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PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE A LA RECHERCHE DE L'HUMAIN ET DU VÉCU

Author(s): E. Minkowski
Source: Revue de Métaphysique et de Morale , Juillet-Octobre 1947, 52e Année, No. 3/4
(Juillet-Octobre 1947), pp. 333-358
Published by: Presses Universitaires de France

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PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE
A LA liECHËRCHE DE L'HUMAIN ET DU VÉCU

En guise d'introduction : expériences personnelles.

Lorsque M. Gusdorf vint me proposer d'écrire cet article, mon


premier sentiment a été un sentiment de perplexité. Que vou-
lait-on savoir et que pouvais-je dire à ce propos? Sans doute
après avoir délimité la psychiatrie et la métaphysique, nous
aurions pu étudier leurs interférences. Pourtant, si je m'en tiens
à ma propre expérience, pensée psychiatrique et pensée philo-
sophique se trouvent à tel point liées que je ne saurais les dis«
joindre. Le « et » du titre paraissait être presque de trop. Certes,
lorsque j'ai une observation clinique à présenter, un certificat
d'internement à rédiger ou un traitement médicamenteux à pres-
crire, j'agis en médecin. En me servant des connaissances
acquises, je moule mon action sur le déroulement, plus ou
moins prévisible, des faits dans le temps. Mais très facilement je
dépasse la situation - médecin en face d'un malade, qui dans
l'espèce est un malade mental, - pour me pencher sur Vêtre
humain malade mentalement, pour essayer de pénétrer jusqu'au
fond de son être, et de tirer de la vision ainsi acquise sur le plan
interhumain des intuitions, des perspectives nouvelles, doublées
du désir d'intervenir, toujours sur le même plan, dans sa desti-
née. Cette attitude est-elle justifiée en psychiatrie? II me paraît
vain d'en discuter, tant cette attitude correspond à un besoin
profond, besoin qui, du reste, ne méconnaît point, nous venons
de le dire, la part des choses à faire en présence des tâches pra-
tiques que la vie journalière pose devant nous. Mais de cette
manière, psychiatrie et philosophie se touchent de très près, dans
la mesure évidemment où la philosophie de son côté ne se borne

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point à donner une réponse précise à des questions plus ou moins


abstraites, que le savant, avec quelque dédain, qualifie de « méta-
physiques », mais se penche, elle aussi, sur Tètre humain et sa
destinée et cherche toujours à nouveau à nous ramener des
conceptions, nécessairement abstraites, du savant - elles le sont
avant tout, venant s'interposer entre nous et la vie - vers la
source môme de la vie, vers celte source, non pas où l'espèce
humaine trouve ses origines, mais où Tètre humain prend
naissance, vers cette source dont jaillit en dernier lieu toute
vérité. C'est là probablement le sens profond du terme « anthropo-
logie » dont se servent aussi bien la philosophie que la psychia-
trie contemporaines. Celle-ci Taurait-elle simplement empruntée
à celle-là?
II m'arrive - et le lecteur excusera cette confidence - de
penser que mon nom s'inscrira peut-être dans l'histoire de la
psychiatrie ou de la philosophie. A la lueur du recul historique,
on me rangera probablement parmi les bergsoniens et les spirit ua-
listes de notre époque. Je le suis en effet. Pourtant, cette appré-
ciation ne me satisfait guère. Un bergsonien, un spiritualisle de
plus! Est-ce tout? Il ne s'agit point là d'une question d'amour-
propre. L'insatisfaction vient de ce que je sens ainsi mon effort
comme appauvri, comme détaché des sources vives où il a pris
naissance et qui, elles, n'ont à connaître ni de l'histoire ni du
recul historique. Être un bergsonien, être un spiritualiste, en ce
que ces termes peuvent avoir de schématique, est-ce donc tout ce
que j'ai cherché dans la vie ?
Bleuler fut mon maître en psychiatrie, Husserl et Bergson ont
été mes guides en philosophie. Bleuler, profondément imbu des
méthodes des sciences naturelles, professait une sainte terreur
de la philosophie; il était pourtant beaucoup plus près de « Tètre
humain » qu'il ne le croyait lui-même. Husserl et Bergson
étaient au plus haut degré des philosophes dans le sens que
nous donnions tout à Theure à ce terme. Très proches dans
mon esprit, les Données immédiates de la conscience paraissant
toucher de près Y essence des phénomènes, tous deux nous
ramenaient à nouveau, par réaction à toute abstraction abusive,
qu'elle vienne de la science ou de la philosophie, vers la source
de la vie.
C'est pourtant la notion de durée vécue qui est devenue le

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point de départ de mon propre effort. Il pourra être dit, à juste


titre du reste, que je me suis efforcé d'appliquer les notions
bergsoniennes à la psychopathologie. Mais là encore il paraît
opportun d'insister sur le sens à donner au terme « appliquer ».
Il ne s'était point agi d'emprunter simplement à la pensée berg-
sonienne ses notions et de les transporter, comme on transporte
des objets ou des outils, dans le domaine des faits psycho-
pathologiques. Les Données immédiates de la. conscience ont
été pour moi une véritable révélation. Celait au premier chef
une des plus profondes expériences vécues dont j'ai eu à con-
naître. Et par la suite, en face de mes malades, dans un effort de
pénétration, j'ai à nouveau vécu ce que par des mots j'essayais
d'exprimer au sujet des particularités de leur vie mentale, qui, de
cette manière, ont pu m'être révélées. Il s'agissait par conséquent
de bien plus que d'une simple observation ou d'une simple des-
cription de faits, au sens courant des termes. Et le mot « appli-
quer » risque de passer à côté de ce qu'il y avait de vécu dans ces
expériences.
Mais j'ai quelque scrupule de tant parler de moi. Circon-
stance curieuse, après les terribles années qui se sont abattues
sur l'humanité, maintenant que je reprends petit à petit mes
pensées et mes recherches, maintenant que des années ont passé
et qu'involontairement l'idée de la fin se pose devant l'esprit, je
ne résiste plus au besoin de m'altarder à des expériences per-
sonnelles qui marquent pour moi les étapes parcourues intérieu-
rement. L'historique de mon propre effort se déroule devant mes
yeux. Et c'est ainsi que je me suis laissé aller à exprimer ma
conviction qu'au fond toute métaphysique, dans la mesure où elle
se penche sur l'ôtre humain et sur la vie, - et cela après les
événements des dernières années paraît plus que jamais être
sa vraie vocation - ne peut pas ne pas être riche en enseigne-
ments psychologiques, de même que toute psychologie, et davan-
tage encore toute psychopathologie1, dans la mesure de nouveau
où elles cherchent à nous rapprocher du même être humain,
comportent nécessairement, que nous le voulions ou non, des
échappées vers la métaphysique. Cette conviction trouvait son
expression dans le Temps vécu, ses deux parties, l'une philo-

1. Nous reviendrons encore sur le rôle particulier de la psychopathologie.

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sophique, l'autre psychopalhologique, venant se fondre organi-


quement dans le même ouvrage.
Il ne s'agit point d'être organiciste ou psychogénitiste, maté-
rialiste ou spirilualiste. Loin de là. Ce qui importe, c'est que la
même méthode, que nous l'appelions méthode phénoménolo-
gique, intuition ou pénétration, retrouve son champ d'action
aussi bien en philosophie qu'en psychopathologie, qui se
rejoignent en elle dans la recherche commune de l'humain et du
vécu.

Que maintenant notre tâche ne peut consister simplement à


passer en revue comment la phénoménologie, le bergsonisme, ou
plus récemment l'existentialisme ont été « appliqués » à la psy-
chopathologie, cela va de soi. Bien plus intéressant nous parait
d'étudier comment la psychopathologie s'est trouvée d'elle-
même toute préparée à une « application » de cet ordre, com-
ment, sans s'en douter peut-être elle-même, elle lui a donné
accès, porteuse, elle aussi, des tendances qui caractérisent le
renouveau de la pensée philosophique contemporaine. Cela
n'exclut évidemment pas que tel ou tel autre psychiatre ait clé
influencé, ou mieux inspiré, par tel ou tel autre philosophe1.
Mais encore pour que cette influence pût s'exercer, il fallait que
la psychiatrie prêtât « matière » à pareille application. Les mala-
dies de l'estomac ou les fractures ne le font point. Et nous voilà
en face du problème : psychiatrie et métaphysique. Le lecteur
excusera, je l'espère, cette un peu trop longue et trop subjective
entrée en matière.

