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LE CROIRE, L’AUTORITÉ, LE LANGAGE

L’ECCLÉSIOLOGIE IMPLICITE
DE MICHEL DE CERTEAU

L’expérience intime à partir de laquelle Michel de Certeau n’a jamais


rompu avec la Compagnie de Jésus, en dépit d’autres compagnonnages et de
travaux qui auraient pu l’en détacher, est inaccessible à l’historien en
l’absence d’archives, et il n’est pas sûr que l’accès à celles-ci suffise un jour à
combler ce manque. On peut en revanche explorer dans ses textes la manière
dont la question du « croire », celle de l’institution et celle de l’autorité, qu’il
n’a cessé de reprendre tout au long de son itinéraire, y dessinent en creux une
pensée paradoxale de l’appartenance à l’Église, régulièrement réinterrogée à
l’épreuve de nouveaux outils, du fait sans doute de la conscience aiguë qu’avait
Certeau de vivre le temps d’une crise des savoirs affectant l’ensemble du corps
social, mais dont le catholicisme était à ses yeux la scène principale et le
meilleur observatoire.
Comment Michel de Certeau jésuite est-il présent dans l’œuvre de
Michel de Certeau historien ? C’est la question que l’on se pose ici, à partir de
deux textes sur le croire et la croyance, rédigés à la fin des années 1970 et
publiés dans des collectifs d’universitaires 1. Il s’y exprime en historien, en
linguiste et en anthropologue, sans y afficher nulle appartenance religieuse.
En confrontant ces deux textes à quelques autres plus anciens, j’aimerais
toutefois montrer comment Michel de Certeau, qui ne cessa de pérégriner
dans le champ des savoirs, du e au e siècle, de l’érudition jésuite aux
Annales, du séminaire de Jean Orcibal à celui de Jacques Lacan, de l’histoire
à l’anthropologie, de la philologie à la psychanalyse, continua d’un lieu à
l’autre à nourrir sa pensée d’une forme implicite d’ecclésiologie qui lui
rendait encore pensable le fait d’avoir « la faiblesse de croire », selon le titre
d’un de ses plus beaux textes.

1. Successivement Michel  C, « Croire/faire croire », dans ., L’invention du quo-


tidien, t. I, Arts de faire, Paris, 1980 (10-18, 1363), p. 299-316, et ., « Une pratique sociale de la
différence : croire », dans Faire croire : modalités de la diffusion et de la réception des messages
religieux du XIIe au XVe siècle (table ronde organisée par l’École française de Rome en
collaboration avec l’Institut d’histoire médiévale de l’université de Padoue, Rome, 22-23 juin
1979), Rome, 1981 (Coll. de l’École française de Rome, 51), p. 363-383.

RHEF, t. 104, 2018, p. 353-368. 10.1484/J.RHEF.5.116892


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L’institution du croire, à l’épreuve des sciences sociales

Paru dans le premier volume de L’invention du quotidien, dont il est le


treizième chapitre, le texte intitulé « Croire/faire croire » est la reprise, « avec
des remaniements », d’un article publié en 1978 sous le même titre dans un
livre collectif dirigé par Pierre Birnbaum et Jean-Marie Vincent 2. « Une
pratique sociale de la différence : croire » conclut en 1981 le volume regrou-
pant, sous le titre Faire croire, les actes d’un colloque tenu à l’École française
de Rome en juin 1979, « pour lequel ce texte avait été préparé » 3. Les deux
textes ont donc été rédigés à la fin des années 1970, quand s’achèvent le temps
de l’utopie 68 et la première phase, enthousiaste et conflictuelle, de la récep-
tion du concile Vatican II 4. Pour Certeau, c’est le moment de « l’exil améri-
cain » : en 1978, il est élu professeur titulaire à l’université de San Diego, en
Californie, où il enseignera jusqu’à son élection à l’École des hautes études en
sciences sociales en 1984 5. Mais il se rend régulièrement aux États-Unis
depuis 1970 pour y enseigner, et c’est là sans doute qu’il a pris connaissance
des travaux récents de l’école de philosophie analytique sur le rapport entre
croyance, connaissance et langage. Cette question de la croyance, des modali-
tés qui la rendent efficace et de leurs limites, est abordée différemment dans
les deux articles, mais dans une perspective marquée pour l’un et l’autre par
cette philosophie du langage.

« Croire/faire croire » (1978-1980)


La croyance, ou plutôt « le croire », devrait-on dire, même si Certeau hésite
davantage sur les termes que ne le laissent entendre les titres des articles.
« À titre de première approximation, écrit-il, j’entends par ‘‘croyance’’ non
l’objet du croire (un dogme, un programme, etc.), mais l’investissement des
sujets dans une proposition, l’acte de l’énoncer en la tenant pour vraie —
autrement dit, une ‘‘modalité’’ de l’affirmation et non pas son contenu 6. »
Chez Certeau, la croyance est moins un contenu auquel on adhère qu’un acte
auquel on se livre, une performance dont il explore les effets sociaux et ce que
l’on pourrait appeler, avec John Austin, les « conditions de félicité », c’est-à-
dire les conditions qui la rendent efficace et performante. Il s’inscrit explici-
2. I., « Croire/faire croire », dans Pierre B et Jean-Marie V (dir.), Critique
des pratiques politiques, [Paris], 1978, p. 11-23 ; commenté par Luce G, « Bibliographie
complète de Michel de Certeau », dans . (dir.), Le voyage mystique, Michel de Certeau, Paris,
1988, no 288, p. 224. D’une version à l’autre, quelques corrections et ajouts dans le texte et dans
les notes, des changements d’intertitres, un passage historique rajouté en 1980 (comparer les
p. 306-307 de la version de 1980 à la p. 16 de la version de 1979). On cite la pagination de 1980,
suivie, entre parenthèses, de celle de 1979.
3. L. G, « Bibliographie complète... », no 303, p. 225.
4. Denis P, La crise catholique : religion, société, politique en France (1965-1978),
Paris, 2002.
5. François D, Michel de Certeau, le marcheur blessé, Paris, 2002, p. 405-426
(chap. « L’exil américain »), et L. G, « Notice », dans . (dir.), Le voyage mystique...,
p. 187-190.
6. M. de C, « Croire/faire croire »..., p. 300 (p. 12).
’      355

