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Jean Paul Sartre, philosophe et écrivain français du XXe siècle est connu

comme le fondateur de l’existentialisme athée, un courant philosophique


qui place au premier plan la notion de liberté. Pour lui, l’être humain se
définit par sa liberté. Pour comprendre la conception de l’amour que
développe Sartre, il faut garder à l’esprit que la notion de liberté est
centrale dans sa réflexion sur l’amour. Pour Sartre, poser la question de
l’amour, c’est poser la question du rapport qu’on entretient avec la liberté
de l’autre, poser la question de ce que nous exigeons de l’être aimé et de
ce que nous faisons de lui lorsque nous l’aimons.

Sartre a mis en application dans sa vie personnelle les conclusions


philosophiques de sa réflexion sur l’amour: Sartre et Simone de Beauvoir
étaient en relation libre. Définition: avoir des relations sexuelles ET
amoureuses avec d’autres. Le modèle conjugal de Sartre et de Beauvoir
était celui de la liberté sexuelle et sentimentale. Seule condition à respecter
dans ce pacte: dire toute la vérité. Ne rien s’interdire, mais ne rien se
cacher. C’était une façon de vivre leurs aventures sans les contraintes,
obligations et interdits sociaux. Les interdits sociaux qui, selon la pensée
existentialiste, restreignent notre liberté en nous enfermant dans des rôles.

Sur papier, c’est génial: la liberté et la sincérité. Dans les faits, c’est un peu
plus compliqué… Sartre a profité du pacte beaucoup plus que de Beauvoir
car celle-ci ne s’épanouissait pas dans ce schéma conjugal et elle fit part de
sa gêne auprès de lui en lui demandant l’exclusivité, ce à quoi il répondit:
``vous êtes donc une bourgeoise’’ (car seuls les bourgeois se plient aux
interdits sociaux). On a gardé du couple Sartre/de Beauvoir une image d’un
couple soudé par la liberté, anti conformiste, uni par la loyauté et la
transparence, mais la réalité était beaucoup moins idyllique. Leur pacte n’a
pas tenu. Les mensonges sur leurs amours parallèles ont commencé à
s’accumuler, la jalousie s’est invitée à la table et paradoxalement, S et de B
se sont trouvés en situation d’infidélité au sens moral, alors que leur
entente était censée les en prémunir. En conclusion: amertume et idéal
contrarié. Le couple ayant échoué à incarner dans leur vie, leur aspiration
philosophique commune à la liberté.
Question: qu’est-ce qui, dans l’expérience ordinaire de l’amour comme
nous le vivons tous, va à l’encontre de l’idéal philosophique sartrien, voire
l’idéal de la liberté?

Réponse: ‘’L’amour, c’est le désir de s’approprier l’autre comme être libre’’.

Définition: ‘’s’approprier l’autre’’= s’unir à lui, ne faire qu’un avec l’être


aimé. Physiquement, c’est l’accueil d’un corps dans un autre = l’union.
Posséder l’autre est une manière allégorique de décrire l’acte sexuel.

Nouvelle question: Comment passe-t-on d’un désir d’union à un désir de


possession?

Car c’est différent. On peut vouloir s’unir à l’autre sans vouloir le posséder…
Eh bien, non! On ne peut pas. Pourquoi? Parce que nous sommes des
individus et si l’amour est désir d’union, mais que dans les faits, nous
restons des individus, l’amour est confronté à un problème: le problème
des sentiments de l’autre. En effet, l’amour, ce n’est pas seulement avoir
des sentiments pour l’autre, c’est aussi désirer que l’autre éprouve les
mêmes sentiments pour nous.

Sartre a écrit: «aimer, c’est essentiellement le projet d’être aimé.»

Si la personne qu’on aime ne nous aime pas en retour, on va en souffrir.