Les deux sources d'inspiration de la psychiatrie.

La psychiatrie procède à ses origines, et probablement de tout


temps, d'un phénomène particulier : la folie. Ce phénomème lui
assure une place à, part. Extrascientifique, à la portée de tous, il

1. 11 eut élé évidemment du plusiiaut intérêt d'envisager lo problème éga-


lement de ce biais. Gela nous aurait permis de mentionner les noms et les
travaux de tous ceux qui ont suivi cette voie. Cette façon de faire nous aurait
pourtant entraîné trop loin. Nous avons préféré refondre cans la mesure du
possible ces divers effort* personnels pour essayer d'en donner un aperçu d'en-
semble. Dé* là un certain «r anonymat » concernant les personnes, dont nous
nous excusons. Mais en môme temps nous demandons au lecteur de ne pas
attribuer à notre personne ce qui n'est que l'tipression d'un effort commun.
Je n'ai pas été étranger à ce mouvement» et cet esposé, je l'ai rédigé, sans
doute, à ma façon, mais je n'en suis point, au fond, le seul auteur.

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fait partie de la vie. Le commun des mortels est familiarisé avec


ce mot et s'en sert. A nous de nous pencher davantage sur son
contenu.

La folie vise un événement d'une gravité exceptionnelle, un


événement catastrophique ; il comprend l'effondrement de la per-
sonne humaine et marque profondément sa vie. Il représente à ce
point de vue en principe quelque chose d'irréparable. Le carac-
tère passager lui enlève sa portée. Elle est une issue fatale, une
fin. Elle ressortit ainsi à la destinée et est do ce fait essentielle-
ment humaine.
La façon de concevoir la folie s'est trouvée mêlée à tous les
grands mouvements qui ont traversé, qui sont venus profon-
dément secouer et parfois entacher, le sort de l'humanité. Elle a
pu être considérée comme expression de possession démoniaque
ou comme conséquence d'un péché. Les fous en ont pâti. Con-
jointement, depuis toujours se manifestait la tendance à consi-
dérer la folie comme « maladie », tendance inspirée, semble-t-il,
par le souci non pas tant d'étendre le domaine de la médecine
que de restituer à la folie son caractère humain, en ce que le
médical a justement d'humain en lui. De nos jours nous faisons
remonter cette tendance à Pinel, médecin-philanthrope avant
tout. Elle a connu d'ailleurs des exagérations. Les maladies
mentales ont été assimilées à des « maladies du cerveau », ou du
moins décrétées comme telles, le « reste », c'est-à-dire ce qui
ne rentrait point dans ce cadre, étant mis de côté. Trop médicale
dans ce sens, la psychiatrie renonçait à une partie des données
et des problèmes qui incontestablement étaient de son ressort.
Matérialisme et spiritualisme sont venus exercer leur influence
dans ce domaine, tous deux, de par leur juxtaposition ration-
nelle et schématique, péchant par excès de zèle et passant à côté
des données immédiates et du vécu, situés au delà d'une juxta-
position de cet ordre et lui étant « génétiquement » (sur le plan
phénoménal) antérieurs. Mais il ne s'agit point de retracer ici
l'historique des diverses conceptions de la folie, ne fût-ce que
pour celte raison que l'histoire ne peut pas nous rendre compte
du « présent » vécu, présent dont l'histoire ne retiendra que ce
qu' « historiquement » elle en saura détacher, et qui est loin d'en
être le tout.
En tous les cas, si à côté de la médecine humaine nous con-
Retqb db Méta. - T. LVII n" 3-'., 1*47. 22

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naissons la médecine vétérinaire, 91 de même nous parlons de


maladies dans le monde végétal, la psychiatrie reste réservée à la
première. Sans doute, il a été question, occasionnellement, de
troubles mentaux chez les animaux, mais cela a eu lieu surtout
dans le souci de faire prévaloir une conception donnée, comme
celle des reflexes conditionnés par exemple. Et les faits visés
ainsi ne présentaient qu'une analogie bien éloignée avec le phé-
nomène de la folie, pris dans son intégralité, chez l'être humain.
11 ne pouvait en être autrement. Folie et animalité ne se marient
guère.
Nous sommes ramenés ainsi au phénomène de la folie. La folie
comporte, comme nous lavons vu, l'idée d'une fin. Il se peut que
sur le plan médical cette circonstance sé soit traduite par la place
qu'est venue prendre ici l'idée d'incurabilité, cette idée, sous
forme de notion de « démence » avant tout, s'étant trouvée
incluse, pour ainsi dire, d'une manière intrinsèque, dans le con-
cept même des principales directions mentales. D'autre part, la
folie comporte également l'idée de genèse, d'une voie de prédi-
lection qui peut mener vers elle : ce sont de vrais coups du des-
tin, portés, dirait-on, sans merci par la fatalité, qui viennent
ébranler dans ses assises la vie de l'être humain et font sombrer
sa raison.

L'effondrement qui en résulte, présente un caractère particu-


lier. Ce n'est point un pur et simple anéantissement. Une certaine
vie continue; elle se traduit par des mots, par des mouvements,
par des gestes, comme le fait la vie en général. Mais ce ne sont
plus là que les mots et les gestes d'un insensé. Il a beau parler,
crier, gesticuler, nous ne le comprenons plus. Le fou se trouve
exclu de la communauté des vivants. Il n'en fait plus partie, ne
s'y intègre point. Par là la folie s'apparente à la mort. Comme
elle, elle représente une interruption, une fin. Avec elle, elle par-
tage aussi, à ce titre, un caractère de mystère.. Elle en diffère
pourtant en ce sens que, tout en étant une « mort », elle ne l'est
pas au sens global de ce phénomène. Le fou se sépare de la com-
munauté <les vivants, mais ne fait point partie du royaume des
morts; et entre eux, les fous ne forment point de communauté
non plus. Mais, tout comme la mort, la folie met fin à l'apparte-
nance de l'être humain à la collectivité des vivants. Le terme
« aliéné » traduit cet état de choses.

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La communauté des vivants doit pourtant être située d'une


manière plus précise. Il ne s'agit point d'une collectivité au sens
biologique ou au sens social du terme, aussi peu du reste qu'il
s'agit de réactions antisociales du fou, susceptibles de déterminer
des mesures de défense à son égard. La folie va beaucoup plus
loin en profondeur. Car, avant que les individus ne viennent se
heurter fatalement les uns aux autres, à la suite de leurs intérêts
divergents, sur le plan biologique, social, économique ou poli-
tique, les êtres humains ressortissent à cette communauté par-
ticulière où, en débordant largement le biologique et le social,
ils se retrouvent dans leur similitude humaine, et où ils sont
faits pour se comprendre, pour former une vraie communauté.
Plus encore que la mort, la folie nous l'enseigne.
Tel est le phénomène de la folie et tel dans la vie nous le
manions. Les écrivains nous présentent la folie comme l'issue
d'un drame, et, sans trop nous soucier de l'exactitude clinique
de leurs descriptions, nous les suivons aisément dans cette voie.
C'est qu'il ne s'agit point là d'exactitude clinique, mais de vérité
vitale et humaine. Et les parents de nos malades, là môme 06
nous nous trouvons en face d'une psychose avérée, nous
demandent avec angoisse : « Mais, n'est-ce pas, Docteur, ce n'est
pas la folie?». A la folie, à l'asile qui héberge les aliénés, au
psychiatre même qui en a la charge, un préjugé défavorable et
tenace reste accroché. Sans doute, par des mesures d'assistance
de plus en plus libérales, par les traitements qui sont venus
enrichir nos moyens d'action, par une propagande appropriée,
par l'extension donnée à l'hygiène et à la prophylaxie mentales,
du terrain a été gagné. Un gros effort reste pourtant encore à
faire.
Une tendance ainsi s'affirme. Si la folie est essentiellement
humaine en ce sens qu'elle atteint la destinée de Tètre humain en
l'excluant de la communauté des vivants, elle se traduit par une
brèche, profonde et irréparable à première vue. Mais placé en
face de Tun de nos semblables, quel qu'il soit, nous ne saurions
nous contenter de l'idée d'une brèche comme telle, ni renoncer à
voir en lui un « semblable ». L'homme est fait pour rechercher
Vhumain. Par son essence, il est appelé à faire de « l'anthropo-
logie ». Ses vues sont en ce sens humanitaires. Et c'est ainsi que
naît le désir de réduire la brèche au strict minimum, et sans you-

