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DE JACQUES LACAN
TEXTE ÉTABLI PAR
JACQUES-ALAIN MILLER
ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VIe
ISBN 2-02-006027-2 (éd. complète)
ISBN 978-2-02-006026-4 (livre 3)
© É D I T I O N S D U SEUIL, 1981
www.seuil.com
LIVRE III
LES PSYCHOSES
1955-1956
La révision d u texte d u Séminaire fait l ' o b j e t d ' u n travail p e r m a n e n t .
Les lecteurs désireux d e c o m m u n i q u e r r e m a r q u e s et s u g g e s t i o n s é c r i r o n t
à J a c q u e s - A l a i n Miller a u x É d i t i o n s d u Seuil.
INTRODUCTION À LA QUESTION
DES PSYCHOSES
Schizophrénie et paranoïa.
M. de Clérambault.
Les mirages de la compréhension.
De la Verneinung à la Verwerfung.
Psychose et psychanalyse.
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
claque ? Si on lui disait que c'était une claque, il pleurait, ça faisait partie
des conventions, de la règle du m o m e n t , et si c'était une caresse, il était
enchanté. Ça n'épuise d'ailleurs pas la question. Q u a n d on reçoit une
gifle, il y a bien d'autres façons d ' y répondre que de pleurer, on peut la
rendre, et aussi tendre l'autre joue, on peut aussi dire — Frappe, mais
écoute. U n e très grande variété de séquences se présente, qui sont
négligées dans la notion de relation de compréhension telle que
l'explicite M . Jaspers.
Vous pouvez d'ici la prochaine fois vous reporter à son chapitre
intitulé la Notion de relation de compréhension. Les incohérences apparais-
sent vite — c'est là l'utilité d ' u n discours soutenu.
La compréhension n'est évoquée que c o m m e une relation toujours à
la limite. Dès q u ' o n s'en approche, elle est à p r o p r e m e n t parler
insaisissable. Les exemples que Jaspers tient pour les plus manifestes —
ses points de repère, avec lesquels il confond très vite et de façon
obligée, la notion elle-même — sont des références idéales. Mais ce qui
est saisissant, c'est qu'il ne peut éviter, dans son propre texte, et malgré
tout l'art qu'il peut mettre à soutenir ce mirage, d'en donner des
exemples qui ont toujours été précisément réfutés par les faits. Par
exemple, le suicide témoignant d ' u n penchant vers le déclin, vers la
m o r t , il semble que tout un chacun pourrait dire — mais u n i q u e m e n t si
on va le chercher p o u r le lui faire dire — qu'il se produit plus facilement
au déclin de la nature, c'est-à-dire en automne. O r , on sait depuis
l o n g t e m p s q u ' o n se suicide beaucoup plus au printemps. Cela n'est ni
plus ni m o i n s compréhensible. Se surprendre de ce que les suicides
soient plus n o m b r e u x au printemps qu'en automne, ne peut reposer
que sur ce mirage inconsistant qui s'appelle la relation de c o m p r é h e n -
sion, c o m m e s'il y avait quoi que ce soit qui, dans cet ordre, pût jamais
être saisi.
O n en arrive ainsi à concevoir que la psychogenèse s'identifie avec la
réintroduction, dans le rapport à l'objet psychiatrique, de cette fameuse
relation. Il est très difficile, à vrai dire, de le concevoir, parce que c'est
littéralement inconcevable, mais c o m m e toutes les choses qui ne sont
pas serrées de près, prises dans u n véritable concept, cela reste une
supposition latente, et celle-ci est latente à tout le changement de
couleur de la psychiatrie depuis une trentaine d'années. E h bien, si la
psychogenèse, c'est cela, j e dis — parce que je pense que la plupart
d'entre vous sont capables dès maintenant de le saisir, après deux ans
d'enseignement sur le symbolique, l'imaginaire, et le réel, et j e le dis
aussi p o u r ceux qui n ' y seraient pas encore — le grand secret de la
psychanalyse, c'est qu'il n'y a pas de psychogenèse. Si la psychogenèse
est cela, c'est j u s t e m e n t ce dont la psychanalyse est la plus éloignée, par
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
tout son mouvement, par toute son inspiration, par tout son ressort,
par tout ce qu'elle a apporté, par tout ce vers quoi elle nous conduit, par
tout ce en quoi elle doit nous maintenir.
U n e autre manière d'exprimer les choses, et qui va beaucoup plus
loin, c'est de dire que le psychologique, si nous essayons de le serrer au
plus près, c'est l'éthologique, l'ensemble des comportements de l'indi-
vidu, biologiquement parlant, dans ses relations avec son entourage
naturel. Voilà une définition légitime de la psychologie. C'est là un
ordre de relations de fait, une chose objectivable, un champ très
suffisamment limité. Mais pour constituer un objet de science, il faut
aller un petit peu plus loin. De la psychologie humaine, il faut dire ce
que disait Voltaire de l'histoire naturelle, à savoir qu'elle n'est pas si
naturelle que cela, et pour tout dire, qu'elle est tout ce qu'il y a de plus
antinaturelle. T o u t ce qui, dans le comportement humain, est de l'ordre
psychologique est soumis à des anomalies si profondes, présente à tout
instant des paradoxes si évidents, que le problème se pose de savoir ce
qu'il y faut introduire pour que la chatte y retrouve ses petits.
Si on oublie le relief, le ressort essentiel de la psychanalyse, on en
revient — ce qui est naturellement le penchant constant, quotidienne-
ment constaté, des psychanalystes — à toutes sortes de mythes formés
depuis un temps qui reste à définir, et qui se situe à peu près à la fin du
c
XVIII siècle. M y t h e de l'unité de la personnalité, mythe de la synthèse,
m y t h e des fonctions supérieures et inférieures, confusion à propos de
l'automatisme, tous ces types d'organisation du champ objectif m o n -
trent à tout instant le craquement, l'écartèlement, la déchirure, la
négation des faits, la méconnaissance de l'expérience la plus i m m é -
diate.
Cela dit, qu'on ne s'y trompe pas — je ne suis pas ici en train de
donner dans le mythe de cette expérience immédiate qui est le fond de
ce q u ' o n appelle la psychologie, voire la psychanalyse existentielle.
L'expérience immédiate n'a pas plus de privilège à nous arrêter, nous
captiver, que dans n'importe quelle autre science. Elle n'est nullement
la mesure de l'élaboration à quoi nous devons arriver en fin de compte.
L'enseignement freudien, en cela tout à fait conforme à ce qui se produit
dans le reste du domaine scientifique — si différent que nous devions le
concevoir du mythe qui est le nôtre — fait intervenir des ressorts qui
sont au-delà de l'expérience immédiate, et ne peuvent nullement être
saisis d'une façon sensible. Là comme en physique, ce n'est pas la
couleur que nous retenons, dans son caractère senti et différencié par
l'expérience directe, c'est quelque chose qui est derrière, et qui la
conditionne.
L'expérience freudienne n'est nullement pré-conceptuelle. Ce n'est
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
pas une expérience pure. C'est une expérience bel et bien structurée par
quelque chose d'artificiel qui est la relation analytique, telle qu'elle est
constituée par l'aveu que le sujet vient faire au médecin, et par ce que le
médecin en fait. C'est à partir de ce m o d e opératoire premier que tout
s'élabore.
A travers ce rappel, vous devez avoir déjà reconnu les trois ordres
dont j e vous rabâche combien ils sont nécessaires à c o m p r e n d r e quoi
que ce soit de l'expérience analytique — c'est à savoir, le symbolique,
l'imaginaire et le réel.
Le symbolique, vous l'avez vu apparaître tout à l'heure au m o m e n t
où j'ai fait allusion, et par deux abords différents, à ce qui est au-delà de
toute compréhension, à l'intérieur de quoi toute compréhension
s'insère, et qui exerce une influence si manifestement perturbante sur les
rapports humains et interhumains.
L'imaginaire, vous l'avez vu aussi pointer par la référence que j'ai
faite à l'éthologie animale, c'est-à-dire à ces formes captivantes, ou
captatrices, qui constituent les rails par quoi le c o m p o r t e m e n t animal
est conduit vers ses buts naturels. M . Piéron, qui n'est pas pour nous en
odeur de sainteté, a intitulé un de ses livres, la Sensation, guide de vie.
C'est un très beau titre, mais je ne sais pas s'il s'applique autant à la
sensation qu'il le dit, et le contenu du livre ne le confirme certainement
pas. C e qui est exact dans cette perspective, c'est que l'imaginaire est
assurément guide de vie p o u r tout le champ animal. Si l'image j o u e
également un rôle capital dans le c h a m p qui est le nôtre, ce rôle est tout
entier repris, repétri, réanimé par l'ordre symbolique. L'image est
toujours plus ou moins intégrée à cet ordre qui, j e vous le rappelle, se
définit chez l ' h o m m e par son caractère de structure organisée.
Quelle différence y a-t-il entre ce qui est de l'ordre imaginaire ou réel
et ce qui est de l'ordre symbolique ? Dans l'ordre imaginaire, ou réel,
nous avons toujours du plus et du moins, un seuil, une marge, une
continuité. Dans l'ordre symbolique, tout élément vaut c o m m e opposé
à u n autre.
Prenons un exemple dans le domaine où nous c o m m e n ç o n s à nous
introduire.
L'un de nos psychotiques nous raconte dans quel m o n d e étrange il est
entré depuis quelque temps. T o u t p o u r lui est devenu signe. N o n
seulement il est épié, observé, surveillé, on parle, on dit, on indique, on
le regarde, on cligne de l'œil, mais cela envahit — vous allez voir tout de
suite l'ambiguïté s'établir — le champ des objets réels inanimés, non
humains. Regardons-y d'un peu plus près. S'il rencontre dans la rue une
auto r o u g e — une auto, ce n'est pas un objet naturel — ce n'est pas p o u r
rien, dira-t-il, qu'elle est passée à ce moment-là.
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
16 NOVEMBRE 1 9 5 5 .
es II
e-
de LA S I G N I F I C A T I O N D U D É L I R E
ste
le
ie
à
n
Critique de Kraepelin.
u L'inertie dialectique.
Séglas et l'hallucination psychomotrice.
Le président Schreber.
i.
n
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
Ces rappels ne sont pas inutiles, à voir les paradoxes implicites dans
les prémisses des théoriciens. O n peut dire que j u s q u ' à Freud, on
ramenait la folie à un certain n o m b r e de modes de c o m p o r t e m e n t , de
patterns, cependant que d'autres pensaient j u g e r ainsi le c o m p o r t e m e n t
de tout le m o n d e . En fin de compte, la différence, pattern pour pattern,
ne saute pas aux yeux. L'accent n'a jamais été complètement mis, qui
permettrait de se faire une image de ce qu'est une conduite normale,
voire compréhensible, et d'en distinguer la conduite p r o p r e m e n t
paranoïaque.
Restons là au niveau des définitions. Le découpage de la paranoïa était
incontestablement beaucoup plus vaste pendant tout le xix e siècle qu'il
ne l'a été à partir de la fin du siècle dernier, c'est-à-dire vers 1899, à
l'époque de la 4 e ou 5 e édition du Kraepelin. Kraepelin était resté très
l o n g t e m p s attaché à la notion vague qu'en gros, l ' h o m m e qui a la
pratique sait, par une espèce de sens, reconnaître l'indice naturel. Le
véritable don médical est de voir l'indice qui découpe bien la réalité.
C'est en 1899 seulement qu'il introduit une subdivision plus réduite. Il
ramène les anciennes paranoïas dans le cadre de la démence précoce, en
créant le secteur paranoïde, et il émet alors une définition assez
ii • Pressante de la paranoïa, qui la distingue des autres modes de délires
paranoïaques avec lesquels elle était jusqu'alors confondue.
La paranoïa se distingue des autres parce qu'elle se caractérise par le
développement insidieux de causes internes, et, selon une évolution continue,
d'un système délirant, durable et impossible à ébranler, et qui s'installe avec une
conservation complète de la clarté et de l'ordre dans la pensée, le vouloir et
l'action.
Cette définition due à la plume d'un clinicien éminent a ceci de
remarquable, qu'elle contredit point par point toutes les données de la
clinique. Rien là-dedans n'est vrai.
Le développement n'est pas insidieux, il y a toujours des poussées,
des phases. Il m e semble, mais j e n'en suis pas absolument sûr, que c'est
m o i qui ai introduit la notion de m o m e n t fécond. C e m o m e n t fécond
est t o u j o u r s sensible au début d'une paranoïa. Il y a toujours une
r u p t u r e dans ce que Kraepelin appelle plus loin l'évolution continue
d ' u n délire sous la dépendance de causes internes. Il est absolument
manifeste q u ' o n ne peut pas limiter l'évolution d'une paranoïa aux
causes internes. Il suffit pour s'en convaincre de passer au chapitre
Etiologie de son manuel, et de lire les auteurs contemporains, Sérieux et
Capgras, dont le travail date de cinq années plus tard. Q u a n d on
cherche les causes déclenchantes d'une paranoïa, on fait toujours état,
avec le point d'interrogation nécessaire, d ' u n élément émotionnel dans
la vie du sujet, d'une crise vitale qui se rapporte bel et bien à ses relations
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LA SIGNIFICATION DU DÉLIRE
n
s externes, et il serait bien étonnant q u ' o n n ' y soit pas conduit s'agissant
>n d'un délire qui se caractérise essentiellement c o m m e un délire de
ie relations — terme qui n'est pas de Kretschmer, mais de Wernicke.
^t Je lis — évolution continue d'un système délirant durable et impossible à
n
, ébranler. Rien de plus faux — le système délirant varie, q u ' o n l'ait
ni ébranlé ou pas. A vrai dire, la question m e paraît secondaire. Cette
variation tient à l'interpsychologie, aux interventions de l'extérieur, au
it maintien ou à la perturbation d ' u n certain ordre dans le m o n d e autour
du malade. Il est bien loin de ne pas en tenir compte, et il cherche, au
't cours de l'évolution de son délire, à faire entrer ces éléments en
il composition avec son délire.
à Qui s'instaure avec une conservation complète de la clarté et de l'ordre dans la
s pensée, le vouloir et l'action. Bien sûr. Mais il s'agit de savoir ce que sont
a clarté et ordre. Si quelque chose qui mérite ces n o m s peut être retrouvé
e dans l'exposé que le sujet fait de son délire, encore faut-il préciser ce
qu'on entend par là, et cette interrogation est de nature à mettre en
1 cause les notions dont il s'agit. Q u a n t à la pensée, le vouloir et l'action,
i nous s o m m e s plutôt là pour essayer de les définir en fonction d ' u n
certain n o m b r e de c o m p o r t e m e n t s concrets, au n o m b r e desquels celui
> de la folie, que p o u r en partir c o m m e de notions acquises. La
psychologie académique nous paraît devoir être remise sur le métier
avant de pouvoir délivrer des concepts assez rigoureux pour être
échangés, au moins au niveau de notre expérience.
A quoi tient l'ambiguïté de ce qui s'est fait autour de la notion de
paranoïa ? A bien des choses, et peut-être à une insuffisante subdivision
clinique. Je pense que les psychiatres qui sont parmi vous o n t
suffisamment connaissance des différents types cliniques, pour savoir
par exemple q u ' u n délire d'interprétation n'est pas du tout la m ê m e
chose q u ' u n délire de revendication. Il y a lieu également de distinguer
entre les psychoses paranoïaques et les psychoses passionnelles, diffé-
rence admirablement mise en valeur par les travaux de m o n maître
Clérambault, dont j'ai c o m m e n c é la dernière fois de vous indiquer la
fonction, le rôle, la personnalité et la doctrine. C'est précisément dans
l'ordre des distinctions psychologiques que son œuvre prend la portée
la plus grande. Est-ce à dire qu'il faille éparpiller les types cliniques,
aller à une certaine pulvérulence ? Je ne le pense pas. Le problème qui se
pose à nous porte sur le cadre de la paranoïa dans son ensemble.
U n siècle de clinique n'a fait que déraper à tout instant autour du
problème. C h a q u e fois que la psychiatrie s'est un peu avancée,
approfondie, elle a aussitôt perdu le terrain conquis par la façon m ê m e
de conceptualiser ce qui était immédiatement sensible dans les observa-
tions. Nulle part n'est plus manifeste la contradiction qu'il y a entre
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
Après une courte maladie, entre 1884 et 1885, maladie mentale ayant
consisté en un délire hypocondriaque, Schreber qui occupait alors une
place assez importante dans la magistrature allemande, sort de la
maison de santé du professeur Flechsig, guéri, semble-t-il de façon
complète, sans séquelle apparente.
Il mène pendant une huitaine d'années, une vie qui paraît normale, et
il fait lui-même remarquer que son bonheur domestique n'est assombri
que par le regret de n'avoir pas d'enfant. Au bout de ces huit années, il
est n o m m é Président de la Cour d'appel dans la ville de Leipzig. Ayant
reçu avant la période des vacances l'annonce de cette très importante
promotion, il prend ses fonctions en octobre. Il est, semble-t-il, comme
il arrive très souvent dans beaucoup de crises mentales, un peu dépassé
par ses fonctions. Il est jeune, cinquante et un ans, pour présider une
cour d'appel de cette importance, et cette promotion l'affole un peu. Il
se trouve au milieu de gens beaucoup plus expérimentés, plus rompus
au maniement d'affaires délicates, et durant un mois il se surmène,
c o m m e il s'exprime lui-même, et recommence à avoir des troubles —
insomnie, mentisme, apparition dans sa pensée de thèmes de plus en
plus perturbants qui le mènent à consulter de nouveau.
Et c'est de nouveau l'internement. D'abord dans la m ê m e maison de
santé, chez le professeur Flechsig, puis, après un court séjour dans la
maison du docteur Pierson à Dresde, dans la clinique de Sonnenstein,
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LA SIGNIFICATION DU DÉLIRE
où il restera j u s q u ' e n 1901. C'est là que son délire va passer par toute
_me série de phases dont il nous donne une relation e x t r ê m e m e n t sûre,
semble-t-il, et extraordinairement composée, écrite dans les derniers
mois de cet internement. Le livre paraîtra tout de suite après sa sortie. Il
n'a donc dissimulé à personne, au m o m e n t où il revendiquait le droit de
sortir, qu'il ferait part de son expérience à l'humanité entière, dans le
dessein de l ' i n f o r m e r des révélations capitales pour tous, qu'elle
comporte.
C'est ce livre paru en 1903, que Freud prend en main en 1909. Il en
parle en vacances avec Ferenczi, et c'est en décembre 1910 qu'il rédige
un Mémoire sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa délirante.
N o u s allons tout simplement ouvrir le livre de Schreber, les Mémoires
d'un névropathe. La lettre qui précède le corps de l'ouvrage et qui est
adressée au Conseiller privé, le professeur Flechsig, m o n t r e bien le m é d i u m
r>ar lequel peut s'établir la critique par un sujet délirant des termes
auxquels il tient le plus. Cela, au moins pour ceux d'entre vous qui
n'ont pas la pratique de ces cas, a une valeur qui mérite d'être relevée.
Vous constaterez que le docteur Flechsig occupe une place centrale dans
•a construction du délire.
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LA SIGNIFICATION DU DÉLIRE
5
t
III
L'AUTRE ET LA PSYCHOSE
Homosexualité et paranoïa.
Le mot et la ritournelle.
Automatisme et endoscopie.
La connaissance paranoïaque
Grammaire de l'inconscient.
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Voilà la structure sous ses deux faces, les paroles fondatrices, et les
paroles menteuses, trompeuses en tant que telles.
N o u s avons généralisé la notion de communication. C'est tout juste
si, au point où nous en sommes, on ne va pas refaire toute la théorie de
ce qui se passe chez les êtres vivants en fonction de la communication.
Lisez u n tant soit peu M . N o r b e r t Wiener, cela mène excessivement
loin. P a r m i ses n o m b r e u x paradoxes, il introduit le m y t h e curieux de la
transmission télégraphique d'un h o m m e de Paris à N e w Y o r k par
l'envoi d'informations exhaustives sur tout ce qui constitue son
individu. Puisqu'il n ' y a pas de limites à la transmission des i n f o r m a -
tions, la re-synthèse point par point, la re-création automatique de
toute son identité réelle en un point éloigné, est pensable. Des choses
c o m m e celle-ci sont une curieuse poudre aux yeux dont chacun
s'émerveille, un mirage subjectif qui s'effondre dès q u ' o n fait r e m a r -
quer que le miracle ne serait pas plus grand de télégraphier à deux
centimètres. Et nous ne faisons rien d'autre quand nous nous déplaçons
de la m ê m e distance. Cette prodigieuse confusion m o n t r e assez que la
notion de communication doit être maniée avec prudence.
P o u r ma part, à l'intérieur de la notion de communication en tant que
généralisée, j e spécifie ce que c'est que la parole en tant que parler à
l'autre. C'est faire parler l'autre c o m m e tel.
Cet autre, nous l'écrirons, si vous le voulez bien, avec u n grand
A.
Et p o u r q u o i avec un grand A ? P o u r une raison sans doute délirante,
c o m m e chaque fois q u ' o n est forcé d'apporter des signes supplémen-
taires à ce que d o n n e le langage. Cette raison délirante est ici la suivante.
Tu es ma femme — après tout, qu'en savez-vous ? Tu es mon maître — en
fait, en êtes-vous si sûr ? C e qui fait précisément la valeur fondatrice de
ces paroles, c'est que ce qui est visé dans le message, aussi bien que ce
qui est manifeste dans la feinte, c'est que l'autre est là en tant q u ' A u t r e
absolu. Absolu, c'est-à-dire qu'il est reconnu, mais qu'il n'est pas
connu. D e m ê m e , ce qui constitue la feinte, c'est que vous ne savez pas
en fin de c o m p t e si c'est une feinte ou non. C'est essentiellement cette
inconnue dans l'altérité de l'Autre, qui caractérise le rapport de la parole
au niveau où elle est parlée à l'autre.
Je vais vous maintenir un certain temps au niveau de cette description
structurale, parce qu'il n ' y a qu'à partir de là q u ' o n peut poser les
problèmes. Est-ce là seulement ce qui distingue la parole ? Peut-être,
mais assurément elle a d'autres caractères — elle ne parle pas seulement
à l'autre, elle parle de l'autre en tant qu'objet. Et c'est bien de cela qu'il
s'agit quand un sujet vous parle de lui.
Prenez la paranoïaque de l'autre j o u r , celle qui employait le terme
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L'AUTRE ET LA PSYCHOSE
rdopiner. Lorsqu'elle vous parle, vous savez qu'elle est un sujet à ceci
qu'elle essaie de vous blouser. C'est ce que vous exprimez quand vous
dites que vous avez simplement affaire à ce que vous appelez clinique-
inent un délire partiel. C'est précisément dans la mesure où j'ai mis
1 autre j o u r une heure et demie à lui faire sortir son galopiner, où pendant
tout ce t e m p s elle m ' a tenu en échec et s'est m o n t r é e saine d'esprit,
qu'elle se tient à la limite de ce qui peut être perçu cliniquement c o m m e
un délire. C e que vous appelez, dans notre j a r g o n , la partie saine de la
personnalité, tient à ce qu'elle parle à l'autre, qu'elle est capable de se
moquer de lui. C'est à ce titre qu'elle existe c o m m e sujet.
