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EOITIOH 01] PflETI SOGIRklSTE S. F-1.0.
IDÉALISME
ET
MATÉRIALISME
dans la Conception de l’Histoire
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CONFÉRENCE
de Jean JAURÈS
ET
RÉPONSE
de Paul LAFARGUE
3e EDITION
PARIS
LIBRAIRIE POPULAIRE
12, rue Feydeau (2')
1927
Prix : 1 franc
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Groupes, Sections
et Militants !\
broelilire? de propagaqde, :
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CONFÉRENCE
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L’IDÉALISME DE L’HISTDIRE
Conférence faite au Quartier-Latin
sous les auspices du
Citoyennes et Citoyens,
Je vous demande d^iaibord toüte votre patienoe,
parce que c’est à une déduction purement doctri
nale que t’entends me livrer ce soir devant vous.
Je veux aussi, tout d’aboird, vous prémunir con
tre une erreur qui pourrait résulter de ce fait que
le sujet que je vais traiter devant vous, j’en ai
déjà parlé il y a quelques mois. J’ai, alors, exposé
la thèse du niatérialisme économique, l’interpréta
tion de l’histoire, de son mouvement selon Marx ;
et je me suis appliqué à ce moment à justifier la
doctirine de Marx, de telle sorte qu’il pouvait pa
raître que j’y adhérais sans restriction aucune.
Cette fois-ci, au contraire, je veux montrer que la
conception matérialiste de _ l’histoire n’empêche
pias son interprétation idéaliste. 'Et, comme dans
cette deuxième partie de ma démonstration, on
pourrait perdre de vue la force des raisons que
j’ai données en faveur de la thèse de Marx, je vous
prie donc, pour qu’il n’y ait pas de méprise sur
l’ensemble de ma pensée, de corriger l’une par
l’autre, de compléter l’une par l’autre, les deux
parties de l’exposé que nous avons été obligés de
scinder.
J’ai montré, il y a quelques mois, que l’on
pouvait interpréter tous les phénomènes de l’His-
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l’IDÜLlSKE ET LE MAIERIMME
DANS LA CONCEPTION DE L’HISTOIRE
Citoyenne^ et Citoyens,
Vous comprendrez que c’est avec hésitation que j’ai
assumé la tâehe de répondre à Jaurès, dont l’élo
quence fougueuse sait passionner les thèses les plus
abstraites de la métaphysique. Pendant qu’il parlait,
je me suis dit et vous avez dû vous dire : il est heu
reux que ce diable d’homme soit avec nous. Les mi
neurs de Carmaux ont richement payé leur dette au
parti socialiste, qui a fait triompher leur grève, en
libérant Jaurès de l’Université et en le rejetant
dans la politique.
Donc, ce soir,, vous n’avez pas été conviés à une
joute oratoire, mais à un combat d’idées : si vous ne
pouvez me demander l’éloquence de Jaurès, vous êtes
en droit d’exiger que je maintienne le débat à la
hauteur philosophique à laquelle il l’a placé. Je le
ferai. Ceci dit, entrons immédiatement dans le sujet.
I
Les philosophes de l’Ecole Cartésienne recomman
daient de ne commencer une discussion qu’après
avoir défini les termes du débat. Posons donc le pro
blème que nous avons à résoudre.
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II
L'homme et les animaux ne pensent que pai’ce qu'ils>
ont un cerveau ; le cerveau transforme en idées les^
sensations, comme les dynamos transmutent en -élec
tricité le mouvement qui leur est fourni. C'est la^
nature, ou plutôt le milieu naturel, pour ne pas eih-
ployer une expression qui idéaliserait la Nature en
une entité métaphysique, comme le faisaient les phi-
lasophes du xviii® si^le; c'est le milieu naturel qui
forme le cerveau et les autres organes, je dis avec
intention les autres organes, parce que, de même que
les spiritualistes détachent l’homme de la série ani
male afin de le poser en être miraculeux, pour qui
Dieu vient sur terre se faire crucifier, de même les
idéalistes isolent le cerveau des autres organes, pour
soumettre sa fonction, c’est-à-dire la pensée, à des
causes qui relèvent de la sorcellerie.
