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La structure de la personnalité
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COLLECTION DIRIGÉE PAR PAUL FRAISSE


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LE PSYCHOLOGUE

La structure
de la
personnalité
JOSEPH NUTTIN
Professeur émérite à l'Université de Louvain

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


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ISBN 2 13 039033 1
Dépôt légal — 1 édition : 1965
6e édition mise à jour : 1985, avril
© Presses Universitaires de France, 1965
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
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Préface
Dans le présent ouvrage, plusieurs voies d'approche
scientifiques de la structure de la personnalité sont étudiées.
Essayant d'élaborer une conception nouvelle de la personna-
lité (cf. chap. VIII), je me suis arrêté, en cours de route, à
quelques systèmes dont je voulais pour moi-même refaire,
avec l'auteur, l'itinéraire qu'il avait lui-même suivi. C'est
dire que pour les quelques auteurs en question j'essaie sur-
tout de reconstruire le point de vue de leur problématique,
de découvrir le point de départ de leurs recherches et de
retracer la méthode suivie.
Certains auteurs que j'étudie ici —tels Jung et Kretsch-
mer —figurent dans la plupart des manuels de psychologie
qui traitent de la structure de la personnalité. Toutefois,
ces manuels se contentent toujours du même rapide aperçu
qui ne donne précisément rien de ce qui nous intéresse ici,
à savoir la problématique, la méthode et la charpente logique
des systèmes. Quant à Kretschmer, les derniers développe-
ments de ses recherches restent souvent inconnus, du fait
que la traduction française de son livre principal date
de 1930. D'autre part, plusieurs systèmes de première impor-
tance —tels que ceux de Lewin et de Freud —ne sont pas
étudiés dans le présent volume. Ces lacunes s'expliquent
par le point de vue « égoïste » adopté ici ; en effet, les
conceptions de ces auteurs ont fait l'objet de certaines de
mes publications antérieures. De plus, leurs théories sont
étudiées souvent dans le cadre de la psychologie générale et
sont, dès lors, suffisamment connues. Quant aux systèmes
d'Allport et de Murray, ils traitent surtout del'aspect motiva-
tionnel dela personnalité et j'en parle dansmonrécentouvrage
sur la Théorie de la motivation humaine (Paris, PUF, 1985
Le présent volume n'est donc ni un traité qui passe en revue
la plupart des recherches sur la personnalité, ni un manuel
qui exposel'ensemble des systèmes. Il essaieplutôt d'y décou-
vrir, à l'aide de quelques exemples, la démarche de la pensée.
Quant à l'enchaînement logique des chapitres, il est bon
d'avoir en tête le schéma suivant.
Après avoir situé l'étude de la personnalité dans le cadre
de plusieurs branches de la psychologie et de l'anthropologie
culturelle (Chap. I), j'essaie d'éclaircir quelques notions
de base (personnalité, organisme, psychisme, trait de per-
sonnalité, caractère, tempérament, etc., Chap. II). Vient
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ensuite l'exposé de quelques systèmes qui cherchent à


découvrir les traits de personnalité et, surtout, les relations
qui existent entre ces traits, c'est-à-dire la structure intra-
psychique de la personnalité. C'est le cas de la méthodefacto-
rielle dont nous étudions d'abord quelques aspects fonda-
mentaux, pour exposer ensuite les conceptions de l'école
anglaise avec Spearman et Eysenck et celles de l'école amé-
ricaine avec Thurstone et, surtout, Cattell (Chap. III).
C'est le cas aussi de la méthode typologique dont on étudie
d'abord l'origine et le statut théorique (Chap. IV), pour
exposer plus en détail, au Chapitre V, le modèle d'Heymans
(appliqué en France par Le Senne) et celui de Jung qui
introduit un facteur nouveau : l'inconscient (Chap. VI).
D'autres chercheurs ne secontentent pas de la structure intra-
psychique ; ils essaient d'élargir le système typologique et
de découvrir une structure psycho-somatique, c'est-à-dire
les relations entre certains traits psychiques d'une part,
et quelques caractéristiques somatiques de l'autre. Ce sont
les systèmes de Kretschmer et de Sheldon dont les ressem-
blances et les différences sont examinées de façon critique
(Chap. VII).
Le lecteur aura compris que l'étude du développement
de la personnalité et de ses «déterminants »ne relève pas du
domaine de notre étude.
Enfin, la thèse essentielle et l'apport personnel de cet
ouvrage consistent àmontrer que le mode de fonctionnement
que l'on appelle personnalité n'implique pas seulement le
psychique et le somatique, mais aussi le Monde. On arrive
ainsi à une structure fonctionnelle bipolaire dont l'Individu
et le Monde constituent les deux pôles (structure Person-
nalité-Monde). C'est à une esquisse de ce modèle, que
j'appelle le modèle relationnel de la personnalité et de la
motivation, qu'est consacré le dernier chapitre du livre
(Chap. VIII). Ce chapitre peut servir en même temps
d'introduction à un ouvrage plus récent (Théorie de la
motivation humaine, 1985 où il est montré, entre autres,
que les notions de comportement, de motivation et de person-
nalité se compénètrent à tel point qu'elles doivent rentrer
dans le cadre d'un même modèle conceptuel.
J. N.
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CHAPITRE PREMIER

La notion de personnalité en psychologie :


Quelques voies d'approche
C'est par plusieurs voies fort différentes que la psycho-
logie contemporaine est arrivée à l'étude de la personnalité
comme branche importante de la science de la conduite
humaine.
1. PERSONNALITÉ ET SCIENCE DU COMPORTEMENT
La psychologie générale, on le sait, étudie les différentes
fonctions qui entrent dans le processus global du comporte-
ment (1), tout comme la physiologie examine les processus
(1) Il nousfaut expliciter, pour éviter tout malentendu, cequenous
entendonsparcomportement.Nousnefaisonspasdedistinction entreles
termescomportementetconduite;lesdeuxsignifient,pournous,laréponse
signifiantequ'un êtrepsychique(incasu:lh' omme)donneàunesituation
qui,elleaussi,aunsens.Ainsi,lecomportement,ausenslargedecemot,
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nsi,toute hiqéurieeur et ustneeàsisegcniofm
consi icatpioonrteroudaunnseleinm
tent
onioden-;
et onpeut ydistinguer trois phases ou aspects : la construction dela
situation, l'élaboration de motifs ou deprojets à partir des besoins, et
la réponse proprement dite. Voir à ce sujet le deuxième chapitre de
not
temreenotuvàravgiseagTehéhourim edaeinla»m . otivationhumaine,sousletitre «Uncompor-
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qui constituent le fonctionnement organique de l'individu.


