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Université Lumière Lyon 2

Master 1 sciences de l’éducation et de la formation

Approches et démarches de la recherche en sciences de l’éducation


Support de cours

Jean-Jacques Quintin
MCF - Université Lumière Lyon 2

Avertissement : Ce document est susceptible de modification au cours de cette première année


d’utilisation. Vous en serez avertis via la plateforme crea-tice.org

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État du présent document
communiquée
Version 0.81 0.8
Date 18 septembre 2012 -
Changement par rapport à la
État d’évolution du contenu version antérieurement
communiquée
Recherche et correction des
coquilles
Introduction Terminé -
I. Le cadre Terminé, mais, en fonction des relectures, -
épistémologique des évolutions sont malgré tout toujours
de la recherche possibles
II. Approches -
qualitative et
quantitative dans idem
les recherches
empiriques
III. Démarche -
idem
scientifique
IV. La Cette partie n’est pas développée dans ce
conduite d’une document. La conduite d’une recherche sera
recherche présentée dans d’autres documents
Les références sont encore, dans cette
version, placées, par commodité, en notes
Bibliographie bas de page, ce qui n’est pas conforme. Une
version ultérieure permettra de corriger
cette lacune.
Annexes Pas d’annexe dans ce document -

Ce cours est strictement réservé à un usage privé dans le cadre de votre formation. Il est demandé de ne pas en diffuser son contenu,
ni dans sa totalité, ni en partie. Merci de votre compréhension.
Sommaire
Introduction .............................................................................................................................. 4
 Présentation générale de l’ensemble des documents destinés à soutenir les
travaux de recherche (enquête de terrain, méthodologie et TER) ........................... 4
 Présentation de ce document ................................................................................... 5
I. Le cadre épistémologique de la recherche ........................................................................ 5
 Épistémologie, paradigme et approche, quelques définitions ................................. 5
1. Le paradigme positiviste et l’approche hypothético-déductive ................................... 7
 Le paradigme positiviste ......................................................................................... 8
 L’approche hypothético-déductive ........................................................................ 10
 Exemple d’une approche de recherche hypothético-déductive d’inspiration
positiviste............................................................................................................... 10
2. Le paradigme constructiviste et l’approche holistico-inductive ................................ 13
 Le paradigme constructiviste................................................................................. 14
 L’approche holistico-inductive.............................................................................. 16
 Exemple de recherche holistico-inductive, ancrée dans un paradigme
constructiviste ........................................................................................................ 17
II. Approches qualitative et quantitative dans les recherches empiriques ........................... 20
1. Approche quantitative ................................................................................................ 23
2. Approche qualitative .................................................................................................. 25
 Le travail et l’importance du questionnement ....................................................... 27
 Savoir local et savoir générique ............................................................................ 27
 L’itération caractéristique de l’approche qualitative ............................................. 30
 Détour analogique : l’enquête policière ................................................................ 30
 Qualités d’une recherche « qualitative » ............................................................... 31
 Quelques extraits en guise d’exemple d’une approche qualitative
« interactionniste » ................................................................................................ 31
3. Complémentarité entre recherches, complémentarité entre approches ...................... 33
III. Démarche scientifique .................................................................................................... 34
1. Une recherche appréhendée est une « entreprise scientifique »................................. 34
2. Les exigences d’une démarche scientifique rigoureuse ............................................. 36
 La validité .............................................................................................................. 36
 La fidélité .............................................................................................................. 37

1
Index
A
Approche (de la recherche), 7

C
Constructiviste (paradigme), 15

D
Données, 22

E
Epistémologie, 6

F
Fidélité, 38

H
Holistique (approche holistico-inductive), 17
Hypothético-déductive (démarche), 11

I
Idiographique (recherche), 26
Inductive (approche, démarche), 17
Itération (concrète ou abstraite), 31

N
Nomothétique, 10

P
Paradigme, 7
Positiviste (paradigme), 9

Q
Qualitative (analyse), 27

R
Relativisme, 15

S
Savoir générique, 30
Savoir local, 29
Scientifique (entreprise), 35
Subjectivisme, 16

V
Validité, 37
Validité écologique, 38

2
Validité externe, 37

3
Introduction

 Présentation générale de l’ensemble des documents destinés à soutenir les travaux


de recherche (enquête de terrain, méthodologie et TER)

Ce support de cours comprendra, dans sa version définitive, deux grandes parties : une
première consacrée au cadre théorique, une seconde à la conduite d’un projet de recherche.
Seule la première partie est actuellement intégrée dans ce document. Les éléments relatifs à la
conduite sont présentés dans le scénario du cours « Enquête de terrain » et dans les documents
de soutien au Travail d’Étude et de Recherche.

Pour mener vos travaux de recherches dans les différents cours de ce second(e)
semestre/année (enquête de terrain & méthodologie ainsi que le TER), vous aurez besoin de
consulter deux types de documents.

Des documents à valeur de « manuel » que nous vous conseillons de lire une première
fois et de consulter ensuite de manière régulière dès qu’une question se pose, qu’un doute
apparaît, qu’une décision doit être prise, qu’une nouvelle étape de la recherche s’annonce.
Ces documents sont les suivants :

1.- Approches et démarches de la recherche en sciences de l’éducation (celui-ci ; à


caractère plus théorique) ;

2- Analyse de données qualitatives - Outils de production de données qualitatives et


méthode d’analyse (disponible sur crea-tice.org ; de nature méthodologique ;
destiné à vous communiquer les informations indispensables pour conduire une
collecte/production et une analyse qualitative de données) ;

3- Analyse de données quantitatives (disponible sur crea-tice.org ; de nature


méthodologique ; outre la présentation des concepts fondamentaux de la statistique,
ce document fournit des informations précieuses qui vous aideront à analyser vos
données quantitatives) ;

4- Normes et contraintes pour les écrits de recherche en Sciences Humaines


(disponible sur crea-tice.org ; de nature technique ; informations destinées à vous
aider dans la rédaction de vos rapports de recherche et, en particulier, de votre
TER)

4
5- Modèle de présentation - de mise en page d'un TER.doc (disponible sur crea-
tice.org ; de nature technique ; informations destinées à vous aider dans la mise en
page de votre TER)

Nous vous conseillons de les découvrir dans cet ordre (du plus général au plus
particulier, et technique) et de les consulter, ensuite, selon vos besoins d’informations.

Un autre ensemble de documents est destiné à vous guider dans différents travaux à
réaliser. Il s’agit en quelque sorte de « scénario », semblable à ceux que vous avez utilisés
l’année dernière pour mener vos travaux collaboratifs.

Vous seront ainsi communiqués :

• un/des documents de ce type (scénario ou guide) pour les cours enquête de terrain
et méthodologie

• un/des documents pour la réalisation du TER

 Présentation de ce document

Le présent document est destiné à vous offrir un cadre théorique qui vous permettra de
situer et de positionner votre étude dans une approche cohérente ainsi qu’à vous aider à
élaborer votre démarche de recherche.

I. Le cadre épistémologique de la recherche

» Cette partie est amplement développée dans le premier chapitre du cours de licence
(Desmet, H., Lescouarch, L. & Pourtois, J.-P. (2009). Méthodes qualitatives, Cours,
Campus Forse, Cned, Université Lyon 2, Université de Rouen). Sa lecture ou
relecture attentive constitue un préalable précieux à ce cours de niveau Master.

 Épistémologie, paradigme et approche, quelques définitions

» L’épistémologie, une branche de la philosophie des sciences, est la théorie de la


science et concerne plus particulièrement les méthodes de construction et de
validation de la connaissance. Selon Nadeau (1999, p. 209)1, elle « étudie de manière
critique la méthode scientifique, les formes logiques et modes d'inférence utilisés en
science, de même que les principes, concepts fondamentaux, théories et résultats des

1
Robert Nadeau, R. (1999). Vocabulaire technique et analytique de l’épistémologie, Paris, PUF, 1999
Bachelard, G. (1934). Le nouvel esprit scientifique. Quadrige / Presses Universitaires de France

5
diverses sciences, afin de déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée
objective ». Elle conduit à se poser des questions telles « Qu’est-ce que la
connaissance ? » (Gnoséologie) ; « Comment se constitue-t-elle ? » (Méthodologie) ;
« Comment évaluer sa valeur ou sa validité ? » (Pour plus de détails, voir Pesqueux,
2010)2

» Selon Kuhn (1962, cité par Raynal & Rieunier, 2003, p. 260)3, un paradigme
représente « un ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui
sont communes aux membres d’une groupe donné ».

» Par approche « il faut entendre […] une façon de concevoir et d'aborder les
composantes ou les étapes de la recherche » (De Ketele & Maroy, 2006, p. 225, nous
soulignons)

Si l’on convient aisément que, pour conduire son étude, un chercheur doit forcément
suivre des étapes et, par là, adopter – de manière consciente on peut l’espérer – une approche
déterminée, une inscription éclairée et consciente dans un paradigme est loin de constituer la
règle générale. Or, situer sa recherche dans un paradigme – positiviste, néo-positiviste ou
constructiviste par exemple – présente des avantages indéniables. Nous citerons d’abord celui
de la transparence vis-à-vis des lecteurs : même si le paradigme du chercheur est rarement
explicité dans ses écrits, il devrait néanmoins pouvoir s’induire de l’approche décrite par
l’auteur du texte. Avoir clairement conscience du paradigme dans lequel s’inscrit l’étude
présente un autre avantage, tout au bénéfice de la qualité de la recherche. Assumer un
paradigme ou un autre permet en effet à la fois de garantir une meilleure cohérence de la
démarche adoptée et surtout d’en fixer la portée. Ainsi, nous verrons dans la suite de ce texte
que le positivisme, né des sciences de la nature, vise à établir des lois et des principes
généraux, valables pour l’ensemble des éléments-phénomènes d’une classe ; que pour les
« trouver » il s’agit d’appliquer des méthodes rigoureuses appliquées sur une réalité unique
qui transparaît à travers des relations stables entre des faits objectifs et que les sujets
impliqués sont soumis aux lois et principes généraux qu’il s’agit donc de « découvrir ». A
l’inverse, pour les tenants du paradigme constructiviste les « faits » dont rend compte la
recherche ne peuvent être dissociés de l’observation et des représentations ou des perceptions
de l’observateur. La réalité est complexe et se présente sous des formes diverses, voire, pour

2
Pesqueux, Y. (2010). Pour une épistémologie des organisations, Universidad Autonoma Metropolitana,
Mexico,Disponible sur http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/51/08/60/PDF/ConfA_pistA_moorgED415.pdf [Consulé le
18 juin 2012]
3
Raynal, F., & Rieunier, A. (2003). Pédagogie : dictionnaire des concepts clés (3ème édition). Paris : ESF

6
certains, n’existe pas isolément de ceux qui la vivent et la perçoivent. La prise en compte de
cette relativité induit l’acceptation de lectures diverses et l’application de démarches de
recherche qui prennent « plus largement en compte la complexité des situations, leurs
contradictions, la dynamique des processus et les points de vue des agents sociaux » (Desmet
et al., 2009, p. 12).

