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ETUDE DE EL TÚNEL DE ERNESTO SÁBATO

I. VIE ET OEUVRES
Ernesto Sábato est né le 24 Juin 1911 à Rojas (Buenos Aires). En 1924, à treize ans,
l’auteur entre au Collège Secondaire de la Plata. Cette nouvelle expérience le sépare
« douloureusement » de sa « mère réservée et stoïque » mais qui lui « avait donné tendresse
et compréhension »1. En plus, son contact avec les autres élèves ne fut pas facile. C’est dans
cette atmosphère tendue et hostile qu’il fait sa première rencontre avec les mathématiques qui
seront déterminantes dans le choix de sa carrière professionnelle et son attachement à la
science.
Bachelier en 1928, il entre comme étudiant à la Faculté des Sciences Physiques et
Mathématiques à l'université de La Plata à Buenos Aires. En 1930, il est attiré par
l'anarchisme. Ensuite, il adhère la même année au parti communiste, après avoir lu Misère de
la philosophie (1846) de Karl Marx: « Sábato se vincula con agrupaciones anarquistas y se
ve rodeado por marxistas »2.
Militant actif, Sábato abandonne ses études et sa famille pour se consacrer entièrement
au mouvement, en devenant Secrétaire de la Jeunesse Communiste en 1933. L’auteur révèle
qu’il s’est apparenté à l’anarchisme et au communisme du fait qu’il ne pouvait plus supporter
les injustices sociales. C’est pendant cette période qu’il fait la rencontre de celle qui sera son
épouse, Matilde Kusminsky-Richter. Celle-ci sera son grand soutien pendant les moments
difficiles de sa vie: « Matilde ha sido el sostén máximo de Sábato en los momentos de
abatimiento, pesimismo y desesperación »3.

Délégué au congrès antifasciste de Bruxelles en 1935, il traverse une grave crise


intellectuelle, rompt avec le parti communiste et part pour Paris où il est hébergé
clandestinement à l'École Normale Supérieure de Paris par un concierge trotskiste. Il revient à
Buenos Aires en 1936 et épouse Matilde avec qui, il aura deux fils: Jorge Federico, mort trop
tôt des suites d’un accident, et Mario. En 1938, Ernesto Sábato obtient le Doctorat de
Physique à l’université de La Plata. Grâce à Bernado Houssay4, il reçoit une bourse annuelle

1
Edmond Cros, « En ces temps d’adolescence: Ernesto Sábato », op.cit., p. 6.
2
Alfredo Angel Roggiano, « Crono bio-bibliorafía, seleccionada y comentada de Ernesto Sábato. Itinerario del
hombre y del escritor », Op.cit., p. 27.
3
Idem, p. 28.
4
(1887­1971) professeur de Physique d’Ernesto Sábato à l’université de La Plata, Prix Nobel en médecine en
1947. Il fut un médecin et pharmacien argentin.

1
pour aller réaliser des travaux de recherche sur les radiations atomiques dans le Laboratoire
Marie Curie avec Irène Joliot-Curie à Paris. Pendant cette période, il fréquente les surréalistes
à Montparnasse.
Le 25 mai 1938, naît son premier fils Jorge Federico. Par la suite, Sábato est affecté à
Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, ce qui l’amène à abandonner
Paris avant l’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale. Il retourne en Argentine en 1940 où
il devient enseignant à l’université de La Plata: « Vuelve a Buenos Aires y acepta dar clases
en la Facultad de Ciencias Físico-Matemáticas de la Universidad de La Plata »5.
Rentré à Buenos Aires en 1940, son désir d’abandonner la science est déjà confirmé.
En 1943, après une crise existentielle due notamment au massacre des milliers de civils
pendant la Seconde Guerre Mondiale, Sábato décide de tourner définitivement le dos à la
science pour se consacrer pleinement à la littérature. En conséquence de son abandon de la
science pour la littérature, il est l’objet de rejet et de mépris de la part de ses maîtres, de la
communauté scientifique et de tous ceux qui pensaient à cette époque que l’avenir de
l’univers se trouvait uniquement dans la science.
Avec la publication de son livre Uno y el Universo en 1945, l’auteur entame
véritablement sa carrière littéraire. De retour à Buenos Aires, dans une situation économique
très difficile, il décide de donner des cours et faire des traductions pour suivre lui et sa famille.
Cependant, ce problème persiste de manière conflictuelle, non seulement pour lui, mais pour
l’Argentine en général. Cela l’amène à accepter une charge offerte par l’UNESCO. Par la
suite, il décide d’aller seul à Paris en 1947. À son arrivée, rien ne reste de l’optimisme radical
qui l’avait fait rêver et poursuivre l’utopie. Seulement, il règne le désespoir, le pessimisme,
l’impuissance d’un monde descendu aux niveaux les plus obscurs: des millions de dollars
gaspillés pour la destruction de l’homme; la haine et le sang répandus à dans le monde;
l’extrême stupidité qui a conduit au bombardement d’Hiroshima en Août 19456. Trois années
plus tard, Sábato écrit son premier roman: El Túnel: « A través de la angustia, en una
máquina portátil comencé a escribir de manera afiebrada la historia de un pintor que
desesperadamente intenta comunicarse »7.

5
Edmond Cros, « En ces temps d’adolescence: Ernesto Sábato », Op.cit., p. 30.
6
Julia Avecillas Almeida, Literatura y psicoanálisis: una aproximación a la narrativa y universo literario de
Ernesto Sábato, Op.cit., p. 140.
7
Ernesto Sábato, Antes del fin, Op.cit., p. 78.

2
Le 30 septembre l998, son épouse Matilde meurt et il publie la même année ses
mémoires sous le titre de Antes del fin. Dans ce livre, Sábato médite sur l'insurmontable
douleur de perdre un enfant8 et la détresse de tous les enfants d'un monde que le XXe siècle a
rempli d'horreur après y avoir fait naître tant d'espérance. Aussi, est-il un témoin majeur de
cette histoire proche, où il croise Marie Curie, Thomas Mann, André Breton, “Che’’ Guevara,
Elmir Cioran, Jorge Luis Borges, Witold Gombrowicz et Albert Camus.

Les œuvres de Sábato, créées et publiées consécutivement, se caractérisent par l’étroite


relation qui existe entre eux, un fait qui permet une sorte de lecture continue et progressive.
El Túnel (1948), Sobre Héroes y Tumbas (1961) et Abaddón el Exterminador (1974) sont les
trois romans qui forment sa trilogie.Les trois romans ne peuvent pas être analysés
distinctement puisqu’ils sont interconnectés.
Ernesto Sábato meurt le 30 Avril 2011.

II. ANALYSE DE EL TÚNEL


1.1. Le titre
Le titre El túnel ou Le tunnel9 nous avertit que nous devrions lire cette œuvre avec les
lumières allumées comme lorsque nous rentrons dans n’importe quel tunnel. L’intérieur est
obscur. C’est le symbole de l’angoisse et de la peur. Nous verons plus loin dans l’œuvre que
les deux personnages vivent tous deux dans des tunnels parallèles etqu’il en existe un seul,
obscur et solitaire: celui du protagoniste. C’est l’espace dans lequel ils vivent:

Y era como si los dos hubiéramos estado viviendo en pasadizos o túneles paralelos, sin
saber que íbamos el uno al lado del otro, como almas semejantes en tiempos semejantes,
para encontrarnos al fin de esos pasadizos […] como un secreto anuncio de que ya
estaba yo allí y que los pasadizos se habían por fin unido y que la hora del encuentro
había llegado. […]en todo caso había un solo túnel, oscuro y solitario: elmío, el túnel
en que había transcurrido mi infancia, mi juventud, toda mivida. (ET, pp. 122-123)

Ainsi, El túnel se trouve rempli de symboles et de sens, ce qui nous amène à opérer un
décodage du titre. Le tunnel représente la vie du protagoniste et celle de son amante,
principaux personnages de l’œuvre. C’est aussi une figure du monde moderne. Mais au même
moment, il représente l’emprisonnement du héros. C’est en réalité une sorte d’enfermement,
un lieu infernal.

8
Sábato perd son fils Jorge Federico. Sa mort l’affecte profondément et c’est la raison pour laquelle il rappelle
ces moments doulereux dans Antes del fin.
9
Traduction du titre en français par Michel Bibard dans Ernesto Sábato, Œuvres romanesques, présenté par
Jean-Didier Wagneur, Paris, Seuil, 1996, pp. 1007-1008.

