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L'information géographique

De l'espace aux territoires : éléments pour une archéologie des


concepts fondamentaux de la géographie
Guy Di Méo

Résumé
Il existe plusieurs conceptions philosophiques de l'espace. Considéré comme une substance, il se distingue ou non, selon les
auteurs, de la matière et de l'esprit. Forme ou propriété de la conscience, il a parfois suscité des interprétations déterministes du
rapport complexe que les sociétés nouent avec lui. Produit, perçu, représenté et vécu, l'espace social constitue la base
matérielle du territoire. Même s'il ne correspond pas à une stricte réalité politique, le territoire décrit un champ de lieux et de
significations symboliques. Il s'identifie à une représentation sociale définie par le sens que lui confèrent les collectivités
humaines qui se l'approprient.

Abstract
Several philosophical conceptions of space coexist. Considered as a substance, space is distinct - or not, according to authors -,
from matter and mind. As a shape or a property of the conscience, it has often given birth to the deterministic interpretations of
the complex relationship which societies have with it. Produced, perceived, represented and lived in, the social space
constitutes the material basis of the territory. Even if it does not correspond to a strict political reality, the territory pictures a
range of places and symbolic significances. It identifies itself to a social representation defined by the meaning given by the
human communities that take possession of it.

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Di Méo Guy. De l'espace aux territoires : éléments pour une archéologie des concepts fondamentaux de la géographie. In:
L'information géographique, volume 62, n°3, 1998. pp. 99-110;

doi : https://doi.org/10.3406/ingeo.1998.2586

https://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1998_num_62_3_2586

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DOCUMENTATION
GÉNÉRALE

De l'espace aux territoires :

éléments pour une archéologie

des concepts fondamentaux

de la géographie

Guy Di Méo1

/ existe plusieurs conceptions philosophiques Several philosophical conceptions of space


de l'espace. Considéré comme une substance, coexist. Considered as a substance, space is
il se distingue ou non, selon les auteurs, de la distinct - or not, according to authors -, from
matière et de l'esprit. Forme ou propriété de la matter and mind. As a shape or a property of
conscience, il a parfois suscité des the conscience, it has often given birth to the
interprétations déterministes du rapport complexe que deterministic interpretations of the complex
les sociétés nouent avec lui. Produit, perçu, relationship which societies have with it.
représenté et vécu, l'espace social constitue la Produced, perceived, represented and lived in, the
base matérielle du territoire. Même s'il ne social space constitutes the material basis of
correspond pas à une stricte réalité politique, le the territory. Even if it does not correspond to
territoire décrit un champ de lieux et de a strict political reality, the territory pictures a
significations symboliques. Il s'identifie à une range of places and symbolic significances. It
représentation sociale définie par le sens que lui identifies itself to a social representation
confèrent les collectivités humaines qui se defined by the meaning given by the human
l'approprient. communities that take possession of it.

Quelle est la véritable nature de l'espace Cependant l'espace ne peut pas être assimilé à
géographique? S'agit-il d'une forme trans- une chose ; même si les choses, même si les objets
cendantale propre à l'esprit humain? Doit-on au occupent de l'espace. Car il existe de l'espace, des
contraire le considérer sous le jour d'une stricte espaces entre les choses, sous forme «
matérialité mesurable et quantifiable, d'une d'interstices » ou « d'intervalles », « d'espaces »
substance soumise au jeu des phénomènes physiques ? justement dont l'étendue est mesurable. Considéré d'un
Mais dans ce cas de figure, comment concevoir point de vue plus strictement géométrique,
une nature soi-disant objective dont l'objectivité l'espace constitue enfin le système de toutes les places
résulterait de notre perception qui la décrète, c'est- possibles que peuvent occuper les choses ou de
à-dire d'une pure représentation subjective ? simples points. On parle à ce propos de propriétés
spatiales des objets. La représentation humaine de
Dans son acception la plus banale, la plus l'espace, dans lequel nous percevons et nous
réaliste et la plus concrète, l'espace géographique ou, imaginons les formes et les mouvements, correspond à
si l'on préfère, l'espace de la géographie en tant la géométrie euclidienne. On peut bien sûr en
que science positive, c'est la surface de la terre, concevoir d'autres, l'espace euclidien reste
gouvernée par les trois dimensions de la longueur, néanmoins celui de notre perception ordinaire du
de la largeur et de l'altitude. C'est aussi la monde géographique.
biosphère, au sens de Gabriel Rougerie (1988) ; c'est- Doit-on dissocier un tel espace de la matière qui
à-dire non seulement la « pellicule des êtres compose la terre et toutes les choses (minérales,
végétaux et animaux vivant actuellement sur terre, mais végétales, animales) qui y trouvent place ? Doit-on
l'interface entre la planète et le milieu cosmique, 1. Professeur à l'Université Michel de Montaigne (Bordeaux III), membre
une enveloppe spécifique pénétrée de vie ». du SET (UMR 5603-CNRS/Université de Pau et des Pays de l' Adour).

