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LE PARADIGME D'UNE MISSION POÉTIQUE

Fondement et déploiement

Léonard Santedi Kinkupu

Institut Catholique de Paris | « Transversalités »

2009/3 N° 111 | pages 135 à 149


ISSN 1286-9449
DOI 10.3917/trans.111.0135
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Transversalités, juillet-septembre 2009, n° 111, p. 135-149

LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE.


FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

Léonard SANTEDI KINKUPU


Professeur, Faculté de Théologie,
Facultés catholiques de Kinshasa
Membre de la Commision théologique internationale

Introduction
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Le décret sur l’activité missionnaire de l’Église affirme : « De sa nature,
l’Église est missionnaire puisqu’elle-même tire son origine de la mission
du Fils et de la mission du Saint-Esprit selon le dessein du Père. »1
Cette affirmation du Concile est d’une nouveauté radicale par la fonction
qu’elle opéra entre les deux usages du termes mission : celui qui émane des
relations trinitaires et celui qui est lié à une responsabilité ecclésiale. Le mot
mission ne vient plus seulement qualifier des activités particulières de
l’Église, mais il met en évidence que la mission est constitutive de la nature
même de l’Église, fondée dans les relations trinitaires. Cette affirmation a
donc contribué à transformer la manière de penser la mission de l’Église.
Depuis Ad Gentes, de nouveaux visages de la mission se manifestent à
travers les recherches et les exigences qui se font jour. Des défis incontour-
nables bousculent l’ordre établi. La Mission se trouve devant un important
tournant. Elle vit un véritable moment de passage, selon le mot de J. M.
Ela2. Face aux situations décisives du peuple dans lequel on travaille, des
choix s’imposent, des nouveaux paradigmes émergent.

1. CONCILE VATICAN II, Décret Ad Gentes, n° 2.


2. J. M. ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003.

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Notre propos ici sera d’examiner un paradigme de la mission que nous


appelons volontiers mission poétique. Nous allons nous limiter à exposer
le fondement de ce paradigme (II) et à voir comment il peut se déployer en
particulier dans le contexte africain (III). Avant cela il sera nécessaire de
préciser dans quel sens nous utilisons ce concept de poétique (I).

Élucidation du concept-poétique
Nous entendons le qualificatif « poétique » dans son sens étymologique
grec de poieò : créer. Ce mot grec « poiesis » désigne l’art de façonner
quelque chose de beau à partir de la réalité ordinaire. La mission
chrétienne ne répète pas, elle poétise, en ce sens qu’elle crée, elle façonne
quelque chose de beau, de nouveau, à partir du réel.
Réaliser que la mission est « poiesis », et non l’application de principes,
apporte un changement de perspective. En effet, la vie chrétienne crée une
dynamique christique à partir d’éléments de notre vie de tous les jours, tout
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comme l’artiste crée une œuvre avec les matériaux qu’il trouve autour de

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lui. La mission chrétienne est appelée à susciter (à développer) auprès des
peuples leur imaginaire créatif pour qu’à l’écoute et à l’accueil de la Bonne
Nouvelle de Jésus-Christ, ils puissent inventer une nouvelle manière
d’être, de se figurer et de figurer le réel. La mission poétique est celle qui
est caractérisée par la force de la créativité, de l’innovation. La figure du
poète fait de la mission une création nouvelle, une re-création de l’huma-
nité.
En effet, l’imagination poétique se signale par la faculté d’inventer un
monde autre. Elle est l’exutoire d’un désir insatisfait devant l’ordre du
monde tel qu’il est : elle crée une vision nouvelle en ne traitant plus la
nature comme un modèle, mais comme un dictionnaire, dictionnaire à
partir duquel elle compose ses propres phrases, riches des liaisons
inédites3. Le poète ne rêve d’un ailleurs que parce que l’ici l’a déçu : il
demande parfois à l’imagination de lui bâtir un univers factice.
L’imagination est alors l’instrument d’une révolte métaphysique, elle
préside à une contre-création, disons plutôt à une recréation. L’imagination
poétique ne prétend pas corriger le réel, mais elle épouse en lui le

3. J.-P. LEMAIRE, « Sagesse et imagination en poésie », dans Études, nov. 2007,


p. 512.