Maintenant, il y a un autre niveau. Elle parle d'elle, et il arrive qu'elle
en parle u n petit peu plus qu'elle ne voudrait. C'est alors que nous nous
apercevons qu'elle délire. Elle parle là de ce qui est notre objet c o m m u n
— l'autre, avec un petit a. C'est toujours bien elle qui parle, mais il y a là
une autre structure, qui d'ailleurs ne se livre pas absolument. C e n'est
pas tout à fait c o m m e si elle m e parlait de n ' i m p o r t e quoi, elle m e parle
de quelque chose qui est pour elle très intéressant, brûlant, elle parle de
quelque chose où elle continue tout de m ê m e de s'engager, bref, elle
lémoigne.
Essayons de pénétrer un peu la notion du témoignage. Le témoi-
gnage est-il lui aussi, purement et simplement, c o m m u n i c a t i o n ?
Sûrement pas. Il est pourtant clair que tout ce à quoi nous accordons
une valeur en tant que communication, est de l'ordre du t é m o i -
gnage.
La c o m m u n i c a t i o n désintéressée n'est à la limite q u ' u n témoignage
raté, soit quelque chose sur quoi tout le m o n d e est d'accord. C h a c u n
sait que c'est l'idéal de la transmission de la connaissance. T o u t e la
pensée de la c o m m u n a u t é scientifique est fondée sur la possibilité d'une
communication dont le terme se tranche dans une expérience à propos
de laquelle tout le m o n d e peut être d'accord. L'instauration m ê m e de
l'expérience est fonction du témoignage.
N o u s avons ici affaire à une autre sorte d'altérité. Je ne peux
reprendre tout ce que j'ai dit autrefois sur ce que j'ai appelé la
connaissance paranoïaque, parce qu'aussi bien j'aurai à le reprendre sans
cesse à l'intérieur de m o n discours de cette année, mais j e vais vous en
donner u n e idée.
C e que j'ai désigné ainsi dans ma première communication au groupe
de l'Evolution psychiatrique, qui avait à ce m o m e n t - l à une assez r e m a r -
quable originalité, vise les affinités paranoïaques de toute connaissance
d'objet en tant que tel. T o u t e connaissance humaine prend sa source
dans la dialectique de la jalousie, qui est une manifestation primordiale
de la c o m m u n i c a t i o n . Il s'agit là d'une notion générique observable,
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3 0 NOVEMBRE 1955.
III
Freud souligne à quel point les rapports du sujet avec la réalité ne sont
:?as les m ê m e s dans la névrose et dans la psychose. E n particulier, le
caractère clinique du psychotique se distingue par ce rapport p r o f o n d é -
ment perverti avec la réalité que l'on appelle un délire. Cette grande
différence d'organisation, ou de désorganisation doit avoir, nous dit
Freud, une p r o f o n d e raison structurale. C o m m e n t articuler cette
différence ?
Q u a n d nous parlons de névrose, nous faisons j o u e r un certain rôle à
une fuite, à u n évitement, où u n conflit avec la réalité a sa part. O n
essaie de désigner par la notion de traumatisme, qui est une notion
étiologique, la fonction de la réalité dans le déclenchement de la
névrose. C'est une chose, mais autre chose est le m o m e n t de la névrose
où se produit chez le sujet une certaine rupture avec la réalité. D e quelle
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I N T R O D U C T I O N À LA Q U E S T I O N DES PSYCHOSES
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
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INTRODUCTION À LA QUESTION DES PSYCHOSES
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I N T R O D U C T I O N À LA QUESTION DES PSYCHOSES
l'ordre imaginaire, et puis il y a l'Autre dont nous parlions, qui est aussi
bien le sujet, mais qui n'est pas le reflet de ce que vous voyez en face de
vous, et pas simplement ce qui se produit en tant que vous vous voyez
vous voir.
Si ce que j e dis n'est pas vrai, Freud n'a jamais rien dit de vrai, car
l'inconscient veut dire cela.
Il y a plusieurs altérités possibles, et nous verrons c o m m e n t elles se
manifestent dans un délire complet c o m m e celui de Schreber. Il y a
d ' a b o r d le j o u r et la nuit, le soleil et la lune, ces choses qui reviennent
t o u j o u r s à la m ê m e place, et que Schreber appelle l'ordre naturel du
m o n d e . Il y a l'altérité de l'Autre qui correspond au S, c'est-à-dire le
g r a n d Autre, sujet qui n'est pas connu de nous, l'Autre qui est de la
nature du symbolique, l'Autre auquel on s'adresse au-delà de ce q u ' o n
voit. A u milieu, il y a les objets. Et puis, au niveau du S, il y a quelque
chose qui est de la dimension de l'imaginaire, le moi et le corps, morcelé
ou pas, mais plutôt morcelé.
Je vais vous laisser là pour aujourd'hui. Cette analyse de structure
amorce ce que j e vous dirai la prochaine fois.
N o u s essaierons de comprendre, à partir de ce petit tableau, ce qui se
passe chez Schreber, le délirant parvenu à l'épanouissement complet, et
en fin de compte, parfaitement adapté. Ce qui caractérise Schreber, en
effet, c'est qu'il n'a jamais cessé de débloquer à plein tuyau, mais qu'il
s'était si bien adapté que le directeur de la maison de santé disait de lui —
II est tellement gentil.
N o u s avons la chance d'avoir là un h o m m e qui nous c o m m u n i q u e
tout son système délirant, et à un m o m e n t où celui-ci est arrivé à son
plein épanouissement. Avant de nous demander c o m m e n t il y est entré,
et de faire l'histoire de la Pre-psychotic Phase, avant de prendre les choses
dans le sens de la genèse, c o m m e on le fait toujours, ce qui est la source
d'inexplicables confusions, nous allons les rendre telles qu'elles nous
sont données dans l'observation de Freud, qui n'a jamais eu que ce livre,
qui n'a jamais vu le patient.
V o u s saisirez c o m m e n t se modifient les différents éléments d'un
système construit en fonction des coordonnées du langage. Cet abord
est certes légitime, s'agissant d ' u n cas qui ne nous est donné que par un
livre, et c'est ce qui nous permettra d'en reconstituer efficacement la
d y n a m i q u e . Mais nous commencerons par sa dialectique.
7 DÉCEMBRE 1 9 5 5 .
THÉMA TIQ UE ET STRUC TU RE
DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
VII
71
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
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D ' U N DIEU QUI NE TROMPE PAS, ET D ' U N QUI TROMPE
73
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
articulation dans les névroses, aurait ici des résultats tout à fait
disproportionnés ?
Le président Schreber nous narre fort clairement les phases premières
de sa psychose. Et quand il nous donne l'attestation qu'entre la
première poussée du psychotique, phase dite n o n sans f o n d e m e n t
pré-psychotique, et l'établissement progressif de la phase psychotique,
à l'apogée de stabilisation de laquelle il a écrit son ouvrage, il a eu un
fantasme qui s'exprime par ces mots, que ce serait une belle chose que d'être
une femme subissant l'accouplement.
Cette pensée qui le surprend, il en souligne le caractère d'imagina-
tion, en m ê m e temps qu'il précise l'avoir accueillie avec indignation. Il
y a là une sorte de conflit moral. N o u s nous trouvons en présence d ' u n
p h é n o m è n e , et dont on n'emploie jamais plus le terme, si bien q u ' o n ne
sait plus classer les choses — c'est un p h é n o m è n e préconscient. Il est de
cet o r d r e préconscient que Freud fait intervenir dans la d y n a m i q u e du
rêve, et à quoi il donne tellement d'importance dans la Traumdeu-
tung.
O n a bien le sentiment que ça part du moi. L'accent mis par ce il serait
beau... a le caractère de pensée séduisante, que l'ego est loin de
méconnaître.
D a n s un passage de la Traumdeutung consacré aux rêves de châtiment,
Freud admet qu'au m ê m e niveau où interviennent dans le rêve les désirs
de l'inconscient, peut se présenter un autre mécanisme que celui qui
repose sur l'opposition conscient-inconscient — le mécanisme de forma-
tion, dit Freud, devient bien plus transparent lorsqu'on substitue à l'opposition
du conscient et de l'inconscient, celle du moi et du refoulé.
C'est écrit à un m o m e n t où la notion du moi n'est pas encore
doctrinée par Freud, mais vous voyez pourtant qu'elle est déjà présente
dans son esprit. Notons ici seulement que les rêves de châtiment ne sont pas
nécessairement liés à la persistance de rêves pénibles, ils naissent au contraire le
plus souvent, semble-t-il, lorsque ces rêves du jour sont de nature apaisante,
mais expriment des satisfactions intérieures. Toutes ces pensées interdites sont
remplacées dans ce concept manifeste du rêve par leur contraire. Le caractère
essentiel des rêves de châtiment me paraît donc être le suivant : ce qui les produit
n'est pas un désir inconscient survenu du refoulé, mais un désir de sens contraire
se réalisant contre celui-ci, désir de châtiment qui bien qu'inconscient, plus
exactement préconscient, appartient au moi.
T o u s ceux qui suivent la voie où j e vous mène peu à peu, en attirant
votre attention sur un mécanisme qui est distinct de la Verneinung et
q u ' o n voit à tout instant émerger dans le discours de Freud, retrouve-
ront là une fois de plus la nécessité de distinguer entre quelque chose qui
a été symbolisé et quelque chose qui ne l'a pas été.
74
D ' U N DIEU QUI NE TROMPE PAS, ET D ' U N QUI TROMPE
75
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
tion, et du réel, qui est le discours bel et bien tenu réellement dans sa
dimension diachronique.
Le sujet dispose de tout un matériel signifiant qui est sa langue,
maternelle ou pas, et il s'en sert pour faire passer dans le réel des
significations. C e n'est pas la m ê m e chose d'être plus ou moins captivé,
capturé dans une signification, et d'exprimer cette signification dans un
discours destiné à la c o m m u n i q u e r , à la mettre en accord avec les autres
significations diversement reçues. Dans ce terme, reçu, est le ressort de
ce qui fait du discours un discours c o m m u n , un discours c o m m u n é -
m e n t admis.
La notion de discours est fondamentale. M ê m e pour ce que nous
appelons l'objectivité, le m o n d e objectivé par la science, le discours est
essentiel, car le m o n d e de la science, q u ' o n perd toujours de vue, est
avant tout communicable, il s'incarne dans des communications
scientifiques. Auriez-vous réussi l'expérience la plus sensationnelle, si
un autre ne peut la refaire après la communication que vous en avez
faite, elle ne sert à rien. C'est à ce critère qu'on constate q u ' u n e chose
n'est pas reçue scientifiquement.
Q u a n d j e vous ai fait le tableau à trois entrées, j'ai localisé les
différentes relations dans lesquelles nous pouvons analyser le discours
du délirant. C e schéma n'est pas le schéma du m o n d e , c'est la condition
fondamentale de tout rapport. Dans le sens vertical, il y a le registre du
sujet, de la parole et de l'ordre de l'altérité c o m m e telle, de l'Autre. Le
point-pivot de la fonction de la parole est la subjectivité de l'Autre,
c'est-à-dire le fait que l'Autre est essentiellement celui qui est capable,
c o m m e le sujet, de convaincre et de mentir. Q u a n d j e vous ai dit qu'il
doit y avoir dans cet Autre le secteur des objets tout à fait réels, il est
bien entendu que cette introduction de la réalité, est toujours fonction
de la parole. P o u r que quoi que ce soit puisse se rapporter, par rapport
au sujet et à l'Autre, à quelque f o n d e m e n t dans le réel, il faut qu'il y ait
quelque part quelque chose qui ne t r o m p e pas. Le corrélat dialectique
de la structure fondamentale qui fait de la parole de sujet à sujet une
parole qui peut t r o m p e r , c'est qu'il y ait aussi quelque chose qui ne
t r o m p e pas.
Cette fonction, observez-le bien, est remplie très diversement selon
les aires culturelles dans lesquelles la fonction éternelle de la parole vient
à fonctionner. Vous auriez tort de croire que ce soient les m ê m e s
éléments, et m ê m e m e n t qualifiés, qui aient toujours rempli cette
fonction.
Prenez Aristote. T o u t ce qu'il nous dit est parfaitement c o m m u n i -
cable, et néanmoins la position de l'élément n o n t r o m p e u r est essen-
76
D ' U N DIEU QUI NE TROMPE PAS, ET D ' U N QUI TROMPE
tiellement différente chez lui et chez nous. O ù est-il chez nous, cet
élément ?
E h bien, quoi que puissent en penser les esprits qui s'en tiennent aux
apparences, ce qui est souvent le cas des esprits forts, et m ê m e les plus
positivistes d'entre vous, voire les plus affranchis de toute idée
religieuse, le seul fait que vous vivez à ce point précis de l'évolution des
pensées humaines, ne vous tient pas quitte de ce qui s'est franchement et
rigoureusement f o r m u l é dans la méditation de Descartes, de Dieu en
tant qu'il ne peut nous t r o m p e r .
Cela est tellement vrai q u ' u n personnage aussi lucide qu'Einstein
quand il s'agissait du maniement de l'ordre symbolique qui était le sien,
l'a bien rappelé — Dieu, disait-il, est malin, mais il est honnête. La notion
que le réel, si délicat qu'il soit à pénétrer, ne peut pas j o u e r au vilain avec
nous, ne nous mettra pas dedans exprès, est, encore que personne ne s'y
arrête absolument, essentiel à la constitution du m o n d e de la science.
Cela dit, j ' a d m e t s que la référence au Dieu n o n t r o m p e u r , seul
principe admis, est fondée sur les résultats obtenus de la science. N o u s
n ' a v o n s jamais rien constaté en effet qui nous m o n t r e au f o n d de la
nature u n d é m o n t r o m p e u r . Mais il n'empêche que c'est un acte de foi
qui a été nécessaire aux premiers pas de la science et de la constitution de
la science expérimentale. Il va de soi pour nous que la matière n'est pas
tricheuse, qu'elle ne fait pas exprès d'écraser nos expériences et faire
sauter nos machines. Ça arrive, mais c'est que nous nous t r o m p o n s , il
n'est pas question qu'elle nous trompe. C e pas, ce n'est pas du tout-cuit.
Il n ' y faut rien de moins que la tradition judéo-chrétienne pour qu'il
puisse être franchi d ' u n e façon aussi assurée.
Si l'émergence de la science telle que nous l'avons constituée avec la
ténacité, l'obstination et l'audace qui en caractérisent le développement,
s'est produite à l'intérieur de cette tradition, c'est bien parce qu'elle a
posé u n principe unique à la base, n o n seulement de l'univers, mais de la
loi. C e n'est pas simplement l'univers qui a été créé ex nihilo, mais aussi
la loi — c'est là que joue^tout le débat d ' u n certain rationalisme et d ' u n
certain volontarisme, qui a tourmenté, t o u r m e n t e encore les théolo-
giens. Le critère du bien et du mal relèvera-t-il de ce q u ' o n pourrait
appeler le caprice de Dieu ?
C'est la radicalité de la pensée judéo-chrétienne sur ce point qui a
permis ce pas décisif, pour lequel l'expression d'acte de foi n'est pas
déplacée, qui consiste à poser qu'il y a quelque chose qui est absolument
n o n t r o m p e u r . Q u e ce pas soit réduit à cet acte, est une chose
essentielle. Réfléchissons seulement à ce qui arriverait, du train où l'on
va maintenant, si nous nous apercevions qu'il n ' y a pas seulement un
proton, un méson, etc, mais un élément avec lequel on n'avait pas
77
THÉMATIQUE ET STRUCTURE D U PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
78
D ' U N DIEU QUI NE TROMPE PAS, ET D ' U N QUI TROMPE
Suite de la lecture.
Suite de la lecture.
N o u s verrons plus tard p o u r q u o i Schreber est parti de la notion de
Dieu. C e départ est certainement lié à son discours le plus récent, celui
dans lequel il systématise son délire pour nous le c o m m u n i q u e r . Vous
le voyez déjà saisi par ce dilemme — qui va tirer à soi le plus de rayons,
de lui ou de ce Dieu avec lequel il a cette perpétuelle relation érotique ?
Est-ce Schreber qui va gagner l ' a m o u r de Dieu j u s q u ' à mettre en
danger son existence, ou est-ce Dieu qui va posséder Schreber, et
ensuite le planter là ? Je vous esquisse le problème de façon h u m o r i s -
79
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
tique, mais cela n'a rien de drôle, puisque c'est le texte du délire d ' u n
malade.
Il y a divergence dans son expérience entre Dieu qui est pour lui
l'envers du m o n d e — et si ce n'est pas tout à fait celui dont j e vous
parlais tout à l'heure, qui est lié à une certaine conception de
l'équivalence de Dieu et de l'étendue, c'est tout de m ê m e la garantie que
l'étendue n'est pas illusoire — et d'autre part, ce Dieu avec lequel, dans
l'expérience la plus crue, il a des relations c o m m e avec un organisme
vivant, le Dieu vivant, c o m m e il s'exprime.
Si la contradiction entre ces deux termes lui apparaît, vous pensez
bien que ce n'est pas sur un plan de logique formelle. N o t r e malade n'en
est pas là, pas plus que personne d'ailleurs. Les fameuses contradictions
de la logique formelle n ' o n t aucune raison d'être plus opérantes chez lui
qu'elles ne le sont chez nous, qui faisons parfaitement coexister dans
notre esprit, en dehors des m o m e n t s où on nous p r o v o q u e à la
discussion et où nous devenons très chatouilleux sur la logique
formelle, les systèmes les plus hétérogènes, voire les plus discordants,
dans une simultanéité où cette logique semble complètement oubliée —
que chacun fasse référence à son expérience personnelle. Il n ' y a pas une
contradiction logique, il y a une contradiction vécue, vivante, sérieuse-
m e n t posée et vivement éprouvée par le sujet, entre le Dieu presque
spinozien dont il maintient l'ombre, l'esquisse imaginaire, et celui qui
entretient avec lui cette relation érotique dont il lui témoigne perpétuel-
lement.
La question, nullement métaphysique, se pose de savoir ce qu'il en
est réellement du vécu du psychosé. N o u s n'en s o m m e s pas au point
d ' y répondre, et elle n'a peut-être p o u r nous de sens à aucun m o m e n t .
N o t r e travail est de situer structuralement le discours qui témoigne des
rapports érotiques du sujet avec le Dieu vivant, qui est aussi celui qui,
par l'intermédiaire de ces rayons divins, et de toute une procession de
f o r m e s et d'émanations, lui parle, s'exprimant dans cette langue
déstructurée au point de vue de la langue c o m m u n e , mais aussi bien
restructurée sur des relations plus fondamentales, qu'il appelle la langue
fondamentale.
Suite de la lecture.
N o u s entrons là-dessus dans une émergence, saisissante par rapport à
l'ensemble du discours, des plus vieilles croyances — Dieu est le maître
du soleil et de la pluie.
80
D ' U N DIEU QUI NE TROMPE PAS, ET D ' U N QUI TROMPE
Suite de la lecture.
Suite de la lecture.
En fin de compte, Dieu n'a de rapport complet, authentique, qu'avec
des cadavres. Dieu ne c o m p r e n d rien aux êtres vivants, son o m n i p r é -
sence ne saisit les choses que de l'extérieur, jamais de l'intérieur. Voilà
des propositions qui ne semblent pas aller de soi, ni être exigées par la
cohérence du système, telle que nous pourrions la préconcevoir
nous-mêmes.
Je reviendrai la prochaine fois sur ce point, avec plus d'accent. Mais
voyez déjà que la relation psychotique, à son degré ultime de
développement, c o m p o r t e l'introduction de la dialectique f o n d a m e n -
tale de la tromperie dans une dimension, si l'on peut dire, transversale
par rapport à celle du rapport authentique. Le sujet peut parler à l'Autre
81
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
en tant qu'il est avec lui question de foi ou de feinte, mais c'est ici dans la
dimension d'un imaginaire subi, caractéristique fondamentale de l'ima-
ginaire — que se produit, comme un phénomène passif, c o m m e une
expérience vécue du sujet, cet exercice permanent de la tromperie qui
va à subvertir tout ordre quel qu'il soit, mythique ou pas, dans la pensée
elle-même. Ce qui fait que le monde, comme vous allez le voir se
développer dans le discours du sujet, se transforme dans ce que nous
appelons une fantasmagorie, mais qui est, pour lui, le plus certain de
son vécu, c'est ce jeu de tromperie qu'il entretient, non pas avec un
autre qui serait semblable à lui, mais avec cet être premier, garant m ê m e
du réel.
Schreber remarque très bien lui-même qu'il était loin d'être préparé
par ses catégories antérieures à cette expérience vivante du Dieu infini
—jusque-là, ces questions n'avaient aucune espèce d'existence pour lui,
et beaucoup mieux qu'un athée, il était un indifférent.
O n peut dire que dans ce délire, Dieu est essentiellement le terme
polaire par rapport à la mégalomanie du sujet, mais c'est en tant que
Dieu est là pris à son propre jeu. Le délire de Schreber va nous
développer en effet que Dieu, pour avoir voulu capter ses forces et faire
de lui le déchet, l'ordure, la charogne, objet de tous les exercices de
destruction qu'il a permis à son mode intermédiaire d'effectuer, est pris
à son propre jeu. Le grand danger de Dieu, c'est en fin de compte de
trop aimer Schreber, cette zone transversement transversale.
N o u s aurons à structurer la relation de ce qui garantit le réel dans
l'autre, c'est-à-dire la présence et l'existence du monde stable de Dieu,
avec le sujet Schreber en tant que réalité organique, corps morcelé.
N o u s verrons, en empruntant quelques références à la littérature
analytique, qu'une grande partie de ses fantasmes, de ses hallucinations,
de sa construction miraculeuse ou merveilleuse, est faite d'éléments où
se reconnaissent clairement toutes sortes d'équivalences corporelles.
N o u s verrons par exemple ce que l'hallucination des petits h o m m e s
représente organiquement. Mais le pivot de ces phénomènes, c'est la
loi, qui est ici tout entière dans la dimension imaginaire. Je l'appelle
transversale, parce qu'elle est diagonalement opposée à la relation de
sujet à sujet, axe de la parole dans son efficacité.
N o u s continuerons la prochaine fois cette analyse, ici seulement
amorcée.