3
Le titre du premier roman nous conduit immédiatement vers une régression, au
moment du passage du col utérin à la naissance. Il nous transporte aussi à un processus de
retour au ventre, à la source vitale de l’utérus de la mère, à la communion avec elle dans la
mort et l’inexistence, aux grottes. Ce tunnel, qui mène à la vie ou à la mort, correspond à une
dualité entre naissance et séparation.

El túnel postule de par son titre l’existence du mal sous différentes manifestations qui
constituent autant de galeries souterraines et de ramifications propres à nous perdre dans un
enchevêtrement labyrinthique. En réalité, Ernesto Sábato se propose d’y sonder l’âme
humaine. Il cherche à dévoiler « la part nocturne de notre existence, et, en ce sens, l’âme
humaine représente un puits sans fond »10. L’analyse du titre El túnel nous indique que
l’œuvre ne débouche sur aucune lumière et rejette à cet effet toute métaphysique de l’espoir.
Il s’agit d’un voyage sans retour du « monde des ténèbres et la vacuité du néant »11.

2. L’épigraphe
« … en todo caso, había un solo túnel, oscuro y solitario: el mío » (ET, p. 10). En
observant bien cette note épigraphique, nous nous rendons compte qu’il contient un mot
identique au mot clé du titre du roman: « túnel ». L’épigraphe vient donner un supplément
d’information sur le titre de l’œuvre et plus loin l’œuvre entière. La citation nous révèle qu’il
n’existe aucun autre tunnel à part celui dont parle le roman. Il est obscur et solitaire. Les deux
adjectifs (“obscuro’’ et “solitario’’) sont très symboliques en ce sens qu’ils traduisent la
condition désastreuse dans laquelle se meut le principal protagoniste de El túnel. L’épigraphe
de El túnel n’est pas d’un auteur externe (Sábato) mais interne (Castel). En effet, il s’agit de
la phrase du protagoniste extraite à la page 123 (cent vingt-trois) du roman. Elle est
l’expression de son mal de vivre puisqu’il ajoute qu’il a passé son enfance, sa jeunesse et
toute sa vie dans un tunnel sombre et isolé (ET, p. 96).

3. Les personnages principaux ou protagonistes

L’histoire de El túnel est principalement celle de deux amants: Juan Pablo Castel et
María Iribarne Hunter.

10
Gaëlle Jéhanno, « Le mythe de Narcisse dans Le tunel (1948) d’Ernesto Sábato », Amerika, Juin 2012,
disponible sur: http://amerika.revues.org/3151.pdf, Consulté le 16 novembre 2016 à 9h 37.
11
Ibidem.

4
Dès le début de la narration, le protagoniste déclare son identité: son nom est Juan
Pablo Castel, peintre et âgé de 38 ans. C’est lui qui a assassiné María Iribarne, son amante.
Pourtant, il va refuser d’être appélé par le nom “Castel’’, préférant plutôt le prénom “Juan
Pablo’’: « ¡No me digas Castel! -grité indignado » (ET, p. 43). Dans l’œuvre, il ne justifie pas
ce refus. Selon notre analyse, le nom Castel a une ressemblance avec le mot « Cárcel » en
espagnol et qui veut dire “Prison’’. Peut-être qu’il a pressenti, à travers ce nom, son
emprisonnement prochain. Cela justifierait son rejet systématique: « Castel, comme son nom
tend à le suggérer, est marqué par la terrible solitude de qui vit isolé dans son propre château
hanté par le mal »12.

Au plan professionnel, c’est un grand artiste selon les termes de son amante: « Usted
es un gran artista » (ET, p. 37). Aussi, il décrit lui-même la façon dont il est formé. Selon lui,
il est un être humain avec tous les attributs comme tout autre. Castel est un homme très connu
dans le milieu intellectuel de Buenos Aires (SHT, p. 396). C’est un peintre très célèbre et
connu peut-être du fait de ses œuvres d’art.

En ce qui concerne ses caractéristiques psychiques, Castel dit être une personne
caractérisée par les mauvais souvenirs: « Yo, por ejemplo, me caracterizo por recordar
preferentemente los hechos malos » (ET, p. 11). Au sujet de sa relation avec les femmes, il
atteste n’avoir jamais été juponnier13. En diverses occasions, il aime se justifier et selon lui
c’est une mauvaise habitude puisque cela fait de lui un personnage égocentrique narcissique:
« Pero es por mi maldita costumbre de querer justificar cada uno de mis actos » (ET, p. 23).
Castel est un personnage triste, timide et torpide: « Estaba muy triste » (ET, p. 2) ; « Creo
haber dicho que soy muy tímido » (ET, p. 18); « Me reprochaba la torpeza » (ET, p. 25). Il
est un fumeur: « Encendí un cigarillo » (ET, p. 33). Psychologiquement, Juan Pablo Castel
est un personnage très intense. Avec une habileté mentale, il se questionne et interroge le
lecteur sur l’existence humaine. Par moment, il devient fragile, introverti, timide et instable.
En d’autres circonstances, il se transforme en un être violent et agressif prêt à faire du mal. Il
examine, planifie et pense à tout jusqu’à ce qu’il tire une conclusion. La dépression l’accable
en raison de sa solitude et son incompréhension.

12
Monique Plâa, « La construction du personnage et la représentation du mal dans El túnel de Sábato », Les
écritures du mal dans la littérature latino-américaine, Paris, SAL, 2011, p. 25.
13
Homme qui cherche à séduire les femmes.

5
Comme un détective ou enquêteur, Juan Pablo aime les détails et non les généralités
puisque cela suscite en lui de l’émotion: « Necesitaba detalles: me emocionan los detalles, no
los generalidades » (ET, p. 43). Il affirme ne pas être envieu. Pourtant, il se contredit en
affirmant que son âme a hébergé plusieurs vices dont la convoitise, la pétulance, l’avidité et la
grossièreté. Il décrit donc sa stupidité, son aveuglement, son égoïsme et sa cruauté: « !Yo, tan
estúpido, tan ciego, tan egoísta, tan cruel! » (ET, p. 57). Selon lui, il est un monstreux et
ridicule homme du tunnel et des messages secrets: « Yo el imbécil, el ridículo hombre del
túnel y de los mensajes secretos » (ET, p. 124).

En général, Castel est pessimiste et très critique de la société comme l’est Ernesto
Sábato en réalité. C’est un personnage qui est incapable de contrôler ses émotions et qui
arrive toujours à ses propres conclusions. Il n’a pas confiance en sa vision des choses, puisque
les informations de même que l’histoire nous parviennent à travers sa propre perception. Dans
sa relation avec María, l’attitude de cette dernière envers lui est incompréhensible. En effet,
leur relation se complique au fur et à mesure, aboutissant à des injures et à l’augmentation de
ses doutes vis-à-vis d’elle. Tout cela l’amène à l’assassiner. Assurément, il croit trouver en
son amante la compréhension et l’amour qu’il n’a jamais eu. En fin de compte, son obsession
pour elle est portée à sa limite et il l’a tue croyant qu’elle lui est infidèle.

María Iribarne Hunter, amante de Castel, est connue par le prisme de ce dernier. En
effet, selon le protagoniste, elle est une femme manipulatrice à telle enseigne qu’elle semble
profiter de son rôle de trompeuse pour faire du mal aux hommes. Elle incarne le mal qui
contamine tous ceux qui osent l’approcher: « Hago mal a todos los que me acercan » (ET, p.
41). En réalité, son caractère et ses sentiments ne sont pas définis parce qu’elle est difficile à
maîtriser et à contrôler. Il y a des ombres autour d’elle, ce qui fait d’elle un personnage
énigmatique: « Alrededor de María existían muchas sombras » (ET, p. 47). À travers les
événements et les faits dans l’œuvre, et toujours selon Castel, elle-même est responsable de
son assassinat puisqu’elle n’a pas été fidèle non seulement à son mari, mais aussi à son
amante. Sa mort est donc la conséquence de son infidélité et du mal qu’elle inflige aux
hommes.

Sur le plan physique, María est décrite comme une femme belle mais avec un visage
dur, des cheveux longs et châtains. Elle ne dépasse pas 26 ans: « Su rostro era hermoso pero
duro. El pelo largo y castaño. Físicamente, no aparentaba mucho más de veintiséis años »
(ET, p. 37). Son regard est étrange, fixe et pénétrant: « Era una mirada extraña, fija,

6
penetrante, parecía venir atrás, esa mirada me recordaba algo » (ET, p. 37). Son amant
Castel révèle qu’elle est semblable à lui et qu’ils ont quelque chose en commun: « era un ser
semejante a mí. » (ET, p. 54).