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LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

mouvement de la vie promise, de la vie à naître, enfouie dans la tristesse,


le sommeil et la mort. Elle nous fait entendre les gémissements de la
création en travail d’enfantement dont parle saint Paul (Rm 8, 12). Elle
nous donne des yeux pour attendre et reconnaître des images de notre
destin futur. Mais elle pense déjà disposer les choses de manière à ce que
le visage du Christ, qui doit se révéler, devienne dès maintenant plus
évident en chacun et pour chacun4.
Il ne s’agit là sans doute pas d’un mauvais imaginaire, celui qui est une
coupure totale avec le réel, mais d’un bon imaginaire, celui qui se déploie
dans les mythes fondateurs et qui nous permet l’entrée avec les forces
vives et inventives. De ce point de vue, le bon imaginaire reste cet espace
dans lequel il est possible à l’homme de créer et d’inventer5, d’apporter la
nouveauté dans la mission chrétienne, il s’agit d’une innovation dans
l’esprit à l’œuvre dans la création. Quels sont par rapport à la mission
chrétienne le fondement et la tâche de cette mission poétique ?
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Fondement et tâche

Fondement
La mission poétique qui prend à cœur la tâche de faire advenir la
nouveauté de Dieu dans la création trouve son fondement dans l’agir
créateur de Dieu lui-même.
1. Dans l’Ancien Testament, la conversion d’Israël est présentée
comme une véritable re-création : « Yahvé créa du nouveau sur la terre »
(Jr 31, 22). De même la future délivrance (Is 45, 8), qu’accompagneront
les prodiges d’un nouvel exode (Is 41, 20) ; la nouvelle Jérusalem où le
peuple nouveau trouvera un bonheur paradisiaque (Is 65, 18) et la stabilité
des lois établies par Dieu dans l’univers sont un gage sûr que cet ordre
nouveau durera à jamais (Jr 31, 35s). Finalement l’univers entier partici-
pera au renouvellement de la face des choses : Yahvé créera des cieux
nouveaux et une terre nouvelle (Is 65, 17 ; 66, 22)6.

4. Ibid.
5. A. GESCHE, Dieu pour penser, Tome V, Le sens, Paris, Cerf, 2003, p. 143-144.
6. P. AUVRAY, article « Création » dans Xavier Lean-Dufour, Vocabulaire de théologie
biblique, Paris, Cerf, 1970, p. 226.

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2. Cette création nouvelle n’est pas seulement extérieure, elle concerne


aussi le cœur de l’homme. Le prophète Ézéchiel est plus explicite sur cette
perspective : sans employer explicitement le verbe « créer », Ézéchiel s’y
conformait déjà lorsqu’il montrait Yahvé changeant aux derniers temps le
cœur de l’homme pour le réintroduire dans la joie de l’Éden (Ez 36, 26-
33 ; cf. 11, 19). C’est pourquoi, s’appuyant sur une telle promesse, le
psalmiste peut supplier Dieu de « créer en lui un cœur pur » (Ps 51, 12) ;
en ce renouvellement de son être, il pressent à juste titre une anticipation
concrète de la nouvelle création qui se fera en Jésus-Christ7.
3. Le Nouveau Testament montre seulement que dans le Christ en effet,
une création nouvelle a été déjà inaugurée, celle-là même qu’annonçaient
des oracles prophétiques. Cela vaut d’abord pour l’homme renouvelé
intérieurement par le baptême à l’image de son Créateur (Col 3, 10)
devenu dans le Christ « nouvelle créature » (Ga 6, 13) ; en lui, l’être ancien
a disparu, un être nouveau est là (2 Cor 5, 17). Cela vaut aussi pour
l’univers ; car le dessein de Dieu est de ramener toutes choses sous un seul
chef, le Christ (Ep 1, 10)8.
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Le Christ, ayant en lui la plénitude de l’Esprit (Mc 1, 10 ; Lc 4, 1), le
communique aux autres hommes pour les renouveler intérieurement et
faire d’eux une nouvelle créature. La perspective que P. Auvray dégage sur
l’avenir de cette création nouvelle est importante, car elle permet à la fois
de saisir le fondement même de la mission poétique et sa tâche.
4. En effet, la nouvelle création, inaugurée à la Pentecôte, n’a pas
encore atteint son achèvement. L’homme recréé intérieurement gémit dans
l’attente de la rédemption de son corps au jour de la résurrection (Rm 8,
23). La création entière, elle aussi, actuellement assujettie à la vanité,
aspire à être libérée de la servitude de la corruption pour accéder à la
liberté de la gloire des enfants de Dieu (Rm 8, 18)9. C’est vers ce terme que
l’histoire chemine vers les cieux nouveaux et cette terre nouvelle dont
l’Apocalypse donne une évocation saisissante : « Le premier ciel et la
première terre ont disparu. Alors celui qui siège sur le trône déclare :
« Voici que je fais toutes choses à neuf » (Ap 21, 8-9).

