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NATURE DU PSYCHIQUE

Author(s): R. Ruyer
Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 57e Année, No. 1 (Janvier-Mars 1952), pp. 46-66
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40899597 .
Accessed: 16/07/2011 16:03

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DUPSYCHIQUE
NATURE

Nous nous proposonsde caractériser « le psychique» comme


le règned'une finalitémitigéede causalité,ce mixteétantlui-
mêmele symptôme d'une « demi-multiplicité », que nous allons
prendre à tâche de définir.
Rien ne peut contribuer davantageà fausserles perspectives
surla finalitéque de parlerde « causesfinales», commesi la fina-
lité étaitun simplecas particulier de la causalité.C'est Faction
finalistequi est le type normal d'action,supposantle typenor-
mal d'être,l'êtreindividuel. causalité,au sens étroit,c'est-
La
à-direl'efficience de procheen proche,est un modedérivé,fort
important, certes, à cause de la multiplicité des êtres,qui donne
lieu à toutessortesde « propagations » et d'interférences, mais
non pas universelle comme on le dit trop souvent.
Un développement, psychologique ou biologique- le passage
de l'enfanceà la maturité, par exemple,- n'a pas de cause au
sens ordinaire du mot; la completion d'un souvenirn'a pas de
cause ; uneinvention n'a pas de cause ; l'immensedomainede ce
qui obéità des raisonsou à des normesn'a pas de cause. Les
métaphysiciens qui admettentle principede finalitéà côté du
principe de causalité, mais en refusantau premierla validité
universelle qu'ils accordent au second,inversent la vérité.C'est
le principede finalitéou d'activitéqui est en droituniversel,
ou, plusexactementqui est primaire. C'estle principede causa-
lité qui est particulier, accidentel,et « secondaire », au sens où
les physiciens parlent de lois secondaires. Le principede causa-
litévautpourle cas particulier où l'on a affaire à unemultiplicité
R. RUYER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 47

d'êtreset de domainesd'activitéen interférences réciproque».


Un développement n'a pas de cause ; mais une maladieinfec-
tieuse,qui arrêteou perturbele développement d'un animal,
intervient commeune cause. La completiond'un souvenirn'a
pas de cause ; maisuneinhibition interneou unchocsurle cerveau,
qui empêchecettecompletion, intervient commeune cause. Une
invention,un raisonnement mathématiquen'a pas de cause ;
sont causes les circonstancesextérieuresqui déclanchentou
dévientl'invention, le raisonnement.
Mais une autreerreurnon moinsgrave,c'est de croireque la
vie psychiqueoffre à l'état purle modèle,le typemêmede l'ac-
tionfinaliste. En faitla régiondu psychiqueest unerégioninter-
médiaire,caractériséepar un type d'efficacité égalementinter-
médiaireentrel'efficacité causale, par influencede procheen
proche, et l'action finalisteproprement dite, qui est réalisation
de « sens». L'esprithumainn'estpas espritpur.L'actionsensée,
le « survol», la prise de consciencequi est liberté,n'y sont
jamais purs. C'est qu'il y a de la multiplicité dans l'intimité
mêmede la vie psychique.

***

Messer,pourexposerles résultatsde sesexpé-


II y a longtemps,
riencesà Wurtzburg, a employél'expressionde « consciencede
sphère» ' tantôten l'identifiant presqueavec « conceptsuror-
donné», tantôten la caractérisant comme« état affectif », Stim-
Par
mung. exemple, au mot inducteur« tente un a
», sujet d'abord
« la représentationindistincte de toute une atmosphèrequi s'y
rattache», puis une « directionversune époque antérieure(son
enfancede la neuvièmeà la onzièmeannée)». Toutcela « se rat-
tachaitsans doute...à des images de la Gartenlaube(journal
amusant)2. Les psychiatres, Schilder,Kretschmer et beaucoup
« » 8
d'autres,ont employéle mot sphère presque commesyno-
nymed' « inconscient », pour désigner« ces états périphériques
à la conscienceclaire,dans lesquels« l'attention,détournéedu
mondeextérieur, est intensément concentrée, commedans l'hyp-

1. Burloud, La Pensée d'après les Expériences de Watt,MesseretBühhr, p. 81»


2. Ibid. yp. 83.
3. Kretschmer, Traite de Psychologiemédicale, p. 174.
48 REVUEDE MÉTAPHYSIQUE
ET DE MORALE.

nose,surun seul point,dans Foublicompletdu tempset de Tes-


pace,endehorsde touteinfluence de la logiqueet de la volonté» 1.
Pierre Janeta admirablement décritde tels états, ainsi que
Burloud*,à un pointde vue un peu différent. Il n'estpas de psy-
les
chologuequi puisse négliger. Cependant, voguede doctrines
la
que leurspostulatsportent à nier l'inconscient, et mêmela mé-
moire,risquede fairecroireque de tellesnotionssontpérimées.
Elles ne le sontpas du tout,mais elles paraissentfuyanteset
arbitraires, faute d'un statut d'existencesuffisamment défini.
Ce statut n'a été défini avec précisionque dans l'ouvrage
3
récentd'Ellenberger qui s'appuiesurdes observations extraor-
dinairementsoignéeset minutieuses.Considéronsune rémi-
niscence« sphérique» commecelle du sujet de Messer,ramené
par un mot à l'atmosphère de son enfance. Elle ne peut être
conçueque sousla formed'une« participation » de la « conscience
je » à un « autreje » 4. En effet, le souvenirauthentiquene peut
êtredécritcommela reproduction actuelled'étatsde conscience
ou
passés, alors, il n'est qu'un « savoir » que l'on consulteou qui
soutientl'actionprésente.Le souvenir-savoir n'est que la limite
de dégradation du souvenirproprement dit. Le souvenirauthen-
tique est inséparable d'une conduite, d'une consciencecomplète,
d'une conscience-je. « La réminiscence nous fait communier à
Tintimité «
d'une autreconscience ». Toute réminiscence est une
participation pourainsi diretélépathique, un ravissement dans
une autremonade» 6.
Et pourtant,parlerd' « autreje » est plus que paradoxal,
c'est absurde.Une consciencedédoubléeest inconcevable.La
conscience n'est qu'un motpoursignifier le faitd'êtreconscient,
c'est-à-dired'avoir immédiatement part à l'existenceet à la
jouissance de cette existence. Lorsquenous « spatialisons » les
et
sphèresmnémiques, lorsque nous nous représentons, « dans un
espace mal défini,plusieursconsciences,parmi lesquellesla
1. Kretschmer,p. 175.
2. Nous n'avons pu tenir compte ici du dernierlivre de Burloud, De la Psy-
chologieà la Philosophie; il expose un « pan-psychologisme» très intéressant,
mais qui méconnaîtle caractère mixte et secondaire du « psychique ».
3. Le Mystèrede la Mémoire(Mont-Blanc,1947). Nous avons suivi jourpar jour
les observationsd'Ellenbergerpendant les loisirs forcésd'une captivité de cinq
ans.
4. Ellenberger,op. cit., p. 262.
5. Ellenberger,p. 263.
B. BUYER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 49

