Vous êtes sur la page 1sur 22

JACQUELINE AUTHIER-REVUZ, LA REPRÉSENTATION DU DISCOURS

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
AUTRE. PRINCIPES POUR UNE DESCRIPTION. BERLIN, DE GRUYTER,
2020, 685 P.

Compte rendu de Frédérique Sitri

Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société »

2021/2 N° 173 | pages 229 à 232


ISSN 0181-4095
DOI 10.3917/ls.173.0231
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-2-page-229.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Maison des sciences de l'homme.


© Éditions de la Maison des sciences de l'homme. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
Jacqueline Authier-Revuz
La représentation du discours autre.
Principes pour une description
Berlin, De Gruyter, 2020, 685 p.
Compte rendu de Frédérique Sitri, université de Lorraine

Le volume de près de 700 pages que Jacqueline Authier-Revuz consacre


à la « représentation du discours autre » (RDA) ne constitue pas la
simple « reprise » des différents textes de l’auteur sur le discours rap-
porté : il propose une mise en perspective élargie, une description lar-
gement renouvelée et des développements inédits sur le rôle de la RDA
dans la construction du sujet via la production d’une « parole propre ».
On connaît les difficultés que soulève le traitement du « discours rap-
porté » par les grammaires scolaires : avec la tripartition « discours direct/
discours indirect/discours indirect libre », d’une part elles ignorent les
formes de modalisation (du type « selon X » ou « pour reprendre les
mots de X »), et d’autre part et surtout, elles sont basées sur une concep-
tion « transformatrice » qui « dérive » le discours indirect (DI) et le
discours indirect libre (DIL) du discours direct (DD), en les réduisant
à un patron canonique (il a dit : « p »/ il a dit que p / p, disait-il). Une
telle description n’étant bien évidemment pas apte à rendre compte de
la diversité des phénomènes relevant du « discours rapporté », la plupart
des travaux récents prônent l’idée d’un « continuum » de formes, entre
les deux pôles du DD et du DI. L’option de JAR est radicalement diffé-
rente, puisqu’elle consiste, dans une démarche explicitement benvenis-
tienne, à reprendre sur des bases complètement autres la description de
ce qu’elle dénomme dès lors « représentation du discours autre » (RDA),
en procédant à une « restructuration différentielle du champ telle que les
frontières ainsi retracées permettent de rendre compte de l’ensemble des
formes et de leur valeur » (p. 334). La démarche, à rebours du paradigme
dominant, affirme ainsi la distinction radicale entre langue et discours,
afin précisément de rendre compte de la diversité des effets de discours.

© Langage & Société n° 173 – 2021/2


230 / COMPTES RENDUS

La description du champ de la RDA se fait en trois temps étroite-


ment articulés. Il s’agit en effet :
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
– en reprenant la formule de Voloshinov qui définit le discours rap-
porté comme « du discours sur et dans le discours », de situer la RDA
comme un secteur de l’activité métalangagière, dont la spécificité est de
mettre en jeu « deux dires distincts » (partie I) ;
– de proposer une « grammaire » de la RDA pensée « comme
l’ensemble des “solutions” apportées par la langue au problème […] que
pose l’articulation métalangagière dans un énoncé de deux actes d’énon-
ciation distincts » (p. XXV), articulation qui repose sur un « appareil
formel métalangagier » dont « le ressort est l’analyse – au sens propre
du mot – qu’il propose du “tout” d’un énoncé » (ibid.). L’examen des
différents modèles d’articulation des deux actes au plans sémantique,
énonciatif et contextuel d’une part (partie II) et de la façon spécifique
dont la RDA fait usage des opérations métalangières de paraphrase, caté-
gorisation, autonymie d’autre part (partie III), permet de dégager trois
traits différentiels abstraits dont la combinaison produit cinq « modes de
RDA » (partie IV).
– enfin, d’explorer la fonction « configurative » de la RDA en l’arti-
culant d’une part au plan de l’extériorité constitutive du discours telle
qu’elle est théorisée par Bakhtine ou Pêcheux (fonction « différencia-
trice ») et d’autre part à celui de « l’inappartenance foncière du lan-
gage » que postule la psychanalyse lacanienne (fonction « délimitante »)
(partie V).
Faute de pouvoir rendre compte de la richesse des analyses et des
perspectives ouvertes par l’ouvrage, analyses appuyées sur un important
corpus d’exemples empruntés aux genres les plus divers, de l’oral quoti-
dien aux œuvres littéraires les plus élaborées, et nourries de discussions
serrées avec les travaux se situant dans le champ, je me contenterai d’en
pointer les principaux apports.
Le premier consiste dans l’élaboration d’une « grammaire » de la
RDA fondée sur une triple opposition pertinente de traits différentiels,
aux plans sémantique (discours autre « objet » versus « source » du dire),
sémiotique (avec ou sans autonymie) et énonciatif (avec ancrage unifié,
avec deux ancrages distincts ou avec division énonciative). De la combi-
natoire de ces traits émergent cinq combinaisons ou « formules » : celle
du discours indirect, du discours direct, de la modalisation d’assertion
comme seconde (MAS) (Selon lui, il a des chances de l’emporter), de la
modalisation autonymique d’emprunt (MAE) (C’est un « marronnier »
COMPTES RENDUS / 231

