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La Bible à la croisée des sources

Nadav Na’Aman
Dans Annales. Histoire, Sciences Sociales 2003/6 (58e année), pages 1321 à 1346
Éditions Éditions de l'EHESS
ISSN 0395-2649
ISBN 9782200909642
© Éditions de l'EHESS | Téléchargé le 20/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 86.207.95.2)

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La Bible à la croisée des sources

Nadav Na’aman

Il n’est pas étonnant que la recherche post-moderne se préoccupe essentiellement


d’histoire moderne et contemporaine. Les questions qu’elle traite, tels l’émergence
des États et leurs relations, le cours des événements, les principales conquêtes
individuelles ou les conditions sociales des groupes humains, sont bien connues
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pour ces périodes, et il existe des informations précises sur tous les aspects de la
vie publique et privée. Les lecteurs des travaux déconstructionnistes sont conscients
du caractère sophistiqué de la discussion et présupposent que les questions débat-
tues se fondent sur une certaine réalité. La situation est tout autre dès que l’on
touche à l’histoire biblique pour laquelle les données de base sont loin d’être
irréfutables. Appliquer une approche déconstructionniste inconsidérée à la recherche
sur les périodes pré-monarchiques et monarchiques d’Israël pourrait compromettre
entièrement sa valeur. Notre but est de confirmer l’authenticité de certains faits
concernant la réalité antique, et c’est pourquoi une approche plus traditionnelle
semble se justifier davantage pour l’étude d’Israël dans l’Antiquité.
La Bible relate de manière linéaire et continue l’histoire d’Israël depuis son
commencement jusqu’à l’époque d’Ezra et de Nahamia. À l’intérieur de cette
séquence historique, nous ne disposons sur certaines périodes d’aucune autre
source que la Bible, qui est le seul document à les décrire de manière systématique.
Les sources non bibliques qui traitent de personnages et d’événements men-
tionnés dans les Écritures concernent la période des royaumes d’Israël et de Juda,
qui va de la fin du Xe siècle avant J.-C. jusqu’à la destruction de Jérusalem et l’Exil
(587 av. J.-C.). Cependant, le nombre et l’éventail de ces sources sont limités
et ne permettent même pas une description schématique de l’histoire des deux 1321

Annales HSS, novembre-décembre 2003, n°6, pp. 1321-1346.


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royaumes. Par exemple, seuls quelques dirigeants israélites et judéens sont men-
tionnés dans les inscriptions royales et sur les sceaux. Les informations tirées de
ces sources sont peu détaillées et de portée réduite. Confrontées au récit biblique,
elles autorisent à combler certaines lacunes et contribuent à évaluer l’authenticité
des descriptions bibliques. Mais, prises séparément, elles n’offrent qu’un apport
limité. Sans l’histoire biblique, les données non bibliques et archéologiques ne
nous permettraient pas de dessiner une histoire même schématique des royaumes
d’Israël et de Juda. De plus, le développement unique de la religion et de la culture
israélite demeurerait un mystère puisque les sources épigraphiques et archéo-
logiques n’y font aucune allusion.

Orientations récentes de la recherche


Des fouilles archéologiques et des prospections de terrain de grande envergure
ont été menées dans toutes les régions de Palestine, et, pendant de nombreuses
années, les archéologues et les historiens en ont utilisé les découvertes afin de
confirmer l’authenticité du texte biblique. Mais nombreuses sont les conclusions
des recherches passées qui reposent sur des fondements douteux et qui ont été
critiquées ou récusées par la suite. Les chercheurs ont petit à petit pris la mesure
des difficultés inhérentes à la mise en relation de l’histoire et de l’archéologie, et
particulièrement de l’histoire biblique avec l’archéologie moderne et la recherche
anthropologique. Au cours des dernières décennies, l’archéologie a mis au point
ses propres méthodes et outils scientifiques. De nouveaux champs de recherche
ont été ouverts et cette discipline s’est graduellement éloignée de l’histoire
biblique. L’expression classique : « archéologie biblique » a été critiquée, et cer-
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tains chercheurs l’évitent délibérément. Les archéologues modernes analysent les
résultats de leurs travaux dans le strict cadre de leur discipline et des disciplines
scientifiques connexes. Or, sans les données tirées de l’histoire biblique, les archéo-
logues perdent non seulement de nombreux points de repère chronologiques, mais
aussi le contexte historique dans lequel la culture matérielle s’est développée. À
bien des égards, l’archéologie de la Palestine est encore très liée à l’histoire biblique
et perdrait beaucoup si elle s’en détachait totalement.
Étant donné la place centrale de l’histoire biblique dans la recherche, il est
nécessaire d’établir dans quelle mesure il est possible de se fier à la Bible comme
source pour reconstruire les différentes étapes de l’histoire d’Israël. Les premiers
historiens ayant abordé le sujet ont considéré les Écritures comme une source
valable, même pour la reconstruction de l’histoire ancienne d’Israël. Ils ont repris,
dans leurs écrits, la description biblique des origines nomades des Israélites et ont
considéré qu’il y avait une part de vérité historique dans l’histoire de la conquête
de Canaan. De plus, ils ont reconstruit la période pré-monarchique en s’appuyant
sur le Livre des Juges et présenté l’époque de la monarchie unifiée comme l’âge
d’or de l’histoire d’Israël. Il va sans dire que certains récits bibliques étaient consi-
dérés par ces historiens comme anhistoriques. Ils admettaient pourtant que la réa-
1322 lité antique, dans ses faits essentiels, pouvait en être extraite, concernant la période
HISTOIRE BIBLIQUE

pré-monarchique, et que, dans ses grandes lignes, la séquence des événements


reflétait la réalité de l’histoire ancienne d’Israël.
Depuis les années soixante-dix, un profond changement de perspective s’est
opéré dans la recherche. D’abord, l’historicité des récits des patriarches a été mise
en question. Certes, de nombreux développements ne relèvent bien entendu pas
de l’analyse historique, mais certains éléments (ainsi les noms des villes et des
groupes ethniques, le mode de vie et les coutumes) pourraient être approchés de
manière scientifique. Après une analyse systématique, les chercheurs ont montré
que la réalité du IIe millénaire avant J.-C., telle qu’elle apparaissait à travers les
documents non bibliques et l’archéologie, ne correspondait pas à ces récits 1.
Par ailleurs, aucun document historique ne corrobore la description des tribus
nomades vivant isolées hors du pays de Canaan et qui, à une certaine époque,
conquirent le pays et s’y installèrent. Il est largement admis de nos jours que les
pasteurs nomades, à cette date, utilisaient des ânes dans leurs déplacements et
que les camélidés ne furent domestiqués qu’à la fin du IIe millénaire avant notre
ère et vraiment utilisés seulement au cours du Ier millénaire 2. La vie nomade, à
l’écart des régions habitées, est typique des déserts d’Asie centrale et des grandes
steppes, mais n’était pas répandue dans le Proche-Orient antique, en tout cas pas
avant la domestication du dromadaire. L’idée que les Israélites errèrent pendant
de nombreuses années dans le désert sans contact avec les habitants de Canaan
n’est donc pas acceptable.
Enfin, les recherches archéologiques sur des sites mentionnés dans l’histoire
de la conquête de Canaan par les Israélites indiquent un décalage considérable
entre les récits de conquête et la réalité des XIIIe et XIIe siècles avant J.-C. De
nombreux sites n’étaient pas habités à cette époque (par exemple Jéricho, Aï,
Gabaon, Hébron, Heshbon, Arad) ou n’étaient encore que de simples villages
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plutôt que des cités-État (comme Yarmouth). La plupart des villages de l’âge du
Bronze n’étaient pas fortifiés, alors que la Bible décrit les villes cananéennes
ceintes de murs (Nb 13, 28 ; Dt 1, 28 ; Jos 10, 20 et 14, 12). De plus, la destruction
des villes cananéennes aux XIIIe-XIIe siècles avant notre ère, telle qu’elle apparaît
à travers les documents historiques et archéologiques, se déroula sur un mode très
différent de celui décrit dans la Bible. Ce processus, qui aboutit à la chute des

1 - Ceci fut déjà établi au milieu des années 1970 : voir THOMAS L. THOMPSON, The
Historicity of the Patriarchal Narratives: The Quest for the Historical Abraham, Berlin, Walter
de Gruyter, 1974 ; JOHN VAN SETERS, Abraham in History and Tradition, New Haven-
Londres, Yale University Press, 1975.
2 - Pour la domestication des camélidés, voir RICHARD W. BULLIET, The Camel and the
Wheel, Cambridge, Harvard University Press, 1975, pp. 28-86 ; ERNST AXEL KNAUF,
« Midianites and Ishmaelites », in J. F. A. SAWYER et D. J. A. CLINES (éds), Midian, Moab
and Edom History. The History and Archaeology of Late Bronze and Iron Age Jordan and North-
West Arabia, Sheffield, Academic Press, « Journal for the Study of the Old Testament
Supplement-Series 24 », 1983, pp. 147-162 ; de même, pour les écrits récents, Midian:
Untersuchungen zur Geschichte Palästinas und Nordarabiens am Ende des 2. Jahrtausends v.
Chr., Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1988, pp. 9-15. 1323
NADAV NA’AMAN

cités-États cananéennes, a pour origine les migrations vers l’est des populations
d’Anatolie occidentale et de la mer Égée, les « Peuples de la mer », parmi lesquels
les Philistins. Ces populations atteignirent les côtes de Canaan après avoir détruit
une grande partie de l’empire hittite, y compris les royaumes d’Alalakh et d’Ougarit.
Des pasteurs et d’autres populations ouest-asiatiques ayant quitté leurs villes parti-
rent pour Canaan au XIIe siècle et rejoignirent les populations sédentaires déraci-
nées et les nomades locaux. L’arrivée de ces groupes de migrants, de diverses
origines, la destruction des villes cananéennes ainsi que le retrait des Égyptiens de
Canaan, dans la seconde moitié du XIIe siècle, précipitèrent la chute de la civilisation
du Bronze tardif. C’est à peu près à la même époque que des populations pasto-
rales et déracinées commencèrent à s’installer massivement, partout en Palestine, y
compris dans la région des collines et dans les marges occidentales et orientales qui
n’étaient pas habitées à la fin de l’âge du Bronze 3. La population palestinienne de
l’âge du Fer I (XIIe-XIe siècles) était constituée de groupes de Cananéens autochtones,
de pasteurs nomades vivant en Canaan et sa périphérie, ainsi que d’émigrés arrivés de
pays lointains 4.
La Bible décrit une nation unie, qui possédait une identité ethnique, religieuse
et culturelle distincte, n’ayant rien à voir avec celle de ses voisins, une nation qui,
arrivée de l’est, a conquis Canaan avant de s’y installer et a préservé son identité
d’origine pendant des générations. Cependant, cela ne correspond ni aux décou-
vertes archéologiques, anthropologiques et ethnographiques ni aux documents his-
toriques. Étant donnée l’ampleur des décalages entre la description biblique des
débuts d’Israël et la réalité historique, les chercheurs en sont venus à mettre en
doute toute l’histoire biblique de la période pré-monarchique. Puisque son historicité
était réfutée, il était nécessaire de suggérer un autre modèle pour comprendre l’émer-
gence d’Israël sur la scène historique. Ce nouveau modèle diffère, dans ses postulats
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comme dans ses résultats, de celui proposé dans la Bible. D’où la supposition que
l’émergence de la monarchie dut être très différente du processus décrit dans l’his-
toire biblique.
La perte de crédibilité de la Bible comme source historique fiable – au moins
dans les grandes lignes – ne se limite pas à la période pré-monarchique. Depuis les
années 1990, les chercheurs ont émis des doutes quant à la validité des descriptions