En ce qui concerne sa situation matrimoniale, María est la femme d’Allende.


Cependant au lieu de porter le nom de son mari, elle utilise celui de jeune fille: « María usa
siempre su appellido de soltero » (ET, p. 47). En réalité, ce n’est pas parce qu’elle a honte de
sa situation qu’elle refuse de le porter le nom son mari. Au contraire, son attitude est la preuve
de son infidélité.

4. Les personnages secondaires

Parmi les personnages secondaires que compte El túnel, nous avons dans un premier
temps: Hunter, Mimí et Richard. Le premier est le cousin d’Allende et, selon les soupçons
de Castel, l’amant de María. Architecte de profession, le physique de Hunter s’apparente à
celui de son cousin Allende: « Hunter tenia cierto parecido con Allende […] era alto,
moreno, más bien flaco; pero de mirada escurridiza» (ET, p. 84). Il a de nombreux défauts et
de mauvaises qualifications. Il est assez superficiel et banal. C’est un cynique juponnier,
grotesque, ridicule, malhonnête, aboulique14, ignoble et hypocrite (ET, pp. 49, 50, 84, 120 et
124).

À côté de Hunter, se trouve Mimí Allende. Parentée à Allende, elle vit à la ferme
familiale et Castel fait sa connaissance lors de sa visite en ce lieu. D’origine française, elle
utilise cela pour justifier sa manière d’être, c’est­à­dire pédante. Elle prononce souvent des
mots dans sa langue d’origine. En plus d’être perverse, elle est myope15: « Me presentó a una
mujer flaca que fumaba con una boquilla larguísima. Tenía acento parisiense, se llamaba
Mimí Allende, era malvada y miope» (ET, p. 84).

Quant à Richard, il est l’ex amant de María. Il finit par se suicider des suites d’une
dépression amoureuse. Ayant parfois de nombreux problèmes sentimentaux, il ne trouve
jamais d’issue. Il est caractérisé par son incapacité créatrice. Selon María, il s’agit d’un

14
Trouble mental caractérisé par une diminution ou une disparition de la volonté se traduisant par une inaptitude
à choisir, à se décider et à passer de l'idée à l'acte.
15
Atteinte de myopie. La myopie est une anomalie de la vision, dans laquelle l'image d'un objet éloigné se forme
en avant de la rétine en raison d'un allongement de l'axe antéro-postérieur de l'œil.

7
nihiliste destructif avec une intelligence mortelle: « Era un hombre incapaz de crear nada,
era destructivo, tenía una inteligencia mortal, era nihilista » (ET, p. 69). Psychologiquement,
Richard est déprimé et cela l’amène à se suicider: « Richard era un hombre depresivo » (ET,
p. 69).

Il y a la présence d’autres personnages qui peuvent paraître comme de simples


figurants mais qui jouent en réalité des rôles importants quant au déroulement des
évènements. Nous avons la secrétaire de l’entreprise dans laquelle travaille María (ET, pp.
42, 67). Ensuite, vient la “rumana’’, la prostituée avec laquelle Castel entretient d’intenses
rapports sexuels lorsqu’il se rend compte de la liaison existante entre María et Hunter (ET, p.
112). Nous identifions également une employée de la poste (el Correo). Castel a une
altercation avec elle lorsqu’il tente de récupérer sa lettre qu’il venait d’expédier à María. Elle
le qualifie de fou face à son entêtement et attitude incompréhensible: « La mujer me miró con
asombro: seguramente pensó que era loco » (ET, p. 106). Enfin, Lartigue, l’ami de Hunter
qui est un poète, auteur d’un poème sur la vanité des œuvres humaines. Le protagoniste prend
des renseignements sur Hunter auprès de lui Castel (ET, p. 115).

5. La première personne

Juan Pablo Castel, le protagoniste de El túnel raconte à la première personne les faits
qui se sont déroulés et analyse au même moment les choses qu’il voit: « Me he propuesto
hacer este relato en forma totalmente imparcial » (ET, p. 44). Aussi, il raconte son histoire
avec morosité et sélectionne les détails de la réalité qui l’obsèdent: par exemple sa rencontre
avec María, les détails de leur relation jusqu’au crime passionnel.

L’auteur utilise la perspective du narrateur-protagoniste (usage de la première


personne, participation aux événements): « Soy Juan Pablo Castel » (ET, p. 11); « Nos
sentamos » (ET, p. 59). Sábato cède la parole au protagoniste Juan Pablo Castel, qui nous
raconte les faits importants de son existence à la manière d’une confession: « Debo confesar »
(ET, p. 12).

Le soliloque ou la représentation mentale fait par Castel prédomine. Ce dernier réussit


à conter les faits par l’exploration de sa psychologie. C’est­à­dire le flux de sa conscience, la
description qu’il réalise des faits, sentiments, émotions et raisonnements à travers les trente-
neuf chapitres du roman: « El relato de mi crimen » (ET, p. 19).

8
6. Les espaces

Les évènements dans la trilogie de Sábato se déroulent principalement à Buenos


Aires, capitale de l’Argentine.

Dans El túnel, nous distinguons plusieurs espaces qui jouent un rôle prépondérant dans
le déroulement des évènements:

Salón de Primavera
C’est un lieu d’exposition d’œuvre d’art. Il s’agit d’un espace ouvert au grand public.
Là, Castel rencontre pour la première fois María venue contempler son tableau. Ce salon
marque le début de la tourmente du protagoniste dans une relation amoureuse dont l’issue sera
fatale. Cet espace nous permet d’avoir une idée de la période où se déroulent les évènements
dans le roman. Castel précise l’année: « 1946 ». L’évocation du « Salon Primavera » montre
la relation intrinsèque qu’il existe entre l’espace et le temps (ET, p. 16).

El taller
Comme tout peintre de profession, Castel dispose d’un atelier de travail. C’est le lieu
où il peint et se retire le plus souvent, abandonné dans ses pensées. Lorsqu’il a une décision à
prendre, il s’y rend pour réflechir. Il lui arrive aussi d’y passer des nuits tourmentées: soit
avec des prostituées, soit complètement ivre. Après avoir pris le couteau devant servir à tuer
María, c’est dans le « taller » qu’il se rend avant de s’élancer en direction de la ferme des
Allende (ET, p. 11).

Destiné à la production des tableaux artistiques, l’atelier de Castel devient sa première


maison. Il y passe plus de temps qu’ailleurs. C’est là qu’il peint son fameux tableau baptisé
« Maternidad », principal mobile de son obsession envers María

La maison de Castel et la Calle Posadas

Il n’y a aucune information au sujet du quartier de Buenos Aires dans lequel le


protagoniste de El tùnel réside. Cependant, le constat est que sa maison est habitée par un
homme triste, déprimé et seul. Maintes fois, il parle de sa maison en évoquant lui-même son
état de dépression, de mécontentement et de tristesse: « Volví a casa nervioso, descontento,
triste » (ET, p. 17); « Volvía a mi casa profundamente deprimido » (ET, p. 32). En plus,
lorsqu’il décide d’assassiner son amante, c’est dans sa cuisine qu’il prend le couteau (l’arme
du crime): « Fui a la cocina, agarrré un cuchillo grande y volví en el taller » (ET, p. 118).

9
Quant à María, elle vit à la rue appelé « calle Posadas » avec son mari Allende
vivent: « Vivía en la calle Posadas » (ET, p. 47). C’est l’endroit où le mal possède Castel
juste après sa visite. Les mauvaises idées commencent à le tourmenter en ce lieu: « Las ideas
oscuras que me atormentaban después de la visita a la calle Posadas » (ET, p. 55). Cet
espace est donc maudit, car, tous ceux qui y vivent ou s’y rendent finissent mal: Castel
devient meurtrier et prisonnier à vie; María est assassinée; Allende se suicide.

Correo Central
C’est la poste où Castel va poster ses lettres écrites à María, parlant de leur amour, de
l’état de leur relation: « Fui al Correo Central » (ET, p. 55). Dans l’œuvre, la poste est le
symbole de la communication. Et la scène de dispute entre le protagoniste et la responsable
de cette entreprise traduit la tentative du premier de vouloir coûte que coûte établir une
communication entre María et lui. En effet, le peintre est à Buenos Aires tandis que son
amante se trouve en campagne auprès de Hunter. La poste constitue donc un pont
communicationnel entre eux. Seul cet endroit lui permettait d’expédier des lettres à cette
dernière loin de lui. Les injures proférées à l’encontre de cette dame signent la fin de
l’expédition de ses courriers puisque la poste restera fermée à Castel.

La Compañía T.