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loir peut-être réintégrer le fou à la communauté des vivants, le


faire pourtant dans la mesure du possible, en recherchant ce qu'il
y a encore de vivant en lui.
Une contradiction semble pourtant subsister. La folie exclut
Tètre humain de la collectivité des vivants, et nous, nous cher-
chons à l'y intégrer. Nous avons, en partie du moins, levé cette
contradiction. La folie, phénomène initial, porte en elle tout un
drame, en même temps que son dénouement. Elle comporte une
rupture, elle se traduit par une brèche. Mais nous ne nous détour*
nons pas pour autant du fou. Vers lui nous nous tournons. La
brèche, vue à nouveau dans la perspective des essentielles rela-
tions interhumaines, ne saurait être acceptée. Et là prend nais-
sance le courant, non pas philanthropique, mais anthropologique
de la psychiatrie.
Ici se place la question de savoir dans quelle mesure, nous les
psychiatres, nous restons tributaires du phénomène initial de
folie. Sans doute lorsque, dans l'exercice de nos fonctions jour-
nalières, nous décrivons les symptômes que présente notre
malade, l'image de la folie nous effleure encore à peine. Encore
moins là où nous nous trouvons en présence de cas très discrets,
que pourtant nous rattachons, comme forme latente ou même
comme simple prédisposition, aux psychoses. De même lorsque
pertinemment nous savons qu'il s'agit de troubles tout à fait
passagers et réversibles.
Il n'empêche que tout psychiatres que nous sommes, lorsqu'à
l'occasion d'une conversation banale avec un ami, nous sommes
amenés à nous rendre compte brusquement, sans que rien nous
ait permis jusque-là de le prévoir, que nous avons un halluciné
ou un délirant devant nous, nous vivons douloureusement la rup-
ture qui se produit ainsi et voyons l'image de l'insensé, de la folie
se dresser devant nous. La folie vient là faire brutalement irrup-
tion dans la vie. Deux fois il m'est arrivé de vivre une situation
de cet ordre.

Fait clinique et fait psycuopathologique.

La psychiatrie procède comme toute autre branche de la


médecine. 11 y est question d'antécédents, de palhogénie, d'élio-
logie, de diagnostic, de durée, d'évolution, de pronostic, d'effets
de nos interventions thérapeutiques. Elle étudie ainsi le dérou-

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lement des faits dans le temps, en les subordonnant quand elle


le peut au rapport de cause à effet. Pour ce faire, elle se sert de
symptômes qu'elle commence par décrire et par classer : illu-
sions, hallucinations, idées délirantes, troubles de la conscience,
de l'orientation, de la mémoire, de .l'affectivité, etc. Elle com-
porte ainsi nécessairement une psychopathologie. Cette psycho-
pathologie correspond aux fins qu'elle poursuit et se trouve
subordonnée à la psychologie, en ce sens que le « pathos » en
elle, comme en médecine en général, est ramenée à une dévia-
tion, à une déformation, à une insuffisance d'une fonction ou
d'une faculté. Nous pouvons en ce sens parler de psychopatho»
iogie clinique. Sans doute, cette psychopathologie ne passera
pas à côté des différences qui existent entre les inconsistantes
idées de grandeur d'un paralytique général et celles, basées sur
une hypertrophie du moi, d'un paranoïaque, ou celles, se signa-
lant par leur caractère discordant, d'un schizophrène. Mais ce
faisant, elle ne changera pas de caractère! Cette méthode des-
criptivo-clinique suffit aux fins qu'elle poursuit et la psychiatrie
peut, sans inconvénient, s'en contenter.
Mais nous avons beau être psychiatre depuis de très longues
années, il nous arrive pourtant de rester comme en arrêt devant
les différentes manifestations d'aliénation mentale en présence
desquelles nous nous trouvons. Un mystère, un facteur d'inconnu
les enveloppe, dirait-on. Il ne s'agit point de ce que leur cause
nous échappe. C'est bien de leur nature elle-même que se dégage
ce caractère.
Parmi les manifestations psychopathiques, c'est le phénomène
délirant qui s'impose à nous en premier lieu de cette manière.
Nous pouvons avoir des idées fausses; pour les expliquer, nous
pouvons invoquer un trouble de jugement. Mais comment un
être humain arrive-t-il à affirmer avec une telle certitude une
idée fausse, contre toute évidence, contre tout ce qui à chaque
instant y apporte un démenti flagrant? 11 y a là certainement
autre chose qu'un simple trouble du jugement.
J'essaie de pénétrer le mystère. Celte recherche cette fois-ci
n'est point guidée par l'enchaînement des faits dans le temps.
Cantonnée dans le « présent », c'est dans cette voie uniquement
qu'elle s'efforce de se frayer un passage. Maintenant le contenu
des idées délirantes reculera à l'arrière -plan, pour céder le pas à

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cette « conviction » toute particulière qui les accompagne. Ce


n'est pas tant l'idée que cette conviction qui est délirante. C'est
elle qui détermine le caractère propre du phénomène, et em
second lieu seulement se pose la question de savoir pourquoi
cette conviction délirante se fixe maintenant sur des idées
fausses. Cela du reste n'est pas toujours le cas ; les délires de
jalousie ou de persécution peuvent fort bien comporter un pré-
texte réel, sans que l'attitude soit moins délirante pour cela. De
plus, ce qui s'oppose à l'idée délirante, ce n'est point une idée
juste, mais ce perpétuel flux et reflux des idées en connexion
intime avec les appels venant de la vie. Si quelqu'un affirmait
son bon état de santé avec la môme persistance et la môme rigi-
dité que le fait l'hypocondriaque délirant, pour bien portant qu'il
soit, il risquerait fort de donner l'impression d'être un délirant.
Nous avons des croyances, des convictions. Elles peuvent
Aire, selon les individus, plus ou moins fortes, plus ou moins
rigides. Elles gardent pourtant une frange, faite de souplesse
et de mobilité, appelée à les rendre humaines. Parfois la frange
semble se réduire à néant; la rigidité est telle qu'elle nous fait
faire un mouvement de recul. Nous côtoyons là de près le patho-
logique. La conviction délirante pourtant est d'une autre
essence. Elle dépasse largement les 100 pour 100 de certitude.
Elle n'a plus rien à voir avec la vie ambiante, et tout en venant
s'y extérioriser en ¡sole entièrement l'individu. « C'est une certi-
tude qui me dévore », nous disait un de nos malades. « Être
malade » fait maintenant place à « tUrc différemment ». Une pro-
fonde diiîércnce de nature s'affirme ainsi. Une forme de vie par-
ticulière se révèle à nous. Ce sont ses caractères que nous vou-
drions préciser et approfondir. Nous voilà loin du plan stricte-
ment médical. Une tout autre attitude entre en jeu; elle nous
vient peut-être du phénomène initial de la folie.
Est-il dès lors encore permis de parler de pathologie? Au
début, nous disions que l'étude de ces différentes formes de vie
mentale se plaçait davantage sous le signe du « logos » que du
« pathos ». Aujourd'hui nous sommes portés à envisager les
choses d'une manière dilTérente. Nous croyons devoir conserver
le « pathos », en le prenant au sens large du terme, « la maladie »
n'en étant qu'une des variétés concrètes. Nous pouvons ainsi
nous éloigner de celle-ci 6ans abandonner celui-là. C'est que les

