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P r o f e s s e u r A n t o i n e LUZY

LA
PUISSANCE DU REGARD
TABLE DES MATIERES

A v e r t i s s e m e n t . — I. Le r e g a r d et la pensée. — II. L ' a t t e n t i o n


et la volonté d a n s l'application du r e g a r d . — I I I . Les ex-
pressions d u r e g a r d . — IV. Le r e g a r d et l'influence per-
sonnelle. — V. L'influence personnelle et la suggestion de
pensée. — VI. Le r e g a r d d a n s la mise en j e u de l'activité
mentale. — VII. L ' é d u c a t i o n d u r e g a r d . — V I I I . Le re-
g a r d fixe ; ses e f f e t s s u r l'homme et les a n i m a u x . —
IX. Les a b e r r a t i o n s du r e g a r d . — X. Limite de la puis-
s a n c e d u r e g a r d . Les illusions visuelles. — XI. L e r e g a r d
d a n s les rêves. Le m y s t è r e de l'iris. — Conclusion.

D a n s les r e l a t i o n s e x i s t a n t en p e r m a n e n c e e n t r e les indi-


vidus, le r e g a r d joue u n rôle de p r e m i e r plan, et il n ' e s t
n u l l e m e n t nécessaire d ' ê t r e physionomiste p o u r r e s s e n t i r l a
force m y s t é r i e u s e dégagée p a r J'œil h u m a i n .
Mais l'étude de cette force, ou en d ' a u t r e s termes, de la
puissance du r e g a r d , n ' a v a i t j a m a i s été f a i t e d'une m a n i è r e
capable d'en f a i r e c o m p r e n d r e l'influence e t encore moins d'en
d é m o n t r e r et d'en e n s e i g n e r l'utilisation.
Le p r é s e n t o u v r a g e , f r u i t d'une longue observation e t d'une
profonde expérience de l ' a u t e u r , p r é s e n t e u n c a r a c t è r e incon-
testable de nouveauté, e t m e t le lecteur en possession d'élé-
m e n t s psychologiques d'une inestimable valeur, p o u r la l u t t e
de plus en p l u s difficile que l'individu doit c o n s t a m m e n t sou-
t e n i r a u cours de son existence.
E c r i t d a n s u n style simple, clair et correct, il p e u t ê t r e
compris p a r les p e r s o n n e s les moins p r é p a r é e s et l ' i n t é r ê t
se d é g a g e a n t de ses chapitres, n e cesse de croître à m e s u r e
qu'on avance v e r s la conclusion.
U n volume in-16 double couronne
LA MÉMOIRE
HUMAINE
SA PSYCHOLOGIE - SES FAIBLESSES
SON ÉDUCATION
SON RENFORCEMENT VOLONTAIRE

La mémoire indispensable à la vie de l'es-


prit devient par sa richesse, la source des
idées générales. Elle constitue par ses ac-
quisitions, une réserve de notions, dont
quelques-unes s'assimilent à la nature de
l'être, en provoquant certains changements
psycho-physiologiques, capables de retentir
par voie d'hérédité, sur sa descendance.
OUVRAGES DU MEME AUTEUR

Construction et Emploi des machines et appareils électriques. Chez


Gauthier-Villars, éditeur.
Le Problème du temps de pose. Les poeemêtres. Chez de Francia,
éditeur.
L e s filtres colorés ou écrans compensateurs en photographie. Chez
de Francia, éditeur.
La Radiesthésie Moderne théorique et pratique complètement expli-
quée. Chez Dangles, éditeur.
L'Occultisme en face de la Science et de la Philosophie. Chez Dan-
gles, éditeur.
L a puissance du regard. Chez Dangles, éditeur.
L'éducation radiesthésique (en préparation), chez Dangles, éditeur.

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L'Etincelle électrique. J. Fritsh, éditeur (1896).


Revue Française d'Optique et de Lunetterie, du Docteur Caillaud.
J e m'instruis. Vermot, éditeur.

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L a Photo pour Tous. Photo-Plait, éditeur.
Photo-Revue. De Francia, éditeur.

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Lampe électro-mécanique de poche, dite « Lampe Luzy », médaille


d'or du Concours Lépine. Licence Paul Garnier.
Aimant monobloc multipolaire. Licence Jacob Holtzer et Cie.
Machine à plier les lettres. Licence Fortin et Cie.
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rage et d'applications électriques, Arras.
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Posemêtre à vision directe pour la photographie. Licence Gravillon.
Posemêtre-Reflex pour la photographie. Licence Outillage R. B. V.
Photopose « Luzy », table automatique. Licence Outillage R. B. V.
et autres nombreux brevets français et étrangers.
Antoine LUZY
Professeur Technique-Adjoint Honoraire
à l'Ecole Nationale d'Arts-et-Métiers de Paris
Ancien Secrétaire-Adjoint
de la Société d'Etudes Psychique de Lille (1903)

LAMÉMOIREHUMAINE
SA PSYCHOLOGIE - SES FAIBLESSES
SON EDUCATION
SON RENFORCEMENT VOLONTAIRE

ÉDITIONS DANGLES
38, Rue de Moscou
= PARIS (8 ) =
D r o i t s de t r a d u c t i o n , d e r e p r o d u c t i o n
et d'adaptation réservés pour tous pays.
AVERTISSEMENT

L'un des plus vifs sujets de préoccupation de l'homme,


est bien le fonctionnement plus ou moins défectueux de sa
mémoire. En dehors des constatations vulgaires, le problème
de la mémoire demeure d'une extrême complexité et nous
l'avons abordé après d'autres auteurs, et non des moindres,
dans un esprit propre à le rendre accessible à tous les inté-
ressés. Limitant nos explications à l'exercice de la mémoire
chez les sujets normaux, à l'exclusion des cas morbides, re-
levant plus spécialement du domaine médical, nous nous
sommes appliqué à conserver à nos exposés un caractère sim-
ple et clair, en évitant systématiquement d'employer le lan-
gage philosophique, dont le propre est, bien souvent, de
dissimuler sous des termes dont la signification exacte n'a
pas été respectée, des idées confuses.
Nous n'ignorons, certes pas, la difficulté réelle qu'il y a
à décrire des choses très abstraites au moyen du langage
courant, et pour rester correct, nous avons évité de chercher
à expliquer les phénomènes profondément obscurs de la mé-
moire, par des comparaisons lourdes et grossières, ne pouvant
en donner qu'une idée imprécise ou même totalement fausse.
Dès à présent, il nous semble utile d'indiquer qu'il faut con-
sidérer la mémoire comme étant une faculté indivisible, car
il n'y a, en réalité, qu'une mémoire, les distinctions faites à
son sujet dépendant uniquement de ses divers emplois, des
diverses causes la mettant en jeu et des interprétations ré-
sultant des différentes circonstances dans lesquelles les causes
extérieures, ou les réactions intérieures des individus, agis-
sant sur ses propriétés d'acquisition et de conservation. Les
distinctions ont été créées pour clarifier l'étude des faits mné-
moniques, mais malheureusement les auteurs et les psycho-
logues, ont adopté souvent des dénominations différentes
pour désigner les mêmes phénomènes et cela n'a pas été sans
créer une confusion regrettable, dont nous nous sommes ap-
pliqué à atténuer les effets.
Mais une nouvelle étude sur la mémoire doit avoir des
conséquences plus importantes qu'un simple redressement
d'expressions littérales, sinon son utilité peut sembler con-
testable. C'est donc en partant d'une telle considération que
nous avons développé nos conceptions neuves relatives à
l'amélioration de la fonction mnémonique, au traitement auto-
suggestif de la mémoire, en vue de son renforcement volon-
taire et enfin au panmnémonisme, ou adaptation intégrale de
la mémoire aux besoins intellectuels de l'individu.