« mienne», pouvant de temps en temps se faire des confidences


ou se donner des directives...ces images spatialieées ne peuvent
être reçues comme vraies... La conscience ne peut pas connaître
ses limites.... Nous sommes ainsi acculés à une contradiction:
se souvenir, c'est vraiment participer à une autre conscience
dont la séparation avec le « je » actuel ne fait aucun doute » *.
Cette contradiction,notons-le bien, n'est pas une contradic-
tion logique. Autrement,elle aurait bien des chances de résulter
simplementd'une mauvaise descriptionou d'une mauvaise théo-
rie. C'est une contradictionvécue. Elle est au fondde l'expérience
psychologiquedans ce qu'elle a de plus spécifique.La « partici-
pation » mnémique ne nous fait jamais connaître du dehors
« l'autre-conscience-moi ». « Les êtres intimes, « je », de ma
conscienceet de l'autre « moi », s'identifient....« Je » est un mot
sans pluriel. Les mots : « les je » ne signifientrien. La participa-
tionest intérieure.Au momentoù elle cesse,et où «les je » devraient
se dédoubler,à cet instant même où 1' « autre conscience» allait
m'apparaîtredu dehors,la connaissancede cet autre disparaît» 2.
Ellenbergera décritles divers modes de la participationmné-
mique : a) la « procuration», b) la « fascination», c) et la « larve ».
a) La moindre « image », celle par exemple d'une nuance de
vert,alors que mon regardactuel se pose sur cette page blanche,
« est atteinte comme intemporelle,et comme par personneinter-
posée » 3, par « procuration» d'un « autre je ».
b) Dans la « procuration», la conscience-imageest soumise
docilementau « je » actuel, elle ne rompt pas la trame de la vie
consciente,mais il arrive - nous nous en apercevons rétrospec-
tivement - que « je » me confondeentièrementavec F « autre
je ». Il y a capture, possession, ou, d'un mot empruntéà Sartre,
« fascination». Après réduction et retour à l'actuel, le « je »
fasciné ne laisse plus au « je » actuel qu'une « procuration-sou-
venir» (c'est le cas, par exemple,du souvenird'un rêve). Mais la
capture elle-mêmes'effectuesans que le « je » connaisse son glis-
sement, et son identificationau « je » intemporel.
Le « je » actuel est essentiellementidéo-moteur. Son effort
pour résisterà la fascinationest proche parent de l'effortmus-

1. ibid., p. 264.
2. Ibid., p. 264.
3. Ibid., p. 34.
Revue de Méta, 1952. 4
50 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

«ulaire,et fatiguetout l'être,psychiqueet physique' Le som-


meilrepose,dans la mesureoù le « je » renonceà étreindre, à
a comprendre » le domainede l'actuelet aussides « procurations »
Il
possibles. y a encore finalité
et sens dans la fascination et le
sommeil,mais le « je » fascinéest victimed'une « illusiond'in-
tention»,il est véhiculépardes « finalités mnémiques », dansune
durée pseudo-actuelle, et portantil se croitagent.
Pour Sartrea, qui réalisela gageured'écrireun livrede des-
criptionssubtilessur l'Imaginairesans tenircomptede la mé-
moire,le rêve est une croyancepure,«la réalisationparfaite
d'un imaginaireclos, dont on ne peut absolumentplus sortir,
et surlequelil est impossible de prendre le moindrepointde vue
extérieur » 8. Dans le rêve,selon Sartre,la conscience« n'estpas
fascinée», maiselle « se fascine», s'enferme elle-même dans une
fictionenvoûtante,et « se détermineelle-mêmeà transformer
tout ce qu'elle saisit en imaginaire » 4. Toutes ces descriptions
sontexactes,mais il resteencoreà savoirde quelle conscience-
je il s'agit.Le faitqu'il s'agitd'une « conscience-je », bienque le
«je » ne soit pas toujoursexplicité,n'empêchepas - en vertu
de la contradiction vécuesignaléepar Ellenberger - qu'il s'agisse
d'un « autre je », essentiellement mnêmique.
On ne peut prouverle caractèreessentiellement mnêmique
des « autreje » du rêve ou de la fascination en général,que par
une étude soignéeet acharnéedes rêves. Nous ne pouvonsici.
que renvoyer à la deuxièmepartiedu livred'Ellenberger ' Les
faitsparlentd'eux-mêmes.Sartreparle de « moi irréel», ou de
« moi imaginaire » 6, qui tientà ma consciencepar un rappoit
d'émanation.Mais ces expressionsn'ont qu'une valeur signa-
létique,elles ne mettentpas en lumièrela natureprofonde du
phénomène.
Sartre,dans son souci louable de ne pas considérer l'image
commeunechosedansla conscience, maiscommeuneconscience
imaginanteactive,méconnaîtqu'il y a pour le « je-acte» une

1. Ellenberger, p. 73.
2. V 'Imaainaire*d. 210.
3. Sartre,L'Imaginaire,p. 213.
semblablepourl'émo-
4. Sartre,p. 225.Sartrea soutenuunethèseexactement
tion.
5. Cf. notamment les chapitresVIII, IX et X.
6. Sartre,L'Imaginaire,p. 220, 221.
R. RUTER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 51

autresortede passivité,plusdéguiséeet plussubtile,dans laquelle


le « je » est bienactif,maisà la manièred'un« possédé».
c) La structuremnémiquede V « autre je » apparaîtencore
mieux dans la « possessionlarvaire» * dans laquelle la « con-
science-je» est fascinéedans un « autreje » sans contenu repré-
sentatif, aveugle,spécifique pourtant, et qui imposesa structure
ou sonrythmevide de sensà un « je actuel» paralysé.« L'auto-
nomiede ce déroulementest évident...il s'agit d'une rémini-
scencepure.Noussommesici aussi loin que possiblede la liberté
inhérente à touteévocationd'images.C'est l'antipodede l'ima-
gination». Il est ici impossiblede dire,à la manièrede Sartre,
que le « je » « s'enferme lui-même » dans la possessionlarvaire.
L'invasionbrusquede la « larve», son caractèrefréquemment
anxieux,- mêmequand il ne s'agit que de la larve d'un mot
oublié,qui nousimposesa « faim» spécifique- toutdémontre
ici la capturemnémique,la capturedu « je » par l'aura margi-
nale d'un « autreje » *.
Tous ces faitsdémontrent à l'évidencequ'il existede la mul-
tiplicitépsychologique. Elle est fortdifférente de la multiplicité
ou de l'altéritébordà borddes êtresen cortègesou des foules
du mondephysique, différente aussi de la multiplicité des images
que se représentait le vieil associationisme, d'une part parce
qu'elle est « dramatique » : la rivalitédes « je » se traduitpar des
conflits intimes, des défaites et des victoires, des captureset des
possessions, d'autre partparce qu'elle est asymétrique. Le « je »
actuel se réveille,sort de fascination, survolela « conscience
autre» qui le captivait,et reprendcommeun maîtresondomaine
de sens. Le rêve est psychique,mais la veilleest psycho-spiri-
tuel. La liberté,en principe,peuttoujourssuccéderau règnedu
déterminisme psychique.Les mobiles peuvent être jugés du
dehors,et non plus subis. Une actionfinalisteproprement dite

