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Yves Verneuil
2014/4 n° 32 | pages 13 à 27
ISSN 2267-7313
ISBN 9782811113896
DOI 10.3917/hmc.032.0013
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-
religieuses-2014-4-page-13.htm
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Université Champagne-Ardenne, cerep
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est parfois affirmé, la laïcité n’est pas une exception française : d’autres
pays l’ont mise en place, sous d’autres formes. Néanmoins, la « voie
française » (P. Cabanel) est singulière. Pour l’expliquer, le détour par
l’histoire est nécessaire.
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2. La volonté des parlementaires d’avoir un rôle dans la gestion des questions scolaires
est illustrée par la création de l’agrégation en 1766 : cf. D. Julia, « La naissance du corps
professoral », Actes de la recherche en sciences sociales, septembre 1981, p. 71-86.
3. De 1810 à 1815, le Conseil de l’Université a comporté parmi ses membres M. de Villaret,
évêque de Casal ainsi que l’abbé Roman, chanoine à Notre-Dame (Ch. Jourdain, Les conseils de
l’Instruction publique, Paris, Jules Gervais Libraire-éditeur, 1879, p. 8).
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« dans tous les collèges royaux, toutes les fois qu’il se trouvera des élèves appartenant
à l’un des cultes reconnus par la loi, et s’il existe dans la ville une église de ce culte,
vous ferez en sorte […] qu’un des pasteurs soit appelé pour donner à ces élèves
l’instruction religieuse ».
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8. G. Weill, Histoire de l’idée laïque en France au xixe siècle, Paris, Hachette, 2004, p. 211-247
(1 édition : Félix Alcan, 1929).
ère
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9. Cité par A. Israël, L’École de la République. La Grande Œuvre de Jules Ferry, Paris, Hachette,
1931, p. 115.
10. F. Mayeur, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la troisième République, Paris, Presses
de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977, p. 222-223.
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11. Après 1906, on cesse de recruter des aumôniers fonctionnaires pour les lycées.
12. Pour Paul Janet, Henri Marion et Ferdinand Buisson, trois philosophes qui jouent
un rôle important dans l’introduction dans les programmes des devoirs envers Dieu, l’idée
de Dieu n’implique pas celle de la confession, c’est donc une « idée laïque » (P. Ognier, Une
école sans Dieu ? 1880-1895. L’invention d’une morale laïque sous la IIIe République, Toulouse, Presses
universitaires du Mirail, 2008, p. 97).
13. Sur les accommodements laïques, cf. p. Cabanel, Entre religions et laïcité, la voie française,
xixe-xxie siècles, Toulouse, Privat, 2007, p. 175-198.
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insisté sur le fait que Jules Ferry avait eu une pratique accommodante
et qu’il n’entendait pas heurter la population, afin de ne pas la faire
fuir hors de l’enseignement public. De toute façon, font remarquer
d’autres partisans du refus d’interdire, l’interdiction des signes religieux
visait les murs de la classe, pas les élèves, qui étaient acceptés avec
leurs origines religieuses : la « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry
indique bien qu’il faut accepter les élèves tels qu’ils sont. Mais d’autres
estiment que l’école de Jules Ferry avait pour ambition de faire en sorte
que les élèves dépassent leurs particularismes, que l’instruction civique
en particulier, (qui, symboliquement, remplace l’instruction religieuse)
devait permettre de subsumer les différences. Même s’il ne s’agissait pas
de s’adresser à des élèves abstraits, le port de la blouse devait permettre
d’oublier l’origine de chacun, et ainsi chacun devait être amené par le
maître à s’émanciper des préjugés de son milieu (y compris familial)
pour devenir un individu et surtout un citoyen rationnel14.
Aux yeux des républicains, la laïcité était en tout cas le corollaire de
l’obligation : comme les enfants devront aller à l’école, il faut respecter
leur liberté de conscience (sans parler de celle de l’instituteur). Pour
les adversaires de la laïcité, c’est au contraire parce que l’instruction
est obligatoire que l’école ne doit pas être laïque, car l’« école
athée »15 est une atteinte à la liberté de conscience des parents pour
qui l’enseignement doit être imprégné de religion. Au vrai, on aurait
pu tout aussi bien assurer une instruction religieuse différenciée ; la
mise à l’écart de l’instruction religieuse est un vrai choix, qui consiste
à répudier la religion des lieux institutionnels de la République
(Parlement, tribunaux, écoles), ces lieux étant censés être placés sous
le signe de la seule rationalité. Refusé par les catholiques militants, ce
choix va avoir pour conséquence le développement d’écoles privées
catholiques qui doivent offrir une alternative. Aussi le projet de mettre
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14. En réalité, toutefois, le port de la blouse n’était pas obligatoire et servait avant tout à
protéger les vêtements pour éviter d’avoir à en racheter.
