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CONSOMMATION
Benoît Heilbrunn
© La Découverte | Téléchargé le 25/08/2022 sur www.cairn.info via Université Louis Lumière Lyon 2 (IP: 159.84.143.22)
DOI 10.3917/rdm.044.0108
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Dire que la consommation renvoie à un ensemble de pratiques
signifiantes par lesquelles les individus échangent de la valeur,
du sens et entretiennent des liens sociaux, peut apparaître comme
un truisme aujourd’hui. Tel n’était certainement pas le cas, quand
paraît, en 1979, The World of Goods. On aurait pu attendre de
l’anthropologie qu’elle se contente de montrer que la consomma-
tion est une activité classificatoire qui donne aux communautés
humaines une structure d’ordre. De même que Mary Douglas avait
montré dans l’ouvrage qui l’a rendu mondialement célèbre, De la
souillure [Douglas, 1966], que les notions de pur et d’impur jouent
un rôle important dans le maintien des structures sociales, puisqu’en
séparant le pur et l’impur, les communautés classent en définitive
ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas et se dotent d’une struc-
ture morale, de même l’anthropologie et la sociologie ont souvent
projeté sur les biens matériels un regard classificatoire. Les biens
ont longtemps été conçus en vertu de leur capacité à distinguer ou
assimiler des individus ou des groupes et à symboliser une structure
d’ordre social renvoyant alternativement à une classification des
personnes et des choses. Pour autant, si la consommation a joué un
rôle fondamental et finalement inattendu dans la transformation du
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Le champ de l’anthropologie de la consommation n’est pas
identifié comme tel lorsque paraît The World of Goods, les travaux
existants n’étant généralement que des bribes d’études plus géné-
rales consacrées aux thèmes porteurs du moment, ainsi que le sont
les sphères de l’échange, du don et des cadeaux, l’étude du prestige
des aliments, etc. Si l’anthropologie se préoccupe déjà, à l’époque,
de la culture matérielle, encore le fait-elle trop souvent, voire trop
systématiquement, dans une logique empreinte d’extranéité, en
s’intéressant aux biens matériels dans des sociétés éloignées et
traditionnelles.
Marshall Sahlins [1972] fut par exemple l’un des tout premiers
à dynamiter un certain nombre de préceptes qui empêchaient l’an-
thropologie de prendre pleinement possession de la consommation
comme objet d’étude. En montrant que les sociétés de chasseurs et
de pêcheurs disposaient et profitaient bel et bien de temps de loisir
– davantage d’ailleurs que les sociétés qui vivaient selon d’autres
moyens – et que, dans nombre de régimes tropicaux, les individus
disposaient effectivement de quelques possessions et ne pouvaient
en aucun cas être considérés comme pauvres dans la mesure où les
besoins étaient limités et finalement faciles à combler, Marshall
Sahlins contredit avec vigueur l’hypothèse évolutionniste considé-
rant l’histoire humaine comme un vaste mouvement vers la quête
des loisirs à travers des modes successifs de production qui auraient
progressivement contribué à libérer l’être humain d’un appétit pour
les seuls biens de subsistance.
Qu’a fait depuis lors l’anthropologie de la consommation, si
ce n’est rendre visible la cale sur laquelle était assise de façon
implicite toute la discipline (en creusant l’idée même de culture à
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des études ethnographiques des années 1940 à la fin des années
1950 consacre de façon quasi immuable un chapitre conclusif au
changement social induit par l’arrivée de biens de consommation
occidentaux dans ladite région. Les biens de consommation occi-
dentaux sont à cette époque considérés comme synonymes d’une
perte de culture, voire d’aliénation, et donc comme une menace
pour l’objet même de l’étude anthropologique [Arnould & Wilk,
1984]. L’immixtion de la consommation de masse est alors sou-
vent identifiée comme une forme d’invasion du marché, ainsi que
l’illustre le débat prégnant, dans les années 1960-1970, entre des
approches économiques formalistes qui accréditent la pertinence
des modèles économiques et les approches substantivistes (comme
celle de Karl Polanyi) qui contribuent à romantiser la résistance à
des formes désenchâssées de transaction. Ce paradigme dominant
induit l’idée d’un système logique et impersonnel qui oblitère le rôle
inaliénable que les objets entretiennent dans les systèmes d’échange
qui fondent les communautés humaines. Comme le démontre très
finement Daniel Miller [1995, p. 265], la consommation n’a pu
apparaître comme champ d’étude anthropologique propre tant que
le concept de culture demeurait une prémisse explicite ou implicite
de l’anthropologie. Autrement dit, tant que l’anthropologie s’est
développée par l’établissement d’un « autre », sorte de culture
holiste et non fragmentée à l’aune de laquelle la modernité – c’est-
à-dire la forme de société dont étaient issus les anthropologues –
puisse être jugée, la notion même de culture de consommation n’a
pu véritablement émerger. Comment alors se dégager de la forme
d’occidentalisme qui caractérisait jusque-là l’anthropologie ? Deux
écueils majeurs guettaient finalement l’anthropologie dans sa ten-
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qu’elles neutralisent sa capacité à relier des sphères séparées. Le
second écueil eut été de ne voir dans la consommation de masse
qu’une simple érosion de la culture ; en entrant dans l’économie
mondialisée, les sociétés seraient alors censées perdre leur droit
de naissance aux dépens d’une sorte de bouillie consommatoire
homogénéisante ayant pour conséquence une perte mesurable de
« culture », celle-ci étant comprise comme une somme d’attributs
différentiels qui faisaient justement d’elle un objet d’intérêt pour
les études anthropologiques.