Toutefois, le comportement humain se distingue des pro-
cessus physiologiques par le fait qu'il est plus ou moins
personnalisé, c'est-à-dire qu'il se présente comme la réponse
globale et signifiante d'un sujet à une situation qui a pour
lui un sens. C'est ainsi qu'on pourrait définir la psychologie
humaine commela science de la personne se comportant dans
le monde, aussi bien que comme l'étude de la conduite.
Toutefois, la psychologie générale et expérimentale étudie
surtout la conduite comme processus dans sa dépendance
générale —et non personnelle ou différentielle —d'un
ensemble de facteurs, alors que la psychologie de la per-
sonnalité s'intéresse plus spécialement à l'intégration indi-
vidualisée dela conduite et auxprocessus qui, commel'affec-
tivité et la motivation, contribuentle plus à cette intégration.
Le point de vue « personnaliste » en psychologie
générale —c'est-à-dire l'étude de la conduite individualisée
et personnalisée —est représenté par certains psychologues
du comportement qui, se méfiant du caractère abstrait des
lois générales, soulignent l'importance des différences indi-
viduelles (Cronbach, 1957; Eysenck, 1973) ou s'intéressent
surtout à l'unité significative d'une conduite globale. Ce
qui constitue cette unité est d'ordinaire le but ou le projet
d'action, c'est-à-dire la motivation personnalisée d'un indi-
vidu. C'est ce qui explique que l'étude de la personna-
lité, dans le domaine de la psychologie générale, s'inté-
resse surtout à la motivation et à l'influence de la moti-
vation sur chacune des fonctions, tels la perception,
l'apprentissage, et les processus cognitifs en général.
Les principes généraux qui se trouvent à la base de la
psychologie de la forme, tels que Lewin surtout les a éla-
borés, ainsi quela psychanalyseentantquepsychologiegéné-
rale de la conduite humaine, et plusieurs systèmes comme
ceux de W. Stern, de W. McDougall, de G. Allport et de
H. Murray, sont à l'origine de cette tendance personnaliste
dans l'étude de la conduite. Actuellement, cette orientation
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est représentée par un grand nombre de psychologues euro-


péens et américains d'orientation plutôt «clinique »et sociale,
c'est-à-dire s'intéressant àl'aspect personnalisé de la conduite
dans sonrapport avecleself-conceptouavecles relations inter-
individuelles. Des revues, telles que le Journal ofpersonality
and social psychology, publient régulièrement des articles
qui peuvent illustrer cette tendance. L'œuvre de H. Murray
en est aussi un exemple frappant.
2. PERSONNALITÉ ET PSYCHOLOGIE MÉDICALE
Plus ancienne que cette orientation personnaliste en
psychologie générale et plus ou moins à sa source, se trouve
une psychologie de la personnalité qui prend ses origines
dans la psychologie médicale et clinique dans le sens psycho-
thérapeutique. Déjà au XIXsiècle, le psychiatre et le psycho-
thérapeute abordaient la vie psychique de leurs patients,
et de l'homme en général, d'une façon qui tranchait net-
tement sur la méthode des psychologues expérimentalistes
tels que Fechner, Wundt ou Ebbinghaus. Au lieu d'isoler
un processus pour examiner l'action qu'il subit de tel ou
tel facteur, les médecins psychothérapeutes —tels P. Janet,
S. Freud, C. Jung ou Morton Prince —s'intéressaient à la
manière globale de se comporter de leur client. Ils essayaient
de comprendre sa personnalité totale, c'est-à-dire la manière
dont cet homme se concevait lui-même et percevait les
choses autour de lui, ce qu'il désirait et les conflits qui le
tourmentaient, sa vie privée et intime aussi bien que sa
conduite sociale. C'est à partir de ces données, prises dans
le contexte total de la conduite d'une personne, qu'ils
s'efforçaient d'élaborer une conception et une explication
du fonctionnement psychique ou comportemental. Il s'agit
ici d'une approche sui generis qui, avec la méthode expéri-
mentale, constitue la deuxième grande voie d'approche du
comportement humain : la méthode clinique.
Cette méthode et cette psychologie cliniques de la per-
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sonnalité ont été longtemps l'œuvre d'un groupe de pro-


fessionnels, qui n'avaient pratiquement aucun lien de colla-
boration avec la psychologie expérimentale. Grâce à cer-
taines circonstances —et plus spécialement au fait qu'au
cours de la deuxième guerre mondiale cliniciens et expéri-
mentalistes ont travaillé côte à côte dans les centres psycho-
logiques de l'armée —les deux courants se compénètrent
partiellement aujourd'hui. En effet, entre le groupe des
psychologues du comportement dont nous venons de
parler (Art. I) et un certain nombre de cliniciens préoccupés
del'objectivité et dela rigueur scientifiques deleurs concep-
tions, un rapprochement très fécond s'est produit (1).
3. PERSONNALITÉ ET PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE
Une troisième voie, non moins importante, a orienté la
psychologie vers l'étude de la personnalité. Nous voulons
parler de cette branche de la science du comportement que
Binet (2) a baptisé du nom de psychologie individuelle et
que, depuis Stem (3), on appelle couramment psychologie
différentielle. Cette orientation prend sa source, dès la
seconde moitié du XIX siècle, dans les conceptions darwi-
niennes sur l'évolution des êtres vivants. En effet, la théorie
de l'évolution attire l'attention sur la «loi »de la sélection
naturelle et, dès lors, sur les différences individuelles qui
caractérisent les membres d'une même espèce. L'étude de
ces différences individuelles chez l'homme fut abordée par
un parent de Darwin, le psychologue anglais Francis Galton
(1) Voir, entre autres, à ce sujet notre brochure Tendances nouveles
danslapsychologiecontemporaine,Louvain, 1951;etpourl'aspectmétho-
dologiquedeceproblème:notrearticleExperimentalandclinicalmethods
in psychology: the problemofprocess andcontent in behavioralfunc-
tioning, Revista di Psicologia, Firenze, 1956, vol. 50, 191-204.
(2) Voir Alfred BINETet Victor HENRI,Lapsychologie individuelle,
LA' nnéepsychologique, 1896(2), 411-465; ainsi que A. BINET,Psycho-
logieindividuelle,ladescriptiond'unobjet,ibid., 1897(3),296-332.
(3) Voir Wiliam STERN,Die differentiele psychologie in ihren metho-
dischen Grundlagen, Leipzig, 1911 ( 3 éd., 1921).
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(1822-1911), que l'on peut considérer comme le fondateur


