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SCIENCE POLITIQUE
Méthodes
des sciences
sociales
Madeleine Grawitz
Méthodes
des sciences
sociales
2001
Madeleine Grawitz
Professeur émérite à l'Université de Paris I
®
DANGER Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente
pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de
l'édition technique et universitaire, le développement massif du
PHOTOCOPILlAGE photocopillage.
TUE LELIVRE Le Code de la propriété intellectuelle du 1erjuillet 1992 inter-
dit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans
autorisation des ayants droit. Or; cette pratique s'est généralisée
dans les établissements d'enseignement supérieur; provoquant une baisse brutale des achats de livres et
de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire
éditer correctement est aujourd'hui menacée.
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@ ÉDITIONSDALLOZ - 2001
SOMMAIRE
Unetabledes matièresdétailléefigure à la fin de l'ouvrage
« Ces études pourront, je crois, être utiles à des catégories assez dif-
férentes d'auditeurs.
Il y a d'abord les étudiants en philosophie.S'ils parcourent leurs pro-
grammes, ils n'y verront pas mentionnée la science sociale ; mais si, au
lieu de s'en tenir aux rubriques traditionnelles, ils vont au fond des
choses, ils constateront que les phénomènes qu'étudie le philosophe sont
de deux sortes, les uns relatifs à la conscience de l'individu, les autres à la
conscience de la société : c'est de ces derniers que nous nous occuperons
ici [ ...] En particulier c'est de la science sociale que relèvent les problèmes
qui jusqu'ici appartenaient exclusivement à l'éthique philosophique[ ...]
Seulement nous essaierons de la [la morale] traiter scientifiquement[ ...]
nous l'observons comme un système de phénomènes naturels que nous
soumettrons à l'analyse et dont nous chercherons les causes: l'expérience
nous apprendra qu'elles sont d'ordre social [ ...]
Mais les philosophes ne sont pas les seuls étudiants auxquels s'adresse
cet enseignement. J'ai dit en passant les services que l'historienpouvait
rendre au sociologiste, il m'est difficile de croire qu'en retour les histo-
riens n'aient rien à apprendre de la sociologie [...] Pour opérer une sélec-
tion, il [l'historien] a besoin d'une idée directrice, d'un critérium qu'il ne
peut demander qu'à la sociologie. [ ...]
Enfin, Messieurs, il est une dernière catégorie d'étudiants que je serais
heureux de voir représenter dans cette salle. Ce sont les étudiantsen droit.
Quand ce cours a été créé, on s'est demandé si sa place n'était pas plutôt
à l'École de droit[ ...] les meilleurs esprits reconnaissent aujourd'hui qu'il
est nécessaire pour l'étudiant en droit de ne pas s'enfermer dans des
études de pure exégèse. Si en effet, il passe tout son temps à commenter
les textes et si, par conséquent, à propos de chaque loi, sa seule préoc-
cupation est de chercher à deviner quelle a pu être l'intention du législa-
teur, il prendra l'habitude de voir dans la volonté législatrice la source
unique du droit. Or ce serait prendre la lettre pour l'esprit, l'apparence
pour la réalité. C'est dans les entraillesmêmesde la sodété que le droit s'éla-
bore,et le législateur ne fait que consacrer un travail qui s'est fait sans lui.
Il faut donc apprendred l'étudiantcomment le droit se forme sous la pression
desbesoinssociaux1, comment il se fixe peu à peu, par quels degrés de cris-
tallisation il passe successivement, comment il se transforme. Il faut lui
montrer sur le vif comment sont nées les grandes institutions juri-
1. C'est nous qui soulignons.
VIII MÉTHODESDES SCIENCESSOCIALES
Cet ouvrage vise à donner une initiationutile aux étudiantsde toutes les
disciplines,et également aux travailleurs sociaux. Traitant de la MÉIHODE,
des méthodes et des techniques, nous pensons couvrir les différentes
conceptions qui divisaient aussi bien les enseignants que les étudiants,
sur le contenu de ce cours et répondre aux attentes de tous.
Si une spécialisation est inévitable à partir d'un certain degré de forma-
tion, il paraît indispensable au stade de l'initiation, de donner une idée
des diverses sciences sociales, en insistant sur la sociologie, la psychologie
sociale et la science politique. Aspects sociologiqueet politique,qui, par
l'étude des faits sociaux et de leurs déterminismes, permettent de décou-
vrir la dimension collective des problèmes ; point de vue psycho-
sociologique, qui, complétant le premier, favorise une prise de conscience
des phénomènes collectifs et des rapports interindividuels, du comporte-
ment de chacun, y compris de soi-même avec les autres. Cette triple
approche atténue le risque de voir la sociologie déformée par ceux qui
préfèrent s'en prendre à la société qu'à eux-mêmes, ou la psycho-
sociologie servir de refuge et d'alibi à certaines formes de narcissisme, de
bons sentiments et de fuite devant les réalités et responsabilités collec-
tives ; enfin la politique réduite aux passions partisanes.
Cette extension de la conception de l'ouvrage et du public auquel il
s'adresse présente quelques inconvénients:
Ce livre est trop gros pour un manuel, trop long pour un cours semes-
triel ou même annuel : nul ne le sait mieux que l'auteur ! En voici les rai-
sons. D'abord, évidemment l'ampleur même du programme, auquel
s'ajoute le fait que la méthode ne s'étudie pas abstraitement. Sans écrire
un ouvrage de psychologie sociale, de sociologieou de science politique, il
est nécessaire d'indiquer les grandes lignes de leurs domaines. Ensuite il
s'agit d'une initiation, d'un langage, d'une façon particulière de poser les
questions, il faut donc un certain temps pour y parvenir. Les sciences
sociales se résument difficilement. Elles se comprennent plus qu'elles ne
s'apprennent Or il est sûrement moins difficile de comprendre un
ouvrage plus explicite comportant des exemples, même s'il est long,
qu'un exposé succinct et allusif. C'est pourquoi nous ajouterons aux
remarques qui suivent un mode d'emploi.
1° Cet enseignement donné après, ou en même temps, qu'un de'but de
spécialisation dans une autre discipline, exige une certaine période
d'adaptation.
2° Comme dans les autres matières, mais semble-t-il avec un plus
grand écart entre les extrêmes, tous les étudiants ne sont pas également
intéressés.
1. A la première édition.
X AVANT-PROPOS
3° A noter ceci, qui est particulier aux sciences sociales, c'est dans la
plupart des cas, une« discipline-retard», dont les effets sont surtout sen-
sibles à plus ou moins long terme.
4° Enfin on ne s'improvise pas plus sociologue ou anthropologue que
juriste ou géologue. Les sciences sociales exigent une rigueur, une attitude
intellectuelle particulières. Il faut comme dans les autres sciences, les
acquérir par le travail et la réflexion.
Ce livre n'est pas un « produit jetable » mais un investissement.
Au-delà de l'inévitable matière d'examen, c'est d'une formation scien-
tifique et humaine qu'il s'agit. Se contenter d'un bachotage rapide serait
manquer l'essentiel.
Parmi tous ceux qui m'ont aidée de leurs encouragements et de leurs
conseils, je remercie plus particulièrement : M. Barbut, Ch. Carcassonne,
R. Redon et D. Merllié pour les mathématiques et la statistique; D.
Dufour pour l'économie; H. Lefebvrepour la dialectique; M. Pagès et R.
Pagès pour la psychologie sociale ; J. Dubost, les techniques d'enquête et
l'intervention psychosociologique ; P. Clava!, J. Labasse, P. Pinchemel, la
géographie; D. Maingueneau, la linguistique; J. Lambert, la démo-
graphie ; les services si efficaces de la documentation et de la bibliothèque
du Centre d'études sociologiques; les utilisateurs dont les remarques et
encouragements m'ont été précieux.
Madeleine Grawitz
AVANT-PROPOS
A LA ge ÉDITION
ETAUX SUIVANTES
Relisant cet ouvrage en vue de sa neuvième édition, j'ai naturellement
été amenée à m'interroger sur sa conception essentiellement pluridisci-
plinaire. Si, il y a vingt ans, on évoquait souvent la pluridisciplinarité,
aujourd'hui, sous prétexte de professionnalisation, les enseignements
universitaires sont de plus en plus étroitement spécialisés. Fallait-il alors
supprimer les chapitres sur les diverses sciences sociales, parce que les
étudiants (et malheureusement trop souvent les enseignants) limitent
leurs efforts et leur intérêt à leur seule discipline principale ?
Dans des proportions différentes, toutes les sciences sociales utilisent
les mêmes démarches et les mêmes techniques. Toutes réclament de leurs
utilisateurs une réflexion épistémologique, tous doivent se demander ce
qu'ils font, la valeur de leurs instruments de recherche et celle de leurs
résultats. Ces similitudes justifient une formation commune, mais à l'in-
térieur de cet ensemble, ce sont les différences qui plus encore la rendent
souhaitable. Il paraît en effet indispensable de compenser les inconvé-
nients d'une formation trop spécialisée par la confrontation entre les
points de vue de disciplines voisines, mais différentes.
L'enseignement permet de développer la mémoire, d'acquérir des
connaissances, d'améliorer la rigueur du raisonnement mais il n'existe
aucune méthode pédagogique, aucun moyen de rendre plus intelligent.
Parmi de nombreuses définitions, on peut définir l'intelligence de
façon générale, non seulement comme l'aptitude à résoudre les pro-
blèmes, mais surtout comme la capacité de les voir, de poser les bonnes
questions, c'est-à-dire d'établir des rapports. Cette aptitude, dans la
mesure où elle dépend de facteurs innés, constitutionnels, ne peut être
modifiée. Mais elle comporte également une part de facteurs acquis sus-
ceptibles, eux, d'amélioration. Si l'on ne peut augmenter l'intelligence des
étudiants, on peut au moins leur apprendre à mieux s'en servir.
La pluridisciplinarité, parce qu'elle favorise les comparaisons et incite à
découvrir des rapports, demeure actuellement un des meilleurs moyens
d'améliorer l'efficacité de l'outil intellectuel. Pour cette raison, la neu-
vième édition et les suivantes, des Méthodes des Sciences Sociales main-
tiennent l'orientation pluridisciplinaire choisie au départ et qui paraît
plus que jamais nécessaire !
Je renouvelle mes remerciements aux collègues et amis cités dans
l'avant-propos de la 1reédition.
Madeleine Grawitz
Juin 1993.
XII AVANT-PROPOS
« Chacun n'apprendquecequ'il
peut apprendre»
Goethe.
1. A noter qu'à l'essor des sciences sociales en France et en Allemagne (Durkheim, Mauss, Sim-
mel, Weber) avant 1914 a succédé après la deuxième guerre mondiale le développemnt rapide aux
États-Unis de la psychologie sociale. Développement dû aux émigrés d'Europe centrale (Lazarsfeld,
Lewin, Marcuse, Moreno). Les grands débats sur les méthodes et sur les problèmes des techniques se
situent durant cette période, d'où le maintien dans les bibliographies de nombreux ouvrages datant
de cette époque (1950-1970). Depuis, les études dans chaque discipline portent surtout sur les pro-
blèmes actuels (Crozier, Durand, Touraine) sans grand deôat de fond (sauf sur les éternels sujets de
l'individualisme, du holisme et du qualitatiO.
LIVRE1
SCIENCE
ET SCIENCES
SOCIALES
Le titre du livre 1 de cet ouvrage soulève quelques questions fonda-
mentales. D'abord qu'est-ce que la connaissance et qu'est-ce que la
science ? Ensuite les sciences sociales sont-elles des sciences, et en quoi
diffèrent-elles des sciences physiques et naturelles ? Que faut-il entendre
par méthodes ? Les sciences naturelles et les sciences sociales utilisent-
elles les mêmes et lesquelles? Nous reprendrons chacune de ces ques-
tions et verrons quelles réponses leur ont été données.
LESCONDITIONS DE LA VÉRITÉ: LA LOGIQUE 3
CHAPITRE1
LEPROBLÈME
DE LA CONNAISSANCE
« En philosophie, il est très important de ne pas
être intelligent tout le temps» (L. Wittgenstein)
« ... en SciencesSociales,c'estmêmeindispensable»
(Madeleine Grawitz).
§ 1. Logique et connaissance
1 Le sujet et l'objet ◊ Le point de départ de la science réside dans la
volonté de l'homme de se servir de sa raison pour comprendre et contrô-
ler la nature. Le premier problème posé par la science est de savoir com-
ment elle est possible. Comment le réel se prête-t-il à notre investiga-
tion? Comment le sujet retrouve-t-il l'objet, le connaît-il? Une part
importante de l'histoire de la philosophie constitue une tentative pour
répondre à ces questions. Dans ce fait vécu: la connaissance elle-même,
la réflexion a séparé le sujet connaissant de l'objet à connaître et soumis à
l'analyse, le lien qui les unit. La réponse diffère en fonction du terme à
privilégier : l'objet ou le sujet de la connaissance, l'être ou la pensée, la
matière ou l'esprit, la matière ou la conscience. L'accent porté sur l'un ou
sur l'autre, distingue les deux grarids courarits de la philosophie : le maté-
rialisme et l'idéalisme.
Que l'on privilégie le sujet ou l'objet, quel que soit le point de départ
du mouvement de l'un vers l'autre, c'est toujours par la pensée que l'on
accède à la connaissance, c'est pourquoi la démarche logique de la raison
a souvent été définie comme l'étude des conditions de la vérité, « la
science des sciences» disait saint Augustin.
Comme toutes les sciences, la logique est née de la philosophie, et
n'aurait même pas d'histoire, étant, d'après Kant,« sortie achevée du cer-
veau d'Aristote» (384-322). Il fallut attendre les développements de la
logique moderne pour que soit reconnu l'apport des prédécesseurs d'Aris-
tote (Thales de Milet, 640-546, Pythagore, 570-496, Zénon d'Elée, 428-
347 et même Platon (VCs. av. J.-C.) et de ses successeurs: les Stoïciens,
enfin des Logiciens médiévaux.
Le raisonnement, base de la connaissance, implique, avons-nous vu,
une certaine relation entre un sujet et un objet. Dire que Socrate est un
4 LEPROBLÏMEDE LA CONNAISSANCE
§ 3. La dialectique
3 Hegel (1770-1831) ◊ La pensée de Hegel est confuse, son style diffi-
cile, on se bornera ici à donner des indications indispensables pour
comprendre la suite, en particulier le marxisme. Hegel ne nie pas la
logique formelle. Il veut réconcilier le principe d'identité avec son opposé,
la contradiction. La logique formelle est limitée par ses affirmations, sa
rigueur même : A est A. C'est la logique d'un monde simplifié, abstrait,
définitif, incapable d'exprimer le mouvement, le devenir, la contradiction
inhérente aux choses.
La logique dialectique ne dit pas A est non A, ce qui serait absurde,
mais si A correspond à une réalité, à moins d'être une tautologie sans
signification, A possède en lui un devenir au-delà de lui : A est A mais
aussi plus que A. « Alors que la logique formelle affirme qu'une proposi-
tion doit être vraie ou fausse, la logique dialectique déclare que toute pro-
position qui a un contenu réel, est à la fois vraie et fausse, vraie dans la
mesure où elle est dépassée, fausse si elle s'affirme absolument 1.»
« Il n'est rien sur la terre et dans le ciel qui ne contienne en soi l'être et
le néant 2 . » « L'être d'une chose finie est d'avoir en son être interne
comme tel le germe de sa disparition ; l'heure de sa naissance est aussi
l'heure de sa mort (GrandeLogiqueII, 139) 3 • Au premier terme immédiat
de l'affirmation succède un second terme sur le même plan, mais qui le
complète en le niant » « Les deux termes agissent et réagissent l'un sur
l'autre [ ...]. Le troisième revient au premier en niant le second et les
dépasse ainsi l'un et l'autre.» L'unité du monde s'exprime dans un prin-
cipe d'identité rendu concret et vivant par sa victoire sur les contradic-
tions.
La dialectique de Hegel a ouvert la voie permettant de dépasser la
logique formelle mais elle n'a pas abouti, dans la mesure où l'idéalisme
l'amène, comme le lui reprochera Marx, à remplacer toute la réalité
humaine par la conscience qui se connait elle-même. Lorsqu'il oppose le
contenu à la forme ce n'est pas d'un contenu vivant qu'il s'agit, mais des
idées qui s'opposent entre elles. La phénoménologie déclarera que: le
contenu plus précisément défini... est l'esprit qui se parcourt lui-même et
se parcourt en tant qu'esprit. De même le chapitre terminal de la Grande
§ 1. Définitions
5 Science et philosophie ◊ Abandonnés par la logique d'Aristote, les
problèmes des relations entre le sujet et l'objet, de ce qui est introduit par
l'un ou appartient à l'autre, enfin des structures ou formes de l'objet par
rapport aux activités du sujet, constituent l'un des grands chapitres de la
philosophie.
A l'origine, philosophie et science étaient confondues. La connais-
sance, la réflexion sur la démarche scientifique en général, ou sur les pro-
grès de chacune des sciences, relevaient du domaine des philosophes. La
séparation du domaine scientifique devait amener un glissement de la
signification des termes, qui aboutit aujourd'hui à une confusion regret-
table. Théorie de la connaissance, philosophie des sciences, épistémolo-
gie, souvent employées l'une pour l'autre, méritent que soit précisé ce
qu'elles recouvrent
La théorie de la connaissanceou gnoséologie,traite des problèmes de la
connaissance, des relations entre le sujet et l'objet sur le plan le plus
général et le plus abstrait.
La philosophiedes sciencesrecouvre une réflexion générale sur l'en-
semble des sciences et leur développement A partir du moment où ce ne
sont plus les philosophes qui s'intéressent à la science mais les savants
qui s'interrogeant sur leur propre démarche scientifique, posent des pro-
8 LEPROBLÏMEDE LA CONNAISSANCE
§ 2. L'idéalisme
Le monde extérieur s'imposant à tous comme une évidence, la philo-
sophie, au moins à ses delmts, aurait pu reconnaître la suprématie de
l'objet et s'orienter vers une interprétation matérialiste. Mais justement,
l'évidence et l'importance des phénomènes de la nature, obligent à poser
des questions : pour expliquer le réel, l'homme a inventé le surnaturel.
Les esprits sinon l'esprit, sont au départ plus forts que la matière qu'ils
commandent, la religion naîtra avant la science. Les progrès les plus
LESPROBLÈMESDE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 9
§ 3. Le matérialisme
7 L'évolution ◊ Si le philosophe est attiré par l'idéalisme, le savant, lui, à
quelques exceptions près, ne peut être que matérialiste, car il n'y a pas de
1. Dialogued'Hylaset de PhilonoüsI, p. 8, in H. Lefebvre(1969, B. 4), p. 24.
2. NouveauxEssaisII 1. sec. 2 in H. Lefebvre(1969, B. 4), p. 25.
3. In op. dt.,(B. 4), p. 33.
4. L. Brunschvicg(1905).
10 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE
§ 4. La phénoménologie
8 Edmond Husserl (1859-1938) ◊ La phénoménologie est une doc-
trine philosophique conçue par E. Husserl au debut du :XXC
siècle en Alle-
1. La dispute entre idéalistes et matérialistes reprendra dès le xf siècle. L'œuvre d'Aristote, idéa-
liste, sera condamnée au XIf siècle avant de régner à partir du xm'.
2. K. Marx, rééd. 1963, p. 50.
LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 11
magne. Elle est, comme toutes les doctrines, une protestation contre
celles qui règnent à cette époque : le kantisme et la psychologie de l'école
de Warzbourg. Mais ce qui fait son originalité c'est que hostile à l'idéa-
lisme, elle s'oppose également à l'empirisme, lié au développement scien-
tifique et industriel. Husserl reproche à ces deux tendances leur infidélité
aux choses. Le point de départ de sa réflexion sur la nature de la scientifi-
cité: « comment peut-il y avoir « un vrai» appre'hendé par une sub-
jectivité?», l'amène à retrouver dans l'intention l'évidence de la sub-
jectivité.
Même les matériaux recueillis dans l'observation empirique sont construits au
lieu d'être simplement vécus. La phénoménologie se veut une méthode de retour
aux choses elles-mêmes, dans des descriptions, en dehors de toute conceptualisa-
tion. Il s'agit d'une« eidétique» ou« science des essences» qui repose avant tout
sur l'intuition.
Comment se situe l'individu par rapport à cet objet vécu ? Il sera la conscience
intentionnelle, « le rayon qui éclaire la chose», écrit G. Picon 1, car « toute
conscience est conscience de quelque chose», toute conscience vise un objet qui
n'est pas elle, qui ne saurait être contenu en elle, qui est donc transcendant.
Le sujet face à la transcendance de l'objet est conscient de l'acte par lequel il
donne à celui-ci une signification. Cette prise de conscience au centre de l'opéra-
tion de réduction, est le propre de ce que Husserl appelle « l'Ego Transcendantal »
qui a permis de qualifier cette philosophie d'idéalisme transcendantal 2•
L'évolution des idées de Husserl s'explique par son insatisfaction, ses hésita-
tions. Ceci ne l'a pas empêché d'exercer une influence profonde: phénoménolo-
gie du langage, de la volonté, de l'imagination, de l'art, en particulier en France,
~ur M. Merleau-Ponty (1908-1961) qui fut son véritable continuateur et aux
Etats-Unis sur A. Schutz. Enfin, la phénoménologie est à l'origine des diverses
théories existentialistes qui reprennent l'idée de la supériorité du vécu, du sub-
jectif, sur les constructions conceptuelles.
§ 5. Le matérialisme dialectique
Le marxisme d'inspiration historique, sociologique, économique
peut-il aussi se réclamer d'une philosophie? Il était normal que les opi-
nions se divisent sur les problèmes de connaissance, celle de Marx lui-
même ayant varié 3.
9 Friedrich Engels (1820-189 5) ◊ A propos de Ludwig Feuerbach
( 1804-18 72) 4 il admet que la question première et dernière de la philo-
sophie est celle des rapports entre la pensée et l'existence, entre l'esprit et
la nature, l'idéalisme privilégiant la première, le matérialisme la dernière.
Mais pour lui, c'est la religion et la philosophie qui ont séparé le réel de
1. G. Picon (1957), p. 55.
2. Ce que conteste Merleau-Ponty:« Loin d'être comme on l'a cru, la formule d'une philosophie
idéaliste, la réduction phénoménologique est celle d'une philosophie existentialiste» (1967).
3. Un exposé plus complet sur le marxisme trouvera sa place ultérieurement ( cf. chap. III, section
II, par. 2, n°' 128 et suivants).
4. Philosophe allemand critique de Hegel, a suscité la réflexion des marxistes.
12 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE
de la notion de matérialisme dialectique dans les pays qui ont voulu l'uti-
liser et la vulgariser. C'est ainsi que dans les pays de l'Est et surtout en
Chine, toute opposition devenait dialectique 1.
13 Bibliographie o
ALTHUSSER (L.) 1969. - Lénineet la philosophie,Maspero, 61 p.
- « Note sur le matérialisme dialectique», Revuede l'enseignement philo-
sophique,oct-nov. 1953, p. 12.
BACHELARD(Suzanne) 1957. - La logiquede Husserl,P.U.F.,312 p.
BRUNSCHVICG (L.) 1905. - L'idéalismecontemporain,Alcan.
GOLDMANN (L.) 1959. - Recherches dialectiques,Gallimard, 356 p.
HUSSERL (E.) 1929. - Trad. 1957, Logiqueformelleet logiquetranscendantale,
P.U.F., 218 p.
- trad. 1913, Méditationscartésiennes,P.U.F., 1959-1963, 3 vol., 287 +
284 + 308 p.
- trad. 1969, Les rechercheslogiques,Vrin, 136 p. ,
- trad. 1970, L'idéede la phénoménologie, P.U.F., coll. Epiméthée, 136 p.
KELIŒI.(L). et SCHÉRER(R.) 1964. - Husserl,P.U.F., coll. Philosophes, 144
p.
LACROIX Q.) 1970. - Panoramade la philosophiefrançaisecontemporaine,
P.U.F., 292 p.
***LEFEBVRE (H.). - « Le matérialisme dialectique», p. 3 à 7, 16, 19. Ency-
clopédiefrançaise.
- 1964. - Le marxisme,P.U.F., coll. Que sais-je?, 127 p.
- 4e éd. 1970. - Problèmesactuelsdu marxisme,P.U.F., coll. Sup., 136 p.
- 1975. - Hegel,Marx, Nietzscheou le royaumedes ombres,Casterman,
224 p.
*LlNINE(V.I.) 1967. - Cahierssur la dialectiquede Hegel,Gallimard, coll.
Idées, 302 p.
Logiqueet connaissancescientifique.1967. - Sous la direction de J. Piaget,
Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1 34 5 p.
LUPORINI (C.) 1969. - « Problèmes philosophiques et épistémologiques»
in Marx et la penséescientifiquecontemporaine.Conseilinternationaldes
Sciencessociales,Mouton, 612 p.
1. Le problème des rapports entre logique et dialectique a préoccupé les Soviétiques vers 1930.
Pour éviter de réduire la dialectique à la logique, le dogmatisme avait absorbé la logique dans la dia-
lectique. Mais, pendant ce temps, les logiciens créaient des instruments nouveaux de connaissance et
d'action : logique opérationnelle, cybernétique, théorie des jeux et de l'information. Ne serait-ce que
pour des impératifs militaires, il fallait que les dialecticiens se plient à ces nouvelles exigences d'une
logique qu'ils avaient voulu méconnaître. C'est alors que naquit, pour les besoins de la cause, la dis-
tinction entre la contradiction et l'antagonisme ou contradiction insurmontable. Cette distinction
ne comportant pas de crttère, permet de qualifier les situations réelles en fonction des nécessités poli-
tiques et de légitimer par exemple la coexistence pacifique.
La difficulté consiste à concilier le mouvement dialectique avec le plan de la logique, celle de la vie,
dans la mesure où elle correspond au principe d'identité et présente une certaine stabilité: cette table
est bien une table, elle a sa structure, elle a quatre pieds. Lefebvre propose d'assigner à la logique,
l'étude des conditions de stabilité (relative), étude concrète, alors que la dialectique s'occuperait du
devenir: disparition et formation, négation et création des structures. « Cette mise en place des
domaines méthodologiques ne les sépare pas, elle évite qu'on les confonde et laisse ouvert le pro-
blème de leur articulation et des transitions de l'une à l'autre.»
LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE: MÉTHODE, THÉORIE ET PROCÉDURE 15
SECTION3. LESMOYENS
DE LA CONNAISSANCE :
MÉTHODE,THÉORIEET PROCÉDURE
§ 1. La méthode
§ 2. La théorie
On ne donnera ici que des indications très sommaires car on retrou-
vera ces problèmes à propos de l'évolution des sciences.
CHAPITRE2
L'ÉVOLUTION
DE LA RÉFLEXION SCIENTIFIQUE
jusqu'à nos jours. L'enseignement des sciences est à gauche, démocratique, anti-
clérical, celui du latin est le symbole de la réaction.
Toujours en retard sur la réalité, l'enseignement continue à privilégier les
Humanités. Alors qu'en 1807 Cuvier s'élève contre le faux problème que consti-
tue pour lui la distinction entre Lettres et Sciences, la rupture est consacrée par la
création en 1852 du Baccalauréat ès-sciences 1 et surtout par l'Université impé-
riale qui crée des Facultés des Sciences et des Facultés des Lettres séparées.
A l'heure actuelle, l'ambiguïté de la définition demeure. A côté du sens
large concernant tout corps de connaissance méthodiquement organisé,
le développement et le modèle des sciences physiques et naturelles amène
le plus souvent à appliquer le terme de science au sens étroit, à un
ensemble de connaissances établi de façon systématique, à référence uni-
verselle et susceptible d'être vérifié.
Encore en retard sur l'évolution de la pensée et les besoins de
l'homme, le gouvernement aujourd'hui souhaite la promotion des
sciences et l'accès aux disciplines scientifiques au moment où les peuples
civilisés inquiets des conséquences des découvertes et de leur utilisation
militaire et industrielle manifestent un intérêt grandissant pour les
sciences de l'homme. Sciences de l'homme dont la vulgarisation anti-
cipée rappelle la mentalité préscientifique du XVIIIesiècle et risque de susci-
ter des obstacles au développement d'une connaissance véritable. La
science de l'homme dont notre époque ressent le besoin, ne correspond
pas à une culture livresque de citations ni à une perpétuelle adaptation à
une société de plus en plus technique. Cette science porte sur le destin de
l'homme dans une communauté humaine. Elle comprend certes le passé
mais surtout l'avenir d'hommes vivants et la compréhension des rapports
qui les unissent ainsi qu'à leur environnement
28 Bibliographie ◊
*BI.ANCHÉ (R.) 1969. - La méthodeexpérimentale et la philosophiede la phy-
sique,Colin, 370 p.
CARNAP (R.). - « Logical Foundation of the Unity of Science» in Intem.
Encyc.of Unified.Sciences,vol. I, 760 p.
CHALMERS (A.P.) 1987. - Qu'est-ceque la science?récentsdéveloppementsde
la philosophiedes sciences:Poper,Kuhn, Lakatos, Feyerabend.Paris, La
Découverte, 237 p.
DESCARTES (R.) 1930. - Discoursde la Méthode,coll. Gilson, Vrin, 498 p.
DEWEY (J.). - « Unity of Science as a Social Problem » in Intem. Encycl.of
unified Sciences,vol. I, 760 p.
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de Strasbourg.
*- 1966. - De l'histoiredes Sciencesà l'histoirede la pensée,Payot, 340 p.
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due University, Free Press of Glencoe, U.S.A.,639 p.
1. Jusque-là section du baccalauréat ès lettres.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 25
§ 1. Les origines
29 L'expérience première ◊ Il est difficile de se faire une idée précise des
étapes premières de la formation de l'esprit scientifique. Sans doute,
peut-on supposer avec Piaget qu'elles furent assez semblables à celles
observées dans le développement mental de l'enfant qui comprend plus
facilement la physique aristotélicienne : le haut, le bas, l'air, le feu, que la
physique moderne. Les premiers éléments de réflexion scientifique sont
plus sûrement nés des exigences de la pratique que des préoccupations
religieuses qui leur ont quelque temps fait obstacle.
La pratique amena un certain « acquis » d'expériences : la pierre qui
tombe, la flamme qui s'élève, et même d'observations empiriques dont
l'explication ne relevait aucunement d'un raisonnement scientifique. Les
Azand, nous dit E.E.Evans-Pritchard (1959), constatent que l'écroule-
ment d'un grenier à grains, rongé par les termites cause la mort d'un
homme assis à l'ombre du mur. Où nous voyonsun hasard malheureux,
ils incriminent la sorcellerie. La compréhension des rapports critiques est
chez les primitifs sans commune mesure avec leurs capacités déductives
ou réflexives. Il est donc clair qu'il nous manque un chaînon: ou leur
intelligence opératoire atteint déjà le niveau des opérations concrètes,
mais est tenue en échec par une idéologie coercitive, ou dans l'action
même, elle demeure intuitive et pré-opératoire. Les articulations de leurs
intuitions pratiques sont plus proches de l'opération que leurs représen-
tations verbales et mythiques.
On a coutume de considérer la science moderne comme caractérisée
par le triomphe de la méthode expérimentale et inductive. Le jugement
doit être nuancé surtout en ce qui concerne la physique. Un fait peut être
cependant tenu pour acquis: le progrès des sciences est d'abord dû au
lent apprentissage de la méthode expérimentale et inductive. Celui-ci
exige que soient réunies un certain nombre de conditions : détachement
de toute arrière-pensée métaphysique, liberté de pensée, développement
des moyens d'observation, mathématisation et spécialisation. L'histoire
de la pensée scientifique est celle de la difficile conquête de ces condi-
tions.
§ 2. L'antiquité
30 La Grèce ◊ Quoi qu'il en soit de ses origines, la pensée scientifique
apparaît d'abord chez les Grecs et ceci sur deux plans différents: celui de
26 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE
§ 3. Le Moyen Âge
34 L'influence arabe ◊ Toute histoire implique des coupures arbitraires
et donne lieu souvent à des interprétations abusives. Certains accentuent
l'aspect novateur des esprits qui les attirent, d'autres s'évertuent à déceler
une continuité sans rupture.
Le Moyen Age a peut-être été plus que d'autres époques victime des
jugements contrastés de l'histoire 1. Après l'enthousiasme des roman-
tiques, il est apparu jusqu'à une époque récente, comme une période d'ar-
guties sans intérêt, sous l'arbitrage d'Aristote et de Rome. La fameuse
« nuit du Moyen Age» du vf au XIesiècle, fut moins, comme l'a montré
H. Pirenne, la conséquence des invasions germaniques, que le résultat de
la rupture des relations entre l'Orient et l'Occident, la pensée latine et la
pensée grecque. C'est par le monde arabe, héritier de la civilisation hellé-
nistique que celle-ci suscitera l'essor de la pensée médiévale. Les Arabes
n'ont pas été de simples intermédiaires mais les maîtres et éducateurs de
l'Occident latin 2 .
Alors que les philosophes de l' Antiquité imaginent des dieux différents,
le philosophe médiéval est tenu par le cadre rigide d'une religion révélée,
l'idée d'un Dieu créateur.
Pourtant les questions posées sont toutes les mêmes, d'abord méta-
physiques elles concernent le savoir, l'Être: qu'est-ce que le monde, corn-
choses dont la beauté et la stabilité ne fussent aucunement mêlées avec la nécessité» in op. dt.,
p. 376.
1. Cf. R. Pemoud (1977).
2. A. Koyré (1973), p. 14.
28 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE
La nature, voilà le grand thème d'Aristote, et l'homme est une nature parmi
d'autres. Sans doute a-t-il une âme, mais aussi un corps... il est un homme ... un
animal rationnel et mortel. La pensée, le propre de l'homme, doit donc l'engager
tout entier et débuter par ce que lui permet son corps : la perception sensible, d'où
son intellect abstraira ensuite, par le raisonnement, la forme de la chose perçue.
Mais un problème demeure, comment une activité purement spirituelle peut-elle
appartenir à un être humain ? C'est grâce à « l'intellect agent» qui permet de
comprendre, comme la lumière permet à l'œil de voir. Le texte difficile à inter-
préter divisera les disciples d'Aristote en deux tendances: celle d'Averroès qui pri-
vilégie l'élément extérieur à l'homme, brise son unité et s'oppose de façon
camouflée à la religion, et celle de saint Thomas qui, élargissant pour les besoins
de sa démonstration la pensée d'Aristote, considère l'agent extérieur comme
venant de Dieu.
37 c) La querelle des universaux ◊ La grande querelle qui oppose au
Moyen Age les héritiers de Platon à ceux d'Aristote, est celle des univer-
saux. Elle fait suite aux controverses des philosophes sur les concepts.
L'idéalisme des platoniciens les conduisait à qualifier de réels, des
concepts qui en fait ne correspondaient pas à la réalité du monde sen-
sible. Tournés vers une recherche dialectique de l'intelligence, ils étaient
en fait peu portés vers l'empirisme et une conception expérimentale de la
science.
Les nominalistes, au contraire, visant une extension des concepts au
monde extérieur, cherchent la réalité dans l'observation des phénomènes.
38 Le développement des sciences ◊ Il ne faut pas confondre le déve-
loppement technique, réel au Moyen Age et le développement scienti-
fique. A. Koyré1 s'oppose aux affirmations de Crombie suivant lesquelles
la révolution méthodologique du xnf siècle aurait donné naissance à une
science nouvelle. Les inventions du harnais et du gouvernail arrière faci-
litent les communications, mais pas plus que l'art gothique, ils n'ont été
le résultat de théories scientifiques et ils n'en ont suscité. Cependant la
multiplication des encyclopédies est la preuve de l'intérêt que le
Moyen Age porte au domaine scientifique. A côté de l'aspect de compila-
tion, ou de recettes pratiques, se fait jour une recherche plus élaborée de
signification. Quelques esprits vont contribuer au progrès méthodolo-
gique.
RogerBaconnaquit à Oxford vers 1214. Son importance est contestée comme
le sera plus tard celle de son homonyme Francis. Sans doute trouvera-t-on dans
son œuvre à côté d'observations justes, des naïvetés et des contradictions nom-
breuses. Il faut reconnaître à son crédit, la place qu'il attribue à la méthode expé-
rimentale, même s'il ne la pratique pas lui-même et, fait plus remarquable
encore, celle qu'il accorde aux mathématiques qui doivent« porter la science à
son état de perfection ».
AlbertLe Grand naquit en 1206 en Souabe. Dominicain, il enseigna à Paris, à
Cologne et apparaît comme un des meilleurs commentateurs d'Aristote. Doué
d'un grand talent d'observation, il s'intéresse à la chimie, à la géologie,mais sur-
tout à la botanique et à la zoologie.
1. Op. dt., p. 42.
30 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE
§ 4. La Renaissance
3 9 Progrès et obstacles ◊ Au préjugé du Moyen Age barbare, correspond
souvent l'image d'une renaissance miraculeuse. Sans doute le fut-elle sur
le plan des lettres et des arts, non sur celui de la science. « La Renaissance
a été une des époques les moins pourvues d'esprit critique que le monde
ait connues», écrit A. Koyré1. C'est l'époque de la superstition la plus
grossière et la plus profonde, une époque où la croyance à la magie et à la
sorcellerie s'est étendue d'une manière prodigieuse. Elle était infiniment
plus répandue qu'au Moyen Age.
Une des explications proposées c'est qu'en détruisant la physique, la
métaphysique, l'astrologie aristotélicienne, les savants du xvf siècle ont
sans doute préparé le renouveau scientifique du xvif siècle, mais se sont
eux-mêmes trouvés sans cadre, sans critère pour juger du réel, du pos-
sible. D'où le foisonnement imaginatif accompagné d'une immense cré-
dulité. « C'est dans cette naturalisation magique du merveilleux que
consiste ce qu'on a appelé le «naturalisme» de la Renaissance2 ». La
rupture avec Aristote a libéré la Nature des quelques règles qui permet-
taient, quelque insuffisantes qu'elles fussent, de lui donner un sens; on
n'en a pas trouvé de meilleures et dès lors la nature redevient« l'univer-
selle magie de l'imagination populaire». Si la science d'Aristote se trouve
à cette époque d'accord avec l'état d'esprit des politiques et des théolo-
giens prêts à imposer une discipline, celle de l'école naturaliste fait mer-
veilleusement l'affaire, à la fois des esprits aventureux et de la masse.
Cependant en marge de cette exubérance, la science progresse grâce à
quelques grands esprits qui, les uns et les autres, vont saper la synthèse
aristotélicienne. Mais l'évolution ne suit pas une ligne droite, elle est faite
de quantités de contributions diverses.
Les P.rogrèsde l'astronomie achèvent le travail de démolition du «cosmos»
aristotelicien commencé par les philosophes (Nicolas de Cues). La terre était au
centre de l'Univers en vertu de la structure de cet univers. Avec Copernic(né en
Pologne, 14 73-1543) un principe et une force physiques se substituent à un lien
métaphysique et à une structure cosmique. La terre fait partie dorénavant d'un
univers unique non hiérarchisé.
1. Op. cit..
2. Op. cit.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 31
faire ; ceci pourrait paraître banal mais ma nifeste, ce qui est neuf : la foi
dans le progrès, une pensée consciente de sa nouveauté et tournée vers
l'avenir.
Homme du passé par son dédain pour les mathématiques, son attache-
ment à une physique qualitative trop souvent mêlée de métaphysique, il
prépare la pensée moderne en préconisant l'union de l'expérience et de la
réflexion. Il a compris le sens du raisonnement inductif et donné une
valeur morale à l'observation de la nature. « Homme de transition, écrit
Lenoble, homme du XVIesiècle encore. D'un savant de la Renaissance, il
garde tous les caractères. Il est éclectique, curieux, tumultueux, et aussi
plein de confiance dans l'avenir 1.»
§ 5. Le XVIIe siècle
48 Le changement ◊ R. Lenoble note que l'apparition d'une doctrine
neuve dans les sciences est comparable à celle d'un type nouveau en bio-
logie, elle explose partout à la fois. Sans doute ceci provient-il du fait qu'il
n'y a pas ou peu de doctrines véritablement neuves, mais le plus souvent
des tendances, un glissement des théories elles-mêmes, mais aussi ou sur-
tout de ce qui les entoure. Les oppositions s'assouplissent. C'est ainsi que
le XVIIesiècle voit triompher les institutions et tendances novatrices du
siècle précédent
Les découvertes se multiplient dans tous les domaines de la science : loi de la
chute des corps et lunette astronomique (Galilée 1604 et 1610), circulation du
sang (Harvey 1628), expérience sur la pesanteur de l'air (Torricelli 1644), théorie
de la lumière (Newton 1670), microscope, calcul différentiel (Bernoulli 1690),
machine à vapeur (Papin 1690).
Le plus frappant, c'est l'apparition d'une mentalité scientifique
moderne, qui a permis de comparer ce siècle au nôtre pour son impor-
tance.
49 René Descartes (1596-1650) 2 ◊ Si certains sont victimes de
légendes, Descartes comme Bacon, a au contraire bénéficié, en France
surtout, d'une simplification flatteuse de ses conceptions et c'est à tort
qu'on le considère à l'origine du développement de la pensée moderne. Il
insiste sur la valeur des mathématiques non pour leur précision quantita-
tive, mais seulement pour la certitude et l'évidence de leur démarche.
Il cherche à prouver la validitéde la scienceet pose les questions laissées
en suspens par Aristote et ses successeurs : Comment concilier l'univers
quantitatif et la perception qualitative ? Qui nous dit que nos représenta-
tions s'accordent avec les choses et que le monde est intelligible? Il ne
donne pas de justification scientifique mais une réponse métaphysique:
la raison s'accorde aux choses parce que toutes deux sont l'œuvre de
1. Op. dt., 451.
2. Op. dt., p. 477.
36 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE
divers, Galilée sera, pour la postérité, l'homme condamné par Rome pour
avoir affirmé « que le soleil est le centre de l'Univers, qu'il ne se meut pas
d'Orient en Occident, que la terre se meut et n'est pas le centre du
monde » ce qui est contraire à !'Écriture et « insensé et absurde en philo-
sophie».
On sait moins que le procès de Galilée n'a pas ému l'opinion de son époque,
ni gêné la diffusion de ses idées. Mais l'histoire a besoin d'exemples et d'idées
simples. La lutte de la science, de la liberté et de la vérité contre l'autorité et l'obs-
curantisme, voilà ce qui reste du procès de Galilée.)..es belles études de Koyré cor-
rigent cette image 1. Dans ce procès intenté par l'Eglise, elle était sur le plan des
idées, défenderesse comme diraient les juristes. Au demandeur d'apporter les
preuves. Car si Galilée avait raison comme la suite devait le montrer, il ne le
prouvait pas ou plutôt les preuves qu'il avançait étaient fausses ou invérifiables. A
cette époque la physique de Galilée : l'héliocentrisme, paraissait absurde par rap-
port au critère de vérité que constituait : « la raison naturelle », mélange de révé-
lation, de doctrine, d'autorité des grands penseurs, et d'habitudes. Accepter de
faire du soleil le centre du monde, c'était faire basculer tout l'Univers, traiter la
Terre en planète parmi d'autres, b~ef renoncer à cette hiérarchie de la nature,
principe d'ordre fondamental, or l'Eglise ne se situe pas sur le plan de la science
mais sur celui des principes 2 •
Alors soyons justes et reconnaissons les risques courus par les juges. Ils
devaient trancher, sans preuves suffisantes, un problème remettant en
cause non seulement des connaissances, mais tout un équilibre : la
conception du monde, la démarche de la pensée, sans parler du halo
d'images sensibles mais aussi affectives: l'image du Cosmos, de la terre,
l'idée que chacun en avait 3. Comme l'écrit R. Lenoble, dans l'affaire Gali-
lée: « Il s'agit non comme on le croit d'un simple épisode de la lutte de
l'intelligence contre la bêtise, mais d'une « grande cause» parce qu'elle
tendait à un drame de l'esprit... Si l'on comprend que les savants aient
tout risqué pour les progrès de leur technique, il faut aussi comprendre
que les hommes d'une autre formation et sur lesquels pesaient de lourdes
responsabilités, n'aient pas osé tenter l'aventure ... A trop simplifier le
debat on perd jusqu'à la perception exacte de ce qui fut le premier acte de
« la crise de conscience européenne 4. [...] Deux époques se heurtent et
non pas seulement des hommes; voilà pourquoi ce procès allait prendre
un jour la valeur d'un symbole 5 . »
§ 6. Bilan du développement
de la pensée scientifique
53 1 ° Les obstacles aux progrès des sciences ◊ Les sciences ne se déve-
loppent pas dans un vide social. Si elles influencent les progrès de l'esprit
1. A. Koyré (1966).
2. De la même façon bien qu'avec plus de prudence, elle condamne les moyens anti-
conceptionnels, non en se limitant au plan éthique ou au plan médical, mais en se référant à une
notion de nature imprécise et sujette à évolution.
3. H. Védrine (1976).
4. R. Lenoble (1957}, p. 476.
5. Op. cit., p. 471.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 39
§ 7. le XVIIIe siècle
62 1 ° La vulgarisation de la sdence ◊ Sur le plan scientifique le xvi1f
siècle est newtonien. Malgré quelques opposants : les philosophes Leibniz
(1646-1716) et Berkeley (1685-1753), la science de l'époque se méfie
des systèmes et cherche à découvrir les lois des phénomènes. D'Alembert
(1717-1783) dans son discours préliminaire de }'Encyclopédieparle de
1. R. Blanché (1969), p. 24.
2. In R. Lenoble (1957), p. 482.
3. R. Blanché (1969), p. 26.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 43
« L'historien des sciences doit prendre les idées comme des faits. L'épisté-
mologue doit prendre les faits comme des idées en les insérant dans un
système de pensée. Un fait mal interprété par une époque, reste un fait
pour l'historien. C'est au gré de l'épistémologue un obstacle, c'est une
contre-pensée 1 . » Ces contre-pensées, ce sont les idées toutes faites, les
préjugés, les fausses évidences : Je soleil se lève, la terre est plate ... et pour-
quoi pas, aussi bien, les nègres sont paresseux et les femmes bavardes.
63-1 b) L'expérience première ◊ Les sciences du XVIIIesiècle font appel à
l'expérience quotidienne. La pensée préscientifique est entrée dans le
siècle comme une distraction, non comme une réflexion véritable. La
facilité, le pittoresque, gages de succès, suppriment la recherche, le sens
du problème. Tout homme cultivé s'intéresse à la science, surtout lors-
qu'elle permet comme l'électricité, quantité d'expériences qui amusent
les gens du monde : araignée électrique, baiser électrique, etc.
L'aspect scientifique construit, réfléchi, de l'expérimentation, s'efface
devant l'inusité, le sensationnel.