1. Ellenberger, p. 112.
2. En voiciunexemple: « J'écoutele hautparleurdu camp.Surla paroleforte
et claire,se superposeun son de Morse....il me vientle souvenirvagued'audi-
tionsgênéespar du Morse...Soudain,je suis l'objetd'une possessionlarvaire,
qui m'entraîne idéo-motrices
en elle, selondes trajectoires automatiquesirré-
sistibles...Cettechaîned'abordinexprimable se développeen une conscience
de ressemblance... Il y a en moi la conscienced'un parallélismeentrel'idée
du grossissement ou amplification sonoreet l'idée, d'abordaux trois quarts
larvaire,d'observation unepartiede l'après-midi.
du soleil,prolongée » (Le Mys-
tèreâc la Mémoire,p. 117.)
52 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

peut se substituer à la demi-finalité des pulsionsinstinctives ou


mnémiquesqui se conjuguent sans se coordonner.
Il n'y a qu'un « autreje » dontle « je » psychiquesoittoujours
captif,c'estVxde l'individualité biologique.Nousnousréveillons
d'un rêve, mais nous ne nous réveillonsjamais complètement
du rêvebiologique,de la « fascination » de la vie. Le « je » actuel
est central,prédominant, relativement aux « je » mnémiques,
mais il est lui-mêmepériphérique relativement à l'individualité
organique,qui nous ported'abord,passifs, dans l'existence,per
son acte propre.Ux organiquedonneune missionau « je » psy-
chologique: l'instinctde self-assertion, la libido,la craintede
la mortsont des « possessionslarvaires» que nous ne pouvons
jamais « réduire».
Les expériences de l'embryologie expérimentale sontla contre-
partie exacte des observationspsychologiquesd'Ellenberger.
D'une partiellesrévèlentqu'il y a toutesles transitions possibles
entreles divisions« de développement » et les divisions« de
reproduction» - donc entrele cas des a autreje » qui restent
« intimes» les uns pourles autres,et le cas des « autreje » qui se
détachentet deviennent« je d'un autre». Par exemple,il y a
tous les intermédiaires entrela gémellitéfrancheet la constitu-
tion de moitiésou de partiesd'un seul individu.D'autre part,
ellesnousfontassister,du dehorscettefois,à une « fascination »
ou à une « possessionlarvaire». Un territoire de l'embryon jeune
qui subitune détermination et qui ne tardepas à se différencier
est « possédé» par une consciencemnémique, il est mediumd'un
x organiquequi l'entraîne, lui aussi,« selondes trajectoires idéo-
motricesirrésistibles ». Cettepossessiondoit êtred'abord « lar-
vaire», puisquel'expériencemontreque les premières différen-
ciationssont abstraites; elle doit ensuites'expliciterà mesure
que les différenciations se précisent ; mais l'aire organiqueen
n'a
développement jamaisqu'unesubjectivité « fascinée»,puisque
les actes formateurs organiquessont toujoursles mêmesdans
une espècedonnée,et ne manifestent qu'unelibertéréduiteet
une puissancede régulationlimitée.L'aire embryonnaire qui
deviendrale cerveau d'un hommecommencenécessairement
aussi par une subjectivité« fascinée». La consciencepsycholo-
gique,chez l'enfantnouveau-né, s'éveillepeu à peu de la fasci-
nation organiquepure. Un instinct,un thèmehéréditaire, se
R. RUYER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 53

transforme progressivement en conduitecommeTont montré


les observations minutieuses de Piaget*. Le « je » assume et
transforme les mélodiesinstinctives.Mais les instinctsfonda-
mentauxtiennenttoujours,à demi-captive, la sphèrede notre
liberté.Le « je » psychologique et corticaldevientlui-mêmecen-
tralet règnesurses propres« autreje » mnémiques, maisil reste
vassal de 1' «autre je » ou de Yx organique.Dans Tordresub-
jectif,le cordonombilicalqui relie l'individuà l'espèce n'est
jamais coupé.
Les observations d'Ellenberger gagnentdonc une valeursup-
plémentaire par leurraccordexcellentavec les faitsbiologiques.
Tout instinctest une sorted' « autre-je», qui a un sens,une
mission, dontla sphèrecoïncidepartiellement avec celledu « je »
de la psychologiequotidienne,à la manièred'un sens obscur
sous-jacent. Tout êtreagissantpar instinctest une sortede me-
dium,son « je » ne fait qu'un avec un « autreje ». Ainsi,l'ins-
tinctdu sommeiln'est pas seulementun dynamisme psychique
qui joue une foispourtoutesau momentde l'endormissement.
Cet instinctest pareilà un gardienqui exécuteintelligemment
sa mission.Un hommedormantdans un train,réveillépar une
secousse,ouvrel'œil et le referme aussitôt,si tout est normal.
Tout se passe commes'il s'était dit : « Riende changé,on peut
continuer à dormir». Est-cele « je » ordinaireou « l'instinctdu
sommeil» qui parleici ? Il est difficile de prétendre que c'est le
« je » ordinairede veille à l'état pur,car le sommeilconsistera
justementdans son obnubilationet un « je » n'a pas d'instru-
mentde suicideou d'anesthésie.C'est un « je » hybride, à demi
« possédé», et déjà plongédans l'aura « larvaire» de l'instinct
du sommeil.L'onde d'inhibition corticaledontparle Pavlov est
l'enversobjectifde cette capture.
Parce qu'un « autreje » organiquepeutcapturerle « je » psy-
chologique, il peutaussi lui servirde supporten jouant,comme
tous les thèmesmnémiques, le rôle de substance.Le réveil,la
« réduction » qui nous faitsortirdu rêve,on voit mal comment
le « je » de veilleà l'état pur pourraiten êtreseul responsable,
encoreplus mal que pour l'endormissement. La conceptionde
Sartrea ici, en apparence,l'avantagesur celle d'Ellenberger,

1. La Naissance de l'Intelligence.
54 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

car, si le « je » « se fascine», plutôtqu'il n' « est fasciné», il lui


suffitde cessercetexercicepourse réveiller - encoreque Sartre,
renonçantà cet avantage,parle du caractèrefataldu rêve,et
préciseque les efforts de la conscience« se tournentmalgréelle
à produirede l'imaginaire ».*.
Et en effet, il suffit de considérer,au lieu d'un réveilbanal,un
retourde syncopeou le retourà la conscience d'unanimalcongelé
ou d'unetêteentièrement vidéede sang,en laboratoire, et dans
laquelle on rétablit la circulation, la
pour que conception d'El-
lenberger manifeste sa et
supériorité, pourque l'invraisemblance
de la conceptionde Sartresoit palpable.
Il s'agit là du rested'une difficulté très généralepour l'en-
semblede la conception modernede la réalité-processus, qui ne
croitplus à des substances, mais seulement à des activités.Une
substanceà l'anciennemode peut facilement jouer le rôle d'un
« porteur » d'activité.Matérielleou spirituelle, elle ressembleà
une machinequi, tantôtfonctionne, tantôts'arrêtesans cesser
de subsister.Mais si la « conscience-je » ne peut êtreconsidérée
sans absurditégrossièrecommel'effetdu cerveause mettantà
fonctionner, ou l'effetde l'âme-substance se mettantà penser,
on ne voit vraimentpas commenton pourraitinterpréter son
recommencement, aprèsinterruption, sans la notion d' « autre je »
mnémiques, sans la notion d'une hiérarchie d' « autre je », ayant
pourbase l'individualité organiqueelle-même. Les thèmesde la
mémoireorganiquepeuvent,commeles thèmespsychologiques
proprement dits, « s'ouvrir» et « se fermer » dans un « domaine
de survol». Le « je » de veille tientà distanceles « autreje »,
qu'il utiliseseulementpar procuration. Le « je », dans le rêve
est captif.Le réveil,ou le retourd'évanouissement, estuneinver-
sion du gardienet du captif,du possédantet du possédé.
Et ici, le thèmemnémique,non seulementjoue le rôle indis-
pensablede la vieille« substance», maisil joue le rôlemieuxque
celle-ci.En effet, la substancearistotélicienne ne peutêtrejamais
1. « La conscience est vouée par elle-même,et en dépit d'elle-même, à ne
constituerqu'un monde irréel.... La conscience reflexivequi réveilleraitle dor-
meur,il est presque impossiblequ'elle se produise,parce que les types de moti-
vation qui la sollicitent d'ordinairesont précisémentde ceux que la conscience
enchantéedu dormeurne se permetplus de concevoir» (p. 224-225). Il fautavouer
qu'il est « presque impossible » de comprendrece que Sartre veut dire. Cette
« presque impossibilité » est le meilleurargumenten faveurde la notiond' « autrt
je».
R. RÜYEB. - NATURE DU PSYCHIQUE. 55

