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Alain Houziaux
Dans Études théologiques et religieuses 2006/2 (Tome 81), pages 167 à 182
Éditions Institut protestant de théologie
ISSN 0014-2239
DOI 10.3917/etr.0812.0167
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MARIE-MADELEINE ÉTAIT-ELLE LA
COMPAGNE DE JÉSUS-CHRIST ?
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5. C’est pourquoi Pierre a la première place dans le livre des Actes et dans l’ordre des
apparitions du Ressuscité donné par la première confession de la résurrection du Christ, celle
de Paul dans 1 Co 15.
6. Cf. François VOUGA, Les premiers pas du Christianisme, Genève, Labor et Fides, 1997,
p. 169 sqq.
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Pour tenter de répondre à ces questions, il faut préciser un point. Dans les
Évangiles gnostiques, l’« Enseigneur » (le Christ) révèle un enseignement
secret et ésotérique à un disciple particulier et privilégié, qu’il soit homme ou
femme. Cela peut nous étonner. En effet, nous semble-t-il, Jésus a voulu prê-
cher pour tous, Juifs et païens, justes et injustes, et non pas seulement pour
quelques-uns. N’a-t-il pas dit : « Le soleil se lève sur les justes comme sur les
injustes et Dieu donne la bénédiction de la pluie sur les bons comme sur les
méchants » ? (Mt 5, 45).
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10. Cité par Antonio PINERO, L’autre Jésus, Paris, Seuil 1996, p. 114.
11. Jean-Yves LELOUP, dans Tout est pur pour celui qui est pur, Paris, Albin Michel, 2005,
considère peut-être à juste titre qu’il y a dans toutes les hérésies l’expression d’une conception
du corps et de la sexualité que nous refoulons.
12. IRÉNÉE DE LYON, Adversus hereses, I, 25, 4, cité par Hans Jonas, La religion gnostique,
Paris, Flammarion, 1978, p. 356.
13. Notons cependant que dans la sentence 42 le mot « compagne » évoque clairement une
relation sexuelle.
14. Ainsi Jésus dit (Mt 12, 50) : « Quiconque fait la volonté de Dieu est mon frère, ma sœur
et ma mère. » Et Paul écrit (2 Co 11, 2) « Je vous ai fiancés à un seul époux pour vous présenter
à Christ comme une jeune fille pure. »
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Mais tout cela ne répond pas à la question : pourquoi est-ce à une femme
que le Christ dispense, de manière privilégiée, son enseignement alors que le
gnosticisme était semble-t-il misogyne et globalement ascétique ?
Notons d’abord qu’il y a eu un précédent dans le courant gnostique. Cela
nous mettra peut-être sur la voie. Celui que l’on considère en général comme
le fondateur du gnosticisme, Simon le Mage, contemporain de Jésus (le Livre
des Actes le mentionne) vivait avec une femme nommée Hélène. Ils
formaient un couple, au sens sexuel du terme. Certains théologiens ortho-
doxes de l’époque et, semble-t-il, Simon lui-même présentent Hélène comme
une prostituée. Selon Simon, elle incarne la Sagesse (Sophia) divine et
déchue, qui est descendue dans le monde, alors que lui, Simon, se déclarait
être lui-même Dieu le Père 15.
Ce précédent permettrait d’établir un parallélisme entre le couple de
Simon et Hélène d’une part et celui de Jésus et Marie-Madeleine d’autre part.
De fait, l’Évangile de Philippe présente Jésus comme le Fils de Dieu et
Marie-Madeleine comme une incarnation de la Sagesse, et aussi comme la
« compagne » de Jésus. De plus, elle a souvent été présentée elle aussi
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15. Émile GILLABERT, Jésus et la gnose, Paris, Dervy, 1981, réédition 1991, p. 60.
16. IRÉNÉE, op. cit., I, 23, 2, cité par Hans Jonas, op. cit., p. 147.
17. Ce n’est jamais exprimé clairement, mais la sentence 55 peut être comprise en ce sens.
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fait, Marie-Madeleine a sans doute très tôt 18 représenté l’image d’une femme
pécheresse (peut-être prostituée) convertie par le Christ et guérie par lui de
ses démons. Marie Madeleine avait ainsi toutes les caractéristiques voulues
pour devenir une incarnation et une figure symbolique de la Sagesse-Sophia.
Elle était femme, elle avait été possédée par les démons et elle en avait été
sauvée et délivrée par Jésus (Mc 16, 9).
Marie-Madeleine, en tant que femme et pécheresse de surcroît, représente
la perdition dans le monde. Mais par son acceptation de la connaissance que
lui apporte Jésus, l’Enseigneur issu de Dieu, le Fils du Père, elle se métamor-
phose au cours d’une évolution positive, elle quitte l’absurdité de la matière,
et atteint la connaissance et le salut 19. Le baiser de Jésus à Marie-Madeleine
représente le baiser rédempteur du Sauveur à la Sophia.
