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Gabrielle Atlan
Dans Société, droit et religion 2014/1 (Numéro 4), pages 33 à 46
Éditions CNRS Éditions
ISSN 2110-6657
ISBN 9782271081711
DOI 10.3917/sdr.004.0033
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choisissant de quitter sa famille, son pays et ses mœurs idolâtres pour suivre
sa belle-mère11 âgée et sans ressource, elle mérita de devenir la grand-mère du
roi David12, l’ancêtre du messie à venir.
Esther13, autre héroïne célèbre de la Perse antique, se vit confier la mission
historique de sauver son peuple des mains d’un ministre despote et oppor-
tuniste. Favorite du roi Assuérus, Esther choisit, au péril de sa vie, de porter
secours à son peuple plutôt que de demeurer au palais du roi.
Hannah, femme aimée mais stérile, adressa à Dieu une prière si poignante
qu’elle fut exaucée en donnant naissance au prophète Samuel14. La sincérité de
cette prière féminine, à laquelle Dieu lui-même ne put résister, est mise à l’hon-
neur le jour du nouvel an juif15, car elle est le symbole par excellence d’une prière
sincère et authentique qui sied particulièrement à la solennité de cette fête.
Le livre des Proverbes est, de tous les textes bibliques, le plus apologétique
à l’égard de la femme. Célébrant la femme vaillante et vertueuse, cet hymne à
la gloire de la femme est entonné à l’office d’ouverture du Shabbat, à la syna-
gogue ou dans les foyers, pour honorer celle qui est l’âme même du foyer. La
fiancée Shabbat telle que la tradition qualifie amoureusement ce jour, fait écho
à l’épouse bien-aimée et respectée.
Inspiré par ces figures féminines qui prirent part à la destinée d’Israël, le
philosophe Emmanuel Lévinas écrit : « Tous les aiguillages de cette voie diffi-
cile, où le train de l’histoire messianique risquait mille fois de dérailler, ont été
gardés et commandés par des femmes. Les événements bibliques n’auraient
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L’interdiction de la polygamie
et le consentement de la femme au divorce
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Le Talmud s’exprime sur le sujet et prévoit que dans ce cas précis, « on est
en droit de contraindre un homme à remettre le get à sa femme jusqu’à ce qu’il
obtempère »34. Évoquant une contradiction flagrante avec le texte biblique qui
prévoit uniquement le divorce initié par l’homme, Rabbenou Tam35, autorité
rabbinique française du xiie siècle, décréta qu’il était interdit d’exercer une
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Si l’obligation pour l’homme d’avoir des relations intimes avec son épouse,
est un commandement d’origine biblique37 – indépendamment du devoir de
procréer38, également imputé à l’homme – le consentement de la femme n’en
est pas moins indispensable. Le devoir conjugal ne confère pas tous les droits
au mari. Il ne peut en aucun cas contraindre son épouse à avoir des relations
intimes avec lui. La femme doit être pleinement consentante et son consente-
ment ne doit pas être obtenu sous la contrainte. Dans le cas contraire, il s’agi-
rait selon la Loi juive, d’une agression sexuelle ou d’un viol caractérisé. Cette
36. Menahem Elon, Ma’amad ha-ishah, Mishpat ve-shiput, Massoret u-temurah, ’arkehah shel
medinah yehudit u-demoqratit [The Status of Women, Law and Judgment, Tradition and Transition, The
Values of a Jewish and Democratic State], Hakibbutz Hameuchad, Tel-Aviv, 2005, p. 348-351.
37. « … Il ne la privera pas de sa nourriture, de son habillement ni du droit conjugal », Exode, 21, 10.
38. Les commandements de la procréation (Genèse 1, 28) et du devoir conjugal (Exode 21, 10) sont
totalement distincts l’un de l’autre.
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règle est explicitement énoncée dans le Talmud39, ce qui lui confère toute son
autorité. Il faut souligner qu’il ne s’agit en aucun cas d’un conseil, mais bien
d’une loi. Les décisionnaires rabbiniques de tous les temps sont unanimes et
ont maintes fois réitéré ce principe avec force, faisant usage de diverses méta-
phores pour illustrer la gravité de l’infraction à cette loi.
Maïmonide40, codificateur majeur du xiie siècle, affirme par exemple dans
son Code : « Si une femme déclare : Mon mari me répugne et je ne peux avoir de
relations avec lui », on contraint le mari à divorcer sur le champ car la femme
n’est pas une captive, obligée de cohabiter avec un homme qu’elle abhorre41.
Plus récemment, en 1978, le rabbin Yaakov Kaniewski42, autorité rabbi-
nique incontestée en Israël écrit43 : « … Selon la Torah, il est interdit d’avoir
des relations intimes avec sa femme si elle n’en a pas envie… car elle serait
comme une proie devant un lion vautré, en train de se repaître »44.
Si cette règle de bonne conduite entre époux est exemplaire et digne d’être
soulignée, elle pourrait – indépendamment de toute considération religieuse
– sembler évidente et acquise à toute personne civilisée, pourvue du sens
du respect de la personne humaine et a fortiori de l’épouse. Or, force est de
constater qu’il n’en est rien. Dans la plupart des pays du globe, y compris en
Occident, le concept de viol conjugal n’existe pas ou commence tout juste à
être reconnu45. C’est la définition du concept de devoir conjugal qui, à chaque
fois, est mise en cause. En effet, il est admis que par le mariage, la femme
consent tacitement à avoir des relations sexuelles avec son mari. Or, ce prin-
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39. « Rabbi bar Hama a dit au nom de Rav Assi : il est interdit à l’homme de contraindre sa femme à
avoir des relations intimes », Eruvin 100b (T.B).
40. Moïse ben Maïmon plus connu sous le nom de Maïmonide (1135-1204), décisionnaire, codificateur
et philosophe originaire d’Espagne.
41. Maïmonide, Mishneh Torah, Hilkhot Ichout 14, 8.
42. Yaakov Israel Kaniewski (1899-1985), autorité rabbinique israélienne incontestée d’origine litua-
nienne, également connu aussi sous le nom de Steipler.
43. Iggeret kodesh meet gedoley ha-dor, Jérusalem, 1978, page 7.
44. Référence au traité Pessahim 49a (T.B).
45. Seuls une cinquantaine de pays dans le monde reconnaissent le viol comme une infraction à part
entière.
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46. Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 11 juin 1992, Bulletin Criminel 1992 n° 232.
47. Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006.
48. Article 222-22 du Code Pénal, modifié par Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010-art. 36.
49. La Palestine était sous mandat britannique de 1917 à 1948.
50. Menahem Elon, opus cité, p. 223 à 228.
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51. Genèse 5, 2.
52. Berakhot 24a (T.B).
53. Deutéronome 17, 8, 11.
54. Pour une étude exhaustive du divorce juif, voir Gabrielle Atlan, Les Juifs et le divorce, Droit, histoire
et sociologie du divorce religieux. Préface du Professeur Jean Carbonnier, Peter Lang, Bern, 2002.
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Bibliographie
Atlan G., Les Juifs et le divorce, Droit, histoire et sociologie du divorce religieux.
Préface du Professeur Jean Carbonnier, Bern, Peter Lang, 2002.
Elon M., Ha-mishpat ha-`ivri, Toldotav, Meqorotav `Eqronotav [Jewish Law,
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