14 DÉCEMBRE 1 9 5 5 .
APPENDICE
Je m e suis rendu c o m p t e que vous aviez eu, la dernière fois, une petite
difficulté, due à la différence de potentiel entre m o n discours et la
lecture, pourtant passionnante, des écrits du président Schreber. Cette
difficulté technique m ' a suggéré de moins m e fier, dans l'avenir, à un
c o m m e n t a i r e courant du texte. J'avais cru q u ' o n pouvait le lire d ' u n
b o u t à l'autre et cueillir au passage les éléments de structure, d'organi-
sation, sur lesquels j e veux vous faire progresser. L'expérience p r o u v e
qu'il faudra que j e m ' a r r a n g e autrement. Je ferai d'abord le choix.
Cette considération méthodique, conjuguée avec le fait que j e n'étais
pas absolument décidé à tenir le séminaire d'aujourd'hui, et que je ne le
fais qu'entraîné par ma grande affection pour vous, à quoi s'ajoute la
tradition qui veut qu'à la veille des vacances on fasse dans les
établissements d'études secondaires, ce qui est à peu près votre niveau,
une petite lecture, m ' a décidé à vous lire quelque chose de récent et
d'inédit qui est de moi, et qui restera dans la ligne de notre sujet.
Il s'agit du discours q u e j ' a i fait, ou suis censé avoir fait, à la Clinique
psychiatrique du D r H o f f , à Vienne, sur le thème suivant, Sens d'un
retour à Freud dans la psychanalyse, histoire de leur faire part du
m o u v e m e n t parisien, et du style, sinon de l'orientation générale, de
notre enseignement.
J'ai fait ce discours dans les mêmes conditions d'improvisation,
m ê m e plutôt accentuées, qu'ici. Les discours que je tiens ici, je les
prépare. Là, le sujet m'apparaissait assez général pour que je m e fie à
m o n adaptation à l'auditoire, de sorte que je vais vous c o m m u n i q u e r
une reconstitution écrite, aussi fidèle que j e l'ai pu à l'esprit d ' i m p r o v i -
sation et à la m o d u l a t i o n de ce discours. J'ai été amené à développer un
peu certains passages, et à y ajouter certaines considérations q u e j ' a i été
amené à faire dans une seconde séance plus réduite qui a eu lieu après, et
où j e m e trouvais en face du cercle limité des techniciens analystes qui
avaient assisté à la première conférence. Je leur ai parlé d'une question
technique, celle de la signification de l'interprétation en général. Ça
n'en a pas moins été p o u r eux, le sujet, au moins au premier abord, de
certains étonnements, ce qui p r o u v e qu'il y a toujours lieu d'essayer
d'établir le dialogue.
83
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
Lecture de l'article, repris dans les Ecrits, p. 401-436, sous le titre de La chose
freudienne.
2 1 DÉCEMBRE 1 9 5 5 .
VII
Certitude et réalité.
Schreber n'est pas poète.
La notion de défense.
Verdichtung, Verdràngung,
Verneinung et Verwerfung.
85
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
86
LE PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE ET SON MÉCANISME
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T H É M A T I Q U E ET S T R U C T U R E D U P H É N O M È N E P S Y C H O T I Q U E
88
LE PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE ET SON MÉCANISME
89
THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
nous apporte une œuvre si saisissante par son caractère complet, fermé,
plein, achevé.
Le m o n d e qu'il nous décrit est articulé c o n f o r m é m e n t à la conception
à laquelle il s'est élevé après le m o m e n t du s y m p t ô m e inexpliqué de la
p r o f o n d e perturbation, cruelle et douloureuse, de son existence. Selon
cette conception, qui lui donne d'ailleurs une certaine maîtrise de sa
psychose, il est le correspondant féminin de Dieu. D e ce fait, tout est
compréhensible, tout est arrangé, et j e dirais plus, tout s'arrangera pour
tout le m o n d e , puisqu'il j o u e là un rôle d'intermédiaire entre une
h u m a n i t é menacée j u s q u ' a u fin fond de son existence, et ce pouvoir
divin avec lequel il a des attaches si particulières. T o u t est arrangé dans
la Versôhnung, la réconciliation qui le situe c o m m e la f e m m e de Dieu. Sa
relation à Dieu, telle qu'il nous la c o m m u n i q u e , est riche et complexe,
et pourtant, nous ne p o u v o n s pas ne pas être frappés du fait que son
texte ne c o m p o r t e rien qui nous indique la m o i n d r e présence, la
m o i n d r e effusion, la m o i n d r e communication réelle, qui pourrait nous
d o n n e r l'idée qu'il y a vraiment là rapport de deux êtres.
Sans recourir, ce qui serait discordant à propos d'un texte c o m m e
celui-là, à la comparaison avec un grand mystique, ouvrez tout de
m ê m e , si l'épreuve vous en amuse, ouvrez à n ' i m p o r t e quelle page saint
Jean de la Croix. Lui aussi, dans l'expérience de la m o n t é e de l'âme, se
présente dans une attitude de réception et d'offrande, et il va m ê m e
j u s q u ' à parler des épousailles de l'âme avec la présence divine. O r , il n ' y
a absolument rien de c o m m u n entre l'accent qui nous est donné d ' u n
côté et de l'autre. Je dirais m ê m e qu'à propos du moindre témoignage
d ' u n e expérience religieuse authentique, vous verrez toute la différence.
Disons que le long discours par lequel Schreber nous témoigne de ce
qu'il s'est enfin résolu à admettre c o m m e la solution de sa problémati-
que, ne nous d o n n e nulle part le sentiment d'une expérience originale
dans laquelle le sujet l u i - m ê m e est inclus — c'est un témoignage, on
peut le dire, vraiment objectivé.
D e quoi s'agit-il dans ces témoignages des délirants ? N e disons pas
que le fou est quelqu'un qui se passe de la reconnaissance de l'autre. Si
Schreber écrit cet é n o r m e ouvrage, c'est bien pour que nul n'en ignore à
p r o p o s de ce qu'il a éprouvé, et m ê m e qu'à l'occasion, les savants
viennent sur son corps vérifier la présence des nerfs féminins dont il a
été progressivement pénétré, afin d'objectiver le rapport unique qui a
été le sien avec la réalité divine. Cela se propose bien c o m m e un
effort p o u r être reconnu. Puisqu'il s'agit d ' u n discours publié, u n
point d'interrogation se soulève de ce que peut bien vouloir
dire, chez ce personnage si isolé par son expérience qu'est le fou, le
besoin de reconnaissance. Le fou semble au premier abord se distinguer
90
LE PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE ET SON MÉCANISME
de ce qu'il n'a pas besoin d'être reconnu. Mais cette suffisance qu'il a de
son p r o p r e m o n d e , l'auto-compréhensibilité qui semble le caractériser,
ne va pas sans présenter quelque contradiction.
N o u s pourrions résumer la position où nous s o m m e s par rapport à
son discours quand nous en prenons connaissance, en disant que, s'il est
assurément écrivain, il n'est pas poète. Schreber ne nous introduit pas à
une dimension nouvelle de l'expérience. Il y a poésie chaque fois q u ' u n
écrit nous introduit à un m o n d e autre que le nôtre, et, nous d o n n a n t la
présence d ' u n être, d ' u n certain rapport fondamental, le fait devenir
aussi bien le nôtre. La poésie fait que nous ne p o u v o n s pas douter de
l'authenticité de l'expérience de saint Jean de la Croix, ni de celle de
Proust ou de Gérard de Nerval. La poésie est création d ' u n sujet
assumant un nouvel ordre de relation symbolique au m o n d e . Il n ' y a
rien de tout cela dans les Mémoires de Schreber.
Q u ' a l l o n s - n o u s donc dire en fin de compte du délirant ? Est-il seul ?
C e n'est pas n o n plus le sentiment que nous avons, puisqu'il est habité
par toutes sortes d'existences improbables certes, mais dont le caractère
significatif est certain, est une donnée première, et dont l'articulation
devient de plus en plus élaborée à mesure qu'avance son délire. Il est
violé, manipulé, transformé, parlé de toutes les manières, et, j e dirais,
jacassé. Vous lirez en détail ce qu'il dit de ce qu'il appelle les oiseaux du
ciel, et leur pépiement. C'est bien de cela qu'il s'agit — il est le siège de
toute une volière de phénomènes, et c'est ce fait qui lui a inspiré cette
é n o r m e c o m m u n i c a t i o n qui est la sienne, ce livre de quelque cinq cents
pages, résultat d'une longue construction qui a été pour lui la solution
de son aventure intérieure.
Le doute porte au départ, et à tel m o m e n t , sur ce à quoi renvoie la
signification, mais qu'elle renvoie à quelque chose, cela ne fait p o u r lui
aucun doute. Chez un sujet c o m m e Schreber, les choses vont si loin que
le m o n d e entier est pris dans ce délire de signification, de telle sorte
q u ' o n peut dire que, loin qu'il soit seul, il n'est à peu près rien de tout ce
qui l'entoure que d ' u n e certaine façon, il ne soit.
Par contre, tout ce qu'il fait être dans ces significations, est en quelque
sorte vide de lui-même. Il l'articule de mille façons, et spécialement par
exemple quand il r e m a r q u e que Dieu, son interlocuteur imaginaire, ne
c o m p r e n d rien à tout ce qui est à l'intérieur, à tout ce qui est des êtres
vivants, et qu'il n'a jamais affaire qu'à des ombres ou à des cadavres.
Aussi bien tout son m o n d e s'est-il transformé en une fantasmagorie
d'ombres d'hommes bâclés à la six-quatre-deux, c o m m e on l'a traduit en
français.
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d ' u n de ses collègues auquel une fois de plus il aurait fait des emprunts
de plagiaire, on se permet de lire cet ouvrage, et, s'apercevant qu'il n'y a
rien chez ce collègue qui mérite d'être considéré c o m m e une idée
originale que le sujet aurait plagiée, on le lui fait remarquer. O n
considère qu'une telle intervention fait partie de l'analyse. N o u s
sommes heureusement assez honnêtes et assez aveugles pour donner
c o m m e preuve du bien-fondé de notre interprétation, le fait que le sujet
nous apporte la fois suivante cette jolie petite histoire— en sortant de la
séance, il a été dans un restaurant, et a dégusté son plat préféré, des
cervelles fraîches.
O n est enchanté, ça a répondu. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Ça
veut dire que le sujet, lui, n'a absolument rien compris à la chose, et
qu'il ne comprend rien non plus à ce qu'il nous apporte, de sorte qu'on
ne voit pas très bien où est le progrès réalisé. Kris a appuyé sur le bon
bouton. Il ne suffit pas d'appuyer sur le bon bouton. Le sujet fait là tout
simplement un acting-out.
J'entérine l'acting-out c o m m e équivalent à un phénomène hallucina-
toire du type délirant qui se produit quand vous symbolisez prématu-
rément, quand vous abordez quelque chose dans l'ordre de la réalité et
n o n à l'intérieur du registre symbolique. Pour un analyste, aborder la
question du plagiarisme dans le registre symbolique doit être d'abord
centré sur l'idée que le plagiarisme n'existe pas. Il n'y a pas de propriété
symbolique. C'est bien la question — si le symbole est à tous, pourquoi
les choses de l'ordre du symbole ont-elles pris pour le sujet cet accent,
ce poids ?
C'est là que l'analyste doit attendre ce que le sujet lui fournira, avant
de faire entrer en jeu son interprétation. C o m m e il s'agit d'un grand
névrosé qui résiste à une tentative analytique certainement non négli-
geable — avant de venir chez Kris, il avait déjà eu une analyse — vous
avez toutes les chances pour que ce plagiarisme soit fantasmatique. Par
contre, si vous portez l'intervention sur le plan de la réalité, c'est-à-dire
si vous retournez à la psychothérapie la plus primaire, que fait le sujet ?
Il répond de la façon la plus claire, à un niveau plus profond de la réalité.
Il témoigne que quelque chose surgit de la réalité qui est obstiné,
qui s'impose à lui, et que tout ce qu'on pourra lui dire ne changera
rien au fond du problème. Vous lui démontrez qu'il n'est plus plagiaire,
il vous montre de quoi il s'agit, en vous faisant manger des cervelles
fraîches. Il renouvelle son symptôme, et sur un point qui n'a
pas plus de fondement ni d'existence que celui sur lequel il l'a montré
tout d'abord. Montre-t-il même quelque chose ? J'irai plus loin — je
dirai qu'il ne montre rien du tout, que c'est ce quelque chose qui se
montre.
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désir, mais rien ne l'y conduit. La réalité, pour autant qu'elle est
sous-tendue par le désir, est au départ hallucinée. La théorie freudienne
de la naissance du m o n d e objectai, de la réalité telle qu'elle est exprimée
à la fin de la Traumdeutung par exemple, et reprise chaque fois qu'il s'agit
d'elle essentiellement, c o m p o r t e que le sujet reste en suspension à
l'endroit de ce qui fait son objet fondamental, l'objet de sa satisfaction
essentielle.
C'est cette partie de l'œuvre, de la pensée freudienne, qui est
a b o n d a m m e n t reprise dans tous ces développements q u ' o n nous fait
actuellement sur la relation préœdipienne, et qui consiste en fin de
c o m p t e à dire que le sujet cherche toujours à satisfaire la primitive
relation maternelle. E n d'autres termes, là où Freud a introduit la
dialectique de deux principes inséparables, qui ne peuvent être pensés
l'un sans l'autre, le principe du plaisir et le principe de la réalité, o n
choisit l'un d'entre eux, le principe du plaisir, et c'est sur lui q u ' o n porte
tout l'accent, en posant qu'il d o m i n e et englobe le principe de
réalité.
Mais ce principe de réalité, on le méconnaît dans son essence. Il
e x p r i m e exactement ceci — le sujet n'a pas à trouver l'objet de son désir,
il n ' y est pas conduit par les canaux, les rails naturels d'une adaptation
instinctuelle plus ou moins préétablie, et d'ailleurs plus ou moins
achoppant, telle que nous la voyons dans le règne animal, il doit au
contraire retrouver l'objet, dont le surgissement est fondamentalement
halluciné. Bien entendu, il ne le retrouve jamais, et c'est précisément en
cela que consiste le principe de réalité. Le sujet ne retrouve jamais, écrit
Freud, q u ' u n autre objet, qui répondra d'une façon plus ou moins
satisfaisante aux besoins dont il s'agit. Il ne trouve jamais q u ' u n objet
distinct, puisqu'il doit par définition retrouver quelque chose qui est
prêté. C'est là le point essentiel autour duquel tourne l'introduction,
dans la dialectique freudienne, du principe de réalité.
C e qu'il faut concevoir, parce que ceci nous est donné par l'expé-
rience clinique, c'est qu'apparaît dans le réel autre chose que ce qui est
mis à l'épreuve et recherché par le sujet, autre chose que ce vers quoi le
sujet est conduit par l'appareil de réflexion, de maîtrise et de recherche
qu'est son moi, avec tout ce qu'il c o m p o r t e d'aliénations f o n d a m e n -
tales, autre chose, qui peut surgir, soit sous la f o r m e sporadique de cette
petite hallucination dont il est fait état à propos de l ' H o m m e aux loups,
soit, d ' u n e façon beaucoup plus extensive, c o m m e ce qui se produit
dans le cas du président Schreber.
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11 JANVIER 1 9 5 6 .
VII
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à l'objet. Vous savez quel embarras fait dans son observation, et aussi
bien dans la poursuite de la cure, l'ambiguïté qui demeure sur la
question de savoir quel est vraiment son objet d ' a m o u r . Freud a vu
finalement son erreur, et nous dit que c'est sans doute pour avoir
m é c o n n u le véritable objet d ' a m o u r de Dora qu'il a fait échouer toute
l'affaire, et que la cure s'est r o m p u e prématurément, sans permettre une
résolution suffisante de ce qui était en question. Vous savez que Freud
avait cru entrevoir chez elle un rapport conflictuel qui tenait à
l'impossiblité où elle était de se détacher de l'objet premier de son
a m o u r , son père, p o u r aller vers un objet plus normal, à savoir un autre
h o m m e . O r , l'objet p o u r Dora n'était autre que cette f e m m e que l'on
appelle, dans l'observation, M a d a m e K., et qui est précisément la
maîtresse de son père.
Partons de l'observation, j e commenterai ensuite. L'histoire, vous le
savez, est celle d ' u n menuet de quatre personnages, Dora, son père,
Monsieur K. et M a d a m e K. Monsieur K. sert en s o m m e à D o r a de moi,
p o u r autant que c'est par son intermédiaire qu'elle peut effectivement
soutenir son rapport à M a d a m e K.. Je demande q u ' o n m e suive sur ce
point et q u ' o n m e fasse confiance, puisque j'ai suffisamment écrit sur ce
cas dans une intervention à propos du transfert, pour qu'il vous soit
facile de vous y reporter.
La médiation de Monsieur K. permet seule à Dora de soutenir une
relation supportable. Si ce quart médiateur est essentiel au maintien de
la situation, ce n'est pas parce que l'objet de son affection est du m ê m e
sexe qu'elle, c'est qu'elle a avec son père les relations les plus
p r o f o n d é m e n t motivées, d'identification et de rivalité, encore accen-
tuées par le fait que la m è r e est dans le couple parental un personnage
tout à fait effacé. C'est parce que le rapport triangulaire lui serait
spécialement insoutenable que la situation s'est non seulement mainte-
nue, mais a été effectivement soutenue dans cette composition de
groupe quaternaire.
C e qui le prouve, c'est ce qui advient en effet le j o u r où Monsieur K.
p r o n o n c e cette parole fatidique — Ma femme n'est rien pour moi. T o u t se
passe à ce m o m e n t - l à c o m m e si elle lui répondait — Alors, que
pouvez-vous bien être pour moi ? Elle le gifle instantanément, alors qu'elle
avait jusque-là maintenu avec lui la relation ambiguë qui était nécessaire
p o u r préserver le groupe à quatre. D ' o ù rupture d'équilibre de la
situation.
D o r a n'est q u ' u n e petite hystérique, elle a peu de s y m p t ô m e s . V o u s
vous souvenez, j e l'espère, de l'accent que j'ai mis sur cette fameuse
aphonie qui ne se produit que dans ses m o m e n t s de tête-à-tête, de
confrontation, avec son objet d ' a m o u r , et qui est certainement liée à
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LA DISSOLUTION IMAGINAIRE
dans l'Etre et le néant, mais vous savez l'importance que lui donne Sartre
dans la psychologie de l'être humain, chez le bourgeois spécialement,
en train de se distraire sur la plage. Sartre y a vu u n p h é n o m è n e essentiel
qui n'est pas loin de confiner à une des manifestations factices de la
négativité. E h bien, j e crois que là-dessus, l'épinoche mâle n'est pas en
retard. Lui aussi fait ses petits trous, et imprègne de sa négativité à lui le
milieu extérieur. Avec ces trous on a vraiment l'impression qu'il
s'approprie u n certain c h a m p du milieu extérieur, et en effet, il n'est pas
question q u ' u n autre mâle entre dans l'aire ainsi marquée sans que se
déclenchent les réflexes de combat.
O r , les expérimentateurs, pleins de curiosité, ont essayé de savoir
j u s q u ' o ù fonctionnait ladite réaction de combat, d'abord en variant la
distance d ' a p p r o c h e du rival, puis en remplaçant ce personnage par u n
leurre. Dans l'un et l'autre cas, ils ont observé en effet que le forage de
ces trous, faits pendant la parade, et m ê m e avant, est un acte lié
essentiellement au c o m p o r t e m e n t érotique. Si l'envahisseur s'approche
à u n e certaine distance du lieu défini c o m m e le territoire, la réaction
d'attaque se produit chez le premier mâle. Si l'envahisseur est u n peu
plus loin, elle ne se produit pas. Il y a donc un point où l'épinoche sujet
se t r o u v e entre attaquer et ne pas attaquer, un point limite défini par une
certaine distance, et qu'est-ce qui apparaît alors ? Cette manifestation
érotique de la négativité, cette activité du c o m p o r t e m e n t sexuel qui
consiste à creuser des trous.
A u t r e m e n t dit, quand l'épinoche mâle ne sait pas que faire sur le plan
de sa relation avec son semblable de m ê m e sexe, quand il ne sait pas s'il
faut attaquer ou pas, il se m e t à faire quelque chose qu'il fait alors qu'il
s'agit de faire l ' a m o u r . C e déplacement, qui n'a pas m a n q u é de frapper
l'éthologiste, n'est pas du tout spécial à l'épinoche. Il est très fréquent,
chez les oiseaux, q u ' u n combat s'arrête brusquement, et q u ' u n oiseau se
mette à lisser ses plumes éperdument, c o m m e il le fait d'habitude quand
il s'agit de plaire à la femelle.
Il est curieux que K o n r a d Lorenz, bien qu'il n'ait pas participé à mes
séminaires, ait cru devoir placer en tête de son livre l'image, très jolie et
énigmatique, de l'épinoche mâle devant le miroir. Q u e fait-il ? Il baisse
le nez, il est dans une position oblique, la queue en l'air, le nez en bas,
position qu'il n'a jamais que quand il va piquer du nez dans le sable pour
y faire ses trous. E n d'autres termes, son image dans le miroir ne le
laisse pas indifférent, si elle ne l'introduit pas n o n plus à l'ensemble du
cycle de c o m p o r t e m e n t érotique, qui aurait p o u r effet de le mettre dans
cette réaction limite entre éros et agressivité qui est signalée par le
creusage du trou.
L'animal est également accessible à l'énigme d ' u n leurre. Le leurre le
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visiond'uneautre, iln'estpasmathématiquementimpossibledeconcevoir
que cela aboutirait à la concentration, au centre du manège, de toutes les
petites machines, respectivement bloquées dans un conglomérat qui n'a
d'autre limite à sa réduction que la résistance extérieure des carrosseries.
U n e collision, un écrabouillement général.
Ce n'est qu'un apologue destiné à vous montrer que l'ambiguïté, la
béance de la relation imaginaire exigent quelque chose qui maintienne
relation, fonction et distance. C'est le sens même du complexe
d'Œdipe.
Le complexe d'Œdipe veut dire que la relation imaginaire, conflic-
tuelle, incestueuse en elle-même, est vouée au conflit et à la ruine. Pour
que l'être humain puisse établir la relation la plus naturelle, celle du
mâle à la femelle, il faut qu'intervienne un tiers, qui soit l'image de
quelque chose de réussi, le modèle d'une harmonie. Ce n'est pas assez
d i r e — il y faut une loi, une chaîne, un ordre symbolique, l'intervention
de l'ordre de la parole, c'est-à-dire du père. N o n pas le père naturel,
mais de ce qui s'appelle le père. L'ordre qui empêche la collision et
l'éclatement de la situation dans l'ensemble est fondé sur l'existence de
ce n o m du père.