7. Ibid.
8. Ibid., p. 228.
9. P. AUVRAY, op. cit., p. 229.

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LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

Dans ce passage du livre de l’Apocalypse, l’adjectif kainos peut se


traduire par nouveau, désignant ce qui vient de se produire, ce qui est
récent. Il indique également quelque chose d’inattendu, d’extraordinaire. Il
s’agit donc d’une nouveauté radicale et définitive et non d’un simple
réaménagement superficiel, un retour cyclique10. En somme kainos
désigne une nouveauté qualitative.
On le voit, la promesse de Dieu, que donne saint Jean dans le passage
de l’Apocalypse à son peuple secoué par les persécutions, n’est pas
seulement celle de son soutien mais surtout celle d’une création d’une
humanité radicalement neuve, complètement renouvelée.
5. Cette nouveauté interpelle la responsabilité des croyants. Elle est
sans doute œuvre de Dieu mais elle appelle une collaboration de l’homme.
Elle se construit dans le va-et-vient entre ciel et terre. Le Kainos est alors
lieu de créativité complice entre Dieu et l’homme. Ce Kainos devient une
histoire de tension entre le présent et l’avenir, entre l’histoire de Dieu et
celle des hommes.
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La mission chrétienne ne serait-elle pas de collaborer à l’avènement de
cette nouveauté de Dieu dans l’histoire humaine ?
Ce n’est pas tout. Le paradigme poétique peut avoir aussi un fondement
philosophique. Nous nous limiterons ici à exploiter l’herméneutique du
possible du philosophe irlandais Richard Kearney11. Partant d’une
phénoménologie de la conscience, pour R. Kearney, notre existence n’est
pas littérale mais figurative : elle est déplacement temporel de ce qui est
donné actuellement vers un horizon possible toujours à venir. C’est dans
ce sens qu’il affirme que nous sommes des êtres créatifs, qui figurons notre
monde comme ceci ou cela.
La figuration, poursuit le philosophe irlandais, vise non pas un sens
présent, mais possible. Kearney donne l’exemple du pain, lequel au-delà
du sens donné, celui de la matière qui remplit un besoin (la faim),
comporte un sens possible : il est une figure investie de valeur humaine
(symbole du partage, de la plénitude et de la réconciliation entre les
hommes).

10. Voir sur ce point J. MOLTMANN, La venue de Dieu, Eschatologie chrétienne, Paris,
Cerf, 2001.
11. R. KEARNEY, Poétique du possible. Phénoménologie herméneutique de la figura-
tion, Paris, Beauchesne, 1984.

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Dans cette perspective la « poesis », la créativité, est cœxtensive à


l’existence humaine. L’homme doit inventer aussi longtemps que l’histoire
continue car le possible s’annonce à lui. Le possible s’annonce, s’offre
sans se laisser asservir. Il est de l’ordre de transcendance à l’égard des
expériences humaines. Il ne s’épuise jamais dans une intuition totale.
« Reconnaître ainsi la nature extatique et figurative de toute visée humaine,
c’est respecter l’altérité irréductible du sens, c’est reconnaître que nous ne
« possédons » jamais une totalité de sens. Toute prétendue adéquation
entre le sens eidétique d’une chose et l’intentionnalité extatique de
l’homme (« adequatio rei et intellectus ») n’est qu’une figuration « comme
si ». Voilà que révèle, de l’avis de R. Kearney, une phénoménologie stric-
tement descriptive de la conscience12.
Et le philosophe irlandais complète cette description phénoménolo-
gique par une herméneutique du possible laquelle considère le « posse »
comme irréductible à tout « esse » métaphysique. Parler de « posse » c’est
affirmer l’impossibilité d’une présence adéquate. Le « posse » est l’infi-
niment autre. « Loin de servir de « terminus a quo » qui devrait s’achever
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dans un acte de présence, le « posse » se déploie comme le « terminus ad
quem » inatteignable, vers lequel néanmoins tous nos actes se dirigent13.
Ce qui se donne ici ne s’épuise jamais dans un donné. Et l’auteur de
conclure que tout est possible, à créer et à recréer de nouveau.
Il faut noter que l’herméneutique eschatologique interprète chaque acte
de dé-figuration comme un choix éthique entre une transfiguration et
une défiguration du sens. Pour R. Kearney, transfigurer le monde veut dire
l’ouvrir à la possibilité du Royaume à venir, reconnaître que le « sens
fondamental » du monde est le « posse » eschatologique qui possibilise
notre activité de transfigurer sans qu’il renonce à sa propre altérité.
Défigurer le monde, en revanche, veut réduire l’altérité du « posse » à une
présence littérale. Si la transfiguration dé-voile le monde comme icône de
la transcendance, la défiguration s’exprime comme une conscience
solipiste qui se fige en présence auto-suffisante (causa sui), et par là se
ferme à l’au-delà du « posse à venir »14.

