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1. P l o t i n , Tnnéades, ΓΓΓ, 6,
6, 19,
19, îf>
îf> (26 = ligne do l'éd ition
iti on Bréhie r repro
duite plus ou moins exactement dans tentes les éditions moderne* de Plotin).
2. Cf. P. Hadot, Bilan et perspectives sur les Oracles clmldalques, dans
Mans Lkwy, Chaldaean Oracles and Theurgy, nouvelle édition par Michel
TAnmiiu, Paris, 1978, p. 718.
244
244 J OV n s JJ , DB PSYCH OLOG IE
3. P l o t i n , Enn
E nn ., VI, 7, 34, 30. Les traductions des textes de Plotin dans le
présen
pré sentt artic
ar ticle
le sont
so nt originales.
origin ales. Je me sels cilorcé,
cilorcé, pour
po ur les rend
re ndre
re accessibles à
des lecteurs éventuellement peu familiarisés avec cette littérature, de concilier
lo plus possible la littéralité avec une discrète paraphrase, lorsque le style do
Plotin était trop conc concisis.. J ’ai traduit
tra duit noils
ils par
pa r i Pensée
Pensée * ; il fau t enten
en ten dre
dr e par là
la Pensée subslanlialisée : un sujet éternel pensant le monde des Idées. J'ai
voulu éviter le mot i Intellect · qui n’évoque peut-être pas suffisamment l'idée
de pensée pure et d'intuition immédiato et le mol · Esprit · chargé de trop do
résona
résonance
ncess particulières.
particulière s. Ma Mais is ces autres
autre s traductions possibl
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bonnes. Le tex te x te grec tra tr a d u it est on général celui d ’HBN
’HBNnr-S
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cHWYZ YZEn.
En. Voir la
bibliographi
bibl iographiee à la fin fin de l’ l ’articl
art icle.
e.
4. Enn., VI, 9, 9, 39.
P. HADOT. — N IV E A U X DE CONSCIE NCE DA NS LA M YS TI Q U E DE PLO TIN m
I. — L e s d e u x n iv e a u x du mo i
mémo des dieux —, nous étions p urem ent âmes et Pensée, unis à la tot alité
de l’être, parties du monde de la Pensée, sans séparation, sans division :
nous appartenion s au T ou t (et même encore maintenant nous n’en sommes
pas sé pa rés).
• Mais il est vrai que maintenant λ cet hommo-lfi s’est ajouté un autre
homme : il voulait être et nous ayant trouvés [...] il s’est attribué à nous,
et il s ’est ajo uté à cet homme-là qu e no us étion s originellement [...] et ainsi
nous sommes devenus les deux et plus d’une fois nous ne sommes plus
celui que nous étions auparavant et nous sommes celui que nous nous
som mes a joutés ensuite : l’homm e qu e no us étions cesse d’agir et en quelque
sorte d’être présent »’.
IL — La c o n s c ie n c e e t le moi au niveau m é d ia n
«C’est nous qui raisonnons et pensons les concepts qui se trouvent dans
la raison discursive (dianoia ). C’est cela que nous sommes. [... ] Nous sommes
la partie principale de l’âme, au milieu de deux puissances, l’une inférieure,
la sensation, l’autre supérieure, la Pensée »*.
Il en résulte que cette activité de pure Pensée, qui est propre
â la partie supérieure de l'âme, ne peut être nous-mêmes, ne peut
être nôtre que si elle parvient â être perçue au niveau de la raison
et de la conscience : « Ce qui est pensé (par la partie supérieure de
l’âme) ne parvient à nous que lorsque ce contenu de pensée descend
ju squ’à notre con scien ce10 ».
Qu’esl-ce donc que la conscience pour Plotin ? L’idée qu’il s’en
fait est très influencée par la théorie aristotélicienne du « sens
commun » (koinè aislhcsis). Cette dernière avait été précisément
élaborée par Aristote pour expliquer l’expérience de l’unité intérieure
du sujet11, difficilement conciliable avec la variété et la dispersion
des instruments sensoriels et des niveaux différents et simultanés
de l’activité humaine. Pour Aristote, c'est le sens commun ou
universel qui élabore la synthèse des données sensibles, qui perçoit
les sensibles communs comme l’étendue, la forme et le mouvement,
et surtout qui assure la conscience des différents processus : c’est une
perception de la perception, un sentir du sentir, mais aussi un
penser du penser. Il «sent eL pense to ut à la fois », il «apparaît dans
son activité synthétique comme sens et intelligence en même
temps »H. C’est grâce à lui que nous avons conscience d’exister.
Plotin reprend celte conception aristotélicienne. Il y fait allusion
d’une manière presque littérale, lorsqu'il l'utilise pour prouver
l'immatérialité de l’âme. En effet, lo fonctionnement du sens
commun, son activité synthétique, ne peuvent s'expliquer que par
l’intériorité réciproque, donc l'immatérialité, de» éléments psy
chiques, par opposition â l’extériorité réciproque des éléments
matériels11.