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E. MINKOWSKI. - PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE. 343

différentes formes « d'être autrement » se placent d'elles-mêmes,


d'une façon immédiate, sous le signe de la « souffrance », au sens
large du terme, en ce qu'elles sont justement atteinte profonde
portée à la vie, à la destinée humaines.
De cette manière se précise le fait psychopathique. Il le fait
sous forme d'une modification qualitative, allant dans le sens
d'un appauvrissement, d'un rétrécissement de la forme de la vie
en général. H comporte ainsi d'une manière immédiate et non
par comparaison l'idée d'une norme. Cette norme n'a pourtant
nullement pour objet l'individu normal, qu'on a tant de peine à
définir, mais la forme de la vie en général, de cette vie qui, bien
qu'elle ait à connaître dans la vie des individus qu'elle englobe
de la souffrance, ne se place pas sous son signe, mais qui, au
contraire, oppose son « bien-être », au sens textuel du terme, au
« mal-être » qui caractérise le fait psychopathique, qui oppose
la façon dont tout individu se meut et évolue dans la vie, en
venant s'y intégrer, à la barrière qui se dresse entre cette vie et
la forme modifiée se trouvant à la base du fait psychopalhique.
Ce qui a étc dit a propos de la folie sur l'exclusion de la com-
munauté des vivants revient ici à l'esprit.
L'autonomie de la psychopathologie par rapport aussi bien à
la clinique qu'à la psychologie s'affirme du même coup. Elle
aura pour objet, en premier lieu du moins, l'élude des diverses
modalités de 1' « être autrement », chacune de ces modalités réa-
lisant, pour l'aliéné qui la porte en lui, un monde à part. Il est à
peine nécessaire d'insister sur ce que celle étude n'aura rien à
voir avec les déviations des facultés psychologiques telles que
s'en sert la psychopathologie clinique. Le fait psychopatholo-
gique, en s'écartant de la norme de la vie, se détache de son
flux, ressort de ce flux, par son aspect particulier, en relief. Le
fait psychologique le fait bien moins ou ne le fait pas du tout.
Et la psychologie, en tant qu'elle étudie les differences indivi-
duelles, échappe à celle façon de voir. Tout au plus aura-t-elle
- - et c'est là une tâche séduisante - à déterminer la contexture
générale de la vie psychique, c'est-à-dire à fonder ainsi une sorte
de psychologie générale. Certes, l'aliéné est aussi un individu.
Mais, comme nous le disions ailleurs, c'est uu individu qui est
sorti du cadre de la vie et qui, de ce fait, laisse loin derrière
lui l'échelle des différences individuelles. Chez lui l'individuel

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344 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

s'efface devant « l'être autrement » qui le porte. Aussi voyons-


nous les divers syndromes mentaux se répéter, d'individu à indi-
vidu, avec une régularité plus que surprenante à première vue,
comme s'ils étaient, dans leur formation, soumis à une loi, de
sorte qu'il semble permis de dire que les aliénés en tant qu'alié-
nés, dans les relativement très peu nombreuses variétés « d'être
autrement » qu'ils peuvent réaliser, se ressemblent bien plus que
ne le font les individus normaux, dans leur variété inépuisable.
C'est que les individus plongent dans le monde dans lequel ils
vivent et qui leur est commun, tandis que l'aliéné, du fait qu'il
s'en sépare radicalement, porte son monde en lui, ces mondes,
qui traduisent toujours les mêmes modifications profondes de la
structure, ne pouvant plus que se répéter d'un cas à l'autre.
Ceci ne contredit point l'opportunité d'individualiser, sur le plan
empirique, chaque cas auquel on a alTaire. Le plan interhumain
et le plan des réactions entre individus sont tout différents l'un
de l'autre1.
C'est la conviction délirante qui nous a mis sur la voie de
« l'être autrement ». Mais il est évident que celui-ci va plus loin
et s'applique à l'ensemble des faits qui constituent la psychose.
C'est sous cet angle qu'ils devront être interprétés. Le délire de
persécution ne saurait être superposé à des persécutions réelles.
Le persécuté vit dans un monde à part, dans un monde irréel si
Ton veut. Les persécuteurs qui interviennent dans son délire
sont des êtres schématises qui n'ont pas figure humaine, non pas
dans le sens qu'ils se livreraient à des agissements inhumains,
mais dans le sens qu'ils ne sont là, dirait-on, que pour cela,
qu'ils ne font que cela. Et la persécution elle-même apparaît
comme l'expression d'une hostilité globale du monde ambiant qui
s'amalgame, pour ainsi dire, autour d'elle, et qui, privée des fac-
teurs appelés à contrebalancer ses effets, dans sa masse menaçante
semble devoir directement se déverser sur vous. Ce n'est qu'une
fois ce monde délirant constitué que le délire, secondairement
déterminé dans son élaboration par des facteurs affectifs, vient
se fixer sur certaines personnes concrètes.
Parfois, pour rendre les délires plus plausibles, on a essayé de

1. Il De nous est guère possible de nous attarder sur les di verres modalités
4e € l'être autrement » que la psychopathologie contemporaine a pu préciser
en prenant pour point de départ les divers syndromes cliniques.

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E. MINKOWSKI - PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE. 345

les déduire d'expériences de la vie plus proches de nous qu'ils ne


le sont. Du sentiment d'influence, de l'inquiétude qu'il comporte,
on passait au délire d'influence, fort de la constatation que ce
sentiment précède parfois le délire. Nous ne voulons point nier
la portée de ces constatations. Mais le délire une fois constitué
avec la conviction absolue et irréductible qu'il comporte, entre
lui et la simple appréhension ou l'anxiété il y a un abîme. Mis en
face du délire, nous éprouvons le besoin de pénétrer plus à fond
sa nature, en nous cantonnant, comme nous le disions, dans le
« présent ». Ici, « l'être autrement » s'impose à nous. Nous vou-
lons même étendre au maximum l'écart par rapport à la norme
qu'il comporte. Et, circonstance curieuse à première vue, nous
ne creusons pas de cette manière, pour ce qui est de la com-
préhension de la folie, cet écart davantage, ipais tout au con-
traire, en essayant de préciser les caractères essentiels du monde
particulier dans lequel vit l'aliéné, pour différent que ce monde
soit du nôtre, nous croyons faire un pas en avant quant à sa con-
naissance et lever ainsi en partie le rideau du mystère qui, au
premier abord, nous en sépare« C'est qu'en nous, non pas en
nous en tant qu'individus particuliers, mais en tant qu'êtres res-
sortissant ù la vie et appelés à participer à elle dans toute son
étendue, nous portons les éléments essentiels, non pas de la folie
évidemment dans sa portée empirique, mais de ce qui en consti-
tue la structure profonde. Notre eiîort de pénétration se montre
capable de les transformer en « connaissance » positive en préci-
sant les caractères de cet « être autrement » auquel il se heurte.
L'attitude ainsi adoptée est toute différente, cela va de soi, de
l'attitude causale. Elle ressortit non pas à la relation de cau-
salité, mais à celle de V expression, toute différente, quant à ses
caractères, temporels avant tout, de la précédente. Non pas anté-
rieurement, mais derrière l'exprimant nous appréhendons
l'exprimé, derrière le signifiant le signifié, exprimant et exprimé
étant par essence de nature différente, mais se touchant de si
près qu'ils se confondent en un tout. A chaque instant cette
relation intervient dans la vie courante, sans même que nous y
prenions garde. Elle constitue une des bases de nos relations
avec nos semblables. L'exprimant et l'exprimé ne sont pourtant
pas liés d'une façon indissoluble et univoque l'un d l'autre. Une
scission peut se produire. Une feinte, voulue ou non voulue,