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le distinguer aussi de l'esprit humain et des idées part le feu, d'autre part les êtres vivants »
qu'il engendre ? Ce débat pose tout le problème de (Legrand, 1987). En fait, loin de réduire ce point
la relation essentielle du chercheur avec son objet de vue aux errements d'une science physique
d'investigation. Il nous oblige à relativiser la naïve, Nietzsche a bien saisi la nature ontologique
prétendue objectivité de l'espace, à mieux saisir la de ce monisme lorsqu'il écrit : « Thaïes a vu
diversité de ses représentations et de ses vécus sur l'unité de l'être, et quand il a voulu le dire, il a
une scène sociale où s'expriment d'abord les parlé de l'eau » (1938).
points de vue des sujets, agents ou acteurs sociaux.
Anaximène, le dernier des Milésiens (env. 570-
La réponse apportée à ces questions ne fut 526 av. J-C), estimait pour sa part que l'air et le
jamais ni évidente, ni unique, car il s'agit d'un brouillard constituent la substance unique à partir
problème philosophique majeur. Retenons de laquelle se façonnent toutes les réalités
simplement que trois éléments essentiels entrent en matérielles, mais aussi l'âme et l'esprit humains. À ses
interaction dans l'espace de la géographie que yeux, l'essence (apeiron) du monde se confond
définissent assez bien, sur un plan général, la biosphère et avec l'air qui tour à tour se raréfie, devient alors le
la géométrie euclidienne : la matière constituant feu, ou se dilate. Incorporel, invisible, l'air occupe
toute chose, sous ses trois formes (solide, liquide, l'espace, donne naissance au vent qui forme et
gazeuse), l'espace des trois dimensions et des porte les nuées génératrices de l'eau, puis de la
champs de la perception, l'esprit humain qui terre par condensation de l'élément liquide. La
confère une signification à l'ensemble et sans d' Anaximène
traduction que est
donne
sur ce Diels
point éloquente
(1972) des
: « l'air
écrits
est
lequel rien ne pourrait être perçu ni signifié.
le principe des êtres : car de lui toutes choses
naissent et en lui retournent se disssiper. De même que
GENÈSE D'UN CONCEPT : notre âme, qui est de l'air, nous maintient, de
DE L'ESPACE COSMIQUE même le souffle et l'air entourent le Cosmos
À L'ESPACE GÉOGRAPHIQUE entier ». Saint Augustin a relevé le caractère
L'espace géographique de la biosphère, tel que matérialiste de ce monisme. Il écrit d'ailleurs à propos
nous venons de le définir, n'a pas fait l'objet d'un d' Anaximène, dans la Cité de Dieu (VIII, 2) : « II
débat spécifique dans la tradition philosophique n'a pas nié les dieux, il ne les a pas passés sous
inaugurée par la pensée hellénique. Les Grecs se silence : mais il n'a pas cru que ce sont eux qui ont
sont d'abord intéressés au « Tout », à l'univers, au créé l'air; tout au contraire, il fut persuadé que
cosmos. C'est donc dans cette acception très large c'est l'air qui leur a donné naissance ».
qu'il convient, dans un premier temps, de prendre
en compte les concepts spatiaux. Deux autres philosophes, sensiblement moins
À propos de la nature de l'espace dans lequel anciens, développèrent sur ces bases monistes
deux théories antagonistes, l'une de caractère
nous nous mouvons et nous vivons, dans et par matérialiste, l'autre de caractère rationaliste ou
lequel nous percevons aussi les formes et les idéaliste. Les Eléates, philosophes originaires
mouvements qui modèlent et qui animent les choses
d'Elée en Italie du Sud, furent sans doute les
composant le monde sensible, l'on retiendra dès rationalistes les plus convaincus. Pour le plus célèbre
les origines trois types de positions philosophiques d'entre eux, Parménide (env. 515-450 av. J-C),
génériques : le monisme matérialiste, le monisme rien ne peut se transformer, tout ce qui existe au
spiritualiste, le dualisme. monde, constitué d'une substance unique, a
toujours existé. En nous donnant l'impression
Les premières théories monistes
(fausse) que tout change et se transforme, nos sens
Cette position philosophique fut défendue par nous trompent. On ne saurait se fier à eux. Seule
les philosophes présocratiques de la nature, surtout notre raison, innée, indépendante de toutes nos
représentés par « l'école de Milet » en Asie expériences, nous permet de comprendre le monde
mineure. Fondateur de cette tradition, Thaïes (env. qui nous entoure. Originaire d'Ephèse, en Asie
625-545 av. J-C) pensait que l'eau se trouve à mineure, Heraclite (env. 540-480 av. J-C) avait
l'origine de toute chose; donc de l'espace et de imaginé, sur la même base moniste, mais
toutes les formes spatiales. L'eau de Thaïes matérialiste cette fois, une doctrine en tout point opposée
constitue, selon la formule de Hegel, une « universalité à celle de Parménide. D'après Heraclite, le feu,
sensible ». Commentant la thèse de Thaïes, substance unique et élémentaire, se transforme en
G. Legrand note que pour lui « l'eau engendre par mer, puis la mer moitié en terre, moitié en vent
solidification la terre, par evaporation l'air; le violent. Selon ce point de vue, tout dans le monde
croisement de l'air et de la terre engendre d'une se transforme en permanence (« tout s'écoule » dit

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Heraclite), rien n'est éternel. En nous montrant un « matière » participent d'une même nature
tel univers changeant, nos sens ne nous trompent accessible aux sens, explicable par un principe général
pas. On peut donc se fier à leurs enseignements. comprenant trois types de causes articulées les
unes aux autres, soit dans l'ordre hiérarchique de
Ces deux positions opposées et irréductibles la démonstration : les causes « matérielles »,
révèlent une contradiction dialectique, une « efficientes », « formelles ».
véritable impasse philosophique quant à la véritable
nature de l'espace (cosmique et géographique) et En résumé, l'on retiendra que ce courant
quant au sens de l'action humaine engagée dans les moniste à tendance matérialiste définit un espace
rapports spatiaux. Cette contradiction fut dépassée très proche d'une matière formée d'une substance
et partiellement résolue par Empédocle (env. 490- unique (élément ou atome) qui inclut l'esprit,
430 av. J-C). Celui-ci montra que Parménide et l'âme et les idées de l'homme, le logos. En
Heraclite ont à la fois tort et raison. Parménide a revanche, une incertitude demeure chez les
raison dans la mesure où rien ne se transforme de idéalistes ou spiritualistes quant à la fiabilité des sens
manière immédiate et magique. L'eau ne devient pour obtenir une juste représentation du monde et
pas spontanément de la terre ou de la végétation. de l'espace géographique. Ils préfèrent tenter de
En revanche, s'il se trompe en imaginant de telles l'expliquer par le seul exercice de la raison.
substitutions simplistes, Heraclite ne commet pas
d'erreur lorsqu'il prend le parti de faire confiance à Le monisme spiritualiste
nos sens. Ceux-ci disent vrai quand ils nous Cette doctrine plonge ses racines dans la pensée
dévoilent le spectacle d'une nature en perpétuelle déjà exposée de Parménide. Elle fut renouvelée
mutation. Selon Empédocle, « la continuité du par Plotin, un néoplatonicien du deuxième siècle
mouvement fournit l'élément de stabilité nécessaire pour avant notre ère (env. 205-170 av. J-C). Son
concevoir la substance de l'être ». Finalement, principe général consiste à considérer le monde et les
d'après Empédocle, toute l'erreur de Parménide et idées de manière unitaire, dans une même
d'Heraclite consiste à ne considérer l'existence que perspective de gouvernement de l'un et des autres par
d'une seule substance élémentaire, matrice de toute l'esprit. À ce propos, il convient d'observer que le soi-
chose. Il rejoint ainsi la tradition d'un Pythagore disant matérialisme de « l'Ecole de Milet »,
pour qui la nature dispose de quatre substances comme celui des Eléates, repose sur le concept de
élémentaires qu'il appelle des « racines » (la terre, YApeiron. Or tout en trouvant son assise dans la
l'air, le feu et l'eau). Leur combinaison permanente matérialité, ce « principe originel des êtres »
produit la nature dans sa constante variété. n'exclut nullement une dimension spirituelle. Ainsi,
l'eau de Thaïes, par exemple, recèle à la fois un
Anaxagore (500-428 av. J-C) alla encore plus caractère matériel et un caractère divin qui
loin, tout en restant dans une perspective moniste. l'assimile aussi au monde de l'esprit, du logos. Même si
D'après lui, la nature se compose de minuscules Plotin, influencé par les enseignements de Platon,
éléments invisibles à l'oeil, chacun contenant une considère comme distincts les idées (ordre de
fraction du tout. Sur cette base, Démocrite (env. l'âme) et les sens (ordre du corps) humains, sa
460-370 av. J-C) formulera un peu plus tard pensée procède néanmoins d'une « expérience de
l'hypothèse d'une constitution unique de la matière, de la totalité » en fonction de laquelle tout est un, car
l'espace et de l'âme à partir d'atomes invisibles, tout est Dieu. L'espace, bien entendu, n'échappe
particules élémentaires et universelles. pas à cette règle. Plotin fusionne la raison et les
sens dans une même expérience mystique.
Aristote (384-322 av. J-C), sans rejeter
véritablement les thèses dualistes de son maître Platon De nombreux siècles plus tard, avec la
(pour lui, en effet, « formes » et idées ne se Renaissance européenne (XVe-XVIe siècles),
confondent pas avec la matière), échafauda l'une l'humanisme empreint d'individualisme qui voit alors le
des théories de la matière et de l'espace les plus jour exalte un homme heureux de vivre son
élaborées de l'Antiquité. À ses yeux, la matière existence terrestre au contact d'une nature désormais
qui compose les objets sensibles situés dans ce gratifiante, riche de valeurs positives. En rupture
milieu homogène et indéfini que constitue l'espace avec un Moyen Âge qui reléguait la divinité et le
porte toujours en elle la possibilité d'atteindre une bonheur de l'homme aux incertitudes de l'au-delà,
certaine « forme ». Cette « forme » présente dans la Renaissance place Dieu au sein de la nature.
toutes les choses appartient à la catégorie des Infini et omniprésent, il confère un sens immédiat
« idées ». La « forme » ou « l'idée » contiennent la au monde et à ses espaces. Notons que trois ou
somme des qualités particulières, descriptibles, quatre siècles plus tard, le Romantisme (XVIIIe-
propres aux choses. « Idée », « forme », XIXe siècles) renouera avec cette conception de la