Avant d'aborder l'étude méthodique de la mémoire, nous


devons faire ici quelques constatations préalables au sujet
de ses origines, de sa nature et de certaines de ses propriétés,
non pour anticiper sur l'étude des phénomènes mnémoniques,
mais pour mieux se préparer à les comprendre.
Pour analyser le phénomène de mémoire, l'introspection
ne nous paraît pas un moyen suffisant, car toute la mémoire
n'est pas contenue dans un seul individu et ce serait limiter
étroitement l'analyse que de négliger l'examen philosophique
et psycho-physiologique général, en le localisant dans l'exa-
men de soi-même. La mémoire est diverse et dans son étude
il faut bien tenir compte de l'influence de l'individualité sur
son fonctionnement.
De plus, rechercher les origines de la mémoire parmi les
propriétés de la matière, nous semble bien être une vaine
besogne, conduisant à voir, à priori, dans l'esprit lui-même,
une propriété de la matière, alors qu'au contraire, la ma-
tière ne pourrait bien être qu'une condensation de l'esprit,
ou tout au moins de quelque substance d'apparence immaté-
rielle, dont à l'heure actuelle, il est encore impossible de
définir la nature. La mémoire fait partie de la vie et pour
en déterminer l'origine, pour voir en elle un fait biologique,
et, comme le dit Ribot, par accident, un fait psychologique,
autant vaut se consacrer à la recherche des causes et des
origines de la vie elle-même.
Nous n'entendons pas, en étudiant la mémoire au-delà de
l'introspection, pénétrer dans le domaine des analogies ou
identités apparentes, qu'on prétend parfois découvrir dans
les traces laissées dans la matière, par des actions physi-
ques ; nous ne pouvons, en effet, concevoir la mémoire en
dehors de la vie et même de la vie consciente. C'est là, d'ail-
leurs, le seul point intéressant pour l'homme lui-même. Voir
dans la mémoire un phénomène d'inertie, cela contient peut-
être une part de vérité, l'inertie se retrouvant un peu partout,.
chaque fois qu'on trouble ou qu'on déplace une forme quel-
conque de l'énergie, pour s'opposer à l'action de cette énergie
et conserver dans sa situation actuelle l'état qu'on cherche
à modifier ou à troubler.
Mais, dans le phénomène de mémoire peut-on considérer
l'introduction d'une notion ou d'un souvenir et ensuite leur
évocation, comme étant de nature à modifier un état, à le
troubler ? La mémoire serait-elle un milieu dans lequel on
ne peut pénétrer sans effort et sortir de même, sans pertur-
ber un état de repos ? C'est là une hypothèse en partie vrai-
semblable, car la mémoire fonctionne en permanence, sans
effort et sans la volonté, et l'effort est seulement nécessaire,
lorsqu'on veut fixer et conserver des souvenirs bien déter-
minés.
L'apparition des souvenirs à la conscience se fait de même,
sans la volonté, sans effort et l'effort s'impose seulement dans
l'évocation des souvenirs qu'on désire rappeler. Il y aurait
donc effet d'inertie dans le fonctionnement de la mémoire
consciente, mais non dans le fonctionnement de la mémoire-
inconsciente, laquelle, lorsqu'on s'applique à comprendre et
à retenir des notions utiles, recueille et glane des notions para-
sites, qu'elle associe aux autres et lorsqu'on s'emploie à évo-
quer les notions qu'on a volontairement retenues, libère les
notions parasistes associées et bien d'autres encore. Il faut
donc voir dans les manifestations de la mémoire inconsciente,
comme la réaction de la mémoire s'opposant à l'action appli-
quée sur la mémoire consciente pour faire pénétrer en elle,
ou pour rappeler les notions et les souvenirs, et cela est con-
forme à la loi générale de l'action et de la réaction, dont les
effets se manifestent toujours dans les mouvements de l'éner-
gie, quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente.
La tendance à assimiler ou à comparer le phénomène de
mémoire à des effets produits sur des échantillons de matière
par des causes physiques, conduit à de fausses interprétations
et ne peuvent donner aucune idée, même grossière des réa-
lités contenues dans la mémoire, réalités faisant l'objet de
nombreuses hypothèses, de dissertations sans fin et dont les
conclusions restent toujours incertaines et ténébreuses. Ces
réalités, peut-être ne les connaîtra-t-on jamais, car elles appar-
tiennent au mystérieux domaine de l'esprit, dans lequel
l'homme évolue toujours avec un bandeau sur les yeux.

La mémoire, en dehors des produits de la fermentation


intellectuelle, est alimentée par le jeu de tous les sens : la vue,
l'ouïe l'odorat, le goût et le toucher, transmettent les effets de
leurs perceptions, lesquelles affectent la conscience en s'ins-
crivant dans la mémoire, où se conservent les souvenirs de
toutes les sensations, et ces souvenirs ne sont pas conservés
dans un état d'inertie d'attente, ils évoluent, ils s'épurent et
exercent, en animant l'activité mentale inconsciente, une pro-
fonde influence sur l'individualité et vont même, jusqu'à for-
mer des tendances et à agir sur les déterminations.
Ainsi, par un exemple banal pris dans la vie courante, l'on
comprend comment agissent les souvenirs, surtout lorsqu'ils
font l'objet, soit d'une évocation fréquente, soit d'un renou-
vellement de leur formation. Tout le monde a pu constater,
en effet, qu'une affiche publicitaire représentée par un nombre
considérable d'exemplaires placardés un peu partout, s'offre
fréquemment au regard ; sa vision répétée impose à l'esprit
le nom d'un produit, dont on finit par être obsédé ; avec le
temps une accoutumance s'effectue et l'affiche ne détermine
plus aucune sensation ; elle est à peine perçue et pour la
remarquer il faut même faire un effort d'attention. Mais le
nom du produit est entré dans la mémoire et ne peut plus
être oublié, aussi il est à peu près certain qu'un beau jour,
si l'on a besoin d'un genre d'article auquel ce produit appar-
tient, on demande inévitablement, presque en dehors de la
conscience et de la volonté, celui dont le nom est incrusté dans
la mémoire, par l'action répétée de la force suggestive publi-
citaire.
Mais les techniciens de la publicité n'ignorent pas, qu'au
bout d'un certain temps, les affiches ayant pour le regard
le plus d'attirance, perdent une grande partie de leur pouvoir,
par suite de l'accoutumance de la foule, et le souvenir du
produit n'étant plus guère évoqué, l'on constate qu'après une
période de durée variable, suivant le produit présenté et le
caractère plus ou moins ingénieux de l'affiche, le chiffre des
ventes faiblit dans des proportions plus au moins impor-
tantes ; c'est donc comme si l'affiche avait en grande partie
cessé d'exister. Alors ces techniciens s'emploient à créer une
nouvelle affiche, dont le motif attractif contraste le plus pos-
sible avec celui de l'affiche précédente, mais tout en conser-
vant les caractéristiques bien nettes et très apparentes, les-
quelles doivent demeurer invariables, du produit présenté par
l'affiche. Et les effets de la nouvelle présentation du produit
se font aussitôt sentir sur les ventes, dont le niveau monte
à nouveau, par le renouvellement de l'action publicitaire sur
l'esprit et la mémoire du public.

