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La mystique
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DU MÊME AUTEUR
(principales publications)

Laarabe,
connaiLssance
e Caire, mystI.Fiq.A
ue.Och.,ez19Ibn
52. Sînâ, texte français et résumé
Expéri ences myst
allemande iques en terres non chrétiennes, Alsatia, 1954(trad.
et italienne).
ThAlsatia,
èmesette1958.xtesmystiques.recherchedecritèresenmystiquecomparée,
La pensée religieuse d'Avicenne, Vrin, 1951.
Connaî
gnole,treitalienne
l'Islam,etFayard, 1958 (trad. allemande, anglaise, espa-
néerlandaise).
L'I(trad.
slam,néerlandaise
religion et coet mm unauté, Desclée DeBrouwer, 3 éd., 1978
allemande).
Ledsegrands
lh' ommpero,bVrin,
lèmes1967.dela théologiemusulmane: Dieu et la destinée
La Cité musulmane, vie sociale et politique, Vrin, 4 éd., 1976.
Etudes de philosophie et de mystique comparées, Vrin, 1972.
Leshommesdel'Islam, approche dementalités, Hachette, 1977.
En collaboration avec G. C. ANAWATI:
Introduction
Vrin, 2 éd., à la197th0éol ogie m
; trad. usulm3anvol.,
arabe, e, essai de théol1o9gi6e7-1co9m
Beyrouth, 69p.arée,
MVrin,
ystique3eméd.,usul1m97a7ne(trad.
, aspectitalienne).
s et tendances, expériences et techniques,
Encollaboration avec MohammedARKOUN:
L'Islam. Hier,demain,Buchet-Chastel, 1978.
En collaboration avec Olivier LACOMBE:
L'expérience du Soi, DescléeDeBrouwer (sous presse).

ISBN 2 13 036752 6

2 édition mise à jour : 3 trimestre 1981


© Presses Universitaires de France, 1970
108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris
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CHAPITRE PREMIER

APERÇUS PHÉNOMÉNOLOGIQUES

I. — Essai de définition

Nous prendrons ici mystique en un sens fort (et


général) : expérience fruitive d'un absolu. « Expé-
rience », et donc connaissance par connaturalité ;
« fruitive », qui a sa complétude en elle-même.
Etymologiquement, le mot évoque mystère et ini-
tiation au mystère. Mais en philosophie et phéno-
ménologie de la religion, mysticisme et mystique
connotent beaucoup moins une initiation ésotérique,
au sens des religions à mystères de l'Antiquité,
que la saisie intérieurement vécue d'une réalité
totale et comblante.
Ce n'est jamais que par le témoignage, oral ou
écrit, du sujet qui expérimente qu'une réalité
mystique peut être connue. Très vite, l'observateur
se trouvera confronté au problème de la conceptua-
lisation d'un état intérieur de soi non conceptuali-
sable. La connaissance mystique n'est pas au terme
d'une réflexion abstractive, elle n'est pas davan-
tage une intuition intellectuelle, donc judicative,
et qui demande à s'exprimer en un verbe.
Plus proche serait-elle sans doute de la connais-
sance ou expérience poétique. Démarche mystique
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et poésie sont des connaissances procédant non par


abstraction ou par intuition intellectuelle, mais par
connaturalité. La seconde cependant est faite pour
l'œuvre, où transparaît la connaturalité du poète
et du monde ; la première, à l'opposé, a d'abord
son achèvement en elle-même. Certes, le langage
mystique use presque toujours d'images, de sym-
boles et d'hyperboles. Mais tandis que les images
poétiques font corps avec l'expérience même du
poète, et que cette expérience est donnée dans les
images et le rythme de poésie, le langage mystique,
lui, reste comme un voile tendu entre l'absolu
éprouvé et l'acte intérieur qui l'éprouve. Le chemi-
nement vers l'absolu, les conditions de l'expérience
pourront être décrits. La réalité existentiellement
vécue et pâtie garde son mystère.
Un problème d'herméneutique pour lire, pour
décrypter les témoignages, se posera donc, inéluc-
tablement. Or, une herméneutique reste toujours
fonction d'une vision du monde. D'où l'extrême
difficulté de bien entendre, en leur portée authen-
tique, les dires et les écrits, didactiquement ou
poétiquement exprimés, des mystiques. Ils ne
prennent tout leur sens que compte tenu de la vie
et de la mort de leurs auteurs, de leurs croyances, de
leurs conceptualisations, qui toujours risquent
d'orienter le langage. Bien plus, le langage lui-
même et ses références, ses références religieuses
surtout, ne va-t-il pas à son tour réagir sur l'expé-
rience poursuivie ? Il y a, entre la démarche mys-
tique et son langage, des interactions subtiles et
complexes, et puisse le commentateur n'y pas mêler
indûment ses propres schèmes mentaux.
Que cette expérience soit possible, nous ne pou-
vons que l'accorder en songeant à tant de témoi-
gnages que corroborent les vies et les écrits d'hommes
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et de femmes remarquables d'Orient et d'Occident.