Adopter un paradigme de recherche c’est aussi s’affilier à une école de pensée, en


adopter ses valeurs, ses traditions et, dirions-nous, ses us et coutumes. C’est aussi s’inscrire in
fine dans une communauté scientifique dont on accepte un préalable contractuel rarement
explicité : son paradigme de référence. Inévitablement, le rapport au paradigme a un caractère
social mais aussi affectif comme l’illustre l’anecdote narrée par Nuttin (1980, cité par Raynal
& Rieunier 2003, p. 261)4 :

Pour l'auteur de ces lignes [c’est Nuttin qui écrit], une expérience du début de sa
carrière lui est restée comme illustration du veto scientifique contre l'interprétation
cognitive dans certains milieux académiques. Lorsqu'en 1941 – le temps n'était
pas encore aux théories cognitives – il apportait sa dissertation doctorale à un
membre de la commission d’examen, une conversation s'engagea entre le
professeur et le candidat sur les résultats de ses expériences au sujet de
l'interprétation de la loi de l'effet. Le professeur qui, au cours d’un séjour aux
États-Unis, avait travaillé quelque peu avec Thorndike, manifestait un attachement
affectif à l’interprétation orthodoxe de la loi. Apprenant que les résultats du jeune
candidat l’avaient amené à proposer, à l'encontre de Thorndike, une explication
cognitive de l’influence de la récompense, le professeur, indigné, refusait
d’admettre le caractère scientifique d’un tel travail et, avant d'y avoir jeté un coup
d’œil, déclarait qu'il serait de son devoir de le « démolir ». Perspective peu
encourageante pour un candidat !

1. Le paradigme positiviste et l’approche hypothético-déductive

Historiquement, le paradigme positiviste et l’approche hypothético-déductive ont


longtemps été intimement associés. Ceci s’explique en grande partie par leur origine. Il est
important de garder à l’esprit en effet que le positivisme et l’approche hypothético-déductive
sont issus des sciences de la nature (physique, chimie, biologie…) et qu’ils ont représenté par
la suite, durant la majeure partie du XXème siècle, la référence épistémologique et
méthodologique en sciences humaines et sociales. A ce titre, Mill (1856, cité par d’Amboise,
1996, pp. 13-14 - à vérifier) le dit sans ambages : « The backward state of the Moral [i.e.
human] sciences can only be remedied by applying to them the methods of Physical science,

4
Raynal, F., & Rieunier, A. (2003). Pédagogie : dictionnaire des concepts clés (3ème édition). Paris : ESF

7
duly extended and generalized ». C’est la position dominante des chercheurs durant la
première moitié du XXème : les faits sociaux se traitent comme les phénomènes de la nature.
Comme le déclare d’Amboise (1996, pp. 13-14), en somme, « l’être humain y est considéré
comme un organisme vivant répondant à des lois de la nature, au même titre que les plantes
ou les insectes ».

Soulignons d’emblée cependant que, même si le paradigme positiviste et l’approche


! hypothético-déductive ont longtemps constitué les « deux mamelles » de la « vérité
scientifique », les démarches hypothético-déductives adoptées actuellement, dans les
recherches contemporaines en sciences humaines et sociales, ne reposent plus sur un
paradigme strictement positiviste – on pourrait plutôt parler actuellement d’un néo-
positivisme. Par ailleurs, tout un courant de recherche, affiliée à l’approche qualitative
repose sur un paradigme opposé, le paradigme constructiviste et adopte une démarche
alternative dans leurs études, démarche que l’on pourrait qualifier d’holistico- (ou
empirico-) inductive.

 Le paradigme positiviste

Développé essentiellement par Auguste Comte, le cadre épistémologique positiviste a


longtemps dominé les sciences à partir de la seconde moitié du XIXème siècle. A cette époque,
la science est envisagée comme un ensemble de connaissances et d’études « d’une valeur
universelle, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondés sur des relations
objectives vérifiables » (Rey & Rey-Debove, 2002, cités par Nguyên-Duy & Luckerhoff,
20075, p 13, nous soulignons). Dans ce cadre épistémologique, les chercheurs fixent à la
science le but de découvrir les lois qui régissent les rapports, stables, entre les phénomènes et
qui en autorisent leur prédiction ainsi que leur explication.

Fondées sur l’expérimentation scientifique, les recherches qui s’inscrivent dans ce


paradigme répondent à des critères « précis de rigueur, d'objectivité, de quantification et de
cohérence » (ibid.) dans le but « d'expliquer les phénomènes et de formuler les lois qui les
régissent » (idid., nous soulignons). Selon ce paradigme, c’est en formulant et en testant
différentes hypothèses, à la recherche de régularités, que le chercheur découvrira cette réalité
(D’Amboise, 1996).

5
Nguyên-Duy, V. & Luckerhoff, J. (2007). Constructivisme/positivisme : où en sommes-nous avec cette opposition ?
Recherche Qualitative, N° 5, pp. 4-17

8
Le rapport à ce réel distingue le positivisme d’autres paradigmes comme le
constructivisme. Relayant les propositions de Avenier et Thomas (2011), nous pouvons
considérer que les hypothèses épistémologiques fondatrices sur lesquelles repose
historiquement le positivisme se présentent, à cet égard, de la façon suivante :

1) Le « réel » a une essence unique, indépendante de l’attention que peut lui porter un
observateur qui la décrit,

2) La « réalité sociale » est extérieure à l’individu

3) Le « réel » est régi par des lois naturelles universelles immuables, dont beaucoup
prennent la forme de relations : « à chaque fois que A alors B » (ibid. p. 6).

Comme le soulignait, dès la fin du XIXème siècle, Halleux (1896)6, les positivistes ont
certainement rendu services « aux hommes de sciences en leur rappelant la nécessité d’avoir
recours à la méthode expérimentale, et en mettant l’esprit humain en garde contre les théories
a priori ». En réaction aux théories spéculatives qui ne s’appuient que sur la raison,
indépendamment de l’expérience des faits, « le positivisme nie toute évidence qui ne se
dégage pas immédiatement des données de l’expérience : ce qui est constaté est seul certain ».
Pour Desmet et al. (cf. cours de licence Forse, 2009), cette approche nomothétique de
l’élaboration de la connaissance fut effectivement salutaire par sa volonté de rigueur
susceptible d’aboutir à une « épistémologie scientifiquement éprouvée » (idid, p. 12)
s’écartant des approches aboutissant aux affirmations trop théoriques car trop détachées de
l’observation des faits (i.e. théories « spéculatives »).

» Nomothétique se dit d’une science ou d’une discipline « dont l'objet et la méthode


permettent d'établir des lois générales ou universelles, représentées par des relations
constantes entre les phénomènes observés » (CNTRL, en ligne)7.

Pour Auguste Comte en effet, on ne peut accepter pour vrai que ce qui a été démontré
scientifiquement par l’analyse de faits observés. C’est l’une des contributions majeures du
rationalisme à la recherche moderne. Cette position est celle adoptée par un ensemble vaste de
courants de recherches pour lesquels une théorie ne peut se construire en dehors des faits,
voire, pour lesquels « seuls les faits comptent » (par exemple, le pragmatisme américain, à
l’origine, la théorie ancrée plus récemment). La manière préconisée par A. Comte pour mener

6
Halleux, M. J. (1896). Les Principes du positivisme contemporain. Exposé et critique par M. J. Halleux, Revue néo-
scolastique, Volume 3, Numéro 9, p. 101 - 103.
7
CNTRL, disponible en ligne : http://www.cnrtl.fr/definition/nomoth%C3%A9tique [Consulté le 24 Août 2012]

9
cette démonstration scientifique en sciences humaines et sociales est, par contre, sujet à
discussion. Ainsi, pour le philosophe rationaliste les phénomènes sociaux, quoique d’une
complexité extrême, doivent être étudiés de la même manière que les phénomènes physiques.
Cette affirmation radicale, encore associée au positivisme historique, a été, par la suite,
fortement remise en cause.

 L’approche hypothético-déductive

Les positivistes prônent un raisonnement scientifique de type hypothético-déductif qui


prend naissance avec une question (ou un problème) se traduisant par une hypothèse
soutenant provisoirement une théorie qu’il s’agira de tester en confrontant cette dernière aux
« faits ». Le terme hypothético-déductif qualifie également une démarche qui s’appuie « sur
des propositions hypothétiques pour en déduire des conséquences logiques » (Université de
Genève, nd)8.

Cette démarche doit permettre d’identifier des lois, à caractère universel, ou de


construire progressivement des théories générales et des modèles explicatifs que la
communauté scientifique a pour mission de chercher à conforter ou à réfuter en la mettant à
l’épreuve des tests empiriques. Les résultats « positifs » conforteront les lois, les théories ou
les modèles alors que des résultats « négatifs » les invalideront.

 Exemple d’une approche de recherche hypothético-déductive d’inspiration


positiviste

A titre illustratif, nous présentons ci-après un exemple de démarche de recherche de


type hypothético-déductif qui, à certains égards, reposent sur une conception positiviste de la
construction de la connaissance. Les commentaires placés à la droite du tableau sont destinés
à vous fournir de premières indications sur les termes utilisés pour désigner les grandes étapes
d’une recherche hypothético-déductive.

1 Un chercheur s’intéresse à la relation qui peut exister entre Idée de départ


le style de leadership d’un dirigeant et la satisfaction au d’après expérience, intérêt
travail de ses employés. et exploration de la
littérature

8
Université de Genève, Méthodologie, Lexique : http://www.unige.ch/fapse/pegei/Methodologie/Lexique.html [Consulté
le 22 juin 2012]

10
2 Son analyse de la littérature lui indique l’existence de Analyse de la littérature
résultats empiriques qui soutiennent qu’un style de
leadership centré sur les relations humaines tend à
augmenter la satisfaction au travail des employés.

3 Conforté par les résultats convergents relayés dans la Hypothèse


littérature, ce chercheur émet l’hypothèse opérationnel de (ce pourrait être une
recherche que : question de recherche,
« La satisfaction au travail des employés est positivement opérationnelle mais plus
associée à un style de leadership axé sur les relations large cependant qu’une
humaines ». hypothèse
Le chercheur décide de tester cette relation positive entre
style (variable 1) et satisfaction (variable 2) auprès d’un
échantillon représentatif de PME.

4 Avant de recueillir les données, il aura élaboré (ou Méthodologie


identifié) les outils de recueil de données dont le traitement
permettra de rendre précisément et exactement (validité
interne) compte du « style de leadership » et de la
« satisfaction au travail »

5 Comme le chercheur part du principe qu’il existe une » paradigme positiviste


réalité, unique (positivisme) définissant le style de
leadership et la satisfaction au travail, il estime que ses
outils (questionnaire dans cette situation) lui fourniront des
évaluations précises et authentiques des concepts (style de
leadership et satisfaction).