que « sujet», et jamais « propriété ». Pourtant,on devraitpou-


voirdireindifféremment «
: Calliasest homme», aussi bien que :
« L'hommeest Callias», ou : « L'hommeest mammifère », aussi
bienque : « Le mammifère est homme». Le thèmemnémique est
à doublesens. Il est sujetet objet. Il peutavoirdes propriétés,
et il peut êtreune propriété.Nous pouvonsavoir un souvenir
(veille),de même qu'un souvenirpeut nous avoir (rêve). Nous
pouvonsavoir notreorganisme(veille,vie ordinaire),ou notre
corps peut nous avoir (évanouissement, instinctspuissants).
En d'autrestermes,on comprendqu'il puissey avoirainsiréveil
commeendormissement. L'activité,à tous ses niveaux,peutêtre
relancéeà partird'un niveau mnémiqueinférieur.
La reprised'activitéde la conscienceressemblesuperficielle-
mentà la remiseen fonctionnement d'une machine.Quandl'ex-
périmentateur rétablitla circulationdans la tête exsanguede
l'animal,le rétablissement des fonctionssuspenduesfait natu-
rellement penser à un fonctionnement. De même,quand la res-
pirationautonomedu noyé,aprèsla respiration est
artificielle,
réamorcée.Que la ressemblance soit superficielle,
c'est pourtant
évident.La machineréamorcée ne fonctionne encoreque parcau-
salitéde procheen proche.Le « je » revenu,au contraire, n'est
«
pas fonctionnement »
», il est «le fonctionnantou plutôt«l'agis-
sant». Il assumede nouveaules activitésorganiquesou psycho-
logiquessubordonnées.
La multiplicité mitigéeet réversible des sphèresou des « autre
je » est le faitcaractéristique de toutela vie psychique.La fina-
lité psychique- par oppositionà la finalitéspirituelle ou intel-
lectuellepar survolfrancd'un domainede sens - est à la fois
finalitéet causalité.Elle portesur des sens,mais elle les com-
bineet les composecommedes forcesmultiples, sans les organi-
ser logiquement. La condensation, la surdétermination, dans le
rêve,la rêverie, l'inspiration la
esthétique, pensée confuse, portent
biensurdes sens,mais surdes sensdevenusà demides choses,
des forceséprouvées du dehorscommedes forcesphysiques,des
centresde pulsionet de pression,qui peuvents'harmoniser ou
se contrarier dans un équilibreou un mouvement résultant, et
non s'organiserselon une signification unique. C'est pourquoi
le rêve,bien que financépar la mémoire,bien que mnémique
dans toute sa substance,paraît êtreune véritablemaladiede
56 revue; de métaphysiqueet de morale.
la mémoire, et l'amnésieparexcellence*. Les sphèresmnémiques,
dans leur pulsionversla conscience-je, obéissentà une loi de
moindre actionanalogueà celle qui règnedans la statiqueet la
dynamiquedu physicien.Plusieurssphèresou « autreje », dont
chacuneseraittropfaiblepour émerger - c'est-à-dire pourcap-
turerle « je » - peuvent émerger à frais communs, le plus sou-
vent en se condensantentreelles d'une manièrequi les rend
méconnaissables ". De plus,l'organisation mêmedu rêveou de la
penséeconfusepeut êtreelle-mêmeun schémaréminiscence, la
conduitemnémique d'un « autreje », qui s'imposeà la conscience
imageante,elle-mêmecondenséeet surdéterminée *.

* *

Malgréles dangersdes comparaisons dans ce domaine,à con-


ditionde resterbien en gardecontrela confusion d'une sphère
de senset d'une conscienceavec une sphèrematérielle, et d'une
multiplicité de « sens » et de « je » avec une multiplicité d'appa-
reilslocalementdistincts, on peut pousserassez loin la compa-
raisonde la causalité-finalité psychiqueavec le phénomène phy-
sique de la résonance. Soient une source sonore et les sphères
creusesouvertessur une flammevibrante,dont Helmholtzs'est
servipour analyserles sons complexes.Le son se propagede
procheen proche,commetous les phénomènes de la physique
macroscopique. Cependant, il ne met en vibration que cellesdes
sphèresqui, par leur volume,peuvent entrer en résonance avec
unedes composantes du son - quelleque soitleur distance de la
sourcesonore.Cette indépendanceà l'égard de la distance a
quelquechosede surprenant, -
de quasimagique au pointqu'un
observateur sansculturede l'expérience de Helmholtz seraittenté
de parlerde « sympathie » ou de « participation sympathique ».
Chaque sphère,par sa formeet son volume, a une « nature »
propre; elle est « do » ou « mi bémol», et, quandla sphère mi «
bémol» vibreau son correspondant, toutse passe commesi elle
« savait son nom», à la manièredes musclesembryonnaires
selonla musclenametheory de P. Weiss.L'analogieest évidente
loc. cit.,p. 225.
1. Cf. Ellenberger,
2. Oti observeun phénomènesemblabledans l'aphasie.Onibredanncen a
décritde nombreux exemples.
3. Voirle rêvedu « volcan-ventouse loc.cit.,p. 228.
», de Ellenberger,
R. RUYER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 57