Ce n’est donc qu’à partir du moment où elle a été regardée
comme « diversité a posteriori – comme une source de différence
qui émerge de trajectoires qui ne sont pas uniquement rattachées
à une diversité historique passée – que la consommation de masse
a pu devenir un nouveau sujet évident et signifiant significatif »
[Miller, 1995, p. 268] pour l’anthropologie. À partir de ce moment,
il devenait nécessaire de ne plus penser les formes particulières
de consommation d’une région comme dérivant à la fois de la
continuité d’une différence culturelle et d’une singularité perdues.
L’idée était de regarder ces modes de consommation comme une
variation authentique des sociétés de consommation de masse qui
faisait advenir la modernité sous la forme d’une présence com-
parative et hétérogène plutôt que sous la forme d’un phénomène
global et homogénéisant. C’est à cette condition que le champ
de l’anthropologie de la consommation a pu se constituer sans se
réduire à une problématique strictement historique.
C’est à ce titre que Mary Douglas et Baron Isherwood ont
joué un rôle pivot en proposant une nouvelle interprétation de la
consommation, et donc de la culture. Leur idée centrale est que les
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biens de consommation, à savoir qu’ils capturent et encapsulent les
principes mêmes de la culture dans une forme qui la rend toujours
plus présente, tangible et convaincante. À partir du moment où la
culture s’incorpore dans les biens, chaque objet du monde matériel
peut alors jouer un morceau de la partition culturelle. En d’autres
termes, la culture acquiert, grâce aux objets, un éminent pouvoir
d’ubiquité [MacCracken, 1990, p. 132]. À cela s’ajoute le fait que
les biens représentent davantage qu’une diacritique de la culture, en
ce sens qu’ils font davantage que simplement l’exhiber ; ils jouent
presque un rôle de publicisation de la culture, du simple fait qu’ils ne
se bornent pas à la décrire mais servent aussi à persuader. De la sorte,
quand la culture apparaît dans les objets, elle ne fait pas que cela ;
elle se dote plus fondamentalement d’une forme d’inévitabilité,
comme si les biens étaient les seuls maillons sensibles par lesquels
les individus puissent constituer un monde de sens, leur monde.
C’est à ce titre que la culture use immanquablement des objets pour
convaincre. D’où l’intérêt très tôt prononcé des linguistes pour les
biens de consommation. Le simple fait d’envisager l’idée que les
biens transportent des significations culturelles permet de mieux
comprendre comment ils peuvent constituer une sorte de tableau
dans lequel serait inscrit le sens de l’univers culturel auquel ils
appartiennent. Les biens sont capables de créer et de promulguer
des croyances et des hypothèses culturelles. Leur pouvoir perfor-
matif tient à ce qu’ils peuvent donner corps à certains principes de
la culture. D’où leur capacité à devenir des porteurs de significa-
tion, ce qui les fait entrer dans une rhétorique de la persuasion par
laquelle un groupe social déterminé peut gagner l’obédience d’un
autre en imposant une forme de signification hégémonique ; c’est
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de pureté et sur les symboles naturels, l’ouvrage trouve son fon-
dement dans une critique – voire une colère – de Mary Douglas à
l’encontre des approches anthropologiques et économiques alors
prégnantes de la consommation. Il n’est d’ailleurs pas anodin que
ce livre soit le fruit d’une collaboration active avec un économiste.
Partant du constat que la plupart des observateurs de la nourriture
et de la consommation sont largement passés à côté de l’apprécia-
tion des qualités proprement rituelles de la vie quotidienne, Mary
Douglas propose un regard panoptique permettant de décloisonner
les disciplines.