Autrement dit, l’amour exige la réciprocité. C’est à partir du moment où
cette réciprocité est obtenue que va commencer à s’enclencher ce que
Sartre décrit comme étant un processus d’asservissement de l’être aimé.
Autrement dit, le fait que l’amant va nourrir à l’égard de l’être aimé un
certain nombre d’attentes, pour ne pas dire d’exigences…

Par exemple, on veut qu’il nous montre son amour par des gestes, qu’il
l’exprime en mots. Comment puis-je être sûr qu’il m’aime, s’il n’en fait pas
la démonstration par son comportement? L’amour, c’est quelque chose qui
doit se traduire dans le comportement. On demande des preuves pour se
persuader que l’autre nous aime comme nous l’aimons. L’autre n’est plus la
personne que j’aime, il devient celui qui a le devoir de m’aimer autant que
je l’aime. C’est ça, le désir de possession: le désir de conformer l’autre, de
modeler son comportement à nos attentes de confirmation. Aimer, c’est
attendre de l’autre la confirmation de son amour pour nous et donc la
confirmation du bien-fondé de notre amour.

Si vous dites «je t’aime» à quelqu’un, votre attente, c’est qu’il vous
réponde «moi aussi», parce que c’est la preuve de l’union, d’une
réciprocité. Dire «je t’aime», c’est dire «est-ce que tu m’aimes?» Les choix
de celui qu’on aime nous engagent, car il nous affecte. Le désir de
s’approprier l’autre, c’est la traduction de notre désir d’union avec l’autre,
accompagné de la conscience que l’autre nous est fondamentalement
inaccessible. L’autre est condamné à rester l’autre. Notre désir profond,
lorsqu’on aime quelqu’un, c’est d’être son absolu. C’est d’être l’objet
exclusif de son amour. Qu’est-ce que cela révèle? Qu’à travers le sentiment
amoureux, l’amant cherche à s’approprier la liberté de l’être aimé. Il veut la
main-mise sur son corps, son esprit et ses sentiments.

Pour reprendre la formule des stoïciens, on pourrait dire qu’aimer, ce n’est


pas vouloir que l’autre soit ce qu’il est, c’est vouloir que l’autre soit ce
qu’on désire qu’il soit. Et le jour où l’autre n’agit pas comme je m’attends
de lui qu’il agisse, je me sens trahi, sans voir que ce sont mes attentes qui
sont responsables de ma déception, sans voir que ma souffrance n’est que
la conséquence du désir que j’ai eu d’asservir l’autre à ma volonté. Aimer
l’autre, c’est l’aimer dans la mesure où sont comportement répond à nos
attentes. Plus on aime quelqu’un, plus on place sur lui des attentes élevées.
On n’est jamais déçu de quelqu’un dont on n’attend rien.

Dans la deuxième partie de la citation, on lit «en tant qu’être libre». On sait
qu’aimer, c’est vouloir être aimé et il est extrêmement rare d’avoir des
sentiments intenses pour quelqu’un et que cette intensité se retrouve dans
les sentiments de l’autre à notre égard. Justement, pour Sartre, c’est ça le
fondement de la valeur que nous accordons à l’amour de l’autre: son
caractère imprévisible et immaîtrisable. En effet, si on pouvait contrôler les
sentiments de l’autre, son amour n’aurait plus aucune valeur. L’amour doit
venir d’un être libre de nous aimer ou de ne pas nous aimer. L’amour au
sens de spontané. L’amour de l’autre n’a de valeur que parce qu’il est libre.
Quand on aime quelqu’un, on aime une liberté.

Voilà le paradoxe: ce qu’on aime dans l’autre, c’est le pouvoir qu’il a de ne


pas nous aimer. L’amour est à la fois désir d’asservissement et rejet de
l’asservissement. Le désir de posséder l’autre est égal au désir de
l’indépendance de l’autre. Ce qu’on aime chez l’autre, c’est en même
temps ce dont on veut le déposséder: sa liberté.

Conclusion: l’être humain est un paradoxe. Pour s’en affranchir, il faut en


prendre conscience. Prendre conscience du fait que l’insatisfaction est la
marque de notre condition, que l’adversaire de notre accomplissement,
c’est nous-même. L’autre n’est pas responsable des attentes que nous
fixons sur lui, de notre besoin contradictoire de désirer et de posséder. Le
caractère contradictoire de l’amour, c’est prendre conscience que l’autre
n’est ni meilleur, ni pire que moi. C’est parce que l’autre est comme moi.
C’est parce que l’autre est un autre moi.

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