3 - ISRAEL FINKELSTEIN, The Archaeology of the Israelite Settlement, Jérusalem, Israel Explo-
ration Society, 1988 ; ID. et NADAV NA’AMAN (éds), From Nomadism to Monarchy. Archaeo-
logical and Historical Aspects of Early Israel, Jérusalem, Yad Izhak Ben-Zvi & Israel
Exploration Society, 1994.
4 - GEORGE E. MENDENHALL, « The Hebrew Conquest of Palestine », Biblical Archaeolo-
gist, 25, 1962, pp. 66-87 ; NORMAN K. GOTTWALD, The Tribes of Yahweh: A Sociology of the
Religion of Liberated Israel, 1250-1050 BCE, Maryknoll, Orbis Books, 1979 ; NIELS PETER
LEMCHE, Early Israel. Anthropological and Historical Studies on the Israelite Society Before
the Monarchy, Leyde, E. J. Brill, 1985, pp. 416-437 ; ID., The Israelites in History and Tradi-
tion, Londres-Louisville, Westminster John Knox Press, 1998, pp. 65-85 ; GÖSTA W.
AHLSTRÖM, Who Were the Israelites?, Winona Lake, Eisenbrauns, 1986, pp. 11-36 ;
1324 I. FINKELSTEIN, The Archaeology of the Israelite..., op. cit., pp. 336-351.
HISTOIRE BIBLIQUE

bibliques pour la période de la monarchie unifiée 5. Ils remettent en question l’histo-


ricité des récits de Saül, David et Salomon, qui, pendant des années, ont été
considérés comme autant de points d’appui sûrs pour reconstruire l’histoire
d’Israël. Partant de là, la représentation biblique de la monarchie unifiée ne peut
ni servir de base pour établir les grandes lignes de l’histoire d’Israël au Xe siècle
avant J.-C. ni être utilisée comme point de départ pour reconstruire l’histoire des
e e
IX et VIII siècles avant J.-C. Le récit biblique, et en particulier l’histoire de
Salomon, est en grande partie une construction théologico-littéraire qui s’emploie
à décrire la période monarchique ancienne comme un âge d’or, une sorte d’idéal
que les lecteurs futurs devaient s’efforcer de restaurer 6.
De nombreux chercheurs acceptent encore l’idée d’une monarchie unifiée.
Ils supposent qu’il s’agissait là d’une période de transition entre un gouvernement
local de sociétés tribales et une monarchie stable qui s’étendait sur un territoire
bien défini avec une capitale et une cour, une armée permanente et un appareil
bureaucratique. D’autres chercheurs rejettent en bloc cette idée et suggèrent que
les descriptions bibliques de cette période ne sont pas plus « historiques » que les
récits des patriarches, les pérégrinations dans le désert ou la conquête de Canaan
qui aboutit à sa colonisation.
Afin de comprendre le changement de perspective qui s’est opéré dans la
recherche depuis les années 1970 et de manière encore plus nette depuis les années
1990, il est utile de rappeler cinq points essentiels qui ont conduit à repenser les
preuves et réévaluer la pertinence de la Bible en tant que source historique.
1. Pendant de nombreuses années, les chercheurs ont retracé l’histoire
d’Israël en s’appuyant sur les récits bibliques. Une étude de la poétique révèle les
similarités et les divergences qui existent entre les écrits littéraires bibliques et
non bibliques. Les auteurs de ces récits ont façonné leurs textes avec leur propre
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style, selon leurs objectifs, idéologiques et théologiques. Ils se sont pour cela
appuyés sur la littérature orale, ou sur leur imagination. Et même lorsque ces

5 - Pour les premiers travaux qui ont mis en question la validité de la description biblique
de la monarchie unifiée, voir HEIKE FRIIS, Die Bedeutung für die Erichtung des Davidischen
Reichs in Israel und seiner Umwelt, Heidelberg, GmbH & Co.KG, 1986 ; GIOVANNI
GARBINI, History and Ideology in Ancient Israel, Londres, SCM Press, 1988 ; DAVID
W. JAMIESON-DRAKE, Scribes and Schools in Monarchic Judah. A Socio-Archaeological
Approach, Sheffield, Almond Press, 1991 ; ERNST AXEL KNAUF, « King Solomon’s Copper
Supply », in E. LIPINSKI (éd.), Phoenicia and the Bible, Louvain, Uitgeverij Peeters, 1991,
pp. 167-186.
6 - Pour des travaux récents sur l’historicité de la monarchie unifiée, voir HERMANN
MICHAEL NIEMANN, Herrschaft, Königtum und Staat. Skizzen zur soziokulturellen Entwick-
lung im monarchischen Israel, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1993 ; VOLKMAR FRITZ et PHILIP
R. DAVIES (éds), The Origins of the Ancient Israelite States History, Sheffield, Academic
Press, « Journal for the Study of the Old Testament Supplement Series-228 », 1996 ;
LOWELL K. HANDY (éd.), The Age of Solomon. Scholarship at the Turn of the Millennium,
Leyde, E. J. Brill, 1997 ; THOMAS L. THOMPSON, The Mythic Past: Biblical Archaeology and
the Myth of Israel, Londres, Basic Books, 1999 ; ISRAEL FINKELSTEIN et NEIL SILBERMAN,
The Bible Unearthed. Archaeology’s New Vision of Ancient Israel and the Origin of Its Sacred
Texts, New York, The Free Press, 2001, pp. 123-168 et 340-344. 1325
NADAV NA’AMAN

histoires puisaient dans la tradition orale, les auteurs comblaient les manques en
ajoutant des détails fictifs et en créant des intrigues de toutes pièces, à tel point
qu’il est pratiquement impossible d’isoler un événement authentique de son cadre
littéraire. Ces récits font partie intégrante de l’historiographie biblique, mais leur
incorporation dans la reconstruction historique nécessite une analyse systématique
de leur aspect littéraire, ainsi que de leurs objectifs. Ce n’est qu’une fois cette
analyse effectuée que l’on peut se demander si ces récits contiennent des traces
de la réalité antique et s’ils peuvent être intégrés à la reconstruction historique. Si
les récits bibliques apportent beaucoup à l’étude des systèmes politiques, de la
société, de la religion, de la culture et des modes de vie de la période à laquelle
ils ont été composés, leur contribution à la reconstitution historique de la période
qu’ils décrivent reste en revanche limitée et souvent très controversée.
2. La destruction de la culture urbaine qui eut lieu, aux XIIIe et XIIe siècles,
dans une grande partie de la Syrie et du pays de Canaan, entraîna avec elle la
migration et la nomadisation temporaire d’importants groupes de population. De
nouveaux royaumes portant de nouveaux noms sont apparus entre les XIe et
e
IX siècles dans cette région et se sont constitués une identité spécifique, avec des
institutions, une économie, une religion et une culture matérielle propres. Le
développement de l’urbanisme et des cadres politiques fut lent et graduel car le
passage d’un système rural-pastoral à une véritable société urbaine impliquait des
changements internes profonds. Des fouilles pratiquées dans quelques centres
urbains majeurs et secondaires de ces nouveaux royaumes ont montré que la crois-
sance fut lente et progressive et qu’elle n’atteignit son apogée qu’au IXe ou au
e
VIII siècle avant J.-C. Un système hiérarchisé de bourgs et de villages se mit en
place autour de ces établissements, et des relations administratives, économiques
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et culturelles complexes se développèrent entre les centres de gouvernement et les
habitats alentour. La production « industrielle » s’accéléra peu à peu, le commerce
avec les royaumes proches et lointains prit de l’ampleur, et les produits de luxe
s’accumulèrent dans les cours royales et les grandes demeures de l’élite.
Les fouilles menées dans les anciens territoires des royaumes d’Israël et de
Juda indiquent qu’ils se développèrent de la même façon que les autres royaumes
de la région syro-palestinienne. L’essor de centres urbains prospères et d’une acti-
vité politique et administrative intense, ainsi que la mise en place d’un système
d’implantation hiérarchisé de villages, suivant des critères politiques et écono-
miques, furent très progressifs et s’étalèrent sur une longue période. Ce développe-
ment long et graduel de l’État et des institutions ne correspond en rien à l’histoire
biblique de l’émergence de la monarchie unifiée. Dans la Bible, la monarchie
trouve sa forme définitive (au niveau institutionnel, administratif et économique)
dès le règne de Salomon, c’est-à-dire environ deux générations après son appari-
tion. Selon les Écritures, c’est à cette époque que des constructions monumentales
furent érigées, que le commerce avec les régions lointaines s’intensifia et que des
objets de luxe vinrent grossir le trésor du royaume. Il est bien sûr impossible que
le royaume d’Israël fût devenu aussi rapidement un État « adulte », et le tableau
1326 qu’en fait la Bible ne peut être accepté comme tel.
HISTOIRE BIBLIQUE

3. Des fouilles et des prospections menées dans le territoire de l’ancien


royaume de Juda montrent que l’implantation extensive et la croissance des villes
ne commencèrent qu’au Ier millénaire avant J.-C. La Jérusalem du Xe siècle n’était
probablement qu’une petite forteresse dans la région des collines. Seuls quelques
fragments de mur et des tessons furent découverts sur le site de l’antique Jéru-
salem 7. Les implantations dans le royaume de Juda se développèrent progressi-
vement au IXe siècle, et quelques villes furent construites dans la périphérie (Tell
en-Nasbeh, Bet-Shémesh, Lakish, Tell Beer-Sheba et Arad) 8. Jérusalem s’agrandit,
et des bâtiments publics furent construits pour le roi, la famille royale et l’élite.
Pourtant, le royaume de Juda n’atteignit son apogée qu’au VIIIe siècle avant J.-C.,
quand Jérusalem prit une véritable ampleur, devenant le plus important centre du
royaume et que de nombreuses villes furent construites et fortifiées dans tout le
pays, formant des centres administratifs autour desquels se consolida un réseau de
villages et de domaines agricoles 9.
Un grand nombre de villes et de villages, principalement dans la plaine de
la Shéphéla, furent détruits pendant la campagne de Sennachérib (701) ; certains
furent désertés pour toujours, et d’autres reconstruits à plus petite échelle. La ville
de Jérusalem demeura intacte et continua à s’étendre au VIIe siècle. Son territoire
était de loin le plus grand de tous ceux attachés aux villes du royaume. Il abritait
les principaux centres administratifs et religieux ainsi que le siège du gouverne-
ment. Ce caractère central lui donnait une position prééminente dans le royaume.
C’est à cette période que l’expression « Juda et Jérusalem » fut forgée (II Rois 18,
22 ; 23, 1-5 ; 24, 20 ; Jérémie passim), ce qui soulignait la position privilégiée de la
capitale dans le royaume. Puisque l’histoire d’Israël fut probablement écrite à
Jérusalem, les résultats des fouilles archéologiques et des prospections de terrain
dans le royaume de Juda sont essentiels pour déterminer quand et dans quel
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contexte cette histoire fut rédigée.
4. La répartition des inscriptions dans les royaumes d’Israël et de Juda
apporte des précisions sur le développement de l’élite urbaine et de la culture des
deux royaumes 10. Aucune inscription alphabétique antérieure au VIIIe siècle n’a été
découverte dans la région des hautes terres. Les inscriptions israélites et judéennes
les plus anciennes datent de la première moitié du VIIIe siècle avant J.-C. (excepté

7 - MARGREET L. STEINER, « Re-dating the Terraces of Jerusalem », Israel Exploration