Ce sont donc d’abord les anthropologues – et notamment les
anthropologues dits substantivistes, c’est-à-dire ceux qui consi-
dèrent de façon substantielle les mécanismes liés de la production,
de la circulation et de la consommation – qui sont dans la ligne
de mire de Mary Douglas. Ce qu’elle leur reproche, c’est finale-
ment d’avoir laissé de côté la théorie économique formelle pour
s’engoncer dans une approche purement substantielle et finale-
ment descriptive des mécanismes de consommation. Ainsi, de la
même façon que les économistes, selon elle, ont tendance à n’avoir
recours à l’anthropologie que comme un adjuvant pour solidifier
un champ qui leur semble fragile – en l’occurrence la théorie du
consommateur –, les anthropologues, quant à eux, lui apparaissent
trop engoncés dans leur bunker substantiviste pour envisager les
apports possibles de l’économie.
Paradoxalement, l’ouvrage ne vise pas tant en dernier lieu l’an-
thropologie – même s’il à largement contribué à décaler tant ses
objets d’étude que ses méthodes – que l’économie, discipline qui
s’est depuis longtemps arrogé un droit de préemption académique
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prérogative que s’était arrogée cette discipline.
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liée à des formes de vie particulières. C’est pourquoi se demander
ce qui risque de se passer en cas d’augmentation significative du
prix du pain ou des places de cinéma n’aide pas forcément à com-
prendre les motivations d’achat et de consommation de ces biens.
Les économistes s’intéressent en priorité à la façon dont les effets
de la demande et de l’offre déterminent le prix d’un bien sur le
marché ; ils considèrent donc essentiellement le comportement à
l’égard du prix, et non la façon dont les individus utilisent les pro-
duits et les services qu’ils ont achetés. De la sorte, ils ont tendance
à considérer les goûts des consommateurs comme extrinsèques au
modèle de comportement d’achat, en faisant l’hypothèse que goûts
et préférences sont stables dans le temps ; ainsi, un changement de
goûts aura un impact à l’intérieur du modèle (en conduisant à une
réallocation des ressources et donc à une inflexion des courbes de
demande), mais ne permettra pas d’expliquer le modèle.
L’apport de l’anthropologie est donc, dans la perspective cri-
tique esquissée par Mary Douglas et Baron Isherwood, d’extraire la
consommation du paradigme dominant de la rationalité du consom-
mateur. Et derrière cette critique de l’approche microéconomique,
se trame une évolution importante du regard porté sur la consom-
mation. En ne s’intéressant plus uniquement à la logique d’achat et
en intégrant une logique d’usage dans un contexte social donné, il
faut comprendre le projet de l’anthropologie de la consommation
comme une façon de réorienter le regard des seules pratiques d’achat
vers les pratiques de consommation. Il ne s’agit plus effectivement
d’analyser les décisions d’achat mais de s’intéresser à l’ensemble
d’une chaîne de pratiques signifiantes qui sont essentiellement liées
à des mécanismes d’insertion dans un tissu de relations sociales.
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sciences humaines et sociales. Même si l’ouvrage laisse de côté une
discipline émergente aux États-Unis, la Consumer Research2, le
livre de Mary Douglas et Baron Isherwood a notamment permis aux
recherches sur la consommation de se départir des seules approches
marketing pour cristalliser un champ de recherche autonome inté-
grant différentes sciences humaines et sociales et proposant une
vision davantage expérientielle et identitaire que simplement déci-
sionnelle de la consommation.
L’ouvrage s’enracine donc dans une double critique, celle de
l’anthropologie et celle de l’économie, tout autant qu’il marque
une inflexion dans la pensée de l’anthropologue de la question
des symboles vers celle de la nourriture. Mary Douglas a en effet
à cœur de montrer que ses analyses antérieures des systèmes de
classification peuvent également s’appliquer à la structure des
repas dans les sociétés occidentales. Manifestant un intérêt toujours
renouvelé pour la nourriture et les repas, Mary Douglas postule
que les analyses des systèmes de classification qu’elle a dévelop-
pées antérieurement peuvent également s’appliquer à la structure
des repas dans les sociétés occidentales. C’est cette conception
cognitive et classificatoire qui sert de fondement à son anthropo-
logie de la consommation, dans la mesure où l’idée est de montrer
qu’il existe une corrélation entre la position sociale et le style de
consommation alimentaire.