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nature et de ses espaces considérés comme un tout par l'environnement, la théorie cartésienne
autorisant néanmoins la libre expression d'un introduit une séparation excessive entre l'homme et son
« moi » divinisé. milieu. L'expérience nous montre en effet que
l'individu n'est pas indifférent à la matérialité du
Entre-temps, plusieurs thèses essentielles monde dans lequel il s'immerge; même si ce
avaient ouvert de nouvelles voies aux réflexions monde n'explique jamais complètement le sujet,
sur l'espace. Celle de Spinoza consacre les valeurs ses idées et ses comportements.
du monisme spiritualiste. Baruch Spinoza (1632-
1677) refuse de distinguer la pensée d'une part, la Après Descartes, pour qualifier l'espace l'on
matière et l'étendue (espace) de l'autre. Pour lui, il substitua la notion « d'éther » à celle de « matière
n'existe qu'une seule substance à l'origine de subtile ». Pourtant, la philosophie de Kant qui date
toute chose. En elle se mêlent la pensée, la du second XVIIIe siècle ne confine pas l'espace à
matière, la nature et Dieu. Cette substance infinie cet état de substance. Dans sa Géographie
existe a priori, préalablement à toute expérience, à physique (1757), Kant qui fut d'abord géographe écrit
toute perception humaine. Elle se conçoit dans que « l'espace géographique n'est pas de même
notre rapport à l'espace. Elle se révèle à nous à nature que l'espace mathématique qui est isotrope
cette occasion et, en même temps, elle nous révèle et isomorphe ». Il affirme que le premier « se
le monde dans ses formes sensibles. L'infinie divise en régions qui constituent le substrat de
variété de la nature (chaque pierre, chaque fleur, l'histoire des hommes » (cité par Scheibling,
chaque animal) résulte des modifications multiples 1994). Cependant, pour Kant, nous ne pouvons
de la substance. Spinoza appelle chacune de ces accéder à la connaissance de cet espace
formes un « modus », soit un mode particulier géographique qu'à la condition de jouir de la capacité
d'attribution de l'étendue (pour les choses) ou de mentale de concevoir et d'associer les objets dans
la pensée (pour les idées, les productions un univers à trois dimensions, de les instaurer de la
intellectuelles). En fait, le monisme de Spinoza s'élève, au sorte en dispositifs spatiaux dotés d'une lisibilité
milieu du XVIIe siècle, contre le dualisme et d'un sens. Il s'agit là de la véritable nature de
cartésien né quelques décennies plus tôt. l'espace kantien. La forme y précède en quelque
sorte la substance. Comme l'écrit Michel Lussault
Le dualisme rationaliste (1996), « cet espace a priori ne forme pas un
Bien avant Descartes, aux temps les plus contenant des choses matérielles mais une
brillants de l'Antiquité grecque, la pensée de condition cognitive de réception des phénomènes » par
Socrate (470-399 av. J-C), reprise et développée tout sujet. En fait, ce n'est pas dans sa géographie
par son élève Platon (427-347 av. J-C), mit physique très descriptive que Kant nous livre sa
l'accent sur l'irréductible séparation des idées et de la théorie de l'espace. Le savoir qu'il accumule sous
réalité : la seconde ne formant qu'un pâle reflet des la rubrique géographique ne compose qu'un «
premières, celui des ombres indistinctes et préliminaire au travail philosophique ». Il y présente
déformées se déplaçant sur le mur de la caverne. René le monde comme « site de l'homme [...], lieu de
Descartes (1596-1650) estime pour sa part que la l'engagement humain » (Lussault, 1996). En
nature de la réalité extérieure, celle du monde qui revanche, pour connaître nos conditions d'accès à
nous entoure et nous englobe, diffère de celle qui un tel espace, pour décrypter les modalités cogni-
caractérise la réalité de la pensée. D'après lui, tives de sa connaissance, il nous faut étudier
l'espace et la matière qui se confondent dans ce qu'il l'oeuvre du philosophe et non celle du géographe.
appelle « l'étendue » se distinguent
fondamentalement de la « pensée », domaine des idées, de la LA RÉVOLUTION KANTIENNE
raison et de l'âme. Il existe donc, selon Descartes,
deux formes différentes de réalité ou de substance, Vers la fin de sa vie, Emmanuel Kant enseignait
totalement indépendantes l'une de l'autre. Cette un dualisme complexe conférant à l'espace le statut
conception débouche sur la négation absolue de de « forme de tous les phénomènes » (Kant, 1781).
tout déterminisme de l'espace et de la matière (de D'après lui, « l'espace n'est pas un concept
« l'étendue » donc) par la pensée et par les idées empirique tiré d'expériences externes ». En effet,
(les valeurs idéologiques dirions-nous écrivait-il, « pour que certaines sensations puissent être
aujourd'hui). Inversement, sa thèse refuse toute rapportées à quelque chose extérieur à moi, et de
détermination de l'ordre de la pensée (idées, même, pour que je puisse me représenter les choses
représentations individuelles et collectives, moeurs) par celui comme en dehors et à côté les unes des autres, il
de « l'étendue », c'est-à-dire par la matérialité et faut que la représentation de l'espace soit posée
par la spatialité. En réfutant tout déterminisme déjà comme fondement. Par suite la représentation
physique ou social, tout conditionnement humain de l'espace ne peut pas être tirée par l'expérience