C’est l’entreprise où travaille María. Située à l’Avenue San Martín, Castel s’y rend le
plus souvent pour avoir les nouvelles de celle-ci: « Me encontré en la puerta de la Compañía
T. » (ET, p. 31); « Penetré en el edificio y esperé que bajara el ascensor » (ET, p. 31). Cette
compagnie est l’endroit dans lequel María s’enferme souvent avec des hommes laissant planer
les soupçons de Castel selon lesquels elle serait une prostituée: « Cuando cierro la puerta
saben que no deben molestarme » (ET, p. 42, 47, 50, 68). La Companía T. ressemble à une
maison close, lieu de perversion sexuelle. La déclaration de María selon laquelle elle
n’aimerait pas être dérangée lorsqu’elle ferme la porte le laisse entendre. Cependant,
comment Castel peut-il s’imaginer qu’elle se prostituer dans son lieu de travail? Il l’aurait pu
accepter si elle travaillait dans un bar ou une boîte de nuit. À partir de ce moment, ses
soupçons sur les agissements de son amante dans l’ombre vont s’accroître démesurement.

Les lieux de rencontre

Juan Pablo Castel énumère les lieux habituels de sa rencontre avec María: Recoleta,
Avenida Centenario, Plaza Francia, Puerto Nuevo: « Lugares en que habitualmente nos

10
encontrábamos o caminábamos: la Recoleta, la Avenida Centenario, la Plaza Francia,
Puerto Nuevo…» (ET, p. 76). Nous pouvons ajouter les rues comme Corrientes, San Martín
(ET, p. 28, 36 et 44)). Cependant, elle ne donne pas les raisons de sa préférence: « Prefería en
la Recoleta» (ET, p. 58). Son choix peut se justifier par le fait que c’est l’endroit le plus
calme, caché et isolé. C’est pour avoir plus d’intimité et aussi être loin des regards. Il y a
également la plage où les deux amants font une promenade en donnant pour prétexte une
contemplation des tableaux de ce dernier (ET, pp. 96-98).

Les cafés et les bars

Ce sont des espaces ouverts au public à Buenos Aires. Nous avons le café Marzotto
où Castel s’y rend souvent les nuits pour écouter le tango16 lorsqu’il se sent agité et
tourmenté: « Entré en el café Marzotto. Supongo que ustedes saben que la gente va allí a oír
tangos » (ET, p. 45). Aussi, le peintre y va pour passer un appel téléphonique lorsqu’il
cherche désespérément à voir María: « Hablé por teléfono desde un café: me dijeron que no
estaba y que no había vuelto desde las cuatro […] Luego volvía a hablar por teléfono: me
dijeron que María no iría a la casa hasta la noche. Desesperado, salí a buscarla por todas
partes » (ET, p. 76). C’est à partir d’un appel émis dans un café que Castel prévient Allende
qu’il devrait le voir pour lui révéler l’infidélité de sa femme avec Hunter et lui-même: «
Desde un café telefonée a la casa de Allende » (ET, p. 126). Quant aux bars, Juan Pablo
Castel commence à les fréquenter lorsqu’il se rend compte que María est l’amante de Hunter.
Alors, il devient un habitué de ces lieux d’où il se livre à l’alcool et à la débauche: « Me
recuerdo muy bien entrando al bar y pidiendo varios whiskies seguidos » (ET, p. 103). « Me
fui a un bar de la calle 25 de mayo o quizás Leandro Alem. Siguen algunos ruidos, música,
unos gritos, una risa que me crispaba, unas botellas rotas, luces penetrantes » (ET, p. 103). «
Esa tarde comencé a beber mucho y terminé buscando líos en un bar de Leandro Alem. Me
apoderé de la mujer que me pareció más depravada » (ET, p. 112). Symboliquement, le bar
est un lieu de perversion puisqu’il est associé généralement aux mots suivants: alcool,
prostitutions, désordre, bruits sonores, ect.

La prison

Cet espace est le moins révélé dans l’œuvre puisque c’est dans les deux derniers
chapitres (38 et 39) que nous savons que Castel est incarcéré. Il est emprisonné à Buenos

16
Danse et musique de salon populaire de l'Argentine qui s'exécute sur un rythme assez lent à deux temps.

11
Aires. Après avoir assassiné María, il se livre lui-même à la police: « Cuando me entregué, en
la comisaría, eran casi las seis. A través de la ventanita de mi calabozo […] » (ET, p. 127).
D’ailleurs, à la dernière page du roman, il révèle avoir été enfermé pendant des mois: « En
estos meses de encierro » (ET, p. 128). Ces informations indiquent qu’il relate son histoire
depuis sa cellule de prison.

Contrairement à la majorité des meurtriers, qui une fois le crime commis, disparaissent
et ne sont appréhender qu’après des enquêtes policières seulement si celles-ci aboutissent,
Castel se rend volontairement au commissariat de police pour avouer son mal. En agissant de
cette manière, il prouve qu’il n’a pas peur de la prison, symbole de l’isolement, l’enferment et
la condamnation. Son intrépidité se justifie par le fait qu’il est habitué et même préparé à la
solitude de l’emprisonnement. Plus haut, il a été dit qu’il est un être solitaire, triste qui vit seul
dans sa maison.

La estancia

Dans la banlieue de Buenos Aires, se trouve le domaine familial des Allende. C’est là
que María se rend le plus souvent pour tromper son mari et son amant: « Se levanta temprano
y me dice que se va a la estancia » (ET, p. 49). Lorsqu’elle y va et tarde à rentrer, Castel lui
écrit pour avoir de ses nouvelles. À la“ estancia’’ se trouve une maison, lieu de résidence des
membres de la famille d’Allende: Hunter, Mimí et des domestiques.

Il y a plusieurs appartements à la campagne parmi lesquels se trouve la grande maison.


Celle-ci dispose de plusieurs étages: « Llegué a la casa grande[…]Vigilé las luces del primer
piso » (ET, pp. 120-125). À l’extérieur, se trouve le grand jardin. C’est dans les arbres que
Castel se cache pour épier María et Hunter ainsi que tous leurs faits et gestes: « Me oculté en
un lugar del parque que me permitía vigilar la salida de gente por la escalinata y esperé »
(ET, p. 121); « Desde mi escondite, entre los árboles, sentí que asistiría, por fin, a la
revelación de un secreto abominable » (ET, p. 125).

La ferme familiale est un espace où plusieurs évènements ont lieu. Cependant, ceux-ci
sont essentiels dans le dénouement de l’histoire de Castel: les fréquents départs de María (ET,
p. 46, 81 et 117); les visites de Castel (ET, p. 83 et 120); la relation entre María et Hunter, la
découverte de cette relation par Castel; et l’assassinat de María (ET, p. 126). La “estancia’’
est donc considérée comme le lieu du crime.

12
7. Les espaces psychologiques

Pour raconter l’histoire de son crime, Castel se submerge dans son propre “moi’’.
Depuis la prison, il nous introduit dans sa conscience pour nous rappeler tout ce qui s’est
passé depuis le début de sa rencontre avec María jusqu’à son assassinat. Ici, sa mémoire est
un espace où sont stockés ses souvenirs malheureux, raison pour laquelle il la blâme en la
qualifiant de musée sordide de la honte: « Recuerdo tantas calamidades, tantos rostros
cínicos y crueles, tantas malas acciones, que la memoria es para mí como la tenebrosa luz
que alumbra un sórdido museo de la vergüenza » (ET, p. 11). Comme si cela ne suffit pas, il
fustige la division17 de sa conscience et la rend responsable du malheur qui lui arrive (ET, p.
75). En d’autres circonstances, Castel présente sans cesse sa tête comme un lieu où surgissent
plusieurs fois les idées obscures. Plus tard, des mauvaises pensées et des faits isolés
commencent à envahir son inconscient:« Mil veces volvieron a mi cabeza las ideas
obscuras.[…] sombríos pensamientos se movían en la oscuridad de mi cabeza.[…]en mi
cabeza comenzaron a aparecer algunos hechos aislados, aunque destrozados e inconexos »
(ET, p. 55, 98 et 104).

8. Le temps de la narration

L’histoitre du crime de Castel est racontée après le déroulement des évènements. Ainsi
donc, la narration de El túnel est ultérieure.

