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DAVID PAPINEAU & HOWARD SELINA

Dans la même collection :


La philosophie des sciences en images, 2017, ISBN : 978-2-7598-2096-2
La linguistique en images, 2017, ISBN : 978-2-7598-1768-9
Les fractales en images, 2016, ISBN : 978-2-7598-1769-6
Les statistiques en images, 2016, ISBN : 978-2-7598-1770-2
L'infini en images, 2016, ISBN : 978-2-7598-1771-9
Stephen Hawking en images, 2016, ISBN : 978-2-7598-1966-9
L'intelligence artificielle en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1772-6
Les mathématiques en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1737-5
La génétique en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1767-2
La logique en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1748-1
La relativité en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1728-3
Le temps en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1228-8
La théorie quantique en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1229-5
La physique des particules en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1230-1
La psychologie en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1231-8

Édition originale : Consciousness, © Icon Books Lts, London, 2010.


Traduction : Anne confuron - Relecture : Gaëlle Courty

Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts


Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com

ISBN (papier) : 978-2-7598-1766-5


ISBN (ebook) : 978-2-7598-2156-3

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi
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que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences, 2017

2
Qu'est-ce que la conscience ?
La meilleure façon de commencer est de se baser sur des exemples plutôt
que sur des définitions.
Imaginez la différence entre se faire soigner une dent sans anesthésie locale…

La différence est que


l'anesthésie élimine la
douleur consciente… … ou avec…

En supposant que l’anesthésie soit efficace !

Là encore, réfléchissez à la différence entre le fait d'avoir les yeux ouverts


et de les avoir fermés…
Lorsque vous fermez les yeux, c'est votre expérience visuelle consciente
qui disparaît.

3
La conscience est expliquée parfois comme étant la différence entre être
éveillé et être endormi. Mais ce n'est pas tout à fait exact.

Les rêves sont également conscients.

Les rêves sont des séquences d'expériences conscientes, même si ces


expériences sont généralement moins cohérentes que les expériences en éveil.

4
La conscience est expliquée parfois comme étant la différence entre être
éveillé et être endormi. Mais ce n'est pas tout à fait exact.

La conscience est ce que nous perdons lorsque nous tombons dans un


sommeil sans rêve ou bien lorsque nous subissons une anesthésie générale.

5
Le caractère indéfinissable de la conscience
La raison pour laquelle nous commençons par des exemples plutôt que
par des définitions réside dans le fait qu'aucune définition objective ou
scientifique ne semble pouvoir saisir l'essence de la conscience.
Par exemple, imaginons que nous tentions de définir la conscience en
termes de rôle psychologique caractéristique que jouent tous les états
conscients – en influençant des décisions, peut-être, ou bien en transmettant
des informations à propos de notre environnement.

Ou bien nous pourrions essayer de choisir des états conscients directement


en termes physiques, impliquant par exemple la présence de certains types
de produits chimiques dans le cerveau.

6
Toute tentative de définition objective semble laisser de côté l'élément
essentiel. De telles définitions ne parviennent pas à expliquer pourquoi les
états conscients ressentent d’une certaine manière.

Pourquoi ne pourrions-nous pas, en principe,


construire un robot qui satisfasse une telle
définition scientifique, mais qui n'éprouverait
pas de véritables sentiments ?

Imaginons un robot informatique dont les états internes enregistreraient des


« informations » sur le monde et influenceraient les « décisions » du robot. De
telles spécifications de conception à elles seules ne semblent pas garantir
que le robot éprouvera des sentiments réels.
Les lumières peuvent être allumées, mais est-ce que cela signifie pour autant
qu'il y a quelqu'un dans la maison ?

7
C'est la même chose y compris si nous précisons les ingrédients chimiques
et physiques nécessaires à la fabrication du robot.

Pourquoi un androïde deviendrait-il


conscient, simplement parce qu'il est
fabriqué à partir d'un type de matériau
plutôt qu'un autre ?

Il reste quelque chose d'ineffable à propos de la nature ressentie de la


conscience. Nous pouvons souligner cet élément subjectif à l'aide d'exemples.
Mais cela semble échapper à toute tentative de définition objective.

8
Louis Armstrong (certains disent que c’était Fats Waller) s'est vu un jour
demander de définir le jazz.

Écoute, mon vieux,


si tu dois le demander,
tu ne le sauras jamais.

Nous pouvons en dire autant des


tentatives pour définir la conscience.

9
Qu’est-ce que ça fait d'être une chauve-souris ?
Lorsque nous évoquons les états mentaux conscients, comme les douleurs,
ou bien les expériences visuelles ou encore les rêves, nous mélangeons
souvent les conceptions subjectives et objectives de ces états.
Nous ne prenons pas le temps de préciser si nous voulons parler
de sentiments subjectifs – à quoi cela ressemble de vivre l'expérience –
ou de caractéristiques objectives de la fonction psychologique
et de la constitution physique.

Habituellement, cela n'a pas


d'importance étant donné que
les deux côtés vont toujours
de pair chez les humains.

Si ce n'est chez les robots.

Pourtant, on peut toujours faire la distinction entre ces deux côtés.


C'est l'objet de la célèbre question du philosophe américain Thomas Nagel :
« Qu’est-ce que ça fait d'être une chauve-souris ? »

10
La plupart des chauves-souris trouvent leur chemin par écholocalisation.
Elles émettent des salves de sons aigus et utilisent les échos pour savoir où
se trouvent les objets physiques. En posant sa question, Nagel émet donc
cette intention de savoir : « Comment cela se passe-t-il pour les chauves-
souris pour détecter des objets par écholocalisation ? »

Cela doit être comme si l'on vivait


dans le noir, passant beaucoup
de temps à être suspendu la tête
en bas et entendant une avalanche
de bruits très aigus.

Mais c'est peu probable.

C'est peut-être ce qui


ressemblerait pour les êtres
humains au fait de vivre comme
le font les chauves-souris.

Mais pour les chauves-souris, pour lesquelles l'écholocalisation vient tout


naturellement, ce ne sont probablement pas des sons dont elles sont
conscientes, mais des objets physiques – tout comme la vision rend les êtres
humains conscients des objets physiques, et non les ondes lumineuses.

11
Mais pourtant, qu'est-ce que cela fait aux chauves-souris de détecter des
objets physiques ? Est-ce qu'elles les perçoivent comme étant clairs, foncés
ou bien colorés ? Ou bien est-ce qu'elles les ressentent plutôt comme s'ils
possédaient une sorte de texture sonore ? Détectent-elles même les formes
comme nous le faisons ?
Nous ne sommes pas en mesure de répondre à ces questions. Nous n'avons
pas la moindre idée de ce que cela fait d'être une chauve-souris.

Nous n’avons aucune idée du côté subjectif


de l'expérience d’être une chauve-souris.

En soulevant sa question, Nagel ne cherche pas à suggérer que les chauves-


souris n'ont pas de conscience. Il considère les chauves-souris comme étant
des mammifères normaux, et de ce fait aussi susceptibles d'être conscientes
que les chats et les chiens. Il veut plutôt nous obliger à faire la distinction
entre les deux conceptions des expériences conscientes, l'objective
et la subjective.

12
Lorsque nous pensons aux êtres humains, nous ne nous soucions
pas normalement de la distinction établie par Nagel. Nous pensons
habituellement à la conscience humaine simultanément en termes subjectifs
et objectifs – tant en termes de ressenti qu'en termes d'événements
objectivement identifiables dans le cerveau.
Pourtant, les chauves-souris nous obligent à faire la distinction, précisément
parce que nous ne disposons d'aucune connaissance subjective des
sensations des chauves-souris, même si nous disposons de beaucoup
d'informations objectives à leur sujet.

La science nous apprend de


nombreuses choses sur le
cerveau des chauves-souris.

Mais rien sur ce que cela fait


d'être une chauve-souris.

13
Expérience et description scientifique
Nagel identifie ainsi quelque chose à propos de l'expérience qui échappe à
une description scientifique. Nous manquons de cette chose subjective avec
les chauves-souris, même après avoir appris tout ce que nous dit la science
à leur sujet.
La morale s'applique alors aux expériences conscientes en général.

Même si nous associons généralement


le subjectif et l'objectif, nous ne
devrions jamais oublier qu'ils peuvent
être distingués l'un de l'autre.

Et aucune description scientifique


quelle qu'elle soit ne transmettra
une compréhension subjective
des expériences conscientes.

14
Comment la conscience s'adapte-t-elle ?
Le problème principal de la conscience repose sur les états mentaux
comportant un aspect subjectif. Selon les termes de Nagel, il s'agit
d'états qui sont « comme quelque chose ». On les désigne aussi parfois
comme étant phénoménalement conscients pour mettre l'accent sur
leur « ressemblance » particulière.

Le grand défi consiste à expliquer comment


la conscience subjective ou phénoménale
s'intègre dans le monde objectif.

Et en particulier ce qui
la relie aux événements
scientifiques dans le cerveau.

À ce stade, nous nous retrouvons confrontés à un certain nombre


de choix. Regardons plutôt les trois options qui vont émerger : la dualiste,
la matérialiste et la mystérienne.

15
La première option : dualiste
Est-ce que les caractéristiques subjectives de l'expérience consciente sont
véritablement distinctes des activités du cerveau ? C'est une hypothèse
naturelle. Mais il s'agit d'une ligne dualiste qui soulève d'autres questions.

Si le monde contient des éléments subjectifs, alors


comment interagissent-ils avec les entités physiques
normales qui semblent remplir l'espace et le temps ?

Et quels sont les principes encore


inconnus qui régissent l'émergence
de ces éléments subjectifs ?

16
La deuxième option : matérialiste
Une alternative serait de rejeter le fait que l'esprit subjectif et le cerveau
objectif soient aussi différents qu'ils semblent l'être. Cette option
matérialiste est méfiante vis-à-vis de la divergence entre les conceptions
subjective et objective de l'esprit-cerveau. Elle insiste sur une unité
derrière les apparences.

Le problème pour le matérialisme est d’expliquer comment


l'esprit et le cerveau peuvent peut-être être identiques.

S'ils apparaissent si différents.

17
La troisième option : mystérienne
Cependant, d'autres se découragent face au problème et consentent que la
vision « mystérienne » ne fait que refléter le mystère total de la conscience.

La compréhension de la conscience
phénoménale dépasse les êtres
humains en ce moment...

Et peut-être pour toujours.

Nous examinerons ces options de manière plus approfondie plus tard.


Pour le moment, convenons simplement, dans la terminologie du philosophe
australien David Chalmers, qu'expliquer la conscience phénoménale
est le « problème difficile » de la conscience.

18
Problèmes difficile et faciles
Chalmers fait une distinction entre le « problème difficile » et les « problèmes
faciles » de la conscience. D'après lui, les problèmes faciles concernent
l'étude objective du cerveau.

À ce niveau, nous pouvons nous


interroger sur les rôles causaux
joués par les différentes sortes
d'états psychologiques.

Et sur la manière dont ces rôles


sont mis en œuvre dans les
cerveaux de différentes créatures.

Bien sûr, ces problèmes ne sont « faciles » que dans un sens relatif. Ils peuvent
présenter de véritables défis pour les psychologues et les physiologistes.
Mais ils sont « faciles » en semblant solubles par des méthodes scientifiques
directes et en ne soulevant pas d’obstacles philosophiques insurmontables.

19
Donc, par exemple, nous pourrions analyser la douleur comme étant
un état causé généralement par des lésions corporelles et qui provoque
habituellement un désir d'éviter d'autres dommages.

Nous pouvons alors étudier comment la douleur est générée chez les êtres
humains par un système de transmissions de fibres A et de fibres C, et par des
systèmes physiologiques différents chez d'autres animaux.

Des études objectives similaires peuvent être effectuées pour d'autres


processus psychologiques comme la vision, l'ouïe, la mémoire, etc.

20
Mais aucune de ces choses « faciles », souligne Chalmers, ne nous dit
quelque chose à propos des sentiments impliqués. Des histoires sur les
rôles causaux et les réalisations physiques s'appliqueront tout autant aux
robots insensibles qu'aux êtres humains palpitant, excités, éprouvant
des démangeaisons. Le « problème difficile » consiste à expliquer d'où
proviennent les sentiments – afin d’expliquer la conscience phénoménale.

Est-ce que nous pouvons expliquer pourquoi


c'est « comme quelque chose » d'être nous ?

21
L'écart explicatif
Un autre philosophe, l'Américain Joseph Levine, désigne ce problème
sous le nom d’« écart explicatif ». Seule la science objective peut nous
mener si loin. En psychologie, comme ailleurs, elle peut identifier comment
différents états fonctionnent causalement et comprendre les mécanismes
impliqués. Mais en psychologie, cela ne semble pas être suffisant.
Il y a autre chose à expliquer.
Même après que l'on nous a tout dit à propos des états évitant les
dommages et les fibres A et C, nous voulons encore dire…

Oui, mais pourquoi est-ce que l'on


ressent comme cela ? Pourquoi
est-ce que cela fait mal ?

Il semble y avoir ici un écart entre ce que nous dit la science et ce que nous
voulons le plus expliquer.

22
La conscience d’une créature
Nous parlons parfois de créatures qui sont conscientes plutôt que de leurs
états phénoménalement conscients. Nous disons par exemple que les
êtres humains sont conscients et que les bactéries ne le sont pas. Et nous
pourrions nous demander si les poissons ou les escargots sont conscients.
Mais parler de « conscience d’une créature » n'est pas significativement
différent de notre conversation précédente à propos des états
phénoménalement conscients. « La conscience d’une créature » peut être
facilement définie en termes d’« état de la conscience ». Une créature est
consciente si elle connaît parfois des états conscients.

Savoir si les poissons sont conscients amène


simplement à la question de savoir s'ils
éprouvent parfois des douleurs conscientes,
des expériences visuelles conscientes, etc.

23
Le problème difficile est nouveau
Le problème difficile de la conscience est apparu au cours de la seconde
moitié du xxe siècle. Cela provient du fait que la vision du monde développée
par la science du xxe siècle a rendu difficile à comprendre la manière dont la
conscience pouvait s'inscrire dans la réalité.
Le monde physique, tel qu'il est conçu par la science contemporaine,
menace de faire sortir la conscience de notre existence.

Une fois que le monde a été rempli de


forces, d'atomes et de molécules…

… il ne semble plus y avoir de place


pour des états conscients séparés.

24
Il n'en a pas toujours été ainsi. Avant le xxe siècle, les philosophes et
les scientifiques tenaient pour acquis que la réalité englobait les esprits
conscients indépendants, en dehors de toute réalité matérielle.

Il était largement admis que le


domaine conscient est au moins aussi
fondamental que celui de la matière.

Sur le plan historique, c'était


la matière qui était considérée
comme un citoyen de seconde
classe, et non l'esprit.

25
Le dualisme de René Descartes
René Descartes (1596–1650) est largement considéré comme l'initiateur
de la philosophie moderne. Il a également mis en place les fondations de la
science physique moderne. Mais en dépit de ses idées novatrices à propos
du monde physique, il n'a jamais douté que les esprits conscients existent à
un niveau distinct et non physique.

Je pense, donc je suis.

Descartes était un dualiste. Il pensait qu'il y avait deux domaines séparés


mais interactifs, le mental et le matériel.

26
La matière en mouvement
La conception de Descartes à propos du monde matériel était en elle-même
très austère, tout à fait différente des précédents points de vue et en réalité
de nombreuses autres réflexions ultérieures. Il supposait que le monde
matériel n'est constitué que de matière en fusion et que toute action se
fait par contact.

Tous les effets physiques


sont provoqués par des
morceaux de matière qui se
heurtent les uns aux autres.

Les couleurs, les sons, les odeurs, etc., ne se trouvent pas vraiment dans les
objets eux-mêmes, mais il s'agit d'impressions qui se produisent en nous
sous l'action de particules de matériau sur nos organes sensoriels.

27
L'esprit séparé de la matière
Pour Descartes, la réalité n'était pas épuisée par la matière en mouvement.
En compensation partielle de l'austérité de son monde matériel, Descartes
postulait également un domaine séparé de l'esprit. Cet autre domaine était
peuplé de pensées et d'émotions, de plaisirs et de douleurs. Ces éléments
conscients n'étaient dotés d'aucune des caractéristiques spatiales de la
matière – à savoir la taille, la forme et le mouvement.

La seule propriété qu'ils partagent


avec les événements matériels est le
fait d'être situés dans le temps.

Descartes considérait que l'esprit et la matière pouvaient interagir, malgré


leurs différences radicales. Des causes matérielles peuvent entraîner des
effets sur le mental, comme lorsque vous vous asseyez sur une épingle et
que vous ressentez une douleur mentale. Et les causes mentales peuvent
produire des effets matériels, comme lorsque votre douleur mentale vous fait
à nouveau sursauter.

28
La glande pinéale
Descartes pensait que l'esprit et la matière interagissaient au niveau de la
glande pinéale. Il s'agit d'un organe de la taille d'un petit pois qui se trouve
dans le cerveau de l'Homme, situé sous le corps calleux, dont la fonction
reste encore en partie incomprise. C'est aussi le seul organe symétrique
dans le cerveau sans homologue gauche ni droit.

C'est là que se réunissent les


événements matériels et mentaux pour
s'affecter les uns les autres.

Cela peut sembler être aujourd'hui une idée farfelue, mais elle constituait une
réponse honnête à un problème sérieux. Toute version du dualisme doit en
quelque sorte expliquer comment ses deux domaines distincts – l'esprit et la
matière – peuvent interagir en établissant un lien de causalité. Nous verrons
plus tard que cela demeure le talon d'Achille des points de vue contemporains
dualistes. La théorie de la glande pinéale de Descartes est souvent tournée en
ridicule, mais quelques explications au niveau de l'interaction esprit-cerveau
constituent une partie nécessaire de toute vision dualiste.

29
Le monde des idées de Berkeley
Le problème de l'interaction esprit-matière a continué de perturber les
successeurs de Descartes. Ils s'inquiétaient aussi à propos de notre capacité
à connaître le monde matériel.

Si notre moi conscient se trouve


exclusivement dans le domaine mental…

… comment pouvons-nous alors être sûrs


de choses qui se trouvent de l'autre côté
de la séparation esprit-matière ?

Les sceptiques soutenaient que le dualisme de Descartes nous condamne à


l'ignorance du monde de la matière.

George Berkeley (16851753), évêque de Cloyne, a proposé une solution


radicale à ces deux problèmes.

Supposons qu'il n'y ait pas de


monde matériel – uniquement
le monde d'événements mentaux.

C'est-à-dire, supposons que toutes nos expériences soient simplement telles


qu'elles sont, mais qu'il n'y ait pas d'objets physiques « là-bas » qui causent
ces expériences. Alors, tout continuerait à sembler normal, même s'il n'y a
rien dans la réalité mis à part les expériences mentales.

30
L'idéalisme radical de Berkeley présente des attraits évidents. Il n'y a plus
de problème d'interaction esprit-matière puisqu'il n'y a plus de matière avec
laquelle l'esprit pourrait interagir.
Il n'y a plus de problème non plus à propos de ce que nous savons sur le
« monde extérieur » puisqu'il a été aboli.

