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Christophe Singer
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L’enVOi en MiSSiOn
COMMe grÂCe
MATTHieu 20, 16-20
*
Christophe Singer est pasteur de l’Église protestante unie de France à Portes-lès-Valence, et
docteur en théologie et en études grecques et latines classiques.
1
Cf. Jean-Marc Prieur, « Minorité et multitudinisme », in Études théologiques et religieuses 67,
1992, p. 433-444
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usant et abusant d’une phrase tirée du paragraphe de la Discipline de l’Église réformée de France
(erF) sur les membres de l’Église (« [L’erF] a pour raison d’être d’annoncer au monde l’Évangile. »
1.1.1), nombre de résolutions synodales font implicitement de l’Église un simple « outil d’évangélisation »,
ce qui ampute l’ecclésiologie de nombre d’autres aspects pourtant présents dans le nouveau Testament.
3
un « Manifeste pour l’évangélisation » rédigé au printemps 2005 par quelques pasteurs et laïcs
de l’erF a été intégré aux résolutions de plusieurs synodes régionaux à l’automne de la même année.
rendez-vous était donné pour enfin « se mettre au travail », passer « de la parole aux actes ». Le fruit
immédiat de cette initiative fut… un colloque (c’est-à-dire un partage de paroles) sur l’évangélisation !
Les actes de ce colloque, au demeurant fort intéressants, ont été édités en 2006 : Serge SArkiSSiAn, éd.,
De la parole aux actes, Allauch, Éditions Onésime 2000, 2006. Le « Manifeste » y figure aux p. 9-10.
4
Car malgré toutes les précautions oratoires, la baisse du nombre de foyers participant à la vie des
Églises et l’insuffisance des vocations pastorales est une donnée incontournable de la problématique.
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Les pages qui suivent veulent y contribuer en prenant appui sur l’exégèse
d’un texte qui, justement, résonne parfois comme un slogan : la fin de l’Évan-
gile de Matthieu, et en particulier « l’ordre de mission » ultime que le Jésus
matthéen adresse à ses disciples de tous les temps. La fortune liturgique et
synodale de ce texte l’a pour ainsi dire « sanctuarisé », c’est-à-dire qu’elle l’a
gratifié d’un statut fondateur pour la mission chrétienne5, et d’une autonomie
d’autant plus redoutable, qu’à le lire hors de son contexte, il est capable de
justifier les pires exactions dont cette mission s’est rendue coupable depuis
deux mille ans, et partant ce fameux malaise protestant devant l’impératif d’une
évangélisation trop… décomplexée.
Car le problème peut effectivement être posé sous la forme de cette double
interrogation : (1) comment obéir à l’ordre du Christ « allez, faites de toutes les
nations des disciples » sans transformer la mission en agression culturelle… ou
en agression tout court, (2) comment concevoir une évangélisation « non agres-
sive » sans dissoudre le sel de l’Évangile dans un discours aussi fade que
culturellement correct ?
replacer Mt 28, 16-20 dans le contexte de la narration matthéenne peut nous
aider à répondre à ce défi. Avant d’entreprendre ce travail, une précision
s’impose : pour laisser parler le texte, il importe, après avoir posé la probléma-
tique pratique, de s’en détacher quelque peu. une herméneutique biblique
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Le « Manifeste » cité ci-dessus (note 3) dit d’entrée que l’annonce de l’Évangile est « d’abord une
exigence de Jésus-Christ lui-même (cf. Mt 28, 18-20). »
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d’effet rétroactif, ce dernier est alors fondé à s’identifier aux disciples de Jésus
dans l’ensemble du récit de Matthieu. Cette piste lui a déjà été ouverte, par
exemple par les passages sur la « discipline ecclésiastique » (18, 15-18).
Cette première observation induit deux conséquences complémentaires.