6 Il procède alors à la collecte de données auprès d’un Recueil des données


échantillon représentatif (10 PME) de la population de
référence (l’ensemble des PME manufacturières
québécoises).

7 Une fois les données recueillies, il les soumet à des Traitement des données
analyses statistiques dans le but de mettre au jour la
relation entre les deux variables.
La force de cette relation possible est évaluée par un indice
statistique appelé corrélation.

8 S’il y parvient, la théorie générale est confirmée et le Analyse des résultats et


chercheur peut affirmer que cette théorie s’applique aussi interprétation
au cas spécifique des PME manufacturières québécoises.
Si au contraire les résultats infirment la théorie, le
chercheur doit alors voir si la théorie ne peut pas être
révisée de manière à expliquer ses résultats ou si,
ultimement, il ne faudrait pas rejeter complètement la
théorie pour la remplacer par une nouvelle qui expliquerait

11
un plus grand nombre de situations particulières

Tableau x : Exemple d’une approche de recherche hypothético-déductive d’inspiration


positiviste» Librement adapté de d’Amboise (1996, pp. 14-15)

Le chercheur s’appuie ici sur un paradigme d’inspiration positiviste dans la mesure où il


part du principe que l’étude, dans un contexte particulier, du phénomène retenu est révélatrice
d’une réalité concrète, objective et que, dans cette mesure, elle permet de confirmer ou
d’infirmer une règle générale (on dit que le « terrain vérifie ») qui tend à établir une
association entre le style de leadership et la satisfaction.

1) Si les expériences répétées confirment la « théorie », il sera possible d’établir


progressivement une loi générale valable pour toutes les situations rencontrées
dans un contexte déterminé, voire dans tous les contextes possibles. Il s’agit dans ce
dernier cas d’une loi générale (vérificabilité de la théorie).

2) Si l’expérience particulière infirme la « théorie », il faudra soit définitivement


l’écarter soit la revoir (falsifiabilité de la théorie).

» Le principe de « vérificabilité » avancé par les positivistes (point 1) a été remis en


question par Karl Popper (1979)9, célèbre épistémologue, pour lequel il n’est pas
possible de vérifier si une théorie est vraie. Il peut toujours exister un cas, non testé,
pour lequel la théorie ne « tient pas », quel que soit le nombre de cas étudiés (« peu
importe le nombre de cygnes blancs que nous puissions avoir observés, il ne justifie
pas la conclusion que tous les cygnes sont blanc » op.cit., p. 23). Seule la
« falsifiabilité » (point 2) d’une théorie la rend scientifique, c’est-à-dire, la possibilité
de la réfuter par l’expérience des faits. Une théorie n’est donc pas scientifique selon
Popper si elle ne peut être réfutée : c’est une idéologie, comme par exemple le
marxisme ou la psychanalyse.

Ainsi, pour Popper, une théorie est scientifique dans la mesure où il est possible de
la réfuter (falsifiabilité).

9
Poper, K. (1973). La logique de la découverte scientifique, Paris : Payot

12
Dans l’exemple ci-avant, le chercheur s’appuie d’autre part sur une démarche
hypothético-déductive qui va effectivement du général (une théorie, une loi, une règle ou un
ensemble de résultats antérieurs dont la convergence soutient une tendance générale) au
particulier (expérience menée sur un échantillon représentatif de la population, permettant
ainsi d’obtenir des résultats « locaux », mais généralisables).

Ainsi, « le chercheur formule une question de recherche en s’inspirant d’une théorie de


portée générale, émet des hypothèses concernant une situation particulière et teste ces
hypothèses afin de les infirmer ou confirmer et ainsi supporter ou ajouter à la théorie initiale »
(d’Amboise, 1996, p.14).

2. Le paradigme constructiviste et l’approche holistico-inductive

Même si le monde (ou ses « morceaux ») est au sens propre in-connaissable, en


dernière instance opaque ou incertain, et philosophiquement inaccessible comme
réalité externe, les sciences sociales reposent sur un pari : « malgré tout », le
monde peut-être l’objet d’une certaine connaissance raisonnée, partagée et
communicable (Olivier de Sardan, 2008, p. 8)

Dans le cours de licence (Desmet et al., 2009, p. 12), vous avez découvert les critiques
que certains chercheurs avancent à l’encontre du paradigme positiviste, du moins vis-à-vis
d’une épistémologie radicale du positivisme telle qu’elle peut être adoptée dans les recherches
en sciences humaines et sociales. A cet égard, les auteurs de cours soulignent en particulier
que :

les « faits » sur lesquels se fonde l’expérience scientifique ne peuvent être


dissociés des conceptions, des représentations ou des perceptions qui sont
associées à l’observation des « faits »

Les « faits » observés seraient donc a minima altérés par la perception et les (pré-)
représentations du chercheur amené à choisir, sélectionner, privilégier, transcrire et interpréter
le matériel « recueilli » (ou, dirait les tenants d’un paradigme constructiviste, directement
« produit » par l’observateur).

Pour ces auteurs, l'acceptation de la relativité des « faits » va rendre possible des
lectures diverses et autoriser une approche plus riche de la « réalité » et va « susciter la mise
en œuvre d'une démarche prenant plus largement en compte la complexité des situations, leurs
contradictions, la dynamique des processus et les points de vue des agents sociaux » (ibid.).

Ainsi, tout au long du XXème siècle, le paradigme positiviste s’est vu l’objet de critiques
et s’est vu contester sa situation de monopole. Sont alors apparues des alternatives

13
épistémologiques parmi lesquelles nous retiendrons tout particulièrement le constructivisme
sur laquelle se fonde des chercheurs de plus en plus nombreux en sciences humaines et
sociales.

» Avertissement : Tout comme dans la situation où un auteur est invité à synthétiser les
singularités d’une approche, d’un courant, voire d’une école de pensée, un paradigme
qu’il soit constructiviste, positiviste ou autre, ne constitue aucunement un corps
unifié. Différents courants, conceptions, sensibilités, le traversent. En présenter les
traits caractéristiques est une œuvre simplificatrice. Le texte qui suit constitue
certainement une synthèse un peu simplifiée des vues des théoriciens se déclarant du
paradigme constructiviste.

 Le paradigme constructiviste

Le paradigme constructiviste peut se comprendre à partir de la notion de relativisme et


de celle de subjectivisme, qui lui est complémentaire.

Le relativisme indique que, pour les tenants de ce paradigme épistémologique, nous ne


pouvons accéder directement au réel. Ce qui « est connaissable » se limite à « l’expérience du
réel » et l’on ne pourra jamais être certain que ces expériences recouvrent rationnellement un
réel, si tant est qu’il existe indépendamment de ceux qui l’observent (Avenier & Thomas,
2011). Ce qu’on appelle « réalité » dans le sens habituel du terme est donc envisagé à tout le
moins comme des « réalités perçues ». Ainsi, comme nous ne percevons pas forcément les
mêmes choses de la même manière, ces « réalités » sont multiples. La démarche scientifique
intervient dans ce contexte aux fins de construire, avec rigueur, une connaissance
« rationnelle » reconnue et partagée par une communauté sociale (la communauté scientifique
et, à partir de cette communauté, la société civile).

A cet égard, on utilise souvent le terme d’objectivation qui met l’accent sur la rigueur de
la démarche et sur la rationalité de l’entreprise scientifique ainsi que sur celui
d’intersubjectivité quand on désire placer la focale sur le caractère « partagé » de la démarche,
des outils et des connaissances élaborées au sein d’une communauté.

La question de savoir si un réel existe indépendamment de l’observateur est certes


débattue parmi les constructivistes mais ne remet pas en cause les fondements,
méthodologiques du moins, de ce paradigme.

14
Ainsi, pour certains chercheurs comme Olivier de Sardan (2008), il existe bel et bien un
« réel de référence » relativement et partiellement connaissable par la recherche scientifique.
L’auteur ajoute, pour lever toute ambiguïté de ses positions avec celles défendues par le
positivisme que :

L’hypothèse réaliste, qui postule l’existence d’un réel de référence relativement et


partiellement connaissable par l’enquête, ne doit pas être confondue avec
l’illusion réaliste, qui croît en un accès direct et objectif à ce réel de référence, et
oublie que ce dernier est une construction sociale. L’illusion réaliste est
l’expression de la posture positiviste classique (ibid., p. 9).

Pour d’autres, comme Guba et Lincoln (1989, 1998, cités par Avenier & Thomas,
2011), « il n’existe pas de réalité objective, mais de multiples réalités socialement
construites » (Avenier & Thomas, 2011, p. 10). A la limite, il y aurait de ce fait autant de
« réalités que d’individus différents, à moins qu’ils ne partagent le même schème
d’interprétation de la réalité » (d’Amboise, 1996, p. 15).

Enfin, certains chercheurs ne se prononcent tout simplement pas, soutenant que ce qui
est important en définitif c’est la question de la construction rationnelle d’une connaissance
partagée.

En somme, pour les chercheurs constructivistes, l’essentiel se cristallise autour de la


question du schème d’interprétation « partagé » dont parle d’Amboise et qu’il s’agit pour le
chercheur de découvrir. Élaboré de manière rationnelle, ce schème doit rendre compte d’un
même « réel de référence », tout en acceptant l’inévitable relativisme qui caractérise cette
entreprise.

Enfin, pour les chercheurs qui se positionnent dans un paradigme constructiviste, le sens
se construit par le sujet observant dans la relation qu’il entretient avec le sujet observé. Ce
subjectivisme ne doit pas être confondu avec le relativisme dont on a parlé ci-avant (le
relativisme spécifie une relativité de perception et d’interprétation, variables selon le sujet
observateur). Il renvoie plutôt à l’idée d’un chercheur nécessairement sujet à part entière de la
relation qu’il établit, dans sa quête de compréhension, avec les acteurs de terrain. Elle
s’oppose à la conception positiviste de sujet neutre, « en dehors » de la relation et, à ce titre,
cherchant à ne pas l’influencer dans sa quête d’objectivité

15
» objectivité : « qualité de ce qui donne une représentation fidèle de la chose observée ,
voire qui « existe en soi », indépendamment du sujet pensant » (CNTRL, nd)10

 L’approche holistico-inductive

Dans l’approche holistico-inductive, le chercheur tente de faire abstraction de ses


préconceptions lors des contacts qu’il entreprend avec son terrain d’étude. A cet égard, les
chercheurs parlent de « suspendre » temporairement leur préconception, lCette posture
l’invite par là à écarter, provisoirement, le temps du travail empirique, tout présupposé
théorique qui risquerait de l’influencer lors de la collecte des données11, de leur analyse, et de
leur interprétation. Le chercheur « part du terrain » dans lequel il s’immerge de manière à en
comprendre pleinement les processus, les enjeux, les « tenants et aboutissants ». Elle est donc
inductive en ce sens qu’elle privilégie les informations qui proviennent du terrain et tente,
seulement par après, de construire un modèle compréhensif, particulier au milieu étudié. Cette
démarche mène à un savoir particulier (ou « savoir local ») qui ne peut immédiatement se
généraliser à d’autres contextes. D’autres études, complémentaires, parfois appelées « études
intersites », peuvent, par la confrontation des résultats obtenus pour chaque site, construire
progressivement un « savoir générique », valable dans les différents contextes.