Une erreur assez fréquente au sujet de l'activité mysté-


rieuse de la mémoire, la fait considérer comme travaillant
constamment pendant le sommeil ; il y a là de la part des
personnes peu familiarisées avec les questions de psycho-
physiologie, une confusion assez compréhensible, faisant voir
la mémoire comme ne dépendant que d'elle-même, mais la
mémoire n'est pas une faculté entièrement indépendante. Il
ne faut pas confondre, en effet, l'activité inconsciente de
l'esprit et l'activité d'une faculté, comme la mémoire, dont
le fonctionnement, même lorsqu'il se produit en dehors de
la conscience, est toujours subordonné à l'action stimulante
des sens et de l'intelligence.
Dans le sommeil normal l'activité subconsciente ne con-
naît pas de repos, mais elle n'agit pas seule et bien souvent
l'imagination intervient pour provoquer une idéation étrange,
dont on a conscience en dormant, dans certains rêves. La
mémoire est alors, par accident, sollicitée et livre quelques
souvenirs ayant plus ou moins de rapport avec le sujet pro-
pre du rêve et l'on assiste ainsi, à des scènes incohérentes,
bizarres, dont on recherche en vain l'interprétation au réveil,
et dont on a été quelquefois le héros heureux ou tourmenté.
Mais les rêves, dont nous ne pouvons faire ici l'étude, ont
des causes très diverses, dont les plus fréquentes sont d'ori-
gine sensorielle ou tenant à diverses préoccupations. La mé-
moire mise en jeu par des causes indépendantes de l'imagina-
tion, livre des souvenirs en rapport avec les sensations
inconscientes éprouvées, ou les préoccupations de l'esprit. A
l'égard des préoccupations spirituelles, pouvant être la con-
séquence de recherches diverses, de l'attente inquiète d'une
solution, l'activité inconsciente tire parfois de la mémoire pen-
dant le sommeil, les éléments propres à favoriser son travail
secret, et lorsqu'il s'est accompli, elle livre le résultat de ce
travail, consistant, soit en la solution attendue, soit en une
réponse relative aux objets des préoccupations et ce résultat
vient sur le plan de la conscience, soit en rêve pendant le
sommeil, soit au réveil, sous forme d'idéation plus ou moins
précise, et qu'il convient d'interpréter tout de suite, sous peine
de voir disparaître les idées générées pendant le sommeil,
dont la netteté n'a pas encore été dégagée par la méditation à
l'état de veille, et dont la pénétration dans la mémoire n'a
pas encore été opérée.
Les idées venant du travail mystérieux accompli dans les
profondeurs du subconscient, sont de la même famille que
les idées-éclairs, toujours riches de substance, apparaissant
à la conscience dans un éclair de lucidité extraordinaire et
disparaissant rapidement comme elles sont venues. La fuga-
cité de ces idées ne permet pas toujours de les saisir, ou
d'en conserver un souvenir exact et même d'en conserver le
moindre souvenir. On cherche en vain à les faire revenir, à
les rappeler : elles sont sorties de l'inconscient sans laisser
de trace dans la mémoire et si l'on n'est pas prêt à les ar-
rêter à leur passage, à les fixer d'un mot bref et écrit, elles
s'évanouissent sans retour.
Les aperçus donnés dans les paragraphes précédents
montrent dans quel esprit nous avons rédigé le présent ou-
vrage, nous ne nous sommes pas proposé, en l'écrivant, de
rechercher à pénétrer dans les ténébreux mystères de la fonc-
tion mnémonique. Nous avons exclus les imprudentes hypo-
thèses chers à certains philosophes, pour demeurer en pré-
sence de l'objectivité des faits et nous nous sommes appliqué
à faire ressortir les rapports existant entre la mémoire et
l'intelligence, en définissant les proportions de l'une et de
l'autre, satisfaisant aux conditions de la supériorité mentale
et intellectuelle. En agissant ainsi, il en est résulté une mise
au point sur les mérites respectifs de la mémoire et de l'in-
telligence, à propos desquelles on a formulé bien des erreurs.
A notre époque l'on a longuement étudié l'évolution de
la mémoire, ses tares, son éducation par des exercices appro-
priés, mais l'on a presque toujours négligé de faire ressortir
l'importance de son rôle, et même sa prédominance dans les
relations des hommes entre eux et dans toutes les manifes-
tations de la vie de l'esprit. L'on s'est, en vérité, employé
à analyser le phénomène mnémonique, non par son carac-
tère social, mais presque exclusivement par le côté philoso-
phique, dont il est bien difficile de s'écarter, tant il est vrai
qu'il est toujours plus facile de discuter sur les effets d'une
cause inconnue, que de connaître le fond de cette cause. Et
il en est de la mémoire comme de tant de choses vivant et
agissant dans l'être humain, qu'il utilise et dont il peut pro-
voquer l'évolution, qu'il est capable d'améliorer ou d'anéan-
tir, mais dont les ressorts secrets semblent bien devoir rester
pour lui encore longtemps cachés, si ce n'est pour toujours.
Pour expliquer les phénomènes de mémoire, ou du moins,
pour essayer de les expliquer, il est seulement des hypothèses,
des images, des comparaisons en apparence ingénieuses et
séduisantes, mais en réalité peu probantes. Et tout ce qu'on
est capable d'imaginer, donne satisfaction à l'esprit dans des
limites très étroites et se heurte très rapidement à des faits
impossibles à comprendre et par conséquent à expliquer. Il
est plus prudent, au lieu de se livrer à des analyses, à des
déductions, la plupart aussi savantes qu'inefficaces, de rester
sur un terrain solide, en constatant les phénomènes, les résul-
tats de la fonction mnémonique, sans chercher trop profondé-
ment comment ils s'accomplissent et sont obtenus. Il est, certes
tentant de se livrer à des spéculations spirituelles à l'égard
de l'inconnu et ce n'est pas tout à fait inutile, mais bien
souvent, les analyses auxquelles on consacre de laborieuses
déductions, font plus honneur à l'imagination de leurs au-
teurs, qu'elles n'apportent de lumière aux faits qu'ils essaient
d'expliquer, et bien souvent aussi, ces analyses compliquent
sans aucune utilité des choses simples, quand elles ne les
rendent pas plus obscures qu'elles ne le sont.
En présence de faits obscurs, la réflexion se montre pres-
que toujours impuissante, mais il n'est pas inutile d'essayer
de les comprendre, soit par l'analyse introspective, soit par
l'étude d'un texte. Mais un texte se ressent toujours plus ou
moins de l'obscurité des faits qu'il expose, aussi est-il très
important de se souvenir de la vérité suivante : l'effort accom-
pli pour les comprendre n'est jamais dépensé en vain ; il
détermine une fermentation inconsciente d'idées, dont le ré-
sultat heureux, sans apparaître formellement, se produit tou-
jours au profit de l'entendement.

Professeur Antoine LuzY

Paris, 1948.
CHAPITRE PREMIER

LA MEMOIRE DANS LE PASSE

Dans l'antiquité lointaine, sur les rives ensoleillées de la


Méditerranée, autour de laquelle évoluaient de florissantes
civilisations, les hommes d'alors, poussés comme ceux de tou-
jours, d'ailleurs, par un instinctif besoin de s'élever au-dessus
des misères, des turpitudes, des injustices de leur milieu et de
trouver des palliatifs moraux à leurs souffrances, avaient créé
peu à peu, tout un monde imaginaire de divinités, possédant
chacune les qualités et les défauts des hommes eux-mêmes,
mais auxquelles on reconnaissait par de poétiques supersti-
tions, un pouvoir d'influence sur les destinées individuelles,
pouvoir qu'il suffisait d'invoquer pour y puiser le réconfort et
la confiance en soi. Les vertus, les facultés morales et intel-
lectuelles et la plupart des choses abstraites de la personnalité
humaine, avaient reçu une représentation divine pleine, sou-
vent, d'une délicieuse idéalité. C'est ainsi qu'un beau jour la
famille d'Uranus, déjà fort nombreuse, s'enrichit de la venue
de la toute gracieuse déesse Mnémosyne, dont le destin fut
de personnifier l'une des facultés les plus précieuse : la mé-
moire. (1)
La divinisation de la mémoire indique tout le prix attaché
par les anciens à son exercice, qu'on affecte parfois, de nos
jours, de traiter avec un certain dédain, comme s'il dépen-
dait d'une faculté inférieure. Or, il n'y a rien d'avilissant dans