Journal, 44, 1994, pp. 13-20 ; MARGREET L. STEINER, JANE CAHILL et NADAV NA’AMAN,
« David’s Jerusalem: Fiction or Reality? », Biblical Archaeology Review, 24, 4, 1998, pp. 24-
44 ; ISRAEL FINKELSTEIN, « State Formation in Israel and Judah », Near Eastern Archaeo-
logy, 62, 1999, p. 40.
8 - Voir récemment, ISRAEL FINKELSTEIN, « The Rise of Jerusalem and Judah: The
Missing Link », Levant, 33, 2001, pp. 105-115 (pour la Jérusalem fortifiée du début du
e
VIII siècle, voir II Rois 14, 13).
9 - D. W. JAMIESON-DRAKE, Scribes and Schools..., op. cit. ; H. M. NIEMANN, Herrschaft,
Königtum..., op. cit., pp. 50-56, 96-132 et 251-272 ; I. FINKELSTEIN, « State Formation in
Israel... », art. cit., pp. 35-52.
10 - D. W. JAMIESON-DRAKE, Scribes and Schools..., op. cit., pp. 11-26 et 149-157. 1327
NADAV NA’AMAN

le calendrier de Gezer du IXe siècle découvert dans un ancien centre cananéen 11).
En plus des inscriptions écrites ou gravées dans la pierre ainsi que des ostraca, des
sceaux et des poids du VIIIe siècle ont été découverts, qui montrent les progrès de
l’alphabétisation dans les deux royaumes. Au VIIe siècle, l’alphabétisation se diffu-
sait à travers tout le royaume de Juda comme en témoignent par leur nombre et
leur variété les objets écrits exhumés dans les fouilles. On a même retrouvé
quelques archives comprenant un groupe de bullae ou d’ostraca. Les fouilles
menées dans les territoires voisins d’Israël attestent aussi l’essor de l’alphabétisa-
tion aux VIIIe et VIIe siècles avant J.-C.
L’absence d’inscriptions datant des Xe et IXe siècles ne prouve pas que l’écri-
ture alphabétique n’ait été introduite qu’au VIIIe siècle. Il existe des preuves indi-
rectes de l’introduction de la lecture et de l’écriture dans les cours de Juda et
d’Israël dès la fin du Xe ou au IXe siècle avant J.-C., mais l’écriture se limitait
probablement aux capitales des deux royaumes et restait l’apanage d’un petit
nombre de scribes professionnels 12. Par ailleurs, des textes écrits sur papyrus pour
l’administration et les échanges diplomatiques n’auraient de toute façon guère pu
laisser de traces dans les fouilles 13. Des inscriptions sur différents types de maté-
riaux commencent à apparaître, dans les sites, à une période postérieure à la diffu-
sion de l’écriture vers d’autres centres, dans les deux royaumes.
L’apparition présumée de l’écriture dans les cours d’Israël et de Juda à la
fin du Xe ou au IXe siècle avant J.-C. ne témoigne pas de l’émergence de textes
historiographiques. Au contraire, il existe un décalage important entre l’introduc-
tion de l’écriture et le développement de l’historiographie dans tous les royaumes
antiques du Proche-Orient ainsi qu’en Grèce. Le royaume de Juda ne parvint à
maturité qu’au VIIIe siècle avant J.-C., et c’est seulement à cette époque que
Jérusalem devint un centre urbain important. L’émergence d’une élite constituée
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de personnages officiels, de prêtres et de scribes professionnels capables d’appré-
cier les qualités littéraires des textes et de comprendre leur message religieux et
politique coïncide avec le développement d’une culture urbaine dans le royaume
de Juda. Toutes ces considérations confortent l’idée selon laquelle l’historiographie
ne pouvait y apparaître avant la fin du VIIIe siècle avant J.-C.

11 - Pour le calendrier de Gezer, voir l’article récent de JOHANNES RENZ, Die althe-
bräischen Inschriften, I : Text und Kommentar, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchge-
sellschaft, 1995, pp. 30-37 ; DANIEL SIVAN, « The Gezer Calendar and Northwest Semitic
Linguistics », Israel Exploration Journal, 48, 1998, pp. 101-105 ; JOHN A. EMERTON,
« How Many Months are Mentioned in the Gezer Calendar », Palestine Exploration Quar-
terly, 131, 1999, pp. 20-23.
12 - NADAV NA’AMAN, « The Contribution of the Amarna Letters to the Debate on Jeru-
salem’s Political Position in the Tenth Century BCE », Bulletin of the American Schools
of Oriental Research, 304, 1996, pp. 21-23 ; ID. « Sources and Composition in the His-
tory of Solomon », in L. K. HANDY (éd.), The Age of Solomon..., op. cit., pp. 57-61.
13 - Il y a de nombreux exemples de l’introduction de l’écriture dans les cours royales,
attestés bien avant que les fouilles archéologiques ne le fassent apparaître. Voir ALAN
R. MILLARD, « The Ugaritic and Canaanite Alphabets – Some Notes », Ugarit-Forschun-
gen, 11, 1979, pp. 613-616 ; JOSEPH NAVEH, « Semitic Epigraphy and the Antiquity of
1328 the Greek Alphabet », Kadmos, 30, 1991, pp. 143-152.
HISTOIRE BIBLIQUE

5. Dans l’histoire biblique, les Israélites sont présentés comme un groupe


uni depuis leur séjour en Égypte. Dans quelle mesure cela correspond-il à la réalité
historique ? La défaite d’un groupe appelé Israël est mentionnée dans l’inscription
de Merneptah, roi d’Égypte (1213-1203), après la chute des villes d’Ashqelôn, de
Gezer et de Yénoam 14. L’existence de ces trois villes cananéennes est confirmée
par d’autres inscriptions égyptiennes, mais pas le nom « Israël ». L’ordre des topo-
nymes dans le passage n’apporte aucune précision sur la localisation de ce groupe.
Nous ne savons pas davantage quelle en était la taille ou la composition ethnique.
Environ trois cent cinquante ans séparent l’inscription de Merneptah de la réfé-
rence suivante à Israël, dans des sources non bibliques, au milieu du IXe siècle
avant J.-C., quand le royaume parvint à maturité. Pour qu’un nom de groupe
ethnique traverse les âges, une certaine forme de continuité est nécessaire. Or,
durant ces centaines d’années, l’appellation Israël subit probablement d’importants
changements quant à sa composition ethnique, sa taille, sa structure sociale et son
implantation territoriale. Il existe bien un document de la fin du XIIIe siècle qui
fait mention d’un groupe appelé Israël. Mais, quelle que soit l’importance de
ce document, toute extrapolation socioculturelle sur Israël à cette époque n’est
qu’hypothèse, car fondée sur une référence unique et isolée.
Aux IXe et VIIIe siècles avant J.-C., les deux royaumes d’Israël et de Juda évo-
luaient côte à côte, chacun avec son identité propre. « Israël » était le nom du royaume
du Nord, comme en attestent les inscriptions royales établies par Salmanasar III,
roi d’Assyrie, Mésa, roi de Moab, et Hazaël, roi d’Aram. Le royaume de Juda, de
son côté, apparaît dans des sources assyriennes, babyloniennes et perses sous le
nom de Ya’udi, tandis que ses habitants sont appelés Ya’udayu.
Quand le terme « Israël » a-t-il commencé à s’appliquer à tous ceux qui
vivaient en Palestine, y compris dans le royaume de Juda, et qui vouaient un culte
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à Yahweh ? C’est l’annexion par l’Assyrie du territoire du royaume d’Israël, en 720
avant J.-C., qui représente la date la plus ancienne possible de l’application du
terme « Israël » à l’ensemble de la population. En effet, le territoire annexé s’appe-
lant désormais Samerina, le terme Israël ne renvoyait plus à un État national. Il
fut donc adopté par les scribes judéens et utilisé comme un nom générique pour
décrire l’histoire des habitants des deux royaumes voisins, dès lors qu’ils formèrent
une nation unifiée. Étant donné que la Bible pose l’unité d’Israël comme un fait
établi, elle ne put donc avoir été écrite avant la fin du VIIIe siècle avant J.-C.
La datation de la rédaction de l’histoire ancienne d’Israël est un sujet de
discorde entre les chercheurs. Ceux que l’on appelle les « minimalistes » optent

14 - Pour une traduction de ce texte, voir GERHARD FECHT, « Die Israelstele, Gestalt
und Aussage », MANFRED GÖRG (éd.), Fontes atque Pontes : Eine Festgabe für Hellmut
Brunner, Wiesbaden, O. Harrassowitz, « Ägypten und Altes Testament-5 », 1983,
pp. 113, 120 ; ERIK HORNUNG, « Die Israelstele des Merneptah », ibid., pp. 232-233. Pour
des débats récents, voir MICHAEL G. HASEL, « Israel in the Merneptah Stela », Bulletin
of the American Schools of Oriental Research, 296, 1994, pp. 454-461 ; KENNETH A. KITCHEN,
« The Physical Text of Merneptah’s Victory Hymn (The “Israel Stela”) », Journal of the
Society for the Study of Egyptian Antiquities, 1994, pp. 71-76 ; ANSON F. RAINEY, « Israel in
Merneptah’s Inscriptions and Reliefs », Israel Exploration Journal, 51, 2001, pp. 57-75. 1329
NADAV NA’AMAN

pour la période d’après l’Exil, et considèrent que cette histoire n’a pas pu avoir
été écrite avant la période perse 15. Selon eux, l’histoire de la période monarchique
devrait se fonder essentiellement sur des preuves archéologiques et des sources
non bibliques 16. La plupart des chercheurs pensent que l’histoire complète d’Israël
fut écrite, soit à la fin du VIIe siècle, soit au début de l’Exil (voir infra). Certains
chercheurs acceptent encore les idées selon lesquelles l’histoire d’Israël aurait été
écrite au début de la période monarchique et le concept d’un Israël uni serait
apparu pendant la période pré-monarchique.
La date tardive à laquelle l’historiographie biblique fut écrite (pas avant la
fin du VIIIe siècle avant J.-C.) explique l’énorme décalage, souligné plus haut, entre
l’histoire biblique de la monarchie unifiée et la réalité du Xe siècle telle que l’on
peut la déduire de toutes les autres sources disponibles. L’histoire biblique devient
ainsi une description de l’apparition et du développement des royaumes d’Israël
et de Juda au IXe siècle. Or l’histoire de ces deux royaumes, telle qu’elle est présen-
tée dans le Livre des Rois, est quelquefois loin d’être fiable.