Les plus grands parmi les mystiques, ceux dont le
souvenir a le plus marqué l'histoire de la pensée
religieuse, s'affirment comme des personnalités de
premier ordre. Récuser leur apport, ou en chercher
une interprétation volontairement minimisante,
serait ou abandonner, en ce cas précis, les lois
habituelles de la critique historique, ou expliquer le
plus par le moins, et la réalité par sa copie ou sa
caricature.

II. — Notes communes


La définition donnée au départ resterait toute
nominale si certaines notes communes ne permet-
taient de reconnaître le surgissement très probable
de cette expérience fruitive d'un absolu.
1. Tout d'abord, un au-delà du discours, et non
point par le discours même, mais par une brisure
du discours ressentie comme telle. Il ne s'agit pas
seulement d'une voie apophatique exprimée (la
« théologie négative » du « n'est pas »), mais d'une
apophase vécue. L'intériorité mystique se nourrit
de silence. Elle n'est pas une descente analytique
ou dialectique dans la subjectivité ; son point de dé-
part suppose le silence de toute recherche réflexive.
Ce n'est qu'après coup, pour « dire » — éventuel-
lement et inadéquatement — les étapes et le terme
atteints, qu'une certaine réflexivité peut apparaître.
2. Mais l'homme, en son comportement habituel,
s'exprime aux autres et à lui-même par le discours.
Il y a donc là une rupture, des ruptures plutôt au
long de la route, des plans de clivage qui introduisent
à des niveaux d'existence psychique qui ne sont
plus en continuité. Ou si l'on préfère une image
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empruntée aux mathématiques : l'expérience pas-


sera par des points de rebroussement qui peuvent
être fort abrupts, et l'on comprend que le mystique
tende bien souvent à les formuler en termes de nuit,
de ténèbres et de mort.

3. Ces ruptures nécessaires supposent le total


renoncement à tout retour égoïste, voire égotiste,
sur soi. Si les « états intérieurs » sont recherchés
pour eux-mêmes, le risque reste grand de déséqui-
libres physiques ou mentaux, et telle est l'une des
sources de pseudo-mystiques ou de mystiques aber-
rantes dont l'histoire ne nous offre que trop d'exem-
ples. Si les plans de clivage au contraire donnent
accès à un équilibre supérieur, le mystique expéri-
mentera ou une suavité, encore en attente d'un
achèvement à venir, ou une complétude se reposant
en elle-même. Dans l'un et l'autre cas, les confidences
exprimées nous parleront d'une paix qui surpasse
toute paix de ce monde, en dépit des obstacles
rencontrés, des souffrances ou des déchirements.
4. Quelle que soit l'origine des plans de clivage
qui surgissent sur la route, ils se présenteront à qui
les expérimente comme venant d' « ailleurs ». Le
sentiment de « reçu » sera fréquent. Il n'est pas de
soi la preuve de cet « ailleurs » ; selon les cas, il
peut référer ou à un don réellement venu d'un Autre,
ou à une rupture de niveau psychique intramen-
tale. S'il est l'un des signes d'une authentique
effectuation, il n'en pose pas moins, en mystique
comparée, l'une des questions les plus délicates à
résoudre.
5. Dernière note commune enfin : la soif d'absolu
que présuppose l'expérience mystique s'enracine
toujours dans l'amour : soit l'amour explicite pour
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un Autre que soi, à l'union duquel on aspire ; soit


un amour foncier, obscur, inéluctable, « amour
ontologique », qui tend à remonter aux sources
mêmes de l'être.