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des rapports des phénomènes extérieurs, mais Nombre de philosophes du XXe siècle, ceux qui
l'expérience extérieure n'est elle-même possible avant appartiennent en particulier au courant de la «
tout qu'au moyen de cette représentation ». Phénoménologie », partagent en grande part le point
de vue de Kant. Ainsi, Martin Heidegger (1889-
L'espace 1976) estimait que l'espace « détermine au
« forme pure de l'intuition sensible » préalable tout ce qui nous est empiriquement donné
Kant définit donc l'espace comme une « forme [...] », qu'il est « ce en quoi le divers peut être
pure de notre intuition sensible ». Dans cette ordonné ». Il ajoute que « l'espace est l'unique,
expression chacun des termes mérite une immédiatement représenté d'avance dans notre
explication. L'« intuition sensible » correspond au accueil de ce qui est rencontré, c'est l'ensemble
principe exclusif de la connaissance a priori du monde des dimensions de l' à-côté, de l' arrière et du
dans lequel nous vivons et nous évoluons; dessus, c'est-à-dire une manière dont nous
connaissance acquise par le truchement des sens. accueillons ce qui est rencontré, donc une
La « forme pure » constitue au contraire une détermination de notre sensibilité » (Heidegger, 1962). On
disposition mentale indépendante des sens, retrouve dans ce texte l'idée kantienne d'un
appartenant en propre et structurellement à l'esprit espace disposition mentale, forme et cadre de toute
humain. En effet, dans la théorie kantienne, perception par les sens.
l'espace comme le temps n'existent pas en dehors de
la conscience. Pour celle-ci, ce sont des éléments Contemporain de Kant bien que sensiblement
constitutifs, des « structures intuitives » qui ne plus jeune, Hegel conçoit également le temps et
relèvent en aucun cas du monde. Nantie de ces l'espace comme de pures idées, des abstractions, « des
deux sortes de lunettes (l'espace et le temps), de catégories philosophiques qui fondent l'unité de la
ces outils indispensables à la perception, la connaissance » (Scheibling, 1994). L'espace-idée
conscience détermine notre conception du monde. devient une sorte de continuum, une étendue à
Elle donne forme à tout ce qui est observé et perçu. l'intérieur de laquelle s'inscrivent des espaces
particuliers, régionaux, tout à fait susceptibles de faire
Cette aptitude a priori ou innée correspond à l'objet d'une connaissance concrète, d'une géographie.
une représentation très abstraite de l'espace, à une
sorte de conscience instinctive des distances et des Critique et intérêt de la thèse kantienne
volumes, à la conviction intime, pour tout Des psychologues contemporains comme Jean
individu, de l'existence d'un espace comportant trois Piaget (1896-1980), des sociologues, des
dimensions, centré sur lui en tant que sujet de la spécialistes de l'histoire de la pensée scientifique ont
perception. Descartes l'avait sans doute compris montré qu'il convient d'être prudent lorsqu'on
antérieurement à Kant lorsqu'il écrivait : « l'idée considère l'espace comme une forme a priori et
que nous avons de la matière est comprise en celle immuable de toute perception et de toute
que nous avons de l'espace, à savoir que c'est une représentation du monde sensible. La psychologie de
chose qui est longue, large et profonde ». Piaget aboutit même à la conclusion que l'espace, y
compris le plus élémentaire, celui des trois
Un dualisme espace-matière dimensions de la géométrie euclidienne, ne figure pas de
Dans ces conditions, l'espace (comme le temps) manière innée dans l'esprit du jeune enfant. Piaget
se dissocie de la matière ; Kant ne le considère plus a prouvé que l'installation dans la conscience
comme une substance (matière sensible ou éther). humaine de la forme spatiale euclidienne, en tant
On peut parler d'un dualisme espace/matière. que principe perceptif, résulte d'un processus
L'espace devient à la fois représentation et d'apprentissage qui se déroule en trois étapes
propriété de la conscience dont il fait partie. Ainsi se durant les premières années de la vie. D'abord l'on
définit un dualisme complexe, original. Aux se représente des « groupements » de choses qui
phénomènes extérieurs que l'on ne peut connaître que façonnent les « rapports topologiques
par l'expérience, Kant oppose les caractéristiques élémentaires » en procédant de proche en proche, sans
de la raison humaine, soit l'aptitude à concevoir système de référence particulier. La coordination
chaque événement dans l'espace et dans le temps, mentale de ces données topologiques
l'aptitude à le situer aussi dans un rapport de cause fragmentaires n'intervient que dans un deuxième temps.
à effet. Il s'agit de la forme de la connaissance. Si Elle engendre des « relations d'ensemble », ou
un tel espace « idéel » et transcendantal est un, s'il « relations projectives élémentaires » qui
comprend toute chose, il n'exclut pas une « réalité correspondent à une construction beaucoup plus
empirique », de caractère régional, à laquelle le complexe faisant intervenir différents effets de
géographe Kant accorde aussi un grand intérêt. contexte, sociaux et culturels. « L'espace euclidien