9. Cnn ., V, 3, 3, 34.
10. Cnn., rv, 8, 8, 6.
U . Cf. H. MoNitoi.ro, l.'unilA tin mijnltlnu» lu KiiosAologlotl'Arlnlolo, dim»
lleoue philosophique, 1953, p. 359-378.
12. Π . MoNitoi.ro, op. cil., p. 374.
13. P l o t i n , Cnn., IV, 7, G, 1-49. Cf. P. IIkniiy , Uno comparaison chez Aris
tote, Alexnmlro et Plotin, dans l.es source» de Plotin, Entretiens sur l'Antiquité
classique, I. V, Vnniliuuvros-Gmièvo, 19G0, p. 429-444. En co qui concerne
P l a t o n , voir 'l'hltléle, 184 d.
P. HADOT — N IV E A U X DE CONSCIENCE DA N S LA M Y ST IQ U E DE P W T 1 N 249
connaissons pas avant qu'il ne soit parvenu à l 'âme totale. Par exemple
nos désirs, s’ils restent dans la partie de l’âme qui désire, ne nous sont pas
connus, à moins que nous ne les percevions par la conscience intérieure ou
p ar la facu lté rationne lle ou par les de ux »u .
1fi. Enn., IV, 8, 8, 0-11. I-c mot ahthesis, qui iiurnmlcinotit siKniflo · sensa
tion ·, doit souvent être traduit, Λ reuse ils contexte, pur « conscience * : col.
usage plolluicu vie il évidemment «le lu killin' nislheslt it'AlllSTOTK, qui, nuus
l'avons vu, en tant, que «sons universel >, assure la conscience ot l’unité tlu sujai.
17. linn., V, l , 17, 6.
18. Pi.aton, Ittp ., IV, 436 b, 1 (qui pose le problème do l’unité du sujet) ,
et Vit, 518 c, 8.
19. Enn., fV, 4, 8, 9-16.
P. HA.DOT. — N IV E A U X DE CO NS CI EN CE D A N S L A MY ST IQ UE DE P L 0 T1 N 251
20. En n. , IV, 4, 8, 30-33. Cf. également. IV, 4,25, 7 : «Si nous sominor tournés
entièrement vers une chose, lus mitres cliosos nous échappent. ·
21. Enn. , V, I, 12, 12-20. Dans ce texte, le mot antilrpsis qui normalement
signifia ï perceptio n · peut être trad u it pa r « conscience » précisément parce
qu’il s’agit d’une perception intérieure.
22. Enn ., I, I, il, 2-4.
23. En n., I, I, 11, 4-8.
I II . — L ’o p p o s i t i o n e n t r e l a c o n s c i e n c e et l ’a c t i v i t é
« Il est possible que l’on possède une chose sans en avoir conscience
et qu’on la possède beaucoup plus fortement que si l’on en était conscient.
Car celui qui sait possèdo ce qu’il a comme si c’était quoique chose de
différent de lui, mais s’il ignore ce qu'il a, il se peut qu’il soit lui-même
ce qu’il a »**.
IV. — L ’o s c il l a t i o n e n t r e l ’u n i t é et l a d u a l it é
Ceci correspond à Pétât dont nous avons parlé plus haut, état
dans lequel toute la vie, toute l'énergie de l’âme sont concentrées
en son sommet. Pour décrire cette expérience, il faut corriger l’image
de la vision, que Platon emploie dans le mythe du Phèdre, car l’image
de la vision ferait penser à un spectateur différent du spectacle qu’il
contemple. L’expérience mystique consiste au contraire à découvrir
que la Pensée pure, universelle et transcendante, n’est autre que
nous-même, ou à l’inverse que nous ne sommes rien d’autre qu’elle :
• Ceux qui so nt en quelque sorte enivrés et rem plis de ne cta r" [Plotin
souligne bion par cette allusion qu’il s’agit d’une expérience mystique],
ceux-là donc no sont plus seulement des spectateurs, puisque la Beauté
nu soi s ’élniid à tra ve rs ΓΛ ηιη tou t ontièro. Car il n'y a p lus d’un cété co qui
ont à l'extérieur, do l’autre coltii qui lo voit <ln l’oxlérieiir, mais celui qui a
la vuo p erçnn lo vo it en liii-niémo en qu’il voit. [...] Car to u t co qu’on rogardo
connue un spoctaclo visible, on le voit à l’extérieur. Mais il faut désormais
le transporter en soi et le regarder comme un (avec nous) et le regardor
comme son propre soi ·**.
.I
Dans cette phase, l’expérience d’unité cesse, il y a retour à la
dualité, donc retombée au niveau de la conscience « centrale ».
Comme le souligne Plotin en d’autres endroits, il faut que l’âme
se trouve alors dans des dispositions morales très particulières,
si elle veut espérer le retour de l'expérience unitive. Elle doit rester
dans l'attente, détourner son attention des choses sensibles.
Unité : · Mais dans ce retournement, voilà ce qu’il gagne : au début,
il a conscience de lui-méme, tant qu’il reste différent du dieu. Mais,
ensuite, revenant en hâte vers l’intérieur, il possède le Tout et laissant la
conscience en arrière, par crainte de rester différent, fl est u n, dans cet
état transcendant »a .
qu’elles soient toutes deux belles (et donc fondues dans la Beauté).