J'insiste — l'ordre symbolique doit être conçu c o m m e quelque chose
de superposé, et sans quoi il n'y aurait pas de vie animale possible pour
ce sujet biscornu qu'est l'homme. C'est en tous les cas ainsi que les
choses nous sont données actuellement, et tout laisse à penser qu'il en a
toujours été ainsi. Chaque fois en effet que nous trouvons un squelette,
nous l'appelons humain s'il est dans une sépulture. Quelle raison peut-il
y avoir de mettre ce débris dans une enceinte de pierre ? Il faut déjà pour
cela qu'ait été instauré tout un ordre symbolique, qui comporte que le
fait qu'un monsieur ait été Monsieur Untel dans l'ordre social nécessite
q u ' o n l'indique sur la pierre des tombes. Le fait qu'il s'est appelé Untel
dépasse en soi son existence vitale. Cela ne suppose nulle croyance à
l'immortalité de l'âme, mais simplement que son n o m n'a rien à faire
avec son existence vivante, la dépasse et se perpétue au-delà.
Si vous ne voyez pas que c'est l'originalité de Freud d'avoir mis la
chose en relief, on se demande ce que vous faites dans l'analyse. C'est
seulement à partir du m o m e n t où on a bien marqué que c'est là le
ressort essentiel, qu'un texte c o m m e celui que nous avons à lire peut
devenir intéressant.
Pour prendre dans sa phénoménologie structurale ce que nous
présente le président Schreber, vous devez d'abord avoir ce schéma
dans la tête, qui comporte que l'ordre symbolique subsiste c o m m e tel
hors du sujet, distinct de son existence, et le déterminant. O n ne s'arrête
aux choses que quand on les considère comme possibles. Autrement,
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THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
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LA DISSOLUTION IMAGINAIRE
dit-il, que des choses dont j'ai eu révélation. Et nous voyons ainsi, tout au
long de cette histoire, u n Flechsig fragmenté, un Flechsig supérieur, le
Flechsig lumineux, et une partie inférieure qui va j u s q u ' à être f r a g m e n -
tée entre quarante et soixante petites âmes.
Je vous passe beaucoup de choses pleines de relief auxquelles
j'aimerais que vous vous intéressiez assez pour que nous puissions les
suivre dans le détail. C e style, sa grande force d'affirmation, caractéris-
tique du discours délirant, ne peut pas manquer de nous frapper par sa
convergence avec la notion que l'identité imaginaire de l'autre est
p r o f o n d é m e n t en relation avec la possibilité d ' u n e fragmentation, d ' u n
morcellement. Q u e l'autre est structurellement dédoublable, démulti-
pliable, est là clairement manifesté dans le délire.
Il y a encore le télescopage de ces images entre elles. O n trouve d ' u n
côté les identités multiples d'un m ê m e personnage, de l'autre ces petites
identités énigmatiques, diversement taraudantes et nocives à l'intérieur
de lui-même, qu'il appelle par exemple les petits h o m m e s . Cette
fantasmatique a beaucoup frappé l'imagination des psychanalystes, qui
o n t cherché si c'était des enfants, ou des spermatozoïdes, ou quelque
chose d'autre. P o u r q u o i ne serait-ce pas tout simplement des petits
hommes ?
Ces identités, qui ont par rapport à sa propre identité une valeur
d'instance, pénètrent Schreber, l'habitent, le divisent lui-même. La
n o t i o n qu'il a de ces images lui suggère qu'elles s'amenuisent de plus en
plus, se résorbent, sont en quelque sorte absorbées par sa p r o p r e
résistance à lui, Schreber. Elles ne se maintiennent dans leur autonomie,
ce qui veut dire d'ailleurs qu'elles ne peuvent continuer à lui nuire,
qu'en réalisant l'opération qu'il appelle l'attachement aux terres, dont il
n'aurait pas la notion sans la langue fondamentale.
Ces terres, ce n'est pas seulement le sol, c'est aussi bien les terres
planétaires, les terres astrales. Vous y reconnaissez ce registre que, dans
m o n petit carré magique, j'appelais l'autre j o u r celui des astres. Je ne l'ai
pas inventé p o u r la circonstance, il y a bien longtemps que j e vous parle
de la fonction des astres dans la réalité humaine. C e n'est certainement
pas pour rien que, depuis toujours, et dans toutes les cultures, le n o m
d o n n é aux constellations j o u e u n rôle essentiel dans l'établissement d ' u n
certain n o m b r e de rapports symboliques fondamentaux, qui sont
d'autant plus évidents que nous nous t r o u v o n s en présence d ' u n e
culture plus primitive, c o m m e nous disons.
Tel f r a g m e n t d ' â m e s'attache donc quelque part. Cassiopée, les jrères
de Cassiopée, j o u e n t là un grand rôle. C e n'est pas du tout une idée en
l'air — c'est le n o m d'une confédération d'étudiants au temps où
Schreber faisait ses études. Le rattachement à une telle confraternité,
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LA DISSOLUTION IMAGINAIRE
du tout isolé. L'injure est très fréquente dans les relations que le
partenaire divin entretient avec Schreber, et c o m m e dans une relation
érotique où l'un refuse de s'engager d'emblée, et résiste. C'est l'autre
face, la contrepartie du m o n d e imaginaire. L'injure annihilante est un
point culminant, c'est un des pics de l'acte de la parole.
A u t o u r de ce pic, toutes les chaînes de m o n t a g n e de ce champ verbal
vous sont développées par Schreber dans une perspective magistrale.
T o u t ce que le linguiste peut imaginer c o m m e décompositions de la
fonction du langage, se rencontre dans ce que Schreber éprouve, et qu'il
différencie avec une délicatesse de touche dans les nuances qui ne laisse
rien à désirer quant à l'information.
Q u a n d il nous parle de choses qui appartiennent à la langue
fondamentale, et qui règlent les rapports qu'il a avec le seul et unique
être qui dès lors existe pour lui, il en distingue deux catégories. Il y a
d ' u n côté ce qui est echt, m o t presque intraduisible, qui veut dire
authentique, vrai, et qui lui est toujours donné sous des formes verbales
qui méritent de retenir l'attention, il y en a plusieurs espèces, et elles
sont très suggestives. Il y a d'autre part ce qui est appris par cœur,
inculqué à certains des éléments périphériques, voire déchus, de la
puissance divine, et répété avec une absence totale de sens, au seul titre
de ritournelle. A cela s'ajoute une extraordinaire variété de modes du
flux oratoire, qui nous permettent de voir isolément les différentes
dimensions dans lesquelles se développe le p h é n o m è n e de la phrase, j e
ne dis pas celui de la signification.
N o u s touchons là du doigt la fonction de la phrase en elle-même,
p o u r autant qu'elle ne porte pas forcément sa signification avec elle. Je
pense à ce p h é n o m è n e des phrases surgissant dans son a-subjectivité
c o m m e interrompues, et laissant le sens en suspens. U n e phrase coupée
dans le milieu est auditivée. Le reste est impliqué en tant que
signification. L'interruption appelle une chute, qui peut être indétermi-
née sur une vaste g a m m e , mais ne peut pas être n ' i m p o r t e laquelle. Il y a
là une mise en valeur de la chaîne symbolique dans sa dimension de
continuité.
Il y a ici, dans la relation du sujet au langage c o m m e dans le m o n d e
imaginaire, un danger, perpétuellement su, que toute cette fantasmago-
rie se réduise à une unité qui annihile, non pas son existence, mais celle
de Dieu, qui est essentiellement langage. Schreber l'écrit formellement
— les rayons doivent parler. Il faut qu'à tout instant se produisent des
p h é n o m è n e s de diversion pour que Dieu ne se résorbe pas dans
l'existence centrale du sujet. Cela ne va pas de soi, mais illustre très bien
le rapport du créateur à ce qu'il crée. En retirer la fonction et l'essence
laisse en effet paraître le néant corrélatif qui est sa doublure.
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THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
18 JANVIER 1 9 5 6 .
VIII
LA PHRASE SYMBOLIQUE
La notion de défense.
Le témoignage du patient.
Le sentiment de réalité.
Les phénomènes verbaux.
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LA PHRASE SYMBOLIQUE
entre 1896 et 1898 on le met encore la nuit dans une cellule dite de
dément, où il emporte, dans une petite boîte en fer blanc, un crayon,
des bouts de papier, et où il c o m m e n c e à composer des petites notes,
qu'il appelle ses petites études. Il y a en effet, en plus de l'ouvrage qu'il
nous a légué, une cinquantaine de petites études auxquelles il se réfère
de temps en temps, qui sont des notes qu'il a prises à ce moment-là, et
qui lui ont servi de matériaux. Il est évident que ce texte, qui n'a été en
s o m m e pas rédigé plus haut que 1898, et qui s'étale quant à sa rédaction
j u s q u ' e n 1903, époque de la libération de Schreber, puisqu'il en
c o m p r e n d la procédure, témoigne d'une façon beaucoup plus sûre,
beaucoup plus ferme, de l'état terminal de la maladie. P o u r le reste,
nous ne savons m ê m e pas quand Schreber est m o r t , mais seulement
qu'il a fait une rechute en 1907, et qu'il a été admis à nouveau dans une
maison de santé, ce qui est très important.
N o u s allons c o m m e n c e r à la date où il a écrit ses Mémoires. C e dont il
peut témoigner à partir de cette date-là est déjà très suffisamment
problématique pour nous intéresser. M ê m e si nous ne résolvons pas le
p r o b l è m e de la fonction économique de ce q u e j ' a i appelé tout à l'heure
les p h é n o m è n e s d'aliénation verbale — appelons-les provisoirement des
hallucinations verbales — ce qui nous intéresse, c'est ce qui distingue le
point de vue analytique dans l'analyse d'une psychose.
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LA PHRASE SYMBOLIQUE
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LA PHRASE SYMBOLIQUE
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LA PHRASE SYMBOLIQUE
son De natura deorum, que vous feriez bien de lire. Vous y mesurerez par
exemple combien lointains, et combien proches aussi, sont les p r o -
blèmes que les Anciens posaient sur la nature des dieux. Les superstitiosi,
c'étaient des gens qui priaient et faisaient des sacrifices toute la j o u r n é e
pour que leur descendance leur survive. La superstition, c'est l'accapa-
rement de la dévotion par des gens en vue d ' u n but qui leur paraissait
essentiel. Cela nous en apprend beaucoup sur la conception que se
taisaient les Anciens de la notion, si importante dans toute culture
primitive, de la continuité de la lignée. Cette référence pourrait aussi
nous d o n n e r peut-être la meilleure prise sur la véritable définition à
donner de la superstition, qui consiste à extraire une partie du texte d ' u n
c o m p o r t e m e n t aux dépens des autres. C'est dire son rapport avec tout
ce qui est f o r m a t i o n parcellaire, déplacement méthodique, dans le
mécanisme de la névrose.
Ce qui est important, c'est de comprendre ce q u ' o n dit. Et p o u r
c o m p r e n d r e ce q u ' o n dit, il importe d'en voir les doublures, les
résonances, les superpositions significatives. Quelles qu'elles soient, et
nous p o u v o n s admettre tous les contresens, ce n'est jamais au hasard.
Q u i médite sur l'organisme du langage doit savoir le plus possible, et
faire, tant à propos d ' u n m o t que d'une tournure, ou d'une locution, le
fichier le plus plein possible. Le langage j o u e entièrement dans
l'ambiguïté, et la plupart du temps, vous ne savez absolument rien de ce
que vous dites. Dans votre interlocution la plus courante, le langage a
une valeur p u r e m e n t fictive, vous prêtez à l'autre le sentiment que vous
êtes bien t o u j o u r s là, c'est-à-dire que vous êtes capable de donner la
réponse q u ' o n attend, et qui n'a aucun rapport avec quoi que ce soit
qu'il soit possible d ' a p p r o f o n d i r . Les neuf dixièmes des discours
effectivement tenus sont à ce titre complètement fictifs.
Cette donnée primordiale est nécessaire à qui veut pénétrer l'écono-
mie du président Schreber, et c o m p r e n d r e ce que veut dire cette part de
non-sens que l u i - m ê m e situe dans ses relations avec ses interlocuteurs
imaginaires. C'est p o u r q u o i j e vous invite à un examen plus attentif de
l'évolution des phénomènes verbaux dans l'histoire du président
Schreber, afin de pouvoir les articuler par la suite avec les déplacements
libidinaux.
2 5 JANVIER 1 9 5 6 .
VII
DU NON-SENS,
ET DE LA STRUCTURE DE DIEU
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f
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il ne faudrait pas nous laisser glisser à dire qu'elles émanent, parce que
c'est nous qui commencerions alors à faire une construction. Il faut
suivre le langage du sujet, et lui n'a pas parlé d'émanation.
Dans l'exemplaire q u e j ' a i eu entre les mains, il y avait la trace dans la
m a r g e des annotations d'une personne qui devait se croire très lettrée,
parce qu'elle avait mis telles explications en face du terme schrébérien
de procession. Cette personne avait sans doute entendu parler de
M . Plotin, mais c'est là une de ces compréhensions hâtives dont on doit
se garder. Je ne crois pas qu'il s'agisse de quelque chose c o m m e d ' u n e
procession plotinienne.
D a n s le passage que j e vous ai lu, le bruit que fait le discours, le sujet y
insiste, est si m o d é r é qu'il l'appelle un chuchotement. Mais ce discours
est là tout le temps, sans discontinuité. Le sujet peut le couvrir, c'est
ainsi qu'il s'exprime, par ses activités et ses propres paroles, mais c'est
t o u j o u r s prêt à reprendre la m ê m e sonorité.
A titre d'hypothèse de travail, c o m m e on dit de nos jours, on peut
a d m e t t r e qu'il n'est pas impossible que ce discours soit sonorisé pour le
sujet. C'est beaucoup dire, peut-être trop, mais laissons ça pour
l'instant. C e discours a en tout cas un rapport avec ce que nous
supposons être le discours continu, mémorisant pour tout sujet sa
conduite à chaque instant, et doublant en quelque sorte sa vie. N o n
seulement nous s o m m e s obligés d'admettre cette hypothèse en raison
de ce que nous avons supposé tout à l'heure être la structure et la trame
de l'inconscient, mais c'est ce que l'expérience la plus immédiate nous
p e r m e t de saisir.
Q u e l q u ' u n m ' a raconté, il n ' y a pas très longtemps, avoir eu
l'expérience suivante. Cette personne ayant été surprise par la brusque
menace d ' u n e voiture sur le point de lui passer sur le corps, et ayant eu
— tout le laisse à penser — les gestes qu'il fallait pour s'en écarter, un
t e r m e a surgi, dans sa tête si l'on peut dire, vocalisé mentalement, celui
de traumatisme crânien. O n ne peut pas dire que cette verbalisation soit
une opération qui fasse partie de la chaîne des bons réflexes pour éviter
un choc qui pourrait entraîner ledit traumatisme crânien, elle est au
contraire légèrement distante de la situation, outre qu'elle suppose chez
la personne toutes sortes de déterminations qui font pour elle du
t r a u m a t i s m e crânien quelque chose de particulièrement significatif. O n
voit là surgir ce discours latent toujours prêt à émerger, et qui intervient
sur son plan propre, sur une autre portée que la musique de la conduite
totale du sujet.
C e discours se présente au sujet Schreber, à l'étape de la maladie dont
il nous parle, avec un caractère dominant d'Unsinn. Mais cet Unsinn
n'est pas tout simple. Le sujet qui écrit et nous fait sa confidence se
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ER
1 FÉVRIER 1 9 5 6 .
XIII
D U S I G N I F I A N T D A N S LE RÉEL,
ET D U MIRACLE D U H U R L E M E N T
O n trouve que j'ai été un peu vite la dernière fois en faisant état des
considérations du président Schreber à propos de la toute-puissance et
de l'omniscience divine, et en paraissant sanctionner leur opportu-
nité.
Je faisais simplement remarquer que cet homme, pour qui l'expé-
rience de Dieu est tout entière discours, se posait des questions à propos
de ce qui se trouve au joint du symbole et du réel, c'est-à-dire de ce qui
introduit dans le réel l'opposition symbolique. Peut-être aurais-je dû
préciser qu'il était remarquable que ce fût justement ceci qui arrêtait
l'esprit du patient — que dans le registre de son expérience, il lui
paraissait difficile de saisir que Dieu puisse prévoir le numéro qui sortira
à la loterie.
Cette remarque n'exclut pas, bien entendu, les critiques qu'une telle
objection peut amener chez qui se trouve disposé à lui répondre.
Quelqu'un m'a fait remarquer par exemple que les numéros se
distinguent par des coordonnées spatiales, et qu'on ne se fonde sur rien
d'autre pour distinguer les individus quand se pose le problème du
principe d'individualisation.
Pour ma part, j'ai noté la sensibilité du sujet, dans sa partie
raisonnante à l'endroit de la différence qu'il y a entre le langage c o m m e
symbolique et son dialogue intérieur permanent — ou plus exactement
ce balancement où s'interroge et se répond à soi-même un discours qui
est ressenti par le sujet c o m m e étranger, et lui manifestant une présence.
C'est de l'expérience qu'il nous communique que s'est engendrée
chez lui une croyance en Dieu à laquelle rien ne le préparait. Il s'est agi
pour lui de percevoir quel ordre de réalité pouvait répondre de cette
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THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
présence qui couvre une partie de l'univers, et non pas tout, car la
puissance divine ne connaît rien de l'homme. Rien de son intérieur, de
son sentiment de la vie, de sa vie elle-même, n'est compréhensible à
Dieu, qui ne le recueille qu'à partir du m o m e n t où tout est transformé
dans une notation infinie.
O r , le personnage fort raisonnant qu'est Schreber, confronté à une
expérience qui a pour lui tous les caractères d'une réalité, et où il perçoit
le poids propre de la présence indiscutable d'un dieu de langage,
s'arrête, pour évoquer les limites de sa puissance, à un exemple où c'est
d'un maniement humain, artificiel, du langage qu'il s'agit. Il s'agit d'un
futur contingent, à propos duquel la question peut vraiment se poser de
la liberté humaine, et du m ê m e coup de l'imprévisibilité par Dieu.
Ce qui nous intéresse, c'est que Schreber distingue entre deux plans
pour lui fort différents de l'usage du langage. Cette distinction ne peut
prendre pour nous sa valeur que dans la perspective où nous admettons
le caractère radicalement premier de l'opposition symbolique du plus et
du moins, en tant qu'ils ne sont distingués par rien d'autre que leur
opposition, encore qu'il faille qu'ils aient un support matériel. Ils
échappent tout de m ê m e à toute autre coordonnée réelle qu'à la loi de
leur équivalence dans le hasard.
A partir du m o m e n t où nous instituons un jeu d'alternance s y m b o -
lique, nous devons en effet supposer que rien ne distingue les éléments
dans l'efficience réelle. Ce n'est pas du fait d'une loi d'expérience, mais
en raison d'une loi a priori, que nous devons avoir des chances égales de
sortir le plus et le moins. Le jeu ne sera considéré c o m m e correct que
pour autant qu'il réalisera le critère de l'égalité des chances. Sur ce plan,
nous pouvons dire qu'au moins au niveau noséologique de l'appréhen-
sion du terme, le symbolique donne ici une loi a priori, et introduit un
m o d e d'opération qui échappe à tout ce que nous pourrions faire surgir
d'une déduction des faits dans le réel.
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DU SIGNIFIANT DANS LE RÉEL
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THÉMATIQUE ET STRUCTURE D U PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
notoires. Il est aussi clair que, si la servitude n'y est pas abolie, elle y est,
si l'on peut dire, généralisée. Le rapport de ceux que l'on appelle les
exploiteurs n'est pas moins un rapport de serviteurs par rapport à
l'ensemble de l'économie, que celui du commun. Ainsi, la duplicité
maître-esclave est généralisée à l'intérieur de chaque participant de
notre société.
La servitude foncière de la conscience dans cet état malheureux est à
rapporter au discours qui a provoqué cette profonde transformation
sociale. Ce discours, nous pouvons l'appeler le message de fraternité. Il
s'agit de quelque chose de nouveau, qui n'est pas apparu dans le monde
seulement avec le christianisme, car il était déjà préparé par le stoïcisme,
par exemple. Bref, derrière la servitude généralisée, il y a un discours
secret, un message de libération, qui subsiste en quelque sorte à l'état de
refoulé.
En est-il de m ê m e avec ce que nous appellerons le discours patent de
la liberté ? Certainement pas. O n s'est aperçu il y a quelque temps d'une
discorde entre le fait pur et simple de la révolte, et l'efficacité
transformante de l'action sociale. Je dirais même que toute la révolution
moderne s'est instituée sur cette distinction, et sur la notion que le
discours de la liberté était, par définition, non seulement inefficace,
mais profondément aliéné par rapport à son but et à son objet, que tout
ce qui se lie à lui de démonstratif, est à proprement parler l'ennemi de
tout progrès dans le sens de la liberté, pour autant qu'elle peut tendre à
animer quelque mouvement continu dans la société. Il n'en reste pas
moins que ce discours de la liberté s'articule au fond de chacun c o m m e
représentant un certain droit de l'individu à l'autonomie.
U n certain champ semble indispensable à la respiration mentale de
l ' h o m m e moderne, celui où s'affirme son indépendance par rapport,
non seulement à tout maître, mais aussi bien à tout dieu, celui de son
autonomie irréductible c o m m e individu, comme existence indivi-
duelle. C'est bien là quelque chose qui mérite en tous points d'être
comparé à un discours délirant. C'en est un. Il n'est pas pour rien dans
la présence de l'individu moderne au monde, et dans ses rapports avec
ses semblables. Assurément, si je vous demandais de la formuler, de
faire la part exacte de liberté imprescriptible dans l'état actuel des
choses, et m ê m e me répondriez-vous par les droits de l'homme, ou par
le droit au bonheur, ou par mille autres choses, que nous n'irions pas
loin avant de nous apercevoir que c'est chez chacun un discours intime,
personnel, et qui est bien loin de rencontrer sur quelque point que ce
soit le discours du voisin. Bref, l'existence chez l'individu moderne
d'un discours permanent de la liberté, me paraît indiscutable.
Maintenant, comment ce discours peut-il être accordé non seulement
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D U SIGNIFIANT DANS LE RÉEL
Qu'est-ce que cela veut dire ? Si nous sommes bien persuadés que la
signification se rapporte toujours à quelque chose, qu'elle ne vaut que
rour autant qu'elle renvoie à une autre signification, il est clair que la vie
l ' u n e phrase est très profondément liée à ce fait, que le sujet est à
.'écoute, qu'il se destine cette signification. Ce qui distingue la phrase
en tant qu'elle est comprise, de la phrase en tant qu'elle ne l'est pas, ce
eu: ne l'empêche pas d'être entendue, c'est précisément ce que la
rnénoménologie du cas délirant met si bien en relief, à savoir
l'anticipation de la signification.
Il est de la nature de la signification, en tant qu'elle se dessine, de
rendre à tout instant à se fermer pour celui qui l'entend. Autrement dit,
la participation de l'auditeur du discours, à celui qui en est l'émetteur,
e-st permanente, et il y a un lien entre l'ouïr et le parler qui n'est pas
externe, au sens où on s'entend parler, mais qui se situe au niveau m ê m e
ï u phénomène du langage. C'est au niveau où le signifiant entraîne la
signification, et non pas au niveau sensoriel du phénomène, que l'ouïr
et le parler sont c o m m e l'endroit et l'envers. Écouter des paroles, y
accorder son ouïr, c'est déjà y être plus ou moins obéissant. Obéir n'est
ras autre chose, c'est aller au-devant, dans une audition.
