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Phénoménologie
de
la perception
GALLIMARD
Ce livre a initialem ent paru'dans la
« B ibliothèque des Idées » en 19 4 5 .
m onde est non pas ce que je pense, m ais ce que je ois, je suis
ouvert au m onde, je com m unique indubitablem ent avec lui,
m ais je ne le possède pas, il est inépuisable. < Il y a un
m onde », ou p lu tô t * il y a le m onde », de cette thèse
constante de m a vie je ne puts jam ais rendre entièrem ent
raison. Cette facticité du m onde est ce qui fa it la Welt-
lichkeit der Welt, ce qui fa it que le m onde est m onde,
com m e la facticité du cogito n ’est pas une im perfection en
lui, m ais au contraire ce qui m e rend certain de m o n exis
tence. L a m éthode eidétique est celle d ’un positivism e phé
nom énologique qui fonde le possible su r le réel.
**
N ous pouvons m aintenant dn venir à la notion d ’inten-
tionnalité, trop souvent citée com m e la découverte princi
pale de la phénoménologie, alors qu'elle n ’est com préhen
sible que par la réduction. « Toute conscience est conscience
de quelque chose », cela n ’est pas nouveau. K ant a m ontré,
dans la Réfutation de l’idéalisme, que la perception inté
rieure est im possible sans perception extérieure, que le
m onde, com m e connexion des phénom ènes, est anticipé
dans la conscience de m on unité, est le m o yen pour m oi de
m e réaliser com m e conscience. Ce qui distingue l’intention-
nalité d u rapport kan tien à u n objet possible, c’est que
l ’unité d u m onde, avant d’être posée par la connaissance
et dans un acte d’identification expresse, est vécue com m e
déjà fa ite ou déjà là. K ant lui-m êm e m ontre dans la Cri
tique du Jugement qu ’il y a une unité de l’im agination et
de l’entendem ent et une unité des su jets avant l’objet et
que, dans l’expérience du beau par exem ple, je fais
l ’épreuve d ’u n accord du sensible et d u concept, de m o i et
d’autrui, qui est lui-m êm e sans concept. Ici le su je t n ’est
plus le penseur universel d’u n systèm e d ’objets rigoureuse
m e n t liés, la puissance posante qui a ssu jettit le m u ltiple à
la loi de l’entendem ent, s ’il doit pouvoir fo rm er un m onde,
— il se découvre et se goûte com m e une nature spontané
m e n t conform e à la loi de l’entendem ent. Mais s’il y a une
nature d u su jet, alors l’art caché de l’im agination doit con
ditionner l’activité catcgoriale, ce n ’est plus seulem ent le
ju g em en t esthétique, m ais encore la connaissance qui repose
su r lui, c’est lui qui fonde l’unité de la conscience et des
consciences. Husserl reprend la Critique du Jugement quand
il parle d ’une téléologie de la conscience. Il ne s’agit pas de
doubler la conscience hum aine d ’une pensée absolue qui, du
dehors, lui assianernit ses fins. Il s’agit de reconnaître la
AVANT-PROPOS x in
(1) R ückbcziehung d e r Phänom enologie a u f sich selb st, d isent les Inédits.
(2) Nous devons cette dernière expression à G. G u sdorf, actuellem ent p riso n ,
nier en A llem agne, q u i, d 'a ille u rs, re m p lo y a it peut-être d ans u n a u tre sens.
INTRODUCTION
(1) L e d a lto n is m e m ê m e n e p r o u v e p a s q u e c e r t a i n s a p p a r e i l s
s o i e n t e t s o i e n t s e u ls c h a r g é s d e l a « v is io n » d u r o u g e e t d u
v e r t , p u i s q u ’u n d a l t o n ie n r é u s s i t à r e c o n n a î t r e le r o u g e s i o n lu i'
p r é s e n t e u n e la r g e p la g e c o lo r é e o u s i l ’o n f a i t d u r e r la p r é s e n
t a t i o n d e la c o u le u r . I d . ib id ., p . 3G5.
(2) W e iz s a c k e r , c ité p a r S t e i n , ib i d ., p . 3 6 4 .
(3) I d . i b i d . p . 354.
LA « SENSATION > 17
DES SOUVENIRS »
trice, comme il s’agit d’une tâche qui n’a jamais figuré dans
les expériences de dressage, il ne peut user du détour de la
reproduction et dans ces conditions les expériences de dres
sage restent sans influence. L’association ne joue donc ja
mais comme une force autonome, ce n’est jamais le mot pro
posé, comme cause efficiente, qui « induit » la réponse, il
n ’agit qu’en rendant probable ou tentante une intention de
reproduction, il n’opère qu’en vertu du sens qu’il a pris dans
le contexte de L’expérience ancienne et qu’en suggérant le re
cours à cette expérience, il est efficace dans la mesure où le
sujet le reconnaît, le saisit sous l’aspect ou sous la physio
nomie du passé. Si enfin on voulait faire intervenir, au lieu
de la simple contiguïté, l’association par ressemblance, on
verrait encore que, pour évoquer une image ancienne à la
quelle elle ressemble en fait, la perception présente doit être
m ise en fo rm e de telle sorte qu’elle devienne capable de
porter cette ressemblance. Qu’un sujet (1) ait vu 5 fois ou
540 fois la figure 1 il la reconnaîtra à peu près aussi aisé
ment dans la figure 2 où elle se trouve « camouflée > et
d’ailleurs il ne l’y reconnaîtra jamais constamment. Par
contre un sujet qui cherche dans la fi
gure 2 une autre figure masquée (sans
d’ailleurs savoir laquelle) l’y retrouve
plus vite et plus souvent qu’un sujet pas
sif, à expérience égale. La ressemblance
n’est donc pas plus que la coexistence
une force en troisième personne qui di
rigerait une circulation d’images ou
d’ « états de conscience ». La figure 1
n’est pas évoquée par la figure 2 , ou
elle ne l’est que si l’on a d’abord vu dans
la figure 2 une « figure 1 possible », ce
qui revient à dire que la ressemblance
Fig. 2. effective ne nous dispense pas de cher
cher comment elle est d’abord rendue
possible par l’organisation présente de la figure 2 , que la
figure « inductrice » doit revêtir le même sens que la figure
induite avant d’en rappeler le souvenir, et qu’enfin le passé
de fait n ’est pas importé dans la perception présente par nn
mécanisme d’association, mais déployé par la conscience pré
sente elle-même.
On peut voir par là ce que valent les formules usuelles
concernant le « rôle des souvenirs dans la perception ».
(1 ) G o t t s c h a l d t , Ueber den Einfhiss der Erfahrung auf die
Wahrnehmung von. Figuren.
L’ « ASSOCIATION » 2?
(1) On verra mieux dans les pages qui suivent en quoi la phi
losophie kantienne est, pour parler comme H u s s e r l , une philo
sophie « mondaine » et dogmatique. Cf F i n k , Die phänomenolo
gische Philosophie Husserls in der gegenwärtigen Kritik, pp. 531
et suivantes.
(2) * La Nature de Hume avait besoin d’une raison kantienne
(...) et l’homme de Hobbes avait besoin d’une raison pratique
kantienne si l’une et l’autre devaient se rapprocher de l’expé
rience naturelle effective. > S c h e l e r , Der Formalismus in der
Ethik, p. 62.
L’ c ATTENTION » ET LE < JUGEMENT » 41
dent pour cet horizon de forêts que la vue nous le présente non
pas éloigné mais bleuâtre, par l’interposition des couches d’air. >
Cela va de soi si l’on définit la vision par son stimulus corporel
ou par la possession d’une qualité, car alors elle peut nous
donner le bleu et non la distance qui est un rapport. Mais cela
n’est pas proprement évident, c’est-à-dire attesté par la cons
cience. La conscience, justement, s’étonne de découvrir dans
la perception de la distance des relations antérieures à toute
estimation, à tout calcul, à toute conclusion.
(1) < Ce qui prouve qu’ici je juge, c’est que les peintres
savent bien me donner cette perception d’un montagne lointaine
en imitant les apparences sur une toile. » A l a i n , ibid., p. 14.
(2) « Nous voyons les objets doubles parce que nous avons
deux yeux, mais nous ne faisons pas attention à ces images
doubles, si ce n'est pour en tirer des connaissances concernant
la distance ou le relief de l’objet unique que nous percevons par
leur moyen. » L a g n e a u , Célèbres Leçons, p. 105. Et en général i
« Il faut, chercher d’abord quelles sont les sensations élémen
taires qui appartiennent à la nature de l’esprit humain; le corps
humain nous représente cette nature. » Ibid., p. 75. — « J’ai
connu quelqu:un, dit A l a i n , qui ne voulait pas admettre que nos
yeux nous présentent deux images de chaque chose; il suffît
pourtant de fixer les yeux sur un objet assez rapproché comme
nn crayon pour que les images des objets éloignés se dédoublent
aussitôt» (Quatre-vingt-un Chapitres, pp. 23 24). Cela ne prouve
pas qu’elles fussent doubles auparavant. On reconnaît le pré
jugé de la loi de constance qui exige que les phénomènes cor
respondant aux impressions corporelles soient donnés même
là où on ne les constate pas.
(3) « La perception est une interprétation de l’intuition pri
mitive, interprétation en apparence immédiate, mais en réalité
acquise par l’habitude, corrigée par le raisonnement (...) », La
g n e a u , Célèbres Leçons, p. 158.
(4) Id., ibid., p. ICO.
V « ATTENTION > ET LE « JUGEMENT » 43
Comme le f a i t L. B r ü n s c h v i c g .
(1 )
(2) Cf par ex. L’Expérience humaine et la Causalité physique
p. 536.