12. R. KEARNEY, op. cit, p. 34.


13. Ibidem, p. 35.
14. Ibidem, p. 37.

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LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

Voilà l’enjeu éthique que révèle l’herméneutique eschatologique. En


termes clairs, l’avantage de l’eschatologie fondamentale est de mettre en
valeur l’apport éthique du « posse » comme exigence de la nouvelle
création.
En définitive, retenons que pour R. Kearney, l’inventivité est coexten-
sive à l’existence humaine : l’homme, en tant que figurant du possible, est
toujours entrain de créer. Dès lors, la question pertinente n’est plus de
savoir si l’homme crée ou pas, mais de savoir si ses créations sont authen-
tiques ou inauthentiques. En d’autres termes, s’il s’agit des transfigura-
tions ou des défigurations du « posse ». Ainsi, notre figuration – au monde
– constitue un libre choix entre ces deux modalités de création. Cette
dimension éthique de la figuration répond, nous semble-t-il, à l’identité
même du christianisme. Voyons comment la mission chrétienne dans la
perspective poétique va envisager sa tâche.

Tâche
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La tâche propre de la mission poétique est de s’engager, dans l’inter-
section qui se situe entre l’histoire déjà faite et l’histoire encore à faire, à
créer du neuf dans l’humanité, à transfigurer le monde, c’est-à-dire à
l’ouvrir à la possibilité du Royaume à venir. L’enjeu du paradigme
poétique est de comprendre la mission chrétienne comme une exigence de
la nouvelle création, du changement qualitatif, de la transfiguration du
monde en Royaume de Dieu, exigence donc d’un choix éthique entre
défigurer le monde ou transfigurer le monde.
Défigurer le monde c’est l’enfermer en lui-même, l’enfermer dans la
servitude de la corruption, tandis que transfigurer le monde c’est le
libérer de cette servitude et lui permettre d’accéder à la gloire des enfants
de Dieu. Ainsi, transformer le monde, faire advenir le Bien, travailler à
notre bonheur et à celui de nos frères et sœurs relève de notre responsabi-
lité éthique, qui est la tâche de l’Église comme le soulignait V. Cosmao15.
Pour saint Jean, transformer le monde c’est participer à cette œuvre de
l’avènement de la nouvelle Jérusalem. La cité d’en haut se construit
désormais en bas ; celle d’en haut était l’œuvre exclusive de Dieu. Celle
d’en bas exige la collaboration de l’homme. Dieu et l’homme sont

15. V. COSMAO, Changer le monde, une tâche pour l’Église, Paris, Cerf, 1982.

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désormais partenaires dans l’œuvre de construction ou de renaissance. En


fait, « alors que les auteurs mentionnant une autre Jérusalem la situaient
d’ordinaire dans les cieux, c’est sur la terre que le visionnaire de
l’Apocalypse voit le lieu définitif de la nouvelle Jérusalem, épouse de
l’Agneau »16.
Cette même perspective apparaît aussi chez l’évangéliste Marc. À
travers les paraboles, comme celle du semeur, il montre que rien n’arrêtera
la germination du monde nouveau, ni les ronces, ni les pierres. Certes, la
nouveauté de Dieu rencontre des résistances humaines. Mais, même
méprisé, méconnu, l’Évangile avance, la vie grandit. Elle est l’œuvre de
Dieu17.
Mais cette nouveauté n’advient pas de manière magique. Elle demande
la collaboration de l’homme et de la femme, dont les apôtres sont les
représentants. Elle exige un engagement. Elle exige de prendre des risques
comme lui Jésus l’a fait. Il faut être prêt à perdre ce que l’on a de plus cher,
sa vie, pour que germe la vie véritable. Celle-ci s’accueille dans la disponi-
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bilité des enfants, sans quête de pouvoir ou d’avoir, mais dans le service
gratuit. C’est en fait l’ensemble de l’existence quotidienne qui doit être
renouvelée.
En ce sens, la nouveauté de Dieu, c’est également être conséquent avec
ses choix de vie, rendre à César ce qui est à César, mais surtout à Dieu ce
qui est à Dieu. En d’autres termes, il faut être prêt à aller à contre-courant
des institutions autant civiles que religieuses qui se servent de Dieu au lieu
de le servir, qui écrasent l’homme au lieu de l’aider à grandir. Cette prise
de position peut entraîner des persécutions. Pourtant, il faut tenir bon et
veiller, à la lumière de Jésus, prêt à entrer avec lui dans la passion pour
témoigner de la folie de son amour pour Dieu et pour les hommes et les
femmes. À sa suite, le témoignage et la prière mettent le croyant à la
disposition de Dieu pour l’avènement du monde nouveau. Certes, comme
les disciples, l’on est souvent tenté de prendre la fuite. Mais Jésus, lui, va
jusqu’au bout de son témoignage d’amour de Dieu et de l’homme, révélant
ainsi qu’il est vraiment le Fils de Dieu18.