Et que fait-on des arbres, des tables,


des chaises et autres objets physiques ?

Ils ne sont pas différents de nos impressions


sensorielles subjectives. Et il n'y a aucun problème sur
ce que nous savons de nos impressions subjectives.

« Esse est percipi » disait Berkeley – « Être, c'est être perçu » – et d'un seul
coup, il résolut les problèmes du dualisme de Descartes.

31
Bien sûr, l'idéalisme est un affront au bon sens. Cela a certainement indigné
le contemporain de Berkeley, le lexicographe et homme de lettres Samuel
Johnson (1709–1784). Johnson ne pouvait pas prendre au sérieux le déni de
la matière de Berkeley.

Je le réfute donc !

C'est ce qu'il a si bien dit


alors qu’il donnait un coup de
pied dans un caillou.

L'idéalisme ne pouvait pas être rejeté aussi facilement. Bien sûr, Berkeley
aurait permis que Johnson puisse voir une pierre et sentir la douleur
au moment où il la projetterait d'un coup de pied. Il nierait simplement
que la cause de ces impressions subjectives soit une supposée autre
entité matérielle. Et comment Johnson pouvait-il prouver que Berkeley
se trompait, étant donné que sa seule preuve serait encore constituée
d'autres impressions subjectives ?

32
La tradition idéaliste
Cette inattaquabilité à réfuter, ajoutée à ses avantages philosophiques, a
attiré de nombreux philosophes vers l'idéalisme.
En effet, presque tous les philosophes importants de la fin du xviiie siècle
jusqu'au début du xxe siècle ont été des idéalistes libérés.

Parmi les plus éminents, nous pouvons citer les philosophes allemands
Georg Hegel (1770–1831), Arthur Schopenhauer (1788–1860)
et Edmund Husserl (1859–1938), ainsi que le philosophe français
Henri Bergson (1859–1941).

33
L'idéalisme en Grande-Bretagne
Ne pensons pas non plus que l'idéalisme a été une maladie exclusivement
continentale. La philosophie britannique est renommée pour son adhésion au
sens commun, mais cela n'a pas empêché ses figures de proue de souscrire
à la cause idéaliste.
John Stuart Mill (1806–1873) était à bien des égards un esprit complètement
sobre, un défenseur de la recherche scientifique systématique, qui travailla
pendant de nombreuses années comme pilier au sein de la Compagnie
britannique des Indes orientales. Mais en ce qui concerne la nature du
monde matériel, il était entièrement dévoué à Berkeley.

Les cailloux, les bâtons et autres


objets physiques n'ont pas de réalité
séparée en dehors de la conscience
sensorielle que nous avons d'eux.

Pour Mill, les objets matériels sont des « possibilités permanentes de sensation ».

34
Cette tradition de l'idéalisme britannique s'est perpétrée avec le filleul
de Mill, Bertrand Russell (1872–1970). Russell était un grand logicien et
philosophe du langage.

Mais moi aussi je considère le monde physique


comme le fruit de notre perspective mentale,
une « construction logique » hors des
« données sensorielles » dont nous sommes
conscients dans la perception.

La tradition berkeleyenne est même allée plus loin au cours du xxe siècle
avec A. J. Ayer (1910–1989). « Freddie » Ayer représentait la quintessence
de l'urbanité du xxe siècle, il menait une vie sociale pleine de glamour
et faisait de fréquentes apparitions sur le petit écran. Le grand public
aurait probablement été surpris de savoir que lui aussi pensait que le monde
matériel n'a aucune réalité en dehors de son reflet dans les délivrances
de nos organes sensoriels.

35
La réaction scientifique face à l'idéalisme
Quoi que vous puissiez penser de l'idéalisme, vous devez reconnaître qu'il
n'a aucun problème avec la conscience. Loin de lutter pour trouver une place
pour les états conscients à l'intérieur de la réalité, les idéalistes ont construit
la réalité en dehors de la conscience. Leur problème consiste à expliquer
comment des objets physiques tels que les arbres et les tables peuvent
constituer une partie de la réalité, et non pas comment la conscience
peut le faire.

Au cours du XXe siècle, les philosophes


et les psychologues se sont retournés
de plus en plus contre l'idéalisme.

Leur première préoccupation portait


sur l'authentification publique
des revendications énoncées à propos
d'un domaine mental subjectif.

Si les éléments mentaux sont


essentiellement privés, accessibles
uniquement à un seul individu, alors
comment n’importe qui d'autre pourrait-il
savoir quelque chose à leur sujet ?

36
Psychologie comportementaliste
Cette inquiétude s'est d'abord manifestée en psychologie. Le mouvement
comportementaliste a soutenu qu'une psychologie scientifique ne peut
pas être bâtie sur l'introspection d'états subjectifs. Les pionniers du
comportementalisme ont été John B. Watson (1878–1958) et, à sa suite,
B. F. Skinner (1904–1990).

Une psychologie scientifique


devrait être bâtie sur l'étude
expérimentale du comportement.

Non pas sur les jugements


des individus à propos de
leurs propres sentiments.

L'école du comportementalisme a beaucoup appris des études expérimentales


menées sur des rats et des pigeons, et en particulier sur la façon dont ils
pourraient être dressés en suivant des modèles appropriés de récompense
et de punition.

37
La boîte de Skinner
Skinner a conçu un dispositif expérimental spécial, « l'appareil de
conditionnement opérant », surnommé la « boîte de Skinner », afin d'étudier
le comportement de réflexe conditionné des rats. Lorsqu’un rat appuie sur un
levier sur l’une des parois de la boîte, une récompense en nourriture est livrée
à travers une ouverture. Le rat peut appuyer sur le levier par hasard, au départ,
mais la récompense va intensifier son effet pour que le rat continue d'appuyer.

Le taux de pression sur le levier va augmenter.


C'est ce que j'appelle le renforcement positif.

Chaque fois que j'appuie


sur le levier, je reçois
de la nourriture.

Skinner a découvert qu'un rat, une fois qu'il est conforté dans ce schéma,
continuera à appuyer sur le levier même si la récompense en nourriture
s'arrête. Il a été « activement conditionné ».

38
Watson et Skinner ont tous deux appliqué leurs points de vue sur
les êtres humains, ainsi que sur les rats et les pigeons. Watson était
un environnementaliste extrême.

La structure de l'esprit humain est entièrement façonnée


par la culture – sous la forme de récompenses
et de sanctions – et non par la nature génétique.

Dans cet esprit-là, Skinner a écrit un grand roman utopique, Walden Two,
comme une suite à l'idylle rurale originale américaine d'Henry Thoreau
(1817–1862), dans lequel il demandait avec insistance un système d'éducation
conçu pour les enfants construit sur des modèles rigoureux de récompense.

39
Le fantôme dans la machine
Le mouvement comportementaliste en psychologie a reçu un soutien influent
des philosophes. Là où les psychologues ont rejeté l'étude des expériences
subjectives comme étant une mauvaise méthodologie, les philosophes
ont soutenu que les expériences subjectives n'avaient aucun sens
logique. Cette position philosophique est devenue connue sous le nom
de « comportement logique » pour le distinguer du « comportement
méthodologique » plus faible des psychologues.

Les comportementalistes logiques ont


rejeté la notion d'expérience individuelle
subjective comme étant incohérente.

Tout ce que nous pouvons dire


sérieusement à propos des « états
mentaux », c'est que ce sont des
inclinations à se comporter de certaines
façons, que l'on peut tous observer.

Gilbert Ryle (1900–1976) a ridiculisé l'image traditionnelle de l'esprit comme


étant un domaine subjectif séparé contrôlant les mouvements du corps.
Il donna à cette image le nom de « fantôme dans la machine ». Il l'a rejetée
en faveur de l'idée selon laquelle les attributs mentaux sont simplement
des dispositions visant à se comporter de telle ou telle façon.

40
Le scarabée dans la boîte
La notion de comportement logique a également été associée à un autre
philosophe, Ludwig Wittgenstein (1889–1951). Dans son célèbre « argument
du langage privé », Wittgenstein a insisté pour que la vérification publique
soit essentielle au fonctionnement de la langue. Une langue n'a aucun sens si
les affirmations ne peuvent être vérifiées que par une seule personne. Parler
d'états mentaux ne peut pas faire référence à des moments privés personnels.
Si c’était le cas, nous ne saurions pas de quoi nous sommes en train de parler.

Ce serait comme si nous avions chacun


une boîte dans laquelle personne
d’autre ne peut regarder et que nous
commencions tous à parler du « scarabée »
qui se trouve à l'intérieur de notre boîte.

Nous pourrions tous vouloir


parler de choses différentes en
mentionnant « le scarabée dans
la boîte » – ou de rien du tout.

Si la conversation mentale doit avoir un contenu objectif, soutenait


Wittgenstein, nous devons considérer le domaine mental comme étant
intrinsèquement connecté au comportement qui le rend visible par tous.

41
Les fonctionnalistes psychologiques
Aujourd'hui, le comportementalisme méthodologique et celui logique sont
largement considérés comme des surréactions face à la vision subjectiviste
de l'esprit. Il y a quelque chose d’assez fou au sujet du fait que le point
de vue selon lequel les états mentaux ne peuvent jamais être connus de
manière introspective, mais uniquement par l'observation commune du
comportement de tout le monde.
Vous connaissez la blague sur les deux comportementalistes ?

Le comportementaliste A rencontre
le comportementaliste B et dit…

Vous allez bien


aujourd'hui. Et moi ?

Aujourd'hui, le comportementalisme en psychologie a largement été remplacé


par le fonctionnalisme. Cela confirme la résistance du comportementalisme
à une conception essentiellement subjective des états mentaux, mais en
même temps, cela permet de reconnaître que les états mentaux peuvent
être internes, et pas nécessairement affichés au niveau du comportement
de la population.

42
L'astuce consiste à penser aux états mentaux comme étant des éléments
internes, identifiés selon leurs causes et effets typiques. Les fonctionnalistes
considèrent les états mentaux comme des intermédiaires causaux, résultant
de stimuli perceptifs et qui affectent le comportement uniquement par
l'intermédiaire de leur interaction avec d'autres états mentaux.
La douleur, par exemple, serait un état qui provient généralement de lésions
corporelles et qui provoque habituellement le désir d'éviter la source même
de cette lésion – quel que soit le comportement qui en résulte, il dépendrait
alors de l'interaction de cette envie avec d'autres croyances et envies.

Le fonctionnalisme permet donc aux états mentaux


d'être réels, même lorsqu'ils ne se manifestent
pas directement dans une action visible.

Vous pourriez avoir d'autres envies –


comme par exemple celle de dissimuler
votre présence – qui vous amène à
supprimer tout signe de douleur.

Je me moque de la douleur – restez


tranquille ou nous sommes perdus.

43
Pourtant, même si le fonctionnalisme fait que les états mentaux demeurent
internes, cela ne revient pas à les identifier subjectivement par rapport à ce
qu'ils ressentent. Le fonctionnalisme peut penser que les états mentaux
sont internes et non observables, mais il les considère toujours comme des
parties objectives du monde causal scientifique.

D'après le fonctionnalisme, les états


mentaux sont similaires aux éléments
scientifiques non observables – comme
les atomes, les gènes ou les quarks.

Ils sont postulés comme étant des causes cachées, que l'on ne peut pas
observer à l'œil nu, mais néanmoins réelles, et connues par l'intermédiaire
de leurs causes et de leurs effets, plutôt que par les sentiments
qu'elles peuvent impliquer.

44
Structure versus physiologie
Même si le fonctionnalisme suppose que les états mentaux sont des
intermédiaires causaux entre la perception et le comportement, il ne
s'engage pas sur la composition des états mentaux. Les psychologues
influencés par le fonctionnalisme se tournaient vers l'intérieur, en direction du
cerveau et loin du comportement.

Ils ne se salissaient pas


les mains avec des détails
physiologiques à propos des
neurones et des zones cérébrales.

Au lieu de cela, nous


dessinions des organigrammes.

Ils ont émis l'hypothèse de structures mentales dans l'abstraction à partir


des mécanismes physiologiques. Pour les fonctionnalistes, les états mentaux
étaient conçus de manière abstraite, en fonction des rôles causaux qu'ils
jouent, plutôt que par leur composition matérielle.

45
L'esprit, le logiciel du cerveau
On fait souvent une analogie avec l'ordinateur numérique moderne.
Nous pouvons distinguer le « matériel » que constitue l'ordinateur
de son « logiciel ». Le « matériel » correspond à la construction physique
de l'appareil, l'agencement des puces en silicium, ou des transistors,
des valves radio ou encore des roues et des pignons en acier,
selon la composition de l'ordinateur.

Le « logiciel » est le programme exécuté par


un appareil – comme par exemple Microsoft
Word ou Netscape ou encore Telnet.

46
N'importe quel logiciel peut fonctionner sur des appareils qui utilisent
des matériels différents. Microsoft Word peut fonctionner à la fois sur des
PC (IBM) et des Macs (Apple), même si ces ordinateurs sont complètement
différents au niveau de leur constitution. Cela provient du fait que la nature
même du logiciel est sa structure causale.

Les programmeurs se sont assurés que


la structure MS Word appropriée sera
réalisée à la fois sur les PC et les Macs.

Ce qui compte, c'est que le fait de taper un mot sur le clavier produit
un certain état interne qui, à son tour, déclenche des réponses appropriées
sur l'écran de visualisation et l'imprimante. Cela n'a pas d'importance
si les états internes au sein du PC et du Mac sont différents, à condition
qu'ils répondent tous deux à leur exigence structurelle.

47
Réalisation variable
Il en est de même, expliquent les fonctionnalistes, pour l'esprit. Lorsque nous
parlons d'états mentaux, nous parlons du logiciel plutôt que du matériel.
C'est-à-dire que nous spécifions un rôle causal, une structure de causes
et d'effets, et non les matériaux dans lesquels ce rôle est exercé. Nous
pouvons donc imaginer l'esprit comme le logiciel et le cerveau comme le
matériel – ou « wetware » comme il est parfois appelé dans ce contexte-là.
Cette analogie comporte une autre implication.

Tout comme un programme donné, un logiciel peut être réalisé


par différents matériels dans des appareils différents…

… donc un état mental donné, comme la


douleur, peut être réalisé de manière variable
dans les cerveaux d'animaux différents.

48
Les êtres humains et les pieuvres, par exemple, possèdent des cerveaux
complètement différents, constitués de nerfs totalement distincts.
Cependant, pour le fonctionnalisme, cela ne les empêche pas tous deux
de ressentir la douleur.

Car la douleur est une matière


structurelle, de logiciel.

Et la même structure peut être réalisée de


façon variable dans différents matériaux.

À condition que l'être humain et la pieuvre soient tous deux dans un


état qui survient en général à la suite de lésions corporelles et provoque
habituellement une envie d'éviter d'autres lésions, alors tous deux souffriront,
même si différents matériaux alimentent cet état. C'est exactement comme
deux appareils fonctionnant tous les deux en MS Word. En dépit de leurs
constitutions différentes, ils partagent les mêmes propriétés structurelles.

49
Une base physique pour l'esprit
Puisque le fonctionnalisme ne s'engage pas sur la constitution des états
mentaux mais uniquement sur les questions structurelles, il est strictement
conforme au dualisme ou même à l'idéalisme. Peut-être qu'une « substance
mentale » non physique particulière apparaît dans les cerveaux de créatures
conscientes et remplit les rôles structurels spécifiés par le fonctionnalisme.
Si cette substance mentale consciente est dotée de la structure correcte
de causes et d'effets, alors elle fournira elle-même la base pour des
états d'esprit fonctionnalistes.

Une « substance mentale » ?


Cela me fait penser au dualisme.

Oui, mais peu de


fonctionnalistes prennent
cette option au sérieux.

Presque tous les fonctionnalistes contemporains sont matérialistes. Ils


supposent que l'esprit humain est constitué uniquement de matériaux
physiques, et non pas de n’importe quelle substance mentale particulière.

50
Après tout, les ordinateurs ne sont constitués que de matière et rien
d'autre, sous forme de transistors et de circuits imprimés, disposés en
structures causales ingénieuses. De même, soutiennent les fonctionnalistes
contemporains, nous n'avons besoin de rien à l'exception de composants
physiques normaux, comme les nerfs, les synapses et les neurotransmetteurs,
pour rendre compte des structures causales propres aux esprits.

Lorsque nous parlons d'esprits, nous


en parlons au niveau de la structure
causale, en faisant abstraction
des détails des mécanismes.

Mais en même temps, les fonctionnalistes contemporains ne voient


aucune raison de douter du fait que les mécanismes soient physiques – les
composants de votre esprit sont constitués de matière, tout autant que les
composants de votre ordinateur de bureau.

51
Un renouveau de dualisme moderne
L'orthodoxie moderne combine ainsi une vision fonctionnaliste des rôles
mentaux et un récit physicaliste sur la façon dont ces rôles sont remplis.
Les états mentaux sont constitués de structures causales et ces mêmes
structures sont élaborées, chez les êtres humains et autres créatures, par
des mécanismes physiques.
Cette orthodoxie moderne souligne le « problème difficile » de
la conscience. Elle propose un compte-rendu entièrement scientifique
et objectif de l'esprit, comme une structure causale construite avec
des matériaux entièrement physiques.

À cause de cela, elle semble laisser


de côté ce que cela fait d'avoir un esprit…

Les plaisirs et les douleurs,


les excitations et les déceptions qui rendent
la vie digne d'être vécue.

52
Une réponse possible à ce problème difficile consiste à insister sur le fait
que l'esprit doit résider après tout dans un domaine distinct qui n'a rien
de physique. Si l'orthodoxie moderne représente les êtres humains comme
des automates insensibles qui ne pensent pas, alors est-ce que ce n'est pas
tant pis pour elle ? Elle semble refuser un élément essentiel de la réalité.
Un certain nombre de philosophes actuels, dont David Chalmers, ont insisté
pour que nous rejetions cette orthodoxie et que nous retournions à l'idée
cartésienne selon laquelle ce monde mental s'ajoute au monde de la matière.
Mais les dualistes modernes comme Chalmers sont moins extrêmes
que Descartes.

Descartes pensait à l'esprit et à la


matière comme étant deux substances
distinctes, comme deux liquides qui ne
se mélangent jamais, chacun doté de
ses propres caractéristiques.

Notre moi conscient est constitué d'une substance,


le corps humain d'une autre. Le moi est l'âme
immatérielle, le corps la matière ordinaire.

53
Un dualisme de propriétés
Les dualistes modernes comme Chalmers ont tendance à éviter ce
« dualisme-substance » et se restreignent à un dualisme de propriétés. Au
lieu de penser que les esprits conscients sont constitués d'un truc à part,
séparés du corps matériel, ils admettent volontiers que les êtres humains ne
sont faits que d'une seule substance unifiée et insistent seulement sur le fait
que cette unique substance possède deux types distincts de propriétés.