tement dans la tradition de la philosophie analytique, héritière de l’empirisme


de Hume et du Tractatus de Wittgenstein, et dont Quine est alors la figure
centrale à Harvard.
François Dosse remarque que Certeau mobilise dans ce texte les « travaux
de nombreux auteurs étrangers » 7. Il est intéressant de s’arrêter sur eux. Ils
sont quatre en 1979. Le premier, Willard V. Quine (1908-2000), s’est fait
connaître dans les années 1950 comme philosophe des sciences et du langage,
défenseur d’un « holisme épistémologique » selon lequel l’ensemble de nos
connaissances, loin de renvoyer à une « fondation » commune, se soutiennent
mutuellement pour former un système global en équilibre stable, mais tou-
jours susceptible d’évoluer à la marge à l’épreuve de nouvelles informations
qui entrent en contradiction partielle avec lui 8. Certeau cite The Web of
Belief 9, paru en 1970, où Quine applique son principe holistique à la ques-
tion du langage, en s’appuyant notamment sur son apprentissage par les
enfants. Quine développe l’idée selon laquelle le langage est un « art social »,
une compétence qui s’apprend à l’épreuve du succès et de l’échec d’expérien-
ces successives d’intercommunication. Ce qui intéresse Certeau dans cette
forme de behaviourisme, marquée par l’héritage de Pierce, James et Dewey,
c’est qu’elle relativise l’écart entre connaissance et croyance à l’épreuve de
l’expérience : la validation par l’expérience transforme ce que le sujet croit
juste en quelque chose qu’il sait juste, parce que cela fonctionne. C’est aussi
que la notion même de « réseau du croire » permet de comprendre la place de
la croyance dans la production d’une société, sous la forme d’une pensée de
l’intersubjectivité.
Deuxième auteur cité, Jaakko Hintikka (1929-2015) est un philosophe et
logicien finlandais qui a fait carrière aux États-Unis, successivement à
Stanford, à l’université de Floride et à Boston. Il s’est fait connaître en 1962
par la publication d’un article où il analysait le « cogito, ergo sum » de
Descartes non en termes d’inférence, mais en termes de performance 10. La
même année, il publie Knowledge and Belief 11, que cite Certeau, et que ses
collègues lisent comme « la première tentative sérieuse et informée de situer
les concepts de connaissance et de croyance dans le cadre de la logique
formelle » 12. Futur professeur d’économie à Oxford, John M. Vickers est alors
7. F. D, Michel de Certeau..., p. 585, n. 37.
8. Peter H, article « Willard Van Orman Quine », dans Edward N. Z (dir.), Stanford
Encyclopedia of Philosophy Archive (Summer 2018 Edition), en ligne à l’adresse :
https://plato.stanford.edu/archives/sum2018/entries/quine [site consulté le 9 septembre
2018].
9. Willard V. Q et Joseph S. U, The Web of Belief, New York, 1970.
10. Jaakko H, « Cogito, Ergo Sum : Inference or Performance », dans The Philoso-
phical Review, t. 71 (1962), p. 3-32.
11. I., Knowledge and Belief : An Introduction to the Logic of the Two Notions, Ithaca
(N. Y.), 1962 (Contemporary Philosophy).
12. Edward John L, compte rendu de J. H, Knowledge and Belief..., dans The
Philosophical Review, t. 74 (1965), p. 381-384, à la p. 381 (nous traduisons). Sur Hintikka, voir
aussi Jean-Godefroy B, compte rendu de Randall E. A et Lewis Edwin H (dir.),
The Philosophy of Jaakko Hintikka, Chicago (Ill.), 2006 (The Library of Living Philosophers,
30), dans Diogène, no 224 (oct. 2008), p. 119-149.
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un jeune philosophe qui vient de publier Belief and Probability 13, une
tentative d’analyser le rapport entre croyance et connaissance, des syllogismes
d’Aristote à l’idée de « croyance vraie » héritée de James, à l’aide des outils du
calcul de probabilités. Certeau cite enfin un dossier de la revue Langages
consacré aux modalités de l’énonciation, issu du séminaire tenu en 1974-1975
à l’École des hautes études en sciences sociales par Greimas, qu’il a rencontré
au début des années 1970 14. Le dossier comporte notamment un article du
linguiste roumain Sorin Alexandrescu, spécialiste de Faulkner exilé aux
Pays-Bas, intitulé « Les modalités croire et savoir » 15.
Dans la version de « Croire/faire croire » parue en 1980, deux nouvelles
références s’ajoutent à la liste, signe probable de lectures en cours. Rodney
Needham (1923-2006) enseigne à l’Institute of Social Anthropology
d’Oxford. Spécialiste des relations de parenté en Malaisie et à Bornéo, il est un
des « passeurs » de Lévi-Strauss dans le monde académique anglophone, et a
publié en 1972 une étude sur le rapport entre croyance, langage et expérience
que cite Certeau 16. « La conception qu’a Needham des rapports entre culture,
langage et expérience associe une perspective de type durkheimien [...] à une
vision de l’expérience vécue du langage qui doit beaucoup à l’influence de
Wittgenstein », écrit de lui Pascal Boyer 17. Quant à Ernest Gellner (1925-
1995), il s’est fait connaître à la fin des années 1950 en polémiquant contre
l’idéalisme réactionnaire dans lequel s’enferme à ses yeux la philosophie
analytique, polémique dans laquelle il a reçu le soutien de Bertrand Russel 18.
Philosophe, sociologue et anthropologue du politique, il propose dans Legi-
timation of Belief 19 une défense originale de la tradition empiriste, qui met
l’accent sur le rapport entre langage et structures sociales, au nom de l’héri-
tage de Max Weber, dont il est intellectuellement proche.
D’un auteur à l’autre, Certeau inscrit donc sa conception du « croire » dans
la tradition anglo-saxonne de la philosophie analytique, marquée par le beha-
viourisme et le pragmatisme, qui s’intéresse à l’efficacité de l’acte de langage
davantage qu’à son contenu de vérité. À un moment où cette philosophie est
encore peu lue en France 20, il est tentant d’y voir l’écho d’une inquiétude
récurrente chez lui, au moins depuis 1968, et plus évidemment depuis la crise
du « Troisième homme », à laquelle il a été mêlé aux côtés de François

13. John M. V, Belief and Probability, Dordrecht-Boston, 1976 (Synthese Library,
104). Voir son compte rendu par John Patrick D dans The Philosophical Quarterly, t. 28
(1978), p. 171-172.
14. Ivan D (éd.), dossier « Modalités : logique, linguistique, sémiotique », dans
Langages, no 43 (sept. 1976), p. 3-124.
15. Sorin A, « Sur les modalités croire et savoir », ibid., p. 19-27.
16. Rodney N, Belief, Language and Experience, Oxford, 1972.
17. Pascal B, article « Needham Rodney », dans Pierre B et Michel I (dir.),
Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, 2000 (Quadrige, 308), p. 505.
18. Voir Michael L, Ernest Gellner and Modernity, Cardiff, 2002 (Political Philoso-
phy Now).
19. Ernest G, Legitimation of Belief, Londres, 1974.
20. Voir Romain P, « La difficile réception de la philosophie analytique en France », dans
Revue d’histoire des sciences humaines, no 11 (juil.-déc. 2004), p. 69-100.
’      357