comme on dit dans la presse) et du discours indirect libre (DIL)-Bivocal


(Il regarda le paysage. Que la vallée était belle). Ce premier niveau (I),
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
abstrait, ouvre à un deuxième plan (II), celui de la « zone » des formes
par lesquelles il peut se réaliser « large espace de variation où jouent les
niveaux morpho-syntaxique, lexical, typographique, sémantique, dis-
cursif » (p. 338). Au niveau (III), enfin, se situent les occurrences parti-
culières avec les effets de sens qu’elles déploient.
Les analyses minutieuses et argumentées sur lesquelles est fondé ce
modèle en démontrent le caractère opératoire pour rendre compte de la
diversité des occurrences rencontrées en discours. Ainsi, dans « l’analyse
stratificatrice que la RDA pratique de l’acte d’énonciation » (p. 109),
l’auteur montre comment la distinction entre versant référentiel et ver-
sant modal, classique, se double d’une différenciation entre couche « pri-
maire » (éléments personnels et temps verbaux ; modalité d’énonciation)
et couche « secondaire » (« manières de dire » ; éléments expressifs), qui
est au principe du DIL-Bivocal mais qui est également à l’œuvre dans
les autres modes à énonciation intégrée que sont le DI et la MAE. Ainsi,
également, la RDA met-elle en jeu « le fait autonymique » d’une façon
qui lui est propre, comme autonymie de « token » et non de « type », et
de façon différentielle selon les modes : cette perspective répond à bien
des objections sur l’autonymie du DD et donne un aperçu de la spéci-
ficité de l’autonymie du DIL, distinct de celui de la MAE et du DD.
Le deuxième apport majeur de l’ouvrage, indissociable du premier,
est de montrer comment la RDA, en tant qu’elle est une opération méta-
langagière de représentation de l’altérité discursive, revêt une fonction
« configurante » essentielle, d’une part vis-à-vis de l’extériorité discursive
constitutive du discours et d’autre part, au-delà si l’on peut dire, vis-à-
vis de l’altérité radicale du langage que le sujet doit « dépasser » pour
construire sa parole propre. Les démonstrations sont ici appuyées à une
théorisation du discours comme constitutivement traversé par de l’autre
(Bakhtine, Pêcheux) et à une conception lacanienne du sujet « clivé »,
reconnaissant à côté du sujet de l’inconscient, inaccessible, le moi-ima-
ginaire comme instance vitale – conception qui se distingue aussi bien,
comme le rappelle l’auteur, du sujet « plein », « transparent à lui-même »
des approches pragmatiques ou psycholinguistiques, par exemple, que
du « non-sujet » entièrement déterminé du structuralisme européen des
années 1960.
Le parcours de cette troisième partie, subtil et stimulant, montre com-
ment la RDA, opérant un « prélèvement métadiscursif » dans l’extériorité
232 / COMPTES RENDUS

du discours, à la fois participe à la construction d’une image – d’un éthos


– du discours ainsi « positionné » vis-à-vis des autres discours, mais aussi
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
réaffirme, imaginairement, une parole « à soi ». Passant dès lors du plan
du discours à celui du langage, de l’extériorité discursive à l’altérité fon-
cière du langage, la fonction de la RDA se fait « délimitante » : comme
la « peau », dans la théorie du « moi-peau » (Anzieu) délimite le sujet,
la zone de la RDA constitue pour un discours sa « bordure », objet d’un
véritable « travail de bords » dont le dernier chapitre amorce la descrip-
tion comme combinaison de huit variables. Au-delà de sa dimension
véritablement anthropologique, cette dernière partie ouvre là encore de
nombreuses pistes à l’analyse des textes et des discours.
En résumé, le modèle proposé par Authier-Revuz, en raison même
du fait qu’il distingue nettement le niveau des traits abstraits, en langue,
de la zone de formes et des occurrences particulières, identifie par
là-même le secteur où jouent les contraintes et déterminations géné-
riques, stylistiques, ou individuelles, constituant de la sorte un socle pré-
cieux pour des analyses discursives dont l’ouvrage comprend bien des
amorces. Abordant les territoires non seulement de la linguistique mais
aussi de l’analyse du discours, de la stylistique, de la philosophie ou de la
psychanalyse, cet ouvrage touche à des questions vives dans le champ des
sciences du langage, concernant l’articulation langue/discours ou encore
la théorie du sujet…

Claire Michard
Humain/Femelle de l’humain. Effet idéologique du rapport de
sexage et notion de sexe en française
Montréal, Éditions sans fin, 2019
Compte rendu de Julie Abbou, université de Paris, LLF

Les Éditions sans fin, éditions québécoises lesbiennes, offrent ici un


ouvrage multimodal, foisonnant, déployant la cohérence de la pensée de
Claire Michard – pilier pour le féminisme, incontournable pour la lin-
guistique du genre – prenant pour objet l’anthropologie, la linguistique,
la littérature, et la théorie féministe.
COMPTES RENDUS / 233

Voyant « le sexisme dans le langage à la fois comme le symptôme du


rapport de pouvoir et comme l’un des moyens de sa mise en œuvre »
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
(p. 205), Michard repère dans un travail empirique minutieux, les pro-
cessus linguistiques, tant discursifs que syntaxiques, qui font de l’homme
l’humain par défaut et de la femme la femelle de l’humain. Parce que
les rapports concrets, l’idéologie et le discours sont solidaires, il est cru-
cial de considérer « l’idéologie comme l’élément fondamental dans la
construction du sens » (p. 189) et les productions sémantiques en tant
que pratiques sociales. Il est alors décisif de travailler sur tous les plans du
matériau linguistique pour débusquer l’unité sémantique de l’idéologie
des rapports de domination. Cela substitue à la question stratégique du
féminisme : « être peu visible ou être visible comme sexe ? » un nouvelle
question : « comment prendre la parole en tant qu’humain ? »
Le premier texte, inédit, « Regard sur quarante ans de recherche »
offre un panorama des recherches linguistiques sur le genre depuis les
années 1970, et donne à voir le cheminement intellectuel de Michard,
éclairé par des enjeux idéologiques, disciplinaires et institutionnels. Il
retrace les complicités dans lesquelles nait sa pensée, inscrivant ainsi
son projet au cœur de la communauté de pensée féministe matérialiste.
Après avoir résumé avec honnêteté les arguments en faveur de la fémi-
nisation et de l’écriture inclusive, elle en fait une critique point à point
pour démontrer que ces pratiques renforcent la désignation des femmes
comme spécifiques, et donc moins humaines. Si la démonstration est
magistrale, on regrettera un peu qu’elle ne tienne pas compte du fait que
les locuteurs1 bricolent, souvent sans outillage théorique, et les interven-
tions linguistiques ne sont pas toujours la transposition en acte d’un pro-
gramme théorique, mais des stratégies dans des contextes donnés. Cela
dit, sa critique vigoureuse est vivifiante pour faire entendre un point de
vue matérialiste qui n’est plus guère en vogue malgré son actualité.
Le deuxième texte est une synthèse du doctorat que Michard a
mené avec Claudine Ribery, Sexisme et sciences humaines. L’analyse
socio-énonciative de discours d’anthropologues démontre, avec des
exemples très convaincants, la dissymétrie du traitement linguistique
des hommes et des femmes. Les processus qui fondent cette dissymétrie
sont les suivants :
– détermination des procès des hommes versus indétermination des
activités des femmes ;

1. En accord avec le propos de l’auteur, j’utilise ici le masculin dans son sens
primaire d’humain.
234 / COMPTES RENDUS

– agentivité versus réification ;