Résumons-nous. Le sens va toujours vers quelque chose, vers une
autre signification, vers la clôture de la signification, il renvoie toujours
a quelque chose qui est en avant ou qui revient sur lui-même. Mais il y a
une direction. Est-ce à dire que nous n'ayons pas de point d'arrêt ? Je
suis sûr que ce point reste toujours incertain dans votre esprit étant
donné l'insistance que je mets à dire que la signification renvoie
toujours à la signification. Vous vous demandez si en fin de compte le
rut du discours, qui n'est pas simplement de recouvrir, ni m ê m e de
receler le monde des choses, mais d'y prendre appui de temps en temps,
ne serait pas irrémédiablement manqué.
Or, nous ne pouvons d'aucune façon considérer c o m m e son point
l'arrêt fondamental l'indication de la chose. Il y a une absolue
non-équivalence du discours avec aucune indication. Si réduit que vous
supposiez l'élément dernier du discours, jamais vous n'y pourrez
substituer l'index — se rappeler la remarque très juste de saint
Augustin. Si je désigne quelque chose par un geste du doigt, on ne saura
amais si m o n doigt désigne la couleur de l'objet, ou sa matière, ou si
c'est une tache, une fêlure, etc. Il faut le mot, le discours, pour le
discerner. Il y a une propriété originale du discours par rapport à
l'indication. Mais ce n'est pas là que nous trouvons la référence
fondamentale du discours. Nous cherchons où il s'arrête ? Eh bien, c'est
toujours au niveau de ce terme problématique qu'on appelle l'être.
le ne voudrais pas ici faire un discours trop philosophique, mais vous
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DU SIGNIFIANT DANS LE RÉEL
:ant que signifiant de langage, avec quelque chose qui sans lui ne serait
jamais n o m m é , il est sensible que moins nous l'articulons, moins nous
parlons, et plus il nous parle. Plus nous s o m m e s étrangers à ce dont il
s'agit dans cet être, plus il a tendance à se présenter à nous, accompagné
de cette f o r m u l a t i o n pacifiante qui se présente c o m m e indéterminée, à
la limite du c h a m p de notre autonomie motrice et de ce quelque chose
qui nous est dit du dehors, de ce par quoi à la limite le m o n d e nous
parle.
Qu'est-ce que veut dire cet être, ou non, de langage qu'est la paix du
soir ? Dans la mesure où nous ne l'attendons, ni ne la souhaitons, ni
m ê m e depuis l o n g t e m p s n ' y avons plus pensé, c'est essentiellement
c o m m e un signifiant qu'il se présente à nous. Aucune construction
expérimentaliste n'en peut justifier l'existence, il y a là une donnée, une
certaine façon de prendre ce m o m e n t du soir c o m m e signifiant, et nous
pouvons y être ouverts ou fermés. Et c'est j u s t e m e n t dans la mesure où
nous y étions fermés que nous le recevons, avec ce singulier p h é n o m è n e
d'écho, ou au moins son amorce, qui consiste dans l'apparition de ce
qui, à la limite de notre saisissement par le phénomène, se formulera
pour nous le plus c o m m u n é m e n t par ces mots, la paix du soir. N o u s
s o m m e s maintenant arrivés à la limite où le discours, s'il débouche sur
quelque chose au-delà de la signification, c'est sur du signifiant dans le
réel. N o u s ne saurons jamais, dans la parfaite ambiguïté où il subsiste,
ce qu'il doit au mariage avec le discours.
Vous voyez que plus ce signifiant nous surprend, c'est-à-dire en
principe nous échappe, plus déjà il se présente à nous avec une frange,
plus ou m o i n s adéquate, de p h é n o m è n e de discours. Eh bien, il s'agit
pour nous, c'est l'hypothèse de travail que j e propose, de chercher ce
qu'il y a au centre de l'expérience du président Schreber, ce qu'il sent
sans le savoir, au bord du c h a m p de son expérience, qui est frange,
emporté qu'il est dans l'écume que p r o v o q u e ce signifiant qu'il ne
perçoit pas c o m m e tel, mais qui organise à sa limite tous ces
phénomènes.
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DU REJET
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r
c'est quelque chose qui déjà implique le langage. Cela ne fait que
rejoindre cette apparition d ' u n être qui n'est nulle part, le j o u r . Le j o u r
en tant que j o u r n'est pas un phénomène, le j o u r en tant que j o u r
implique la connotation symbolique, l'alternance fondamentale du
vocal connotant la présence et l'absence, sur laquelle Freud fait pivoter
t o u t e sa n o t i o n de l'au-delà du principe du plaisir.
C'est exactement ce c h a m p d'articulation symbolique que j e vise à
présent dans m o n discours, et c'est là que se produit la Verwerjung.
Je m e réjouis q u ' u n certain n o m b r e d'entre vous se t o u r m e n t e n t sur
le sujet de cette Verwerjung. Freud après tout n'en parle pas très souvent,
et j'ai été l'attraper dans les deux ou trois coins où elle m o n t r e le bout de
l'oreille, et m ê m e quelquefois là où elle ne le m o n t r e pas, mais où la
compréhension du texte exige q u ' o n la suppose.
A propos de la Verwerjung, Freud dit que le sujet ne voulait rien savoir de
la castration, même au sens du refoulement. En effet, au sens du refoule-
ment, on sait encore quelque chose de ce dont m ê m e on ne veut, d ' u n e
certaine façon, rien savoir, et c'est toute l'analyse de nous avoir m o n t r é
q u ' o n le sait fort bien. S'il y a des choses dont le patient ne veut rien
savoir, m ê m e au sens du refoulement, cela suppose u n autre mécanis-
me. Et c o m m e le m o t Verwerfung apparaît en connexion directe avec
cette phrase et aussi quelques pages auparavant, j e m ' e n empare. Je ne
tiens pas spécialement au terme, j e tiens à ce qu'il veut dire, et je crois
que Freud a voulu dire cela.
O n m'objecte, de la façon la plus pertinente, je dois le dire, que plus
on se rapproche du texte, et moins on arrive à le comprendre. C'est bien
p o u r q u o i il faut faire vivre un texte par ce qui suit et par ce qui précède.
C'est t o u j o u r s par ce qui suit qu'il faut comprendre un texte.
C e u x qui m e font le plus d'objections m e proposent par ailleurs
d'aller chercher dans tel autre texte de Freud, quelque chose qui ne serait
pas la Verwerfung mais par exemple la Verleugnung — il est curieux de
voir ce ver proliférer dans Freud. Je ne vous ai jamais fait de leçon
p u r e m e n t sémantique sur le vocabulaire de Freud, mais je vous assure
que j e pourrais vous en servir tout de suite une bonne douzaine. Je
commencerais par vous parler des connotations bancaires de tous ces
termes, la conversion, le virement, etc., et cela nous mènerait loin,
j u s q u e dans les implications premières de cette approche directe que
Freud a eu des phénomènes de la névrose. Mais nous ne pouvons pas
n o u s éterniser sur ces m o d e s d'abord. Faites-moi u n peu confiance p o u r
ce qui est de ce travail de sens. Si j e choisis Verwerfung p o u r m e faire
comprendre, c'est le fruit d'un mûrissement, m o n travail m ' y conduit.
A u moins p o u r un temps, prenez m o n miel tel que je vous l'offre, et
tâchez d'en faire quelque chose.
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division des champs, les liens de parenté, etc. Ce que je vous raconte est
aussi un mythe, car je ne crois nullement qu'il y ait nulle part un
m o m e n t , une étape où le sujet acquiert d'abord le signifiant primitif, et
qu'après cela s'introduise le jeu des significations, et puis qu'après cela
encore, signifiant et signifié s'étant donné le bras, nous entrions dans le
domaine du discours.
Il y a pourtant là une représentation qui est si nécessaire que je suis
assez à l'aise pour la donner, pour satisfaire à vos exigences, mais aussi
parce que Freud lui-même va dans ce sens, il faut voir comment.
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D U REJET D ' U N SIGNIFIANT PRIMORDIAL
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THÉMATIQUE ET STRUCTURE DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
vous présente des cas concrets, des gens qui commencent à nager dans
la psychose ? Je vous en ai montré un qui croyait avoir reçu une invite
d'un personnage qui était devenu l'ami et le point d'attache essentiel de
son existence. Ce personnage se retire, et le voilà dans une perplexité
liée à un corrélat de certitude, qui est ce par quoi s'annonce l'abord du
champ interdit dont l'approche constitue par elle-même l'entrée dans la
psychose.
C o m m e n t y entre-t-on ? C o m m e n t le sujet est-il amené, non pas à
s'aliéner dans le petit autre, mais à devenir ce quelque chose qui, de
l'intérieur du champ où rien ne peut se dire, fait appel à tout le reste, au
champ de tout ce qui peut se dire ? N'est-ce pas quelque chose qui
évoque ce que vous voyez manifesté dans le cas du président Schreber ?
— à savoir ces phénomènes de frange au niveau de la réalité, devenue
significative pour le sujet.
15 FÉVRIER 1 9 5 6 .
DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
XII
LA QUESTION HYSTÉRIQUE
Du monde préverbal
Préconscient et inconscient
Signe, trace, signifiant
Une hystérie traumatique
181
DU SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
ensuite, il parle à vous, mais il ne parle pas de lui — quand il aura parlé
de lui, qui aura sensiblement changé dans l'intervalle, à vous, nous
serons arrivés à la fin de l'analyse.
Si on veut placer l'analyste dans ce schéma de la parole du sujet, on
peut dire qu'il est quelque part en A. Du moins, il doit y être. S'il entre
dans le couplage de la résistance, ce qu'on lui apprend justement à ne
pas faire, alors il parle depuis a', et c'est dans le sujet qu'il se verra. Cela
se produit de la façon la plus naturelle s'il n'est pas analysé — ce qui
arrive de temps en temps, et je dirai même que, d'un certain côté,
l'analyste n'est jamais complètement analyste, pour la simple raison
qu'il est h o m m e , et qu'il participe lui aussi aux mécanismes imaginaires
qui font obstacle au passage de la parole. 11 s'agit pour lui de ne pas
s'identifier au sujet, d'être assez mort pour ne pas être pris dans la
relation imaginaire, à l'intérieur de laquelle il est toujours sollicité
d'intervenir, et de permettre la progressive migration de l'image du
sujet vers le S, la chose à révéler, la chose qui n'a pas de nom, qui ne
peut trouver son n o m que pour autant que le circuit s'achèvera
directement de S vers A. Ce que le sujet avait à dire à travers son faux
discours trouvera d'autant plus facilement un passage que l'économie
de la relation imaginaire aura été progressivement amenuisée.
Je vais vite, car je ne suis pas ici aujourd'hui pour vous refaire toute la
théorie du dialogue analytique. Je veux simplement vous indiquer que
le mot — à entendre avec l'accent que cela comporte, solution d'une
énigme, fonction problématique, — se situe dans l'Autre, par l'inter-
médiaire de qui se réalise toute parole pleine, ce tu es où le sujet se situe
et se reconnaît.
Eh bien, en analysant la structure du délire de Schreber au m o m e n t
où il s'est stabilisé dans un système qui lie le moi du sujet à cet autre
imaginaire, cet étrange Dieu qui ne comprend rien, qui ne répond pas,
qui trompe le sujet, nous avons su reconnaître qu'il y a, dans la
psychose, exclusion de l'Autre où l'être se réalise dans l'aveu de la
parole.
Les phénomènes dont il s'agit dans l'hallucination verbale, manifes-
tent dans leur structure m ê m e la relation d'écho intérieur où le sujet est
par rapport à son propre discours. Ils en arrivent à devenir de plus en
plus insensés, comme s'exprime Schreber, vidés de sens, purement
verbaux, serinages, ritournelles sans objet. Qu'est-ce donc que ce
rapport spécial à la parole ? Qu'est-ce qui manque pour que le sujet
puisse en arriver à être nécesité à construire tout ce monde imaginaire ?
Pour qu'à l'intérieur de lui-même il subisse cet automatisme de la
fonction du discours ? N o n seulement le discours l'envahit et le
parasite, mais il est suspendu à sa présence.
182
LA QUESTION HYSTÉRIQUE
Il arrive aussi q u ' o n m e dise — Heureusement, vous n'êtes pas tout seul
12ns la Société de psychanalyse. Il existe aussi une femme de génie, Françoise
183
D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
Dolto, qui nous montre la fonction essentielle de l'image du corps, et nous éclaire
la façon dont le sujet y prend appui dans ses relations avec le monde. Là, nous
sommes bien contents de retrouver une relation substantielle, sur laquelle se
broche sans doute la relation du langage, mais qui est infiniment plus
concrète.
Je ne suis pas du tout en train de critiquer ce qu'enseigne Françoise
D o l t o . Elle fait un excellent usage de sa technique et de son extraordi-
naire appréhension de la sensibilité imaginaire du sujet. D e tout cela elle
parle, et elle apprend aussi à ceux qui l'écoutent, à en parler. Mais ce
n'est pas résoudre la question que de faire cette remarque.
Je ne suis pas surpris que quelque chose persiste d ' u n malentendu à
dissiper, m ê m e chez des gens qui croient m e suivre. N e pensez pas que
j ' e x p r i m e là une déception. C e serait être en désaccord avec m o i - m ê m e ,
puisque j e vous enseigne que le f o n d e m e n t m ê m e du discours interhu-
main est le malentendu.
Mais ce n'est pas seulement pour cette raison q u e j e ne suis pas surpris
que m o n discours puisse susciter une certaine marge de malentendu.
C'est qu'en plus, si on doit être cohérent avec ses propres notions dans
sa pratique, si tout discours valable doit j u s t e m e n t être j u g é sur les
propres principes qu'il produit, j e dirai que c'est avec une intention
expresse, sinon absolument délibérée, que j e poursuis ce discours de
façon telle que j e vous offre l'occasion de ne pas tout à fait le
comprendre. Cette marge permet que vous-mêmes, vous disiez que
vous croyez m e suivre, c'est-à-dire que vous restiez dans une position
problématique, qui laisse toujours la porte ouverte à une rectification
progressive.
E n d'autres termes, si j e m'arrangeais de façon à être très facilement
compris, c'est-à-dire à ce que vous ayez tout à fait la certitude que vous
y êtes, eh bien, en raison m ê m e de mes prémisses concernant le discours
interhumain, le malentendu serait irrémédiable. Au contraire, étant
d o n n é la façon dont j e crois devoir approcher les problèmes, il y a
t o u j o u r s p o u r vous la possibilité d'être ouverts à une révision de ce qui
est dit, d ' u n e façon d'autant plus aisée que le fait que vous n ' y avez pas
été plus tôt m e revient entièrement — vous pouvez vous en décharger
sur moi.
C'est à ce titre q u e j e m e permets de revenir aujourd'hui sur un point
essentiel.
Je ne dis pas que ce qui est c o m m u n i q u é dans la relation analytique
passe par le discours du sujet. Je n'ai donc absolument pas à distinguer,
dans le p h é n o m è n e m ê m e de la communication analytique, le domaine
de la c o m m u n i c a t i o n verbale de celui de la c o m m u n i c a t i o n préverbale.
Q u e cette communication pré- ou m ê m e extra-verbale soit p e r m a -
184
LA QUESTION HYSTÉRIQUE
nente dans l'analyse, cela n'est pas douteux, mais il s'agit de voir ce qui
constitue le c h a m p p r o p r e m e n t analytique.
Ce qui constitue le c h a m p analytique est identique à ce qui constitue
le p h é n o m è n e analytique, à savoir le s y m p t ô m e . Et aussi un très grand
n o m b r e d'autres phénomènes dits n o r m a u x ou s u b n o r m a u x , qui
n'avaient pas été j u s q u ' à l'analyse élucidés quant à leur sens, s'étendant
?ien au-delà du discours et de la parole, puisqu'il s'agit des choses qui
arrivent au sujet dans sa vie quotidienne. Puis les lapsus, troubles de la
mémoire, rêves, plus le p h é n o m è n e du m o t d'esprit, qui a une valeur
essentielle dans la découverte freudienne parce qu'il permet de toucher
uu doigt la cohérence parfaite qu'avait dans l'œuvre de Freud la relation
i u p h é n o m è n e analytique au langage.
C o m m e n ç o n s par dire ce que le p h é n o m è n e analytique n'est pas.
L'analyse a apporté d'immenses lumières sur le préverbal. 11 est, dans
la doctrine analytique, essentiellement lié au préconscient. C'est la
s o m m e des impressions, internes ou externes, des informations que le
sujet reçoit du m o n d e où il vit, des relations naturelles qu'il a avec lui —
s: tant est qu'il y ait chez l ' h o m m e des relations qui soient tout à fait
naturelles, mais il y en a, si perverties soient-elles. T o u t ce qui est de
l'ordre de ce préverbal participe ainsi de ce que nous p o u v o n s appeler
une Gestalt intramondaine. Là-dedans, le sujet est la poupée infantile
cu'il a été, il est l'objet excrémentiel, il est égout, il est ventouse,
l'analyse nous a appelé à explorer ce m o n d e imaginaire, qui participe
d'une espèce de poésie barbare, mais elle n'a pas du tout été la première
i le faire sentir, ce sont certaines œuvres poétiques.
N o u s s o m m e s là dans le chatoiement innombrable de la grande
s-.£mfication affective. P o u r l'exprimer, les mots viennent en a b o n -
dance au sujet, ils sont à sa disposition, aussi accessibles et aussi
métmisables dans leurs combinaisons que la nature à laquelle ils
r e f o n d e n t . C'est le m o n d e de l'enfant, dans lequel vous vous sentez à
1 iise. d'autant plus que vous avez été familiarisés avec ses fantasmes —
e haut vaut le bas, l'envers vaut l'endroit, etc. L'universelle équivalence
rs: la loi de ce monde-là, et c'est m ê m e ce qui nous laisse assez incertains
r e u r y fixer les structures.
Ce discours de la signification affective atteint d'emblée aux sources
de la fabulation. Par contre, le discours delà revendication passionnelle,
Tir exemple, est pauvre à côté, et déjà radote. C'est qu'il y a là le heurt
de raison. Le support préverbal de la relation imaginaire s'y e x p r i m e
donc tout naturellement en discours. N o u s nous t r o u v o n s ici dans u n
demaine familier, depuis toujours exploré tant par la déduction
i m r i r i q u e que par la déduction catégorielle a priori. La source et le
magasin de ce préconscient de ce que nous appelons imaginaire n'est
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D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
186
LA QUESTION HYSTÉRIQUE
187
D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
rouge-gorge, par exemple, et celui qui est fait pour le recevoir, entrent
dans une série de comportements, dans un comportement désormais
unitaire qui lie le porteur de ce signe à celui qui le perçoit. Voilà qui
nous donne une idée précise de ce qu'on peut appeler la signification
naturelle. Sans chercher autrement comment cela s'élabore pour
l ' h o m m e , il est clair que nous pouvons arriver par une suite de
transitions à une épuration, une neutralisation du signe naturel.
Il y a maintenant la trace, le pas sur le sable, signe à quoi Robinson ne
se trompe pas. Là, le signe se sépare de son objet. La trace, dans ce
qu'elle comporte de négatif, amène le signe naturel à une limite où il est
évanescent. La distinction du signe et de l'objet est ici très claire,
puisque la trace est justement ce que laisse l'objet, parti ailleurs.
Objectivement, il n'est besoin d'aucun sujet qui reconnaisse le signe
pour qu'il soit là — la trace existe même s'il n'y a personne pour la
regarder.
A partir de quand passons-nous à ce qui est de l'ordre du signifiant ?
Le signifiant peut s'étendre à beaucoup des éléments du domaine du
signe. Mais le signifiant est un signe qui ne renvoie pas à un objet,
m ê m e à l'état de trace, bien que la trace en annonce pourtant le caractère
essentiel. Il est lui aussi le signe d'une absence. Mais en tant qu'il fait
partie du langage, le signifiant est un signe qui renvoie à un autre signe,
qui est c o m m e tel structuré pour signifier l'absence d'un autre signe, en
d'autres termes pour s'opposer à lui dans un couple.
Je vous ai parlé du j o u r et de la nuit. Le j o u r et la nuit, ce n'est
nullement quelque chose qui soit définissable par l'expérience. L'expé-
rience ne peut rien indiquer qu'une série de modulations, de transfor-
mations, voire une pulsation, une alternance de la lumière et de
l'obscurité, avec toutes ses transitions. Le langage commence à
l'opposition — l e j o u r et la nuit. Et à partir du m o m e n t où il y a l e j o u r
c o m m e signifiant, c e j o u r est livré à toutes les vicissitudes d'un jeu par
où il en arrivera à signifier des choses bien diverses.
Ce caractère du signifiant marque de façon essentielle tout ce qui est
de l'ordre de l'inconscient. L'œuvre de Freud, avec son énorme
armature philologique jouant jusque dans l'intimité des phénomènes,
est absolument impensable si on ne met pas au premier plan la
dominance du signifiant dans les phénomènes analytiques.
Ce rappel doit nous mener un pas plus loin.
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LA QUESTION HYSTÉRIQUE
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LA QUESTION HYSTÉRIQUE
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LA QUESTION HYSTÉRIQUE
14 MARS 1 9 5 6 .
XIII
LA Q U E S T I O N H Y S T É R I Q U E (II) :
« QU'EST-CE Q U ' U N E FEMME ?»
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21 MARS 1 9 5 6 .
XIV
La notion de structure.
La subjectivité dans le réel.
Comment situer le début du délire.
Les entre-je.
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D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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LE SIGNIFIANT, COMME TEL, NE SIGNIFIE RIEN
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D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
C'est tout à fait différent. La preuve en est que, par exemple, le langage
d'une tribu australienne peut exprimer tel n o m b r e par le croissant de
lune.
Ces remarques peuvent vous paraître venir de loin. Elles sont
néanmoins essentielles à reprendre au début de notre propos de cette
année. N o t r e point de départ, le point où nous en revenons toujours,
car nous serons toujours au point de départ, c'est que tout vrai signifiant
est, en tant que tel, un signifiant qui ne signifie rien.
210
LE SIGNIFIANT, COMME TEL, NE SIGNIFIE RIEN
du freudisme, c'est que le subjectif n'est pas du côté de celui qui parle.
C'est quelque chose que nous rencontrons dans le réel.