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346 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

consciente ou inconsciente, est possible. Des mots et des gestes


on peut faire un usage abusif. Derrière le masque, nous voulons
découvrir le visage réel. Là où, auparavant, les choses se dérou-
laient toutes seules, un effort de notre part devient nécessaire.
Ce n'est ni un effort de réflexion, ni un effort de confrontation de
connaissances acquises dans le passé surla personne en question,
mais un effort de pénétration. Derrière les apparences pouvant
être trompeuses, nous voulons aller jusqu'au fond des choses,
nous voulons voir le réel, le vrai élat des choses. Le regard suit
ainsi la direction déterminée par le phénomène de l'expression ;
il la prolonge, en ce sens qu'il dopasse la couche de ses manifes-
tations naturelles et courantes pour aller en profondeur, pour
voir ce qui, dans des cas particuliers, faisant appel à un effort de
pénétration de notre pari, se trouve dans sa réalité première par
derrière. Notre effort do pénétration à l'égard des délires est, au
fond, de môme nature. Lui aussi consiste en un prolongement
allant dans la direction de l'expression. Sans doute le problème
est différent, la direction de l'effort reste pourtant la môme Nous
ne voulons point pénétrer jusqu'à ce que le masque cèle derrière
lui, mais nous voulons savoir ce que les manifestations idéiques
et autres de l'aliéné viennent exprimer. Ces manifestations, nous
ne saurions plus les prendre au pied de la lettre, rapprocher le
délire de persécution de situations ayant trait à des persé-
cutions réelles ; guidé par « Tètre autrement » et soucieux de lui
conserver sa nature, nous voulons savoir ce qui, derrière cette
façade faite «Tidies délirantes ou d'autres manifestations psycho-
palhiques, en constitue le fond.
Nous aboutissons ainsi au principe du double aspect des
troubles mentaux : aspect idéo-a /fecti/', d'une part, et aspect
structural, de l'autre, celui-là constituant le tableau clinique,
celui-ci visant la modification profonde dans la structure de la
vie et conditionnant ainsi cet « être autrement » qui vient domi-
ner notre recherche. Ces deux aspects sont reliés par la relation
de l'expression. L'aspect idéo-affectif traduit, exprime dans le
langage courant d'idées, de concepts et d'émotions la fêlure pro-
fonde qui s'est produite dans la vie et qui constitue le (rouble
générateur, comme nous disons également, trouble de nature
structurale qui sert de support aux symptômes cliniques.

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E. MINKOWSKI. - PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE. 347

Db l'affectivité au contact vital avec la rkalité


et au synchronisme vécu.

Mais revenons sur nos pas. Pour caractériser les tendanc


la psychopalhologie contemporaine, nous entendons pa
psychopathologie affective, considérée comme une réaction
l'intellectualisme excessif de l'ère qui a précédé la nôtre.
L'avènement de la psychopalhologie affective de nos jour
lie en premier lieu au nom de Freud. Eu effet, dans ses pr
travaux - et ce sont ceux auxquels nous attribuons la
grande importance - pour expliquer les troubles observ
place de « l'idée » ou de « la fonction » il mettait un ré
nement à lourde charge affective, de nature à pénétrer pro
ment dans la vie de l'individu et i' décider de sa destinée. Le con-
flit, le « roman », le drame faisaient ainsi victorieusement irrup-
tion dans le « domaine gardé » de la science. Les « savants »
prolestèrent avec véhémence. Us donnaient la préférence à une
psychologie physiologique, à une psychologie « atomique ». Il
n'empêche qu'un pas, pour peu « scientifique » qu'il fût, vers
¡'humain était fait ainsi, et la psychopathologie pouvait s'enor-
gueillir d'une importante et nouvelle acquisition. Les notions de
complexe et de refoulement étaient nées.
Par la suite, Freud, guidé par le principe de causalité, a intro-
duit la notion de la libido et sur elle, en connexion avec d'autres
pulsions instinctuelles, a bâti l'image énergétique de l'évolution
de la vie humaine, en s'éloignanl déjà là, par excès de « scien-
tisme », de l'humain tel qu'il nous est donné, avant toute chose,
d'une manière immédiate. Puis, toujours dans la même direc-
tion, il a été amené, n'évitant point les écueils dun psycholo-
gisme, d'un causalisme, d'un matérialisme excessifs, à considé-
rer de ce biais les phénomènes les plus élevés de la vie, à savoir
les phénomènes religieux et moraux, pour aboutir aux notions
du ça et du sur-moi, notions qui restent, à notre sens, bien en-deçà
de ces phénomènes primordiaux, et nous paraissent, par consé-
quent, pauvres et insuffisantes.
Mais le freudisme n'est pas la seule direction dans laquelle
devait s'engager la psychopathologie. Mises en relief à l'occa-
sion de l'étude des névroses, et plus particulièrement de l'hys-
térie, les notions de Freud devaient rapidement pénétrer en psy-

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348 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

chiatrie. Ici celte réaction contre un rationalisme excessif rejoi-


gnait la réaction contre l'extension abusive donnée en psychiatrie
à la notion de démence, en tant qu'affaiblissement global, défi-
nitif, irréparable, échappant ainsi, par définition pour ainsi dire,
à toute intervention médicale, des facultés intellectuelles. Une
des manifestations les plus saillantes de ce dernier mouvement
a été, à côté des « folies discordantes » de Chaslin, la notion de
schizophrénie de Bleuler. C'est en cette notion que se rencon-
traient les deux lignes« très distinctes au début, qu'avait suivies
la psychopathologie, Tune de ces lignes ayant pour point de
départ l'hystérie, l'autre la démence précoce.
C'est dans le domaine de la schizophrénie avant tout que péné-
traient les notions des premiers travaux de Freud. La notion du
contenu, du contenu affectif s'entend, était née. De même que
derrière le contenu manifeste du rêve Freud nous a enseigné à
rechercher le contenu latent, de même derrière la façade exté-
rieure faite de gestes, d'attitudes, de propos entièrement incohé-
rents bien souvent et de ce fait inaccessibles à notre entende-
ment, nous étions amenés à rechercher des complexes latents,
ayant trait, eux, à des événements réels de la vie des aliénés.
Du coup, cette façade inerte et morte à première vue s'animait
singulièrement, devenait bien plus proche de la vie humaine, de
laquelle elle avait paru séparée à tout jamais. Sans doute, l'en-
thousiasme de la première heure une fois passé, il a fallu se
demander si réellement les complexes étaient à la base de toutes
les manifestations des schizophrènes, s'ils constituaient la seule
voie d'accès vers la compréhension de ces manifestations; il
n'empêche qu'une voie était acquise de cette manière. Il est à
noter également que cette possibilité de ramener les symptômes
de la schizophrénie à des complexes ne préjugeait rien encore
de leur étiologie ni de leur genèse. La cause pouvait fort bien
siéger ailleurs, être d'une tout autre nature ; mais cette cause
et la brèche déterminée par elle dans la vie une fois données,
l'agencement des diverses manifestations de la vie mentale dans
le cadre ainsi créé pouvait apparaître comme reflet, comme
expression de complexes sous-jacents. C'est dire que la recherche
des complexes est loin de se confondre avec l'interprétation stric-
tement psychanalytique, bien doctrinale et schématique, des
diverses psychoses. A ce propos, il y a lieu de remarquer que la

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E. MINKOWSKI. - PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE. 349