– définition relationnelle des femmes versus absolue des hommes
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
(« leurs épouses ») ;
– détermination quantitative versus qualitative (les femmes étant
souvent désignées comme indénombrables alors que les hommes sont
individualisés : « chacun des hommes préserve son arc du contact de la
femme ») ;
– glissements métonymiques d’hommes à humains.
De plus, les individus de classe dominée produisent des représenta-
tions plus hétérogènes que celles des dominants, ces derniers conférant
« au signe idéologique un caractère intangible » (p. 82). Michard en
conclut que le groupe dominant est construit comme référent social,
image du sujet énonciateur, imposant ses représentations à la classe
dominée.
Le troisième texte (1984), inédit en français, poursuit ce projet
d’analyse du traitement linguistique différencié des notions femme et
homme, et ajoute deux lieux linguistiques supplémentaires : l’ordre sys-
tématique de coordination homme/femme et l’exclusion des femmes
des « faux génériques ». Michard démontre également que le discours
minoritaire possède une plus grande stabilité des dénominations, évite
les faux génériques et énonce les femmes comme dénombrables, indivi-
dualisables. Le discours majoritaire, lui, reproduit la dissymétrie, produit
plus d’ambiguïtés et évoque la relation de domination comme statique,
au sein de laquelle les hommes ne jouent jamais un rôle actif.
Le quatrième texte est une synthèse inédite de ses travaux en 1987.
Elle y détaille l’origine et l’originalité de sa démarche : mettre en cause
radicalement « l’idéologie qui opère une naturalisation des faits sociaux
et de l’histoire […] en vue de la liberté des femmes et de leur accès à
l’humanité pleine et entière » (p. 120-121), et dans ce but, l’élaboration
d’un modèle théorique socio-énonciatif pour penser les sujets comme
construits idéologiquement par des rapports sociaux.
Au fil du temps, le propos se clarifie. Avec le cinquième texte,
de 1991, l’originalité de Michard est de saisir ensemble l’analyse de la
structure linguistique et l’analyse des discours linguistiques. Dans un
court texte programmatique, elle jette les bases de son futur ouvrage
Le sexe en linguistique. Sémantique ou zoologie ? et soulève une idée
percutante : la dissymétrie du fonctionnement du genre grammatical
est isomorphe à la dissymétrie sémantique des référents humains. C’est
un argument fort en faveur de sa proposition théorique : l’exclusion
COMPTES RENDUS / 235

des femmes du groupe des humains n’est pas plus un accident discursif
que le masculin générique n’est un accident grammatical. Cette trans-
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
versalité de la dissymétrie lui permet d’affirmer un élément-clé de son
analyse, donnant son titre au livre : « l’exclusion des humains femelles
de l’humain général et [leur] enfermement dans une spécificité naturelle
(le sexe) » (p. 153).
Le sixième texte (2000) montre que la tradition linguistique procède
à un trucage linguistique et conceptuel lorsqu’elle affirme la symétrie
sémantique du masculin et du féminin, en dépit de la dissymétrie for-
melle, dans une approche positiviste qui voit l’extralinguistique comme
zoologique sur le modèle des sciences naturelles. Si ce texte est plus
abouti que les précédents, il produit un effet de répétition, le lecteur
étant à ce stade familier des propositions et démonstrations de Michard.
Il aurait cependant été dommage de l’écarter du recueil, car il synthétise
bien les apports théoriques de l’auteur.
Publié en 2003, le septième texte affine les présupposés idéologiques
de textes de linguistes (1924 à 1975) : l’indifférenciation du biologique
et du social, et entre animal femelle et humain femelle, lecture essentia-
liste de la féminité, enfin négation des enjeux idéologiques et représenta-
tion du genre de façon symétrique.
Les deux textes suivants (2007 et 2009) sont consacrés à l’œuvre de
Monique Wittig. L’un est un compte rendu d’un ouvrage de théorie
littéraire de Dominique Bourque sur l’œuvre littéraire de Wittig. Le
second est une analyse des procédés discursifs mis en œuvre par Wittig
dans ses textes théoriques. Michard montre qu’à travers un ensemble de
dispositifs discursifs, associé à un travail des pronoms comme pratiques
de solidarité et de désolidarisation, Wittig fait « voler en éclat la pré-
tention du discours straight à l’objectivité et à l’universalité » (258) et
renverse les instances du monde « dans lequel ce sont les opprimées(és)
dont on parle, ou dont on ne parle pas (les lesbiennes), auxquelles(els)
on ne s’adresse pas et dont le droit à la parole est dénié » (p. 260).
Le livre se clôt par un texte écrit à quatre mains avec Marie-Agnès
Nataf, qui décrit une œuvre musicale de Nataf, accessible sur le site des
éditions.
Ce livre offre aux spécialistes un point de vue privilégié sur la pensée
de Claire Michard, auteur majeur des recherches sur le genre et le lan-
gage, en faisant apparaître son cheminement intellectuel d’une grande
originalité. Il est aussi salutaire pour quiconque s’intéresse aux questions
de genre et de langage : les démonstrations présentent une analyse aussi
236 / COMPTES RENDUS

subversive que solide, véritable proposition de linguistique féministe,


qui prend au sérieux aussi bien les enjeux théoriques du féminisme que
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
de la linguistique et souligne leurs apports réciproques.
Pour le lecteur qui connait les travaux de Michard, cependant, la
lecture de bout en bout peut se faire répétitive. Chaque pas avancé dans
un texte, brique d’une construction théorique, est repris dans le suivant
pour être prolongé. Si cela a le mérite de montrer comment s’échafaude
la pensée, c’est parfois un peu redondant. Mais en dépit des répétitions –
écueil des recueils – il répare la mise à l’ombre déplorable2 d’une pensée
du langage féministe matérialiste, qui trouve ici une place due.

Chloé Mondémé
La socialité interspécifique. Une analyse multimodale
des interactions homme-chien
Limoges, Lambert-Lucas, 2019, 232 p., préface de Lorenza Mondada
Compte rendu de Dominique Maingueneau, Sorbonne Université

Pour de multiples raisons, la communication entre l’homme et l’ani-


mal est aujourd’hui devenue un domaine de recherche conséquent et
qui intéresse de plus en plus de chercheurs en sciences sociales. Comme
le rappelle la préfacière du livre, à la vision dualiste des relations
homme-animal qui a longtemps dominé a succédé « une vision plus
continuiste... mettant en cause leur séparation et soulignant leurs points
de contact, d’ambiguïté, sinon de similitude » (p. 9). Mais le lecteur qui
s’attendrait à lire un travail classique fondé sur la psychologie animale
sera surpris par la démarche adoptée, à la croisée d’une « sociologie de
l’action » et de la linguistique ; elle consiste à observer et analyser « les
ressources interactionnelles utilisées par hommes et chiens pour agir
ensemble et communiquer » (p. 17). Comme l’étude est menée avec
les concepts et les procédures de l’analyse conversationnelle « d’inspi-
ration ethnométhodologique », elle s’oppose à une vision essentialiste
et se focalise sur les accomplissements pratiques. L’ordre qui émerge de
ces interactions est considéré comme « l’indice d’une forme de socialité