Sans doute le réel dont il s'agit n'est-il pas à prendre au sens où nous
l ' e n t e n d o n s habituellement, impliquant l'objectivité, confusion sans
:esse faite dans les écrits analytiques. Le subjectif apparaît dans le réel en
:ant qu'il suppose que nous avons en face de nous un sujet capable de se
servir du signifiant, du jeu du signifiant. Et capable de s'en servir
c o m m e nous nous en servons — n o n pas p o u r signifier quelque chose,
mais précisément p o u r t r o m p e r sur ce qu'il y a à signifier. C'est utiliser
ie fait que le signifiant est autre chose que la signification, p o u r
présenter un signifiant t r o m p e u r . Cela est si essentiel que c'est, à
proprement parler, la première démarche de la physique moderne. La
discussion cartésienne du Dieu t r o m p e u r est le pas impossible à éviter
de tout f o n d e m e n t d ' u n e physique au sens où nous entendons ce
terme.
Le subjectif est p o u r nous ce qui distingue le champ de la science où se
base la psychanalyse, de l'ensemble du champ de la physique. C'est
"l'instance de la subjectivité c o m m e présente dans le réel, qui est le
ressort essentiel qui fait que nous disons quelque chose de nouveau
quand nous distinguons par exemple ces séries de phénomènes,
d'apparence naturelle, que nous appelons névroses ou psychoses.
Les psychoses sont-elles une série de phénomènes naturels ?
Entrent-elles dans un champ d'explication naturelle ? J'appelle naturel le
champ de la science où il n ' y a personne qui se serve du signifiant p o u r
signifier.
Ces définitions, j e vous prie de les retenir, parce que j e ne vous les
donne qu'après avoir pris soin de les décanter.
Je les crois propres, en particulier, à apporter la plus grande clarté sur
le sujet des causes finales. L'idée de cause finale répugne à la science telle
au'elle est actuellement constituée, mais celle-ci en fait usage sans cesse
d'une façon camouflée, dans la notion de retour à l'équilibre par
exemple. Si l'on entend simplement par cause finale une cause qui agit
par anticipation, qui tend vers quelque chose qui est en avant, elle est
absolument inéliminable de la pensée scientifique, et il y a tout autant de
cause finale dans les formules einsteiniennes que dans Aristote. La
différence est très précisément celle-ci — ce signifiant, il n ' y a personne
qui l'emploie p o u r signifier quoi que ce soit — si ce n'est ceci, qu'il y a
un univers.
Je lisais dans M . [...] qu'il s'émerveillait de l'existence de l'élément
eau — combien on voit bien là les soins qu'a pris de l'ordre et de notre
plaisir le Créateur, car si l'eau n'était pas cet élément à la fois
merveilleusement fluide, lourd et solide, nous ne verrions pas les petits
211
D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
bateaux voguer si joliment sur la mer. Cela est écrit, et on aurait tort de
croire que l'auteur fût un imbécile. Simplement, il était encore dans
l'atmosphère d ' u n temps où la nature était faite pour parler. Cela nous
échappe à raison d'une certaine purification survenue dans nos exi-
gences causales. Mais ces prétendues naïvetés étaient naturelles à des
gens pour qui tout ce qui se présentait avec une nature signifiante était
fait pour signifier quelque chose.
O n est actuellement en train de se livrer à une très curieuse opération,
qui consiste à se tirer de certaines difficultés que présentent des
domaines limitrophes, où il faut bien faire entrer la question de l'usage
du signifiant c o m m e tel, au moyen précisément de la notion de
communication, dont nous nous sommes entretenus ici de temps en
temps. Et si j'ai mis dans ce numéro de revue avec lequel vous vous êtes
tous un peu familiarisés, l'article de Tomkins, c'est pour vous donner
un exemple de la façon naïve de se servir de la notion de communica-
tion. Vous verrez q u ' o n peut aller fort loin, et on n'a pas manqué d'y
aller.
Il y a des gens pour dire qu'à l'intérieur de l'organisme, les divers
ordres de sécrétion interne s'envoient l'un à l'autre des messages, sous la
f o r m e par exemple d'hormones qui viennent avertir les ovaires que ça
va très bien, ou au contraire que ça cloche légèrement. Est-ce là un
usage légitime des notions de communication et de message ? Pourquoi
pas ? — si le message est simplement de l'ordre de ce qui se passe quand
nous envoyons un rayon, invisible ou pas, sur une cellule photo-
électrique. Cela peut aller fort loin. Si, balayant le ciel avec le pinceau
d ' u n projecteur, nous voyons apparaître quelque chose au milieu, cela
peut être considéré c o m m e la réponse du ciel. La critique se fait
d'elle-même. Mais c'est encore prendre les choses d'une façon trop
facile.
Q u a n d peut-on vraiment parler de communication ? Vous allez me
dire que c'est évident — il faut une réponse. Cela peut se soutenir, c'est
une question de définition. Dirons-nous qu'il y a communication à
partir du m o m e n t où la réponse s'enregistre ? Mais qu'est-ce qu'une
réponse ? Il n'y a qu'une façon de la définir, c'est de dire qu'il revient
quelque chose au point de départ. C'est le schéma du feed-back. T o u t
retour de quelque chose qui, enregistré quelque part, déclenche de ce
fait une opération de régulation, constitue une réponse. Et la c o m m u -
nication commence là, avec l'autorégulation.
Mais pour autant, sommes-nous déjà au niveau de la fonction du
signifiant ? Je dirai — non. Dans une machine thermo-électrique
soutenue par u n feed-back, il n'y a pas usage du signifiant. Pourquoi ?
L'isolement du signifiant c o m m e tel nécessite autre chose, qui se
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LE SIGNIFIANT, COMME TEL, NE SIGNIFIE RIEN
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D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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LE SIGNIFIANT, COMME TEL, NE SIGNIFIE RIEN
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D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
11 AVRIL 1956.
XIV
Un carrefour.
Signifiants de base.
Un signifiant nouveau dans le réel.
Approches du trou.
La compensation identificatoire.
1 -
nient, mais cela en a, par exemple dans ce qui s'écrit sur les
psychoses.
S'agissant des psychoses, on met en cause les mêmes mécanismes
d'attraction, de répulsion, de conflit et de défense qu'à propos des
névroses, alors que les résultats sont p h é n o m é n o l o g i q u e m e n t et psy-
chopathologiquement distincts, pour ne pas dire opposés. O n se
contente des m ê m e s effets de signification. C'est là l'erreur. D ' o ù la
nécessité de s'arrêter sur l'existence de la structure du signifiant c o m m e
tel, et p o u r tout dire, tel qu'il existe dans la psychose.
Je reprend les choses au départ, et j e dis le m i n i m u m — puisque nous
avons distingué signifiant et signifié, nous devons admettre la possibi-
lité que la psychose ne relève pas seulement de ce qui manifeste au
niveau des significations, de leur prolifération, de leur labyrinthe, où le
sujet serait perdu, voire arrêté à une fixation, mais qu'elle tient
essentiellement à quelque chose qui se situe au niveau des relations du
sujet au signifiant.
Le signifiant est à concevoir d'abord c o m m e distinct de la significa-
tion. C e qui le distingue, c'est d'être en lui-même sans signification
propre. Essayez d'imaginer dès lors ce que peut être l'apparition d ' u n
pur signifiant. Bien entendu, nous ne pouvons pas m ê m e l'imaginer,
par définition. Et pourtant, puisque nous nous posons des questions
d'origine, il faut tout de m ê m e tenter d'approcher ce que cela peut
représenter.
Q u ' i l y a des signifiants de base sans lesquels l'ordre des significations
humaines ne saurait s'établir, notre expérience nous le fait sentir à tout
instant. N'est-ce pas aussi bien ce que nous expliquent toutes les
mythologies ? Pensée magique, ainsi s'exprime la connerie scientifique
m o d e r n e chaque fois qu'elle se trouve devant quelque chose qui dépasse
les petites cervelles ratatinées de ceux à qui il semble que, p o u r pénétrer
dans le d o m a i n e de la culture, la condition nécessaire est que rien ne les
prenne dans un désir quelconque qui les humaniserait. Pensée magique,
ce terme vous paraît-il suffire à expliquer que des gens qui avaient
toutes les chances d'avoir les m ê m e s rapports que nous à la naissance,
aient interprété le j o u r , la nuit, la terre et le ciel c o m m e des entités qui se
conjuguent et qui copulent dans une famille mêlée d'assassinats,
d'incestes, d'éclipsés extraordinaires, de disparitions, métamorphoses,
mutilations, de tel ou tel des termes ? Vous croyez que ces gens-là, ils
prennent vraiment ces choses au pied de la lettre ? C'est vraiment les
mettre au niveau mental de l'évolutionniste de nos jours, qui croit tout
expliquer.
Je crois que p o u r ce qui est de l'insuffisance de la pensée, nous
n'avons rien à envier aux Anciens.
213
D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
fait remarquer qu'en tout cas, s'il avait quelque chose à demander, il
faudrait forcément qu'il le demande à quelqu'un. C'est l'autre face de la
m ê m e question. Si nous nous mettons fortement cette relation dans la
tête, il ne paraîtra pas extravagant que je dise qu'il est aussi possible que
la question se soit posée la première, que ce ne soit pas le sujet qui l'ait
posée. C o m m e je vous l'ai montré dans mes présentations de malades,
ce qui se passe à l'entrée d'une psychose est de cet ordre.
Rappelez-vous ce petit sujet qui évidemment nous paraissait, à nous,
très lucide. Vu la façon dont il avait crû et prospéré dans l'existence, au
milieu de l'anarchie, rien qu'un peu plus patente que chez les autres, de
sa situation familiale, il s'était attaché à un ami, qui était devenu son
point d'enracinement dans l'existence, et tout d ' u n coup il était arrivé
quelque chose, il n'était pas capable d'expliquer quoi. N o u s avons très
bien saisi que cela tenait à l'apparition de la fille de son partenaire, et
nous complétons en disant qu'il a senti ce fait c o m m e incestueux, d'où
défense.
N o u s ne sommes pas très exigeants sur la rigueur de nos articulations
depuis que nous avons appris de Freud, que le principe de contradiction
ne fonctionne pas dans l'inconscient — formule suggestive et intéres-
sante, mais, si on s'en tient là, un peu courte — quand une chose ne
marche pas dans un sens, elle est expliquée par son contraire. Et c'est
pourquoi l'analyse explique admirablement les choses. Ce petit bon-
h o m m e avait beaucoup moins compris que nous. Il butait là devant
quelque chose, et toute clé lui manquant, il était allé se mettre pendant
trois mois sur son lit, pour s'y retrouver. Il était dans la perplexité.
U n m i n i m u m de sensibilité que notre métier nous donne, nous fai:
toucher du doigt quelque chose qui se retrouve toujours dans ce qui
s'appelle la pré-psychose, à savoir le sentiment que le sujet est arrivé au
bord du trou. C'est à prendre au pied de la lettre. Il ne s'agit pas de
comprendre ce qui se passe là où nous ne sommes pas. Il ne s'agit pas de
phénoménologie. Il s'agit de concevoir, non pas d'imaginer, ce qui se
passe pour u n sujet quand la question lui vient de là où il n'y a pas de
signifiant, quand c'est le trou, le manque qui se fait sentir comme
tel.
Je vous le répète, il ne s'agit pas de phénoménologie. Il ne s'agit pas
de faire les fous — on le fait assez d'habitude, dans notre dialogue
interne. Il s'agit de déterminer les conséquences d'une situation ainsi
déterminée.
Tous les tabourets n'ont pas quatre pieds. Il y en a qui se tiennen:
debout avec trois. Mais alors, il n'est plus question qu'il en manque un
seul, sinon ça va très mal. Eh bien, sachez que les points d'appui
signifiants qui soutiennent le petit monde des petits h o m m e s solitaires
218
DES SIGNIFIANTS PRIMORDIAUX ET D U MANQUE D ' U N
229
D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
nous cognons, il s'agit d'une réalité signifiante, qui ne nous présente pas
simplement des butées et des obstacles, mais une vérité qui se vérifie et
s'instaure de soi-même c o m m e orientant ce monde, et y introduisant
des êtres, pour les appeler par leur nom.
18 AVRIL 1 9 5 6 .
XIV
SECRÉTAIRES DE L'ALIÉNÉ
La lecture.
L'assassinat d'âmes.
Les implications du signifiant.
Les petits hommes.
Les trois fonctions du père.
233
D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
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SECRÉTAIRES DE L'ALIÉNÉ
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D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
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SECRÉTAIRES DE L'ALIÉNÉ
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DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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SECRÉTAIRES DE L'ALIÉNÉ
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DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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SECRÉTAIRES DE L'ALIÉNÉ
2 5 AVRIL 1 9 5 6 .
XVIII
M É T A P H O R E E T M É T O N Y M I E (I) :
« SA G E R B E N ' É T A I T P O I N T A V A R E , N I H A I N E U S E »
La vérité du Père.
L'envahissement du signifiant.
Syntaxe et métaphore.
L'aphasie de Wernicke.
Sie lieben also den Wahn wie sich selbst das ist das Geheimnis. Cette phrase
est recueillie dans les lettres à Fliess, où on voit s'ébaucher avec un relief
singulier les thèmes qui apparaîtront successivement dans l ' œ u v r e
freudienne.
A u r i o n s - n o u s le ton de Freud si nous n'avions pas ces lettres ? Oui,
tout de m ê m e , mais elles nous apprennent que ce ton n'a jamais fléchi,
et qu'il n'est pas autre chose que l'expression de ce qui oriente et vivifie
sa recherche. En 1939 encore, quand il écrit Moïse et le monothéisme, on
sent que son interrogation passionnée n'a pas baissé, et que c'est
t o u j o u r s de la m ê m e façon acharnée, presque désespérée, qu'il s'efforce
d'expliquer c o m m e n t il se fait que l ' h o m m e , dans la position m ê m e de
son être, soit aussi dépendant de ces choses pour lesquelles il n'est
manifestement point fait. Cela est dit et n o m m é — il s'agit de la
vérité.
J'ai relu Moïse et le monothéisme à dessein de préparer la présentation
q u ' o n m ' a chargé de vous faire de la personne de Freud, dans deux
semaines. Il m e semble qu'on peut y trouver une fois de plus la
confirmation de ce que j'essaie ici de vous faire sentir, à savoir que
l'analyse est absolument inséparable d'une question fondamentale sur la
façon d o n t la vérité entre dans la vie de l ' h o m m e . La dimension de la
vérité est mystérieuse, inexplicable, rien ne permet décisivement d'en
saisir la nécessité, puisque l ' h o m m e s'accommode parfaitement de la
non-vérité. J'essaierai de vous m o n t r e r que c'est bien là la question qui
j u s q u ' a u b o u t t o u r m e n t e Freud dans Moïse et le monothéisme.
O n sent dans ce petit livre le geste qui renonce et la figure qui se
couvre. Acceptant la m o r t , il continue. L'interrogation renouvelée
243
D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
244
MÉTAPHORE ET MÉTONYMIE
245
DU SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
conception des âmes a toute sa fonction dans ce qui est verbalisé par des
instances un peu supérieures, selon Schreber, aux sujets porteurs de
ritournelles serinées par cœur, faites de m o t s qu'il considère c o m m e
vides. Elle fait allusion à des notions fonctionnelles qui décomposent
ses diverses pensées. U n e psychologie a en effet sa place à l'intérieur de
son délire, u n e psychologie dogmatique, que lui exposent les voix qui
l'interpellent, en lui expliquant c o m m e n t ses pensées sont faites.
E n particulier, ce qui est impliqué a pris la f o r m e hallucinatoire et
n'est pas donné à voix haute dans l'hallucination, c'est la pensée
principale. Le vécu délirant du sujet nous donne lui-même dans le
p h é n o m è n e son essence. Il indique que le p h é n o m è n e vécu de l'hallu-
cination, élémentaire ou non, m a n q u e de la pensée principale. Nous, les
rayons, nous manquons de pensée, c'est-à-dire de ce qui signifie quelque
chose.
Par rapport à la chaîne, si l'on peut dire, du délire, le sujet nous paraît
à la fois agent et patient. Le délire est plus subi par lui qu'il ne l'organise.
Assurément, c o m m e produit fini, ce délire peut j u s q u ' à un certain point
être qualifié de folie raisonnante, en ce sens que l'articulation en est
logique par certains côtés, mais d ' u n point de vue secondaire. Q u e la
folie en arrive à une synthèse de cette nature, n'est pas un moindre
p r o b l è m e que son existence m ê m e . Cela se produit au cours d'une
genèse partant d'éléments peut-être gros de cette construction, mais
qui, dans leur f o r m e originale, se présentent c o m m e fermés, voire
énigmatiques.
Il y a d ' a b o r d quelques mois d'incubation prépsychotique où le sujet
est dans un état p r o f o n d é m e n t confusionnel. C'est le m o m e n t où se
produisent les p h é n o m è n e s de crépuscule du m o n d e , qui caractérisent le
début d ' u n e période délirante. Vers la mi-mars 1894, il est entré dans la
maison de Flechsig. A la m i - n o v e m b r e 93, c o m m e n c e n t les phéno-
mènes hallucinatoires, les communications verbalisées qu'il attribue à
des échelons divers de ce m o n d e fantasmatique, fait de deux étages de la
réalité divine, le r o y a u m e de Dieu antérieur et le r o y a u m e postérieur, et
de toutes sortes d'entités qui sont dans la voie d'une résorption plus ou
m o i n s avancée dans cette réalité divine.
Ces entités qui sont les âmes vont dans un sens opposé à ce qu'il
appelle l'ordre de l'univers, notion fondamentale dans la structuration de
son délire. A u lieu d'aller dans la voie de réintégrer l'Autre absolu, elles
v o n t au contraire dans le sens de s'attacher à lui-même, Schreber, selon
des f o r m e s qui varient au cours de l'évolution du délire. A l'origine,
n o u s v o y o n s e x p r i m é en clair, dans son expérience vécue, le phéno-
m è n e de l'introjection, lorsqu'il dit que l'âme de Flechsig lui entre par là
et que ça ressemble à des filaments c o m m e ceux d ' u n e toile d'araignée.
246
MÉTAPHORE ET MÉTONYMIE
que c'est assez gros p o u r lui être inassimilable, et que ça ressort par sa
bouche. N o u s avons là une sorte de schéma vécu de l'introjection, qui
s'atténuera plus tard, se polira sous une f o r m e beaucoup plus spiritua-
lisée.
E n fait, Schreber sera de plus en plus intégré à cette parole ambiguë
avec laquelle il fait corps, et à laquelle, de tout son être, il d o n n e
réponse. Il l'aime littéralement c o m m e lui-même. C'est à peine si on
peut qualifier ce p h é n o m è n e de dialogue intérieur, puisque c'est
précisément autour de l'existence de l'autre que tourne la signification
de la prééminence du j e u signifiant, de plus en plus vidé de significa-
tion.
Quelle est la signification de cet envahissement du signifiant qui va à
se vider de signifié à mesure qu'il occupe plus de place dans la relation
libidinale, et investit tous les m o m e n t s , tous les désirs du sujet ?
Je m e suis arrêté sur une série de ces textes qui se répètent, et qu'il
serait fastidieux de vous dérouler tous ici. Quelque chose m ' a frappé —
m ê m e quand les phrases peuvent avoir un sens, on n ' y rencontre jamais
rien qui ressemble à une métaphore.
Mais qu'est-ce que la métaphore ?
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D U SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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MÉTAPHORE ET MÉTONYMIE
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D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
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MÉTAPHORE ET MÉTONYMIE
2 MAI 1956.
XVIII
M É T A P H O R E E T M É T O N Y M I E (II) :
A R T I C U L A T I O N SIGNIFIANTE
E T T R A N S F E R T D E SIGNIFIÉ
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DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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ARTICULATION SIGNIFIANTE ET TRANSFERT DE SIGNIFIÉ
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DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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ARTICULATION SIGNIFIANTE ET TRANSFERT DE SIGNIFIÉ
que vous ayez. M ê m e si vous avez tendance, parce que vous êtes u n peu
limitrophe, à prononcer boue c o m m e pou, vous prononcerez l'autre pou
d i f f é r e m m e n t , parce que le français est une langue dans laquelle cette
opposition vaut. Dans d'autres langues, il y a des oppositions tout à fait
inconnues du français. Cette liaison d'opposition est essentielle à la
fonction du langage. Elle doit être distinguée du lien de similarité,
impliqué dans le fonctionnement du langage, et qui est lié à la possibilité
indéfinie de la fonction de substitution, laquelle n'est concevable que
sur le f o n d e m e n t de la relation positionnelle.
C e qui est au principe de la métaphore n'est pas la signification, qui
serait transposée de Booz à la gerbe. J'admets très bien que quelqu'un
m ' o b j e c t e que la gerbe de Booz est m é t o n y m i q u e et n o n métaphorique,
et que, sous-jacent à cette magnifique poésie, jamais directement
n o m m é , il y a le pénis royal de Booz. Mais ce n'est pas cela qui fait la
vertu m é t a p h o r i q u e de cette gerbe, c'est qu'elle est mise en position de
sujet dans la proposition, à la place de Booz. C'est d'un p h é n o m è n e de
signifiants qu'il s'agit.
Allons j u s q u ' à la limite de la métaphore poétique que vous n'hésite-
riez pas, vous, à qualifier de surréaliste, encore q u ' o n n'ait pas attendu
les surréalistes p o u r faire des métaphores. Vous ne pouvez pas dire si
c'est sensé ou insensé. Je ne dirai pas que c'est la meilleure façon
d ' e x p r i m e r les choses, mais, en tous les cas, ça porte.
Prenons une f o r m u l e dont vous ne m e contesterez pas qu'elle est bien
u n e métaphore. Vous verrez si c'est le sens qui la soutient.
L'amour est un caillou riant dans le soleil.
Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est incontestablement une m é t a -
phore. Il est assez probable que si elle est née, c'est qu'elle c o m p o r t e un
sens. Q u a n t à lui en trouver un... j e peux faire le séminaire là-dessus.
Cela m e paraît une définition incontestable de l'amour, et j e dirai que
c'est la dernière à laquelle j e m e sois arrêté, parce qu'elle m e paraît
indispensable si l'on veut éviter de retomber sans cesse dans des
confusions irrémédiables.
Bref, une m é t a p h o r e avant tout est soutenue par une articulation
positionnelle. La chose peut être démontrée j u s q u e dans ses formes les
plus paradoxales.
A u c u n d'entre vous n'a été sans entendre parler, j e pense, de cet
exercice q u ' u n poète de notre temps a fait sous la rubrique d'Un mot
pour un autre. C'est une petite comédie en un acte de Jean Tardieu. Il
s'agit du dialogue de deux femmes. O n annonce l'une, l'autre va au
devant d'elle, et lui dit :
Chère, très chère, depuis combien de galets n'avais-je pas eu le mitron de vous
sucrer !
257
D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
Hélas, chère, lui répond l'autre, j'étais moi-même très dévitreuse,mes trois
plus jeunes tourteaux, etc.