Comme le précise d’Amboise (1996), le terme « holistico » fait référence au souci du


chercheur de comprendre le phénomène « en profondeur » et dans toutes ses manifestations,
dans son contexte et dans son environnement naturel. Au niveau méthodologique, ceci se
traduit par une attitude qui doit permettre au chercheur de laisser « venir à lui toutes les
informations susceptibles de jeter un éclairage sur le phénomène [étudié], quitte à les éliminer
plus tard si elles ne s’avèrent pas utiles » (op. cit., p. 76). A cet égard, on qualifie souvent
l’approche holistico-inductive d’intensive pour mettre l’accent sur la tentative du chercheur de
comprendre en profondeur « ce qui se passe » (le phénomène).

Ces traits singuliers distinguent assez nettement l’approche holistico-inductive de la


démarche hypothético-déductive à l’occasion de laquelle il s’agit, au contraire, d’isoler –
souvent même avant les premières collectes et analyse de données – un très petit nombre de
variables caractéristiques du phénomène étudié, conduisant le chercheur à pleinement se
concentrer sur ces variables. Cette démarche est souvent qualifiée d’extensive.

10
CNTRL, disponible en ligne : http://www.cnrtl.fr/definition/objectivit%C3%A9 [Consulté le 18 juin 2012]
11
En cohérence avec le paradigme de référence adopté dans cette approche (i.e. le constructivisme), les chercheurs
qualifient habituellement cette opération de « production » de données plutôt que de « collecte » ou de « recueil », voire
encore de l’amusante « cueillette » de données.

16
A ce stade de la lecture du cours, nous vous proposons une comparaison très
schématique des deux démarches abordées.

Démarche de recherche de type hypothético- Démarche de recherche de type holistico-


déductif inductif
Les variables révèlent le phénomène, étudié Le milieu révèle le phénomène, étudié dans
de préférence avec un certain détachement du le milieu naturel et donc singulier
contexte, du milieu, l’idéal étant - Approche compréhensive, holistique et
qu’il soit trans-contextuel de manière à intensive du phénomène étudié
favoriser la généralisation des résultats - Démarche inductive
- Approche explicative et extensive du - Centration sur le milieu,
phénomène aboutissant à élaborer ou à - Études fortement contextualisées et
conforter des règles, principes ou lois ouvertes à l’imprévu
généraux - Vise à produire un savoir, d’abord local,
- Démarche déductive rendant compte du complexe
- Centration sur les variables
- Faible contextualisation
- Peu ouvert à l’imprévu
- Vise (à produire, conforter ou invalider)
un savoir générique
Cette démarche est caractéristique de ce Cette démarche est privilégiée dans ce qu’on
qu’on appelle l’approche quantitative de la appelle l’approche qualitative de la
recherche, également intitulée recherche recherche, également intitulée recherche
quantitative qualitative
Tableau x : Comparaison synthétique entre une démarche hypothético-déductive et holistico-
inductive

 Exemple de recherche holistico-inductive, ancrée dans un paradigme


constructiviste

» Librement adapté de d’Amboise (1996, pp. 16-17)

» Ce tableau est provisoire. Il sera adapté dans une version ultérieure de ce document

1 Le confrère du chercheur de l’exemple précédent décide Idée et


d’étudier un sujet semblable mais en favorisant l’approche questionnement de
holistico-inductive. départ
Au cours de ses lectures exploratoires, il a découvert qu’il L’idée de départ, ainsi
existe une théorie expliquant la productivité au travail des qu’un premier
employés, en lien avec le style de leadership et de la questionnement
satisfaction des employés. général, émergent des
Cette théorie lui donne des idées et émoustille sa curiosité, intérêts du chercheur
mais il se détache pour l’instant des hypothèses qui y sont – y compris donc de
son expérience – et
formulées.
d’une exploration de
Ces lectures, ainsi que son intuition, ses facultés de la littérature.
raisonnement, ses expériences antérieures le conduisent à

17
élaborer un premier questionnement très général autour de
la productivité au travail. Ce questionnement se rapporte, de
manière assez large, sur les relations au travail et la
productivité.

2 Il choisit quatre entreprises manufacturières québécoises (ce Identification du


pourrait être une seule). Il s’assure ainsi la possibilité de terrain d’étude
comparer des situations aux contextes probablement
différents, ce qui lui permettrait de dépasser quelque peu la
production d’un savoir strictement localisé.

3 Il décide de découvrir ce milieu en se centrant plus Méthodologie »


particulièrement sur les relations entre employés et entre (production et analyse
supérieurs hiérarchiques et employés. Il interroge quelques des données selon une
personnes clés (appelés « informateurs privilégiés » en dynamique circulaire)
anthropologie).
Il passe de longues heures à recueillir les propos des
1)
employés et des supérieurs hiérarchiques mais également
d’autres acteurs susceptibles de l’informer (des Enquête
représentants syndicaux, des représentants des dirigeants, le exploratoire
personnel d’entretien etc.).
Il observe également les relations de travail, il s’immerge
dans le milieu pour en saisir le climat, les relations,
comprendre éventuellement les enjeux de pouvoir, les
processus de négociations etc.
Il consulte différents rapports internes susceptibles de
l’informer sur la productivité de la PME, des relations ou du
climat.
La recherche et l’analyse des données se fait sans
discrimination : il note « plus qu’il n’en faut », quitte à
éliminer de l’information plus tard si certaines informations
ne sont pas importantes.
Suite à ces premiers contacts avec le terrain, et à l’analyse-
interprétation de ce premier matériel, le chercheur précise
son questionnement.
Ainsi, il lui semble opportun et intéressant d’aborder plus
précisément la question des relations entre les employés et
leur supérieur hiérarchique immédiat et leur relation
éventuelle avec le climat de travail de ces employés.
Il s’engage à ce stade vers une nouvelle prise
d’informations, plus ciblée sur ce nouveau questionnement.

5 Il interviewe de manière plus ciblée et approfondie une 2)


sélection d’employés et de supérieurs hiérarchiques et
Enquête de terrain
essaye ainsi de comprendre la manière dont les acteurs
perçoivent les relations au travail, le climat etc.
Il cherche à obtenir le portrait le plus global (holistique) du

18
phénomène qu’il étudie.
Peu à peu, à force de comparaisons constantes au cours
desquelles le chercheur confronte les témoignages des
différents acteurs à des propositions émises provisoirement
sur la base de l’intuition du chercheur et des théories
existantes, des constantes émergent. Pour y arriver, il doit
donc ouvrir le champ de l’interprétation en consultant
abondamment la littérature.
Il découvre que le style de management adopté par le
supérieur direct est important, pour certains employés, dans
la perception du climat de travail.
Par la comparaison des différentes situations (les « cas »
constitués par les quatre PME), il semble que ce style
affecte la motivation, la perception du climat, le stress
ressenti et/ou l’engagement dans les tâches à réaliser.

6 Le temps est venu d’arrêter ces va-et-vient entre le terrain et Analyse des résultats
l’analyse exploratoire des données produites. et interprétation
Vient le temps de l’analyse plus systématique des données.
Progressivement, le chercheur construit un modèle de
compréhension qui rend compte du phénomène étudié dans
les quatre milieux étudiés. Il confronte ce modèle aux
théories existantes (littérature).

d’Amboise (1996, pp. 15-16) analyse cette situation en ces termes :

… le défi du chercheur est donc de réussir à percevoir un phénomène selon le


point de vue des sujets observés et d’essayer d’y découvrir des formes communes
de compréhension. Pour ce faire, l’approche holistico-inductive est favorisée. À
l’opposé de l’approche déductive, l’approche inductive va du particulier vers le
général. Selon cette approche, le chercheur tente initialement de faire
complètement abstraction de la théorie existante pour aborder le phénomène
particulier qu’il a choisi d’étudier avec le moins d’idées préconçues possible.

Une question générale de recherche peut être formulée, mais elle ne doit pas
restreindre ou entraver la cueillette (sic) d’informations.

Le chercheur recueille sur le terrain auprès des acteurs concernés des descriptions,
impressions ou explications des événements qu’ils vivent. De ces témoignages il
tente de dégager des schèmes communs d’interprétation qui expliqueraient
certains comportements. C’est ainsi qu’éventuellement émergent du terrain les
éléments d’une théorie quelquefois qualifiée de particulière.

Cette théorie est susceptible d’acquérir une portée plus générale si le processus de
recherche est poursuivi sur d’autres terrains et dépasse ainsi le cadre du
phénomène particulier initialement étudié.

19
Comme nous le voyons par cet exemple, les risques rencontrés par un chercheur
impliqué dans une telle démarche sont multiples. Nous en citerons quelques uns auxquels
nous invitons le chercheur novice à être très attentif :

• Le risque de se trouver rapidement submergé par la quantité abondante


d’informations.

• Le risque de vouloir toujours en savoir plus du terrain ce qui renforce outre le


premier risque énoncé, celui 1) d’entraver l’identification des tendances et 2)
d’alimenter le confort que le chercheur ressent à rester sur le terrain (il faut pouvoir
décider de « sortir du terrain » et d’arrêter de prendre de nouvelles informations).

• Le risque de se laisser entraîner dans des voies peu fructueuses en se laissant guider
par des événements qui le détournent du questionnement principal.

II. Approches qualitative et quantitative dans les recherches empiriques

» Sera abordé dans cette partie la manière opérationnelle dont les deux approches
épistémologique présentées ci-avant peuvent prendre corps à l’occasion de
recherches effectivement menées sur le terrain de l’empirique.

» Nous verrons que l’on peut établir une association relativement simple entre chacune
des deux démarches présentées dans la partie antérieure, la démarche hypothético-
déductive et la démarche holistico-inductive, et chacune des deux approches de
recherche développées dans cette partie : l’approche quantitative (en lien avec la
démarche hypothético-déductive) et l’approche qualitative (en lien avec la démarche
holistico-inductive). A ce titre les exemples de recherche ci-avant restent tout à fait
valables pour illustrer l’approche quantitative pour l’un et qualitative pour l’autre.