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proprement dit » ne s'acquiert qu'à l'occasion formes de la perception. C'est la pratique qui rend
d'une troisième étape. Il donne le moyen d'établir opératoire, selon Kant, un principe inné de lecture
des relations de similitude entre les choses, entre spatiale des objets et de leurs agencements. Les
les objets de la perception (Piaget, Inhalder, 1948). récents travaux de neuro-biologistes vont dans ce
sens. Ils montrent que chez l'homme l'objet même
En effet, les conditions de vie, les pratiques de l'éducation est programmé. Qu'il n'apprend
spatiales et les représentations qui leur sont associées, pas n'importe quoi, à n'importe quel moment de
forgent des images sociales originales de l'univers. son existence, avec la même aisance. L'éducation
À ce sujet, Paul Claval (1995) évoque la manière se moule dans un cadre préétabli. Elle se coule
très particulière dont les pêcheurs amérindiens dans une structure innée, prête à la recevoir et
Yurok, vivant en Californie du Nord le long de la conçue selon une logique neuronale (Changeux,
rivière Klamath, se représentent l'espace. Installés 1983). Pourtant, ces capacités resteraient lettre
dans une vallée étroite et boisée, ils pensent que le morte si elles n'étaient pas exploitées dans le cadre
monde, de forme tubulaire, se dispose en auréoles d'un processus social de formation.
successives à partir d'un axe central épousant le
cours de la rivière. C'est à partir du XIXe siècle Kant et la question du déterminisme
que le développement des recherches en
ethnologie et en sociologie fournit la preuve que les En associant de façon étroite et génétique le
représentations de l'espace varient d'un bout à l'autre couple espace/conscience, la pensée de Kant
de la terre, d'une société à l'autre, d'une culture à comporte le risque d'engager la géographie dans la
l'autre. Ainsi, pour le sociologue Emile Durkheim voie du déterminisme. Elle emprisonne l'action et
(1912), « l'espace n'est pas ce milieu vague et les représentations sociales dans un espace conçu
indéterminé qu'avait imaginé Kant ». D'après lui, comme le cadre structurant de la sensibilité (soit
l'organisation sociale sert de modèle à l'exercice des sens humains). Mais de quoi
l'organisation spatiale; celle-ci n'étant qu'« un décalque de parle-ton quand on fait référence à l'espace kantien? Si
la première ». l'on s'en tient à la forme générale et abstraite de
notre réception du monde, cette conception ne
Que peut-on répondre à cette série d'objections ? porte pas le risque de déterminer la vie et les actes
En premier lieu, il faut bien voir que l'espace de l'homme sur la terre, de manière grossière, par
kantien ne concerne que la forme a priori, parfaitement des facteurs environnementaux. En revanche, en
abstraite, de toute perception humaine. Dès lors, la élargissant l'espace de Kant à la nature, aux
critique de Durkheim tombe d'elle-même. On peut montagnes et aux collines qui donnent les volumes
en effet admettre que tout individu acquiert la terrestres, aux rivières, aux fronts de côtes et de
capacité a priori (même si elle n'est pas véritablement plateaux qui en tracent les lignes directrices, on
innée) de se représenter les distances qui séparent tombe dans le travers d'un déterminisme simpliste.
son corps de toute chose. Même si certaines
sociétés australiennes ou nord-américaines, à la De façon plus générale, toutes les théories
différence des Européens d'aujourd'hui, conçoivent (monistes ou dualistes) qui agrègent l'espace
l'espace « sous la forme d'un cercle immense, parce (indépendant ou non de la matière) à la conscience, à
que leur camp a lui-même une forme circulaire » Dieu, à l'esprit, courent le risque d'une dérive
(Durkheim, 1912), cela n'empêche nullement les déterministe; mais uniquement si elles
chasseurs aborigènes d'accéder spontanément à la entretiennent la confusion entre l'espace forme de la
notion de distance lorsqu'ils se lancent à la conscience et l'espace concret de la géographie. En
poursuite d'un gibier, ou de concevoir l'idée de hauteur, revanche, les théories dualistes, exemptes de ce
de longueur et de largeur lorsqu'ils édifient un abri. danger, comportent celui d'une lecture totalement
positiviste des phénomènes géographiques. Elles
Quant à l'objection fondée sur les découvertes ne nous inclinent pas à poser comme postulat que
de Piaget, nous avons vu qu'elle s'appuie sur ceux-ci forment d'abord les objets de notre
l'argument de l'existence chez l'être humain d'un conscience, tendue intentionnellement vers eux.
processus génétique de prise de conscience de
l'espace. Kant n'envisageait pas les choses Entre l'espace (kantien) forme de toute
autrement. À ses yeux, la raison et son aptitude à sensibilité et l'espace (durkheimien) produit par les
accueillir les choses dans leur dimension spatiale représentations et par l'action des hommes, l'on
ne se développent chez l'enfant qu'à partir du proposera la fiction (figure 1) d'une sorte d'espace
moment où celui-ci évolue dans un champ intermédiaire où régnent les lois de la nature et sur
d'expériences suffisamment riche. Privée de lequel les sociétés impriment leur action selon des
confrontation avec le réel, la raison ne saurait éprouver les formes qui respectent leurs propres lois. C'est l'es-

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De l'espace aux territoires Générale

pace/milieu des rapports écologiques de l'homme. L'espace en tant que production sociale ne traduit
Il obéit aux cycles de l'énergie, de l'eau, de jamais un déterminisme du milieu. Peut-être reflète-
l'érosion, à l'assimilation chloroçhylienne, aux lois t-il un certain « possibilisme » ? Soit le résultat d'un
thermiques et gravitaires, etc. A la différence de la choix opéré par une société donnée entre plusieurs
forme spatiale de notre perception, cet espace des options d'aménagement de son environnement, en
rapports écologiques de l'homme se transforme, se regard des conditions culturelles, économiques et
module en fonction des schemes culturels, des techniques qui la caractérisent. Encore convient-il
pratiques économiques et du niveau technique des d'être prudent quand on parle de choix. En effet, une
sociétés qui l'occupent. À ce titre il constitue déjà société localisée ne décide pas, à un moment
une anticipation de l'espace produit social. quelconque de son histoire, de s'engager dans telle ou
Cependant, loin de se confondre avec une matière telle voie de développement socio-économique. La
totalement malléable, cet espace dresse souvent un double construction conjointe de l'économie et de
obstacle aux entreprises humaines. Il devient alors l'espace social résulte d'une lente accumulation de
conjointement ressource et contrainte pour les concours de circonstances, plus ou moins aléatoires,
sociétés qui l'aménagent et lui confèrent ce statut complémentaires ou contradictoires. Au cours d'une
par leur propre action. longue durée sujette à de fiévreuses accélérations, la
combinaison de facteurs idéologiques et culturels,
La confusion entre l'espace « forme pure » de la d'événements politiques, d'effets géographiques et
perception et l'espace substance physique, de rapports sociaux variés forge progressivement un
amalgame dont Kant ne porte nullement la système social, économique et spatial dont
responsabilité, constitue sans doute l'une des sources l'efficacité assure la plus ou moins longue pérennité. G.
majeures (d'origine kantienne tout de même) du Bertrand (1975) a montré de quelle façon, à l'échelle
historique, le milieu soi-disant naturel des
déterminisme géographique. campagnes françaises a profondément changé sous le
double effet des lois de la nature et de la société.
ESPACES PRODUITS, PERÇUS,
REPRÉSENTÉS, VÉCUS, SOCIAUX... La plupart du temps les sociétés s'inscrivent
assez librement dans l'espace. Elles le modèlent,
Ces catégories concernent toujours l'espace le signifient, se le représentent en fonction de leurs
géographique. Il s'agit simplement de modalités croyances.
différentes de sa prise en compte scientifique :
modalité de l'action pour l'espace produit par les L'espace perçu et l'espace représenté
sociétés, modalité de la connaissance ou de la
cognition pour l'espace perçu et représenté, Si l'on veut bien revenir aux formulations des
modalité de l'existence humaine pour l'espace vécu. phénoménologues, il n'existe pas d'espace
Bien entendu, chacune de ces manières de géographique en dehors de la conscience. Cependant,
concevoir l'espace géographique ne pourrait l'espace représenté ne reflète pas les seules
s'imaginer sans la forme espace qui organise et caractéristiques mentales de l'esprit humain où il se
forme. Il « se charge de valeurs. Il porte la marque
structure toute perception humaine de l'extériorité,
ou sans l'inévitable rencontre des rugosités de des codes culturels, des idéologies » (Gilbert,
1986) propres aux groupes sociaux auxquels
l'espace physique. appartiennent les sujets dans la conscience
desquels il surgit.
L'espace produit
Par espace produit (sous-entendu de l'action Le concept d'espace représenté s'avère d'une
sociale), il faut entendre les paysages, les remarquable fécondité pour la réflexion
territoires (au sens de la localité, de la région, de la géographique. En effet, dans la mesure où il se construit
nation, etc.), les voies de communication terrestres en intégrant le patrimoine idéologique (individuel
construites ou les voies d'eau endiguées, et collectif) des individus qui le fabriquent, l'on
canalisées. Ce sont aussi les champs, les bureaux et les comprend mieux les interprétations différentes,
usines, les ports, les lignes (bien qu'immatérielles) parfois divergentes2, des phénomènes et des
maritimes ou aériennes. La forêt, la montagne, rapports spatiaux étudiés par les sciences sociales. Il
tous les lieux réputés naturels, mais conservés et nous écarte de la tentation d'objectiver, de
entretenus, ou simplement mythiques, font qualifier sans nuance et sans précaution la réalité
également partie de cette catégorie. Il s'agit tantôt de géographique.
réalités très concrètes et très tangibles, tantôt de 2. En fonction des individus, y compris lorsqu'ils appartiennent à un même
représentations immatérielles. groupe et à un même milieu.