68 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
LE CORPS
Notre perception aboutit à des objets, et l’objet, une fois
constitué, apparaît comme la raison de toutes les expériences
que nous en avons eues ou que nous pourrions en avoir. Par
exemple, je vois la maison voisine sous un certain angle, on
la verrait autrement de la rive droite de la Seine, autrement
de l’intérieur, autrement encore d’un avion; la maison elle-
m êm e n’est aucune de ces apparitions, elle est, comme
disait Leibnitz, le géométral de ces perspectives et de toutes
les perspectives possibles, c’est-à-dire le terme sans perspec
tive d’où l’on peut les dériver toutes, elle est la maison vue
de nulle part. Mais que veulent dire ces mots ? Voir, n’est-ce
pas toujours voir de quelque part ? Dire que la maison elle-
même n’est vue de nulle part, n’est-ce pas dire qu’elle est
invisible? Pourtant, quand je dis que je vois la maison de
mes yeux, je ne dis certes rien de contestable : je n’entends
pas que ma rétine et mon cristallin, que mes yeux comme
organes matériels fonctionnent et me la fassent voir : à
n’interroger que moi-même, je n’en sais rien. Je veux expri
mer par là une certaine manière d’accéder à l’objet, le
c regard », qui est aussi indubitable que ma propre pensée,
aussi directement connue de moi. Il nous faut comprendre
comment la vision peut se faire de quelque part sans être
enfermée dans sa perspective.
Voir un objet, c’est ou bien l’avoir en marge du champ
visuel et pouvoir le fixer, ou bien répondre effectivement à
cette sollicitation en le fixant. Quand je le fixe, je m’ancfe
en lui, mais cet « arrêt » du regard n’est qu’une modalité
de son mouvement : je continue à l’intérieur d’un objet
l’exploration qui, tout à l’heure, les survolait tous, d’un seul
mouvement je referme le paysage et j ’ouvre l’objet. Les deux
opérations ne coïncident pas par hasard : ce ne sont pas les
contingences de mon organisation corporelle, par exemple
la structure de ma rétine, qui m’obligent à voir l’entourage
en flou si je veux voir l’objet en clair. Même si je ne savais
rien des cônes et des bâtonnets, je concevrais qu’il est néces
saire de mettre en sommeil l’entourage pour mieux voir
l ’objet et de perdre en fond ce que l’on gagne en figure.
82 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
étranger, de sorte que pour finir elle croit tire r de lui toui
ce qu’elle nous enseigne. C’est cette extase de l’expérience
qui fait que toute perception est perception de quelque
chose.
Obsédé p ar l’être, et oubliant le perspectivism e de mon
expérience, je le traite désormais en objet, je le déduis d’un
rapport entre objets. Je considère mon corps, qui est mon
point de vue su r le monde, comme l’un des objets de ce
monde. La conscience que j ’avais de m on regard comme
moyen de connaître, je la refoule et je traite mes yeux
comme des fragm ents de m atière. Ils p rennent place, dès
lors, dans le même espace objectif où je cherche à situer
l’objet extérieur et je crois engendrer la perspective perçue
par la projection des objets sur m a rétine. De même, je traite
ma propre histoire perceptive comme un résu ltat de mes
rapports avec le m onde objectif, m on présent, qui est mon
point de vue su r le tem ps, devient un m om ent du tem ps
parm i tous les autres, m a durée un reflet ou u n aspect
abstrait du tem ps universel, comme mon corps un mode de
l’espace objectif. De même enfin, si les objets qui environ
nent la m aison ou l’habitent dem euraient ce q u ’ils sont dans
l’expérience perceptive, c’est-à-dire des regards astreints à
une certaine perspective, la m aison ne serait pas posée
comme être autonom e. Ainsi, la position d’un seul objet au
sens plein exige la composition de toutes ces expériences
en un seul acte polythélique. En cela elle excède l’expé
rience perceptive et la synthèse d ’horizons, — com m e la
notion d ’u n univers, c’est-à-dire d’une totalité achevée, expli
cite, où les rapports soient de déterm ination réciproque
excède celle d’un monde, c’est-à-dire d’une m ultiplicité
ouverte et indéfinie où les rapports sont d’im plication réci
proque (1). Je décolle de mon expérience et je passe à
l’idée. Comme l’objet, l’idée prétend être la même pour tous,
valable pour tous les tem ps et pour tous tes lieux, et l’indi-
viduation de l’objet en un point du tem ps et de l’espace
objectifs apparaît finalement comme l’expression d’une
puissance posante universelle (2). Je ne m ’occupe plus de
m on corps, ni du tem ps, ni du monde, tels que je les vis dans
le savoir antéprédicatif, dans la com m unication intérieure
ET LA PHYSIOLOGIE MECANISTE
des m alades m oins gravem ent atteints que Schn. qui per
çoivent les form es, les distances et les objets eux-mêmes,
m ais qui ne peuvent ni tracer su r ces objets les directions
utiles à l’action, n i les distribuer selon un principe donné, ni
en général apposer au spectacle spatial les déterm inations
anthropologiques qui en font le paysage de notre action. P ar
exemple, ces m alades placés dans un labyrinthe en face d’une
im passe, trouvent difficilement la « direction opposée ». Si
l’on pose une règle entre eux et le médecin, ils ne savent pas
su r com m ande d istribuer les objets « de leur côté » ou « du
côté du m édecin ». Ils indiquent très m al, su r le bras d ’une
au tre personne, le point stim ulé su r leur propre corps. Sa
ch an t que nous sommes en m ars et u n lundi ils au ro n t de
la peine à indiquer le jo u r et le mois précédents, bien q u ’ils
connaissent p a r cœ ur la série des jo u rs et des mois. Ils n ’a r
rivent pas à com parer le nom bre d’unités contenues dans
deux séries de bâtons posés devant eux : ta n tô t ils com ptent
deux fois le m êm e bâton, ta n tô t ils com ptent avec les bâ
tons d ’une série quelques-uns de ceux qui appartiennent à
l’au tre (1). C’est que toutes ces opérations exigent u n mêipe
pouvoir de tra c e r dans le m onde donné des frontières, des
directions, d’établir des lignes de force, de m énager des pers
pectives, en u n m ot d ’organiser le m onde donné selon les pro
je ts du m om ent, de construire su r l’entourage géographi
que u n m ilieu de com portem ent, un systèm e de significa
tions qui exprim e au dehors l’activité in tern e du su jet. Le
m onde n ’existe plus p our eux que comme un m onde to u t fait
ou figé, alors que chez le norm al les pro jets polarisent le
monde, et y fo n t p a ra ître comme p a r m agie m ille signes qui
conduisent l’action, comme les écriteaux dans u n m usée con
duisent le visiteur. Cette fonction de < projection » ou
d ’ « évocation » (au sens où le m édium évoque et fait p a raî
tre un absent) est aussi ce qui rend possible le m ouvem ent
ab strait : car p o u r posséder m on corps h o rs de toute tâche
urgente, p o u r en jo u e r à m a fantaisie, p o u r décrire dans
l ’air un m ouvem ent qui n ’est défini que p a r une consigne ver
bale ou p a r des nécessités m orales, il fau t aussi que je ren
verse le ra p p o rt n atu rel du corps et de l’entourage et qu’une
productivité h u m aine se fasse jo u r à travers l’épaisseur de
l’être.
C’est en ces term es que l’on p eu t décrire le trouble des
m ouvem ents qui nous intéresse. Mais on trouvera peut-être
et com prend les faits sous des idées qui n ’y sont pas conte
nues. On n ’a pas le choix entre une description de la m ala
die qui nous en donnerait le sens et une explication qui
nous en donnerait la cause et il n ’y a pas d’explications sans
com préhension.
Mais précisons notre grief. A l’analyse, il se dédouble.
1° La « cause » d ’un « fait psychique » n ’est jam ais un
au tre « fa it psychique » qui se découvrirait à la simple
observation. P a r exemple, la représentation visuelle n ’ex
plique pas le m ouvem ent abstrait, car elle est elle-même
habitée p a r la même puissance de p ro jeter u n spectacle qui
se m anifeste dans le m ouvem ent ab strait et dans le geste de
désignation. O r cette puissance ne tombe pas sous les sens
et pas même sous le sens intime. Disons provisoirem ent
q u ’elle ne se découvre q u ’à une certaine réflexion dont nous
préciserons plus loin la nature. Il résulte aussitôt de là que
l’induction psychologique n ’est pas un sim ple recensem ent
des faits. La psychologie n ’explique pas en désignant parm i
eux l’antécédent constant et inconditionné. Elle conçoit ou
com prend les faits, exactem ent comme l’induction physique
ne se borne pas à noter les consécutions em piriques et crée
des notions capables de coordonner les faits. C’est pourquoi
aucune induction en psychologie comme en physique ne
peut se prévaloir d’une expérience cruciale. P uisque l’expli
cation n ’est pas découverte m ais inventée, elle n ’est jam ais
donnée avec le fait, elle est tou jo u rs une in terp rétatio n pro
bable. Nous ne faisons ju sq u ’ici q u ’appliquer à la psycho
logie ce q u ’on a trè s bien m ontré à propos de l’induction
physique (1) et n o tre prem ier grief porte con tre la m anière
em piriste de concevoir l’induction et contre les m éthodes
de Mill. — 2° O r, nous allons voir que ce prem ier grief en
recouvre u n second. E n psychologie, ce n ’est pas seulem ent
l’em pirism e q u ’il fau t récuser. C’est la m éthode inductive
et la pensée causale en général. L ’objet de la psychologie
est d ’une telle n a tu re q u ’il ne sau rait être déterm iné p a r
des relations de fonction à variable. E tablissons ces deux
points avec quelque détail.