» A l’inverse, une association stricte entre un paradigme épistémologique (positiviste


ou constructiviste) et une démarche (hypothético-déductive ou holistico-inductive)
ou une approche de la recherche (approche qualitative ou quantitative) est plus
hasardeuse comme nous l’avons déjà souligné. Moyennant quelques précautions, une
approche quantitative (qui adopte, par définition, une démarche hypothético-
déductive) peut très bien prendre le contre-pied des postulats d’un paradigme
positiviste pour s’inscrire dans un paradigme constructiviste. Bien entendu ce
changement de paradigme ne se fait pas sans conséquence (impact en particulier sur
la posture du chercheur, sur l’interprétation et la généralisation des résultats).

20
Il est d’usage de distinguer les recherches empiriques en sciences humaines et sociales –
dont les sciences de l’éducation – selon qu’elles s’inscrivent dans une approche qualitative ou
quantitative. Contrairement à une idée largement répandue, cette distinction ne tient pas au
type de données, qualitatif (matériel non numérisé tel le discours écrit ou oral par exemple) ou
quantitatif (matériel numérique tel le nombre d’occurrences d’un thème que l’on retrouve
dans un discours), que le chercheur est amené à produire et, par la suite, à analyser et à
interpréter. Ainsi, il ne suffit pas de « traiter » des données qualitatives pour considérer que
l’on se situe dans une approche qualitative. De même, une approche quantitative ne se
caractérise pas fondamentalement par le type de données (quantitatives) qu’elle permet de
produire et qu’elle s’apprête à analyser.

» Qu’entend-on par « données » ? : Rejoignant les conceptions d’Olivier De Sardan


(2008), nous considèrerons que les données « ne sont pas des « morceaux de réel »
cueillis et conservés tels quels par le chercheur (illusion positiviste), pas plus qu’elles
ne sont de pures constructions de son esprit ou de sa sensibilité (illusion
subjectiviste). Les données sont la transformation en traces objectivées de
« morceaux de réels », de fragments du réel de référence tels qu’ils ont été sollicités,
sélectionnés et perçus par le chercheur. » (Olivier De Sardan, 2008, p. 5012)

Comme nous le verrons par la suite, une approche déterminée, quantitative par exemple,
peut très bien conduire le chercheur, pour répondre aux buts qu’il poursuit, à recueillir (ou à
« produire »), et à analyser par la suite, des données à la fois quantitatives et qualitatives
(méthode mixte d’analyse des données). Ainsi, il n’est pas rare qu’à l’occasion d’une
recherche dite quantitative (i.e. s’inscrivant dans une approche quantitative), on analyse des
données quantitatives et, après leur interprétation, on mobilise ensuite des données
qualitatives complémentaires pour affiner, préciser ou mettre à l’épreuve ses premiers
résultats par l’analyse de données de nature qualitative.

Par commodité, l’opposition entre « qualitatif » et « quantitatif » est néanmoins


régulièrement mise en avant sans savoir précisément si l’on se réfère aux types de données
analysées (discours vs nombre par exemple), aux techniques de recueil ou de production de
données (observation informelle vs observation structurée par exemple ou questions à
réponses ouvertes vs à réponses fermées, entretien vs test, etc.), à la méthode d’analyse
(interprétation strictement qualitative vs dénombrement par exemple) ou à l’approche

12
Olivier De Sardan, J.-P. (2008). La rigueur du qualitatif, Louvain-La-Neuve : Bruylant-Academia.

21
générale adoptée dans la recherche. La position prise dans ce texte consiste, au contraire, à
toujours bien préciser si l’on désire qualifier l’un (approche générale de la recherche
empirique) ou l’autre (analyse de données).

La distinction qui nous paraît la plus appropriée pour distinguer l’approche quantitative
de l’approche qualitative tient essentiellement de celle mise en avant antérieurement dans ce
texte entre démarche hypothético-déductive et holistico-inductive.

Dans les lignes qui suivent, nous présenterons plus en détails ce qui caractérise l’une et
l’autre de ces deux approches. En guise d’introduction, nous relayons les grandes différences
que des auteurs comme Depover (2009) entrevoit entre ces deux types de recherches :

[…] le point de départ d’une recherche [dite « quantitative »] est généralement la


formulation d’hypothèses et de questions de recherche qu’il s’agit de vérifier.
Comme nous l’avons déjà souligné, la démarche basée sur la formulation
d’hypothèses et leur vérification à partir des données recueillies est
fondamentalement de nature déductive alors que les tenants des approches
qualitatives s’inscrivent davantage dans un cheminement inductif. Dans les
ouvrages anglo-saxons, on parle de « Theory-driven research » (Recherche
orientée par la théorie) pour l’approche déductive et de « Theory-building
research » (Recherche visant à construire une théorie) pour les recherches
inductives.

L’approche inductive en matière de recherche implique une appréhension directe


des phénomènes et des acteurs impliqués sans représentation préalable de ceux-ci
par le chercheur. Plutôt que d’aborder les choses à partir d’instruments de récolte
et d’analyse des données préstructurés, l’ambition du chercheur sera plutôt de
rester ouvert à l’ensemble des manifestations d’une réalité afin de l’appréhender
sous ses différentes facettes. Ainsi, alors que pour une recherche quantitative, le
chercheur se dotera d’outils d’observations finement calibrés (questionnaire
d’opinion, grille d’observation…), une approche qualitative privilégiera la
capacité du chercheur à saisir la dynamique des acteurs et la variabilité des
contextes étudiés. C’est pour ces raisons que le chercheur, qui se réfère à la
recherche qualitative, évitera d’établir des hypothèses avant de collecter ses
données de manière à éviter d’aborder les phénomènes étudiés avec une
représentation déjà préconstituée de ceux-ci.

Avant d’aborder plus en détails les approches quantitative et qualitative, rappelons


! l’esprit dans lequel nous envisageons la conduite d’une recherche. A l’instar de De
Ketele & Maroy (2006, p. 225), nous considérons en effet que « si la fonction de la
recherche est unique et commune à toutes les recherches qualifiables de scientifiques
(développer un corps de connaissance à partir de divers ensembles de recherches), la
recherche comme processus et la recherche comme produit supposent de nombreuses
approches, diversifiées et complémentaires. Et il est vain de vouloir établir une

22
hiérarchie entre les diverses approches » (nous soulignons).

1. Approche quantitative

Nous l’avons souligné, une approche quantitative ne s’inscrit pas nécessairement dans
un paradigme positiviste même si, historiquement, les deux sont intimement liés. Par contre,
la démarche adoptée par une approche quantitative est essentiellement hypothético-déductive
en ce sens qu’elle commence classiquement par une hypothèse (H) ou une question de
recherche (QR) habituellement construite sur la base d’une analyse de la littérature13 et qu’elle
se poursuit par l’élaboration et l’application d’un plan de recherche destiné à éprouver14
l’hypothèse ou à répondre15 à la question posée. Le terme déductif signifie que le mouvement
de la recherche est foncièrement descendant, partant du général (une théorie, une loi, un
principe, une « tendance » de résultats empiriques convergents) que l’on veut aborder vers le
particulier (une étude contextualisée, une expérience spécifique) susceptible de confirmer,
d’infirmer ou de revoir ce « général ». Ce mouvement descendant part des acquis déjà
engrangés par les recherches précédentes autorisant le chercheur à formuler une nouvelle
interrogation et se dirige – dans un second temps – vers une prise d’informations auprès du
terrain d’étude.

Nous pouvons schématiser ce mouvement sous cette forme :

Théorie spéculative ou fondée par des recherches antérieures


» Interrogation
» Nouvelle étude contextualisée
De manière plus détaillée, les étapes qui ponctuent une recherche caractéristique d’une
approche quantitative se présentent de la manière suivante :

1 Analyse de la littérature et problématisation du sujet traité


2 Élaboration d’hypothèses ou de questions de recherche
Phase de préparation
de la recherche Construction de la méthodologie : plan de recherche,
3 protocole de production des données, méthodologie d’analyse
des données...
Phase d’exécution de 4 Production/recueil des données
la recherche 5 Analyse des données - interprétation et discussion des

13
Pas seulement, l’expérience accumulée du chercheur (ou de l’équipe de recherche) peut également contribuer utilement à
élaborer une hypothèse ou une question de recherche pertinente.
14
Dans la littérature, les auteurs utilisent fréquemment les termes « tester » ou « valider » une hypothèse
15
De manière plus nuancée, il s’agit plutôt d’alimenter la question en éléments de réponse de manière à souligner qu’une
question, dans la recherche scientifique en sciences humaines et sociales, ne donne que très rarement lieu à « une »
réponse, définitive de surcroît.

23
résultats
6 Conclusions, limites de la recherche et perspectives
Comme nous le verrons par la suite, une approche quantitative se distingue d’une
approche qualitative par la plus grande linéarité des étapes qui rythment le déroulement de la
recherche. En théorie du moins, les étapes se succèdent, les unes après les autres, dans l’ordre
qui est présenté ci-dessus. Durant la phase préparatoire essentiellement, il est toutefois
courant – et conseillé – de tirer parti des enseignements issus d’une étape déterminée et de
« revenir en arrière », de façon à rectifier ou à approfondir quelque peu les résultats d’une
étape antérieure. Une hypothèse ou une question de recherche s’élabore ainsi
progressivement, non seulement en regard de la littérature mais également par sa
confrontation à la méthodologie envisagée. Les questions qui se posent peuvent se formuler
en ces termes (pour une question de recherche par exemple) : « Vais-je pouvoir répondre à la
question de recherche telle que je l’ai formulée et telle que j’ai prévu de mettre en œuvre ma
méthodologie ? » ; « Est-ce réaliste ? Est-ce « faisable » ? » ; « Ne dois-je pas reformuler
l’une (la question) et/ou revoir l’autre (la méthodologie) ? ».

Dans une approche quantitative cependant, les deux phases – de préparation et


d’exécution – sont relativement16 étanches, le point de non retour se situant au moment où le
chercheur entame l’étape de collecte/production des données auprès de son échantillon. De
cette caractéristique de l’approche quantitative, il s’agit surtout de retenir qu’il est déconseillé
de modifier les règles méthodologiques que l’on s’est fixé pour collecter/produire les données
et les analyser durant les étapes de collecte/production et d’analyse des données. En somme,
on ne peut pas « changer les règles en cours de jeu ». Cette contrainte est bien plus souple
dans une approche qualitative, les modifications apportées en « cours de route » à la
méthodologie étant autorisées – voire même souhaitées dans cette approche – si, du moins,
elles sont 1) dument justifiées par les visées (compréhensives) de l’étude et 2) explicitement
traduites dans le rapport de recherche.

Le but principal, et dirions-nous unique, poursuivi par une recherche quantitative est
d’aboutir, par l’étude de régularités ou par la comparaison des situations contrastées, à une
connaissance transférable à des terrains autres que celui qui a fait l’objet de la recherche,
voire à des contextes sensiblement différents. Elle vise à construire de ce fait un « savoir
générique ».