2. Il est éloquent de noter que sur l’ensemble de sa production – éminemment linguis-


tique, seuls deux de ses articles ont été publiés dans des revues de linguistique.
COMPTES RENDUS / 237

qui s’incarne dans l’ajustement mutuel » (p. 18). L’auteure cependant


n’élude pas une objection importante : « pourquoi conserver le cadre
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
conversationnel alors qu’il n’y a que peu (parfois pas) de verbal dans les
interactions » (p. 93) qu’elle observe ? C’est qu’au-delà de la dimension
proprement verbale, l’analyse conversationnelle est considérée comme
une théorie de l’action.
L’ouvrage se compose de cinq chapitres. Les deux premiers sont
consacrés à la présentation du cadre théorique et méthodologique de la
recherche, les trois autres à l’analyse du corpus.
Le premier chapitre (« Interactions sociales entre hommes et ani-
maux : de quel traitement disciplinaire sont-elles redevables ? ») dresse
un état de la littérature sur la question. L’auteure entend ainsi marquer
la spécificité de sa démarche, qui consiste à décrire très précisément les
ressources mobilisées dans l’interaction. Dans le chapitre suivant (« Le
recueil des données et leur traitement analytique : questions de méthode
et aspects épistémologique ») Mondémé justifie le parti qu’elle a pris
d’étudier l’interaction homme-chien en « contexte collaboratif » (p. 60),
dans une institution qui forme les chiens guides d’aveugles de Lyon et
du Centre-Est. Les données ont été filmées. L’un des intérêts majeurs de
ce type de corpus est qu’il montre « des situations de confiance partagée,
dotée d’enjeux palpables, où le chien n’est pas qu’un chien de travail.
Le caractère “professionnel” et “institutionnel” est donc mitigé par une
dimension de familiarité » (p. 61). La démarche suivie se veut « natura-
liste », « attentive à l’écologie de l’action » (p. 61) ; elle ne recourt donc
ni aux entretiens ni à des protocoles expérimentaux qui viseraient à tester
une hypothèse préalable. L’auteure a choisi de filmer avec une caméra
mobile une quinzaine d’heures d’interactions avec l’animal (entre édu-
cateurs et chiots ou entre non-voyants et chiens guides) et de les trans-
crire. Les principes de cette transcription sont soigneusement discutés
(p. 79-93) car il s’avère nécessaire de prendre en compte la dimension
multimodale et de donner toute sa place au chien, d’en faire un véritable
participant alors même qu’il ne parle pas. La question du vocabulaire de
la transcription multimodale des actions du chien, en particulier, pose
des problèmes redoutables dès lors qu’il est anthropomorphique.
Le chapitre 3 s’attache à répondre à la question suivante :
« Comment hommes et chiens parviennent-ils à accorder pratiquement
leurs conduites et à produire des actions qui soient intelligibles pour
les uns comme pour les autres ? » (p. 95). L’intelligibilité dont il s’agit
ici, dans une perspective ethnométhodologique, est d’ordre praxique
238 / COMPTES RENDUS

et non psychologique : « peu importe que les membres partagent des


états mentaux similaires, l’essentiel est que les phénomènes d’ordre qui
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
émanent de leurs actions soient identifiables et intelligibles, c’est-à-dire
qu’ils soient des supports pour l’action pratique » (p. 117). L’auteure se
livre à une l’analyse minutieuse de quelques séquences pour étudier les
ressources qui fondent cette « intelligibilité ».
Le chapitre suivant (« Participation et attribution de la parole : une
analyse séquentielle des interactions homme-chien ») vise à analyser de
manière séquentielle les processus d’ajustement entre les deux partici-
pants. Ce qui implique de tenir compte de la spécificité de ces interac-
tions en l’absence de structure proprement conversationnelle : il est diffi-
cile de parler ici de tours de parole au sens habituel du terme. Mondémé,
à la suite d’autres chercheurs, est amenée à intégrer les gestes et plus
largement l’espace et le corps dans le dispositif d’analyse. Les actions
du chien, en particulier les jeux de regards, sont ainsi systématiquement
prises en compte. Une attention particulière est en outre accordée aux
séquences « évaluatives », qui sont fréquentes dans ce type de corpus :
félicitations, encouragements, sanctions, récompenses tactiles (caresses)
ou gustatives... Comme dans le chapitre précédent, cette démarche justi-
fie la présence de nombreux dessins, qui permettent au lecteur de se foca-
liser sur les éléments pertinents dans les attitudes des deux partenaires.
Le cinquième et dernier chapitre (« Cognition-en-action et raisonne-
ment pratique dans les interactions homme-chien ») peut étonner, étant
donné le parti pris antipsychologique assumé dès le départ. L’auteure
s’en explique : « Il n’est plus question des capacités cognitives – indi-
viduelles ou collectives – des animaux mais des modalités de l’agir-en-
semble interspécifique, à travers les pratiques épistémiques communes
(la catégorisation, la (re) connaissance, le raisonnement pratique), qui
sont engagées dans l’interaction. » (p. 166) On le voit, la frontière avec
les sciences cognitives est ici délicate à gérer : dans une perspective
ethnométhodologique postwittgensteinienne, « on a affaire à des activités
cognitives plutôt qu’à de la cognition » (p. 192).
La conclusion reprend les principaux axes de la recherche, en insis-
tant sur la perspective résolument praxéologique choisie pour étudier
les ajustements réciproques entre humains et chiens. Le chien étant un
véritable acteur, qui prend des initiatives tout en se coordonnant avec
les humains, il est pertinent de parler « d’intelligibilité partagée ». Un
tel travail soulève des problèmes de fond sur la nature de la communica-
tion : Mondémé considère qu’entre humains et chiens, c’est un « mode
COMPTES RENDUS / 239

communicationnel hybride » (p. 197) qui se déploie, et non un langage


au sens strict. Elle réfléchit en outre sur le type de socialité qu’on peut
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
attribuer à cette relation.
Un tel livre tranche clairement sur ce à quoi on est habitué dans ce
domaine, où c’est la psychologie animale qui est habituellement mise au
premier plan. Pour autant, cette recherche ne se prétend pas solitaire ;
bien au contraire, elle se nourrit d’une multitude de travaux qu’elle cite
et qu’elle discute, issus des sciences du langage, des sciences cognitives, de
la sociologie, de la psychologie, voire de la philosophie. Ce solide arrière-
plan théorique est très heureusement mis au service d’analyses extrême-
ment précises. C’est sans doute la qualité essentielle de l’ouvrage que de
tenir les deux bouts de la chaîne, d’assurer soigneusement chaque prise
de position théorique et méthodologique et d’entrer dans le détail d’in-
teractions qui ne ressortissent pas aux corpus qu’on est habitué à traiter
dans les sciences du langage et dont l’étude exige une créativité certaine.