III. — Une distinction

Notes communes ? sans doute, et qui permettent


de grouper sous le vocable de « mystique » des faits
d'expérience ou des témoignages qui relèvent de
critères et d'interprétations divergents. Car la
nature de l'expérience mystique reste en dépen-
dance de ce que sera l'absolu recherché. De ce
point de vue (phénoménologique), les termes « mys-
tique », « connaissance ou expérience mystique »,
peuvent et doivent se prendre non point univoque-
ment, mais analogiquement, et selon des niveaux ou
des types variés de réalisations.
Une distinction majeure s'établira selon que
l'absolu sera situé au terme d'une démarche de pure
immanence, identité de soi à Soi (ou à un Tout
dont le Soi ne se distingue pas), ou saisi comme une
altérité transcendante, disons le Dieu Un et Créateur
de la foi monothéiste. Mais cette distinction, que
postule le terme atteint ou recherché n'est pas sans
accueillir dans la réalité vécue des imbrications par-
fois fort étroites. Une démarche d'immanence suf-
fisamment profonde éveille, comme nécessairement,
un horizon d'autotranscendance que peut traverser
l'appel d'une Réalité extra-mentale ; et le Dieu
transcendant de la foi monothéiste est comme
doublement immanent à sa créature spirituelle,
par son influx créateur et par le don de sa grâce.
La dialectique transcendance-immanence ne cesse
de solliciter la démarche mystique.
Il reste que nous retrouverons cette double voie
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ou cette double démarche tout au long de nos ana-


lyses : voie d'immanence de la mystique du Soi,
dont le type privilégié est la mystique de l'Inde,
— voie d'union et entrée dans les profondeurs du
Dieu de la foi, dont se réclament les climats mono-
théistes. Mais il serait vain de vouloir étudier les
valeurs mises en œuvre sans les cerner dans les
contextes culturels et religieux qui les virent naître.
Nous ne chercherons pas à mener à bien une étude
historique exhaustive. La tâche serait immense.
Nous nous bornerons à dégager les témoignages
les plus significatifs et les dominantes des grands
climats religieux ; non sans esquisser de l'un à
l'autre, en cours de route, les rapprochements
ou les distinctions qui s'imposeront à nous.
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CHAPITRE I I

MYSTIQUE, DROGUE ET FOLIE

Avant de procéder à notre brève enquête dans


l'histoire des religions, nous ne croyons pas inutile
de dire quelques mots sur les illusions, les contre-
façons ou les erreurs qui parasitent ou peuvent
parasiter le fait du mysticisme.
Nous proposerons un principe de distinction. S'il
est vrai qu'une expérience authentiquement mys-
tique présuppose (ou suscite) un équilibre accru
où l'âme se réalise comme esprit dans une maîtrise
supérieure d'elle-même et du corps (soit par ses
propres forces, soit par une grâce venue d' « ail-
leurs »), elle ne relève donc point de l'infraconscient,
mais du supraconscient, disons, selon l'expression
de Jacques Maritain, « le préconscient spirituel »,
là où s'originent en l'homme les pouvoirs d'intui-
tivité et de création. Or, les rapports entre les zones
supraconscientes, conscientes, infraconscientes du
psychisme humain — si incomplètement connus
encore — ne sont point ceux de structures statiques
et figées. Ils se situent selon un dynamisme toujours
recommencé. Et tantôt la nuit lumineuse du pré-
conscient spirituel réassume en leurs données va-
lables des matériaux engrangés dans les zones
infraconscientes et en brûlent le résidu ; tantôt
au contraire l'infraconscient, indûment et anarchi-
quement libéré, infléchit à son profit non seulement
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4. Le vocabulaire sûfi. — La langue arabe, conso-