de cette branche de la psychologie dans sa forme quanti-
tative actuelle (1). On connaît le rôle du statisticien belge
Quetelet (1796-1874) dans la création de cette orientation
quantitative en psychologie différentielle. Il fut le premier
à appliquer les lois de la distribution normale, ou de la
courbe de Gauss, aux différences individuelles en matière
d'anthropométrie, de sociologie, et de psychologie (intel-
ligence et «qualités morales »), et ses travaux ont influencé
Galton.
Onconstate qu'il s'agit ici d'une approchetoute différente
de celle de la psychologie clinique, mais qui, comme cette
dernière, prend avant tout l'homme concret et global pour
objet d'étude. Ce qui intéresse ici le chercheur est avant
tout ce que l'individu est apte à faire, ses capacités de per-
formance et d'adaptation comparées à celles des autres.
Onvoit immédiatement que cepoint de vuedela capacité
et du rendement de l'individu a acquis, dans notre civili-
sation, une importance pratique que ne pouvaient qu'entre-
voir les psychologues qui empruntaient cette problématique
à la théorie de Darwin. Du fait de la complexité et de la
différenciation de plus en plus grandes des tâches quenotre
civilisation réserve à l'homme, une connaissance exacte
de chaque personnalité, de ses capacités et de ses traits
de caractère devient une nécessité pour l'individu lui-
même aussi bien que pour la société. C'est au cours de la
première guerre mondiale quecette approche del'étude dela
personnalité aconnusonpremier essor,surtout enAmérique.
Il importe de voir le lien qui unit cette dernière problé-
matique à l'étude de la conduite et de la personnalité en
général. Certains prétendent, en effet, que le point de vue
de la psychologie individuelle ou différentielle est étranger
à celui de la psychologie de la personnalité proprement
(1) Voir surtout F. GALTON, Inquiries into human faculty and its deve-
lopment, Londres, 1883 ; ainsi que du même auteur : Hereditary genius,
Londres, 1869.
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dite. Nous ne sommes pas de cet avis. Il faut tout d'abord


se rendre compte du fait que le comportement humain,
pris dans sa réalité concrète, est moins un pur processus
d'adaptation ou de «réaction »qu'une performance, c'est-
à-dire l'accomplissement d'une tâche sous forme de travail,
de jeu, ou de n'importe quel autre type d'activité. Ceci
est dû au fait que l'homme agit en fonction d'un but ou
d'un projet qu'il se propose de réaliser et d'un niveaud'aspi-
ration qu'il désire atteindre. Étudier les capacités de per-
formance et les niveaux de rendement des individus n'est
doncautre chosequeconsidérer la conduite humainesous un
aspect particulier —un aspect très concret et réel —qu'elle
revêt dans la vie courante. Considérés sous cet angle, les
processus cognitifs, perceptifs et moteurs étudiés en psycho-
logie générale deviennent des aptitudes et capacités intel-
lectuelles, des degrés d'acuité perceptive, des aptitudes
motrices, etc. Les processus affectifs et dynamiques devien-
nent des traits de caractères et de tempérament. C'est dire
que chaque aspect du fonctionnement comportemental est
considéré ici sous l'angle de la performance globale, plutôt
que du point de vue «processus ».
Beaucoup plus que la psychologie générale, la psycho-
logie de la personnalité s'intéresse aussi au contenu des
activités psychiques, c'est-à-dire l'objet des activités cogni-
tives, des affections et des tendances d'un individu. Ce
contenu est étudié, entre autres, dans les attitudes, les
opinions, les conceptions de soi et des autres qui caractérisent
une personnalité à côté de ses aspects plus «formels »que
l'on appelle des traits (cf. infra, chap. VIII).
Alors que dans les recherches sur les processus de la
conduite notre intérêt se porte surtout vers les lois géné-
rales, l'étude des capacités, des attitudes, des aptitudes ou
des traits nous frappe par les différences interindividuelles
qu'elle met en évidence. Étudier et connaître une personne
individuelle consistera ici à la situer par rapport à tous les
autres individus du groupe. Eneffet, connaître unepersonne
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dans ses aptitudes, ses traits de caractère et ses attitudes,


c'est essentiellement la situer par rapport aux autres.
Caractériser quelqu'un en disant qu'il est très intelligent,
mais peu sensible et qu'il a des idées fort antidémocratiques
à l'égard des Noirs, n'a de sens concret que par rapport
à l'intelligence, la sensibilité et les attitudes des autres
personnes dans le groupe. On voit ainsi que l'étude des
différences psychiques nous permet de connaître la person-
nalité concrète en ce qui la caractérise individuellement :
l'étude des différences interindividuelles est, elle aussi,
une forme d'étude de la personnalité même. Il est vrai que
l'aspect psychodiagnostique de l'étude de la personnalité ne
nous intéresse pas dans le présent ouvrage ; toutefois, il
convient de se rendre compte que les mêmes méthodes
psychométriques, qui servent à détecter et préciser les
différences interindividuelles, sont employées également
dans des buts purement théoriques pour étudier, grâce aux
corrélations entre les différents traits, la structure interne
de la personnalité (analyse factorielle, voir infra, chap. III).
Les méthodes qui cherchent à grouper les différences indi-
viduelles sous le chef de quelques «types »servent aussi
essentiellement à détecter les traits qui tendent às'organiser
engroupes, c'est-à-dire à sestructurer à l'intérieur de la per-
sonnalité (voir infra : les méthodes typologiques, chap. IV).
C'est ainsi que l'étude des différences interindividuelles
contribue à notre connaissance des structures intrapsy-
chiques plus ou moins stables.
4. PERSONNALITÉ ET ANTHROPOLOGIE CULTURELLE
Unedernière voie qui conduit àl'étude delapersonnalité,
et dont il nous faut dire quelques mots, est celle del'anthro-
pologieculturelleousociale,apparentéeàcelle,plusancienne,
de l'ethnologie. Ce courant d'études nous intéresse pour
autant qu'il s'occupe de la civilisation ou culture humaine
dans ses rapports avec la « personnalité de base ». Le
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thème « personnalité et culture » est le problème central