Vous êtes donc doté de propriétés physiques – comme


votre taille, votre poids et votre taux de fibres C.

Et également de propriétés conscientes


distinctes – comme le ressenti d'une
douleur ou le fait de se sentir déprimé.

Dans le jargon philosophique, les dualistes modernes sont « dualistes de


propriété » plutôt que « dualistes de substance ».

54
D'après la renaissance du dualiste moderne, le comportementalisme et le
fonctionnalisme étaient des surréactions aux excès de l'idéalisme. Ils ont pu
constituer des réponses compréhensibles face au subjectivisme très chargé
de la philosophie du xixe siècle. Mais considérer l'esprit comme une machine
entièrement physique allait sûrement trop loin. Ne savons-nous pas tous,
d'après notre propres cas, qu'il y a une essence non physique et consciente
propre à notre esprit ?
Le renouveau dualiste peut confirmer l'intuition par un argument. Plus
précisément, les dualistes de ces dernières années ont utilisé deux
arguments bien connus pour faire comprendre que l'esprit doit être distinct
de la matière. Ces deux arguments ont des précurseurs dans les écrits
dualistes originaux du xviie siècle.

L'un de ces arguments –


l'argument tiré de la possibilité
– provient de Descartes.

L'autre – l'argument du savoir – a été formulé


par mon successeur, le grand philosophe allemand
Gottfried Wilhelm von Leibniz (1646–1716).

55
L'argument de la possibilité de Descartes
Descartes soutenait qu'il est parfaitement possible pour l'esprit et le corps
d'exister séparément. Après tout, rien ne semble contradictoire dans
l'idée de fantômes ou d'âmes immortelles. Il n'y a peut-être pas de vrais
fantômes, mais cela a certainement du sens de supposer que vous pouvez
continuer à exister comme un être conscient, même sans votre corps. Des
millions d'êtres humains ont certainement trouvé beaucoup de réconfort
dans cette pensée.

Cette possibilité de survie posthume implique que


l'esprit et le corps doivent être distincts l'un de l'autre,
même si en réalité, on les trouve toujours ensemble.

Car s'ils étaient une même chose,


quel sens aurait alors l'idée
de leur séparation ?

Une variante moderne de cet argument de la possibilité a été développée


par le philosophe américain Saul Kripke. Cette version moderne porte sur les
zombies plutôt que sur les fantômes.

56
Un duplicata de zombie
Kripke imagine un être qui lui est physiquement identique – pensez à un
double parfait à la molécule près produit par un holocopier tel que celui dans
Star Trek – mais qui n'est doté ni d'une conscience, ni d'aucun sentiment
quel qu'il soit.
Les philosophes appellent ce genre de coquille humaine un « zombie ». Ces
« zombies » philosophiques sont plutôt différents des monstres vaudous que
l'on trouve dans des films de série B. Les zombies vaudous sont des « morts-
vivants », des corps sans âme animés par un esprit mauvais. C'est pour
cela qu'ils marchent d'une façon aussi maladroite et ont souvent du mal à
éviter les meubles.

Le double physique parfait de Kripke


n'est pas censé être physiquement
contesté de cette manière.

Il se comporte avec la culture


et la dextérité normales
de son original humain.

Après tout, il est doté des mêmes agencements de cellules cérébrales et de


nerfs moteurs. Il ne manque que les sentiments, la conscience intérieure.

57
Aujourd'hui, il n'y a presque assurément pas de zombies philosophiques
dans l'univers réel. Mais l'argument de Kripke ne nécessite pas de vrais
zombies. Comme dans le cas de Descartes, il suffit qu'il soit possible
que l'esprit et le cerveau soient séparés. Quelles que soient les difficultés
pratiques à fabriquer un zombie, rien d'évident ne semble en exclure
la possibilité sur le principe. Il ne semble rien y avoir de logiquement
contradictoire dans cette idée de zombie. C'est un être dont le corps
physique est semblable au nôtre, mais qui n'éprouve aucun sentiment.

Au fait, lequel de nous est le zombie ?

Comment pourrais-je
le savoir ? C'est toi qui
éprouves des sentiments.

Pourtant, si les zombies constituent une possibilité, alors les propriétés


conscientes doivent être différentes de n'importe quelle propriété physique
ou structurelle. Car, par définition, votre zombie partage toutes vos propriétés
physiques et structurelles, mais sans posséder toutefois vos caractéristiques
conscientes. Donc, si nous admettons le scénario zombie comme étant possible,
sa description même nous engage à établir une différence entre les propriétés
conscientes et les caractéristiques qui sont physiques ou structurelles.

58
L'argument de Leibniz à propos de la connaissance
Le second argument du dualisme moderne se pose en termes d'états de
connaissance plutôt que de possibilité. Une version originale a été formulée
par Leibniz dans Monadology (qui fut publié pour la première fois en 1840).
« Supposons qu'il y ait une machine dont la structure produit la pensée,
les sentiments et la perception ; imaginez cette machine agrandie, mais
conservant les mêmes proportions de façon à ce que vous puissiez y entrer
comme s'il s'agissait d'un moulin. Cela étant supposé, vous pouvez en visiter
l'intérieur, mais que pourriez-vous y observer ? Rien que des morceaux qui
se poussent les uns les autres et qui se déplacent, et jamais rien qui pourrait
expliquer la perception. »

Selon Leibniz, même si vous saviez tout sur le fonctionnement physique


du cerveau – comme vous pouvez connaître la machinerie d'un moulin –
vous ne sauriez toujours rien à propos de la conscience. Cela semble
indiquer que la conscience doit être quelque chose de différent par rapport
aux mécanismes physiques.

59
L'argument moderne de la connaissance
La version moderne de l'argument de Leibniz provient du philosophe
australien Frank Jackson et s'inspire d'une histoire de science-fiction
qui met en scène Mary, une experte en psychologie qui vit dans le futur.
Mary est une autorité absolue en matière de vision humaine et en particulier
en perception des couleurs. Elle possède des connaissances scientifiques
complètes à propos de ce qui se passe chez les êtres humains lorsqu'ils
voient des couleurs.
Elle sait tout sur les ondes lumineuses et les profils de réflectance, les
bâtonnets et les cônes, et les nombreuses zones concernées par la vision
dans le lobe occipital, ce qu'ils font chacun, comment ils interagissent, etc.

Mis à part cela, j'ai reçu


une éducation inhabituelle.

Elle-même n'a jamais vu de couleurs. Elle a passé toute sa vie à l'intérieur


d'une maison peinte en noir et blanc et en nuances de gris. Toute sa
connaissance sur la vision des couleurs est « livresque » et aucun de ses
livres ne contient d'illustrations en couleur. Elle possède une télévision mais
il s’agit d’un vieil appareil en noir et blanc.

60
Et puis un jour, Mary sort de chez elle et voit une rose rouge.
À ce moment-là, remarque Jackson, Mary apprend quelque chose
de nouveau, quelque chose dont elle ignorait tout jusqu'alors.
Elle apprend ce que cela fait de voir quelque chose de couleur rouge.
Si cela est exact, cela semble alors confirmer une fois de plus que
toutes les propriétés mentales ne sont pas physiques ou structurelles.

Par hypothèse, je savais tout des propriétés


physiques et structurelles de l'expérience
de la couleur avant de sortir de chez moi.

Pourtant, lorsqu'elle a vu la rose, elle a appris


quelque autre propriété de l'expérience de la couleur.

Cette autre propriété doit donc être distincte des propriétés physiques et
structurelles qu'elle connaissait déjà. Elle a appris l'aspect conscient de
l'expérience du rouge, de sa nature phénoménale et de ce que cela fait de
voir une rose rouge.

61
Une science dualiste de la conscience
David Chalmers est l'un de ceux qui sont convaincus par ces arguments
dualistes. Il soutient qu'il existe un domaine phénoménal séparé où l'on peut
trouver la conscience.
Chalmers ne considère pas cela comme un rejet de la science, il s'agit plutôt
de recommander à la science d'élargir ses horizons.

Il n'y a rien d'antiscientifique


à propos de la conscience.

Nous avons simplement besoin d'une


nouvelle science de cet ingrédient
supplémentaire de la réalité pour la placer
à côté des autres branches de la science.

Chalmers établit une analogie avec la reconnaissance de l'électromagnétisme


comme étant une force fondamentale au xixe siècle. Initialement, les
scientifiques du xixe siècle avaient espéré que l'électromagnétisme pourrait
être expliqué en termes de processus mécaniques plus fondamentaux.

62
Mais James Clerk Maxwell (1831–1879) et ses contemporains ont réalisé
que c'était impossible, et ils ont donc ajouté l'électromagnétisme à la liste
des éléments fondamentaux de la réalité. Chalmers préconise exactement le
même mouvement pour ce qui concerne la conscience.

La science doit reconnaître une nouvelle


caractéristique fondamentale de la nature
– le phénoménal – si l'on veut tenir
compte de la conscience.

Chalmers imagine l'élaboration d'une théorie qui tient compte des phénomènes
conscients. Cette théorie viserait à préciser les lois fondamentales qui
régissent l'émergence des états conscients, de la même façon que la théorie
de Maxwell définit les lois qui régissent les champs électromagnétiques.

63
Les arguments contre le dualisme
Toutefois, avant d'en arriver aux théories détaillées, des problèmes
philosophiques surgissent, faisant face aux tentatives de faire revivre
le dualisme. Le plus évident est le problème de l'interaction esprit-corps.
Comme nous l'avons vu plus tôt, ce problème est aussi ancien que le dualisme
lui-même. Il a donné lieu à la théorie souvent ridiculisée de Descartes selon
laquelle l'esprit et le corps interagissent dans la glande pinéale.
Le dualisme moderne est un dualisme de propriétés, et non de substances,
et il évite ainsi l'un des problèmes de Descartes – celui qui consiste
à expliquer comment deux substances complètement différentes
peuvent communiquer causalement.

Mais le problème le plus délicat


de l'interaction esprit-corps demeure.

Il s'agit donc de voir comment un esprit


peut affecter la matière sans violer les
principes mêmes de la physique.

64
L'exhaustivité causale
Cela provient du fait que le monde physique apparaît comme étant
causalement complet. Les causes des effets physiques semblent toujours
être d'autres causes physiques. Si nous retraçons les causes aboutissant
au fait qu'un gardien de but se lève pour sauver un ballon, par exemple,
nous découvrirons…

Des contractions physiques


dans ses muscles…

… à leur tour provoquées par des


messages électriques descendant
le long de ses nerfs…
… eux-mêmes dus à
l'activité physique dans
son cortex moteur…

… à son tour provoquée par l'activité neuronale


antérieure dans son cortex sensoriel…

… elle-même déclenchée par sa rétine


enregistrant le mouvement du ballon…

65
La disparition des forces mentales
Plus généralement, si nous retraçons les causes d’effets physiques,
il semble que nous n'aurons jamais à quitter le domaine du physique.
Et cela semble ne laisser aucune place aux propriétés non physiques,
telles que les propriétés conscientes de l'expérience, pour faire une
différence par rapport à votre comportement. Puisque votre comportement
est déjà pleinement pris en compte par les antécédents physiques,
tout événement conscient distinct semblerait être un danger temporaire,
lui-même sans rapport avec des événements ultérieurs.

Ce serait comme le volant d’un jouet


avec lequel un enfant, assis sur le siège
passager d'une voiture, s'imagine naïvement
contrôler la direction de la voiture.

66
Le problème de vouloir concilier le dualisme avec l'exhaustivité causale
de la physique n'est pas complètement nouveau. Il était aussi largement
reconnu comme étant un problème par les dualistes du xviie siècle.
Étonnamment, Descartes lui-même ne semble pas avoir été ennuyé par
cet aspect de l'interaction esprit-corps. Mais ses successeurs immédiats
n'ont pas traîné pour faire remarquer que la physique déterministe
du xviie siècle excluait toute possibilité de l'esprit influençant la matière.

En particulier mon successeur Leibniz…

Si tous les changements dans le mouvement sont


déterminés par des collisions entre les particules
de matière, alors cela ne laisse aucune place aux âmes
immatérielles pour influencer le monde matériel
par l'intermédiaire de la glande pinéale.

67
La physique newtonienne
Curieusement, cet argument fondé sur la physique contre le dualisme a perdu
de sa force aux xviiie et xixe siècles. Cela s'explique par le fait que la physique
austère de Descartes et de Leibniz, où tous les changements de mouvement
de matériaux sont dus au contact entre des corps, a été remplacée par
la vision du monde plus libérale de Sir Isaac Newton (1642–1727).
La physique newtonienne admet que des forces immatérielles agissent à
distance. La plus célèbre d'entre elles est la gravité. Mais Newton et ses
partisans étaient prêts à admettre de nombreuses autres forces du même
genre, comme les forces chimiques et les forces d'adhérence.

Et voire des forces vitales et mentales spéciales qui


apparaissent spécifiquement chez les créatures vivantes et les
animaux intelligents, et aident à diriger la matière dans leur corps.

68
Ce n'est que très récemment que ces forces vitales ou mentales en sont
venues à avoir l'air bizarre. À l'apogée de la science newtonienne, de
telles forces faisaient partie du fonds de commerce des biologistes et
physiologistes orthodoxes. Elles n'étaient pas considérées comme étant plus
mystérieuses que la gravité ou le magnétisme.

Les forces vitales et mentales


ne sont rien d'autre que des
champs de forces spéciales
qui apparaissent dans des
circonstances prédéfinies…

… et qui accélèrent tout morceau


éventuel de matière à leur portée.

Cette idée de forces « de configuration » spéciales, qui apparaissent lorsque


la matière est disposée dans les modèles complexes trouvés dans des
corps vivants et des cerveaux intelligents, a été bien préservée au xxe siècle.
C'est un thème central dans la philosophie « émergentiste » défendue
par C. D. Broad (1887–1971), auteur de Mind and its Place in Nature (1923)
et professeur de philosophie à Cambridge jusqu'en 1953.

69
Retour à Descartes
La physique s'est éloignée désormais de la libéralité newtonienne pour
revenir à l'austérité cartésienne et a ôté l'esprit de la catégorie des causes
avec le pouvoir de bouger le corps. C'est exact, nous ne sommes pas tout
à fait revenus à la vision cartésienne originale selon laquelle toute action
résulte du contact entre des corps.

Nous avons toujours des


forces qui agissent à distance.

Et l'aspect aléatoire de la mécanique


quantique moderne signifie que nous ne sommes
plus engagés dans le déterminisme physique.

Mais la physique est à nouveau


d'accord avec moi sur le point crucial.

Les causes des effets matériels sont toujours d'autres causes matérielles,
il ne s'agit pas de forces spéciales mentales ou vitales. La physique
reconnaît aujourd'hui quatre forces fondamentales : la force nucléaire forte,
la force électromagnétique, la force gravitationnelle et la force nucléaire
faible. D'après la physique contemporaine, toutes les influences non
aléatoires sur le mouvement de la matière sont dues aux associations
de ces forces-là. Cela ne laisse aucune place à un esprit indépendant
pour faire une quelconque différence matérielle.

70
Physiologie matérialiste
La recherche physiologique a opéré une influence majeure ces 150 dernières
années en jetant le discrédit sur les forces mentales spéciales. Pour un
observateur occasionnel, cela peut paraître évident que nous ayons besoin
d'une quelconque influence non physique, dotée de pouvoirs distinctifs de
conscience et de pensée rationnelle, pour tenir compte du discours élaboré
et de la prise de décision éclairée des êtres humains.

Il semble à peine crédible qu'un simple


système physique puisse afficher
le comportement subtil que l'on trouve
chez les êtres humains.

Mais c'est exactement


ce que la recherche
physiologique
moderne suggère.

On sait de nombreuses choses aujourd'hui sur ce qui se passe


à l'intérieur du cerveau. Au cours de la première moitié du xxe siècle,
les neurophysiologistes ont cartographié le réseau de neurones du corps
et analysé les mécanismes électriques responsables de l'activité neuronale.
Et depuis lors, on en sait beaucoup plus à propos de la chimie des cellules
nerveuses, et en particulier sur les molécules des neurotransmetteurs
que ces cellules utilisent pour communiquer entre elles.

71
Pas de causes mentales distinctes
Bien sûr, il reste encore beaucoup à comprendre sur cette recherche
physiologique détaillée, notamment sur la manière dont tous les morceaux
s'assemblent pour diriger le comportement intelligent. Mais il semble peu
probable qu'il y ait des champs de forces mentales spéciales.

Si des forces mentales spéciales se


cachaient dans les recoins des cerveaux
intelligents, nous aurions sûrement déjà
remarqué leurs effets sur les morceaux
de matière à l'intérieur du crâne.

Rien au cours des cent dernières


années de recherche physiologique
ne fournit la preuve de la présence
de causes mentales séparées.

À la fin du xxe siècle, il y avait quelques récalcitrants prêts à nier l'exhaustivité


causale de la physique. Deux des plus éminents physiologistes du siècle,
les prix Nobel Sir John Eccles (1903–1997) et Roger Sperry (1913–1994),
ont tous deux défendu cette idée. Ils soutenaient que l'esprit conscient
est séparé du cerveau et qu'il exerce parfois une influence indépendante
sur ses opérations.

72
Néanmoins à la fin du xxe siècle, peu nombreux sont les penseurs qui le
croient encore. L'idée d'influences mentales indépendantes a pu avoir été
autrefois respectable, mais aujourd'hui, les preuves à leur encontre semblent
écrasantes. Bien sûr, la physique moderne peut très bien se tromper à
propos de sa liste actuelle précise de forces fondamentales. Peut-être y en
aura-t-il plus de quatre – ou moins.

Mais il semble très improbable que l'une de


ces influences indépendantes sur le mouvement
de matériaux se révèle être mentale.

Imaginez ce que cela signifierait si


les esprits conscients exerçaient
parfois une influence indépendante
sur le mouvement des matériaux.

Des morceaux de matière dans le cerveau – des molécules de


neurotransmetteurs peut-être – prendraient parfois de la vitesse
et cette accélération ne pourrait pas être représentée par la physique
orthodoxe. L'idée n'est pas incohérente. Mais si cela était vrai,
la science physique moderne en serait vraiment étonnée.

73
Qu'en est-il de l'indéterminisme quantique ?
Est-ce que l'indéterminisme de la mécanique quantique moderne crée
un vide qui permet à l'esprit de faire une différence substantielle ?
D'après la mécanique quantique, de nombreux événements physiques,
y compris des événements dans le cerveau, ne sont pas déterminés par
des causes physiques antérieures. Tout au plus, les causes physiques
antérieures déterminent-elles les probabilités pour divers résultats possibles.
Albert Einstein (1879–1955) détestait cette idée.

Dieu ne joue pas aux dés !

Mais la mécanique quantique énonce que c'est


exactement ce qui se produit – il s'agit souvent
entièrement d'une question de hasard lorsque les
événements se produisent réellement.

Pourtant, cet indéterminisme mécanique quantique n'aide pas vraiment


le dualisme. Aussi longtemps que les causes physiques antérieures
fixeront les probabilités des résultats physiques, les influences mentales
indépendantes seront toujours exclues.