(1) Comme l’Évangile tout entier, les versets qui le concluent nous offrent un
écho indirect de questions et de débats qui animent la communauté à laquelle
s’adresse Matthieu. Ce texte a ainsi un statut de « document historique », pour peu
que le lecteur fasse l’effort de maintenir entre le texte et lui une distance critique.
Distance à laquelle il est d’autant plus difficile de donner sa place que l’impéra-
tif missionnaire est souvent relayé sur un arrière-fond d’urgence.
(2) Mais, d’autre part, parce qu’il est de genre narratif et que celui qu’il fait
parler est le ressuscité, la vocation de ce texte est d’être pris au mot. il offre
ainsi à son lecteur la possibilité d’être non plus seulement le témoin de
l’histoire passée de Jésus (premier niveau de lecture), ou de celle de la
communauté matthéenne (deuxième niveau de lecture), mais aussi le contem-
porain de cette histoire6. Jésus est avec moi au moment où je lis ces lignes,
comme il l’a été auprès des onze et auprès des disciples des premières généra-
tions : par sa Parole. Le texte a ainsi un statut « théologique » : il dit quelque
chose de la relation entre le lecteur et le Christ. Mieux : il instaure cette rela-
tion, pour peu que ce lecteur se laisse gagner par la confiance.
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6
Élian CuViLLier, « Particularisme et universalisme chez Matthieu : quelques hypothèses à
l’épreuve du texte », in Biblica 78, 1997, p. 481-502 ; p. 500.
7
Pas forcément le doute de « quelques-uns » seulement, comme le suggèrent la majorité des
traductions !
8
Selon Jean DeLOrMe, Pierre BOnnArD, « Quelques récits évangéliques relatifs au ressuscité »,
in Foi et Vie 8, 1970, p. 29-59 ; p. 44, la mention du doute chez Matthieu est un reliquat de la tradition,
mais ne joue aucun rôle narratif. Je crois au contraire qu’il est dans l’intention du rédacteur de faire
apparaître ce contraste (qui est celui de la grâce) : la révélation, la mission et la promesse ne sont pas
réservées à une élite, mais offertes précisément aux disciples dont la foi est « petite ». Cf. Jean ZuMSTein,
« Matthieu 28, 16-20 » in Jean ZuMSTein, Miettes exégétiques, genève, Labor et Fides, coll. « Le monde
de la Bible 25 », 1991, p. 91-112 ; p. 98.
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encore faut-il les recevoir pour ce qu’ils veulent dire. Ce vouloir dire ne
peut être identifié qu’en prêtant attention à la manière dont ils sont insérés à la
fin de la narration mathéenne, et en se posant la question de leurs articulations
internes.
L’apparition de Jésus ressuscité au groupe des apôtres est une donnée sûre
de la tradition évangélique (1 Co 15, 5 ; Mc 16, 14 ; Mt 28, 16-20 ; Lc 24, 36-
53 ; Ac 1, 4-12 ; Jn 20, 20-21). Chacun de ces récits a néanmoins ses caracté-
ristiques propres et est inséré dans un discours spécifique qui détermine en
partie son sens et sa fonction. Qu’en est-il chez Matthieu ?
L’analyse littéraire, dont nous économisons ici l’exposé, montre que le
travail rédactionnel est particulièrement important dans ces derniers versets de
l’Évangile9. Le rédacteur l’a conçu comme un « résumé10 » ou plutôt un
« manifeste11 » synthétisant les thèmes essentiels de son ouvrage : l’autorité
royale et la proximité du Christ reconnues par l’Église appelée à devenir uni-
verselle par l’obéissance aux commandements de Jésus12. Ces thèmes sont mis
en place dès les premiers chapitres et rappelés tout au long de la narration.
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9
ibid.
10
Hans COnZeLMAnn, Andreas LinDeMAnn, guide pour l’étude du nouveau testament, genève,
Labor et Fides, coll. « Le monde de la Bible 39 », 1999, p. 355.