Dans le roman, nous avons l’indication des minutes et des heures:« A las seis »; « A
las seis y minutos »; « Las onces y media»; «Eran las diez de la mañana »; nos vemos a las
cinco y punto »; « Antes de las cinco estuve en la Recoleta »; « Eran las seis de la tarde »;
«había sufrido horriblemente cada uno de los minutos de inútil espera »; « Llegué a las
cuatro o las cinco de la madrugada »; (ET, p. 33, 33, 36, 81, 117, 120, 124 et 126). Ces
précisions chronométriques indiquent que le narrateur du crime accorde une attention
particulière aux circonstances, surtout temporelles. En réalité, Castel veut faire croire qu’il a
fait du mal en assassinant son amante, mais que c’est elle qui l’a incité à poser un tel acte.

17
Castel fait référence ici aux topiques de Freud: « Théories ou points de vue qui supposent une différenciation
de l'appareil psychique en un certain nombre de systèmes doués de caractères ou de fonctions différentes et
disposés dans un certain ordre les uns par rapport aux autres (…). On parle couramment de deux topiques
freudiennes, la première dans laquelle la distinction majeure se fait entre Inconscient, Préconscient et
Conscient, la seconde différenciant trois instances : le ça, le moi, le surmoi »;Le Grand Robert de la Langue
Française, CD-ROM, Le Robert/Sejer, Version Électronique, 2005.

13
Sur le plan psychologique, Castel évoque des jours agités, atroces et exécrables: « Los
días siguientes fueron agitados »; « Pasaron días atroces»; « Ese día fue execrable »; (ET, p.
58, 81, 55 et 112). Il indique que les jours qui précèdent la mort de María sont pénibles: « Los
días que precedieron a la muerte de María fueron los más atroces de mi vida » (ET, p. 103).
Il rappelle des mois d’incarcération indéfinis: « En estos meses de encierro » (ET, p. 128).

Le temps météorologique est apocalyptique, chaotique et menaçant: « Pero este sol


era un sol negro »; « El cielo atormentado»; « La tormenta estaba ya sobre nosotros, negra,
desgarrada por los relámpagos y truenos. El pampero soplaba con fuerza y comenzaron las
primeras gotas. »; « Sentí que pasaba un tiempo implacable » (ET, pp. 56, 97, 124, 126). Cela
est dû à la tension de plus en plus dégradante entre les deux amants.

Castel nous laisse suivre sa vie depuis le moment où il voit María jusqu’à ce qu’il la
tue pour être finalement emprisonné. D’ailleurs, le temps de la narration a une durée plus
courte. Il raconte les faits du début jusqu’à la fin en affirmant être en train de réflechir à tout
ce qui s’est passé et chaque jour les murs de son enfer sont de plus en plus hermétiques (ET,
p. 128). Ainsi, l’histoire commence au printemps de l’année 1946 pour s’achever en été de la
même année.

9. Le temps du récit

La première phrase de El túnel nous communique le dénouement de l’œuvre. Castel


annonce déjà l’assassinat de María: « Bastará decir que soy Juan Pablo Castel, el pintor que
mató a María Iribarne » (ET, p. 11). C’est à partir du deuxième chapitre que le protagoniste
commence le récit en donnant les détails de son histoire jusqu’à revenir sur le
dénouement final: « En el Salon de Primavera de 1946, presenté un cuadro llamado
Maternidad » (ET, p. 16). Cette phrase est le début proprement dit du récit bien qu’il ait
exprimé auparavant des sentiments qui l’animent au moment où il décide de raconter son
histoire.
Dans El túnel, la durée du récit est caractérisée par d’importantes digressions
qualifiées de faits divers. Dès le premier chapitre, le narrateur-protagoniste nous introduit
dans une réflexion à caractère existentialiste sur la condition humaine (ET, p. 11). De cette
manière, il abandonne le récit pour nous mettre en attente. Au deuxième chapitre, après avoir
dit son nom, il réflechit sur la vanité et l’absurde. La phrase initiative de cette pause est la
suivante: « Conozco bastante bien el alma humana para prever que pensarán en la vanidad. »
(ET, p. 13). Il signale que l’âme humaine est liée à la vanité. Castel nous fait perdre plus de

14
temps dans un chapitre entier: le vingt cinquième. Il s’agit d’une très longue conversation
entre Hunter et Mimí en présence du protagoniste. Elle porte sur le célèbre artiste peintre Van
Goh, le roman Les frères Karamazov de Fédor Dostoïevski, Don Quichotte de Miguel de
Cervantes et un roman policier dont nous ignorons le nom ainsi que son auteur. Dans cette
œuvre anonyme, l’assassin d’une famille et le détective enquêtant sur cet assassinat sont la
même personne (ET, pp. 87-92).

Au niveau du temps du récit, nous avons relevé un élément important dans El túnel: le
sommaire. D’abord, Castel rappelle de façon succincte tous les moments sur lesquels il avoue
avoir des soupçons: depuis la première conversation téléphonique; le constat des ombres
obscures autour de María; sa peur de lui faire du mal; la scène des allumettes; la fuite de ses
baisers et l’acceptation de l’union physique; son expérience sexuelle très précise qui révèle sa
capacité de simulation; les réponses de María sur son amour envers son mari Allende; le
cercle de famille formé d’hypocrites et de menteurs; la manière avec laquelle elle trompe les
deux cousins de son mari; la scène pendant le repas à la campagne; la phrase qui s’est
échappée de sa bouche selon laquelle elle a trompé Castel une fois jusqu’à l’horrible scène
avec la prostituée “la rumana’’ (ET, pp. 113-114)

Alors, Castel résume en quelques phrases tout ce qui s’est passé pendant des heures, jours et
semaines.

10. La mort

L’histoire racontée par Juan Pablo Castel tourne autour de la mort de María, son
amante. Cette mort est le résultat d’un acte criminel dont l’auteur est le narrateur­protagoniste
lui-même. Elle n’est donc pas “naturelle’’. De son vivant, María Iribarne a révélé une fois à
son amant que la mort n’est pas son genre, pourtant celle-ci l’attire: « Dios mío, Dios mío. La
muerte tampoco es mi tipo y no obstante muchas veces me atrae. » (ET, p. 70). Castel
témoigne que les jours qui ont précédé la mort de María ont été les plus atroces de sa vie car il
devient comme un possédé.

Il arrive que le mépris clamé et revendiqué par Juan Pablo Castel se tourne aussi
contre son ego. Désespéré, il se méprise et se laisse envahir par l’idée du suicide tout en se
livrant à l’alcool et aux prostituées: « En estos instantes me invade una furia de aniquilación,
me dejo acariciar por la tentación del suicidio, me emborracho, busco a las prostitutas » (ET,
p. 77). Dans un monde où personne n’est digne de compassion, les êtres de la marge,

15
prostituées et ivrognes, exacerbent la rage annihilatrice et la fascination qu’éprouve Castel
pour le suicide. Il voulait se jeter à l’eau, séduit selon lui par la mort et sa capacité
destructrice: « El agua sucia, abajo, me tentaba constantemente: ¿para qué sufrir? El suicidio
seduce por su facilidad de aniquilación: en un segundo, todo este absurdo universo se
derrumba como un gigantesco simulacro » (ET, p. 77). Cependant, au moment de franchir le
pas, le peintre fait marche-arrière car il est conscient qu’en se suicidant, il accepte de se jeter
définitivement dans le néant (la mort): « Esa irresolución de arrojarse a la nada absoluta y
eterna me ha detenido en todos los proyectos de suicidio » (ET, p. 78). Et l’explication
donnée par le personnage pour justifier ce refus d’obstacle n’est pas sans rappeler le pari
pascalien18 mais à l’envers: puisque la religion ne vient garantir aucune perspective d’un autre
monde, mieux vaut ne pas risquer le suicide. Pour Castel, lorsque nous sommes gagnés par un
immense désespoir qui pourrait déboucher sur la mort et que nous sommes arrivés au point où
le mal est insurmontable, nous prenons la décision de nous accrocher désespéramment à la vie
devant le danger de dégringoler dans un abîme. (ET, p. 78)

Lorsque María se rend à la ferme familiale de son mari Allende, Castel menace de se
suicider si elle ne revient pas immédiatement à Buenos Aires. Alors, face à son insistance de
mort, elle promet de revenir le jour suivant: « Ante mi insistencia y mis amenazas de
matarme, me prometió venir a Buenos Aires, al día siguiente » (ET, p. 110). Le protagoniste
ajoute qu’en réalité il avait décidé de mettre fin à sa vie si elle ne venait pas éclaircir la
situation. Finalement, après s’être exercé par deux reprises à l’art du chantage au suicide, il
opte pour une autre solution: le crime. Alors, il tue María, “l’autre’’ qui lui échappe
constamment (ET, p. 126).