74
Imaginons, pour les besoins de l’argument, que les événements conscients
indépendants – des décisions conscientes peut-être – aient profité de l'espace
indéterministe créé par la mécanique quantique pour influencer les mouvements
des neurotransmetteurs dans le cerveau. Alors, vraisemblablement, ces
mouvements de neurotransmetteurs se produiraient plus souvent lorsqu'ils
sont précédés par ces décisions conscientes, plutôt que l'inverse.

Sinon, pourquoi supposer que les décisions


conscientes exercent une quelconque influence
sur les neurotransmetteurs en premier lieu ?

Mais cela signifie maintenant que les


probabilités ne seraient pas déterminées
par les causes physiques après tout.

Le jeu de dés de Dieu serait truqué. Les décisions conscientes chargeraient


le dé. De manière moins imagée, les causes conscientes indépendantes
affecteraient les probabilités des résultats physiques. Il s’agirait d’une violation
de la version quantique de l'exhaustivité causale de la physique, le principe
selon lequel les probabilités des résultats physiques sont déterminées
uniquement par des causes physiques antérieures. Comme précédemment,
cette possibilité n'est pas incohérente. Mais, une fois de plus, la science
physique moderne serait très surprise s’il s'avérait que cela est vrai.

75
Impuissance causale
La plupart des dualistes contemporains adoptent une position différente
face à l'exhaustivité causale de la physique. Ils acceptent simplement que le
mental, après tout, n'exerce aucune influence causale sur le monde matériel.
Cela pourrait relever du bon sens le plus simple de supposer que nos
souffrances et sentiments conscients, nos espoirs et décisions affectent les
mouvements de notre corps, et donc le reste du monde physique.

Mais les dualistes contemporains sont


prêts à accepter qu'il s'agit d'une illusion.

Puisqu'il n'y a pas de place pour que quelque chose de non


physique affecte les résultats physiques, nous acceptons le
fait que l'esprit conscient doit être « causalement impuissant ».

Nous sommes en réalité comme l'enfant qui joue avec un volant en plastique.
Nous pensons que nous menons le jeu, mais c'est faux.

76
Harmonie préétablie
Une version préliminaire de cette position a été développée au xviie siècle
par Leibniz. Souvenez-vous que Leibniz insistait sur l'exhaustivité causale
du monde physique contre Descartes. Leibniz en concluait que l'esprit et la
matière ne pouvaient pas vraiment s'influencer l'un l'autre et que l'apparition
d'une interaction devait être due à l'harmonie préétablie. Par cela, Leibniz
voulait dire que Dieu a dû arranger les choses pour s'assurer que l'esprit et la
matière restent toujours en phase. En réalité, ils n'interagissent pas, comme
deux trains qui roulent sur des rails différents.

Mais Dieu a fixé leur heure de départ et


leur vitesse pour s'assurer qu'ils rouleraient
toujours sans à-coups l'un à côté de l'autre.

Les événements sur le train mental


et celui physique demeurent synchrones
l’un par rapport à l’autre.

Le plan de Dieu veille à ce que les décisions conscientes soient toujours


suivies par des mouvements physiques appropriés et que le fait de s'asseoir
sur une punaise soit toujours suivi d'une douleur consciente.

77
Épiphénoménisme moderne
Les dualistes modernes préfèrent opter pour une manière plus simple de
conserver l'esprit et la matière en phase. C'est l'épiphénoménisme, qui ne
requiert pas de planification préalable par un être omniscient.

L'épiphénoménisme diffère de l'harmonie


préétablie en permettant des influences causales
« vers le haut », du cerveau vers l'esprit…

… tout en refusant toute causalité « vers le


bas », de l'esprit conscient jusqu'au cerveau.

Cela respecte l'exhaustivité causale de la physique : rien de non physique


n'influence causalement le cerveau physique. Mais cela évite les
complications théologiques de Leibniz en permettant au cerveau lui-même
de provoquer des effets conscients.

78
Selon l'épiphénoménisme, l'esprit conscient est un « épiphénomène » du
cerveau, un « leurre » produit par le cerveau, mais sans aucun pouvoir
d’influence sur le cerveau en retour. Le cerveau est influencé par des causes
physiques antérieures uniquement. Chaque partie dans le cerveau travaillerait
de la même façon, y compris si elle ne donnait pas lieu à une expérience
mentale consciente. En l'occurrence, cela provoque une expérience
consciente, mais cela ne change rien à son fonctionnement physique.

Sur cette image, il n'y a qu'un seul train


physique qui fonctionne entièrement
selon les lois de la physique.

Mais en même temps, il émet des bouffées de « fumée mentale » immatérielle


qui sont assez réelles au niveau conscient, mais qui n’ont aucun effet
toutefois sur le mouvement ultérieur du train.

79
La bizarrerie de l'épiphénoménisme
L'épiphénoménisme n'a rien de particulièrement attrayant. Il implique, par
exemple, que la soif consciente que vous ressentez par une journée de
grosse chaleur ne joue aucun rôle dans le fait que vous alliez chercher une
bière dans le réfrigérateur. Puisque le fait d'aller vers le réfrigérateur est
un événement physique, et en tant que tel entièrement dû à des causes
physiques dans votre cerveau, la soif consciente distincte ne peut pas
influencer votre action.
L'épiphénoménisme a même des conséquences encore plus surprenantes.
Si les états mentaux conscients n'ont aucune influence sur notre
comportement, alors il s'ensuit que notre comportement continuerait à
l'identique, même si nous étions des zombies – même si les activités dans
notre cerveau n'étaient pas accompagnées de sentiments conscients.

Même si nous étions des zombies, nous


continuerions de parler et d'écrire les mêmes
choses qu'au moment présent, puisque la parole et
l'écriture sont aussi des actions physiques.

Nous continuerions aussi de dire les mêmes


choses à propos de l'expérience consciente que
celles que nous disons actuellement.

80
Pourtant, par hypothèse, nous n'aurions aucune expérience consciente
nous-mêmes. Nos bouches de zombie seraient simplement mues par les
mêmes processus physiques qui animent les bouches des êtres humains
normaux. David Chalmers le démontre graphiquement. Il souligne que son
homologue zombie continuerait tout comme l'actuel David Chalmers.
« Il parle tout le temps d'expérience consciente – en réalité, il semble
être obsédé par elle. Il passe des quantités ridicules de temps penché
sur un ordinateur, écrivant chapitre après chapitre sur les mystères de la
conscience. Il commente souvent le plaisir qu'il éprouve avec certains quales
sensoriels, professant un amour particulier pour les verts foncés et les
violets. Il se dispute fréquemment avec des matérialistes zombies, soutenant
que leur position ne peut pas faire justice aux réalités de l'expérience
consciente. Et pourtant, il n'a aucune expérience consciente ! » (Chalmers,
The Conscious Mind)

Mon manque de conscience ne m'empêche


pas de me prendre la tête à son sujet.

81
L'alternative matérialiste
Il est difficile d'accepter la doctrine épiphénoménaliste selon laquelle notre
expérience consciente ne joue aucun rôle dans notre comportement. Cette
doctrine semble particulièrement absurde lorsqu'elle est appliquée au
comportement verbal que nous interprétons normalement comme décrivant
nos expériences conscientes.
Pourtant, existe-t-il une alternative ?

Si les états conscients sont


distincts des états physiques et que
les états physiques sont les seules
choses qui puissent provoquer
d'autres états physiques…

… alors il semble que l'épiphénoménisme


nous soit peut-être imposé.

L'alternative la plus répandue consiste à se demander si les états conscients


sont réellement distincts des états physiques, dans un premier temps.
Il s’agit de l'option matérialiste. Son avantage évident est qu'elle promet
de restituer la puissance causale à l'expérience consciente.

82
Si les états conscients ne sont que des états physiques du cerveau, alors ils
présenteront tous les effets physiques que possèdent ces états physiques du
cerveau. Nul besoin d'être dérouté par les zombies qui bavardent à propos
de leurs expériences.

Au niveau de la vision matérialiste,


nos doubles physiques…

… seront nécessairement
aussi nos
doubles conscients.

Nous avons donc plein d'expériences


conscientes à évoquer.

Le matérialisme promet donc d'éviter les inconvénients de l'épiphénoménisme.


Le matérialisme est-il pourtant une option réelle ? Qu'en est-il des arguments
précédents, selon Saul Kripke et Frank Jackson, qui visaient à établir que
les états conscients doivent être différents des états du cerveau ?
Nous devrons réexaminer ces arguments, si le matérialisme consiste bien à
prouver qu'il existe une alternative à l'épiphénoménisme.

83
Le matérialisme n'est pas synonyme d'élimination
Mais d'abord, il sera utile d'être plus clair sur ce que le matérialisme affirme.
Il est important de reconnaître que les matérialistes habituels ne veulent pas
éliminer l'expérience consciente. Ils ne nient pas le fait que c'est comme
quelque chose d'avoir mal, que des sentiments désagréables surviennent
lorsque vous vous asseyez sur une aiguille.
Ils prétendent seulement que ces sentiments ne sont en rien différents des
états cérébraux correspondants.

Éprouver de la douleur,
c'est simplement se trouver dans
un certain état du cerveau.

Voilà ce que c'est « comme


pour vous » si vous vous trouvez
dans cet état du cerveau.

Les matérialistes peuvent faire appel à une analogie différente de la physique


du xixe siècle pour s'opposer à l'appel dualiste de David Chalmers face à la
théorie électromagnétique. Là où Chalmers fait appel à l'électromagnétisme,
ils peuvent avoir recours à la température.

84
L'exemple à partir de la température
Dans le cas de la température, les physiciens ont opté pour la direction
opposée. Au lieu d'ajouter de la température aux composants fondamentaux
de la réalité, ils l'ont expliquée selon une quantité mécanique plus
fondamentale, à savoir l'énergie cinétique moyenne.
Notez que cela n'a pas éliminé la température de notre vision du monde, comme
les « esprits animaux », par exemple, ont été éliminés ou bien les « forces vitales ».
Nous continuons de penser que la température existe bel et bien.

Nous ne considérons simplement


pas que la température soit quelque
chose qui vient s'ajouter à
l'énergie cinétique moyenne comme
les champs électromagnétiques
viennent en supplément des
mouvements des particules chargées.

De même avec la conscience, exhortent les matérialistes. Les états conscients


existent bien, mais pas comme quelque chose qui vient s'ajouter à l'activité
du cerveau. Tout comme nous avons découvert que la température n'est rien
d'autre que l'énergie cinétique moyenne, les réductionnistes font donc valoir
que nous devrions accepter que les états conscients, comme la douleur, ne
sont rien d'autre que certains états du cerveau.

85
Le matérialisme fonctionnaliste
Quel genre d'états cérébraux exactement les matérialistes veulent-ils
assimiler à l'expérience consciente ? Les matérialistes fonctionnalistes,
comme le philosophe-psychologue américain Jerry Fodor (né en 1935)
et de nombreux autres, veulent assimiler l'expérience consciente
aux propriétés structurelles plutôt qu’aux propriétés strictement
physiques ou physiologiques.
Souvenez-vous que les fonctionnalistes assimilent l'esprit au logiciel
plutôt qu'au matériel ou « wetware ».

Tout comme des ordinateurs de constructions


différentes peuvent utiliser le même logiciel, les
créatures dotées de physiologies différentes peuvent
partager le même type d'expérience consciente.

C'est la raison pour laquelle l’être humain et la


pieuvre peuvent tous deux ressentir la douleur, même
s'ils sont physiquement complètement différents.

Cela s'explique par le fait qu'ils peuvent tous deux partager la propriété
structurelle consistant à se trouver dans un certain état physique (même
si l'état physique est différent dans chaque cas) qui survient à la suite d'un
dommage corporel et provoque l'envie d'éviter d'autres dommages ultérieurs.

86
De la même façon, des extraterrestres encore inconnus, dotés d'un
métabolisme étranger à base de silicium, pourraient également satisfaire les
exigences fonctionnalistes pour souffrir, du moment qu'ils ont partagé les
biens structurels appropriés.
Le fonctionnalisme équivaut donc aux propriétés conscientes dotées de
propriétés structurelles. Pourtant, de nombreux théoriciens trouvent cette
équation peu plausible.

Le fait que votre construction matérielle ne doit avoir


aucune incidence sur ce que vous sentez semble étrange.

En particulier, cela semble


nettement trop facile pour les
ordinateurs d’être conscients.

87
Rendre un ordinateur conscient ?
En principe, nous pouvons structurer – c'est-à-dire programmer – un
ordinateur suffisamment puissant pour réaliser toute structure causale, quelle
qu'elle soit. Nous pourrions donc le doter d'états internes qui joueraient le
même rôle causal que la douleur chez l'Homme. Et de même pour les rôles
causaux joués par les émotions, les envies et les pensées au sujet de la vie
après la mort.

Mais l'ordinateur en viendrait-il à


partager notre vie mentale si riche ?

Est-ce qu'il susciterait des envies


ou bien ferait-il craindre la mort ?

Il est difficile de croire qu'il pourrait y avoir quelque chose qui soit « comme »
être un ordinateur, même un structuré de manière appropriée.

88
Et souvenez-vous que la constitution de l'ordinateur n'est pas supposée être
importante. Vous pouvez vous satisfaire de l'idée d'avoir un superordinateur
simplifié, qui parle et est conscient, comme HAL dans le film de science-
fiction classique de Stanley Kubrick, 2001, l’Odyssée de l'espace.
Mais vous devez vous demander ce que vous diriez si les mêmes structures
causales étaient réalisées dans un ordinateur plus ancien.

Constitué d'ondes radioélectriques


et de processeurs à cartes
perforées, par exemple.

Ou même de camelote.

En effet, nous pourrions vraisemblablement réaliser les mêmes structures


dans un agencement de Heath Robinson suffisamment ingénieux constitué
de vieilles canettes de bière et de roues de bicyclette. Est-ce que le fait
d'être une machine en ferraille pourrait vraiment « faire comme si ? »

89
Le test de Turing
Le mathématicien britannique et inventeur de l'ordinateur moderne
Alan Turing (1912–1954) était convaincu que des ordinateurs intelligents
seraient construits assez rapidement. Afin d'appuyer cette conjecture,
il conçut le « test de Turing » comme critère de la conscience d’un ordinateur.
Imaginez que vous soyez en train de communiquer avec un individu
quelconque via un périphérique éloigné, comme un télex ou un courriel.
Vous ne pouvez pas dire directement si vous parlez à une machine ou
à une personne parce que vous ne pouvez pas la voir. Mais vous pouvez
lui poser des questions, discuter de ses réponses, etc.

Votre tâche consiste à décider si vous


communiquez avec un être humain ou non.

Si une machine peut vous tromper et vous


faire penser qu'il s'agit d'une personne,
alors elle réussit le « test de Turing ».

Et tout ce qui peut réussir ce test, affirmait Alan Turing, devrait être crédité du
même type de conscience que celle que nous avons.

90
Mais pour de nombreuses personnes, cela semble absurde. Comment un simple
ordinateur, même un appareil sophistiqué, peut-il ressentir quelque chose ?
Un ordinateur qui réussit le test de Turing peut simuler un esprit conscient.

Mais cela ne signifie certainement pas


qu'il est doté d'un esprit conscient.

Pas plus qu’un ordinateur qui simule une tempête


tropicale n’a de pluie torrentielle à l'intérieur de lui.

L'« argument de la chambre chinoise », développé par le philosophe


américain John Searle, fait valoir cette inquiétude à propos des simples
faits d'organisation informatique qui seraient suffisants pour la mentalité
consciente. C'est l'argument que nous examinerons ensuite.

91
La chambre chinoise
Searle imagine un homme assis à l'intérieur d'une pièce fermée à clé.
De temps en temps, un morceau de papier recouvert d'inscriptions bizarres
est introduit par un trou dans le mur. Puis l'homme dans la pièce consulte
un énorme manuel qui l'informe que si certaines inscriptions tordues entrent,
alors un morceau de papier portant d'autres marques tordues devrait encore
être transmis à l'extérieur.
Non connues de l'homme dans la pièce, les marques bizarres en question
correspondent en réalité à de l'écriture chinoise.

Et les inscriptions qu'il fait passer à l'extérieur,


comme indiquées dans le manuel, correspondent
toujours à des réponses correctes en chinois
aux questions en chinois posées se trouvant
sur les papiers qui sont entrés dans la pièce.

Malgré tout, l'homme dans la pièce ne comprend pas à l'évidence le chinois.


Pour lui, les signes n'ont aucun sens et il suit simplement aveuglément
les instructions du manuel.

92
Mais notez bien que l'homme dans la pièce fait exactement ce que fait un
ordinateur bien programmé. Il répond aux éléments entrants avec les sorties
appropriées d'une manière causalement systématique.

L'homme dans la pièce réussirait


le « test de Turing ».

Si les morceaux de papier étaient transmis à quelqu'un qui


pouvait lire le chinois, alors cette personne supposerait
naturellement que l'homme dans la pièce comprend le chinois.

Mais ce serait pourtant une hypothèse erronée. Le test de Turing ne semble


donc pas garantir un esprit conscient en fin de compte. Il semble prendre
l'apparence de la conscience pour la réalité.

93
Langage et conscience
À proprement parler, l'argument de la chambre chinoise est dirigé contre
une interprétation fonctionnaliste de la compréhension linguistique plutôt
que contre l'interprétation fonctionnaliste de la conscience. Mais la
compréhension d'une langue est une notion intentionnelle (c'est-à-dire
représentative) et l'intentionnalité et la conscience sont étroitement liées,
comme nous le verrons plus tard.

Searle lui-même considère que la compréhension linguistique


nécessite une expérience de la conscience.

L'argument de la chambre chinoise peut donc représenter un défi


pour une interprétation fonctionnaliste de la conscience, ainsi
que pour son interprétation de la compréhension linguistique.

94
Tous les fonctionnalistes ne capitulent pas face à l'argument de la chambre
chinoise. Ils soulignent que la question cruciale n'est pas de savoir si l'homme
à l'intérieur comprend les inscriptions – à l'évidence, il ne les comprend pas –
mais si le système dans son intégralité les comprend. Après tout, la chambre
chinoise est vraisemblablement supposée établir l'absence de conscience
de tous les ordinateurs, et non de chacun de leurs composants.

Même ceux qui pensent que les ordinateurs sont


conscients ne pensent pas que chaque transistor
à l'intérieur est un centre de conscience.

De plus, font remarquer les fonctionnalistes, n'importe quelle chambre


chinoise qui pourrait réellement répondre à toutes ces questions en chinois
aurait vraisemblablement besoin de divers capteurs, d'yeux et d'oreilles
mécaniques afin de mettre à jour ses informations sur son environnement
présent. Pourtant, étant donné cela, il ne semble plus être aussi clair que
le système ne sache pas de quoi il parle, qu'il ne sache pas, par exemple,
quel est le symbole chinois pour le mot « pluie ».

