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Ce qu’il faut donc retenir, c’est que pour Bakounine (et pour les
anarchistes en général), le projet politique est celui d’une société
libre et égalitaire, c’est-à-dire une société dans laquelle aucun
groupe d’individus n’est en position d’asservir qui que ce soit à sa
volonté et à ses intérêts.
Maintenant que toutes ces distinctions ont été faites, il va falloir
qu’on parle de Dieu. Alors là, on pourrait se demander ce que ça a
à voir… Eh bien, ce que ça a à voir, c’est que pour Bakounine, Dieu
est l’archétype ultime de l’autorité et que pour lui, il y a un
continuum. Il y a même un lien de causalité entre la soumission
des travailleurs à l’État capitaliste et la soumission des travailleurs
à Dieu. Pour Bakounine, Dieu n’est pas simplement un objet de
croyance, Dieu c’est la matrice originelle de la domination,
l’organe suprême de la domination, l’autorité qui rend possible
toutes les autres autorités et la thèse de Bakounine, c’est que tant
que subsistera la croyance en Dieu, l’émancipation des
travailleurs n’aura pas lieu. En d’autres termes, ce qu’on va tenter
de comprendre ici, c’est pourquoi, selon Bakounine, la croyance
en Dieu empêche toute révolution.
On retrouve cela chez Platon (la théorie des essences, des formes
intelligibles). Pour Platon, la matière est quelque chose d’inerte et
d’indifférencié et il faut qu’un principe spirituel investisse la
matière pour lui donner une forme. Autrement dit, pour Platon,
un objet matériel, c’est la concrétisation définie d’une idée.
Bakounine a été très influencé par Engel, puis par Marx. Le point
commun entre Marx et Engel étant la dialectique. La dialectique,
c’est l’idée selon laquelle les choses passent par des étapes et que
chaque nouvelle étape est une négation de la précédente. Dans
une vision dialectique de l’Histoire, on ne dit pas qu’un
événement est bon ou mauvais, on ne dit pas qu’une croyance est
vraie ou fausse, on dit qu’elle était historiquement nécessaire,
qu’il fallait passer par là, parce que c’est comme ça que le monde
fonctionne, par étapes successives et par autosuppression. Le
jardinier ne condamne pas le bourgeon au nom du fait qu’il
préfère la fleur, il sait que le bourgeon est une étape nécessaire
du développement de la fleur et la floraison, d’un point de vue
dialectique, ce sera la négation du bourgeon, comme le papillon
est la négation de la chenille : on n’arrive pas au papillon sans être
passé par la chenille, on n’arrive pas à la dernière étape avant
d’avoir parcouru toutes les étapes qui précèdent.
Répétons ce qui a été dit plus haut : si Dieu est tout, l’homme
n’est rien, puisqu’il ne peut rien y avoir en dehors du tout. De la
même façon, si l’État est tout, l’homme n’est rien, face à un idéal.
L’homme s’efface, il devient néant. La mécanique de la
soumission, c’est la mécanique de la néantisation. Non pas au
sens où Sartre disait que l’homme était néant, puisque pour
Sartre, être néant signifiait être absolument libre. Non, là, on
parle de néant au sens d’absence de valeur, d’absence de dignité,
au sens de déshumanisation.