de cette approche.
L'anthropologie culturelle remonte aux études anglaises
et françaises du début de cesiècle qui s'intéressaient —pour
des raisons pratiques d'une part, pour des motifs d'ordre
théorique de l'autre —aux formes spéciales de penser, de
sentir et de réagir en général de la personnalité dans le
cadre de différentes cultures, in casu les civilisations primi-
tives. C'est à partir des années 1920 et 1930 que ces études
vont se caractériser par une problématique et une méthode
plus spécifiquement psychologiques.
Unepremière série deproblèmes—quel'on peutillustrer
par les premiers travaux bien connus de Margaret Mead
—concernent les différences profondes entre personnalités
decivilisations différentes. Lesmotivations quenous croyons
fondamentalement humaines —telle par exemple la compé-
tition et l'agressivité —existent-elles bien chez les hommes
de toutes les cultures ? La période de crise psychologique,
qui caractérise l'adolescence dans notre civilisation occiden-
tale, est-elle biensi universelleet liéeauprocessusbiologique
de la puberté ? Si l'on trouve qu'elle n'existe pas dans
certaines cultures, on pourrait conclure qu'elle est liéeplutôt
à des facteurs d'ordre culturel. Detelles études ont d'abord
mené à une conception qui tend à nier la ressemblance
fondamentale entre les hommes (ce que l'on appelle quel-
quefois la «nature humaine »). Ce que l'on avait considéré
toujours comme appartenant àla «nature »mêmede la per-
sonnalité se présentait plutôt commele produit d'influences
culturelles. On a abandonné, en partie, ces conclusions
extrêmes, dues surtout aux moyens insuffisants d'investiga-
tion qui nefaisaient pas voir la ressemblance essentielle sous
des formes de conduite quelquefois très différentes (1). Ce

m(1)
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deosirmot
lespifasg»esd1a3n0s-1L
33amot
denot
ivatreion,chapitrePresses
Paris, : «OrigiUni
neetversi
dévtaeilroesppdee-
France, 1959.
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revirement ne s'applique pas uniquement au domaine des


motivations et des besoins fondamentaux; on sait que Lévi-
Strauss adémontréla mêmechose pour la «pensée sauvage»
qui, elle, serait «logique dans le mêmesens et de la même
façon que la nôtre, c'est-à-dire pas toujours »(1).
Un autre point de vue en anthropologie culturelle a
mis en évidence l'interaction entre la personnalité et la
culture en sens opposé : au lieu d'étudier l'influence de la
culture sur la personnalité, on montre que les traits de
personnalité d'un peuple déterminent les particularités de
sa culture. Ainsi, par exemple, on a montré que des carac-
téristiques typiques de certaines cultures s'expliquent faci-
lement à partir de certaines formes ou traits de personnalité
qui dominent dans un groupe déterminé. L'ouvrage de
Ruth Benedict (Patterns of culture, 1934) peut servir ici
d'illustration.
Plus récemment, les deux points de vue que nous venons
de mentionner se sont fusionnés en une conception plus
complètedela personnalité dans ses rapports avecla culture.
Lorsque, vers 1937, Linton et Kardiner (2) commençaient à
étudier la culture et la personnalité, non plus dans l'une ou
l'autre forme spéciale de leurs manifestations, mais comme
des structures d'ensemble, ils mettaient l'accent sur la
continuité de la personnalité à travers son développement
et, dès lors, sur la relation entre les expériences de la prime
enfance et les traits de caractère de la personne adulte. Ils
s'inspiraient, sur cepoint, des conceptions psychanalytiques
de la personnalité. S'il en est ainsi, se disaient ces auteurs,
on peut admettre que l'ensemble des conduites des adultes
à l'égard du nouveau-né —conduites qui se ressemblent à
l'intérieur d'unemêmeculture et diffèrent souventbeaucoup
d'une culture à l'autre —feront naître, dans les enfants
(1) Cf. Cl. LÉVI-STRAUSS,Lapenséesauvage,Paris, Plon, 1962; voir
p.(2)
355V. oirAbramKARDN I ER,RalphLN
I TONet autres, Thepsychological
frontiersofsociety,NewYork,1945.
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d'une même culture, des expériences, des satisfactions et


des frustrations similaires, qui seront à la base de traits de
personnalité également plus ou moins semblables. Cette
configuration de la personnalité qui sera plus ou moins
commune aux membres d'une même société, en vertu des
expériences infantiles similaires, est appelée par ces auteurs
la personnalité de base. Elle est cette composante fonda-
mentale, ce canevas plus ou moins identique, qui sous-tend
les formes concrètes plus individualisées de la personnalité.
Ces dernières se développent en fonction d'expériences et
de facteurs individuellement différents alors que la person-
nalité de base dépend des coutumes « primaires » d'une
culture (surtout les pratiques de socialisation des jeunes ou
méthodes d'éducation et de nursing). Aussi, la personnalité
de base ne se rapporte-t-elle pas à tous les aspects de la
personnalité concrète ; elle sous-tend surtout l'ensemble des
attitudes affectives et les systèmes de valeurs qui sont com-
muns aux membres d'une même culture et qui sont essen-
tiels dans la configuration d'une personnalité. C'est cet
ensemble d'attitudes et de valeurs que Linton et Kardiner
appellent les systèmes projectifs (1) d'une culture, parce
qu'ils constituent les cadres de pensée et d'appréciation
que l'on «projette »dans la réalité et dans les événements
concrets pour les interpréter et les expliquer. C'est ainsi
que certains peuples conçoivent et interprètent la maladie,
par exemple, comme punition d'actes défendus. (Voir par
exemple, J. W. M. Whiting and I. L. Child, Child training
and personality : a cross-cultural study, New Haven, Yale
University Press, 1953.)
On constate que la personnalité de base se rapporte au
contenude la personnalité (ses attitudes et ses valeurs), alors
que les psychologues d'orientation plus biologique consi-
(1)comprennent
qui Ces«systèm esprojectifs
ple,»lessecdi
ousdttuinem
guentdrapport
es«systèam
veceslaratteiochni
nnels»
decultiver les ch,apar
mpesx,dem
efabriquer sienssternuments, etc. que
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dèrent comme «base de la personnalité » (sinon comme