95
Épiphobie fonctionnaliste
Quittons la chambre chinoise pour le moment. Car il y a une raison plus
fondamentale à ne pas vouloir suivre les fonctionnalistes en assimilant
des états conscients à des états structurels.
Souvenez-vous que l'unique argument de vente du matérialisme était
qu'il promettait de restituer la puissance causale aux états conscients.
En identifiant les propriétés conscientes avec celles du cerveau, nous
espérions guérir l'impuissance associée à l'épiphénoménisme.
Mais cela s’accomplira-t-il si nous identifions des propriétés conscientes
avec des propriétés structurelles plutôt qu’avec les états physiologiques
plus terre à terre qui réalisent ces structures dans différents organismes ?

Après tout, c'est sans doute le passage de


neurotransmetteurs humains spécifiques à travers mes
synapses qui causent la contraction des muscles de mon bras.

Et non une propriété structurelle plus abstraite


que je pourrais partager avec les pieuvres.

96
Cette inquiétude a incité de nombreux nouveaux fonctionnalistes à en venir
à « l’épiphobie ». Il s’agit de la crainte (trop rationnelle) selon laquelle le
fonctionnalisme puisse condamner inconsciemment les états mentaux
à la même impuissance causale que l’épiphénoménisme.
Les fonctionnalistes identifient la douleur chez l’être humain avec une
propriété structurelle que nous partageons avec les pieuvres. Cette
propriété structurelle doit être différente de toute propriété physiologique
spécifique puisque les êtres humains et les pieuvres possèdent
des physiologies différentes.

Pourtant, ce sont les propriétés physiologiques, différentes chez les


êtres humains et les pieuvres, qui font bouger nos membres respectifs.

De sorte que la propriété structurelle ne


peut pas provoquer elle-même de cause.

Les fonctionnalistes semblent donc finir par être du même côté que
l’épiphénoménisme, considérant la douleur elle-même comme une bouffée
de fumée, émise par le train de la causalité réelle mais inefficace en soi.

97
Les états mentaux sont du « wetware »
L'épiphobie a détourné de nombreux récents philosophes matérialistes de
l'esprit du fonctionnalisme vers une identification directe des douleurs et
autres états mentaux associés à des états physiologiques. Après tout, les états
mentaux sont du matériel, en tous les cas du « wetware », et non un logiciel.

Ce mouvement a aussi la vertu de bloquer l'argument de


la chambre chinoise et d'autres arguments anti-logiciels.

Si les matérialistes n'identifient plus les sentiments avec des propriétés


structurelles de logiciel mais avec des genres spécifiques de « wetware », ils
peuvent ignorer les arguments conçus pour montrer que le logiciel en lui-
même ne peut pas garantir la conscience.

98
Le chauvinisme humain
Cependant, cette réaction contre le fonctionnalisme a un coût. Les
matérialistes semblent maintenant engagés dans une sorte de chauvinisme
car ils estiment que des êtres dotés de physiologies différentes ne peuvent
pas partager nos sentiments. L'un des attraits originaux du fonctionnalisme
était qu'il permettait des sentiments interspécifiques.

Les pieuvres pourraient éprouver les


mêmes douleurs que les êtres humains.

Mais cela est exclu une fois que l'on assimile les
douleurs de l'Homme à du wetware plutôt qu’à un logiciel.

Pourtant, les matérialistes peuvent peut-être vivre avec cela. Ils n'ont pas
besoin de nier que les pieuvres éprouvent des sentiments désagréables de
n’importe quel type. La seule chose, c'est qu'ils les distinguent maintenant
des douleurs des êtres humains. Formulé ainsi, cela ne semble pas si
fou que cela. Cela semble tout à fait normal de distinguer les douleurs de
l'Homme de celles de la pieuvre, si c’est le prix de la restitution de leurs
pouvoirs de causalité.

99
Confrontation avec les arguments dualistes
Les matérialistes, toutes tendances confondues, ont encore besoin d’être
confrontés aux arguments dualistes développés par Saul Kripke et Frank
Jackson. Dans ce contexte, cela n'a pas d'importance si les matérialistes
identifient les propriétés mentales avec les propriétés structurelles ou avec
celles physiologiques. Ils sont sous pression de toute façon.

Souvenez-vous que les zombies de Kripke partagent les


propriétés structurelles et physiologiques de leurs originaux,
tout en ne possédant pas leurs propriétés conscientes.

De la même façon, Mary savait tout


des propriétés structurelles et
physiologiques impliquées dans la vision
des couleurs chez l'Homme.

Mais je ne connaissais pas l'expérience


consciente en elle-même.

Donc cela n'a pas d'importance si les matérialistes choisissent les propriétés
structurelles ou physiologiques. Kripke et Jackson compromettent ces deux
courants du matérialisme.

100
Malgré tout, les matérialistes ont une réponse. Ils peuvent dire que Kripke
et Jackson n'établissent une différence qu'au niveau des concepts, et non
au niveau des propriétés elles-mêmes. Les matérialistes admettent que
nous avons deux manières différentes de penser en ce qui concerne les
propriétés mentales : nous pouvons les imaginer comme étant conscientes
ou bien comme étant matérielles. Mais ces mêmes matérialistes réfuteront
l'idée qu'il y a en réalité deux propriétés ici, par opposition à une propriété
pensée de deux manières différentes.

Pensez au cas où une personne porte deux noms.

Vous pouvez penser à moi comme étant


Judy Garland ou comme étant Frances Gumm.

Nous avons deux façons de penser,


mais cela ne signifie pas que nous
pensons à deux personnes.

101
Là encore, prenons l'exemple de la température et de l'énergie cinétique
moyenne. Les enfants apprennent pour commencer à penser en degrés
de chaleur en ce qui concerne la température. Après avoir appris un peu
science, ils peuvent penser à la température comme étant de l'énergie
cinétique moyenne. Ce sont deux façons de penser, mais il n'y a qu'une
seule quantité dans la réalité.
C'est ainsi que les matérialistes traiteront l'exemple de Mary. Ils reconnaîtront
qu'il y a une véritable différence « avant-après » lorsque Mary fait un premier
pas au-delà de la porte de sa maison. Mais ils ajouteront qu'il s'agit juste
du fait que Mary acquiert un nouveau concept pour « voir le rouge », une
nouvelle façon de penser au sujet de l'expérience.

L'énergie cinétique moyenne est


de 25 degrés centigrades aujourd'hui.
Ah, une rose rouge rouge…

Maintenant que Mary a réellement vu la couleur rouge, elle peut l'imaginer.


Avant, elle ne pouvait pas le faire.

102
Mais cela ne veut pas dire qu'elle ne pouvait pas penser du tout
à l'expérience avant de la vivre. Ce qu'elle pense maintenant avec
l'imagination demeure la même expérience à laquelle elle pouvait
penser auparavant scientifiquement.
Les matérialistes feront une réponse adéquate à Kripke.

La disponibilité de deux types de concepts pour penser


à l'expérience nous perturbe et nous fait penser que les
zombies peuvent exister, même si ce n'est pas le cas.

L'existence de deux types de concepts nous fait penser que nous pouvons
décrire un être qui possède des expériences et en est dépourvu à la fois.
Nous utilisons nos concepts de propriétés structurelles et physiologiques
pour mettre en place l'idée fondamentale d'un zombie qui est
fonctionnellement et physiquement identique à un être humain normal.
Ensuite, nous utilisons nos concepts imaginatifs d'expérience pour nier
la conscience du zombie. Mais en réalité, nous postulons une contradiction.
Puisque les propriétés conscientes sont des propriétés matérielles,
les zombies ne peuvent pas exister.

103
Les zombies ne peuvent pas exister
D'après les matérialistes, Kripke est comme quelqu’un qui ne réalise
pas que Judy Garland et Frances Gumm sont une seule et même personne
et insiste donc pour que l'une des femmes puisse être quelque part
où l'autre n'est pas. Ou bien il est comme un étudiant pas suffisamment
instruit qui pense qu'il est possible pour deux échantillons de gaz d'être
à la même température et d'avoir pourtant deux énergies cinétiques
moyennes différentes. Ces choses-là semblent possibles, mais elles
ne le sont pas en réalité.
C'est la même chose, insistent les matérialistes, avec les zombies.
Ils semblent possibles, mais ne le sont pas.

Dieu Lui-même ne pourrait pas fabriquer un zombie.

104
Du point de vue dualiste, le travail de Dieu n'était pas achevé lorsqu'Il a
terminé de construire notre corps physique. Il fallait encore qu'Il ajoute
les sentiments. Il aurait donc pu, s'Il l'avait voulu, nous laisser zombies en
abandonnant les outils à cette étape-là et laisser les sentiments en dehors.

Mais les matérialistes ne considèrent


pas le fait d'ajouter les sentiments
comme une « étape supplémentaire ».

Il n'était pas possible que Dieu abandonne les travaux à l'étape zombie.
Une fois qu'Il aurait eu fixé les parties du corps, Il aurait ajouté aussi
les sentiments. Un corps sans sentiments va même au-delà d'un
Dieu tout puissant.

105
Les mystères de la conscience
Cette vision matérialiste ne convainc pas tout le monde. Identifier l'esprit
avec le cerveau semble moins plausible qu'identifier Judy Garland avec
Frances Gumm, ou même la température avec l'énergie cinétique moyenne.
Étant donné la preuve selon laquelle Judy allait partout où allait Frances et
que l'énergie cinétique moyenne joue simplement le même rôle causal que la
température, alors toute personne douée de raison acceptera le fait que ces
choses sont identiques. Mais cela semble différent avec l'esprit et le cerveau.

Peut-être que l'expérience de la couleur accompagne


toujours l'activité dans certaines zones du cortex visuel.

Mais il semble absurde pour conclure sur


ces seuls dires que l'expérience consciente
est identique à l'activité du cerveau.

106
Le philosophe britannique Colin McGinn est l'un de ceux qui trouvent
l'identité impossible à supporter. « Comment la phénoménologie Technicolor
peut-elle émerger de la matière grise et molle ? » demande-t-il. Pour McGinn,
il est difficile de croire que notre conscience dynamique des couleurs
vives puisse être simplement la même chose que des neurones qui filent
profondément dans notre cerveau gélatineux.
Un certain nombre d'autres philosophes, dont Thomas Nagel (souvenez-vous
des chauves-souris), partagent l'incrédulité de McGinn. Tandis que Nagel
apprécie les raisons de vouloir identifier l'esprit avec le cerveau, il soutient que
nous ne concevons absolument pas comment ils pourraient être identiques.

En même temps, ces philosophes antimatérialistes


ne souhaitent pas revenir au dualisme.

Ils acceptent qu'un domaine distinct d'états conscients non matériels


manque de pouvoir causal sur la matière, et donc que le dualisme ne peut
pas éviter les absurdités de l'épiphénoménisme.

107
La position mystérienne
Étant donné ce dilemme, ils concluent que le problème de la conscience
dépasse la compréhension humaine. Il est trop difficile à résoudre pour nous.
Nous ne pouvons pas vivre avec une identité située entre celle consciente et
celle physique, mais nous ne pouvons pas vivre sans l'une d'elles non plus (à
moins d'accepter l'impuissance mentale). C'est un mystère. Ces philosophes
« mystériens » suggèrent que nous manquons des bons concepts pour
comprendre le problème. Nos notions du mental et du physique sont trop
grossières pour permettre un véritable aperçu de la relation esprit-corps.

Peut-être qu'une science


future permettra aux
brouillards de se dissiper.

Ou peut-être que la structure limitée


de nos esprits signifie que nous ne
pourrons jamais comprendre la vérité.

Peut-être que la raison pour laquelle nous ne pouvons pas comprendre la


conscience est la même que la raison pour laquelle les singes ne peuvent
pas faire de calcul différentiel. Les concepts requis sont simplement hors
de notre portée.

108
Une spéculation mystérienne
McGinn lui-même ne craint pas de spéculer à propos de ce que nous
pourrions rater. Il suggère que la réalité ait pu être non spatiale dans le temps
avant le Big Bang. Avec le Big Bang, l'espace est apparu.

Peut-être que la conscience est une résurrection de


la réalité non spatiale datant de l'époque antérieure.

Une fois que les cerveaux assez complexes ont évolué, cela a permis d'une
manière ou d'une autre à la dimension non spatiale de réapparaître dans
le monde moderne sous les traits de la conscience, une sorte de fossile
immatériel datant de l'avant-Big Bang.

109
Concepts spéciaux de la conscience
Est-ce qu’une telle imagination débordante, comme celle de McGinn, est
nécessaire ? Les matérialistes objecteront que les mystériens ont abandonné
trop vite. Ils ne nous ont pas donné de bonnes raisons de ne pas garder les
pieds sur le terrain de l'identité esprit-cerveau. Au final, leur cas ne repose
sur rien de plus que leur parfaite incrédulité à l'idée que « la matière grise
molle » puisse constituer une « phénoménologie Technicolor ».
Bien sûr, les matérialistes peuvent approuver, cette équation esprit-cerveau
est très contre-intuitive.

Elle est nettement


plus difficile à croire
que d'autres identités.

Les gens continuent à résister, même après


n'importe quelle preuve montrant que l'esprit
et le cerveau vont toujours main dans la main.

Pourtant, les matérialistes peuvent peut-être fournir une explication de la


raison pour laquelle l'activité esprit-cerveau devrait sembler tellement contre-
intuitive, même si cela est vrai. Ils peuvent faire appel à la nature particulière
des concepts imaginatifs que nous utilisons lorsque nous pensons à des
éléments mentaux comme étant conscients.

110
Ce sont des concepts comme celui que Mary acquiert lorsqu'elle quitte
sa maison sombre et voit du rouge pour la première fois. Elle acquiert la
capacité, dont elle manquait avant, de penser à l'expérience en la recréant
dans son imagination. C'est une façon particulièrement vivante de penser
aux expériences conscientes. C'est pourquoi les autres façons de penser
aux états conscients semblent plates en comparaison. Selon le matérialisme,
l'expérience de la couleur est identique à l'activité dans le cortex visuel.
Mais nous pouvons y penser soit en tant qu'activité corticale (« matière grise
molle ») soit en revivant l'expérience (« phénoménologie Technicolor »).
Et donc, assez naturellement, lorsque nous y pensons comme par le passé,
nous avons le sentiment que nous sommes d’une certaine manière en train
de laisser de côté l'expérience elle-même, puisque nous ne la revivons pas.

Cela ne signifie pas que la pensée corticale


(« la matière grise molle ») n'est pas au sujet de
la même chose que la pensée imaginative.

Il y a tout lieu de supposer que ces deux


concepts font référence à la même chose.

Nous ne devrions pas nous autoriser à nous laisser distraire de cette


conclusion judicieuse par le fait particulier d’avoir une façon spéciale de
penser aux expériences conscientes – c'est-à-dire en les revivant.

111
Tout le monde veut une théorie
Jusqu'ici, la discussion portant sur la relation esprit-cerveau s'est déroulée à
un niveau assez abstrait. Nous nous sommes demandé si l'esprit conscient
est identique au cerveau – matérialisme – ou s'il constitue un domaine
supplémentaire de la réalité – dualisme – ou encore si la question tout entière
est trop difficile à comprendre de toute façon – mystérianisme.
Mais nous n'avons pas cessé de nous informer sur les morceaux du cerveau
qui pourraient être associés à la conscience. Quelles sont exactement les
parties du cerveau qui produisent une expérience consciente ? Il est assez
évident que toutes les parties n’en produisent pas. De nombreux processus
ayant lieu dans le cerveau n'ont pas de contrepartie consciente, depuis la
production d’hormones jusqu'à la régulation de la respiration.
Nous avons besoin d'une théorie de la conscience.

Une telle théorie nous dirait ce qui


est nécessaire à la conscience.

Elle distinguerait les activités cérébrales qui


produisent la conscience de celles qui ne le font pas.

Avec de la chance, une telle théorie devrait


pouvoir nous dire quels animaux sont conscients.

Une fois que la théorie aura identifié les types de processus cérébraux
qui produisent la conscience, alors nous devrions pouvoir vérifier si des
processus similaires se produisent chez les chats, les poissons ou encore les
escargots. Mais, en réalité, ces comparaisons ne sont pas toujours justes,
comme nous le verrons.
Curieusement, la recherche d'une théorie de la conscience dans ce sens
est indépendante du fait que vous soyez matérialiste, dualiste ou même
mystérien. Quelle que soit la position métaphysique que vous adoptez,
vous pouvez continuer de vous intéresser à l'identification de ces processus
physiques qui suffisent à produire la conscience.
Bien sûr, les matérialistes voudront identifier la conscience phénoménale
avec ces processus physiques, tandis que les dualistes penseront à la
conscience comme à quelque chose de supplémentaire qui accompagne
les processus physiques, et les mystériens diront que la question est trop
difficile à comprendre.

112
Mais cette divergence ne change guère la forme des théories développées.
Quelle que soit la métaphysique, l’objectif est d’identifier ces processus
cérébraux qui produisent la conscience.
En effet, les partisans des « théories de la conscience » ne sont pas toujours
clairs sur le fait qu’ils pensent en termes matérialistes, dualistes ou autres.

Il n’est pas rare de trouver de tels


théoriciens introduisant leurs théories
en désavouant explicitement le dualisme.

Cependant, en parlant rapidement de processus


physiques qui « engendrent » la conscience ou la
« provoquent » ou encore la « suscitent ».

Une discussion qui n’a vraiment de


sens que du point de vue dualiste.

Mais nous n’avons pas besoin d’en faire toute une histoire, étant donné
que la recherche d’une théorie de la conscience peut continuer
indépendamment du choix fait entre le matérialisme, le dualisme et le
mystérianisme. À partir de maintenant, je vais ignorer le conflit métaphysique
pour me concentrer sur l’ambition partagée d’identifier les processus
physiques qui produisent la conscience.

113
Les oscillations neuronales
De nombreux scientifiques dans différents domaines poursuivent
actuellement le Saint Graal d'une théorie de la conscience. L'un d'entre eux
est le codécouvreur de l'ADN, le biochimiste lauréat du prix Nobel Francis
Crick. Travaillant en collaboration avec le psychologue Christof Koch, Crick
a développé la théorie selon laquelle la clé de la conscience réside dans les
structures particulières des oscillations neuronales trouvées dans le cortex
visuel dans la fourchette de 35–75 hertz.
Selon Crick et Koch, ces oscillations sont la solution du cerveau au
« problème de liaison ».

Lorsque nous voyons des objets, différentes


caractéristiques de ces objets sont traitées
dans différentes parties du cortex visuel.

Une zone corticale traitera les couleurs,


une autre les formes, une autre encore la
position, une autre la catégorie de l'objet, etc.

Donc, si vous voyez une boîte verte cubique à gauche et un chapeau rouge
cylindrique à droite, vous enregistrerez rouge et vert dans la zone couleur,
cubique et cylindrique dans la zone forme, gauche et droite dans la zone
position, boîte et chapeau dans la partie catégorie.