Roustang à la tête de la revue Christus 21, inquiétude qui porte sur la façon
dont le langage chrétien est devenu inaudible pour les contemporains. La philo-
sophie du langage permet de traiter la question de la croyance comme transver-
sale au religieux et au politique, en liant la crise de crédibilité des institutions
en général à celle des croyances religieuses. L’histoire a fait basculer celles-ci
du registre de la « conviction », utilisable en dehors du champ religieux qui les
a vu naître, et par exemple dans le champ politique, vers celui de la « super-
stition », intégralement disqualifié. En changeant de registre, les croyances
perdent leur crédibilité et « le croire s’épuise » 22, tandis que l’essor des tech-
niques d’information et le pluralisme des opinions affectent à la fois la possi-
bilité d’une croyance religieuse et celle d’une croyance politique : « Il y a
désormais trop d’objets à croire et pas assez de crédibilité 23. »
Ce qui importe à Certeau, c’est la crise conjointe du religieux et du
politique en tant qu’ils ont longtemps été, chacun pour soi et dans l’articula-
tion de l’un à l’autre, les deux instances de création et de recharge de la
croyance :
« Cet aller et retour complexe, qui a fait passer du politique au religieux chrétien et
de ce religieux à un nouveau politique, a eu pour effets une individualisation des
croyances (les cadres de référence communs se fragmentant en ‘‘opinions’’ sociales ou
en ‘‘conventions’’ singulières) et leurs mouvances dans un réseau de plus en plus
diversifié d’objets possibles 24. »

À la différence des théoriciens de la sécularisation, qui, dans le sillage de


Peter Berger 25, mettent alors en avant la façon dont le politique s’est substi-
tué au religieux dans un double processus de pluralisation et de laïcisation,
Certeau privilégie l’idée d’une combinatoire historique entre le religieux et le
politique, qui deviendrait aujourd’hui obsolète. Il n’y a donc plus d’institu-
tion du croire qui soit efficace, et il conviendrait d’abandonner le modèle des
religions pour comprendre comment s’articulent aujourd’hui le croire et le
faire croire, et donc le croire, le pouvoir et le savoir :
« Aujourd’hui, le croire et le savoir se distribuent autrement que dans les religions
de jadis ; le croire ne modalise plus le cru selon les mêmes règles 26. »

C’est qu’au croire chrétien, qui supposait qu’une partie au moins du savoir
qui fonde nos sociétés soit cachée, se substitue désormais une pratique du
voir, soumise à l’institution du réel et qui n’est autre que l’information : « Les
récits de ce-qui-se-passe constituent notre orthodoxie. Les débats de chiffres
21. Voir Étienne F, « Naissance, enfance et adolescence de Christus (1951-1971) »,
dans Christus, hors-série, 2004 [dossier « Christus, témoin de la vie spirituelle de notre
temps (1954-2004) »], p. 44-48, en attendant la réédition critique en cours de l’article de
François Roustang aux éditions Odile Jacob.
22. M. de C, « Croire/faire croire »..., p. 303 (p. 14).
23. Ibid., p. 302 (p. 13).
24. Ibid., p. 306 (p. 16, formulation proche).
25. Peter Ludwig B, La religion dans la conscience moderne : essai d’analyse cultu-
relle, trad. fr., [Paris], 1971 (Religion et sciences de l’homme) [éd. orig., The Sacred Canopy :
Elements of a Sociological Theory of Religion, New York, 1967].
26. M. de C, « Croire/faire croire »..., p. 309 (p. 19, formulation proche).
358  

sont nos guerres théologiques 27. » Il n’y a plus d’institution dépositaire de « la


dogmatique contemporaine » : celle-ci « ne comporte plus de lieu propre, ni
de siège ou de magistère. Code anonyme, l’information innerve et sature le
corps social 28. » Autrement dit, la crise de l’institution religieuse est une des
scènes sur lesquelles se joue aujourd’hui la crise du politique.

« Une pratique sociale de la différence : croire » (1979-1981)


Certeau convoque aussi la philosophie analytique dans le second article qui
nous préoccupe 29, mais ses références vont plutôt à Harold Garfinkel, qui a
« inventé » l’ethnométhodologie dans les années 1950 30, et, surtout, à une
tradition anthropologique marquée par la philologie, celle d’Émile Benve-
niste et Georges Dumézil. Dans Le vocabulaire des institutions européennes,
de Benveniste, l’article « Créance et croyance » apparaît dans la partie consa-
crée aux « obligations économiques », et non dans la partie intitulée « La
religion ». Croire, écrit Benveniste, c’est « confier une chose avec la certitude
de la récupérer » dans un avenir plus ou moins proche 31. Dans Idées romai-
nes, Dumézil définit l’acte de croire comme un « commerce », qui « obéit à
l’éthique du do ut des » et « tient donc entre la reconnaissance d’une altérité et
l’établissement d’un contrat » 32. Le croire est donc cela même qui institue la
société, « une pratique temporelle de la différence » 33 au double sens du verbe
« différer ». Il suppose en effet une relation entre deux acteurs différents — et,
derrière eux, l’ensemble des autres, engagés dans des contrats analogues —,
mais il est aussi un pari différé sur le temps, comparable à ce qui se passe dans
le rituel chez Durkheim : ce qui est confié, et donc perdu, dans l’acte de croire,
suppose en retour la promesse d’une rétribution dans l’avenir.
27. Ibid., p. 311 (p. 20).
28. Ibid., p. 312 (p. 20).
29. Outre Quine, il cite en note Marcus G. Singer (« The Pragmatic Use of Language and the
Will to Believe », dans American Philosophical Quarterly, t. 8 (1971), p. 24-34), philosophe
américain qui s’est fait connaître dans les années soixante pour ses travaux à la rencontre entre
éthique et logique, ainsi que le Britannique Richard B. Braithwaite, auteur en 1955 de An
Empiricist’s View of the Nature of Religious Belief.
30. Sur Harold Garfinkel (1917-2011), voir Albert O, Garfinkel et la naissance de
l’ethnométhodologie, Paris, 2016 (Occasional Paper, 34), en ligne à l’adresse : http://cems.
ehess.fr/docannexe/file/3721/op34_ao_garfinkel_naissance_ethnomethodologie.pdf [site con-
sulté le 9 septembre 2018]. Sur l’introduction de l’ethnométhodologie en France, voir F. D,
L’empire du sens : l’humanisation des sciences humaines, Paris, 1997 (La Découverte/
Poche. Sciences humaines et sociales, 36), p. 88-94. Sur Certeau et l’ethnométhodologie, voir .,
Michel de Certeau..., p. 507-512.
31. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 364, qui cite de façon
approximative Émile Benveniste. Benveniste écrit : « Confier quelque chose (ce qui est un emploi
de crefl do), c’est remettre à un autre, sans considération du risque, quelque chose qui est à soi,
qu’on ne donne pas, pour des raisons diverses, avec la certitude de retrouver la chose confiée »
(Émile B, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, t. I, Économie, parenté,
société, Paris, 1969, p. 177).
32. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 363. Voir Georges D,
« Credo et fides », dans ., Idées romaines, [Paris], 1969 (Bibl. des sciences humaines), p. 47-59,
à la p. 57 : « Les actes de culte, et principalement le sacrifice, sont à Rome des actes de commerce,
l’exécution de contrats d’échange entre l’homme et la divinité. »
33. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 365.
’      359

Dans ce cadre, la façon dont le mot « croyance », dans le christianisme


moderne, en est venu à désigner non plus un acte mais un contenu de croyance
constitue à elle seule une perte :
« Se poser la question : ‘‘Est-ce que j’y crois ?’’, c’est sortir déjà du champ de la
croyance et la tenir pour un objet intellectuel indépendant de l’acte qui l’affirme
comme une relation. La croyance n’est plus qu’un dire lorsqu’elle cesse d’être un
engagement relationnel, c’est-à-dire lorsqu’elle cesse d’être une croyance 34. »