L’histoire biblique des royaumes d’Israël et de Juda


à la lumière des inscriptions royales du IXe siècle
Des inscriptions royales qui commémoraient les exploits des monarques ont été
retrouvées dans de nombreux royaumes du Proche-Orient antique. Elles étaient
destinées à un ou des dieux et servaient à rendre compte de ce que le souverain
accomplissait pour remplir le mandat royal que son seigneur divin lui avait confié.
Écrites pendant la vie du roi, leurs auteurs furent probablement témoins ou
contemporains des événements qu’elles décrivent. Comme les monarques étaient
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des chefs d’États qui dirigeaient les affaires intérieures et étrangères, les inscrip-
tions attestaient d’événements importants dans l’histoire de ces royaumes. Leur
valeur de document strictement contemporain de l’histoire des royaumes du
Proche-Orient antique a été reconnue dès les premières recherches en ce domaine,

15 - Les « minimalistes » vont encore plus loin et affirment que le concept d’exil a peu
à voir avec la réalité historique de la Palestine entre les VIIe et Ve siècles avant J.-C. Pour
eux les récits d’Ezra et de Nahamia sont des constructions idéologiques, les mythes
fondateurs de la société palestinienne de la période perse, hellénistique. La société
juive de la période perse était une société totalement neuve qui s’est construit son
propre passé en écrivant une histoire en grande partie fictive. Voir PHILIP R. DAVIES,
In Search of « Ancient Israel » History, Sheffield, Academic Press, « Journal for the Study
of the Old Testament Supplement Series-148 », 1992, pp. 67-70 ; THOMAS L. THOMPSON,
Early History of the Israelite People. From the Written and the Archaeological Sources, Leyde,
E. J. Brill, 1992, pp. 383-399 ; ID., The Mythic Past..., op. cit., pp. 179-225 ; NIELS PETER
LEMCHE, « The Old Testament – A Hellenistic Book? », Scandinavian Journal of the Old
Testament, 7, 1993, pp. 163-193 ; ID., « Is it Still Possible to Write a History of Israel? »,
Scandinavian Journal of the Old Testament, 8, 1994, pp. 183-189 ; ID., Early Israel. Anthropo-
logical..., op. cit., pp. 86-132.
16 - T. L. THOMPSON, Early History of the Israelite People..., op. cit., pp. 171-351 et 401-
1330 423 ; ID., The Mythic Past..., op. cit., pp. 155-178.
HISTOIRE BIBLIQUE

et ces inscriptions figurèrent à de nombreuses reprises dans les descriptions de


l’histoire de ces royaumes. Malgré leur forme très littéraire et stylisée, leur auto-
satisfaction et leur absence d’objectivité, elles constituent des sources importantes
pour reconstruire l’histoire de nombreux royaumes du Proche-Orient antique.
On n’a encore retrouvé aucune inscription royale d’Israël ou de Juda. Cepen-
dant, il existe des inscriptions égyptiennes, assyriennes, araméennes et moabites
du IXe siècle qui renvoient à différents événements de l’histoire de ces deux
royaumes. En plus de leur importance historique, elles pourraient grandement
contribuer à évaluer le récit du Livre des Rois. Il est clair toutefois que la grande
majorité des descriptions bibliques ne peut être authentifiée par ces inscriptions
royales. Les correspondances, les décalages, les incohérences entre les sources
bibliques et non bibliques devront être examinées soigneusement, une par une.
Alors seulement serons-nous en mesure d’évaluer la nature et la richesse des
sources dont les auteurs du Livre des Rois disposaient, mais aussi, dans une cer-
taine mesure, la fiabilité de l’histoire biblique des deux royaumes 17.

La campagne de Shishaq

Shishaq, qui régna sur l’Égypte de 945 à 924, laissa derrière lui une longue énumé-
ration de provinces conquises lors de sa campagne d’Asie 18. Une analyse topo-
graphique de la liste révèle que cette campagne était dirigée contre Israël et contre
les parties non judéennes du Néguev, alors que le royaume de Juda était presque
entièrement contourné. La ville de Jérusalem n’apparaît pas dans les parties de ce
document qui sont parvenues jusqu’à nous. Gibeon (Gabaon) est l’endroit le plus
proche de Jérusalem à être mentionné dans cette liste de toponymes.
Le Livre des Rois (I, 14, 25-28) comporte des références à cette campagne.
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Le texte relate brièvement comment le souverain égyptien atteignit Jérusalem
et y reçut un lourd tribut. Il précise que les boucliers d’or de Salomon furent
remis à Shishaq et qu’ils furent remplacés par des boucliers de cuivre. Il semble
que l’auteur avait devant lui un texte qui montrait que des boucliers d’or furent
livrés à Shishaq alors que Roboam avait cinq ans, et que d’autres, en cuivre, leur
furent substitués. Il en déduisit donc que la campagne de Shishaq, sur laquelle il
n’avait aucune autre source, fut dirigée contre Jérusalem. Son interprétation est
incomplète, voire trompeuse, puisque la campagne fut principalement dirigée
contre d’autres territoires, mais elle comporte certains éléments historiques : la
campagne égyptienne atteignit effectivement Jérusalem et un lourd tribut fut
bien versé à l’Égypte à cette occasion 19. Il apparaît donc clairement que certaines

17 - NADAV NA’AMAN, « The Contribution of Royal Inscriptions for a Re-evaluation of


the Book of Kings as a Historical Source », Journal for the Study of the Old Testament, 1999,
pp. 3-17.
18 - KENNETH A. KITCHEN, The Third Intermediate Period in Egypt (1100-650 BC), War-
minster, Aris & Phillips, 1973, pp. 294-300 et 432-447.
19 - NADAV NA’AMAN, « Israel, Edom and Egypt in the Tenth Century BCE », Tel
Aviv, 19, 1992, pp. 83-86. 1331
NADAV NA’AMAN

personnes écrivaient à la cour de Jérusalem, à la fin du Xe ou au début du IXe siècle


avant J.-C., et que quelques documents parvinrent jusqu’aux historiens qui vécu-
rent bien après la période de Shishaq (voir la troisième partie de cet article). Si tel
n’avait pas été le cas, la trace de cette campagne aurait été perdue.

Les campagnes de Salmanasar III contre Damas et Israël (853-845)

L’inscription sur monolithe de Salmanasar III fait état de plusieurs campagnes


militaires qu’il mena en Syrie-Palestine au début de son règne. Au cours d’une
opération conduite lors de sa sixième année de règne (853), le roi d’Assyrie se
battit près de Qarqar, en Syrie centrale, contre une coalition menée par Adad-Idri,
roi de Damas. Parmi les combattants se trouvait Achab, le roi d’Israël. D’autres
inscriptions de Salmanasar montrent qu’il reprit ensuite ses campagnes militaires
et qu’il livra trois autres batailles contre cette coalition – en 849, 848 et 845. Il est
clair qu’Israël et Damas étaient alliés à la fin du règne d’Achab, puis durant celui
de son fils Joram, et qu’ils s’unirent à d’autres royaumes syro-palestiniens pour
repousser les envahisseurs assyriens 20.
L’Assyrie n’est pas mentionnée dans l’histoire biblique d’Achab, ni dans
celle de son fils Joram. Des récits prophétiques attribués à l’époque d’Achab (I Rois
20, 22) décrivent trois guerres qui l’ont opposé au roi d’Aram et à la fin desquelles
il trouva la mort sur le champ de bataille. Les récits prophétiques d’Élisée se
déroulent selon le Livre des Rois à l’époque de Joram. Ils rendent compte d’une
hostilité continuelle entre les royaumes d’Aram et d’Israël. Dans ces textes, c’est
Ben-Hadad qui est présenté comme étant le roi d’Aram, contemporain d’Achab et
de Joram, contrairement à ce que l’on peut lire sur les inscriptions assyriennes
royales qui associent le nom d’Adad-Idri (Hadadezer) et celui du roi de Damas.
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Ainsi, non seulement la participation d’Israël aux guerres contre l’Assyrie n’apparaît
pas dans le Livre des Rois, mais la longue lutte armée entre les Omrides et le roi
de Damas décrite dans les histoires des prophètes est en nette contradiction avec
la réalité de l’époque.

Jéhu et Hazaël dans les annales de Salmanasar III

Quand Salmanasar entreprit une nouvelle campagne militaire contre la Syrie-


Palestine en 841, la coalition qui l’avait repoussé entre 853 et 845 avait disparu.
Un nouveau roi, Hazaël, avait succédé à Adad-Idri sur le trône de Damas, qui fut
incapable de faire face aux attaques assyriennes. Il fut vaincu près du mont Sirion
(Senir) et se retira dans sa capitale. Salmanasar continua vers le sud et parvint à la
frontière d’Israël, où il reçut le tribut du roi de Tyr et de Jéhu, le « fils d’Omri » 21.

20 - Voir le récent article de SHIGEO YAMADA, The Construction of the Assyrian Empire. A
Historical Study of the Inscriptions of Shalmaneser III (859-824 BC) Relating to his Campaigns
to the West, Leyde, E. J. Brill, 2000, pp. 143-183.
1332 21 - Ibid., pp. 185-195.
HISTOIRE BIBLIQUE

Les Écritures ne font état ni de l’arrivée des troupes de Salmanasar à la


frontière nord d’Israël ni du paiement d’un tribut à l’Assyrie. L’accession au trône
d’Israël d’un nouveau roi est confirmée par les inscriptions assyriennes. Dans l’his-
toire biblique, Jéhu est présenté comme étant le fils de Yehochaphat (Josaphat)
et le petit-fils de Nimchi, qui avait mis fin à la dynastie d’Omri, et pourtant, dans
les inscriptions assyriennes, il est décrit comme le « fils d’Omri ». Ces contradic-
tions sont généralement expliquées de la manière suivante, la filiation de Jéhu
devant être, en fait, écrite ainsi : Jéhu fils de (Beth)-He umri, à savoir du royaume
d’Israël (bît He umri) 22. Cependant, aucun autre roi d’Israël ne fut jamais décrit de
la sorte. Achab était appelé « l’Israélite », et Joas et Menahem étaient tous deux
surnommés « le Samarien ». Pour expliquer correctement cette désignation assy-
rienne, il faut rappeler que Jéhu abandonna la politique anti-assyrienne de la dynas-
tie d’Omri, qu’il refusa de coopérer avec Hazaël, capitula devant l’arrivée de
l’armée assyrienne et lui paya un tribut. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit entré
dans les bonnes grâces du roi assyrien et que ce dernier ait tenté de légitimer son
règne et sa nouvelle politique en le présentant comme le « fils » de la précédente
dynastie qui avait régné sur Israël 23.
Par ailleurs, Hazaël, roi de Damas, était un rival du souverain d’Assyrie qui
essayait de le faire passer pour un usurpateur et le présentait comme un mauvais
roi. Salmanasar chercha donc à le délégitimer en l’appelant « fils de personne » 24.
Cette désignation corrobore l’histoire prophétique (II Rois 8, 7-15) qui, dans un
récit haut en couleurs, explique comment Hazaël parvint au trône après la maladie
et la mort de Ben-Hadad. Il apparaît clairement, dans le récit, qu’Hazaël ne s’atten-
dait pas à monter sur le trône de Damas. Il reste pourtant un élément erroné dans
ce récit : c’est Hadadezer (Adad-Idri) et non Ben-Hadad qui régnait sur Damas
avant qu’Hazaël n’accédât au pouvoir.
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La révolte de Mésa et sa lutte contre Israël

Mésa, roi de Moab, était un vassal d’Israël à l’époque d’Achab et lui versait un
lourd tribut, selon ce qu’en dit le Livre des Rois (II Rois 3). À la mort d’Achab, il
cessa de payer le tribut et se rebella. Joram, le fils d’Achab, forma une coalition
avec les rois de Juda et d’Édom, qui attaqua Moab par le sud, marcha sur Quir-
Haréseth, la capitale de Moab, détruisit la campagne moabite mais ne parvint pas
à conquérir la ville fortifiée et se retira.
Le roi de Moab érigea à la fin de sa vie une stèle sur laquelle étaient consi-
gnées toutes ses victoires et toutes ses constructions. Si l’on en croit cette inscrip-
tion, Moab se soumit à Omri à l’époque du père de Mésa et resta sous la domination