Cela c o n f i r m e que, m ê m e sous une f o r m e paradoxale, n o n seulement
le sens se maintient, mais qu'il tend à se manifester d ' u n e façon tout
spécialement heureuse et métaphorique. O n peut dire qu'il en est en
quelque sorte renouvelé. Quel que soit l'effort du poète p o u r pousser
l'exercice dans le sens de la démonstration, on est à chaque instant à
d e u x doigts de la m é t a p h o r e poétique. C e n'est pas d ' u n registre
différent de ce qui jaillit c o m m e poésie naturelle dès q u ' u n e significa-
tion puissante est intéressée.
L ' i m p o r t a n t n'est pas que la similarité soit soutenue par le signifié —
n o u s faisons t o u t le t e m p s cette erreur —, c'est que le transfert du
signifié n'est possible qu'en raison de la structure m ê m e du langage.
T o u t langage implique un métalangage, il est déjà métalangage de son
registre propre. C'est parce que tout langage est virtuellement à
traduire qu'il implique métaphrase et métalangue, le langage parlant du
langage. Le transfert du signifié, tellement essentiel à la vie humaine,
n'est possible qu'en raison de la structure du signifiant.
Mettez-vous bien dans la tête que le langage est un système de
cohérence positionnelle. Dans un deuxième temps, que ce système
se reproduit à l'intérieur de l u i - m ê m e avec une extraordinaire, et
effrayante, fécondité.
C e n'est pas pour rien que le m o t prolixité est le m ê m e m o t que
prolifération. Prolixité est le m o t effrayant. T o u t usage du langage suscite
u n effroi, qui arrête les gens et se traduit par la peur de l'intellectualité.
Il intellectualise trop, dit-on. Cela sert d'alibi à la peur du langage. En
fait, vous observerez qu'il y a verbalisme là où on fait l'erreur
d'accorder trop de poids au signifié, alors que c'est en poussant plus loin
dans le sens de l'indépendance du signifiant et du signifié, que toute
opération de construction logique prend sa pleine portée.
T o u t au m o i n s p o u r les phénomènes qui nous intéressent, c'est
t o u j o u r s dans la mesure où on adhère davantage à ce que j'appelle la
m y t h o l o g i e significative, q u ' o n t o m b e dans le verbalisme. Les mathé-
matiques au contraire utilisent un langage de pur signifiant, un
métalangage par excellence. Elles réduisent le langage à sa fonction
systématique sur quoi un autre système de langage est construit,
saisissant le premier dans son articulation. L'efficacité de cette façon de
faire n'est pas douteuse dans son registre propre.
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ARTICULATION SIGNIFIANTE ET TRANSFERT DE SIGNIFIÉ
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D U SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
260
ARTICULATION SIGNIFIANTE ET TRANSFERT DE SIGNIFIÉ
évoluera d ' u n e certaine façon. Il est certain que c'est bien en fonction de
ses précoces capacités m é t o n y m i q u e s que, à tel m o m e n t , les fesses
p o u r r o n t devenir p o u r lui un équivalent maternel. Tel sens dont nous
p o u v o n s concevoir la sensibilisation sur le plan vital, ne change
absolument rien au problème.
C'est sur la base de l'articulation m é t o n y m i q u e que ce p h é n o m è n e
peut se produire. Il faut d'abord que la coordination signifiante soit
possible p o u r que les transferts de signifié puissent se produire.
L'articulation formelle du signifiant est dominante par rapport au
transfert du signifié.
C o m m e n t maintenant poser la question du retentissement sur la
fonction du langage de toute perturbation du rapport à l'autre ? D e
m ê m e que s'opposent métaphore et m é t o n y m i e , de m ê m e s'opposent
les fonctions fondamentales de la parole — la parole fondatrice et les
m o t s de passe.
P o u r q u o i l'un et l'autre sont-ils fondamentalement nécessaires ?
Quelle est leur distinction ? C'est là quelque chose qui se pose par
rapport à un troisième terme. S'il est tellement nécessaire à l ' h o m m e
d'user de la parole pour trouver ou pour se retrouver, c'est en fonction
de sa propension naturelle à se décomposer en présence de l'autre.
D e quelle façon se compose et se recompose-t-il ? N o u s y revien-
drons une prochaine fois, mais vous pouvez dès maintenant saisir, dans
les p h é n o m è n e s que présente Schreber, l'usage que nous p o u v o n s faire
de ces catégories.
Je vous ai parlé la dernière fois des phrases interrompues, mais il y a
aussi la question et la réponse. Cela doit se comprendre dans sa valeur
d'opposition par rapport à la dimension de la parole fondatrice, où on
ne d e m a n d e pas à l'autre son avis. La fonction de la question et de la
réponse, p o u r autant qu'elle est valorisée par l'initiation verbale, qu'elle
est son complémentaire et sa racine, dénude, par rapport à ce qu'a de
p r o f o n d é m e n t significative la parole fondatrice, le f o n d e m e n t signifiant
de ladite parole. Le p h é n o m è n e délirant dénude d'ailleurs à tous les
niveaux la fonction signifiante c o m m e telle.
Je vais vous en donner u n autre exemple. Vous connaissez ces
fameuses équivalences que le délirant Schreber donne c o m m e f o r m u -
lées par les oiseaux du ciel, défilant dans le crépuscule. O n y trouve les
assonances — Santiago ou Carthago, Chinesenthum ou Jesus-Christum.
Est-ce simplement l'absurdité qui est à retenir là-dedans ? Le fait qui
frappe Schreber, c'est que les oiseaux du ciel sont sans cervelle. Sur ce,
Freud n'a pas de doute — ce sont des jeunes filles.
Mais l ' i m p o r t a n t n'est pas l'assonance, c'est la correspondance terme
à terme d'éléments de discrimination très voisins, qui n ' o n t de portée,
261
DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
9 MAI 1956.
XIV
CONFÉRENCE :
F R E U D D A N S LE SIÈCLE
Ouverture de la séance,
par le professeur Jean Delay
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DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
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CONFÉRENCE : FREUD DANS LE SIÈCLE
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CONFÉRENCE : FREUD DANS LE SIÈCLE
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DU SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
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CONFÉRENCE : FREUD DANS LE SIÈCLE
fameuse topique freudienne. Je crains que vous n'en ayez que trop
entendu parler, car la façon dont elle est interprétée va dans le sens
contraire de ce p o u r quoi Freud l'a apportée. C'est dès 1914, avec son
article capital, Y Introduction au narcissisme, que Freud fait une théorie
du moi, antérieure à cette topique, maintenant venue au premier
plan.
La référence principale, unique, de la théorie et de la pratique
analytique actuelles, à savoir les fameuses étapes dites prégénitales de la
libido, q u ' o n s'imagine être du début de l ' œ u v r e freudienne, sont de
1915, le narcissisme est de 1914.
Freud a accentué la théorie du moi à des fins qui ne sont pas
méconnaissables. Il s'agissait d'éviter deux écueils. Le premier, c'est le
dualisme. Il y a une sorte de manie chez un certain n o m b r e d'analystes
qui consiste à faire de l'inconscient u n autre moi, un mauvais moi, un
double, u n semblable symétrique du m o i — alors que la théorie du moi
chez Freud est faite au contraire p o u r m o n t r e r que ce que nous appelons
n o t r e moi est une certaine image que nous avons de nous, qui nous
d o n n e un mirage, de totalité sans doute. Ces mirages-pilotes, ne
polarisent nullement le sujet dans le sens de la connaissance de soi q u ' o n
dit p r o f o n d e — j e ne tiens pas quant à moi à cet adjectif. La fonction du
m o i est n o m m é m e n t désignée dans Freud c o m m e analogue en tout à ce
q u ' o n appelle dans la théorie de l'écriture un déterminatif.
Toutes les écritures ne sont pas alphabétiques. Certaines sont
idéophonétiques, et c o m p o r t e n t des déterminatifs. En chinois, une
chose c o m m e cela veut dire une chose à peu près juste, mais si vous ajoutez
cela, qui est un déterminatif, ça fait gouverner. Et si au lieu de mettre ce
déterminatif,vous en mettez un autre, cela veut dire maladie. Le
déterminatif accentue d'une certaine façon, fait entrer dans une classe de
significations quelque chose qui a déjà son individualité phonétique de
signifiant. E h bien, le m o i est exactement pour Freud une sorte de
déterminatif, par où certains des éléments du sujet sont associés à une
fonction spéciale qui surgit à ce m o m e n t - l à à l'horizon de sa théorie, à
savoir l'agressivité, considérée c o m m e caractéristique du rapport
imaginaire à l'autre dans lequel le m o i se constitue par identifications
successives et superposées. Sa valeur mobile, sa valeur de signe, le
distingue essentiellement de l'entité de l'organisme c o m m e u n tout. Et
c'est bien là l'autre écueil que Freud évitait.
E n effet, Freud, tout en ralliant à un centre la personnalité qui parle
dans l'inconscient, a voulu éviter le mirage de la fameuse personnalité
totale qui n'a pas m a n q u é de reprendre le dessus à travers toute l'école
américaine, laquelle ne cesse de se gargariser de ce terme, p o u r prôner la
restauration de la primauté du moi. C'est une méconnaissance complète
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DU SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
274
CONFÉRENCE : FREUD DANS LE SIÈCLE
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DU SIGNIFIANT ET D U SIGNIFIÉ
fleur de la vie. Freud est à situer dans une tradition réaliste et tragique,
ce qui explique que c'est à sa lumière que nous pouvons a u j o u r d ' h u i
c o m p r e n d r e et lire les tragiques grecs.
Mais, p o u r nous, travailleurs, pour nous, savants, p o u r nous,
médecins, p o u r nous, techniciens, quelle direction nous indique ce
retour à la vérité de Freud ?
C'est celle d ' u n e étude positive dont les méthodes et dont les f o r m e s
nous sont données dans cette sphère des sciences dites humaines qui
concerne l'ordre du langage, la linguistique. La psychanalyse devrait
être la science du langage habité par le sujet. Dans la perspective
freudienne, l ' h o m m e , c'est le sujet pris et torturé par le langage.
Assurément, la psychanalyse nous introduit à une psychologie, mais
laquelle ? La psychologie p r o p r e m e n t dite est une science effective-
ment, et d'objets parfaitement définis. Mais à cause sans doute des
résonances significatives du m o t , nous glissons à la confondre avec
quelque chose qui se rapporte à l'âme. O n pense que chacun a sa
psychologie. O n ferait mieux, dans ce second emploi, de l'appeler par
le n o m qu'elle pourrait avoir. N e nous y t r o m p o n s pas — la
psychanalyse n'est pas une égologie. Dans la perspective freudienne du
rapport de l ' h o m m e au langage, cet ego n'est pas du tout unitaire,
synthétique, il est décomposé, complexifié en différentes instances, le
moi, le surmoi, le ça. Il conviendrait certes q u ' o n ne fasse pas de chacun
de ces termes un petit sujet à sa façon, m y t h e grossier qui n'avance à
rien, n'éclaire rien.
Freud n'a pas pu avoir de doute sur les dangers que courait son
œuvre. A u m o m e n t où, en 1938, il prend la p l u m e pour sa dernière
préface à Moïse et le monothéisme, il met une note bien curieuse — Je ne
partage pas, dit-il, l'opinion de mon contemporain Bernard Shaw, qui prétend
que l'homme ne deviendrait capable de quelque chose que s'il lui était permis
d'arriver à l'âge de trois cents ans. Je ne pense pas que cette prolongation de
l'existence aurait le moindre avantage, à moins — dit la traduction — que les
conditions de l'avenir ne soient totalement transformées.
C'est bien là le triste caractère de ces traductions. E n allemand, ça a
un tout autre sens — il faudrait qu'il y ait beaucoup d'autres choses
profondément changées, à la base, à la racine, dans les déterminations de la
vie.
C e m o t du vieux Freud continuant de poursuivre sa méditation avant
de laisser son message à la décomposition m e paraît faire écho aux
termes dont le chœur accompagne les derniers pas d ' Œ d i p e vers le petit
bois de Colone. A c c o m p a g n é de la sagesse du peuple, il médite sur les
désirs qui font que l ' h o m m e poursuit des ombres, il désigne cet
égarement qui fait qu'il ne peut m ê m e pas savoir où sont ces bois. Je
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CONFÉRENCE : FREUD DANS LE SIÈCLE
m ' é t o n n e que personne — sauf quelqu'un qui a mis cela en latin, pas
trop mal — n'ait jamais su bien traduire le mé phunaï que profère alors le
chœur. O n le réduit à la valeur d ' u n vers qui dit qu'il vaut mieux n'être
pas né, alors que le sens est tout à fait clair — la seule façon de s u r m o n t e r
toutes ces affaires de logos, la seule façon d'en finir, ce serait de n'être pas
né tel. C'est le sens m ê m e qui accompagne le geste du vieux Freud, au
m o m e n t où il repousse de la main tout souhait que sa vie se
prolonge.
Il est vrai que lui-même, quelque part dans son travail sur le Witz,
autrement dit sur la pointe, nous indique une réponse. Mieux vaudrait
n'être pas né — malheureusement, ça n'arrive qu'à peine une fois sur
200 000.
Je vous donne cette réponse.
16 MAI 1956.
LES ENTOURS DU TROU
XXI
L'APPEL, L'ALLUSION
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LES ENTOURS D U TROU
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L'APPEL, L'ALLUSION
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LES ENTOURS D U TROU
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L'APPEL, L'ALLUSION
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LES ENTOURS DU TROU
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L'APPEL, L'ALLUSION
existence est telle que le fait de s'adresser à lui, d'avoir avec lui c o m m e
u n langage, est plus i m p o r t a n t que tout ce qui peut être un enjeu entre
lui et nous.
La méconnaissance de la distinction de ces deux autres dans l'analyse,
où elle est partout présente, est à l'origine de tous les faux problèmes, et
particulièrement de celui qui apparaît maintenant que l'on a mis l'accent
sur le primat de la relation d'objet.
Il y a en effet une discordance patente entre la position freudienne
selon laquelle le nouveau-né, à son entrée dans le m o n d e , est dans une
relation dite auto-érotique, soit une relation dans laquelle l'objet
n'existe pas, et la remarque clinique, qu'assurément dès le début de la
vie, nous avons tous les signes que toutes sortes d'objets existent p o u r le
nouveau-né. Cette difficulté ne peut trouver sa solution qu'à distinguer
l'autre imaginaire en tant qu'il est structuralement la f o r m e originaire
du c h a m p dans lequel se structure pour le nouveau-né h u m a i n une
multiplicité d'objets, et l'Autre absolu, l'Autre avec un grand A, qui
est assurément ce que vise Freud — que les analystes ont négligé par
la suite — quand il parle de la non-existence, à l'origine, d'aucun
Autre.
Il y a p o u r cela une bonne raison, c'est que cet Autre est tout en soi,
dit Freud, mais du m ê m e coup tout entier hors de soi.
La relation extatique à l'Autre est une question qui ne date pas d'hier,
mais p o u r avoir été laissée dans l ' o m b r e pendant quelques siècles, elle
mérite de nous, analystes, qui y avons tout le temps affaire, que nous la
reprenions.
O n faisait au M o y e n Age la différence entre ce q u ' o n appelait la
théorie physique et la théorie extatique de l'amour. O n se posait ainsi la
question de la relation du sujet à l'Autre absolu. Disons que p o u r
c o m p r e n d r e les psychoses, nous devons faire se recouvrir dans notre
petit schéma la relation amoureuse à l'Autre en tant que radicalement
Autre, avec la situation en miroir, de tout ce qui est de l'ordre de
l'imaginaire, de Yanimus et de Y anima, qui se situe selon les sexes à une
place o u à l'autre.
A quoi tient la différence entre quelqu'un qui est psychotique et
q u e l q u ' u n qui ne l'est pas ? Elle tient à ceci, que pour le psychotique une
relation a m o u r e u s e est possible qui l'abolit c o m m e sujet, en tant qu'elle
admet u n e hétérogénéité radicale de l'Autre. Mais cet a m o u r est aussi
un amour mort.
Il peut vous sembler que ce soit u n curieux et singulier détour que de
recourir à une théorie médiévale de l ' a m o u r pour introduire la question
de la psychose. Il est pourtant impossible, sinon, de concevoir la nature
de la folie.
287
LES ENTOURS D U TROU
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L'APPEL, L'ALLUSION
289
LES ENTOURS D U TROU
290
L'APPEL, L'ALLUSION
31 MAI 1956.
XXI
LE POINT DE CAPITON
Sens et scansion.
Boucle et segmentation.
« Oui, je viens dans son temple... »
La crainte de Dieu.
Le Père, point de capiton.
Le sujet entend-il avec son oreille quelque chose qui existe ou qui
n'existe pas ? Il est bien évident que ça n'existe pas, et que par
conséquent, c'est de l'ordre de l'hallucination, c'est-à-dire d'une
perception fausse. Cela doit-il nous suffire ?
Cette conception massive de la réalité aboutit à l'explication bien
mystérieuse avancée par les analystes, selon laquelle un soi-disant refus
de percevoir provoque un trou, et que surgit alors dans la réalité une
pulsion rejetée par le sujet. Mais pourquoi apparaîtrait-il dans ce trou
quelque chose d'aussi complexe et architecturé que la parole ? C'est ce
qu'on ne dit pas.
Certes, une telle explication constitue déjà un progrès par rapport à la
conception classique, mais nous pouvons aller plus loin. Pour tout dire,
nous pouvons attendre du phénomène de la psychose qu'il nous
permette de restaurer le juste rapport, de plus en plus méconnu dans le
travail analytique, du signifiant et du signifié.
293
LES ENTOURS DU TROU
294
LE POINT DE CAPITON
295
LES ENTOURS DU TROU
Schéma de Saussure
296
LE POINT DE CAPITON
297
LES ENTOURS DU TROU
sens lui vient après coup. Il faut que nous soyons arrivés tout à fait au
bout, c'est-à-dire du côté de ce f a m e u x Éternel.
N o u s s o m m e s là, dans l'ordre des signifiants, et j'espère vous avoir
fait sentir ce que c'est que la continuité du signifiant. U n e unité
signifiante suppose une certaine boucle bouclée qui en situe les
différents éléments.
Voilà sur ce quoi j e m'étais un instant arrêté. Mais cette petite amorce
a u n intérêt beaucoup plus grand. Elle m ' a fait m'apercevoir que la
scène tout entière est une très jolie occasion de vous faire sentir devant
quoi les psychologues s'arrêtent, parce que leur fonction est de
c o m p r e n d r e quelque chose à quoi ils ne comprennent rien, et j u s q u ' o ù
les linguistes ne poussent pas, malgré la m é t h o d e merveilleuse qu'ils
o n t entre les mains. N o u s irons, nous, un peu plus loin.
Reprenons la scène. Q u i est là, à écouter le n o m m é Abner ? C'est
Joad, le Grand-Prêtre, qui est en train de mijoter le petit complot qui va
aboutir à la m o n t é e sur le trône de son fils qu'il a dérobé au massacre à
l'âge de deux mois et demi, et élevé dans une p r o f o n d e retraite. Vous
imaginez dans quel sentiment il écoute cette déclaration de l'officier —
Oui, je viens dans son temple adorer l'Éternel. Le vieux peut bien se dire, en
écho — Qu'est-ce qu'il vient donc faire ici ? Le thème continue —
298
LE P O I N T DE CAPITON
299
LES ENTOURS DU TROU
Je l'observais hier...
— Je viens à la Fête-Dieu.
— Très bien, dit l'autre, entrez dans la procession,
et ne parlez pas dans les rangs.
C e n'est pas cela du tout, à une seule condition — c'est que vous vous
aperceviez du rôle du signifiant. Si vous vous en apercevez, vous voyez
qu'il y a un certain n o m b r e de mots-clés sous-jacents au discours des
300
LE POINT DE CAPITON
Je crains Dieu, dites-vous... lui renvoie-t-il, alors qu'il n'a jamais dit
cela, Abner,
Il ne faut pas croire que ce soient des innocentes victimes sous des
f o r m e s plus ou m o i n s fixes dans des lieux appropriés. Q u a n d A b n e r fait
remarquer que l'Arche sainte est muette et ne rend plus d'oracles, on lui
rétorque vivement que —
301
LES ENTOURS DU TROU
302
LE POINT DE CAPITON
303
LES ENTOURS D U TROU
304
LE POINT DE CAPITON
305
LES ENTOURS DU TROU
vous imaginez peut-être que le tu est là, au niveau du grand Autre ? Pas
du tout. C'est par là que nous commencerons — le tu dans sa f o r m e
verbalisée ne recouvre pas du tout ce pôle que nous avons appelé
grand A.
6 JUIN 1 9 5 6 .
XXII
Ces phrases, qui sont attestées, ont été par moi recueillies dans la
g r a m m a i r e de D a m o u r e t t e et Pichon, ouvrage considérable et fort
instructif, ne serait-ce que par la quantité é n o r m e de documents fort
intelligemment classés, quelles qu'en soient les erreurs d'ensemble et de
détail.
Ces deux phrases, dont l'une est parlée et l'autre écrite, nous
m o n t r e n t que ce sur quoi j e vais faire tourner a u j o u r d ' h u i votre
réflexion, n'est pas un artifice forgé, une subtilité littéraire implantée à
tort.
La première phrase a été manifestement recueillie, Pichon en donne
l'indication par des initiales, d ' u n e patiente en analyse, M m e X . , telle
date. Je suis beaucoup plus moi, dit-elle, sans doute fort satisfaite de
quelque progrès accompli dans son traitement, avant j'étais un paramoi,
qui croyais être... Dieu merci, la langue française, souvent ambiguë dans
le parlé, permet ici, grâce à la rencontre du silence consonantique et
d'une voyelle initiale, de parfaitement distinguer ce dont il s'agit. Le
verbe est à la première personne du singulier, c'est m o i qui croyais. A
travers le relatif, la première personne s'est transmise dans la rela-
tive.
Vous m e direz — Ça va de soi. C'est ce que m ' a r é p o n d u une f e m m e
charmante que j'essayais d'intéresser récemment à ces sujets en lui
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pas p o u r s'en servir. Je dis — l'Autre est donc le lieu où se constitue le je qui
parle avec celui qui entend. Je dis cela à la suite de quelques remarques sur
ie fait qu'il y a t o u j o u r s un Autre au-delà de tout dialogue concret, de
tout j e u interpsychologique. La formule que j e vous ai citée doit être
prise c o m m e un point de départ, il s'agit de savoir à quoi elle
conduit.
Je voudrais que vous sentiez toute la différence qu'il y a entre une telle
perspective et celle qui est aujourd'hui confusément acceptée. Dire que
l'Autre est le lieu où se constitue celui qui parle avec celui qui écoute est
:out à fait autre chose que de partir de l'idée que l'autre est un être.
N o u s s o m m e s dans l'analyse intoxiqués depuis quelque temps par
des thèmes incontestablement venus du discours dit existentialiste, où
l'autre est le tu, celui qui peut répondre, mais dans u n m o d e qui est celui
d'une symétrie, d ' u n e correspondance complète, l'alter ego, le frère.
O n se fait une idée fondamentalement réciproque de l'intersubjectivité.