Bernadette O’Rourke et John Walsh


New Speakers of Irish in a Global Context
New York, Routledge Critical Studies in Multilingualism, 2020, 201 p.
Compte rendu de Kevin Petit, université Lumière Lyon 2

La recherche sur les langues en danger a eu tendance à se focaliser sur


les raisons pour lesquelles des locuteurs habituels d’une langue mino-
risée arrêtent de la parler, et moins sur les raisons pour lesquelles de
nouveaux locuteurs décident de l’apprendre. En Irlande, il est pourtant
nécessaire d’étudier ces apprenants, car la vaste majorité des personnes
qui déclarent parler irlandais ne sont pas des « locuteurs natifs », et
n’habitent pas dans les régions officiellement et traditionnellement irlan-
dophones, la Gaeltacht. À partir de ce constat, les deux auteurs de New
Speakers of Irish in the Global Context, cherchent à « faire entendre la
voix des nouveaux locuteurs d’irlandais » (p. 20) afin de comprendre « ce
que signifie parler irlandais au xxie siècle » (p. 6). Leur étude se base sur
des autobiographies de nouveaux locuteurs recueillies lors de 100 entre-
tiens, de 8 focus group, et d’observations participantes menés entre 2012
et 2016, et enfin de leurs propres expériences en tant que nouveaux
240 / COMPTES RENDUS

locuteurs militants d’irlandais. Les auteurs commencent d’ailleurs à la


fin du premier chapitre par faire leur propre autobiographie langagière,
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
une démarche qui reflète leur souci épistémologique de considérer les
chercheurs comme faisant partie intégrante de l’objet d’étude.
Ce livre est l’aboutissement de travaux menés dans le cadre du projet
de recherche européen New Speakers in a Multilingual Europe (2013-
2017) dirigé par Bernadette O’Rourke, et qui ont donné lieux à de nom-
breuses publications des auteurs, dont le numéro spécial dans l’Interna-
tional Journal of Sociology of Langage en 2015 (O’Rourke & Walsh 2015).
La thèse principale des auteurs est qu’il est nécessaire de mieux intégrer
dans les mouvements de revitalisation un groupe essentiel à la survie
des langues minorisées : les nouveaux locuteurs. Proposer la catégorie
scientifique de « new speaker » relève ainsi de l’ambition des auteurs de
légitimer la place des nouveaux locuteurs dans ces mouvements, à partir
du cas d’étude la revitalisation de l’irlandais.
Tout d’abord, un chapitre historique sous forme de revue de la litté-
rature (chapitre 3), propose une « autre » histoire de la revitalisation de
l’irlandais qui vise à souligner la place centrale des nouveaux locuteurs
dans cette entreprise. Le chapitre commence par présenter le mouve-
ment de Renaissance gaélique du tournant du xixe et du xxe siècle, puis
détaille l’évolution des politiques linguistique de l’indépendance (1922)
jusqu’à la « Gaeltacht Act » de 2012, la plus récente réforme politique
relative à l’irlandais. Les auteurs montrent ensuite comment l’organisa-
tion des politiques étatiques autour de deux pôles ont produit des idéo-
logies linguistiques parfois contradictoires pouvant mener à des tensions
entre les locuteurs de la Gaeltacht et les nouveaux locuteurs. D’un côté
les politiques de maintenance, visant à assurer la continuité de la pra-
tique de l’irlandais dans les régions traditionnellement irlandophones
à l’ouest du pays, ont idéalisé les habitants de la Gaeltacht qui sont
devenus les modèles linguistiques et culturels à suivre. De l’autre, les
politiques de revitalisation ont assuré la survie de la langue grâce la pro-
duction d’un large nombre de néolocuteurs d’irlandais, principalement
à travers son enseignement à l’école. Ces deux pôles, en différenciant les
deux groupes, sont à l’origine de tensions que les auteurs explorent dans
le reste du livre.
Le premier chapitre d’analyse empirique (chapitre 4) présente les
récits de vie de dix nouveaux locuteurs d’irlandais, choisis afin d’avoir
un panel le plus diversifiés possible de « trajectoires langagières » (en
termes de milieu social, de niveau d’irlandais et d’attitudes envers la
COMPTES RENDUS / 241

langue). Il vise à faire émerger les thèmes récurrents soulevés par les par-
ticipants et sur lesquels les deux auteurs se penchent dans les chapitres
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
suivants : le processus de construction identitaire au travers de la langue,
les enjeux autour de qui « possède » la langue et qui est un locuteur
légitime, et enfin la relation des nouveaux locuteurs à la Gaeltacht et aux
locuteurs traditionnels.
Dans le chapitre 5, John Walsh construit, à partir d’une série d’en-
tretiens, quatre « types » d’identité de nouveaux locuteurs en fonction
de leurs discours épilinguistiques, et met ainsi en avant la grande
variété de profils de nouveaux locuteurs d’irlandais. Walsh conclue
que l’engouement pour la langue irlandaise n’émane plus seulement
« d’idéologies ethnolinguistiques » (selon lesquelles la « vrai » irlandicité
consiste à parler un irlandais traditionnel, à être catholique et hétero-
sexuel) et s’en réjouit, car ces dernières excluent encore trop souvent de
la communauté irlandophone les nouveaux locuteurs.
Dans le chapitre 7, O’Rourke analyse le rôle des néolocuteurs n’ayant
pas un niveau d’irlandais très élevé, mais s’investissant dans un « cercle
de discussion » (ou ciorcail chomhrá) irlandais dans un village en dehors
de la Gaeltacht. Le cercle de discussion a le potentiel de dépasser « l’idéo-
logie des quelques mots » (« the cúpla focal ideology ») — la croyance
répandue en Irlande, particulièrement au sein des politiques étatiques,
que « quelques mots suffisent » pour faire survivre la langue — pourtant
à l’origine du projet des ciorcail chomhrá. Ils offrent en effet un contexte
social qui encourage les nouveaux locuteurs n’utilisant que quelques
mots d’irlandais à devenir des locuteurs plus actifs. Dans le même temps,
le purisme linguistique et l’idéologie du locuteur natif restent très pré-
gnants dans le cercle, ce qui incite certains membres à « rectifier » leur
irlandais qu’ils considèrent comme trop anglicisé, et d’autres à nourrir
une rancœur contre les habitants de la Gaeltacht ne souhaitant pas leur
parler irlandais pendant leurs séjours linguistiques. Pour O’Rourke, il est
donc nécessaire de travailler à la résolution de ces tensions entre nouveau
et locuteurs natifs, afin que les deux groupes travaillent plus efficacement
ensemble à la revitalisation de la langue.
Dans le chapitre 7, les deux sociolinguistes irlandais proposent donc
à l’État irlandais quatre mesures concrètes pour aider les apprenants à
surpasser les difficultés – identifiées dans leurs analyses – à devenir des
nouveaux locuteurs d’irlandais.
On regrettera que l’objectif de « faire entendre la voix des nou-
veaux locuteurs » prenne le dessus sur l’analyse sociolinguistique et
242 / COMPTES RENDUS