Une nouvelle personne s’ôte la vie à la suite d’une dépression: Richard l’ex amant de
María. Cette dernière révèle à Castel que son ex amant s’est suicidé et qu’elle a une part de
responsabilité dans sa mort. Le mauvais comportement de María ne peut que l’entraîner dans
cette situation: « Sabés que se suicidió y que en cierto modo yo tengo algo de culpa. Me
escribía cartas terribles, pero nunca pude hacer nada por él. Pobre, pobre Richard. » (Sic;
ET, p. 69). À la fin de l’œuvre, Castel nous informe au sujet du suicide d’Allende et qu’il
18
Le pari pascalien est un argument philosophique mis au point par Blaise Pascal (1623-1662), philosophe,
mathématicien et physicien français du XVIIe. L’argument tente de prouver q’une personne rationnelle a tout
intérêt à croire en Dieu, que Dieu existe ou non. En effet, si Dieu n’existe pas, le croyant et le nom croyant ne
perdent presque rien. Par contre, si Dieu existe, le croyant gagne le paradis tandis que le non croyant est enfermé
en enfer pour l’éternité. Source: Encyclopédie Encarta, « Pensées [Blaise Pascal] », dans Microsoft Corporation
2008, Collection [DVD], 2009.

16
allait analyser les motifs qui l’ont amené à poser un tel acte, chose qu’il ne fait pas (ET, p.
128).

Juan Pablo Castel est un criminel passionnel qui n’hésite pas à menacer de mort la
femme qu’il aime s’il se rend compte que celle-ci le trompe: « Si alguna vez sospecho que me
has engañado, le decía con rabia, te mataré commo a un perro. » (ET, p. 65). Le plus
souvent, lorsqu’il se retrouve seul avec elle à la plage, il lui arrive de vouloir se précipiter sur
elle, la déchirer avec ses ongles, serrer son cou jusqu’à la noyer. Alors, des pensées hautement
criminelles se meuvent dans sa tête. Cela indique à quel point Castel est extrêmement
dangereux.

L’arme du crime en possession du protagoniste est un grand couteau. Muni de cette


arme blanche, il se rend à la ferme en campagne où se trouvent María et Hunter. Les ayant
vus monter dans la chambre du dernier étage pour s’y enfermer pendant longtemps, il sort de
sa cachette du jardin, se saisit du couteau et ouvre la porte de la chambre où était María.
Celle-ci lui demande ce qu’il va faire lorsque le protagoniste lui répond qu’il doit la tuer parce
qu’elle l’a laissé seul. Alors, sans reflechir et comme un barbare, il la poignarde plusieurs fois
en pleine poitrine et dans le ventre. (ET, p. 126)

Après cet homicide volontaire et prémédité19, Castel court l’annoncer à Allende, mari de la
victime. Ensuite, il se rend dans un commissariat de police à Buenos Aires pour l’avouer afin
d’y être incarcéré. Inévitablement, il est emprisonné tout comme ce qui arrive à un criminel
qui commet un mal de ce genre: « A través de la ventanita de mi calabozo vi cómo nacía un
nuevo día, con un cielo ya sin nubes. » (ET, p. 127).

Une autre situation à part celle de Castel est raconté dans El túnel par Hunter.
L’histoire est tirée d’un roman policier qui n’a ni titre ni auteur. Le protagoniste de ce roman
vit avec sa famille dont sa femme, son fils et sa mère. Successivement, ceux-ci sont
assassinés. Toutes les investigations policières dans le but de découvrir l’assassin ne donne
aucun résultat. Alors, l’homme décide de mener lui-même ses propres enquêtes afin de
connaître l’auteur de ce mal. Il aboutit à un résultat effrayant: il sera lui-même le prochain à
être assassiné. Il est donc informé du lieu et l’heure précise à laquelle il devrait être tué.
Cependant, l’assassin en question ne vient pas. La conclusion est donc horrifiante: le tueur est

19
Castel tue délibérement son amante.

17
l’enquêteur lui-même. C’est lui qui a tué les trois membres de sa famille dans un état
d’inconscience. Ainsi donc, le détective et l’assassin sont la même personne (ET, p. 91).

11. La paranoïa

La paranoïa est un terme psychopathologique qui se réfère à un état de psychose. Cette


dernière se montre à travers la perte de jugement de la réalité avec des symptômes
caractéristiques qui impliquent une augmentation des dysfonctionnements cognitifs et
émotionnels20. Augustín Francisco Seguí affirme que la paranoïa est une forme de psychose. Elle
se caractérise par un délire plus ou moins systématisé, la prédominance de l’interprétation,
l’absence de débilitation intellectuelle21.

Ernesto Sábato admet que Castel et Vidal souffre de « manía persecutoria »22. Il se
réfère à eux en utilisant les mots « loco » et « locura »23. Nous remarquons que les idées fixes
de Castel deviennent des hallucinations très vives pour lui-même. Celui-ci traverse plusieurs
scènes comme celle dans laquelle il s’approche de María et initie une conversation. Son
imagination au sujet des résultats possibles provoque des sentiments très forts et négatifs, ce
qui l’empêche de fonctionner. C’est-à-dire qu’il perd tout jugement de la réalité et cela
débouche sur l’assassinat de María.

12. La mémoire, la folie, la dépression

Juan Pablo Castel fustige sa mémoire qui lui permet de se souvenir de son passé
malheureux: « La memoria es para mí como la temerosa luz que alumbraba un sórdido
museo de la vergüenza. » (ET, p. 11). Ensuite, il méprise la division de sa conscience qui
l’induit sans cesse dans les contradictions. Il la rend donc coupable du mal dont il est victime
(ET, p. 75). Selon la déclaration de Castel, une partie de sa conscience l’amène à choisir le
bien tandis que l’autre lui fait voir le mal.

20
Anna-Karin Berg, « La Angustia de Ernesto Sábato. Un estudio contrastivo de los temas existencialistas y
psicopatológicos en las novelas de Ernesto Sábato », Primavera-11, Lunds, SpaK 01, 2011, p. 14.
21
Augustín Francisco Seguí, « Los cuatros sueños de Castel en El túnel de Ernesto Sábato », Ernesto Sábato,
Montpellier, C.E.R.S, Col. Co-texte, Núm. 19/20, 1990, pp. 107-108.
22
Ernesto Sábato, El escritor y sus fantasmas, Op.cit., p. 18. Notre traduction: “ folie persécutante.’ ’
23
Idem, p. 13 et 18. Notre traduction: “fou’’; “folie’’.

18
L’obsession par l’idée d’entrer en contact avec son amante fait courir le protagoniste
dans les rues comme un dément. Il se demande à quoi sert­il d’aller après elle comme un fou:
« ¿A qué correr como loco? […] al correr como un loco detrás de ella » (ET, p. 30). Plus
tard, il avoue qu’il ne tarderait pas à devenir fou; il parle de l’état de dépression dans lequel il
se trouve après avoir attendu pendant de longues heures María dans son lieu de travail. Il
explique que son cerveau est devenu comme une bouilloire. Alors, sans avoir vu María, il
retourne chez lui complètement déprimé: « Mientras volví a mi casa profundamente
deprimido, trataba de pensar con claridad. Mi cerebro es un herbidero, […] de otro modo
creo que no tardaría en volverme loco. […] Como dije, volví a casa en un estado de profunda
depresión. » (ET, p. 34). Psychologiquement, il n’est pas stable. Une autre fois, il révèle que
sa tête est un labyrhinte obscur et que parfois il a l’impression d’y sentir la présence d’éclairs.
Il n’est donc pas du tout loin d’une “folie’’24 qui le poussera au mal.

La métaphore selon laquelle le personnage compare son cerveau à une calculette


prouve bien son état psychologique très critique. Il raisonne constamment à telle enseigne
qu’il finit par perdre raison et commettre un crime: « Hice un gran esfuerzo mental […] Por
el contrario, mi cerebro estaba constantemente razonando como una máquina de calcular »
(ET, p. 58).
La folie de castel atteint son paroxysme lorsque son amante ne vient pas au dernier
rendez-vous sous prétexte qu’elle est restée aux côtés de Hunter, malade. Il devient alors
furieux et repart demander des explications à travers une conversation téléphonique. Pour lui,
cette absence devrait être justifiée au risque d’augmenter sa fureur envers son amante (ET, p.
117).
Complètement saturée d’idées, de sentiments, de questions et de souvenirs, une tête
peut souffrir une dépression puisque le cerveau ne supportera pas une telle surcharge. Castel a
la tête confuse et essaie d’y mettre de l’ordre. C’est la preuve qu’il souffre
psychologiquement: « Mi cabeza era un pandemonio: una cantidad de amor y odio,
preguntas, resentimientos y recuerdos se mezclaban y aparecía succesivement. […] Traté de
ordenar un poco el caos de mis ideas y sentimientos » (ET, p. 50). Agité et tourmenté après sa
visite chez María à la rue Posadas, il signale que des idées obscures reviennent milles fois
dans sa tête et qu’au fur et à mesure que les jours passent, une espèce de folie grandit en lui: «
A medida que fueron pasando los días, creció en mí una especie de locura. » (ET, p. 58).