L'information géographique 105


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Générale De l'espace aux territoires

L'espace de vie et l'espace vécu mont (1984), trois dimensions emboîtées : «


On note une incontestable relation entre les deux l'ensemble des lieux fréquentés par l'individu », c'est-
notions d'espace de vie et d'espace vécu. Ce lien à-dire l'espace de vie; « les interrelations sociales
traduit le passage de la pratique concrète de qui s'y nouent » (l'espace social); « les valeurs
l'espace terrestre à sa représentation et à son psychologiques qui y sont projetées et perçues »...
imaginaire pour les individus qui le vivent au quotidien. Mais aussi l'imaginaire spatial, psychologique,
poétique, social et culturel, que nourrissent pour
L'espace de vie (Frémont, Chevalier, Hérin, chacun de nous les noms de pays et de lieux, sans
Renard, 1984) se confond pour chaque individu rapport obligé avec leur pratique réelle. Dans ces
avec l'aire de ses pratiques spatiales. Il correspond conditions, pour éviter que l'espace vécu ne
à l'espace fréquenté et parcouru par chacun avec un s'abîme dans le gouffre stérile du psychologisme,
minimum de régularité. Espace d'usage, il se qu'un individualisme méthodologique rejetant
compose de lieux attractifs, de synapses, de noeuds toute détermination sociale ne s'impose comme le
autour desquels se cristallise l'existence seul et ultime recours pour le cerner, nous avons
individuelle : le logis, le cadre de travail, les espaces de proposé l'outil conceptuel de la « métastructure
loisir, de promenade, de rencontre. Entre eux se spatiale » (Di Méo, 1991). Il s'agit dans notre
dessinent des couloirs de circulation, ces « non-lieux » esprit de l'ensemble des structures, souples et
(terme quelque peu contestable) de Marc Auge labiles, tant sociales que spatiales, qui rattachent
(1994) : routes et autoroutes, lignes de métro, gares, chaque individu à son milieu territorial. Au-delà de
etc. L'espace de vie rend compte d'une expérience chacune de ces structures, le concept de
concrète des lieux, indispensable à la construction métastructure indique qu'il existe un système régulateur,
du rapport qui se tisse entre la société et son espace d'origine sociale ou socio-territoriale, mais aussi
(Ley, 1983). Cependant, l'espace de vie en tant psychologique, forgeant pour chacun l'unité de
qu'étendue où se déplacent les hommes n'échappe son espace vécu. L'espace vécu ou la
pas aux représentations qu'ils s'en font. Il ne revêt métastructure spatiale individuelle nous mettent
de sens qu'en relation avec les dites représentations. incontestablement sur le chemin de la territorialité. Avant de
Déformé de la sorte, imprégné par la psyché et par la définir, attardons-nous sur la manière dont
son information sociale, il devient véritablement un l'espace de vie s'enrichit des rapports et des échanges
espace vécu (Gilbert, 1986). Dès lors, il reconstruit sociaux pour engendrer l'espace social.
l'espace concret des habitudes et le dépasse au gré
des images, des idées, des souvenirs et des rêves, L'espace social
des normes aussi qui habitent chacun. Marcel Le concept d'espace social est conjointement
Proust, dans À la recherche du temps perdu, utilisé par les géographes, les sociologues et les
explique de quelle façon « les noms de pays » anthropologues. Cependant, sous une même
évoquent spontanément des images, même pour celui dénomination, ils ne lui donnent pas tous une
qui n'a jamais fréquenté les lieux qu'ils désignent. signification similaire.
Ainsi, confie-t-il, « quand je pensais à Florence,
c'était comme à une ville miraculeusement Pour les géographes, l'espace social correspond
embaumée et semblable à une corolle, parce qu'elle à l'imbrication des lieux et des rapports sociaux,
s'appelait la cité des lys et sa cathédrale, ce que Frémont (1984) appelle « l'ensemble des
Sainte-Marie-des Fleurs » {Du côté de chez Swann, interrelations sociales spatialisées ». S'il lui
III). Par le truchement de l'imaginaire, Florence et manque la dimension psychologique et
Venise qu'il ne connaît que par ses lectures imaginative de l'espace vécu, il revêt en revanche
rejoignent, dans l'espace vécu du jeune Proust, Paris, beaucoup plus de signification sociale et collective. De
Combray et Balbec, un espace de vie que ne manière concrète, il peut s'agir soit d'une étendue
manquent pas de transfigurer, non plus, ses compacte et continue, soit d'éléments, d'aires
représentations. Si la psychologie propre au narrateur dispersées, organisées ou non en réseau.
imprègne celles-ci, sa culture et sa position sociale Chez les sociologues et chez les
contribuent aussi à les forger. Fils d'ouvrier anthropologues, deux conceptions différentes de l'espace
parisien, Proust n'imaginerait pas le printemps à social se distinguent. La plupart des sociologues
Florence couvrant « de lys et d'anémones les champs n'attribuent dans leurs explications des
de Fiesole et éblouissant (la cité) de fonds d'or phénomènes sociaux qu'un rôle modeste au concept
pareils à ceux de l' Angelico »... Imaginerait-il d'espace social. C'est en particulier la tradition de
seulement Florence ? la « morphologie sociale » développée en France,
au début de ce siècle, par Emile Durkheim et par
Ainsi l'espace vécu se profile comme un espace Marcel Mauss. Dans sa célèbre étude de la
global et total dont on peut définir, avec A. Morphologie sociale des Eskimos, Mauss démontre