1° Nous constatons que les troubles m oteurs de Schn.
s’accom pagnent d’une déficience m assive de la connaissance
visuelle. Nous som m es donc tentés de considérer la cécité
psychique comme u n cas différentiel de com portem ent tac
tile pur, et, puisque la conscience de l’espace corporel et le
celle qui prend son objet à l’état naissant, tel q u’il apparaît
à celui qui le vit, avec l’atm osphère de sens dont il est alors
enveloppé, e t qui cherche à se glisSer dans cette atm os
phère, p our retrouver, derrière les faits et les symptômes
dispersés, l’être total du sujet, s’il s’agit d’un norm al, le
trouble fondam ental, s’il s’agit d ’un malade.
Si nous ne pouvons pas expliquer les troubles du m ou
vem ent ab strait p ar la perte des contenus visuels, ni en
conséquence la fonction de projection p ar la présence
effective de ces contenus, une seule méthode semble encore
possible : elle consisterait à reconstituer le trouble fonda
m ental en rem o n tan t des symptômes non pas à une cause
elle-même constatable, m ais à une raison ou à une condition
de possibilité intelligible, — à traiter le su jet hum ain
comme une conscience indécomposable et présente to u t
entière dans chacune de ses m anifestations. S: le trouble ne
doit pas être rapporté aux contenus, il fau d rait le relier à
la form e de la connaissance, si la psychologie n ’est pas em-
piriste et explicative, elle devrait être intellectualiste et ré-
flexive. Exactem ent comme l’acte de nom m er (1), l’acf.e de
m ontrer suppose que l’objet, au lieu d ’être approché, saisi
et englouti p ar le corps, soit m aintenu à distance et fasse
tableau devant le malade. P laton accordait encore à l’em-
piriste le pouvoir de m on trer du doigt, m ais à vrai dire
même le geste silencieux est impossible si ce qu’il désigne
n’est pas déjà arraché à l’existence instantanée et à l’exis
tence m onadique, traité comme le représentant de ses appa
ritions antérieures en m oi et de ses apparitions sim ulta
nées en au tru i, c’est-à-dire subsum é sous une catégorie et
élevé au concept. Si le m alade ne peut plus m ontrer du
doigt un point de son corps que l’on touche, c’est q u ’il n ’est
plus u n su jet en face d ’un monde objectif et q u’il ne peut
plus prendre 1’ « attitude catégoriale » (2). De la même
m anière, le m ouvement ab strait est comprom is en ta n t .qu'il
présuppose la conscience du but, q u ’il est porté par elle et
qu’il est m ouvem ent pour soi. E t en effet, il n ’est déclenché
par aucun objet existant, il est visiblem ent centrifuge, il
dessine dans l’espace une intention gratuite qui se porte
su r le corps propre et le constitue en objet au lieu de le
traverser pour rejoindre à travers lui les choses. Il est donc
habité p ar une puissance d ’objectivation, p ar une « fonction
(1) H ea d .
(2) B o u m a n e t Gr ü n b a u m .
( 3 ) Va n W O ERK O M .
(4) On fait souvent honneur à Husserl de cette distinction. En
réalité, elle se trouve chez Descartes, chez Kant. A notre sens,
l’originalité de Husserl est au-delà de la notion d’intentionnalité;
elle se trouve dans l’élaboration de cette notion et dans l a d é
couverte, sous l’intentionnalité des représentations, d’une inten-
tionnalité plus profonde, que d’autres ont appelée existence.
142 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
server, que le nom bre 5 « reste >. Il ne com prend pas que
le « double de la m oitié » d ’un nom bre donné est ce nom bre
même (1). D irons-nous donc q u ’il a perdu le nom bre
comme catégorie ou comme schème? Mais lorsqu’il parcourt
des yeux les objets à com pter en « m arq u an t » su r ses
doigts chacun d’eux, même s’il lui arrive souvent de con
fondre les objets déjà comptés avec ceux qui ne l’o n t pas
encore été, m êm e si la synthèse est confuse, il a évidem
m en t la notion d’une opération synthétique qui est ju ste
m en t la num ération. E t réciproquem ent chez le su jet nor
m al la série des nom bres comme mélodie cinétique à peu
près dépourvue de sens authentiquem ent num érique se
substitue le plus souvent au concept du nom bre. Le nom bre
n ’est jam ais u n concept p u r dont l’absence p erm ettrait de
définir l’éta t m ental de Schn., c’est une stru c tu re de con
science qui com porte le plus et le moins. L ’acte véritable
de com pter exige du su jet que ses opérations, à m esure
q u ’elles se déroulent et cessent d’occuper le centre de sa
conscience, ne cessent pas d ’être là pour lui et constituent
pour les opérations ultérieures un sol su r lequel elles s’éta
blissent. La conscience tien t derrière elle lès synthèses effec
tuées, elles sont encore disponibles, elles p o u rraient être
réactivées, et-c’est à ce titre q u ’elles sont reprises et dépas
sées dans l ’acte to tal de num ération. Ce q u ’on appelle le
nom bre p u r ou le nom bre authentique n ’est q u ’une prom o
tion ou une extension p a r récurrence du m ouvem ent consti
tu tif de toute perception. La conception du nom bre n ’est
atteinte chez Schn. q u ’en ta n t q u ’elle suppose ém inem m ent
le pouvoir de déployer un passé pour aller vers un avenir.
C’est cette base existentielle de l’intelligence qui est atteinte,
beaucoup plus que l’intelligence elle-même, car, comme on
l’a fait observer (2), l’intelligence générale de Schn. est in
tacte : ses réponses sont lentes, elles ne sont jam ais insi
gnifiantes, elles sont celles d’un homme m ûr, réfléchi, et
qui s’intéresse aux expériences du médecin. Au-dessous de
l’intelligence comme fonction anonyme ou comme opération
catégoriale, il fa u t reconnaître un noyau personnel qui est
l’être du m alade, sa puissance d ’exister. C’est là que réside
la maladie. Schn. voudrait encore se faire des opinions poli
tiques ou religieuses, m ais il sait q u ’il est inutile d ’essayer.
< Il doit m ain ten an t se contenter de croyances massives.
tion, mais elle n’a plus de sens pour sa main droite ou encore sa
main droite n’a plus de sphère d’action. « Il a conservé tout ce
qui est communicable dans une action, tout ce qu’elle offre d’ob
jectif et de perceptible pour autrui. Ce qui lui manque, la capa
cité de conduire sa main droite conformément au plan esquissé,
c’est quelque chose qui n’est pas exprimable et ne peut être objet
pour une conscience étrangère, c’est un pouvoir, non un savoir
(ein Können, kein Kennen). » (Ibid., p. 47.) Mais quand Liepmann
veut préciser son analyse, il revient aux vues classiques et décom
pose le mouvement en une représentation (la « formule du mou
vement » qui me donne, avec le but principal, les buts intermé
diaires) et un système d’automatismes (qui, à chaque but inter
médiaire, font correspondre les innervations Convenables) (ibid,
p. 59). Le « pouvoir », dont il était question plus haut, devient
une « propriété de la substance nerveuse » (ibid., p. 47). On re
vient à l’alternative de la conscience et du corps que l’on croyait
avoir dépassée avec la notion de Bewegungsentwurf ou projet
moteur. S’il s’agit d’un mouvement simple, la représentation du
but et des buts intermédiaires se convertit en mouvement parce
qu’elle déclanche des automatismes acquis une fois pour toutes
(55), s’il s’agit d’un mouvement complexe, elle appelle le « sou
venir kinesthésique des mouvements composants : comme le mou
vement se compose d’actes partiels, le projet du mouvement se
compose de la représentation de ses parties ou des buts inter
médiaires : c’est cette représentation que nous avons appelée la
formule du mouvement .» (p. 57). La Praxis est démembrée entre
(1 ) L h e r m i t t e , G. L é v y et K y r i a k o , Les perturbations de la
représentation spatiale chez les apraxiques, p. 597.
(2) L h e r m i t t e et T r e l l e s , Sur l’apraxie constructloe, les trou-
'bles de la pensée spatiale et de la somatognosie dans Vapraxie,
p . 428, Cf L h e r m i t t e , d e M a s s a r y et K y r i a k o , Le rôle de la pen
sée spatiale dans l’apraxie.