aussi avec les expériences les plus simplesde l'école de Würtz-


burg.Quandun sujetde Messerrépondau motinducteur « Roi »
par l'adjectif« fier», se sent« transporté dans une autresortede
réalité,celle des ballades et des vieilleslégendes», et constate
« une directionversle passé de l'Allemagneoù le fiermonarque
jouaitun grandrôle» ' toutse passecommesi le conceptinduc-
teur,à la manièred'un son, avait faitvibrerles sphèresmné-
miquesaptes par natureà entreren résonanceavec une de ses
composantes. Les ondesstationnaires possiblesde chaquesphère
matérielle sontl'équivalentgrossierdu « sens» ou du « thème»
inhérentà toute sphèrepsychique,commeles physische gestal-
ten in stationären Zustandde Köhlersont l'équivalentgrossier
des formesauthentiques, et commeles « mémoires artificielles
»,
par ondes entretenues, des machinesà calculerélectroniques
sont l'équivalentgrossierdes « savoirs» thématiques.
Maisla notionde résonancepermetdéjà beaucoupmoinsbien
de figurer les phénomènes de la « condensation » et de la « sur-
détermination » - au sens où Freudemploieces mots- syn-
thèse,inversede l'analysedes expériences de Würtzburg. Plu-
sieurssourcessonorespeuventfairevibrerla mêmesphère,tout
aussi bienqu'un seul son peutêtreanalysépar la miseen vibra-
tionde plusieurssphères.Un souvenirqu'un seul inducteurne
pourraitmettreen branle, qu'il mettraitseulementen état
d' « excitation» ou de readiness,peut être « ouvert» dans la
consciencepar l'action conjuguéede plusieursinducteurs.La
comparaisonclocheparce que les sphèresmnémiques, excitées,
fonctionnent à la foiscommerécepteur et commesource,et sur-
tourparceque les diversessphères, en surdétermination mutuelle,
émergent dans la conscience-je à l'état condensé.De plus, les
sens,à la différence des sons,se prêtentnonseulement à la com-
position, mais à des multiplications logiques.Comme la pensée
confuseest tout de mêmeune pensée,et la demi-finalité psy-
chique une finalité,la « condensation » est presquetoujours
une sortede multiplication logique.
Aprèsavoircréél'atmosphère mentalede « l'antiquité», on demande,à un
sujet,un conceptsubordonné de « vertu» : la réponseest « stoïcisme». Après
avoir éveilléla sphère« religion», on demandeun mot associéà « pipe » : la
réponseest « Gitchemanitou». Ce ne sontpas là de purescondensations. Si
l'on pose commeproblème: trouverun motqui répondeà la foisaux idées de
majesté,d'institutions
politiques,de légendesantiques,et que la réponsesoit
58 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
« roi », la synthèsen'est évidemmentpas analogue à la synthèse d'un son. Par
exemple, Ellenberger,évoquant simultanémentle mot « phoque » et « géra-
nium », et plus tard l'image d'une « méduse », découvre des sources mnémiques
communesaux trois évocations : filmde la « Fille au Vautour » ; photographie
de Madrépores; jardinage avec idée de ver de terre et de touffesd'Alchémille;
lecturesur les pastèques, etc. (p. 235). De même, après une expérience de libre
évocation fournissantdes mots et des images en apparence tout à fait hétéro-
clites et détachées de tout sens conscient, il découvre que ces thèmes dépour-
vus de significationapparentes'éclairent si on les considèrecomme des réminis-
cences dissociées, devenues abstraites et condenséessynthétiquement,d'un cer-
tain nombrede sphères : le dictionnaire Duden, le cabaret du camp, l'élevage
d'animaux, la lecturede l'Illustration,les souvenirsde collège et d'A. O. F. De
ces sphères,les éléments « émergés » sont des élémentsqui ont leur correspon-
dance dans d'autres sphères : par exemple le mot « lion » est surdéterminépar
la sphère « Illustration» (avec un article sur les dompteurs); la sphèreA. O. F.,
la sphèreDuden (images de ménagerie); la sphère « élevage d'animaux » (p. 193).
En même temps, il semble répondreà un problème de multiplicationlogique.
Cette incertitudeprouve que les sphèresmnémiques ne sont pas complètement
fermées,et qu'elles sont « à demi survolées ». Le « survol absolu » donnerait
une conclusion logique pure ; la résonance physique ne donnerait qu'une com-
position analogue à la composition d'un son. La condensation-multiplication
logique est la manifestationcaractéristiquede la demi-multiplicitéou du demi-
survol, de la finalité-causalitépsychique.
La résonancen'est bien,ici, qu'une métaphore: les sphères
mnémiques, étantdes conscienceset des sens à l'état « station-
naire» ou « fermé », sont néanmoinssoumisespartiellement à
la loi qui règnedans la régiontrans-spatiale des sens : la loi de
l'identiténumériquedes semblables.Elles n'ont qu'une demi-
individualité ; elles s'identifientles unes aux autres,ou se con-
fondent, «
à la foisen tant que consciences-je », et en tant que
leurs contenussignifiants sont partiellement semblables.Dans
la causalitépsychique,« le sens» est commeà demi-disjoint et
matérialisé il
; est devenu « du sens et
», peut ainsi servir de sup-
portà des phénomènes dontle moderappellecelui des phéno-
mènesde procheen proche.Ce « sens matérialisé » est, comme
les corpsinstablesde la chimie,en état de transformati n molé-
culaireperpétuelle.Avantle passage à la conscienceclaire et
survolante, une sériede micro-réveils, ou de survolsréciproques
de deux ou plusieurssphères,« dématérialisent » les sens fermés
sur eux-mêmes.La dernièrepartied'un rêve est la succession
de ces micro-réveils, et Ton sait que le rêvedevientde plus en
plus cohérent et « transparent », à mesureque l'on se rapproche
du réveilcomplet.Des résonances psychiquespuresou des fusions
« larvaires» des rêvesprofonds, parfoisétrangement statiques1,
1. En servicede veille dans une baraque de l'Oflag XVII A, nous avons entendu
un camarade endormi(vers une heure du matin), répéter,pendant environdix-
R. RUYER, - NATURE DU PSYCHIQUE. 59

on passe progressivement aux condensations-multiplications


logiquesdes rêves du pré-réveil.
C'est la demi-matérialisation des « consciences-je » et des
thèmessignifiants, par fermeture sur soi et enkystement, qui les
rendcapables d'agir commedes forces,en conflitintime.Une
forcesentieest toujours« le sens de l'autre», nous voulonsdire
« le sens portépar un autre». La véritéde la psychanalyse est
là1, confirmée par les travauxde Pavlov surles névrosesexpé-
rimentales, chez les chiensconditionnés, et par les expériences
de Massermann surles chats,inspiréesnonseulement par Freud
et Pavlov,mais par la psychiatrie psycho-biologique d'Adolphe
Meyer,dans lesquellesil a misen évidencel'agressivité de sub-
stitution,la régression, le masochisme, l'anxiété,les phobies,les
diversmodesde résolutionthérapeutique des conflits, l'action
de l'alcool sur les névroses,etc.*. « C'est,dit Sartre,la contra-
dictionprofondede toute psychanalyseque de présenter à la
foisun lien de causalitéet un lien de compréhension entreles
phénomènes qu'elleétudie» 8. On ne peutque répondre à Sartre:
« Les faitssontlà ». La « contradiction » dont parle Sartreest
l'essence même du psychique.
Les nombreuxfaitsapportéspar l'observation et l'expérienca
des névroses,sontincompréhensibles pourune psychologie pure-
mentphénoménologique de type « sartrien ». Ils supposentla
notionde « consciences-je », au pluriel,aliénées et enkystées,
ou de thèmespsycho-biologiques tropindividalisés, et se pre-
nant eux-mêmes pourfindans un « je » mal unifié.Selonla re-
marquede KarenHorney,unenéo-freudienne, entreunetendance
saine et une tendancenévrotique,identiquesen apparence,la
différence est, pour cettedernière,dans le manqued'ouverture
et de réciprocitépsycho-sociale, dans le statisme.Le « désir
de perfection » du névropathe, par exemple,est séparéde toute
participation active de la personnalitétout entière,c'est un
huitminutes,à intervalles presqueréguliers: « Ah ! maisoui...*Oui,oui 1....Ah
mais oui!... ».
1. Voirl'exposési lucidede R. Dalbiez,La Méthode psychanalytiqueet la Doc-
trinefreudienne.CependantDalbiez n'admettrait pas le conceptd' « autreje »,
caril rejettecommeinconcevable toutdédoublement du moi(II, p. 27 et suiv.),
pardesarguments qui ne nousontpas convaincu,et qui méconnaissent les faits
biologiqueset bio-psychiques.
2. Massermann, Principlesofdynamicpsychiatry, Sauiider,1946 (voirsurtout
chapitreIX, p. 104 et suiv.).
3. Esquisse d'une Théoriedes Émotions,p. 28.
60 REVUEDE MÉTAPHYSIQUE
ET DE MORALE.