ethnographique revendiquée de « ce que signifie parler irlandais au


xxie siècle ». Premièrement, les auteurs se contentent trop souvent de
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
« redire les histoires » des participants (p. 116), alors que leurs analyses
gagneraient en finesse en se penchant sur les pratiques langagières des
participants lors des évènements interactionnels que sont les entretiens,
et en mettant mieux en relation leurs entretiens (qu’ils définissent comme
« ethnographiques » p. 6) et leur travail de terrain, lui-même trop peu
explicitement mobilisé. Deuxièmement, en choisissant de mettre en
avant la diversité des profils de nouveaux locuteurs et de leur discours, les
auteurs nous montrent bien que parler irlandais au xxie siècle ne signifie
plus tout à fait imiter les locuteurs natifs (imaginés) monolingues de la
Gaeltacht poussé par des idéologies « ethnolinguistiques » ou nationa-
listes, mais ils ne nous expliquent pas les raisons de ce changement qui
apparait alors comme allant de soi.
L’ouvrage est néanmoins une contribution importante pour la
compréhension des mouvements de revitalisation linguistique qui
nous invite à réfléchir à leurs récentes (et nécessaires selon les auteurs)
transformations.

Shana Poplack
Borrowing. Loanwords in the speech community and in the grammar
Oxford, Oxford University press, 2018, 246 p.
Compte rendu par Emmanuelle Guerin, université Sorbonne
Nouvelle, DILTEC

Le texte de 246 pages se compose de douze chapitres articulant claire-


ment le propos. Dans le premier chapitre, Shana Poplack (désormais SP)
présente méthodiquement sa thèse et son plan, elle définit et situe les
principales notions. Suivent trois chapitres qui posent le cadre théorique,
avant ceux consacrés à la présentation des analyses, étayée de nombreux
tableaux. Le dernier chapitre conclut avec tout autant de méthode, ce qui
facilite l’accès au travail, rigoureux et amplement documenté. La rédac-
tion semble avoir été pensée avec le souci de toucher un lectorat au-delà
des seuls spécialistes des champs dans lesquels se situent les études.
COMPTES RENDUS / 243

SP propose ici une sorte de synthèse de ses travaux antérieurs et


donne à lire ce qui peut apparaitre comme un état actuel des connais-
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
sances sur les emprunts. Le titre de l’ouvrage situe d’emblée le propos :
il s’agit d’étudier les emprunts d’un point de vue sociolinguistique,
en considérant le phénomène tant dans sa dimension sociale avec la
prise en compte des speech communities organisées autour de conven-
tions que dans ses effets sur le système linguistique, avec la façon dont
se fait l’intégration. En l’occurrence, elle s’attache à déterminer quel
système morphosyntaxique (langue source ou langue cible) affecte le
mot emprunté.
C’est sans doute cette approche sociolinguistique qui permet de
mettre en lumière certaines spécificités et/ou de redéfinir des notions
qui échappent à un regard limité par le cloisonnement des champs dis-
ciplinaires. Comme le souligne SP pour établir la pertinence de son
approche variationniste : « The use of variationist methodology has suc-
ceded in overcoming many of the analytical difficulties associated with
intuitive judgments and anecdotal reporting characteristic of other par-
adigms » (p. 15). C’est notamment l’intérêt pour la langue en usage, le
contexte, la caractérisation des locuteurs et de leurs pratiques qui permet
de distinguer alternance codique et emprunts, distinction au cœur de la
problématique.
Depuis ses travaux des années 1980, SP montre que bien que la
distinction soit parfois peu évidente, en particulier quand l’alternance
concerne un seul mot, l’un ou l’autre phénomène (alternance de codes
ou emprunt) ne met pas en jeu les mêmes intentions communicatives,
les mêmes attitudes et/ou ne concerne pas les mêmes locuteurs ni les
mêmes situations. D’autre part, la distinction est nécessaire pour com-
prendre le fonctionnement du système linguistique, en particulier sur le
plan morphosyntaxique qu’elle privilégie (selon elle, le plan phonétique
ne serait pas pertinent), puisqu’il en va de la façon dont les éléments de
la langue source s’articulent avec ceux de la langue réceptrice. Elle pre-
cise : « the process [code-switching] is not insertion but juxtaposition »
(p. 7). De fait, l’étude de la morphologie et de la distribution d’un mot
d’une langue A (donor language : Ld) inséré dans un énoncé construit
selon les règles d’une langue B (recipient language : Lr) n’a pas d’intérêt
s’il ne s’agit que d’une juxtaposition. Seul le processus d’insertion permet
de mettre au jour la façon dont ledit mot s’est accommodé du système
de la langue B (et, éventuellement, comment il peut le faire évoluer mais
cela n’est pas envisagé dans le texte). En fait, pour SP, il est question de la
244 / COMPTES RENDUS