LA SPATIALITÊ DU CORPS PROPRE 163
m on d e, il m e m an qu e to u jo u rs la p lé n itu d e de l ’existerice
c o m m e chose, m a p r o p r e substance s’e n fu it de m o i p a r l ’in
té rieu r et q u e lq u e .in ten tion se dessin e to u jo u rs . E n tant
q u ’ e lle p o r te des « organ es des sens » , l ’ex is te n c e c o r p o r e lle
n e rep o se ja m a is en elle-m êm e, e lle est to u jo u rs tr a v a illé e
p a r un n é a n t a c tif, e lle m e fa it c o n tin u e lle m e n t la p ro p o s i
tio n de v iv r e , et le tem ps n a tu rel, dans c h a q u e in s ta n t q u i
a d v ie n t, dessin e sans cesse la fo r m e v id e du v é r ita b le évén e
m en t. Sans d ou te c e tte p ro p o s itio n reste sans rép o n se. L ’in s
ta n t du tem p s n a tu rel n ’é ta b lit rien , i l est a u s s itô t à rec o m
m en c er et reco m m en ce en e ffe t dans un a u tre in sta n t, les
fo n c tio n s s e n sorielles à elles seules n e m e fo n t pas ê tre au
m o n d e : q u a n d j e m ’ab sorb e dans m on c o rp s, m es y e u x ne
m e d o n n e n t qu e l ’e n v e lo p p e sensible des choses et ce lles des
au tres h o m m es, les choses e lles-m êm es son t fra p p é e s d ’ir
réa lité , les c o m p o rte m e n ts se d éco m p o sen t d an s l ’absurde, Je
p ré s e n t m êm e, com m e dans la fausse reco n n a issa n ce, p erd
sa con sista n ce et v ir e à l ’é tern ité. L ’ex is te n c e c o r p o r e lle q u i
fu se à tra v e rs m oi sans m a c o m p lic ité n ’est qu e l ’esquisse
d ’ une v é rita b le p résen ce au m on d e. E lle en fo n d e du m oin s
la p o s s ib ilité , elle é ta b lit n o tre p re m ie r p a c te a vec lui. Je
p e u x b ie n m ’ab sen ter du m on d e h u m ain e t q u itte r l’existen ce
p e rs o n n e lle , m ais ce n ’est qu e p ou r re tro u v e r d ans m on
corp s la m êm e puissance, cette fo is sans n om , p a r la q u e lle je
suis c o n d a m n é à l ’être. On p eu t d ire q u e le c orp s est « la
fo r m e c ach ée de l ’ê tre soi » (1) ou ré c ip r o q u e m e n t qu e l ’exis
te n c e p e rs o n n e lle est la rep ris e et la m a n ife s ta tio n d ’ un être
en s itu a tio n don né. Si d on c nous d isons qu e le c orp s à cha
q u e m o m e n t e x p r im e l ’existen ce, c ’est au sens où la p a role
e x p r im e la pensée. E n deçà des m oy en s d ’e x p ression c o n ve n
tio n n els, q u i ne m a n ife s te n t à a u tru i m a pensée qu e p arce
qu e d é jà ch ez m o i c o m m e ch ez lu i son t don n ées, p o u r cna-
q u e sign e, des sign ifica tion s, et q u i en ce sens n e réa lise n t
pas u n e c o m m u n ic a tio n v é rita b le , il fa u t b ien , v erron s-n ou s,
r e c o n n a ître une o p é ra tio n p rim o r d ia le d e s ig n ific a tio n où
l ’e x p r im é n ’exis te p as à p a r t l ’exp res s io n et où les sign es
eu x-m êm es in d u is e n t au d eh ors leu rs sens. C ’est de cette
m a n iè re q u e le corp s e x p r im e l ’ex is te n c e to ta le , n o n q u ’il en
soit un a c c o m p a gn e m e n t e x té rie u r, m ais p a rc e q u ’elle se réa
lis e en lu i. Ce sens in c a rn é est le p h é n o m è n e c e n tra l d on t
c orp s et e s p rit, sign e et s ig n ific a tio n s o n t d es m o m en ts abs
traits.
moi. Dire que j ’ai un corps est donc une manière de dire
que je peux être vu comme un objet et que je cherche à
être vu comme sujet, qu’autrui peut être mon maître ou
mon esclave, de sorte que la pudeur et l’impudeur expri
ment la dialectique de la pluralité des consciences et qu’elles
ont bien une signification métaphysique. On en dirait au
tant du désir sexuel : s’il s’accommode mal de la présence
d’un tiers témoin, s’il éprouve comme une marque d’hosti
lité une attitude trop naturelle ou des propos trop détachés
de la part de l’être désiré, c’est qu’il veut fasciner et que
le tiers observateur ou l’être désiré, s’il est trop libre d’es
prit, échappent à la fascination. Ce qu’on cherche à posséder,
ce n’est donc pas un corps, mais un corps animé par une
conscience, et, comme le dit Alain, on n’aime pas une folle,
sinon en tant qu’on l’a aimée avant sa folie. L ’importance
attachée au corps, les contradictions de l’amour se relient
donc à un drame plus général qui tient à la structure/méta
physique de mon corps, à la fois objet pour autrui e t sujet
pour moi. La violence du plaisir sexuel ne suffirait pas à
expliquer la place que tient la sexualité dans la vie humaine
et par exemple le phénomène de l ’érotisme, si l ’expérience
sexuelle n’étàit comme une épreuve, donnée à tous et tou
jours accessible, de la condition humaine dans ses moments
les plus généraux d’autonomie et de dépendance. On n’ex
plique donc pas les gênes et les angoisses de la conduite
humaine en la rattachant au souci sexuel, puisqu’il les
contient déjà. Mais réciproquement on ne réduit pas la
sexualité à autre chose qu’elle-même en la rattachant à
l ’ambiguïté du corps. Car, devant la pensée, étant un objet,
le corps n’est pas ambigu ; il ne le devient que dans l ’ex
périence que nous en avons, éminemment dans l ’expérience
sexuelle, et par le fait de la sexualité. Traiter la sexualité
comme une dialectique, ce n’est pas la ramener à un pro
cessus de connaissance ni ramener l’histoire d’un homme
à l’histoire de sa conscience. La dialectique n’est pas une
relation entre des pensées contradictoires et inséparables :
c’est la tension d’une existence vers une autre existence qui
la nie et sans laquelle pourtant elle ne se soutient pas.
La métaphysique — l ’émergence d’un au-delà de la natùre
— n’est pas localisée au niveau de la connaissance : elle
commence avec l ’ouverture à un « autre », elle est partout
et déjà dans le développement propre de la sexualité. Il est
vrai que nous avons avec Freud généralisé la notion de
sexualité. Comment pouvons-nous donc parler d’un déve
loppement propre de la sexualité ? Comment pouvons-nous
.196 Ph é n o m é n o l o g ie d e l a p e r c e p t io n
apporter : c’est lui qui donne leur sens aux mots, aux phra
ses, et la combinaison même des mots et des phrases u’est
pas un apport étranger, puisqu’elle ne serait pas comprise
si elle ne rencontrait pas chez celui qui écoute le pouvoir de
la réaliser spontanément. Ici comme partout il paraît
d’abord vrai que la conscience ne peut trouver dans son
expérience que ce qu’elle y a mis elle-même. Ainsi l’expé
rience de la communication serait une illusion- Une con
science construit, — pour X, — cette machine de langage
qui donnera à une autre conscience l’occasion d’effectuer les
mêmes pensées, mais rien ne passe réellement de l’une à
l’autre. Cependant le problème étant de savoir comment,
selon l’apparence, la conscience apprend quelque chose, la
solution ne peut pas consister à dire qu’elle sait tout
d’avance. Le fait est que nous avons le pouvoir de com
prendre au delà de ce que nous pensions spontanément. On
ne peut nous parler qu’un langage que nous comprenons
déjà, chaque mot d’un texte difficile éveille en nous des pen
sées qui nous appartenaient auparavant, mais ces signifi
cations se nouent parfois en une pensée nouvelle qui les
remanie toutes, nous sommes transportés au centre du livre,
nous rejoignons la source. Il n’y a là rien de comparable à
la résolution d’un problème, où l’on découvre un terme
inconnu par son rapport avec des termes connus. Car le pro
blème ne peut être résolu que s’il est déterminé, c’est-à-dire
si le recoupement des données assigne à l’inconnue une ou
plusieurs valeurs définies. Dans la compréhension d’autrui,
le problème est toujours indéterminé (1 ), parce que seule la
solution du problème fera apparaître rétrospectivement les
données comme convergentes, seul le m otif central d ’une phi
losophie, une fois compris, donne aux textes du philosophe
la valeur de signes adéquats. Il y a donc une reprise de la
pensée d’autrui à travers la parole, une réflexion en autrui,
un pouvoir de penser d’après autrui (2) qui enrichit nos
pensées propres. Il faut bien qu’ici le sens des mots soit
finalement induit par les mots eux-mêmes, ou plus exacte-
ser d’y croire. Mais comment se faire une peau arabe ? Ce fut, de
ma part, affectation pure. Il est aisé de faire perdre sa foi à un
homme, mais il est difficile, ensuite, de le convertir à- une autre.
Ayant dépouillé une forme sans en acquérir de nouvelle, j’étais
devenu semblable au légendaire cercueil de Mohammed (...).
Epuisé par un effort physique et un isolement également pro
longés, un homme a connu ce détachement suprême. Pendant que
son corps avançait comme une machine, son esprit raisonnable
l’abandonnait pour jeter sur lui un regard critique en deman
dant le but et la raison d’être d’un tel fatras. Parfois même ces
personnages engageaient une conversation dans le vide : la folie
alors était proche. Elle est proche, je crois, de tout homme qui
peut voir simultanément l’univers à travers les voiles de deux
coutumes, de deux éducations, de deux milieux », T.-E. L a w r e n c e ,
Les Sept Piliers de la Sagesse, p. 43.
220 PHENOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION
(1) On sait que le baiser n’ est pas en usage dans les mœurs
traditionnelles du Japon.
(2) Chez les indigènes des îles Tropbriand, la paternité n’est
pas connue. Les enfants sont élevés sous l’autorité de l ’oncle
maternel. Un mari, au retour d’un long voyage, se félicite fie
♦xouver de nouveaux enfants à son foyer. Il prend soin d’eux.
L E CORPS COMME EXPRESSION ET L A PAROLE 221
(1) « Enfin, comme je crois qu’il est très nécessaire d’avoir bien
compris, une fois en sa vie, les principes de la métaphysique, à
cause que ce sont eux qui nous donnent la connaissance de Dieu
et de notre âme, je crois aussi qu’il serait très nuisible d’occuper
souvent son entendement à les méditer, à cause qu’il ne pourrait
si bien vaquer aux fonctions de l’imagination et des sens; mais
que le meilleur'est de se contenter de retenir en sa mémoire et en
sa créance les conclusions qu’on a une fois tirées, puis employer
le reste du temps qu’on a pour l’étude aux pensées où l’entende
ment agit avec l ’imagination et les sens ». Ibid.