(1) Mnémosyne, fille d'Uranus, devint par la suite, mère des


Muses.
l'usage normal de la mémoire, lui faisant mériter le moindre
discrédit, mais bien au contraire, savoir utiliser judicieuse-
ment la mémoire, c'est faire preuve d'intelligence.
Le mépris affecté de la mémoire vient de la constatation
de l'existence chez certains jeunes gens, d'une mémoire extra-
ordinaire, mise au service d'une médiocre intelligence ; c'est
là un fait assez fréquent, et la disproportion en faveur de
la mémoire dont ils bénéficient, les rend capables de retenir
n'importe quoi, mais en comprenant peu de chose à ce qu'ils
ont retenu et leurs succès dans les examens, révoltent cer-
tains de leurs camarades d'études, tant ils leur apparaissent
comme illégitimes. Mais les avantages qu'ils tirent de leur
mémoire, ne se prolongent guère au-delà de la scolarité, et
si une bonne mémoire est une faculté précieuse pendant les
études, elle ne suffit pas seule, dans la vie, à élever l'individu
dans la hiérarchie sociale. Pour réussir, l'action de la mé-
moire ne doit pas être indépendante de l'action de l'intelli-
gence. La mémoire n'est, en effet, qu'un précieux auxiliaire,
et l'on est mieux armé dans la lutte pour l'existence, avec une
mémoire moyenne et une forte intelligence, qu'avec une forte
mémoire et une médiocre intelligence, mais quoiqu'on puisse
en dire, la mémoire est une des plus brillantes qualités de
l'esprit humain, dont elle a suivi l'évolution, en lui prêtant
un constant appui.
Si, en se reportant en imagination, à l'époque incer-
taine de l'origine de l'espèce humaine, on se représente les
premiers hommes nus, désarmés et inexpérimentés, au sein
d'une nature farouche, pleine d'embûches sournoises, de som-
bres menaces et de dangers terrifiants, l'on comprend de quel
poids l'intelligence, mais surtout l'instinct, aidés de la mémoire,
devaient peser sur la destinée des primitifs ancêtres, en leur
donnant le moyen d'acquérir les premières notions de l'expé-
rience des choses. Mais à quoi aurait servi l'intelligence, si la
mémoire n'avait mis en réserve les rudiments d'observation
devant former les premiers fondements de toutes les connais-
sances. Le souvenir classé dans la mémoire a donc forcément
précédé le langage ; les premiers hommes ont vu, ont senti,
ont retenu, ont pensé, avant d'avoir su s'exprimer par la pa-
role et manifester ainsi, les premiers effets de leur entende-
ment. La mémoire a donc retenu ce que les premiers hommes
voyaient, entendaient ou sentaient, avant le discernement par
leur intelligence, des causes, même les plus apparentes, de
leurs impressions sensorielles. La mémoire fournit à l'intelli-
gence les éléments fondamentaux de son fonctionnement, le
fait de mémoire formant le seuil de l'acte d'intelligence. Un
esprit normal, dont le jeu est harmonieusement réglé, doit
ses propriétés aux heureuses proportions, à qualité équiva-
lente, entre la quantité mémoire et la quantité intelligence.
Les hommes primitifs n'ont sûrement pas été sans cons-
tater certaines défaillances de la mémoire et dès qu'ils eurent
remarqué qu'un rappel de souvenir nécessitait, parfois, quel-
ques efforts, dès qu'ils furent capables d'analyser leurs sen-
sations intérieures, ils comprirent la valeur de la mémoire et
s'appliquèrent à la rendre meilleure, en facilitant son action
par de volontaires et simples associations d'idées. Et plus
tard, quand le savoir et l'expérience des anciennes généra-
tions ne pouvaient se communiquer et se transmettre qu'au
moyen d'exposés verbaux d'un langage en cours de forma-
tion, la mémoire restait la seule dépositaire des connaissances
acquises, et il en fût ainsi jusqu'au jour où l'homme put
traduire matériellement sa pensée par le rudimentaire croquis
et ensuite par l'écriture. Mais les premiers signes durent ap-
partenir à un système idéographique, dont chaque caractère
représentait une idée ou un objet et par cela même, la repré-
sentation devait en être très limitée. L'écriture proprement
dite, formée de lettres et de mots, pouvait seule, permettre
une transmission et une conservation intégrale des idées, mais
limitées par l'impossibilité de trouver un support convenable
pour tracer les caractères et dont les principales qualités de-
vaient être l'abondance, la légèreté et la solidité. La mémoire
allait donc rester pendant une longue période de temps, la
dépositaire à peu près exclusive de toutes les conquêtes de
l'esprit humain.
Mais en raison des fermentations incessantes de l'activité
mentale et de l'activité intellectuelle, la mémoire était inca-
pable de conserver sans altération les notions gagnées sur
l'ignorance primitive. A ces notions s'en ajoutaient constam-
ment des nouvelles issues du progrès et des développements
du savoir, puis, l'imagination, fille un peu folle, parfois, de
l'intelligence, venait fausser de ses concepts fantaisistes, ou
imprégner des erreurs dues à la crainte, à la terreur, à la
superstition ou à l'enthousiasme, les notions exactes, les sou-
venirs des faits, pour en faire naître de nouvelles interpréta-,
tations dans des récits transformés par la tradition, peu à peu
en légendes, ou en croyances populaires, d'une ténacité telle,
qu'elles échappaient, sauf pour quelques esprits supérieurs,
au contrôle naturel de la raison. Légendes et croyances se
multipliaient d'autant mieux, que leur transmission orale,
comme leur compréhension, variaient en passant d'un indi-
vidu à un autre et les récits ne prenaient une forme à peu
près définitive, qu'en étant composés d'expressions créées pour
frapper vivement l'esprit et par conséquent, faciles à rete-
nir : façonnées par l'imagination, arrangées et ornées par
l'art, embellies par la poésie, les relations des choses du passé,
ont lentement formé le folklore des peuples divers, contenant
souvent d'admirables et touchantes traditions, dont on appré-
cie, non sans émotion, encore à l'heure actuelle, la saveur et
le charme.
Le rôle de la mémoire a donc été considérable dans l'an-
tiquité et les Anciens semblent n'avoir rien négligé pour en
faciliter la culture et en augmenter la puissance ; il est pro-
bable que les origines de la mnémotechnie sont contempo-
raines des premières manifestations de la pensée philo-
phique, mais les indices les plus anciens d'une culture de la
mémoire se relèvent seulement vers six cents avant Jésus-
Christ.