nantique et centrée sur le verbe, se prête admirable-
ment à saisir des « états spirituels » dynamiques,
transientes. Le souci de les exprimer fut vif chez
les mystiques musulmans. Un vocabulaire de
« termes techniques » se forma, qui rend à la fois
difficile et si attachante la lecture des textes. E t
ces termes furent, pour la plupart, adoptés sous leur
forme arabe par les écrits mystiques rédigés en per-
san ou en turc. Nous ne pouvons ici que signaler le
fait, et renvoyer le lecteur aux ouvrages plus spécia-
lisés. Notons cependant que les termes techniques du
sûfisme reçoivent leur pleine signification du contexte
de chaque auteur et du type d'expérience analysée.
Des mots comme ittihâd (union ou identité) ou tafrîd
(esseulement) ne recouvrent pas la même réalité spiri-
tuelle chez Bistâmî, Hallâj et Ibn ' Arabî par exemple.
La préférence donnée à certains mots variera
aussi au cours des siècles. Hasan Basrî et Hallâj
avaient préférentiellement exprimé l'amour de Dieu
par ‛ishq qui connote une idée de « désir ». C'est
par ‛ishq — « l'essentiel Désir », traduit L. Massi-
gnon — que Hallâj avait nommé l' « essence de
l'Essence » de Dieu. Râbi a usait du terme cora-
nique de hubb. Plus tard, après la condamnation
et le supplice de Hallâj, ceux mêmes qui en rappor-
taient les dires remplaceront ‛ishq par mahabba
(même racine que hubb) : amour mutuel, sans la
connotation jugée dangereuse de « désir ». La mysti-
que musulmane eut ainsi comme un équivalent de la
querelle qui s'éleva en climat chrétien entre érôs et
agapè. E t le ‛ishq hallagien, « percée existentielle »
et flamme unitive de l'amour mutuel de Dieu et de la
créature qu'Il S'est choisie, n'est peut-être pas sans ré-
pondre à l'érôs de Grégoire de Nysse, « amour fou » de
Dieu, fruit de l'agapè, et comme elle don de la grâce.
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CONCLUSION

En écoutant les mystiques d'Orient et d'Occident,


nous avons été amené à distinguer, dans les analyses
et descriptions proposées, deux types d'expérience :
selon que le mystique s'engage, par une drastique
rétorsion de soi sur soi, vers le « silence des origines » et
le retour à la « nature originelle » de l'esprit ; ou selon
qu'il tend, par amour envers un Autre aimé plus
que soi-même, à l'union avec le Dieu de la révélation
et de la foi, « connu comme inconnu ». — En chacun
ou presque chacun des climats religieux interrogés,
nous avons rencontré l'une et l'autre démarche,
typique ou atypique, et selon des dominantes
variées.
De telles distinctions sont-elles contraignantes ?
Ne pourrait-on être tenté d'y voir autant de trans-
positions d'une expérience radicalement identique ?
Cette opinion n'est pas rare parmi les historiens des
mystiques ou parmi les mystiques eux-mêmes. Nous
avons affaire alors à deux lignes interprétatives.
1) Ceux pour lesquels l'Absolu recherché et atteint
est la réalité cachée et ineffable de toute Existence
(avant tout les maîtres de l'hindouisme et du boud-
dhisme) interpréteront l'expérience des profondeurs
de Dieu décrite par les mystiques monothéistes
comme une saisie de ce même Absolu — mais que
les « croyances religieuses » encombrent encore de
discours et d'images. Des Swâmis indiens entrepri-
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rent d'expliquer saint Jean de la Croix par le yoga,


et leur préférence ira comme naturellement aux
non-distinctions de la mystique rhéno-flamande ou
à « l'Unicité de l'Etre » sûfie. Les « révélations pro-
phétiques » se présentent à eux comme des méthodes
de spiritualité, des voies diverses qui peuvent mener
chacune au but, mais à la condition d'être dépassées.
Elles sont enfermées encore « dans la sphère du
relatif ». Ce sont des voies plus accessibles (et moins
directes) que l'arrêt yogique de toute « fluctuation
mentale ». Il faut y encourager, voire y guider ceux
qui en ont besoin. Elles sont autant de bhakti-yoga,
qui déboucheront à leur sommet, pour qui peut
y parvenir, sur l'ultime réalisation d'identité et
d'unité transpersonnelles. Cette attitude n'est pas
sans rencontrer de ferventes adhésions en Occident :
l'accent, en ce cas, sera mis volontiers sur des
ressemblances phénoménologiques au long des voies
parcourues (1).
2) Par contre, l'homme qui engage toute sa desti-
née sur la foi en un Dieu révélé fera fréquemment
de l'union à Dieu par amour le seul type achevé de
l'expérience mystique. Dès lors, l'expérience du Soi
ou la saisie de la « nature originelle » en seront à ses
yeux comme une réalisation atypique, du moins
non explicitée. Des théologiens de chrétienté ont
aujourd'hui brillamment soutenu cette thèse. Nous
songeons par exemple à Dom Le Saux ou à Dom Bède
Griffith en Inde, au P. Lassalle pour le zen japonais.
La grâce divine étant offerte à tout homme au
cœur droit, elle sera là présente en l'effort de spiri-
tualisation de l'âme, pour lui faire atteindre, dans
le silence de l'apophase, ce Dieu qu'elle ne sait pas