DEUXIÈME PARTîE
LE MONDE PERÇU
Le corps propre est dans le monde comme le cœur dans
l’organisme : il maintient continuellement en vie le spec
tacle visible , il l’anime et le nourrit intérieurement, il
form e avec lui un système. Quand je me promène dans
mon appartement, les différents aspects sous lesquels il
s’offre à moi ne sauraient m’apparaître comme les profils
d ’une même chose si je ne savais pas que chacun d’eux
représente l’appartement vu d’ici ou vu de là, si je n’avais
conscience de mon propre mouvement, et de mon corps
comme identique à travers les phases de ce mouvement. Je
peux évidemment survoler en pensée l’appartement, l’ima
giner ou en dessiner le plan sur le papier, mais même alors
je ne saurais saisir l’unité de l’objet sans la médiation de
l ’expérience corporelle, car ce que j ’appelle un plan n’est
qu’ une perspective plus ample : c’est l’appartement « vu
d’en haut » , et si je peux résumer en lui toutes les. pers
pectives coutumières, c’est à condition de savoir qu’un
même sujet incarné peut voir tour à tour de différentes
positions. On répondra peut-être qu’en replaçant l’objet
dans l’expérience corporelle comme l’un des pôles de cette
expérience, nous lui ôtons ce qui fait justement son objec
tivité. Du point de vue de mon corps je ne vois jamais éga
les les six faces du cube, même s’il est en verre, et pour
tant le mot « cube » a un sens, le cube lui-même, le cube
en vérité, au delà de ses apparences sensibles, a ses six
faces égales. A mesure que je tourne autour de lui, je vois
la face frontale, qui était un carré, se déformer, puis dis
paraître, pendant que les autres côtés apparaissent et de
viennent chacun à leur tour des carrés. Mais le déroule
ment de cette expérience n’est pour moi que l’occasion de
penser le cube total avec ses six faces égales et simultanées,
la structure intelligible qui en rend raison. E t même, pour
que ma promenade autour du cube m otive le jugement
« voici un cube » , il faut que mes déplacements soient eux-
mêmes repérés dans l’espace objectif et, loin que l’expé
rience du mouvement propre conditionne la position d’un
objet, c’est au contraire en pensant mon corps lui-même
comme un objet mobile que je puis déchiffrer l’apparence
236 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
là, sous mes yeux, sous mes mains, dans son évidence per
ceptive. Les côtés du cube n ’en sont pas des projections,
mais justem ent des côtés. Quand je les aperçois l’un après
l’autre et selon l’apparence perspective, je ne construis pas
l’idée du géométral qui rend raison de ces perspectives,
mais le cube est déjà là devant moi et se dévoile à travers
eux. Je n ’ai pas besoin de prendre sur mon propre mouve
ment une vue objective et de le faire entrer en compte pour
reconstituer derrière l’apparence la forme vraie de l’objet :
le compte est déjà fait, déjà la nouvelle apparence est entrée
en composition avec le mouvement vécu et s’est offerte
comme apparence d’un cube. La chose et le monde me sont
donnés avec les parties de mon corps, non par une « géomé
trie naturelle », mais dans une connexion vivante compa
rable ou plutôt identique à celle qui existe entre les parties
de mon corps lui-même.
La perception extérieure et la perception du corps propre
varient ensemble parce qu’elles sont les deux faces d’un
même acte. On a depuis longtemps essayé d’expliquer la
fameuse illusion d’Aristote en adm ettant que la position
inhabituelle des doigts rend impossible la synthèse de leurs
perceptions : le côté droit du médius et le côté gauche de
l’index ne « travaillent » pas ensemble d’ordinaire, et si
tous deux sont touchés à la fois, il faut donc qu’il y ait
deux billes. En réalité, les perceptions des deux doigts ne
sont pas seulement disjointes, elles sont inversées : le sujet
attribue à l’index.ce qui est touché par le médius et récipro
quement, comme on peut le montrer en appliquant aux
doigts deux stimuli distincts, une pointe et une boule, par
exemple (1). L’illusion d’Aristote est d’abord un trouble du
schéma corporel. Ce qui rend impossible la synthèse des
deux perceptions tactiles en un objet unique, ce n ’est pas
tan t que la position des doigts est inhabituelle ou statisti
quement rare, c’est que la face droite du médius et la face
gauche de l’index ne peuvent concourir à une exploration
synergique de l’objet, que le croisement des- doigts, comme
mouvement forcé, dépasse les possibilités motrices des
doigts eux-mêmes et ne peut être visé dans un projet de
mouvement. La synthèse de l’objet se fait donc ici à travers
Ta synthèse du corps propre, elle en est la réplique ou le cor
rélatif et c’est à la lettre la même chose de percevoir une
seule bille et de disposer des deux doigts comme d’un organe
unique. Le trouble du schéma corporel peut même se tra-
(1) Nous avons fait voir ailleurs que la conscience vue de l’ex
térieur ne pouvait pas être un pour soi pur (La Structure du
Comportement, pp. 168 et suivantes). On commence à voir qu’il
n’en va pas autrement de la conscience vue de l’intérieur.
250 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
Husserl (1) que Hume a été en intention plus loin que per
sonne dans la réflexion radicale, puisqu’il a vraiment voulu
nous ramener aux phénomènes dont nous avons l’expérience,
en deçà de toute idéologie, — même si par ailleurs il a mutilé
et dissocié cette expérience. En particulier l’idée d’un espace
unique et celle d’un temps unique, étant appuyées à celle
d’une sommation de l’être dont Kant justem ent a fait la
critique dans la Dialectique Transcendantale, doit être mise
entre parenthèses et produire sa généalogie à p artir de notre
expérience effective. Cette nouvelle conception de la réfle
xion, qui est la conception phénoménologique, revient en
d’autres termes à donner une nouvelle définition de l’a
priori. Kant a déjà montré que l’a priori n ’est pas connais-
sable avant l’expérience, c’est-à-dire hors de notre horizon
de facticité, et qu’il ne peut être question de distinguer deux
éléments réels de la connaissance dont l’un serait a priori et
l’autre a posteriori. Si l’a priori garde dans sa philosophie
le caractère de ce qui doit être, par opposition à ce qui existe
en fait et comme détermination anthropologique, c’est seu
lement dans la mesure où il n ’a pas suivi jusqu’au bout
son programme qui était de définir nos pouvoirs de connais
sance par notre condition de fait et qui devait l’obliger à
replacer tout être concevable sur le fond de ce monde-ci.
A p artir du moment où l’expérience, — c’est-à-dire l’ouver
ture à notre monde de fait, — est reconnue comme le com
mencement de la connaissance, il n ’y a plus aucun moyen
de distinguer un plan des vérités a priori et un plan des
vérités de fait, ce que doit être le monde et ce qu’il est
effectivement. L’unité des sens, qui passait pour vérité a
priori, n ’est plus que l’expression formelle d’une contin
gence fondamentale : le fait que nous sommes au monde,
— la diversité des sens, qui passait pour donnée a posteriori,
y compris la forme concrète qu’elle prend dans un sujet
hum ain, apparaît comme nécessaire à ce monde-ci, c’est-
à-dire au seul monde que nous puissions penser avec consé
quence; elle devient donc une vérité a priori. Toute sensa
tion est spatiale, nous nous sommes rangés à cette thèse
non pas parce que la qualité comme objet ne peut être
pensée que dans l’espace, mais parce que, comme contact
primordial avec l’être, comme reprise par le sujet sentant
d’une forme d’existence indiquée par le sensible, comme
coexistence du sentant et du sensible, elle est elle-même
constitutive d’un milieu de coexistence, c’est-à-dire d’un
(1) Formale und Transzendentale Logik, par ex., p. 226.
256 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
(1) Un sujet déclare que les notions spatiales q u 'il croyait avoir
avant l’opération ne lui donnaient pas une véritable représenta
tion de l’espace et n’étaient qu’un « savoir acquis par le travail
de la pensée » (V o n S e n d e n , R aum - u n d G estaltauffassang b e
o p erierten B lindgeborenen vor u n d nach d e r O pération, p. 23^
L’acquisition de la vue entraîne une réorganisation générale de
l’existence qui intéresse le toucher lui aussi. Le centre du monde
se déplace, le schéma tactile s’oublie, la reconnaissance par le
toucher est moins sûre, le courant existentiel passe désormais par
la vision et c’est de ce toucher affaihli que le malade parle.
(2) Ibid., p. 36.
(3) Ibid., p. 93.
(4) Ibid., pp. 102-104.
(5) Ibid., p. 124.
258 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
(1) Einstellung auf reine Optik, Katz cité par Gelb, Travail cité,
p. 600.
(2) Id., ibid.
(3) W erneh , Untersuchungen über Empfindung and Emp
finden, I, p. 155.
LE SENTIR 263
(1) Ibid., p p . 3 2 -3 3 .
(2 ) S pf . c i i t , Zur P hänom enologie und Morphologie der patholo *
gischen W ahrnehnm ntjstauschungen, p . 11.
(3 ) A i.a in , 8 t C hapilrcs sar l’E sp iit et les Passions, p . 3 8 .