24
Ici, la folie va dans le sens d’une personne qui perd le contrôle, qui n’est pas lucide dans ses attitudes en raison
du dégré élevé d’obsession. Il n’est pas stable dans ses choix, ni dans ses décisions. Il est totalement confus.

19
Lorsque la dépression atteint un dégré assez élévé, elle peut conduire au suicide.
Déprimé du fait des coups subis de la part de son amante dans leur relation amoureuse,
Richard se donne la mort. María révèle que les lettres qu’il lui écrit la dépriment énormément.
Cela indique que son état se traduit dans ses actes qui finissent par nuire leur liaison. C’est la
raison pour laquelle il est qualifié de destructeur: « Richard era un hombre depresivo. […]
era destructivo, tenía una inteligencia mortal » (ET, p. 69). D’ailleur, María déclare que que
son ex-amant ressemble énormément au nouveau lorsqu’il est dépressif: « Richad era un
depresivo. Se parecía mucho a vos. » (Sic, ET, p. 69).

Juan Pablo Castel a une personnalité obsessive et incontrôlable. Tout cela, combiné
avec la jalousie, l’amènent à assassiner son amante, la personne qu’il aimait le plus. Poussé
par une passion extrême, il veut parvenir à un amour vrai et absolu. Pour lui, il existe
plusieurs façons d’aimer: « Hay muchas maneras de querer. Se puede querer a un perro, a un
chico. Yo quiero decir amor, verdadero amor, ¿entendés? » (ET, p. 60). Cependant, malgré
tout, la jeune femme ne l’a jamais aimé comme il espérait et cela l’amène à être morbidement
jaloux. Cet état l’entraîne dans une insécurité complète puisqu’il avertit que s’il se rend
compte que cette dernière le trompe, il la tuera de la manière la plus barbare. Alors, il le lui dit
avec une rage qui montre son obsession et son amour extrême pour elle. Maladivement
possessif, il l’assimile à un animal: « Si alguna vez sospecho que me has engañado, le decía
con rabia, te mataré como a un perro.» (ET, p. 65). L’attitude de Castel le rend dangereux
puisqu’il est prêt à tuer pour le moindre soupçon.

Le protagoniste de El túnel n’est pas le seul à être jaloux. Hunter l’est également. En
effet, Juan Pablo, après avoir observé la jalousie de Hunter à la vue de son amante, tire la
conclusion selon laquelle il existe une relation entre ces derniers. Leur intimité dépasse une
simple amitié ou parenté: « Mi conclusión fue: Hunter está celoso y eso prueba que entre él y
ella hay algo más que una simple relación de amistad y de parentesco. » (ET, p. 99). Alors, la
jalousie coléreuse de Hunter le rend hostile à l’égard de son rival Castel.

13. La métamorphose monstrueuse

Les arts permettent d’affronter une menace en la rendant irréelle: « Lo horrendo, lo


insoportable, lo feo, lo monstruoso que se experimentan en la realidad humana y el mundo se

20
hacen soportables gracias a la ficcionalidad que supone el arte »25. Le monstrueux permet
donc de résister à la frayeur de la société moderne et au risque de la destruction totale.

Juan Pablo Castel initie le processus de la métamorphose en devenant un énorme


oiseau de taille humaine. Ses pieds deviennent des pattes de coq. Ensuite, vient la
transformation de tout le corps. Espérant l’arrivée rapide de ses amis pour l’aider à échapper à
cette réalité, ceux-ci viennent avec du rétard. Et ce qui est horrifiant pour le protagoniste, c’est
que ses compagnons ne remarquent pas du tout son changement monstrueux:

El hombre aquel comenzó a transformarme en pájaro, en un pájaro de tamaño humano.


Empezó por los pies: vi cómo se convertían poco a poco en unas patas de gallo o algo
así. Después siguió la transformación de todo el cuerpo, hacia arriba, como sube el agua
de un estanque. Mi única esperanza estaba ahora en los amigos, que inexplicablemente
no habían llegado. Cuando por fin llegaron, sucedió algo que me horrorizó: no notaron
mi transformación.
(ET, p. 79)
Le protagoniste de El túnel et le monde dans lequel il évolue sont dégradés. Dans sa crise, il
se sent persécuté et incapable de communiquer, même à travers la peinture. Son unique
stratégie salvatrice est une confession dans laquelle il justifie les mobiles de son assassinat.

14. Le démon et les forces du mal

L’évocation du démon et des forces du mal abonde l’univers romanesque de l’auteur


argentin. Après sa longue attente à la Compañía T. dans l’espoir de rencontrer María, Castel
sent une grande force se déchaîner en lui. Il s’agit du mal, la présence du démon. Plus loin,
après le mensonge de María et la rencontre avec la femme de maison, Castel se sent possédé
par une amertume triomphante: « Una amargura triunfante me poseía como un demonio. »
(ET, p. 118). Suite à l’assassinat de son amante, le protagoniste descend l’escalier en courant
comme si une force venait d’entrer en lui. Alors, dans cet état, il se rend chez la victime et
révèle à son époux qu’il existe une relation coupable entre lui et Hunter.

La folie démoniaque de Castel se justifie par le fait que, non seulement il tue María,
mais a l’audace d’aller dire à son mari que Hunter, d’autres personnes et lui-même sont les
amants de sa femme. « ¡Vengo de la estancia! ¡María era la amante de Hunter! […] ¡Usted
es el imbécil! ¡María era también mi amante y la amante de muchos otros! » (ET, p. 127).

25
Carlos Villalobos Villalobos, « La monstración abaddónica de Ernesto Sábato », Rev. Filosofía Univ., Costa
Rica, XXXI (76), 1993, p. 204.

21
15. L’inceste et la transgression de l’interdit

Il représente le renversement de tout ordre établi et, par conséquent, est la voie royale vers
une sorte de barbarie qui met en scène les premiers rudiments de l’inacceptable social.

L’inceste est beaucoup symbolique dans El túnel. En effet, le tableau peint par Castel
se nomme « Maternidad ». Nous y apercevons, à travers une petite fenêtre à gauche, une
femme solitaire arrêtée sur une plage. Et plus tard, selon les dires de María, cette scène peinte
par Castel la représente profondement: « No, más bien me representa más profundamente a
mí… Eso es. No es un mensaje claro, todavía, no, pero me representa profundamente a mí. »
(ET, p. 41). Plus loin, le protagoniste révèle à son amante qu’il se sent comme un enfant et
que celle-ci est une mère pour lui. Pourtant, il entretient des rapports intimes avec elle: « Las
horas que pasamos en el taller son horas que nunca olvidaré. » (ET, p. 63). La phrase
précédente montre qu’ils ont passé ensemble plusieurs moments d’union physique dans son
atelier de peinture. Ainsi donc, la femme que Castel considère comme sa génitrice devient sa
principale partenaire sexuelle. Par-là, il commet symboliquement un acte incestueux: c’est
l’inceste entre la mère et le fils. Le mal qui ressort de cet acte est que Castel s’induit dans un
adultère puisque María est une femme mariée. Nous pourrions nous interroger sur la raison
qui l’amène à agir de la sorte. Une chose est certaine: il est extrêmement aveuglé par l’amour:
« Yo tan […] ciego » (ET, p. 57). Obnubilé, il trangresse les interdits: d’une part l’inceste,
d’autre part le matricide.

16. L’incommunication, l’incompréhension ou l’inaccessibilité

Pour Juan Pablo Castel, il existe un faible espoir de ce qu’une personne arrive à le
comprendre, hormis une seule, son amante. Pourtant, il l’assassine: « Me anima la débil
esperanza de que alguna persona llegue a enterderme. Aunque sea una sola persona.» (ET, p.
14). Par la suite, il confirme que même s’il se met au milieu d’une assemblée de mille
personnes, il restera incompris. Auparavant, il tente de s’unir à des femmes, mais sa tentative
échoue: « En dos o tres oportunidades lamenté no poder comunicarme con una mujer » (ET,
p. 15). Il sombre dans l’amertume et le regret. Il se reproche d’avoir perdu l’unique
opportunité de pouvoir établir une relation avec elle. Il se sent alors malheureux: « Me sentí
infinitamente desgraciado. » (ET, p. 25). Malgré ses nombreux échecs, il réussit à
communiquer avec son amante, mais la connexion entre eux est de courte durée et passagère:

22
« Lográbamos comunicarnos, pero en forma tan sutil, tan pasajera, tan tenue » (ET, p. 64).
Elle lui répond qu’ils se feront du mal et finiront par détruire le “petit pont’’26 qui les relie.