simpleeffort vide « pourpréserver un secretsentiment de supé-


rioritésurles autres» x. De mêmele « désird'êtreaimé» névro-
pathique,ne vise pas réellement à avoir l'affection des autres,
il se repliesurune sorted'aspirationvide à la sécuritéaffective.
Au lieu d'êtreun effort actif,la tendancenévrotique est une exi-
gencestatique d'un illusoirestatuquo. Que cette fermeture, cet
état statiquedes tendancessoit générateur de conflitsdyna-
miques,le paradoxen'est qu'apparent.Les tendancesouvertes
s'intègrent significativement dans l'ensemblede la personnalité.
Fermées, elles pèsent sourdementet s'affrontent. La finalité
propred'une tendanceferméeest indéfinie,impérialiste.Le
« désird'êtreaimé», tant qu'il ne contempleque lui-même, n'a
aucune raisonde limiterses exigences,il est insatiableparce
qu'il est vide. La finalitéd'unetendanceouvertese combine,ou
peut se combinerlogiquementavec celle de toutesles autres,
dans un systèmemoyens-fin. Les finalitésdes tendancesfermées
luttentcommedes forcesaveugles.Un domainede survolest
principede dynamisme, mais de dynamisme unitairequi ne fait
qu'un avec l'activité; à l'état pur,il ne pourraitdonnerlieu à
aucunesensationde forceétrangère, à aucunconflit dynamique.
C'est une erreurcomplètede la psychologietopologiquede
K. Lewin,de croireque les conflits psychologiques peuventavoir
quelquechoseà voiravec le schémade vecteurss'affrontant dans
le seul champde comportement. Cetteerreurest toutà faitana-
logue à l'erreur de l'ancien associationnisme, qui parled'associa-
tionsd'imagesdansune conscience. Une rivalitédynamiquedans
le champde comportement (parexempleentrele caractère d'appel
de tel objet,et le caractèredangereuxde tel autre)donnelieu à
l'agencement d'un système« moyens-fm », mais non à un conflit
psychologique. Un conflitn'est jamais que l'affleurement d'une
rivalitédont l'origineest située dans une autre « dimension »
psychologique, d'unerivalitéentre« je » et les « autreje ». L'am-
bivalencepsychologique d'un objet,si l'on y réfléchit,n'estcon-
cevableque par cetteautredimension: l'objetambivalentsup-
pose un « je » hybride,ou en alternancedynamiqueavec un
« autreje ». Si réellement, pourreprendre un schémade Lewin2,
le « je » se voyaitenfermé dansune enceinte closede toutesparts,
1. KarenHomey,Self-analysis,p. 62.
, p. 140 et suiv.
2. Topologkalpsychology
R. RÜYEF. - NATURE DU PSYCHIQUE. 61

et visiblementimpossibleà rompre,il ne pourraitque se rési-


gner,sans conflitpsychique.Le conflitnaît de ce que le « je »
idéo-moteur est en mêmetempsun « autreje » mnémiquequi
ne connaîtpas la barrière.
C'est à bon droitque la psychanalysese dénommeà la fois
« psychologiedes profondeurs » et « psychologiedynamique».
Ces deuxcaractères sontétroitement liés. Parallèlement, on com-
sa
prendque thérapeutique, la solution des conflits dynamiques,
soitliée à la projection, surun seulplan,du psychisme morbide,
et dissocié: le conflit se résoutnécessairement s'il n'ya plusqu'un
seul champde comportement et un seul « je ».
La « sublimation » est une solutionhybride, intéressante parce
qu'elle met très bien en lumière le caractère hybridede la réalité
psychologique,notammentde l'instinct,« sens» et « force»
à la fois.Si l'instinctétait un thèmed'actionsignifiante pur,il
seraitabsurdede dire,par exemple,que l'instinctsadique peut
se sublimeren vocationd'infirmière ou de chirurgien. Un sens
différent est un sensautre,ce n'estpas un avatardu mêmesens,
commeFozoneest une variétéd'oxygène.Comme,en fait,cer-
tains phénomènes de sublimationsontpossibles,c'est la preuve
que l'instinctest un sensà demi« opaque» et matérialisé, et qu'il
peutdoncse comporter commeune matièreou une énergiephy-
sique,qui se conservetouten se transformant, ou qui peut être
employée à des fins différentes, comme la vapeurou l'électricité.
L'instinctparentalest plus transférable et transformable qu'un
amourmaterneldirigéconsciemment surtel enfant.Le sadisme
instinctif est plus sublimablequ'un sentiment de cruautécon-
scientdirigécontreun êtreconnu.Il est caractéristique que des
hormonessexuellessoient activantesaussi de la productivité
esthétique, commesi la partie« matérialisée » des instincts était
en rapportavec la matièreproprement dite. Nousavonsici une
contre-partie, heureusepourla santémentale,du caractèreaveu-
glémentimpérialistedes tendancesnévrotiques.
Il faut soulignerdu reste que la demi-finalité du psychisme
profondpossède sa valeur propre, autant la
que finalitéde la
conscienceunitaire,dont elle est d'ailleursindissociableet qui,
sans elle, seraitinconcevable.Le psychismeest une sorted'ar-
chitecture vivantedontles matériauxsontdes « thèmes» à l'état
« stationnaire », liés les uns aux autre?,à la foispar des relations
62 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

semi-externes par « pulsions» de procheen proche,et par les


correspondances intimesde leur sens. La psychanalyse, et la
psychiatrie dynamique,insistentnaturellement sur les incon-
vénientsde ces matériauxvivants,qui « travaillent » parfois
d'une façonbienfâcheusepourl'équilibrede l'édifice.Mais elles
ne doiventpas nous faireméconnaître l'harmoniesouple qui
caractériseà l'ordinairela construction. L'édificepsychologique
prolonge sans discontinuité un édificeorganiquede mêmenature
que lui, si l'on en croitle raisonnement et l'expérience *. Comme
l'édificeorganique,et beaucoup plus que lui encore,l'édifice
psychologiqueest capable de restructuration en fonctiondes
besoinset des tâchesdu moment.Les grandeslignesde l'édifice
psychologique sont immuables,commel'anatomiegénéralede
l'organisme ; l'héréditéet les impressions de la première enfance
le déterminent d'une façonpresqueirréversible. Mais grâceà la
naturede ces « cellules» psychiquesque sont les « autre je >»
mnémiqueset instinctifs, l'édificepsychologiquepossède une
« physiologie » d'une extrêmesouplesse. Quand un problème
nouveaului est posé,il s'organisepresqueinstantanément autour
d'un nouveaucentre.La fin,consciemment visée par le « je »
idéo-moteur, réorganisele psychismesous-jacent,en détermi-
nant une convergence momentanée, une architecture provisoire,
appropriée, des tensions et des pulsions promues au rang de
« moyens». La libertévraiede l'activitéconsciente et spirituelle
orientedans son propresens les libertésfragmentées des « cel-
lules» psychiques.L'actionsélectivequi, dans le rêve,s'exerce
d'une sphèresur l'autre,sans principedirecteur, est, dans la
veille normale,soumiseelle-mêmeà une directionhiérarchisée.
L'inventionne'peut certespas s'expliquerpar la seule «réso-
nance» des sphères,commeon l'a soutenu*,mais il est horsde
doute que cetterésonanceest pour elle un auxiliairepuissant.
Les « tâches» induisentd'une manièrequasi automatiqueles
sphèrespsychiquesappropriées. Touteinvention prendnaissance

