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Revue philosophique de Louvain
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique?
Sur la théorie des sensations
dans la Psychologie du point de vue empirique
de Franz Brentano et ses conséquences
pour la scientifïcité de la psychologie
1 «Ce qui caractérise le mieux sans aucun doute les phénomènes psychiques, c'est
ce caractère d'inexistence intentionnelle.» Brentano F., 1974, p. 137 (110).
2 C'est ce que la philosophie anglo-saxonne appelle «la thèse de Brentano» sans
pour autant tomber d'accord sur le contenu précis de cette thèse. Voir par exemple la thèse
principale du représentationalisme qui affirme que tout ce qui peut être donné dans l'expé
rience est le contenu d'une représentation (Fred Dretske, 1995, Michael Tye, 1995). Une
forme particulière de représentationalisme est défendue par le nouveau courant de la
«conscience phénoménale» qui soutient la thèse selon laquelle tout état mental a un
contenu intentionnel inséparable de son caractère phénoménal. En d'autres termes, tout
phénomène intentionnel représente quelque chose (Horgan et Kriegel, 2007; Kriegel,
2002, 2003; Loar, 2003; Seron, 2010; Fisette, 2011). Les origines de ce débat sont cepen
dant beaucoup plus anciennes et peuvent être identifiées au cœur même de l'école de
Brentano, notamment dans les tentatives de Kasimir Twardowski et Edmund Husserl
de distinguer une fois pour toutes le contenu de l'objet des représentations.
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64 Maria Gyemant
3 «Ce qui caractérise tout phénomène psychique, c'est ce que les Scholastiques du
Moyen Âge ont appelé l'inexistence intentionnelle (ou encore mentale) d'un objet et ce
que nous pourrions appeler nous-mêmes — en usant d'expressions qui n'excluent pas
toute équivoque verbale — la relation à un contenu, la direction vers un objet.» Brentano F.,
1874, p. 124 (101).
4 Une telle position ferait totalement abstraction des problèmes soulevés par cet
objet particulier qu'est le corps à même lequel se déploient les phénomènes psychiques.
Si le corps vivant est lui-même un phénomène, il nous semble difficile de le situer dans
l'une ou l'autre des classes brentaniennes de phénomènes: il n'appartient pas entièrement
à la sphère des phénomènes physiques mais constitue plutôt un domaine de frontière entre
psychique et physique. Nous y reviendrons.
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 65
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66 Maria Gyemant
6 Cette place privilégiée devient évidente si l'on s'adresse au texte plus tardif des
cours de Psychologie descriptive (Brentano F., 1887-1888) où Brentano distingue entre
psychologie descriptive et psychologie génétique, la psychologie génétique s'appuyant très
largement sur les résultats de la physiologie.
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 67
J'aimerais donc, dans ce qui suit, souligner les difficultés qui s'at
tachent au concept de phénomène physique et à son statut intermédiaire,
d'une part physique, d'autre part phénoménal. L'idée de ce travail vient
d'une remarque que Peter Simons fait dans son article «L'intentionnalité:
la décennie décisive» publié en 1992 dans le recueil Essais sur le lan
gage et l'intentionnalité:
Brentano parle de phénomènes mentaux vs phénomènes physiques. Il n'em
ploie pas ce mot pour désigner vaguement les entités mentales et physiques
en général. Un phénomène est en soi quelque chose de mental, quelque
chose qui est proprement sujet à investigation par la psychologie, ce qui
signifie, dans les termes de Brentano, par le biais de la perception interne.
(Simons P., 1997, p. 17).
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68 Maria Gyemant
8 «Les recherches relatives aux premiers éléments psychiques portent surtout sur
les sensations. On s'accorde en effet à y voir une source des autres phénomènes psy
chiques, et beaucoup de savants soutiennent qu'elles constituent la source unique de tous
les phénomènes», Brentano F., 1874, p. 65 (59).
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Qu 'est-ce qu 'un phénomène physique ? 69
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70 Maria Gyemant
par opposition à ce qui existe vraiment et réellement. C'est ainsi qu'en parlant des objets
de nos sens, tels que nous les montre la sensation, nous disons que ce sont des simples
phénomènes, que la couleur, le son, la chaleur, la saveur n'existent pas vraiment, et réel
lement en dehors de notre sensation, bien qu'ils se rapportent à des objets qui existent
vraiment et réellement.» Brentano F., 1874, p. 13 (23).
11 «C'est pourquoi nous définissons la psychologie comme la science des phéno
mènes psychiques, au sens qu'on a indiqué plus haut.» Brentano F., 1874, p. 27 (32).