64 c) La connaissance générale ◊ D'Aristote à Bacon la généralisation,
l'induction sont considérées comme scientifiques. Or « ces lois générales
définissent des mots plus que des choses». Après avoir été attiré par le
singulier (premier obstacle), l'esprit est tenté par l'universel (second obs-
tacle). Ce sont, nous l'avons vu les deux aspects du concept: compréhen-
sion et extension. Mais si l'un et l'autre bloquent la pensée, d'où viendra
le progrès?«[ ...] la richesse d'un conce~t scientifique, écrit Bachelard, se
mesure à sa puissance de déformation . » La science ne trouve pas les
objets tout faits, elle doit constamment rectifier, compliquer l'idée qu'elle
se fait des choses. « Le physicien essaiera de compléter le phénomène, de
réaliser certaines possibilités que l'étude mathématique a décelées [ ...] Ce
qui retient son attention ce n'est plus le phénomène général, c'est Je phé-
nomène organique, hiérarchique, portant la marque d'une essence et
d'une forme et en tant que tel perméable à la pensée mathématique 3 • »
Toute généralisation hâtive détourne de la voie patiente de l'expérience.
Bachelard donne l'exemple de concepts issus de ce genre de l?rocédé.Lacoagu-
lation qui amène à la congélation et par des analogies, aboutit a des affirmations
sans fondement sur l'identité du lait, du sang, de l'eau et même de la sève des
arbres. De la même façon le concept de fermentation suggèrecelui de digestion et
de mouvement... secouez donc les nourrissons après chaque tétée I Enfin un seul
mot sert d'explication à toute une série de phénomènes: c'est le cas de l'éponge
qui donne lieu à des raisonnements étranges concernant l'air (Réaumur), l'e1ec-
tricité (Franklin), la terre, etc. Alors que dans la mentalité scientifique l'analogie
peut servir à illustrer une théorie et intervient après, elle joue avant, on pourrait
presque dire « à la place de», dans la mentalité préscientifique.
La généralisation est souvent accompagnée d'un besoin d'unité : la
nature ne peut être hostile. L'homme du XVIIIesiècle l'aime plus qu'il ne
1. G. Bachelard (1960), p. 17.
2. Op. cit., p. 61.
3. Op. cit., p. 65.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 45
SECTION3. LA SCIENCE
DU XIXe SIÈCLE A NOS JOURS
§ 1. Le x1r siècle
67 Les oppositions théoriques ◊ Après le triomphe de la méthode expé-
rimentale au xvrnesiècle, il appartient au ~ siècle, avons-nous dit, de se
poser à son sujet de nouvelles questions. L'ambiguïté de la notion de
méthode : discipline intellectuelle ou ensemble de procédés techniques,
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 47
prête à des conceptions différentes. Suivant que l'on insiste sur l'état d'es-
prit qu'anime l'expérimentation ou les règles qui la régissent, on adopte
un point de vue différent sur les buts de la science, le rôle de l'hypothèse,
celui des théories et la signification des lois.
Pour les uns, dit R. Blanché, il ne s'agit pas de comprendre mais seule-
ment de connaître. « [ ...] l'aptitude à la prévision est le but dernier de la
science, la possibilité de la vérification, son exigence première. Tout le
reste est métaphysique». Pour d'autres, plus fidèles à l'inspiration carté-
sienne, « le but dernier de la science est d'atteindre par-delà la prévision
des phénomènes leur explication 1 . » Les deux courants sous des formes
plus ou moins complexes ont partagé la pensée occidentale à travers l'his-
toire.
Sur le plan philosophique,la première tendance s'appelle le positivisme,
la deuxième rallie ce qui lui est opposé.
Sur le plan scientifique,la première est liée à l'énergétique, la deuxième
au mécanisme 2 .
68 Positivisme et scientisme. a) Auguste Comte (1798-1857) ◊ C'est
le plus illustre représentant du positivisme. D'après lui, le caractère
fondamental de la philosophie positive est « de regarder tous les phé-
nomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables 3 ».
Il assigne un rôle restreintaux hypothèsesqu'il distingue en deux classes : « Les
unes jusqu'ici peu multipliées sont simplement relatives aux lois des phéno-
mènes, les autres, ... concernant la détermination des agents généraux auxquels
on rapporte les différents genres d'effets naturels... les premières sont seules
admissibles ; les secondes, essentiellement chimériques ont un caractère anti-
scientifique et ne peuvent désormais qu'entraver radicalement le progrès réel de la
physique bien loin de le favoriser. » Pour lui, « la vraie théorie relative à l'institu-
tion des hypothèses est que toute hypothèse scientifique, afin d'être réellement
jugeable, doit exclusivement porter sur les lois des phénomènes et jamais sur leur
mode de production».
E. Mach (1838-1916). Le positivisme allemand se développe dans une atmo-
sphère très différente de celle du positivisme français. Il s'oppose avant tout à la
métaphysique allemande (Fichte, Schelling, Hegel) et surtout à Kant. E. Mach
exerça une profonde influence en particulier sur Einstein jeune. Il déclare : « [ ...]
nous devons limiter notre science physique à l'expression des faits observables,
sansconstruiredeshypothèsesderrière ces faits[ ...]. On se tromperait en attendant
des hypothèses plus d'éclaircissements que des faits eux-mêmes 4 [ ...] ».
69 b) Le scientisme ◊ Pour comprendre les excès des théoriciens, il faut
tenir compte des éléments irrationnels qui les motivent, contre qui et
contre quoi ils luttent. Renouvier a qualifié de « scientisme » la position
des « ultra » de l'esprit scientifique, qui s'opposent à la religion et à tout
ce qui de près ou de loin rappelle la métaphysique. Comme le note
1. R. Blanché (1969), p. 149 et sq.
2. Dès 1847, H. Von Helmholtz (1821-1894) s'appuyant sur le principe de causalité, découvre le
principe de conservation de l'énergie, deuxième principe de thermodynamique.
3. A. Comte (1907).
4. E. Mach (1885), p. 204.
48 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE
nisse, de son propre fonds, un principe de connexion. Les perles sont là, mais
elles ne forment pas un collier avant que quelqu'un n'apporte le fil 1.»
E. Meyerson(1859-1933): « La loi joue certes un rôle immense dans la
science, puisqu'elle permet la prévision et partant l'action. Mais elle ne contente
pas l'esprit qui cherche au-delà d'elle une explication du phénomène 2. »
M. Planck(1858-1947) réclame pour la science une définition plus ambi-
tieuse. « Le point essentiel, c'est que le monde de la sensation n'est pas le seul
monde dont on puisse concevoir l'existence., mais qu'il y a encoreun autre
monde.» « [...] ce noble nom« science exacte» ne doit pas entraîner qui que ce
soit à sous-estimer la valeur de cet élément d'irrationalité 3• »
1. A noter cependant que si la notion de finalité a disparu de la pensée scientifique, elle persiste
encore en biologie, non comme intention extérieure mais parce qu'inscrite dans la structure interne
de la cellule, cf. Monod, Le hasardet la nécessiti(B. 66). Finalité pour laquelle est proposé le terme de
«téléonomie», purgé de toute implication métaphysique.
2. Cf. R. Blanché (1969), p. 333.
3. Auquel nous empruntons les réflexions qui suivent.
4. F. Enriquez (1934) (B. 66) et s.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 51
§ 2. Le XXe siècle
76 L'empirisme logique ◊ Les oppositions se poursuivent sur le plan phi-
losophique entre la tendance scientiste et la réaction qu'elle suscite : berg-
sonisme, etc. Sur le plan de l'épistémologie des sciences, l'orientation la
plus nouvelle et la plus intéressante est celle de l'empirisme logique. C'est
un courant philosophique dont les manifestations principales furent
l'atomisme logique 1 en Grande-Bretagne, le néo-positivisme ou positi-
visme logique, issu du cercle de Vjenne et la philosophie logique contem-
poraine, son prolongement aux Etats-Unis.
Participant de la philosophie et des sciences, ces trois tendances pré-
sentent des caractéristiques communes: méfiance à l'égard de la méta-
physique et du subjectivisme et, ce qui fait leur originalité, attachement à
la fois à l'expérience sensible et à la logique.
Comme le note L. Vax (1970), les véritables sources de l'empirisme
logique sont l'empirisme anglo-saxon et la logique formelle moderne.
« Empiriste plutôt qu'empirique, cette philosophie est au contraire un
discours très abstrait sur une science elle-même abstraite, encore que fon-
dée sur l'observation 2 • »
76-1 a) L'atomisme logique ◊ B. Russell (1871-1970) en est le plus illustre repré-
sentant. Malgré des modifications d'étiquettes et des nuances dans les théories,
l'essentiel de l'empirisme logique demeure l'accord sur la séparation entre le fac-
tuel et la logique, le cognitif et l'émotif.
Il semble que leurs contemporains aient à tort vu dans Wittgenstein (1889-
1951) un disciple de Russell et fort mal interprété le Tractatus(1918) 3 • Le carac-
tère original de l'auteur ne facilitait pas la compréhension de son œuvre.
E. Mach et les premiers néo-positivistes croyaient à une correspondance entre
une théorie et la série de sensations ou d'observations qui lui donnent une
« signification physique». Pour Wittgenstein au contraire, toute axiomatique
demeure probabilité. La théorie ne peut définir qu'un ensemble formel et les rela-
tions logiques ne sont vraies qu'à l'intérieur d'une symbolique.
En fait Wittgenstein était un philosophe qui cherchait non à déterminer les
bases de la connaissance mais la nature et les limites du langage et sur ce point
encore il s'opposait aux positivistes. « Le positivisme soutient - et c'est son
essence même - que nous pouvons parler de tout ce qui importe dans la vie. Tan-
dis que Wittgenstein est passionnément convaincu que « tout ce qui importe
dans la vie est précisément ce qu'il faut taire » 4 •
LeTractatusétait une tentative pour séparer le domaine de la raison de celui de
l'imagination, comme l'auteur estimait devoir séparer les faits des valeurs et s'op-
posait aux tendances techniques et à l'empirisme logique des universitaires améri-
cains de 1950, héritiers du Cercle de Vienne.
1. Le titre de positivisme ne doit pas entraîner de confusion. Le seul point commun avec A.
Comte est la réaction contre la métaphysique.
2. L. Vax (1979), p. 7.
3. E. Engelman (1967), A. Janik (1973), J. Clammer (1976}, D. Nicolet (1989}.
4. P. Engelman, in Janik (1973}.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 53
avant tout soucieux de ne pas inclure dans leur philosophie, des choses qui
n'existeraient ni dans le ciel ni sur la terre 1 ».
79 La réticence des Français ◊ Bien que leur premier congrès ait eu lieu
à Paris en 1935, les néo-positivistes eurent peu de succès en France. Leur
pensée heurtait la vieille tradition rationaliste hostile à la logique, de la
philosophie française. Curieusement, on constate que les philosophes qui
reconnaissaient la valeur du sensible (Aristote, Saint-Thomas) admet-
taient également celle de la logique, alors que les rationalistes (Descartes,
Bnmschwig) la méprisaient comme une simple technique, fastidieuse par
rapport à la noble intuition intellectuelle. Mais si le subjectivisme de l'in-
tuition rend le rationalisme suspect, la logique amène aussi à douter de la
pensée, à se méfier de la raison, dans la mesure où sa production échappe
à la vérification.
Comme le note L Vax: « La philosophie de jadis prétendait imposer à
l'homme des règles de connaissance et de conduite; celle d'aujourd'hui se
contente souvent de décrire l'expérience vécue. Le passage de la phénoménologie
transcendantale, qui voulait fonder la connaissance, à la phénoménologie exis-
tentielle, qui décrit l'expérience vécue du vulgaire, en est un témoignage frap-
pant 2 . »
Plus grave était la volonté des néo-positivistes de limiter la philosophie
au plan linguistique. Pour eux, la science s'occupe des choses, la philo-
sophie, du langage qui en parle. On a comparé son rôle à celui des cours
de cassation qui ne jugent pas des faits mais des jugements. Enfin dernier
grief contre les néo-positivistes, en renouant avec l'ancienne tradition des
philosophes-savants, ils heurtaient en France la regrettable et sacro-sainte
séparation entre les Sciences et les Lettres.
80 Bilan de l'empirisme logique ◊ On doit retenir à l'actif de l'empi-
risme logique : d'abord la dénonciation des faux problèmes, une grande
rigueur scientifique alliée à beaucoup de souplesse due à la conception de
la vérité comme recherche, non comme absolu, ensuite la remise à l'hon-
neur d'une logique formalisée, symbolique, proche des mathématiques
modernes, qui elles-mêmes échappent à l'intuition sensible et rendent
possible la solution de problèmes nouveaux. Mais on peut reprocher au
néo-positivisme la prétention de détenir des critères pour juger a priori de
la légitimité d'une recherche. Négliger ce qui n'est pas vérifiable sous pré-
texte de chasser la métaphysique, c'est courir le risque de se priver de
découvertes. La logique fournit des preuves mais elle ne découvre rien, or
la science a besoin d'imagination, d'invention autant que de rigueur. Par
refus d'admettre des objets «réels», Ostwald, Duhem et Mach ont été
passionnément anti-atomistes. Enfin dernière critique: l'empirisme
logique trouve ses meilleurs arguments dans le domaine de la logique et
aurait dû s'en tenir là. Dans la mesure où il se prétend une philosophie,
on doit constater les faiblesses de sa théorie de la connaissance et son
1. ln L. Vax, p. 72.
2. Op. cit., p. 100.
LA SCIENCE DU XIX" SIÈCLE A NOS JOURS 55
1. A. Boutot (1993) L'inventiondesformes, p. 10, Odile Jacob, 375 p. Livre passionnant auquel
nous empruntons une part des informations qui suivent.
2. G. Bachelard, 2c éd. 1973, Le pluralismecohérentde la chimiemoderne,Vrin.
3. J. Gleick (1989), La théoriedu chaos,Albin Michel, p. 21. C'est nous qui soulignons.
4. A. Boutot (1993), p. 23.
5. La théoriedes catastrophesest due au mathématicien anglais Cristopher Zeeman, cf. (1980).
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 59
rien ce n'est pas aussi évident que dans les sciences naturelles. Cette diffi-
culté soulevée par la vérification devrait rendre les sociologues
particulièrement prudents dans leurs affirmations et interprétations.
C'est, à eux, autant sinon plus qu'aux savants des sciences naturelles, que
s'appliquent les consignes de Bachelard sur le doute scientifique, la
méfiance vis-à-vis de ses impressions, la nécessité d'une rupture épisté-
mologique.
L'industrialisation, l'urbanisation, la violence, posent aujourd'hui des
problèmes aussi difficiles à résoudre que la chute des corps pour nos
ancêtres. Les problèmes humains sont autres et il ne s'agit pas de les
comparer abusivement, mais de rapprocher des attitudes semblables face
à des problèmes différents. Il faut se méfier des certitudes, des évidences,
c'est la grande leçon que l'histoire des sciences peut donner aux sciences
sociales. Seuls une longue patience, un mélange de doute prudent et de
curiosité passionnée peuvent amener des progrès dans la compréhension
de vérités provisoires.
En sciences sociales, nous en sommes au stade de l'alchimie, la dif-
férence avec le x:-f siècle, c'est que nous le savons.
86 Bibliographie ◊
AooRNo (T.N.), POPPER (K.R.) 1979. - De Vienne à Francfort,la querelle
allemandedes Sdencessociales,trad. P.U.F., 280 p.
ALEXANDER a.c.) 1982. - Theoreticallogicin sociology,vol. I. Positivism,pre-
suppositionsand currentcontroversies,Univ. of California Press, 234 p.
1973. -Autocritique de la sdence,textes réunis par A. Jaubert et J.-M. Lévy-
Leblond, Seuil, 380 p.
**BACHELARD (G.) 1968. - Le nouvel esprit scientifique,1oe éd., P.U.F.,
181 p.
**- 1915. - La formation de l'espritscientifique,Vrin, 11e éd. 1980, 295 p.
- 1940. - La philosophiedu non, essai d'une philosophiedu nouvel esprit
scientifique,6e éd. 1973, P.U.F., 148 p.
- 1951. - L'activitérationalistede la_ehysique contemporaine,P.U.F.,227 p.
* 1957. - Hommageà Bachelard,Etudes de philosophieet d'histoire des
Sdences,P.U.F., 216 p.
BAUDOIN a.) 1992, Karl Popper,P.U.F.
BÉNEZÉ (G.) 1967. - La méthodeexpérimentale,P.U.F., coll. Sup, 3e éd.,
118 p.
BERNARD(C.) 1865. - Introductionà l'étude de la médecineexpérimentale,
Garnier-Flammarion, 1966.
BIANCHÉ (R.) 1967. - La sdenceactuelleet le rationalisme,P.U.F., 128 p.
**- 1969. - La méthode expérimentaleet la philosophiephysique, Colin,
369 p.
BoUToT (A) 1993. - L'inventiondesformes, Odile Jacob, 376 p.
BouVERESSE(R.) 1972. - « Wittgenstein par lui-même», Le Monde, 19-
20 mars.
- 1981. - 2e éd. Karl Popper,Vrin, 316 p.
- 1991. - « Philosophie de la logique et philosophie du langage », Age de
la sciencen° 4, Odile Jacob.
64 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE
CHAPITRE3
L'ÉVOLUTION
DES SCIENCESSOCIALES
car elle est volontariste.Elle signifie que la société n'est pas une institution
divine, ni ce qui revient au même, issue d'un ordre naturel mais qu'elle
est l'œuvre d'individus égaux. De ce fait, elle s'oppose aux conceptions
féodales d'une hiérarchie naturelle et nécessaire des ordres, des états et
des hommes. Ceci explique l'attitude non plus moralisante, mais polé-
mique, des auteurs, antérieurement cités. D'après Althusser: « Ils ne vou-
laient pas comprendre tous les faits, mais fonder, c'est-à-dire proposer et
justifier un ordre nouveau. 1 »
Une véritable science sociale exigeait au contraire la recherche des faits
et pour cela une vue plus objective, moins utilitariste. C'est chez Vico et
chez Montesquieu que l'on trouvera pour la première fois une telle atti-
tude.
91 4° Le XVIIIe siècle. a) La science politique. Vico (G.B.) (1668-
17 44) ◊ Philosophe napolitain, précurseur de Comte (qui regrettait de
ne pas l'avoir connu), Vico par sa loi des trois états, (âge divin, âge
héroïque, âge humain) tente de découvrir dans l'histoire les critères de la
vérité 2 . Il nous intéresse par le modernisme de ses techniques de
recherches (études de documents, analyse linguistique), parce qu'il veut
appliquer aux faits sociaux les principes de Bacon en écartant les vues
normatives, en faveur d'une étude réaliste et objective.
Enfin on peut dire que pour lui l'État n'est pas seulement une totalité
idéale, comme chez Platon ou Hobbes, mais une totalité réelle, concrète.
Législation, institutions, coutumes, ne sont que la conséquence et l'ex-
pression de son unité. Avec Montesquieu, écrit L. Althusser (1969) « la
totalité qui était une idée devient une hypothèse scientifique destinée à
rendre compte des faits 1 ».
A côté de la réflexion politique, d'autres sciences humaines s'orien-
taient elles aussi vers une recherche plus scientifique. Comme dans les
sciences naturelles, c'est tout l'ensemble qui évolue. Avant d'aborder les
facteurs de progrès et les obstacles aux sciences sociales, signalons rapide-
ment les progrès de l'économie, de la statistique et les noms de quelques
auteurs qui les illustrent.
94 b) L'économie. En 1615 Antoine de Montchretien (1575-
1621) ◊ Auteur dramatique, publie le premier traité d'économie politique. En
1750, E. Quesnay (1694-1774) médecin de Louis XY fonde l'école physiocra-
tique. Les considérations qu'il expose débordent l'économie et rejoignent le droit
et la sociologie. Fondée sur le droit naturel et le contrat, c'est une doctrine libérale
qui tente d'élaborer une science sociale sur des principes rationnels.
Adam Smith (1723-1790) économiste écossais reprend dans les Recherches
sur la natureet lescausesde la richessedesnations (1776) les idées des physiocrates.
Cet ouvrage qui eut un grand succès est intéressant par sa logique qui annonce la
méthode comparative.
95 c) La. statistique ◊ C'est au xvi1• siècle que s'est affirmée l'idée que certains
événements sociaux pouvaient être q_uantifiés.Les problèmes de dénombrement
démographique furent les premiers a être abordés systématiquement malgré la
réticence des sujets interrogés. Les premières tables de mortalité furent établies
par un Anglais: Graunt et publiées en 1662 2 • A la fin du XVII"siècle, l'art de
« l'arithmétique politique» suivant la dénomination de W. Petty (1623-1687)
est devenu une spécialité britannique. Pourtant, à la même époque en Allemagne,
H. Conring (1606-1682) s'intéresse aussi aux problèmes de gouvemçment et
cherche le meilleur ense!Jlble de catégories pouvant caractériser un Etat. Son
«modèle» est celui de l'Etat comme unité active. Sous son influence posthume
s'ouvre, en 1737, l'uajversité de Gôttingen qui enseigne la statistique, entendue
comme science de l'Etat. Gottfried Achenwall (1719-1772) y sera considéré
comme le fondateur de la science allemande non quantitative. Celle-ci s'opposera
avec véhémence aux statisticiens vulgaires. « Ces pauvres Îl]lbéciles répandent
l'idée insensée que l'on peut comprendre la puissance d'un Etat en ne connais-
sant que sa superficie, sa population, son revenu national et le nombre d'ani-
maux broutant alentour». L'opposition à la quantification des sciences sociales
s'exerce même dans le domaine du mesurable ... parce que l'on n'en voit pas l'in-
térêt.
]. P. Suessmilch (1707-1767) auteur allemand est intéressé par la médecine.
Devenu pasteur, il publie en 1742 : L'ordredivinprouvépar la natalité,la mortalité
et la fertilité du genrehumain. Il est le premier à avoir étudié non seulement les
taux de naissance et de décès mais la fertilité dont il cherche les facteurs de varia-
tion. Il s'agit là de précurseurs, le fondateur de la statistique est un médecin
belge: Adolphe Quételet (1796-1874).
1. Hegel en reprenant la notion de totalité a reconnu ce qu'il devait au génie de Montesquieu.
2. Elles étaient en partie établies d'après les affichages publics des enterrements.
72 L'ÉVOLUIION DES SCIENCES SOCIALES
science, mais nous attacherons plutôt à faire le point sur leur nature, sur leur
orientation, et surtout leurs problèmes méthodologiques.
106 2° Sciences sociales et sciences humaines ◊ A voir utiliser tantôt le
titre de sciences humaines (cf. anciennes facultés de lettres) tantôt celui
de sciences sociales (cf. nouvelles universités) enfin de sciences de
l'homme, on peut se demander quelle est la différence... s'il y en a une,
ou s'il ne s'agit que d'une division universitaire historique.
Pour C. Lévi-Strauss (1964) l'expression même de sciences sociales
recèle un pléonasme, car en se déclarant « sociales », elles impliquent
déjà qu'elles s'occupent de l'homme, et il va de soi qu'étant donc d'abord
humaines, elles sont « sociales » automatiquement. Pour lui le critère de
distinction serait d'ordre pratique « sous le manteau des sciences sociales,
on trouve toutes celles qui acceptent sans réticence de s'établir au cœur
même de leur société, avec tout ce que cela implique en fait de prépara-
tion des élèves à une activité professionnelle et de considération des pro-
blèmes sous l'angle de l'intervention pratique ». Ceci regrouperait études
juridiques, sciences économiques et politiques, psychologie sociale, cer-
taines branches de la sociologie. En revanche, les sciences humaines
seraient celles qui se mettraient en dehors de chaque société particulière :
« vis-à-vis des sciences exactes et naturelles, les sciences sociales sont en
position de clientes, alors que les sciences humaines aspirent à devenir
des disciples [ ...] la différence n'est pas seulement affaire de méthode;
elle est aussi affaire de tempérament... [ ...]. Aux sciences exactes et natu-
relles les sciences humaines ont emprunté la leçon, qu'il faut commencer
par récuser les apparences, si l'on aspire à comprendre le monde ; tandis
que les sciences sociales se prévalent de la leçon symétrique, d'après
laquelle on doit accepter le monde si on prétend le changer. »
Ces formules séduisantes ne sont pas convaincantes car nous verrons
qu'en sciences sociales comme en sciences humaines, il faut récuser les
apparences si l'on veut faire œuvre scientifique.
La distinction proposée par J. Piaget 1 paraît plus proche de la réalité.
Après avoir déclaré qu'aucune différence de nature ne permettait de dis-
tinguer sciences sociales et sciences humaines, il pense que l'on peut
regrouper:
1° les sciences « nomothétiques», disciplines qui cherchent à dégager
des lois ou des relations quantitatives. Ce sont la psychologie scientifique,
la sociologie, l'ethnologie, la linguistique, l'économie et la démographie.
Toutes utilisent des méthodes soit d'expérimentation stricte soit d'expéri-
mentation au sens large d'observation systématique, et de ce fait sont
amenées à ne faire porter leurs recherches que sur peu de variables à la
fois.
2° les sciences historiquesqui reconstituent le déroulement de la vie
sociale au cours des temps.
3° les sciences juridiques.
4° enfin les disciplines philosophiques.
1. J. Piaget (1970) in Tendances,1" partie.
78 L'ÉVOLUIION DES SCIENCES SOCIALES
CHAPITRE4
LESDIFFÉRENTES
SCIENCESSOCIALES
SOUS-SECTION
1. Le courant évolutionniste
109 1 ° En Europe ◊ Le courant évolutionniste, directement lié à la philo-
sophie de l'histoire, est antérieur au darwinisme, et compte des représen-
tants dans toute l'Europe.
Ceux-ci se caractérisent par leur tendance plus ou moins organiciste 1. On peut
citer Lllenfield Toailles (1829-1903) russe d'origine suédoise. En France A. Espi-
nas (1844-1922) qui enseignait à Bordeaux en même temps que Durk-
1. La sociétéest un organisme vivant sujet à des lois naturelles : coopération, divisiondu travail,
etc.
80 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
2. Le courant théorique
SOUS-SECTION
§ 1. La sociologie en France
110 Claude Henri Comte de Saint-Simon (1760-1825) ◊ D'après
Durkheim, il mérite plus que Comte le titre de père spirituel de la sociolo-
gie contemporaine.
On trouve en germe chez Saint-Simon, les idées qui ont alimenté la réflexion
de notre époque : notion de réalité sociale, rapport entre production matérielle et
production spirituelle : ... « c'est dans l'industrie que résident en dernière analyse
toutes les forces ~éellesde la société [ ...] opposition de classes et domination de
l'une d'elle par l'Etat, enfin opposition de la réalité sociale rigide, aux forces spon-
tanées qu'elle recouvre. »
Sur le plan de la méthode, il réaffirme à la suite des encyclopédistes la nécessité
de constituer une« science autonome des faits sociaux». Influencé par des idéo-
logues et des médecins (Cabanis, Bichat), il est intéressé par la physiologie et c'est
sur le modèle de cette science qu'il conçoit ce qu'il nomme « la science nou-
velle». Dans son mémoire sur La sciencedel'homme(1813) il insiste sur la néces-
sité de raisonner à partir de faits vérifiés et prouvés.
Mals il reste un utopiste encore marqué par l'influence de la philo-
sophie de l'histoire.
111 Pierre Proudhon (1805-1865) ◊ Pour lui la« science sociale» a
pour objet de révéler les antinomies qui opposent dans la société groupes
et classes... « Après avoir produit la raison et l'expérience sociale, l'huma-
nité procède à la construction de la science sociale ». Comme chaînon
intermédiaire entre Saint-Simon et Marx, Proudhon est important. Sur le
plan méthodologique, il reste un utopiste plus dogmatique que Saint-
Simon. Sur le plan politique, c'est avec M. Bakounine, le père de l'anar-
chie.
112 Auguste Comte (1798-1857) ◊ Il est considéré (lui aussi!) comme
le père de la sociologie. Après l'avoir appelée « physique sociale», nom
déjà utilisé par le statisticien Quetelet, il créa le terme de « sociolo-
gie». Il mérite son titre de fondateur, pour une autre raison moins
anecdotique. Il est le premier dans son Cours de philosophie positive 1 et
son fameux Discours sur l'esprit positif, à présenter de façon systéma-
tisée les principaux problèmes sociologiques.
Secrétaire de Saint-Simon, A. Comte reconnaît avoir subi l'influence de Bos-
suet et de Maistre dont il retient le goût pour l'histoire, de Montesquieu et
Condorcet auxquels il emprunte, au premier la notion de déterminisme, au
second l'idée des étapes des progrès de l'esprit humain.
A l'origine de la vocation de Comte, polytechnicien, se trouve cette affirma-
tion: « Soyons en rapport avec les hommes pour travailler à l'amélioration de
leur sort 3 ». Il est un exemple parmi beaucoup d'autres, de l'influence des événe-
ments politiques et sociaux sur la naissance d'une vocation de sociologue et de
l'orientation d'une réflexion sociologique. Dans une société industrielle en plein
1. In op. dt.
2. Cours IV p. 231 in P. Arnaud, p. 94.
3. Dans cette cx:uvresi riche, la plupart des commentateurs négligent cet aspect. Aussi faut-il
apprécier la part qui lui est faite par P. Arnaud, auquel nous ferons de nombreux emprunts.
4. In Arnaud (1969), p. 18.
5. In op. dt., p. 14.
6. In op. dt., p. 17.
7. In op. dt., p. 10.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 83
Ce qui importe c'est d'établir entre les faits un enchaînement réel,« les lois qui
président au développement social de l'espèce humaine 1 ».
Mais cet enchaînement est égalitaire, il lie plus ou moins entre eux des
séries de phénomènes humains différents (série scientifique, esthétique,
morale, etc.) qui sont à la fois cause et effet et ne peuvent être étudiés
qu'au sein de la totalité qu'est la société. Comte, par opposition à toute
métaphysique et du fait de l'interdépendance des phénomènes sociaux,
s'interdit de rechercher les causes au sens mécaniste ou providentiel du
terme, car la notion de cause ne peut convenir à la nature des faits
sociaux. Le but de la loi, étape ultime de la physique sociale, n'est plus de
rechercher des concomitances, mais de rendre le réel compréhensible,
c'est-à-dire de l'expliquer en le rendant intelligible. Pour Comte, l'intelli-
gibilité proviendrait de la qualité compréhensivede l'explication 2 , dont le
caractère subjectif est indispensable lorsqu'il s'agit d'un phénomène
reliant des hommes entre eux. Comprendre une relation entre deux faits
sociaux c'est être capable de les intégrer à une visée humaine 3 • Le fait que
l'observation des hommes soit faite par des hommes, fait prédominer le
caractère humain de la science sur son aspect positif.
116 La spécificité des faits sociaux o Autre élément à l'actif
d'A. Comte, il affirme après Montesquieu (qui l'appliquait au domaine
politique) la spécificitédesfaits sociaux.La science sociale, pour se consti-
tuer en discipline autonome, doit déterminer son domaine, sélectionner
des faits qui lui soient propres. Ceux-ci relèvent d'abord de la notion de
« consensus fondamental » idée que l'on retrouvera chez de nombreux
sociologues sous diverses formes (solidarité de Durkheim, imitation de
Tarde). Cette notion de consensus lui fournit la solution du problème des
rapports entre l'individu et la société, qui le trouble moins que d'autres
auteurs:« l'activité collective du corps social n'étant que la résultante des
activités individuelles de tous ses membres, dirigées vers un but commun,
ne saurait être d'une autre nature que ses éléments».
Ennemi du monisme, Comte veut que la sociologie appréhende la
diversité du réel. La réalité comporte des aspects irréductibles les uns aux
autres 4, mais après Montesquieu, il note l'interdépendance des facteurs
et surtout le caractère de totalité des phénomènes sociaux. Cette notion
de totalité apparaît très tôt dans l'œuvre de Comte et s'applique à des
groupes différents, depuis l'histoire générale de l'humanité, jusqu'aux
histoires particulières « qui en constituent le tout organique parce
qu'elles sont elles-mêmes des totalités 5 ». Toute étude des phénomènes
1. In op. cit., p. 23. Appendicedu tome N.
2. La notion de compre'hensionse retrouve, amplifiée,chez les auteurs allemands, en particulier
chez Weber. Cf. n° 141.
3. Op. cit., p. 119.
4. Certains passagesde Comte font penser à G. Gurvitch (1957), P. Arnaud imagine ce qu'aurait
été l'a::uvrede ce dernier si au lieu de s'attacher à retrouver chez Saint-Simonles préliminairesde la
sociologiemoderne, il avait consenti à les découvrirchezComte, évitant ainsi d'avoir à le recommen-
cer.
5. P. Arnaud (1969), p. 19.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 85
définir parce qu'elle recouvre un même phénomène dont les causes peuvent être
très différentes.
En comparant l'évolution des taux de suicide des divers pays, Durkheim s'aper-
çoit que ceux-ci sont fonction des groupes sociaux. Il en conclut que le suicide est
un fait social, indépendant de chaque décision individuelle. Restaient alors à
découvrir les facteurs sociaux en cause. Se livrant à des analyses que l'on a depuis
perfectionnées et que l'on appelle aujourd'hui multivariées1, Durkheim isole tour
a tour les divers facteurs : sexe, état-civil, religion, pour en mesurer l'importance.
Il est également le premier à avoir utilisé la « variable intervenante» c'est-à-dire
le facteur non compris dans une statistique, mais que l'on soupçonne d'agir, et
dont il faut trouver un indice révélateur mesurable. C'est le cas par exemple de la
cohésion sociale, qui n'apparaît pas dans les documents administratifs et que
Durkheim recherche à travers les taux de divorce, etc.
Posant alors le problème des degrés d'intégration à la société il découvre la
notion d'« anomie» qu'il rendit célèbre et que l'on peut définir comme l'état de
trouble, d'absence d'intégration sociale qui fait suite au dérèglement des besoins
par rapport aux possibilités qu'offre la société de les satisfaire.
Ce sont ces innovations, les scrupules et l'extrême conscience avec laquelle
sont exploités les chiffres de cette étude, malgré ses imperfections, qui ont permis
de considérer Durkheim comme le premier grand sociologue empirique. Mais,
Durkheim ne sera pas qu'un empiriste.
Les volontés individuelles sont insuffisantes à expliquer ces lois que
traduisent la régularité de certains événements, comme le suicide. Il faut
admettre que des forces extérieures impersonnelles agissent, qu'il existe
donc bien des phénomènes sociaux. C'est le propre de la sociologie de les
étudier, d'observer les habitudes collectives et leurs transformations.
On imagine l'effet que pouvait produire en 1895 une démonstration
de ce geme. Si elle enthousiasmait les esprits scientifiques, désireux de
démonter la mécanique sociale, comme celle des planètes ou des fluides,
en reléguant sorciers et soutanes 2, quelle pouvait être la réaction de
l'homme, même sans parti pris, pour lequel la décision de vivre ou de
mourir représentait l'action la plus personnelle et la plus libre que l'on
puisse entreprendre ? Les lois de la physique sont extérieures, elles nous
conditionnent seulement matériellement, il est plus facile de s'en accom-
moder. Mais ces impondérables lois sociales, fabriquées par nous-mêmes
à notre insu, qui nous détermineraient sans que nous le sachions ... com-
ment en accepter l'idée ?
119-1 b) Durkheim et l'exemple de la physiologie: C. Bernard et
L Pasteur ◊ Si Durkheim heurte les tendances majoritaires de son
époque : la métaphysique, le vitalisme, le psychologisme, il n'est tout de
même pas seul. Saint-Simon, A. Comte et Spencer ont montré le chemin
mais ne l'ont pas suivi 3 • C'est un contemporain, un physiologiste, C. Ber-
nard qui lui servira d'exemple dans son entreprise scientifique. Il le cite
rarement, car ce n'est pas au savant qu'il emprunte, mais à la physio-
1. Cf. n°' 542 et s. et 561 ainsi que la bibliographie n° 580 bis.Maxwell (1978), Baudelot (1984),
Taylor ( 1982), Merllié ( 199 2).
2. Nous sommes en 1895 et Durkheim est juif.
3. Durkheim les considère comme des prédécesseurs non comme des précurseurs.
90 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
nant une fois de plus la preuve de son esprit scientifique, il insiste sur la
qualité d'une expérience, plus importante à son avis qu'une accumula-
tion de constatations secondaires.« Dès qu'on a prouvé que dans un cer-
tain nombre de cas, deux phénomènes varient l'un comme l'autre on
peut être certain qu'on se trouve en présence d'une loi» 1.
§ 2. La sociologie en Allemagne
12 7 Les tendances ◊ Les conditions politiques en Allemagne n'étaient pas
favorables à l'élaboration d'une sociologie scientifique. Des penseurs,
juristes et historiens, développaient la sociologie en tant que théorie et
méthode, à partir de leurs propres disciplines. Malgré les différentes ten-
dances que l'on a pu classer en sociologie systématique ou formelle: Sim-
mel, Von Wiese, Tonnies ; phénoménologique : Vierkandt; historique :
Oppenheimer, Mannheim, Alfred Weber 3, tous ces auteurs ont un point
commun, les problèmes intellectuels et sociaux que pose leur époque :
l'influence des systèmes de Hegel et Marx contre lesquel ils vont s'insur-
ger, le développement industriel, les rapports de l'individu avec la collecti-
vité. Problèmes qui, d'une façon plus aiguë qu'en France, opposaient
communauté et société, culture et civilisation.
128 Karl Marx (1818-1883), Friedrich Engels (1820-
1895) ◊« Marx était un égoïste qui ne pensait qu'aux autres» écrivait
de lui sa femme Jenny.
Est-il sociologue, a-t-il sa place dans cette rubrique? Pour G. Gurvitch,
il est« le plus grand et le moins dogmatique de tous les fondateurs de la
La définition que donne Marx des classes sociales, leur nombre et les
critères retenus pour les distinguer ont varié suivant les événements à
propos desquels il les étudiait 1 .
131 L'aliénation o A la complexité de l'interaction de deux éléments, l'un spon-
tané, biologique (rapport homme-nature), l'autre réfléchi (conscience de
l'homme, organisation), s'ajoute un troisième facteur: le monde inhumain, illu-
soire, de l'aliénation, notion complexe et très controversée. Transformant la
notion philosophique empruntée à Hegel, Marx lui a donné un sens dialectique,
rationnel et plus positif. L'homme se développant à travers des contradictions,
l'humain, l'élément positif ne pouvait se former qu'à travers l'inhumain (le néga-
tif), c'est-à-dire l'aliénation de l'humain. L'aliénation de l'homme n'est pas reli-
gieuse (notion de chute), ni morale (faute), ni théorique, ni idéologique, elle est
réelle, concrète, pratique, économique, sociale et politique. Les rapports que
l'homme entretient avec les objets qu'il crée, dans lesquels il s'exprime, sont nor-
maux, jusqu'au moment où certains prennent une existence indépendante. Ils se
transforment en formes abstraites: l'argent, le capital, qui deviennent alors des
réalités oppressives,aux mains d'une minorité. La domination de ces fétiches sur
l'homme constitue son aliénation.
Le fétichisme véritable apparaît lorsque les abstractions échappent au contrôle,
à la pensée et à la volonté des hommes. Ce serait au fond, la version moderne de
l'animisme des sociétés archaïques. Les objets n'exercent plus une domination
surnaturelle, mais sociale, psychologique, en fait, ils deviennent un peu plus que
des choses matérielles2 •
132 La superstructure o Dans l'analyse sociologique on retrouve aussi un troi-
sième niveau s'ajoutant aux forces productives et au mode de production: la
superstructure. Elle élabore, codifie ou transpose (idéologiquement) les rapports
humains dans un mode de prod9ction donné et reagit soit pour les faire avancer
(par exemple par le moyen de l'Etat politique), soit au contraire pour les conser-
ver (politique réactionnaire).
La superstructure comprend les institutions juridiques et politiques, les
idéologies et fétiches idéologiques. Elle est l'expression du mode de pro-
duction. Ici encore, les définitions données des superstructures ... et des
idéologies ont varié. Ce que les critiques et même les disciples de Marx
oublient trop souvent, c'est que les forces productives ne se réduisent ni
« aux moyens de subsistance» ... ni plus généralement, à la seule produc-
tion économique. Marx cite également « la production spirituelle » et
souligne que les deux s'interprètent dans l'activité sociale, globale qui
1. Gurvitch indique que le concept de classe, encore vague dans L'idéologie allemande,in Œuvre
(1965) oppose les urbains aux ruraux dans Misèrede la philosophie,tandis que dans le Manifesteil
distingue cinq classes. Aron (1967} p. 189 cite le Capital(Livre III, chap. 48 et 193} dans lequel les
classes au nombre de trois : salariés, propriétaires fonciers et capitalistes sont définies par la place
occupée dans le processus de production. Dans Les luttesde classesen France( 1848-18 50) cherchant
à définir l'influence des groupes sociaux sur des événements particuliers, Marx distingue les bour-
geoisies financière, industrielle, commerçante, la petite bourgeoisie, la classe paysanne, la classe pro-
létarienne et le Lumpen-prolitariat(sous prolétariat). Enfin dans Le 18 Brumairede LouisBonaparte
(1969}, il insiste sur le fait que même des groupes exerçant la même activité économique ne consti-
tuent pas forcément des classes sociales. Il faut qu'il y ait« prise de conscience» de l'unité du groupe
et de la séparation, de la différence, de l'opposition aux autres groupes, pour qu'existe une classe.
2. Cf. J. Baudrillard (1968).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 101
Bien entendu la méthode dialectique est la clef qui ouvre toutes les
portes, le seul moyen de comprendre les faits sociaux puisqu'ils sont
contradictoires. Mais on aurait aimé voir sélectionnés et rassemblés les
conseils méthodologiques épars dans toute son œuvre tels que : « L'obser-
vation empirique doit [ ...] présenter la connexion de la structure sociale
et politique avec la production. »
Sans doute H. Lefebvredans un chapitre sur la méthode 1 cite-t-il les
indications de la préface du Capital, mais il n'insiste pas. Tandis que cer-
tains reprochent à Marx l'utilisation d'une méthode déductive, dans
laquelle les faits viennent à l'appui des principes a priori, d'autres
indiquent que : « la conception marxiste des modes successifs d' organisa-
tion sociale est un produit authentique de la méthode historique et
inductive 2. » M. Cuvillier signale brièvement que Marx et Engels ont uti-
lisé les méthodes de la sociologiepositive de l'époque, méthode historico-
comparative surtout, mais aussi méthode statistique dans le Capital et
techniques d'enquêtes~ethnographiques dans l'Originede la Famillede la
propriétéprivéeet de l'Etat (Engels).
Mais comment travaillait Marx, où puisait-il ses documents, comment
les utilisait-il 3 ? Surtout comment ne trouve-t-on pas évoquée cette
enquête sur les ouvriers, préparée par Marx, jamais dépouillée semble-t-il,
qui montre jusqu'où allait son désir de chercher ses matériaux dans la
réalité 4. Dans la mesure où l'importance attribuée aux facteurs écono-
miques paraît aujourd'hui évidente, et où de nombreuses façons de pen-
ser sont d'origine marxiste (sans qu'on le sache toujours) on peut dire
que cette vulgarisation, malgré ses inconvénients (Marx se disait non
marxiste, que dirait-il aujourd'hui ?) est un signe indéniable d'influence.
Au point de vue méthodologique, qui nous intéresse ici, c'est surtout au
niveau le plus élevé de cette notion, dans le cadre d'une théorie de la
connaissance que la dialectique a suscité de l'intérêt et de nombreuses
controverses 5 . Pourtant un ouvrage britannique 6 note après quelques
lignes sur Marx que « his influence is not unconsiderable 7 » et P. Lazars-
feld indique que la nouvelle InternationalEncyclopedia of the socialsciences
en 16 volumes, anthologie américaine classique consacrée à la philo-
sophe des sciences sociales, ne comporte aucun article sur la dialectique.
Cependant, si à la recherche d'une nouvelle conception du monde, les
jeunes « radicaux» 8 américains se mettaient ( en 1960) à étudier Marx,
ce n'était peut-être pas seulement pour échapper à l'ennui du structuro-
fonctionnalisme.
1. Dans Le marxisme,qui, paradoxalement, insiste davantage sur ce point que le recueil sur La
sociologie
de Marx, où la méthode, au sens où nous l'entendons ici, est passée sous silence.
2. Cf. M. Bourguin in A. Cuvillier (1967).
3. Depuis l'analyse de condamnations à propos d'un fait divers de vol de bois, en passant par les
réflexions sur le code civil, ou l'histoire des différents types de société.
4. Enquête publiée par Marx dans la Revue Socialistedu 20 avril 1880, in Œuvres complètes,
p. 1527. La critique du questionnaire constitue un bon exercice de travaux pratiques.
5. P. Lascoumes (1984).
6. G. Duncan Mitchell (1968).
7. Double négation dans le style universitaire français 1
8. Ne correspond pas au radicalisme français, c'est aux États-Unis un mouvement d'opposition
et de contestation.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 103
142 Causalité et rapport aux valeurs ◊ Chercher les causes d'un événe-
ment, ce n'est pas, comme dans les sciences de la nature, retrouver une
succession de faits, mais sélectionner à l'intérieur de celle-ci les plus
significatifs. Weber propose de remplacer l'expérimentation par la modi-
fication imaginaire des événements. On peut se demander par exemple ce
qui se serait passé si les Grecs n'avaient pas été vainqueurs à la bataille de
Marathon. Si le nez de Cléopâtre... La recherche de la causalité ne porte
pas sur un fragment de la réalité, en fonction duquel on sélectionne cer-
tains faits considérés comme importants. Mais importants par rapport à
quoi? Un fait social n'est en lui-même pas plus digne qu'un autre d'être
connu, déclare Weber. Par rapport aux valeurs il ne peut l'être que sub-
jectivement. Ce rapport aux valeurs exerce son influence à différentes
étapes de la recherche: il détermine le choix du sujet en fonction de l'in-
térêt que lui trouve le sociologue, il permet de sélectionner les faits en
fonction de leur signification, d'orienter la recherche des liens de causa-
lité.
Si le sociologue doit essayer d'être conscient de ses valeurs, les groupes
sociaux eux, ne le sont pas, il ne suffit donc pas d'étudier ce qu'ils disent
eux-mêmes de ce qu'ils croient ou de ce qu'ils font, il faut observer leur
conduite réelle. On peut dire que subjective au départ, dans ce qui l'ins-
pire, la notion de valeur peut et doit être étudiée de façon objective, dans
ce qu'elle inspire.
Ayant accepté le fait de cette influence de la subjectivité et des valeurs
qu'elle privilégie, peut-on la limiter, l'objectivité du savant est-elle pos-
sible?
143 L'objectivité du savant ◊ Weber consacre à cette question de longs
développements 1 qui prêchent la neutralité axiologique2 sur un ton
curieusement passionné. Le problème est cette fois vécu, et la réponse
semble correspondre autant à une auto-justification qu'à une opinion.