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gaffe et l’inacceptable mettent en lumière une norme alimentaire
souvent implicite. Dire que l’alimentation procède d’une organisa-
tion rituelle, c’est postuler qu’elle implique des processus de com-
munication. De la même façon qu’elle avait analysé les sacrifices
en opérant une stricte classification des animaux dans la culture
israélite, Mary Douglas [1972] propose dans un travail préparatoire
une analyse de la structure des repas de la classe ouvrière anglaise ;
elle met à jour un petit nombre de contrastes perceptibles : chaud
vs froid, doux vs savoureux, solide vs coulant, structuré vs dés-
tructuré, qui lui permettent de proposer une classification de tous
les repas quotidiens de la famille ouvrière anglaise. Ces mêmes
contrastes sont aussi ceux qui structurent les repas ponctuant les
événements hebdomadaires, annuels ou encore les anniversaires
et mariages pour lesquels les contrastes s’avèrent plus marqués
que dans les repas quotidiens. Ainsi, le traditionnel gâteau de Noël
ou d’anniversaire (le pudding avec sa fameuse crème renversée)
peut s’envisager comme le partage traditionnel de propriétés sen-
sorielles qui peuvent varier selon le degré de forme sculpturale
dudit gâteau. Les caractéristiques sensorielles et sculpturales du
gâteau lui permettent d’opérer comme un symbole condensé (de
clôture d’un repas par exemple), et ainsi d’occuper une variété
d’intervalles à l’intérieur de la structure établie des repas, quitte à
constituer une fête gastronomique en tant que telle. L’association
du travail ethnographique et de l’analyse structurale peut apparaître
disproportionnée pour comprendre la trajectoire culturelle d’un
gâteau ou d’un biscuit, mais elle a notamment permis de faire
comprendre aux nutritionnistes ce qui motive les individus dans
les pratiques alimentaires et pourquoi ils n’agissent pas forcément
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les familles, les différenciations exprimées à travers le système ali-
mentaire donnent une image du fonctionnement du système social
dans son ensemble, selon l’idée que les formes symboliques et le
contexte social covarient.
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produits, qui sont retirés du circuit économique pour que le cycle
de production puisse continuer. C’est précisément, pour Mary
Douglas, le rôle de l’anthropologie de questionner ces hypothèses,
quitte à inverser le modèle économique en vigueur. Dans une notice
de dictionnaire écrite ultérieurement, Mary Douglas explique que :
« En économie, l’hypothèse implicite est celle d’une origine des
besoins se trouvant à l’intérieur même de la constitution physique
et psychique de l’individu. En anthropologie, l’hypothèse implicite
est que ces mêmes besoins sont définis et standardisés au sein d’une
interaction sociale […] pour le dire de façon plus crue, la raison pour
laquelle chacun désire des biens (mis à part ceux liés à des besoins
physiologiques) est pour le désir de partager, de montrer ou de donner
ses biens à quelqu’un en reconnaissance de gestes, cadeaux ou services
similaires reçus dans le passé » [Douglas, 1987].
un univers intelligible avec les biens qu’il choisit. C’est bien cette
torsion de la théorie matérialiste et de la théorie de l’utilité que
symbolise également cet ouvrage.
De la même façon que la fonction essentielle du langage est sa
capacité poïétique, il faut bien envisager que la fonction essentielle
de la consommation est de produire du sens. Il est pour autant
nécessaire, comme le rappellent les auteurs, de se départir de l’idée
d’une irrationalité fondamentale du consommateur tout autant que
de celle selon laquelle les biens serviraient à des fonctions naturelles
telles l’alimentation, la protection, etc. La fonction communication-
nelle de la consommation est de transmettre de l’information sur
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la façon de vivre du groupe ou de l’individu à d’autres membres
de la société, et de proposer, par un effet rétroactif, un miroir par
lequel les individus puissent projeter l’évidence du type de monde
qu’ils se sont construit et dans lequel ils habitent. Or, à partir du
moment où les individus ne créent pas des mondes identiques
(non pas simplement du fait d’une logique de différenciation mais
du fait de conditions de vie structurellement différentes), il est
nécessaire de pouvoir différencier le type d’informations qu’ils
émettent et qu’ils perçoivent. C’est à ce titre que les biens sont de
véritables marqueurs sociaux et que les procédures de nomination
sont essentielles. Les biens assument des services de marquage
pour les individus et la nomination est une étape essentielle dans
ce processus à partir du moment où le savoir sur le nom peut être
partagé. La consommation sert à travers ses différents événements
à éprouver ou tester la nomination. Il s’agit ici du caractère propre-
ment classificatoire de la consommation, assuré par des logiques
de ritualisation et de nomination.