«personnalité de base »)les structures dela constitutionet du
tempérament qui sous-tendent lestraits plusformelsducarac-
tère (l'émotivité ou l'affectivité, par exemple, et nonla caté-
goried'objets quiproduisentl'émotion,etc.)(1). C'est dansce
sens que l'anthropologie culturelle apporte une contribution
essentielle à l'étude de la personnalité. En effet, on a oublié
trop souvent que ce qui constitue une personnalité n'est pas
uniquement l'ensemble des traits formels, mais aussi, et
peut-être surtout, le contenu ou les objets des fonctions
psychiques : les attitudes, les opinions, les expériences
vécues, les systèmes de valeurs, etc. Le contenu de ces
expériences est, de fait, modelé dans le cadre culturel qui
affecte profondément la configuration de la personnalité
comme perception et conception du monde.
Ajoutons que d'autres représentants de l'anthropologie
culturelle, et plus spécialement Margaret Mead (2), évitent
ce terme quelque peu ambigu de personnalité de base. Ils le
remplacent par le terme caractère culturel. Cette notion se
rapporte aussi à certaines régularités, ouconstantes, dans les
attitudes (et dans le comportement appris en général) des
membresd'unemêmecommunauté,régularités et constantes
qui s'expliquent en fonction de certains éléments de base
dans cette culture et de certaines influences subies par tous
les membres du groupe.
Plusieurs grands domaines de la psychologie dela person-
nalité resteront complètement en dehors du champ de nos
investigations dans cet ouvrage. Nouspensons plus spéciale-
ment à l'étude des multiples facteurs qui déterminent la
formation ou la construction de la personnalité dans son
(1) Nousneparlonspasicidecetteorientationbiologiquedansl'étude
ddeeKlaREpersonnal
ité; le lecteur entrouveuneillustration dansle système
TSCHMER que nous exposons plus loin (cf. chap. VII).
(2) Voir M. MEAD, The cross-cultural approach to the study of persona-
lity, in Psychology of personality, New York, 1956.
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individualité concrète et dans son développement dans le


temps. Onconnaît les innombrables recherches qui mettent
en évidence l'influence des facteurs héréditaires, physio-
logiques et biochimiques. Non moins importantes sont les
influences du milieu à tous ses niveaux et à tous les stades
de la vie (du milieu physique et climatologique jusqu'au
milieu familial et culturel ; du milieu prénatal jusqu'aux
conditions de la vie professionnelle et, surtout, du rôle
social joué dans la société), ainsi que l'influence des expé-
riences et des décisions personnelles. Laissant de côté tous
ces «déterminants »dela personnalité, nous nous limiterons
—comme le titre de l'ouvrage l'indique —à quelques
problèmes et àquelques approches concernant plus spéciale-
ment la structure de la personnalité : structure intrapsy-
chique, structure somatopsychique et structure moi-monde.
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CHAPITRE II

Quelques notions de base


1. LA PERSONNALITÉ
Étant donné la confusion qui règne dans le domaine
d'étude de la personnalité, il est souhaitable de nous arrêter
un instant aux termes essentiels employés dans ce secteur
afin de mettre au point, si possible, quelques notions
fondamentales.
Le terme individu désigne tout exemplaire concret d'une
espèce quelconque d'être vivant. Nous ne l'appliquons pas
à un morceau de matière inerte, ce qui montre que le fait
d'être «individu »implique déjà un certain degré d'unité
et d'organisation internes. Tout être vivant, et plus spéciale-
ment l'animal, constitue un tout plus ou moins unifié ensoi
(in-divisum ou non-divisé) et est de ce fait intrinsèquement
distinct du reste. Quant au terme abstrait individualité, il
désigne l'ensemble des caractéristiques ou différences
interindividuelles plus ou moins stables, qui constituent
l'être concret dans son identité avec lui-même et sa distinc-
tion des autres. (Voir plus loin la distinction parallèle entre
personne et personnalité.)
On distingue deux aspects dans le fonctionnement de
l'individu animal et humain. On parle d'organisme, au sens
strict, pour indiquer l'ensemble intégré des fonctions bio-
logiques ou physiologiques, y compris la structure anato-
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mique qui sous-tend ces fonctions (l'aspect « physique »


de l'individu), alors que le terme psychisme désigne l'en-
semble des fonctions comportementales (1). Toutefois,
le terme organisme peut s'employer aussi, au sens large,
pour désigner l'ensemble intégré des processus psycholo-
giques et physiologiques de l'être vivant.
Organisme et psychisme sont deux termes qui ne se rap-
portent guère aux traits individuels du fonctionnement de
l'être vivant, tandis que constitution et personnalité désignent
précisément cette structure individualisée de l'organisme
d'une part, et du psychisme del'autre. Toutefois, il convient
d'ajouter que le terme constitution est employé quelquefois
aussi pour désigner le génotype, c'est-à-dire l'ensemble du
potentiel héréditaire, plutôt que l'aspect physique du
phénotype humain ou animal.
Quant au terme personnalité, il doit retenir plus spéciale-
ment notre attention. On sait que dans la vie sociale, une
personnalité est, soit une personne exerçant des fonctions
sociales importantes, soit, dans un sens plus «psycholo-
gique », une personne qui se caractérise par une conception
des choses et par une volonté bien arrêtées, possédant en
mêmetempsles qualitésnécessaires pourimposerenquelque
sorte aux autres ses propres manières de voir et d'agir.
Onparle dans ce sens d'une forte personnalité. En psycho-
logie scientifique, tout jugement de valeur sociale ou psy-
chologique sera écarté de la notion de personnalité; il
convient en outre de distinguer nettement entre personne
et personnalité. Le terme personne désignel'individu humain
concret. Personnalité, au contraire, est une construction
scientifique, élaborée par le psychologue en vue de se
faire une idée —au niveau de la théorie scientifique —
de la manière d'être et de fonctionner qui caractérise
l'organisme psychophysiologique que l'on appelle personne
(1) Quantau sens quenous donnons auterme comportement,voir la
noteci-dessus,p. 7.
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humaine. Cette reconstruction théorique se fait à partir