LE SENTIR 267
les; la répartition des stim uli sur les deux rétines n’est « dys-
symétrique » qu’au regard d’un sujet qui compare les deux
constellations et les identifie. Sur les rétines mêmes, considé
rées comme des objets, il n ’y a que deux ensembles de sti
m uli incomparables. On répondra peut-être que, à moins
d ’un mouvement de fixation, ces deux ensembles ne peuvent
se superposer, ni donner lieu à la vision d’aucune chose, et
qu’en ce sens leur présence, à elle seule, crée un état de dé
séquilibre. Mais c’est justem ent adm ettre ce que nous cher
chons à m ontrer : que la vision d’un objet unique n ’est pas
un simple résultat de la fixation, qu’elle est anticipée dans
l’acte même de fixation, ou que, comme on l’a dit, la fixation
du regard est une « activité prospective » (1). Pour que mon
regard se repofte sur les objets proches et concentre les yeux
sur eux, il faut qu’il éprouve (2) la diplopie comme un désé
quilibre ou comme une vision imparfaite et qu’il s’oriente
vers l’objet unique comme vers la résolution de cette tension
et l’achèvement de la vision. « Il faut « regarder > pour
voir » (3). L’unité de l’objet dans la vision binoculaire ne
résulte donc pas de quelque processus en troisième personne
qui produirait finalement une image unique en fondant les
deux images monoculaires. Quand on passe de la diplopie à
la vision normale, l’objet unique remplace les deux images
et n ’en est visiblement pas la simple superposition : il est
d’un autre ordre qu’elles, incomparablement plus solide
qu’elles. Les deux images de la diplopie ne sont pas amalga
mées en une seule dans la vision binoculaire et l’unité de
l’objet est bien intentionnelle. Mais, — nous voici au point
où nous voulions en venir, — ce n ’est pas pour autant une
unité notionnelle. On passe de la diplopie à l’objet unique,
non par une inspection de l’esprit, mais quand les deux yeux
(1) Il est vrai que les sens ne doivent pas être mis sur le même
plan, comme s’ils étaient tous également capables d’objectivité et
perméables à l’intentionnalité. L’expérience ne nous les donne
pas comme équivalents : il me semble que l’expérience visuelle
est plus vraie que l’expérience tactile, recueille en elle-même sa
vérité et y ajoute, parce que sa structure plus riche me présente
des modalités de l’être insoupçonnables pour le toucher. L’unité
des sens se réalise transversalement, à raison de leur structure
propre. Mais on retrouve quelque chose d’analogue dans la vision
binoculaire, s’il est vrai que nous avons un « œil directeur » qui
se subordonne l’autre. Ces deux faits, — la reprise des expérien
ces sensorielles dans l’expérience visuelle, et celle des fonctions
d’un œil par l’autre, — prouvent que l’unité de l’expérience n’est
pas une unité formelle, mais une organisation autochtone.
LE SENTIR 271
des synesthésies reçoit un commencement de solution si l’ex
périence de la qualité est celle d’un certain mode de mouve
ment ou d’une conduite. Quand je dis que je vois un son, je
veux dire qu’à la vibration du son, je fais écho par tout mon
être sensoriel et en particulier par ce secteur de moi-même
qui est capable des couleurs. Le mouvement, compris non pas
comme mouvement objectif et déplacement dans l’espace,
mais comme projet de mouvement ou « mouvement vir
tu el » (1) est le fondement de l’unité des sens. Il est assez
connu que le cinéma parlant n ’ajoute pas seulement au spec
tacle un accompagnement sonore, il modifie la teneur du
spectacle lui-même. Quand j ’assiste à la projection d’un film
doublé en français, je ne constate pas seulement le désaccord
de la parole et de l’image, mais il me semble soudain qu’il
se dit là-bas autre chose et tandis que la salle et mes oreilles
sont remplies p ar le texte doublé, il n ’a pas pour moi d’exis
tence .même auditive et je n ’ai d’oreille que pour cette autre
parole sans bruit qui vient de l’écran. Quand une panne du
son laisse soudain sans voix le personnage qui continue de
gesticuler su r l'écran, ce n ’est pas seulement le sens de son
discours qui m ’échappe soudain : le spectacle lui aussi est
changé. Le visage, tout à l’heure animé, s’épaissit et se lige
comme celui d’un homme interloqué et l’interruption du
son envahit l’écran sous la forme d’une sorte de stupeur.
Chez le spectateur, les gestes et les paroles ne sont pas sub-
sumés sous une signification idéale, mais la parole reprend
le geste et le geste reprend la parole, ils communiquent à
travers mon corps, comme les aspects sensoriels de mon
corps ils sont immédiatement symboliques l’un de l’autre
parce que mon corps est justem ent un système tout fait
d’équivalences et de transpositions intersensorielles. Les
sens se traduisent l’un l’autre sans avoir besoin d ’un inter
prète, se comprennent l’un l’autre sans avoir à passer p ar
l’idée. Ces remarques permettent de donner tout son sens
au mot de Herder : « L’homme est un sensorium commune
perpétuel, qui est touché tantôt d’un côté et tantôt de l’au
tre * (2). Avec la notion de schéma corporel, ce n ’est pas
seulement l’unité du corps qui est décrite d’une manière
neuve, c’est aussi, à travers elle, l’unité des sens et l’unité
de l’objet. Mon corps est le lieu ou plutôt l’actualité même
du phénomène d ’expression (Ausdruck), en lui l’expérience
visuelle et l'expérience auditive, par exemple, sont prégnan-
(1) P alagyi, St e in .
(2) Cité par W erner, Travail cité, p. 152.
272 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
(1) Nous entendons par là soit celle d’un kantien comme P. La-
chièze-Rey (L’Idéalisme kantien), soit celle de Husserl dans la
seconde période de sa philosophie (période des Ideen).
282 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
m o u v em en t q u i le d é tru it à u n e expérience d u m ou v em en t
q u i ch e rch e à le fonder, m a is au ssi de cette expérience à
u n e pensée sa n s laquelle, à la rig u eu r, elle ne signifie rien .
O n n e p e u t donc d o n n er raiâo n n i a u psychologue n i au
logicien, ou p lu tô t il fa u t d o n n er ra iso n à to u s les d eu x et
tro u v e r le m oyen de rec o n n aître la th èse et l ’an tith è se
com m e to u te s deux vraies. Le logicien a ra iso n q u a n d il
exige u n e c o n stitu tio n du « p hénom ène d y n am iq u e » lu i-
m êm e e t u n e d escrip tio n d u m ouvem ent p a r le m obile q u e
n o u s suivons d a n s son tr a je t, — m ais il a to r t q u a n d il p ré
se n te l’id e n tité d u m obile com m e u n e id e n tité expresse, et il
est obligé de le re c o n n a ître lui-m êm e. D e son côté, q u a n d il
d éc rit a u p lu s p rès les phénom ènes, le psycholo g u e est
am en é co n tre son gré à m e ttre u n m obile d a n s le m ouve
m e n t, m a is il re p re n d l ’avan tag e p a r la m a n iè re con crète
d o n t il conçoit ce m obile. D an s la d iscussion q u e n o u s ve
n o n s de su iv re et q u i n o u s se rv a it à illu s tre r le d ébat p erp é
tu e l de la psychologie et de la logique, q u e v eu t d ire au fond
W e rth e im e r ? 11 v eu t d iie que la p erc ep tio n d u m o u v em en t
n ’e st p a s seconde p a r ra p p o rt à la p erc ep tio n d u m obile, que
l ’on n ’a p a s u n e percep tio n d u m obile ici, p u is là, e t en su ite
u n e id en tificatio n qui re lie ra it ces p o sitio n s d an s la su cces
sion (1 ), q u e le u r diversité n ’est p as su b sum ée sous un e
u n ité tra n sc e n d a n te et qu'enfin l’id e n tité d u m obile fu se d i
re c te m e n t « de l’expérience » (2 ). E n d ’a u tre s te rm es, q u a n d
le psychologue p a rle du m ouvem ent com m e d ’u n p hén o m èn e
q u i em b ra sse le p o in t de d é p a rt A et le p o in t d ’arriv ée B,
(A B ), il n e v eu t p as dire q u ’il n ’y a a u c u n s u je t d u m ouve
m e n t, m a is q u ’en au c u n cas le su je t du m ou v em en t n ’est u n
o b je t A d o n n é d ’abord com m e p ré se n t en son lieu et sta tio n -
n a ire : en ta n t q u ’il y a m ouvem ent, le m obile est p ris d a n s
le m ouvem ent. L e psychologue a c co rd erait sa n s do u te q u ’il
y a d a n s to u t m ouvem ent sin o n u n m obile, d u m o in s u n
m o u v a n t, à co n d itio n q u ’on n e confonde ce m o u v a n t avec
est pour nous prem ier et immédiat, c’est un ïlux qui ne s’éparpille
pas comme un liquide, qui, au sens actif, s’écoule et ne peut donc
le faire sans savoir qu’il le fait et sans se recueillir dans le même
acte par lequel il s’écoule, — c’est le « temps qui ne passe pas »,
dont Kant parle quelque part. Pour nous donc, l’unité du mou
vement n’est pas une unilé réelle. Mais pas davantage la multi
plicité, et ce que nous reprochons à l’idée de synthèse chez
Kant comme dans certains textes kantiens de Husserl, c’est juste
ment qu’elle suppose, au moins idéalement, une m ultiplicité réelle
qu’elle a à surmonter. Ce qui est pour nous conscience originaire,
ce n’est pas un Je transcendantal posant librem ent devant lui une
multiplicité en soi et la constituant de fond en comble, c’est un
Je qui ne domine le divers qu’à la faveur du temps et pour qui la
liberté même est un destin, de sorte que je n’ai jamais conscience
d’être l’auteur absolu du temps, de composer le mouvement que
je vis, il me semble que c’est le mouvant lui-même qui se déplace
et qui effectue le passage d’un instant ou d’une position à l’autre.
Ce Je relatif et prépersonnel qui fonde le phénomène du
mouvement, et en général le phénomène du réel, exige évidem
ment des éclaircissements. Disons pour le moment qu’à la notion
de synthèse nous préférons celle de synopsis qui n ’indique pas
encore une position explicite du divers.
L’ESPACE 321
(1) Gedächlnisfarbe d e H e r i n g .
(2) G ei.ii, Die Farbenkanstani d e r S e h d in g e , p. 6 1 3 .
(3) I l e s t eindringlicher.
(4) S t u m p f , c i t é p a r G e lb , p . 598.