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l’étude des relations sociales. L’aspect novateur de Pierre Bourdieu,
au regard d’une théorie de la consommation, est de défendre simul-
tanément l’idée que la structure de la consommation est un élément
clé de reproduction des relations de classe tout en proposant un
nouveau mécanisme permettant aux analystes d’étudier les relations
sociales d’une façon objectivée – c’est-à-dire comme un modèle
de goût. Mary Douglas et Baron Isherwood substituent quant à eux
aux approches purement économiques de la consommation une
approche d’obédience structuraliste consacrée à l’analyse de la
façon dont l’usage des objets permet de créer une structure d’ordre et
donc un système de catégorisation. La première partie de l’ouvrage
met justement en évidence les mécanismes sociaux qui érigent et
maintiennent les barrières statutaires entre les individus. C’est ici
la description ethnographique des économies non occidentales qui
permet d’aborder cette question du pouvoir en mettant en avant la
notion de sphères d’échange. L’idée est que les sphères d’échange
correspondent à des périodicités : les sphères basses contiennent
des biens qui font l’objet de transactions quotidiennes et qui n’ai-
guisent que faiblement le jugement moral tandis que les échanges
qui surviennent dans les sphères dites de prestige ont un caractère
plus moral qui engage une évaluation des personnes (une femme
contre une autre, un bijou en coquillage contre la promesse d’un
autre). Or ces sphères posent des questions importantes concernant
le choix rationnel. Ainsi, pourquoi les femmes Hausa du Nigeria
accumulent-elles un nombre de pots de vernis bien supérieur à
leurs besoins ? Les pots de vernis sont des biens de prestige utilisés
dans les rituels d’échange lors de mariages ou d’héritages, et le
fait d’en posséder un nombre important indique la capacité d’une
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peu près aux trois classes permettant de catégoriser les biens de
consommation : un ensemble de biens – des commodités – pré-
sents parce que nécessaires dans l’ensemble des foyers, des biens
durables à fort contenu technologique et un ensemble de services
d’information essentiellement consacrés à l’amélioration de la
communication. L’un des intérêts du propos de Mary Douglas est
de montrer qu’il existe un lien entre ces deux triades. Les biens de
base prédominent au premier niveau des sphères de consommation,
les biens technologiques sont essentiellement caractéristiques de
l’échelon intermédiaire ; les biens et services qui accroissent à la
fois la disponibilité du consommateur et le flux d’information des
autres vers ce même consommateur sont requis pour l’échelon
supérieur de l’échelle de consommation. Ainsi, à partir d’un rai-
sonnement fondé sur une description proprement ethnographique
des sphères d’échange, l’ouvrage met en lumière un processus de
création de valeur prenant sa source successivement dans la terre,
dans le travail puis dans le savoir. D’une façon qui peut davantage
prêter à controverse, l’auteur propose alors d’étendre le modèle par
analogie au contexte international. L’objectif est ici de généraliser
le mécanisme qui fait que les disparités initiales sont à l’origine de
différents cycles de croissance économique : des cercles vertueux
et vicieux qui conduisent les riches à devenir plus riches et les
pauvres encore plus pauvres. Les sociétés industrielles, mécanisées
et urbaines sont bien évidemment mises en contraste avec celles qui
ne sont pas dotées de ces caractéristiques. De la sorte, être pauvre,
c’est être isolé, et la pauvreté est surtout affaire d’une absence de
lien et d’une impossibilité à communiquer ou à s’exprimer à l’aide
de biens ou de rituels de consommation. D’où d’intéressantes ten-
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de saisir la signification globale de ces biens au sein de pratiques
sociales qui sont prises au sérieux en ce qu’elles communiquent
des catégories de sens pertinentes parce que viables. Or une orga-
nisation viable est justement celle qui est susceptible de projeter
une valeur relativement stable sur les objets. De la sorte, qu’un
bien soit apte à la consommation signifie qu’il est capable de cir-
culer comme marqueur d’ensembles de rôles sociaux spécifiques.
C’est à ce titre que cette théorie de la consommation est aussi une
théorie de la vie culturelle et de la vie sociale. Et si cet ouvrage est
empreint d’une dimension politique, c’est parce que « les biens
servent à mobiliser d’autres personnes (et qu’) à moins de savoir
pourquoi les gens ont besoin de produits de luxe et comment ils les
utilisent, nous ne sommes pas près de nous attaquer sérieusement
à la question de la pauvreté3. À une époque qui glorifie tout autant
qu’elle fustige la consommation, il est urgent de lire ce livre qui
fait figure de manifeste !
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