(1) Tel le rôle du « vide » ; cf. Hermès (vol. collectif), n° 6, Le


Vide expérience spirituelle en Occident et en Orient, Paris, 1969.
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e n c o r e n o m m e r . R e n v e r s a n t e n q u e l q u e s o r t e les
t e r m e s d e l ' o p i n i o n p r é c é d e n t e , les m y s t i q u e s
indiennes ou b o u d d h i s t e s d e v i e n n e n t c o m m e des
formes a t y p i q u e s , voire l ' é t a p e initiale de la m y s t i q u e
chrétienne, qui t r o u v e r a d'ailleurs son a c h è v e m e n t
d a n s la Wesensmystik b i e n plus q u e d a n s la « m y s -
t i q u e d e l ' u n i o n ». E t le s p i r i t u e l c h r é t i e n a u r a t o u t
à g a g n e r à s ' i n i t i e r a u x p r o c é d é s d u y o g a o u d u zen,
q u i l u i a p p o r t e r o n t l ' a p p o i n t e t le p e r f e c t i o n n e m e n t
de l e u r t e c h n i q u e et de l e u r psychologie éprouvées.

Ces d e u x l i g n e s d ' i n t e r p r é t a t i o n s o n t s é d u i s a n t e s
à c o u p sûr. Elles s e m b l e n t offrir, à t r a v e r s la diver-
sité des c u l t u r e s religieuses, la possibilité d ' u n lan-
g a g e u n i q u e . M a i s il f a u t r e c o n n a î t r e q u ' e l l e s n e
p e u v e n t être vraies en m ê m e temps, qu'elles
s ' e x c l u e n t l ' u n e l ' a u t r e . Si le c r o y a n t m o n o t h é i s t e
m a i n t i e n t que son expérience spirituelle conduit a u
D i e u d e s a foi, p o u r r a - t - i l n e v o i r e n c e t t e e x p é r i e n c e
q u ' u n e a p p r o c h e relativisée d ' u n A b s o l u indif-
f é r e n c i é ? n ' e s t - c e p a s l ' a b s o l u d e s a foi e t d e
l ' O b j e t d e s a foi q u i e s t ici e n j e u ? — P a r a i l l e u r s ,
u n m y s t i q u e d ' O r i e n t , y o g i n o u d i s c i p l e d u zen,
p o u r r a - t - i l a c c e p t e r q u e s o n e x p é r i e n c e , à ses y e u x
t o t a l i s a n t e et c o m b l a n t e , ne soit q u ' u n e f o r m e
atypique, ou m ê m e u n stade préparatoire de l'union
à u n Dieu personnel ? D a n s l ' u n et l ' a u t r e cas,
l'unité de langage n'est-elle pas illusoire ?

E n fait, a d m e t t r e d e u x types d'expérience mys-


tique — l'une où est a t t e i n t , en p u r e nescience
intellectuelle, l'exister de l ' â m e c o m m e esprit, l ' a u t r e
o ù , d a n s l ' h y p o t h è s e d e D i e u se r é v é l a n t , c ' e s t
D i e u q u i , p a r sa grâce, s ' u n i t l ' â m e fidèle — a d m e t t r e
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ces deux types d'expériences, ce n'est aucunement


déprécier l'une ou l'autre. C'est reconnaître à l'une
et à l'autre sa spécificité, par la voie et vers le terme
qui lui sont propres.
Ce n'est pas minimiser la première que de la dire
aux pouvoirs des forces spirituelles que l'âme
humaine possède en son être le plus profond. C'est
en un sens l'universaliser. C'est montrer que, si
elle fut la dominante d'un climat religieux déter-
miné (Inde), elle transcende tout climat religieux
ou culturel. Le P Zaehner le souligne avec perspi-
cacité par ses analyses de « cas spontanés » : les
deux célèbres « instants » de Marcel Proust, au
début et à la fin de la quête du « temps perdu et
retrouvé », des textes de Tennyson (à travers
William James), de Jung, de F. Reid, une lettre
de Miss Dorothea Spinney de Felden, d'autres
encore (1). Il est remarquable qu'aucun de ces
témoignages d'Occident ne se réfère vraiment à
une transcendance extra-mentale. Ce qui apparaît
d'abord, c'est une immédiateté qui souligne un
au-delà de tout conditionnement temporel, spatial,
discursif, et réalise « une paix et une joie sans
mesure ». Proust, malade et angoissé par la mort,
gardera le souvenir d'une source d'immortalité où
« le mot mort » n'a plus de sens ; le poète Tennyson,
d'une identité de son moi et de l' « Illimité » ;
Miss Spinney, d'un Réel brusquement vécu dans
une sur-conscience inexprimable.
S'il est vrai que la mystique par voie d'imma-
nence est liée à la nature de l'esprit humain, c'est
à elle, on peut s'y attendre, que renverra le plus