22 - ARTHUR UNGNAD, « Jaua, mâr Humrî », Orientalistische Literaturzeitung, 9, 1906,


pp. 224-226. Pour une analyse du patronyme Jéhu, voir TAMMI SCHNEIDER, « Rethinking
Jehu », Biblica, 77, 1996, pp. 100-107.
23 - NADAV NA’AMAN, « Jehu Son of Omri – Legitimizing a Loyal Vassal by his Lord »,
Israel Exploration Journal, 48, 1998, pp. 236-238.
24 - S. YAMADA, The Construction of the Assyrian..., op. cit., pp. 188-189. 1333
NADAV NA’AMAN

d’Israël pendant quarante ans. Puis Mésa se rebella contre le fils d’Omri, conquit
l’ancien domaine moabite et étendit même son emprise sur les anciens territoires
israélites. Il reconstruisit ensuite les villes qu’il avait reprises et consolida son
assise dans son royaume 25. Il existe quelques correspondances ainsi que certaines
divergences entre l’inscription moabite et le Livre des Rois (II Rois 3). La soumis-
sion de Moab à Israël, puis sa révolte sont mentionnées dans les deux sources.
L’affirmation de Mésa selon laquelle il se serait rebellé à l’époque du fils d’Omri
renvoie probablement au descendant de celui-ci (Joram) plutôt qu’à son héritier
(Achab). Les deux sources s’accordent aussi sur le fait qu’Israël ne parvint pas à
réprimer la révolte et que, sous Mésa, Moab devint un royaume indépendant.
La campagne militaire des trois rois contre Moab n’est pas mentionnée dans
l’inscription moabite, de même que la conquête par Mésa de vastes territoires dont
il est question dans le Livre des Rois. De plus, certains détails de la campagne
des trois rois contre Moab sont erronés – ce n’est qu’à la fin de sa vie que Mésa
conquit et annexa les régions du sud du fleuve Arnon. Son royaume et sa capitale
étaient situés au nord de l’Arnon. La description d’un royaume moabite bien
organisé au sud de l’Arnon, au début du règne de Mésa, est un anachronisme – ce
n’est pas à Quir-Haréseth (probablement el-Kerak) mais à Dibôn que se trouvait
la résidence de Mésa. La monarchie fut instaurée à Édom après sa révolte contre
Juda à l’époque de Joram, fils de Josaphat (II Rois 8, 20-22a). Ainsi la référence
à Édom (II Rois 3) comme une monarchie avec un roi autonome est-elle ana-
chronique (voir I Rois 22, 48). Comme d’autres récits prophétiques, l’histoire de
la campagne des trois rois contre Moab mélange des éléments tardifs à d’autres
qui eurent lieu au IXe siècle avant J.-C.

La stèle araméenne d’Hazaël et la révolte de Jéhu


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La stèle araméenne de Tel Dan est très abîmée. Le début et la fin de l’inscription
ont en effet été perdus et le nom de son auteur n’est pas visible. Cependant, la
plupart des chercheurs s’accordent pour dire qu’il s’agissait d’Hazaël, roi de Damas,
qui conquit la ville de Dan et y érigea une stèle. Les premières lignes, en partie
détruites, renvoient vraisemblablement à un conflit armé entre le père de l’auteur

25 - Pour l’inscription de Mésa, voir J. ANDREW DEARMAN (éd.), Studies in the Mesha
Inscription and Moab, Atlanta, Scholars Press, 1989 ; ANDRÉ LEMAIRE, « Notes d’épigra-
phie Nord-Ouest Semitique », Syria, 64, 1987, pp. 205-216 ; ID., « La stèle de Mésha et
l’histoire de l’ancien Israël », in D. GARRONE et F. ISRAEL (éds), Storia e tradizioni di
Israele. Scritti in onore di J. Alberto Soggin, Brescia, Paideia, 1991, pp. 143-169 ; KLAAS
A. D. SMELIK, « King Mesha’s Inscription: Between History and Fiction », Converting the
Past. Studies in Ancient Israelite and Moabite Historiography, Leyde, E. J. Brill, « Oudtesta-
mentische Studien-XXVIII », 1992, pp. 59-92 ; NADAV NA’AMAN, « King Mesha and the
Foundation of the Moabite Monarchy », Israel Exploration Journal, 47, 1997, pp. 83-92 ;
BRUCE ROUTLEDGE, « The Politics of Mesha: Segmented Identities and State Formation
in Iron Age Moab », Journal of Economic and Social History of the Orient, 43, 2000,
1334 pp. 221-256.
HISTOIRE BIBLIQUE

et le roi d’Israël à Ab[el ?], peut-être Abel-beth-maacah, sur la frontière nord


d’Israël. L’auteur, Hazaël, affirme que ce conflit se prolongea jusqu’à son époque,
qu’il partit en guerre et vainquit ses rivaux, tua Joram, roi d’Israël, et Ochozias
(ou Akhazias), roi de Beth-David (Juda), et qu’il ravagea le pays. Par la suite,
probablement à l’époque de Jéhu, il conquit Dan et érigea une stèle dans la ville 26.
La première partie de la stèle, si elle est interprétée correctement, indique
que les relations entre Israël et Aram à l’époque des Omrides n’étaient pas toujours
cordiales, et que, à une certaine période, les deux pays furent même en guerre.
C’est pourquoi la description biblique suivant laquelle Israël et Aram étaient enne-
mis à l’époque d’Achab n’est peut-être pas totalement fausse. Le texte confirme
aussi l’alliance et la coopération militaires entre Joram d’Israël et Ochozias de Juda,
dont il est question en II Rois 8, 27-29. Pourtant, l’affirmation d’Hazaël qui prétend
avoir tué les deux souverains ne correspond pas au récit biblique prophétique dans
lequel on voit Jéhu, et non Hazaël, se rebeller contre Joram et tuer les rois d’Israël
et de Juda (II Rois 9).
Il nous faut ici prendre en considération un principe général : quand une
inscription contemporaine contredit l’histoire biblique qui, elle, fut écrite long-
temps après les événements, devons-nous chercher des solutions simples qui
harmonisent ces sources ? Les histoires prophétiques du Livre des Rois sont claire-
ment romancées et leur genre même ne réclame pas une présentation fidèle de la
chronologie. De plus, ces histoires furent longtemps transmises oralement avant
d’être consignées par écrit. Ce passage de l’oral à l’écrit, en lui-même, contribua
à produire des changements significatifs. Sans aller jusqu’à dire que ces récits sont
dépourvus de valeur historique, il faut insister sur le fait que l’utilisation des his-
toires prophétiques comme source historique requiert une analyse critique très
précise, surtout quand elles sont en complète contradiction avec les sources exté-
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rieures, qui sont de peu postérieures aux événements. En d’autres termes, il fau-
drait donner plus de poids à l’inscription d’Hazaël (contemporaine des faits), qui
établit la mort des deux rois, qu’à l’histoire prophétique de la révolte de Jéhu,
qui, elle, est très tardive et romancée.

26 - La stèle fragmentaire fut publiée par AVRAHAM BIRAN et JOSEPH NAVEH, « An Ara-
maic Stele Fragment from Tel Dan », Israel Exploration Journal, 43, 1993, pp. 81-98 ;
ID., « The Tel Dan Inscription: A New Fragment », Israel Exploration Journal, 45, 1995,
pp. 1-18. Pour plus de précisions, voir HANS-PETER MÜLLER, « Die Aramäische Inschrift
von Tel Dan », Zeitschrift für Althebraistik, 8, 1995, pp. 121-139 ; ANDRÉ LEMAIRE, « The
Tel Dan Stela as a Piece of Royal Historiography », Journal for the Study of the Old
Testament, 81, 1998, pp. 3-14 ; NADAV NA’AMAN, « Three Notes on the Aramaic Inscrip-
tion from Tel Dan », Israel Exploration Journal, 52, 2000, pp. 92-104 ; GUY COUTUYER,
« Quelques observations sur le bytdwd de la stèle araméenne de Tel Dan », in
P. M. M. DAVIAU, J. W. WEVERS et M. WEIGL (éds), The World of the Arameans II. Studies
in History and Archaeology in Honor of Paul-Eugene Dion History, Sheffield, Academic
Press, « Journal for the Study of the Old Testament Supplement Series-325 », 2001,
pp. 72-98. 1335
NADAV NA’AMAN

La campagne militaire de Adad-Nérari III en Syrie et le tribut de Joas

Adad-Nérari III (809-783), roi d’Assyrie, mena de nombreuses guerres contre la


Syrie afin de reprendre le contrôle des territoires que possédait son grand-père,
Salmanasar III. Après une victoire décisive sur le royaume d’Arpad et ses alliés en
805, il soumit d’abord les royaumes syriens du nord, puis avança vers le sud et
vainquit Ben-Hadad, le roi de Damas, puis étendit son emprise sur toute la région
syro-palestinienne. Dans son inscription de Calah, il prétendait contrôler toute la
région jusqu’à Édom et à la Philistie, vers le sud. Si l’on en croit la stèle de Tell
er-Rimahw (Tell al-Rimah, près de Mossoul), Adad-Nérari reçut un tribut de la part
de « Joas le Samarien, de celle des Tyriens et des Sidoniens 27 ».
Adad-Nérari n’est pas mentionné dans le Livre des Rois. Certains chercheurs
ont suggéré que la désignation « sauveur » (II Rois 13, 5) renvoyait à ce souverain.
Cependant, deux points font difficulté : d’abord, les versets 3 à 6a semblent être
des ajouts, ensuite il est très peu probable que le nom « sauveur » s’applique à
un roi étranger. Ce terme renvoie plus certainement à Élisée ou à Joas, fils de
Joachaz auquel Élisée prédit la victoire (II Rois 13, 14-19) 28. Il n’est pas question
de l’Assyrie dans le Livre des Rois avant l’époque de Téglat-Phalasar III (745-
727), dans la seconde moitié du VIIIe siècle avant J.-C., c’est-à-dire environ cent
dix ans après les premiers affrontements entre le royaume d’Israël et l’Assyrie à
l’époque d’Achab.

Une réévaluation du texte biblique

Comparer la teneur du Livre des Rois à celle des inscriptions royales du Proche-
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Orient aux Xe et IXe siècles avant J.-C. invite à deux conclusions principales. L’au-
teur du Livre des Rois avait de meilleures sources pour l’histoire de Juda aux Xe
et IXe siècles avant J.-C. que pour celle de son voisin du nord. La campagne militaire
de Shishaq à la fin du Xe siècle avant J.-C. en est un bon exemple. Elle fut menée
principalement contre le royaume d’Israël, mais l’historien n’en savait rien. Il n’était
au courant que du tribut payé par Jéroboam, alors que Juda n’avait joué qu’un rôle
mineur dans la campagne égyptienne. De plus, il n’est fait aucune référence aux
combats que les rois d’Israël livrèrent contre l’Assyrie ni aux tributs qu’ils ont