En général, nul, dans les temps présent, ne semble satis-


fait de sa mémoire, car la mémoire idéale devrait, à première
lecture, ou dès complète compréhension, enregistrer au gré
de la volonté, pour toujours et sans effort, tout ce qu'on
désire retenir. Mais hélas ! l'on est bien loin de pouvoir cons-
tater l'existence d'une mémoire aussi parfaite et complai-
sante, sauf dans quelques cas particuliers de mémoires-phé-
nomènes, capables de retenir une catégorie bien définie de
notions, comme les nombres, par exemple, et pour les autres
matières se montrant toujours bien inférieures aux mémoires
ordinaires.
Pourtant, si chacun se plaint de sa mémoire, tout le monde
paraît content de son intelligence, cela semble indiquer qu'en
général, chacun se croit très intelligent : c'est là un travers
bien humain, mais il y en a de pires.
Autrefois, dans l'antiquité, et bien avant, à des époques
situées à d'énormes distances dans les abîmes du passé, au-
cun procédé graphique n'existant pour représenter les idées
et les conquêtes de l'esprit humain, tout le savoir devait for-
cément être conservé dans la mémoire. L'on peut donc sup-
poser, en toute logique, qu'étant très exercées, les mémoires
devaient devenir très puissantes, mais si une telle hypothèse
présente un apparent caractère de vérité, la réalité, à la ré-
flexion, se montre bien différente. D'abord les gens instruits
formaient une minorité peu importante, dans laquelle se trou-
vaient les mémoires les mieux entraînées, mais dans la masse
de la population il n'en était pas de même. Et malgré l'en-
traînement de leur mémoire, les esprits cultivés éprouvant le
besoin de la renforcer encore, utilisaient des procédés mné-
moniques. Si donc leur mémoire était aussi merveilleuse qu'on
peut le croire, pourquoi cherchaient-ils à la rendre meilleure
encore ?
Au point de vue physiologique, la mémoire des hommes
d'autrefois, ne pouvait être supérieure à celle des hommes
d'aujourd'hui et si toutes les connaissances de l'époque y
étaient contenues, c'est parce qu'elles étaient moins vas-
tes, moins nombreuses, moins profondes et surtout moins
complexes qu'aux temps modernes et surtout qu'à
l'époque actuelle. Il ne faut pas s'étonner des prouesses
accomplies par les bardes, qu'on cite toujours en exemple ; ils
allaient de bourgade en bourgade, de château en château pour
divertir seigneurs, paysans et citadins, en contant des récits
héroïques ou sentimentaux interminables, déclamant des poè-
mes de leur création, sans s'appuyer sur aucun texte. Ces
bardes répétant presque chaque jour des récits brodés sur les
mêmes thèmes, devaient forcément bien les connaître, d'autant
mieux qu'ils en étaient les auteurs. En outre, sans inconvé-
nient, ils leur faisaient subir d'inévitables variations, leurs
auditeurs, jamais les mêmes, ne pouvant s'en apercevoir. Il
e s t probable, d'ailleurs, qu'aucun des poètes ambulants de
jadis, ne serait capable de rivaliser avec les grands tragé-
diens modernes, possédant par cœur, non seulement leur pro-
pre rôle, mais le texte intégral de nombreuses pièces et auquel
il n'ont pas le droit de faire subir la moindre modification,
la moindre variation. L'on est en droit de s'étonner de la
grande rétentivité de la mémoire de la plupart des gens de
théâtre ; différentes raisons l'expliquent : d'abord le rôle à
retenir comporte l'action ; l'action fait naître l'intérêt, lequel
devient très grand lorsque la pièce à jouer est, par elle-même,
très intéressante. Et puis, il y a pour l'artiste, l'obligation
impérieuse de bien posséder son rôle, faisant sur lui l'effet
d'une suggestion permanente, l'amour-propre professionnel,
dont l'importance est considérable et enfin l'entraînement à
apprendre. Toutes ces raisons ont une action convergente en
faveur de la mémoire et font comprendre ainsi, comment, très
exercée, elle devient très puissante.
C'est donc une erreur de croire à l'infériorité des mémoires
actuelles à causes des immenses possibilités de la reproduction
graphique des textes. Il semble qu'en raison de l'existence des
innombrables livres, des aide-mémoire de toutes sortes, on
n'ait plus besoin de se souvenir ; mais c'est mal connaître la
vie intellectuelle moderne, de croire à la déchéance de la
mémoire, car on a plus besoin d'elle que jamais.
Qu'on mette en présence, d'une part, tous les produits de
l'intelligence venant de l'antiquité, en les multipliant par cent,
pour tenir compte des pertes qu'ils ont pu subir au cours des
vissicitudes du temps et, d'autre part, tous les produits de
l'intelligence des temps modernes, relatifs à la littérature, aux
sciences, à la philosophie, aux arts, à la géographie, aux
mathématiques et qu'on en fasse la clairvoyante comparai-
son ; immédiatement il en apparaîtra l'évidente impossibilité
pour la mémoire, de contenir seulement, tout ce qui constitue
l'une des nombreuses spécialités entre lesquelles se sont divi-
sées toutes les connaissances actuelles de l'esprit humain et
dont l'extension s'effectue avec une prodigieuse rapidité.
Les procédés mnémotechniques de l'antiquité, d'après ce
qu'on en connaît, peuvent sembler bien désuets, mais on leur
doit la création de la versification, considérée à l'époque où
elle fut imaginée, comme une efficace discipline de l'esprit et
de la mémoire, soutenue par la mesure, le rythme, et la rime,
et cela n'était déjà pas si mal trouvé ; le rythme et la rime
sont éminemment propres, en effet, à lui fournir des points
d'appui et la pensée se laisse bien guider par la cadence des
vers. Mais si la versification se prête aux développements lit-
téraires ou philosophiques, elle ne peut être employée avec
facilité et succès pour toutes les matières. Ainsi, au cours du
XIX siècle l'on a pu enregistrer certaines tentatives pour mettre
en vers les matières les plus diverses, afin d'en faciliter l'en-
seignement ; c'est là une méthode mnémonique des moins
recommandables, la construction des vers et la recherche des
rimes introduisant, surtout dans les sujets relatifs aux scien-
ces exactes ou expérimentales, des éléments étrangers, des
idées parasites obscurcissant les idées principales et chargeant
la mémoire sans aucun profit.
Nous ne pouvons faire, dans nos brèves allusions a u
passé, la description de tous les procédés, mnémotechniques
connus et employés depuis l'époque probable de leur création,
nous en citerons seulement quelques-uns en passant, mais de
nos jours, si l'on éprouve parfois la nécessité de recourir à
des artifices pour aider au rappel des souvenirs, alors qu'on
dispose des moyens matériels les plus nombreux et les plus
perfectionnés d'enregistrement, l'on comprend qu'aux époques
où les hommes ne savaient pas, ou savaient peu écrire, et
étaient, en outre, gênés par le manque de matériaux propres
à recevoir l'écriture, la mnémonique devait être en grande-
faveur ; elle faisait, d'ailleurs, l'objet d'une sorte d'enseigne-
ment, et si certaines de ses méthodes semblent futiles aujour-
d'hui, elles présentaient alors, une très grande utilité.
Bien qu'il y ait assez peu de documents d'une rigoureuse
authenticité sur les philosophes de l'ancienne Grèce, l'on sait
que la mnémonique était fort en honneur dans leurs diverses
écoles. Les esprits les plus cultivés, versés dans l'étude de
la nature et des astres et créateurs des premiers rudiments
de la philosophie, avaient toute leur science en eux-mêmes
et lorsqu'ils enseignaient, leurs élèves ou leurs disciples comp-
taient uniquement sur leur mémoire, pour conserver les no-
tions acquises. Chez les Romains il en fut de même et l'on
cite Cicéron comme l'un des adeptes les plus ardents de la
mnémonique. Mais si celle-ci eut de nombreux partisans, elle
eut aussi de fougueux détracteurs et les opinions de Cicéron
furent controversées avec vigueur par Quintillien, lequel n'ad-
mettait pas qu'on put surcharger la mémoire de choses étran-
gères à ce qu'on désire apprendre et ensuite exprimer.
En vérité, certains procédés mnémoniques sont d'une telle
complication qu'il est beaucoup plus simple de les éliminer
et facile d'apprendre directement sans eux ce qu'on veut re-
tenir. Mais quelquefois, la complexité n'est qu'apparente,
comme dans la méthode employée par Cicéron, ou méthode
topologique ou des localités, sur laquelle nous reviendrons par
la suite.
Toute la justification de l'emploi de la mnémonique se
dégage des paroles de Cicéron, à laquelle, disait-il, il devait
beaucoup. Estimant, en outre, qu'il y avait dans l'homme deux
mémoires, l'une naturelle, innée et marchant de pair avec la
pensée ; l'autre artificielle, formée par l'art et la méthode,
l'observation de ses règles, disait-il : conserve et accroît les
avantages que nous devons à la nature ».
Dans l'ensemble, la mnémonique ancienne a eu de nom-
breux partisans et de non moins nombreux adversaires et
parmi ceux-ci, beaucoup ont reconnu les avantages et l'uti-
lité de certains procédés, comme contre-partie des inconvé-
nients qu'ils présentaient.
A l'époque médiévale, où la pratique des sciences s'entou-
rait toujours d'un certain mystère, la culture de la mémoire
fit l'objet de nombreux ouvrages imprégnés de l'esprit du
temps. Rédigés pour être compris par les seuls initiés, ils
présentaient les règles de la mnémonique sous forme de sym-
boles incompréhensibles au vulgaire, afin de conserver le
secret de leur enseignement. L'on cite des travaux de Publi-
cius au xve siècle, comme ayant contribué à propager l'usage
de la mnémotechnie ; il fut le créateur de la topologie symbo-
lique, c'est-à-dire qu'au lieu de rapporter les idées unique-
ment à des lieux, à des objets, il les lia également à des
figures, à des symboles.
Erasme fut vers la même époque, opposé à la mnémo-
technie, il ne concevait, pour faciliter la conservation des no-
tions acquises, qu'un effort régulier et une application sou-
tenue. L'art de se souvenir ne donna pas seulement lieu à des
livres sérieux, mais au XV et au XVI siècle, il suscita des œu-
vres fantaisistes, dans lesquelles des auteurs facétieux, dont
Pierre de Ravenne et Rombery, appliquèrent d'une manière
bouffonne les principes de la mnémotechnie.
Les XVI et XVII siècles furent extrêmement féconds en
ouvrages mnémotechniques ; les publications se succédaient
nombreuses sur les points les plus divers, en France et à
l'étranger et celles ayant quelque succès étaient imitées sans
vergogne par de nombreux auteurs voulant tirer profit des
goûts de la société d'alors pour la mnémonique. Ce goût
poussé à l'extrême avait tout le caractère d'une sorte de folie
collective. Mais de tous ces livres ayant fait l'engouement
du public, un grand nombre contenaient des élucubrations sans
valeur, les vouant à un oubli sans retour. Quelques autres
meilleurs, sont encore connus de nos jours et leur lecture pré-
sente un réel intérêt.
Cependant dans l'intense production d'œuvres relatives à
la culture de la mémoire que vit le XVII siècle, on ne remarque
aucune méthode vraiment nouvelle. Toutes les théories mné-
motechniques y sont des reproductions plus ou moins fidèles,
déguisées parfois, par des adjonctions plus ou moins heu-
reuses des méthodes créées par les Anciens. Mais l'abus de
la mnémotechnie avaient provoqué les protestations de cer-
tains éducateurs, lesquelles trouvèrent une expression et un
écho dans le « Traité des Etudes » de l'humaniste Rollin,
alors recteur de l'Université.