des comportements observés, des dispositions ou traits
inférés et des relations constatées, de manière à abou-
tir à un ensemble fonctionnel qui rende compte des
différents phénomènes caractérisant la personne humaine.
Enétudiant la structure de la personnalité, c'est précisément
l'ensemble des relations qui organise et unit entre elles les
différentes conduites et dispositions de l'individu humain
que l'on examine. Certaines modalités d'une telle structure
peuvent être normales ouanormales, intégrées oudissociées.
C'est ainsi que l'on pourra dire d'une personne qu'elle a
ou qu'elle « possède » une personnalité de telle ou telle
modalité. Cette personnalité désigne donc la manière d'être
et de fonctionner d'un psychisme humain telle qu'elle a
été reconstruite àl'aide del'investigation psychologique.
Il y a lieu de distinguer dans l'étude de la personne
humainedeuxaspects :l'aspect différentielet l'aspectgénéral.
La notion de personnalité appartient, en effet, à la psycho-
logie générale du comportement humain et à la psychologie
différentielle (voir supra, p. 11) (1). La distinction faite ici
entre l'aspect différentiel et l'aspect général de l'étude de
la personnalité ne coïncide que partiellement avec celle
quel'on fait souvententre l'étudenomothétiqueet l'approche
idiographique. L'étude nomothétique (nomos= loi) est celle
qui cherche à découvrir des lois générales ; elle s'intéresse
donc à ce qu'il y a de commun à toute personnalité.
L'étude idiographique s'intéresse à ce qu'il y a d'unique
et de propre (idios = personnel, propre) à chaque person-
nalité; elle cherche donc à comprendre le cas individuel.
Mais il est évident que l'étude différentielle de la person-
nalité cherche aussi à découvrir certaines lois générales
(par exemple celles de la répartition normale des diffé-
rences interindividuelles, etc.).
(1) Voiràcesujetaussinotre articlePersonality, dansAnnualReview
ofPsychology, 1955(6), 161-186(cf. p. 161.)
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Nous ne serions pas d'accord avec les psychologues qui


prétendent qu'il n'y aurait plus lieu deparlerdepersonnalité
si les différences individuelles entre les individus humains
cessaient d'exister. Allport cite les paroles de Schoen qui
écrit : «Si tous les membres d'un groupe social quelconque
avaient les mêmes conduites, les mêmes pensées, les mêmes
sentiments,iln'existeraitpasdepersonnalité»(1).Avantd'être
unenotion de la psychologie individuelleou différentielle, le
conceptpersonnalitéappartient àl'étude généraleducompor-
tement humain, commemanière typique et unique de fonc-
tionnement psychique. Cette forme de vie psychique qui
constitue la personnalité se caractérise, entre autres, par un
développement extraordinaire des fonctions cognitives, qui
permet àl'individu non seulement de percevoir le monde et
d'y agir, maisaussi desepercevoirou de se connaître comme
agissant en face des autres et du monde. Cette perception et
connaissance, ouconscience,desoi est uneforme depossession
de soi, qui constitue un élément essentiel d'un psychisme
personnalisé (2).
Quantauxdifférences profondes qui distinguent entre eux
les individus humains, nous dirions plutôt que cette diffé-
rentiation est la conséquence de la forme spéciale de vie
psychique qui caractérise la personnalité. Les différences
qui distinguent entre eux les individus animaux, quoique
fort intéressantes, n'atteignent pas ce degré d'individuali-
sation profonde qui caractérise la vie « personnelle » de
l'homme. Les différences d'opinion et de conception, les
oppositions entre systèmes de valeur, entre plans et projets,
les barrières infranchissables qui constituent l'intimité
et la solitude profonde de la personne humaine, sont les
conséquences de cette forme spéciale de fonctionnement
psychique et, surtout, de ce développement des fonctions
(1) M.SCHOEN,Humannature,NewYork,Harper, 1930,p.397.
(2) Voir à ce sujet entre autres, D. LAGACHE, G. de MONTMOLLIN,
P. PICHO
Presses T,M.YELA,Ldeesm
Universitaires odèlesd1e96la5personnal
France, (cf. p. 14ité3-1en45p)s.ychologie,Paris, j
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cognitives, qui caractérise la personnalité humaine en


général. En face de ces différences profondes qui font de
chaque individu humain une personne unique et une source
inépuisable d'intimité personnelle, chaque individu animal
nous apparaît commeétant simplement un autre exemplaire
d'une même espèce.
En conclusion, nous proposons de maintenir les deux
aspects dans la signification du termepersonnalitéenpsycho-
logie : l'aspect humain général et l'aspect différentiel.
L'importance toute spéciale qu'acquiert, chez l'homme,
l'aspect différentiel de la personnalité est basée sur cette
forme spécifique dela vie psychique qui constitue la person-
nalité au sens humain général. Cette forme spécifique de vie
psychique est caractérisée surtout par des fonctions cogni-
tives plus évoluées, ce qui donne à cette vie une intériorité,
une conscience et un «contenu »qui embrasse le monde des
objets et des autres sujets (1).
Quantauxtermesmoietsoiousoi-même(le self enanglais),
ils ontreçuplusieurs significations dans le cadre dedifférents
systèmes psychologiques (par exemple en psychanalyse et
dans la psychologie analytique de Jung). Si nous faisons
abstraction de ces significations particulières, on peut dire
qu'en psychologie générale le terme moisignifie, d'une part,
la personne concrète en tant que sujet ou agent de l'acti-
vité psychique (le Je), et d'autre part le sujet en tant que
connu par lui-même, c'est-à-dire tout ce qui de nous-
mêmes apparaît au niveau de la conscience. Toutefois, le
terme moi se dit quelquefois aussi de la personne tout
entière et, spécialement, du sujet dans sa forme corpo-
relle globale. On sait aussi que, grâce à certains processus
d'identification, ce moi global (tout ce qui est mien)
s'étend à d'autres personnes et à certaines choses spécia-
lement liées au moi proprement dit. C'est dans ce sen-

ou(1)
vragCee. point de vue sera développé dans le dernier chapitre de cet
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que l'on peut dire que les limites psychiques du moi