En recourant à une conception du croire antérieure au christianisme,


Certeau installe celui-ci dans une tension constitutive entre le croire comme
faire et le croire comme contenu, l’un apparaissant comme un affadissement
de l’autre. Ses interlocuteurs sont ceux qu’il a croisés, plusieurs années
durant, dans le cadre des rencontres d’histoire religieuse de la Bussière 35. Les
confronter à ce que le christianisme médiéval doit aux religions qui l’ont
précédé comme à ce qu’il a perdu d’elles, c’est sans doute une manière de les
dépayser et de leur imposer un « regard éloigné » 36 sur leur propre objet de
recherche 37. Mais cela permet aussi de comprendre comment le croire insti-
tue du social, une question à laquelle les médiévistes sont habitués à devoir
répondre, mais que Certeau aborde à l’aide d’outils qu’ils ne sont pas accou-
tumés à utiliser.
Parce que le croire relève du « quasi-contrat » et du commerce, il suppose
une relation de confiance entre celui qui engage la croyance et celui qui la
reçoit, homme ou Dieu. Une telle confiance suppose des garants, c’est-à-dire
d’autres protagonistes eux-mêmes engagés dans une relation analogue, ayant
déjà eu commerce avec l’un ou l’autre des deux interlocuteurs et pouvant se
porter garants de sa fiabilité. Ils sont les « répondants » de la relation, mais ils
sont eux-mêmes engagés dans des relations analogues, qui supposent à leur
tour d’autres répondants. Le croire institue la société comme un système du
« répondant indéfini » 38, où la question de l’autre qui garantit est à la fois
essentielle et menace d’être sans issue, parce que toute relation de croyance en
appelle des multitudes d’autres qui lui servent d’assurance dans le moment
même où elles demandent à d’autres de les assurer à leur tour :
34. Ibid., p. 368.
35. Voir Claude L, « Michel de Certeau et le groupe de la Bussière », dans Recherches
de sciences religieuses, t. 76 (1988), p. 227-231 [repris dans L. G (dir.), Le voyage mysti-
que..., p. 67-71], et C. L, « Trente ans d’histoire religieuse : suggestions pour une future
enquête », dans Archives de sciences sociales des religions, no 63 (janv.-juin 1987), p. 102-103.
36. Claude L-S, Le regard éloigné, Paris, 1983.
37. Certeau cite à ce propos (« Une pratique sociale de la différence... », p. 368, n. 8) le collectif
dirigé par Marcel D et Jean-Pierre V, La cuisine du sacrifice en pays grec, [Paris],
1979 (Bibl. des histoires). Le livre est issu d’un séminaire de recherche qui a réuni antiquisants et
anthropologues, notamment l’indianiste Charles Malamoud et l’africaniste Michel Cartry, pen-
dant quelques années, au Centre Louis-Gernet. L’un des objectifs du séminaire était de dégager
l’analyse du sacrifice antique de l’hypothèque qu’avait fait peser sur elle le modèle chrétien, au
profit d’une logique technique du faire. Voir M. D, « Pratiques culinaires et esprit de
sacrifice », ibid., p. 7-35, et la courte et précieuse mise au point de John S, Quand faire, c’est
croire : les rites sacrificiels des Romains, Paris, 2005 (Coll. historique), p. 7-12.
38. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 372 (titre de la troisième
partie de l’article).
360  

« Chaque répondant particulier (ce qui, de la part de l’autre, est supposé répondre)
est donc la métonymie d’une série indéfinie d’autres qui, derrière lui, ont également la
double position d’être manquants — ils ne sont pas (encore) fidèles, ou pas (encore) là
— et fondateurs du croire — ils ‘‘permettent’’ du croire, ils l’autorisent. La coïnci-
dence du manque et de l’instauration est l’un des secrets du croire 39. »

Citant l’enquête de Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie dans le bocage,


Certeau affirme que toute croyance « est une croyance à la croyance de
l’autre » 40. On comprend ainsi quelle relation se noue entre la croyance et
l’institution, objet de la dernière partie de l’article. Pour que le système se
stabilise, il faut de l’institution, et c’est le rôle de l’Église dans le champ
religieux et de l’État dans le champ politique que de mettre un terme à la
succession indéfinie des demandes de garanties, par leur capacité à transfor-
mer les quasi-contrats de croyance en un régime juridique stable. Si le croire
fonde la société comme un système complexe et en quelque sorte infini
d’échanges et de garanties de l’échange, l’institution la conforte en donnant à
cet usage du temps différé l’assurance d’une stabilité durable.
Une autre lecture est toutefois possible. L’idée selon laquelle toute croyance
est croyance en la croyance de l’autre paraphrase Kojève commentant La
phénoménologie de l’esprit de Hegel, à propos du « Désir du Désir d’un
autre » comme fondement de la reconnaissance de soi : « L’être humain ne se
constitue qu’en fonction d’un Désir portant sur un autre Désir 41. » On sait ce
que Certeau doit au séminaire animé au scolasticat de Chantilly par Joseph
Gauvin sur la Phénoménologie de l’esprit, séminaire qu’il a suivi en 1953-
1954 42. On sait aussi combien le séminaire de Kojève sur Hegel à l’École
pratique des hautes études a marqué Jacques Lacan, et tout particulièrement
sa conception du désir comme « désir de l’Autre » 43. Membre de l’École
freudienne de Paris depuis sa fondation, Certeau cite un peu plus loin la
séance du séminaire sur les psychoses du 14 décembre 1955, alors inédite,
mais dont les transcriptions circulent 44. Lacan a consacré cette séance au
délire du président Schreber, à propos duquel Certeau a lui-même prononcé
39. Ibid., p. 374.
40. Ibid., p. 373. Référence, ibid., p. 374, n. 18, à Jeanne F-S, Les mots, la mort, les
sorts : la sorcellerie dans le bocage, [Paris], 1977 (Bibl. des sciences humaines), p. 28.
41. Alexandre K, Introduction à la lecture de Hegel : leçons sur la « Phénoménologie
de l’esprit » professées de 1933 à 1939 à l’École des hautes études, [Paris], 1979 (Coll. Tel, 45)
[éd. orig., [Paris], 1947 (Bibl. des idées)], p. 14.
42. Voir L. G, « Pierre Favre, l’ispiratore mistico », dans M. de C, Pierre Favre, éd.
L. G, Milan, 2014 (Versante), p. -, et Michel F, « Kant, Hegel et Compagnie »,
dans É. F et Frédéric G (éd.), Jésuites français et sciences humaines (années
1960) : actes de la journée d’étude organisée par le conseil scientifique de la collection jésuite des
Fontaines et l’équipe Religions, sociétés et acculturation du Laboratoire de recherche historique
Rhône-Alpes, [Lyon], 2014 (Chrétiens et sociétés. Documents et mémoires, 22), p. 41-45.
43. Voir notamment Jacques L, « Subversion du sujet et dialectique du désir », texte
d’une communication prononcée en 1960, publié dans Écrits, t. II, Paris, 1971 (Points. Sciences
humaines, 21), p. 151-191, à la p. 174 : « C’est en effet très simplement, et nous allons dire en quel
sens, comme désir de l’Autre que le désir de l’homme trouve forme. » Brève synthèse de la
question, avec bibliographie, dans Élisabeth R et Michel P, Dictionnaire de la
psychanalyse, 3e éd., [Paris], 2006, p. 221-224 (article « Désir »).
44. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 376, n. 21. Le séminaire est
publié l’année suivante (J. L, Les psychoses, s. l., [1956]). Voir J. L, Le séminaire, liv. III,
’      361