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De l'espace aux territoires Générale

que les comportements sociaux ne dépendent pas du sujet vivant et des objets de sa conscience,
des espaces dans lesquels ils se déroulent, mais des ouvrent largement les voies du territoire, des
formes d'organisation de la société qui les territoires.
engendrent. En revanche, à l'image de Georges Condo-
minas (1980), d'autres anthropologues et CONCLUSION :
sociologues ont une conception plus exigeante de QU'EST-CE QUE LE TERRITOIRE?
l'espace social. Ils l'utilisent aussi comme l'un des On retiendra deux éléments constitutifs majeurs
facteurs explicatifs des phénomènes de société du concept territorial, sa composante espace social
qu'ils étudient. Condominas le considère comme et sa composante espace vécu. Nous avons vu que
l'articulation centrale, le pivot des grands l'espace social qualifie des lieux de la biosphère
systèmes de relations propres à chaque groupe tissés par l'entrelacs des rapports sociaux et
localisé ; à savoir les systèmes écologique, spatiaux caractéristiques des groupes humains qui les
économique, religieux et politique. Il montre que la occupent, les produisent ou simplement les
conception du monde de chaque société, l'espace convoitent. Il s'agit donc de l'identification d'une
de ses mythes en particulier, s'inscrit dans son nouvelle fibre à la fois spatiale du social et sociale
espace social. du spatial, décryptée par le moyen d'une démarche
positiviste, objectivant des rapports dûment
En fait, les relations homme/espace ne se répertoriés et analysés par le chercheur, géographe ou
circonscrivent pas aux limites d'une quelconque anthropologue. Le concept d'espace vécu exprime
étendue, au périmètre d'une aire ou d'une surface. au contraire le rapport existentiel, forcément
Elles s'inscrivent dans les structures les plus subjectif, que l'individu socialisé établit avec la terre.
profondes de la société, au plus secret de son Il s'imprègne de valeurs culturelles reflétant pour
organisation. De plus, les rapports spatiaux épousent un chacun l'appartenance à un groupe localisé. Sa
espace social vécu à sa manière par chaque connaissance passe par l'écoute des acteurs, par la
individu. De la sorte, deux approches de l'espace prise en compte de leurs pratiques, de leurs
géographique se réconcilient : celle de la géographie représentations et de leurs imaginaires spatiaux.
humaniste qui privilégie les rapports "de Sur le socle que dresse la réalité
signification entre l'homme, ses groupes sociaux et les socio-culturelle, le territoire témoigne d'une appropriation à
lieux ; celle de la géographie sociale qui considère la fois économique, idéologique et politique
surtout les relations spatiales d'une société à partir (sociale donc) de l'espace par des groupes qui se
des transactions objectives qu'elle produit. Ce donnent une représentation particulière d'eux-
rapprochement des ordres de l'objet et du sujet trouve mêmes, de leur histoire, de leur singularité. On
un support théorique dans la pensée de Jiirgen peut reprendre ici la célèbre formule de Claude
Habermas. L'auteur de L'agir communicationnel Raffestin : « le territoire est une réordination de
(1987) conçoit en effet une totalité socio-spatiale l'espace [. . .] Il peut être considéré comme de
riche de trois composantes confondues : le l'espace informé par la sémiosphère », c'est-à-dire par
« monde objectif » à dominante d'éléments l'ensemble des signes culturels qui caractérisent
concrets et matériels définissant des « entités sur une société. Pour C. Raffestin, cette « sémiotisa-
lesquelles des énoncés vrais sont possibles » ; le tion de l'espace » ou, si l'on veut, ces «
« monde social », c'est-à-dire « l'ensemble des arrangements territoriaux » qui naissent des articulations
relations interpersonnelles fondées sur des règles et des combinaisons de signes à différentes
légitimes » dans lequel l'on retrouve trait pour trait échelles, constituent ce qu'il appelle le processus
le concept d'espace social ; le « monde subjectif » « d'écogénèse territoriale » (Raffestin, 1986).
formé des événements vécus. Celui-ci ressemble
fort à l'espace représenté et vécu. Le principe d'un Ceci dit, le concept de territoire qui réunit les
agencement, voire de la consubstantialité de ces deux notions d'espace social et d'espace vécu leur
trois registres nous paraît essentiel. Il renforce adjoint aussi, à notre sens, quatre significations
notre conviction quant à la fusion dialectique des supplémentaires. Primo, il décrit en se fondant sur
mondes concrets, matériels, et des représentations les données (spatiales) de la géographie l'insertion
qu'ils induisent, mais aussi des valeurs plus de chaque sujet dans un groupe, voire dans
globales qui les gouvernent à la surface de la terre, au plusieurs groupes sociaux de référence. Au bout de
sein d'ensembles socio-spatiaux singuliers et repé- ces parcours, au terme de ces trajectoires
rables, identifiables. personnelles se construit l'appartenance, l'identité
collective. Cette expérience concrète de l'espace
Les trois concepts d'espaces représenté, social social conditionne aussi notre rapport aux autres,
et vécu, eux-mêmes engendrés par la rencontre de notre altérité. Elle la médiatise. Secundo, le
la forme spatiale et de l'espace produit, par celle territoire traduit un mode de découpage et de contrôle

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Générale De l'espace aux territoires

de l'espace garantissant la spécificité et la à épouser toutes les combinaisons spatiales que