sont variables et se situent au-delà des limites corpo-
relles : le moi se prolonge dans l'instrument qu'on a en
main, etc.
La notion de self ou de soi, en psychologie générale, ne
se distingue guère de celle de moi dans le sens réfléchi,
c'est-à-dire le moi comme objet de connaissance ou de
conscience. La notion est beaucoup employée actuellement
en rapport avec le self concept ou le selfpercept, c'est-à-dire
la conception ou la perception de soi. On désigne par là
l'image que le sujet se forme de ses propres opinions,
sentiments, capacités et activités en général. Ce concept de
soi est très lié à l'image que, selon notre perception, les
autres ont de nous-mêmes (1).
2. PERSONNALITÉ, CARACTÈRE ET TEMPÉRAMENT
C'est de l'aspect différentiel de la personnalité que nous
parlerons surtout dans cet ouvrage. Le dernier chapitre
examinera les traits essentiels du fonctionnement général,
qui fait du psychisme humain unepersonnalité. Al'intérieur
de l'ensemble de traits différentiels qui constitue toute
personnalité, on distingue plusieurs groupes. Ils corres-
pondent plus ou moins aux grandes catégories de fonctions
quela psychologie générale distingue dans l'activité compor-
tementale : les processus cognitifs (y compris la perception,
l'imagination et la mémoire), les processus de réaction
motrice, et les fonctions affectives et dynamiques. C'est
la forme individuelle que prend, chez l'homme, cette
dernière composante affectivo-dynamique du comporte-
ment, que l'on appelle couramment le caractère. L'autre
secteur comprend tout ce qui concerne les aptitudes (senso-
(1) Quantauxnotions demoiet desoiouself, voir l'excellent article
de G. ALLPORT,Theegoin contemporary psychology, Psychol. Review,
Ya4le3Uni
1 9 (50),versi
451ty-78Press,
; ainsi19que,
55, p.du3m
6-4êm
1.eauteur, Becoming,NewHaven,
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rielles, intellectuelles et motrices). Ce terme aptitude


trahit une tendance à considérer la personnalité sous son
aspect «performance », aspect qui paraît en effet tellement
important, parce que —dans notre société au moins —le
comportement humain est considéré surtout sous son aspect
«rendement »(dans le travail et dans le jeu, aussi bien que
dans les études). Il convient d'y ajouter un troisième groupe
de traits de la personnalité, à savoir les traits physiques, qui
constituent surtout l'aspect expressifde l'individu et de son
comportement (1).
Quant aux fonctions physiologiques, elles entrent dans la
personnalité pour autant qu'elles constituent un aspect
essentiel de toute activité psychique, qui, dans sa réalité
humaine complète, est toujours psychophysiologique. En
effet, ce que nous appelons «psychique »dans cette activité
humaine n'est autre chose que le faisceau de propriétés que
nous extrayons du processus comportemental complexe
en l'abordant par les méthodes d'une science déterminée
(la psychologie) ; ce que nous appelons «physiologique »
est un autre faisceau de propriétés que nous extrayons de ce
même processus complexe en y appliquant d'autres instru-
ments et méthodes d'investigation, qui constituent une
autre approche scientifique, à savoir la physiologie et ses
multiples ramifications.
On distingue donc deux voies par lesquelles les fonctions
et structures corporelles entrent dans la construction du
comportement et dela personnalité : d'abord commesuppôt
organique global qui donne àla conduite sa forme expressive
et sagestalt concrète, puis commecomposantephysiologique,
neurologique ou biochimique qui fait partie intégrante de
tout fonctionnement humain.
C'est le premier groupe de traits —le caractère —qui
retiendra surtout notre attention dans ce volume. La struc-
(1) Voir à ce sujet F. J. J. BUYTENDIJK, Attitudes et mouvements.
Traduit par L. VAN HAECHT. Paris, Desclée de Brouwer, 1957.
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ture des aptitudes constitue, en effet, un domaine à part;


on ne l'inclut pas dans ce que l'on appelle communémentla
personnalité. Il nous faut d'abord essayer de comprendre le
pourquoi de cette situation.
Originellement, le terme caractère désignait l'ensemble
des traits psychiques individuels. L'étymologie du mot
indique, en effet, cette empreinte individuelle ou ce signe
caractéristique qui distingue un objet ou une personne
d'une autre (du grec kharassein = graver ; kharaktèr =
empreinte, ou signe gravé dans un objet, qui le fait recon-
naître ; le terme tupos = type signifie aussi empreinte ou
marque, de tuptein = frapper). C'est ainsi que Dumas parle
ducaractère commedel'individualité psychologique.Wallon
parle aussi du caractère comme de la manière habituelle et
constante de réagir propre à chaque individu, sans spécifi-
cation ultérieure (cf. Piéron, Vocabulaire).
Graduellement, le terme fut employé de plus en plus
pour désigner le groupe detraits qui se rapporte àla compo-
sante affectivo-dynamique de la personnalité, comme nous
l'avons mentionné ci-dessus. C'est dans ce sens que le mot
est couramment employéactuellement en Europe. Toutefois
depuis quelques années, le terme a tendance à disparaître
de la psychologie scientifique, sous l'influence de la psycho-
logie américaine. En effet, en Amérique, le terme caractère
a été éliminé pour ainsi dire du vocabulaire psychologique.
La raison se trouve dans le fait que caractèreimplique sou-
vent uneévaluationmoraleou sociale du comportement. On
dit dequelqu'un qu'il manquede caractère, qu'il fait preuve
de peu de caractère, etc. Toutefois, lamêmeraison pourrait
plaider pour l'exclusion du terme personnalité. Dans la vie
sociale, nous l'avons vu, ce terme est également entaché de
connotations normatives et évaluatives. Ondit dequelqu'un
qu'il est une forte personnalité ou qu'il manque de person-
nalité, etc. En science, on se trouve régulièrement devant
la nécessité de réserver un sens technique à des termes qui,
dansle langage commun,ont des acceptations plus oumoins
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différentes. Le problème est de savoir si, en psychologie,


