes
initiales. La mise en perspective liminaire de J.P. Bordier, pour brillante et habile
qu’elle soit, ne parvient pas, nous semble-t-il, à dissiper le sentiment que le volume
vaut plus pour quelques contributions individuelles de grand intérêt que pour son
unité. Nous donnerons donc simplement un aperçu de celles qui nous ont paru les
plus novatrices. La démarche de J. Koopmans est de celle-ci : à partir de quelques
pièces profanes, l’A. se demande si le théâtre de la fin du Moyen Âge que l’on présente
volontiers comme un théâtre qui tend à l’universel, notamment avec les moralités,
n’est pas en réalité un théâtre fermé sur lui-même, un théâtre qui se prend pour objet
avant même d’être reflet du monde extérieur. Manière donc d’aborder la question des
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jouée n’est pas si édifiante qu’on pourrait l’imaginer, Inversement, on peut aussi
étudier, comme le fait Ch. Mazouer pour Michel Menot, la manière dont le théâtre fait
irruption dans le sermon. Ces deux communications confirment la porosité des
frontières entre le théâtre religieux et l’art du sermon. Leurs objectifs et leurs moyens
sont souvent les mêmes ; tout est affaire de dosage entre le plaisir et la leçon. Ce
chevauchement des genres se pose évidemment pour la définition des limites entre
théâtre et liturgie. La question est connue, déjà largement débattue, mais quelques
contributions apportent des éclairages intéressants. Si l’on peut douter, comme en
témoignent les discussions qui ont suivi la communication de Th. Revol, que l’analyse
des costumes, liturgiques ou dramatiques, puisse fournir un critère vraiment
pertinent de distinction, le cas de Frère Guillebert et de quelques autres farces permet
à Br. Roy de montrer que ces pièces se greffent parfois entièrement sur un genre
liturgique. En fait cette communication dépasse largement ce problème, puisque
Br. Roy insiste avec raison sur la prudence qu’il nous faut avoir quand on s’efforce de
reconstituer le programme scénique à partir d’un imprimé : en matière de liturgie, les
auteurs de farce se contentent souvent indiquer les incipit latins, masquant ainsi toute
la réalité dramaturgique, probablement débridée, qu’ils en tiraient. Le texte de farce
tel que nous le possédons n’est pas un texte fini, mais la simple transcription, dont les
codes nous échappent partiellement, d’une réalité scénique complexe. G.A. Runnalls
soulève également ce problème des relations entre l’imprimé et la représentation,
mais dans le cas des mystères, et plus particulièrement du Mystère de l’Assomption de
la Vierge. Il voit dans la publication des mystères et des pièces théâtrales en général
une étape importante du théâtre européen, celle du moment « où le théâtre comme
spectacle cède le pas devant le théâtre comme genre littéraire ».
C’est donc bien à une tentative de définition du fait théâtral médiéval que se livrent
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Blütezeit. Festschrift für L. Peter Johnson zum 70. Gebrutstag, éd. Mark CHINCA,
Joachim HEINZLE, Christopher YOUNG, Tübingen, Niemeyer, 2000 ; 1 vol. in-8°, IX-
488 p. ISBN : 3-484-64018-9. Prix : DEM 196 ; CHF 174 ; ATS 1 431.
Ce volume de mélanges comporte trois sections : le lyrisme, l’épopée et la langue,
avec respectivement huit, dix-sept et une contributions. O. Sayce traite de la
comparaison de la femme dans la poésie allemande ; C. Young de vision constitutive
du discours chez Henri de Morungen ; E. Nellmann s’interroge sur « les sages »
évoqués dans un poème de Walter von der Vogelweide et réfute l’interprétation de
P. Wapnewski les comprenant comme « les sages d’Orient » ; J. Ashcroft analyse des
réflexions de Walter sur lui-même dans deux pièces poétiques (L 62,6 et 66,21) ;
C. Bertelsmeier-Kierst se penche sur la réception précoce des poésies de Walter ;
M. Chinca cerne la situation de L 69,1 sans cacher la part d’hypothèse de ses
réflexions ; avec humour H. Brunner se penche sur la façon dont les professeurs de
Würzburg ont traité Walter, et pour clore cette section, V. Mertens rend compte d’un
atelier de traduction de la poésie en moyen haut-allemand et donne de nombreux
exemple.
Dans la seconde section, D.H. Green propose une rectification de l’utilisation du
concept d’oralité fictive (« fingierte Mündlichkeit ») ; W. Haubrichs nous donne une
analyse très bien documentée et fort intéressante des noms composés sur Sigi- et en
rapport avec la légende des Nibelungen, J. Heinzle cherche quelle est l’importance de
la rédaction *C de la Chanson des Nibelungen ; A. Robertshaw étudie les dialogues
entre Hagen et Siegfried ; G. Vollmann-Profe réfléchit sur le personnage de Kudrun,
« une héroïne froide », et met au jour une tendance de l’œuvre à la rationalisation et
à la suppression des émotions ; A. Ebenbauer se penche sur la description littéraire
de la découverte de l’adultère, essentiellement à l’aide du corpus tristanien ; W. Haug
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La dernière section comporte l’étude de hin und he(h)r ? par C.J. Wells : une
contribution fort bienvenue de l’adaptation lexicale des deux termes aboutit à
montrer que hehr perd peu à peu toute connotation de prééminence sociale et « est
utilisé dans le discours politique pour des valeurs numineuses et sublimes ».