permanence, la reproduction des groupes humains qui le tissent les collectivités humaines dans les limites
construisent. C'est sa dimension politique. Elle de l'étendue terrestre.
illustre la nature intentionnelle, le caractère
volontariste de sa création. Matériellement aménagé, au Une autre manière de définir le territoire, c'est
fil du temps, par les sociétés qui l'ont de le comparer à un terme voisin, celui de lieu,
successivement investi, il constitue en troisième lieu (tertio) « the place » de la littérature géographique anglo-
un remarquable champ symbolique dont certains saxonne (Tuan, 1977 ; Sack, 1988 ; Entrikin, 1991 ;
éléments, instaurés en valeurs patrimoniales, Berdoulay, 1988). Michel Lussault (1996)
contribuent à fonder ou à raffermir le sentiment remarque fort justement que « le lieu constitue la
d'identité collective des hommes qui l'occupent. plus petite unité spatiale complexe ». Les lieux les
Comme le remarquait Halbwachs, parce que le plus remarquables et les plus prégnants, ceux dont
territoire appartient à l'ordre des représentations l'individuation, dont l'identification pose le moins
sociales, il se manifeste « dans des formes de problème s'embrassent du regard. Leur unité se
matérielles, de nature souvent symbolique ou détecte d'un seul coup d'oeil. Ce sont des formes
emblématique » (1925). La territorialité symbolique de grande échelle, étroitement circonscrites. C'est
revêt une importance sociale encore plus grande si que le lieu, à la différence du territoire, abolit la
l'on admet, toujours avec Halbwachs, que « tout se distance. Sa réalité sensible et palpable (« limite
passe comme si la pensée d'un groupe ne pouvait configurante » de Lussault) surgit partiellement de
naître, survivre, et devenir consciente d'elle-même sa clôture. Alors que le territoire géographique
sans s'appuyer sur certaines formes visibles de répugne au bornage, le lieu en tire une bonne part
l'espace ». Sur de telles bases symboliques, le de sa substance. Il « forme dorîc un ensemble
territoire identitaire devient un puissant outil de discret -au sens des mathématiques- et aisément dis-
mobilisation sociale. D. Retaillé se demande à ce crétisable, qui s'affirme en tant qu'entité dans
propos si le territoire, par sa double fonction cette discrétisation » (Lussault, 1996). Le lieu se
politique et symbolique, par les effets de solidarité définit avant tout par sa brève continuité, par la
qu'il suscite, n'est pas au bout du compte « une contiguïté des points et des tissus qui le
forme spatiale de la société qui permet de réduire composent, par le principe de co-présence d'êtres et de
les distances à l'intérieur et d'établir une distance choses porteurs d'un sens spatial particulier. Pour
infinie avec l'extérieur, par-delà les frontières? » D. Retaillé, « c'est une idée essentiellement
(Retaillé, 1997). En quatrième lieu (quarto), géographique, celle d'un milieu doué d'une puissance
l'importance du temps long, de l'histoire en matière de capable de grouper et maintenir ensemble des êtres
construction symbolique des territoires retient hétérogènes en cohabitation et corrélation
l'attention de la plupart des auteurs. réciproque ». Le lieu vérifie ainsi la « métrique
topographique » chère à Jacques Lévy (1994), avec ses
Ainsi défini, le territoire multidimensionnel caractères de congruence, d'exhaustivité et de
participe de trois ordres distincts. Il s'inscrit en continuité. On pénètre dans un lieu, on y entre et
premier lieu dans l'ordre de la matérialité, de la on en sort, on y passe et on le visite. S'il se
réalité concrète de cette terre d'où le terme tire son distingue du territoire sur ces plans, il le rejoint en
origine. À ce titre, il convient de considérer la tant qu'espace qualifié par la société, en tant
réalité géographique du monde, la manière dont la qu'espace porteur d'un sens social extérieur au
biosphère enregistre l'action humaine et se sujet. Parmi ces lieux, espaces restreints de
transforme par ses effets. Il relève en deuxième lieu de pratiques et de représentations dotés d'une portée
la psyché individuelle. Sur ce plan, la territorialité sociale, chargés de valeurs communes, Michel
s'identifie pour partie à un rapport a priori, Lussault distingue deux catégories hiérarchisées.
émotionnel et présocial de l'homme à la terre. Il Les « hauts-lieux », à l'image de la rue et de la
participe en troisième lieu de l'ordre des place publique, du monument « lieu de mémoire »,
représentations collectives, sociales et culturelles. Elles lui du marché et du centre commercial gorgés de sens
confèrent tout son sens et se régénèrent, en retour, collectif, recèlent une profonde signification
au contact de l'univers symbolique dont il fournit collective. Ils jouent le rôle d'emblèmes pour le
l'assise référentielle. Ajoutons que le territoire, par compte des groupes sociaux qui les créent et en
nature multiscalaire, se repère à différentes font usage. Les lieux domestiques (appartements,
échelles de l'espace géographique : du champ de maisons, pièces, jardins) de caractère personnel,
la localité à l'aire de l'Etat-nation, ou à celle des appartenant à la sphère individuelle ou strictement
entités plurinationales. Sans compter que loin de familiale, au domaine privé des acteurs sociaux,
se clore comme son homologue politique, le constituent pour leur part un ensemble plus
territoire de la géographie reste résolument ouvert, prêt ordinaire. Le territoire regroupe et associe des lieux. Il

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Fusion de ces deux espaces


source du déterminisme physique

(Monisme) B) (C]
(axe des catégories et concepts spatiaux)

Dualisme
Espace kantien S paration logos/ tendue Espace durkheimien
forme pure, a priori (Descartes)
de l'intuition sensible

Échappe au déterminisme, produit des représentations


mais crée l'objectivation positiviste et de l'action sociales
Espace euclidien
élémentaire Espace social
Espace interm diaire au sens de la sociologie
régi par les lois physiques
de la nature
Structure génétique espace/milieu
activée, révélée des rapports écologiques
par la pratique, de l'homme
l'expérience
1

en
des
dufonction
transformable,
niveau
pratiques
technique
dessocio-économiques,
schémas
modulable
des culturels,
sociétés
Point de départ
de l'espace existentiel
(être au monde), de
l'espace v eu 1

Ressource
par les qui
représentations
de
par
Nature
etlui
l'espace
leur
contrainte
confèrent
propre
et produit
anticipation
qu'elles
pour
ce statut
action,
social
less'en
sociétés
font

Espace classique de la g ographie

Espace social au sens g o-anthropologique


articulation des grands systèmes de relations
propres à chaque groupe localisé :
systèmes écologique, économique, religieux, politique
entrelacs des rapports sociaux et spatiaux

TERRITOIRE

L'information géographique 109


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Documentation
Générale De l'espace aux territoires

leur confère un sens collectif plus affirmé que vécu et ressenti plus que visuellement repéré et
celui qui découle de leur seule pratique. Ce sens, circonscrit (lorqu'il n'est pas d'essence
c'est en quelque sorte celui de Vhétérotopie, strictement politique), englobe des lieux qui se
définie naguère par Michel Foucault (1961, 1975) singularisent principalement, à sa différence, par leur
comme l'organisation globale de lieux trouvant valeur d'usage, par leur saisissante réalité.
leur véritable signification sociale du fait de leur Entre l'espace exprimant l'unité initiale du
agencement stratégique et politique que traduisent monde et les territoires traduisant sa diversité
les discours. Dans ces conditions, territorialiser un humaine et sociale, on peut esquisser une axioma-
espace consiste, pour une société, à y multiplier les tique des concepts fondamentaux de la
lieux, à les installer en réseaux à la fois concrets et géographie. La figure illustrant ce texte s'efforce de la
symboliques. Entre lieu et territoire, la différence résumer.
tient le plus souvent à l'échelle et à la lisibilité
géographique. Le territoire souvent abstrait, idéel,

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