« psjchogenèse » dont se prévalent parfois ces interprétations,


dans la mesure où elle se trouve dominée par le principe de cau-
salité et est calquée ainsi sur la réalité matérielle, n'en est pas
une au fond. Nous sommes amenés ainsi à la nécessité de préci-
ser, en parlant de psychogenèse, ce que, tenant compte des
caractères essentiels de la réalité psychique, psychogenèse doit
et peut vouloir dire. Nous ne saurions le faire ici.
En tous les cas les complexes n'ont pas été le seul signe de
l'avènement de la psychopathologie affective. Conjointement
avec eux, la clinique psychiatrique mettait en relief, - d'une
manière même plus directe à notre sens, puisque visant non plus
des événements latents du passé situés derrière les symptômes
manifestes, mais constatables directement sur le plan clinique -
des notions de première importance, comme celles du contact
affectif (affective Rapport de Bleuler) et de l autisme.
Avec les schizophrènes, contrairement par exemple aux maniaco-
dépressifs, nous n'avons pas de contact affectif. Le schizophrène
fait montre d'une affectivité déficiente. Son affectivité est super-
ficielle, elle manque de fond (« seichte Affektivität »). Ainsi péné-
trait en psychiatrie la notion de bonne et de mauvaise affectivité,
notion dont de nos jours nous nous servons couramment, en
lui attribuant une importance primordiale. Nous avons, dans
un article récent1, insisté suffisamment sur cette notion pour
n'avoir pas à y revenir ¡ci. Ce qui importe, c'est que, quand bien
même nous admettrions qu'à la base de la mauvaise affectivité
des schizophrènes se trouvent des complexes, comme telle nous
la saisissons sur le vif et l'apprécions, face à face avec notre
malade, directement, indépendamment d'eux. Nous ne pouvons le
faire qu'à l'aide d'un « instrument » particulier. L'affectivité ne
se place pas sur le plan des symptômes qu'en observateurs, gar-
dant la dislance de sujet à objet, nous enregistrons et décrivons
par la suite. Pour l'apprécier, nous devons faire entrer en jeu
toute notre personnalité, nous rapprocher, autant faire se peut,
de la personne humaine que nous avons devant nous, quitte à
nous heurter - fait qui a sa valeur en nous révélant dans sa
forme négative un trait positif - à un obstacle. Le diagnostic
par pénétration, tout différent de l'habituel diagnostic descriptif
de la clinique, se trouve, en germe du moins, slipulé ainsi.
4. A propos de l'affectivité. « Évolution psychiatrique », 1947.

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350 BEVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

<( L'affectivité », à ses origioes scientifiques, étant opposée à


l'intellectualité, sous ce vocable se sont trouvés réunis des phéno-
mènes d'ordre et de nature différents. Un travail de différencia-
tion devenait nécessaire. Des considérations antérieures il résulte
déjà qu'il y a lieu de séparer V affectivité-sentiment, ou mieux
Vaffectivité-con/lit (en psychopalhologie, les complexes et leur
rôle) d'avec C affectivité-contact (bonne et mauvaise affectivité),
cette dernière dépassant les limites de l'évolution sentimentale
d'une vie individuelle, et ayant Irait à la faculté très générale
d'établir dune manière toute spontanée et immédiate un bon
contact avec ses semblables. De mOme qu'on avait parlé d'émotion-
choc et d'émolion-sen liment, de môme maintenant nous sommes
amenés à discerner deux aspects différents de l'affectivité, indé-
pendants en partie l'un de l'autre. Ce qui les distingue également,
entre aulres, c'est le fait que les événements d'une vie ressortis-
sant à l'affeclivité-conllit peuvent devenir l'objet d'un récit,
peuvent ótre narrés, tandis que l'affectivité-conlact se sent seule-
ment, mais ne se raconte point. En môme temps, et de ce fait
môme, une différenciation de l'affectivité dans le sens propre du
mot d'avec Témolivilé s'imposait. Ces deux termes sont trop sou-
vent confondus. Mais si, là où ils ont trait à la vie sentimentale
du sujet, ils semblent vouloir désigner les mêmes choses, sous
leur autre aspect ils se séparent l'un de l'autre. Ils le font dans la
mesure où le choc (-émotion) diffère du contact (-affectivité).
L'émotivilé et l'affeclivité d'un sujet ne sont guère superposables,
ne suivent guère la môme ligne. L'émotivilé, qui là où elle pèche
par excès devient hyperémolivité, ne préjuge nullement d'une
bonne affectivité, ni encore moins d'une hyper-affectivité, qui
comme telle semble à peine pensable. L'émolivité et l'affectivité
paraissent viser ainsi des côlés différents de l'être humain; l'une
concernant avant toul son organisation individuelle et limitée à
elle, réalisant une fusion des plus intimes entre ce qu'elle peut
avoir de psychique et ses immédiates répercussions somatiques,
l'aulre, bien que pouvant changer d'individu à individu, ressor-
tissant pourtant dans son essence au plan inler-humain, élant un
des fondements de la communauté des vivants, portée toujours,
en débordant largement les limites de l'individuel, par le phéno-
mène de la sympathie (au sens étymologique du terme), de Véchoy
du retentissement, et trouvant ainsi son prolongement naturel

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E. MINKOWSKI. - PSYCHIATRIE ET MÉTA PHYSIQUE. 3*t

dans le cosmos ; Tune ainsi ressortissant au versant somato-psy-


chif/ue de notre vie, l'autre au versant anthropo-cosmique. Une
classification sous cet angle des symptômes des divers tableaux
cliniques devra être entreprise un jour. Mais nous brûlons les
étapes. Nous devons revenir en arrière.
L'opposition de la schizophrénie et de la folie maniaco-dépres-
sive à laquelle aboutissait la clinique, du fait môme qu'elle se
trouvait fondée maintenant sur la présence ou la déficience du
contact affectif, ouvrait la porte au prolongement de ces cadres
cliniques vers les caractères anormaux tout d'abord, vers les
individus dits normaux ensuite. De cette manière sont nées les
notions de schizoïdie et de cycloïdie (Kretschmer) auxquelles
plus tard est venue s'ajouter celle de Yépileptoïdie ou de glis-
chroïdie (Mme Minkowska). Mais, si Kretschmer s'en tenait à une
description clinique des traits caractéristiques de chacun des
deux types d'individus délimités par lui, Bleuler y apportait, sans
s'en douter peut-ôlre, une retouche de toute première impor-
tance. Il remplaçait le terme de cycloïdie par celui de syntonie et
considérait la schizoïdie et la syntonie, ainsi opposées Tune à
l'autre, comme deux principes vitaux ayant chacun son rôle à
remplir, présentant chacun ses avantages, ses écueils et ses fai-
blesses. Nous connaissons la position philosophique de Bleuler,
toute négative comme nous le savons. Il n'empôche que le choix
du terme « synlonie » est lourd de conséquences. Il ne s'agit
plus ni d'excitation, ni d'inhibition, ni de joie, ni de tristesse, ni
d'alternance des unes et des aulres, mais bel et bien de la faculté
de vibrer à V unisson avec l'ambiance, qui, si nous regardons en
profondeur, dépasse de beaucoup l'individuel et contient, en
germe du moins, l'idée de la portée fondamentale dans la vie du
phénomène de l'écho ou du retentissement, dont il a été ques-
tion tout à l'heure.

Notre but n'est point évidemment de montrer que Bleuler s'est


trouvé en contradiction avec sa propre position. Nous vénérons
trop notre maître pour que pareille entreprise ait pu nous tenter.
La question, du reste, n'est pas là. Il semble bien que la psychia-
trie, comme toute autre discipline ayant trait à l'être humain, est
traversée par des courants souterrains qui en déterminent la
marche, et créent ainsi les conditions pour « l'application » toute
naturelle des données mises à jour par ailleurs par les tendances

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352 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DB MORALE.

métaphysiques, portées elles aussi par les mêmes courants.


Dans la même direction s'orientait la notion d%autismef une
des plus importantes, sinon la plus importante acquisition de la
psychiatrie contemporaine. L'autisme vise cette façon d'être
particulière du schizophrène qui, par une sorte de rétrécissement,
de repliement sur lui-même, ayant pour corollaire, a l'extérieur,
des perturbations des relations avec le monde extérieur, vit sa
vie à lui. Touchant de près au manque de contact affectif,
l'autisme dépassait l'affectivité à proprement parieret englobait
maintenant aussi bien l'idéation, ainsi que les manifestations
volitionnelles, c'est-à-dire en fin de compte, la psychologie
traditionnelle s'en tenant à celte classification tripartite des
facultés psychiques, la personne toute entière. Et c'est pour la
première fois, si je ne me trompe, que pénétrait en psychopatho-
logie une notion « totalitaire » de cet ordre, ayant pour objet, non
plus la fragmentation en facultés distinctes, mais, comme nous
venons de le dire, la personne toute entière. A partir de ce
moment se trouvait préforméc la possibilité de parler du monde
aulistique du schizophrène*.
Au début, sous l'emprise de suggestions venues des travaux
de Freud, ce singulier repliement sur soi-même était subordonné
à la notion de complexe. Ce sont les complexes qui, en fixant
d'une façon excessive la vie sur eux, détachaient dans la même
mesure le sujet du monde ambiant. La définition de l'autisme
donné par Bleuler va dans ce sens. A la longue pourtant une
révision devait se produire. Les complexes ne sont pas déce-
lables dans tous les cas. Loin de là. Et nous n'avons aucune
raison dès lors de leur attribuer, hypolhétiquement seulement,
celle portée universelle. « Parler dans le vide » comme le font
les schizophrènes dans leurs propos incohérents, est un phéno-
mène tout aussi positif que le fait d'être absorbé par ses com-
plexes; par lui-même il est capable de nous révéler le monde
autistique dans lequel vit le malade. L'autisme devait se détacher
ainsi, dans sa porlée phénoménale, des complexes. Uaulisme
pauvre (sans complexes) venait se ranger à côté de V autisme
1. Ici devaient trouver leurs racines, comme nous le croyons, les études si
pénétrantes d'ordre existentiel, parues récemment, de L. Binswanger sur le
monde des schizophrène?, monde de vide et monde de trous (Lochwelt), pré-
cédées d'analyses de môme inspiration de la fuite des idées des excités
maniaques.