16
« Relativement » car là aussi, certaines étapes, dont la discussion en particulier demandera très souvent de retourner à la
littérature afin de confronter les résultats de la recherche avec ceux obtenus par d’autres chercheurs. Cette confrontation
est l’objet de la partie « Discussion » du rapport de recherche.

24
Ce n’est, par contre, pas le but premier ou unique d’une recherche s’inscrivant dans une
approche qualitative comme nous le verrons par la suite.

Dans une approche quantitative, ce « transfert » – cette « généralisation » des résultats à


un ensemble plus vaste de situations – ne peut s’effectuer que si des conditions strictes ont été
respectées durant l’étude. Outre le respect des conditions statistiques inhérentes à l’analyse de
données quantitatives17, la méthodologie doit permettre :

• d’assurer à l’échantillon sa représentativité de la population vers laquelle on veut


généraliser les résultats ;

• de contrôler les effets possibles des variables autres que celles étudiées susceptibles
d’agir sur le phénomène analysé ;

• de garantir la validité et la fidélité des mesures effectuées.

2. Approche qualitative

Selon la plupart des chercheurs, la recherche qualitative ne se caractérise pas par


les données, puisqu’elles peuvent aussi être quantifiées, mais bien par sa méthode
d’analyse qui n’est pas mathématique (Strauss et Corbin, 1990). Selon Deslauriers
(1991), si tous les auteurs ne s’entendent pas sur la définition de la recherche
qualitative, la plupart lui attribuent des caractéristiques semblables (Bogdan &
Biklen, 1982; Denzin, 1978; Taylor & Bogdan, 1984; Van Maanen, 1983). On
considère que la méthode qualitative traite des données difficilement
quantifiables, qu’elle recourt à une méthode d’analyse souple et davantage
inductive et qu’elle s’inspire de l’expérience de la vie quotidienne et du sens
commun qu’elle essaie de systématiser (Douglas, 1976) (Nguyên-Duy &
Luckerhoff, 200, p.8)

Une approche qualitative se distingue essentiellement d’une approche quantitative dans


la mesure où elle procède, schématiquement, de manière inductive (en réalité, elle procède
souvent de manière « circulaire », nous y reviendrons). Ainsi, la dynamique adoptée dans
cette première approche tend, d’une manière générale, à « partir » de la découverte et de
l’étude approfondie d’un « terrain » spécifique d’étude, sans que le chercheur n’ait, au départ,
d’hypothèse précise et, encore moins, définitive. Ces recherches se consacrent généralement à
l’étude d’un ou de quelques cas singuliers. On parle à cet égard de recherches idiographiques
(idiographic research). Elles procèdent dans bien des cas à des études de cas fondées sur
l’analyse de données qualitatives (discours, observation…) dont elles tentent de comprendre
le sens en regard du contexte. Ce sont foncièrement des études réalisées en milieux

17
Ces conditions, parfois complexes, sont abondamment détaillées dans les cours de statistiques inférentielles.

25
« écologiques », réalisées sur le « terrain », avec un souci constant d’éviter, par les
interventions du chercheur, d’en altérer ses caractéristiques. Ces recherches privilégient
l’analyse qualitative des données, à savoir l’analyse du matériel étudié sans « quantification ».
Cette analyse s’opère donc, dans cette situation, sans transformation numérique des données
de départ.

La « recherche qualitative » privilégie ainsi une attitude naturaliste en se donnant pour


but premier de décrire et de comprendre les phénomènes étudiés dans leur contexte « naturel »
d’observation (Nguyên-Duy & Luckerhoff, 200, p.8).

Le parti-pris naturaliste des méthodes qualitatives les a conduit à privilégier une


méthode souple qui fait la part belle à l’induction, à l’enquête terrain et aux
descriptions détaillées, holistiques et compréhensives (ibid.).

Si, comme le soulignent Avenier & Thomas (201118), ces recherches peuvent
s’alimenter de données quantitatives, ces dernières, tout comme les données qualitatives, ne
concernent que le ou les cas étudiés et ne modifie pas le caractère foncièrement idiographique
– et donc qualitatif – de l’étude.

Comme le précise Depover (2009)19, l’approche qualitative, fondamentalement


inductive, implique une appréhension des phénomènes étudiés en limitant les représentations
préalables de ceux-ci par le chercheur. Plutôt que d’aborder l’étude des phénomènes à partir
d’instruments préstructurés et de méthodes préétablies, la posture du chercheur est au
contraire de rester ouvert et attentif aux nouvelles informations, parfois inattendues, dans le
but d’appréhender l’objet d’étude sous ses différentes facettes.

Ainsi, alors que pour une recherche quantitative, le chercheur se dotera d’outils
d’observations finement calibrés (questionnaire d’opinion, grille
d’observation…), une approche qualitative privilégiera la capacité du chercheur à
saisir la dynamique des acteurs et la variabilité des contextes étudiés. C’est pour
ces raisons que le chercheur, qui se réfère à la recherche qualitative, évitera
d’établir des hypothèses avant de collecter ses données de manière à éviter
d’aborder les phénomènes étudiés avec une représentation déjà préconstituée de
ceux-ci (Depover, 2009)

Bien au contraire en effet, le chercheur tient à rester ouvert à de nouvelles voies qui se
dégageraient progressivement, au fur à mesure de la découverte de son terrain d’étude.

18
Avenier, M.-J., Thomas, C. (2011). Mixer quali et quanti pour quoi faire ? Méthodologie sans épistémologie n'est que
ruine de la réflexion !, Cahier de Recherche n°2011-06 E4, CERAG (http://halshs.archives-
ouvertes.fr/docs/00/64/43/03/PDF/CR_2011-06_E4.pdf)
19
Depover, C. (2009). Méthodes et outils de recherche en sciences de l’éducation DESTE, Université de Mons, Mons,
2009. Disponible en ligne : http://ute.umh.ac.be/ped/ [Consulté le 20 Septembre 2010]

26
 Le travail et l’importance du questionnement

Sans questions préalables, sans curiosité intellectuellement préprogrammée, sans


problématique initiale, le chercheur ne peut produire des données significatives
(Olivier de Sardan, 2008, p. 50).

Il est important de souligner que le chercheur qui s’engage à découvrir son terrain
d’étude est conduit par un questionnement – général d’abord, plus précis par la suite – qui le
guide tout au long du chemin. Ce questionnement initial – nourri par la littérature, les intérêts
et l’expérience du chercheur, voire de son intuition de départ – est amené à se préciser au
contact du terrain. Le chercheur « qualitatif » n’est donc pas un individu totalement naïf,
dénué de toutes préconceptions. Il ne part pas à la découverte de son terrain sans un travail
préalable de réflexion et de recherche – ce qui lui permet d’entamer sa découverte du terrain
avec un questionnement, une orientation de recherche – mais tente de ne pas se laisser
conduire par des préconceptions susceptibles d’affecter une compréhension large et fine des
phénomènes observés. En somme, le chercheur « qualitatif » reste ouvert à la découverte de
nouveaux éléments, de nouvelles relations, de nouveaux enjeux. On dit habituellement que le
chercheur engagé dans une approche qualitative « suspend » provisoirement le recours à ses
cadres théoriques. Il se garde d’interprétation hâtive induite par ses préconceptions théoriques
ou expérientielles.

» Retenons que la question initiale du chercheur qualitatif s’affine et se précise


progressivement « au contact » du terrain, pour aboutir in fine à l’élaboration d’une
question de recherche plus précise et plus opérationnelle.

Comme l’illustre cette figure, quelque peu schématique, ce travail


d’élaboration préalable suit une dynamique circulaire qui engage le
chercheur à confronter constamment ses pistes de compréhension aux
données du terrain.

Cette approche qualitative privilégie ainsi la compréhension d’une situation complexe


dans laquelle de multiples facteurs interviennent sur les observations qui sont menées. Il n’est
donc pas aisé de distinguer ce qui, dans la situation étudiée, relève du spécifique et du
« partagé » avec d’autres situations vis-à-vis desquelles on prétendra, le cas échéant, étendre
ses conclusions (i.e. généralisation).

 Savoir local et savoir générique

27
L’intervention de multiples sources de variations non contrôlées aboutit à un savoir plus
« local » que dans les recherches dites quantitatives car la connaissance construite est souvent
intimement liée aux particularités du terrain, ce qui rend les résultats plus valides (validité
interne) mais peu transférables à des situations et à des contextes différents de ceux étudiés
(validité externe). Cette limitation n’enlève cependant pas l’intérêt qu’il y a d’opter pour une
telle approche quand la préoccupation du chercheur est de mieux « comprendre » un
phénomène social « en situation ». De plus, ces savoirs locaux, construits à partir d’études de
cas singuliers peuvent élaborer progressivement des savoirs génériques, par la comparaison, la
confrontation ou la mise en relation de savoirs locaux dans différents contextes, ce qui devrait
rendre possible, selon Avenier & Thomas (2011), la mise en évidence de méta-relations entre
savoirs locaux.

» La prise de conscience assumée de la distinction entre savoir « local » et


« générique » nous semble particulièrement utile dans la mesure où elle permet de se
garder d’une généralisation abusive de résultats observés dans une situation
singulière en avançant des tendances générales présumées pour un ensemble de
situations différentes (savoir générique). Cette prudence est également de mise pour
les recherches dites « quantitatives ».

» Savoir local : Un savoir sera dit local lorsqu’il est élaboré à partir de cas singuliers et
qu’il constitue une connaissance. Comme l’indique Avenier & Albert (2009, p.9)20,
cette dénomination « vise à souligner le caractère local et situé de leur élaboration
et de leur légitimation. En effet, les savoirs locaux ont pour principale légitimation
le fait d'avoir été élaborés par le chercheur à partir de sa compréhension
d'informations obtenues au cours du travail empirique mené dans des organisations
qui opèrent dans certains contextes, à partir de l’étude de certains documents, ainsi
que de certains entretiens et observations réalisés à une certaine date, avec certains
acteurs à un certain moment de leur histoire, etc. etc. »

Exemple (de Avenier & Albert, 2009) : « La triangulation et la comparaison


d’informations recueillies par différentes techniques, ont fait apparaître deux types
de management différents sur des sites différents de l’entreprise étudiée : l’un assez
proche d’un management tel que présenté dans la littérature concernant les

20
Avenier, M.-J. & Albert, M.-N. (2009). Légitimation de savoirs académiques en GRH tirant parti de l’expérience de
praticiens dans une épistémologie constructiviste, Actes du congrès AGRH 2009, Toulouse. Disponible en ligne :
http://www.reims-ms.fr/agrh/docs/actes-agrh/pdf-des-actes/2009avenier-albert006.pdf [Consulté le 18 septembre 2012]

28
entreprises de la grande distribution ; l’autre y associant la typicité des entreprises
familiales. Dans cette seconde forme de management, certains phénomènes ont été
interprétés comme témoignant de la possibilité de combinaison d’engagement
interne et d’engagement externe. »