114
Cela crée un problème apparent. Comment pouvons-nous « relier » à
nouveau la boîte verte cubique située à gauche à l'ensemble ? Pour dépasser
une conscience non structurée de rouge et de vert, de gauche et de
droite, etc., il semble que nous devions en quelque sorte remettre ensemble
« cubique » et « vert », « boîte » et « gauche », plutôt qu'avec « rouge »,
« chapeau » et « droite ».
C'est là que les oscillations sont utiles. Les différents aspects d'un seul objet
sont tous associés aux ondes cérébrales qui sont à la même fréquence
dans la gamme de 35–75 Hertz et qui sont en phase (les pics et les creux
surviennent en même temps). Les différents aspects d'autres objets seront
associés de la même façon aux ondes cérébrales de liaison, mais avec des
fréquences et des phases différentes. Ces ondes de signalisation permettent
ainsi au cerveau de suivre les caractéristiques visuelles qui devraient être
liées ensemble pour constituer notre conscience visuelle des objets.

Plus généralement, Crick et Koch soutiennent que ces oscillations de liaison


sont le « corrélat neuronal » de la conscience visuelle. Selon leur théorie, c'est
le rôle unificateur joué par ces ondes cérébrales qui rend compte de notre
perception visuelle consciente.

115
Le darwinisme neuronal
Le physiologiste américain Gerald Edelman est un autre éminent lauréat
du prix Nobel qui s'est intéressé à la conscience vers la fin de sa carrière
professionnelle, espérant couronner ses succès précédents d’une
dernière grande réussite.
Edelman considère le cerveau du point de vue du « darwinisme neuronal ».

Le cerveau commence avec une surabondance de


connexions neuronales. Celles qui ne sont pas encouragées
par la stimulation neurale dépérissent et meurent.

Chez les êtres humains, 70 % des


neurones avec lesquels nous naissons
ont disparu à l'âge de huit mois.

Le résultat de cette évolution neurale, d'après Edelman, est un système


de « cartes » neuronales interconnectées, chacune étant responsable de
différents aspects de la perception visuelle ou autre. Lorsque le cerveau
reçoit un nouveau stimulus, de nombreuses cartes différentes se trouveront
activées et commenceront à s'envoyer des signaux les unes les autres.

116
Boucles réentrantes
Ces types d'activités interconnectées sont désignés par Edelman sous le nom
de « boucles réentrantes ». Ces circuits neuronaux « réentrants » continuent
d'évoluer à mesure que l'expérience s'accumule et que les connexions entre
les neurones sont soumises à une autre sélection naturelle neuronale.

De nouvelles structures continuent d'être définies.

Les réactions aux nouveaux stimuli


entrants sont ainsi modifiées.

Edelman considère cette structure évolutive de boucles réentrantes comme


étant la base de la perception consciente. Les connexions entre les cartes
constituent une forme de mémoire et cela contribue à la catégorisation
perceptuelle des informations reçues. Les boucles réentrantes jouent
également un rôle, soutient Edelman, dans la pensée et le raisonnement,
ainsi qu'au niveau du contrôle du comportement.

117
Évolution et conscience
En ce qui concerne Darwin, il pourrait sembler que sa théorie générale sur
l'évolution des espèces par sélection naturelle soit utile pour apporter un
éclairage intéressant sur la conscience.
Réfléchir à l'objectif évolutif de certaines particularités nous aide souvent
à mieux les comprendre. Une fois que nous savons que l'objectif évolutif
du cœur est de pomper le sang, par exemple, ou bien que celui de la salive
est d’aider à digérer ce que nous mangeons, alors nous sommes beaucoup
mieux placés pour comprendre ces particularités.

Mais ce type de pensée évolutive


ne sera pas utile à la conscience.

C'est parce que la conscience


n'a aucun effet qui lui est propre.

Les matérialistes et les dualistes (épiphénoménalistes) s'accordent à dire que


les propriétés conscientes ne produisent aucun effet corporel, à part ceux qui
sont produits dans tous les cas par le cerveau.

118
Pourtant, la compréhension évolutive s'identifie au niveau des effets.
Identifier l'objectif évolutif d'une caractéristique revient à identifier un effet
qui favorise la survie.

Nous avons un cœur aujourd'hui parce que le


cœur qui pompait le sang a aidé nos ancêtres.

Nous salivons aujourd'hui parce que la salivation


aidait nos ancêtres à digérer leur nourriture.

Cela signifie que l'évolution ne va pas expliquer


pourquoi certains processus cérébraux produisent
la conscience tandis que d'autres non.

L'évolution ne pourrait le faire que si la conscience possédait quelques effets


supplémentaires liés à la survie, au-delà de ceux résultant de toute façon des
processus cérébraux. Mais la conscience n'a aucun de ces effets-là. Nos
ancêtres n'ont pas survécu parce que leurs processus cérébraux généraient
la conscience. Ils auraient survécu tout aussi bien même s'ils avaient été des
zombies. Leur cerveau aurait produit les mêmes effets physiques de toute façon.

119
L'objectif de la conscience
Bien sûr, les philosophes matérialistes de l'esprit, qui identifient la
conscience avec certains processus cérébraux, feront valoir que la
conscience a, d'une certaine manière, des effets – à savoir les effets produits
par ces processus cérébraux. Dans ce sens-là donc, les matérialistes au
moins pourront attribuer des objectifs biologiques à la conscience.
Mais notez que, même pour ces matérialistes-là, cela n'aidera pas à
décider quels processus cérébraux donnent naissance à la conscience
en premier lieu.

De nombreuses activités différentes


dans le cerveau sont les produits
d'une sélection naturelle avec des
effets qui sont utiles pour la survie.

Pourtant, tous ces processus


cérébraux ne sont pas conscients.

Pour que les matérialistes sachent quels sont les objectifs évolutifs de la
conscience, par opposition à d'autres activités cérébrales, ils ont d'abord
besoin de savoir quelles activités cérébrales constituent la conscience et
celles qui ne la constituent pas. Ils ont besoin d'une théorie de la conscience
avant que l'évolution puisse leur dire quelque chose à propos de l'objectif de
la conscience. Par conséquent, le recours à l'évolution les fera uniquement
tourner en rond.
120
Effondrements quantiques
Il existe une approche plutôt spéculative qui considère que la conscience
a ses propres effets. C'est le point de vue qui lie la conscience
aux phénomènes quantiques, et en particulier à l’ « effondrement »
des fonctions d'onde quantique.
La mécanique quantique est une théorie très étrange. L'indéterminisme
(« Dieu jouant aux dés ») ne constitue qu'une petite partie de cette singularité.

En effet, une grande partie


de la mécanique quantique n'est pas
du tout indéterministe.

Dans l'ensemble, la mécanique quantique décrit les systèmes


physiques en termes de fonctions d'onde qui évoluent
de façon déterministe, en accord avec mon équation.

Erwin Schrödinger
(1887–1961)

À cet égard, la mécanique quantique est comme la mécanique classique


dans la physique d'avant, dont les lois du mouvement nous disent comment
les positions et les vitesses de n'importe quel système de particules
évolueront de façon déterministe dans le temps.

121
Comment la physique quantique se différencie
La différence réside dans le fait que les fonctions d'onde quantique ne
définissent pas les positions et les vitesses en tant que telles, mais les
probabilités de particules se révélant avoir certaines positions et vitesses
lorsqu’une « mesure » est effectuée.

La véritable singularité de la mécanique


quantique n'est pas son indéterminisme,
mais le fait qu'elle ne propose pas de vraie
compréhension de telles « mesures ».

D'une manière ou d'une autre, les mesures amènent les ondes quantiques
– qui admettent normalement différentes positions et vitesses alternatives –
à « s'effondrer » de façon indéterministe en valeurs définies.
Cependant, ce genre de changement n'est pas prévu par l'équation de
Schrödinger. Il reste l'objet d'une extrême controverse quant à la meilleure
manière d’être compris.

122
Le chat de Schrödinger
La célèbre expérience de pensée impliquant le « chat de Schrödinger »
illustre cette question. Le pauvre chat est placé dans une boîte scellée
avec une capsule de gaz toxique. La capsule est dirigée vers le haut de
façon à ce qu'elle dégage le gaz toxique si un électron tiré par un pistolet
à électrons heurte la moitié supérieure d'un écran détecteur sensible,
mais pas s’il atteint la moitié inférieure.

L'objectif du pistolet à électrons est indéterministe.

La fonction d'onde de ce système physique global donne à l'électron


une chance égale de heurter les moitiés supérieure et inférieure de l'écran.
Donc le destin du chat n'est pas scellé jusqu'à ce que cette fonction d'onde
« s'effondre » et qu'il soit décidé quelle moitié de l'écran va heurter l'électron.

123
Mais quand cela se produit-il ? À quel moment la fonction d’onde
s’effondre-t-elle ? À quel moment les choses deviennent-elles définitives ?
Quand l’électron heurte l’écran ? Quand le chat inspire d’abord le poison
ou l’air ? Ou bien seulement lorsque le chat meurt ou survit ? L’équation de
Schrödinger elle-même ne nous donne pas la réponse. Elle se contente
simplement de considérer le chat comme une « superposition » indéfinie de
vivant et de mort, de la même façon qu’elle considère l’électron comme une
« superposition » d’une trajectoire ascendante et d’une trajectoire descendante.

À un moment donné, semble-t-il, les choses


doivent devenir définitives. Mais la physique
elle-même ne nous dit pas quand.

124
La conscience quantique
Un point de vue audacieux avance que les ondes quantiques s'effondrent
uniquement lorsqu’elles interagissent avec la conscience. Rien n’a besoin
d’être défini jusqu'à ce que cela soit perçu par un observateur conscient.
Si cela est exact, alors le chat de Schrödinger n'est pas définitivement vivant
ou mort tant qu'un observateur conscient n'a pas ouvert la boîte et regardé
à l'intérieur. À moins, bien sûr, que les chats soient eux-mêmes conscients.
Auquel cas, les choses deviendront définitives dès qu'elles s'inscrivent dans
la conscience du chat.

Oui, lorsque je sens d'abord


l'odeur du gaz toxique ou non.

Vous savez, le chat, cela me semble très familier.


J'ai dit « être, c'est être perçu » au xviiie siècle.

Le physicien américain Henry Stapp est l'un de ceux qui favorisent une telle
interprétation de la mécanique quantique. Stapp soutient que les ondes
quantiques s'effondrent lorsque les cerveaux intelligents en sélectionnent
une parmi les possibilités quantiques alternatives comme un point de départ
pour une action future.

125
Pour Stapp, cette interprétation de la mécanique quantique est en même
temps une théorie de la conscience. Ce sont spécifiquement les parties
du cerveau qui sont impliquées dans les effondrements quantiques qui
constituent la conscience.

Sur ce graphique, la conscience a bien


des effets qui lui sont propres.

Elle provoque l'effondrement des ondes quantiques.

Même si c'est encore au hasard de décider


quels résultats vont devenir réels.

Une observation consciente assure que le chat connaît un sort défini, mais
les dés de Dieu continuent de décider du sort – si le chat reste vivant ou bien
meurt. Stapp soutient que cette efficacité causale permet à la conscience de
servir un objectif biologique. Son rôle est d'éliminer les réalités alternatives et
donc de nous permettre de mieux planifier nos actions.

126
Un autre lien avec la mécanique quantique
Un autre penseur qui établit un lien entre la conscience et la mécanique
quantique est Roger Penrose, professeur de mathématiques titulaire de
la chaire Rouse Ball à l'université d'Oxford. Penrose maintient que la
conscience est liée à l'activité dans les microtubules du cytosquelette,
les structures de protéines cylindriques qui fournissent l'échafaudage aux
cellules vivantes, y compris les neurones du cerveau.

Les dimensions de ces microtubules sont adaptées


à l'orchestration d'effondrements quantiques.

Penrose a une approche plutôt différente des effondrements quantiques


par rapport à celle de Stapp. Il suggère que les effets gravitationnels
peuvent être responsables. Le rôle des microtubules consiste à canaliser
les ondes quantiques jusqu'à ce qu'elles atteignent la limite gravitationnelle
pour les effondrements.

127
Effondrements quantiques et théorème de Gödel
Donc, pour Penrose, la conscience n'est pas une cause indépendante qui
déclenche des effondrements quantiques. Il s’agit plutôt tout simplement
de la manière dont ces effondrements quantiques se manifestent
dans notre esprit.
Le célèbre théorème de Kurt Gödel (1906–1978) à propos du caractère
incomplet de l'arithmétique joue également un rôle dans la théorie de
Penrose. Le théorème de Gödel montre qu'aucun système axiomatique n'est
suffisamment puissant pour générer toutes les vérités de l'arithmétique. Selon
Penrose, cela indique que l'esprit humain doit avoir en quelque sorte des
pouvoirs « non algorithmiques » qui vont au-delà des axiomes et des règles.

L'esprit humain doit être non algorithmique


puisqu'il peut reconnaître comme étant
vraies les parties de l'arithmétique qui
transcendent les systèmes d'axiomes.

Tous les logiciens ne s'accordent pas sur cette conclusion, mais cela
n'empêche pas Penrose de suggérer que la non-algorithmicité de la
conscience provient de sa connexion avec la mécanique quantique.

128
Même si nous mettons le théorème de Gödel de côté, il subsiste d'autres
doutes à propos du lien supposé exister entre la conscience et la mécanique
quantique. Les critiques accusent les penseurs comme Stapp et Penrose de
simplement empiler un mystère sur un autre.

La conscience est sans aucun


doute une énigme théorique.

L'interprétation de la mécanique quantique


est également très déroutante.

Mais il n'y a aucune raison évidente de supposer que ces


mystères ont la même source, ni, par conséquent, qu'une
solution pour l'un de ces mystères en résoudra un autre.

129
La théorie globale de l'espace de travail
D'autres théoriciens contemporains identifient la conscience aux états qui
jouent un rôle de communication central dans la cognition humaine. Le
psychologue américain Bernard Baars a développé une théorie de « l'espace
global de travail » de la conscience.
Baars soutient qu'il y a dans le cerveau de l'Homme un certain nombre
de systèmes cognitifs distincts de traitement de l'information, y compris
les différents modes de perception, imagerie, attention et langage. Ces
sous-systèmes du cerveau ont chacun leurs propres tâches à accomplir
et une grande partie de leur traitement se fait en dessous du niveau
de la conscience.

Ces différents sous-systèmes apportent


parfois une partie de leurs informations
à un « espace de travail global ».

Lorsqu'ils ont accès à ce forum, leur contribution


devient disponible grâce au cerveau.

130
Cet espace de travail global constitue donc un échange d'informations
« analogue à un tableau noir dans une salle de classe ou à une station
d'émission de télévision » (Baars, 1988). D'autres sous-systèmes peuvent
alors analyser et interpréter l'information reçue de l'espace de travail global.
C'est cette disponibilité générale qui constitue la conscience, soutient Baars.

L'information qui parvient à l'espace de travail


global est consciente, tandis que celle réservée aux
sous-systèmes spécialisés demeure inconsciente.

L'approche de Baars explique volontiers l'interaction des processus


conscients et inconscients dans la perception et autres facultés mentales.

131
SPC information-traitement
Des théories similaires expliquant la conscience d’après son rôle central
dans l'information-traitement et la prise de décision ont été développées
par d'autres psychologues. D. L. Schacter, par exemple, comprend que
cette conscience phénoménale repose sur l'opération d'un système cognitif
qui sert d'intermédiaire entre les « modules spécialisés de connaissances »
comme la vision et l'ouïe, d'une part, et le « système exécutif » qui contrôle le
raisonnement et l'action, d'autre part.

La fonction du « système de perception


consciente » (SPC) consiste à intégrer
les informations provenant des modules
sensoriels spécialisés et à les envoyer
vers le système exécutif.

132
Le SPC reçoit également des informations en provenance du magasin de la
mémoire épisodique, comme lorsque nous nous souvenons consciemment
d'expériences antérieures, ainsi que du système exécutif lui-même, comme
lorsque nous sommes conscients de notre propre raisonnement et de nos plans.

Pour Schacter, l'élément important est que les informations conscientes sont
des informations qui favorisent les décisions prises par le système exécutif,
et toutes ces informations doivent être acheminées, et intégrées, par le SPC.
(Notez en particulier qu'il n'y a pas de flèche en provenance directe de la
mémoire épisodique, ou des modules spécialisés de connaissances vers
le système exécutif.)

133
Égalité des droits pour les extraterrestres
Toutes les théories sur la conscience mentionnées jusqu'à présent
font souvent l'objet d'une objection évidente. Elles expliquent toutes la
conscience en termes humains. Elles relient la conscience spécifiquement
aux aspects de la physiologie et de la psychologie humaines – oscillations
corticales, tubules cytosquelettiques, attention de perception, langage,
ouïe, magasins de mémoire épisodique.

Mais ce serait ridiculement chauvin de soutenir que


seuls les êtres humains peuvent être conscients.

Il y a sûrement de la place pour


une conscience non humaine, non ?

C'est une chose d'affirmer que les sentiments des autres créatures,
comme les pieuvres, doivent être différents de ceux des êtres humains.
Nous avons vu des motifs de ce genre de discrimination plus tôt.

134
Mais cela ne veut pas dire que les non-humains ne peuvent pas du tout
éprouver de sentiments conscients. Certains penseurs (mais pas moi)
soutiennent que toutes les autres créatures terrestres, comme les chats,
les chiens et les chimpanzés, n'ont pas de conscience.

Mais même si nous permettons cela,


qu'en est-il des formes possibles
de vie extraterrestre ?

Des extraterrestres intelligents pourraient être certainement conscients,


même s'ils sont construits sur des bases complètement différentes
de celles des êtres humains – par exemple sans cortex ou sans oreilles,
ou encore sans magasins de mémoire épisodique. Une théorie ambitieuse
de la conscience devrait également couvrir cette possibilité et ne pas
seulement viser l'intelligence chez l'Homme.

135
Intentionnalité et conscience
Nous pouvons peut-être satisfaire cette ambition si nous expliquons
la conscience en termes d'intentionnalité. L’« intentionnalité » est une
manière fantaisiste de parler de représentation. Un état est intentionnel
s'il concerne quelque chose, s'il fait référence à quelque chose.
Le langage est intentionnel dans ce sens-là.

Le mot « Sydney », par exemple, fait


référence à une ville qui se trouve
de l'autre côté du globe.

De nombreux états mentaux partagent cette caractéristique de l'intentionnalité.


Lorsque je pense à Sydney (au port, à l'opéra, au surf sur la plage de Bondi…),
mon état mental est concentré de la même façon sur la ville lointaine.

136
L'intentionnalité est une propriété abstraite assez générale.
Il n'y a aucune raison de penser qu'elle est propre à la cognition humaine.
Nous pouvons nous attendre à ce que toute pensée extraterrestre implique
aussi l'intentionnalité. Une théorie intentionnelle de la conscience ne devrait
donc avoir fait preuve d’aucun chauvinisme terrestre.
Suggérer que l'esprit conscient peut être expliqué en termes d'intentionnalité
remonte à la fin du xixe siècle. Le psychologue et philosophe allemand
Franz Brentano (1838–1917) a développé l'idée selon laquelle l'essence
même de la mentalité est sa franchise envers les objets.