11
Bornkamm cité par Daniel MArguerAT, le jugement dans l’Évangile de Matthieu, genève, Labor
et Fides, coll. « Le monde de la Bible 6 », 1981, p. 101.
12
Pierre BOnnArD, l’Évangile selon saint Matthieu, neuchâtel, Delachaux et niestlé, 1963, p. 414.
13
La généalogie de Luc (Lc 3, 23-38) met l’accent sur l’ascendance divine (v. 38).
14
Dans les autres passages où proskuneô a comme objet Jésus, ce geste est en outre toujours un
préalable à une demande, soit de guérison (8, 2 ; 9, 18 ; 15, 25), soit de faveur (18, 26). Cette dernière
occurrence apparaît dans un contexte de royauté. enfin, le « maître » devant lequel le serviteur impi-
toyable se prosterne (18, 26) est présenté par Matthieu comme un roi (v. 23).
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15
Élian CuViLLier, art. cit., p. 498.
16
ibid.
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par deux fois au récit de Marc : « Veillez avec moi » (26, 38.40). un bémol est
toutefois perceptible : la proximité avec les incrédules pèse à Jésus (17, 17) ; il
viendra un temps où l’époux sera enlevé à ses amis (9, 15b), qui seront alors
eux-mêmes comme des brebis sans berger (26, 31). Toutefois, cette séparation
sera temporaire, puisqu’ils le retrouveront en galilée (26, 32). Cette dernière
mention fait tendre le thème de la proximité de Jésus à ses disciples vers 28, 20b
qui en lie la gerbe et l’ouvre vers un avenir eschatologique.
l’obéissance : le Jésus de Matthieu est un maître dont l’enseignement
consiste en une ordonnance qu’il faut observer. Cet enseignement requiert
l’obéissance, parce qu’il est essentiellement interprétation de la loi. Cette
perspective sous-tend le Sermon sur la montagne. De même, l’Évangile que
les disciples sont appelés à annoncer n’est autre que l’obéissance aux
prescriptions de Jésus (28, 20a). en fait, l’évangélisation selon Matthieu ne
consiste pas tant en l’annonce d’un message qu’en une série d’actes.
L’expression « faire des nations des disciples » (28, 19a) est explicitée par deux
participes : « les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint esprit » (19b) et
« leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé » (28, 20a). « Être
disciple » consiste donc à « être baptisé » et « garder les commandements de
Jésus », c’est-à-dire accomplir la justice17. Ces deux aspects de la suivance sont
d’ailleurs fortement liés par Matthieu dès le baptême de Jésus : à Jean-Baptiste
qui résiste à sa demande celui-ci répond que le baptême est de l’ordre de
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La « meilleure justice » dont la loi est une composante, mais qui ne se réduit pas à une compré-
hension littérale de la loi. Cf. Hans WeDer, « «Bessere gerechtigkeit» als Princip menschlichen
Verhaltens » in Hans WeDer, éd., gerechtigkeit, Friede, Bewahrung der Schöpfung. theologische Über-
legungen, Zurich, Theologischer Verlag, 1992, p. 63-79 ; François VOugA, une théologie du nouveau
testament, genève, Labor et Fides, coll. « Le monde de la Bible 43 », 2001, p. 54-57.
18
il est intéressant de comparer les relations matthéenne et lucanienne de la prédication de
Jean-Baptiste : chez Luc, Jean invective les foules qui viennent (Lc 3, 7) et les exhorte à produire les
fruits de la conversion, fruits qu’il détaille ensuite en réponse à leurs questions (v. 10-14) ; chez
Matthieu, Jean invective les pharisiens et les sadducéens (Mt 3, 7), interprètes autorisés de la loi, et
l’enseignement éthique n’apparaît pas ; dès le début du premier Évangile, les adversaires sont identifiés et
le combat suggéré : Jésus lutte contre la confiscation de la loi par les « légalistes » (Mt 23, 13-29).
19
François VOugA, une théologie, op. cit., p. 158.