D’ailleurs le texte de la sentence 55 de l’Évangile de Philippe le montre
clairement. Ce texte commence par dire : « La Sagesse (Sophia) que l’on
croyait stérile est la mère des Anges. » Et il ajoute immédiatement « La com-
pagne du Fils est Myriam de Magdala. L’Enseigneur aimait Myriam plus que
tous les disciples, il l’embrassait souvent sur la bouche. » Si la Sophia cesse
d’être stérile, si elle devient la mère des anges et est délivrée de l’esclavage
de la chair, c’est parce que l’Enseigneur embrasse sur la bouche Marie-
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20. ÉPIPHANE, Panariom 26, 8, 2-3, cité dans H. C. PUECH, Les Évangiles gnostiques. Le
Da Vinci Code fait référence à ce texte au chapitre 60.
21. Selon les Évangiles canoniques, Salomé est la mère de Jacques et de Jean. Elle est
présente avec Marie-Madeleine au moment de la crucifixion de Jésus (Mc 15, 40). Selon de
nombreux commentateurs, elle doit être identifiée à Marie-Madeleine, du moins dans l’Évan-
gile de Thomas. Cf. P. J. RUFF, Marie de Magdala, Nîmes, Lacour, 2004, p. 99.
22. Il s’agit du mythe d’Aristophane dans Le Banquet, 189c-193a ; voir G. Droz, Les
mythes platoniciens, Paris, Seuil, 1992, p. 34-48.
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humain est dans la différenciation sexuelle 24, et le salut pour les hommes et
les femmes d’ici-bas est de devenir (ou de redevenir) l’Anthropos androgyne.
Le Christ, le Fils de l’homme, c’est-à-dire la manifestation issue du Dieu Un
et de l’homme d’avant la chute, a pour mission de conduire vers le salut les
êtres humains enfermés, depuis la chute, dans la division sexuelle. Il le fera
en leur enseignant à reconstruire en eux et entre eux, par l’accouplement (pas
forcément sexuel) entre mâle et femelle, l’Anthropos androgyne primordial.
Il est intéressant de citer dans ce contexte le « logion 25 » 114 de l’Évan-
gile de Thomas qui dit : « Toute femme qui se fera Anthropos entrera dans le
Royaume ». Selon Pierre Geoltrain 26, spécialiste de la pensée gnostique, cette
parole « nous renvoie en fait à ce qui est à l’origine de la déchéance humaine,
aux yeux des gnostiques : non pas la création d’Adam à partir de la matière,
mais bien la séparation entre sexes masculin et féminin qui entraîne à la fois
l’ignorance (puisque Adam et Ève n’ont plus droit à l’Arbre de la
Connaissance) et la mort (puisque l’humanité voit sa vie désormais limitée).
Dès lors, tout ce qui exprime la possibilité de l’androgynie, de la non-
distinction du masculin et du féminin est, pour les gnostiques, un pas vers le
retour à l’unité première qui permettra à l’âme d’être sauvée. » Ainsi, pour
devenir Anthropos et être ainsi sauvé dans le plérôme du Royaume, l’être
humain doit intégrer la polarité qui lui est complémentaire, le masculin chez
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28. « Docète » vient de dokein qui signifie « faire semblant » et « paraître ». Jésus-Christ
paraît être un homme.
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29. Je renvoie évidemment au sublime prologue qui évoque la vie « originellement » intra-
divine du Logos puis sa venue dans le monde et le devenir-chair qui lui fit « planter sa tente
parmi nous » (Jn 1, 14).
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serait intervenu dans les querelles de succession qui ont suivi sa mort et
aurait été mentionné à ce titre. À l’inverse, les arguments avancés pour soute-
nir l’hypothèse d’un Jésus célibataire s’appuient sur le constat que son
époque a été, du point de vue de la sexualité et du mariage, une époque char-
nière. (1) Déjà avant Jésus, les Esséniens ne se mariaient pas. Cela montre
bien que l’abstinence était pratiquée. (2) Jésus croyait à la venue imminente
du Royaume de Dieu. Cela pouvait l’inciter à refuser le mariage. (3) Jésus
s’est très vraisemblablement considéré comme le Fils de l’homme et, à ce
titre, s’il représentait la manifestation de l’anthropos androgyne, il a pu
considérer qu’il n’avait pas besoin de se marier. (4). Très vite après Jésus, un
discours valorisant le célibat et la virginité a pu se répandre pour des raisons
religieuses. Le cas de Paul le montre bien, ainsi que les récits de Mathieu et
Luc sur la virginité de Marie.
Il est, par conséquent, impossible de conclure dans un sens ou dans
l’autre sur la question du mariage de Jésus et, à l’évidence, cela n’a que peu
d’importance aux yeux des contemporains de Jésus qui ne s’intéressent à lui
que lorsqu’il commence à prêcher. Le texte de l’Évangile de Philippe le
montre à sa manière. Jésus est devenu une personnalisation du Fils de
l’homme et du Fils de Dieu et Marie-Madeleine une construction théolo-
gique. Ce qui est dit de Jésus, de Marie-Madeleine et de leur relation a pour
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