onabesoin duterme caractère, oubien si onpeut s'en passer
ou le remplacer avantageusement par d'autres vocables.
Lepsychologue américain n'éprouve plus guère de besoin
de parler de caractère, parce que le terme personnalité est
employépar lui pour désigner l'aspect affectifet dynamique
du comportement individuel. Il est frappant de voir com-
ment des traits, tels que l'intelligence et les aptitudes en
général — qui, pourtant, constituent aussi des aspects
essentiels dela personnalité —sont relégués au second plan
pour ne pas dire pratiquement exclus du domaine de ce
qu'on appelle personnalité. Il s'agit ici d'une tendance de
longue date. Morton Prince définissait déjà la personnalité
comme«l'ensemble de toutes les dispositions, impulsions,
tendances, appétits et instincts biologiques et innés de
l'individu, ainsi que les dispositions et tendances acquises
par l'expérience »(1). Il est évident que l'accent, dans cette
définition, est sur l'aspect dynamique.
Quant à nous, nous croyons qu'aucune raison sérieuse ne
plaide pour la restriction dutermepersonnalitéauseul aspect
affectivo-dynamique de l'individualité humaine. Il y a
lieu demettre aumêmeplan, dansla définition dela person-
nalité, les aptitudes d'une part, et les aspects dynamiques et
affectifs d'autre part. Il convient d'y ajouter, comme nous
l'avons dit, les traits et aspects physiques. Le terme person-
nalitéenglobeainsil'ensemble del'organisationpsychiquede
l'individu humain. Acôté de ce terme «englobant », nous
avons besoin d'un terme qui désigne l'aspect affectif et
dynamique de la personnalité, afin de distinguer cedomaine
de l'aspect aptitude et intelligence. Il est tout indiqué d'em-
ployer le terme caractère dans cesens. Danscecas, il faudra
éviter d'introduire le point de vue normatif en parlant du
caractère en psychologie, comme on évite de le faire en par-
(1) Morton PRINCE,Theunconscious, 1919. Voir 2 éd., NewYork,
Macmillan, 1924, p. 532.
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lant de personnalité. Tout individu humain a un caractère,


comme il a une personnalité, malgré le fait que le lan-
gage courant réserve ces attributs à des sujets de choix
ayant atteint un degré supérieur d'intégration ou de
stabilité.
Malgré ces excellentes raisons qui plaident en faveur
de l'emploi du terme caractère, nous avons cédé, dans ce
volume, aux exigences de l'usage courant qui préfère le
terme personnalité. Nous y voyons un seul avantage. Les
termes caractère et caractérologie sont quelque peu compro-
mis, enpsychologie,par uneabondantelittératurespéculative
et populaire, alors queletermepersonnalité,danscecontexte,
désigne uneorientation d'étude plutôt scientifique, denature
expérimentale ou clinique.
Quant à la notion de caractère dans ses rapports avec le
tempérament, ici également on est loin d'une terminologie
uniforme. Il nous paraît souhaitable de réserver le terme
tempérament à la composante physiologique et, en grande
partie stable et héréditaire, des traits affectivo-dyna-
miques (1). Le terme caractère désigne plutôt ces mêmes
traits tels qu'ils apparaissent dans le phénotype, c'est-à-dire
dans l'individu tel qu'il se construit, progressivement, sous
l'influence combinée des facteurs héréditaires et de l'action
de l'expérience personnelle et du milieu. Le caractère
désigne doncles traits affectivo-dynamiques sous leur forme
concrète et éventuellement changeante alors que le tempé-
rament est le squelette, ou le canevas plus ou moins fixe,
qui sous-tend le développement des formes concrètes.
Toutefois, il est d'usage d'employer aussi le terme tempé-
rament pour désigner un ensemble de traits phénotypiques
que l'on considère comme dépendant essentiellement de la
constitution physiologique et de l'hérédité, tels le degré
(1) Onpensesurtout auxprocessus métaboliques et endocriniens qui
influencent la vie affective et dynamique; mais les relations précises
entre ce fonctionnement physiologique et les réactions ou expériences
affectives sont peu connuesencore.
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d'émotivité, l'humeur et son degré de stabilité ou d'insta-


bilité, l'activité et sonrythmeindividuel (le tempo),etc.
En résumé, notre conception de la notion de person-
nalité peut se formuler de la façon suivante.
La notion psychologique de personnalité ne désigne pas
l'individu humain concret ; elle se réfère plutôt à une
construction théorique que le psychologue établit à partir
des phénomènes qui constituentl'objet propre desa science,
à savoir les comportements (au sens large, cf. p. 7, note).
La notion de personnalité est basée sur une inférence à
partir de constatations. La constatation est que les compor-
tements d'une personne ne constituent pas une série d'élé-
ments ou de phénomènes juxtaposés et variables au hasard,
mais que leur variabilité se situe à l'intérieur d'un schème
assez stable et consistant, qui donne à ce comportement une
certaine unité et continuité de signification. C'est àpartir de
ces données que le psychologue infère d'abord la notion de
trait et qu'il construit ensuite uneorganisationplus oumoins
stableet relativementidentiqueàelle-mêmedanslefonction-
nementpsychique de l'individu. C'est la personnalité. Cette
unité et identité dans le fonctionnement psychique est
d'ailleurs fortement suggéré et soutenu par l'unité et l'iden-
tité de la personne «physique »telle qu'elle nous apparaît
comme sujet du comportement concret.
Il existe donc, enpsychologie, un problème de la person-
nalité à côté de celui des processus ou réactions comporte-
mentales comme telles. Ces deux problèmes sont intime-
ment liés ; en effet, le problème de la personnalité n'est
rien d'autre que celui del'unité structurée et dela continuité
des processus de comportement pour autant que ces carac-
téristiques nécessitent une explication en termes d'une unité
fonctionnelle sous-jacente, qui est précisément la théorie
de la personnalité.
Ce«système »ouensemble coordonné defonctionnement
qu'est lapersonnalité, comporte,àcôtédesprocessuspsychi-
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Dans le présent ouvrage, l'auteur étudie plusieurs voies


d'approche scientifiques de la personnalité. Il situe cette
étude dans le cadre de la psychologie différentielle, médicale
et générale, ainsi que dans le contexte de l'anthropologie
culturelle. Après une analyse des notions de base en rapport
avec la personnalité (tempérament, caractère, traits de per-
sonnalité, attitude, etc.), il procède à une étude approfondie
de plusieurs systèmes.
Parmi les approches factorielles de la structure de la
personnalité, l'école anglaise avec Spearman et Eysenck,
ainsi que l'école américaine avec Thurstone et, surtout,
Cattell sont étudiées. L'approche typologique moderne est
représentée par le système de Heymans comme exemple de
typologie à base d'observations, la typologie de Jung comme
tenant compte des couches inconscientes de la personnalité,
et les systèmes de Kretschmer et de Sheldon qui essaient
d'englober les aspects somatiques et psychiques dans une
structure unique. Le chapitre final donne un exposé des
conceptions personnelles de l'auteur où il est montré comment
la structure de la personnalité dépasse l'unité somato-
psychique pour former une unité fonctionnelle Moi-Monde.
Les aspects dynamiques de cette structure bipolaire sont
étudiés en même temps que son fonctionnement cognitif
et affectif.

Joseph Nuttin, professeur émérite à l'Université de Lou-


vain, yest directeur du Centre de Recherchessur la Motivation.
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