12 «Sous prétexte d'unifier sous un même point de vue science de la nature et
science psychique, on n'est donc pas raisonnablement fondé à définir la psychologie
comme science des phénomènes psychiques.» Brentano F., 1874, p. 14 (24).
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 71
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72 Maria Gyemant
13 «En soi et pour soi, ce qui est réel n'apparaît pas et ce qui apparaît n'est pas réel.
La vérité des phénomènes physiques n'est, suivant l'expression consacrée, qu'une vérité
relative. Il en va tout autrement pour les phénomènes de la perception interne. Ceux-là
sont vrais en soi. Ils sont en réalité tels qu'ils paraissent; nous en avons pour garantie
l'évidence avec laquelle ils sont perçus», Brentano F., 1874, p. 28 [33].
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 73
Il est frappant dans cette analyse que ces mêmes traits qui dis
tinguent traditionnellement ce qui est physique de ce qui est psychique
(les caractéristiques spatiales et temporelles) sont finalement ceux que
Brentano laisse en marge. Les phénomènes physiques ne se définissent
pas par leur caractère spatial, ni par leur coexistence simultanée, et inver
sement, les phénomènes psychiques ne se définissent pas par leur succes
sion temporelle. Certes, ces traits appartiennent bien aux phénomènes
physiques, respectivement aux phénomènes psychiques, mais ils ne nous
permettent pas de séparer définitivement les deux sphères. Ce qui nous
permet de le faire n'est pas la distinction de caractéristiques qui appar
tiendraient aux objets décrits, mais celle qui tient à notre accès à ces
objets: plus précisément la distinction entre perception interne et percep
tion externe. Et si l'on considère la différence ultime entre ces deux types
de perception, elle consiste en ceci que la perception interne serait abso
lument et immédiatement évidente alors que la perception externe est
partielle et trompeuse. Quand on voit un objet, les qualités dont les
organes de nos sens nous informent n'ont aucune ressemblance avec ces
informations mêmes14. La couleur vue, par exemple, ne partage aucune
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74 Maria Gyemant
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Qu 'est-ce qu 'un phénomène physique ? 75
que Brentano énumère dans le passage cité. Cependant, ces vécus qui
sont des phénomènes psychiques se définissent eux-mêmes par leur
propre intentionnalité, leur propre rapport à l'objet: je ne peux pas repré
senter sans représenter quelque chose. Je peux, bien sûr, avoir une repré
sentation qui prend comme objet une représentation antérieure, donc un
autre phénomène psychique. Mais cette seconde représentation a à son
tour un objet, qui peut être soit une nouvelle représentation, soit, dans le
cas le plus simple, un objet de la perception externe, donc un phénomène
physique. Comme je l'ai montré plus haut, un phénomène physique est
bien un phénomène et non pas un objet physique, il est donc bien une
façon de représenter de manière sensorielle un objet physique et non pas
un groupe de caractéristiques physiques appartenant à l'objet indépen
damment de toute observation. Ainsi, tout phénomène psychique s'ap
puie sur une représentation, et la représentation la plus simple est celle
dont l'objet est une représentation sensorielle dont l'objet est un phéno
mène physique. Or, cette représentation présuppose un contact avec la
chose, qui se fait par des sensations. La question qui se pose alors c'est
de savoir si ce phénomène physique est lui-même une représentation
sensorielle des qualités de l'objet ou bien s'il est simplement le contenu
d'une telle représentation.
En effet, on pourrait identifier une sorte de tension entre les deux
thèses fondamentales qui distinguent les phénomènes physiques des
phénomènes psychiques: la thèse de l'intentionnalité et la thèse de la
perception interne. La perception interne nous donne accès à un phéno
mène psychique: une représentation, un jugement, un affect. L'évidence
de la perception interne vient du fait que, même si l'on peut se tromper
sur l'objet représenté, jugé, désiré etc. on ne peut pas se tromper sur le
fait qu'on est en train de vivre telle ou telle représentation. De sorte que
les phénomènes psychiques, les vécus, constituent une sphère d'exper
tise tout à fait délimitée. Cependant, une autre thèse tout aussi essen
tielle dans la théorie de Brentano est qu'il n'y a pas de phénomène
psychique qui ne se rapporte pas à un objet. C'est-à-dire que là où l'on
a une représentation, qui peut être l'objet d'une perception interne, cette
représentation a elle-même un objet qui n'est pas nécessairement de
l'ordre de la perception interne et qui, en outre, dans le cas le plus
simple, est en réalité un phénomène physique, c'est-à-dire quelque
chose qui est nécessairement de l'ordre de la perception externe. Et, peu
importe combien de représentations complexes on identifie, la plus
basique sera toujours la représentation d'un phénomène physique. En
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76 Maria Gyemant
réalité, donc, il semble qu'on ne peut pas séparer les phénomènes phy
siques des phénomènes psychiques car ces derniers se fondent sur les
premiers.