Weber se distingue de ses prédécesseurs non en séparant jugements de
réalité (ce qui est) et jugements de valeur (ce qui doit être), ce que fai-
saient d'autres avant lui, mais en refusant tout espoir de modifier la
société (loi de l'évolution des positivistes, ou utopie morale chez Durk-
heim). Il affirme que la vocation du sociologue est la recherche de la
connaissance pour la connaissance. En dehors de l'élaboration théorique
des concepts, il aborde le sujet, plus dangereux à cette époque, de l'atti-
tude pratique du savant dans la vie quotidienne.
Weber distingue le plan de la pédagogie et celui de la recherche. Comment
séparer constatations empiriques et jugements de valeur ? Weber distingue le cas
du pédagogue qui trouve, suivant la situation donnée, sa réponse personnelle, et
celui du savant pour lequel c'est un impératif sans souplesse. Le sociologue ana-
lyse la société, il n'est ni un réformateur ni un prophète. Mais que penser du poli-
tique ?3 La distinction entre connaissance et action correspond à l'opposition
entre le fait et la valeur, la volonté et le savoir. Cette tension qu'il vécut dans sa
vie de façon douloureuse, Weber essaie de la résoudre théoriquement : « La
science aide l'homme d'action à mieux comprendre ce qu'il veut et peut faire, elle
ne saurait lui prescrire ce qu'il doit vouloir.» Réponse théorique scandaleuse pour
l'époque, qui aujourd'hui nous paraît aussi loin d'épuiser le problème, que de le
résoudre ...
144 2° Le type idéal ◊ Suivant cette démarche qui lui est particulière 1,
Weber ne définit pas le type idéal. R. Aron (1967) note que Weber pense
«contre», ce qui oblige à voir surtout ce que le type n'est pas. Ce n'est
pas une hypothèse, car c'est une proposition correspondant à une réalité
concrète, d'où le type est abstrait. Ce n'est pas une description de la réa-
lité, puisqu'il ne retient que certains aspects de celle-ci. Ce n'est pas une
moyenne : le significatif ne relève pas de la notion de quantitatif dans le
sens d'une moyenne d'âge ou de taille.
Les types en sociologie ne sont considérés ni comme des espèces biolo-
giques, ni comme des étapes du développement historique, ni comme des
êtres, ce sont des « images mentales obtenues par des rationalisations
utopiques». Weber reconnaît le caractère empirique, arbitraire et uto-
pique de sa typologie.
Si les processus de construction des types demeurent assez imprécis, on
chercherait en vain dans les types idéaux achevés, des caractéristiques
plus convaincantes. L'œuvre de Weber nous propose des« types idéaux»
assez hétéroclites : rapports sociaux, types de pouvoir, de groupes, de pro-
cédure, de religion ou même de civilisation, aucun critère objectif ne pré-
side à leur usage ou à leur élaboration.
145 Type de concept ◊ Le concept, nous le savons, abstrait une qualité
commune de différences particulières: l'orange, la pomme, la poire
relèvent du concept de fruit. Le concept ne sélectionne qu'en fonction
d'un aspect de la réalité. Il doit sa précision à la sélection, la limitation
qu'il impose.
Letype, comme le concept, n'exprime pas la totalité de la réalité, seule-
ment son aspect significatif. Mais à la différence du concept, il ne retient
pas les caractères les plus généraux, ceux que l'on trouve régulièrement et
qui correspondraient à la simple notion de «type». Le qualificatif idéal
implique quelque chose de différent L'aspect original retenu dans chaque
phénomène, dégage ce qui individualise, non ce qui rapproche ou norma-
lise.
De plus pour Max Weber, le type idéal se différencie du concept parce
qu'il ne se contente pas de sélectionner la réalité, il ajoute aussi à la réa-
lité. Le rôle du savant consiste, au-delà de ce qu'il perçoit de « significa-
tif», à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects.
146 Type, catégorie et théorie ◊ La catégorie, en dehors de son sens phi-
losophique, est utilisé en sciences sociales dans un but pratique de classi-
fication (cf n° 336). Quant à la théorie, elle représente un système de
1. Cf. la sociologie compréhensive, T. Burger (1976).
112 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
propositions rendant compte des faits. Le type peut être considéré comme
un intermédiaire entre les données réelles et la théorie abstraite. Dans un
système achevé, le type se distingue difficilement du cadre théorique dont
il fait partie 1 .
3. La tendance empirique
§
150 Les enquêtes sociales ◊ L'idée de faire des enquêtes, c'est-à-dire de
chercher dans la réalité des éléments plus précis et objectifs que de
simples impressions, est naturellement fort ancienne.
Lapremière enquête connue est probablement celle que signale Hérodote, véri-
table recensement de la population et des revenus du peuple égyptien. Elle date de
3 000 ans avant J.-C.
Il a toujours existé dans les sciences sociales, en marge des prises de
positions philosophiques et bien avant que naissent les discussions sur le
rôle de la théorie ou de la recherche, une tradition à peu près ininterrom-
pue d'enquêtes organisées. Ces enquêtes, à l'origine, ne sont pas nées
d'une volonté de recherche sociologique, mais de l'émotion que susci-
taient les nouvelles conditions de vie des travailleurs ruraux, transformés
en ouvriers des villes par la révolution industrielle.
151 En Allemagne sous l'impulsion de groupements religieux et de l'administra-
tion, des enquêtes sont organisées. Le Vereinfür Sozialpolitikfondé en 1872 et la
législation sociale de Bismarck (1873-1880) incitent à des études statistiques et
concrètes 1• 2 •
1. Cf. P. Lazarsfeld (1970), p. 228 et s.
2. Nous rappelons les enquêtes déjà citées de Weber et Tônnies.
114 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
§ 4. Interrogations
15 7 a) Où allons-nous ? où va la société? où va le monde ? ◊ Une
science se développe autour de questions fondamentales, encore faut-il
qu'il s'agisse de bonnes questions. La sociologie, pour devenir une
science, a d'abord dû se rendre autonome et pour cela, se détacher de la
philosophie historique. Mais celle-ci a inspiré ses premières questions, qui
étaient en réalité mal posées et constituaient ce que l'on appelle de faux
problèmes.
Les philosophes, historiens et moralistes, faute de trouver une réponse
à ces questions, les ont posées à la sociologie. Celle-ci, dans la mesure où
elle tentait de découvrir son domaine propre, s'est donc trouvée au départ
1. A. Davis etJ. Dollard (1940).
2. J. Dollard (1937).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 119
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128 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
§ 1. Les États-Unis
160-1 Évolution ◊ Tous les pays subissent plus ou moins l'influence de la
sociologie américaine, celle-ci s'est d'abord développée grâce aux Euro-
péens, en particulier de Durkheim. Puis ce furent les réfugiés d'Europe
1. Id.
2. Probablement «d'accommoder».
3. In J.-P. Durand, op. dt.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 133
1. In Y. Winkin (1984).
2. W. Herpin (1973).
3. Op. dt., p. 70.
138 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
Ceci implique un concept essentiel pour les interactionnistes : le Soi, ( self) qui
ne doit pas être confondu avec le rôle dans lequel il apparaît ou qu'il déforme ou
refuse [ ...] La représentation est toujours le moment décisif, car c'est le public,
l'autre ou les autres qui acceptent, valident l'acteur. On comprend alors que pour
Goffman, « le Soi est un effet dramatique ... le soi en lui-meme ne dérive pas de
son possesseur, mais de la scène totale où s'insère l'action de son possesseur 1.» Il
ne s'agit pas de la personnalité de l'individu, de son moi permanent, mais de ce
qu'il est avec les autres.
En effet, cette apparition du Soi dans la vie quotidienne, dépend d'un accord,
d'une complicité entre acteurs et acteurs et public.
C'est le problème du « consensus de fait». L'interactionnisme
implique ainsi deux pôles : le soi manifesté dans le rôle et le consensus du
public qui, acceptant le rôle joué, fait sortir l'individu de l'anonymat.
Lorsque l'accord tacite ne se produit pas, un processus de rupture se
déclenche. Des auteurs comme Garfinkel tentent même de le provo-
quer 2.
On comprend l'intérêt porté aux problèmes de la déviance qui sanc-
tionne cette rupture et le nombre d'études que Goffmann et d'autres à
Chicago ont consacré à ce thème 3 •
Goffman ne propose ni théorie ni même technique et la finesse de ses observa-
tions ne suffirait pas à offrir, comme il le souhaitait, un cadre nouveau pour
l'analyse des faits sociaux, s'il ne suggérait implicitement un modèle rationnel
pour étayer sa thématique. Ce modèle rationnel est la transposition en sociologie,
de la theorie des jeux. Ce modèle n'est pas apparent. Le schéma n'est pas présent
comme dans les tentatives d'application du modèle systémique d'Easton à telle ou
telle analyse politique. La démonstration est absente, seule demeure dans cette
transposition, une inspiration, la similitude d'une démarche qui enrichit son
nouveau champ d'application et le renouvelle. Les conceptions d'action sociale,
d'institution, de situation, apparaissent sous un jour différent. Surtout en mon-
trant l'intérêt que présente pour le joueur, l'action en elle-même (on ne sait pas
dans quelle mesure le joueur joue pour gagner ou pour le plaisir de jouer), Goff-
man démolit la distinction classique entre moyens et fins, pour lui substituer une
notion plus riche mais aussi plus ambiguë, celle du rapport entre le gain et le
risque. En admettant que gagner de l'argent soit pour certains un but, le plus inté-
ressant n'est-il pas de déduire de leur comportement dans la vie quotidienne, le
dosage des risques courus pour atteindre ce but, le prix qu'ils sont prêts à payer
pour y parvenir ?
162-1 c) L'ethnométhodologie 4 ◊ L'ethnométhodologie représente une
orientation plus qu'une doctrine. Influencée par la phénoménologie
(Schütz) et la linguistique, elle a surtout opposé aux critiques théoriques
l'intérêt de ses recherches sur le terrain.
A. Schütz (1899-1959) quitte Vienne pour New York en 1932 et
enseigne à la New-York School for Social research. Élèvede Husserl, il est
influencé également par la sociologie compréhensive de Max Weber. Le
1. E. Goffman (1956), p. 239.
2. Cf. n° 871.
3. E. Goffman (1961), H. Becker (1963).
4. B. Turner (1974), R. Gordon, D. Doyle (1977), D. H. Zimmerman (1978).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 139
§ 2. La sociologie en Grande-Bretagne
§ 3. La sociologie en Allemagne 1
163-1 L'école de Francfort ◊ La dénomination d'École de Francfort s'ap-
plique à un groupe d'intellectuels juifs (les plus connus sont :
T. W. Adorno, A. Benjamin, E. Fromm, Horkheimer, H. Marcuse,
A. B. Pollockl qui pour la plupart, à l'arrivée du nazisme au pouvoir, émi-
grèrent aux Etats-Unis 2 . Quelques-uns revinrent en Allemagne après la
guerre.
On peut ici poser la question déjà soulevée à propos du marxisme.
L'école de Francfort trouve-t-elle sa place en sociologie ou en philo-
sophie?
L'histoire des deux disciplines s'est longtemps confondue. L'école de
Francfort continue cette tradition d'absence de frontières, caractéristique
de la pensée allemande.
La création en 1923 de l'Institut de recherche sociale, puis l'intitulé de
la chaire d'un de ses fondateurs, Horkheimer : Sociologieet philosophie,
indiquent une orientation. L'auteur la précise dans sa leçon inaugurale:
créer une communauté de travail pluridisciplinaire, pour prendre en
compte les questions philosophiques, « elles-mêmes intégrées dialec-
tiquement au processus de la science empirique ».
Dans sa théorie critique, l'auteur envisage le recours à des analyses de
presse, à des enquêtes par interviews et questionnaires et des emprunts
aux diverses théories et méthodes aussi bien philosophiques qu'écono-
miques, sociologiques ou historiques. Le tout appliqué d'abord à deux
catégories sociales : les employés et les ouvriers qualifiés 3 •
Comme le note Luce Giard, ceci, banal aujourd'hui, signifiait dans
l'Allemagne de 1930 que« l'enracinement philosophique[ ...] n'était pas
honteux, que la saisie de l' empirie dans un cadre conceptuel avouant ses
présupposés théoriques, n'était pas de ce seul fait disqualifié dans l'ordre
du savoir scientifique, que l'infrastructure économique et l'histoire des
luttes sociales avaient autant d'intérêt et de sens que les produits culturels
de la superstructure »... 4
Horkheimer après Weber s'interroge sur les rapports entre nature et
raison. Le combat entre l'une et l'autre persiste. Mais « l'histoire des
efforts de l'homme pour asservir la nature est également l'histoire de l'as-
servissement de l'homme par l'homme». La science et la raison doivent
être soumises à la critique, sous peine d'être détournées de leur véritable
mission.
Horkheimer et Adorno ont vécu 5 la tragédie de la technique mise au
service de la barbarie, et sur le plan théorique, constaté les excès de la ten-
1. M. Horkheimer (1933, 1974), M.Jay (1973), P. V. Zima (1973), M. Hirsch (1975), J. Haber-
mas (1981-1982). Bibliography of Gennansodology(1980).
2. Fromm écrivant en anglais fut le plus lu. Marcuse exerça une grande influence, qui le surprit
lui-même, sur la jeunesse universitaire. Adorno fut surtout connu par son étude sur la personnalité
autoritaire (1 B. 278).
3. In Esprit(mai 1978), p. 52.
4. In op. cit.
5. Toujours se demander à propos d'une théorie à qui et à quoi l'auteur s'oppose, contre qui et
quoi il veut lutter.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 143
1. Cf. n° 77.
2. In Esprit (mai 1968).
3. J. Habermas ( 1986-1987).
144 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
1. Ses positions politiques trop modérées pour l'extrême gauche, trop à gauche pour les conserva-
teurs n'ont pas été bien comprises en particulier des étudiants qui lui reprochaient de ne pas croire
l'époque révolutionnaire et de n'être pas l'ennemi de la social-démocratie.
2. Né en 1927 à Lunebourg, Luhmann commence une carrière de juriste et de philosophe. Il étu-
die la théorie des organisations à Harvard où il rencontre Habermas et Parsons. De retour en Alle-
magne, il obtient un doctorat de sociologie et devient professeur à la nouvelle université de Bielefeld.
Il obtient en 1984 la« Hegel preis » pour l'ensemble de son a:uvre.
3. Cf. !gnosie Isuyguiza (1990) et A. Gras (1990) auxquels nous empruntons l'essentiel de ces
indications. Cf. A. Gras pour la bibliographie.
4. Cf. ses attaques contre la vieille pensée européenne. L'importance qu'elle accorde à l'acteur la
rendent incapable de comprendre la société contemporaine. Point de vue qui a naturellement suscité
de violentes critiques.
5. D'après Heinz von Forster, les systèmes cybernétiques sont des systèmes capables de s'observer
eux-mêmes et de modifier leur comportement à travers cette observation.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 145
§ 4. La sociologie en Russie
164 L'évolution ◊ Un système fondé sur le dogmatisme et l'infaillibilité
du pouvoir ne pouvait accepter les risques de la recherche ni la sanction
des faits. La participation des pays de l'Est à la sociologie internationale
n'a commencé officiellement qu'au Congrès de sociologie d'Évian
(1966). A Varna (1970), elle était considérable 2• 3. Il s'agissait de rattra-
per le retard face à l'Ouest mais surtout d'utiliser ses techniques pour
obtenir des informations. L'Association soviétique de sociologie fondée
en 1965 se développe jusqu'en 1970. En 1968 est créé pour l'autonomie
de la sociologie l'Institut pour la recherchesodale appliquée(I.A.S.R.R.)
après un long de'bat. Les recherches portent sur les loisirs, les budgets, les
migrations de travailleurs, l'influence des mass media. Tout en camou-
flant souvent les résultats, on admet cependant que la notion léniniste
de classe sociale est insuffisante pour couvrir la structure de la société
(intelligentsia, ouvriers agricoles). L'on observe parfois chez les travail-
leurs des attitudes, considérées par les marxistes en pays capitalistes
comme symptômes d'aliénation. Enfin il faut bien reconnaître que la
jeunesse s'intéresse davantage au bonheur individuel (niveau de vie,
logement) qu'à un idéal collectif. Malgré cet effort de développement, la
sociologie soviétique se limite à n'être qu'une « science appliquée» et
subit dans cette orientation l'influence de la sociologie empirique améri-
caine. La fin de !'U.R.S.S.et les bouleversements qui l'accompagnent
permettront à la sociologie de se montrer plus ambitieuse. Elle se tour-
nera vers la sociologie européenne, en particulier la sociologie française
qui semble présenter une tradition théorique plus forte. De nombreux
échanges se poursuivent depuis 1990 entre sociologues russes et fran-
çais 4.
1. Pour Luhmann, l'évolution n'est jamais causale et n'implique pas de progrès. Elle est simple-
ment « triomphe de la nouveauté ».
2. Le nombre de participants donne une idée de l'intérêt porté à la sociologie. U.R.S.S.: 300 délé-
gués, Bulgarie: 500, Pologne: 174, Hongrie : 74.
3. La plupart des délégués étaient des démographes, économistes, ethnographes, philosophes
devenus sociologues.
4. Nous empruntons les informations qui suivent aux notes de mission de Patrick Champagne
(1991).
146 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
tage 1, car elle n'y est pas habituée. Les chercheurs se voient brusquement
privés du financement et des facilités que l'État tenait à leur disposition
auparavant (frais de déplacement, etc.). Les conditions de travail se sont
dégradées, la situation matérielle des instituts de recherche devient très
difficile, enfin les nouv~lles revues risquent de disparaître, le papier
n'étant plus fourni par l'Etat doit être acheté, très cher, au marché libre.
Une des conséquences graves de cette crise, c'est le risque de voir dispa-
raître les groupes et instituts les plus sérieux, tandis que les chercheurs
compétents sont nombreux à s'orienter vers de nouveaux instituts aux
objectifs moins scientifiques.
Obligés de s'adapter brusquement à la liberté et la concurrence d'une
économie de marché, les sociologues russes évoluent avec difficulté dans
une société incertaine et bouleversée, sans le secours des règles tacites
qu'offre le jeu capitaliste dans les pays qu'il domine depuis longtemps 2 •
§ 5. La sociologie en France
La sociologie en France comme dans les autres pays ne comportait pas
de cursusuniversitaire. Elle s'est développée comme une spécialisation,
postérieure à une formation philosophique. Très influencée par la socio-
logie américaine des années 50, la sociologie française trouve depuis ces
dernières années une autonomie et une tonalité particulières où figurent
autant que des tendances opposées des personnalités très différentes.
1. La loi de l'audimat et la recherche du best-sellerne représentent-ils pas pour la culture des obs-
tacles aussi sérieux que la censure du parti ?
2. Principaux instituts et centres de recherches :
L'Institut de sociologiede Moscou: Directeur Professeur Tadov. Les thèmes dénotent l'intérêt du
pouvoir pour la justice sociale, l'enseignement, les loisirs, etc. Financement 1/3 par l'État, 1/3 par
l'étranger.
L'Institut de sociologieet l'Institut de philosophiedirigé par A. Roubtzov s'intéresse surtout à l'opi-
nion(« ethno-idéologie »).
Institut du mouvementouvrierinternational(Moscou) : Dir. Professeur Shubkine, s'intéresse à la
bureaucratie.
L'Institut d'ethnologiede Moscou: Dir. Professeur Shkarakap, étudie les populations du Caucase.
L'Institut d'étudede l'opinionpublique:récent, dirigé par la socioloiue Tatiana Salavskaia et Boris
Grouchine (25 centres). L'Institut travaille en collaboration avec les Etats-Unis sur la politique inté-
rieure et les problèmes de travail, de démographie.
Vox Populifondé en 1990 par B. Grouchine juge la technique des questions empruntée à l'Ouest
mal adaptée à la population russe.
Saint-Pétersbourg dispose d'une tradition plus ancienne que Moscou.
Institut desproblèmessociauxet économiques.
Institut de sociologieissu du précédent, dirigé par le professeur Firsov. Il s'intéresse aux questions
culturelles.
L'Institut d'ethnographiedirigé par le professeur Tchistov spécialisé dans l'étude des Slaves orien-
taux, s'est progressivement intéressé aux problèmes urbains, aux minorités qui suscitent aujourd'hui
des réactions d'opposition chez les extrémistes.
LeCentred'étudedesprocessussociauxcréé par Léonid E. Keselman, lui aussi transfuge de l'Institut
de sociologie de Moscou s'intéresse« aux comportements sociaux standard» et aux enquêtes d'opi-
nion ( auditoires de radio, attitudes vis-à-vis du putsch).
Centrede sociologiede Samaradirigé par un jeune sociologue, Dimitri Zaverchinski. Étudie l'opi-
nion publique dans le domaine politique et la pédagogie. Certains sondages sont payés par les Améri-
cains.
150 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
Une autre notion importante est celle d'habitus (mot latin issu du
grec, utilisé par Aristote pour désigner les dispositions acquises). Il per-
met, d'après Bourdieu, d'éviter le double écueil du subjectivisme, sui-
vant lequel les individus agissent en fonction d'une stratégie consciente
et l'objectivisme, d'après lequel ils sont le jouet de structures sociales
préétablies. Bourdieu confère à ce vieux terme d'habitus la capacité de
reproduction(mémoire du passé et production d'un avenir) et une capa-
cité d'invention. L'habitus est « une machine transformatrice qui fait
que nous reproduisonsles conditions sociales de notre propre produc-
tion, mais d'une façon relativement imprévisible » 1 . Il est adapté aux
structures objectives puisque produit de ces structures, sans volonté ni
même intention ou conscience d'une stratégie d'ajustement. Du fait de
l'habitus, les agents agissent pour que se perpétuent les relations objec-
tives entre les classes, apportant ainsi un élément d'explication au pro-
blème de la reproduction sociale 2. Mais ici encore Bourdieu se sépare de
Marx. Tout en employant le terme économique de capital, il distingue
au-delà des capitaux économique et culturel, un capital social et, ce qui
lui est plus personnel, un capital symbolique 3. A propos des rapports de
domination et de ce qui les légitime (autre terme souvent utilisé), Bour-
dieu invoquant une plus-value symbolique, écrit: « [ ...] la trans-
formation d'une espèce quelconque de capital en capital symbolique,
possession légitime fondée dans la nature de son possesseur, suppose
toujours une forme de travail, une dépense visible[ ...] de temps,
d'argent et d'énergie, une redistributionqui est nécessaire pour assurer la
reconnaissance de la distribution » 4.
A côté de réflexions, souvent décapantes, sur la routine ... qui parfois se
routinisent elles aussi, Bourdieu, sur le plan de la méthode, s'est surtout
fait connaître par un de ses premiers ouvrages, polémique : Le métier de
sociologueoù il s'attaque aux idées préconçues et au formalisme des
méthodes quantitatives. Attaques constamment renouvelées : « Il faut
tout l'effet de domination exercé par la science américaine et aussi une
adhésion plus ou moins honteuse et inconsciente à une philosophie posi-
tiviste de la science, pour que passent inaperçues les insuffisances et les
erreurs techniques qu'entraîne à tous les plans de la recherche [...] la
conception positiviste de la science. On ne compte pas les cas où les plans
d'expérience singeant la rigueur expérimentale dissimulent l'absence
totale d'un véritable objet sociologique construit 5 ».
1. Bourdieu (1980).
2. Les stratégies de reproduction retiendront particulièrement l'attention de Bourdieu et de ses
élèves (cf. école, institutions, etc.).
3. « Pourquoi le capital symbolique est-il tantôt conçu comme capital au même titre que les
autres et tantôt comme un supercapital qui assure la reconnaissance de tous les autres ? [...] Et de fil
en aiguille, n'est-ce pas toute la théorie des champs se profilant à l'arrière-plan qui elle-même
demande à être redéfinie?» se demande J.-P. Durand (1989), p. 204.
4. P. Bourdieu (1987).
5. P. Bourdieu (1968).
152 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
1. Le terme de holisme semble avoir été utilisé pour la première fois par le général Jan Christian
Smuts (1870-1950) homme d'État sud-africain, dans un ouvrage de philosophie: Hoüsmet évolution
paru en 1926.
2. P. Birnbaum et]. Leca (1986), H. Brochier (1987), J. Michel (1982).
3. R. Boudon (1988).
4. Cf. la critique de la notion de l'utilitarisme dans G. Berthoud (1987), V. Sivré (1987), J.-P.
Durand (1989), P. Favre (1980).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 153
tion des travailleurs au système. D'autre part, souvent plus psychosociologues que
sociologues, obnubilés par « le moral » de l'atelier, supposé facteur de producti-
vité, ils coupent l'entreprise de son environnement, se montrant sur ce point plus
restrictifs ~ue le modèle de Hawthorne qui tenait tout de même compte d'élé-
ments exterieurs : l'entreprise, la famille, etc. 1.Ce qui faisait dire à A. R. Willemer
(1965) « même lorsque les sociologues organisationnels reconnaissent que tous
les problèmes ne trouvent pas leur origine dans l'entreprise, tous les problèmes
doivent y trouver en tous cas une solution » 2 •
Les recherches s'étant multipliées dans l'industrie, il était normal qu'elles
soient regroupées sous le titre de « sociologie industrielle ». Mais la sociologie
industrielle ne représente qu'un secteur, à côté de la sociologie de l'agriculture ou
de l'administration. la sociologie du travail sera considérée dans un sens large
comme« l'étude sous leurs divers aspects, de toutes les collectivités humaines, qui
se constituent à l'occasion des activités de travail 3 ». Toute collectivité de travail,
présentant un minimum de stabilité (une certaine structure et une organisation),
relève de la sociologie du travail, qu'il s'agisse d'un grand magasin, d'un service
hospitalier, d'un atelier, d'un bateau de pêche ou d'une exploitation agricole.
L'un des critiques les plus convaincants de Mayo fut G. Friedman. Il
lui reproche de réduire l'univers des travailleurs à leur lieu de travail et
surtout de chercher à résoudre les problèmes de l'entreprise du seul point
de vue des patrons qui souhaitent couper l'ouvrier des influences exté-
rieures. Or une des difficultés de la sociologie du travail tient à ce que
l'ouvrier est à la fois soumis aux contraintes rencontrées à l'intérieur de
l'entreprise et à celles provenant de l'extérieur (familiales, politiques,
économiques) moins apparentes et mesurables que les variables phy-
siques qui influencent la productivité.
Les titres des ouvrages de Friedman posaient les bonnes questions : Où
va le travail humain (1950) ? se préoccupaient des vrais problèmes: Le
travailen miettes (1956). Friedman n'a pas complété le travail de Mayo
en fonction des critiques qu'il lui adressait. Il a voulu situer le travailleur
dans la société à son époque et suscité avec le Traitédesociologie du travail
publié sous sa direction un intérêt grandissant pour la sociologie du tra-
vail. Elle se développe alors rapidement en France avec les premières
recherches sur le terrain (cf. Dofny 1955, Touraine 1957). A côté des tra-
vaux classiques de psychophysiologie, se multiplient les monographies
professionnelles et des enquêtes sur des secteurs variés : sécurité sociale,
chèques postaux, tabacs 4. Parallèlement à ces travaux sur le travail lui-
même, se poursuivent des recherches sur les groupes et les problèmes de
formation.
Enfin, pour achever d'élargir le point de vue de Mayo, après avoir réin-
troduit les problèmes personnels du travailleur dans l'explication de son
attitude, les sociologues vont démontrer que l'organisation du travail
peut s'améliorer avec l'enrtchissement des tâches, et une certaine liberté
laissée aux ouvriers dans leur façon de travailler.
1. Les successeurs de Maye se montrent sur ce point plus restrictifs encore (cf. P. Desmarei,
1986, 81).
2. P. Tripier, in Durand, 1969, p. 359.
3. G. Friedman (1962), p. 26.
4. M. Crozier (1956, 1971).
162 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
Ces liens ont certes évolué mais toujours existé. En revanche, il existe
deux autres domaines sur lesquels il convient d'insister. Il s'agit du droit
et de l'économie politique dont les rapports avec la sociologie du travail se
trouvent directement perturbés par la crise. Rapprochés par les problèmes
du chômage et de l'emploi qui les obligent à s'unir, ils sont en même
temps opposés par les différences de points de vue, de formation, d'habi-
tudes et d'ambitions académiques.
L'absence de frontières nettes, la complexité des facteurs rendent diffi-
cile la saisie de données sûres, indispensables. Les effets imprévisibles ou
pervers des politiques, les échecs face à une situation si angoissante
rendent nécessaires que chacun contribue avec ses moyens propres au
diagnostic de la situation.
168 La sociologie du travail face au droit, à l'économie et à la
crise ◊ Le rôle de la sociologie, comme l'écrit J.Rancière, consiste à
« dénoncer l'écart entre les mots et les choses». On peut alors affirmer
que son premier objectif sera l'analyse et la signification des termes.
Parmi ceux-ci les plus intéressants et instructifs sont le travail et l'emploi.
L'utilisation de ces concepts a jusqu'à présent plutôt stabilisé les fron-
tières entre les disciplines. Le contrat de travail laissé à la compétence des
juristes, les économistes s'attribuant la production, les salaires, la gestion
et les aspects financiers de l'entreprise, enfin les sociologues intéressés par
ce qui concerne les travailleurs, le contenu de la notion de travail où ils
rejoignent souvent les économistes. Les problèmes posés par la différen-
ciation entre catégories d'emploi ont fait apparaître la fragilité de cette
séparation et l'analyse de la réalité, que les mots ne correspondent plus
aux choses.
Le travail évoque l'activité salariale alors qu'il en existe d'autres formes
comme le travail indépendant, mais c'est l'emploi qui fixe le statut, élé-
ment essentiel de la position sociale.
L'étude de ces deux notions oblige aujourd'hui à engager des
recherches interdisciplinaires où interviennent, suivant les cas, dans des
proportions différentes, le droit, l'économie et la sociologie.
On a vu que le droit assurait par le contrat, la légitimité et l'encadre-
ment plus ou moins lâche des relations entre patrons et salariés. Pendant
la période de plein emploi qui dura environ jusqu'en 1970, la souplesse
du contrat de travail suffisait à répondre aux exigences de flexibilité de
l'époque, aussi observe-t-on peu d'interventions du législateur.
Pendant la période tayloriste de l'après-guerre et celle du plein emploi,
on recherche surtout la stabilité des relations collectives. Les employeurs
veulent fixer la main-d'œuvre qualifiée, d'où la nécessité de définir les
qualifications et conditions de travail tandis que la croissance exige une
participation accrue des travailleurs à la prospérité. Aussi les revendica-
tions portent-elles avant tout sur les hausses de salaires et la mise en
place d'une réglementation légale se bornant à garantir leur protection
juridique et sociale.
La crise et le chômage vont entraîner une modification essentielle :
l'accession à l'emploi devient la priorité et passe avant la hausse des
salaires.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 165
simple et la plus efficace paraît celle de Lasswell 1.Qui parle? à qui? par
quel moyen ? pour dire quoi ? avec quel résultat ? C'est un cadre d'ana-
lyse commode qui recouvre tous les aspects pratiques des communica-
tions orales ou écrites.
Faute d'une définition précise et d'un domaine défini, on abordera les
problèmes de communication à propos de chaque question à laquelle ils
se trouvent liés.
170 Bibliographie ◊
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LA SOCIOLOGIE MODERNE 183
SECTION3. L'ANTHROPOLOGIE
ET L'ETHNOLOGIE
171 Définitions ◊ L'ethnologie a longtemps été considérée comme la dis-
cipfine décrivant les mœurs des différents peuples et plus précisément des
peuples dits archaïques ou primitifs.
Certaines précisions de vocabulaire sont indispensables :
- L'ethnographie concerne le travail matériel sur le terrain, la collection
de matériaux.
- L'ethnologietente un effort d'élaboration, de synthèse.
Celle-ci peut être soit géographique : étude des caractéristiques des tri-
bus d'une région à un moment donné, soit historique: évolution de tel
groupe, soit systématique: recherche sur une coutume particulière, une
cérémonie ou une institution.
Les Anglo-Saxons ont tendance à abandonner ce terme d'ethnologie,
pour utiliser surtout celui d'anthropologie, qui représenterait la troisième
étape d'une même recherche : ethnographie, ethnologie, anthropologie.
Cette dernière, au sommet de la hiérarchie, comprendrait l'étude de
l'homme dans sa totalité.
L'évolution de la discipline a conduit les Britanniques à utiliser le
terme d'anthropologie sociale.En partant des objets, productions et œuvres
humaines de l'homo[aber,elle aboutit aux activités sociales, alors que les
Américains parlent d'anthropologie culturelle,visent au départ ces activités,
pour descendre jusqu'aux objets.
194 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
§ 1. Évolution de l'anthropologie
jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale
172 La conquête de l'autonomie ◊ On a toujours fait de l'ethnologie
spontanée dans des récits de voyage, comme de l'histoire dans des chro-
niques, ou de la psychologie dans des journaux intimes. Les récits de
voyageurs se sont multipliés avec la découverte de régions nouvelles, et au
vu de ces documents, des philosophes (Voltaire, Rousseau) se sont lancés,
sans doute un peu vite, dans de vastes synthèses.
C'est à partir du ~ siècle que l'anthropologie va, comme d'autres
sciences sociales, devenir autonome et dégager son objet d'étude:
l'homme. Elle se divisera en anthropologiephysique: étude de l'homme,
espèce zoologique, et de son évolution ( avènement de la science préhisto-
rique) et ethnologie: étude des sociétés exotiques.
173 L'école française ◊ En France,l'intérêt pour l'ethnologie a toujours
été très vif, même chez les auteurs littéraires comme Montaigne, les ency-
clopédistes, Rousseau, « le plus ethnographe des philosophes », disait
C. Levi-Strauss. Les sociologues dès l'origine utilisaient les données de
l'ethnologie 2 .
On retrouve en France entre les premiers anthropologues chercheurs
sur le terrain, et les sociologues théoriciens les mêmes conflits, toutes
proportions gardées, qu'aux Etats-Unis entre ingénieurs sociaux et socio-
logues universitaires. Mais le conflit ne comporte pas les mêmes enjeux.
En effet, si les résultats des recherches ethnologiques pouvaient être utili-
sés, surtout par les colonialistes, il existait tout de même des chercheurs :
amateurs curieux, voyageurs, fonctionnaires, sans formation mais sans
déformation, dont les recherches étaient utilisables.
Au départ, l'intérêt pour «l'exotisme» suscite la création d'institu-
tions privées 3• 4, mais la multiplication des « collectionneurs de faits»
n'aboutit pas à des interprétations assurant une identité scientifique à
une spécialité définie. La discipline n'était même pas sûre de son nom:
ethnologie, anthropologie, ethnographie et même folklore.
1. Utilisé sur le plan international.
2. Les noms des principaux ethnologues français d'avant 1914 ont été cités à propos de la socio-
logie.
3. En 1859 à Paris, création de la Société ethnographique, suivie d'une Société des américanistes.
Société de géographie, École anthropologique élargissent leur domaine à l'interprétation des faits
sociaux, enfin création de !'École française d'Extrême-Orient (1898).
4. L'essentiel de ces réflexions s'inspire de l'article de V. Karady (1988).
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 195
§ 2. Évolution
depuis la Deuxième Guerre mondiale
177 Les nouveaux problèmes ◊ Depuis la deuxième guerre, les anthropo-
logues et sociologues ont été arrachés à leurs études et réflexions pour
être utilisés sur le terrain.
En Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis, les problèmes d'oc-
cupation de pays de civilisations différentes, l'accession à l'indépendance
de pays non industrialisés, ont bousculé les querelles d'école et mis les
anthropologues en face de problèmes concrets.
Le cas le plus exemplaire est celui du Japon. Les anthropologues insistèrent
pour que !'Empereur soit maintenu. Vu son prestige, il pouvait faciliter la démo-
cratisation d'un pays qui, sans lui, risquait de sombrer dans le chaos.
Les nouvelles recherches dans les pays sous-développés modifieront
sans doute à terme, l'évolution de l'anthropologie. Elles posent d'abord
1. Contesté depuis, cf. D. Freeman (1983).
2. G. Linton (1947, 1960).
200 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
En effet, écrit C. Lévi-Strauss: « Dans son effort pour dégager des inter-
prétations et des significations, c'est sa propre sociéte que le sociologue vise
d'abord à expliquer; ce sont ses propres catégories logiques, ses propres perspec-
tives historiques qu'il applique à l'ensemble... Tandis que l'anthropologue, placé
en face de la même tâche, s'efforcera involontairement et inconsciemment (et il
n'est nullement certain qu'il y réussisse jamais) de formuler un système, valable
aussi bien pour le plus lointain indigène que pour ses propres citoyens ou
contemporains 1. »
L'anthropologie serait donc au sommet de la pyramide des sciences
humaines, car elle impliquerait la recherche de cette unité de l'homme,
de ce « substrat universel » commun à toutes les cultures, qui se mani-
feste, avons-nous vu, soit dans leur inconscient, soit dans leurs structures
mentales. Tous les anthropologues ne partagent pas ce point de vue.
Pour stimulantes que soient les réflexions de Lévi-Strausset leur orientation,
elles ne paraissent pas encore recouvrir toute la complexité du concret Les
exemples qu'il donne en linguistique ou dans les structures de la parenté, sont
très limités dans leur application. Comme le note G. Balandier, « à ce niveau,
l'anthropologie découvre des propriétés si générales et si abstraites qu'elles ont
une insuffisante valeur explicative. Elle ne tient plus compte de l'incidence des
situations, des conditions concrètes et historiques sur les systèmes sociaux et
culturels. Elle élude une de ses tâches principales: l'explication des différences
que révèle l'inventaire de ces systèmes poursuivi à travers l'espace et le temps» 2 •
181 Bibliographie ◊
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4. LA PSYCHOLOGIESOCIALE
SECTION
182 Psychologie sociale et psychosociologie ◊ Utilisés souvent indif-
féremment, les deux termes ne signifient pourtant pas exactement la
même chose. L'expression psychologie sociale suggère « une primauté
non seulement chronologique et méthodologique, mais ontologique » 1.
Dans un cas on insiste sur la psychologie, dans l'autre sur la sociologie.
Cependant vu le développement inégal de la discipline suivant les sec-
teurs et surtout la fracture, sinon l'opposition, entre la recherche théo-
rique et la pratique (cf. n° 882), on risquerait, en adoptant des définitions
précises, de séparer d'un côté une discipline enseignée à l'université sous
la dénomination de psychologie sociale, bien que son domaine scienti-
fique soit encore assez flou et de l'autre, un certain nombre de pratiques
professionnelles. Celles-ci recouvrent une gamme d'interventions carac-
térisées par une grande hétérogénéité et des liens étroits ou presque
inexistants avec la discipline dont elles sont supposées issues, alors qu'en
réalité, elles l'ont souvent précédée. On a vu les difficultés rencontrées
par la sociologie américaine pour faire communiquer et se joindre prati-
ciens et savants, de même la psychologie sociale naîtra des problèmes
posés dans la société et suscitera l'activité des praticiens psycho-
sociologues, av~nt l'avancée de la théorie en psychologie sociale.
Gallup aux Etats-Unis a précédé les réflexions sur les sondages. Après
cette mise en garde et en notant le fait que les praticiens préfèrent en
général s'intituler psycho-sociologues2 , on utilisera encore les deux
termes jugeant toute distinction prématurée.
182-1 Domaine et évolution ◊ La psychologie sociale cherche à répondre à
cette question centrale : comment l'individu peut-il influencer ce qui
l'entoure, les institutions, la société dont il fait partie, alors que celles-ci,
en même temps, le conditionnent?
Lesrelations interindividuelles, objet de la psychologie sociale, se carac-
térisent par le fait que si chaque personne pense, agit, ressent, elle est en
même temps plus ou moins sensible aux réactions des autres. De plus ces
relations ont un caractère social.Les relations humaines se situent tou-
jours dans un environnement social organisé - famille, groupe, commu-
nauté, nation. D'où la nécessité pour le psychosociologue d'étudier l'en-
1. J. Dubost, à qui nous empruntons des réflexions qui suivent (1982).
2. S. Moscovici (1984) préfère psychologie sociale pour la discipline et l'adjectif psycho-
sociologique pour désigner ses méthodes.
212 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
celui que l'on attend de lui. La personnalité est constituée de ces rôles
intégrés, englobant les attitudes sociales de groupes proches (familles,
amis), mais également de groupes beaucoup plus vastes (nation, etc.). A
partir de cette époque, la psychologie sociale est constituée.
184 Les premières notions ◊ Les recherches des auteurs du xi~ siècle,
sociologues et philosophes, s'exprimaient sous forme abstraite. Tous
poursuivaient une explication de caractère unitaire, pouvant rendre
compte des phénomènes du type du réflexe en physiologie.
Les recherches concrètes menées par des auteurs contemporains
montrent trop la complexité des variables en cause, pour envisager une
explication unique. Cependant, les uns et les autres sont naturellement
portés à donner plus d'importance à certains facteurs qui les intéressent ;
ceux-ci évoluent, mais on retrouve le plus souvent, sous des formes dif-
férentes, de vieilles notions.
Parmi celles-ci, on compte l'hédonismeou principe d'utilité de Bentham,
repris par SP,encer, l'un et l'autre l'appliquant au système économique. Cette
notion du role des besoins ou du plaisir apparaît sous une forme originale dans
les ouvrages de Freud. On la retrouve aujourd'hui dans les études de motivations.
Proche de cette notion de plaisir, on trouve celle de pouvoirauquel sont attachés
en Angleterre le nom de Hobbes, en Allemagne, de Max Stirner et Nietzsche,
en France, du biologiste évolutionniste Le Dantec, enfin Adler, psychiatre autri-
chien. Plus près de nous K. Horney (E.-U.), B. Russell (G.-B.) reconnaissent à
l'esprit de compétitionplus d'importance qu'à la sexualité.Trouvant insuffisante
l'importance reconnue à la manifestation naturelle de l'amour de soi, certains
auteurs s'orientent dans une direction très différente du freudisme et recherchent
dans l'homme d'autres motifs d'action. Ce seront la sympathie,l'imit:ation, la sug-
gestion,notions proches du rapport entre l'individu et les autres, c'est-à-dire pro-
prement psycho-sociales.
Adam Smith, Herbert Spencer, Mac Dougall (1908), T. Ribot, Max Sche-
ler distinguent, sous des formes diverses, la sympathieressentie par l'individu.
Tarde généralise en sociologie la théorie de l'imif:ation (1890) (proposée par
Baldwin pour expliquer le développement de l'enfant), reprise et complétée par
G.H.Mead.
Quant à la suggestion,ce fut sans doute la notion la plus importante pour le déve-
loppement des sciences sociales. Peut-être parce 4,ue née d'une expérience
concrète (Charcot à la Salpêtrière), opposée aux theories existantes (Ecole de
Nancy), la suggestion est au départ clairement définie. Assez rapidement, grâce à
de nombreuses expériences vérifiables, naîtront les concepts modernes de condi-
tionnement, de réflexes conditionnés, la notion de situation de crise, de structure
mentale, d'influence du groupe, etc.
185 Les tendances principales ◊ La psychologie sociale n'a pu se déta-
cher de conceptions imp1icitessur la nature de l'homme. Ellesvont inspi-
rer quelques idées fondamentales, certains courants, qui tiendront lieu
momentanément de théorie et reflètent en partie des vues divergentes
quant à l'essence de l'homme. L'importance accordée à la physiologie ou
à l'expérience, à l'enfance ou à l'environnement, à la recherche du maxi-
mum de satisfaction et à la nature des facteurs contribuant à celle-ci
( égocentriques ou altruistes) vont orienter les hypothèses et les
recherches.
LA PSYCHOLOGIE SOCIALE 215
1. Cf. n° 882.
2. Cf. n° 873.
3. Cf. n° 830.
4. Behavior =comportement.Cf. E. Ions (1976).
216 LESDIFFÉRENTESSCIENCESSOCIALES
1. Les travaux de cet auteur sont si nombreux que nous les citerons à propos de chacun des
domaines et des techniques auxquels ils se rapportent.
228 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
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LA PSYCHANALYSE 229
SECTION5. LA PSYCHANALYSE
199 Définition ◊ La psychanalyse n'est pas une science sociale car ce n'est
pas une science. Mais elle exerce une telle influence sur chacune d'elles
qu'il est nécessaire d'en donner ici un bref aperçu.
La psychanalyse est à la fois :
1° Une méthoded'investigationqui permet d'atteindre des processus
inconscients, à peu près inaccessibles à toute autre méthode;
2° Une méthode de psychothérapiequi utilise la relation personnelle
entre le thérapeute et le patient.
230 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
conflits actuels de l'individu avec son entourage. Enfin, Anna Freud souligne la
fonction intégrative du Moi dans sa relation avec le monde extérieur.
Jung et Adler se sont séparés de Freud, le premier plus attaché aux valeurs
symboliques et collectives persistant dans l'inconscient, le deuxième insistant sur
l'agressivité et le complexe d'infériorité.
A signaler une personnalité originale: l'Anglais D. W. Winnicot (1971) qui
crée le concept d'objet transitionnel1, important dans la formation intellectuelle
et affective de l'enfant, sa distinction entre le moi et l'extérieur mais applicable
aussi en art et en littérature.
200-1 Les dissidences et les scissions◊ Après la ze guerre mondiale, 1° est
créée la Stépsychanalytiquede Paris animée par J.Lacan. Elle publie la
RevueFrançaisede psychanalyseet fonde au debut de 1953, un Institut de
psychanalysedirigé par S. Nacht 2° A la suite de conflits de tendances et
de personnes se crée en juin 1953, la Sté Françaisede psychanalysequi
publie une revue : La Psychanalyse.La reconnaissance de la société par la
Sté Internationalede psychanalysesoulève des difficultés. 3° En juillet
1964, l'Associationpsychanalytiquede France {Pr. Lagache) se trouve
reconnue. J.Lacan exclu fonde de son côté l'Ecolefreudiennede Paris,
non reconnue sur le plan international.
Un Centreinternationaldepsychanalyse,psychiatrieet scienceshumaines
créé en 1975, tente de briser le cercle étroit des sociétés de psychanalyse,
en recherchant une plus grande pluridisciplinarité, mais il ne peut sur-
monter les oppositions de personnes et de points de vue.
4° Enfin apparaît le Quatrièmegroupe qui édite la revue Topiques.Les
querelles2 portent sur les problèmes essentiels d'interprétation de Freud,
les objectifs scientifiques ou thérapeutiques de la psychanalyse, mais
aussi sur des questions concrètes telles que la durée des séances 3 ou la
présence de l'analyste dans le jury permettant à l'analysé d'exercer. Plus
inquiétantes que ces oppositions, aggravéespar les personnalités des psy-
chanalystes, se posent les problèmes de fond et les doutes sur l'intérêt de
la psychanalyse. Sa valeur scientifique 4 et son efficacité thérapeutique
sont contestées par de nombreux psychanalystes 5• Ils constatent le psit-
tacisme, le repli sur soi ou autre écueil, la fuite dans d'autres domaines:
biologie, psychologie. Enfin, par rapport à l'élan créateur de ses débuts,
la psychanalyse paraît non seulement incapable d'innover mais refuse
toute tentative de sortir du conformisme le plus étroit et impose un dog-
matisme bien éloigné de son esprit initial.