Toute conscience est la conscience de quelque chose.

Les idées de Brentano ont également eu une grande influence sur un autre
philosophe, le fondateur de la phénoménologie Edmund Husserl (1859–
1938). Husserl pensait que la philosophie devait être fondée sur une étude
approfondie de la manière dont la conscience nous présente ses objets.

137
Conscience et représentation
L'équation de la conscience avec l'intentionnalité n'est pas limitée
au mouvement phénoménologique. Un certain nombre de philosophes
contemporains n'appartenant pas à cette tradition ont également développé
des théories de représentation de la conscience.
Citons par exemple les matérialistes Michael Tye et Fred Dretske, ainsi
que le dualiste David Chalmers.

Tye et Dretske veulent identifier


la conscience avec une représentation.

Chalmers vise une théorie qui montrera que ce sont


deux caractéristiques de l'esprit distinctes mais liées.

Il spécule que les principes fondamentaux de sa science


prospective de la conscience expliqueront comment la
conscience émerge toujours en présence de représentation.

En réalité, Chalmers utilise la notion technique d'information plutôt


que la représentation ou l'intentionnalité elle-même. La différence réside
dans le fait que « l'information » est présente chaque fois que nous avons
des structures d'éléments de type phrases, même si les structures
n'ont strictement aucune signification.

138
Expliquer l'intentionnalité
Expliquer la conscience en termes d'intentionnalité peut-il s'avérer utile ?
L'intentionnalité est philosophiquement déroutante en soi. Il se peut que
cela ne nous conduise que vers des sables mouvants philosophiques.
Comment des mots – des marques inscrites sur du papier ou encore des
schémas sonores – peuvent-ils représenter quelque chose d'autre, comme
une ville lointaine ? Eh bien peut-être que les mots représentent quelque
chose parce que nous comprenons mentalement ce qu'ils signifient.
Mais cela ne fait que repousser le problème.

Comment notre compréhension mentale


représente-t-elle la ville éloignée ?

Qu'est-ce qui donne à notre état


mental la force d'atteindre et de
représenter quelque chose que nombre
d'entre nous n'ont jamais vu ?

Compte tenu de ce genre de questions, l'intentionnalité semble être un


problème aussi difficile que celui de la conscience. Il ne semble donc pas que
cela fasse avancer les choses d’assimiler la conscience à l'intentionnalité.

139
Peut-on mettre à mal l'intentionnalité ?
Ne sommes-nous pas simplement en train d’échanger une énigme
philosophique contre une autre ? Pas nécessairement. Ce serait une
véritable avancée de montrer que la conscience n'implique rien de plus
que l'intentionnalité. Là où nous avions deux énigmes auparavant, nous
n'en aurions plus qu'une aujourd'hui. Nous cesserions de nous poser des
questions à propos de la conscience comme étant un problème distinct pour
nous concentrer sur le fait d'ébranler l'intentionnalité. Ce serait un progrès.
Peut-être que l'intentionnalité en soi peut être expliquée. Il existe quelques
théories qui visent à résoudre le « problème difficile » de l'intentionnalité.

Ces théories tentent d'expliquer comment


l'intentionnalité s'insère dans le monde
objectif des causes et des effets.

Aucune de ces théories n'est encore universellement acceptée, mais il serait


prématuré d'en conclure qu'aucune théorie ne peut aboutir. Si nous avions
une bonne théorie de l'intentionnalité et si la conscience n'était rien de plus
que de l'intentionnalité, alors nous serions à l’abri.

140
La conscience non représentative
Tout cela suppose que la conscience n'est rien de plus que de l'intentionnalité.
Mais il existe de sérieux obstacles à cette équation. Pour commencer,
tous les états conscients ne semblent pas être représentatifs. En résumé,
tous les états représentatifs ne semblent pas être conscients.
Commençons par le premier obstacle. Tandis que de nombreux états
conscients sont intentionnels – comme les pensées, les perceptions, les
images et les souvenirs –, beaucoup ne semblent pas l'être. Par exemple, les
douleurs et les démangeaisons.

Que représente mon mal de tête ?


Ou cette démangeaison au niveau
de mon omoplate ?

Et qu'en est-il des émotions et des humeurs ?


Que représente ma tristesse ou mon émotion ?

Et l'expérience de l'orgasme ?
Qu'est-ce que cela représente ?

141
Pour la défense de la représentation
Les défenseurs de l'approche représentative ont des réponses. Dans
l'ensemble, ils soutiennent que les états de douleur, d'émotion, etc., ont bien
des contenus de représentation, malgré les premières apparences contraires.

Notez que les douleurs et les démangeaisons sont en


général associées à des parties bien spécifiques du corps.

Elles représentent sans doute


des traumatismes corporels ou
des troubles à ces endroits-là.

De la même façon, les émotions


peuvent être perçues comme
représentant l'état général des
choses. Ma tristesse veut dire que
les choses vont plutôt mal.

Il a même été soutenu que les orgasmes représentent des modifications


physiques dans les zones appropriées du corps.

142
La représentation non consciente
L'objection inverse à l'équation « conscience = représentation » est qu'une bonne
partie de la représentation ne semble pas être consciente. Pour commencer,
les phrases ne sont pas conscientes, même si elles représentent quelque chose.
Et qu'en est-il des croyances inconscientes ? Leur inconscience ne semble
pas les arrêter sur le fait de concerner des choses. Voici un exemple.

Je crois que ma femme


est totalement fidèle.

Mais votre comportement n'indique pas cela.


Vous êtes toujours en train de la surveiller.

Inconsciemment, il croit le contraire.

Ce ne sont peut-être que des représentations de seconde main, qui empruntent


leur intentionnalité aux représentations qui sont conscientes. Peut-être
que les phrases représentent quelque chose uniquement parce qu'elles
sont consciemment comprises par ceux qui les utilisent. Et peut-être que
les croyances inconscientes représentent quelque chose uniquement parce
qu'elles ressemblent aux croyances conscientes avec le même contenu.

143
Mais ce sont des cas plus difficiles de représentation non consciente.
Une bonne partie du traitement cognitif dans le cerveau semble impliquer
des états inconscients qu'il représente directement, sans l'aide des états
conscients. Au cours des premières étapes du traitement visuel chez
l'Homme, par exemple, il y a des états qui représentent des changements
dans la longueur d'onde et l'intensité des ondes lumineuses. Mais cela ne
fait pas partie de la vision consciente.

Nous ne voyons pas ces propriétés d'ondes lumineuses.

Même si notre cerveau,


pour ainsi dire, les connaît.

144
Ce genre de représentation ne peut pas s'expliquer simplement comme étant
de seconde main. Personne n'interprète consciemment les états du cerveau
impliqués dans le traitement visuel de la même manière que les personnes
interprètent consciemment les phrases qu'elles prononcent. Pas plus que ces
états ne peuvent être considérés comme des contreparties inconscientes de nos
contreparties conscientes, étant donné que la plupart d'entre nous n'affichent
aucune croyance consciente à propos des propriétés des ondes lumineuses.
On peut trouver d'autres exemples de représentation non consciente en
dehors du cerveau humain, chez les animaux primitifs et dans les machines.

Certaines bactéries possèdent des états


qui représentent les caractéristiques
de leur environnement.

Et les thermostats sont équipés de réglages


qui représentent la température ambiante.

Cependant, cela semblerait étrange de considérer les


bactéries et les thermostats comme étant « conscients ».

145
La représentation panpsychique
Il y a deux manières d'y parvenir au niveau de l'approche représentationnelle.
La première consiste à s'en tenir à la théorie et à résister à l'intuition selon
laquelle il n'y a pas de conscience dans les bactéries, les thermostats et le
traitement visuel précoce.
C'est l'option qui a été adoptée par David Chalmers.

Il est prêt à adopter la conclusion selon laquelle


les bactéries, par exemple, sont dotées
d'une forme limitée de conscience, étant donné
qu'elles incarnent des états d'information.

146
Selon Chalmers, en effet, presque tous les systèmes physiques ont
une conscience, puisque sa définition de l' « information » est satisfaite
par presque n'importe quel processus causal. Chalmers finit par être
proche du panpsychisme.

C'est le point de vue qui affirme que


la conscience imprègne le monde naturel.

L'autre option consiste à qualifier la théorie représentationnelle et à dire qu'il


ne s'agit pas de représentation en tant que telle qui produit la conscience,
mais uniquement de la représentation d'un certain type.

147
Le comportement sans la conscience
La suggestion qui émane naturellement consiste à énoncer que la
conscience survient plus particulièrement lorsque les présentations jouent
un rôle dans le contrôle du comportement. Michael Tye et Fred Dretske
adoptent tous deux les versions de cette idée. Cela est susceptible
de nier la conscience dans le cadre du traitement visuel, des bactéries
et des thermostats, ainsi que de tout autre système simple qui n'a pas
une gamme de comportements à contrôler.
Mais malheureusement, le contrôle-comportement semble être insuffisant
pour garantir la conscience.

Des preuves récentes indiquent qu'une


bonne partie du comportement humain
est contrôlé par des processus qui agissent
en dessous du niveau de la conscience.

Lors d'une expérience classique, le physiologiste américain Benjamin Libet


demandait aux participants de décider spontanément de bouger leurs mains
et de noter en même temps le moment précis de leur décision, qui était
mesuré par un grand chronomètre sur le mur.

148
Libet a utilisé des électrodes fixées sur le cuir
chevelu pour détecter le début de l'activité du
cortex moteur déclenchant le mouvement de la main.

Chose étonnante, j'ai découvert que cette


activité neuronale commençait un bon cinquième
de seconde avant que les participants aient
conscience de prendre une décision consciente.

L'interprétation exacte de cette expérience reste toujours sujette à caution,


mais elle suggère en tout état de cause que certains des processus qui
contrôlent le comportement humain n'impliquent pas la conscience.

149
Quoi versus où
Des implications similaires découlent d'expériences impliquant des illusions
visuelles. Le psychologue canadien Mel Goodale a réalisé des tests sur des
individus avec des agencements de jetons de poker. Il a posé un jeton à
l'intérieur d'un cercle de jetons beaucoup plus gros, puis un autre, de la même
taille que le premier, à l'intérieur d'un cercle de jetons beaucoup plus petits.

Tous les participants ont succombé à l'illusion consciente de penser que le


premier jeton était beaucoup plus petit que le deuxième. Mais leurs mains ne
se sont pas si facilement laissé berner.

150
Lorsqu'ils ont tendu la main pour saisir les deux jetons, ils ont écarté les
doigts à l'identique à deux reprises.

Là encore, il semble que le comportement soit contrôlé par des


représentations non conscientes, plutôt que par la perception consciente.
De nombreux neuropsychologues pensent aujourd'hui qu'il existe
essentiellement deux voies dans le système visuel chez l'Homme. La « voie
faible » conduit à la reconnaissance consciente des objets. (Elle porte parfois
aussi le nom de voie du « quoi ».) La « voie forte » contient des informations
qui contrôlent les mouvements du corps, comme le fait de saisir avec la
main. (D'où la voie du « où ».) Pourtant, même si cette « voie forte » contrôle le
comportement, elle se situe au-dessous du niveau de la conscience.

151
Le problème de la cécité
Puis il y a la « cécité ». Certaines personnes victimes de lésion cérébrale ne
peuvent rien voir de manière consciente. Elles disent qu'elles sont complètement
aveugles. Mais lorsqu’on leur demande de deviner, elles se révèlent très bonnes
pour identifier la présence de lignes, d'éclairs de lumière et même de couleurs.

Pour nous, réussir ces tâches ressemble


à une hypothèse inconsciente.

Mais leur capacité à obtenir les bonnes réponses indique que


leur performance doit être contrôlée par des informations
authentiques que l'on ne trouve qu'à un niveau inconscient.

Tous ces cas mettent en péril l'idée selon laquelle la représentation


est consciente, chaque fois qu'elle joue un rôle dans le contrôle du
comportement. Cette idée peut peut-être être mise de côté en clarifiant ce
que « le contrôle du comportement » implique. Mais il n'est pas évident d'y
parvenir, surtout si nous voulons éviter les recours chauvinistes aux détails
de la cognition humaine.

152
Les théories POS
Voici une idée différente qui avance que la représentation n'est consciente
que lorsqu’elle se métareprésente elle-même. N'oubliez pas que lorsque
nous vivons des expériences conscientes, nous sommes typiquement
introspectivement conscients de ces expériences. C'est-à-dire que
nous pensons à ces expériences typiquement en même temps que nous
les vivons. C'est la « métareprésentation ».
Cela laisse supposer une théorie de « pensée d’ordre supérieur »
de la conscience.

Cette théorie énonce que les états mentaux


conscients sont précisément ces états mentaux
auxquels nous pensons introspectivement.

Le philosophe américain David Rosenthal a surnommé cela la théorie SOP


de la conscience (pensée-ordre-supérieur). La pensée d'ordre supérieur est
certainement un trait caractéristique de la conscience humaine. Mais une
théorie générale de la conscience peut-elle être élaborée sur cette base-là ?

153
Critique des théories POS
Cela semble étrange de dire qu'un état est conscient parce qu’il est fait pour
cela. Est-ce que je ne deviens visuellement conscient de Star Wars, épisode I :
La Menace fantôme qu'au moment où je cesse de penser à la reine Amidala
et que je commence plutôt à penser à mes propres expériences visuelles ?

Si l'expérience visuelle n'est pas consciente


en soi – voire que l'on n'y pense pas – il est
difficile de comprendre comment elle peut
devenir consciente par le simple fait d'y penser.

De toute façon, les théories POS semblent nécessiter énormément


de sophistication chez les créatures conscientes. Elles supposent que
les êtres qui ne peuvent pas penser aux états mentaux ne peuvent pas
être conscients non plus. Cela est susceptible de nier la conscience,
non seulement pour les thermostats et les bactéries mais aussi les rats,
les chauves-souris et les chats.

154
Conscience de soi et théorie de l'esprit
On dit généralement que les créatures qui peuvent penser aux états mentaux
possèdent une « théorie de l'esprit ». Elles sont non seulement dotées de la vue,
éprouvent des émotions et ont des convictions, mais elles peuvent également
former des pensées à propos de la vision, des émotions et des certitudes.
Dans ce sens-là, les êtres humains ont clairement une « théorie de l'esprit ».

Ils peuvent penser aux états mentaux,


y compris aux leurs.

Mais on ignore si n'importe quel


autre animal sur Terre peut le faire.

Le test classique qui détermine le fait de posséder une théorie


de l'esprit ou non est le « test des idées fausses ». Les enfants sont
à même de réussir ce test lorsqu'ils ont 3 ou 4 ans, mais pas avant.
Voyons comment cela fonctionne.

155
Le test des idées fausses
Le test repose sur cette histoire.

Sylvie dépose ses bonbons dans le panier.

Pendant que Sylvie sort de la pièce,


Anne les met dans le tiroir.

L'enfant qui passe le test se voit alors demander…

Lorsque Sylvie revient, où va-t-elle


chercher ses bonbons ?

156
Jusqu'à l'âge de 3,5 ans environ, tous les enfants disent « le tiroir » parce
qu'ils ne peuvent pas traiter l'idée de Sylvie représentant intérieurement
le monde autrement que comme il est.
Mais après 4 ans, ils répondent presque tous « le panier » car ils ont alors
la capacité d'attribuer cette fausse idée-là à Sylvie.

Alors même que les êtres humains matures


peuvent tous réussir ce test, on ignore
si n'importe quel autre animal peut le faire.

Tout au plus, les chimpanzés et quelques autres singes pourraient le réussir


de justesse.

157
Conscients ou non ?
Cela reste à voir pour les singes. Des expériences ont été réalisées, la plupart
sur des chimpanzés, mais il est délicat de tester des chimpanzés pour une
théorie de l'esprit puisqu'ils ne peuvent pas utiliser de mots pour vous dire,
selon eux, à quel endroit Sylvie est susceptible de regarder.

Quoi qu'il en soit, ces expériences nous ennuient


et nous commençons à faire les imbéciles.

Dans tous les cas, même si les chimpanzés et d'autres singes ont bien
une théorie de l'esprit, d'autres mammifères n'en ont sans doute pas. Les
chats et les chiens, par exemple, ne peuvent certainement pas penser à
l'esprit. Cela signifie, en particulier, qu'ils ne peuvent pas penser à leur
propre esprit et donc, selon les théories POS de la conscience, qu'ils ne
sont pas conscients.

158
Entraînement culturel
Certains intellectuels acceptent volontiers la conclusion contre-intuitive
selon laquelle les chats et les chiens ne sont pas conscients. En effet, le
philosophe américain Daniel Dennett est prêt à soutenir non seulement
que la conscience requiert quelque chose comme une pensée d'ordre
supérieur, mais plus particulièrement que cette pensée-là dépend de notre
entraînement culturel et pas seulement de notre héritage biologique.

Son point de vue a pour conséquence surprenante


qu'aucun de nos ancêtres n'aurait été conscient
avant l'avènement de la culture humaine.

Sans blague !

159
Sentience et conscience de soi
La plupart des théoriciens rejettent l'idée dans son ensemble de considérer
la conscience comme étant une pensée d'ordre supérieur et insistent,
en faisant preuve de bon sens, sur le fait que de nombreux animaux
muets sont conscients.
Il est utile ici de faire la distinction entre la conscience de soi et la sentience.

La conscience de soi,
comprise comme étant une
question de réflexion sur
ses propres expériences,
nécessite par définition une
pensée d'ordre supérieur.

Mais il semble naturel de dire que


de nombreux animaux sont sentients,
même s'ils ne sont pas conscients.

Les chats et les chiens, par exemple, semblent être visuellement conscients
de leur environnement pour entendre les sons, ressentir des douleurs, etc.
Ces expériences sont « comme quelque chose » pour eux, même s'ils
n'y pensent pas.

160
Perspectives scientifiques à venir
Nous pouvons espérer que la recherche scientifique future nous apprenne
de plus en plus de choses sur la conscience humaine, puisque les
méthodes traditionnelles de recherche sont complétées par les nouvelles
technologies d'imagerie cérébrale.

Les techniques anciennes dédiées à l'étude de la conscience humaine


intègrent l'expérimentation comportementale, l'étude des lésions cérébrales
et l'électroencéphalographie qui mesure les ondes cérébrales électriques en
utilisant des électrodes placées à l'intérieur du crâne.

161
TEP et IRM
La tomographie à émission de positrons (TEP) et l'imagerie par résonance
magnétique (IRM) ont été récemment ajoutées à ces techniques.
Les clichés TEP utilisent un marqueur radioactif dans le sang pour mesurer
l'activité cérébrale. L'IRM obtient le même effet en plaçant le cerveau dans
un puissant champ magnétique.

À l'aide de programmes informatiques sophistiqués, ces techniques


produisent des images saisissantes des zones du cerveau qui sont activées
par des fonctions mentales. Cette recherche nous fournira une compréhension
de plus en plus détaillée des fondements cérébraux de la conscience humaine.
Est-ce que cela conduira à une théorie générale de la conscience ?
C'est une autre histoire.