une conférence, en septembre 1977 à Lille, lors des journées annuelles de


l’École freudienne de Paris 45. Son analyse du « réseau du croire » comme logi-
que du « répondant indéfini » débouchant sur la nécessité d’une institution
peut ainsi se lire en écho à la thèse lacanienne du désir comme désir de l’Autre.
Faire basculer le croire du côté du désir, c’est une autre manière de le rendre à
l’énonciation et à la performance. Mais la note renvoyant à Lacan n’est pas
indispensable à la compréhension de l’article : comme souvent dans ses textes,
Certeau semble entretenir avec lui une relation à distance, presque parodique.
Ramassons en quelques lignes deux enseignements que nous pouvons tirer
de la lecture de ces textes. En premier lieu, d’un texte à l’autre, les publics ne
sont pas les mêmes : historiens médiévistes pour la table ronde romaine,
sociologues du politique pour le recueil réuni par Pierre Birnbaum et Jean-
Marie Vincent. À partir de cet écart initial, selon une démarche dont il est
coutumier 46, Michel de Certeau déploie son raisonnement dans deux direc-
tions différentes, bien qu’elles aient en commun la référence à la philosophie
analytique du langage. Aux médiévistes il livre une réflexion sur les conditions
de félicité du croire où l’approche anthropologique se combine au pragma-
tisme linguistique pour comprendre l’histoire longue du christianisme. Aux
sociologues du politique il propose une réflexion sur la crise contemporaine
du croire, qui affecte tout autant le politique que le religieux et constitue une
contribution originale, mais non explicite, à la question de la sécularisation.
En second lieu, Certeau s’intéresse moins au contenu de la croyance qu’aux
conditions dans lesquelles elle s’institue : pour être exact, il faudrait écrire
que ce sont les conditions de crédibilité de la croyance qui le préoccupent en
priorité, ce qui tient à distance toute pensée de la croyance « vraie » au sens
chrétien du terme.
Sous cet angle, rien ne permet de dire que Michel de Certeau engage alors
dans son discours sa propre appartenance au christianisme et à la Compagnie
de Jésus : ces deux articles relèvent du plus strict registre universitaire, même
lorsqu’il s’adresse, à Rome, à des historiens du christianisme que le rappel de
sa position de jésuite ne gênerait sans doute pas. Reste pourtant le fait que l’un
et l’autre des articles engagent, chacun à sa manière, une triple réflexion, sur
le lien que la croyance religieuse institue entre les croyants, sur la manière
dont le croire est plus largement constitutif d’un ordre social, sur les échanges
possibles, enfin, entre l’univers religieux de la croyance et celui de la
politique : une forme d’ecclésiologie, en somme.
Les psychoses, Paris, 1981 (Le champ freudien), p. 71-82 (chap. « D’un Dieu qui ne trompe pas et
d’un qui trompe »).
45. M. de C, « L’institution de la pourriture : Luder », dans Action poétique, no 72
(déc. 1977), p. 177-188 [repris dans ., Histoire et psychanalyse : entre science et fiction, éd.
L. G, [Paris], 1987 (Coll. Folio. Essais, 59), p. 148-167]. Rappelons que, dans son délire, le
président Schreber se sent (se croit ?) devenir femme et désirée par Dieu.
46. Je renvoie sur ce point à mon article sur les deux versions successives de l’article
« L’opération historique » qui introduit le premier volume du collectif Faire de l’histoire,
« Histoire, littérature et psychanalyse : Michel de Certeau et l’école des Annales (1974-1975) »,
dans Les dossiers du GRIHL, 2018, no 2 [Jean-Christophe A et Christian J
(éd.), dossier « Michel de Certeau et la littérature »], en ligne à l’adresse : http://journals.
openedition.org/dossiersgrihl/6840 [site consulté le 9 septembre 2018].
362  

Les paradoxes d’une ecclésiologie implicite

L’actualité à l’épreuve du christianisme


Pour comprendre cet aspect de l’œuvre de Michel de Certeau, il faut
rappeler d’abord comment il a construit son propre engagement d’intellec-
tuel. Engagé à gauche, il l’a été sans doute, mais sur un mode qui le distingue
à l’évidence des chrétiens révolutionnaires des « années 68 » 47, comme le
montre Yvon Tranvouez dans le présent numéro. De l’attention qu’il n’a cessé
de porter à la question de l’institution, et donc à l’Église, les témoignages
abondent dans son œuvre. On n’en retiendra qu’un, issu de l’article « Les
révolutions du ‘‘croyable’’ », paru dans Esprit en février 1969 et repris cinq
ans plus tard dans La culture au pluriel :
« De ce point de vue, ils feraient preuve d’une scandaleuse légèreté ceux qui
voueraient à la casse un système d’autorité sans préparer son remplacement ; ceux qui
se jetteraient allègrement dans la violence sans mesurer la répression ou le fascisme
qu’elle servirait ; ceux qui se réjouiraient à la perspective d’assister au grand cham-
bardement, sans se demander quel sera le prix du spectacle et qui le paiera — toujours
les mêmes, les plus nombreux, les moins favorisés. Cette jubilation me révolte :
inconscience d’intellectuels, art de voyeurs, ‘‘grève eschatologique’’ 48. »

Placée à l’intérieur d’un paragraphe intitulé « Contre l’inconscience », cette


phrase témoigne de son attention, jamais démentie, à la question de l’autorité
et à son rôle dans la définition non pas d’une vérité qui s’imposerait autori-
tairement à tous, mais d’un rapport à la vérité qui serait autorisé à chacun :
« Si, comme je le crois, elles [les autorités] permettent à chacun d’articuler sa
relation aux autres avec sa relation à une vérité, elles représentent ce qui n’est jamais
acquis et ce dont il est pourtant impossible de se passer : une crédibilité 49. »

Et, plus loin :


« Une société résulte finalement de la réponse que chacun donne à la question de son
rapport à une vérité et de son rapport aux autres. Une vérité sans société n’est qu’un
leurre. Une société sans vérité n’est qu’une tyrannie. Aussi bien le double rapport —
aux autres et à une vérité — mesure la portée ‘‘philosophique’’ du travail social. C’est
une ‘‘tâche infinie’’ que cette réconciliation, Husserl le disait dans un texte capital 50. »