16. D. BARTHÉLEMY, « L’intégration de l’espace et du temps dans la nouvelle


Jérusalem », La mémoire et le temps, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 186.
17. P. POUCOUTA, « Bâtir la vie à la suite du Crucifié : l’Évangile de Marc », dans Revue
de l’université catholique de l’Afrique de l’Ouest, n° 20, 2007, p. 38.
18. Ibid.

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LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

En définitive, le thème de la Jérusalem nouvelle confirme que, par la


symbolique des fléaux, l’auteur signifiait la destruction du mal pour que
germe un monde neuf, dans ces villes asiates de la fin du Ier siècle en pleine
décomposition. L’Église est le Sacrement du renouvellement de l’histoire
du monde. La Jérusalem nouvelle, c’est essentiellement la cité de Dieu à
construire sur terre, ici-bas, en complicité avec Dieu et l’Agneau19.
Comme le suggère P. Poucouta, cette nouveauté dont parle Jean dans
l’Apocalypse 21 signifie créativité. Il ne s’agit pas d’un retour à l’Éden,
mais d’une construction inédite, tournée vers l’avenir. L’homme est ainsi
appelé à épouser la créativité permanente de Dieu. Cette cité est sans
cesse à polir, à parfaire, La symbolique de la construction le montre bien.
« Elle resplendit telle une pierre très précieuse, comme une pierre de jaspe
cristallin » (21, 11b). La ville doit donc être faite de pierres précieuses
étincelantes (21, 9-23). Il ne peut s’agir d’un retour à un état initial, ni
d’une restauration, ni d’un replâtrage. Le perfectionnement de la cité est
progressif. Il tend sans cesse vers le point oméga, même si le chemin est
chaotique, la marche zigzagante. Pour Jean, il faut réinventer un chemin,
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créer une nouvelle dynamique qui propulse la société et l’Église de
l’avant, qui transforme le quotidien. Telle est la tâche de la mission
poétique.
Voyons à présent dans le contexte africain comment peut se déployer ce
paradigme de la mission poétique. Nous nous limiterons à ouvrir un seul
chantier, celui de l’invention d’un christianisme de la vie face à une
Afrique qui respire de plus en plus l’odeur de la mort.

Déploiement : engagement pour un christianisme de la vie


Parvenus à ce stade de notre réflexion, nous voulons ouvrir un chantier
qui sollicite l’engagement inventif de l’Église d’Afrique. La situation de
misère déshumanisante, de guerres fratricides, de folies meurtrières qui
embrase l’Afrique appelle l’inventivité d’un christianisme de la vie qui soit
un engagement réel de l’Église d’Afrique pour la vie, à la suite du
Ressuscité qui apporte à l’humanité la vie et la vie en abondance (Jn 10, 10).
De fait, la première activité de Jésus est celle de restauration de la vie. Il

19. P. POUCOUTA, Lettres aux Églises d’Afrique. Apocalypse 1-3, Paris-Yaoundé,


Karthala-VCAC, 1997 p. 233.