concurrence entre les deux systèmes morphosyntaxiques à la disposition


des locuteurs : « In the case of established loanwords, only the grammar
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
of Lr is operative. But since code-switching implies alternation between
discrete grammars, code switches (both single and multiword) should
retain the grammar of Ld. » (p. 25) Dans son Epilogue (chapitre 12), à la
question de savoir ce qui permet de repérer qu’un mot a été intégré, elle
répond : « Integration derives from the properties of Lr, the role of Ld
being solely etymological. » (p. 211)
Dans le chapitre 9, SP revient sur un débat ouvert quant à la dif-
ficulté de distinguer ce qui relève de l’alternance de code portant sur
un seul mot et les emprunts attestés une seule fois, nonce borrowing.
Elle prend parti dans le débat : « we focus on how bilingual speakers
themselves handle them in spontaneous production, addressing in the
process doubts that the categories of code-switching and borrowing have
a discrete psychological and social reality » (p. 142). En considérant
les facteurs extralinguistiques (identité des locuteurs, contextes…) et
selon le principe « if Lr grammar could be shown to be operating, the
lone Ld item could be inferred to have been borrowed, whereas if Ld
grammar were activated, it would have been switches » (p. 156), elle
entend démontrer que les mots isolés alternés se distinguent bel et bien
des emprunts « uniques », puisqu’ils ont un comportement proche de
segments plus grands alternés. L’argumentation repose sur la prise en
compte des données et des métadonnées.
En effet, la question du traitement des données est ici centrale et
toute la première partie, avant les analyses, y est consacrée. D’abord,
SP assoit explicitement sa position inspirée du cadre variationniste. La
théorie labovienne oriente le point de vue en donnant la primauté à la
notion de speech community. Sa prise en compte permet d’appréhender
les usages langagiers en tentant d’intégrer la contrainte exercée par les
conventions/normes qui caractérisent une communauté de parole : « a
key component of the variationist research program, in monolingual as
well as bilingual discourse, is to distinguish the isolated, and perhaps
idiosyncratic utterance from the regular patterns that characterize natu-
ral exchanges in the speech community » (p. 16). Partant, la sélection des
locuteurs et des contextes d’échange se fait dans la perspective d’obtenir
des données illustrant le vernaculaire circulant au sein d’une commu-
nauté, « one of our most powerfull tools in understanding how words
are borrowed » (p. 18), ce qui implique un contrôle de la qualité, de la
quantité et de la représentativité des données. Il s’agit d’être en mesure de
COMPTES RENDUS / 245

dessiner le champ des possibles variationnels au sein d’une communauté


de parole. Dans le cas des discours de bilingues, SP précise que ce dessin
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
intègre les contraintes variationnelles des deux langues concernées.
La plupart des données analysées proviennent du corpus recueilli au
début des années 1980, le corpus français d’Ottawa-Hull, qu’elle regarde
comme suffisamment original pour que son exploitation soit toujours
pertinente plus de trente années après : « this corpus remains unique in
terms of scale, representativeness of speakers and speech styles, and focus
on spontaneous oral production collected within a speech community
in intense and long-term language contact » (p. 31). La zone du recueil
est en effet idéale pour observer les effets du contact, véritable « labo-
ratoire naturel » pour l’étude des phénomènes des contacts de langues.
L’un des points forts du travail, une nouveauté par rapport aux tra-
vaux antérieurs sur lesquels se base le texte, réside dans sa dimension
diachronique. En effet, SP enrichit son argumentaire d’une réflexion
sur l’évolution du phénomène d’emprunt en traitant de données issues
d’autres corpus, le plus ancien recueilli dans les années 1940 et 1950 et le
plus récent avec des données recueillies entre 2005 et 2007. L’ensemble
des données traitées couvre ainsi plusieurs décennies.
Cela étant, la singularité canadienne permet-elle d’envisager que
ce qui est observable le serait dans d’autres territoires où des langues
sont en contact ? La concurrence du français et de l’anglais est-elle de
même nature que, par exemple, celle du français et de l’arabe en France ?
Bien que l’auteure expose clairement le statut des deux langues en
contexte canadien, les conclusions tirées des analyses pourraient être
davantage relativisées.
Quoi qu’il en soit, cet ouvrage s’impose incontestablement comme
une référence contemporaine, même si on peut regretter que la ques-
tion des effets des contacts de langue, l’emprunt en particulier, conti-
nue d’être essentiellement abordée à partir des locuteurs bilingues. Dans
l’actuelle globalisation, force est de constater que les contacts de langues
concernent les pratiques langagières observables bien au-delà de cette
seule population. Leurs effets dans les pratiques des locuteurs monolin-
gues mériteraient peut-être d’être davantage intégrés à la réflexion.
246 / COMPTES RENDUS

Rachele Raus (dir.)


Partage des savoirs et influence culturelle :
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
l’analyse du discours « à la française » hors de France
Essais francophones 6, GERFLINT, 2019, 184 p.
Compte rendu de Thierry Guilbert, université de Picardie Jules Verne,
CURAPP-ESS

L’ouvrage collectif dirigé par Rachele Raus (désormais RR) de l’univer-


sité de Turin vise à faire le point sur la diffusion et l’implantation de
l’analyse du discours « à la française » (ADF) dans le monde.
Il peut sembler paradoxal que cette première « cartographie » vienne
de l’Italie, « bon dernier arrivé dans le panorama mondial », mais ce
« retard […] met les chercheurs italiens en mesure d’apprécier […] l’ex-
traordinaire portée, à la fois heuristique et herméneutique, des outils
qu’offre l’ADF », estime Paola Païssa dans la préface (p. 7).
Dans l’introduction, RR présente son projet : préciser pour chaque
pays l’implantation disciplinaire dans les universités, les notions pri-
vilégiées et leurs évolutions, les disciplines sollicitées, les « passeurs »,
les représentants majeurs, le rôle de la langue française et de la tra-
duction dans la diffusion de l’ADF. « ADF », selon RR, renvoie aux
différentes tendances qui acceptent l’héritage des précurseurs et de la
première génération. Elle retrace ensuite quatre décennies d’évolutions :
l’influence d’Althusser dans les années 1970, la relecture de Foucault
dans les années 1980, le retour réflexif dans les années 1990, l’efferves-
cence de terrains et notions dans les années 2000. Hors de France, RR
considère que l’ADF a connu « trois types de passages », lesquels ont
favorisé l’héritage « matérialiste » ou le « tournant pragmatique » selon
la décennie d’introduction de l’ADF : reprise de l’approche matérialiste
en Amérique du Sud ; influence du tournant pragmatique (énonciatif
et argumentatif) en Italie, Roumanie et Israël ; importation des outils
lexicométriques, matérialiste en Belgique, pragmatique en Algérie.
Suivent trois parties – « Diffusion et échanges en Europe… », « …en
Amérique latine… » et « …ailleurs dans le monde » –, une conclusion et
des « Annexes » – une bibliographie de dix-huit pages et une « présenta-
tion des auteurs ». Certains chapitres (Brésil, Israël, Uruguay) proposent
une bibliographie spécifique.
RR et Donella Antelmi ouvrent la partie européenne avec « Pratiques
d’analyse du discours en Italie : origine, méthodes, diffusion »
(p. 31-46). Depuis les années 2000, l’ADF s’intègre dans les sciences qui
COMPTES RENDUS / 247