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(Mt 12, 50). Or, la justice (c’est-à-dire la loi) est accomplie par Jésus. La loi sert
donc chez Matthieu un but christologique. Dans cette perspective, il importe
alors de lier fortement les trois paroles qui composent l’envoi de Mt 28, 16-20.
L’obéissance concerne les commandements de Jésus, auquel tout pouvoir a été
donné et qui reste constamment présent à ses disciples. La mission ne consiste
pas tant en l’enseignement d’une éthique (même si elle peut revêtir aussi cet
aspect), qu’en la réalisation de l’affirmation qui la précède : l’autorité univer-
selle du Christ. Cette autorité se réalise paradoxalement dans le baptême, c’est-
à-dire la prise en compte d’un échec (Mt 3, 6.11) duquel peut naître la justice
(Mt 3, 15), et une vie placée dans la perspective de cette « meilleure justice »
(Mt 5, 20).
20
Cf. plus haut.
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C’est le lieu de remarquer avec Agnès Yoshié ito21 un fait intéressant dans
la construction de l’Évangile de Matthieu : les sept péricopes où Jésus se trouve
sur une montagne (Mt 4, 8 ; 5, 1 ; 14, 23 ; 15, 29 ; 17, 1 ; 24, 3 ; 28, 16) sont
organisées en une construction concentrique dont le centre est précisément celle
dont nous parlons, alors que les deux extrémités sont respectivement la
troisième tentation (Mt 4, 8-10) et l’envoi en mission (Mt 28, 16-20). or, dans
ces trois épisodes, il est principalement question du règne universel de Jésus
ou du Dieu qu’il représente !
Avançons alors l’hypothèse que Matthieu écrit son Évangile entre autres
dans la perspective du débat suivant : si l’autorité universelle du Dieu de Jésus-
Christ est un fait acquis, de quelle nature est-elle ? Autrement dit, comment
l’Église peut-elle et doit-elle être témoin du règne de Dieu ? Comment obéir à
l’ordre missionnaire de Jésus ? On rejoint ainsi d’une manière particulièrement
appropriée les débats actuels sur la mission !
Matthieu répond à la question en montrant les deux voies possibles : celle
de la tentation et celle de l’obéissance.
il place la tentation du « règne universel » en dernier lieu, lui donnant ainsi
un relief particulier (Mt 4, 1-11)22 : après l’insistance sur la royauté de Jésus
notamment par l’épisode des mages et la narration de l’enfance dans son
ensemble, on comprend que cette tentation va au cœur de la mission de Jésus,
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21
Agnès YOSHiÉ iTO, « Les sept montagnes de Jésus dans saint Matthieu », in lumen Vitae, 1994,
p. 413-423.
22
Luc place en troisième position la tentation de tenter Dieu : ce qui est en débat ici, ce n’est pas
tant la royauté de Jésus que sa foi.
23
Cf. Christophe Singer, « Quand Jésus résiste à l’Évangile. Luc 4, 1-13 » in Jean AnSALDi, éd.,
la résistance à l’Évangile. le diable est-il mort ?, Valleraugue, Sœurs protestantes, coll. « Sentiers de
Villeméjane » 12, 2000, p. 17-24.
24
Jacques DuPOnT, les tentations de Jésus au désert, Paris, Desclée De Brouwer, 1968, p. 20.
25
ibid.
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La gestion narrative de la figure de Jésus ressuscité dans le chap. 28 de Matthieu oriente le
lecteur vers la reconnaissance de sa royauté. Matthieu n’explicite pas ce « a été donné » : la résurrec-
tion tient lieu de démonstration.
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est la raison pour laquelle les disciples sont envoyés en mission. C’est le sens
de la conjonction causale au v. 1927. il n’est pas le but de la mission. Ce sont
les disciples qui se prosternent, sans que Jésus ait besoin de le leur demander.