(1) Cf. R. C. ZAEHNER, op. cit., p. 113-115, e t Mysticism Sacred


a n d Profane, Oxford, 1957, chap. III-V. — On y pourrait joindre,
bien que plus élaboré, le « J o u r n a l intime » de Geneviève LAN-
FRANCHI, cf. Hermès, 6, op. cit., p. 279-289, etc.
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souvent le surgissement inattendu des « cas spon-


tanés ». En trouverions-nous l'équivalent eu égard
à l'expérience des profondeurs de Dieu ? Il faudrait
interroger de ce point de vue maint récit de conver-
sion. Un témoignage entre bien d'autres ne nous
en est-il pas donné par André Frossard dans son
livre récent Dieu existe, je l'ai rencontré (1) ? Il
serait significatif de comparer les confidences de
Frossard et celles, par exemple, de Proust ou de
Miss Spinney. Ces deux derniers cas, en dépit de
leurs transcriptions différentes, nous disent, l'un
et l'autre, la rupture de toute contingence empi-
rique — vers un absolu qui est, en son acte existen-
tiel, le « Je » ou « Cela » (l' « Illimité » de Tennyson)
que l'homme expérimente alors comme la nature
ineffable de son être. — C'est la venue boulever-
sante d'un Autre, d'un Hôte inattendu, une « ren-
contre », qu'André Frossard éprouve — en une
affirmation d'existence et de foi qui prolonge et
parfait la rencontre. Deux lignes expérientielles,
qu'on ne saurait réduire phénoménologiquement
l'une à l'autre.

A coup sûr, pour qu'une expérience d'union à


Dieu par amour ait sa signification authentique, elle
suppose l'existence extra-mentale d'une Réalité
transcendante, qui n'est pas en sa nature celle de
l'esprit humain, bien que lui restant immanente par
une double présence d'immensité et de grâce. Si
Dieu Créateur et Sauveur (au sens le plus exigeant)
n'existait pas, l'interprétation réductrice des Swâmis
indiens que nous rappelions tout à l'heure devien-
drait la seule possible. Une expérience d'union

(1) Paris, Ed. Fayard, 1969.


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mystique à Dieu tel qu'Il est en Lui-même suppose


que Dieu existe en son Mystère transcendant, qu'Il
a créé toute chose non par émanation nécessaire,
mais par son libre Vouloir et sa Sagesse, et qu'Il
a pourvu par sa Miséricorde au salut de sa créature
spirituelle.
Pour nous en tenir à un plan descriptif : nous
avions, au début de ces pages, relevé les notes
communes à toute expérience mystique, quel qu'en
soit le type ; peut-être pouvons-nous maintenant
les compléter par des notes différentielles. L'expé-
rience du Soi (ou de « Cela » qui est Absolu indif-
férencié) s'opère par une voie de nescience qui est
une drastique dénudation de tout l'être ; elle requiert
une technique spirituelle, efficace — comme toute
technique — sur le plan qui lui est propre. Elle
porte en elle sa complétude, son terme est éprouvé
comme la saisie d'un absolu comblant. — L'expé-
rience des profondeurs de Dieu s'opère, dès l'origine,
par une voie de nescience qui est celle de l'amour
envers un Autre, aimé plus que soi-même, et dont
la grâce doublement gratuite (car le don de l'être
est déjà grâce) est le « moteur principal » de la rup-
ture de tout lien égoïste et égotiste d'avec le créé.
E t s'il y a des « méthodes d'oraison », il n'y a pas,
pour entrer dans le Mystère de la Vie divine, de
technique efficace. L'âme ne se retrouve pas en
sa « nature originelle », elle est transformée en
l'amour de Dieu. L'expérience pourtant ne porte
pas en elle-même sa complétude, elle reste ouverte
sur un Au-delà, dans l'espérance d'une Vision uni-
tive et inamissible.
Sur un plan existentiel, il est certain que ces deux
types d'expérience interféreront plus d'une fois, du
moins inchoativement : car c'est toujours d'une
expérience spirituelle qu'il s'agit, et l'homme, par
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n a t u r e , est u n esprit en condition charnelle. C h a q u e