47. L’expression « années 68 » s’est imposée depuis quelques années dans l’historiographie
pour désigner la période qui va de 1965 à la fin des années 1970, dès lors qu’il s’agit de prendre en
compte les événements de Mai comme un révélateur ou un accélérateur des mutations sociales en
cours. Voir notamment Geneviève D-A, Robert F, Marie-Françoise L et alii
(éd.), Les années 68 : le temps de la contestation, Bruxelles, 2000 (Histoire du temps présent).
48. M. de C, « Les révolutions du ‘‘croyable’’ », dans Esprit, t. 37 (1969), p. 190-202, à
la p. 191 [repris dans ., La culture au pluriel, Paris, 1974 (10-18, 830), p. 11-34, à la p. 12 ; 2e éd.,
Paris, 1980, p. 15-32, à la p. 16]. On cite la pagination d’Esprit, suivie, entre parenthèses, de celle
de l’édition de 1980.
49. Ibid., p. 191 (p. 17).
50. Ibid., p. 201 (p. 29-30). La référence est à Edmund H, « La crise de l’humanité
européenne et la philosophie », dans Revue de métaphysique et de morale, t. 55 (1950), p. 225-258
[traduction de Paul Ricœur], qui a connu plusieurs rééditions ultérieures, notamment en 1987
par Jean-Marc Guirao dans la collection « Philosophie de l’esprit ».
’      363

Pour bien le comprendre, il faut lire ce jugement au regard de la manière


dont Certeau ne cesse d’analyser conjointement le moment présent de l’Église
et celui de la société. S’adressant à des médiévistes lors de la table ronde
romaine, il les renvoie au présent d’une démarche anthropologique formulée
comme un « récit de voyage » au nom « d’un itinéraire particulier » 51. Quand
il écrit pour des sociologues du politique, il inscrit la « sécularisation »,
sans employer le mot, dans l’épaisseur d’une histoire longue de la relation
entre l’Église et le politique. Sa réflexion sur le croire ne cesse ainsi d’en
croiser une autre, sur le rapport entre l’actualité et l’histoire. Issu d’une
tradition d’érudition jésuite dans laquelle il a appris à interroger le passé
de la Compagnie pour en repérer les échos dans le présent, Certeau a trans-
posé cette approche dans le champ des sciences humaines, afin de comprendre
comment « l’architecture sociale du savoir » 52 se reconstruit dans son
ensemble à l’épreuve d’une crise des institutions dont le christianisme est
à la fois l’observatoire et l’un des principaux acteurs. L’ancien codirecteur
de Christus, qui a commenté le concile et a eu une pratique pastorale,
n’a jamais abandonné sa réflexion sur le devenir du catholicisme contem-
porain 53.
En 1969, dans un article des Études, sous le titre « L’archéologie d’une
crise », il s’interrogeait sur les effets « d’un demi-siècle de primauté du
spirituel » 54 en France, soulignant comment le mouvement d’intériorisation
de la foi, lancé à travers le renouveau spirituel des années 1920 et dont le livre
de Maritain était devenu l’étendard, avait pesé sur les conditions de crédibilité
du discours de l’Église. « Peu à peu, écrivait-il, par des cheminements com-
plexes, sous la forme de distinctions subtiles, les institutions se décollent
d’une vérité ‘‘mystique’’ » 55, en sorte qu’« il devient progressivement
plus difficile de comprendre le sens des affirmations ou des décisions
des ‘‘autorités établies’’ dès là que l’apôtre rapporte un éventail d’actions
et de choix possibles à l’insondable du vécu, ou que le théologien voit dans le
paillettement indéfini de l’histoire la prodigieuse richesse d’un indicible » 56.

51. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 363.


52. I., La culture au pluriel..., p. 157-185 (chap. , « L’architecture sociale du savoir »).
L’article reprend, avec des modifications, ., « Savoir et société : une ‘‘inquiétude nouvelle’’, de
Marcuse à Mai 68 », dans Esprit, t. 36 (1968), p. 292-312, article paru le même mois d’octobre
1968 au chapitre  de La prise de parole : pour une nouvelle culture, [Paris], 1968, sous le titre
« Le fonctionnement social du savoir », p. 83-118.
53. Voir notamment ., « De la participation au discernement, tâche chrétienne après
Vatican II », dans Christus, t. 13 (1966), p. 518-537.
54. I., « Structures sociales et autorités chrétiennes », dans Études, t. 331 (1969), p. 285-293,
à la p. 286. L’article est le second volet d’un triptyque paru dans la revue entre juillet 1969 et
février 1970 (., « Structures sociales et autorités chrétiennes », ibid., p. 128-142, et ., « Auto-
rités chrétiennes », dans Études, t. 332 (1970), p. 268-286), et repris par Luce Giard au chapitre 
de La faiblesse de croire, Paris, 1987 (Esprit), sous le titre unique « Autorités chrétiennes et
structures sociales », p. 77-128, ici à la p. 97. Pour chacun des articles du triptyque, on cite, sous
le titre « Structures sociales et autorités chrétiennes », la pagination des Études, suivie, entre
parenthèses, de celle du volume de 1987.
55. Ibid., p. 289 (p. 101).
56. Ibid., p. 289 (p. 101-102).
364  

Il soulignait alors l’urgence d’« une réflexion théologique sur les autorités
chrétiennes » 57. Déjà pourtant, il s’interrogeait moins sur le déclin du chris-
tianisme en tant que tel que sur la crise de « sociétés idéologiques », construi-
tes dans la confrontation et l’échange entre le religieux et le politique, que
mettait à mal l’émergence d’une « société technocratique, combinant la com-
pétence et la réussite, déterminée par des objectifs limités et précisant les
conditions de leur réalisation, rejetant les convictions dans le privé, se disso-
ciant d’impératifs éthiques et de conventions sociales au fur et à mesure
qu’elle s’attache à élever les ‘‘conditions’’ de vie, et se limitant à la tâche
d’organiser rationnellement le ‘‘mieux vivre’’ » 58. « La ‘‘sécularisation’’, si
l’on tient à employer ce mot, présente là une de ses formes, associant norma-
lement la crise interne de l’Église à la fin des sociétés idéologiques », ajoutait-
il 59.
En 1977, peu avant les deux textes qui sont au centre de notre réflexion, il
revient sur la situation présente de l’Église pour le supplément Universalia de
l’Encyclopaedia Universalis. De l’affaire Lefebvre à la théologie de la libéra-
tion, de l’émancipation sexuelle à la crise de la pratique religieuse, des débats
sur la liturgie à l’émergence de la mouvance charismatique, dont il est un des
premiers à prendre la mesure 60, Certeau conclut moins à la disparition
programmée du catholicisme qu’à la nécessité de repenser l’écart entre l’ins-
titution et les choix individuels : « Plus qu’une disparition de la foi, c’est sa
dissémination qui frappe », affirme-t-il 61.
D’un texte à l’autre, Michel de Certeau ne postule jamais l’obsolescence de
l’Église en tant que telle. Ce qui l’intéresse au premier chef est la crise du
rapport entre régime d’autorité et régime du croire, qui affecte la sphère
politique aussi bien que l’Église, en sorte que la compréhension du devenir
historique de la seconde est indispensable à la compréhension de l’actualité de
la première. C’est en ce point très exact que se situe son ecclésiologie « impli-
cite » : elle nourrit ses analyses, même quand celles-ci sont formulées dans les
termes rigoureux d’une recherche universitaire. Elle fait l’originalité de son
apport, au regard des grilles d’analyse marxiste et structuraliste auxquelles la
conjoncture le confronte et avec lesquelles il est en relation de proximité
critique. La pointe de l’œuvre de Certeau, ce n’est pas de confronter le
christianisme à l’actualité politique. C’est de repenser les sciences humaines
avec les outils que lui fournit une Église en crise. Il y faut une ecclésiologie,
fût-elle implicite et « paradoxale » 62.
57. Ibid., p. 293 (p. 107).
58. Ibid., p. 131 (p. 82).
59. Ibid., p. 133 (p. 83). C’est là une des rares occurrences, à ma connaissance, du mot
« sécularisation » dans l’œuvre de Certeau.
60. Voir sa contribution au débat « Le renouveau charismatique : nouvelle pentecôte ou
nouvelle aliénation ? », dans Lettre, no 211 (mars 1976), p. 7-18.
61. M. de C, « L’Église catholique : la fin de la période post-conciliaire », dans Ency-
clopaedia Universalis, Universalia 1977 : les événements, les hommes, les problèmes en 1976,
Paris, 1977, p. 141-144, à la p. 141.
62. Ces remarques ont fait l’objet d’une première présentation orale lors du séminaire
« L’ecclésiologie paradoxale de Michel de Certeau », tenu au Centre d’études en sciences sociales
’      365