Le baptême est la tâche à laquelle les disciples sont appelés : que les nations,
elles aussi, reconnaissent le règne du ressuscité. enfin, Jésus prend auprès de
ses disciples la place que les anges ont tenue auprès de lui.
La troisième tentation au désert est donc une sorte de contrefaçon de la
mission. Pour passer de l’une à l’autre, il faut avoir compris et sans doute
éprouvé la nature du règne de Dieu et les modalités selon lesquelles il se fait
reconnaître. Or la narration matthéenne met d’entrée le lecteur sur la voie : la
disparition du tentateur (Mt 4, 11) est immédiatement suivie de la retraite de
Jésus en galilée, devant le danger que signale l’arrestation de Jean-Baptiste
(v. 12-13). Mais cette attitude, surprenante selon les catégories de l’héroïsme
mondain, est interprétée par le narrateur comme premier accomplissement de
la vocation universaliste de la mission de Jésus (v. 14-16). Cette mission
consiste en l’annonce, en paroles (kêrussô, v. 17) du règne de Dieu. À cette
annonce, Jésus associe d’entrée les disciples (v. 18 sqq.) Jésus ne s’approprie
pas le règne universel par un coup de force religieux (se prosterner devant un
« dieu » tout-puissant), mais il témoigne, par la parole, de sa proximité et du
changement (metanoeô) que ce fait rend possible à ceux qui l’écoutent. Le récit
passe immédiatement à la caractéristique concrète essentielle du règne : la
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Conjonction curieusement omise par certaines traductions !
28
Terme par lequel la version Darby traduit le grec malakia.
29
Élian CuViLLier, « Justes et petits chez Matthieu. L’interprétation du lecteur à la croisée des
chemins », in Études théologiques et religieuses 72, 1997, p. 345-364.
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ConCluSion
il est significatif que l’envoi vers la mission universelle soit placé tout à la
fin du récit matthéen, et adressé narrativement aux disciples qui, bien que
prosternés devant le ressuscité, ont des doutes. il n’est pas nécessaire de
recourir à une hypothétique histoire de la rédaction où à une grammaire hasar-
deuse pour se dégager de la surprise que provoque cette mention du doute,
comme le font certains traducteurs30. il vaut mieux se laisser surprendre, et
essayer de comprendre cette mention dans la perspective narrative de Matthieu.
Au niveau de la péricope, une méthode consiste à imaginer l’effet du texte
s’il ne la comportait pas. en ce cas, la scène et en particulier les paroles de
Jésus seraient de l’ordre du renforcement d’une idée présente dès le début du
chapitre : la résurrection de Jésus scelle l’établissement de son règne et ses
disciples, fidèles lieutenants, sont chargés de le concrétiser par toutes les
nations. L’évangélisation consisterait alors à essayer d’imposer d’une manière
univoque l’évidence de la victoire de Jésus. Des disciples de tous les temps,
auxquels la dynamique narrative suggère de s’identifier aux onze, il serait donc
attendu une même fidélité dans l’annonce de l’Évangile comme évidence préa-
lable. Leur questionnement pourrait tout au plus porter sur le « comment » de
cette évangélisation, sur les méthodes à appliquer pour renforcer son effica-
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30
Cf. notes de la Bible de Jérusalem et de la toB.
31
Dans une rencontre sur l’évangélisation, l’animateur avait posé la question : « Quelle est la bonne
nouvelle que je veux annoncer ? » Les réponses furent toutes dans la veine : « C’est difficile de parler
de Dieu aux autres. il faudrait faire comme ceci ou comme cela… » La question « quoi ? » avait tout
simplement disparu sous le « comment ? ».
32
Dont le « Manifeste » cité plus haut.
33
Sur les 66 occurrences de proserchomai dans les Évangiles, 55 sont matthéennes.
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Pascal geOFFrOY, « La catéchèse, lieu d’évangélisation » in Serge SArkiSSiAn, éd., De la parole
aux actes, op. cit., p. 117-125, citation p. 118.
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