s’intéressent aux usages sociaux de la langue, elle y est en concurrence


avec la Critical Discourse Analysis (désormais CDA) selon que les études
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
sont françaises ou anglophones. Les rares traductions ont donné accès
à la deuxième génération avant la première, les études linguistiques ont
adopté l’approche pragmatique. L’AD, peu institutionnalisée malgré des
groupes de recherches, des revues, des programmes de master, développe
des réseaux avec des universitaires français, israéliens et brésiliens.
Corinne Gobin et Jean-Claude Deroubaix, dans « Lexicométrie et
étude du discours institutionnel. L’analyse du discours en Belgique fran-
cophone » (p. 47-58), rappellent que l’intérêt pour l’ADF y est « limité »
car le « déploiement hégémonique […] du paradigme néolibéral » pro-
meut une volonté des acteurs individuels peu compatible avec l’ADF et
parce que « l’Université reste le lieu de la formation et de la reproduc-
tion des élites en l’absence de grandes écoles » (p. 47 et 48). L’AD y a
emprunté la voie lexicométrique via le Laboratoire de lexicologie poli-
tique de Saint-Cloud, les logiciels libres et l’usage de l’ordinateur person-
nel. Les centres de recherche inclus dans des réseaux internationaux ont
développé des études sur les institutions européennes et les déclarations
de politique générale selon une approche sociologique et statistique per-
mettant « des inférences robustes sur les phénomènes majeurs qui struc-
turent les sociétés » (p. 51).
Dans « L’analyse du discours à la française en Roumanie : enjeux
scientifiques et implantation à l’université après 1989 » (p. 59-71),
Valentina Pricopie montre combien la diffusion de l’ADF est liée à l’his-
toire récente de son pays et aux rares traductions disponibles. L’approche
de l’ADF est « naturellement adoptée » car elle rencontre les question-
nements « vis[ant] à déchiffrer le postcommunisme et ses différents dis-
cours », puis les discours sur l’Europe (p. 59 et 60). Récemment, la chute
du français face à l’anglais favorise la lecture des travaux de la CDA.
Eni Orlandi ouvre la partie sur l’Amérique du Sud par « L’analyse
du discours au Brésil » (p. 75-94). Elle rappelle qu’elle a « eu le privi-
lège d’introduire d’une façon systématique l’ADF au Brésil et de l’avoir
institutionnalisée dans les années 1970 » (p. 77). S’il existe plusieurs
courants, l’approche matérialiste, à partir de Pêcheux, y est la plus déve-
loppée. Toutefois, c’est le pays qui a le plus revisité l’ADF : son terrain
spécifique et ses objets de recherche différents ont produit de « forts
déplacements de sens » et des « transformations » (p. 86 et 87).
Alam Bolón Pedretti, « L’analyse du discours en question : un espace
de résistance uruguayen » (p. 95-105), relate « les liens intellectuels »
248 / COMPTES RENDUS

serrés entretenus avec la France (p. 95). Ici aussi, l’histoire (le siège
de 1846 ou la dictature 1973-1984), comme le goût pour la langue et la
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
culture françaises, jouent un rôle prééminent dans la diffusion de l’ADF.
Pourtant, souvent perçue « comme étant trop politique, trop décon-
structrice, trop critique » (p. 102), celle-ci ne s’est pas institutionnalisée à
l’université bien qu’on la retrouve « dans quelques études de “résistance”,
peu nombreuses mais puissantes » (p. 104).
« L’analyse du discours en Argentine. Développement institution-
nel, parcours thématiques et catégories privilégiées » (p. 107-121) d’El-
vira Narvaja de Arnoux montre que la philologie et la sémiologie sont
à l’origine de la linguistique tandis que l’intérêt pour l’ADF vient de
« l’importance des aspects politiques sur le langage », avant, pendant
et après la dictature (p. 107). Les échanges avec les chercheurs français
ont nourri une approche sémiologique se mariant parfois avec l’ADF
et développant une recherche originale autour du discours politique,
des instruments linguistiques de normalisation de la langue ou de l’ap-
proche dialogique de l’argumentation.
Ruth Amossy ouvre la partie « Ailleurs dans le monde » par « À la
croisée de l’analyse du discours et de l’argumentation rhétorique : le cas
d’Israël » (p. 125-138). L’ADF y est aussi en concurrence avec la CDA
à cause de l’affaiblissement du français. Elle se développe au niveau du
doctorat et du groupe de recherche Analyse du Discours, Argumentation,
Rhétorique (ADARR) : relations constantes avec les chercheurs franco-
phones, italiens, brésiliens et argentins, revue Argumentation et analyse
du discours (AAD). Les travaux diffusés à l’international portent sur la
doxa, la nouvelle argumentation, l’ethos, la responsabilité du chercheur,
la polémique, le discours politique.
Dans « Pratiques de l’analyse du discours en Algérie : fondements,
approches et corpus » (p. 139-151), Fatima-Zohra Chiali-Lalaoui montre
qu’une « large place » a été faite à la « constitution de bases de données »
– comme la Base nationale des textes algériens (BnTA) – et au traitement
statistique (p. 139) grâce à l’accès aux logiciels de l’ADF (p. 143). Trois
axes sont privilégiés « l’axe littéraire, médiatique et politique » liant
« perspective énonciative et démarche lexicométrique » (p. 145). Si les
relations avec les chercheurs français ont permis à l’ADF de s’implanter,
aujourd’hui les formations universitaires internes se multiplient.
Partager l’ADF, conclut RR, c’est participer « à un espace culturel
[…] privilégiant un regard réflexif sur le discours et promouvant un
discours “humaniste” » (p. 155). L’échange réciproque est « circulation
COMPTES RENDUS / 249

des savoirs » autant que « mélange transculturel », « émergence […]


d’un espace démocratique » et « mise en place d’un réseau francophone »
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)

© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 27/05/2022 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116)
(p. 156).
Au final, cet ouvrage collectif est très instructif : le traitement de la
demande de RR, propre à chaque chapitre, est à l’image de la diversité de
l’ADF dans le monde et il montre combien son implantation est liée à
la fois à l’histoire spécifique d’un pays, aux personnes qui l’ont conduite
et à la vivacité de la francophilie, comme une « alternative à la CDA »
(RR, p. 156).

Vous aimerez peut-être aussi