Sous Louis XV la mnémotechnie entra dans une période


d'abandon et d'oubli. L'orientation nouvelle des esprits influen-
cés par la philosophie encyclopédique, dirigeait les activités
intellectuelles vers des préoccupations plus hautes. L'on sen-
tait la Révolution venir et le peuple réagissait contre l'abso-
lutisme de Louis XIV ; les mœurs se relâchaient, les aventures
financières accaparaient l'opinion ; on n'avait plus le temps
de penser aux enfantillages de la mnémonique. Il fallait le ré-
tablissement définitif de l'ordre public, au début du XIX siècle,
pour qu'on la vit renaître. De nouveau ce fut une floraison de
manuels, de livres dans lesquels on trouvait des mélanges
nouveaux de toutes les méthodes anciennes. L'avocat Aimé
Paris acquit en France la plus grande popularité comme mné-
motechnicien ; son ouvrage « Principes et applications de la
mnémotechnie » parut en 1829 avec un énorme succès.
Contemporains d'Aimé Paris, furent les frères Castilho,
dont le < Traité de Mnémotechnie » fut également très ré-
pandu. Les Castilho, pour démontrer l'excellence de leur mé-
thode, donnaient des séances publiques, dans lesquelles ils
accomplissaient des exploits mnémoniques extraordinaires.
Plus près de nous, vers 1889, l'abbé Chavauty, disciple
d'Aimé Paris, se fit une certaine réputation. Il publia une
méthode, « L'art d'apprendre », dont nous fûmes l'un des
premiers possesseurs. Cette méthode fut l'objet d'une certaine
diffusion, à la suite d'une campagne publicitaire faite par son
auteur, dans les journaux de l'époque. Bien qu'initié par Aimé
Paris à la mnémotechnie, la méthode de l'abbé Chavauty
s'écarte beaucoup de celle de son maître, dans laquelle le dé-
veloppement de la mémoire était basé sur l'emploi des for-
mules, l'abbé basant la sienne sur l'emploi des tables de rappel,
revenait ainsi aux principes des mnémotechniciens d'autrefois.
Tout le système d'Aimé Paris repose sur un fait d'ex-
périence, démontrant qu'il est plus difficile d'enregistrer dans
la mémoire des nombres et des mots isolés, que des phrases
formant des expressions complètes d'idées. Un nombre ou
un mot seul possède, en réalité, un caractère abstrait le ren-
dant difficile à retenir ; il s'en suit qu'on fixe mieux un nom-
bre dans la mémoire, en lui donnant une forme différente,
en le faisant passer, transformé en mot, dans une phrase ou
dans une formule facile à retenir.
Dans la construction des formules, on tient compte seu-
lement des sons articulés formés par la prononciation des
consonnes, les sons doux des voyelles ne comptent pas. Ainsi
s'il est convenu de remplacer les chiffres par des lettres on a,
suivant Aimé Paris :

1 remplacé par d ou t, 6 remplacé par g, j ou ch,


2 — — n ou gn, 7 — — gu, q ou k,
3 — — m, 8 — — f, ph ou v,
4 — — r, 9 — — b ou p,
5 — — I, 0 — — s, ç ou z,
L'on peut, dès lors, s'il s'agit, par exemple des dates his-
toriques difficiles à fixer dans la mémoire, (elies sont si nom-
breuses !) construire des formules dans lesquelles l'un des mots
contient dans ses articulations les dates à retenir.
Soit, par exemple, à composer une formule pour retrou-
ver facilement l'année 1214 au cours de laquelle Philippe-
Auguste fut vainqueur à Bouvines. L'on cherche un ou deux
mots contenant les articulations t, d, pour représenter les
deux 1, n ou gn pour le 2 et r pour le 4.
Il ne faut pas s'étonner si la formule imaginée rapide-
ment, ne présente pas toujours une tournure littéraire correcte
et si elle heurte, parfois le bon sens, cela importe peu, le
résultat seul compte et pour les mnémotechniciens la fin jus-
tifie les moyens.
L'on peut donc adopter pour l'exemple cité, la formule
suivante :
Tino dira : Philippe à Bouvines vainquit.
Evidemment, une telle phrase n'a, dans son isolement,
aucune signification, mais elle est plus facile à retenir que
le nombre 1214, lequel se trouve rappelé dans les deux pre-
miers mots : Tino dira, dont les articulations sont : te, ne,
de, re.
Cet exemple suffit pour faire comprendre en quoi consiste
le système des formules d'Aimé Paris. La convention en for-
mant la base, doit elle-même être retenue et pour y parvenir,
son auteur indique des moyens d'apparence puérile, mais
très efficaces, dont la description nous entraînerait trop loin
de notre but. L'on peut encore appliquer ce système à dif-
férents genres d'études et avec succès au rappel des formules
mathématiques. Certains mnémotechniciens, parmi lesquels
Ch. Richard, ont réussi à créer des formules versifiées pour
retenir toutes les dates de l'histoire de France.
Le système de l'abbé Chavauty, ou des tables de rappel,
est d'une assez grande complexité ; il consiste à apprendre
d'abord par cœur, cent mots, groupés dans une table et dans
un ordre bien déterminé et correspondant chacun à un nu-
méro, soit par exemple :
1 habit,
2 arbre,
etc.
Les cent mots numérotés de 1 à 100, servent ensuite cha-
cun de point de départ à une nouvelle série de sept mots,
venant par association d'idées :
1 habit ; 101 drap ; 201 tailleur ; 301 ciseaux ;
401 acier ; 501 meule ; 601 grès.
2 arbre ; 102 branche ; 202 bourgeon ; 302 feuille ;
402 papier ; 502 lettre ; 602 écriture.
etc. etc.