201 Les liens de la psychanalyse avec les autres sciences
sociales ◊
La « dilution » de la psychanalyse dans les sciences sociales,
particulièrement aux États-Unis, est le meilleur signe de son succès. Il
1. Le« nounours» par exemple.
2. Pour des précisions cf. Ornicar, 1976, 1977.
3. Plaisanterie classique rappelée par R. Jaccard (cf. Le Monde; dimanche 2 août 1981, p. XI)
« Le névrosé bâtit des châteaux en Espagne, le psychotique croit y habiter, le psychanalyste récolte les
loyers».
4. Cf. pour K. Popper, la psychanalyse pas plus que le marxisme n'étant réfutable ne peut être
considérée comme une science.
5. Cf. Luce Irigaray ( 1977), S. Viderman, J. van Rillaer.
LA PSYCHANALYSE 233
SECTION6. L'HISTOIRE
SECTION7. LA GÉOGRAPHIE
208 Définition et nature de la géographie ◊ La géographie fait naturel-
lement l'objet de nombreuses aéfinitions, dont aucune ne paraît exhaus-
246 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
tive. On peut retenir celle qu'en donne H. Baulig (1948), bon point de
départ pour les propos qui vont suivre : « La géographie est une manière
de considérer les choses, les êtres, les phénomènes dans leurs rapports
avec la terre ».
Les choses, êtres, phénomènes, sont nombreux, les rapports avec la
terre forcément très complexes. La géographie ne s'y trouve pas seule, ni à
l'état pur. Elle devra donc constamment tenir compte de l'apport des
autres disciplines, pour en rapprocher les données et aboutir à une syn-
thèse. Le géographe est établi à une charnière. Sciences de la nature et
sciences de l'homme divergent autour de lui.
P. George a dit fort justement que « l'autorité du géographe procède de son
ouverture simultanée sur des domaines de connaissance, qui constituent chacun
l'objet exclusif des préoccupations de chacun de ses interlocuteurs 1 », ce que Jean
Labasse résumait en parlant de sa« vocation d'ensemblier». On sait, ajoutait-il,
« que les professionnels de cette nature ont une activité difficile car ils se trouvent
coincés entre les désirs de la clientèle et les sujétions propres aux divers corps de
métiers».
En définitive, la géographie est la discipline du milieu global, l'étude de
la terre et des hommes, identifiés dans une recherche régionale.
209 Évolution de la çéographie : Les débuts ◊ Ce qui nous intéresse
ici, ce n'est ni la geographie comme connaissance du globe, issue de la
description de paysages familiers ou de récits de voyages, ni la carto-
graphie, mais un troisième aspect : l'évolution de la pensée géographique
liée aux problèmes de méthode.
Le xvuesiècle, outre le développement de la cartographie, cherche un système
universel de classification régionale, ne laissant rien en dehors des catégories pro-
posées. On peut voir là l'origine du souci de description complète propre aux géo-
graphes.
Le premier géographe au sens moderne du terme, fut sans doute Varenius
(1622-1650), mais la nouveauté de ses idées ne pouvait au XVII" siècle être perçue.
Au XVIIIe,
parallèlement à l'idée de la diversité des cultures et des mœurs se fait
jour celle de la variété des sols et du milieu naturel. La vraie question, celle des
rapports entre les uns et l'autre n'est pas encore posée.
La géographie intéresse aussi ces «touche-à-tout» : les savants philo-
sophes. Newton et Kant l'ont enseignée. On doit à ce dernier la première
définition de la géographie comme science de la différenciation régionale
de la surface terrestre. Curieusement, c'est un juriste, Montesquieu, qui
insistera sur l'influence du climat sur les faits sociaux, alors que Buffon,
le naturaliste, montre au contraire comment le milieu extérieur est sou-
mis aux interventions de l'homme.
Les grands précurseurs de la géographie moderne apparaissent au XIX'.
Humbolt (1769-1859), physicien et botaniste allemand, se tourne vers
une géographie encore encyclopédique, où la part de géographie physique
demeure essentielle. Son influence se fit sentir moins dans le progrès des
idées que dans l'organisation d'un milieu scientifique intéressé par la
1. P. George (1961, 1970).
LA GÉOGRAPHIE 247
répartition. Les économistes plus encore que les géographes ont adopté ce
point de vue 1 pour construire des modèles d'habitat.
L'évolution de la géographie se poursuit dans deux directions. D'une
part une utilisation plus grande des sciences humaines et une prise en
considération des facteurs sociologiques, d'autre part un recours aux
mathématiques et une recherche de quantification.
211 La crise de la géo$Taphie. La mathématisation ◊ On peut situer
vers 1936 les premieres tendances à assouplir le cadre de la géographie
traditionnelle au profit d'une géographie sociale. On s'écarte de l'aspect
impressionniste des descriptions pour tenter d'atteindre« la structure du
corps social».
Ces études sont menées souvent avec des historiens (J.M. Bloch, G.
Roupnel, R. Dion) préoccupés au même moment par la genèse et la stabi-
lité des structures agraires.
Que ce soit en Allemagne (Hartke) ou en France, l'intérêt, comme
l'écrit P. Clava!, est de « montrer le poids de faits sociaux dans l'ordon-
nance d'un paysage et de souligner surtout que ces faits sont structurés,
qu'ils ont un rythme d'évolution propre avec de longues périodes d'im-
mobilité et des phases de crise où les réadaptations sont beaucoup plus
nombreuses et beaucoup plus rapides 2 ».
Mais c'est depuis 1960 que la géographie présente un nouveau visage
qui diffère suivant les pays. Un seul point commun, toutes se définissent
à partir d'une critique de la géographie classique.
Ce que l'on considère comme la nouvelle géographie, se développe sui-
vant une orientation mathématiqueet quantitativepropre à toutes les
sciences humaines et naturelles, facilitée par la révolution de l'informa-
tique (cartographie assistée par ordinateur) qui apporte à la géographie,
discipline littéraire, une respectabilité scientifique.
Cette évolution comporte à la fois la recherche d'une plus grande pré-
cision: substitution de chiffres (distance, différence) à des descriptions,
utilisation de techniques statistiques rigoureuses, visant à obtenir des cor-
rélations et surtout emploi de mathématiques permettant dans certains
secteurs une formalisation ( modèles, graphes).
On reproche à la géographie classique son particularisme et aux tradi-
tionnalistes de concevoir la géographie comme une science statique.
L'homme« habitant» devient l'homo dormiensde la «cité-dortoir».
La géographie moderne, celle des différences et des mouvements utilise
la théorie des ensembles, le dynamisme des notions de système, de
réseaux, de graphes, d'interaction, de champ.
Comme l'économiste, le géographe a de plus en plus recours aux
modèles, à la simulation 3 . L'étude de H. J. Kansky (1953) sur les réseaux
de transport ouvre la voie à un système semi-axiomatique 4.
1. W. Isard (1956), R. Ponsard (1955).
2. P. Clavai (1973, 1984), A. Fremont (1984).
3. Cf. n° 869.
4. L'axiomatique a pour objet la déduction rigoureuse d'une série de résultats à partir de quelques
axiomes ( ou hypothèses de travail) en nombre minimal. Elle relie logique et mathématique.
250 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
1. Cf. l'écologie.
2. L'écologie soulève le même problème.
LA GÉOGRAPHIE 253
complexité des éléments qu'il considère, il répugne à faire des prévisions. Le fait
que dans son domaine, tout problème concret est un problème à double entrée,
ou interfèrent l'homme et la nature, est la raison noble de son incertitude et aussi
ce qu'il peut apporter de plus précieux à ceux qui le consultent. Mais comment le
leur faire comprendre ?
« La nature offre toujours des choix» disait Vidal de la Blache. C'est
dire qu'il y a plusieurs solutions possibles au développement d'une région
agricole ou urbaine. L'utilité du géographe sera d'exposer ces possibilités,
en se servant des éléments présents, mais aussi de points de comparaison
réels.
L'étude du ~rojet Rhône-Rhin signale une région désertique de Dijon à Nancy.
Géographe et economiste seront d'accord pour ne pas comparer la liaison Rhône-
Rhin à la Tennessee ValleyAuthority américaine. En revanche les similitudes avec
la jonction Rhin-Danube (en particulier le désert économique d'une partie de la
canalisation de la région du Neckar) sont beaucoup plus grandes. Au lieu d'une
spéculation économétrique ou d'un modèle théorique, le géographe tentera de
découvrir les éléments significatifs de similitude ou de différence : industrie,
main-d'œuvre, etc., entre ce qui est connu, ce qui vit déjà et ce qui est à faire. De
la même façon, un urbaniste connaîtra mieux les types de sol, mais un géographe
saura quel type de ville est concevable, parce qu'il sait lire dans un paysage. Cette
vue globale lui permet de connaître les possibilités qu'offre la nature, mais surtout
la façon dont l'homme peut les utiliser, en se référant à ce qu'il a déjà pu ou vu
faire dans des situations analogues. Capacité d'un aéroport, influence des voies de
communication, interprétation des isochrones, tout cela relève du géographe,
l'homme de l'espace, l'homme de la distance, c'est-à-dire de la relation espace-
temps.
Cette relation espace-temps a subi de tels changements, que le géo-
graphe doit lui aussi bouleverser ses méthodes de travail et de pensée,
pour saisir les problèmes sous leur forme nouvelle. Tandis que l'espace
s'évacue constamment grâce au progrès de certaines techniques, il se
réintroduit par d'autres voies. L'avion abolit temps et distance ... l'en-
combrement urbain les multiplie.
Ajoutons enfin que l'inconfort de cette situation du géopaphe, est accentué
par le développement des sciences auxiliaires issues de la geographie, qui mani-
pulent une instrumentation scientifique considérable, les rendant aujourd'hui
parfaitement autonomes. La géomorphologie par exemple, suppose une forma-
tion technique approfondie, et l'usage d'instruments d'expérimentation des sols,
etc., qu'un géographe non spécialisé ne sait pas utiliser. L'étude des phénomènes
de population est totalement absorbée par la démographie. Il y a quarante ans, un
homme comme Demangeont découvrait la Picardie 1,Blanchard, la Flandre. L'un
et l'autre ont donné de ces paysages une explication, à leur époque entièrement
satisfaisante pour leurs contemporains. A l'heure actuelle, on n'imagine pas que
l'on puisse rendre compte des problèmes de la Flandre ou de la Picardie à travers
les travaux d'un seul individu et d'un point de vue purement géographique.
212 La situation de la géographie à l'étranger ◊ On conçoit l'irrita-
tion des géographes en se voyant dépossédés, ignorés, au moment où se
développent des domaines tels l'environnement et l'écologie où leur
1. Les Français ont été des pionniers en matière d'études régionales.
254 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
sans avoir été réalisées par des géographes, témoignent d'un véritable esprit géo-
graphique. Il n'est pas etonnant que Napoléon I", stratège et administrateur, ait
compris l'utilité de la géographie. Peut-être, après lui, au XIx"siècle, la géographie
aurait-elle pu s'orienter vers des applications pratiques, mais deux considérations
expliquent pourquoi il en fut autrement. D'une part, la nécessité pour les géo-
graphes de transformer leur discipline purement descriptive, en science véritable.
Ceci, sous l'influence de Vidal de la Blache (1913), va les occuper plus que
d'éventuelles applications. D'autre part, ces dernières ne présentent aucun carac-
tère impératif. En effet le contexte libéral de l'époque permet à chacun d'aména-
ger au gré de son intérêt : implantation d'usines, construction d'immeubles ne
supportent d'autres considérations qu'économiques, au sens du profit le plus
individuel. Le géographe, homme de synthèse, peut seulement intervenir comme
élément d'information, au niveau d'une décision d'intérêt général. Son heure
n'est pas encore venue. Ajoutons enfin que le caractère synthétique de la géo-
graphie lie ses progrès à ceux d'autres sciences, qui ne se développent que tardive-
ment : comptabilité agricole, statistique, pédologie, géobotanique, etc.
La nécessité d'une nouvelle orientation a été fortement ressentie par
les géographes français, mais tous ne sont pas d'accord sur celle qu'il
convient d'adopter.
Parmi ceux qui misent sur le développement de la géographie appli-
quée, on trouve deux tendances :
1° La première considère que toute spécialisation d'une science auxi-
liaire de la géographie, substituée à des études techniques, devient géo-
graphie appliquée.
C'est le cas de l'équipe de géographes physiciens, réunis à Strasbourg autour du
professeur Tricart, qui se sont spécialisés dans la géomorphologie a:i;>pliquée
( amé-
nagement de certains bassins hydrauliques). Ces tentatives ont eté vigoureuse-
ment critiquées. En effet, comme le déclare avec force P. George : « Constater que
la formation géographique prépare correctement à une carrière de pédologue, de
climatologue ou d'hydrologue, ne saurait impliquer qu'il suffit d'être géographe
pour remplacer avantageusement le pédologue, le climatologue ou l'hydrologue
de métier. » 1 Dans le concret, un hydraulicien, un ingénieur de la SOGREAH,du
génie rural ou un agronome, seront toujours plus qualifiés qu'un géographe, pour
un genre de travail nécessitant une technique spécialisée.
2° La deuxième tendance cherche à annexer un domaine qui n'est pas
le sien. C'est ainsi que sous l'étiquette de géographie humaine, quelques
géographes français ont tenté, comme l'ont fait les Canadiens, de se lan-
cer dans des études de marché : localisation d'industries, équipement
urbain, etc., travail pour lequel ils n'étaient manifestement pas préparés
et qui suscite, à juste titre, le mépris indigné des économistes, jaloux de
défendre leur domaine. L'économie régionale où les uns et les autres se
rencontrent ne facilite pas toujours leur compréhension réciproque.
Le géographe en quête de débouchés rêve de recueillir des commandes qu'il
traitera dans son laboratoire, avec ses assistants, comme un ingénieur-conseil ou
un avocat. Il cherche à se présenter comme un technicien, sous-traitant à façon
certains travaux, pour les entreprises publiques ou privées. Cette façon d'agir utili-
taire, mais étroite, est la négation meme de la vocation du géographe et il risque
fort d'y perdre ce qui fait sa valeur.
1. P. George (1961), p. 340.
LA GÉOGRAPHIE 257
SECTION8. LA DÉMOGRAPHIE
215 Définition et objet ◊ La démographie a pour objet l'étude de l'état et
des mouvements des populations humaines. Le nom de démographie
proposé en 1855 par A. Guillard, n'a pas été universellement accepté. Les
Anglo-saxons reprochent à ce terme d'impliquer une étude descriptive,
alors que cette science est très analytique. Ils préfèrent utiliser le nom de
« population study », tout en notant la particularité qui consiste à dési-
gner une science par son objet
Le mot population peut s'appliquer à tout ensemble d'êtres vivants, ani-
maux ou végétaux, envisagés sous l'angle d'une caractéristique
commune. S'il s'agit de populations humaines, le mot est employé pour
désigner un groupe d'hommes ayant un habitat commun et aussi pour
désigner tout groupe ayant en commun des caractères biologiques ou
sociologiques. On parle de la population de la France ou de la ville de
Paris, mais on parle aussi des populations masculines ou féminines,
actives ou non actives, protestantes ou catholiques.
Par état de la population, on entend outre l'importance numérique de
cette population, la répartition de ses membres dans l'espace, sa composi-
1. Importante bibliographie.
LA DÉMOGRAPHIE 261
tion par sexe et par âge, par profession et même son niveau d'instruction
et son état de santé.
Par mouvementsde la population,on entend ces événements démo-
graphiques que sont les naissances et les décès. Dans le monde moderne,
les populations fermées, où comptent seuls ces mouvementsnaturels,sont
exceptionnelles. Le plus souvent, la circulation des individus entre les
divers groupes sociaux provoque des mouvementsmigratoires,qui s'ajou-
tant aux naturels, constituent le mouvementgénéralde la population. On
englobe parfois, également, dans les mouvements de la population, la cir-
culation des individus entre les divers secteurs de l'activité économique,
ou les divers niveaux de la structure sociale. Bien que ces formes de mobi-
lité, migrations professionnelles et capillarité sociale, aient de nombreux
liens avec la démographie, leur étude relève plus directement d'autres dis-
ciplines : économie politique, sociologie, etc.
215-1 Évolution et institutionnalisation ◊ La France a toujot.gs marqué
un intérêt particulier pour la démographie. L'importance de l'Etat nation
explique, au départ, l'intérêt pour la dimension de la population. A noter
l'originalité de la trajectoire démographique de la France dont les cam-
pagnes sont surpeuplées sous Napoléon et deviennent malthusiennes
lorsque les autres pays demeurent féconds, et enfin natalistes quand l'Eu-
rope est malthusienne.
L'essor de la démographie supposait d'une part une vie administrative
assez organisée pour que soient tenues à jour des statistiques complètes,
d'autre part le développement des mathématiques et plus particulière-
ment du calcul des probabilités. Mais à côté de ces facteurs techniques, il
fallait, comme toujours en sciences sociales, un état d'esprit favorable,
dans le cas présent, le désir de mieux comprendre les phénomènes
humains et l'impression que cette connaissance permettrait une action
utile.
La démographie, ne s'est pas développée comme une spécialité à l'inté-
rieur de la sociologie. Plus ancienne en tant que science, elle s'est consti-
tuée à partir de l'économie, de la biologie, de la médecine, de la statis-
tique.
Aux XVIIeet xvnr siècles, Fermat, Pascal, Bernoulli, Huyghens appliquent
le calcul des probabilités à la survie et créent l'expression : « espérance de
vie». Ensuite des politiques et philosophes mathématiciens, Vauban,
Condorcet s'intéressent à ces problèmes, enfin on trouve déjà dans le
passé, comme aujourd'hui, le poids de la religion en France de l'Église
catholique, présente non seulement par les interdits, mais également sur
le plan administratif puisque les paroisses détiennent les registres de bap-
tême et de décès.
Le X!x",scientiste, marque l'évolution de la démographie française vers des
objectifs concrets. La famille Bertillon jouera un rôle important. Le docteur Louis
Adolphe Bertillon (1821-1883) étudie les causes de mortalité, son père Alphonse
(1853-1914) est le créateur du service de l'identité judiciaire à la préfecture de
police de Paris et l'inventeur de l'anthropométrie et de l'utilisation des empreintes
digitales. Son frère Jacques (1851-1922) nataliste convaincu fonde «l'Alliance
nationale pour l'accroissement de la population française».
262 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
1. A. Sauvy (1956).
2. L. Hemy (1966, 1980, 1981).
3. R. Pressat (1967, 1971, 1973, 1977, 1979, 1985}.
4. H. Le Bras accuse l'INED de faire le jeu du Front National alors que pour Michèle Tribalat,
seules ces données permettent de lutter contre les discriminations, ( cf. Le Monde 6 novembre 1998).
LA DÉMOGRAPHIE 263
SECTION1O. LA SCIENCEPOLITIQUE
224 Le retard de la science politique ◊ La science politique fut, parmi les
sciences sociales, la première à retenir l'attention. L'intérêt de Platon
286 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
monde n'est pas d'accord sur cette question clef, qui doit permettre de
reconnajtre et caractériser le domaine de la science politique, son~objet.
1° L'Etat. - Pour les uns, l'objet de la science politique c'est l'Etat. Le
problème de l'État peut être abordé sous divers aspects: historique et phi-
lo~ophique (nature) mais aussi type de légitimité, rôle, etc. Mais, l'idée
d'Etat peut difficilement servir à une analyse inspirant des recherches
concrètes. Le concept étatique est inadéquat, parce qu'il implique l'étude
d'une espèce d'institution particulière ou une forme d'organisation et
non pas une activité, qui peut s'exprimer à travers des institutions variées.
La notion d'État ne peut servir à identifier dans les phénomènes ce qui
leur donne leurs propriétés, leurs qualités politiques. Or on cherche un
concept qui fasse ressortir les caractéristiques des systèmes politiques
concrets. Le pouvoir peut-il remplir cet office ?
2° Le Pouvoir. - Cette conception de l'élément de domination qui
caractérise, pour certains auteurs, l'objet essentiel de la science politique,
n'est pas une découverte récente. Platon insistait déjà sur ce point et plus
près de nous, Machiavel assimilait la politique à la contrainte.
L'intérêt de la théorie du pouvoir, c'est qu'elle s'attache à l'élément
dynamique : une activité, un effort pour contraindre, influencer, alors
que la description d'une institution demeure statique.
On trouve, adoptant cette position avec des nuances particulières : aux États-
Unis, G. Catlin, H. Lasswell; en France: R. Aron (1961), G. Burdeau (1942), B.
de Jouvenel (1945), G. Vedel.
Pour importante que soit la notion du pouvoir, ne considérer que cet
aspect, c'est négliger d'autres facteurs également essentiels de la vie poli-
tique. Celle-ci ne consiste pas seulement et exclusivement dans une lutte
pour le pouvoir, qui n'est jamais qu'un moyen de régler des conflits plus
profonds, ceux des idéologies, elles-mêmes issues de réactions sociales,
d'aspirations, de buts variés. De plus, tout pouvoir n'est pas forcément
politique et l'extension suivant laquelle toute activité influençant les
autres relève de la politique, paraît injustifiable.
3° Du sodal au politique. - Les auteurs à la recherche de la défmition
du politique, ont commis l'erreur de vouloir identifier certains faits par
leur «essence» ou par leurs caractéristiques. Or tous les faits sociaux
sont plus ou moins chargés de politique ou susceptibles de le devenir 1.
Comme l'écrit]. Leca (1973): « L'univers politique relève d'un type de
relations et non de faits. Le problème fondamental est alors d'apprécier la
densité de politique dont se charge une relation sociale pour devenir une
relation politique». Comment apprécier cette densité?
Pour certains, il s'agit de jugements subjectifs, idéologiques. Sur le plan
scientifique, il est inacceptable de laisser chacun décider de ce qui est
politique ou de ce qui est social.
Peut-on concevoir une définition objective ? Le marxisme « histori-
ciste » appréhende la science de la politique comme la science de l'his-
toire et de la Révolution. Le politique est alors dilué dans l'histoire au lieu
1. P. Favre (1980, 1983), M. Abeles (1983), P. Braud (1985).
288 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
Comme en sociologie,à une période d'empirisme succède aussi d'une part une
tendance vers un perfectionnement de l'outil mathématique, d'autre part et sur-
tout, une orientation théorique. T. Parsons qui régnait sur le fonctionnalisme,s' in-
téresse également à la science politique et l'engage dans la voie de l'analysesysté-
mique1,ainsi que O. Easton, G. A. Almond et de nombreux politistes français. La
réflexion théori<Jues'oriente aussi vers des problèmes fondamentaux: démocratie
et totalitarisme , justice 3 •
A noter également le développement des études comparatives qui jusque-là se
limitaient trop souvent à une description foil!laliste des institutions et
deviennent beaucoup plus rigoureuses4. Enfin, l'Etat suscite de nombreuses
réflexions. Comme l'économie et après la sociologie, la science politique aux E.-U.
est à la recherche de théories explicatives, de généralisations mais aussi de
modèles. L'inspiration libérale, la notion de stratégie l'incitent à supposer des
choix rationnels.
La théoriedes choixrationnelsapparaît en 1950 avec l'ouvrage de Ken-
neth Arrow, suivi en 196 5 par celui de March et Simon qui en fait le fon-
dement de la théorie des organisations (cf. n° 238). Inspiré du modèle
économique, elle n'intéresse au départ qu'un petit nombre de polito-
logues et il est surprenant de constater depuis cette date son succès gran-
dissant 5. D'après les tenants de cette théorie, les acteurs du champ poli-
tique (élus et électeurs) agissent rationnellement et leurs décisions visent
à maximiser leur intérêt et leur utilité d'où leurs comportements théo-
riquement prévisibles. Que de nombreuses options économiques soient
dictées par un calcul de ce type semble probable, sans être vraiment
démontré, mais on est stupéfait de le voir appliqué à la politique. S'il est
un domaine où les décisions échappent aux motifs rationnels c'est bien
celui-là reconnu comme celui de la passion 6 .
Pourtant de nombreux ~olitologues américains prônent les résultats de
cette théorie. R. N. Riker (1990) déclare que « la théorie des choix
rationnels est à l'origine des seuls progrès véritables jamais réalisés en
science politique ».
Aussi est-ce rassurant de voir D. Green et J. Shapiro (1994, 1995)
remettre les choses au point. Ils déclarent fort justement que la valeur
scientifique d'une théorie dépend de sa capacité à expliquer les données
pertinentes après quoi ils posent la question fondamentale : « En quoi
cette littérature 8 a-t-elle fait progresser notre compréhension de la poli-
tique?»
Les auteurs ne trouvent pas de réponse satisfaisante à donner à cette
question qui suscite au contraire un lot important de critiques méthodo-
1. Cf. 382 et S.
2. H. Arendt (1951), R. Aron (1980), P. Ansart (1989).
3. J. Rawls (1972).
4. Cf. n.. 3 56 et s.
5. Cette théorie «invisible» en 1952 inspire 40ans plus tard, 15 des 41 articles publiés par
l'AmericanPoliticalScienceReview.
6. Cf. Ansart (1983).
7. li serait intéressant d'étudier le profil des politologues adeptes de la théorie des choix ration-
nels.
8. Ils n'emploient plus le terme de théorie.
LA SCIENCE POLITIQUE 295
attaché le nom de Max Weber qui la définit comme un type d'organisation. L'am-
biguïté du terme en fait tour à tour le signe d'une rationalisation utile ou l'expres-
sion d'un parasitisme social. En France c'est un domaine qu'étudie Michel Cro-
zier. 1
238-1 c) Psychologi_!et politique 2 ◊ Un domaine qui s'est rapidement
cféveloppéaux Etats-Unis ces vingt dernières années est celui de la psy-
chologie de la politique. Après les ouvrages de Ch. Merriam et surtout de
H. B. Lasswell (1930), les politologues, emportés à la suite des socio-
logues par le courant quantitatif abandonnaient ce domaine de
recherche. Depuis 1970, de nombreuses publications, la création d'une
Association internationale de psychologiepolitique et d'une revue 3 tra-
duisent la vitalité de ce secteur.
Les difficult~s rencontrées en France pour suivre, comme d'habitude,
l'exemple des Etats-Unis, sont d'une part qu'il existe peu de politologues
possédant une formation de psychologie, d'autre part et surtout un obs-
tacle idéologique. Il s'agit du triple héritage 9ui pèse sur les sciences
sociales: un marxisme dénaturé privilégiant l'economie, un capitalisme
intéressé par le seul profit, enfin et surtout un positivisme scientiste valo-
risant le rationnel, incite peu à étudier l'aspect aléatoire et passionnel du
politique. Quelques historiens et politologues ont retenu l'importance des
facteurs psychologiques sur les plans individuels et collectifs, mais ont
cédé à l'attrait... ou la facilité, du recours à la psychanalyse qui n'exige pas
les mêmes qualités de rigueur scientifique.
Cependant, les nombreuses activités politiques méritent d'être étudiées
sous l'éclairage de la psychologie : façons de choisir son entourage, de
commander, de concevoir les rapports avec l'administration, de recevoir
les informations et de prendre les décisions, les facteurs objectifs (traités,
constitutions) limitant les possibilités du pouvoir et les marges de liberté
où peuvent se manifester des personnalités différentes. En sens inverse,
l'influence de la politique sur les individus permet de s'interroger sur les
types de personnalités ou les facteurs personnels qui orientent vers ce
type d'activité. Qui fait de la politique ? Faut-il croire avec Lasswellque le
besoin de compenser une certaine forme de faiblesse ou de frustration
soit le facteur le plus déterminant d'une ambition politique ? Qui réussit
en politique et pourquoi ? Enfin l'influence du pouvoir sur la personna-
lité. Les réflexions sur ces sujets se trouvent malheureusement presque
uniquement dans des ouvrages anglo-saxons. Le Traité de Science poli-
tique 4 donne un compte rendu de ces travaux et quelques indications sur
la France et d'autres pays.
283-2 d) Les politiques publiques 5 ◊ Autre secteur d'étude en voie de
développement en France et dans les pays industrialisés : celaj des poli-
tiques publiques. Quel que soit le degré d'intervention de l'Etat, il est
1. Cf. M. Crozier (1971 et s., B. 170).
2. Madeleine Grawitz (1958 et s., 1985}, F. 1.Greenstein (1969, 1971}, E. V. Wolfenstein
(1969}, Jeanne Knutson (1972, 1973).
3. Journal of the International Society of Political psychology. Los Angeles.
4. In M. Grawitz (1985), Traité, tome III, chap. l.
5. C. Thoenig (1985) in Traité, tome IV.
298 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
indispensable d'étudier les objectifs visés, les moyens mis en œuvre pour
les atteindre et les résultats de l'action entreprise. Ce qui explique le déve-
loppement parallèle et même la prolifération aux États-Unis des études
d'évaluation.Politiques de la santé, de la culture, de l'éducation, etc. Cette
orientation récente de la science politique correspond à un besoin de
rigueur, de bilans plus précis, plus systématisés que de simples impres-
sions mais sans doute aussi plus nuancés, plus coordonnés que des rap-
ports d'experts ou des statistiques trop générales ou trop ponctuelles.
238-3 e) L'écologie, l'environnement et la politique ◊ Le terme écologie
apparaît pour la première fois en 1866 dans la littérature scientifique
sous la plume d'un biologiste allemand, Ernst Haeckel, vulgarisateur des
idées de Darwin. Il est le premier à donner ses fondements théoriques à
l'écologie et sa définition : « Science des mœurs des organismes, de leurs
besoins vitaux et de leurs relations avec les autres organismes».
Comme la géographie (cf. n°5 208 et s.), l'écologie est une science de la
terre, mais aussi de l'air, de l'eau enfin également des conditions de vie de
tout ce qui s'y trouve et y vit : animaux, plantes, êtres humains.
P. Deleage (1992) remarque qu'en recherchant les sources scienti-
fiques de l'écologie, les historiens se limitent le plus souvent à la tradition
naturaliste réduite à ses dimensions geobotaniques et phytosociologiques.
Ils ignorent le courant de chimie du vivant (au~ de Lavoisierà Pasteur)
à l'origine de la plupart des travaux sur le fonctionnement complexe des
cycles. Certains les appelleront biogeochimique, et ils apparaîtront à
d'autres, de façon plus poétique comme« le cycle mystérieux de la vie».
L'écologieest de toutes les sciences naturelles celle qui est la plus liée aux
sciences sociales. De plus comme la plupart des sciences mais peut-être
plus encore, l'écologie est née de la tension entre objectifs pratiques et
interrogations fondamentales.
Il faut tenir compte de la confusion née dans les termes et les esprits
par l'intérêt que suscitent aujourd'hui les problèmes écolo?iques. D'abord
l'absence de distinction entre écologie et environnement . L'écologie est
une discipline scientifique qui étudie les écosystèmes, milieux où vivent et
se reproduisent les êtres vivants 2. La notion d'environnement est beau-
coup moins précise, plus large puisqu'elle intègre la notion de ressources,
l'étude des interventions de l'homme et de ses conséquences pour les
maîtriser et protéger l'avenir. Pluridisciplinaire, cette protection implique
une démarche faisant appel aux géographes, économistes, sociologues,
climatologues, mathématiciens et informaticiens, indispensables à l' éla-
boration des modèles. La coordination en vue des résultats communs est
déjà difficile à obtenir mais l'obstacle majeur survient au stade suivant
celui de leur utilisation pour prendre des décisions, c'est-à-dire au stade
politique.
« Les aménageurs réclament des recettes, les scientifiques répondent
en fournissant des connaissances » se plaignent les scientifiques. Or ces
1. J.-P. Dufour, L'environnemententrescienceet politique.Le Monde,20 janvier 1993.
2. Cette confusion amène à intituler écologistes à la fois les scientifiques étudiant l'écologie et à
tort les militants ou même sympathisants des partis se réclamant de l'écologie.
LA SCIENCE POLITIQUE 299
SECTION11. LA LINGUISTIQUE
Mais dans notre culture la réflexion sur le langage est solidaire du régime
de la pensée définie par la civilisation grecque classique. A côté des inévi-
tables préoccupations normatives nées du souci de préserver une certaine
« pureté » de la langue contre l'érosion du temps et la variation sociale,
s'est développée une appréhension rationnelle du langage qui, hors de
tout cadre mythique ou religieux, vise à l'analyser comme une organisa-
tion spécifique. Ici, on distinguera deux approches très différentes : le
point de vue rhétorique,lié à l'émergence de la sophistique, et le point de
vue logique.
La constitution de la démocratie grecque a fait passer au premier plan
le souci de la persuasion politique, rendant nécessaire l'apparition de
techniciens de la parole, les sophistes. Dans leur volonté de fournir à
leurs élèves les moyens de maîtriser le verbe, ils ont été conduits à envisa-
ger le langage comme un instrument dont il était possible d'analyser et de
codifier les ressources. Tout ce courant du parler efficace aboutit à la Rhé-
toriqued'Aristote (384-322 av. J.-C.) et exerça une influence décisive sur
toute la culture occidentale. Cette approche voit dans le langage un
moyen d'agir sur autrui, parallèlement se développe dans l'ombre de la
philosophie une réflexion qui tente d'articuler langage et vérité. Cette fois
il s'agit de mettre en relation la structure du langage et celle des proposi-
tions par lesquelles l'esprit énonce des jugements vrais ou faux sur le
monde. Là encore il faut citer l'œuvre d'Aristote, et son insistance sur la
complémentarité fondamentale entre« sujet» et« prédicat».
Mais peu à peu va se dégager une réflexion plus proprement grammati-
cale,plus soucieuse de l'articulation effective des langues naturelles, en
particulier avec les grammairiens d'Alexandrie. Ainsi Denys de Thrace
(170-90 av. J.-C.) écrit-il la première grammaire systématique de la
culture occidentale, où il distingue huit parties du discours (article, nom,
pronom, verbe, participe, adverbe, préposition, conjonction), encore
valides aujourd'hui. Mais chez ces Alexandrins, l'intérêt pour la langue
est lui-même souvent subordonné à un intérêt philologique: rendre
lisibles les textes littéraires prestigieux, les œuvres d'Homère surtout, dont
la langue était de plus en plus éloignée du grec couramment pratiqué aux
nf et rf siècles. Avec l'avènement du christianisme, l'interprétation de
!'Écriture va devenir le centre de l'analyse textuelle. Se développe une
théorie herméneutique,destinée à expliquer de quelle façon il convient
d'interpréter la parole de Dieu: a-t-elle plusieurs sens ? combien? com-
ment les dégager? Ici la préoccupation philologique (restituer le texte à
son contexte historique originel) cède évidemment le pas à un intérêt
proprement théologique.
Les Grecs ont également légué deux des grands debats de philosophie
du langage qui ont traversé toute la culture occidentale. Le premier débat
oppose les « analogistes » et les « anomalistes ». Les analogistes pensent
que la structure de la langue est cohérente, régulière et peut donc faire
l'objet d'une science. Les anomalistes y voient seulement le résultat de la
fixation d'un ensemble d'usages arbitraires. Le second débat oppose les
tenants d'une relation naturelle entre les mots et la réalité (tel mot par
exemple a tel sens parce qu'il est composé de tels sons) à ceux qui,
LA LINGUISTIQUE 317
§ 2. La linguistique contemporaine
244 La. grammaire générative ◊ La linguistique est une activité méta-
linguistique,c'est-à-dire une activité langagière qui prend pour objet des
activités langagières. Son but ultime est de construire une théorie du lan-
gage appréhendé à travers la multiplicité des languesnaturelles.Il s'agit
donc, à partir de l'étude des divers idiomes, de définir les propriétés de
toute langue humaine possible. Dans ces conditions, la linguistiquegéné-
rale (étude du langage) et la linguistique des langues particulières sont
inséparables. Une grammaire est le modèle du fonctionnement d'une
langue.
1. N. S. Troubetzkoy(1949).
2. A. Martinet (1960, 1969, 1986).
320 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
SECTION12. PROBLÈMESACTUELS
DES SCIENCESSOCIALES
« Dans notre mondefaire de la sociologie,
c'estfaire la politique dela vérité. »
C. W. Mills,
L'imagination sociologique.
§ 2. L'objectivité
254-1 1° Points de vue sur l'objectivité ◊ Revendiquer pour les sciences
sociales le statut de science, c est leur imposer d'être objectives au même
titre que les sciences de la nature. A. Comte et les positivistes se sont
efforcés d'assimiler la société à la nature, donc de la reconnaître soumise
à des lois, qu'il appartient au sociologue de découvrir par une observation
neutre : « sans admirer ni maudire les faits politiques et en y voyant
essentiellement comme en toute autre science, de simples sujets d'obser-
vation 2 ».
1. Barbara Wooton (1950), E. R. Hilgard and D. Lerner in Lasswell and Lerner (1951, B. 239), P.
H. Furly in Gross. Symposium (1959, B. 25), R. S. Lynd (1968).
2. A. Comte (1907, B. 159 bis) p. 214 tome N.
PROBLÈMESACTUELSDES SCIENCESSOCIALES 333
Durkheim, à son tour, proclame qu'il faut« considérer les faits sociaux
comme des choses ». La sociologie, par principe, « ignorera les théories
auxquelles elle ne saurait reconnaître de valeur scientifique puisqu'elles
tendent directement non à exprimer les faits mais à les réformer » !
Les sciences humaines demeurant proches de notions morales et
culturelles, la solution consistera à séparer jugements de valeur et faits.
Malgré des critères de distinction délicats, ce point de vue sera accepté
dans un cercle beaucoup plus étendu que celui des positivistes1.
Le marxisme en insistant sur les déterminismes économiques et
sociaux remet en question cette rassurante division. Karl Mannheim
( 19 52), fondateur de la sociologie de la connaissance reconnaît, avec les
marxistes, l'influence de l'origine sociale du savant sur sa manière de
choisir et d'interpréter son objet, mais ceci ne lui semble pas inconciliable
avec la recherche de la vérité. Il appartient à « l'intellectuel sans
attaches» d'effectuer« la synthèse des perspectives».
Plus récemment, Adam Schaff (1971) reprendra cette idée de complé-
mentarité des points de vue, mais sans admettre le rôle assigné par
Mannheim aux intellectuels. En effet, la classe ouvrière n'a-t-elle pas plus
qu'une autre, vocation à découvrir la vérité ?
La science est objective, le marxisme est scientifique, donc... Seule-
ment, il ne faut pas oublier que Marx ne s'est pas embarrassé de la
conclusion d'un tel syllogisme. Il a proclamé dans le Capital que son
œuvre était critique et révolutionnaire. Après lui, Lénine, Rosa Luxem-
bourg estiment naïf, dans une société « fondée sur l'esclavage », où règne
la lutte des classes, de vouloir pratiquer une science impartiale. G. Trot-
ski, K. Korsch2 , A. Gramsci, pensent aussi que le marxisme est avant tout
révolutionnaire et prolétarien.
Bernstein et Kautsky pour une fois d'accord s'opposent à cette concep-
tion : « le matérialisme historique est une théorie purement scientifique,
qui, en tant que telle, n'est nullement liée au prolétariat» déclare Kaut-
sky3.
Le stalinisme marque une nouvelle étape, celle d'une vérité soi-disant
scientifique, dogmatique et cléricalisée. Elle va opposer même dans les
sciences naturelles, la science prolétarienne de Lyssenko à la biologie
réactionnaire et bourgeoise de G. Mendel et Wasserman. Mauvais souve-
nir pour les intellectuels communistes. Althusser insiste avec raison sur la
spécificité de la pratique scientifique, « son erreur est d'absolutiser cette
autonomie en la transformant en une indépendance, une séparation,
une rupture à peu près totale 4 ». La réalité présente plus de souplesse et
de complexité. L'objectivité n'est pas donnée une fois pour toutes. Elle
dépend des domaines, des circonstances ... et d'efforts constants.
1. Il convient de noter la mise en garde sérieuse de S.M. Lipset (1972, B. 170) contre certaines
affirmations concernant l'esprit« conservateur» des sociologues américains les plus connus.
2. Ce qui explique sans doute le succès de Marcuse.
3. Le terme « irrelevant » est plus fort.
4. A comparer avec des résultats identiques en France.
5. Z. Katz (1971, B. 170).
6. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France.
338 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES
§ 3. La recherche de l'unité
261-1 L'interdisciplinarité◊ De ce périple à travers les sciences sociales,
une double impression se dégage. D'une part, on constate que les
sciences sociales ne sont pas encore arrivées à construire une théorie de
l'Homme, leur permettant d'intégrer l'ensemble des phénomènes obser-
vés; d'autre part certains points de rapprochement apparaissent.
Des « concepts nomades» évoqués par Isabelle Stenger (1987) à la
« kleptomanie académique » décrite par Howard Becker, qui consistait à
emprunter des observations aux autres sciences, a succédé le mot d'ordre
de l'« interdisciplinaire» recélant toutes les vertus. Encore faut-il s'en-
tendre sur la conception de l'interdisciplinarité.
D'après Jean Piaget 1, il faut distinguer: la recherche pluridisciplinaire
dans laquelle plusieurs sciences collaborent chacune conservant sa spéci-
ficité; la recherche transdisciplinairequi se situe à un niveau d'abstraction
élevé, utilise des théories et concepts communs à toutes les sciences
sociales ; enfin la recherche interdisdplinaire, qui implique confrontation,
échange de méthodes, concepts et points de vue. C'est elle qui mérite
notre réflexion.
262 1 ° Interdisciplinarité entre sciences sociales et sciences de la
nature ◊ Pour J. Piaget elle doit naître de préoccupations communes,
les unes relatives aux structures, les autres aux mécanismes. Piaget note la
similitude entre les problèmes actuellement les plus importants des
sciences de la nature et ceux des sciences de l'homme, à savoir : la pro-
duction de structures nouvelles, de l'équilibre (dans le sens de régulation)
et de l'échange. Problèmes que l'on trouve en linguistique, en psycho-
logie, en économie et qui s'étudient grâce à des méthodes inspirées des
sciences de l'homme : théorie des jeux, information et cybernétique.
Toutes ces questions relèvent d'un domaine interdisciplinaire où cha-
cun se demande jusqu'à quel point l'homme contemporain dépend de
son histoire.
« Or on sait de plus en plus qu'un développement organique est bien davan-
tage qu'une histoire d'événements ... il est structuration ou organisations progres-
sives, dont les étapes qualitatives sont subordonnées à une intégration croissante.
C'est pourquoi l'histoire de la civilisation est de plus en plus une œuvre inter-
disciplinaire2 . »
Il faut admettre que les frontières entre les diverses disciplines ne sont
pas fixées une fois pour toutes. Le véritable but de la recherche inter-
disciplinaire est donc une « réorganisation des domaines du savoir, par
des échanges consistant en réalité en recombinaisons constructives».
Loin de considérer les « hybrides » comme des impasses biologiques
sans fécondité, il faut voir en eux des « recombinaisons génétiques »
mieux adaptées à un nouvel état de recherches. De bons exemples sont
1. (1965, B. 159 bis).
2. Tendances de la recherche
(1970, B. 170), p. 589.
PROBLÈMESACTUELSDES SCIENCESSOCIALES 341
264 Bibliographie ◊
LA LOGIQUE
DE LA RECHERCHE
DANS LES
SCIENCESSOCIALES
LES CONFLITS DE MÉTHODES 3 51
CHAPITRE1
LESCONFLITSDE MÉTHODES
« Ainsi la tâche n'est point de contemplerce que
nul n'a encorecontemplémais de méditer comme
personne n'a encore médité sur ce que tout le
mondea devant lesyeux.»
Schopenhauer.
265 Définitions. 1° La méthode et les méthodes ◊ L'on ne peut qu'être
frappé de l'extrême désordre régnant en ce domaine. La plupart des
auteurs distinguent la méthode, des méthodes 1.On trouve cependant ce
terme utilisé pour caractériser des procédés qui se situent à des niveaux
très différents, quant à leur inspiration plus ou moins philosophique, à
leur degré d'abstraction, leur but plus ou moins explicatif, leur action sur
des étapes plus ou moins concrètes de la recherche et le moment où elles
se situent. Nous proposons ici une classification sans doute très impar-
faite, mais qui aura au moins l'avantage, du point de vue pédagogique, de
permettre aux étudiants de situer les méthodes à leur niveau lorsqu'ils
rencontreront l'une ou l'autre, à propos des nombreux problèmes qui les
mettent en cause (cf. tableau p. 310).
a) La méthode au sens philosophique2. Au sens le plus élevé et le plus
général du terme, la méthode (au singulier) est constituée de l'ensemble
des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à
atteindre les vérités qu'elle poursuit, les démontre, les vérifie. Cette
conception de la méthode dans le sens général de procédure logique, inhé-
rente à toute démarche scientifique, permet de la considérer comme un
ensemble de règles indépendantes de toute recherche et contenu parti-
culier, visant surtout des processus et formes de raisonnement et de per-
ception, rendant accessiblela réalité à saisir. Il s'agit de points de vue phi-
losophiques définissant la position de l'esprit humain devant l'objet.
b) La méthode, attitude concrètevis-à-vis de l'objet. - La position philo-
sophique est alors plus ou moins sous-entendue. Dans ce cas, la méthode
dicte surtout des façons concrètes d'envisager ou d'organiser la recherche,
mais ceci de façon plus ou moins impérative, plus ou moins précise,
complète et systématisée. Toutes les méthodes n'influencent pas de la
même manière, les mêmes étapes de la recherche. La méthode expéri-
1. Les Américains utilisent le terme de procédures là où nous employons méthodes (au pluriel),
mais cette substitution n'ajoute aucune clarté. C'est ainsi que John C. Mc. Kinney in H. Becker and
A. Boskoff (1957, B. 170) distingue cinq procédures faisant partie de la méthodologie des sciences:
les procédures statistique, expérimentale, typologique, historique et l'étude des cas. Cette liste n'est ni
complète ni homogène. Comment situer sur le même plan la statistique, la méthode expérimentale
et la méthode des cas ?
2. Sur cette notion de méthode liée à la logique et à l'épistémologie, cf. n• 377, Livre 1.
352 LESCONFLITSDE MÉTHODES
269 Bibliographie ◊
BECKER (A) and BosKoFF (A.) 1957. - Modem sodologicaltheory (B. 170).
BouooN (R.) 1969. - Les méthodesen sociologie,P.U.F., 128 p.
CoLE(S.) 1980. - The sociological Method. An introductionto the scienceof
sodology,Chicago, Rand Mcnally pub., 148 p.
FEYERABEND (P.). 1979. - Contrela méthode.Esquissed'une théorieanarchiste
de la connaissance.Points Seuil.
- 1989. - Adieu la raison, Seuil.
GREER (S.) 1969. - The logicof sodal inquiry (B. 25).
JAMous(H.) 1968. - « Techniqµe, méthode, épistémologie, Suggestions
pour quelques définitions», Epistémologie sodologique,n° 6, pp. 20-37.
LElNHARDT, ed. mai 1981. - Sociologicalmethodology,Jossey Bass.