27 - Pour les campagnes militaires vers l’ouest de Adad-Nérari III, voir MANFRED
WEIPPERT, « Die Feldzüge Adadniraris III. nach Syrien: Voraussetzungen, Verlauf,
Folgen », Zeitschrift des Deutschen Palästina-Vereins, 108, 1992, pp. 42-67 ; ANDRÉ LEMAIRE,
« Hazaël de Damas, roi d’Aram », in D. CHARPIN et F. JOANNÈS (éds), Marchands, diplo-
mates et empereurs. Études sur la civilisation mésopotamienne offertes à Paul Garelli, Paris,
Éditions Recherche sur les civilisations, 1991, pp. 106-108 ; ID., « Joas de Samarie, Barha-
dad de Damas, Zakkur de Hamat. La Syrie-Palestine vers 800 avant J.-C. », Eretz Israel,
24, 1993, pp. 148*-157*.
28 - JACQUES BRIEND, « Jéroboam II, sauveur d’Israël », in A. CAQUOT et M. DELCOR
(éds), Mélanges bibliques et orientaux en l’honneur de M. Henri Cazelles, Kevelaer-Neukirchen-
1336 Vluyn, Neukirchener Verlag, 1981, pp. 41-49.
HISTOIRE BIBLIQUE

payés aux souverains assyriens. La première mention de l’Assyrie dans le Livre


des Rois intervient dans le récit du tribut versé par Menahem à Téglat-Phalasar III
en 740 avant J.-C. (II Rois 15, 19-20), environ vingt ans avant la destruction et
l’annexion du royaume d’Israël.
Si l’on en croit le Livre des Rois, c’est Achaz qui fut le premier souverain à
payer tribut à l’Assyrie (II Rois 16, 8-17). Téglat-Phalasar III mentionne en effet
le tribut d’Achaz dans son inscription 29. Un roi de Juda versa-t-il un tribut à l’Assyrie
auparavant, sans que l’auteur du Livre des Rois en ait eu connaissance ? Il est bon
de rappeler que le livre ne fait aucune mention de tributs remis à des souverains
étrangers par les rois israélites jusqu’à la fin du IXe et le début du VIIIe siècle avant
J.-C., alors que les tributs versés ou les cadeaux offerts par les rois judéens sont
généralement attestés (par exemple le paiement de Roboam à Shishaq [I Rois 14,
26] ; le « cadeau » d’Asa à Ben-Hadad [I Rois 15, 18-19] ; le tribut de Joas à Hazaël
[II Rois 12, 19] ; et l’épisode où Jehoash emporte tous les trésors d’Amasiah [II
Rois 14, 14]). De plus, même Sargon II (721-706) se vantait, dans l’une de ses
inscriptions, d’avoir « soumis le lointain pays de Juda ». Tant qu’existait le royaume
d’Israël, Juda restait un royaume de second rang, en marge des tensions inter-
nationales, et qui pouvait échapper au destin de son puissant voisin du nord.
L’absence de références à des tributs payés à l’Assyrie par les rois de Juda avant
le règne d’Achaz pourrait donc bien refléter la réalité historique.
En d’autres termes, la connaissance qu’avait l’auteur du Livre des Rois de
l’histoire des royaumes de Juda et d’Israël à la période monarchique était dissem-
blable. Il écrivit son ouvrage en s’appuyant sur les sources disponibles, et, si l’his-
toire d’un des deux États semble plus détaillée, c’est tout simplement que les
sources étaient plus abondantes dans un cas que dans l’autre. L’auteur du Livre
des Rois fit amplement usage des récits prophétiques pour établir la chronologie
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du royaume d’Israël au IXe siècle avant J.-C. Il les intégra à certains passages et
s’appuya sur eux pour en écrire d’autres. Intégrer les récits prophétiques à son
texte lui permettait de pallier la pénurie de sources disponibles sur l’histoire du
royaume du Nord 30. La comparaison de ces récits avec les inscriptions royales
permet d’établir le rôle qu’ils jouèrent dans la reconstruction historique et de
souligner leurs grandes limites.
Les inscriptions royales confirment certains détails mentionnés dans ces
récits : Mésa fut soumis à Israël sous le règne des Omrides et se révolta à l’époque
de Joram, fils d’Achab ; Hazaël ne fut pas désigné comme héritier du trône d’Aram ;
Joram, fils d’Achab, et Ochozias, fils de Joram, furent de grands alliés et périrent
à la même époque. Jéhu devint roi d’Israël peu après. Il arrive que certains détails
présents dans un récit prophétique puissent être plus fiables que le texte d’une
inscription royale. Jéhu est appelé « fils d’Omri » dans l’inscription de Salmanasar
mais, sans les preuves apportées par la Bible, il aurait été pris pour un descendant

29 - HAYIM TADMOR, The Inscriptions of Tiglath-pileser III King of Assyria, Jérusalem, The
Israel Academy of Sciences and Humanities, 1994, p. 170, lignes 11, 277.
30 - Voir NADAV NA’AMAN, « Prophetic Stories as Sources for the Histories of Jehoshaphat
and the Omrides », Biblica, 78, 1997, pp. 153-173. 1337
NADAV NA’AMAN

de la dynastie des Omrides. Pourtant, l’histoire biblique indique qu’il appartenait


à la maison de Nimchi et qu’il accéda au pouvoir après une rébellion sanglante.
Mésa se rebella à l’époque de Joram, fils d’Achab. Mais son inscription suggère
que cette révolte commença à l’époque du « fils » d’Omri, car elle joue sur le
double sens du mot ben, en sémitique occidental, à savoir « fils » et « descendant ».
Les inscriptions royales sont elles aussi des documents hautement subjectifs et
doivent faire l’objet d’une analyse critique. Leur contenu peut être parfois rejeté
au bénéfice d’autres sources.
Mais certains détails mentionnés dans les récits prophétiques ne sont pas
compatibles avec ce que l’on sait par ailleurs. Ainsi, Hazaël affirmait qu’il avait tué
lors d’une bataille à la fois Joram d’Israël et Ochozias de Juda, alors que, dans
le récit prophétique, c’est Jéhu qui tue les deux rois. Il y a d’autres exemples :
a) l’inscription de Salmanasar, selon laquelle Achab et donc Joram étaient les alliés
d’Adad-Idri et qu’ils combattirent avec lui contre l’Assyrie, contredit la description
d’une lutte armée continuelle entre Aram et Israël à l’époque des Omrides, que
l’on trouve dans la Bible ; b) les inscriptions royales assyriennes, qui montrent
qu’Adad-Idri était roi de Damas et qu’Hazaël lui succéda, ne vont pas dans le sens
des Écritures, dans lesquelles Ben-Hadad est le roi d’Aram, à l’époque d’Achab
et de Joram, et le prédécesseur d’Hazaël, l’usurpateur ; c) l’inscription de Mésa
indique que la ville de Dibôn, située au nord de l’Arnon, était la capitale de son
royaume et que ce fut seulement à la fin de son règne qu’il acheva la conquête
des régions au sud de cette rivière, tandis que, dans le récit prophétique (II Rois
3), la région du sud de l’Arnon est présentée comme le centre du royaume de
Mésa dont la capitale est Quir-Haréseth (el-Kerak).
Cette analyse montre que l’auteur du Livre des Rois disposait de sources
écrites à partir desquelles il retraça l’histoire de la fin des Xe et IXe siècles avant
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J.-C. Elle prouve aussi qu’il rassembla divers documents et les utilisa dans son
travail. Mais le nombre de ces sources était réduit et la quantité d’informations
qu’elles contenaient était tout à fait limitée. Afin d’écrire une histoire linéaire et
continue des deux royaumes au IXe siècle et de combler les nombreux vides, il dut
procéder à des déductions logiques tirées des sources existantes. Il n’est pas éton-
nant que certaines d’entre elles ne cadrent pas avec la réalité historique. De plus,
en ce qui concerne le royaume du Nord, ses sources principales étaient des récits
prophétiques qui ne constituent pas un genre idéal pour un historien. Ces récits,
écrits après une longue période de transmission orale, ont une dimension véritable-
ment romanesque et tendent à glorifier la figure de l’homme de Dieu dans ses actes.
Même si ces histoires conservent la trace d’événements propres à la dynastie d’Omri
et de Jéhu, ils en incluent d’autres, bien éloignés de la réalité historique.
Lorsqu’il existe un grand décalage entre les événements et l’époque où ils
furent consignés par écrit, et que les sources fiables sont rares, l’historien, même
s’il s’efforce de reconstruire fidèlement les événements passés, commet souvent
des erreurs. Les contradictions entre l’histoire biblique et la réalité du IXe siècle
avant J.-C. peuvent être expliquées par la date tardive à laquelle elle fut écrite, le
manque de sources précises et fiables pour l’histoire du royaume du Nord et les
1338 impératifs historiographiques et théologiques de l’auteur.
HISTOIRE BIBLIQUE

Le Livre des Rois comme source pour l’histoire d’Israël


à la période monarchique
L’historiographie biblique fut avant tout composée dans le but de transmettre un
message religieux, idéologique et éthique à ses lecteurs ou à ses auditeurs. La date
tardive à laquelle l’histoire biblique fut écrite, sa nature littéraire ainsi que son
caractère extrêmement subjectif sont autant de raisons pour ne pas l’utiliser comme
source pour écrire une histoire d’Israël, selon les standards « occidentaux » généra-
lement admis. Afin de mieux comprendre comment l’on peut regarder la Bible en
tant que document historique, il faut examiner certaines questions fondamentales.
Les auteurs de la Bible ont-ils travaillé comme des historiens, ont-ils rassemblé
toutes les sources disponibles afin de les utiliser dans leur travail ? Ont-ils adopté
une approche critique ? À quel type de sources récentes pouvaient-ils avoir accès ?
Où les ont-ils trouvées ? Leur ont-elles permis de retracer une chronologie
complète de l’histoire d’Israël dans l’Antiquité ?
Afin de répondre à ces questions, j’examinerai ce que l’on appelle communé-
ment « l’histoire deutéronomiste ». Cette vaste entreprise englobe les livres du
Deutéronome et des premiers prophètes (Josué, les Juges, Samuel et les Rois) ; sa
portée novatrice, son idéologie et son message ont été définis pour la première
fois par Martin Noth en 1943 31. Les grandes lignes de son hypothèse ont été
acceptées par le courant majoritaire des spécialistes de la Bible. Et depuis, une
très grande quantité de livres et d’articles visant à analyser les différents aspects
de cette œuvre ont été publiés 32.
Le choix de l’auteur, que l’on appelle par convention « le Deutéronomiste »,
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de respecter la chronologie des événements prouve qu’il avait l’intention de retra-
cer l’histoire de la période biblique. Il était conscient de l’importance des sources

31 - MARTIN NOTH, Überlieferungsgeschichtliche Studien, Tübingen, Max Niemeyer Verlag,


[1943] 1967 (3e édition) ; ID., The Deuteronomistic History, Sheffield, Academic Press,
« Journal for the Study of the Old Testament Supplement Series-15 », 1981.
32 - Voir, entre autres, HANS-DIETEL HOFFMANN, Reform und Reformen: Untersuchungen
zu einem Grundthema der deuteronomistischen Geschichtsschreibung, Zürich, Theologischer
Verlag, 1980 ; ANDREW D. H. MAYES, The Story of Israel between Settlement and Exile.
A Redactional Study of the Deuteronomistic History, Londres, SCM Press, 1983 ; JOHN VAN
SETERS, In Search of History. Historiography in the Ancient World and the Origins of Biblical
History, New Haven-Londres, Yale University Press, 1983 ; STEVEN L. MCKENZIE, The
Trouble with Kings. The Composition of the Book of Kings in the Deuteronomistic History,
Leyde, E. J. Brill, 1991 ; GARY N. KNOPPERS, Two Nations Under God: The Deuteronomistic
History of Solomon and the Dual Monarchies, I-II, Atlanta, Scholars Press, 1993-1994 ; ERIK
EYNIKEL, The Reform of King Josiah and the Composition of the Deuteronomistic History,
Leyde, E. J. Brill, « Oudtestamentische Studien-XXXIII », 1996 ; PERCY S. F. VAN
KEULEN, Manasseh Through the Eyes of the Deuteronomists, Leyde, E. J. Brill, « Oudtesta-
mentische Studien-XXXVIII », 1996 ; ALBERT DE PURY, THOMAS RÖMER et JEAN-
DANIEL MACCHI (éds), Israël construit son histoire. L’historiographie deutéronomiste à la
lumière des recherches récentes, Genève, Labor et Fides, « Le monde de la Bible-34 », 1996 ; 1339
NADAV NA’AMAN