15. Pour Jules Ferry, l’école laïque est neutre, mais pas athée, car l’athéisme est aussi une
croyance.
16. J. Baubérot et al., Histoire de la laïcité, Besançon, CRDP de Franche-Comté, 1994.
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17. M. Launay, L’Église et l’École en France, xixe-xxie siècles, Paris, Desclée, 1988, p. 89.
18. A. Prost, L’enseignement en France, 1800-1967, Paris, Colin, 1968, p. 110.
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En 1959 est votée la loi Debré, qui permet aux établissements privés
de passer un contrat avec l’État : les enseignants sont rémunérés par l’État ;
en échange les établissements ne peuvent pas refuser un élève pour motif
religieux et les enseignants sont inspectés par les inspecteurs de l’État21. La
loi comporte une ambiguïté : d’un côté, elle stipule que l’enseignement est
délivré dans le respect de la liberté de conscience des enfants ; d’un autre
côté, il est précisé que l’établissement conserve un « caractère propre »,
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22. B. Poucet, La liberté sous contrat. Une histoire de l’enseignement privé, Paris, Fabert, 2009, p. 98.
23. B. Poucet, « L’enseignement privé en France au xxe siècle », Carrefours de l’éducation, 2002/1, p. 162.
24. É. Poulat, « Les dimensions non mathématiques d’une authentique mathématique »,
Les Cahiers de la Cerf, mars 1997, p. 5-7.
25. Y. Verneuil, « Les accords Lang-Cloupet (1992-1993) : une histoire écrite à l’avance ? »,
Histoire de l’éducation, juillet-septembre 2011, p. 51-87.
26. Témoignage de N. Fontaine, B. Poucet (dir.), L’État et l’enseignement privé ? L’application
de la loi Debré, Rennes, PUR, 2011, p. 55.
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sociale (relative, certes, mais plus forte que dans le privé). Il y a une
dérive clientéliste de l’enseignement privé, dérive qui exaspère d’ailleurs
une partie du clergé, qui déplore que l’enseignement catholique soit
composé d’établissements parfois plus privés que catholiques et
voudrait donc renforcer leur identité chrétienne dans une perspective
pastorale. Il reste qu’en général, la querelle public / privé n’est plus
aujourd’hui un conflit entre laïcité et religion.
Un corollaire de la fin de ce conflit réside dans l’apparition du thème
de l’enseignement du fait religieux : n’émane-t-il pas au départ du camp
laïque, plus exactement de la Ligue de l’enseignement ? La réflexion part
de l’inculture religieuse d’un nombre grandissant d’élèves, qui ne reçoivent
plus d’instruction religieuse hors de l’école. Cette inculture peut pénaliser
en termes de réussite scolaire, car la civilisation européenne est pétrie
de références religieuses. Par ailleurs, l’enseignement du fait religieux est
considéré comme un moyen de lutter contre l’intolérance et la xénophobie,
par la connaissance mutuelle. Des rapports sont donc rédigés sur la
question, tel le rapport de Régis Debray, qui propose de passer d’une
laïcité d’indifférence à une laïcité d’intelligence. Sont toutefois refusées
la généralisation de la situation alsacienne et la réintroduction du clergé
ou de ses représentants dans les écoles ; est également écartée la création
d’une nouvelle discipline, et surtout d’une histoire comparée des religions,
qui pourrait être destructrice pour les religions. On préfère donc mettre
l’accent sur le fait religieux dans diverses disciplines, histoire-géographie et
français en particulier.
Cet enseignement du fait religieux dans le cadre des disciplines est
laïque. Il n’a rien à voir avec la catéchèse. Mais la situation est particulière
dans les établissements privés catholiques. Ces derniers estiment en effet
que leur mission est d’enseigner, d’éduquer, ainsi que de proposer un
chemin vers la foi. La religion y est présente de différentes manières : à
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27. Annonce explicite de l’Évangile dans les établissements catholiques d’enseignement. Texte adopté par
le CNEC et promulgué par la Commission permanente d’août 2009, p. 10-12.
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