*LuNDBERG (G. A.) 1945. - Socialresearch(B. 25).
*MAcl<INNEY Q.) 1957. - « Methodology, procedures and techniques», in
Becker and Boskoff: Modern sociological theory, pp. 186 à 236.
MORIN(E.) 1980. - La méthode,4 tomes, Seuil.
2 70 Un vieux débat ◊ Sous des formes différentes suivant les époques res-
surgissent les vieux débats : en psychologie celui de l'acquis et de l'inné, en
sociologie, les rapports de l'individu et de la société. Le débat entre
holisme et individualisme méthodologique repris par les anglo-saxons, est
parvenu en France où il a provoqué ces dernières années de nombreuses
discussion. Pour Boudon, on l'a vu (cf. n° 165 bis) il s'agirait sans doute
du principal debat méthodologique de ce temps. L'individualisation béné-
ficierait d'un regain d'intérêt dû aux impasses auxquelles aurait abouti le
holisme. On n'y reviendra pas pour aborder ici d'autres oppositions:
nomothétique ou idiographique, clinique ou expérimental, enfin qualita-
tif ou quantitatif.
NOMOTHÉTIQUE, IDIOGRAPHIQUE 3 55
SECTION2. NOMOTHÉTIQUE,
1
IDIOGRAPHIQUE
271 Comparaison ◊ Les sciences sociales en général et la sociologieen par-
ticulier ont toujours été considérées comme des sciences nomothétiques,
c'est-à-dire étudiant l'aspect général, régulier et récurrent des phéno-
mènes et pouvant à défaut d'énoncer les lois, du moins généraliser et par-
fois prévoir. Cependant toute science revêt également un aspect idio-
graphique, c'est-à-dire comporte l'étude d'un certain nombre de faits
particuliers. A une époque où la recherche concrète venait à l'ordre du
jour, il était normal que la part, jusque-là dominante, de la méthode
nomothétique, fût remise en question.
Le problème fut posé lors de la parution en 1919, d'un important ouvrage sur
le paysan polonais. Les auteurs, F. Thomas et W. Znaniecki 2 (1918) concevaient
leur étude comme une recherche scientifique, tenant compte à la fois des facteurs
objectifs et des comportements subjectifs qui influençaient la vie sociale. Ils vou-
laient, à partir de ceux-ci, vérifier leurs hypothèses, tirer des généralisations appli-
cables à d'autres situations sociales. Ils désiraient avant tout, faire reconnaître la
valeur méthodologique des documents personnels (lettres, biographies) qu'ils uti-
lisaient et considéraient comme« le type parfait du matériau sociologique». Les
historiens avaient certes beaucoup utilisé ce genre de documents, mais d'un point
de vue limité, faute de formation psychologique et sociologique. Les psychologues,
à leur tour, avaient tenté d'interpréter nombre de ces données, alors que les socio-
logues s'étaient abstenus jusqu'à l'ouvrage de Znaniecki. Un certain type de
«behaviorisme», à la recherche de faits objectifs et d'attitudes extériorisées,
détournait les auteurs d'éléments aussi manifestement subjectifs.
Les déclarations de Thomas et Znaniecki, révolutionnaires en 1929, anti-
cipaient simplement sur l'évolution des techniques sociologiques. En particulier la
part faite aux attitudes était une innovation. Les réactions que suscita le rapport de
Blumer au Conseil des sciences sociales, sur les méthodes employées dans l'étude
sur le paysan polonais furent si vives, qu'elles aboutirent à la création d'un tribu-
nal d'experts, com~sé d'un psychologue 3, d'un historien 4,d'un anthropologue 5
et d'un sociologue . Ces auteurs conclurent leurs deux volumes de commentaires,
en déclarant qu'à condition de s'entourer de précautions scientifiques, l'utilisa-
tion de documents personnels n'était pas seulement possible mais indispensable.
272 Conséquences du conflit ◊ Si cette querelle méthodologique eut un
tel retentissement, c'est qu'elle posait tout le problème de la généralisa-
tion à partir des cas particuliers, remettant en cause la technique, si prati-
quée aux États-Unis, des casesstudies.
Sur le plan de la méthode, les casesstudiesdont les documents personnels sont
une variété, tentent une approche à la fois globale et détaillée d'une situation ou
1. Idiographique =individuel; nomothétique = universel. Ces termes ont été empruntés par Ali-
port au philosophe allemand Windelband.
2. Cf. H. Z. Lopata (1976), également la bibliographie du n° 580 bis.
3. G. W. Allport (1951).
4. L. Gottschalk (1954).
5. Clyde Kluckhohn (1954).
6. R. Angell (1954).
356 LESCONFLITS DE MÉTHODES
d'un individu, c'est-à-dire qu'elles veulent tout connaître de ce qui est particulier,
estimant pouvoir ensuite genéraliser et même prévoir.
Si les sociologues ont toujours admis l'intérêt des documents personnels, ou
des faits particuliers, en tant que données utiles à l'étude du passé, ou encore à
titre de matériaux servant à une étude descriptive, ils n'étaient pas d'accord pour
reconnaître leur valeur sur le plan de la méthodologie scientifique, en particulier
en ce qui concerne la prévision et la généralisation.
SECTION3. MÉTHODECLINIQUE,
MÉTHODEEXPÉRIMENTALE
276 Notion générale ◊ L'observation clinique est traditionnelle en méde-
cine. Elle signifie littéralement: étude pratiquée au« chevet du malade».
A l'heure actuelle, on assiste, sous le terme« d'approche clinique», à une
extension de la conception et de l'utilisation de ce que l'on considère
moins comme une technique structurée, que comme une façon d'agir, de
sentir, de procéder.
L'objet de la méthode clinique 1 est l'étude approfondie de cas indivi-
duels, c'est-à-dire des déterminants héréditaires, biographiques, géné-
tiques, de la conduite du sujet observé.
La méthode expérimentale en psychologie et à plus forte raison en psy-
chologie sociale, s'applique plutôt à l'étude de l'homme en général, à la
1. L'expression a été utilisée pour la première fois en 1896 par L. Witmer, psychologue améri-
cain.
MÉTHODECLINIQUE, MÉTHODEEXPÉRIMENTALE 3 59
1. (B. 478).
1
2 77 -1. - Tentative de présentation des diverses méthodes
Inductive ............... + + + - - +
Déductive ............... + - - - - +
Empirique .............. + + - + +
Rationaliste ............. - - - + + m,
==
,-j
Nomothétique ........... + - - - - + :i::
Idiographique ........... + + - particulière discutée 0
Qualitative .............. + + + discutée 0
+ - - m
Quantitative ............ + + + - + n
Expérimentale ........... + + + + particulière +
+ C:
Clinique ................ + - - particulière discutée z
Dialectique ............. + + + ,Ô
- - - c:::
Statistique .............. - + + - +
Comparative ............ type - - + - discutée .!"1
type
Typologique ............. concret idéal type type + discutée discutée m,
==
concret concret ,-j
L'influence exercéepeut différer d'une méthode à l'autre, nous indiquons seulement d'une croix le fait que la méthode implique un certain type d'observation.
(Suite pagesuivante)
362 LESCONFLITS DE MÉTHODES
278 Bibliographie ◊
*FouCAULT (M.) 1963. - Naissancede la clinique,P.U.F., 212 p.
**GRANGER (G.) 1967. - Penséeformelle et sciencesde l'homme, Aubier
Montaigne, 226 p.
LAGACHE (D.) 1949. -L'unité de la psychologie, P.U.F. 150 p.
1976. - « Méthode expérimenale et méthode clinique», Rev. Europ.Sc.
Soc., 14, n°5 38-39, pp. 305-329.
REUCHLIN (M.) 1969. - Les méthodesen psychologie,P.U.F. « Que sais-
je ? », 128 p.
REY(A) 1964. - L'examencliniqueen psychologie,P.U.F., 2e éd., 224 p.
ScHEIN (E.H.) june 198 7. - The clinicalperspective
in field work. Sage vol 5,
96 p.
essentiellement dans leur origine et même dans leur devenir que qualita-
tives. Elles ne sont quantitatives que de surcroît La quantité n'est qu'un
élément mineur, un élément dérivé. L'élément fondamental sur quoi se
construit la mathématique est d'abord qualitatif. Cette opposition qua-
lité-quantité, si vivante dans toutes les sciences de l'homme, est non
moins vivante en mathématique et les mathématiciens ne laisseront
jamais réduire les mathématiques à un examen rationnel de la quantité. »
Les mathématiquessont avant tout un langage,un moyen de communi-
cation. Dans un sens large, il n'existe qu'une seule mathématique, qui a
pour but d'étudier des relations et des correspondances. On peut, suivant
le domaine que l'on étudie, s'attacher à certains aspects mathématiques
plutôt qu'à d'autres. A l'heure actuelle, une première classification géné-
rale paraît importante, c'est celle qui distingue les mathématiques qualita-
tives des mathématiques quantitatives.Les mathématiques qualitatives
comprennent, les mathématiques non numériques et les mathématiques
ordinales. Les mathématiques quantitatives comprennent, elles aussi, les
mathématiques ordinales et de plus, les mathématiques cardinales.
Les mathématiques ne sont qu'un moyen, au service d'hypothèses ren-
dant compte ou expliquant la réalité. Celle-ci n'offre le plus souvent que
des données qualitatives.
Le problème devient alors : comment, sans les appauvrir, ordonner, au
besoin rendre quantifiables les éléments qualitatifs les plus intéressants ?
Pour arriver à ce résultat, une double transformation était nécessaire,
d'une part l'évolution de l'instrument mathématique et de ce qui l'en-
toure, d'autre part, la transformation des données qualitatives.
SECTION5. LA TRANSFORMATION
DE L'OUTILMATHÉMATIQUE
282 L'évolution ◊ Les nombres fascinaient les Anciens. Mais l'on a
reconnu seulement depuis peu de temps que l'intelligibilité suprême
appartenait à des structures, définies à partir d'ensembles(collections
d'objets stables et identifiables), par des axiomes(conditions précisant les
limites de ce que l'on peut faire). Si l'on a conseivé le langage numérique
traditionnel pour certaines de ces structures, le reste, comme le note
G. Kreweras (1968), « c'est-à-dire le plus important, se traite en termes
de relations, de correspondances, de lois de composition. Autrement dit,
la mathématique en est venue fondamentalement à se constituer en une
discipline à peine distincte de la logique ».
La transformation des mathématiques a debuté il y a environ 200 ans,
mais n'a pas abouti tout de suite.
Le plan d'instruction publique préparé par Condorcet (1794) comportait en
seconde et en première, deux professeurs de mathématiques, l'un particulière-
ment chargé des applications des mathématiques aux sciences morales et poli-
tiques. Dans l'enseignement supérieur, il était prévu une chaire spéciale de
mathématiques sociales. L'âge d'or des mathématiques sociales se situe entre
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 365
1654 et 1838, dates entre lesquelles est né le calcul des probabilités et ont paru les
ouvrages de Cournot et de Poisson.
Les progrès récents ont été manifestes dans des domaines aussi divers
que la linguistique, la cristallographie, la science économique, tous les
secteurs où l'on touche à la théorie de l'information, à ses applications
dans les communications, la cybernétique, etc. Cl. Lévi-Strauss (1954)
fait remarquer que les sciences humaines, du fait du caractère essentielle-
ment qualitatif de leur objet étaient moins dépendantes des mathéma-
tiques traditionnelles, et qu'elles ont dû se tourner d'emblée vers « cer-
taines formes audacieuses et novatrices de la réflexion mathématique».
283 Les mathématiques qualitatives ◊ Quelles sont ces mathématiques
nouvelles que l'on appe11equalitatives ?
Ces mathématiques humaines, que ni les mathématiciens, ni les sociologues
ne savent exactement encore où aller chercher et qui sont sans doute largement à
inventer, seront en tout cas bien différentes de celles grâce auxquelles les sciences
sociales essayaient jadis de donner une forme rigoureuse à leurs observations.
« Elles veulent résolument échapper au désespoir des grands nombres» et Lévi-
Strauss (19 54) d'indiquer des différences qualitativement importantes. « L'arri-
vée d'un enfant dans un ménage, cette unité supplémentaire, implique plus de
changements qu'une augmentation de 10 % d'habitants, dans un pays de
100 millions d'habitants. Ici, le qualitatif est plus important que le quantitatif »
Le plus utilisé dans les sciences humaines actuelles, c'est l'algèbre.Une
certaine habitude des structures algébriques permet de comparer des
objets apparemment différents et de les ramener à une expression
commune. G. Guilbaud cite l'exemple d'une recherche ethnologique sur
les liens de parenté, menée dans l'archipel des Nouvelles-He'brides.Cer-
tains points restaient inexplicables par l'ethnologie, en particulier un
petit dessin, sorte de schéma explicatif tracé par un sorcier indigène. Or,
G. Guilbaud (1959) travaillant avec un ethnologue connaissant l'ar-
chipel, a pu recomposer les données du problème, en rattachant celui-ci à
un schéma connu de la théorie mathématique des groupes. Ce schéma
reproduisait à peu près celui du sorcier.
« Le scandale, déclare G. Guilbaud, c'est de constater qu'un ethnologue formé
dans nos universités occidentales et un indigène des Nouvelles-Hébrides,
n'étaient pas à égalité quand ils parlaient de parenté, car l'un savait beaucoup
d'algèbre, c'était le sorcier indigène, mais l'autre l'ignorait totalement.»
Au-delà d'une sorte de codification des données ethnologiques qui ont
fait l'objet des études de Lévi-Strauss, les modèles mathématiques per-
mettent de trouver des analogies que l'on ne percevait pas, de poser de
nouveaux problèmes. L'intérêt des mathématiques, c'est au-delà du
donné, d'explorer le domaine du possible, d'envisager tous les systèmes,
même ceux qui n'existent pas dans la réalité et de permettre alors de se
demander pourquoi.
Il faut cependant remarquer que, dans les exemples ci-dessus, il s'agit
de structures stables. Les mathématiques semblent plus facilement utili-
sables dans la partie mécanique de la vie sociale, ce qui résiste au change-
366 LES CONFLITS DE MÉTHODES
ment, c'est-à-dire dans ce qui relève d'une logique sociale, d'un rituel. Il
n'y a rien d'aussi algébrique qu'un rite. Peut-on également utiliser les
mathématiques dans le domaine du changement propre aux sciences
humaines?
284 Quantification et mesure ◊ Il faut avant de répondre à la question
posée, donner quelques précisions.
Quantifier signifie énumérer,compter des unités, dénombrer les objets
à étudier ou à décrire, relever la fréquence d'apparition d'un phénomène.
On ne peut compter, additionner que des unités rigoureusement sem-
blables, ce qui implique des définitions précises et des catégories homo-
gènes.
La démographie est susceptible de quantification sous la forme la plus
simple : comptabiliser les naissances, le nombre de morts.
Quantifier signifie également mesurer. Au sens strict, la mesure
implique référence à un symbole arbitraire : par exemple le mètre pour la
longueur. En sciences sociales, on appelle souvent mesure, le classement
des éléments dans un certain ordre, par rapport à un critère de plus ou de
moins (plus ou moins autoritaire, plus ou moins de participation, etc.).
Le sociologue américain F. S. Chapin (1955) note: « Si nous
comptons les dents d'une vache, l'opération est différente d'une autre
forme de mesure qui consisterait à donner la hauteur et la largeur de cha-
cune de ces dents. »
Les remarques de Chapin ne sont pas entièrement exactes, car du
moment qu'il s'agit de nombres entiers, il n'y a pas de différence d'un
point de vue purement mathématique et abstrait 1. En revanche sur le
plan de la signification, la différence est réelle. Il faut bien comprendre
que la nature de l'unité de compte, doit correspondre à la nature de ce
que l'on mesure. Tout dépend ici encore du niveau de mesure que l'on
cherche. Il faut donc distinguer lorsque l'on parle de « quantification »
dans les sciences sociales, s'il s'agit d'ordre, c'est-à-dire de mathématique
non numérique, ou de mesure et de quel type de mesure.
mesurer des poids, fidèle sans doute, n'est pas adapté à la donnée, la
taille, que l'on veut recueillir. 11n'est pas valide.La notion de validité se
définit habituellement suivant deux approches complémentaires.
D'un point devue logique,un instrument est valide s'il mesureavecexac-
titude ce qu'il a pour but de mesurer1 . Ceci suppose une définition de la
caractéristique soumise à la mesure. Par exemple, mesurer une attitude
fasciste ou une aptitude à se souvenir, implique que l'on définisse le fas-
cisme et la mémoire.
D'un point de vue empirique,un instrument est valide, dans la mesure
où il permetdeprédireavecexactitude,en fonction du résultat ou« score»,
obtenu par le sujet sur telle caractéristique en cause, quel sera son
comportement ultérieur, dans une situation dans laquelle joue la même
caractéristique.
Les deux points de vue impliquent que l'instrument doit bien mesurer
ce qu'on lui demande de mesurer, des centimètres et non des kilos,
ensuite qu'il les mesure de façon exacte. Cette notion de validité est donc
plus exigeante et plus complète que celle de fidélité. Elle saisit directement
le rapport entre les résultats obtenus et la réalité. La fidélitéimplique la
permanence des qualités de l'outil, la régularité de son emploi. Elle
cherche un indice favorable, un espoir de vérité dans la similitude des
résultats obtenus par diverses personnes. La validité,elle, implique l' exac-
titude du résultat par rapport à l'objectif cherché, la correspondance avec
la réalité choisie.
Une technique valide a toutes les chances d'être fidèle, si l'opération
est recommencée dans les mêmes conditions, alors qu'une technique
fidèle peut n'être pas valide.
2 90 3° La précision ◊ La précisiond'un instrument se définit habituelle-
ment par sa sensibilité aux variations qu'il doit enregistrer. Dans le cas
des sciences sociales, ce sera l'exactitude avec laquelle il situe la position
d'un individu par rapport à la caractéristique que l'on veut mesurer. Une
enquête d'opinion, par exemple, ne donnera qu'une proportion globale
de favorables, non favorables, sans opinion. Une échelle d'attitudes, un
test d'aptitudes, n'indiquent pas seulement des différences entre les opi-
nions et les capacités des individus, mais permettent de distinguer des
sujets favorables ou doués, suivant des degrés et nuances de plus ou de
moins, de les situer les uns par rapport aux autres.
Bien entendu, validité, fidélité et précision, sont en étroite relation. Un
instrument précis, mais faux ou infidèle, ne serait pas utilisable. Indi-
quons aussi qu'il ne faut pas être un maniaque de la précision.
Comme le dit W. Mills (1959) : « Je voudrais savoir dans quelle mesure on ne
confond pas l'exactitude ou la pseudoprécision avec la« vérité» et jus~u'à quel
point on ne prend pas l'empirisme abstrait pour l'empirisme tout court . » Rap-
pelons la plaisanterie citée par Bachelard : « Il est sûr du troisième chiffre après la
virgule, c'est sur le premier qu'il hésite 3 • »
1. Ceci n'est pas toujours aussi simple qu'on le pense.
2. W. Mills (1959, B. 170), p. 77.
3. In P. Bourdieu (1968, B. 170).
370 LES CONFLITS DE MÉTHODES
mêmes questions : quelles sont les causes possibles d'erreur ? Quelle est la
fidélité, la validité de l'instrument? Que permet-il de découvrir? A quoi
convient-il particulièrement? Quelle est sa valeur, son intérêt, les avan-
tages qu'il présente ?
294 1° Comparaison sur le plan de la fide1ité et de la validité◊ Le
contrôle par la fidélité et la validité est une garantie qu'offrent le plus
souvent, nous ne disons pas toujours, les méthodes quantitatives. Sans
doute, l'analyse purement qualitative d'une situation politique peut-elle
être faite par plusieurs journalistes observateurs. Tous peuvent prévoir
une révolution qui, en éclatant ultérieurement, prouvera la fidélité et la
validité des observations faites.
La recherche de la fidélité et de la validité d'observations non systéma-
tiquement recueillies est difficile, vu l'hétérogénéité des éléments et leur
tracé imprécis. De plus, elle n'offre pas grand intérêt. En effet, une
enquête qui ne vise pas elle-même la mesure, n'exige pas d'être jugée de
façon aussi rigoureuse. Validité et fidélité doivent accompagner les tech-
niques quantitatives pour rendre compte de toutes les étapes qu'elles
comportent, de leur normalisation et de l'objectivité des enquêteurs. Elles
constituent donc, avant tout, la garantie des qualités de l'outil, de l'ins-
trument de mesure. On vérifie la :fidélitéet la validité d'une balance, non
celle d'un panier pris au hasard que l'on remplit de fruits variés. Mais si
l'on peut vérifier sur une balance le poids atteint par une corbeille de
fruits normalisés 1 , cette quantification par un instrument fidèle et valide,
ne rend pas compte des fruits véreux, camouflés dans un colis« fardé»,
ni du goût de chacun.
Dans la mesure où la technique vise une quantification, où les cher-
cheurs sont assimilés à des instruments de mesure, où la part de person-
nalité, d'interprétation de l'observateur est réduite, où les résultats sont
normalisés, dans cette mesure seulement, la fidélité et la validité doivent
être appréciées. Mais celles-ci ne peuvent donner de garantie concernant
toutes les qualités des matériaux, pas plus que la balance n'indique la
saveur des fruits, puisqu'elle n'est pas adaptée à cette mesure particulière.
Les garanties supplémentaires qu'offrent les techniques quantitatives
sont normales, étant donné les ambitions de précision et de rigueur qui
sont les leurs. Elles ne doivent pas nous faire oublier ce que nous rappelle
le panier de fruits : les matériaux à quantifier ( sauf ceux qui sont directe-
ment chiffrés) sont recueillis d'abord comme données qualitatives; la
manipulation technique seule permet ensuite de les quantifier. Le pro-
blème ne consiste donc pas à les opposer, mais à savoir si la quantifica-
tion est utile, si elle apporte quelque chose de plus, si elle est adaptée à ce
que l'on cherche et si on ne la paie pas trop cher.
295 2° Comparaison sur le plan de l'intérêt des résultats ◊ Ayant
admis que les méthodes quantitatives peuvent donner des résultats
exacts, encore faut-il, pour les préférer à d'autres, reconnaître l'intérêt
qu'elles présentent.
1. Grâce à une manipulation, un calibrage.
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 373
CHAPITRE2
LESEXIGENCES
DE LA RECHERCHE
« Ce qui estfamiliern'estpas pour cela
connu.»
Hegel.
Bacon déclare qu'il faut procéder inductivement d'après les faits, Des-
cartes déductivement à partir d'axiomes certains. La fameuse distinction
de C. Bernard précise : observation, hypothèse, expérimentation, tandis
que logiciens et physiciens modernes pensent que l'hypothèse est le vrai
point de départ.
Cependant, et le fait est impressionnant, malgré l'évolution de la pen-
sée scientifique, tous ces savants aux opinions si divergentes sont d'ac-
cord sur un point: il faut d'abordchasserde son espritles idéespréconçues.
Chacun exprime cette idée à sa façon : repousser les idoles dit Bacon,
doute méthodique préconise Descartes.
Si l'idée est devenue banale en sciences naturelles, elle est moins nette
et surtout plus difficile à appliquer dans les sciences sociales.
La lutte contre l'évidence ne se passe pas à l'extérieur comme un doute
sur l'apparence sensible: « Je vois la lune comme un ballon rond dans le
ciel », mais comme une lutte à l'intérieur de chacun, une mise en ques-
tion d'évidences souvent inconscientes et que le langage lui-même véhi-
cule et camoufle. « Le langage ordinaire qui, parce qu'ordinaire, passe
inaperçu, enferme dans son vocabulaire et sa syntaxe toute une philo-
sophie pratiquée du social toujours prête à resurgir 1 . »
Notions confuses, mais aussi classifications ou catégories, limitent la pensée,
l'empêchent de chercher des rapports, les liens qui unissent dans la réalité, ce
qu'un découpage arbitraire sépare. Même les distinctions aussi incontestables que
le sexe peuvent être suivant les cas mal choisies. Lesétudes de sociologie électorale
indiquaient avec la certitude accablante des chiffres, que les femmes s'abstiennent
de voter plus que les hommes. Lesfemmes ? Il semblerait qu'il ne puisse y avoir de
doute sur la définition et pourtant si l'on observe de façon précise le coml><'rte-
ment électoral des femmes, on s'aperçoit que les femmes mariées votent a peu
près autant que les hommes. La différence apparaît chez les célibataires, encore
faut-il distinguer entre les célibataires actives qui, elles, s'abstiennent moins que
les hommes et les inactives, responsables du taux de pourcentage élevé de l'abs-
tentionnisme féminin 2 •
Notre culture nous fait utiliser comme « allant de soi» une catégorie qui n'ex-
plique pas tout, et se révèle inadéquate pour ce que nous recherchons. Ce ne sont
pas les catégories hommes, femmes, qui rendent compte de l'abstentionnisme
mais un facteur« d'insertion sociale» lié au fait de travailler. Il n'est encore venu
à l'idée de personne de distinguer le comportement électoral d'après les groupes
sanguins ou la couleur des cheveux, catégories qui conviendraient sans doute à
des recherches génétiques. Si en revanche l'âge et le sexe se sont imposés à tous
sans hésitation 3, c'est qu'ils paraissent évidents simplement parce que nous y
sommes habitués.
Il est normal que l'on ne puisse passer au crible de la critique toutes les
informations reçues. Mais il est indispensable de le faire en ce qui
concerne les réflexions sociologiques. La difficulté c'est de distinguer la
vie professionnelle de la vie courante. Le savant travaille en laboratoire.
C'est peut-être un lieu artificiel, c'est au moins un lieu différent. Le labo-
1. P. Bourdieu et al. (1968).
2. M. Grawitz (1965).
3. Ce n'est pas un hasard qu'une femme ait la première, mis en doute la valeur de la distinction.
380 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE
savant doit, comme dans les sciences de la nature, non pas forcément
créer un mot nouveau mais « mettre à la place de la conception usuelle,
qui est confuse, une conception plus claire et plus distincte. Le physicien
n'a pas défiguré le sens du mot «chaleur» quand il l'a défini par la
« dilatation ».
§ 2. Construction de l'objet
303 L'objet à construire ◊ Pendant que se précise la définition provisoire,
avant d'arriver à établir un concept rigoureux, se prépare la construction
de l'objet. Comme le dit Bachelard : « La science réalise ses objets sans
jamais les trouver tout faits [ ...] elle ne correspond pas à un monde à
décrire, elle correspond à un monde à construire [ ...] Le fait est conquis,
construit, constaté 1.»
La construction de l'objet est un des points essentiels et les plus diffi-
ciles de la recherche, le fondement sur lequel tout repose. Cette étape
importante commence dès l'idée de l'enquête, elle se poursuit pendant la
recherche de la définition provisoire, pour aboutir à la construction du
concept et guider avec lui toute la recherche. Dire cela, c'est décrire une
démarche générale, abstraite, presque extérieure. C'est un impératif sans
mode d'emploi. En fait, si la construction du concept peut, comme nous
le verrons, se diviser en étapes techniques, celle de l'objet échappe a
toutes les recettes et procédures. Chaque thème de recherche comporte
un objet différent et chaque construction doit donc s'adapter à l'objet à
construire. C'est sans doute le moment où s'apprécie le degré de forma-
tion du sociologue, c'est celui surtout où se révèlent l'intelligence et les
qualités contradictoires du chercheur : intuition, rigueur, connaissances
et imagination, sens du réel et de l'abstraction
304 Réalité sociale et réalité sociologique ◊ Certains objets paraissent
construits, prêts à être analysés. C'est le cas de certaines études descrip-
tives. En science politique, souvent l'objet, l'institution, forme un tout Le
progrès a consisté d'abord à passer del' étude des textes, del' objet abstrait,
formel, à l'analyse de la réalité, à ce qui se passe. Mais bien entendu, il
s'agit là encore d'une description de l'objet, non de la recherche d'un
réseau de relations explicatif, au-delà des structures apparentes.
De la même façon en sociologie, il est fréquent de voir pris comme
objet d'étude simplement ce qui est donné dans la réalité : monographie
d'une institution ou d'un village. Comme le remarque P. Bourdieu,
« nombre de sociologues débutants agissent comme s'il suffisait de se
donner un objet doté de réalité sociale, pour détenir du même coup un
objet doté de réalité sociologique2 ». La distinction peut paraître subtile,
quelques exemples faciliteront la compréhension.
E. Goffman (1961) étudiant l'institution asilaire possédait un objet doté d'une
réalité sociale. Il pouvait le décrire et l'analyser. Or il a découvert qu'à côté du
1. G. Bachelard (1968, B, 4), p. 61.
2. P. Bourdieu et al. (1968).
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 383
Construire l'objet ne doit pas devenir une simple formule utilisée sans
réflexion, une autre forme de routine. Dans l'état actuel des sciences
sociales, la simple collecte des faits, la description ou la mesure de fac-
teurs constituent des travaux utiles. Toute recherche n'atteint pas obliga-
toirement l'objectif ambitieux de construction de l'objet et de création du
concept. Il faut savoir à quel niveau on peut situer son étude et ce qui est
possible suivant la nature du travail entrepris.
306 L'objet construit et l'objectif◊ « Un objet de recherche si partiel et
si parcellaire soit-il ne peut être défini et construit qu'en fonction d'une
problématique théorique permettant de soumettre à une interrogation
systématique les aspects de la réalité mis en relation par la question qui
leur est posée 1.» Tout va dépendre de cette question qui constitue l'ob-
jectif de la recherche et à travers laquelle se construit l'objet. Comme le
dit F.S. C. Northrop (19 59) : « La science ne commence pas avec des faits
et des hypothèses, mais avec un problème spécifique » : construire l'objet
sociologique,c'est deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser
les bonnes questions.
Mais il y a beaucoup de questions possibles à partir d'une même réalité sociale
et celle que l'on choisit oriente l'enquête et ses résultats. Un exemple frappant est
celui du village de Tepotzlan étudié par R Redfield (1956) qui se demandait:
« quelles sont les joies qu'éprouve cette population?» et vingt ans plus tard, par
O. Lewis (1951) qui, lui, cherchait ce dont elle souffrait. Quoi d'étonnant à ce
que leurs réponses aient été dissemblables. Redfield commentant le contraste
concluait : « Il ne peut y avoir un compte rendu unique, définitif, et complète-
ment objectif d'une totalité humaine. »
Liés à des concepts qui ne sont que des « points de vue» 2 eux-mêmes
attachés à des théories, ces objets construits s'évanouissent, remplacés
par d'autres, en sciences sociales comme en sciences naturelles. L'âme
primitive, l'hystérie, le totem, et d'autres encore ont disparu. « L'esprit
scientifique se constitue comme une série d'erreurs rectifiées3 » a dit
Bachelard.
Ce qui en dernière analyse exprime l'objet construit, synthétise l'acti-
vité des divers facteurs, résume l'explication, c'est le concept. Il doit à son
tour être défini, construit ou plus exactement décomposé, c'est-à-dire
divisé en éléments permettant son étude. Quel est le rôle des concepts et
comment les construire ?
§ 3. Les concepts
307 1° Le rôle des concepts ◊ L'observation peut, à la ligueur, se conce-
voir sans hypothèse de départ, par exemple dans le cadre d'une recherche
exploratrtce. En revanche, un élément indispensable à toute recherche,
1. P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1964).
2. Remarque faite par Saussure.
3. G. Bachelard (1938, B. 4).
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 385
c'est le concept.Le concept n'est pas seulement une aide pour percevoir,
mais une façon de concevoir. Il organisela réalité en retenant les carac-
tères distinctifs, significatifs des phénomènes. Il exerce un premier tri au
milieu du flot d'impressions qui assaillent le chercheur.
Le concept doit ensuite guiderla recherche, en lui procurant au départ,
un point de vue.
Or ce qui retarde les progrès de la science, c'est l'inadéquation de nos
points de vue plutôt que celle de nos techniques.
Un exemple classique est celui de Pasteur détruisant le concept de « génération
spontanée » et découvrant les microbes.
Le plus souvent, la réalité ne révèle au chercheur qu'un seul aspect des
phénomènes, il doit, pour préciser certains éléments, concevoir, imaginer
une hypothèse pour ce qu'il ne voit pas. Le concept en tant qu'outil, four-
nit non seulement un point de départ, mais également un moyen de dési-
gnerpar abstraction,d'imaginer ce qui n'est pas directementperceptible.
Comme le déclare Einstein : « le chercheur est parfois comme un homme qui
voudrait comprendre le mécanisme d'une montre qu'il ne peut ouvrir. A partir
des seuls éléments qu'il voit ou entend (les aiguilles tournent, le tic-tac), il peut
chercher une explication rendant compte de la façon la plus simple, de faits nom-
breux même invisibles. Ce sont les concepts de mouvement, de roue, d'engrenage,
qui permettent de comprendre sans le voir, le mécanisme de la montre. » La
façon de grouper ces objets ou éléments, en fonction d'une propriété commune,
est le propre de l'abstraction et de la généralisation, qui, ainsi que nous l'avons
vu, sont les moyens de constituer les concepts.
Les concepts peuvent, avec les progrès de la science, s'améliorer, se
relier à des théories, aboutir à des applications nouvelles. Un concept issu
d'une série d'observations permet ensuite, par déduction, de prévoir
d'autresproblèmes,d'autres conséquences des faits qu'il généralise.
Par exemple, M. Planck imagine le concept de quanta pour expliquer l'aspect
discontinu de l'énergie. Einstein déduit de ce concept certaines conséquences, qui
aboutissent au radar et à la télévision.
En sciences sociales, le concept remplit également ces fonctions: orga-
niser, guider, désigner, prévoir. Mais alors que, dans les sciences phy-
siques et naturelles, le concept obéit aux nécessités de l'uniformité de la
mesure et de la quantification, en sciences sociales, on se heurte à une
question de vocabulaire. Le concept est une abstraction, ce n'est pas le
phénomène lui-même et il prend sa signification du contexte d'où il est
tiré. Il peut changer de sens, suivant la façon dont il est considéré. L'am-
biguïté des termes, empruntés le plus souvent au langage courant, gêne le
chercheur, qui se croit alors justifié d'utiliser des définitions personnelles.
Chacun ayant les siennes, la nécessité de définir les concepts, pour qu'ils
puissent jouer leur rôle d'agent de communication, devient impérieuse.
Le terme culture pour un anthropologue, n'a pas le même sens que pour
un romancier ou un agriculteur.
Les concepts semblables doivent recouvrir des expériences semblables, mais ils
sont susceptibles d'évoluer. Le concept d'attitude, tel qu'il est défini dans le die-
386 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE
chef d'entreprise ou d'un chirurgien. En disant de l'un d'eux qu'il est prudent, on
ne s'attendra pas à ce qu'il remplisse toute la liste des conditions particulières
caractérisant la prudence de tous les autres. Mais il y aura une probabilité pour
qu'il accomplissecertains actes en respectant certaines caractéristiquesde la pru-
dence.
La relation entre chaque indicateur et le concept fondamental à étudier
étant définie en termes de probabilité et non de certitude, il est indispen-
sable d'avoir à sa disposition un grand nombre d'indicateurs. On ne peut
juger de l'intelligence de l'individu par un seul critère, de la capacité d'un
médecin par le seul nombre de malades guéris, de la valeur d'un auteur
par le nombre de livres vendus. Car l'int.elligenceest complexe, les mala-
dies plus ou moins difficiles à guérir et le chiffre de vente des livres n'in-
dique que le succès commercial. Le choix, le nombre et la hiérarchie des
indicateurs posent naturellement des problèmes.
Lorsqu'il s'agit d'un concept que l'on utilisera dans une recherche à
résultatsquantifiés,la difficulté consiste à trouver des indicateurs à la fois
révélateurs et eux-mêmes quantifiables. Lorsqu'il s'agit d'une enquêtequa-
litative,il faut surtout que les indicateurs soient riches de signification par
rapport à l'objet de la recherche. Dans une étude sur le rôle de l'homme
et de la femme dans le couple, on cherchera qui prend les décisions et
quel type de décision... même qui de'bouche les lavabos 1 ? J. L. Simon
(1969) indique que dans une recherche sur l'écout.e de la publicité
commerciale à la télévision, on avait eu l'idée ingénieuse de retenir la
baisse de pression de l'eau, comme indicateur, après avoir remarqué que
les ménagères retournaient à l'évier lorsque le programme ne les intéres-
sait plus.
4° La quatrième étape est celle de la formation des indices.Il s'agit de
faire la synthèse des données obtenues au cours des étapes précédentes.
L'indiceexprime la combinaison de plusieurs indicateurs. Par exemplel'indice
du coût de la vie est un indicesynthétique,qui combine les prix des divers postes
du budget familial, pondérés suivant leur importance. Une année de référence
reçoit la valeur 100 ce qui permet de suivre les variations de l'indice.
L'indice peut être hiérarchisé,dans ce cas les indicateurs sont placés dans un
ordre qui correspond à la valeur qui leur est reconnue (ex. échelle hiérarchique
d'attitude).
Imaginons un jury de concours de beauté: il n'aurait pas de difficulté
pour décerner le prix si une seule concurrente était la plus belle à tous les
points de vue, mais en fait, l'une a de jolies jambes, l'autre de beaux yeux.
Le jury devra donc dresser une liste, comportant les divers points à noter :
éléments du visage, proportions du corps, etc. 2 ces indicateurs devant
s'unifier pour permettre au jury d'apprécier l'ensembledes données.
Si l'on a décomposé la notion de beauté en quatre dimensions : pro-
portions, charme de l'expression, grâce des gestes, couleur, et choisi des
indicateurs pour chacune, il s'agit de les pondérer et d'en tirer une
1. H. Touzard (1967).
2. L'indicateur est l'élément révélateur quantifiable alors que l'indiceimplique une pondération
et une quantification d'un ensemble.
390 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE
TABLEAUA
FORMATION
D'UN CERCLE INVITATION
SOCIAllSTI
Le problème des relations entre variables étant capital dans les sciences
sociales, la question importante que pose Lazersfeldest celle-ci : « Si nous
remplaçons un indicateur par un autre qui nous paraît aussi valable que
le premier, les relations que l'on cherche à révéler seront-elles modi-
fiées?»
L'expérience suivante permet de donner une indication. La question considérée
comme variable extérieure obligeait les sujets à faire un choix : « Dans le cas où
un membre du corps enseignant serait engagé dans des activités subversives,voire
anti-américaines, pensez-vous qu'il soit plus important pour l'Administration de
l'Université de protégerla réputation de l'Université ou les droits desmembresdu
corpsenseignant? »
TABLEAUB
Proportiondessujetsen faveur d'une protection des droits
du corps enseignant en fonctiondesdeux mesuresprécédentes
du conservatisme
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OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 393
SECTION2. OBSERVATION,HYPOTHÈSE,
EXPÉRIMENTATION
§ 1. Particularités de l'observation
dans les sciences sociales
313 1° L'objet à observer est humain ◊ Dans les sciences de la nature,
on observe des faits grâce à des instruments de mesure.
Quelle que soit l'impression ressentie dans une salle à 20° par Paul qui arrive
d'une chambre froide à 0°, et Pierre qui sort d'une chaufferie à 30°, le thenno-
mètre est là pour les mettre d'accord sur le fait qu'il y a 20° dans la pièce. En
revanche, si Paul trouve un cours ennuyeux, alors que Pierre s'y intéresse, les deux
impressions sont également vraies, comme l'étaient celles de chaud et de froid,
mais on ne possède pas de critère extérieur auquel se référer, pour dire quel est le
degré d'intérêt présenté par un cours.
Durkheim a prescrit de« traiter les faits sociaux comme des choses»,
et l'on a admis après lui, qu'il existait des faits humains comme des faits
physiques, que l'on pouvait également observer d'une manière scienti-
fique, c'est-à-dire objective. On doit cependant reconnaître que les faits
humains présentent certaines particularités dont il faut tenir compte.
Le fait social est à la fois unique et historique: « Tout fait social est un
moment de l'histoire d'un groul': d'hommes, il est fin et commence-
ment d'une ou plusieurs séries . » Alors que les sciences de la nature
observent le plus souvent des phénomènes, qui, sous les mêmes condi-
1. Cf. M. Mauss, Œuvres III, p. 209.
394 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE
§ 4. L'hypothèse
322 1 ° Définition et rôle ◊ L'hypothèse est une proposition de réponse à
la question posée. Elle tend à formuler une relation entre des faits signifi-
catifs. Même plus ou moins précise, elle aide à sélectionnerles faits obser-
vés. Ceux-ci rassemblés, elle permet de les interpréter,de leur donner une
signification qui, vérifiée, constituera un élément possible de début de
théorie 3 • Les conditions de validité de l'hypothèse sont importantes (cf.
n° 325). Elle doit être vérifiable de façon empirique ou logique. La
démarche scientifique implique que l'hypothèse soit formulée en des
termes tels que l'observation et l'analyse, la conception de la recherche
puissent fournir une réponse à la question posée. L'hypothèse suggère
donc les procédures de recherche.
Plutôt que de caractériser les étapes de la méthode expérimentale par
l'observation, l'hypothèse, l'expérimentation, il eût été plus juste de dire:
question, rupture, construction, hypothèse, observation, expérimenta-
tion. Quoiqu'il en soit, nous retrouvons avec l'hypothèse, la difficulté de
poser les bonnes questions.
Il faut se méfier, comme le note Merton, car de pseudo-faits créent de pseudo-
problèmes. En sociologie, le risque est grand car les hommes s'imaginent facile-
1. Cf. n° 284.
2. Cf. n° 310.
3. La théorie est plus large puisque c'est un système d'explication intégrant plusieurs hypothèses.
OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 399
ment connaître la société dans laquelle ils vivent 1. Il est indispensable, avant de
vouloir expliquer les faits par une hypothèse, de s'assurer que les faits existent.
Pour Cl. Bernard, la plupart des erreurs théoriques proviennent d'erreurs de fait.
Descartes expliquait pourquoi la glande pinéale ne pouvait exister que chez
l'homme, peu de temps avant que Niels Stenzen ne la découvre chez des ani-
maux.
L'hypothèse n'est pas toujours d'emblée formulée sous sa forme vérifiable. Le
chercheur se contente parfois d'indiquer simplement des domaines dans lesquels
faire des recherches, ou des classes de variables à observer, parce qu'elles
paraissent offrir des régularités. Ceci signifie que le chercheur espère trouver ulté-
rieurement une hypothèse, sans définir ce qu'elle sera.
pas susceptible d'être démontrée. Pour cet auteur, il n'y a pas de démons-
tration possible du caractère définitivement irréfutable d'une proposition.
il préfère le terme de réfutationà celui de falsification.
Sur le plan pratique, l'hypothèse doit ensuite mettre en causedesfaits
réels et ne pas comporter de jugements de valeur : bon, mauvais,
devraient, etc.
L'hypothèse selon laquelle ce sont les enfants des meilleures mères de familles
qui travaillent le mieux, ne signifie rien, car le critère de la meilleure mère de
famille fait défaut En revanche, on peut supposer que le niveau des revenus exer-
çant une influence sur les conditions de travail des enfants, ceux dont les deux
parents travaillent 1 obtiennent de meilleurs résultats scolaires. Hypothèse véri-
fiable et vérifiée dans les faits.
L'hypothèse doit être spécifique,c'est-à-dire ne pas se perdre dans des
généralités. Si l'on veut pouvoir la tester, il faut, quelle que soit l'idée
générale dont elle est issue, qu'elle aboutisse à mettre en cause des fac-
teurs précis, ce qui implique des indices révélateurs de ces facteurs.
Par exemple, l'hypothèse que la participation politique croît avec le niveau
d'information, suppose que l'on retienne des indices révélateurs du niveau d'in-
formation (degré d'instruction, lecture de journaux, télévision, etc.) et de la parti-
cipation (vote, affiliation à un parti, assistance aux réunions, etc.).
L'hypothèse doit normalement être conçue en termes vérifiables par
une technique particulière. Le problème consistera ensuite à savoir com-
ment on peut passer de la vérification partielle, apportée par l'expérience
dans une situation donnée, à l'ensemble des situations sous-entendues
par l'énoncé de l'hypothèse. Problème fondamental de l'adéquation de la
science elle-même, au contenu des faits dont elle cherche à rendre
compte.
Enfin l'hypothèse doit pouvoir se rattacher à une théorie existante,
c'est-à-dire être en conformitéavec le contenu actuel de la science. Une
hypothèse ne surgit pas indépendamment des connaissances acquises
antérieurement Ellen' est pas une utopie, bien que l'utopie puisse devenir
hypothèse.
326 Élément aléatoire o La conception classique exposée ci-dessus déprécie singu-
lièrement le rôle de l'hypothèse dans les sciences sociales, en la rendant dépen-
dante des théories existantes. Comme le fait remarquer H. Lefebvre(1958), l'hy-
pothèse dans les sciences sociales joue un rôle particulier, qui tient à la
complexité des phénomènes étudiés, mais surtout à leur caractère aléatoire.Alors
que la probabilité statistique induit des prévisions à partir du passé, le concept
d'aléatoire, acquisition récente de la théorie de l'information, implique une
exploration du champ des possibles, dans lequel l'imagination du chercheur
devient un guide précieux. Aux types d'hypothèses classiques, se vérifiant par la
cohérence et la concordance avec une réalité statique, Lefebvreajoute l'hypothèse
stratégiquequi se vérifie, mais au niveau expérimental, dans la pratique et la réa-
lité dynamique.
32 7 5° Valeur des hypothèses ◊ la science est faite de pourquoi ? mais il est diffi-
cile, à l'avance, de distinguer l'intérêt scientifique d'une hypothèse. Celui-ci est
d'abord subjectif. Tel chercheur peut être passionné par tel domaine particulier
qui paraît mineur à d'autres. Parfois l'hypothèse semble importante du fait de ses
conséquences pratiques : origine du cancer, causes de délinquance. Dans certains
cas, l'hypothèse intéresse à la fois la théorie et la recherche appliquée. Le fait d'ap-
porter une dimension nouvelle à une théorie existante, donne à l'hypothèse un
intérêt immédiatement perceptible.
§ 5. L'expérimentation
ou vérification de l'hypothèse
328 Divers types d'expérimentation ◊ Le contrôle, la manipulation et
l'observation de l'effet produit dans une situation donnée, par la modifi-
cation voulue d'une variable (indépendante) sur une autre variable
(dépendante) constituent l'expérimentationprovoquée,étape fondamen-
tale dans les sciences physiques et naturelles. Ce type d'expérimentation
est rare dans les sciences humaines. Dans les cas où l'expérience est pos-
sible, la situation artificielle risque de modifier les réactions. L'expéri-
mentation n'est heureusement pas indispensable à toute science. L'astro-
nomie a progressé sans elle. En fait, l'expérimentation concerne avant
tout la preuve. Celle-ci n'étant possible que sous certaines conditions de
rigueur, l'expérimentation est devenue en quelque sorte garante de la
méthode.
L'expérimentationinvoquée,plus fréquente, présente au chercheur des
variations naturelles qu'il n'aurait pu organiser lui-même. L'expéri-
mentation se ramène alors pratiquement à une observation systématique
des résultats.