dans l’écriture d’une histoire fiable et, pour démontrer l’authenticité de ses descrip-
tions, il les citait parfois. Dans d’autres cas, il se référait à la réalité de son époque
(par l’expression « jusqu’à ce jour »), comme preuve de l’authenticité de ses récits.
À de nombreuses reprises, il inséra des données qui n’étaient pas nécessaires au
message qu’il voulait faire passer à ses lecteurs. Leur présence indique que le
Deutéronomiste s’efforçait d’intégrer à son œuvre tous les détails qu’il trouvait
dans ses sources.
De quel type de documents disposait-il ? Les retrouver, ainsi que la façon dont
l’auteur les a utilisées, est une étape essentielle si l’on veut découvrir les fonde-
ments sur lesquels l’histoire fut reconstruite. Seule la version finale de ce travail
nous est parvenue. Il est donc d’autant plus difficile de distinguer les sources des
éléments plus tardifs dans lesquels elles furent intégrées. Afin d’identifier celles du
Deutéronome, nous devons avant tout établir quels types de textes étaient produits
par les royaumes du Proche-Orient antique, le lieu dans lequel ils étaient entre-
posés et le laps de temps pendant lequel ils étaient conservés. Les archives que
l’on a retrouvées jusqu’à présent dans les très vieilles villes du Proche-Orient ne
contiennent que des tablettes remontant à quelques générations 33. C’est le cas
pour les archives découvertes à Babylone, en Assyrie, à Arraphka, Élam, Alalakh
et Ougarit 34. Les Hittites, qui gardaient les tablettes pendant de nombreuses géné-
rations, font figure d’exception 35. Que ce soit à Hatti ou dans l’ensemble du Proche-
Orient, rien n’indique que les scribes consultaient des archives afin de retrouver
des documents anciens leur permettant d’expliciter des événements d’un passé
lointain. Les historiens de la période pré-hellénistique n’utilisaient pas d’avantage
les archives pour trouver des informations à partir de documents originaux 36. Il est
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GARY N. KNOPPERS et J. GORDON MCCONVILLE (éds), Reconsidering Israel and Judah.
Recent Studies on the Deuteronomistic History, Winona Lake, Eisenbrauns, 2000.
33 - Dans le cadre de cette recherche, j’ai distingué archives et bibliothèques. Même si
la distinction n’est pas toujours claire et qu’il arrive que l’on trouve des bibliothèques
d’archives ou des archives dans des bibliothèques. Pour un débat sur la question, voir
KLAAS R. VEENHOF, « Cuneiform Archives: An Introduction », in K. R. VEENHOF (éd.),
Cuneiform Archives and Libraries, Leyde, Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten,
1986, pp. 1-11 ; OLOF PEDERSÉN, Archives and Libraries in the Ancient Near East 1500-300
BC, Bethesda, CDL Press, 1998, pp. 1-9. K. R. Veenhof a défini les archives comme
« l’ensemble des documents accumulés pendant qu’une institution ou une personne
effectue une tâche particulière [...] et qui perdurent avec ceux qui les ont rédigés ou
utilisés » (p. 7).
34 - Pour une recherche détaillée sur les archives découvertes en Asie de l’Ouest, voir
O. PEDERSÉN, Archives and Libraries..., op. cit.
35 - HEINRICH OTTEN, « Archive und Bibliotheken in H e attuša », in K. R. VEENHOF,
Cuneiform Archives..., op. cit., pp. 184-190 ; PETER NEVE, « Hattuscha, Haupt- und Kult-
stadt der Hethiter – Ergebnisse der Ausgrabungen in der Oberstadt », Hethitica, 8, 1987,
pp. 297-318 ; ID., « Boğazköy-Hattusha – New Results of the Excavations in the Upper
City », Anatolica, 16, 1990, pp. 7-19 ; O. PEDERSÉN, Archives and Libraries..., op. cit.,
pp. 44-56.
36 - ARNALDO MOMIGLIANO, « Historiography on Western Tradition and Historiography
on Oral Tradition », Studies in Historiography, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1966,
1340 pp. 211-217 ; J. VAN SETERS, In Search of History..., op. cit., pp. 4, 40-51 et 195-199 ;
HISTOIRE BIBLIQUE

évident que les textes non littéraires, tels les documents légaux, administratifs,
économiques ou la correspondance, étaient conservés dans le Proche-Orient
ancien au plus pendant quelques générations pour être ensuite jetés ou utilisés à
d’autres fins.
Compte tenu de ce fait, il semble fort improbable qu’Israël et Juda, à l’inverse
de tous les autres royaumes du Proche-Orient, aient copié des archives pour la
postérité. Il n’y a d’ailleurs aucune citation claire provenant d’archives dans le
Pentateuque et chez les premiers prophètes 37. Il est tout à fait faux de penser,
comme on le fait couramment, que les auteurs de la Bible consultaient des archives
et retrouvaient des informations sur la haute Antiquité dans des documents qu’on
aurait conservés pendant des siècles. De même, l’idée que le Deutéronomiste a
consulté les archives du palais et du Temple afin d’y trouver des documents origi-
naux doit être abandonnée.
Quelles étaient alors les sources dont les anciens historiens disposaient au
moment où ils rédigèrent leurs ouvrages ? Pour savoir celles dont disposait Manétho,
Donald B. Redford a par exemple étudié le contenu des bibliothèques des temples
égyptiens de la seconde moitié du Ier millénaire avant J.-C. Ces bibliothèques
abritaient une grande variété de matériaux avec lesquels le scribe qualifié était
censé être tout à fait familier (par exemple les listes des rois, les « annales », les
inventaires, les lettres, les récits, la littérature rituelle, les résumés de références,
etc.). Il en conclut que la richesse des sources d’une ou plusieurs bibliothèques
de temples permit à Manétho d’écrire son histoire de l’Égypte antique, Aegyptiaca 38.
Une ou plusieurs bibliothèques de temples babyloniens qui possédaient une
grande variété de textes (par exemple les épopées et mythes sumériens et akka-
diens, les listes de rois, les chroniques, la littérature rituelle, etc.) permirent de la
même manière à Berossus d’écrire, dans son Babyloniaca, l’histoire du pays 39. Flavius
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Josèphe, de son côté, faisait mention des écrivains hellènes Ménandre d’Éphèse

ROSALIND THOMAS, « Literacy and the City-State in Archaic and Classical Greece », in
A. K. BOWMAN et G. WOOLF (éds), Literacy and Power in the Ancient World, Cambridge,
Cambridge University Press, 1994, pp. 35-37.
37 - Des documents sont cités dans le Livre d’Ezra et celui de Nahamia pour établir
des lois, et certains chercheurs suggèrent que leurs auteurs utilisèrent des archives. Voir
ELIAS J. BICKERMAN, « The Edict of Cyrus in Ezra 1 », Journal of Biblical Literature, 65,
1946, pp. 249-275 ; ARNALDO MOMIGLIANO, « Eastern Elements in Post-Exilic Jewish,
and Greek, Historiography », Essays in Ancient and Modern Historiography, Oxford, Basil
Blackwell, 1977, pp. 31-33.
38 - DONALD B. REDFORD, Pharaonic King-Lists, Annals and Day-Books: A Contribution to
the Study of the Egyptian Sense of History, Mississauga, Benben Publications, 1986, pp. 206-
228 ; GERALD P. VERBRUGGHE et JOHN M. WICKERSHAM, Berossos and Manetho, Introduced
and Translated. Native Traditions in Ancient Mesopotamia and Egypt, Ann Arbor, University
of Michigan Press, 1996, pp. 95-212.
39 - STANLEY M. BURSTEIN, The Babyloniaca of Berossus, Malibu, Udenda Publications,
« Sources du Proche-Orient antique-1/5 », 1978 ; AMÉLIE KUHRT, « Berossus’ Babylo-
niaka and Seleucid Rule in Babylonia », in A. KUHRT et S. SHERWIN-WHITE (éds), Helle-
nism in the East, Londres, Gerald Duckworth, 1987, pp. 32-56 ; G. P. VERBRUGGHE et
J. M. WICKERSHAM, Berossos and Manetho..., op. cit., pp. 13-91. 1341
NADAV NA’AMAN

et Dius, et il affirmait qu’ils tenaient leurs matériaux de sources originales des


Tyriens (Antiquités judaïques IX, 283, 287 ; Contra Apionem I, 112, 116). Il explique
que ceux-ci conservaient pendant de longues années de vieux livres dans lesquels
étaient consignés des événements mémorables (Contra Apionem I, 107). Les
quelques passages que Flavius Josèphe cite indiquent que les historiens qui écrivi-
rent l’histoire de Tyr à la période hellénistique disposaient d’une liste de rois
détaillée, de quelques chroniques et de récits historiques.
En ce qui concerne le VIIe siècle avant J.-C., presque 1/5 des trente mille
tablettes et fragments présents dans la bibliothèque d’Assurbanipal de Ninive sont
des écrits non littéraires (textes légaux et administratifs, lettres, rapports, etc.). La
bibliothèque abritait surtout la littérature canonique de la Mésopotamie, à savoir ce
qu’on appelle les « textes de présages », « la littérature épique », « la littérature de
sagesse », les mythes, les incantations, les sortilèges, les prières, les listes de signes,
etc. Cette diversité suggère l’extrême variété des documents qui pouvaient être
trouvés dans les bibliothèques royales du Proche-Orient à la fin de l’âge du Fer 40.
Il est certain que les bibliothèques se développèrent petit à petit dans
certains centres urbains importants où l’activité se poursuivit sans interruption
pendant des siècles (celle d’Assurbanipal est une exception). Ces bibliothèques
abritaient des ouvrages de toutes sortes, et les scribes ainsi que l’élite les utilisaient
pour étudier, enseigner ou travailler. La capacité des auteurs postérieurs (Manétho,
Berossus, Dius et Ménandre) à écrire l’histoire de leur pays dépendait de la diver-
sité et de la qualité des sources dont ils disposaient et de leur compréhension de
la réalité antique. La continuité et la stabilité des structures politiques, des institu-
tions sociales et religieuses et de la culture matérielle ont pu aider ces auteurs à
reconstruire le passé de manière relativement fidèle. En revanche, de profonds
changements dans la structure politique, sociale, économique et religieuse de l’État
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et de la société – à l’issue ou non de grandes destructions – pouvaient conduire à
une totale incompréhension de la réalité antique, même lorsque des sources
anciennes étaient disponibles.
La ville de Jérusalem fut la capitale de Juda pendant une longue période, et
de nombreux ouvrages furent sans doute accumulés dans sa bibliothèque. Les
textes rassemblés devaient probablement être moins variés que ceux présents dans
les bibliothèques des temples et des riches palais mésopotamiens et égyptiens,
mais la bibliothèque de Jérusalem possédait tout ce qui était nécessaire à l’éduca-
tion et au travail des élites professionnelles de la ville et des autres centres urbains
de Juda. Cette bibliothèque se trouvait certainement dans le Temple et était la
source des connaissances pratiques et théoriques des hauts dignitaires, prêtres et
scribes, de l’élite lettrée du royaume de Juda. Elle permettait aussi d’instruire les

40 - A. LEO OPPENHEIM, Ancient Mesopotamia: Portrait of a Dead Civilization, Chicago,