» Savoir générique : Un savoir générique exprime des connaissances qui ont trait à des
« genres » de phénomènes (Dewey, 1938, cité par Avenier & Thomas, 2011). Ce
savoir est construit à partir d’un travail qui porte sur un ensemble de savoirs locaux.
Selon Prasada (2000, cité par Avenier & Albert 2009, « Légitimation de savoirs
académiques en GRH tirant parti de l’expérience de praticiens dans une
épistémologie constructiviste », p.9), un savoir générique tente de rendre compte des
propriétés considérées essentielles pour caractériser le phénomène étudié. Avenier &
Albert (2009, p. 10) : « ceci alors que ce savoir n'est pas rendu invalide par
l'existence de ce qui pourrait être considéré comme un contre-exemple. Par exemple,
le fait que certains chiens n'aient que trois pattes ne rend pas invalide l'énoncé selon
lequel les chiens sont des animaux à quatre pattes. En outre, lorsqu'un certain genre
de phénomène a certaines propriétés, ceci n'est pas considéré comme résultant
nécessairement de mécanismes sous-jacents cachés. »

Exemple (de Avenier & Albert, 2009) : « Si l’on adopte une attitude d’ouverture à
l’autre, si les objectifs de l’organisation sont compatibles avec les objectifs des
individus, l’engagement externe et l’engagement interne peuvent se développer au
travers d’une boucle récursive, et permettre ainsi à la fois aux individus de vivre
positivement l’engagement externe et aux organisations d’améliorer leur situation »

Dans une approche qualitative, l’élaboration d’un savoir générique s’effectue par un
double processus complémentaire de décontextualisation du savoir constitué
localement – mené par la comparaison de multiples savoirs locaux « situés » dans
des contextes différents – ainsi que par la confrontation des tendances qui se
dessinent avec les savoirs publiés (Avenier & Albert, 2009).

29
 L’itération caractéristique de l’approche qualitative

Une caractéristique d’une recherche dite qualitative réside également dans la


coexistence temporelle de la phase de production de données et celle de leur analyse. Alors
que dans une approche quantitative les deux étapes sont généralement distinguées, l’analyse
de l’ensemble des données suivant chronologiquement leur recueil, le « chercheur qualitatif »
procède le plus souvent par va-et-vient entre collecte et analyse, ce qui lui permet de retourner
au terrain après avoir dégagé éventuellement les premières tendances – toute provisoires – qui
se dégagent de l’analyse d’une première prise d’informations. Dans cette approche en somme,
le savoir se construit progressivement, par un processus circulaire, et non linéairement.
Olivier De Sardan (2008, p. 82) parle d’un travail d’itérations, concrètes et abstraites, en ces
termes :

L’enquête de terrain procède par itération, c’est-à-dire par allers et retours, va-et-
vient. On pourrait parler d’itérations concrètes (l’enquête progresse de façon non
linéaire entre les informateurs et les informations) et d’itérations abstraites (la
production de données modifie la problématique qui modifie la production de
données qui modifie la problématique).

Enfin, le « chercheur qualitatif » se trouve dans une posture, assumée, d’acteur


immanquablement « immergé » dans le contexte qu’il observe alors que dans une approche
quantitative, il convient plutôt d’adopter une position de neutralité distante de manière à ne
pas influer sur les phénomènes qu’il observe.

 Détour analogique : l’enquête policière

Mener une recherche qualitative est similaire, à certains égards, à mener une enquête
policière à l’exception près toutefois que très rarement le chercheur en sciences de l’éducation
aboutit à la découverte d’un coupable. Il doit souvent se contenter d’indices qui, dans la
meilleure des situations, convergent pour indiquer des tendances ou des pistes que d’autres
pourront explorer à leur tour.

La démarche d’investigation que mène un enquêteur, telle du moins qu’elle est


présentée dans les romans policiers, est très bien décrite dans le passage d’un thriller à succès
(Verdon, 2010, pp. 171-172)21.

Ce que faisaient les bons détectives – ce que faisait le détective sur le seuil,
Gurney n’en doutait pas –, c’était une sorte de va-et-vient inconscient entre les

21
Verdon, J. (2010). 658

30
démarches inductive et déductive. Qu’est-ce que je vois ici, et quelle succession
d’événements ces différentes données suggèrent-elles ?

La clé, Gurney en avait acquis la certitude après bien des tâtonnements et des faux
pas, c’était de maintenir un bon équilibre entre observation et intuition. Le plus
grand danger résidait dans l’ego. Un enquêteur hésitant sur l’explication possible
des éléments d’une scène de crime risquait de gaspiller du temps en n’orientant
pas assez vite les efforts de son équipe dans une direction précise, mais le type qui
savait au premier coup d’œil – et le clamait haut et fort –ce qui s’était passé dans
une pièce éclaboussée de sang et qui mettait tout le monde sur les dents pour
prouver qu’il avait raison pouvait finir par causer de très sérieux problèmes – le
moindre étant le temps perdu.

 Qualités d’une recherche « qualitative »

Selon Groulx (1999, cité par Charmillot & Dayer, 200722), une recherche de qualité qui
vise la « plausibilité » des données et la « crédibilité » des analyses doit respecter trois
conditions.

Si, dans une telle approche qualitative, le chercheur doit s’immerger dans le contexte
pour comprendre les phénomènes dans toute leur finesse et leur complexité mais également
pour interpréter « justement » la signification et le sens du discours des acteurs (condition 1)
(voir Olivier De Sardan, 2008), il doit également se détacher suffisamment de façon à
développer une analyse « neutre » de ce qui est observé (condition 2). Enfin, troisième
condition, le chercheur doit « questionner ses interprétations par un retour constant à son
matériel » (Charmillot & Dayer, 2007, p. 128) de même que d’éprouver les conclusions
provisoires par de nouvelles données.

 Quelques extraits en guise d’exemple d’une approche qualitative


« interactionniste »

Morrissette, J., Guignon, S., Demazière, D. (2011). De l’usage des perspectives


interactionnistes en recherche, Recherches qualitatives, Vol. 30, N°1, pp. 1-7

p.4 : « les chercheuses et chercheurs qui mobilisent une perspective


interactionniste inspirée de la tradition de Chicago assument des orientations
théoriques et méthodologiques variées. Cependant, comme les premiers
sociologues de Chicago, la plupart puisent à la sociologie compréhensive de
Mead (1863-1931) qui conduit à privilégier des problématiques attentives à
l’univers de significations auquel les acteurs se réfèrent et donc aux logiques qui
sous-tendent leurs actions. Les chercheuses et les chercheurs qui inscrivent leurs
travaux dans cette tradition de recherche s’attachent par conséquent à étudier les

22
Charmillot, M., Dayer, C. (2007). Démarche compréhensive et méthodes qualitatives - clarifications épistémologiques,
Actes du colloque Bilan et prospectives de la recherche qualitative, Association pour la recherche qualitative

31
phénomènes sociaux sous l’angle des interactions qui lient les acteurs au
quotidien, et s’intéressent aux significations qu’ils engagent dans ces
interactions. En outre, comme le relèvent Becker et McCall (1990), ils sont
fédérés par quelques concepts – pensons à celui de « définition de la situation »
(Thomas, 1923) – et par une approche d’analyse inductive – pensons à la
théorie ancrée (Grounded Theory), développée initialement par Barney Glaser et
Anselm Strauss (1967/2010) – qui encore aujourd’hui se révèlent féconds dans
nombre de recherches qualitatives. Enfin, ils ont aussi en commun un intérêt
pour l’expérience quotidienne, adoptant une vision circulaire de la construction
du monde social, et mobilisent des démarches méthodologiques permettant
d’appréhender cette expérience et ses significations négociées. »

Morrissette, J. (2011). Vers un cadre d’analyse interactionniste des pratiques


professionnelles, Recherches qualitatives, Vol. 30, N°1, pp. 10-32

p.10

Cette contribution vise à rendre compte d’une avancée méthodologique réalisée


dans le cadre d’une recherche doctorale qui a documenté les « manières de faire »
l’évaluation formative des apprentissages de cinq enseignantes du primaire. La
prise en compte de l’interaction entre les participantes lors des entretiens de
groupe, effectuée à partir d’une thématisation du contenu discursif ainsi que
d’une analyse de conversations, a en effet permis de dégager un cadre d’analyse
susceptible d’éclairer différentes pratiques professionnelles. Ainsi ont été dégagés
des conventions d’une culture professionnelle à partir des« manières de faire
partagées », des routines et théories-en-usage singulières à partir des « manières
de faire admises » et des accords pragmatiques qui montrent comment des
praticiennes s’« arrangent » au quotidien avec certaines contraintes
institutionnelles ou pressions sociales à partir des « manières de faire contestées
». Cette avancée méthodologique est donc tributaire de la posture interactionniste
assumée dans le cadre de cette recherche.

p. 13 :

Cinq enseignantes du primaire (de la 4e à la 6e année) ont participé à cette


recherche qui privilégiait un rapport non prescriptif, le contrat collaboratif passé
avec elles les invitant à s’engager dans une relation de complémentarité. Il s’agit
d’enseignantes « ordinaires » qui se sont portées volontaires à la suite de la
présentation du projet à l’ensemble des enseignants de l’école. Ainsi, aucune
sélection n’a été opérée relativement à leur niveau d’enseignement, à leur nombre
d’années d’expérience ou encore à leur réputation (reputational method of
selection, Hunter, 1953). Concrètement, trois types d’activités réflexives ont été
proposées en alternance (de juin à décembre 2006). J’ai produit des bandes vidéo
dans leur classe (3) en leur demandant de les visionner pour elles-mêmes et, le
cas échéant, d’y identifier des épisodes d’évaluation formative. Puis des entretiens
individuels (3) ont eu lieu, reposant sur un protocole de rétroaction vidéo appelé
« réflexion partagée » (Tochon, 1996), susceptible de favoriser la coconstruction
de savoirs utiles au développement professionnel. Lors de ces entretiens, les
participantes étaient invitées à présenter les épisodes identifiés et à expliciter leurs
« manières de faire » (de Certeau, 1990), c’est-à-dire à rendre explicite le

32
rationnel de leur expérience. Ces deux types d’activité faisaient partie d’un
contexte préparatoire aux entretiens de groupe (5) réalisés en alternance, dans le
cadre desquels les enseignantes étaient invitées à rapporter des épisodes
d’évaluation formative ainsi qu’à commenter les pratiques narrées par leurs pairs,
à en négocier le sens, voire à en débattre, et ce, à partir de l’ancrage dans
l’expérience favorisé par les entretiens individuels. »

3. Complémentarité entre recherches, complémentarité entre approches

Si la fonction de la recherche est unique et commune à toutes les recherches


qualifiables de scientifiques (développer un corps de connaissance à partir de
divers ensembles de recherches), la recherche comme processus et la recherche
comme produit supposent de nombreuses approches, diversifiées et
complémentaires. Et il est vain de vouloir établir une hiérarchie entre les diverses
approches (De Ketele & Maroy, 2006, p. 225).