Un exemple d'expérimentation invoquée est constitué par la recherche de cor-
rélations entre le cancer du poumon et le fait de fumer. Leschiffres, très nets, per-
mettent d'envisager une relation de cause à effet. Pourtant, faute de véritable
expérimentation, on ne peut écarter la possibilité d'un autre facteur, expliquant à
la fois le fait de fumer et le cancer du poumon, par exemple le facteur nervosité.
Les auteurs soviétiques distinguent l' eksperimentou expérience véritable et
l' opyt, qui correspondrait à la nuance envisagée par C. Bernard « ou possibilité
d'acquérir de l'expérience sans faire des expériences par cela seul que l'on rai-
sonne convenablement sur des faits bien établis 1 ».
Ce qui importe dans la méthode expérimentale, plus que l'expéri-
mentation elle-même, c'est sa logique, qui peut fort bien s'adapter aux
sciences sociales. Ceci n'a pas toujours été admis, mais les travaux et
réflexions de sociologues tels que Chapin, Greenwood, l'influence des
sociologues européens (en particulier des allemands) et surtout la systé-
matisation de la recherche concrète, ont amené les chercheurs en
sciences sociales à considérer que la logique de la méthode expérimentale
329 Bibliographie◊
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CHAPITRE3
LESNIVEAUXDE LARECHERCHE
§ 1. La description
333 Objectifs ◊ Cette étape peut constituer l'objectif même de la
recherche : par exemple la monographie d'une petite ville, visant une
1. Op. dt., p. 124.
406 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
description de tous ses aspects. Elle peut être aussi considérée comme un
premier stade de l'enquête, celui de la description des symptômes d'une
situation sociale par la méthode clinique. La description représente la
phase la moins élaborée de la science, celle dans laquelle on ne sait pas
toujours ce que l'on cherche, parce que les problèmes ne sont pas bien
précisés et que l'hypothèse n'a pas encore permis de sélectionner les élé-
ments les plus intéressants. Elle correspond au stade de l'observation.
Dans la mesure où celle-ci est plus ou moins sélective, plus ou moins
détaillée, elle sera elle-même plus ou moins orientée vers certains pro-
blèmes.
La description conçue comme un niveau, par rapport à la classifica-
tion et l'explication, comporte elle-même plusieurs niveaux possibles.
On peut tenter de décrire une opinion publique nationale ou des senti-
ments éprouvés par un groupe d'individus. La description peut aussi
explorer plus ou moins profondément.
334 Écueils à éviter ◊ Il faut éviter d'une part l'absencede conceptualisa-
tion. Celle-ci, comme nous l'avons noté pour l'observation, fait partie de
l'investigation. On ne peut tout décrire, sous peine de borner la descrip-
tion à une accumulation de faits sans signification. Le concept, à défaut
d'hypothèse, impose un certain ordre, et permet une généralisation ulté-
rieure des données.
D'autre part, il faut rejeter la conceptualisationinopportuneet lesdécou-
pagesarbitraires.La description doit correspondre à la réalité, il faut donc
que le chercheur soit capable de l'appréhender, de la concevoir.
On a reproché à de nombreuses enquêtes ethnologiques d'utiliser,
pour décrire certaines sociétés archaïques, des concepts, un langage, pro-
venant de la société dont le chercheur était issu et par là, de se montrer
incapables de rendre compte d'une réalité qui leur était étrangère. De
même en histoire, d'employer des termes actuels pour rendre compte de
situations du passé très différentes 1.
Mais une bonne description, une analyse pertinente, malgré leur uti-
lité ne suffisent pas. Le rôle de la science, c'est tout de même d'atteindre
l'explication, en passant souvent par le stade de la classification.
§ 2. La classification
335 lA. notion de typologie ◊ Une des premières étapes en sciences natu-
relles a consisté à classer les animaux, les plantes, en genre ou type, ou
espèces, en fonction de leurs caractéristiques essentielles. Ceci représente
déjà un effort d'abstraction. Les sciences sociales devaient également
atteindre cette étape de mise en ordre, de catégorisation, permettant des
comparaisons. L'ethnologie, l'anthropologie ont caractérisé des types de
société d'après les coutumes ou les objets : âge de bronze, âge de pierre.
1. Le concept de classe, étranger à l'Angleterre du XVlf siècle, cf. P. Lasslett (1969).
DESCRIPTION ET CLASSIFICATION 407
1. In A. H. Barton (1961).
DESCRIPTION ET CLASSIFICATION 409
social plus large. C'est le cas de la galerie de white collartypes dépeints par C.
Wright Mills (1961) ou encore de types beaucoup plus abstraits, correspondant
aux organisations religieuses de Von Wiese, ou aux types d'influence de Merton.
340 La construction du type ◊ La typologie la plus complète à laquelle
on puisse parvenir à partir d'éléments qualitatifs, est celle, déclare P.
Lazarsfeld, dans laquelle « chaque type est explicitement dérivé de la
combinaison logique d'attributs essentiels 1 ».
C'est le cas de l'étude de Riesman sur la participation, dans laquelle il mêle
deux éléments : la connaissance et l'intérêt ou la sensibilisation aux problèmes
politiques, obtenant ainsi quatre types d'engagements politiques possibles. Dans
la mesure où l'on peut systématiser empiriquement le processus de construction
d'un type, il semble qu'il faille d'abord découvrir les catégories essentielles ou les
caractéristiques. C'est ainsi que C. W. Mills (1961) 2 découvre six traits mar-
quants, influençant la situation de travail. Lorsque tous ces caractères se trouvent
réunis nous avons le type de « craftsmanship » (contremaître). Sinon on trouve
soixante-quatre combinaisons possibles de six traits, n'ayant évidemment pas
tous la même importance 3 •
De toutes ces réflexions, nous retirons finalement l'impression dépri-
mante d'écarter les chances de découvrir la femme idéale, vue par Mem-
ling ou Renoir, pour gagner la certitude de nous trouver devant la femme
type, obtenue par portrait-robot. Admettons, avec un dernier effort, qu'il
ne s'agit tout de même pas de cela. D'abord, un grand nombre de pro-
blèmes échapperont toujours à la systématisation. De plus, la notion de
type, perçue globalement telle que l'emploie le langage courant lorsqu'il
déclare que M. X est le type du petit paysan ou M. Y du militant, garde
son utilité et sa justification. A partir du moment où l'on veut comparer,
analyser, prouver, progresser, en tout cas comprendre, c'est-à-dire parler
le langage de la science, on doit procéder de façon systématique, quitte
parfois à faire de petits pas, là où l'intuition ferait un saut. Même dans
les cas de types ainsi construits scientifiquement, on ne peut faire abs-
traction de l'intuition. Elle est de toute façon indispensable pour décou-
vrir les éléments essentiels. Il ne s'agit pas de mettre en relation auto-
matiquement tous les traits ou toutes les catégories, comme l'exige le
portrait-robot, mais, comme le note Lazarsfeld, « l'acte stratégique
consiste à «sentir» les attributs importants qui constitueront le type et
finalement nous aideront à résoudre les problèmes qui nous inté-
ressent 4 ».
Nous insistons sur la conception concrète et rigoureuse du type, car à
l'heure actuelle le terme de typologie connaît une faveur et une ambi-
guïté égales à celles de structure. Or un catalogue, une énumération,
même une classification, ne sauraient constituer une typologie. Becker a
raison d'insister sur le fait que l'on ne peut constituer un type au début
1. P. Lazarsfeld (1961) in Llpset, Sociologytoday,pp. 115-122.
2. C. W. Mills (1959).
3. Ici interviennent des processus de« réduction», permettant de combiner les types en groupes
moins nombreux.
4. In AH. Barton (1961), p. 108.
410 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
SECTION2. L'EXPLICATION
342 1° La crise de l'explication et ses causes ◊ Expliquer, c'est
répondre à la question «pourquoi». Stuart Mill dans sa logique écrit:
« Un fait particulier est expliqué, quand on indique une loi ou d'autres
lois dont elle est une conséquence. » Les nombreuses crises traversées par
les sciences humaines, en particulier par la sociologie, ont toujours été
liées au problème de l'explication.
Lorsque Durkheim exige que les faits sociaux soient expliqués par la société, il
condamne l'explication de celle-ci par un élément qui lui serait extérieur. Cette
exigence limite l'explication, mais ne la définit pas.
1. G. Gurvitch (1958, B. 354), tome I, p. 23.
L'EXPLICATION 411
« Après avoir forcément un peu trop divisé et abstrait, il faut que les socio-
logues s'efforcent de recomposer le tout [ ...]. L'étude du concret qui est le tout
complet, est possible et plus captivante et plus explicative encore en sociologie
qu'ailleurs. [...] Dans ces phénomènes sociaux totaux s'expriment à la fois et
tout d'un coup toutes sortes d'institutions. Les faits sociaux totaux[ ...] mettent
en branle [ ...] la totalité de la société1.»
Cette conception de Mauss, d'une sociologie, explication des phéno-
mènes sociaux totaux, réagit contre la primauté de la conscience collec-
tive et l'hyper-spiritualisme de Durkheim, même si sa pensée semble par-
fois, elle aussi, comporter des traces d'influence psychologique. Mauss
limite également le point de vue de Weber, distinguant compréhension
et explication et s'oppose à toute séparation de l'histoire et de la sociolo-
gie. Sans doute, faute de reconnaître la valeur de la dialectique, n'a-t-il
pu tirer toutes les conséquences de sa conception, mais on lui doit non
seulement d'avoir dégagé de son contexte politique la notion de totalité,
mais encore de l'avoir intronisée. Succès qui se paie aujourd'hui par une
utilisation souvent abusive du terme.
347 La totalité: notion sociologique ◊ Homme total proclame Marx.
Phénomènes sociaux totaux réclament les sociologues. Comment conce-
voir l'homme total, élément du tout qu'est la société? Comment imagi-
ner une totalité modifiant les éléments dont elle est formée en utilisant
les matériaux empruntés à ces éléments eux-mêmes? Trois types d'expli-
cation ont été avancés.
Le premier, que nul sociologue n'accepte, consisterait à déclarer que le
tout est composé de la somme des propriétés des éléments. La deuxième
solution, celle de Durkheim, considère que le tout ou société, ajoute des
propriétés nouvelles aux éléments structurés par lui. Mais le transfert de
la conscience individuelle à la conscience collective ne transforme pas les
problèmes. De leur origine psychologique, ils conservent un caractère de
causalité spirituelle, inacceptable en sociologie. D'où la troisième solu-
tion, celle du relativisme et de la sociologie concrète.
Le défaut de la plupart des explications sociologiques, c'est de n'avoir
pas tenu compte du fait que la pensée procède de l'action. Comme l'écri-
vait Marx dans Le Capital: « En agissant par ses mouvements sur la
nature extérieure et en la transformant, il (l'homme) transforme en
même temps sa propre nature. » De même pour Piaget : « une société est
essentiellement un système d'activité, dont les interactions élémentaires
consistent, au sens propre, en actions se modifiant les unes les autres
[ ...]. C'est de l'analyse de ces interactions dans le comportement lui-
même, que procède alors l'explication des représentations collectives ou
interactions modifiant la conscience des individus 2 ».
Ayant rapidement vu les obstacles à surmonter et les conditions à
remplir pour atteindre l'explication, on aborde maintenant la recherche
classique de l'explication par la causalité.
1. M. Mauss (1950), p. 147.
2. J. Piaget (1950), p. 201.
414 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
SECTION3. MÉTHODESPROPOSÉES
POUR ATTEINDREL'EXPLICATION
355 Les différentes méthodes proposées en sociologie pour atteindre
l'explzcation ◊ La méthode, moyen de parvenir à un aspect de la vérité,
de répondre plus particulièrement à la question« comment», est liée au
problème de l'explication. L'exposé des diverses méthodes se heurte à
l'ambiguïté déjà soulignée de la notion, mais également aux différences
des niveaux auxquels elles se situent, à l'ampleur de l'explication qu'elles
visent, enfin aux divers moments du processus de recherche auxquels elles
s'appliquent.
On étudiera ici les démarches intellectuelles les plus importantes qui
présentent des types d'explication plus ou moins complets et de ce fait
sont le plus souvent appelées méthodes.
§ 1. La méthode comparative
356 1 ° Historique ◊ D'après les premiers sociologues organicistes, la
société ne pouvait être soumise à la méthode expérimentale. D'une part du
fait de l'interdépendance de ses éléments, changer quelque chose, c'était
risquer de modifier l'équilibre de l'ensemble; d'autre part, du fait des
dimensions de la société, l'on ne pouvait tout observer. Restait alors la
méthodecomparative1.L'absence de possibilité d'expérimentation fait de la
comparaison l'unique moyen permettant au sociologue d'analyser le
donné concret, d'en dégager les éléments constants, abstraits et généraux,
lorsqu'il abordera l'explication sociologique.
Pour Durkheim, elle constitue une véritable « expérimentation indi-
recte». Pour de nombreux auteurs, la méthode comparative serait effec-
tivement la méthode spécifique de la sociologie. Elle impliquerait, ainsi
que nous l'avons vu, la constitution de types idéaux. Dans ce cas, les cri-
tiques adressées à la typologie concernent également la méthode compara-
tive. C'est pourquoi, certains pensent qu'elle n'est utilisée par la sociologie
que faute de mieux et révèle l'état peu avancé de cette science.
§ 2. La méthode historique
« Le problèmede l'histoire,
c'est l'histoiredu problème.»
Hegel.
360 Histoire et Sociologie ◊ Le debat entre histoire et sociologie est
ancien. Pour avoir été trop longtemps dominée par l'histoire, la sociologie
1. Les données de la recherche comparative (1964).
2. B. Ruccet and others.
3. Des organisations telles que le Zentral archiv de l'université de Cologne, l'Inter-university
consortium for politicalresearch,s'attachent à faciliter la recherche comparative en stockant une
documentation pouvant permettre des analyses secondaires R. Rose (1974).
4. G. A. Almond and S. Verba (1965).
5. Cf. S. Rokkan (1965, 1966).
422 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
§ 3. La méthode génétique
362 Définition ◊ Comme son nom l'indique, la méthode génétique
cherche la genèse des événements, c'est-à-dire les antécédents. La géné-
tique pose les questions : quand ? pourquoi ? comment ? Il s'agit donc
d'un processus se déroulant dans le temps, c'est-à-dire d'une explication
diachronique. Comme l'histoire, la génétique répond à la question
quand... mais ses réponses au pourquoi et au comment ont un autre
sens. Ellesimpliquent une histoire, mais ce n'est pas l'histoire succession.
La notion de temps distingue, ici encore, l'explication historique de l'ex-
plication génétique. Pour la génétique, le temps est secondaire. C'est le
sous-produit d'une genèse qui a son propre rythme et cherche une causa-
lité dans les faits eux-mêmes. Les difficultés de la génétique sont alors
celles de la recherche d'une causalité. C'est la méthode la plus honnête,
puisqu'elle annonce dans son titre même quel est son but: trouver la
cause initiale, le fait générateur. Mais en sciences sociales, ce geme de
reconnaissance est difficile car trop d'événements peuvent avoir conçu
celui que l'on étudie. Il n'y a le plus souvent que des présomptions de
filiation. C'est pourquoi sans doute, la méthode génétique, très utilisée en
psychologie, l'est beaucoup plus rarement en sociologie.
§ 4. La méthode fonctionnelle
363 La.notion de fonction ◊ La difficulté de saisir la cause, a orienté cer-
tains sociologuesvers l'interprétation des faits sociologiquespar la notion
de fonction.
Comme le dit Merton, représentant le plus averti de cette orientation,« l'ana-
lyse fonctionnelle est à la fois la plus féconde et sans doute la moins codifiée des
méthodes d'interprétation sociologique3 ».
L'exemple souvent cité est celui des boutons des manches des costumes mas-
culins européens, qui ne servent à rien, mais remplissent la fonction« de conser-
ver les usages et de maintenir une tradition».
Ici encore, déclare Merton, la constatation d'habitudes conformistes
n'explique rien, et il propose une distinction entre les fonctionsmanifestes,
qui sont voulues par les participants du système et les fonctions latentes,
qui ne sont ni comprises, ni voulues, mais qui n'en existent pas moins.
Ces fonctions latentes sont parfois remplies par des rites anciens qui, ne
jouant plus leur rôle, substituent à leur but initial une autre fonction.
Telle cérémonie avait pour objet d'attirer la pluie, comme la messe avait
pour but la prière. Mais ces deux rites peuvent pour un grand nombre de
participants, ne plus remplir par la suite, qu'une fonction de cohésion
sociale.
3° Enfin le troisième postulat concernant la nécessité de l'interpréta-
tion fonctionnaliste, est le plus ambigu. En effet, si nous nous reportons
aux textes principaux qui l'expriment, tel celui de Malinowski « dans tous
les types de civilisation, chaque coutume, chaque objet matériel, chaque
idée, chaque croyance, remplit une fonction vitale, a une tâche à accom-
plir, représente une partie indispensable d'une totalité organique 1 », nous
pouvons nous demander ce qui doit être reconnu indispensable. Est-ce la
fonction elle-même, ou l'élément remplissant la fonction, ou les deux?
Faut-il admettre que ce sont les fonctions de la religion qui sont néces-
saires, ou certains rites constituant l'accomplissement des fonctions reli-
gieuses ? La réalité ne nous montre-t-elle pas plutôt des besoins humains
et sociaux, qui peuvent être satisfaits de façons différentes« un seul élé-
ment pouvant remplir plusieurs fonctions, de même qu'une seule fonc-
tion peut être remplie par des éléments interchangeables 2 », ce qui nous
permet de découvrir des substituts ou équivalents fonctionnels. Enfin R.K.
Merton (1953) distingue à côté des fonctions: les dysfonctionsqui gênent
l'adaptation au système. Mais on peut se demander comment elles
échapperont aux jugements de valeur 3 •
365 Fonctionnalisme, anthropologie et sociologie ◊ Ajoutons à ces critiques,
que la querelle entre fonctionnalistes et antifonctionnalistes est assez déroutante
et nous apporte peu de lumière sur ce qu'est le fonctionnalisme. Même ses parti-
sans les plus illustres : Merton, Radcliffe-Brown, Malinowski, n'arrivent pas à
définir clairement ce qu'est l'analyse fonctionnelle structurelle. Il semblerait que
celle-ci ne représente pas une méthode particulière, mais se confonde plus ou
moins avec l'analyse sociologique elle-même. Dans ce cas, les diversités de défini-
tions refléteraient les différences de points de vue sur la sociologie.
Si l'on manque d'une définition satisfaisante, on ne voit pas non plus dans la
réalité de leurs travaux, ce qui distingue les fonctionnalistes de leurs opposants
déclare Kingsley Davis ( 19 59). Certains fonctionnalistes sont beaucoup plus
proches d'antifonctionnalistes que d'autres fonctionnalistes. Il semblerait que née
chez les anthropologues d'une réaction contre l'historicisme et l'évolutionnisme,
4
§ 5. Le structuralisme
367 La notion de structure ◊ L'idée et le mot de structure sont fort
anciens, mais cette notion a connu en France pendant quelques années,
une diffusion et un succès qui ont contribué à l'obscurcir. Associéeà des
1. Y. Coenen-Huther (1984).
2. B. Badie (1976).
3. A. W. Gouldner (1959, 1960).
4. C'est à dessein que nous n'utilisons pas le terme de méthode structurale (cf. n° 369).
428 LES NIVEAUX DE LA RECHERCHE
ture et qu'un synonyme tel que système pourrait remplacer. Lorsque Gur-
vitch qualifie certains groupes de structurés, il entend par là que ceux-ci
forment une totalité et souligne leur caractère organisé. Le mot structure
qualifie donc l'objet, identifié comme un système. Ce type de définition
intentionnelle comporte en général une énumération des caractères
structurels, le plus souvent apparents et marquant généralement une dis-
tinction par rapport à d'autres (groupes structurés opposés aux groupes
non structurés).
- La définitioneffective.- Il ne s'agit plus ici seulement de qualifierl'ob-
jet de «structurel», mais de détenninersa structure. Lorsque Lévi-Strauss
(en anthropologie) et Spearman (en psychologie) utilisent le terme en
des matières aussi différentes que la parenté et l'analyse factorielle, cela
signifie qu'il existe quelque chose de commun aux deux domaines étudiés
et que dans les deux cas, les auteurs ont découvert une construction
logique, rendant compte des caractéristiques apparentes du système. La
définition de l'objet devient alors de type constructif. Il ne s'agit plus de
dire : « il existe une structure», mais de définir les éléments de celle-ci, le
plus souvent aussi de se référer au-delà de ce qui est observable, à une
structure sous-jacente. « Une structure est toujours la théorie d'un sys-
tème et n'est rien d'autre. Cela dit, ces théories peuvent se situer à des
niveaux de vérification variables, qui dépendent essentiellement des
caractères du système considéré, de la population, des systèmes auxquels
on peut le comparer et d'autres facteurs à propos desquels la liberté d'in-
tervention du chercheur est limitée 1.»
En fait, les deux définitions : intentionnelle et effective peuvent consti-
tuer deux étapes, dont la deuxième représente parfois beaucoup plus tard,
l'approfondissement de l'intention de la première. L'utilisation abusive
du terme structural pourrait alors, comme le suggère Boudon, relever de
l'incantation magique : on espère en invoquant la structure, la découvrir.
369 F.xiste-t-il une méthode structurale? ◊ Pour ceux qui se conten-
tent d'utiliser le terme méthode dans un sens vague et conçoivent la
méthode structurale suivant la première définition, c'est-à-dire comme la
reconnaissance du caractère systématique et total de l'objet, il existe sans
doute une méthode structurale. Mais cette perspective qui tient lieu de
méthode, s'applique à presque tous les domaines, perdant ainsi toute
spécificité et toute efficacité. Tout le monde admet que la linguistique,
l'économie, la sociologie étudient des systèmes, cela ne mène à rien de le
constater.
En revanche, si l'on donne de la méthode une définition plus rigou-
reuse, exigeant un « ensemble de procédures permettant d'obtenir à pro-
pos d'un objet quelconque, une théorie située à un niveau de vérification
aussi élevé que possible et permettant d'expliquer l'interdépendance des
éléments constitutifs de cet objet, alors on peut affirmer qu'une telle
méthode n'existe pas 2 ».
1. In R. Boudon, op. cit. (1968), p. 204.
2. R. Boudon, op. cit., p. 213.
430 LES NIVEAUX DE LA RECHERCHE
teur commun. Sur le plan théorique, le terme est utilisé sans son contenu véritable,
chez Spencer, dans la distinction qu'il trace entre structure et fonction dans l'or-
ganisme social. Le contenu est utilisé sous le terme «système» vers 1850, par
LewisMorgan, faisant une analyse structurelle des Iroquois. Actuellement le mot
a été plutôt redécouvert que transmis et recouvre des sens très différents, Rad-
cliffe-Brown l'empruntant à Montesquieu, Durkheim et Spencer, Lévi-Straussau
marxisme et à la Gestalt theorie. Pour Radcliffe-Brown l'ensemble des nom-
breuses relations sociales dans une société, à un moment donné, constitue une
structure, celle-ci se définit par sa cohérence interne et sa permanence dans le
temps.
Pour C. Lévi-Strauss(1958), la structure implique des propriétés finies dont les
combinaisons et transformations permettent de passer d'un système à l'autre et
de comprendre leurs rapports. La notion de structure comporte un élément de
prévision et de transformation. Alors que pour Radcliffe-Brown,la structure est
une partie de l'objet, son noyau résistant et qu'il étudie grâce à elle une même
société à divers moments, elle représente pour Lévi-Straussla « puissance » de
l'objet... ce qui l'aide à se dépasser, un système de relations lui permettant de
comparer plusieurs sociétés entre elles.
1
§ 6. L'Analyse systémique
3 82 1 ° Historique ◊ Malgré les critiques adressées au fonctionnalisme, on
doit lui reconnaître le mérite de n'avoir pas seulement insisté sur la
notion de totalité, d'autres l'avaient fait avant lui, mais de l'avoir intégrée
à son explication, car chaque phénomène doit être rapporté à la société
tout entière. Or l'interdépendance des parties par rapport au tout est le
fondement de la notion de système. Celle-ci comme celles de structure ou
de fonction a toujours été utilisée en sociologie. Si l'on a depuis long-
temps comparé la société à l'organisme humain, les cosmogonies les plus
anciennes l'ont également envisagée comme un système. Sorokin dans
ses ouvrages2 passe en revue les différentes religions ou théories faisant
appel à cette notion. A partir du~ siècle (cf. Spencer, Pareto), sous l'in-
fluence des progrès de la biologie, de la théorie de l'information (cf.
n°5 403 et s.), de la théorie générale des systèmes, (cf. n° 411), se pré-
cisent les conditions d'application de l'analyse systémique.
Les sciences sociales à partir des notions de structure et de fonction
qu'elles avaient déjà intégrées, ont progressé dans cette voie.
Le premier à avoir tenté une application rigoureuse de la philosophie
des systèmes aux sciences humaines est Ross Ashby (1956) dans son
Introduction à la cybemétique3 • Après lui, Walter Buckley a surtout
,
6 7
se dirigeant vers une cible, permettrait d'après l'auteur de poser les questions fon-
dament~les de la science politique : changements intérieurs ou extérieurs, aux-
quels l'Etat doit faire face (mouvement de la cible), décalage dans la réponse don-
née (amplitude et rapidité de la correction), enfin capacité de précision du
gouvernement (distance entre position prévue et position réelle de la cible). Les
concepts de pilotage et de feedbacknégatif sont ici essentiels.
389 Luden Mehl 1 ◊ Il tente une transposition analogue de la cybernétique à l'ac-
tion administrative. Au moment où les économistes et les chercheurs américains
(R. K. Merton, Chester Barnard), après avoir constaté que la rationalité de l'orga-
nisation ne suffisait plus à orienter l'analyse, essaient de réintégrer les facteurs
psychosociologiquesdans leurs schémas, un modèle aussi mécaniste ne paraît pas
marquer un progrès.
1. L. Melh (1966).
2. D. Easton (1953, 1956, 1965, B. 239, 1969).
3. G. Lavau(1968).
4. Annick Percheron (1970).
5. Lindberg(1966).
440 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
§ 7. La méthode dialectique
393 Dialectique et empirisme ◊ La dialectique est la plus complète, la
plus riche et, semble-t-il, la plus achevée des méthodes conduisant à l'ex-
plication en sociologie.Elle part de la constatation très simple des contra-
dictions qui nous entourent Celles-ci proviennent-elles seulement des
insuffisances de notre pensée? La réalité serait-elle une et nos points de
vue sont-ils en contradiction parce qu'ils ne saisissent l'objet que sous un
de ses aspects? Tout en reconnaissant les limites de notre pensée, les par-
tisans de la méthode dialectique déclarent qu'elles ne suffisent pas à
expliquer la présence de contradictions et que celles-ci existent dans la
réalité elle-même. La pensée de l'homme doit donc franchir un double
écran, celui de ses propres limitations et contradictions, ensuite celui de
l'incohérence des choses. La méthode dialectique nous paraît une
méthode plus complète que les autres, pour ne pas dire LA méthode, car
elle correspond aux exigences fondamentales de la notion même de
méthode. Elle est d'abord une attitude vis-à-vis de l'objet: empirique et
déductive, elle commande par là une certaine façon de recueillir des don-
nées concrètes. Elle représente ensuite une tentative d'explicationdes faits
sociaux, c'est-à-dire qu'elle est directement liée à la notion de totalité.
G. Gurvitch (1953), retraçant l'histoire de l'empirisme et celle de la
dialectique, déclarait que celle-ci a toujours été plus ou moins asservie à
des buts idéologiques, alors qu'elle est par définition un moyen de
recherche de la vérité, une façon de « déblayer la voie ».
La dialectique, d'après J.Wahl, est un chemin.« D'ailleurs dans le mot même
de dialectique, on trouve cette idée de « dia » à travers ; la dialectique est une voie
plutôt qu'elle n'est le point de départ et le point d'arrivée 1.» En fait, toute réalité
est dialectisée par le fait même de l'intervention de l'esprit humain qui est en
train de la saisir.« La dialectique est donc la voie prise par l'humanité en marche
pour saisir les totalités réelles mouvantes qui portent de près ou de loin son
empreinte 2.
Cette indépendance de la dialectique ne risque-t-elle pas d'être limitée
par un lien aussi affirmé avec l'empirisme, qui constitue tout de même
une position philosophique? A cela on peut répondre qu'à l'origine,
l'empirisme est né, comme la dialectique, non d'une position philo-
sophique préconçue, mais d'une volonté de se dégager de tout ce qui voi-
lait la réalité. En déclarant que la dialectique est empirique, ce n'est pas à
un mouvement philosophique, situé historiquement, que l'on veut la rat-
tacher, mais à l'expérience elle-même.
« Ce qui rend l'expérience si proche de la dialectique, c'est qu'elle brise sans
cesse ses propres cadres de référence... elle nous échappe quand nous croyons la
tenir, on en est dupe lorsqu'on croit en avoir pénétré le secret, on en est victime
lorsqu'on croit en être débarrassé 3. »
1. In G. Gurvitch (1953).
2. Op. dt., p. 10.
3. Op. dt., p. 13.
442 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
tions et quels types de questions, mais nous n'avons pas les réponses.
« On peut et doit préparer l'explication par la dialectique empiriste, mais
on ne peut pas remplacer la première par la seconde. L'explicationreste
chaquefois de nouveauà trouver1 » et G. Gurvitch donne comme raison
prépondérante de la difficulté à aborder l'explication en sociologie, le
manque de théorie générale.
Il semble qu'en l'état actuel de la sociologiela position de Gurvitch soit
juste, mais il ne suffit pas d'affirmer qu'il manque une théorie, encore
faut-il la trouver.
395 Bibliographie ◊
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444 LESNIVEAUX
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450 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE
CHAPITRE
4
L'UTILISATION
DES MATHÉMATIQUES
« Pourquoifaire simple,quandon peut faire
compliqué? »
« Les Shadoks »
mathématiques non
+ +
qualltatlves
{ numértques
ordinales + +
mathématiques
quantltatlves { cardinales + +
1. Que le lecteur ne soit pas surpris de ne pas trouver ici la soi-disant théorie des ensembles,
dénomination abusive due à l'habitude de plus en plus répandue d'utiliser des symboles (apparte-
nance-, inclusion z, etc.) se rapportant aux ensembles. Seule mérite le nom de théoriedesensembles
l' ceuvre de Cantor ( et autres) qui a précisé certaines propriétés des ensembles infinis.
452 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES
1
3 9 7 1 ° Le calcul des probabilités o
39 8 2° La théorie des graphes ou des réseaux2 o Elle se présente
comme une configuration de points et de lignes orientés, possédant en
elle-même et hors de toute signification concrète attribuée à ses éléments,
des propriétés mathématiques dont l'étude constitue la théorie des
graphes, autrement dit, la figuration concrète ou schéma, correspond à ce
qui est en réalité une abstraction 3 •
Les mathématiques étudient des relations. Parmi celles-ci, les unes permettent
de recourir à l'algèbre, elles comportent une syntaxe, une structure facile à retenir
et opératoire. Par exemple, si nous disons 2 + 5 = 7, nous avons des relations
entre ces trois nombres à l'intérieur des entiers : 2 = 1 + 1 par exemple. On
appelle axiomes les règles présidant à cette syntaxe. Mais il existe d'autres types de
relations qui ne se trouvent pas régis par une véritable syntaxe, dont on cherche
cependant à trouver, malgré leur souplesse, les caractéristiques et régularités. Ces
relations, demeurées au stade en quelque sorte préalgébrique, antérieur à la syn-
taxe, constituent ce que l'on appelle la théorie des graphes.
ABCO
A peut envoyer un message vers D et B
B vers C
C vers A et D
et D vers A
La théorie des graphes est utilisée dans tous les cas de circuits : électricité, télé-
communications, etc. Ble comporte un langage spécialisé, des termes descriptifs
de types de circuits possibles, à partir desquels un certain nombre de théorèmes
sont applicables. On dit qu'un graphe est fortement connexe(fig. 2) s'il existe un
chemin permettant d'aller d'un point quelconque à un autre point quelconque,
en respectant les sens uniques indiqués par les flèches. Un réseau de communica-
tion doit être fortement connexe pour permettre à chaque point d'être relié à tous
les autres. Lespoints d'articulationsont ceux dont la suppression crée un sous-
graphe connexe (A fig. 3 ).
fig. 3
Graphe fortement
connexe
fig. 2
Il existe plusieurs types de circuits en électricité, mais aussi dans les cir-
cuits de décision et d'information que forment les individus entre eux. La
représentation graphique constitue un organigramme. Une organisation
peut avoir une structure hiérarchique ou collégiale. On doit se demander
s'il existe des types de réseaux mieux adaptés que d'autres à certaines
tâches.
La structure d'un circuit et la place détenue par un individu dans le cir-
cuit sont importantes car, comme l'a démontré Bavelas1, suivant la
structure du groupe et l'organisation des circuits d'information, un indi-
vidu sera plus ou moins renseigné et aura, en fonction de ce facteur, plus
ou moins de chances de devenir celui qui prendra des décisions ou fera
preuve d'autorité sur le groupe.
Nous retrouverons ces notions de réseaux, de communication entre
individus et de centralité relative, à propos des groupes.
tion suivante: si l'on interrompt une partie, en dehors de ce qui est déjà
acquis par chaque joueur, comment attribuer le reste suivant les probabi-
lités de gain? Il s'agit d'une science de l'action fondée sur le calcul des
chances. Pascal parle de « droit d'attente».
Mais la notion de jeu à cette époque ne paraît pas sérieuse. Le hasard
n'est-il pas l'opposé de la Providence... donc inspiré peut-être par Satan?
Un des progrès de la statistique moderne consistera à prendre une atti-
tude opposée : « On refuse de plus en plus la vieille idée suivant laquelle
l'induction statistique est un raisonnement, pour considérer de plus en
plus que l'induction statistique est une conduite, qu'il y a des comporte-
ments inductifs, comme il y a des comportements tout court 1. »
Il fallut attendre la période révolutionnaire avec Laplace, Condorcet puis Pois-
son, pour que l'étude des probabilités soit reprise. Mais la confusion entretenue
par les philosophes Comte et Stuart Mill, entre les notions d'action, de décision et
celle de vérité des jugements, devait encore paralyser la réflexion scientifique dans
ce domaine.
C'est dans l~s énigmes policières avec E. Poe (Histoires extraordinaires) et
Conan Doyle (Etudeen rouge),que des problèmes de probabilité vont être posés
en termes de psychologie et de logique. Sherlock Holmes poursuivi par un adver-
saire, prend à destination de Douvres, un train qui s'arrête auparavant à Canter-
bury. Où doit-il descendre? S'il descend à l'une des deux stations et son adver-
saire aussi, ce dernier l'abattra. S'il descend à Canterbury et l'autre à Douvres, il
est vivant mais n'est pas allé à Douvres comme il l'avait décidé. Ce n'est que dans
le cas où il descend à Douvres et son adversaire à Canterbury qu'il aura vraiment
gagné. Chacun essaie de deviner le choix de l'autre ... seul le hasard est imprévi-
sible.
La stratégie militaire, avec Clausewitz, perfectionnera le modèle non
pas mathématique, mais abstrait, du «duel» entre deux adversaires.
Enfin Von Neuman (mathématicien) et Morgenstern (économiste) dans
la Théoriedesjeux et le comportementéconomique( 1944) vont moderniser
les notions entrevues, en substituant à la notion simple de préférence,
celle de préférence efficace.La hiérarchie des possibles bouscule de façon
réaliste l'ordre des préférences. A l'idée de choix s'ajoute celle de capacité
ou de pouvoir. La théorie des jeux se présente finalement comme une
théorie des préférences efficaces, une rationalisation des décisions, la
suprématie de la logique sur le désir ou la crainte. Dans le cas d'incerti-
tude, quel conseil peut-on donner?
Inspirons-nous d'un exemple proposé dans l'excellent petit livre de
vulgarisation de J.D. Williams (1956).
Pierre et Zazie ont rendez-vous pendant les vacances. Ils doivent pour se
retrouver franchir une région vallonnée, comprenant quatre chemins dans le sens
est-ouest, qui est la direction d'où vient Pierre et quatre dans le sens nord-sud,
route de Zazie. Le rendez-vous est fixé à un carrefour, mais une grève des postes
les empêche de communiquer. Pierre sait que Zazie n'aime pas l'altitude et Zazie
que Pierre n'aime pas les fonds de vallée. Quel chemin doivent-ils emprunter
pour avoir le plus de chances de se rencontrer ? Voici les altitudes des carrefours
des routes de Pierre et Zazie :
1. In R. Daval, p. 48.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 457
ZAZIE(routes nord-sud)
1 2 3 4
1 700m 200m 500m 100m
Pierre, après avoir pesé les divers risques, doit normalement,prendre la route
n° 3, Zazie aussi; dans ce cas, ils se rencontreront à 400 m. Evidemment, s'ils
sont l'un et l'autre doués d'esprit de sacrifice, Zazie choisissant la route n° 1 en
altitude, pour Pierre et Pierre la route n° 2 en plaine, pour Zazie, ils se manque-
ront. Mais la théorie des jeux est basée sur une psychologieassez simple, un prin-
ciped'économie.Elle part du postulat, que le but du joueur sensé est de retirer du
jeu tout le profit possible, en toute sécurité, en face d'un adversaire habile, qui
poursuit un but analogue mais opposé.
Le problème est resté le même. On demeure au stade du cercle vicieux : « il
pense que je pense ceci... donc je vais agir autrement, mais il peut y penser
aussi...» La seule façon, déclare G. Guilbaud, d'éviter que l'autre ne devine ce que
l'on pense, c'est de ne rien penser, c'est-à-dire d'agir en fonction d'un schéma
probabiliste, de présenter un modèle d'action totalement imprévisible. Mais
l'homme peut-il imiter le hasard ?
Nous indiquerons seulement les possibilités offertes par la théorie des jeux.
stratégies. La théorie des jeux trouve son prolongement dans les jeux de
simulation qui permettent une expérimentation abstraite des diverses
hypothèses proposées 1 .
Toutes ces notions ont leur équivalent dans la vie économique et poli-
tique. L'évaluation du risque, le bluff, la ruse, aussi bien que la rationali-
sation, interviennent dans de nombreuses situations. Mais, pour sédui-
sante que soit la théorie des jeux, elle demeure elle-même un jeu de
l'esprit et son application, dans le domaine plus aisé à quantifier de la
science économique, n'a pas donné de résultats tangibles. Jeu d'esprit où
certains ont décelé une inspiration idéologique2.
Cependant, une importante étude de M. Shubik (1954) semble apporter des
éléments nouveaux. Shubik étudie à la General Electric comment se prennent les
décisions à l'intérieur d'une grande entreprise et cherche dans quelle mesure la
théorie des jeux pourrait améliorer ces processus.
En sciences sociales, malgré ses conditions limitatives, la théorie des jeux a ins-
piré quelques expériences contrôlées, en construisant des situations dans les-
quelles les mathématiques de « l'action optimum» inspirent la comparaison
entre les effets de variables sociopsychologiques.En science politique, on n'a pas
dépassé le stade des discussions. Les politicologues n'ont pas, en général, une
culture mathématique suffisante. De plus, la théorie des jeux, comme le dit
G. Guilbaud, « est un monde à part fermé sur soi, isolé dans le temps et dans
l'espace 3 ». Ble suppose un certain nombre de postulats qui ne sont jamais réunis
dans la réalité. L'attitude purement rationnelle des joueurs, le niveau de leur
information, forment des modèles arbitraires qui ont, jusqu'à présent, limité
l'utilisation de la théorie. La théorie des jeux ne serait-elle qu'un jeu ?
ÎfcŒORŒ REc!-ŒRCI-Œ
STATlSTIQUE
DE L'INFORMATION O~RATIONNELLE
1. Cf. n° 869.
2. M. Pion (1976).
3. G. T. Guilbaud (1959).
L'UTILISATIONDES MATHÉMATIQUES 459
parmi les petits. Si nous nous souvenons tout à coup que le livre est blanc, notre
chance de le trouver plus rapidement augmente encore. En fait, chaque ren-
seignement: petit, blanc, nous apporte une certaine quantité d'information qui
implique pour nous une plus ou moins grande économie de temps et de gestes.
Bien entendu, si nous devions, pour obtenir l'information : le livre est blanc, télé-
phoner à un ami et auparavant rechercher son numéro, etc., le coût de l'informa-
tion serait peut-être trop élevé. Mais si notre information est obtenue facilement,
elle nous permet une économie. Cette économie, nous ne pouvons pas la chiffrer
exactement, mais nous l'apprécierons globalement, suivant que le tas de livres,
parmi lequel nous devons retrouver le nôtre, est composé de beaucoup de livres
semblables ou pas. Si nous cherchons un livre blanc et broché, parmi des livres
reliés en couleur, nous le trouverons plus vite que si l'ensemble des livres est bro-
ché comme le nôtre.
Schéma/ s
I
7 •
7
/ C
l
débiJ
...
1
1
1
1
1
1
1
I 7
/
M
I /
/ I
/
lndicat~ur
sensibilisant la foule 1.Le seul fait d'interroger les individus, nous l'avons
dit, modifie leur comportement On peut dire que plus l'étude d'un sys-
tème d'information devient approfondie, plus elle contribue à déterminer
le fonctionnement du système, au lieu de se borner à le prévoir. Ceci est
encore plus grave lorsque l'observateur fait partie du système.
L'on peut arriver alors à un véritable cercle vicieux, qui relève cette fois
de la théorie des jeux. C'est le cas, par exemple, de Mme Dupont. Elle sait
que lorsqu'elle fait cuire un pudding pour le repas du soir, son mari, le
plus souvent, réclame une tarte et vice versa. Si elle avait assez d'informa-
tions, elle pourrait savoir ce que son mari demandera, à condition qu'il
ne la voie pas mettre les raisins secs à tremper, sans cela, elle fait partie
du système, elle ne peut plus prévoir.
En transposant cet exemple en science politique, on peut admettre
qu'un observateur, jouant un rôle suffisamment actif dans un système
d'information, le perturbe. De ce fait il ne peut plus prévoir ce qui se pas-
sera. C'était le cas, par exemple, sous la IV' République, d'un Président du
Conseil en face d'une opposition difficile. Il risquait fort lui aussi de se
voir demander une tarte, du seul fait qu'il préparait un pudding.
1. C'est le cas de la Bourse où joue l'instabilité lorsque les bruits de baisse la renforcent.
2. Considérations importantes pour le choix d'une langue internationale.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 463
Deutsch pense que son modèle pourrait amener à des conclusions pratiques,
telles que la prévision du temps d'assimilation de populations minoritaires, vivant
sur un territoire donné.
415 Limite de l'emploi des modèles ◊ Enfin, il faut signaler les tentatives
de construction de modèles qui se sont multipliées ces dernières années
avec les progrès de l'application des mathématiques aux sciences sociales
et le domaine particulièrement favorable (certains effets y sont sans
doute plus accessibles) que représente l'analyse comparée, en particulier
dans les pays en voie de développement.
Pour l'instant, il est à craindre que l'utilisation de la méthode des
modèles ne soit réduite à des questions très particulières ou au contraire à
des schémas si généraux qu'ils n'expliquent plus rien. Car en fait, ce qui
n'est pas mesurable semble bien l'emporter, en importance et variété, sur
ce qui est mesurable. Deutsch lui-même remarque que ses calculs font
abstraction du rôle des personnalités dominantes et des décisions histo-
riques, qui ne sont pas réductibles à l'analyse quantitative et semblent
pourtant l'un et l'autre essentiels.
De façon laxiste, modèle est utilisé dans le sens de groupe ou catégorie.
C'est ainsi que F.L. Wilson (1983) propose trois modèles théoriques des
groupes d'intérêt: pluraliste, néocorporatiste et protestataire. En fait, il
s'agit de distinguer ou rassembler les divers groupes suivant certaines acti-
vités choisies comme critères. Nous sommes loin de la définition stricte
du modèle. Les progrès de l'analyse de la vie politique et sociale
conduisent plutôt à compliquer le tableau de ses éléments, qu'à le simpli-
fier et le chercheur demeure toujours devant un grand nombre de
variables. Une omission même partielle, fausse la portée des explications.
Pour que les mathématiques soient vraiment utiles, il faudrait non seule-
ment que chacune de ces variables puisse être chiffrée, mais aussi que la
synthèse finale implique la possibilité de les réduire à un dénominateur
commun. Malgré ses imperfections, ses difficultés actuelles d'application,
le modèle est un instrument de travail utile dans la mesure où l'on
observe les règles de rigueur qu'implique sa construction.
CHAPITRE5
THÉORIEET RECHERCHE
DANS LESSCIENCESSOCIALES
L'opposition entre théorie et recherche revêt deux aspects. Le premier
oppose la réflexion théorique et abstraite aux recherches concrètes sur le
terrain, celles-ci pouvant déboucher soit sur la découverte d'une théorie,
soit au contraire sur des applications pratiques. Le deuxième aspect
oppose la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Alors que la
recherche appliquée tente le plus souvent de surmonter, à l'aide de prin-
cipes connus, les obstacles auxquels se heurtent les utilisateurs, la
recherche fondamentale réclame pour le savant la liberté de travailler
sans objectif pratique. En science, la liaison entre recherche théorique et
recherche concrète a toujours été admise, le laboratoire s'identifiant au
cabinet de travail. En revanche, l'option recherche fondamentale ou
recherche appliquée s'est posée, ces dernières années surtout, avec une
grande acuité. Dans les sciences sociales, le premier de'bat est encore
ouvert mais semble se conclure, l'apport de la recherche concrète à la
théorie paraissant de moins en moins discuté. En revanche, le problème
du choix entre recherche fondamentale ou appliquée se pose.
SECTION1. RECHERCHETHÉORIQUE
ET RECHERCHECONCRÈTE
417 Le problème ◊ Nul n'imagine la science séparée de l'expérimentation.
Les discussions mettent en cause l'organisation, ou les moyens, par
exemple le rôle de l'Université, mais pas le principe lui-même.
En science sociale, que ce soit en géographie humaine, science poli-
tique ou sociologie, nous vivions encore, il n'y a pas longtemps, presque 1
entièrement sur l'ancien mode de réflexion théorique, issu d'un ensei-
gnement abstrait, fort éloigné de la recherche concrète.
Voulant comparer les mérites respectifs des deux méthodes, on oppose
régulièrement le grand esprit intuitif, perspicace, élaborant une vaste
théorie dans la sérénité de son bureau, au chercheur de petite envergure,
accumulant méthodiquement sur le terrain des observations inutiles et
sans lien entre elles. L'on cite souvent à l'appui de cette comparaison, le
cas du grand anthropologue Marcel Mauss qui, sans sortir de son cabinet
de travail, a rénové l'anthropologie et la sociologie. Pour que l'exemple de
Mauss soit probant, il faudrait d'abord pouvoir démontrer que s'il avait
1. Nous disons presque,pour ne pas omettre la lignée des rares observateurssoucieuxde la réa-
lité.