La pensée s’amoindrit en pensant ainsi à des choses particulières »4·.
JO URN AL D S PSrCBOLOaiE
qu’elles soient toutes deux belles (et donc fondues dans la Beauté).
La pensée s’amoindrit en pensant ainsi à des choses particulières »4·.
Ce qui caractérisait l’expérience unitive, c’est la totalité et l’unité.
Ce qui caractérise au contraire la conscience, c’est la perception
de formes distinctes, que le discours énumère et détaille. Par rapport
à la contemplation unitive, c’est la méditation discursive. C’est
ce que Plotin lui-même fera dans les chapitres suivants lorsqu'il
cherchera à décrire le contenu de l’expérience de la Pensée. Il
introduira sa description par les mots : « Ce voyant, qu'il soit
devenu un autre ou qu’il demeure lui-même, qu’annonce-t-il »*’ ?
E t le voyant, c’est-à-dire Plotin, annoncera ce qu’il a vu, en utilisant
la discursivité non pas du discours rationnel, mais du discours
mythique. Plotin fera appel en effet au mythe d’Ouranos, Kronos
et Zeus pour décrire l’expérience de la Pensée. La Pensée pure, ce
sera Kronos avalant scs enfants, c’est-à-dire, selon l’interprétation
allégorique, la Pensée retenant en elle l'univers des Formes et
restant intérieure à elle-même. Quant à Zeus échappant à Kronos,
ce sera l’Ame onlrnnt dans le dédoublement «le la rationalité et
révélant au monde sensible la splendeur des Formes éternelles.
A la fin du texte que nous avons cité ci-dessus, Plotin laisse
entendre que cette réflexion discursive sur la Pensée conduira à
découvrir la valeur sublime de la Pensée et du monde des Formes.
Cette découverte va ramener l'Ame au désir de l'unité :
Unité : «Apprenant ainsi par persuasion rationnelle on quoi nohlo objet
l'on pénèlro, à savoir que l'on pénètre clan» co qu’il y n do plu» heureux,
il faut désormais so plongor soi-mémo à l'intérieur et au fieu d'être celui qui
regarde, devenir toi-même le tpectac/e d'un autre qui nom refarde. [...] Mais
comment pout-on élro dans lo beau tenus le voir 7 No faut-il pu» dire que
si on voit lo Beau cotnmo autre quo sol, on n'osl plu» dann le Ileum, mais
quo lorsqu'on ost devenu lo Beau, c'est alors que l'on ont nu «upréma degré
dans le Beau ? »**.
si nous voulions voir le modèle dans une image »M. C’est pourquoi
Plotin nous a dit que la conscience était ce qui « doutait », parce
qu’elle veut être persuadée. Il y a donc une certaine insatisfaction
dans l’expérience mystique et elle s’explique par la condition
humaine : celle-ci peut en effet se définir, dans la perspective ploti-
nienne, comme l’union d’un homme « intelligible » et d’un homme
« sensible Λ ces doux hommes correspondent les deux niveaux
du moi et de la conscience que nous avons distingués. L'homme
concret, celui qui est les deux : « intelligible »et« sensible », est privé
de conscience réfléchie et do ccrliludo rassurante dans l'expérience
mystique et il est privé do l’expérience transcendante, qui est sa
vraie vie, lorsqu’il retombe au niveau de la conscience. C’est ce qui
explique l’oscillation décrite par Plotin.
La condition humaine selon Plotin condamne l’homme à ressentir
toujours un sentiment d’étrangeté : étrangeté pour l'homme
intelligible à être lié à une conscience sensible et Λ vivre dans le
« quotidien », étrangeté pour l’homme sensible et « quotidien »
à vivre ces expériences transcendantes :
« Souvent, m’éveillant de mon corps à moi-même, devenu alors extérieur
à tout le reste et intérieur à moi-mémo, contemplant alors une beauté
merveilleuse, sûr alors d'appartenir au plus haut point au mondo supérieur,
ayant vécu la vie la plus noble, étant devenu identiquo au divin, m'étant
fixé en lui, étant parvenu à cette activité suprême ot m'étant établi au-dessus
de tout autre objet de penséo, après ce séjour dans )o divin, quand jo retombe
de la Pensée au raisonnement, jo mo domando commont j ’ai pu jamais, et
cetlo fois encore, doscondro ainsi, comment mon Ame n pu jamais venir
à l’intérieur d’un corps, si dôjft, lorsqu’elle est dans un corps, elle est tollo
qu’elle m’est apparuo »··.
Ce sentiment d’étrangeté provient de lu dualité insurmontable
de l’être humain. Pour l’homme · sensible ■ qui est. en quelque sorte
envahi par l’intensité do l'expérience de l'homme · intelligible ·,
il se produit une tension psychique extrêmement niguA. On raconte
que ce fut cette tension qui provoqua la criée psychologique dans
laquelle Porphyre, le disciple do Plotin, fut tenté de ho suicider” .
Plotin l’en détourna en lui conseillant do voyager. Dans cotte
Pie r r e Ha d o t .
R é s u m é
R é s u m é