University of Chicago Press, 1964 pp. 15-24 ; SIMO PARPOLA « The Royal Archives of
Nineveh », in K. R. VEENHOF, Cuneiform Archives..., op. cit., pp.223- 236 ; THEODORE
KWASMAN, « Neo-Assyrian Legal Archives in the Kouyunjik Collection », in Ibid.,
1342 pp. 237-240.
HISTOIRE BIBLIQUE

jeunes apprentis 41. Les textes anciens étaient apparemment utilisés à des fins
éducatives et recopiés plusieurs fois, ce qui explique qu’ils aient été conservés
jusqu’à la destruction de la ville en 587/586 avant J.-C.
Le Deutéronomiste eut vraisemblablement accès à la bibliothèque du
Temple de Jérusalem 42. Ce vaste corpus accumulé pendant de nombreuses généra-
tions était sa source principale, voire exclusive pour l’histoire d’Israël, tout comme
les auteurs hellènes mentionnés ci-dessus avaient accès aux bibliothèques des
temples quand ils écrivirent l’histoire de leur pays. Il occupait probablement de
hautes fonctions religieuses, ce qui expliquerait sa connaissance très précise de l’in-
térieur du Temple, du culte et de la « littérature sacrée » des prêtres et des scribes.
Si l’hypothèse est juste, les matériaux utilisés par le Deutéronomiste dans son
travail sont issus des documents conservés dans la bibliothèque du Temple.
Établir l’origine des sources utilisées par un auteur n’est que la première
étape de l’évaluation critique de son œuvre. Des textes pourraient avoir été rédigés
peu après les événements mentionnés, tandis que d’autres pourraient avoir été
écrits longtemps après et s’appuyer sur la tradition orale. Certaines sources (comme
les listes de rois et les chroniques) sont facilement exploitables, alors que d’autres
appartiennent à des genres qui s’appliquent mal à la reconstruction historique.
On peut aussi remarquer que le Deutéronomiste, ainsi que tous les scribes qui
travaillaient dans le Proche-Orient antique, ne connaissait pas l’approche historico-
critique mise au point en Grèce pendant la période classique. La critique des
sources demeura inconnue en Orient jusqu’à la période hellénistique. Le Deutéro-
nomiste accorda donc probablement la même crédibilité à tous ses documents.
C’est pour cette raison que nous trouvons des détails concrets et des comptes
rendus factuels, mis sur le même plan que des légendes et des récits romancés.
L’histoire de la période pré-monarchique fut rédigée à partir de sources orales
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et de quelques sources littéraires, que l’auteur trouva probablement dans la biblio-
thèque du Temple. Celles-ci auraient elles-même été composées sur la base de
sources orales par des auteurs antérieurs au Deutéronomiste, sans doute pas avant
le VIIIe siècle. Elles furent intégrées par lui dans son œuvre. Les limites d’une
histoire écrite à partir de traditions orales, transmises pendant des centaines d’années,
sont donc évidentes, et le caractère limité de la contribution apportée par les récits
bibliques à l’étude de la période pré-monarchique d’Israël a été signalé plus haut.
L’histoire de la monarchie unifiée fut, au moins en partie, écrite à partir
d’ouvrages littéraires trouvés dans le Temple. Il semble que les premiers rois et
les événements contemporains de leur arrivée au pouvoir frappèrent l’imagination
des conteurs et des scribes d’avant le Deutéronome, et que ces derniers rapportè-
rent leurs aventures dans de longs récits qui s’appuyaient sur la littérature orale et

41 - IAN M. YOUNG, « Israelite Literacy: Interpreting the Evidence », Vetus Testamentum,


48, 1998, pp. 239-253 et 408-422, a expliqué que, dans la société israélite antique, seuls
les scribes, les prêtres et la classe supérieure savaient lire et écrire alors que ce n’était
pas le cas pour le reste de la population.
42 - NADAV NA’AMAN, « Sources and Composition in the History of David », in V. FRITZ
et P. R. DAVIES (éds), The Origins..., op. cit., pp. 180-183. 1343
NADAV NA’AMAN

leur propre imagination. En plus de cela, le Deutéronomiste utilisa probablement


une chronique qui relatait l’histoire des premiers rois 43. Cette chronique, si elle a
bien existé, fut écrite bien après les événements en question, de sorte qu’aux
épisodes plus anciens se mêle la réalité des périodes ultérieures. L’« historien »
compila toutes ses sources pour les intégrer à sa description, y ajouta son propre
message afin d’écrire une histoire détaillée de la monarchie unifiée. Les décalages
substantiels qui existent entre cette histoire, dont les sources écrites furent consi-
gnées par écrits des centaines d’années après les événements, et la réalité du
e
X siècle ont été soulignés dans la première partie de cet article.
Le Deutéronomiste ne disposait que de sources limitées pour écrire l’histoire
du royaume du Nord. « Le livre des chroniques des rois d’Israël » et les récits
prophétiques étaient probablement les plus importants documents mis à sa disposi-
tion. Il a déjà été question des récits prophétiques. Quant au Livre des chroniques
des rois d’Israël, il est probablement le produit de divers matériaux tirés de sources
plus anciennes (telles que des listes de rois qui mentionnaient les changements
de dynastie). Ces sources contenaient vraisemblablement le nom des rois, les
dates de leur règne et celles de leur dynastie, des détails sur les révoltes et les
dynasties renversées, et des événements sporadiques en relation avec des rois
israélites (telles les guerres avec les Araméens). Cette source ancienne présumée
peut être comparée aux chroniques assyriennes du XVIIe siècle découvertes à Mari
et aux listes des rois assyriens dans lesquelles étaient notés – en plus de la liste
des dignitaires et des rois – des détails sur certains souverains, sur des rébellions
et des changements de dynastie 44.
Les sources disponibles pour l’histoire de Juda aux IXe et VIIIe siècles étaient
plus riches que celles d’Israël. « Le livre des chroniques des rois de Juda » fournis-
sait des détails tout à fait exceptionnels tels que le nom des reines-mères et l’âge
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des rois lorsqu’ils montaient sur le trône. Les détails concernant les relations entre
les souverains de Juda et d’Israël furent certainement tirés des récits prophétiques
et du Livre des chroniques judéen. Quelques parallèles entre règnes judéens et
israélites furent établis grâce à ces sources, mais la plupart furent calculés par
l’auteur. Enfin, il est possible que le Deutéronomiste ait déduit certaines informa-
tions à partir de quelques inscriptions royales dans le Temple de Jérusalem et qu’il
les ait ensuite intégrées à son travail 45.

43 - Ibid., pp. 173-179 ; ID., « The Contribution of the Amarna Letters... », art. cit., pp. 61-64.
44 - MAURICE BIROT, « Les chroniques “assyriennes” de Mari », MARI, Annales de
recherches interdisciplinaires, 4, Paris, Éditions Recherche sur les civilisations, 1985,
pp. 219-242 ; IGNACE J. GELB, « Two Assyrian King-Lists », Journal of Near Eastern Stu-
dies, 13, 1954, pp. 209-230 ; A. LEO OPPENHEIM, « Babylonian and Assyrian Historical
Texts », in J. B. PRITCHARD (éd.), Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament,
Princeton, Princeton University Press, 1969, pp. 564-566 ; SHIGEO YAMADA, « The Edito-
rial History of the Assyrian King List », Zeitschrift für Assyriologie, 84, 1994, pp. 11-37.
45 - NADAV NA’AMAN, « Royal Inscriptions and the Histories of Joash and Ahaz, Kings
of Judah », Vetus Testamentum, 48, 1998, pp. 333-349. Pour une critique, voir SIMON
B. PARKER, « Did the Author of the Books of Kings Make Use of Royal Inscriptions? »,
1344 Vetus Testamentum, 50, 2000, pp. 357-378.
HISTOIRE BIBLIQUE

Le Deutéronomiste vécut peu de temps avant les rois de Juda du VIIe siècle.
Il est donc vain de chercher des sources écrites pour l’histoire de Manassé, d’Amon
et de Josias. L’histoire deutéronomiste s’achève avec la restauration du Temple et
la réforme religieuse de Josias, dont le point d’orgue fut la célébration de la Pâque
(II Rois 23, 21-23). L’épisode de la mort de Josias et l’histoire de Juda jusqu’à ce
que Joïakîn fût relâché de prison ont été écrits par un auteur plus tardif de la même
école de pensée (Dtr 2). Cet auteur vécut en Babylonie et continua le travail
jusqu’à son époque en s’appuyant sur des sources orales. Il corrigea aussi l’œuvre
de son prédécesseur afin d’adapter son message aux nouvelles circonstances, à
savoir la destruction de Jérusalem et l’exil de la maison royale et de l’élite en
Babylonie.
Le Deutéronomiste n’utilisa pas ses sources de façon uniforme. Il les retra-
vaillait parfois de telle sorte qu’il est impossible de retrouver l’original. Il allait
quelquefois jusqu’à écrire des passages qu’il ajoutait à sa matière, la conservant
intacte. Dans d’autres cas encore, il les recopiait mot à mot en y greffant seulement
des éléments mineurs. Néanmoins, on peut reconnaître son style dans l’ensemble
du texte qui, à partir d’un assemblage de sources éparses, s’est mué sous sa plume
en une œuvre littéraire, religieuse et idéologique homogène. L’histoire deutérono-
miste écrite à la fin du VIIe siècle avant J.-C. est un travail historiographique abouti,
le premier qui puisse être qualifié de texte d’« histoire ».

Ainsi, seule une partie relativement restreinte de la matière présente dans l’historio-
graphie biblique peut être utilisée pour écrire une histoire d’Israël suivant des
critères modernes. La période pré-monarchique ainsi que la période de la monar-
chie unifiée devraient être principalement reconstituées à partir de sources non
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bibliques et de données archéologiques et anthropologiques. L’histoire biblique
de la période pré-monarchique doit être traitée avec une extrême prudence, et
seuls quelques détails épars peuvent en être tirés pour reconstruire les débuts de
cette période. Pour l’histoire des royaumes d’Israël et de Juda entre les Xe et
e
VIII siècles avant J.-C., il est nécessaire de séparer les sources dont l’auteur dispo-
sait des textes qu’il produisait et, autant que possible, d’analyser le travail effectué
à partir de ces documents pré-deutéronomiques. L’histoire du royaume de Juda
depuis l’époque de Manassé jusqu’à la destruction et l’Exil est fondée sur des
souvenirs marquants du Deutéronomiste et de son successeur, qui écrivit en
Babylonie (Dtr 2) ; ainsi, les détails qui apparaissent dans les derniers chapitres du
Livre des Rois semblent dignes de foi.
Pour finir, les historiens modernes ne devraient jamais oublier que l’écriture
du passé traduit, à bien des égards, la réalité et les conceptions de l’époque à
laquelle elle s’effectue et que de nombreux éléments de l’histoire deutéronomiste
peuvent être des reflets de l’époque de son auteur. De plus, l’historiographie biblique
fut écrite avant tout pour forger le présent et transmettre un message idéologique et
religieux à ses lecteurs et auditeurs. Ces objectifs idéologico-théologiques rendent
nécessaire une approche critique de tous les textes, qu’ils s’appliquent à l’histoire
ancienne ou plus récente d’Israël. 1345
NADAV NA’AMAN

Au début de cette contribution, j’ai insisté sur le fait que seule la Bible décrit
de manière systématique et continue l’histoire d’Israël au cours des périodes pré-
monarchiques et monarchiques et qu’il est impossible sans elle d’écrire une histoire
linéaire de ces périodes. Dans le cours de la discussion, j’ai montré combien il était
délicat d’utiliser les Écritures comme source historique et combien il était difficile
de séparer les éléments fictifs et idéologiques de la matière « historique ». Notre
connaissance de l’histoire d’Israël à l’époque biblique est bien moindre que ne le
croyaient autrefois les chercheurs. En réalité, nous ne sommes en mesure d’authen-
tifier que certains des nombreux événements qui se déroulèrent en Palestine au
cours de la période qui s’étend de la destruction du système des villes cananéennes,
au XIIe siècle, à la période hellénistique.

Nadav Na’aman
Université de Tel-Aviv

Traduit par Émilie Souyri


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