1. Cf., par exemple, la psychiatrie d'Adolph Meyer.


2. A. Kœstler (le romancier),dans un livre intéressant: insigni ana uiuioor
«
(1949), prend très au sérieux la métaphore de la résonance. Il appelle opéra
teurs sélectifs», ou « champs opératifs» (operativefields),les « tâches », en tant
« »
qu'elles fontrésonnerles thèmes appropriés. Mais il croit à des traces« phy-
siologiques, et il distingue mal entre l'activité psycho-spirituelleet les induc-
tions » purement psychiques, ou psycho-physiologiques, simples auxiliaires.
R. RUTER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 63

dans un curieuxmélangede luciditéspirituelle et d'atmosphère


«
psychiquetrouble.Les multiplications logiques» sont portées
et facilitéespar de multiples« condensations ».
La valeur positivede cette demi-finalité psychiqueest sur-
tout évidentedans l'ordreesthétique*On pourraitêtre tenté
de croirequ'ilexisteun artspirituel plutôtque psychique, un art
de survollucide,classique,et que la demi-finalité psychiquecon-
cerne seulementl'art non classique, romantique,symbolique,
baroque,ou surréaliste. Maisl'artclassiquemêmefaitappel à la
« psychologie des profondeurs » ; il est harmonieuxpar l'équi-
librede la conscienceclaireet des « consciences-autres », et non
par la réduction au seul plan de la conscience « survolante ».
Il ne faut pas confondre Phidias avec Euclide. La différence est
plutôtque l'art nonclassiqueest moinshiérarchisé, plus proche
du rêveet de la vie autonomedes « autreje ». Mais dans toute
créationesthétique,les deux modes,les deux typesde finalité,
collaborent ; le jeu des « sphères» esttantôtdominé- il n'inter-
vient que dans les bonheursd'exécution,dans la rythmique
instinctive - tantôtprédominant, malgréune discrètesurveil-
lance de la conscienceactuelle.
C'est grâceà la multiplicité psychiqueque l'hommeest « na-
ture». La Natureestcaractérisée parla variétédes êtres,leurscon-
flits,leurs équilibrestoujoursinstables,leurs harmonisations
de procheen proche,leurssymbiosesbigarrées,leursimpéria-
lismesen tached'huile,toujoursarrêtéspar des milliersd'autres
impérialismes. Mêmeles créations« spirituelles » de l'humanité,
religieuses,juridiques,morales,philosophiqueset mêmetech-
niques,quand cettetechniqueest rudimentaire, sont toujours
enveloppées et véhiculées par des mémoires et des habitudes
irrationnelles, qui sont commeune fauneet une floremultiples
et intérieures, et qui revêtentles idées des couleursdu mythe.
D'où leur charme,le charmede tout ce qui est naturel.Les
hommesqui pourraient direcommeM. Teste : « La bêtisen'est
pas mon fort », mais qui n'ont pas la franchisede l'avouer,
manquentcruellement de ce charme,et essayentde se le donner
iellement: la philosophiespéculativefaitdes emprunts
artifìc à
la religionet à la mythologie ; une politique rationaliste et bureau-
cratiquese parede couleursempruntées à une histoiremythique
ou à une archaïquebarbarie; des artistes,en faittrèsintellec-
64 ET DE MORALE.
REVUEDE MÉTAPHYSIQUE

tuels et que trahitleur œil malin,s'inspirent


des productions
des
plus spontanées primitifs, des enfantsou des fous.
Il estremarquable que ce qui manifeste le modede la demi-finalité psychique,
soit à la foiseffrayant et fascinant1. Le spirituelpur,ou le mécaniquepur,
ne produitriende tel.Le « psychique», c'est-à-dire le domainedu sensà demi-
matérialisé,à demi-aveugle, à demi-automatique, surtoutle psychiqueisolé,
en rupturede ban,et menaçantde nouscapturerà la manièred'un « antreje >,
est le principemêmede ce que FreudappelleYUnheimlich (l'inquiétante étran-
geté)2. Ce n'estpas un hasardsi les expressions qui caractérisent le mieuxles
phénomènes psycho-mnémiques sontempruntées au vocabulairedu contefan-
tastique : « possession », « fascination», « larve», « mediumnité », « aura »,
«nuage » 3. E. Jentsch 4 considèreque le cas d' Unheimlich par excellenceest
« celuioù Tondoutequ'un êtreen apparenceanimésoitvivant,et inversement
qu'un objet sansvie soiten quelquesorteanimé». Que l'on songe,en effet, aux
figures de cire,aux automatesassassins,aux cadavresvivants,aux végétaux
qui tuent; à l'eau, ou à la flamme,quand elle paraîtvivre5, ou d'autrepart,
à la criseépileptique,aux manifestations de folie,aux animauxdu Dr Moreau,
aux enterrésvivants,à l'hypnose,au « magnétisme », au somnambulisme, à
l'arsenalpsychanalytique lui-même 6, avec ses forcessecrètes,son « Es », ses
complexes, sa libidoet son« instinctde mort» ; etenfin, aux ombres, aux doubles
au sang,aux têtescoupées,aux mains détachées,aux pieds qui dansenttout
seuls7.
Un mondemécanique,de mêmequ'un Dieu pur esprit,n'a rien d'inquié-
tant,ni d'ailleurs,d'attirant8.L'impression de «numineux» avec son ambiva-
lence analogueà celle qui faitl'attractiondu contefantastiqueou du roman
policierquand il n'est pas un simplemot croisé,apparaîtplutôtdevantune
natureou une divinité« psychique», larvaire,démoniaque,devantShiva, ou
devantle Yahvé primitif, qui sontdes consciences, mais des consciences bor-
nées,dontla cruauté,l'amourou la colèrene sontpas rationalisés et peuvent
s' « enflammer » parsimplerésonance 9. Freud,ici commedanstoutesonœuvre,
gâteet restreint une bonnepsychologie en voulantl'approfondir par le symbo-
lismesexuel.Il rattache1'Unheimlich du célèbreconted'Hoffmann : Der Sand-
mann,où le héros,1' « hommeau sable », arracheles yeuxdes enfantset réap-
paraîtcommeun spectresous diversdéguisements, au complexede castratio:i
- à quoi il rattacheaussile caractèreinquiétantdestêteset desmainscoupées.
La critiquequ'il faitde la thèsede Jentschest juste cependant.Les poupées
animéeset les soldatsde plomb,vivantset parlantsd'Andersen, ou la statuede
Pygmalion, ne nousdonnentaucuneimpression d' Unheimlich. Il fautqu'il s'y
ajouteune peurintime.Mais cettepeurest dérivée,nonpas tantde nos com-
plexes,que de notreexpériencedu psychisme et de son caractèrelarvaire,de
sa puissancede capture.Au fondde YUnheimlich, il y a l'idée de possession:
l'êtreou la choseinquiétantenousparaît« possédée», et en mêmetempsnous