RECHERCHE THÉORIQUE ET RECHERCHE CONCRÈTE 477
été lui-même sur le terrain, il n'aurait pas trouvé mieux. Enfin, si Mauss
a pu élaborer ses théories, c'est à partir des nombreux travaux très
concrets et détaillés, des ethnologues américains et anglais, qui, eux,
avaient été sur le terrain. L'anthropologie n'existerait pas sans observa-
tions concrètes. Mauss lui-même était partisan des recherches sur le ter-
rain et ses élèves, C. Lévi-Strauss, M. Griaule, ont travaillé de cette
façon. Le débat est aujourd'hui clos. Théorie et recherche sont indispen-
sables aux sciences sociales comme à toutes les sciences.
Nous emprunterons au sociologue américain Merton 1 quelques réflexions
rapides sur les rapports entre théorie et recherche.
418 1° Ce que la théorie apporte à la recherche ◊ Nous avons déjà
abordé ce sujet; nous rappelons ici seulement la nécessité de théories
même inexactes, même provisoires et limitées, pour ordonner la réalité,
tracer un schéma d'observation, émettre des hypothèses, parvenir à des
explications.
419 2° Ce que la recherche apporte à la théorie ◊ Les théoriciens
veulent trop souvent limiter le rôle de la recherche à une sorte d' expéri-
mentation, permettant de contrôler la valeur de la théorie. Or la
recherche empirique ne se borne pas, loin de là, à un rôle passif de vérifi-
cation ; d'après Merton, la recherche remplit quatre fonctions majeures :
elle suscite, refond, réoriente et clarifie la théorie.
a) Elle susdte. - Il arrive qu'au cours d'une recherche, prévue dans le
cadre de vérification d'une hypothèse ou théorie, le chercheur rencontre
un fait inattendu, aberrant, dont l'explication va nécessiter la formula-
tion d'une nouvelle hypothèse. Cette aptitude particulière du chercheur à
saisir l'élément important, même inattendu, est connue en science phy-
sique sous le nom de serendipity2, mot redevenu à la mode avec la décou-
verte de la pénicilline, qui en est une parfaite illustration.
La serendipityimplique l'esprit d'observation mais encore autre chose.
Il faut que le chercheur imagine au-delà du fait observé, sa signification,
ses relations possibles avec d'autres eléments, qu'il conserve, même pen-
dant l'observation, une tournure d'esprit théorique.
b) Elle refond. - Alors que la serendipityest centrée sur une contradic-
tion apparente à résoudre, la refonte de la théorie est plutôt commandée
par un fait pertinent, mais négligé jusque-là et qui réclame un élargisse-
ment du schéma conceptuel.
Malinowski, étudiant la magie et son rôle dans les coutumes Trobrian-
daises, s'aperçut que celle-ci était utilisée pour les pêches présentant un
aspect dangereux, d'où l'idée d'introduire dans sa conception de la magie
une nouvelle relation risque-magie.
c) Elle réoriente. - Les techniques modernes : télévision, cinéma,
orientent la recherche vers les domaines où se posent des problèmes nou-
veaux.
1. R. K. Merton (1953, B. 139 bis).
2. Serendipity,mot formé du radical Serendip, ancien nom de l'île de Ceylan, forgé par Horace
Walpole d'après le titre d'un conte de fées; « LesTrois Princes de Serendip », dont les héros faisaient
constamment, grâce à leur sagacité, des découvertes inattendues.
478 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LES SCIENCESSOCIALES
SECTION2. RECHERCHEFONDAMENTALE
ET RECHERCHEAPPLIQUÉE1
420 Difficultés ◊ Ce problème soulève des difficultés pratiques et de prin-
cipe, mais surtout d'ordre psychologique. On se heurte pour résoudre ces
dernières à deux attitudes contradictoires; l'une héritée du passé: la
science est désintéressée; l'autre plus récente: la science est faite pour
servir. Les sciences sociales, traditionnellement humanistes, souffrent
particulièrement de cette ambiguïté.
La science fondamentale et la science appliquée diffèrent par la nature
de l'objet qu'elles étudient L'objet d'une science appliquée est plus précis,
plus limité, plus concret La science appliquée se développe en général
comme un prolongement de la science fondamentale et bénéficie alors de
son apport théorique. Mais la science appliquée précède souvent la
connaissance scientifique. Dans ce cas, comme la recherche concrète,
dont elle représente un des aspects, c'est elle qui apporte à la recherche
fondamentale des éléments. Les notions de moral, de rôle, ont été appli-
quées en psychologie industrielle, avant que la théorie ne les ait précisées.
Les recherches liées à l'intervention psychosociologique, constituent de
nos jours un secteur dans lequel la science appliquée précède la science
fondamentale. A l'heure actuelle, l'opinion est de plus en plus saisie des
buts de la science, à travers ses applications, c'est-à-dire qu'elle juge des
effets sans connaître les théories. La causalité dans les sciences est immé-
diate, spectaculaire à tous les niveaux. « Le prestige du savant, dit J.Stoet-
zel (1963), est dû non pas à ce qu'il sait mais à ce qu'il peut. Il est un
thaumaturge avant d'être un encyclopédiste.» Cette responsabilité
directe et apparente devient l'un des critères de la science.
Dans les sciences humaines, au contraire, la causalité demeure, nous
l'avons vu, singulière, fractionnée et le plus souvent inaccessible. Com-
ment s'est posé le problème des rapports entre science fondamentale et
science appliquée dans les sciences en général ? L'évolution de chacune
d'entre elles diffère par le rythme des étapes, mais leur orientation à
toutes demeure semblable.
1. Certains parlent aussi de « recherche orientée ». Elle correspond à notre recherche sous
contrat, à une action concertée de recherche en vue de résoudre un problème. Cf. Revue!nt. Sc.
Sociales(1968) et P. de Bie in Tendancesde la recherche(1970, B. 170).
RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 479
détiennent en tant que facteurs de la victoire, mais aussi parce que pour
vérifier et appliquer leurs théories scientifiques, ils ont besoin de labora-
toires importants et de sommes énormes que l'État seul peut leur fournir.
Il faut également constater que le savant adopte un point de vue plus
empirique et souvent utilitaire. L'application le laisse moins indifférent,
car les résultats obtenus conditionnent la poursuite d'autres expériences.
De son côté, l'ingénieur apprend à penser en fonction de théories, il
rationalise son expérience. Chacun fait un pas vers l'autre et c'est à cette
rencontre que l'on doit les progrès récents de la science atomique.
L'histoire du radar illustre comment la souplesse et le sens pratique des Anglais
leur permit de rattraper leur retard vis-à-vis des Allemands et montre bien aussi
l'intérêt de la liaison vécue et concrète, entre la théorie et la recherche appliquée.
En Grande-Bretagne,les savants s'intéressaient au problème des échos des ondes
hertziennes. Le ministère de l'air demande au laboratoire national de physique s'il
serait possible d'arrêter les avions, au moyen de rayons hertziens émis au sol (le
fameux rayon de la mort). Les physiciens répondent négativement, mais pro-
posent des travaux sur le repérage d'avions par T.S.F.A partir de 1935, les travaux
relatifs au radar sont centralisés à la station de recherche gouvernementale et
deux entreprises privées sont chargées de la fabrication de l'outillage. En 193 9, les
universitaires physiciens sont mobilisés au centre gouvernemental. Celui-ci ras-
semble savants, techniciens, représentants de l'industrie, administrateurs et fonc-
tionnaires du ministère de l'air, mais aussi les utilisateurs : les officiers de la Royal
Air Force. Le directeur eut l'idée d'organiser dans son bureau ce qu'il appelait les
« soviets du dimanche», réunion rassemblant tous ceux que ces problèmes
concernaient. Il y avait donc échange de vues entre les officiers responsables des
pilotes, qui eux risquaient leur vie, les ingénieurs chargés des problèmes tech-
utilisateurs
ministère et services
officiers et administratifs
pilotes de la R.A.F.
savanu, chercheurs
techniciens, ingénieurs,
responsables de la
fabrication
1• Organisation anglaise
î
0
utilisateurs
ministère
aviateurs
de l'air
t commissaire aux
fabricants
;--~--~===-~\~ ooo 000
techniques de haute
fréquence
laboratoires
2• Organisation allemande
RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 481
niques de fabrication et enfin les savants qui devaient résoudre les problèmes au
niveau théorique de la conception. C'est tous ensemble qu'ils mettent au point en
1940 le radar centimétrique.
Jamais des rapports administratifs impersonnels n'auraient pu donner cette
compréhension directe, affectiveautant qu'intellectueUe, des besoins et des pro-
blèmes différents, auxquels se heurtait chacun à son niveau.
Une toute autre organisation avait vu le jour en Allemagne.Le radar avait fait
l'objet, avant 1939, de travaux très poussés, interrompus, puis repris durant la
guerre, lorsque fut nommé un commissaire aux techniques de haute fréquence.
Ce commissaire était chargé, d'une part, de recevoir du ministre de l'air des rap-
ports détaillés sur ses besoins, d'autre part de répartir les commandes entre les
laboratoires, en même temps que d'organiser entre ceux-ci un système d'informa-
tion. Les laboratoires ne communiquaient donc pas directement avec les utilisa-
teurs. Ne connaissant leurs besoins qu'à travers le double écran bureaucratique
du commissariat et du ministère de l'air, ils n'y répondaient qu'imparfaitement.
De leur côté, les responsables des opérations militaires n'étaient pas au courant
des nouveautés techniques, qu'il eût été parfois possible d'adapter à leurs besoins.
C'est ainsi que les Allemands, au debut supérieurs techniquement aux Anglais,
perdirent leur avance à cause d'une organisation formaliste, négligeant le contact
entre théoriciens, techniciens, fabricants et utilisateurs. On peut figurer par des
sociogrammes (cf. p. 545) les deux conceptions britanniques et germaniques.
423 3° Depuis la pterre: les avantages et inconvénients de la
recherche appliquée ◊ Les industriels et les gouvernants reprochent
aux universitaires a•être trop individualistes, d'où l'éparpillement de leurs
efforts. Or actuellement les travaux de laboratoire ne peuvent être le fruit
d'un travail solitaire. Cependant, l'Amérique nous a précédée dans la voie
du travail en équipe et de la recherche appliquée et un auteur américain,
W. H. Whyte, dans un livre qui eut un grand retentissement, L'hommede
l'organisation(1958) 1, indique combien les habitudes de travail améri-
caines se sont révélées dangereuses. Dans l'esprit du peuple américain,
déclare-t-il, la science signifie l'utilisation des idées... savoir comment et
non pas se demanderpourquoi. Or le véritable savant est passionné de
pourquoi et c'est la raison pour laquelle il n'a pas envie d'entrer dans l'in-
dustrie privée, où on lui soumettra des problèmes limités, pratiques, alors
qu'il est tourmenté par tout autre chose. Les patrons n'ont pas toujours
envie de payer des ingénieurs à poursuivre des travaux qui ne débouchent
sur rien. Pourtant les applications les plus rentables financièrement sont
toutes issues de recherches fondamentales.
L'inventeur du fil de nylon, Wallace Carruthers, se trouvait à Harvard
où il étudiait la structure moléculaire. Sa découverte n'a été qu'un sous-
produit, un aspect de sa recherche fondamentale. Une littérature améri-
caine abondante réclame que les savants soient rendus conscients de
l'utilité de travailler d'abord pour la firme, mais déclare encore Whyte,
« le vrai savant ne saurait être l'homme d'une firme, sa seule firme c'est
la science ».
Travail en équipe ou travail solitaire, recherche fondamentale ou
recherche appliquée ? On ne peut les opposer abstraitement, chacun doit
1. Cf. M. Grawitz (1958).
482 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LES SCIENCESSOCIALES
intervenir à son niveau, chacune a son rôle à jouer. Le groupe en soi n'est
pas créateur. Les hommes peuvent discuter, échanger des informations,
se stimuler, se critiquer, ils ne pensent pas en groupe. Le travail en équipe
est précieux pour certaines tâches d'observation, de confrontation, d'exé-
cution, mais la réflexion demeure le fait d'individus isolés. Le tube Koda-
chrome a été mis au point dans les laboratoires, mais inventé dans une
salle de bains ! En France nous sommes encore loin du seuil critique et
l'effort peut encore se poursuivre dans le sens d'une coordination et du
travail en équipe.
428 Bibliographie ◊
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RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 485
LESTECHNIQUES
AU SERVICEDES
SCIENCESSOCIALES
Malgré les difficultés que comporte le fait que les sciences sociales
appliquent à un objet humain des outils humains, une attitude scienti-
fique est possible. Elle implique une démarche intellectuelle, une
méthode au sens élevé du terme, mais également des méthodes, c'est-à-
dire des étapes dans le travail et surtout des manières de fa.ire,qui pour
n'être pas manuelles n'en représentent pas moins des techniques, par la
rigueur des attitudes qu'elles impliquent
Ces techniques sont diverses suivant l'objet auquel elles s'appliquent et
elles ne s'excluent pas. Encore faut-il d'une part savoir choisir la plus adé-
quate et d'autre part l'utiliser convenablement L'histoire s'attache sur-
tout à l'étude des documents publics ou privés, l'ethnologie ajoute l'étude
des objets. L'économie politique utilise des documents statistiques et des
monographies. La science politique travaille à la fois sur des statistiques :
élections, des documents officiels: compte rendu des séances d'assem-
blées, ou juridiques: constitutions, mais également sur des documents
d'origines diverses : statuts de syndicats, de partis politiques, journaux,
courriers d'électeurs, d'auditeurs à la radio, etc., ou des documents pri-
vés: correspondance, etc. Elle prépare elle-même certains matériaux:
sondages pour connaître l'état de l'opinion publique, interviews
d'hommes politiques ou d'électeurs, études sur le terrain, etc. La psycho-
logie sociale utilise de préférence les techniques que nous appelons
vivantes et dans ses recherches, la part des enquêtes sur le terrain, des
488 LES TECHNIQUES AU SERVICE DES SCIENCES SOCIALES
CHAPITRE1
MISESEN GARDE, PRÉCISIONS,
CLASSIFICATIONS
§ 1. La ïm des illusions
429 1 ° L'illusion de la facilité ◊ Nous avons quitté les sphères abstraites
de l'épistémologie et de la logique, nous voici parvenus au niveau plus
concret des techniques. Sans doute, sont-elles plus accessibles à certains
esprits, mais il ne faut pas se faire d'illusion, leur application n'est pas
facile.
Sur le plan de la préparation et de l'exécution, elles exigent d'abord de
la patience: l'analysedu contenuimplique la lecture de nombreux docu-
ments, un travail fastidieux pour compter les unités choisies (cf. n°5 615
et s.). Faire une enquête par interviewssignifie le plus souvent perdre
beaucoup de temps pour trouver les enquêtés.
En plus de la réflexion et de la rigueur nécessaires à l'application de
toutes les techniques, celles-ci exigent aussi le plus difficile : la maitriseet
même la modificationde soi. Dans une enquête, l'instrument d'observa-
tion est un homme, qui doit perturber le moins possible l'objet humain
observé. Il faut apprendre à écouter, nepasjuger,ce qui implique une véri-
table contre-éducation opposée au manichéisme implicite dans toute
socialisation: le bien, le mal, ce qu'il faut faire, ne pas faire, les tabous à
ne pas transgresser, tous les réflexes conditionnés, buts d'une bonne édu-
cation morale et sociale.
Ces conditions peuvent être remplies par des exécutants consciencieux,
après un apprentissage sérieux. Mais si l'on veut mener de bout en bout
une recherche (mémoire, thèse, enquête), il faut savoir ce que l'on fait et
pourquoi on le fait Ceci implique la mise en œuvre de tout ce que nous
avons vu concernant la nécessité d'une remise en question de ses propres
présupposés, la rupture épistémologique, etc., mais aussi la mise en ques-
tion des techniques.
430 2° L'illusion de la neutralité ◊ On a tant insisté sur le fait que les
sciences sociales impliquent une « compréhension », une nécessaire sub-
jectivité, sur les difficultés pour l'observateur humain d'interroger des
faits humains, enfin sur le besoin de « neutralité » éthique, que l'on a
longtemps négligé le reste.
Il était certes utile que Weber oppose, au réformisme social de son
époque, la neutralité axiologique, mais aujourd'hui, le développement des
techniques implique qu'elles deviennent à leur tour l'objet de la vigilance
épistémologique.
Au lieu de cela, il semble que l'on continue trop souvent à s'interroger
sur l'idéologie implicite du chercheur, sans se douter que sous une forme
490 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSifICATIONS
moins apparente, l'ennemi s'est infiltré dans les rangs de ceux qui
devaient le combattre : les instruments supposés objectifs de la connais-
sance scientifique. Il faut donc prendre conscience du danger : les tech-
niques, symboles de l'esprit scientifique par leur rigueur, sont non seule-
ment susceptibles de camoufler des idéologies, mais plus innocemment
encore, de traduire des présupposés, de découper à l'avance la réalité,
donc, d'être inspirées par les a priori qu'elles sont chargées de combattre.
Pour ceux qui luttent pour atteindre l'objectivité scientifique, l'usage
sérieux d'instruments techniques représente une garantie. Troubler cette
quiétude en montrant que l'antidote peut être un alibi, est une tâche utile
et urgente à laquelle quelques auteurs: P. Sorokin (1938), C. Wright
Mills (1959), et surtout en France P. Bourdieu (1968) 1, se sont
employés.
« En nommant méthodologique, comme on le fait souvent, ce qui
n'est jamais que le décalogue des préceptes technologiques, on escamote
la question méthodologique proprement dite, celle du choix entre les
techniques (métriques ou non), par référence à la signification épistémo-
logique du traitement que les techniques choisies font subir à l'objet et à
la signification théorique des questions que l'on entend poser à l'objet
auquel on les applique 2 . »
Par neutralité, nous n'entendons donc pas seulement la suppression
des présupposés idéologiques ou affectifs du sociologue, mais dans un
sens plus large, le fait que la technique n'influence pas la recherche, ceci
plus particulièrement aux stades du choix et de l'utilisation.
431 a) Le choix de la technique ◊ Choisir des techniques, étant donné
les particularités et les limites de chacune, c'est sélectionner à l'avance les
matériaux qu'elles recueilleront Comme le dit P. Bourdieu à propos des
méthodes, « c'est se demander ce qu'elles font aux objets et les objets
qu'elles font». Mais « autant les règles techniques de l'usage des tech-
niques se prêtent aisément à la codification, autant les principes capables
de définir une utilisation de chaque technique, qui prendrait en compte
les présupposés logiques ou sociologiques de ses opérations, sont malaisés
à définir et plus encore à incarner dans la pratique 3 ».
Lestechniques de psychologie sociale recueillent surtout les représenta-
tions des individus, ce qu'ils croient ou veulent faire croire plus que les
facteurs objectifs qui les conditionnent
Dans une enquête sur les députés 4, il était intéressant de connaître l'image
qu'ils voulaient donner d'eux-mêmes. La technique de l'interview était adaptée à
l'objet
Dans une recherche sur les professeurs de l'enseignement supérieur, laques-
tion « Pourquoi avez-vous choisi le métier d'enseignant?» pouvait impliquer
outre la croyance en la valeur de l'introspection rétrospective, la conviction que
der étant pris au sens précis de détenteur d'un pouvoir de décision. Sui-
vant le critère de sélection retenu : activité sociale, réputation ou position
sociale, on obtient des résultats différents.
Les prénotions écartées, les préjugés pulvérisés et les illusions détruites,
ne risque-t-on pas de se trouver« désenchanté» comme dirait Weber,
devant un travail aride et peu stimulant. Certes pas si l'on a le goût de la
recherche, ou plus exactement la passion. Il est un moment caractéris-
tique de celle-ci, c'est celui où, conscient d'avoir mené à bien le« ramo-
nage 1 » de son esprit, on éprouve non un sentiment de découragement,
mais au contraire d'exaltation et presque de sécurité. Tout en restant vigi-
lant, on se sent sur la bonne voie, délivré des fausses évidences, prêt à une
autre forme de vision, prêt à trouver, à comprendre.
§ 2. Précisions de terminologie
433 1 ° Recherches et enquêtes ◊ Toutes les recherches ont ceci de
commun : elles obligent à poser des questions, à émettre des hypothèses,
à recueillir des informations et des réponses. On peut dire que toutes les
techniques des sciences sociales sont en quelque sorte des techniques de
question.
Le mot de recherche est employé dans un sens très général et peut s'ap-
pliquer à tous les types de problèmes, en sciences sociales comme en
sciences naturelles ou physiques. Bien que le qualificatif « scientifique »
ne soit pas toujours spécifié, il n'en demeure pas moins implicite. De ce
fait, la recherche implique une exigence générale de rigueur, mais dégagée
de toute indication technique, de toute notion de moyens. Elle recouvre
la notion d'expérimentation aussi bien que celle d'observation et on l'uti-
lise parfois comme synonyme d'enquête.
L'enquête,elle, revêt un sens plus restreint, plus technique et limité aux
sciences humaines, car par son étymologie même, elle comporte la quête
d'informationsorales.Elle implique la corrélation d'éléments contrôlés et
s'applique plutôt à l'observation, l'analyse, l'explication qu'à l'expéri-
mentation. On pourrait considérer la recherche comme plus orientée
vers la théorie ou recherche fondamentale, alors que l'enquête concerne-
rait davantage la collecte des faits. L'enquête au sens scientifique,
implique un effort pour quantifier les informations recueillies. Créant en
général ses propres documents, elle doit donc prévoir comment elle les
obtiendra. En dehors de l'objectif même de la recherche, de l'hypothèse
émise, elle suppose un problème de conception: comment transcrire l'idée
de départ en termes susceptibles de quantification ? L'enquête, le plus
souvent, cherche à découvrir la distribution ou la répartitionde ce que
l'on appelle desvariables,c'est-à-dire les facteurs qui influencent les résul-
tats, par exemple en ce qui concerne le vote: l'âge, le sexe, la profession;
ou les variablesindépendantesen relation avec une variable déterminée,
dite dépendante(dans une enquête sur l'attitude des Français vis-à-vis du
1. Expression utilisée par Anna O; la malade à l'origine de la psychanalyse.
PRÉCISIONSDE TERMINOLOGIE 493
§ 3. Tentatives de classification
des techniques des sciences sociales
438 1 ° Classification d'après les domaines de recherche ◊ La réalité
complexe et mouvante des sciences humaines exige des classifications
souples. Classer consiste à séparer et assembler des éléments suivant leurs
caractéristiques différentes ou communes. I.e critère de distinction est
d'autant moins contestable qu'il correspond à une qualité essentielle, une
différence ou une similitude réelle et profonde. Il est d'autant plus diffi-
cile à découvrir que les éléments à classer offrent un plus grand nombre
de différences ou de similitudes qui se chevauchent.
Si nous essayons de classer les sujets de recherche,nous pouvons dire
que la liste en est infinie, les problèmes soulevés par la vie en société étant
innombrables : santé, jeunesse, industrie, etc. On aboutit ainsi à un cata-
logue de matières non exhaustif et qui ne correspond pas à des dif-
férences dans les techniques utilisées.
439 2° Classification d'après la nature des problèmes étudiés ◊ On
peut essayer de classer les enquêtes d'après la nature de leur objectif, le
proce§SUSqu'elles étudient :
- Etudesd'opinion: opinion des Français vis-à-vis de l'O.N.U., opinion
des parents d'élèves de tel lycée sur les méthodes actives, opinion d'un
maire de telle commune sur le projet de disparition de son village sous les
eaux.
TENTATIVES DE CLASSIFICATION DES TECHNIQUES DES SCIENCES SOCIALES 497
442 Bibliographie ◊
CHAPITRE2
QUE CHERCHE-T-ON
ET COMMENT?
1. Les individus
SOUS-SECTION
1
§ 1. La personnalité
444 Intérêt des problèmes de personnalité ◊ L'étude de la personnalité
à 451 relève d'abord de la psychologie générale, mais s'il est nécessaire de lui
consacrer ici quelques pages, c'est parce que toute personnalité est en
interaction avec son milieu. A ce double point de vue, la notion de per-
sonnalité n'intéresse pas seulement la psychologie sociale mais les autres
sciences sociales telles que l'histoire, les sciences criminelles, l'anthropo-
logie, la géographie humaine, la science économique, la science politique,
le droit, etc.
En dehors de l'intérêt de l'étude individuelle et psychologiquede personnalités
ayant joué un rôle historique et politique : Bakounine, Hitler ou de Gaulle, l'on
peut s'interroger sur l'importance de types de personnalités, plus ou moins répan-
dus, prédisposant à des réactions particulières, qui sous certaines conditions
pèsent lourdement sur le destin collectif. On a découvert que certains traits parti-
culiers prédisposaient les individus qui les possédaient à devenir, dans des cir-
constances déterminées, plus facilement fascistes que d'autres 2 •
L'anthropologie et l'ethnologie ont fait prendre conscience de la part
d'adaptation que les cultures imposent à tous et de la façon dont elles
sélectionnent les plus aptes à s'incorporer à leur système. C'est ainsi que
dans certaines tribus, les individus névrotiques s'intègrent à la société,
grâce à la tolérance de celle-ci pour l'originalité de leur comportement,
alors que dans notre civilisation technique et rationnelle, ils deviennent
des inadaptés avec toutes les conséquences que cela implique. La notion
de personnalité est donc liée à chaque individu et à chaque culture, mais
elle apparaît spécifiquement occidentale dans sa conception, dans l'inté-
rêt porté à la personne en tant que telle et à l'ensemble de son équilibre
psychosomatique.
L'Orient ne s'intéresse pas à ce problème et les primitifs ne voient pas de lien
entre le corps et l'âme. Un vieux Canaque disait à un Occidental:« Ce que vous
nous avez apporté c'est le corps... » Qui l'eût cru de l'Occident chrétien 1
Parmi tous les aspects que comportent les théories de la personnalité,
ceux qui nous intéressent le plus ici ont trait aux attitudes et opinions. Si
l'on veut atteindre, au-delà du simple problème des sondages d'opinions,
1. Cf. n° 190 supra.
2. Cf. Adorno et al. (1950).
502 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
§ 2. Opinions et attitudes
452 Importance de la notion ◊ La psychologie sociale considère l'étude
des opinions et des attitudes comme relevant plus particulièrement de
son domaine. Mais toutes les sciences sociales sont amenées à les étudier.
Les économistes font souvent état de l'attitude du consommateur et ne
peuvent ignorer la propension à consommer, les ethnologues observent la
variété des attitudes possibles devant les mêmes événements de la vie des
hommes : naissance, mort, etc. La science politique étudie, après les opi-
nions politiques 1, les attitudes politiques et le secteur encore si mal
connu de la psychologie politique 3 .
L'intérêt porté aux études d'attitudes depuis trente ans, aux États-Unis, peut
s'expliquer, en dehors de leur importance réelle, par le fait qu'elles flattent les ten-
dances des sciences sociales américaines. D'abord le goût de la mesure et de la
quantification, ensuite la possibilité d'aboutir à des explications d'où découleront
des conseils, concernant le mécanisme des changements d'attitude et d'opinion,
ou en tout cas la possibilité de les prévoir, peut-être de les orienter. Enfin, ces
études sont liées à la philosophie americaine de la libre concurrence. Au milieu du
champ de forces de la vie, les tendances des individus, leurs opinions, l'énergie
qu'ils sont prêts à déployer pour telle ou telle cause, représentent des éléments
importants. C'est la part psychologique dans le bilan de la situation. Elle corres-
pond au souci de notre époque, de faire le point pour organiser l'avenir.
453 1° Définition de l'attitude ◊ Le terme attitude recouvre des notions
très diverses.
W.I. Thomas et F. Znaniecki (1918) qui ont contribué à renouveler l'intérêt
pour cette notion, considéraient comme attitude toute manifestation de la vie
consciente, simple ou complexe, générale ou particulière. Celle-ci pouvait alors
recouvrir les jugements, idées, sentiments, tout et n'importe quoi. D'où la néces-
sité de définir le concept d'attitude.
Toutes les définitions insistent sur un point: l'attitude implique un
état dans lequel l'individuest prêt à répondred'une certainemanièreà une
certainestimulation.
1. A. Sauvy (1956), L'opinion publique (1957).
2. J. Meynaud, A. Lancelot (1962, B.239).
3. M. Grawitz (1985).
LESINDIVIDUS 503
Celui qui a une attitude hostile envers les chats rejettera d'un coup de pied
l'animal qui se frottera contre sa jambe pendant qu'il lit le journal et renversera la
chaise sur laquelle il le trouvera installé. Autrement dit, dès qu'interviendra le sti-
mulus chat... la réaction agressive sera déclenchée. G. Allport donne de l'attitude
la définition suivante : « C'est un état mental et neurophysiologique constitué par
l'expérience, qui exerce une influence dynamique sur l'individu, le préparant à
réagir d'une manière particulière à un certain nombre d'objets et de situations 1.»
Idéologie .0
~
type conservateur (')
:i::
tT1
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(')
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r,-;
1
>-i
62
IT!
niveau m >-i
(')
Respect de la discipli- 0
attitude __ antisémite ne goût de l ordre de
la__hiérarchie
1
2
>-i
~
n,·veau n.
opinions
habituelles
niveau I
1. <( On exige de chacun de nous qu'il vive selon son rôle officiel; un professeur doit agir en pro-
fesseur, un élève agir en élève. [ ...] Au cours de son développement, chaque individu est sollicité par
plusieurs rôles qu'il voudrait traduire en actes. Et c'est la pression active qu'exerce cette pluralité de
rôles sur le rôle manifeste et officiel de l'individu qui donne souvent naissance à un sentiment
d'anxiété.» J.L. Moreno (1953), p. 309.
510 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
§ 3. La motivation
471 1° Définition et origine ◊ D'après O. Lagache4, la motivation pour-
rait se définir comme « un état de dissociation et de tension qui met en
mouvement l'organisme jusqu'à ce qu'il ait réduit la tension et recouvré
son unité». L'étude de motivation doit donc chercher parmi les multiples
causes d'un acte, celles qui mettent l'organisme en mouvement, c'est-à-
dire pratiquement celles qui sont les plus susceptibles de manipulation.
Cette notion de mise en mouvement caractérise l'élément dynamique
de l'attitude qui est avant tout une virtualité de réponse. La motivation,
elle, représente l'élément qui tend à déclencher cette réponse. C'est pro-
bablement pourquoi elle saisit d'abord l'aspect le plus précis et caractérisé
de l'attitude: la décision, avant d'aborder le côté plus vaste du comporte-
ment.
La notion d'attitude est très large, elle recouvre en fait toute réaction
ou position tendant à se reproduire chez un même individu en face d'un
stimulus semblable. On peut donc parler de l'attitude d'un individu aussi
bien vis-à-vis d'une marque de savons à barbe que vis-à-vis de l'éducation
des enfants, de la torture ou de la mort. Ce domaine illimité de la notion
d'attitude a donné lieu à des travaux spécialisés en ce qui concerne un
1. E. Morin (1962).
2. Pour la Grèce, cf. Silia Nicolaidou (1982).
3. Cf. M. Grawitz (1963, B.170).
4. D. Lagache (1949, B.278}.
LESINDIVIDUS 511
1. La Motivation(1959).
514 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
suivant les périodes. Lestemps calmes verraient les motifs pratiques l'em-
porter avec la suprématie des techniciens, alors que les facteurs politiques
et idéologiquesreprendraient un rôle déterminant dans les périodes trou-
blées 1.
Dans la comparaison tentée avec les pays capitalistes, les auteurs
reconnaissent à côté des incitations à produire, de type économique, un
facteur indéfinissable nommé le« x efficiency» 2 •
478 Bibliographie◊
AooRNo(T. W.), FRENKEL-BRUNSWIK (Else), LEVINSON (D. J.) 1950. - The
authoritarian personality,New York, Harper and Row, 992 p.
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ment, Masson, 140 p.
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culture, éd. Ouvrières, pp. 9-14.
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Chicago, Aldine, 514 p.
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depsychologiesociale,t. I, P.U.F., 530 p. (coll. Logos).
1. J. Gurley (1971).
2. H. Leibenstein (1966).
516 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
SOUS-SECTION
2. Les collectivités et les groupes
§ 1. Classification
479 1 ° Historique ◊ Ce sont les grands ensembles qui ont retenu les pre-
miers l'attention des sociologues. Ceci s'explique sans doute par le fait
que la sociologie,étant au départ liée à la philosophie et en particulier à la
philosophie de l'histoire, les sociologuesse préoccupaient avant tout de la
société en voie de devenir. Ensuite parce que la sociologieest née et s'est
développée en même temps que l'industrialisation, l'urbanisation, le
développement technique; ce qui est donc apparu d'abord, ce sont les
problèmes liés à ces modifications d'une très grande ampleur.
La sodologieallemande,portée aux réflexions historiques, était trop fortement
marquée par la notion de lutte des classes et d'avenir de la culture bourgeoise,
LES COLLECTIVITÉS ET LES GROUPES 519
Les études portant sur les groupes restreints sont intéressantes par les
problèmes théoriques soulevés, leurs résultats, par les progrès techniques
qu'elles ont suscités. On leur doit une amélioration des méthodes de
recherche, des progrès dans la rigueur scientifique, et des liens plus
étroits entre théorie et recherche, hypothèse et expérimentation.
2. COMMENT CHERCHE-T-ON
SECTION
OU LE CHOIX DES TECHNIQUES 1
SOUS-SECTION
1. Les techniques d'étude
des individus
§ 1. Les techniques vivantes
Elles comprennent les différentes formes d'interviews et question-
naires, les tests et les mesuresd'attitudes.
487 1 ° Interviews et questionnaires individuels ◊ L'interview consti-
tue le type même de recherche sur des individus, par une technique de
rapports individuels utilisée à des niveaux différents:
a) étudessur la personnalité.- L'entretien peut être répété, se situer à
un niveau plus ou moins profond (cf. n°5 633 et s.);
b) études d'attitudes.- L'enquêteur cherche dans ce cas, à travers les
réponses, à percevoir les attitudes, éventuellement à les prévoir ;
c) étudesde motivations.- L'entretien a pour but de déceler au-delà du
motif exprimé, le motif réel ;
d) études d'opinions.- Elles recherchent à travers des questionnaires
d'entretien structurés, une information plus ou moins superficielle. Elles
s'adressent en général à des échantillons importants de population, se
contentant de les classer en pourcentage (favorable, défavorable, etc.)
sur un certain nombre de points.
Ces techniques permettent d'étudier un individu soit en tant que tel :
étude de personnalité, soit comme membre d'un groupe, soit pris dans
l'échantillon d'une population plus large.
Dans le dernier cas, l'individu est choisi non pour sa personnalité
propre, mais au contraire pour un certain nombre d'attributs : âge, sexe,
profession, qui en font un élément d'un échantillon représentatif d'une
1. Cette section ne comporte pas de bibliographie. Celle-ci est renvoyée à chacune des tech-
niques.
LES TECHNIQUES D'ÉTUDE DES INDIVIDUS 525
catégorie plus vaste, que l'on se propose d'étudier. L'enquêté est sélec-
tionné par un sondage et éventuellement remplaçable. L'enquête, dans
ce cas, est extensible dans ses généralisations, mais elle nécessite une
quantification avant de pouvoir donner une vue globale de la situation.
Contrairement aux techniques de groupe, cette vision généralen'est
jamais perceptible au niveau de la technique individuelle elle-même.
Lorsque l'on procède à des interviews dans le cadre d'un sondage, on ne
peut généraliser les résultats avant le dépouillement.
Notons que l'échantillonnage est une technique indépendante de la
méthode d'observation que l'on utilise ensuite. Toutes les techniques de
rapports individuels peuvent s'appliquer à des populations, sélectionnées
par un procédé ou un autre. C'est l'objectif de l'enquête qui détermine le
type de population à étudier.
488 2° Les tests ◊ Les aptitudeset la personnalitépeuvent être étudiées les
unes et les autres par les tests de nature différente et par l'analysefacto-
rielle1.Ceux qui cherchent surtout une prévision pratique, se pencheront
sur les tests d'aptitudes, alors que les psychologues, considérant la per-
sonnalité comme un ensemble de facteurs, utiliseront surtout l'analyse
factorielle, enfin ceux qui insistent sur le caractère unique et total de
chaque individu, tenteront de la comprendre par des tests projectifs,ou
par des entretiens cliniques approfondis, conduits, bien entendu, de
façon différente des simples interviews d'opinion.
Les chercheurs utilisant des tests et des analyses factorielles observe-
ront quantité d'individus pour valider leurs affirmations et tirer des pré-
visions. Ceux qui s'intéressent à l'aspect unique, mais global de la per-
sonnalité, préféreront observer plus complètement quelques sujets, dans
des entretiens approfondis.
489 3° Les échelles d'attitudes ◊ Alors que les questionnaires tentent de
déceler ou prévoir les attitudes, les échelles, instruments plus rigoureux,
veulent surtout les mesurer.
490 Caractéristiques 2 ◊ Les techniques individuelles ne saisissent pas les
processus sociaux en train de se produire. La question est posée a poste-
riori par rapport au problème étudié. L'individu peut, sans doute, révéler
par des tests certaines aptitudes, mais il n'est pas perçu en train de s'en
servir dans des rapports sociaux.
On ne peut certes pas dire qu'il ne se passe rien dans un entretien. La
réaction de l' enquêté à la situation, aux questions et à la personne de
l'enquêteur, représente un phénomène directement perceptible. Hormis
le cas d'interview thérapeutique, dans lequel l'action se situe et s'observe
justement dans le rapport enquêteur-enquêté, ce rapport n'est pas, dans
1. Cf. n° 743.
2. Rappelonsque nous signalons ici seulement les caractéristiquesgénérales,ce qui distingue les
techniques de groupe des techniques de rapports individuels.Nous étudierons plus loin les unes et les
autres.
526 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
les autres types d'interview, observé en tant que tel, mais seulement uti-
lisé pour obtenir l'information. En dehors de ce qu'il voit: nervosité,
calme, etc., l'enquêteur saura seulement de l'enquêté ce qu'il veut bien
dire. il ne le verra pas agir dans les situations ayant trait aux questions
posées. Comme nous l'avons vu, l'observation n'est pas directe.
Ajoutons que les techniques individuelles impliquent surtout l'usage
de questions extériorisées, souvent libellées et posées au sujet observé,
parfois à des heures précises et pour une durée plus ou moins limitée, en
tout cas prévue. Les conditions de systématisation et de rigueur peuvent
être grandes quant au cadre de l'enquête, la personne de l' enquêté, la
précision des questions et des problèmes dont on cherche les réponses.
Enfin le plus souvent, la technique s'applique à une personne parti-
culière: l'enquêté, interrogé par un seul enquêteur.
Les divers types d'interviews,les tests et les mesuresd'attitude,consti-
tuent les principales techniques de rapports individuels. On a briève-
ment indiqué dans quels types de recherches : personnalité, opinions,
attitudes, motivations, aptitudes, on pouvait les utiliser. On va étudier
chacune de ces techniques, la façon dont elles appréhendent les pro-
blèmes et leurs données, car chacune comporte une gamme étendue de
possibilités, de façons d'être utilisée. Chacune est adaptée aux phéno-
mènes variés qu'elle a pour mission de recueillir, si possible de mesurer
et parfois d'expliquer.
SOUS-SECTION
2. Les techniques de groupe
§ 1. L'Étude des groupes restreints
492 1 ° Les techniques vivantes ◊ Les techniques de groupe plus récentes
sont moins institutionnalisées que les techniques de rapports indivi-
duels. On ne trouve, pour l'étude des groupes, rien d'aussi standardisé
que les tests et mesures d'attitude. Aussi distingue-t-on le plus souvent
les techniques de groupes, non en elles-mêmes, mais par le cadre, les
conditions dans lesquelles elles sont utilisées : observationsur le terrain,
observationavecparticipation,expérimentation sur le terrainou en labora-
toire.Cependant, certaines techniques spécialiséessont fort connues : en
particulier, le sociodrame,
les techniques d'observationde Baieset le groupe
1
de discussion .
Il est essentiel de noter dès maintenant que les techniques de groupe
comme les techniques individuelles se situent à des niveaux de profon-
deur différents. Mais alors que les techniques individuelles ne consi-
dèrent jamais que l'individu, même s'il est interrogé en tant que repré-
sentant d'un groupement étendu, les techniques de groupe dépendent
d'un facteur essentiel: la dimension même du groupe observé. Elles per-
mettent l'observation de communautés d'une certaine taille et de
groupes restreints, mais les techniques employées et les problèmes acces-
sibles sont différents dans les deux cas.
493 L'observation est faite dans le cadre du groupe ◊ Le premierélé-
ment caractéristique des études de groupe c'est que, même si l'objectif de
la recherche est particulier, s'il ne vise qu'un problème de la vie du
groupe: le commandement, les réseaux d'amitié, ou le moral, le cher-
cheur replace toujours cet aspect particulier dans le contexte général du
groupe entier, pris dans son ensemble, étudié en tant que groupe. Même
si la recherche comporte également l'utilisation de techniques indivi-
duelles, les individus sont étudiés en tant que membres du groupe, par
rapport à leur rôle, leur importance dans le groupe.
494 L'observation est directe ◊ Le deuxièmeélémentcaractéristique pro-
vient du fait que le chercheur observe le groupe en train devivre; l'action
qui naît, les processus pendant qu'ils se déroulent et non après coup.
11s'agit vraiment d'une observation directeet le plus souvent multi-
dimensionnelle, c'est-à-dire attachée à plusieurs aspects. Si l'on observe
la vie d'un atelier, on ne se contente pas de l'opinion exprimée par tel
ou tel ouvrier, ce n'est pas un récit que l'on recueille, mais l'action elle-
même.
Il s'agit là des deux caractéristiques essentielles, qui différencient les
techniques de groupe des techniques de rapports individuels. On peut
ajouter des différences moins tranchées, mais souvent rencontrées : les
1. Cf., n°' 837, 893 et s.
528 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
Choix de la Déte:-mination
de la
Technique Population
Mesures
Participat. Observation Expériment Interview Tests d'
attitudes
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Terrain Laboratoire :i::
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CLASSIFICATION DES TECHNIQUES VIVANTES m
n,b - Pour l'interview et., n°• 603-604
- L'expérimentation peut également avoir lieu sur le terrain. \Il
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1-l
532 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
§ 2. Le prélèvement de l'échantillon
La méthode utilisée pour constituer un échantillon a suscité un conflit,
aujourd'hui un peu dépassé, entre les organismes statistiques (INSEE) et
les instituts d'opinion. Les premiers estiment que la seule méthode
valable, scientifique, rigoureuse, est celle qui permet l'utilisation du calcul
des probabilités, le prélèvement de l'échantillon s'opérant selon les lois
du hasard. Le sondage est qualifié de probabiliste.Les seconds pratiquent
des sondages par choix raisonné ou par quotas. On peut alors parler de
sondage empirique.L'examen de ces techniques montrera la signification
et les conséquences de l'un et l'autre choix.
502 1 ° Le sondage empirique : a) La méthode des quotas ◊ Le terme
de « choix raisonné » qui semblerait traduire une supériorité méthodolo-
gique, ne doit pas induire en erreur. Le choix dont il s'agit ne met en jeu
qu'un raisonnement empirique, sans aucune rigueur scientifique. Ce
mode de désignation des échantillons, repose sur l'idée que les différentes
variables attachées à l'individu ne sont pas indépendantes entre elles. Par
exemple, lorsqu'un échantillon est identique à la population dans
laquelle il est prélevé, en ce qui concerne la distribution de certaines
variables bien choisies, il est également peu différent de la population en
ce qui concerne la distribution des variables non contrôlées.
503 Catégories et plan d'enquête ◊ Supposons que l'on étudie la fré-
quentation cinématographique de la population adulte résidant à Mar-
seille. On admettra que le mode d'utilisation des loisirs est en liaison avec
le sexe, l'âge et la catégorie socio-professionnelle, variable pour lesquelles
on dispose déjà de bonnes statistiques. On choisira les individus de
l'échantillon de façon à ce que celui-ci reproduise les caractéristiques de
la population totale, c'est-à-dire que la distribution par sexe, âge et caté-
gorie socio-professionnelle soit semblable. L'enquêteur recevra un tableau
indiquant les« quotas» à respecter: c'est-à-dire le nombre de personnes
à interroger présentant les caractéristiques requises. A part cette consigne,
il est libre d'interroger qui il voudra, par exemple:
quant en quels points il doit réaliser une inteiview. Dans ce cas, la repré-
sentativité de l'échantillon va dépendre de la personne qui établit le plan
de sondage en jouant le rôle du hasard.
506 2° Le sondage aléatoire ou probabiliste ◊ Pour paradoxale que
paraisse l'association de ces deux termes, le sondage scientifique est celui
qui obéit au hasard. Le terme de hasard ne signifie pas fantaisie ou
improvisation. L'étude des grands nombres montre que le hasard lui-
même présente des régularités. La technique du sondage aléatoire permet
de soustraire l'échantillon à un choix arbitraire ou personnel et de procé-
der à un véritable tirage au sort 1 . Elle se définit par le fait quel' on accorde
à chacune des unités de la population une chance connue, non nulle,
d'appartenir à l'échantillon. On dira que l'on a effectué un sondage pro-
babiliste, si le prélèvement peut être assimilé à un choix au hasard, c'est-
à-dire si l'on peut comparer le choix effectué,« au prélèvement, les yeux
bandés, de boules, dans une urne comprenant des boules parfaitement
mélangées et assurant à chaque boule la même probabilité d'être tirée au
hasard 2 ». En d'autres termes, pour saisir la nature et l'utilisation du son-
dage probabiliste, il est indispensable de se rappeler les rudiments concer-
nant le calcul et les distributions de probabilité.
507 a) Bases de sondage et tirage au sort ◊ Avant de procéder à un
échantillonnage, il faut savoir sur quoi portera le prélèvement à opérer.
La méthode aléatoire exige que l'on dispose d'une basede sondage, énu-
mérant sans omission et sans répétition, la totalité des individus qui
composent la population.
« Le sondage est essentiellement un moyen de découvrir des caractères
inconnus d'une population connue», ajoute A. Piatier 3 •
Il faut donc connaître les caractéristiques de la population totale, qui
constitue la base de sondage, pour pouvoir les retrouver dans l' échantil-
lon. Cette base peut être constituée par des listes, répertoires, registres ou
fichiers complets et tenus à jour.
Le fichier des établissements industriels tenu par l'INSEE, la liste de toutes les
communes de France, constituent de bonnes bases de sondage. Les listes électo-
rales sont également commodes pour tirer un échantillon d'électeurs, mais tous
les habitants n'y sont pas inscrits. Aux Pays-Bas,tous les logements sont numéro-
tés et portés sur un répertoire à la mairie. En France, pendant la dernière guerre et
jusqu'en 1948, existait un fichier de population, pour les besoins du ravitaille-
ment général. Actuellement, dans chaque mairie est dressée une liste des produc-
teurs de céréales, mise à jour à partir des déclarations annuelles de récoltes.