Juan Pablo Castel imagine sa relation avec son amante comme deux tunnels
incommunicables qui ne peuvent pas trouver un point de rapprochement. Cela veut dire que son
union avec elle est incomplète parce qu’ils ne parviennent pas à une connaissance partagée. La
relation confuse entre les deux amants s’ensuit de la même manière. Castel maintient sa
position selon laquelle María est l’unique personne qui le comprend mais l’interprète selon sa
propre logique. À la fin, il la tue pour la seule raison qu’elle l’aurait laissé seul. Nous notons
l’inaccessibilité de la femme déjà manifestée dès le début de la relation à travers le mot «
remota »27 (ET, p. 58). Bien qu’étant ensemble, ils sont éloignés l’un de l’autre.

Il y a un fait important qui apparaît comme une tentative de communication de Castel


avec María: la scène de la petite fenêtre. Celle-ci, en plus d’être surréaliste, est également
existentialiste puisque c’est à partir d’elle que la tentative de liaison amoureuse du
protagoniste va commencer pour déboucher sur son crime. Il ne cesse d’être curieux que
plusieurs fois, la manière de communiquer entre les personnes soit à travers ce que Sábato
dénomme « interlocutor mudo »28 (ET, p. 97). Dans El túnel, ce nœud se trouve dans
l’extrême d’un tableau qu’une seule personne a pu comprendre parce qu’il lui est destiné:

Con excepción de una sola persona, nadie pareció comprender que esa escena constituía
algo esencial. Fue el día de la inauguración. Una muchacha desconocida estuvo mucho
tiempo delante de mi cuadro sin dar importancia, en apariencia, a la gran mujer en
primer plano, la mujer que miraba jugar al niño. En cambio, miró fijamente la escena de
la ventana y mientras lo hacía tuve la seguridad de que estaba aislada del mundo entero;
no vio ni oyó a la gente que pasaba o se detenía frente a mi tela. (ET, p. 16)

Le fait de vouloir forcer María à l’union corporelle par la violence et la brutalité


favorise une distanciation entre eux: « Y, lo era mucho peor, causaba nuevos distanciamientos
porque yo la forzaba, en la desesperación de consolidar de algún modo esa fusión, a unirnos
corporalmente. » (ET, p. 64). En voulant l’obliger coûte que coûte à donner un sens à leur
amour, qui consiste à l’union physique et corporelle selon lui, il arrive finalement à un
scepticisme total, synonyme de son échec: « Al final había llegado a un completo

26
Elle parle de la communication entre les deux.
27
Notre traduction: “ Lointaine.’’
28
Notre traduction: “ Interlocuteur muet.’’ C’est une manière inexplicable de communiquer puisqu’il n’existe
pas une autre façon de la représenter.

23
escepticismo » (ET, p. 65). Dans un tel contexte, le pire se produit: ne sachant pas où se
trouve María pendant des jours, il déclare la rupture entre eux: « Algo se había roto entre
nosotros. » (ET, p. 76). Par cette déclaration, le protagoniste prononce la sentence relative à
leur incommunication définitive. Plus loin, il avoue qu’un mur de verre impénétrable les
sépare. De l’autre côté, il voit son amante mais ne peut l’entendre, ni la toucher: « Con ella,
que había sido como alguien detrás de un impenetrable muro de vidrio, a quien yo podiar
ver, pero no oír ni tocar; y así, separados por el muro de vidrio, habíamos vivido
ansiosamente, melancólicamente. » (ET, p. 120). Alors, les deux vivent comme s’ils se
trouvent dans des tunnels parallèles sans se rendre compte de leur proximité.

2. La solitude

L’isolement de Castel dans El túnel se distingue non pas par ses actions mais par ses
décisions et raisonnements. Selon lui, il existe un seul tunnel obscur et solitaire, le sien (ET, p.
123). Dans toute l’œuvre, il expose sa logique subjective à travers lequel il parvient à des
déductions. Cela a lieu à travers ses propres expériences et celles-ci servent de base pour créer
son existence. Par exemple, après avoir eu des relations coupables avec une prostituée (la
rumana), il découvre une expression en elle qui est semblable à celle observée quelques fois
chez María. De ce constat, il déduit qu’elle est une traînée: « María y la prostituta han tenido
una expresión semejante; la prostituta simulaba placer; María, pues, simulaba placer; María
es una prostituta » (ET, p. 113).

Castel utilise sa propre expérience, l’interprète par ses émotions et réflexions, puis, la
convertit en une généralisation. Son subjectivisme extrême est perçu beaucoup de fois dans sa
logique exaspérée lorsqu’il cherche une réalité absolue. Le sentiment de Castel de se sentir
seul peut être observé comme un isolement infantile dans lequel il cherche un retour à
l’enfance perdue et désirée. Et il trouve cette dernière à travers une figure maternelle, celle qui
répond à sa quête désespérée et angoissée à travers la petite fenêtre présente dans son tableau.
La solitude du protagoniste de El túnel est la base du mal, surtout le prétexte du crime. Il
justifie son acte d’assassinat par le fait que son amant l’ait laissé seul: « Tengo que matarte,
María. Me has dejado solo » (ET, p. 126).
Le tableau de Castel serait, selon lui, l’expression d’une solitude anxieuse et absolue.
Ses échecs incessants dans sa tentative de vivre avec une femme à ses côtés l’amène à
conclure qu’il est condamné à rester étranger à la vie d’une compagne. Il révèle le caractère
subjectif de ses pensées et opinions. Ce qui lui semble évident et clair ne l’est pas du tout chez

24
les autres: « La experiencia me ha demostrado que lo que a mí me parece claro y evidente
casi nunca lo es para el resto de mis semejantes. » (ET, p. 19). Alors, il craint ne pas être cru,
surtout avec ses multiples justifications. Il qualifie ses actes de maudits. Cependant, il oublie
qu’il n’a pas à justifier ses actes, car il est l’unique responsable de ceux-ci, bons ou mauvais.

La conscience d’une solitude définitive suite à l’élimination d’un conjoint peut


conduire à une hésitation dans l’acte. Lorsque le peintre se rend compte de l’infidélité de son
amante, il prend la décision de la tuer. Cependant, conscient de ce qu’il restera définitivement
seul s’il commet un meurtre, il hésite. La peur d’un isolement irrémédiable, mal qui le
préoccupe tant, l’oblige à réfléchir. En effet, l’être humain est un être sociable. Pour cela, il a
besoin de vivre avec ses semblables toute sa vie. Enfreindre cette règle, en éliminant autrui,
c’est créer un désert solitaire autour de soi: « Por un segundo, el espanto de destruir el resto
que me quedaba de nuestro amor y de quedarme definitvamente solo, me hizo vacilar. » (ET,
p. 117). Il est tourmenté par l’idée de rester finalement sans rien. Malgré son hésitation, il
décide de faire le mal et de rester définitivement seul car dans tous les cas, il existe un seul
tunnel, obscur et solitaire: le sien: « ¡Dios mío, no tengo fuerzas para decir qué sensación de
infinita soledad vació mi alma! Sentí que el último barco que podía rescatarme de mi isla
desierta pasara a lo lejos sin advertir mis señales de desamparo. » (ET, p. 125).

17. L’enfer
“Hermétique’’ est le dernier mot de la dernière phrase de l’œuvre: « Los muros de este
infierno serán, así, cada vez más herméticos » (ET, p. 128).

Dans l’univers de Sábato, l’enfer ce n’est pas uniquement les autres. Tuer María
Iribarne, c’est augmenter la part du mal, de l’enfer que le tunnel symbolise. C’est avec
l’image du mal infligé que prend fin le roman. Castel s’est fait enfermer, pour l’éternité, dans
une prison qui n’est qu’un emblème de l’incarcération figurée qui cadenasse l’être. Ce
symbole de l’enfermement douloureux, de l’éternel enfer, est le point d’aboutissement de la
logique du roman. En effet, tout au long de El túnel, la réalité externe est inexorablement
happée par la force centripète de la subjectivité totale. Celle-ci mesure toute chose à son aune.

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