Maintenant, il faudrait poser de nouveau la question: qu'entend
Brentano par phénomène physique? On a souvent l'impression qu'il
s'agit du sens courant du terme. Un phénomène physique est quelque
chose qui se passe quand deux choses physiques interagissent, et cela
indépendamment de toute observation ou représentation. Mais une telle
interprétation fait abstraction du sens que Brentano donne au concept de
«phénomène». Dans le premier chapitre du Livre II Brentano affirme que
«dans le sens que nous donnons au mot représenter, être représenté est
synonyme d'apparaître» (Brentano F., 1874, p. 114 [95]). En d'autres
termes, être phénomène pour Brentano (apparaître) signifie nécessaire
ment être objet d'une représentation. Un phénomène, soit-il physique ou
psychique, n'est appelé «phénomène» que parce qu'il peut être pris
comme objet d'une représentation. Si l'on parle alors de phénomènes
physiques on n'a pas en vue des tombées de pierres ou des mouvements
de plaques tectoniques qui se déploient sans que personne ne les
connaisse, mais ces mêmes événements dans la mesure où ils sont les
corrélats de représentations. Ce n'est donc pas accessoire pour un phé
nomène physique d'être représenté, mais cela fait partie de sa définition
même: autrement on parlerait de choses physiques et non pas de phéno
mènes physiques.
Donc un phénomène physique est bien quelque chose de physique
dans la mesure où il concerne l'interaction d'objets physiques. Mais
d'autre part, dans la mesure où il est bien un phénomène il est en réalité
beaucoup plus proche de l'univers du psychique que de celui du phy
sique: en réalité, les phénomènes physiques font, dans le dispositif bren
tanien, tout autant partie du psychique que les phénomènes psychiques.
C'est pourquoi des considérations d'étendue n'ont pas vraiment de consé
quences dans le partage entre phénomènes physiques et phénomènes psy
chiques. L'analyse des diverses distinctions entre phénomènes physiques
et phénomènes psychiques nous amène ainsi à la conclusion paradoxale
selon laquelle les phénomènes physiques font en réalité partie intégrante
du psychique: ils sont dés éléments psychiques, des parties intégrantes
de phénomènes psychiques proprement dits.
Bien sûr, on le sait bien, cette thèse a donné lieu à d'innombrables
études sur le statut de ces objets immanents que sont les phénomènes
physiques dans la psychologie de Brentano. Ce n'est pas mon objectif ici
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 11
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78 Maria Gyemant
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 79
n'est pas la vision, le son n'est pas l'audition, la chaleur n'est pas la
sensation de la chaleur» (Brentano F., 1874, p. 101 [83]). Le niveau de
la sensation est déjà un premier niveau de phénomènes psychiques qui,
par définition, sont des phénomènes complexes: on distingue en eux un
acte de représentation et un phénomène physique qui constitue l'objet
représenté16. Ainsi, dans l'exemple que nous avons pris, celui de l'eau
qui paraît à la fois chaude et froide, nous devons distinguer trois niveaux:
celui de la température de l'eau, qui est une donnée physique appartenant
à l'eau indépendamment de toute interaction avec mon corps; le phéno
mène physique, qui est cette interaction qui résulte du contact de l'eau
ayant une température constante avec mes deux mains chauffées diffé
remment; et la sensation même, qui est non pas la simple interaction
entre l'eau et mes mains, mais la représentation de cette interaction sous
la forme d'une sensation de chaud dans une main, froid dans l'autre.
À ce niveau de la sensation, nous avons déjà franchi le seuil du psy
chique, nous avons une représentation et donc un phénomène psychique.
On voit donc plus clairement que, pour Brentano, la frontière entre phé
nomènes physiques et phénomènes psychiques se dessine sur la ligne du
corps propre, entre la production de la sensation dans une partie du corps
et la représentation de cette interaction sous la forme d'une sensation.
Conclusion
16 II est remarquable que pour Brentano les sensations sont intentionnelles alors que
la perception ne l'est pas.
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80 Maria Gyemant
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Qu'est-ce qu'un phénomène physique? 81
Bibliographie
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82 Maria Gyemant
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Qu 'est-ce qu 'un phénomène physique ? 83
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