Dans chacune de ces séries, les sept mots sont bien grou-
pés par enchaînement d'idées. Au total cela fait sept cents mots
à apprendre, et lorsqu'on les possède à fond, l'on peut entre-
prendre simultanément l'étude de plusieurs matières quelcon-
ques, en rendant ainsi, inséparables les éléments de ses di-
verses matières, puisqu'ils ont été appris ensemble. C'est là
un inconvénient grave, car si l'un de ces éléments vient à
faire défaut, toutes les connaissances dont il est solidaire
s'oublient avec lui.
Il faut un véritable courage pour se mettre à l'étude d'une
table de rappel et une patience éprouvée pour l'étudier jus-
qu'à s'en souvenir. On peut se demander avec raison, s'il ne
vaut pas mieux aborder directement l'étude des matières,
car l'application de cette table demande encore de nouveaux
efforts d'imagination et de mémoire qu'il vaut mieux, sans
nul doute appliquer à l'étude directe.
Quoiqu'il en soit, Chavauty donne dans sa méthode d'ex-
cellents conseils, dénotant chez lui une bonne connaissance
des phénomènes de mémoire : « classez, associez, répétez dit-
il ; assignez à vos souvenirs une place dans votre mémoire,
classez-les parmi les souvenirs de même nature. Associez ces
souvenirs aux souvenirs plus anciens. Répétez de temps en
temps en analysant les relations existant entre les mots et
en concentrant toute votre attention sur le souvenir à fixer. »
L'un des procédés mnémoniques les plus répandus dans
l'antiquité, était la méthode topologique ou des localités. Les
philosophes de l'ancienne Grèce en faisaient un usage fré-
quent et c'était également la méthode préférée de Cicéron.
La méthode topologique est née de la constatation relative à
certaines idées s'associant d'elles-mêmes dans l'esprit à des
lieux dont on ne peut se souvenir sans ramener en même temps
ces idées et sans avoir rien fait pour les associer. Or, les
associations se produisant ainsi, sans le concours de la vo-
lonté, on peut volontairement les produire et c'est ce qu'on
fait dans la méthode topologique. En outre, la mémoire est
d'autant plus fortement impressionnée, qu'un plus grand nom-
bre de sens concourent à la perception, le sens de la vue étant
le plus largement en contact avec le monde extérieur, la
méthode topologique associe la mémoire visuelle de certains
lieux ou localités à des idées abstraites, dont on désire con-
server le souvenir pour l'évoquer en temps voulu.
Ces idées enregistrées seules et demeurant sans lien dans
la mémoire peuvent s'effacer lentement et disparaître dans
l'oubli, et en les rattachant à des objets matériels, ou à des
lieux familiers, il suffit de penser à ces objets ou à ces lieux,
pour rappeler en même temps les idées qu'on y a attachées.
Les lieux capables d'être liés à des idées sont très divers, et
il convient de les choisir dans le quartier d'une ville, où il
est facile d'établir un itinéraire riche en détails intéressants
et à suivre sans difficultés en imagination. En des points
déterminés sont des objets connus à l'avance : monuments,
magasins, statues, enseignes, etc., auxquels on relie une suite
d'idées, à raison d'une idée par objet. En suivant mentale-
ment l'itinéraire, les souvenirs des idées attachées se pré-
sentent successivement à l'esprit, sans effort. Il est possible
encore de choisir des points localisés dans une maison, en
suivant les différentes pièces et les détails de chacune d'elles.
Cicéron auquel on attribue la création d'une méthode mné-
motechnique, mais qui, en réalité, s'est borné à recueillir les
principes mnémoniques appliqués par les anciens philosophes
de la Grèce, conseille de rechercher le plus grand nombre
d'endroits, de points où il est possible d'attacher des idées
et de les y fixer d'une manière immuable et dans un ordre
déterminé. En procédant ainsi, l'on se familiarise avec les
emplacements occupés par les souvenirs et l'on arrive faci-
lement à en rappeler un ou plusieurs isolément, sans être as-
treint à en suivre toute la série dans l'ordre de leur inscrip-
tion dans la mémoire, pour aboutir à celui qu'on désire trouver.