En sciences humaines et sociales, une recherche isolée est toujours une œuvre
inachevée. Elle ne prend tout son sens que dans un ensemble plus vaste de recherches qui,
dans un champ d’étude déterminé, concourent, par des résultats convergents à dégager
d’abord et à consolider ensuite des tendances. On parle parfois de triangulation séquentielle
pour qualifier la démarche entreprise par les recherches qui sont conduites les unes après les
autres afin de conforter une théorie. Ces recherches n’adoptent pas nécessairement la même
méthodologie, le contraire, comme nous le verrons par la suite, est même souhaitable.

Un devoir de grande humilité s’impose donc au chercheur qui ne peut, seul et de


surcroît en une seule recherche, quelles qu’en soient ses qualités, aboutir à des résultats
définitifs. De Ketele et Maroy (2006, p. 224) traduisent très bien, dans l’extrait qui suit, l’état
forcément lacunaire d’une recherche isolée.

La tentation, bien humaine, du chercheur qui veut à tout prix montrer que la conclusion
de sa recherche est une conclusion incontournable n'est pas raisonnable, car c'est nier le
principe de la réfutabilité et le fait que toute conclusion peut être contredite ou
relativisée par les recherches ultérieures, comme le montre bien l'histoire de la science.
Dans cinquante ans, quels sont les chercheurs de la moitié de notre siècle qui se
souviendront encore des chercheurs qui ont contribué à cet ouvrage ? Il est peu probable
qu'un seul d'entre nous passe à la postérité. Et cependant, puisque la recherche est un
processus qui se construit dans un temps très long et qui se fait autant par de
nombreuses et minutieuses études très vite oubliées que par de rares études qui
deviendront célèbres, il importe de reconnaître l'importance de ces chercheurs de
l'ombre et de leurs travaux. C'est en grande partie grâce à eux et à leurs travaux que
certains chercheurs et certaines études pourront être distingués et passer à la postérité. »
En outre, c’est bien souvent à partir de recherches méthodologiquement différentes que
les tendances, un jour esquissées, sont progressivement consolidées ou écartées. On parle, à
cet égard, de triangulation. L’approche par triangulation vise à conforter les résultats d’une

33
recherche en multipliant les méthodes utilisées (diversité méthodologique), les chercheurs
impliqués (diversité des points de vue) et les sources de données (diversité des données)
(Quintin, 2008).

Pour Olivier De Sardan (2008, p. 79-80), la triangulation est le principe de base de toute
enquête. « Qu’elle soit policière ou ethnographique, il faut recouper les informations ! Toute
information émanant d’une seule personne est à vérifier ; c’est vrai pour un alibi comme pour
une représentation rituelle. Ceci semble relever du bon sens, et les historiens ont mis (en
œuvre ce principe depuis longtemps ».

III. Démarche scientifique

Quel que le paradigme adopté et quelle que soit l’approche appliquée, une recherche
scientifique doit, en tout état de cause, répondre à une série de critères que nous abordons
dans cette partie. Ces qualités sont d’abord envisagées de manière générale à partir de la
notion d’entreprise scientifique (voir ci-après). Nous entrerons ensuite dans le détail des
qualités intrinsèques dont doit ou devrait faire preuve tous types de recherches : validité et
fidélité essentiellement.

1. Une recherche appréhendée est une « entreprise scientifique »

Au-delà des différences formelles et opérationnelles entre approches, dont le


rattachement est certes bien utile à différents égards dont celui d’annoncer clairement la
démarche adoptée, une approche, qu’elle soit quantitative, qualitative ou mixte, doit en
définitive répondre à un critère incontournable, unanimement accepté dans la communauté
des chercheurs. L’approche adoptée ne pourrait en effet être qualifiée de recherche si elle ne
s’inscrivait dans une démarche scientifique. En somme, comme le font remarquer Huberman
& Miles (1991, cités par De Ketele & Maroy, 200623), il n’est pas tant important de
« choisir » entre une approche au dépend d’une autre mais de « faire de la bonne recherche ».
Une recherche digne de ce nom s’apparente selon ces auteurs à une entreprise scientifique que
De Ketele et Maroy (2006, p. 222) définissent comme une « tentative d'objectivation du réel
soumise à un certain contrôle empirique et social, ce qui suppose une procédure transparente
et méthodique ».

23
De Ketele, J.-M., Maroy, C. (2006). Quels critères de qualité pour les recherches en éducation ? In L., Paquay, M.,
Crahay & J.-M., De Ketele, L’analyse qualitative en éducation. Des pratiques de recherche aux critères de qualité.
Bruxelles : De Boeck Universités, coll. Pédagogies en développement, pp 219-249

34
Le but d’une telle entreprise scientifique est de faire progresser la connaissance d’une
communauté sociale et d’augmenter les possibilités d’actions dont elle dispose pour modifier
ou préserver l’existant. Les produits d’une telle entreprise sont donc les nouvelles
connaissances produites à partir d’observations et d’actions sur le réel de référence de manière
à « faire émerger des relations entre les phénomènes et donner du sens à des phénomènes
particuliers » (op. cit., p. 223).

Une recherche est une entreprise car, selon ces auteurs, elle :

• procède en agissant sur le réel pris comme référence (le « réel de référence »24) –
non seulement regarder ou observer – en vue de réaliser un produit qui répond à un
objectif spécifié ;

• suppose une organisation : de ressources humaines (ayant les compétences requises


pour réaliser les objectifs poursuivis), des « objets » matériels ou immatériels sur
lesquels on agit, des outils pertinents, des destinataires des produits construits (en
l'occurrence dans la recherche scientifique: des connaissances produites) ;

• développe (et s’inscrit dans) une culture déterminée.

Une recherche est scientifique dans la mesure où :

• son but est de produire de nouvelles connaissances obtenues selon une démarche
rigoureuse, reconnue par une communauté de chercheurs ;

• elle produit en outre des résultats selon une démarche qui est explicitée
(généralement par écrit, dans un article, un ouvrage, un rapport…) ;

• elle repose sur un certain nombre de critères parmi lesquels l’un des plus importants
est probablement celui de répondre à la condition de réfutabilité (ou
« falsifiabilité », terme proposé par Karl Popper, 197325) des propositions émises.
Une recherche scientifique offre la possibilité d’une éventuelle réfutation de ses
propositions ou de ses résultats alors que les propositions ou résultats issus d’une
recherche non scientifique ne permettent pas une mise à l’épreuve par les faits qui
pourrait les réfuter (Van der Maren, 2003) ;

24
Olivier De Sardan (2008)
25
Popper, k. (1973). La logique de la découverte scientifique, Paris : Payot

35
• elle nécessite des compétences (et donc une formation), des équipements, des outils
d'observation et d'analyse, des organes de communication et de validation des
produits de la recherche.

2. Les exigences d’une démarche scientifique rigoureuse

Bien que nous détaillerons ces notions dans les supports de cours consacrés à l’analyse
de données quantitatives et qualitatives, nous présenterons d’emblée les deux critères de
qualité auxquelles tend toute recherche scientifique dans les lignes qui suivent.

Ainsi, deux exigences principales sont reconnues comme incontournables pour tous
types de recherche scientifique qui se veut rigoureuse, qu’elle s’inscrive dans une approche
quantitative ou qualitative. Il s’agit des exigences de validité et de fidélité.

 La validité

D’une manière générale, la validité porte d’une part sur la qualité de la prise
d’informations et, d’autre part, sur la qualité de la démarche adoptée par la recherche.

Dans le premier cas, la validité d’une recherche indique que les outils adoptés pour
« recueillir » les données, leur mise en œuvre et l’analyse des données permettent d’obtenir
des résultats qui révèlent correctement le phénomène que le chercheur veut et déclare étudier.
Ainsi, au cours d’un entretien, les réponses d’un sujet peuvent être influencées par le désir,
souvent inconscient, de se présenter sous un jour favorable ou à apporter des réponses que le
sujet imagine conformes aux attentes de l’interviewer. Ce biais, que l’on nomme désirabilité
sociale, affecte la validité des données obtenues.

Dans le second cas, la validité désigne, de manière plus globale, la qualité de la


démarche qui est adoptée, au niveau méthodologique, par la recherche. Se pose à ce niveau la
question de la cohérence de la méthodologie qui est mise en œuvre pour répondre à la
question de recherche ou pour tester les hypothèses (« Les moyens mis en œuvre permettent-
ils effectivement de répondre à la question annoncée ou de tester l’hypothèse formulée ? ») et
de l’analyse des données au sens général (« Au vu de l’analyse des données et de ses résultats,
peut-on effectivement aboutir aux conclusions annoncées ? » ; « Les résultats et conclusions
sont-ils bien attribuables aux facteurs mis en évidence ou peuvent-ils être attribués à d’autres
facteurs ? »).

36
Cette validité est une exigence de qualité pour évaluer les recherches inscrites dans une
approche quantitative ou qualitative.

Enfin, les chercheurs impliqués dans une approche quantitative utilisent le terme
validité externe pour qualifier et évaluer la capacité de la recherche à généraliser les résultats
obtenus à d’autres échantillons ou à d’autres contextes alors que les chercheurs « qualitatifs »
accordent une importance plus grande à ce qu’on nomme la validité écologique, à savoir la
proximité entre la situation étudiée dans la recherche et celles que l’on rencontre sur le terrain.
Les deux concepts ont donc trait à la généralisation des résultats de l’étude, mais la validité
externe, dans le droit fil de la logique propre à l’approche quantitative, repose plutôt sur la
qualité de représentativité de l’échantillon, alors que la validité écologique fonde cette
capacité de généraliser les résultats de la recherche qualitative sur la proximité entre les
situations.

 La fidélité

La fidélité, parfois appelée fiabilité, traduit, d’une manière ou d’une autre, la stabilité
des résultats (d’une recherche, d’un outil de collecte/production de données, d’une méthode
d’analyse ou d’un instrument de mesure).

La fidélité d’une recherche est élevée lorsque la réplication de la recherche aboutit à des
résultats semblables

La fidélité d’un outil de recueil de données (questionnaire par exemple) ou d’un


instrument de mesure (test d’intelligence par exemple) peut être vérifiée en répliquant la prise
d’informations sur les mêmes sujets (test-retest) ou sur des groupes jugés équivalents. La
fidélité de l’outil est élevée lorsque les données aboutissent à des résultats semblables.

La fidélité d’une méthode de codage (observation par exemple) ou d’analyse (analyse de


contenu ou thématique par exemple) se mesure généralement à partir de la fidélité inter-
codeurs. On mesure la différence entre les résultats obtenus par deux chercheurs
indépendants. Si cette différence est faible, la fidélité de la méthode est considérée comme
élevée.

37

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