352 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
q u ’il lui m anque quelque chose pour être une « réalité ». Les
voix so n t des voix de m alotrus ou « de gens qui font sem
blan t d ’être des m alotrus », c’est un jeune homme qui si
m ule la voix d ’u n vieillard, c’est « comme si un Allemand
essayait de p a rle r yiddish (1). » « C’est comme quand une
personne dit quelque chose à quelqu’un, m ais ça ne va pas
ju sq u ’au son » (2). Ces aveux ne term inent-ils pas tout
débat su r l’hallucination ? Puisque l’hallucination n ’est pas
u n contenu sensoriel, il ne reste plus qu’à la considérer
comme un jugem ent, comme une interprétation ou comme
une croyance. Mais si les m alades ne croient pas à l’halluci
nation dans le mêm e sens où l’on croit aux objets perçus,
une théorie intellectualiste de l’hallucination est impossible
elle aussi. Alain cite le m ot de M ontaigne su r les fous « qui
croient voir ce q u ’ils ne voient p as en effet » (3). Mais ju s
tem ent les fous ne croient pas voir ou, p our peu q u ’on les
interroge, ils rectifient su r ce point leurs déclarations. L’hal
lucination n ’est pas u n jugem ent ou une croyance témé
raire p our les m êm es raisons qui l’em pêchent d ’être un con
tenu sensoriel : le jugem ent ou la croyance ne pourraient
consister q u ’à poser l’hallucination comme vraie, et c’est
justem en t ce que les m alades ne font pas. S ur le plan du ju
gem ent ils distinguent l’hallucination et la perception, en
tout cas ils argum entent contre leurs hallucinations : des
ra ts ne peuvent pas so rtir de la bouche et re n tre r dans l’es
tom ac (4), un m édecin qui entend des voix m onte en bar
que et ram e vers la hau te m er p our bien se p ersuader que
personne ne lui parle vraim ent (5). Q uand la crise hallu
cinatoire survient, le ra t et les voix sont encore là.
P ourquoi l’em pirism e et l’intellectualism e échouent-ils à
com prendre l’hallucination et p a r quelle au tre m éthode au
rons-nous chance d’y réussir? L’em pirism e essaye d ’expli
quer l’hallucination comm e la perception : p a r l’effet de cer
taines causes physiologiques, p ar exemple l ’irrita tio n des
centres nerveux, des données sensibles a p p araîtraien t
comme elles ap paraissent dans la perception p a r l’action des
stim uli physiques su r les mêmes centres nerveux. A pre-
tinguée des paroles. Les autres sont pour lui des regards qui
inspectent les choses, ils ont une existence presque m até
rielle, au point q u ’u n enfant se dem ande com m ent les re
gards ne se brisent pas en se croisant (1). Vers l’âge de
douze ans, d it Piaget, l’enfant effectue le cogito et rejoint
les vérités du rationalism e. Il se découvrirait à la fois
comme conscience sensible et comme conscience intellec
tuelle, comme point de vue sur le m onde et comme appelé à
dépasser ce poin t de vue, à construire une objectivité au
niveau du jugem ent. Piaget conduit l’enfant ju sq u ’à l’âge de
raison comme si les pensées de l’adulte se suffisaient et
levaient toutes les contradictions. Mais, en réalité, il faut
bien que les enfants aient en quelque façon raison contre
les adultes ou contre Piaget, et que les pensées barbares du
prem ier âge dem eurent comme u n acquis indispensable sous
celles de l’âge adulte, s’il doit y avoir p o u r l’adulte un
m onde unique et intersubjectif. L a conscience que j ’ai de
construire une vérité objective ne me donnerait jam ais
q u ’une vérité objective pour moi, mon plus grand effort
d ’im partialité ne me ferait pas surm onter la subjectivité,
comme D escartes l’exprime si bien p a r l’hypothèse du m alin
génie, si je n ’avais, au-dessous de mes jugem ents, la certi
tude prim ordiale de toucher l’être même, si, avant toute prise
de position volontaire je ne me trouvais déjà situé dans un
m onde intersubjectif, si la science n e s’appuyait pas su r
cette ùaÇS originaire. Avec le cogito commence la lutte
des consciences dont chacune, comme dit Hegel, p o ursuit la
m o rt de l’au tre. P o u r que la lutte puisse com mencer, pour
que chaque conscience puisse soupçonner les présences
étrangères q u ’elle nie, il faut q u ’elles aient u n terra in com
m u n et q u ’elles se souviennent de leur coexistence paisible
dans le m onde de l’enfant.
Mais est-ce bien a u tru i que nous obtenons ainsi ? Nous
nivelons en somm e le Je et le T u dans une expérience à plu
sieurs, nous introduisons l’im personnel au centre de la sub
jectivité, nous effaçons l’individualité des perspectives, m ais,
dans cette confusion générale, n ’avons-nous pas fait dispa
raître, avec l’Ego, l’alter Ego ? Nous disions plus h a u t q u ’ils
sont exclusifs l’un de l’autre. Mais ils ne le sont justem ent
que parce q u ’ils ont les mêmes prétentions et que l’alter Ego
su it toutes les variations de l’Ego : si le Je qui perçoit est
vraim ent u n Je, il ne peut en percevoir u n au tre ; si le sujet
qui perçoit est anonym e, l’autre lui-même q u ’il perçoit l’est
(1) P i a g e t , La représentation du monde chez l’enfant, p . 21
AUTRUI ET LE MONDE HUMAIN 409
Patrie retrouve une voix ensevelie qui n ’avait jam ais cessé
de p arler, comme nous savons bien au réveil que les objets
n ’ont pas cessé d’être dans la n u it ou que l’on frappe depuis
longtem ps à notre porte. En dépit des différences de cul
ture, de m orale, de m étier et d’idéologie, les paysans russes
de 1917 rejoignent dans la lutte les ouvriers de Pétrograd et
de Moscou, parce q u ’ils sentent que leur sort est le même ;
la classe est vécue concrètem ent avant de devenir l’objet
d ’une volonté délibérée. Originairem ent, le social n ’existe
pas comme objet et en troisième personne. C’est l’erreur
com m une du curieux, du « grand homme » et de l’historien
de vouloir le tra ite r en objet. Fabrice voudrait voir la bataille
de W aterloo comme on voit u n paysage et il ne trouve rien
que des épisodes confus. L’Em pereur su r sa carte l’aperçoit
il vraim ent? Mais elle se réduit pour lui à u n schém a non
san s lacunes : pourquoi ce régim ent piétine-t-il? Pourquoi
les réserves n ’arrivent-elles pas? L’historien qui n ’est pas
engagé dans la bataille et la voit de partout, qui réu n it une
m ultitude de témoignages et qui sait com m ent elle a fini,
croit enfin l ’atteindre dans sa vérité. Mais ce n 'e st q u ’une
représentation q u ’il nous en donne, il n ’attein t pas la ba
taille même, puisque, au m om ent où elle a eu lieu, l’issue
en était contingente, et q u ’elle ne l’est plus quand l'historien
la raconte, puisque les causes profondes de la défaite et les
incidents fo rtu its qui leur ont perm is de jou er étaient, dans
l’événement singulièr de W aterloo, déterm inants au même
titre, et que l’historien replace l’événement singulier dans
la ligne générale du déclin de l’Em pire. Le vrai W aterloo
n ’est ni dans ce que Fabrice, ni dans ce que l’Em pereur, ni
dans ce que l’historien voient, ce n ’est pas un objet déter-
m inable, c’est ce qui advient aux confins de toutes les pers
pectives et su r quoi elles sont toutes prélevées (1). L ’his-
(1) Il y aurait donc à écrire une histoire au présent. C’est, par
exemple, ce que Jules Romains a fait dans Verdun. Bien entendu,
si la pensée objective est incapable d’épuiser une situation histori
que présente, il ne faut pas en conclure que nous devions vivre
l’histoire les yeux fermés, comme une aventure individuelle, nous
refuser à toute mise en perspective et nous jeter dans l’action sans
fil conducteur. Fabrice manque Waterloo, mais le reporter est déjà
plus près de l’événement. L’esprit d’aventure nous en éloigne
encore plus que la pensée objective. Il y a une pensée au contact
de l’événement qui en cherche la structure concrète. Une révolu
tion, si elle est vraiment dans le sens de l’histoire, peut être pen
sée en même temps que vécue.
AUTRUI ET LE MONDE HUMAIN 417
(1) Comme le fait par exemple Husserl quand il admet que toute
réduction transcendantale est en même temps une réduction eidé-
tique. La nécessité de passer par les essences, l’opacité définitive
des existences, ne peuvent être pris comme des faits qui vont de
soi, elles contribuent à déterminer le sens du Cogito et de la sub-
LE COGITO 431
tion constitutive, je ne puis saisir que le dessin et les struc
tu re s essentielles; il fau t que je voie p a ra ître le m onde
existan t, et n on pas seulem ent le m onde en idée, au term e
d u trav ail constitutif, fau te de quoi je n ’a u ra i q u ’une cons
tru ctio n ab straite et non pas une conscience concrète du
m onde. A insi, en quelque sens qu’on la prenne, la « pensée
de voir » n ’est.certaine que si la vision effective l’est aussi.