Le milieu naturel qui a créé les organes et le cer
veau de l’homme, les a protés à un tel degré de per
fection, qu’ils sont capables des plus extraordinaires-
et des plus merveilleuses adaptations. Ainsi, pendant
des siècles, deschrétiens et des civilisés ont enlevé^
des nègres sur la côte d’Afrique, pour les^ vendre
comme esclaves aux colonies. Ces noirs étaient des-
barbares et des sauvages, séparés des civilisés par
des dizaines de siècles de culture, et cependant, au
bout de fort_ peu de temps, ils apprenaient les mé
tiers de la civilisation.
Les Jésuites ont fait au Paraguay une expérience
sociale, la plus remarquable que je connaisse,^ qui.
pour nous, socialistes, a une importance_ capitale,,
parce qu’elle montre avec quelle extraordinaire ra
pidité une nation se transforme, dès qu’on la trans
plante dans un nouveau milieu social. Les Jésuites,
ces incomparables éducateurs et ces savants exploit
teurs du travail, ont formé un peuple policé de plus^
de 150.000 individus avec des sauvages.
Les Guaranys, qu’ils ont séquestrés dans les pue-
blos du Paraguay, erraient nus dans les forêts,
n’ayant pour armes que l'arc et la massue de bois;
ne connaissant qu'une agriculture rudimentaire, il»
— 30 —
(1) Il est plus que probable que les petits enfants des civi
lisés, ainsi que les sauvages, se représentent toujours des
.'objets matériels quand ils énumèrent des chiffres.
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ressemblent par leur mode de production économique }
présentent une grande similitude, dans les mœurs des '
hommes qui y vivent, dans leurs organisations fami-^
Haies et politiques, dans leurs religions et leurs phi
losophies. Ainsi partout oii domine le mode capita
liste de production, aussi bien dans le glacial Ca
nada, que dans la chaude Italie, et que dans les
nouvelles^ contrées de T Australie, on retrouve le par
lementarisme avec le suffrage d’abord restreint, puis
universel, la famille monogamique, tempérée par
J’adultère et la prostitution, la philosophie déiste
et idéaliste. Cette similitude ne s’observe pas seule
ment chez les peuples qui, depuis des siècles, suivent
le même développement social, mais chez des nations
de races différentes, qui ont évolué en dehors de la
sphère du mouvement Européen, et qui ont brûlé les
étapes. Les Japonais, par exemple, du moment qu’ils
ont introduit dans leur pays l’industrie mécanique,
ont brusquement sauté de leur milieu féodal dans un
milieu capitaliste : ils ont dû modifier leur régime
politique, leurs lois, même leurs vêtements; ils se
coiffent de notre affreux chapeau gibus; et, avant
peu, vous pouvez être certains, ils auront leur pa
nama et leur rouvier.
Ainsi donc, l’homme devient son propre créateur
et le maître de ses destinées sociales par l’intermé
diaire du milieu artificiel qu’il se construit, mais
son action est inconsciente et à l’opposé de ses vues :
car, comme disait Hegel, l’homme arrive toujours
à un résultat qu’il n’a pas prévu et qui est contraire
à ses desseins. Ainsi les capitalistes, pour accroître
la fortune de leur classe, ont introduit et développé
la grande industrie mécanique, sans tenir compte
qu’en ruinant la petite industrie ils détruisaient la
classe moyenne, qui servait de tampon entre eux et
le prolétariat. En 1848, les gardes nationaux accou
raient en ncmbre ^des villes avoisinantes de Paris
pour massacrer les partageuæ journées de juiny
et pour défendre les Péreire et les Fould, qui de
vaient les égorger financièrement : mais, en 1871>
malgré les appels réitérés de Thiers, pas un seul
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Paul Lafargue.