Ajoutez-y les confusions sentimentales qui s'inscrivent sous la rubrique
du personnalisme, et le livre de Matin Buber sur le Je et le tu — la
confusion sera définitive, et irrémédiable, sauf à revenir à l'expé-
rience.
Loin d'avoir apporté quoi que ce soit à l'éclaircissement du f o n d e -
ment de l'existence de l'autre, l'expérience existentialiste n'a fait que la
suspendre toujours plus radicalement à l'hypothèse de la projection —
sur laquelle bien entendu vous vivez tous — selon laquelle l'autre n'est
guère q u ' u n e certaine semblance humaine, animée par un j e reflet du
mien.
Animisme, a n t h r o p o m o r p h i s m e , sont là toujours tout prêts à surgir,
et à la vérité impossibles à réfuter, aussi bien que les références
sommaires à une expérience du langage prise lors de ses premiers
balbutiements. O n nous fait voir que la maîtrise du tu et du je n'est pas
tout de suite acquise à l'enfant, mais l'acquisition se résume en fin de
compte, p o u r l'enfant à pouvoir dire j e quand vous lui avez dit tu, à
c o m p r e n d r e que quand on lui dit tu vas faire cela, il doit dire dans son
registre je vais faire cela.
Cette conception symétrique aboutit chez les analystes à quelques
vérités premières, à des affirmations sensationnelles du genre de
celle-ci, que j'ai entendue dans la bouche de quelqu'un qui appartient à
ce q u ' o n appelle l'autre g r o u p e — On ne peut pas faire l'analyse de
quelqu'un pour qui l'autre n'existe pas.
Je m e d e m a n d e ce que ça veut dire, que l'autre n'existe pas. Je m e
demande si cette f o r m u l e comporte m ê m e une valeur d'approximation,
si mince soit-elle. D e quoi s'agit-il ? D ' u n vécu, d ' u n sentiment
irréductible ? Prenons notre cas Schreber, p o u r qui toute l'humanité est
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LES ENTOURS D U T R O U
l'on t r o u v e dans l'impératif Viens. Il n ' y a pas besoin d'en dire beaucoup
— Viens suppose u n je, suppose un toi. Il y a d'autre part un plan narratif
qui sera un délocutoire, où il y a toujours moi et toi, mais où on vise
quelque chose d'autre.
Il faut croire q u ' o n n'est pas pleinement satisfait d'une telle réparti-
tion puisqu'à propos de l'interrogation, il se pose un problème
nouveau, que nous introduirons avec une dissymétrie, qui fera symétrie
à la condition que nous considérions que le chiffre 3 est le meilleur.
Si le narratif est il vient, l'interrogatif est vient-il ? Mais tout n'est pas
simple dans cette fonction. La preuve, c'est q u ' o n dit Le roi vient-il ?, ce
qui m o n t r e bien que t-il n'est pas dans l'interrogation tout à fait le m ê m e
sujet que dans la narration. Ça peut vouloir dire qu'il y a u n roi, qu'il
vienne, ou si le roi vient. La question est beaucoup plus complexe dès
q u ' o n s'approche de l'usage concret du langage. L'impératif Viens laisse
l'illusion d'une présence symétrique, bipolaire d ' u n je ou d ' u n tu. Mais
le je ou le tu sont-ils aussi présents quand il est fait référence à ce tiers
objet q u ' o n appelle une troisième personne ?
Ladite troisième personne n'existe pas. Je vous dis cela au passage
p o u r c o m m e n c e r d'ébranler quelques principes certainement très
tenaces dans vos esprits par le fait de l'enseignement primaire de la
g r a m m a i r e . Il n ' y a pas de troisième personne, M . Benveniste l'a
parfaitement d é m o n t r é .
Arrêtons-nous un instant pour situer la question que le sujet se pose,
ou plus exactement la question que je m e pose sur ce que je suis, ou peux
espérer être.
D a n s notre expérience, nous ne la trouvons jamais qu'exprimée par le
sujet hors de lui-même, et à son insu. C'est néanmoins fondamental,
puisque c'est la question qui est au f o n d e m e n t de la névrose, et c'est là
que n o u s l'avons attrapée par les oreilles.
Cette question, quand elle affleure, nous la v o y o n s se décomposer
singulièrement. Elle affleure sous des formes qui n ' o n t rien d'interro-
gatif, c o m m e Puissé-je y arriver !, mais qui sont entre l'exclamation, le
souhait, la f o r m u l e dubitative. Si nous voulons lui donner u n tout petit
peu plus de consistance, l'exprimer dans le registre du délocutoire et du
narratif, à l'indicatif, remarquez c o m m e n t nous disons tout naturelle-
m e n t — Penses-tu réussir ?
Bref, j e voudrais vous amener à une répartition des fonctions du
langage autre que ces ânonnements autour de la locution, de la
délocution et de l'allocution. Et ce, en fonction de la question, la
question t o u j o u r s latente, jamais posée.
Si elle vient au j o u r , si elle surgit, c'est toujours en raison d ' u n m o d e
d'apparition de la parole que nous pouvons appeler de différentes
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relie qui apparaît dans la relative. C'est j u s t e m e n t parce qu'il est lâche
qu'il apparaît dans une originalité spéciale à l'endroit du signifiant, et
qu'il suppose que la personne sait de quelle sorte de signifiant il s'agit
dans ce suivre, qu'elle l'assume. Cela veut dire aussi qu'elle peut ne pas
suivre.
Je vais prendre une référence qui touche au caractère le plus radical
des relations du j e avec le signifiant. Dans les langues indo-européennes
anciennes, et dans certaines survivances des langues vivantes, il y a ce
qu'on appelle la voix moyenne. La voix m o y e n n e se distingue de
l'active et de la passive en ce que, approximation q u ' o n apprend à
i'école, le sujet fait p o u r lui l'action dont il s'agit. Il y a par exemple
deux f o r m e s différentes pour dire Je sacrifie, selon que c'est c o m m e
sacrificateur ou c o m m e celui qui offre le sacrifice.
N ' e n t r o n s pas dans cette nuance de la voix m o y e n n e à propos des
verbes qui o n t les trois voix, parce que, n'en usant pas, nous la sentirons
toujours mal. C e qui est instructif, ce sont les verbes qui n ' o n t que la
voix m o y e n n e . P o u r les recueillir d ' u n article de M . Benveniste sur ce
sujet dans le Journal de psychologie normale et pathologique de janvier-mars
1950, entièrement consacré au langage, sont moyens les verbes suivants
— naître, m o u r i r , suivre et pousser un m o u v e m e n t , être maître, être
couché, revenir à un état familier, jouer, avoir profit, souffrir,
patienter, éprouver une agitation mentale, prendre des mesures — qui
est le medeor dont vous êtes tous investis c o m m e médecins — parler.
Enfin, c'est tout le registre en j e u précisément dans l'expérience
Analytique.
Ces verbes n'existent dans un certain n o m b r e de langues qu'à la voix
moyenne. Q u ' o n t - i l s de c o m m u n ? Il ressort après étude qu'ils ont ceci
en c o m m u n , que le sujet se constitue c o m m e tel dans le procès ou l'état
eue le verbe exprime.
N'attachez aucune importance au terme de procès ou d'état — la
rcnction verbale n'est pas facilement saisie dans une catégorie. Le verbe
es: une fonction dans la phrase, et rien d'autre. Il n ' y a aucune autre
différence entre le n o m et le verbe que leur fonction à l'intérieur de la
rhrase. Procès ou état, les substantifs l'expriment aussi bien. L'impli-
cation du sujet n'est absolument pas changée par le fait que le procès ou
l'état dont il s'agit est exprimé à la f o r m e verbale. S'il est exprimé dans
la f o r m e verbale, c'est qu'il est le support d ' u n certain n o m b r e d'accents
signifiants qui situent l'ensemble de la phrase sous un m o d e t e m p o -
rel.
L'existence de f o r m e s distinctes p o u r les verbes dans lesquels le sujet
se constitue c o m m e tel, c o m m e je, tels le sequor latin, qui implique, en
raison du sens plein du verbe suivre, la présence du j e dans la sécution,
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1 3 JUIN 1 9 5 6 .
XXIII
LA GRAND'ROUTE
ET LE SIGNIFIANT « ÊTRE PÈRE »
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erreur, mais dans cette perspective c'est strictement vrai, et dans notre
expérience ça ne l'est pas moins. Q u o i que ce soit qui s'annonce c o m m e
Je suis celui qui suis est parfaitement problématique, n o n soutenu, et
presque n o n soutenable, ou soutenable que par un sot.
Réfléchissez au Je suis de Je suis celui qui suis. C'est bien là ce qui fait le
caractère problématique de la relation à l'autre dans la tradition qui est la
nôtre. C'est aussi ce qui distingue en propre notre rapport aux étants,
aux objets, et notre science à nous — beaucoup plus p r o f o n d é m e n t que
son caractère dit expérimental. Les anciens n'expérimentaient pas
moins que nous, ils expérimentaient sur ce qui les intéressait, la
question n'est pas là. C'est dans la façon de poser les autres, les petits
autres, dans la lumière de l'Autre dernier, absolu, que nous nous
i i n t i n g u o n s dans n o t r e façon de morceler le m o n d e , de le mettre en
miettes. Les anciens l'abordaient par contre c o m m e quelque chose qui
>e hiérarchise sur une échelle de consistance de l'étant. N o t r e position
met radicalement en cause l'être m ê m e de ce qui s'annonce c o m m e
étant être, et n o n pas étant.
A celui qui dit Je suis celui qui suis, nous s o m m e s hors d'état de
répondre. Q u e s o m m e s - n o u s p o u r pouvoir répondre à celui qui suis ?
Nous ne le savons que trop. U n étourneau — à la vérité il nous en vient
beaucoup, des vols d'étourneaux, de l'autre côté de l'Atlantique — que
-'ai rencontré r é c e m m e n t m'affirmait — Mais enfin, quand même, je suis
••.o!.' Ça lui semblait la certitude dernière. Je vous assure que j e ne
l'avais pas p r o v o q u é , et q u e j e n'étais pas là p o u r faire de la propagande
anti-psychologique.
A la vérité, s'il y a une évidence vraiment minimale dans l'expérien-
ce. ie ne dis pas celle de la psychanalyse, mais simplement l'expérience
intérieure de quiconque, c'est qu'assurément nous s o m m e s d'autant
moins ceux qui s o m m e s , que nous savons bien quel vacarme, quel
chaos épouvantable traversé d'objurgations diverses nous expérimen-
tons en n o u s à tout propos, à tout b o u t de champ.
le vous ai tenus en main depuis assez longtemps p o u r que vous vous
aperceviez que la parole, et spécialement cette f o r m e essentielle de la
parole où nous nous annonçons n o u s - m ê m e s c o m m e un tu, est un
m o d e complexe qui est loin de pouvoir se réduire à l'intuition de deux
rentres échangeant des signaux. La relation de sujet à sujet étant
structurée dans u n m o d e complexe par les propriétés du langage, le rôle
propre q u ' y j o u e le signifiant doit y être repéré.
le voudrais vous ramener à des propriétés simples dudit signifiant. Le
radicalisme q u e j e vous ai manifesté au sujet de la relation du sujet au
sujet, va à u n e interrogation en marche de l'Autre c o m m e tel, qui le
m o n t r e à p r o p r e m e n t parler insaisissable — il ne soutient pas, il ne peut
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monieuse — vous ayez à passer, pour aller de Mantes à Rouen, par une
série de petites routes, comme celle qui va de Mantes à Vernon, puis de
Vernon à ce que vous voudrez. Il suffit d'avoir fait cette expérience
pour s'apercevoir que ce n'est pas du tout pareil, une succession de
petites routes et une grand-route. N o n seulement ça vous ralentit dans
la pratique, mais ça change complètement la signification de vos
comportements vis-à-vis de ce qui se passe entre le point de départ et le
point d'arrivée. A fortiori, si vous imaginez toute une contrée couverte
d'un réseau de petits chemins, sans que nulle part n'existe la grand-
route.
La grand-route est quelque chose qui existe en soi et qui est reconnu
tout de suite. Q u a n d vous sortez d'un sentier, d'un fourré, d'un
bas-côté, d'un petit chemin vicinal, vous savez tout de suite que là, c'est
ia grand-route. La grand-route n'est pas quelque chose qui s'étend d'un
point à un autre, c'est une dimension développée dans l'espace, la
présentification d'une réalité originale.
La grand-route, si je la choisis comme exemple, c'est parce que,
comme dirait M. de la Palice, c'est une voie de communication.
Vous pouvez avoir le sentiment qu'il y a là une métaphore banale,
que la grand-route n'est qu'un moyen d'aller d'un point à un autre.
Erreur.
Une grand-route n'est pas du tout pareille au sentier que trace le
mouvement des éléphants à travers la forêt équatoriale. Tout impor-
tants, paraît-il, que soient ces sentiers, ils ne sont rien d'autre que le
passage des éléphants. Sans doute n'est-ce pas rien, puisque c'est
soutenu par la réalité physique des migrations éléphantesques. D e plus,
ce passage est orienté. Je ne sais si ces frayages conduisent c o m m e on le
dit quelquefois, à des cimetières, qui paraissent bien mythiques — il
semble que ce soient plutôt des dépôts d'ossements —, mais assurément
les éléphants ne stagnent pas sur leurs routes. La différence qu'il y a
entre la grand-route et le sentier des éléphants, c'est que nous, nous
nous y arrêtons, — et l'expérience parisienne revient au premier plan —
nous nous y arrêtons au point de nous y agglomérer, et de rendre ces
deux de passage assez visqueux pour confiner à l'impasse.
Il se passe encore bien d'autres choses sur la grand-route.
Il arrive que nous allions nous promener sur la grand-route, exprès
et intentionnellement, pour faire ensuite le même chemin en sens
contraire. Ce mouvement d'aller et retour aussi est tout à fait essentiel,
et nous mène sur le chemin de cette évidence — c'est que la grand-route
est un site, autour de quoi non seulement s'agglomèrent toutes sortes
d habitations, de lieux de séjour, mais aussi qui polarise, en tant que
signifiant, les significations.
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•s. qui ne sont rien d'autre que l'infinité de ces petits chemins, les
unifiants se mettent à parler, à chanter tout seuls. Le m u r m u r e continu
• ces phrases, de ces commentaires, n'est rien d'autre que l'infinité de
-5 petits chemins.
C'est encore une chance qu'ils indiquent vaguement la direction,
l'essaierai la prochaine fois de montrer comment tout ce qui, dans le
élire, s'orchestre et s'organise selon différents registres parlés, révèle,
ns son étagement c o m m e dans sa texture, la polarisation fondamen-
e du manque soudain rencontré, soudain aperçu, d'un signifiant.
20 JUIN 1 9 5 6 .
XXIV
« T U ES »
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vérité j e pense que notre tutoiïté d ' a u j o u r d ' h u i vous rendra familiers
avec le registre dont il s'agit.
Faisons le pas suivant. Il s'agit que l'autre soit reconnu c o m m e tel.
Q u e faut-il donc pour que l'autre soit reconnu c o m m e tel ? Qu'est-ce
que c'est, cet autre ? C'est en fin de compte l'autre en tant qu'il figure
dans la phrase de mandat. C'est là qu'il faut nous arrêter un instant.
La reconnaissance de l'autre ne constitue pas un franchissement
inaccessible, puisqu'aussi bien nous avons vu que l'altérité évanouis-
sante de l'identification imaginaire du moi ne rencontre le toi que dans
un m o m e n t limite où aucun des deux ne pourra subsister ensemble avec
l'autre. L'Autre, avec un grand A, il faut bien qu'il soit reconnu au-delà
de ce rapport, m ê m e réciproque, d'exclusion, il faut que, dans cette
relation évanouissante, il soit reconnu c o m m e aussi insaisissable que
moi. E n d'autres termes, il faut qu'il soit invoqué c o m m e ce que de
l u i - m ê m e il ne connaît pas. C'est bien le sens de tu es celui qui me
suivras.
Si vous y regardez de près, si tu es celui qui me suivras est délégation,
voire consécration, c'est p o u r autant que la réponse n'est pas un j e u de
mots, mais un je te suis, je suis, je suis ce que tu viens de dire. Il y a un usage
de la troisième personne, absolument essentiel au discours en tant qu'il
désigne ce qui en est le sujet m ê m e , c'est-à-dire ce qui a été dit. J e le suis,
ce que tu viens de dire, ce qui en l'occasion veut dire exactement — j e suis
très précisément ce que j'ignore, car ce que tu viens de dire est absolument
indéterminé, je ne sais pas où tu me mèneras. La réponse pleine au tu es celui
qui me suivras, c'est je le suis.
V o u s connaissez la fable de la tortue et des deux canards. La tortue
arrive à ce m o m e n t crucial où les canards lui ont proposé de l ' e m m e n e r
aux Amériques, et tout le m o n d e attend de voir cette petite tortue
accrochée au bâton de voyageuse — La reine ?, dit la tortue, oui
vraiment, je la suis. Pichon se pose là-dessus d'énormes questions p o u r
savoir s'il s'agit d ' u n e reine à l'état abstrait ou d'une reine concrète, et
spécule de façon déconcertante pour quelqu'un qui avait quelque finesse
en matière grammaticale et linguistique, sur le point de savoir si elle
n'aurait pas dû dire j e suis elle. Si elle avait parlé d'une reine existante,
elle aurait pu dire beaucoup de choses, par exemple, je suis la reine, mais
puisqu'elle dit j e la suis, en se référant à ce dont vous venez de parler, il
n ' y a aucune distinction à introduire, il suffit de savoir que ce la
concerne ce qui est impliqué dans le discours.
C e qui est impliqué dans le discours est bien ce dont il s'agit. Il faut
nous arrêter un instant à cette parole inaugurale du dialogue, et mesurer
l ' é n o r m i t é du tu es celui qui me suivras. C'est au tu lui-même que nous
n o u s adressons en tant qu'inconnu. C'est là ce qui fait son aisance, sa
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XXI
LE PHALLUS ET LE MÉTÉORE
Prévalence de la castration.
Ida Macalpine.
Symbolisation naturelle et sublimation.
L'arc-en-ciel.
Inséré dans le père.
Je ne sais pas très bien par quel bout commencer p o u r finir ce cours.
A tout hasard, j e vous ai mis au tableau deux petits schémas.
Le premier est ancien. C'est une espèce de grille sur laquelle j'ai
essayé au début de cette année de vous m o n t r e r c o m m e n t se pose le
p r o b l è m e du délire si nous voulons le structurer en tant qu'il semble
bien être une relation liée par quelque bout à la parole. Le second de ces
schémas est tout nouveau, et j'aurai à m ' y référer tout à l'heure.
C e que j'ai avancé cette année était centré par le souci de remettre
l'accent sur la structure du délire. Le délire peut être considéré c o m m e
une perturbation de la relation à l'autre, et il est donc lié à u n mécanisme
transférentiel. Mais j'ai voulu vous m o n t r e r qu'il s'éclairait dans tous
ses phénomènes, et j e crois m ê m e pouvoir dire dans sa dynamique, en
référence aux fonctions et à la structure de la parole. C'est là, aussi bien,
libérer ce mécanisme transférentiel de j e ne sais quelles confuses et
diffuses relations d'objet.
Par hypothèse, chaque fois q u ' o n a affaire à un trouble considéré dans
sa globalité c o m m e immature, on se rapporte à une série développe-
mentale linéaire dérivant de l'immaturation de la relation d'objet. O r ,
l'expérience m o n t r e que cette unilinéarité conduit à des impasses, à des
explications insuffisantes, immotivées, qui se superposent de telle façon
qu'elles ne permettent pas de distinguer les cas, et au premier plan,
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éléments masculins, ils joueront leur rôle de fécondation sans être autre
chose, c o m m e dans l'animalité, qu'un circuit latéral indispensable. Il y a
engendrement des femmes par les femmes, avec l'aide d'avortés
latéraux qui peuvent servir à relancer le processus, mais ne le structu-
rent pas. C'est uniquement à partir du m o m e n t où nous cherchons à
inscrire la descendance en fonction des mâles, qu'intervient une
novation dans la structure. C'est uniquement à partir du m o m e n t où
nous parlons de descendance de mâle à mâle que s'introduit une
coupure, qui est la différence des générations. L'introduction du
signifiant du père, introduit d'ores et déjà une ordination dans la lignée,
la série des générations.
N o u s ne sommes pas là pour développer toutes les faces de cette
fonction du père, mais je vous en fais remarquer une des plus
frappantes, qui est l'introduction d'un ordre, d'un ordre mathématique,
dont la structure est différente de l'ordre naturel.
N o u s avons été formés dans l'analyse par l'expérience des névroses.
La dialectique imaginaire peut suffire si, dans le cadre que nous
dessinons de cette dialectique, il y a déjà cette relation signifiante
impliquée pour l'usage pratique qu'on en veut faire. Dans deux ou trois
générations, on n'y comprendra sans doute plus rien, une chatte n'y
retrouvera plus ses petits, mais pour l'instant, dans l'ensemble, que le
thème du complexe d'Œdipe reste là préserve la notion de structure
signifiante, si essentielle pour se retrouver dans les névroses.
Mais quand il s'agit des psychoses, c'est autre chose. Il ne s'agit pas de
la relation du sujet à un lien signifié à l'intérieur des structures
signifiantes existantes, mais de sa rencontre, dans des conditions
électives, avec le signifiant c o m m e tel, laquelle marque l'entrée dans la
psychose.
Voyez à quel m o m e n t de sa vie la psychose du président Schreber se
déclare. A plus d'une reprise, il a été en situation d'attendre de devenir
père. Le voilà tout d'un coup investi d'une fonction considérable
socialement, et qui a beaucoup de valeur pour lui — il devient président
à la C o u r d'appel. Je dirai que dans la structure administrative dont il
s'agit, il s'agit de quelque chose qui ressemble au Conseil d'État. Le
voilà introduit au sommet de la hiérarchie législatrice, parmi des
h o m m e s qui font des lois et qui ont tous vingt ans de plus que lui —
perturbation de l'ordre des générations. A la suite de quoi ? D ' u n appel
exprès des ministres. Cette promotion de son existence nominale
sollicite de lui une intégration rénovante. Il s'agit en fin de compte de
savoir si le sujet deviendra, ou non, père. C'est la question du père, qui
centre toute la recherche de Freud, toutes les perspectives qu'il a
introduites dans l'expérience subjective.
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4 JUILLET 1 9 5 6 .
TABLE
INTRODUCTION
A LA QUESTION DES PSYCHOSES
THÉMATIQUE ET STRUCTURE
DU PHÉNOMÈNE PSYCHOTIQUE
DU SIGNIFIANT ET DU SIGNIFIÉ
Le c h a m p freudien,
c o l l e c t i o n d i r i g é e par Jacques Lacan
9 I S B N 9 7 8 . 2 . 0 2 . 0 0 6 0 2 6 . 4 / i m p r i m é c-n France 11.81-11 32,00 €