Il n’y a pas d’index et la bibliographie est à tirer des notes.
Claude LECOUTEUX
* * *
et parfois corrige les éminents travaux d’A. Henry1 et rappelle avec raison qu’au
Moyen Âge le vin d’Auxerre est un vin blanc. B. Guidot, au terme d’une étude fouillée
(p. 415-428), peut affirmer que, dans Raoul de Cambrai, « le démon est partout présent
et Raoul lui-même en est une incarnation brillante et désespérée. » Quant à P. Nobel,
revenant sur les travaux de S. Berger, J. Bonnard et P. Meyer, il est amené à conclure
que la Bible anglo-normande et la Bible d’Acre (p. 429-448) ont utilisé une même source,
anglo-normande, élaborée en Angleterre (au XIIe siècle) et diffusée en Terre sainte.
Enfin, prolongeant le beau travail de B.G. Keller2, M. Stanesco (p. 53-71) qui a raison
d’écrire que la redécouverte du Moyen Âge s’est faite contre la pensée des Lumières,
s’intéresse surtout à Sismondi et à son ouvrage De la littérature du Midi de l’Europe
(1813) où se décèle, entre autres, l’influence de Schlegel et de Herder, et où l’accent est
mis sur la double origine, arabe et nordique, de l’esprit chevaleresque, sur
l’originalité de la poésie provençale, modèle de toutes les autres, et sur l’idée que les
littératures romanes, hormis la littérature française moderne, sont romantiques parce
que chevaleresque : le Moyen Âge est la vraie « nature » de la civilisation européenne.
Jean DUFOURNET
La Normandie vers l’An Mil, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, 2000 ; 1 vol.
in-8°, 222 p.
La Société de l’Histoire de Normandie a choisi de célébrer à sa manière son entrée
dans le nouveau millénaire en se tournant vers le début du précédent. Or, les
commémorations ou les « Mélanges » sont bien souvent l’occasion de publications
d’articles disparates et de qualité fort inégale, ce que l’on regrette toujours. Il faut donc
dire tout de suite que cette commémoration normande de l’An Mil échappe à ce genre
de critique. Presque toutes les contributions se sont appuyées sur des sources inédites
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1. 3e éd. du Jeu de saint Nicolas, Bruxelles, 1981 ; Contribution à l’étude du langage œnologique
en langue d’oïl (XIIe-XVe siècle), 2 vol., Bruxelles, 1996.
2. The Middle Ages reconsidered. Attitudes in France from the eighteenth century through the
Romantic Movement, New York, 1994.
COMPTES RENDUS 647
Marc CARNIER, Parochies en bidplaatsen in het bisdom Terwaan vóór 1300. Een
repertorium van de parochies van de dekenijen Veurne en Ieper en een
overzicht van alle bidplaatsen van het bisdom, Bruxelles, Archives Générales du
Royaume, 1999 ; 1 vol. in-8°, 412 p. (Publ. 2832). Prix : BEF 650.
Conçu comme annexe d’une thèse sur les églises du diocèse de Thérouanne avant
1300, le présent répertoire concerne plus précisément celles des deux doyennés de
COMPTES RENDUS 649
Fumes et d’Ypres. Les autres paroisses du diocèse font l’objet d’une présentation
sommaire : titulaire, première mention, appartenance décanale et patron. Par contre,
pour les 90 églises des circonscriptions étudiées les fiches sont autrement plus riches.
En effet, des données y sont en plus fournies sur l’origine du toponyme, les
découvertes archéologiques ou les liens de filiation entre les paroisses. La possession
des dîmes a fait l’objet de recherches très poussées. L’A. est ainsi en mesure de
présenter une notice explicative pour chaque église paroissiale. Un relevé
bibliographique, qui paraît exhaustif, complète la fiche qui se termine par la mention
du premier desservant connu. L’enquête a été sérieusement menée. La méthode
suivie, qui consiste à se baser sur les plus anciens pouillés, en l’occurrence ceux du
XIV e siècle, semble pertinente. Les sources disponibles, principalement
diplomatiques, ont été utilisées. Le résultat est probant : une documentation
remarquable est ainsi mise à disposition mais il s’agit, pourrait-on dire, de données
brutes car il est évident qu’une introduction de sept pages ne permet pas d’en donner
une interprétation suffisante. La publication de la thèse elle-même est annoncée, on
s’en réjouira. Certes, il ne faut pas s’attendre à trouver dans un répertoire la réponse
à toutes ses questions mais quelques éléments de synthèse seraient les bienvenus. Par
exemple, une carte montrant la localisation des paroisses et leurs liens de filiation
serait fort éclairante pour le lecteur. On comprend le souci d’alléger le volume
d’impression en publiant séparément ce que l’on pourrait nommer des pièces
justificatives telles que la répartition des paroisses selon leurs titulaires ou la liste des
actes de confirmation des dîmes pour chaque institution mais, sans commentaires,
ces données perdent de leur intérêt, même si elles permettent quelques comparaisons
utiles. Nul doute qu’après la publication de la thèse, l’étude menée par l’A. apparaîtra
comme une contribution substantielle à la connaissance de l’institution paroissiale au
Moyen Âge.
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