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VARIA

se montre donc d’abord et avant tout sensible à ce qui risque de barrer


l’accès à la source de vie20.
Compris à la lumière du paradigme poétique que nous avons déployé
ici, ce christianisme de la vie porte, dans son intention radicale, une
volonté ardente de changer l’Afrique à partir de l’Évangile : vivre la foi
chrétienne dans ses enjeux économiques, politiques, sociaux, culturels,
moraux et spirituels. Et sur chacun de ces enjeux, montrer concrètement
que les chrétiens rassemblés en Église, en tant que peuple et famille de
Dieu, constituent l’Afrique de l’espoir21.
De ce point de vue, nous pouvons affirmer que l’orientation poétique de
la mission constitue un chemin d’enfantement d’une Afrique nouvelle :
avec des hommes et des femmes nouveaux qui créent partout des îlots
d’engagement et d’espérance, des foyers de créativité et d’initiative dans
tous les domaines décisifs pour l’avenir. Comme le suggère Kä Mana, si
chaque communauté chrétienne, chaque groupe de prière ou chaque lieu de
partage biblique se comprend et se prend comme foyer de cette nouvelle
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évangélisation, il se constituera partout dans nos pays une toile lumineuse
dont l’existence même serait une pastorale de l’espoir22. Précisons
davantage le contenu de ce christianisme de la vie.
Le christianisme de la vie apparaît d’abord comme un christianisme
de la mise en pratique de la Parole, de l’affirmation du déjà-là de la vie
en surabondance qui attend des partenaires de la vie pour que reculent
les frontières de tout ce qui appauvrit et livre l’être-vie au péché et à la
mort.
Ce christianisme invite aussi le chrétien à prendre au sérieux le premier
commandement à l’homme dans la Bible, quant au rapport que ce dernier
doit établir avec le monde : dominez la terre et transformez-la (Gn 1, 28).
1l implique des réflexions chrétiennes sur le travail, la solidarité construc-
tive, le temps et sa gestion, le développement des talents, etc.

20. Voir sur ce point Chr. THEOBALD, Le Christianisme comme style, Une manière de
faire la théologie en postmodernité, Tome II, Paris, Cerf, 2007. L’auteur esquisse quelques
linéaments d’une théologie de la « vie » à partir de l’article du Symbole de Nicée-
Constantinople sur l’Esprit saint : « Le Seigneur qui donne la vie», p. 937-957.
21. KÄ MANA, La Nouvelle évangélisation en Afrique, Paris-Yaoundé, Karthala-Clé,
2000, p. 173.
22. Ibid., p. 173-174.

144
LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

Ce n’est pas tout. La visée de cette perspective missionnaire est


d’initier les baptisés et tous les Africains à sortir, entre autres, de
l’économie de subsistance, de la logique du minimum vital contraire à la
vocation du disciple, à la perfection ou au développement, à la plénitude
de dons reçus sur le plan moral, spirituel, économique, culturel et environ-
nemental23.
Sur ce point, la perspective de la mission poétique aura à nous faire
découvrir que nous, chrétiens, nous sommes en contradiction avec notre
foi si nos églises se remplissent alors que nos cœurs se vident des valeurs
évangéliques et laissent ainsi, avec la complicité de plusieurs facteurs
sociopolitiques et financiers, les espaces des sentiments humains envahis
par la violence, les rues entassées d’immondices, les routes crevassées, les
cités alignées de maisons insalubres.
La mission poétique ouvre des horizons de réflexion chrétienne sur le
cosmos milieu de vie, sur l’entretien du corps humain, du corps social,
environnemental, et ouvre à une écosophie, c’est-à-dire à une nouvelle
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sagesse d’habiter le monde24. Insistons sur ce point.
Dans le contexte actuel, caractérisé par l’institutionnalisation de l’injus-
tice et de l’iniquité, les Églises d’Afrique sont appelées à recourir à la
potentialité subversive de l’Évangile, qui est un ferment de libération.
Dans des conditions de méga-crise, l’Évangile doit être une véritable
rébellion contre les structures politiques et socio-économiques mortifères
qui dénaturent l’image du Dieu en l’homme25.
Dans une Afrique qui est devenue de nos jours le musée de la pauvreté
endémique et de la misère sociale, l’Église doit prendre une option
préférentielle en faveur des laissés pour compte et des parias des indépen-
dances africaines de façade. Elle est appelée à dénoncer énergiquement les
effets pervers de la mondialisation économique, expression tangible de la

23. N. Y. SOEDE, « Défis de la mission et voie de recherche théologique en Afrique »,


dans T. TSHIBANGU (éd), L’avenir de l’activité missionnaire « Ad Gentes », Perspectives
pour le XXIe siècle, Kinshasa, Médias Paul, 2005, p. 439-440.
24. Voir sur ce point Léonard SANTEDI KINKUPU, « Pour une nouvelle sagesse d’habiter
le monde », Éditorial du numéro spécial Écologie et théologie africaine. Revue africaine de
théologie, vol 25, n° 56, octobre 2004, p. 167-170.
25. V. KAMBALE KANDIKI, « Les Églises africaines pour une nouvelle approche de la
théologie de la libération », dans Alternatives Sud. Théologie de la libération, VII, 2000,
p. 122.