L’Église et les contrats de langage


L’Église se dévoile à travers un triangle qui lie l’expérience du croire, la
communauté dont cette expérience est indissociable, et l’autorité qui permet
leur rencontre : « Le processus du croire marche non à partir du croyant
lui-même, mais à partir d’un pluriel indéfini (l’autre/des autres) supposé être
l’obligé et le répondant de la relation croyante 63. » Comme les institutions
politiques, dont elle est historiquement le modèle, c’est toujours au nom d’un
Autre que l’Église peut, par sa parole, stabiliser le jeu des répondants indéfinis
déclenché par l’acte de croire :
« ‘‘La famille pense...’’, ‘‘l’Église affirme...’’, ‘‘le parti déclare...’’ : en tant que
locutrice dont les ‘‘responsables’’ ne sont que les délégués, l’institution a la fonction
énonciatrice d’un (quasi) sujet 64. »

Ce dévoilement se produit dans le langage, sous la forme de « contrats de


langage » qui rappellent les « actes de langage » de Searle 65 et inscrivent la
pensée de Certeau dans le sillage des théories de l’énonciation :
« De secrètes porosités modifient les contrats du langage, c’est-à-dire les accords, si
difficilement calculables, entre l’endroit (visible) et l’envers (opaque) de la crédibilité,
entre ce que les autorités articulent et ce qui en est reçu, entre la communication
qu’elles permettent et la légitimité qu’elles supposent, entre ce qu’elles rendent
possible et ce qui les rend croyables 66. »

Tout laisse penser que Certeau, lisant les théoriciens de l’énonciation et


découvrant la philosophie analytique au cours des années 1970, y a trouvé
l’écho d’une expérience déjà vécue dans son engagement pastoral 67. La place
centrale occupée par « l’énonciation mystique » dans La fable mystique,
parue en 1982, me paraît confirmer l’antériorité d’une expérience chrétienne
de la crise du langage sur la mobilisation par lui du courant pragmatique.
Dans sa présentation du livre, Luce Giard rappelle ce qu’il doit à la reprise
d’articles parfois anciens, parus entre 1965 et la fin des années 1970 68. Mais
ceux des chapitres où apparaît le plus clairement la question de l’énonciation
et des actes de langage sont, eux, parmi les plus récents : le premier chapitre,
sur l’idiote de Mêné et sur les rires de fous au e siècle, reprend deux articles
de 1979 et 1976 ; le chapitre , « Manières de parler », dont la première partie
est entièrement consacrée à la « pragmatique du langage », est un inédit, tout
du religieux le 5 mars 2015, sous la responsabilité de Dominique Iogna-Prat et Alain Rauwel,
auxquels je dois l’expression.
63. M.  C, « Une pratique sociale de la différence... », p. 374.
64. Ibid., p. 381.
65. John R. S, Les actes de langage : essai de philosophie du langage, trad. fr., Paris,
1972 (Coll. Savoir) [éd. orig., Speech Acts : An Essay in the Philosophy of Language, Londres,
1969]. La notion d’acte peut ici s’entendre au double sens d’action et d’acte juridique.
66. M. de C, « Les révolutions du ‘‘croyable’’ »..., p. 202 (p. 31).
67. Sur ce point, voir D. P, « L’expérience religieuse : note sur quatre textes de Michel
de Certeau », dans L. G (éd.), Michel de Certeau : le voyage de l’œuvre, Paris, 2017
(Philosophie et sciences humaines), p. 31-44.
68. E., « Bibliographie complète... », no 312, p. 226.
366  

comme le chapitre , « L’institution du dire », où il analyse en termes


d’énonciation la préface inédite de Surin à La science expérimentale et
l’introduction de Thérèse d’Avila aux Demeures de l’âme. En mettant l’accent
sur l’énonciation mystique, au détriment d’une analyse plus classique de
contenu — ce qu’Alain de Libera et Frédéric Nef lui reprocheront vivement
à la parution du livre 69 —, Michel de Certeau a voulu échapper à une histoire
des idées, éviter une histoire de la mystique qui se contente de paraphraser les
mots de la mystique, inscrire la tradition mystique dans une histoire sociale
attentive aux conditions de production des textes et à leur circulation ulté-
rieure 70. Mais ce choix, encore une fois, prolonge une expérience religieuse.
De manière congruente avec sa compréhension du croire, l’Église de Michel
de Certeau se tient dans des actes de langage, dont il appartient à l’autorité, ou
aux autorités, d’assurer les conditions de félicité.

L’Église, l’autorité et l’histoire des autorités


« Autorité ou autorités ? La réflexion chrétienne se situe à cette articulation
périlleuse entre le singulier de Dieu et le pluriel de l’histoire. [...] L’expérience
chrétienne crée elle-même cette articulation en prenant la forme communautaire d’un
nous qui permet seul l’audace de parler de ‘‘notre père’’. Tel est son lieu propre,
carrefour du singulier et du pluriel. Ce lieu lui est nécessaire : l’Église y tient comme
au mystère qu’elle confesse 71. »

Extraites d’un article paru en 1970, ces lignes introduisent à la deuxième


grande composante de l’ecclésiologie implicite de Certeau, qui est sa dimen-
sion pluraliste et communautaire. Dans le débat qui suit le concile Vatican II,
Certeau est certes proche de la « gauche théologique » française 72. Pourtant,
sa position est originale. Dans les premières controverses sur la mise en œuvre
de l’aggiornamento, c’est la place respective de l’Église « hiérarchique » et de
l’Église « peuple de Dieu » qui est en discussion, en référence surtout à la
constitution Lumen gentium. Le courant intégriste emmené par Mgr Lefebvre
voit dans la notion d’Église « peuple de Dieu » une soumission aux idéaux
révolutionnaires de 1789 ; le courant progressiste y voit au contraire le
fondement d’une ecclésiologie démocratique. Il faudra quelques années pour
que la controverse trouve un point d’équilibre (relatif) autour de la notion
d’« Église-communion », notamment sous l’impulsion de Mgr Coffy, alors
évêque de Gap et membre du bureau d’études doctrinales de l’épiscopat 73.