ligne, et dès le d é p a r t , a sa finalité propre. Mais
p e u t - ê t r e la t r a n s f o r m a t i o n de l ' â m e en l ' a m o u r de
Dieu ne va-t-elle pas, p a r s u r a b o n d a n c e , sans la
connaturaliser plus i n t i m e m e n t à ce qu'elle est p a r
n a t u r e , d a n s les sources de son être. E t s'il est u n
Dieu Créateur et Sauveur, l'expérience d u Soi, pour-
suivie j u s q u ' à l'en-stase en l'acte p r e m i e r d'existence,
ne restera-t-elle pas, dans u n c œ u r droit et h u m b l e ,
comme éveillée à accueillir la grâce de la Source
créatrice et salvifique ? Il n ' y a plus là de chemin,
ni de t e c h n i q u e o p é r a n t e ; mais peut-être, dans le
secret et le silence, une r e n c o n t r e — par-delà l'iden-
t i t é reconquise de soi à soi.

Ces hypothèses explicatives demanderaient de


longs développements — et devraient se ravitailler
aussi bien en anthropologie qu'en philosophie et
théologie. Elles peuvent être, à coup sûr, discutées
et creusées. Nous nous sommes efforcé à les situer
aussi près que possible des témoignages entendus.
Elles soulignent du moins, nous semble-t-il, l'im-
portance du fait mystique dans l'histoire des reli-
gions. Le sens de la destinée humaine y est engagé.
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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

1) A v a n t tout, se reporter aux textes et aux ouvrages mentionnés


e n ce livre.
2) Y joindre, n o t a m m e n t :

a) Ouvrages d'ordre général

J o s e p h MARÉCHAL, E t u d e s s u r la psychologie des mystiques (2 vol.),


Paris, E d . Desclée D e Brouwer, 1938.
R u d o l f O T T O , M y s t i q u e d ' O r i e n t et m y s t i q u e d ' O c c i d e n t ( t r a d . d e
l'allemand), Paris, E d . Payot, 1951.
Louis GARDET, Expériences mystiques e n terres n o n chrétiennes,
Paris, E d . Alsatia, 1953.
A . R A V I E R , L a m y s t i q u e et les m y s t i q u e s ( o u v r a g e c o l l e c t i f ) , P a r i s ,
E d . Desclée D e Brouwer, 1965.
H i l d a GRAEF, Histoire de la mystique (trad. d e l'anglais), Paris, E d .
d u Seuil, 1972.
b) Mystique indienne

M i r c e a E L I A D E , L e y o g a , i m m o r t a l i t é et l i b e r t é , P a r i s , E d . P a y o t , 1 9 5 4 .
Lilian SILBURN, L e V i j n â n a B h a i r a v a , t e x t e ( t â n t r i q u e ) t r a d u i t e t
c o m m e n t é , Paris, E d . de Boccard, 1961.
Œ u v r e s (en anglais o u en trad. française) d e VIVEKANÂNDA, RÂMANA
MAHARSHI, AUROBINDO GHOSE.
L'hindouisme, textes et traditions sacrées présentés par A.-M. Es-
NOUL, P a r i s , F a y a r d / D e n o ë l , 1 9 7 2 .
H a l a Yoga Pradîpikâ, Paris, E d . F a y a r d , 1974.