162
Le problème, c'est que la recherche scientifique qui utilise ces techniques,
ou n'importe quelle autre que l'on puisse imaginer, ne nous donnera
des éléments que sur la conscience chez les êtres humains. Cela s'explique
par le fait que seuls les êtres humains sont en mesure de nous raconter
leurs états de conscience. Les individus peuvent signaler lorsqu'ils sont
conscients de voir quelque chose et lorsqu'ils ne le sont pas.

Cela nous permet de repérer les processus


cérébraux qui différencient les deux cas
et de les identifier comme étant la base
de la vision consciente de l'Homme.

Vous ne pouvez pas faire la même chose avec


des singes ou des chats puisque nous ne pouvons pas
vous parler de nos expériences conscientes.

Cela n'aidera pas non plus à trouver ce qui se passe dans les cerveaux
du singe et du chat lorsque leur comportement (non verbal) indique qu'ils
sont sensibles aux stimuli visuels. Car la cécité et autres phénomènes
similaires montrent qu'il est tout à fait possible de se comporter avec
sensibilité sans conscience.

163
Une signature de la conscience
Si la recherche sur la conscience est fructueuse, elle peut trouver
un élément clé approprié qui soit commun à tous les états cérébraux
chez l'Homme qui produisent la conscience. Ils impliquent peut-être
tous un certain type de représentation comme le prétendent les théories
intentionnelles de la conscience ou peut-être partagent-ils tous
une autre caractéristique qui reste encore inaperçue.
Si la recherche sur la conscience chez l'Homme met au jour ce genre
de « signature de la conscience », alors peut-être serons-nous à même
d'élaborer une théorie générale sur cette base-là.

Nous pourrions l'utiliser pour nous prononcer


sur la conscience d'autres animaux, d'extraterrestres
et de machines cybernétiques intelligentes.

La conscience de ces créatures-là dépendrait


de la signature exacte affichée par leur cerveau.

164
Mais que se passe-t-il s'il n'y a pas de signature, pas de caractéristique
essentielle commune aux états conscients humains ? Cela semble tout aussi
probable. Il n'y a peut-être pas de caractère commun aux états que nous
identifions comme étant conscients. En dehors de leur être identifié comme
conscient, en dehors de leur caractère minimal commun d'accessibilité et
de rapportabilité introspectives.
Si c'est tout ce qu'il y a, alors nous serons à nouveau bloqués avec les
créatures non humaines.

La rapportabilité introspective est une


forme de conscience de soi, nous ne
voulons donc pas en faire la condition
essentielle de la conscience.

Ce serait nier arbitrairement la conscience de toutes


ces créatures joyeuses comme les chats et les chiens,
qui ne cessent jamais de penser à leur propre esprit.

Mais comment décider alors exactement quelles sont les créatures qui ont
droit à une sentience inconsciente ? Le cas des chats et des chiens peut
sembler dénué de toute ambiguïté. Mais qu'en est-il des poissons ou des
crabes ou encore des escargots, sans parler des extraterrestres et des
cybermachines ? Si la recherche sur la conscience humaine ne présente pas
de signature claire, il semblerait alors que nous soyons dans une impasse.

165
La mouche et le flacon
Ludwig Wittgenstein pensait que les problèmes philosophiques nécessitent
une thérapie plutôt que des solutions afin de démêler les confusions qui les
génèrent. (« Devons-nous montrer à la mouche comment sortir du flacon ? »)
C'est peut-être un bon conseil pour l'étude de la conscience.

Si nous ne pouvons pas progresser


de front, nous pouvons peut-être
manœuvrer latéralement, en réexaminant
nos préjugés philosophiques.

Souvenez-vous des deux options philosophiques positives passées en


revue plus tôt, le dualisme et le matérialisme. (Rejetons maintenant le
mystérianisme étant donné qu’il manque trop d'ambition.)

166
L'option dualiste
Si vous êtes un dualiste, alors vous n'aurez pas une grande marge
de manœuvre. Car vous penserez que la conscience dépend de la présence
d'une certaine « substance mentale » non physique. Les escargots
et les superordinateurs seront conscients, juste dans le cas où ils possèdent
cette substance mentale particulière.

Pourtant, cette substance doit être


épiphénoménale, causalement impuissante.

Il n'est donc pas question


de la détecter par ses effets.

Le dualiste ne semble pas avoir non plus d'autre manière de dire lorsqu'elle
est proche. Le dualisme promet donc de nous laisser éternellement dans le
doute à propos de la vie consciente des créatures non humaines.

167
L'option matérialiste
Le matérialisme considère les choses sous un angle différent. Il n'y a pas de
« substance mentale » supplémentaire chez les êtres humains ou ailleurs. Il y
a simplement des processus cérébraux physiques, certains d'entre eux étant
« comme quelque chose » pour les créatures qui en sont dotées.

Les dualistes ne peuvent pas


s'empêcher de considérer la
conscience comme une question
définitive se caractérisant par la
position marche/arrêt – soit la
substance mentale supplémentaire
est là, soit elle n'est pas là.

Mais les matérialistes ont la possibilité de voir


« ce qu'est la ressemblance » comme une continuité.

Certains cas sont assez clairs. Les êtres humains, les chimpanzés et les
chats sont conscients. Les pierres, les algues et les streptocoques ne le sont
pas. Mais entre les deux, nul besoin de matière. Nul besoin de point défini où
la vie intérieure cesse dans le néant.

168
Une question de préoccupation morale
Daniel Dennett a suggéré que les attributions de la conscience sont mieux
ancrées dans les attitudes de préoccupation morale. Cela s'explique
par le fait que c'est parce que nous nous soucions de nos chats que
nous les considérons comme conscients.
De la même façon, si jamais nous rencontrons des extraterrestres
ou des cyberintelligences, ce sera notre mode d'interaction avec eux
qui décidera de la question de leur conscience.

Si nous réagissons vis-à-vis d’eux


comme s'ils étaient de simples
objets physiques, alors nous
estimerons qu’ils sont inconscients.

Si vous apprenez à comprendre et à traiter


avec de tels aliens, en nous parlant de nos
espérances et de nos craintes, alors vous en
viendrez à nous considérer comme conscients.

Sans aucun doute, certains philosophes sceptiques voudront aussi savoir


s'ils sont vraiment conscients. Mais, si nous faisons de ces étrangers
de véritables amis, cette question pourrait sembler aussi idiote que
de demander si les autres êtres humains sont vraiment conscients.

169
Y a-t-il une réponse définitive ?
À première vue, l'idée de Dennett semble étrange. Comment un être peut-il
devenir conscient simplement parce que nous décidons de le considérer
d'une certaine manière ?

Mais l'idée n'est pas que notre inquiétude morale


puisse changer ce que cela fait d'être un alien.

Cela pourrait simplement vous donner plutôt


une raison d'affiner votre vague concept
de « conscient » de manière à nous inclure.

Bien sûr, le fait de considérer les aliens comme des sujets d'inquiétude
ne va pas modifier leur vie intérieure. Mais cela pourrait être rationnel
pour nous de définir ce qui était auparavant vague et d'élargir le terme
« conscient » afin de couvrir cette vie intérieure.

170
Plutôt que de voir les aliens comme étant intérieurement inintéressants, de
les regrouper avec les pierres et les streptocoques, nous aurions trouvé une
bonne raison de classer leur vie intérieure comme étant proche de la nôtre.

Certains d'entre vous seront peut-être déçus d'apprendre


qu'il n'y a pas de réponse définitive à l'énigme de la conscience.

Au bout du compte, tout se résume à des définitions.

Mais d'autres pourront éprouver de la satisfaction en comprenant pour quelle


raison il n'y a pas de réponse et sortir tranquillement du flacon.

171
Autres lectures (en anglais)
De nombreux ouvrages de qualité sur le thème de la conscience
sont disponibles. Commençons avec deux anthologies utiles
qui regroupent des écrits philosophiques récents sur le sujet :
Ned Block, Owen Flanagan et Guven Guzeldere (éds),
The Nature of Consciousness, 1997, MIT Press.
Thomas Metzinger (éd.), Conscious Experience, 1996, Imprint Academic.
L'anthologie suivante est alimentée par les principaux théoriciens
scientifiques de la conscience, comme Penrose, Crick et Baars,
ainsi que par des philosophes comme Dennett et Chalmers. Il s'agit
d'une réimpression d'un numéro spécial en plusieurs parties du Journal
of Consciousness Studies consacré au « problème difficile ».
Jonathan Shear (éd.), Explaining Consciousness – The « Hard Problem »,
1997, MIT Press.
Plutôt ancienne mais très amusante, avec de bons éléments sur l'argument
de la chambre chinoise de Searle, cette collection :
Douglas Hofstadter et Daniel Dennett (éds), The Mind's I, 1985,
Bantam Books.
De nombreux intellectuels avec lesquels j'ai discuté ont écrit récemment
plusieurs ouvrages :
Bernard Baars, In the Theatre of Consciousness : The Workspace of the Mind,
1997, Oxford University Press.
Développe sa théorie de la conscience de « l'espace de travail global ».
David Chalmers, The Conscious Mind, 1996, Oxford University Press.
Critique éminente du matérialisme qui a fixé les conditions pour
un grand débat contemporain.
Francis Crick, The Astonishing Hypothesis, 1994, Simon and Schuster.
Assimile la conscience aux oscillations dans le cortex visuel.
Daniel Dennett, Consciousness Explained, 1991, Allen Lane.
Associe de nombreux détails scientifiques fascinants avec l'idée
que la conscience n'arrive qu'avec la culture humaine.
Gerald Edelman, Brilliant Air, Brilliant Fire, 1993, Basic Books.
Explique sa « vision neuronale darwiniste » de l'esprit conscient.
Colin McGinn, The Problem of Consciousness, 1991, Basil Blackwell.
Défend la vue « mystérienne » selon laquelle le problème de la conscience
repose au-delà de la solution humaine.

172
Thomas Nagel, The View from Nowhere, 1986, Oxford University Press.
Affirme que la conscience implique un certain type de fait perspectif.
Roger Penrose, Shadows of the Mind, 1994, Oxford University Press.
Lie la conscience au calcul et à la mécanique quantique.
Michael Tye, Ten Problems of Consciousness, 1995, MIT Press.
Défend une théorie de représentation de la conscience.
Voici deux sites internet utiles pour un travail contemporain
sur la conscience.
La revue électronique Psyche, l'organe de l'Association pour l'étude
scientifique de la conscience, se trouve sur :
http://psyche.cs.monash.edu.au/index.html
Ce site héberge également quelques listes de discussion.
La page web de David Chalmers http://www.u.arizona.du/~chalmers est
une excellente base de données. Mis à part les propres publications de
Chalmers, il présente une bibliographie substantielle de travaux réalisés sur
la conscience, de très bons liens vers d'autres sites, ainsi qu'une section
consacrée entièrement aux zombies.

Biographie
David Papineau a fait ses études à Trinidad, en Angleterre et en Afrique
du Sud. Il est diplômé en mathématiques et en philosophie, et a donné des
conférences à l’université de Reading, à l’université Macquarie, à Sydney, au
Birkbeck College à Londres et à l’université de Cambridge. Il est aujourd'hui
professeur de philosophie au King's College London. Il a écrit For Science
in the Social Sciences (1978), Theory and Meaning (1979), Reality and
Representation (1987) et Philosophical Naturalism (1993), et édité Philosophy
of Science (1996). Son nouvel ouvrage, Thinking about Consciousness,
a été publié en 2001.

173
Index

A Effets 118-126 EEG 161


Aliens et conscience Et l'avenir 161 Einstein, Albert 74
voir non-humains Et le cerveau 78-83 Électromagnétisme,
Animaux et conscience Facteur commun 164-165 analogie 62-63
voir non-humains Objectif de la 120 Épiphénoménisme 78-83, 107
Appareil de Phénoménalement 15 Épiphobie 96-98
conditionnement opérant 38 Physique quantique 121-129 Esprit
Argument de la Problème difficile 18-21 Vs. cerveau 17
chambre chinoise 91-95, 98 Problèmes faciles 19-21 Et matière 28-30, 77
Argument du langage privé 41 Tentatives pour définir la 3-9 Évolution 118-119
Artificielle Vues historiques 25
(conscience) 7-8, 88-91 Vue objective de la 10, 12-14 F
Ayer, A. J. 35 Vue subjective de la 12-17 Fantôme dans la machine, le 40
Couleurs 60-61, 106-107, 111 Fodor, Jerry 86
Créature (conscience de la) 23 Fonctions d’onde 121-122
B Crick, Francis 114-115 Fonctionnalisme 42-55, 97-99
Baars, Bernard 130-131 contre 98-99
Bergson, Henri 33 D Fonctionnaliste
Berkeley, George 30-32 Darwinisme Épiphobie 96-98
Boucles réentrantes 117 voir darwinisme neuronal Matérialisme 86
Brentano, Franz 137 Darwinisme neuronal 116-118 Recherche future 161
Broad, C. D. 69 Dennett, Daniel 159 Forces mentales 68-69
Et préoccupation morale
C 169-171 G
Cartes dans le cerveau 116-117 Descartes, René Génétique vs. nourriture 39
Cécité 152 À propos du dualisme Glande pinéale 29, 64
Cerveau, le 45-49 26-30, 53, 56, 167 Gödel, Kurt 127-128
c. n'a pas d'effet sur 78-83 Sur les forces 70 Goodale, Mel 150-151
oscillations dans 114-115 Dieu Gravité, effet sur les
scanographie 161-162 Dualisme/matérialisme 104-105 vagues quantiques 127
SSC 132-133 Esprit et matière 77
vs. esprit 17 Divinité voir Dieu H
Causal Douleur, comme exemple Harmonie, préétablie 77
complétude 65, 72, 75-76 20, 48-49, 84, 99 Hegel, Georg 33
rôles 19 Dretske, Fred 138, 148 Husserl, Edmund 33, 137
Chalmers, David Dualisme 16, 29, 50, 53
À propos des zombies 81 Arguments contre 64, 104 I
Et de représentation Chalmers 62 Idéalisme 31-33, 50
138, 146-147 De propriété 54 En Grande-Bretagne 34-35
Dualisme 62 Descartes 26-30, 53, 56, 167 Réaction scientifique 36
Problème difficile Des propriétés 54 Illusion,
de conscience 18-21 Et la physique 67-70 expérience avec 150
Chauve-souris, exemple 10-13 Jackson 60-61, 100 Imagerie à résonance
Comportement Kripke 56-58, 100-104 magnétique (IRM) 162
sans conscience 148-152 Leibniz 59 Indéterminisme 121-124
Comportement inconscient Information, présence de l’ 138
148-152 E Intentionnalité 136-141
Comportementalisme 37-42 Écart explicatif 22 Interaction
Conscience Eccles, Sir John 72 esprit-corps 64
de soi 160 Edelman, Gerald 116-117 IRM 162

174
J O Sensations 141
Jackson, Frank 60-61, 100 Ordinateur Sentience 160
Johnson, Samuel 32 analogie avec 46 Sentiments 21
Rendre conscient 88-91 absence de, voir zombies
K Oscillations dans Skinner B. F. 37-39
Koch, Christof 114-115 le cerveau 114-115 Boîte de Skinner, la 38
Kripke, Saul Sperry, Roger 72
56-58, 100-104 P Stapp, Henry 125-126
Panpsychisme 147 Structure 45-51
L Penrose, Roger 127-128 Et matérialisme 86
Langage 94 Perspective historique 25 Survie 119-120
Leibniz G. W. von 55, 59, 77 Phénoménalement conscient 15 Système de perception
Levine, Joseph 22 Philosophie 40, 137-140, 166 consciente (SPC) 132-133
Libet, Benjamin 148-149 Et dualisme 64 Système
Logiciel 48 Wittgenstein 41, 166 de récompense 38-39
Logiciel, le voir aussi dualisme ; Système visuel,
cerveau comme 48-51 idéalisme ; matérialisme voies vers le 151
Physique 67-70
M Point de vue physicaliste 52, 54 T
Matérialisme 18, Probabilité 122 TEP 162
50, 82-120, 168 Problème difficile 18-21, 24, 52 Température, analogie 85
Physiologie 71 Problèmes faciles 19-21 Test de Turing 90-93
Propriétés structurelles 96 Test des fausses idées 155-157
Matière vs. esprit 28-30 Théorie de la pensée de l'ordre
Maxwell, James Clerk 63 Q supérieur (POS) 153-154, 158
McGinn, Colin 107, 109 Quantum Théorie de l'espace
Mémoire 133 Conscience 125 de travail global 130-131
Métareprésentation 153 Mécanique 74 Théorie de l'esprit 155
Mill, John Stuart 34 Physique 121-129 Thoreau, Henry 39
Mind and its Place in Nature Topographie d'émission
[Esprit et sa place R de positrons (TEP) 162
dans la nature] 69 Recherche physiologique 71-73 Tye, Michael 138, 148
Monadology 59 Renforcement positif 38
Monde matérie 27 Représentation 138, V
Absence de 30-36 141-142, 164 Vue objective de la
Mystérianisme 18, 108-110 Non conscient 143-145 consciences 10, 12-14
Rêves 4 Options 16-18
N Robots et conscience 7-8 Vue subjective de la
Nagel, Thomas 10-15, 107 Rosenthal, David 153 conscience 10, 12-15
Neurones 116-117 Russell, Bertrand 35 Options 16-18
Newton, Isaac 68 Ryle, Gilbert 40
Non-humain (conscience) W
extraterrestres S Walden Two 39
87, 135, 163-171 Savoir, états du 59 Watson, John B. 37, 39
animaux 10-13, 49, Schacter, D. L. 132-133 Wetware 48, 98
134-135, 158-160, Schopenhauer, Arthur 33 Wittgenstein L . 41, 166
163-171 Schrödinger, Erwin 121
Non observables 44 Chat de 123-129 Z
Nourriture Searle, John 91 Zombies 57-58, 80-81
vs. génétique 39 Sens 27 Impossibilité des 103-105

175
Qu’est-ce que la conscience ?
Comment l’évaluer ?

Ce livre se présente comme un guide complet sur l’état actuel


de nos connaissances et des études sur la conscience.
Il commence par l’histoire de la relation philosophique entre
l’esprit et la matière, et explique les tentatives scientifiques
pour expliquer la conscience en termes de mécanismes
neuronaux, de calcul cérébral et de mécanique quantique.
En cours de lecture, vous rencontrerez les zombies
et les chambres chinoises, les fantômes dans les machines
et le chat de Schrödinger…

David Papineau est professeur de philosophie des sciences


au King’s College de Londres.

Originale et très illustrée, la collection


est une introduction aux grands concepts ou
théories scientifiques. Grâce à son style décalé
et ludique, elle permettra à tout lecteur d’enrichir
sa culture générale.

Prix : 9,90 €
ISBN 978-2-7598-1766-5
Couverture et illustration
par edwardbettison.com

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