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E. MINKOWSKI. - PSYCHIATRIC ET MÉTAPHYSIQUE. 353

riche (avec des facteurs effeclifs intérieurs), les deux ressortis-


sant au même autisme, l'autisme riche n'en étant qu'une variété
plus ou moins contingente, le vide particulier caractéristique de
l'autisme venant, à l'occasion, par une sorte de compensation
phénoménologique (et non affective), se combler en partie, et tou-
jours secondairement, de complexes.
Organiciste, fidèle à la psychologie associationnisle, Bleuler ne
pouvait considérer l'autisme que comme un symptôme secondaire
de la schizophrénie, subordonné à la cause initiale, toxique ou
autre, dont la première manifestation, c'est-à-dire le symptôme
primitif, d'ordre psychologique était un relâchement particulier
des associations. Mais là encore, « l'autisme » portait en germe
toute une évolution. Son caractère totalitaire, renforcé encore par
la direction incluse dans le diagnostic par pénétration, mettant
au centre la personne humaine, devait séduire de plus en plus les
continuateurs de Bleuler. L'autisme devenait la manifestation
essentielle sur le plan psychopathologique de la schizophrénie.
Mais l'autisme ainsi conçu était une déficience, un écart, un
fait psychopathique. Il fallait le rapporter, en le complétant ainsi
du côté positif, à une notion qui fût à sa hauteur. C'est là que,
sous l'influence de la pensée bergsonienne, il fut question, non
plus de rapports avec le monde extérieur ou le monde ambiant
tels qu'on les concevait jusque-là dans leur fragmentation psy-
chique et psycho-physiologique, mais de contact vital avec la
réalité^ en tant que fonction ou mieux en tant que phénomène
fondamental pour la personne humaine, et de ce fait, primitif, un,
indivisible et irréductible. L'autisme était, dès lors, l'expression
vivante d'une déficience, d'une rupture de ce contact.
Mais le contact vital avec la réalité aurait été condamné à
rester un vain mot s'il n'avait porté en lui, lui aussi, les germes
d'un développement ultérieur. Il n'était qu'une étape dans cette
marche vers l'humain et vers le vécu de la psychopalhologie,
que nous essayons de retracer ici. Il devait ouvrir largement les
portes aux données d'inspiration bergsonienne. Il n'apportait pas
seulement une nouvelle conception des troubles mentaux, mais
encore contribuait à mettre en évidence - ce qui est tout aussi
important, sinon plus - des « faits » nouveaux, mis de côté
jusque-là, puisque ne s'intégrant pas au point de vue adopté par
la psychologie traditionnelle.
Riyui Dt Méta. - T. LVII (!»•• 3-t, !»r). 23

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354 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Il serait vain de chercher à présenter ici en détail cet aspect de


la psychopalhologie. Nous devons nous contenter de quelques
« touches ».
S inspirant de l'opposition de l'intuition et de la pensée discur-
sive, ou du temps et de l'espace mesurable, ce courant, sans par-
ler de l'interprétation qu'il donnait des traits caractéristiques de
la schizophrénie dans son ensemble, venait enrichir la clinique
de cette affection de formes nouvelles : le rationalisme et le
géomëtrisme morbides. Dans ces cas, toute la vie des malades
semble dominée par des facteurs ayant trait aux caractères de la
pensée discursive et, en tant que son corollaire, de l'espace mesu-
rable ; privés, dirait-on, d'un frein naturel, ces facteurs enva-
hissent le psychisme de l'individu, et pour rigoureux et inatta-
quables qu'ils soient tant qu'ils ne dépassent pas le domaine qui
leur est révolu, prennent là une forme monstrueuse et mettent
l'être humain en désaccord complet avec la vie, avec la vie telle
qu'elle doit être, non pensée, mais vécue. Pour parler avec Bleu*
1er, la syntonie en est absente.
Mais la synlonie elle-même s'imprégnera maintenant de durée
vécue. Elle dépassera dans ce sens le phénomène de Fecho ou du
retentissement qui, pour vivant, essentiel et chargé de métaphy-
sique qu'il soit, pouvait encore donner l'impression de n'être
qu'un phénomène isolé parmi d'autres. Replacée au sein du flux
de la vie, au sein de la durée vécue, la syntonie semblait
nous révéler cette faculté fondamentale d'emboîter le pas à la
réalité ambiante, de marcher au même rythme qu'elle, ou mieux
peut-être, de s'abandonner à ce rythme et de se laisser bercer
par lui, en comportant ainsi le trait d'harmonisation complète
avec la vie ambiante, harmonisation allant jusqu'à la fusion
pleine et entière, accompagnée d'un sentiment de satisfaction, de
paix profonde, unique dans son genre. Pour riche que soit la
phénoménologie, « sans fin », mais peut-être aussi sans commen-
cement, elle semble devoir déboucher, en y trouvant dès lors le
fondement de la vie, dans le temps vécu. Par lui, nous péné-
trons jusqu'au plus profond de notre être, jusqu'au plus profond
de la vie en tant que cet être en est le reflet et le complément
indispensable. Le terme de synchronisme vécu devenait mainte-
nant préférable à celui de syntonie.
C'est au prix d'un fléchissement de ce synchronisme que le

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E. MINKOWSKI. - PSYCHIATRIE ET MÉTAPHYSIQUE. 355

principe de schizoïdie, principe de séparalion d'avec la vie


ambiante, venait se manifester, appelé, là où décidément il pre-
nait le pas sur la synlonie, à déterminer toute la façon d'être de
l'individu. A ses origines, il n'entre pas nécessairement en conflit
avec elle; il le fait seulement à partir du moment où il l'étouffé.
Dans le synchronisme il y a harmonisation allant jusqu'à la
fusion. Mais une séparation d'avec la vie est necessaire pour que
Tètre humain puisse réfléchir et méditer, puisse se chercher lui-
môme, prendre conscience de lui-môme, c'est-à-dire de ce qu'il a
une vie humaine à vivre, s'affirmer et laisser une trace. L'essen-
tiel est que cette séparation ne devienne pas écart, barrière et
enfin abîme; que le contact vital avec la réalité, destiné à être
interrompu par instants, ne vienne pas se briser entièrement. La
difTeren.ee entre la schizoïdie en tant que principe vital et la schi-
zoïdie en tant qu' « anomalie » caractérielle se précise ainsi.
Lune nous fait mieux comprendre l'autre, en déterminant vir-
tuellement la pente sur laquelle sur le plan individuel on peut
glisser. Et le vrai drame de toute vie humaine semble consister
en ce que nous sommes appelés à chercher à atteindre par
notre effort personnel ce qui nous est tout donné dans la syn-
tonie.