Malgré la brièveté de notre exposé, nous ne pouvons pas-


ser sous silence la mnémotechnique symbolique, bien qu'elle
ne présente guère qu'un intérêt historique, car elle fut sur-
tout utilisée par Cicéron, lequel a paru la confondre avec la
mnémotechnique topologique, bien qu'elle en soit très diffé-
rente. L'une accroche les idées à des lieux déterminés, l'au-
tre considère un ensemble d'idées se rapportant à un fait,
dont les détails sont représentés par les différents constituants
du symbole.
Soit, par exemple, à faire le récit d'une action d'éclat
accomplie par un homme -dans des conditions périlleuses.
L'on peut imaginer un tableau symbolisant toutes les cir-
constances du récit : un homme placé dans une pose éner-
gique, à ses pieds des objets disposés dans un ordre et en
nombre convenables et dont le caractère permet un rappro-
chement avec chacune des circonstances de l'acte héroïque.
En suivant en pensée tous les points du tableau, visage de
l'homme, geste, série d'objets, toutes les circonstances se pré-
sentent à l'esprit et il suffit de donner successivement à cha-
cune d'elles le développement lui convenant. L'on a ainsi un
procédé permettant toutes les fantaisies de l'imagination et
dont l'efficacité pour fixer les idées dans la mémoire est d'au-
tant plus grande, que les images créées pour former des
symboles sont celles qu'on retient le plus facilement.
Il convient cependant de ne pas accorder à la mnémo-
technique symbolique plus de crédit qu'elle n'en mérite. L'ima-
gination entrant seule en jeu pour la formation des symboles,
l'on risque fort, suivant les tendances des individus, de voir
donner naissance à des images trop complexes, ridicules ou
sans liens logiques avec les souvenirs à évoquer et par consé-
quent plus capables de gêner le fonctionnement de la mémoire
que de le faciliter.
De nos jours les méthodes mnémoniques semblent moins
en faveur et il reste très peu de chose de leur vogue d'autre-
fois. Les études ont pris une telle ampleur, qu'on n'a plus
guère de temps à consacrer à l'étude de la mnémotechnie.
De plus en plus on se montre partisan de l'éducation directe
et l'on préfère obtenir l'assimilation des matières par un tra-
vail soutenu, mettant réellement en jeu l'intelligence, que par
des moyens artificiels pour graver les notions acquises dans
la mémoire. Et puis, pour obtenir son renforcement rapide,
pour augmenter dans des proportions considérables son effi-
cacité, on peut lui appliquer un traitement psychique extrê-
mement simple, dont nous reparlerons dans un prochain
chapitre.
Mais si l'on dédaigne maintenant les méthodes mnémo-
techniques complexes d'autrefois, et non sans raisons plau-
sibles, l'ont peut toujours employer certains petits moyens
mnémoniques, pour retenir des choses sur lesquelles le rai-
sonnement n'a pas à s'excercer, ou bien nécessitant une cer-
taine rapidité de solution, sans recourir à un raisonnement
dont la lenteur est incompatible avec la rapidité désirée. Ce
n'est pas là, à proprement parler, de la mnémonique savante
et l'emploi combiné de petits trucs plus ou moins ingénieux,
avec les règles de l'étude dont nous ferons l'examen plus
loin, est tout à fait propre à faciliter le fonctionnement de la
mémoire.
L'étude directe des matières a donné lieu à des méthodes
diverses dont les principes ne sont pas toujours en concor-
dance. Le professeur Pick de Londres et le professeur Van
Bervliet de Gand, se montrent partisans de la méthode di-
recte, tout en utilisant à l'occasion, les moyens proposés dans
divers systèmes mnémoniques. C'est, en somme, la mise en
pratique d'un principe utilitaire assez sage, consistant à pren-
dre partout ce qui est bon. Par contre, d'autres auteurs sont
nettement opposés aux moyens artificiels, dont le plus grave
défaut, disent-ils, est d'amener la confusion des idées, par
la multiplicité des combinaisons qu'ils offrent, tout en dimi-
nuant l'exercice de l'intelligence. Nous pensons qu'il est im-
prudent de rejeter systématiquement tous moyens mnémoni-
ques, comme de les employer exclusivement.
Dans l'acquisition du savoir, il convient de laisser à l'in-
telligence son libre exercice, permettant au raisonnement de
jouer dans la plus large mesure, mais l'utilisation judicieuse
des petits moyens mnémoniques ne peut avoir qu'une influence
heureuse sur cette acquisition. Ces petits moyens qu'on peut
imaginer en étudiant, au gré des circonstances, et nous en
verrons quelques-uns au cours de nos démonstrations, sont
indépendants des méthodes compliquées dont nous avons
parlé ; leur emploi constitue plutôt une méthode de travail
particulière, consistant à mettre à profit, de temps en temps,
la propriété de la mémoire de retenir plus fidèlement les no-
tions concrètes formant une suite d'idées, que les signes, nom-
bres ou formules isolés ou abstraits.
L'historique sommaire des procédés et méthodes créés en
vue de faire l'éducation de la mémoire, ou tout au moins d'en
favoriser l'action, et faisant l'objet du présent chapitre, dé-
montre qu'à toutes les époques, les hommes ont souffert de
l'insuffisance de leur faculté de retenir, de l'inconstance de
leurs souvenirs et de l'inégalité des réminiscences, ramenant
parfois, des choses qu'on voudrait oublier ou laissant dans
l'oubli des choses dont on voudrait se souvenir. La mémoire
est féconde ou décevante, suivant la nature des matières étu-
diées, c'est encore là une cause de préoccupation chez beau-
coup d'individus se sentant inaptes à certains genres d'études,
alors qu'ils en poursuivent d'autres avec facilité.
L'excès de mémoire semble également nuisible, en ce qu'il
égare l'esprit dans un fatras de notions accumulées sans clas-
sement possible et détermine, par suite, la paralysie de la
pensée. Il semble d'abord, qu'une puissance excessive de la
mémoire soit un avantage, en présence des découvertes inces-
santes de l'esprit humain dans toutes les branches du savoir,
mais ce n'est là qu'une apparence, car une grande mémoire
est non seulement propre à retenir toutes les productions du
présent, mais aussi toutes les productions du passé et la
connaissance trop étendue et profonde de ce passé, enchaîne
l'esprit et le rend impropre à saisir avec netteté le présent.
Il en est d'ailleurs, des sociétés comme de l'individu, elles
succombent parfois sous le poids des traditions, dont elles
sont incapables de se dégager, pour se mettre au niveau de
la civilisation actuelle.
Il faut, certes, connaître le passé, mais dans la mesure
où il est propre à combler les besoins du présent, c'est-à-dire
qu'il faut élaguer l'arbre de la Science en simplifiant, et les
branches inutiles viennent surtout du passé. La conservation
intégrale de toutes les connaissances, recueillies et accumulées
au cours de leur formation, est une œuvre étrangère à l'ac-
tivité intellectuelle de l'individu, c'est l'œuvre des livres, des
mémoires, des musées, où le chercheur peut se livrer à toutes
les explorations qu'il estime nécessaires et portant sur des
points particuliers. Mais la documentation personnelle de
l'homme doit faire l'objet d'un travail de sélection perma-
nent, présidant à toutes les acquisitions de la mémoire, car
la somme des connaissances indispensables à l'exercice d'une
spécialité industrielle, scientifique ou littéraire, a une telle im-
portance à l'époque actuelle, qu'il est bien inutile d'accumuler
des connaissances dont l'intérêt s'avère comme douteux.
CHAPITRE II

DEFINITION ET NATURE DE LA MEMOIRE

Il est à la fois facile et difficile de donner une définition


exacte et parfaite de la mémoire. Facile, si l'on se place au
point de vue physiologique, en la considérant comme une fonc-
tion organique, ou une propriété de la matière organisée,
dont sont formées les parties de l'être où elle a son siège
et dont le rôle est de conserver dans le cerveau les notions
et les souvenirs. Mais c'est là une définition vague, n'étant
pas de nature à dissiper l'obscurité d'un phénomène sur l'in-
timité duquel on ne sait à peu près rien. Difficile en la consi-
dérant comme une fonction mentale ; les mots sont alors im-
puissants pour exprimer la diversité des actes et des faits
de mémoire, non seulement à cause de leur caractère abstrait
et obscur, mais aussi en raison de leur multiplicité. Il faut
donc se contenter des définitions diverses, vraies en elles-
mêmes, mais ne s'appliquant qu'à des cas particuliers de la
fonction mémoire, sans éclairer le fond de la question.
Comme on le dit souvent, la mémoire est le tableau du
passé, c'est là une constatation et non une définition ; la
mémoire est aussi une perception du passé, car elle permet
de suivre l'accomplissement d'un fait en conservant la notion
du déjà accompli et que l'on soude à ce qui s'accomplit dans
le présent ; c'est ainsi qu'on peut suivre et comprendre un air
de musique, parce qu'on conserve le souvenir de la partie
exécutée, pour la lier à la partie qu'on exécute. Il en est des
impressions visuelles comme des impressions auditives et l'on
comprend les scènes se déroulant sur un écran cinématogra-
phique, parce qu'à chaque instant se forme le souvenir de
ce qu'on vient de voir.
Le mot mémoire possède des significations nombreuses,
dont le sens n'apparaît pas toujours avec netteté, car elles
expriment des faits n'ayant souvent, aucun lien apparent.
C'est encore dans le langage populaire qu'on trouve une défi-
nition relativement exacte de la mémoire, car le sens dans
lequel y est pris la faculté de « se souvenir des choses pas-
sées », est bien celui répondant le mieux à l'idée qu'on se
fait, en général, de la mémoire ; mais l'on y différencie les
faits faisant partie du moi, touchant en propre la personna-
lité, de ceux relatifs aux acquisitions de l'esprit et ayant une
origine extérieure. C'est là une nuance parfaitement justifiée
du mot mémoire.
L'on ne saurait, d'ailleurs, trouver une définition précise
de la mémoire chez les philosophes et les psychologues, car
pour eux il y a mémoire dans une foule de faits et de cas,
dont la complexité échappe au bon sens du vulgaire. L'un
d'eux ne dit-il pas : « qu'il y a mémoire partout. » (1)
Certains auteurs ont cru voir, comme Van Bervliet, des
phénomènes de mémoire dans les déformations subies par la
matière, en disant qu'elle conserve dans la trace des efforts
faits pour la déformer, le souvenir de ces efforts. Une pièce
de métal sous le choc du marteau, conserve l'empreinte des
coups reçus. Est-ce là un effet de mémoire du métal ? On
peut en douter et il semble évident qu'il n'y a rien de com-
mun entre l'évocation d'un souvenir apparaissant volontai-
rement ou involontairement sur le plan de la conscience et
l'empreinte laissée par le marteau sur le métal et qu'il est
excessif de classer deux faits aussi dissemblables et différents
dans leur essence, comme deux cas particuliers du phénomène
de mémoire : cela constitue une grossière erreur d'apprécia-
tion.
Deux définitions classiques et banales présentent la mé-
moire comme étant la faculté de conserver les idées antérieu-
rement acquises ou la faculté de réapparition à l'esprit des
phénomènes de conscience. Or, dans les analogies physiques,

(1) F . PAULHAN. — L a f o n c t i o n d e l a m é m o i r e , p a g e 156.

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