1. C'estM. L. Vax, étudiantà la Facultédes Lettresde Nancy,qui a attiré


notreattentionsurcettequestion,à laquelleil a consacréun travail trèsinté-
ressant, non encore publié : L'Attraitdu Mystère,Essai sur quelques structures
affectivesambivalentes(Nancy, 1951).
2. Essais de Psuchanaluse appliquée (Gallimard).
3. PierreJanet(l'expressionest d'une de ses malades).
4. Zur psychologiedes Unheimlichen,cité par Freud, Essais de Psychanalyse
appliquée, p. 164.
5. Cf. les ouvragesclassiquesde G. Bachelard.
6. RemarqueFreud,loc.cit.,p. 178.
7. Freud,loc. cit.,p. 198.
8. Remarquede L. Vax.
9. O. Rank, Une Etude sur le Double.
R. RUYER. - NATURE DU PSYCHIQUE. 65

noussentonsnous-mêmes, devantelle,en dangerde possession; nousnoussen-


tonsobscurément menacéspar unemontrueuse hybridation de notreconscience
et de ces consciences« aliénées». Le thèmedu « double» le révèleà la perfec-
tion*. C'estun fantôme qui est « moi », maisun « moi» inférieur, automatique,
soumisau destinfatalet jetantsur « moi » l'ombrede sa fatalité.Il n'estpas
du toutdémontréque le « double», hallucination ou paramnésie vivante,soit
un avatarde « l'âmedoubledesprimitifs ». En touscas, s'il a été jamais «assu-
rancecontrela mort», il est aujourd'hui,« avant-coureur de la mort» ou de
la folie,mortspirituelle. Il est un commencement de désagrégation du spirituel
en psychique,du « je » saisi par ses propreslarvesK L'angoisse,ou le « mysté-
rieuxangoissant»,estlié à la présencede 1' « autreje », commela peurest liéeà
la présence de 1' « autre» absoluet devenuforceaveugle,et commele sentiment
du « salut» est lié à l'absencede toutealtérité,dans l'unitéspirituelle.
L'ambivalencefréquente des expériencesdu mystérieux inquiétant,à la fois
effrayantes et fascinantes, s'expliquede la mêmefaçon.C'est un reposque le
sommeil,le rêve; c'est un reposaussi que la folie,limiteextrêmedu rêve,et
que la mort,limiteextrêmedu sommeil.La domination de la conscience unifiée
est fatigante. L'attraitpourle récitfantastiqueest une formebénignede l'at-
traitpourle fantastiqueen actes.C'est une détentede la raison,commel'ex-
périencedu fantastiqueest une détentede la conscience.L'enfantde la bal-
lade du Roi des Aulnesest en trainde mourir: il meurt« capturé» par l'être
qui l'épouvanteet le fascinetoutà la fois.
Il y a destransitions insensibles entrele sensdemi-matérialisé, fermésursoi,
avec son tempspropre,arrêtéou toujoursrecommençant, des larvesinquié-
tanteset fascinantes, et le sensdétemporalisé et pourtant pas toutà faitretourné
à l'éternel,des mytheset des apocalypsesspirituelles.Les géantsengloutis
sous les volcanset toujoursen révolte,Rachel toujourspleurantses enfants,
les suppliciésindéfinis tels que Sisyphe,les Danaïdes,Prométhée ; les person-
nagesdes misesen scèneédifiantes que rencontre le Pèlerindu Pilgrim'sPro-
-
gresset que tousles autrespèlerinsreverront tousces êtresontle moded'être
des « sensstationnaires » dansles sphèrespsychiques, et la définition de Kretsch-
mer,par laquellenousavonscommencé ce travail,pourraits'appliquerà eux.
*
* *

Ea conclusion, le psychiqueest domaineintermédiaire entre


les deuxlimitesdu fonctionnement pur ou de la causalité pure,
du sens pur.Cela ne veutpas direque
et de l'actionspirituelle,
le psychiquesoitun domained'importance réduiteet accessoire.
Il faittoutel'épaisseurdu cosmos,qui n'est forméque d'indi-
vidus.Cesindividussonten eux-mêmes subjectifs,et ils cherchent
à réaliser des sens, mais ils sont finiset multiples,et ils s'in-
fluencent aussi bord à bord,commedes forcesétrangères. De
même,les motsdu langage,tout en exprimantun sens qui les
englobe, s'influencent aussi irrationnellement par confusion,
croisement, et contamination.
1. Un rêvecauchemar, biennotépar Ellenberger (op, cit.,p. 119) le montre
nettement. Le cauchemarsembleprovoquépar des « larves» mnémiquesba-
nales; pourtantle rêveur,à demi-réveillé, gardel'impression d'une angoisse
qui a été « la révélation
du fondde sonâme », et il écritdansl'obscurité, en per-
sonnifiant spontanément l'angoisse: « L'Ange de la folieest venu me visiter
cettenuit....Folie, Mort». (P. 120.)
Revue de Méta,1952. 5
66 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Ces deuxlimitesne sontpas symétriques. En effet,le fonction-


nementpur,soumisau déterminisme, est une limitethéorique.
Il n'estréalisénullepart.Il y a toujours,à sa base, des actions
individuelles.Mêmeune machinethermiquene peut fonction-
ner que parce-que les moléculesd'eau - et les molécules
constituant, en tant qu'elles« gardent» la soliditéde la machine
- exercentdes actions.Le déterminisme des fonctionnements
est purementmacroscopique.
Le spirituelpurne se réalisepas davantageen ce monde. Le
passagedu rêve,psychique, à la veilleet à la penséerationnelle,
n'estpas un passageau spirituelpur.Car,éveillé,le rêveurreste
encoreun individu,soumisà toutesles pulsionsbio-psychiques.
Nous ne nous réveillonsjamais du rêve de la vie. Un homme
éveillé- dontla consciencepsychologique est activeet unifiée
- continuenéanmoins, par l'influence des instinctssous-jacents
qui le meuventen le fascinant,ce que l'on pourraitappelerle
rêvebiologiquede l'espèce.Il en est possédécommeun somnam-
bule. Nousnaissons,nousnouséveillonsà la vie sans savoird'où
nousvenons,de la mêmefaçonqu'uneidée qui, en nous,devient
subconsciente, ne peutplus,alors,savoird'où elle vient,et, par
suite,pèse aveuglément sur notreconscience.
Mais si le spirituelpur ne se réalisepas en ce monde,si tout
individu,par définition, par le fait qu'il n'est pas le Logos,est
donc semblableà une sphèrepsychiqueoù le sens est comme
enfermé et à demi-matérialisé ; s'il est impossibled'imaginerce
que peut être le au
Spirituelpur delà du monde,sa réalité,à la
différence du fonctionnement, n'est pas seulementthéoriqueou
conventionnelle. Le psychique,c'est-à-direle spiritueldisjoint
et dissociédansle multiple, est inconcevable dans un Senstotal,
sans un Logos. Les motsne peuventêtredétachésdu langage.
L'idée d'unemultiplicité demots,qui n'appartiendraient à aucun
est
langage, absurde.La blancheurde la neigesupposela trans-
parencede la glace.
R. RUYER.

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