145
VARIA

barbarie. Les Églises africaines peuvent-elles encore parler du Dieu de la


vie, lorsque tant d’Africains sont victimes de l’ordre économique mondial
et de ses nombreux agents26, ces « ogres devenus nègres ? »
On le voit. L’enjeu est ici de taille pour l’avenir des Églises africaines :
choisir entre faire partie des hommes qui se retrouvent parmi les agents de
la transformation d’un monde habitable par tous ou ne pas faire partie de
ces gens-là. Les chrétiens devront méditer les échecs des décennies du
développement pour imaginer un modèle de vie qui permette d’inscrire
dans nos recherches quotidiennes ce qui peut préserver un avenir différent.
Renoncer à cette recherche, c’est passer à côté de notre siècle, de notre rôle
historique, et en définitive contribuer à l’avènement de cette mort qu’on
rencontre déjà ici ou là, à chaque détour de la vie quotidienne27.
Si l’on veut en finir avec le christianisme des musées et redonner toute
sa pertinence à l’Évangile à cette heure de la mondialisation, il faut se
rendre compte que la question de Dieu est posée aux Églises, là où la
famine et l’oppression, les injustices sociales, la marginalisation sont
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incompatibles avec le dessein de Dieu sur l’homme et sur le monde. La foi
chrétienne doit être un ferment de lutte contre l’arme de l’oppression du
puissant.
Cette insistance sur le christianisme de la vie nous permet de faire une
double mise au point sur l’option de l’inculturation prise par les Églises
d’Afrique.
La première concerne la vie comme terminus a quo et terminus ad
quem de tout travail d’inculturation. La mission de l’Église est dès lors de
faire naître à la vie divine, qui fait des hommes des fils de Dieu. L’Église
devient tout à la fois la famille de Dieu, son peuple, la mater salutis et
vitae. Comme elle est génératrice de vie et se ressource au procès d’auto-
génération de la vie, l’Église est invitée à lutter contre les structures de la
mort, les structures de péché, contre tous les matamores et les prédateurs
qui, en ces temps de mondialisation, étouffent la vie des pauvres, la
piétinent et l’écrasent. Ses fils et ses filles devraient être porteurs de vie, en
excluant les antivaleurs, tout ce qui avilit l’homme, tout ce qui le courbe,
tout ce que nous érigeons faussement en idoles : le Pouvoir, l’Argent, le
Sexe… C’est cette caractéristique de la vie rattachée à la vie du Premier-né

26. Ibidem.
27. J. M. ELA, Ma foi d’Africain, Paris, Karthala, 1985, p. 131.

146
LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

qui fait de la théologie de l’inculturation une théologie libératrice, prophé-


tique. Il n’y a donc pas d’inculturation véritable sans libération, sans
combat pour la qualité de la vie. De nos jours, les Églises d’Afrique sont
appelées à opter pour une confrontation active voire militante avec les
forces oppressives de l’anti-vie, afin de libérer l’Église, par le bas, de
l’aliénation de la conscience et d’un christianisme de résignation qui fait
de l’Église une officine attitrée de distribution de la grâce et des
sacrements.
La deuxième mise au point est le témoignage de vie, dont le
témoignage rendu par le Christ à la vérité est le modèle. L’analyse
phénoménologique peut nous aider à comprendre la vérité comme auto-
révélation de la vie. Le Christ est le vrai témoin car il est par essence le
Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6). L’inculturation arrive à son sommet
dans le mystère pascal où le Christ témoigne de la Vérité jusqu’au prix de
son sang et récapitule en croix tout ce qu’il y a de vrai et de saint dans les
cultures, pour en faire le lieu de la manifestation de la Trinité Sainte. C’est
lui le Premier Témoin. Le chrétien, qui est à la suite du Christ et reçoit de
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lui mandat d’aller évangéliser les cultures, devient témoin, il évangélise les
racines culturelles de sa personne comme de sa communauté et relève les
défis socio-économiques et politiques pour pouvoir reprendre le message
dans ses propres mots et dans une dynamique nouvelle qui transforme la
culture et la société28.
Avec ces deux mises au point, la mission poétique se découvre dans le
contexte africain comme réel service de la vie. Les Églises d’Afrique
doivent devenir des témoins de la vie, des servantes et des défenseuses de
la vie.
Ce point de vue est partagé par A. Ngindu Mushete. Il écrit : « Telle est
la tâche de l’Église d’Afrique d’aujourd’hui. Il ne s’agit de rien de moins
que de changer la vie, de changer le monde, de donner sens et valeur au
combat pour la justice et la paix, en le liant à toute la révélation du dessein
d’amour de Dieu, du mystère révélé en Jésus-Christ, en apportant une
certitude basée sur la foi dans la libération déjà accomplie par la passion et
la résurrection du Seigneur. Comme l’écrit J. M. Ela, l’Église d’Afrique est

28. « Message du synode africain », dans J. NTEDIKA KONDE (éd), Le synode africain
(1994), un appel à la conversion et à l’espérance, Kinshasa, Facultés Catholiques de
Kinshasa, 1995, p. 209.