c) B o u d d h i s m e

E V A N S - V E N T Z , L e y o g a t i b é t a i n et les d o c t r i n e s s e c r è t e s , t r a d . d e
l'anglais p a r M. LA FUENTE, Paris, E d . Adrien Maisonneuve, 1948.
E u g e n H E R R I G E L , L a voie d u Z e n ( t r a d . d e l ' a l l e m a n d ) , P a r i s ,
E d . G.-P. Maisonneuve, 1961.
H e n r i d e LUBAC, A m i d a , P a r i s , E d . d u Seuil, 1955.
H . H . COATES a n d R y u g a k u ISHIZUKA, H ô n e n , the B u d d h i s t S a i n t ,
K y o t o , Chinin, 1925.
Le bouddhisme, textes traduits et présentés sous la direction de
L i l i a n SILBURN, Paris, E d . F a y a r d , 1977.
C H O G Y A N T R U N G P A , M é d i t a t i o n et a c t i o n , P a r i s , E d . F a y a r d , 1 9 7 2 .
S h u n r y u SUZUKI, E s p r i t zen, esprit n e u f (trad. d e l ' a m é r i c a i n ) ,
Paris, E d . d u Seuil, 1977.
Entretiens de L i n - T s i (trad. d u chinois), Paris, E d . F a y a r d , 1972.
J o h n BLOFELD, L e bouddhisme tantrique a u Tibet (trad. de l'anglais),
Paris, E d . d u Seuil, 1976.
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d) Mystique chrétienne
PSEUDO-DENYS, Œ u v r e s complètes, t r a d . e t n o t e s d e M a u r i c e d e
GANDILLAC, P a r i s , E d . M o n t a i g n e , 1 9 4 3 .
M a î t r e ECKHART, T r a i t é s et S e r m o n s , a v e c u n e i n t r o d u c t i o n d e
M . d e GANDILLAC, P a r i s , E d . M o n t a i g n e , 1 9 2 4 .
— T r a i t é s , t r a d . e t i n t r o d u c t i o n d e J e a n n e ANCELET-HUSTACHE,
P a r i s , E d . d u S e u i l , 1 9 7 1 ; S e r m o n s (3 v o l . ) , 1 9 7 4 , 1 9 7 8 , 1 9 7 9 .
F r . J . - B . P., H a d e w i j c h d'Anvers, Paris, E d . d u Seuil, 1954.
J e a n ORCIBAL, S a i n t J e a n de l a C r o i x et les m y s t i q u e s r h é n o - f l a m a n d s ,
P a r i s , E d . Desclée D e B r o u w e r , 1966.
L o u i s COGNET, I n t r o d u c t i o n a u x m y s t i q u e s r h é n o - f l a m a n d s , P a r i s ,
E d . Desclée D e B r o u w e r , 1968.
L u c i e n M A R I E , O . C . D . , L ' e x p é r i e n c e de D i e u ( a c t u a l i t é d u m e s s a g e
de s a i n t J e a n de l a C r o i x ) , P a r i s , E d . d u C e r f , 1 9 6 8 .
H i s t o i r e de l a s p i r i t u a l i t é c h r é t i e n n e ( œ u v r e c o l l e c t i v e ) , 4 v o l . p a r u s ,
P a r i s , E d . A u b i e r , 1966.

e) M y s t i q u e j u i v e
G . G . SCHOLEM, ' D e v e k u t h o r c o m m u n i o n w i t h G o d i n H a s î d i s m ' ,
a r t . , i n T h e R e v i e w of R e l i g i o n , j a n v i e r 1 9 5 0 , C o l u m b i a U n i v e r s i t y
Press.
G e o r g e s VAJDA, L ' a m o u r de D i e u d a n s l a t h é o l o g i e j u i v e d u M o y e n
Age, Paris, E d . Vrin, 1957.
M a r t i n BUBER, Les récits h a s s i d i q u e s ( t r a d . d e l ' a l l e m a n d ) , P a r i s ,
E d . Plon, 1963.
A . ABECASSIS e t G. NATAF, E n c y c l o p é d i e de l a m y s t i q u e j u i v e , P a r i s ,
B e r g i n t e r n a t i o n a l é d i t . , 1977.
D o v B a e r d e LOUBAVITCH, L e t t r e a u x h a s s i d i m s u r l ' e x t a s e ( t r a d . d e
l'anglais), P a r i s , E d . F a y a r d , 1975.

f) M y s t i q u e m u s u l m a n e
R o g e r ARNALDEZ, H a l l â j o u l a r e l i g i o n de l a c r o i x , P a r i s , E d . P l o n ,
1964.
R . A . NICHOLSON, S t u d i e s i n I s l a m i c M y s t i c i s m , C a m b r i d g e , U n i -
v e r s i t y Press, 1921.
H e n r y CORBIN, L ' i m a g i n a t i o n c r é a t r i c e d a n s le s o û f i s m e d ' I b n
‛ A r a b î , Paris, E d . F l a m m a r i o n , 1958.
E v a d e VITRAY-MEYEROVITCH, A n t h o l o g i e d u s o u f i s m e , P a r i s ,
E d . S i n d b a d , 1978.
RÛMÎ, L e l i v r e d u d e d a n s ( t r a d . d u p e r s a n ) , P a r i s , E d . S i n d b a d ,
1975.

( N . B . — P o u r m é m o i r e : les o u v r a g e s b i e n c o n n u s e t d é j à
a n c i e n s d e H e n r i DELACROIX, W i l l i a m JAMES, J e a n BARUZI, P i e r r e
JANET, etc.)

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