Cette faconde voir, située pour ainsi dire au carrefour de la


métaphysique et de la psychopathologie, devait nécessairement
mener à une analyse plus approfondie, à une classification des
phénomènes de la vie qui portent le temps en eux, qui sont de
nature essentiellement temporelle, tels l'activité, l'attente, le
désir, l'espoir, la prière et l'aspiration, par rapport à l'avenir; le
remords, le regret et le simple souvenir et enfin la simple image
mnésique, par rapport au passé ; la contemplation et la compas-
sion, par rapport au présent. La façon dont se construisent
l'avenir, le passé et le présent dans la vie humaine sera abordée
sous cet angle, l'avenir venant prendre le pas maintenant, et de
beaucoup, sur le passé, que la psychologie traditionnelle, fas-
cinée, dirait-on, par la fonction de la mémoire en ce que celle-ci
a de figé justement et de peu vivant en elle, mettait d'une
manière catégorique au premier plan.
Mais toute construction comprend virtuellement la possibilité
d'une dissolution, cette dissolution suivant maintenant en sens
inverse le tracé qu'avait suivi la construction. Et là s'ouvre de

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nouveau une perspective pour la compréhension des faits psy-


chopathiques.
Mais là encore nous ne pouvons donner qu'un exemple. Un
délirant mélancolique, tous les jours, avec la même inquiétude,
nous parle du châtiment atroce, expiation des fautes tout aussi
atroces qu'il prétend avoir commises, qu'il attend journellement.
Nous cédons à un sentiment de pitié et essayons de le rassurer.
C'est tellement absurde, allant à rencontre de toute évidence, ce
qu'il nous dit ! Notre effort ne sert à rien. Et lorsque nous fai-
sons valoir que, conformément à ce que nous lui avons affirmé,
aucune catastrophe, aucun châtiment ne se sont produits jusque-
là, il nous retorque : « sans doute, jusqu'à présent vous avez eu
raison, mais qu'est-ce qui me prouve que vous aurez encore rai-
son demain? » Nous restons perplexe, sans réponse; en effet,
comment lui prouver que nous aurons raison demain ? Nous
abandonnons la partie. Nous saisissons là le caractère irréduc-
tible de son délire, nous saisissons ce que « délire » veut dire.
Une différence de nature se révèle à nous ainsi. Tourné vers
l'avenir, de nos expériences nous avons tiré une conclusion pour
cet avenir, nous savons que nous n'arriverons pas à convaincre
notre malade; lui vit dans un temps fragmenté, dans lequel, par
dessus les journées qui se succèdent, aucun regard vers l'avenir,
vers l'avenir vécu s'entend, ne s'élève. Il n'a qu'un avenir barré
devant lui, qui s'exprime sous la forme de la conviction délirante
sur laquelle les réelles expériences du passé et du présent n'ont
plus de prise. Nous, nous savons, dans notre élan, regarder par
delà la mort, lui se heurte à tout instant à un mur et ne voit rien
par delà ; son élan, dans son aspect temporel avant tout, a fléchi.
Nous nous trouvons en présence d'une modification profonde,
d'une « subduction » (expression de Mignard) de la structure
temporelle de la vie. Son dynamisme a perdu sa tonalité habi-
tuelle et a laissé pénétrer dans son sein des facteurs d'ordre plus
statique. Et maintenant les phénomènes dont se compose le
délire, comme les idées de culpabilité, de ruine et de châtiment
ou de mort, ne semblent plus être que l'expression, dans le lan-
gage des idées courantes, de la modification structurale sous-
jacente d'ordre temporel qui les sous-tend tous. Et l'analyse de
ces phénomènes montre jusqu'à quel point, de par leurs carac-
tères temporels justement, ils sont de nature d pouvoir s'adapter

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à la structure ainsi modifiée. Au lieu d'être pris au pied de la


lettre comme simples affirmations erronées, résultat d'un trouble
de jugement, ils doivent être envisagés sous cet angle. Et cette
façon de voir englobe, simultanément, leur caractère délirant^
ce que le simple trouble du jugement ne fait point. Il en va de
même de la teinte émotionnelle qui leur est inhérente.
Les idées délirantes de culpabilité ne connaissent point, au
pôle opposé, de délire de vertu. C'est que le bien et le mal ne se
situent point de façon analogue par rapport au temps. La faute
commise, le péché, s'inscrivent dans le temps, y marquent,
demandent à être effacés ; le bien, d'essence dynamique avant
tout, ne peut s'arrêter longtemps à un acte précis ; c'est qu'il
trouve son sens dans la tendance vers le mieux, tendance qui ne
s'épuise jamais et qui s'en va par delà tout acte isolé. Et les idées
de ruine trouvent leur fondement dans le phénomène de l'avoir,
phénomène qui, antérieur (sur le plan phénoménal) à toute forme
psychologique, individuelle, sociale ou juridique, de possession,
de par sa nature se trouve en connexion étroite avec le phéno-
mène du désir; la loi intangible qui, par son degré de certitude,
ne cède en rien aux fondamentales lois de la logique, à savoir
que nous ne pouvons désirer ce que nous possédons déjà, que ce
soit dans le domaine matériel ou spirituel, et que toute réalisa-
tion d'un désir se traduit par un accroissement de l'acquis,
traduit on ne peut mieux celte relation fondamentale. Le délire
mélancolique semble suivre ce tracé phénoménologique.
Nous dépassons ainsi le plan des manifestations idéiques,
émotionnelles et aussi affectives, dans le sens courant des ter-
mes1, telles qu'elles règlent les interactions entre hommes dans la
vie journalière, pour aboutir aux phénomènes qui débordent la
portée individuelle de ces manifestations et qui les sous-tendent ;
dans leurs rapports, liés à leur essence, ils déterminent l'aspect
de la vie au sens très large du terme. Mais ce plan, nous croyons
le dépasser encore, en fixant notre effort avant tout sur « Tin-
dice » temporel (et spatial) des phénomènes, pour aboutir au
dernier échelon, à l'échelon le plus fondamental parmi tous,
1 . Pour se rendre compte à quel degré cette tendance se manifeste dans la
Phytopathologie contemporaine, il est tout indiqué de se reporter à l'œuvre
de Pierre Janet qui, dans un ordre d'idées différent, s'engage, à propos de la
théorie de la psych asthénie, très sciemment et en insistant sur sa portée, dans
la même voie.

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ayant Irait à la structure de la vie. Ce faisant, nous suivons tou-


jours la direction donnée par le phénomène de l'expression et
croyons atteindre ainsi le fond des choses.
Le terme structure, dont souvent on se sert à tort et à travers,
prend maintenant un sens précis : il vise les caractères essentiels
d'ordre temporel (et spatial) de la vie qui, dans leur ensemble,
en forment l'essence, de même que des modifications qualificatives
de cette structure, qui se trouvent à la base des diverses moda-
lités des faits psychopathiques. Pour ceux-ci, il s'agit par consé-
quent de préciser la manière dont ils se situent par rapport au
temps et à l'espace vécus.
Et si nous parlons d'espace vécu, puisque nous avons ajouté,
à deux reprises déjà, en le mettant entre parenthèses, ce terme
à celui du temps vécu, c'est que justement, à la faveur de l'ana-
lyse préconisée des faits psychopathiques, il apparaît que le
problème temps-espace ne se résout point ni en leur identifica-
tion entière, ni en leur juxtaposition radicale, mais que le temps
vécu s'imprègne naturellement, et non par un effort plus ou
moins artificiel d'abstraction, de facteurs d'ordre spatial, de
sorte que, entre le temps vécu et le temps mesurable assimile à
l'espace, viennent se ranger des phénomènes de la vie d'ordre
spatio-temporel, c'est-à-dire ayant trait également à l'espace
vécu, phénomènes auxquels se rapportent les modifications de
structure caractéristiques des faits psychopalhiques, et qui,
d'autre part, sur le plan philosophique, nous rendent compte de
la possibilité, incompréhensible à première vue, de passer en
général du temps vécu au temps mesurable, ces deux formes de
« temps » paraissant, dans leurs caractères extrêmes, aussi éloi-
gnées et aussi étrangères que le sont la durée vécue et l'espace
géométrique, et n'admettant par conséquent, à rencontre de ce
que nous enseigne la réalité, aucune transition de l'une à l'autre.
La métaphysique aux métaphysiciens, la psychiatrie aux psy-
chiatres ! Sans doute. Mais le psychiatre et le métaphysicien se
rejoignent dans leur recherche commune de l'humain et du vécu,
et s'y retrouvent. Et la métaphysique et la psychiatrie en font
tout autant.
Hj. MlNKOWSKl.

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