Q uand D escartes nous d it que la sensation, réd u ite à elle-
m êm e, est to u jo u rs vraie, et que l’e rreu r s’in tro d u it p a r l’in
te rp réta tio n transcendante que le jug em en t en donne, il fait
là une distinction illusoire : il n ’est p as m oins difficile pour
m oi de savoir si j ’ai senti quelque chose que de savoir s’il
y a là quelque chose, et l’hystérique se n t e t ne connaît pas
ce q u ’il sent, comme il perçoit des objets extérieurs sans
se ren d re compte de cette perception. Q uand au contraire je
suis sû r d ’avoir senti, la certitude d ’une chose extérieure
est enveloppée dans la m anière même d o n t la sensation s'a r
ticule et se développe devant moi : c’est u n e douleur de la
jam be, ou c’est du rouge, et p a r exem ple du rouge opaque
su r u n seul plan, ou au contraire u n e atm osphère rougeâtre
à tro is dim ensions. L’« interprétation » que je donne de m es
sensations doit bien être motivée, et elle n e p eu t l’être que
p a r la stru c tu re même de ces sensations, si bien qu’on peu t
dire indifférem m ent q u ’il n ’y a pas d ’in terp rétatio n tra n s
cendante, p as de jugem ent qui ne jaillisse de la configura
tio n m êm e des phénom ènes, — et q u ’il n ’y a pas de sphère
de l’im m anence, pas de domaine où m a conscience soit chez
elle e t assurée contre to u t risque d’erreur. Les actes du Je
sont d’une telle n a tu re q u ’ils se dépassent eux-mêmes et
q u ’il n ’y a pas d ’intim ité de la conscience. L a conscience est
de p a rt en p a rt transcendance, non pas transcendance subie,
— nous avons d it qu’une telle transcendance serait l’arrê t
de la conscience, — m ais transcendance active. La conscience
que j ’ai de voir ou de sentir, ce n ’est p as la n otation passive
d ’un événem ent psychique ferm é su r lui-m êm e et qui me lais
se ra it in certain en ce qui concerne la réalité de la chose
vue ou sentie; ce n ’est pas davantage le déploiem ent d’une
puissance constituante qui contiendrait ém inem m ent et éter
nellem ent en elle-même toute vision ou sensation possible
et rejo in d rait l’objet sans avoir à se q u itte r, c’est l’effectua-
sents, il est le même pour nous deux, non seulem ent comme
signification intelligible, m ais comme u n certain accent du
style mondial, et jusque dans son eccéité. L’unité du monde
se dégrade et s'effrite avec la distance tem porelle et spa
tiale que l’unité idéale traverse (en principe) sans aucune
déperdition. C’est justem ent parce que le paysage me tou
che et m ’affecte, parce q u ’il m ’attein t dans m on être le plus
singulier, parce q u ’il est m a vue du paysage, que j ’ai le
paysage lui-même et que je l’ai comme paysage p our Paul
aussi bien que pour moi. L’universalité et le m onde se trou
vent au cœ ur de l’individualité et du su jet. On ne le com
p ren d ra jam ais ta n t q u ’on fera du m onde un ob-jet. O n le
com prend aussitôt si le monde est le cham p de notre expé
rience, et si nous ne sommes rien q u ’une vue du m onde, car
alors la plus secrète vibration de notre être psychophysique
annonce d éjà le monde, la qualité est l’esquisse d’une chose
et la chose l’esquisse du monde. Un m onde qui n ’est jam ais,
comme le dit M alebranche, q u ’un « ouvrage inachevé », ou
qui, selon le m ot que Husserl applique au corps, n ’est « ja
m ais com plètem ent constitué » n ’exige p as et exclut même
u n sujet constituant. A cette ébauche d’être qui tra n sp a ra ît
dans les concordances de m on expérience propre et inter-
subjeclive et dont je présum e l’achèvem ent possible à tra
vers des horizons indéfinis, du seul fait que m es phénom ènes
se solidifient en une chose et q u ’ils observent dans leur dé
roulem ent u n certain style constant, — à cette unité ouverte
du m onde doit correspondre une unité ouverte et indéfinie
de la subjectivité. Comme celle du monde, l’u n ité du Je
est invoquée p lutôt q u ’éprouvée chaque fois que j ’effectue
une perception, chaque fois que j ’obtiens une évidence, et
le Je universel est le fond su r lequel se détachent ces figures
brillantes, c’est à travers u n e pensée présente que je fais
l’unité de m es pensées. En deçà de mes pensées particuliè
res, que reste-t-il p our constituer le Cogito tacite et le pro
je t originel du monde, et que suis-je en dernière analyse
dans la m esure où je peux m ’entrevoir h ors de to u t acte
p articulier ? Je suis un cham p, je suis une expérience. Un
jo u r et une fois pour toutes quelque chose a été m is en train
qui, m êm e pendant le sommeil, ne peut plus s’arrête r de
voir ou de ne voir pas, de sentir ou de ne sen tir pas, de souf
frir ou d’être heureux, de penser ou de se reposer, en "an
m ot de s’ « expliquer » avec le monde. Il y a eu, non pas un
nouveau lot de sensations ou d ’états de conscience, non pas
m êm e une nouvelle m onade ou une nouvelle perspective,
Duisque je ne suis fixé à aucune et que je peux changer de
466 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
(1) H eid egger, Sein und Zeit, p . 366 : Wenn das « Subjekt »
ontologisch als existierendes Dasein begriffen w ird, deren Sein
in der Zeitlichkeit gründet, dann musz gesagt werden : Welt ist
c subjektiv ». Diese « subjektive » Welt aber ist dann als Zeit
transzendente « objektiver » als jede9 mögliche « Objekt ».
la TEMPORALITÉ 493
A v a n t - P r o p o s ................................................................... ...................... p. i
IN T R O D U C T IO N
LE CORPS
L’expérience et le pensée objective. Le problème dil
corps.......................................................................... p . 81
I. — Le corps comme o b je t et la p h y s io l o g ie
MÉCAN1STE ..................................................................................... p . 87
La physiologie nerveuse dépasse elle-même la pensée
causale. Le phénomène du membre fantôme: expli-
tion physiologique et explication psychologique
également insuffisantes. L ’existence entre le « psy
chique » et le « physiologique ». Ambiguïté du
membre fantôme. Le < refoulement organique *
et le corps comme complexe inné.
528 PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION
IL — L 'e x p é r i e n c e du corps et la p s y c h o l o g ie
C L A S S I Q U E ............................................................................................. p. 106
Perm anence » du corps propre. Les « sensations
doubles ». L e corps comme objet affectif. L es • sen
sations kincslhésiijucs ». L a psychologie nécessaire
ment ramenée aux phénomènes.
D EU XIÈM E PA RTIE
LE MONDE PERÇU
L a théorie du corps est déjà une théorie de la percep
tio n ..................................................................................... p. 235
I. — L e S e n t i h .......................................................................... p . 2 40
Quel est le sujet de la perception ? R apports du sentir
et des conduites : la qualité comme concrétion d’ un
mode d’ existence, le sentir comme coexistence. L a
conscience engluée dans le sensible. Généralité et
particularité des « sens >. Les sens sont des « champs ».
L a pluralité des sens. Comment l’ intellectualisme
la dépasse et comment il a raison contre l’ em pirisme.
Com m ent cependant l'analyse réflexive reste abstraite.
L ’ a priori et l’ empirique. Chaque sens a son « monde ».
L a com munication des sens. Le sentir « avant » les
sens. Les syneslhésies. Les sens distincts et indis
cernables comme les images monoculaires dans la
vision binoculaire. Unité des sens par le corps. L e
corps comme symbolique générale du monde. L ’homme
est un sensorium commune. La synthèse perceptive
est temporelle. Réfléchir, c ’est retrouver l’ irréfléchi.
IV . — A u t r u i e t l e m o n d e h u m a in . ......................... p 398
Entrelacem ent da temps naturel et du temps historique.
Comment les actes personnels se sédimentent-ils ?
Comment autrui est-il possible ? L a coexistence ren
due possible par la découverte de la conscience per
ceptive. Coexistence des sujets psychophysiques
dans un monde naturel et des hommes dans un
monde culturel. M a is y a-t-il une coexistence des
libertés et des J e ? Vérité permanente du solipsisme.
Elle ne peut être surmontée « en Dieu *. M a is soli
tude et com munication sont deux faces du même
phénomène. Sujet absolu et suiet engagét la nais
sance. La communication suspendue, non rompue. Le
social non comme obict mais comme dimension de mon
être. L ’ événement social au dehors et au dedans. Les
problèm es de transcendance. L e vrai transcendantal
est l’ U r-Sürung des transcendances
TABLE DES MATIÈRES 531
TROISIÈME P A R T IE
L’ETRE-POUR-SOI ET L’ETRE-AU-MONDE
I. — L e C o g i t o ....................................................................................... p. 423
Interprétation êternitaire du cogito. Conséquences :
im possibilité de la finitude et d’autrui. R etour au
cogito. Le cogito et la perception. Le cogito et Vin-
tentionnalité affective. Les sentiments faux ou illu
soires. L e sentiment comme engagement. J e sais que
je pense parce que je pense d’ abord. L e cogito
et l’ idée : l’ idée géométrique et la conscience percep
tive. L'idée et la parole, l’exprim é dans l’expression.
L ’ intemporel, c’ est l’ acquis. L ’ évidence comme la
perception est un lait. Evidence apodictique et évidence
historique. Contre le pstjchologisme ou le scepticisme.
L e sujet dépendant et indéclinable. Cogito tacite et
cogito parlé. L a conscience ne constitue pas le lan
gage, elle l'assume. L e sujet comme projet du monde,
champ, temporalité, cohésion d'une vie.
T r a v a u x c it é s p. 521
DU M ÊM E AUTEUR
P H É N O M É N O L O G IE DE LA P E R C E P T IO N
H U M A N IS M E ET T E R R E U R (Essai sur le problème commu
niste).
É L O G E DE LA P H IL O S O P H IE . Leçon inaugurale faite au
Collège de France le jeudi 15 janvier 1953.
LES A V E N T U R E S DE LA D IA L E C T IQ U E .
S IG N E S .
LE V IS IB L E ET L ’ IN V IS IB L E .
É L O G E DE LA P H IL O S O P H IE E T A U T R E S E S S A IS .
L ’ Œ IL E T L ’ E S P R IT .
RÉSUM É DE COU RS. COLLÈGE DE FRANCE 19 52 -
19 6 0 .
LA P R O S E DU M O N D E .
SENS E T N O N -S E N S .
N O T E S DE C O U R S . 1 9 5 9 -1 9 6 1 .
LA S T R U C T U R E DU C O M P O R T E M E N T , Presses Universi
taires de France.
SENS E T N O N -S E N S , Éditions Nagel.
Ouvrage reproduit
par procédé photomécanique.
Impression Bussière Camedan Imprimeries
à Saint-Amand (Cher), le 11 mai 2001.
Dépôt légal : mai 2001.
Premier dépôt légal : mai 1976.
Numéro d’imprimeur : 012339/1.
ISBN 2-07-029337-8./Im prim é en France.
2905