147
VARIA

confrontée à un devoir de vigilance, elle est invitée au courage. Elle doit


sortir des sentiers battus, d’une praxis qui l’enferme dans une sorte de
sommeil dogmatique à l’égard des violations des droits de l’homme, des
brimades aveugles, des mutilations, des structures d’inégalité et de
domination parmi les peuples où le système néo-colonial étend partout des
tentacules immenses, avec la complicité des bureaucraties au pouvoir
tandis que la prospérité insolente et scandaleuse d’une mince couche de
privilégiés entraîne la clochardisation du plus grand nombre de jeunes et
d’adultes. »29

Conclusion
La mission chrétienne est toujours inscription dans l’agir créateur de
Dieu, dans le Christ par l’Esprit en vue de la transformation du monde
dans la perspective du Royaume. Une telle compréhension de la mission
nous éloigne d’une simple application des principes et nous conduit à un
engagement au service de l’avènement de la nouveauté de Dieu dans
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l’humanité.
Déjà, dans le Nouveau Testament, saint Luc nous ouvre à cette perspec-
tive de la mission comme poiesis. Davantage que les autres évangélistes,
Luc s’intéresse au fait que l’histoire continue et que Christ n’est pas revenu
immédiatement. Les membres de sa communauté savaient que Jésus
n’était plus avec eux : ils avaient compris que, dans des circonstances
complètement différentes, suivre Jésus ne pouvait pas se réduire à imiter
servilement Jésus, ni à reproduire le passé mais devait être une réinter-
prétation créatrice, novatrice. En même temps, il fallait leur montrer
qu’il n’y avait pas lieu de désespérer. C’est pour cette raison, souligne
D. Bosch, que Luc a rapporté le récit des deux disciples d’Emmaüs (Lc 24,
13-35) : puisqu’on peut faire l’expérience de Jésus d’une manière toute
nouvelle, les croyants ne sont pas laissés à la détresse de l’abandon30. Mus
par l’Esprit, ils sont les témoins de la nouveauté de Dieu dans l’histoire et
les chantres de la grande Espérance, qui nous engage à affronter notre
présent malgré l’épaisseur des difficultés et envisager l’avenir avec optimisme.

29. A. NGINDU MUSHETE, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris,


l’Harmattan, 1982, p. 157.
30. D. BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles
missionnaires, Lomé-Paris-Genève, Haho-Kartala-Labor et Fides, 1995, p. 152.

148
LE PARADIGME D’UNE MISSION POÉTIQUE. FONDEMENT ET DÉPLOIEMENT

Par cet engagement, comme le souligne le Pape Benoît XVI dans l’ency-
clique Spe Salvi, nous apportons notre contribution afin que le monde
devienne un peu plus lumineux et un peu plus humain et qu’ainsi les portes
s’ouvrent vers l’avenir31.
En somme la mission des disciples du Christ est d’annoncer et de
témoigner de la nouveauté de Dieu qui renouvelle et revivifie toute
personne, toute culture, toute communauté humaine. C’est ce travail
d’innovation, d’invention, de créativité, d’imagination poétique à la
suite du ressuscité et dans la force de l’Esprit qui donnera corps au christia-
nisme de la vie en Afrique : ancré dans nos richesses spirituelles, rénové
dans son projet d’être et proposé comme chemin de vie à l’ensemble de
l’humanité.
C’est l’évêque de Lyon, Irénée, qui nous permettra de conclure ces
réflexions sur la mission poétique au service de la nouveauté de Dieu par
ces mots :
« […] Mais alors, pensez-vous peut être, qu’est-ce que le Seigneur a
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donc apporté de nouveau par sa venue ? Eh bien, sachez qu’il a apporté
toute nouveauté, en apportant sa propre personne annoncée par avance,
c’était précisément que la Nouveauté viendrait renouveler et revivifier
l’homme. »32
Léonard SANTEDI KINKUPU

31. BENOIT XVI, Lettre encyclique Spe Salvi sur l’espérance chrétienne, Vatican,
Libreria editrice Vaticana, 2007.
32. IRÉNÉE de LYON, Contre les hérésies, IV, 34, V.

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