69. Alain  L et Frédéric N, « Le discours mystique : histoire et méthode », dans
Littoral, no 9 (juin 1983), p. 79-102.
70. Sur ce point, voir D. P, « Michel de Certeau d’un siècle à l’autre : l’actualité
paradoxale de la mystique moderne », dans Mariel M, François T et Ghislain
W (éd.), L’Université face à la mystique : un siècle de controverses ?, Rennes, 2018
(Sciences des religions), p. 99-103.
71. M.  C, « Structures sociales et autorités chrétiennes »..., p. 268 (p. 107).
72. Voir Yvon T, « Les idées du ciel ne tombent pas juste : la division théologique des
chrétiens de gauche (1962-1981) », dans D. P et Jean-Louis S (dir.), À la gauche
du Christ : les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, 2012, p. 513-537.
73. D. P, La crise catholique..., p. 230-234.
’      367

Bien davantage qu’à Lumen gentium, la réflexion de Certeau me paraît


renvoyer à la constitution Dei verbum sur la révélation. On sait que la
rédaction de ce texte a été dominée par deux enjeux : renoncer, d’une part, à
la doctrine des « deux sources de la Révélation », qui imposait la Tradition
comme une médiation obligatoire dans l’accès de chacun au sens des textes
sacrés, au profit d’une conception conjointe de l’une et de l’autre qui assure la
possibilité d’un « retour aux sources » de la foi ; reconnaître, d’autre part, la
légitimité de la conscience individuelle dans l’appréhension de la Révélation,
dont elle est le lieu propre 74. C’est dans ce cadre conceptuel que Certeau,
dont on sait ce qu’il doit au père de Lubac, déploie sa pensée de l’autorité et
des autorités dans l’Église. La première fonction de l’autorité n’est pas d’être
autoritaire, elle est d’autoriser 75. Dire cela, ce n’est ni renoncer à la fonction
de l’autorité ecclésiale au nom d’une pensée de la démocratie moderne, ni
céder à la pente anti-institutionnelle de l’ère post-68. C’est, au contraire,
considérer qu’il appartient à l’autorité, par un travail de régulation, d’ouvrir
l’espace dans lequel une diversité d’expériences religieuses devient possible.
« L’Autorité [...] rend possible ce qui ne l’était pas » 76 ; « l’organisation des
autorités chrétiennes a pour but et pour sens [...] de rendre viable et repérable
ce renvoi des signes les uns par rapport aux autres au nom même de leur
rapport à la seule autorité véritable » 77. Certeau parle ici en jésuite autant
qu’en historien. En 1970, l’année même de cet article, il publie La possession
de Loudun, aboutissement historique d’un long parcours dans l’histoire de la
spiritualité jésuite à l’époque moderne 78. Dans l’effervescence mystique du
e siècle, il repère une forme d’expérience religieuse à laquelle les autorités
ne savent faire place. Dans l’affrontement, à Loudun, entre la parole des
possédées, les discours des médecins et des magistrats, ceux des clercs enfin,
il voit un affrontement d’autorités, affrontement à travers lequel se recompose
l’architecture sociale des savoirs, autorités entre lesquelles Surin, dans sa
relation avec mère Jeanne des Anges, refuse de trancher, au risque d’y perdre
lui-même la parole. Dans les textes qui conduiront à la publication de La fable
mystique, il montre à la fois la dimension collective d’une expérience mysti-
que qui prend sens à travers des réseaux d’affinité et de diffusion (« Les petits
saints d’Aquitaine », chapitre , remanié d’un article de 1965) et la manière
dont l’autorité ecclésiale finit par définir un corpus mystique canonique, au
terme d’une régulation qui exclut certaines voix, dont celle de « Labadie le
nomade » (chapitre , issu d’un article de 1975). Dans l’explosion de 68, il lit
l’irruption d’une parole incontrôlable par les autorités, qui appelle à repenser
tout à la fois le champ des sciences humaines et ce modèle de l’institution que
demeure l’Église. Dans la psychanalyse, il saisit à la fois la possibilité de
74. Sur Dei verbum et sa réception, voir Christoph T, « Dans les traces... » de la
constitution « Dei verbum » du concile Vatican II : Bible, théologie et pratiques de lecture, Paris,
2009 (Cogiatio fidei, 270).
75. M. de C, « Structures sociales et autorités chrétiennes »..., p. 271 (p. 110).
76. Ibid.
77. Ibid., p. 275 (p. 115).
78. M.  C, La possession de Loudun, [Paris], 1970 (Archives, 37).
368  

franchir le fossé entre passé et présent 79 pour rendre leur voix aux « absents
de l’histoire » 80 en dépit des pouvoirs qui les ont fait taire, et la chance de
rendre à l’expérience de chacun la place de l’Autre qui permet au sujet
d’advenir en donnant sens au manque qui le taraude.
Dans les articles sur le croire, enfin, il noue ensemble actes de croyance et
construction d’une société qui peut être l’Église, instance autorisante dans la
mesure où elle saura offrir à l’expérience du croire les conditions d’une
performance efficace. D’un exemple à l’autre se dessine un réseau d’autorités
qui est aussi un réseau du croire. Entre ces autorités, comme jadis son alter
ego Surin, l’historien refuse de trancher — la parole des magistrats ne doit pas
l’emporter sur la parole des possédées au nom d’une pensée des Lumières,
c’est le cœur de sa polémique avec Mandrou 81. Mais dans ce réseau du croire
— le Web of Belief de Quine, relu à l’aide de Dumézil et Benveniste —, il
repère le corps même de l’Église, saisi dans le temps spécifique d’une histoire
et dans l’espace littéraire de textes dont chaque auteur peut et doit être
entendu, et dont l’actualité dépend de la possibilité que leur parole soit encore
énoncée avec succès.

Denis P,
École pratique des hautes études (EPHE, PSL),
Groupe Sociétés, religions, laïcités.

79. I., « Histoire et psychanalyse », dans Jacques L G, Roger C et Jacques R
(dir.), La nouvelle histoire, Paris, 1978 (Les encyclopédies du savoir moderne), p. 477-487, spéc.,
p. 477-478, le premier paragraphe, « Deux stratégies du temps » [repris sous le titre « Psychana-
lyse et histoire », dans M.  C, Histoire et psychanalyse : entre science et fiction, éd.
L. G, [Paris], 1987 (Coll. Folio. Essais, 59), p. 97-117, spéc. p. 97-100].
80. M. de C, L’absent de l’histoire, [Tours], 1973 (Coll. Repères : sciences humaines,
idéologies, 4).
81. Voir la contribution de Dominique Julia dans le présent numéro.

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