508 La méthode aréolaire ◊ S'il n'existe pas de base de sondage ou qu'elle
soit incomplète, on peut utiliser la méthode aréolaire.Elle est souvent
employée en matière d'enquêtes agricoles. Le point de départ est une carte
1. Les Anglo-saxons utilisent le terme de «randomisation».
2. Cité in A. Piatier (1961), p. 119.
3. In op. dt.
538 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?
- Fraction sondée variable, méthode jugée préférable, car elle entraîne l'erreur
d'échantillonnage la plus faible. Si, par exemple, nous avons distingué deux
strates approximativement égales, mais dont l'une est très homogène et l'autre
très hétérogène. Pour la première, un faible échantillon suffira pour estimer la
caractéristique avec un faible risque d'erreur; tandis que la seconde nécessitera
un échantillon beaucoup plus important pour atteindre la même précision :
« Sauf exception, les résultats d'un échantillon stratifié comporteront moins d'er-
reurs d'échantillonnage que ceux d'un échantillon de même taille, pris au hasard
dans l'ensemble de la population 1 ».
§ 3. La représentativité de l'échantillon
« Combien d'enquêtés faut-il interroger pour que les résultats de l'en-
quête soient justes 2 ? » Il est impossible de répondre à la question posée
sous cette forme, car elle suppose résolues un certain nombre de diffi-
cultés qui mettent en cause des notions différentes. D'abord l'idée de pré-
cision des résultats, ou de justesse, qui comporte un sens large: l'absence
d'erreur et un sens technique plus limité, rejoignant la notion de validité
ou représentativité de l'échantillon.
515 1 ° La précision des résultats et la notion d'erreur ◊ La précision
au sens large, la justesse du sondage, impliquent la conformité de ses
résultats avec la réalité. Elle dépendra de la plus ou moins grande possibi-
lité d'éviter des erreurs, c'est-à-dire d'un certain nombre d'éléments:
Le premier, nous l'avons vu, concerne le domaine étudié, sa plus ou
moins grande homogénéité. Un sondage pour vérifier la qualité d'un pro-
duit industriel: barres de savon ou de chocolat, litres d'essence, pose
moins de problèmes qu'un sondage pour connaître l'opinion des Français
sur l'Europe.
Un deuxième élément intervient : c'est le degréde précision cherché.
Dans le cas de pronostic électoral, l'importance de l'enjeu, la publicité
donnée aux résultats et la confrontation avec la réalité, obligent à prendre
toutes les précautions pour obtenir un résultat précis. L'élément statis-
tique est prépondérant. Dans le cas d'une enquête d'opinion, il s'agit plu-
tôt de chercher une indication, l'essentiel ne se trouve pas du côté de la
statistique mais de la recherche elle-même. Ceci nous amène à un troi-
sième élément important
La nature de l'objectif poursuivi ou de l'information à recueillir. Nous
retrouvons ici la notion d'erreur relative déjà abordée. S'agit-il d'une
question de fait facile à obtenir : « Etes-vous célibataire, veuf, divorcé ? »
ou d'une information plus complexe : « Êtes-vous favorable à un régime
présidentiel?». Suivant l'objet de l'enquête, les risques d'erreurs sont
plus ou moins grands.
Enfin la nature deserreurs.Leserreurs pouvant fausser les résultats d'un
sondage sont de nature différente et se situent à des moments différents.
1. M. Levy-Bruhl cité in A. Piatier, op. cit., p. 127.
2. Question régulièrement posée par les étudiants.
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 541
CHAPITRE3
ÉTAPESCOMMUNES
A TOUS LESTYPESD'ENQUÊTE
«Pourparlerd'amouraux amoureux,
il ne faut pas avoirfait une enquêtesur l'amour,
il faut avoirété amoureux1 . »
A Malraux, «L'espoir».
Tout processus de recherche comporte un certain nombre de
démarches qui s'enchevêtrent et se commandent, plus qu'elles ne suivent
un ordre strictement hiérarchisé. Les diverses étapes d'une enquête sont
liées entre elles et les premières décisions d'un projet déterminent large-
ment les procédures finales, qui doivent donc être prévues dès le départ. Il
n'est pas rare de se trouver au cours d'une enquête, aux prises avec des
problèmes que l'on ne peut résoudre malgré leur intérêt, parce qu'on ne
les avait pas prévus, que l'on n'a pas relevé ou conservé les données utiles,
ou enfin que l'on est tenu par d'autres dispositions. Malgré cette inter-
dépendance de tous les moments d'une enquête, on peut cependant dis-
tinguer des étapes essentielles : celles où se prennent les décisions.
Celles-ci, pendant le déroulement des enquêtes, varient suivant les buts
poursuivis et les techniques adoptées. Il existe cependant, surtout dans les
phases préliminaires et terminales de toute recherche, des types de déci-
sions, des étapes semblables, que l'on retrouve inévitablement, parce que
des problèmes identiques concernant l'objectif, les autorisations, le
financement, la publication, etc., se posent dans toutes les enquêtes quels
que soient leur objectif et leur technique. Pour éviter des redites à propos
de chaque technique d'enquête, on abordera ici seulement les problèmes
qui leur sont communs.
§ 1. Étapes préliminaires
519 1° La préparation intellectuelle. a) L'idée de l'enquête ◊ Une
enquête peut faire partie d'un plan de recherches d'ensemble,par exemple
une étude sur l'automation dans tel secteur industriel.
Elle peut naître aussi d'un problèmeimmédiatauquel il faut trouver une
solution dans le cadre d'une politique gouvernementale ou sociale : la
situation des travailleurs étrangers ; ou en prévisionde problèmes qui se
poseront dans les années à venir: l'arrivée des jeunes sur le marché du
travail; naître d'un besoind'informationurgent: enquêtes d'opinions pour
le gouvernement ou étude de marché par une firme industrielle.
1. Mais pour parler d'enquête aux étudiants, en avoir fait ne suffit pas, il faut aussi leur en faire
faire.
ÉTAPESPRÉLIMINAIRES 547
520 b) L'objectif de l'en9-uête ◊ Quelles que soient les raisons ayant sus-
cité l'enquête, la prerniere démarche vraiment scientifique consiste à en
préciserl'objectif.Il s'agit là de l'étape essentielle de l'enquête, celle dont
dépendront toutes les démarches ultérieures. En effet, le choix du but à
atteindre détermine à la fois, la populationà étudier : échantillon repré-
sentatif d'un grand ensemble ou au contraire totalité d'un groupe res-
treint et les moyens de recherche,les techniquesà mettre en ŒtNTe:inter-
views, tests, observation de groupe, étude de documents etc. Ces deux
décisions sont liées et dépendantes de l'objectif poursuivi. D'une part, on
ne peut appliquer toutes les techniques à tous les types de population, et
d'autre part, on ne peut recueillir toutes les données, à tous les niveaux,
par n'importe quelle technique.
L'idée de l'enquête suppose qu'il existedes problèmes, l'objectif de l'en-
quête exige qu'ils soient formulés.
On doit d'abord préciser ce que l'on cherche, et se demander:« Quelle
est la question que je pose, à laquelle je cherche une réponse ? Quelle
information dois-je obtenir ? »
1. Cf. n° 302.
ÉTAPESPRÉLIMINAIRES 549
des facteurs cachés mais agissants. Ceci encore doit être prévu au début
de l'enquête, sans cela il sera trop tard pour récupérer les matériaux non
prélevés. Alors que l'enquête descriptive peut ne pas préciser les variables
retenues, le choix de celles-ci est capital dans les autres recherches.
La variable n'est pas seulement un facteur qui agit durant l'enquête,
c'est un facteur qui se modifie en relationavecd'autreset ce sont ces fluc-
tuations qui constituent l'objet de la recherche.
La variable dépendanteest celle dont le chercheur essaie d'expliquer les
variations, par exemple les échecs aux examens. La variable indépendante
est celle dont on essaie de mesurer et de comprendre l'influence sur la
variable dépendante. La difficulté consiste souvent à isoler des facteurs
d'influence (types d'épreuves, de corrections, matières, âge, etc.).
Un bon exemple est fourni par une enquête faite aux États-Unis, sur l'in-
fluence qu'exerce la couleur de la peau sur les sympathies éprouvées par de jeunes
écoliers. Les résultats étaient dans l'ensemble significatifs. Mais, soucieux de ne
pas attribuer à ce seul facteur une importance qu'il partageait peut-être avec
d'autres, les promoteurs de la recherche avaient dès le départ prevu également
l'étude d'une autre variable : le statut socio-économique des enfants, apprécié
d'après leurs vêtements. Il est apparu que ce facteur est finalement important et
renforçait dans bien des cas, la couleur de la peau.
Définir le but d'une enquête, déterminer les faits à récolter et mesurer,
implique déjà une certaine expérience en matière sociale. Il existe des
types de problèmes, des symptômes par lesquels ils se manifestent et sur-
tout des facteurs multiples, souvent peu apparents qui les déterminent Le
flair du chercheur, ses connaissances, son expérience, peuvent seuls ame-
ner à prendre en considération, dès le départ, les facteurs qui se révéle-
ront par la suite les plus importants. Lorsque l'enquête projetée porte sur
un domaine déjà observé, il est certes plus facile d'émettre des hypo-
thèses. Il s'agit alors surtout de vérification. Au contraire, lorsque l'étude
porte sur un secteur entièrement nouveau, il est probable qu'elle sera
avant tout descriptive, elle accumulera des matériaux à partir desquels on
pourra seulement, en fin d'enquête, suggérer des hypothèses ou nouvelles
lignes de recherche. Les types d'enquête diffèrent, en degrés de prévision
et de précision. Mais l'interdépendance des étapes existe toujours dans
l'esprit du chercheur, sinon dans la chronologie des faits.
L'important n'est pas tant d'avoir tout prévu, ce qui est impossible, que
d'avoir tenu comptedel'imprévisible et de pouvoir, en cours d'enquête, res-
treindre ou développer l'étude de certains facteurs. Ceci, le chercheur
pourra d'autant plus facilement se le permettre, qu'il aura mieux précisé
ses objectifs et ne risquera donc pas de se perdre à la poursuite de buts
mouvants, imprécis et toujours remis en question.
526 h) La préenquête ◊ Elle consiste à essayer sur un échantillon réduit
les instruments (questionnaires, analyses de documents) prévus pour
effectuer l'enquête.
Si l'on a des doutes sur telle ou telle variable, ou sur le rendement de
telle technique, on peut explorer de façon limitée le problème à étudier,
avant même de préciser définitivement ses objectifs.
ÉTAPESPRÉLIMINAIRES 5 51
528 j) Le rôle des documents ◊ Suivant l'objectif visé, le rôle des docu-
ments sera plus ou moins important, pour compléter, rectifier, appuyer
les hypothèses suggérées par les techniques vivantes, qui souvent, dans les
interviews par exemple, recueillent les idées que les enquêtés se font, plus
que la réalité elle-même. Une réflexion sur les documents peut aider à
expliquer l'interprétation que les individus en cause donnent d'une situa-
tion vécue.
529 2° Questions pratiques. a) Renseignements ◊ Il est indispensable de se
renseigner auprès de ceux qui connaissent le milieu ou la question, pour vérifier
l'existence du problème, son intérêt, mais surtout la possibilité de l'étudier, de
mener à bien l'enquête. Il est recommandé de ne pas se limiter à quelques person-
nalités officielles, d'établir des recoupements, en interrogeant ceux que l'on croit
susceptibles d'émettre des points de vue opposés. Certains ont l'art, ou la chance,
de découvrir« la» personne renseignée, comme d'autres découvrent le document
important. La nature et le statut de la personne renseignée sont d'ailleurs extrê-
mement variés et il ne faut pas avoir, en cette matière, d'idée préconçue 1 . Ceci est
valable en ethnologie, comme en psychologie industrielle ou en science politique.
Un état d'esprit très libre doit guider la quête de renseignements. Au début, il faut
tout accueillir, quitte à établir ensuite un ordre d'importance parmi les conseils,
indications, rumeurs, «on-dit» que l'on peut récolter.
1. Le personnage occupant le rang le plus élevé dans la hiérarchie n'est pas forcément le mieux
renseigné.
5 52 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE
ou information. L'enquêteur doit toujours être conscient du fait que son travail
l'amène souvent à intervenir dans l'intimité des enquêtés. Il est nécessaire qu'il
s'interroge sur les conséquences de cette intervention et cherche à en réduire les
effets traumatisants. Il est parfois utile de préparer le milieu enquêté à la
recherche, car certains individus réagissent davantage au sujet, s'il leur paraît
indiscret, qu'au fait même d'être interrogé.
Ces précautions deviennent encore plus importantes dans le cas d'une enquête
sur le terrain où il s'agit souvent de collaboration plus encore que d'autorisation.
Ce qui est commun à tous les types d'enquête c'est l'état d'esprit de prudence, de
respect des autres, d'information, qui doit dès le départ guider toute recherche.
532 3° Le budget de l'enquête. a) Origine des fonds o Les sommes affectées à
la recherche en sciences sociales sont moins importantes qu'en sciences phy-
siques et naturelles 1 .
Les sources principales de financement en France peuvent se ramener, dans les
grandes lignes, aux suivantes :
- Organismesinternationaux,tel l'UNESCO.
- Organismesétrangers.Certaines fondations américaines.
- Organismespublics.Fonds de la recherche scientifique 2, commande d'un minis-
tère.
- Organismesprivés. Sociétés commerciales ou industrielles demandant à des
bureaux d'étude privés ou à des psycho-sociologues, une enquête sur tel ou tel
problème : étude de marché, possibilité de réorganisation d'un atelier, lancement
d'un produit nouveau.
Ce problème du financement exerce une influence capitale sur l'enquête, puis-
qu'il la conditionne et la limite.
Si le chercheur reçoit une subvention, il doit adapter sa recherche à son budget.
ll peut aussi lui être demandé d'établir un budget prévisionnel à l'appui de son
projet. Dans l'un et surtout dans l'autre cas, puisque la responsabilité du cher-
cheur est alors en partie engagée par les chiffres qu'il établit, nous pouvons avan-
cer cette règle d'or, la première sans doute que doive découvrir un responsable:
une enquêteprend toujoursau moins le doubledu budgetet le tripledu tempsprévus.
Seule l'expérience acquise« sur le tas», permettra au chercheur de se rendre
compte du coût des diverses opérations et de tous les contretemps possibles. Sans
doute, chaque projet diffère-t-il du précédent, mais le chercheur acquiert tout de
même une expérience concernant l'ordre de grandeur des dépenses des divers
postes d'un budget, la connaissance des risques, tentations ou illusions, enfin
toutes les causes psychologiques ou matérielles de dépassement.
533 b) Divers postes du budget ◊ Ce qui influence le budget, c'est d'abord le
genre de recherche que l'on entreprend, mais surtout le typede matériauxà collec-
ter. A l'heure actuelle, il existe des statistiques nombreuses, tant officielles que pri-
vées. Trouver une signification à des chiffres déjà recueillis n'est pas très coûteux,
mais il est cependant rare que ce travail soit suffisant. La plupart des recherches
rassemblent leurs propres matériaux et n'utilisent les statistiques existantes qu'à
titre complémentaire. Le coût d'une recherche de ce type dépend évidemment de
la dimension de la zone à couvrir,du nombrede variablesà étudieret de la technique
employéepour le faire. Une enquête implique plus de frais si elle porte sur deux
départements, que si elle n'en couvre qu'un. Interroger mille personnes coûte
1. E. Trist (1970).
2. Contrats passés après approbation d'un projet par le C.O.R.D.E.S., ou dans le cadre d'une
A.T.P. (action thématique programmée, ou du G.R.E.C.O.). Constituer un dossier est une épreuve 1
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 553
plus que d'en interroger cent. Il faut davantage de temps, des enquêteurs plus
nombreux, des frais de transport plus élevés et des problèmes d'échantillonnage
plus complexes.
Tout ce qui exige une technique Y.lus raffinée coûte plus cher. Un question-
naire écrit, à questions fermées, expedié par poste, est moins onéreux que l'envoi
d'enquêteurs à domicile. S'il s'agit d'interviews libres ou à réponses ouvertes, la
qualification de l'enquêteur et l'analyse des matériaux, augmenteront encore
sérieusement les frais.
534 c) Les causes de dépassement du budget prévu o Les causes de dépasse-
ment du budget proviennent de la difficultéd'établirdesprévisions.La précision de
l'objectif et les limites du plan d'enquête font sentir sur ce point leur utilité. Mais
il est bien difficile de connaître à l'avance les nombreuses démarches que néces-
siteront tel ou tel point de l'enquête.
Il faut obtenir du chercheur qu'il ait constamment à l'esprit le but de l'enquête
pour ne pas s'en écarter, et en même temps assez de souplesse et d'intuition pour
ne pas laisser passer l'élément imprévu, mais significatif. Cet équilibre n'est pas
facile à assurer puisqu'il exige des qualités contradictoires qui, sur le plan scienti-
fique, n'ont pas la même valeur. Comme le dit J. Marcus-Steiff: « Le praticien
doit être un vendeur pour obtenir un contrat, un chercheur pour effectuer l'étude
scientifique, un pédagogue pour en faire comprendre les résultats, enfin un diplo-
mate pour les faire accepter 1.» De plus, certains éléments psychologiques inhé-
rents à la situation du chercheur s'ajoutent aux difficultés techniques de la prévi-
sion d'un budget.
Soumis, sur le plan de la dimension de l'enquête, à ceux qui le financent, le
chercheur en dépend aussi par rapport au temps.
Lepoint de vue du chercheur, centré sur l'aspect scientifique de la recherche et
celui de l'utilisateur, préoccupé d'obtenir au moindre coût une solution rapide à
ses difficultés, diffèrent et posent un problème de coordination et de compromis
délicat. C'est la raison pour laquelle de nombreux chercheurs préfèrent un travail
moins rémunéré, mais libre, à une situation plus lucrative mais plus dépendante
du secteur privé2.
538 Les données qualitatives révèlent des faits o Il ne s'agit plus ici
d'éléments surprenants, mais de faits révélateurs de phénomènes plus
importants, et parfois inaccessibles directement.
1. Cf. n° 820.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 555
variable variable
inépendante dépendante
lieu du service moral
L'explication de ce mauvais moral ne se trouve-t-elle pas dans le temps
passé au service, plus court dans le cas des soldats envoyés outre-mer ?
Un tableau à double entrée permet de vérifier la corrélation entre le
mauvais moral et le stationnement outre-mer, mais n'indique pas si
d'autres facteurs sont en cause. Pour le savoir, il faut décomposer les
groupes en s9us-groupes et comparer des sous-groupes de soldats outre-
mer et aux Etats-Unis, en fonction de la durée. Si la durée est la cause
~ssentielle du mauvais moral, des groupes de soldats outre-mer ou aux
Etats-Unis, ayant la même durée de service, ne devraient pas présenter de
différence. Le facteur suspect étant éliminé par le fait qu'il est tenu
constant dans les deux sous-groupes, la relation de cause à effet apparaît
ou non entre les autres éléments.
La difficulté consiste d'abord à détecter les variables qui peuvent intervenir en
dehors ou à l'intérieur de la corrélation apparente, ensuite à épurer la relation
dans des situations complexes, où quantite de facteurs peuvent etre mêlés. Dans
1. In R. K. Merton and P. Lazarsfeld(1950).
2. Goode et Hatt (1952, B. 198), p. 355.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 561
antécédent 0-
variable
0-
test variable
0
variable
in dépendante intervenante de pendante
dortoir mixte
.
avoir un ami
. attitude vis-à-vis
noir des noirs
546 La spédficatlon o Alors g_uedans les deux cas précédents le problème consiste
à savoir, en tenant un troisieme facteur constant, si la corrélation disparaît ou
pas, on cherche par la spécification, dans quelle mesure varient les effets de la
cause supposée, sous l'influence de variables qui, sans être des causes, exercent
une influence. Autrement dit, alors qu'explication ou interprétation forment la
première étape: celle qui consiste à savoir si l'on a bien saisi la relation de cause à
effet (ce qui suffit à un grand nombre de chercheurs), la spécification représente
un approfondissement et un raffinement de la recherche, elle permet d'indiquer à
quelles conditions une corrélation donnée est plus ou moins active et manifeste.
Par exemple, étant donnée la corrélation entre le rang et l'éducation dans l'ar-
mée, on peut se demander quels facteurs renforcent le lien entre les deux
variables. On a pu observer, grâce à un nouveau tableau à double entrée, compa-
rant non seulement l'éducation, le grade, mais deux sous-groupes, l'un ayant
servi moins de deux ans, l'autre plus de deux ans, que la corrélation entre le rang
et l'éducation était plus élevée pour ceux qui étaient entrés tôt dans l'année.
Ces quelques indications et exemples d'analyse suffisent à montrer
que, la question essentielle de l'analyse secondaire se résume à ceci: que
faut-il chercher et quelles variables isoler ? La réponse dépend, d'une part,
de l'imagination et de la persévérance du chercheur, de sa connaissance
du domaine observé et d'autre part de la richesse des matériaux recueillis.
547 2° Effet des enquêtes ◊ On a indiqué à propos de la phase prélimi-
naire de l'enquête, que le chercheur, quel que soit le type de recherche,
devait toujours se montrer prudent quant au choix du sujet, à la tech-
nique à employer, aux questions à poser, enfin quant aux répercussions
possibles de l'enquête, compte tenu de la situation du milieu enquêté.
L'enquête n'est jamais quelque chose d'indifférent Elle fait toujours plus
ou moins réagir. En général, poser des questions fait réfléchir celui qui
doit répondre. L'enquête peut troubler ou cristalliser l'opinion des enquê-
tés, mais la connaissance des résultats de la recherche peut être encore
plus explosive. Ce danger est d'autant plus grand que le milieu enquêté
est plus réduit et son état de tension plus élevé. Dans un atelier sur le
point de se mettre en grève, la communication aux ouvriers des résultats
de l'enquête que l'on vient de terminer dans l'entreprise, aura des réper-
cussions plus graves que la publication dans un journal des résultats
d'une simple enquête d'opinion 1. On appelle effet de« feedback2 », les
réactions du milieu enquêté, sa prise de conscience des problèmes lorsque
les résultats de l'enquête lui sont communiqués.
Ces réactions sont parfois volontairement utilisées pour obtenir des modifica-
tions d'attitude et constituent (cf. n°' 891 et s.), des éléments actifs de l'interven-
tion psychosociologique. Même en dehors d'une recherche en milieu clos, au
niveau plus vaste et impersonnel d'une enquête d'opinion, le fait pour les tenants
de telle ou telle position politique de pouvoir se compter, n'est pas sans impor-
tance. En cas d'élection, il peut influencer le vote et entraîner ce que les Améri-
cains appellent l'effet de bandwagon3 que traduit l'expression« voler au secours
de la victoire».
Une enquête d'exploration sur le terrain ne soulève pas les mêmes pro-
blèmes techniques qu'une recherche de diagnostic, proche de l'expéri-
mentation. Dans cette dernière, la rigueur des étapes, les conditions dans
lesquelles s'est déroulée l'expérience, les éléments de preuve concernant
les résultats, leur vérification, déterminent la valeur de l'enquête. La part
concernant la méthode doit être très complète. Un ouvrage conçu pour
un public large devra, au contraire, se contenter d'indiquer rapidement la
façon dont les matériaux ont été recueillis. Une formule commode
consiste à renvoyer en annexe les parties les plus techniques. On n'alour-
dit pas ainsi l'ensemble du texte et le spécialiste peut tout de même trou-
ver les renseignements qui l'intéressent.
Le chercheur ne doit pas, dans sa publication, consacrer à ses diffi-
cultés méthodologiques une part proportionnelle à la peine qu'elles lui
ont causé, mais seulement une part en rapport avec l'intérêt qu'elles pré-
sentent pour l'enquête et les lecteurs. De toute façon, un bon compte-
rendu doit demeurer très proche de la réalité de l'enquête et des
démarches qui l'ont inspirée, non pas de toutes ses vicissitudes mais du
moins de son esprit Le travail sur le texte est en quelque sorte l'alambic
d'où sortira le meilleur, l'essence du travail accompli.
Il est un reproche très général que l'on peut adresser même à ceux qui
donnent des indications méthodologiques suffisantes, c'est leur tendance
à camoufler les difficultés rencontrées. Les comptes-rendus d'enquête
gardent trop souvent une allure académique, dissimulant soigneusement
tous les faux pas pour qu'apparaissent seuls les résultats élaborés, figno-
lés. Le travail terminé, on se refuse à laisser voir les échafaudages grâce
auxquels on l'a accompli. Or ce qui intéresse les lecteurs à l'esprit scienti-
fique, ce sont justement les difficultés rencontrées. Telle question s'est
révélée ambiguë, telle démarche eût été plus rentable si elle avait été faite
plus tard, etc. Autrement dit, si les renseignements méthodologiques sont
utiles sur le plan scientifique, comme garantie de validité de l'enquête et
pour situer le niveau des résultats obtenus, ils sont encore plus intéres-
sants et même indispensables, en tant qu' expérience méthodologique. Les
récits honnêtes et complets sont les plus instructifs 1. Le rapport Kinsey,
par exemple, est souvent cité non pour la nouveauté du sujet qu'il aborde,
mais pour la très large place qu'il accorde à la méthodologie.
Il est d'autant plus difficile de mener à bien cette lutte pour la vérité
concrète, que la tendance à camoufler ne provient pas seulement des
mauvaises habitudes prises, mais aussi de raisons matérielles: dimen-
sions des publications et prix de revient. On ne publie que l'essentiel, et la
méthodologie, n'étant pas le souci majeur, est sacrifiée.
552 Le langage ◊ Un probl~me important: celui du langage et non pas
seulement celui du style. Economistes et surtout sociologues, du fait des
nouveaux domaines qu'ils ont abordés depuis l'après-guerre, n'ont pas
1. Nous nous sommes réjouis, ayant lutté dans ce sens, de découvrir que Lazarsfeld note aussi
combien l'enseignement de la méthode est handicapé par le manque de matériel approprié. Les
« produits finis» cachent les étapes de la recherche dont les étudiants ne peuvent alors plus profiter.
Cf. Lazarsfeld,Actesdu IV"Congrèsinternationalde sociologie,19 59, p. 78.
566 ÉTAPESCOMMUNES A TOUS LESTYPES D'ENQUÊTE
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en sdencessociales,Textes, L'Harmattan, 160 p.
568 ÉTAPESCOMMUNES A TOUS LESTYPES D'ENQUÊTE
LESTECHNIQUES
DOCUMENTAIRES
On examinera les diverses sources documentaires : documentation
écrite, documentation visuelle ou audiovisuelle, ensuite les techniques
d'étude de documents 1.
1. Il ne s'agit pas ici bien entendu de dresser une liste exhaustive, mais d'indiquer quelques
sources essentielles de documentation et le type de problèmes qu'elles soulèvent.
DOCUMENTATION ÉCRITE 573
CHAPITRE1
LESSOURCES
DE DOCUMENTATION
masse d'informations faisait défaut jusqu'à une époque récente. Même le déve-
loppement de la comptabilité, pourtant liée à la fiscalité, est bien postérieur à l'ex-
tension de celle-ci.
Intéressantes ou pas, complètes ou partielles, organisées ou non, les
archives privées, autant sinon plus que les archives publiques, opposent
au chercheur l'obstacle du triple secret : de la politique, des affaires, des
familles. Parfois des autorisations sont obtenues sur le plan local ou per-
sonnel, mais les difficultés demeurent grandes.
559 3° Les statistiques ◊ Ce sont des documents chiffrés ayant pour but
de dénombrer soit les individus eux-mêmes (nombre de naissances ou de
décès), soit des éléments de production, soit des événements ou faits
(nombre de crimes, nombre d'accidents). Le recensement des habitants
est une pratique fort ancienne qui, à l'heure actuelle, ajoute à son carac-
tère initial, fiscal et militaire, un but économique et administratif, d'où
l'extension des renseignements demandés. Les statistiques se sont multi-
pliées à titre d'éléments d'information, pour un État devenu de plus en
plus planificateur et interventionniste. Le caractère plus complexe de l'ad-
ministration a augmenté le nombre de documents statistiques dans les
hôpitaux, la sécurité sociale, etc. 1.
Les États-Unis, pays riche aimant les bilans chiffrés, ont toujours refusé la cen-
tralisation de la statistique, pour éviter la tentation de manipulation qu'elle ins-
pirerait probablement. Chaque ministère, chaque entreprise dresse donc les statis-
tiques qui l'intéressent. Il n'existe pas de lieu où toutes les données chiffrées
soient recueillies. La statistique et la police, pour des raisons politiques, se
conçoivent mal, unifiées 2 •
Cependant par le biais des multinationales, les E.-U. recueillent, ~râce à des
réseaux de communications qui leur appartiennent ( satellites ou cables sous-
marins), des données économiques en provenance de nombreux pays, en parti-
culier de la France, qui eux-mêmes ne possèdent pas ces informations.
560 a) Établissement des statistiques ◊ Les statistiques sont constituées
soit directement,à intervallesréguliers,c'est le cas des recensements géné-
raux de populagon eff~ctués par l'I.N.S.E.E. (Institut National de la Sta-
tistique et des Etudes Economiques), soit de façon continue,(l'évolution
du chômage). Les statistiques peuvent être dressées de façonindirecte,en
relevant des indices considérés comme significatifs et en extrapolant, par
exemple le dénombrement de la population non par individus, mais par
foyers ou ménages.
C'est l'exemple classique de l'évaluation de la fortune nationale par l'annuité
successorale. On part du principe que chaque héritier profite de son héritage envi-
ron trente ans. Le chiffre des successions d'une année représenterait donc (s'il
était exact), 1/30• de la masse des capitaux privés, et il suffirait alors de le multi-
plier par 30 pour obtenir le chiffre total de la fortune nationale. Une autre
méthode consiste à dénombrer suivant la technique du sondage par échantillons.
1. J.-P. Poisson (1974).
2. Les pays totalitaires avec leurs systèmes planificateurs visent au contraire à établir des statis-
tiques permettant des décisions d'ensemble. Les pays démocratiques prennent des mesures pour pré-
server la vie privée et la liberté individuelle.
576 LES SOURCES DE DOCUMENTATION
hiérarchie des salaires, elles ont été critiquées puis modifiées pour le
recensement de 1982 1. Elles dépendent en partie de l'opinion et de l'état
d'esprit des enquêtés. Les recherches sur la mobilité sociale sont de ce fait
très délicates.
L'importance des définitions exige donc non seulement un travail de
précision dès la conception de l'enquête, mais un travail d'information
des enquêtés sur le terrain.
D. Merllié (1989) donne l'exemple très convaincant d'une enquête sur la
contraception. De nombreuses femmes pour lesquelles seuls le stérilet et la pilule
correspondaient à l'usage de moyens contraceptifs, répondaient honnêtement ne
pas utiliser de méthode contraceptive. Afin de réduire l'écart entre la définition du
code de l'enquêteur et le flou de la notion des enquêtées, il fallut donner des
informations complémentaires sur les divers modes de contraception, reposer des
questions de plus en plus précises. Sans ces précautions, 21 % des femmes inter-
rogées n'auraient pas éte comptabilisées comme prenant des mesures pour
contrôler leur fécondité.
L'écart entre les définitions des enquêteurs et des enquêtés nuit à la
validité des résultats mais il y a plus grave encore, c'est l'écart entre les
définitions des divers organismes chargés des enquêtes statistiques. C'est
le problème soulevé par la pluralitédessourceset des indicateurssur un
même sujet. Ces résultats différents rendent les comparaisons et l'étude
des évolutions impossibles.
Leschiffres de chômage suivant les D.E.F.M. (demandeurs d'emploi en
fin de mois) comptabilisés par l' A.N.P.E. (Agence nationale pour
l'emploi) et ceux recueillis par la P.S.E.R.E.(population sans emploi à la
recherche d'un emploi) et du chômage au sens du B.I.T. (Bureau inter-
national du travail), chiffres retenus par l'I.N.S.E.E. (Institut national de
la statistique et des études économiques) sont différents 2 .
Même dans le cas d'une définition formelle constante, les résultats
varient en fonction des diverses modalitésd'enquête. Une comparaison
entre les résultats du recensement et ceux de l'enquête sur l'emploi, effec-
tués à la même époque en 1975, fait apparaître ces écarts: environ 1/5
des hommes et 1/3 des femmes P.D.R.E. (population disponible à la
recherche d'un emploi) dans l'enquête, sont comptabilisés autrement
dans le recensement de la population, tandis qu'un tiers des hommes et
la moitié des femmes P.D.R.E. au recensement, figurent dans d'autres
catégories dans l'enquête 3• Cette constatation a amené à modifier le
questionnaire du recensement de 1982.
Plus surprenant encore, une même enquête peut recueillir des données
différentes simplement parce qu'elle est répétée, comme si le passage de
l'enquêteur auprès d'un échantillon dont 2/3 des enquêtés sont nou-
veaux, incitait le 1/3 des anciens enquêtés à se déclarer moins souvent
chômeurs que les autres.
1. Les ouvriers agricoles ne sont plus comptés parmi les agriculteurs mais dans la catégorie
ouvriers.
2. J.-L.Besson et al. (1981, 1986), M. Cezard (1981), D. Merllié (1989).
3. Le fait que l'écart soit net surtout chez les femmes, permet de se demander si plutôt que de
«défauts» du recensement ou de l'enquête, il ne s'agit pas de différences de définitions du chômage
et de l'emploi suivant le sexe, cf. D. Merllié (1982, 1987, 1988, 1989).
580 LES SOURCES DE DOCUMENTATION
§ 2. La presse
On retrouve en ce qui concerne la presse, la distinction signalée à pro-
pos de la documentation. On peut étudier la presse en elle-même en tant
que reflet des tendances des divers secteurs d'une époque et la presse en
tant que source de renseignements.
1. Issu de la création en 1947 de la Sté Elmo Roper and Associates qui stocke les résultats des
enquêtes de la Revue Fortune.
2. International Federation of Data Organisation for the Social Sciences.
3. Consortium européen pour la recherche politique.
4. Sur le plan politique, grâce à l' European
politicaldataNewsletiter.Revue trimestrielle créée en
1971 par S. Rokkan.
5. J. Frisch, B. Gauche (1981).
582 LES SOURCES DE DOCUMENTATION
pour éviter les coups de soleil, etc., mais évoquera ce que peut ima-
giner l'acheteur éventuel: le sable chaud, les vacances, la mer, de jolies
filles, etc.
On peut remarquer que la publicité commerciale et une certaine forme de pro-
pagande politique ont des objectifs très voisins. Il s'agit de faire croire au lieu de
fa.ire acheter, mais dans les deux cas de persuader. La connaissance des méca-
nismes psychologiques est essentielle.
Cependant, les Français tout en méprisant la politique sont encore réticents à
l'idée de traiter les idées politiques comme des savonnettes ou des marques de
cirage.
568 2° Annuaires et bottins ◊ Leur intérêt consiste à permettre de trou-
ver facilement des détails sur la carrière de certaines personnalités :
annuaires des administrations, des membres des cabinets ministériels,
etc., ou étudier la composition et l'origine de certains grands corps de
l'État. Ce sont là des indices utiles pour une étude de la mobilité sociale et
des circuits d'ascension les plus utilisés. Il faut se méfier de la façon dont
les dictionnaires biographiques sont établis. Certains contiennent les
noms de ceux qui souscrivent pour le plaisir d'y figurer et constituent un
échantillon d'individus souhaitant voir reconnue leur réussite, plutôt que
d'individus ayant réussi.
569 3° Les œuvres littéraires ◊ Il s'agit ici de ce qui est édité et qui peut
être étudié à des points de vue très différents.
570 a) La littérature pour enfants et adolescents ◊ Le contenu de
cette littérature est-il poétique, scientifique ? quel pourcentage de bandes
dessinées comporte-t-il ? Les thèmes plus fréquemment utilisés : mythe
du héros, violence ou altruisme, etc., indiquent l'orientation de la jeu-
nesse d'une époque, mais en même temps la formation qu'elle reçoit. A
ce point de vue, les livres d'histoire sont particulièrement révélateurs des
valeurs auxquelles un pays est attaché, de la formation du sens national,
mais aussi du sens international. L'U.N.E.S.C.O. a organisé des commis-
sions d'études des livres de classe pour s'occuper de ces problèmes.
5 71 b) La littérature elle-même ◊ En dehors des récits historiques :
mémoires de guerre, récits de grève, souvenirs de la résistance, l'ouvrage
même le plus romantique ou le plus dépourvu d'arrière-pensées sociales,
reflète toujours, plus ou moins, les problèmes d'une époque ou d'une
classe. Certaines œuvres peuvent même être considérées comme de véri-
tables documents: l'œuvre de Marcel Proust ou les Thibautde Roger Mar-
tin du Gard, pour la période d'avant 1914. Au théâtre, les personnages de
Dumas fils, de Bernstein ou d'André Roussin, sont les représentants
d'une certaine société et d'un certain genre de vie.
très grand nombre constituent avant tout, pour leur auteur, un moyen de se justi-
fier ( cf. nombre de mémoires parus après la guerre) ou de se glorifier.
L'oubli conscient ou non, de certains faits, la restructuration après coup, le tri,
la simplification ou l'embellissement des souvenirs, jouent évidemment dans les
documents écrits, mais ils existent également, nous le verrons, comme facteurs de
distorsion dans les réponses aux interviews.
Il semble que les causes d'erreurs tiennent plus encore à l'individu et à
son expérience vécue, qu'à la technique écrite ou orale, par laquelle l'in-
formation est recueillie. Dans quellesconditions le document a-t-il été
composé?S'agit-il de mémoires écrits après coup et pour qui ? pour la
famille ? pour la publication ? du vivant de l'auteur ou après sa mort ?
Y a-t-il eu d'autres mémoires publiés sur les mêmes événements? sur la
même période ? Question capitale : l'auteur a-t-il été le témoin direct des
événements qu'il relate, a-t-il été de ce fait attaqué personnellement ? Les
mémoires destinés à la publication ont a priori plus de chances de traves-
tir la réalité, que des journaux intimes enfouis dans un grenier de cam-
pagne.
L Gottschalk 1 signale quelques éléments qui peuvent être considérés comme
indices de la véracité des informations : quand les faits sont indifférents au
témoin, on peut supposer qu'il dit la vérité à leur sujet. De même quand les évé-
nements relatés sont en contradiction avec ce que le témoin avait prédit, ou
encore quand ils lui sont plutôt défavorables, il y a des chances pour qu'ils soient
vrais. Enfin il est rare que l'on invente à propos de faits très connus.
D'autres erreurs peuvent provenir du chercheur, surtout dans le cas où
il s'agit de documents devant être interprétés en fonction d'un contexte
mal connu. S'il s'agit du passé, le chercheur sans formation historique
sérieuse risque d'expliquer certaines réactions, certains mots, en fonction
de valeurs ou de significations modernes. Le document peut aussi prove-
nir d'une culture ou d'un groupe social différent, trop étranger au cher-
cheur, ou encore l'auteur du texte (c'est souvent le cas) suppose connus
certains événements, ou certaines données qu'il ne précise pas. Ce genre
d'inexactitudes est plus facilement évité dans les interviews où l'on peut
poser des questions.
575 b) Les possibilités de prédiction ◊ Certains auteurs ont voulu véri-
fier la validité de la prédiction émise d'après des documents écrits et
comparer les résultats ainsi obtenus à ceux d'autres techniques. La pre-
mière expérience a été tentée par D. Cartwright et J. French 2 . Ils ont
comparé les performances d'individus, c'est-à-dire leurs réponses à des
questionnaires de personnalité, au diagnostic formulé par des psycho-
logues sociaux, après lecture des journaux intimes de ces mêmes indivi-
dus. Ils ont fait cette constatation curieuse: la validité de l'interprétation
des deux psychologues, c'est-à-dire la justesse de leurs prévisions, était
plus grande que leur fidélité, ou la conformité entre les deux com-
mentaires. Vraisemblablement, chacun avait vu de façon exacte certains
1. L. Gottschalk (1954. B 275).
2. Cit. in L. Festinger (1959), p. 360 et R.C. Angell et D. Friedman (1959).
DOCUMENTATION ÉCRITE 587
que l'on ne peut rien y ajouter. Si l'auteur est libre de son expression, il
est aussi limité par sa propre vision des choses. Il peut oublier, ou ne pas
voir l'intérêt de tel fait et l'enquêteur doit se contenter de ce qu'on lui
apporte. Il existe deux moyens de parer à cet inconvénient majeur. D'une
part le chercheur doit savoir que pour obtenir une information complète,
il vaut mieux limiter sa demande quant à la période et au contenu envisa-
gés. « Plus le champ que décrit l'information personnelle est restreint,
plus il y a de chances pour que le document fournisse tout le matériel qui
importe théoriquement à l'enquête 1. »
D'autre part, le chercheur peut indiquer d'avance aux enquêtés quel-
ques points qui l'intéressent, mais cet inconvénient du document écrit:
ne pouvoir être complété, est compensé par un avantage: !'enquêté, s'il
ne dit pas tout ce qu'il sait, ou ce qu'attend de lui le chercheur, ne subit
du moins pas son influence; il écrit plus librement qu'il ne répondrait
aux questions de l'enquêteur. Cependant il ne faut pas exagérer la plus
grande véracité du document écrit, car il demeure soumis à toutes les
causes d'erreur imputables aux systèmes d'auto-notation, d'introspec-
tion, etc.
578 La. gêne de l'écriture ◊ Un élément capital limite l'emploi des bio-
graphies écrites : le fait que le nombre de ceux qui ne savent pas s'expri-
mer par écrit, est plus élevé que celui des enquêtés gênés pour répondre
oralement. Cette inégalité rend impossible la constitution d'échantillons
représentatifs. En supposant même que tous les enquêtés sachent écrire,
on peut admettre que ceux qui acceptent de le faire se recrutent parmi les
types d'individus ayant une plus forte surcharge émotive à défouler. Pour
éviter cette difficulté, un ethnologue O. Lewis (1953) a enregistré des
récits biographiques. Le procédé est à mi-chemin entre l'interview et la
biographie. Le temps passé à gagner la confiance des enquêtés et à les
habituer à parler devant un magnétophone paraît un inconvénient
sérieux, de plus la garantie concernant l'identité de !'enquêté et celle de
l'enquêteur n'est pas toujours assurée.
579 La. difficulté d'analyse ◊ Ajoutons enfin, dernier inconvénient des
biographies écrites, la difficulté d'analyser et de codifier le contenu. Nous
retrouverons cet obstacle à propos des questions ouvertes dans les inter-
views. Elle est accrue ici par le fait que faute de question posée, chaque
individu donnera quantité d'informations intéressantes en elles-mêmes,
mais souvent difficiles à rapprocher de celles des autres. Il faudra un gros
travail pour arriver à classer les informations et surtout pour les totaliser.
Certains auteurs ont essayé d'améliorer le traitement des documents
expressifs écrits en le rendant plus rigoureux et plus quantitatif, par des
notations en catégories. Cependant la différence entre la mesure d'une
attitude obtenue grâce à un document biographique et celle établie à
l'aide d'un questionnaire d'opinion oral, provient moins du contenu que
du stimulus, qui dans le deuxième cas est oral et provoque une réponse
1. L. Festinger (1959), Vol. I, p. 357.
DOCUMENTATION ÉCRITE 589
orale. Mais la variété des réponses, les lacunes, peuvent rendre difficile la
construction d'échelles.
Les documents expressifs sont surtout utiles au stade de la préenquête,
pour découvrir l'univers des enquêtés, éveiller l'imagination du cher-
cheur, le sensibiliser aux problèmes. il convient ensuite, pour vérifier les
hypothèses émises, de compléter ces informations et d'employer des tech-
niques plus maniables.
580 Valeur scientifique des récits de vie 1 ◊ En ce qui concerne la vali-
dité et la fidélité, il faut souligner que les deux notions telles qu'elles sont
habituellement définies (cf. n° 289) ne s'appliquent pas. La validitédu
document ou du récit implique de la précision de la part du chercheur,
mais ce que peut révéler de lui-même l'informateur, même en falsifiant
les faits peut être plus intéressant que les faits eux-mêmes. Quant à la
fidélité elle ne s'impose plus de la même façon au chercheur. Au
contraire, son attitude sera à l'opposé de la neutralité requise de l' enquê-
teur habituel. Des liens de sympathie, de confiance sont nécessaires pour
inciter le narrateur à se raconter. Catani 2 parle même de « love stozy ».
Les enquêteurs ne sauraient être interchangeables suivant le modèle pro-
posé aux autres techniques.
L'intérêt des« récits de vie» est certain. En dehors des matériaux qu'ils
permettent de recueillir, ils présentent une incomparable occasion de tra-
vail pluridisciplinaire, déjà l'histoire 3 , l'anthropologie 4, la sociologie 5, la
science politique 6 les utilisent et n'ont plus qu'à joindre leurs efforts. En
revanche, on peut s'inquiéter : 1°, de cette brusque prolifération de tra-
vaux et surtout d'enthousiasme, comme s'il s'agissait d'une découverte et
d'une nouvelle sociologie7 ; 2°, de l'absence de rigueur des définitions et
des méthodes. Les commentaires sur les récits de vie découvrent des pro-
blèmes déjà connus des techniques habituelles des sciences sociales; 3°,
enfin et surtout, la liberté laissée aux chercheurs rend probable la produc-
tion de travaux non seulement de qualité très inégale quant à leur intérêt,
mais surtout quant à leur valeur scientifique. Combien de chercheurs
passionnés s'interrogeront sur ce qu'ils cherchent... et surtout la nature
de ce qu'ils trouvent?
580-1 Bibliographie 8 ◊
- Actes del'Assoc.Histoireau présent1985. Problèmes et méthodes de la
biographie. Sorbonne.
AmCHARDQ.) éd. 1987. - L'enquête sur l'emploi, Pour une histoirede la
statistique,t. 2, Matériaux,Paris, Economica-INSEE, pp. 87-115.
1. E. de Dampierre (1957), D. Maladenat (1985), M. Grawitz (1986).
2. In D. Bertaux (1981).
3. P. Joutard (1979), Annales (1980), F. Raphaël (1980), F. Torres (1985).
4. E. Morin (1980).
5. D. Cartwright (1953 B 486), D. Bertaux (1976, 1981), E. Campelli (1977), Y. Chevalier
(1979), C. Thompson (1980).
6. B. Glad (1973).
7. D. Bertaux (1976).
8. Pour les biographies cf. également n• 275.
590 LES SOURCES DE DOCUMENTATION
SECTION2. DOCUMENTATION
D'UNE AUTRENATURE:
DESSINS, ENREGISTREMENTS,
OBJETS,PHOTOGRAPHIES,FILMS
Lesdocuments écrits expriment les valeurs d'une civilisation. Lesobjets
eux aussi, sont non seulement intéressants par ce qu'ils signifient, mais
également en ce qu'ils révèlent les progrès de la technique.
§ 1. Les objets
581 Aspects de leur étude ◊ Les objets qu'étudient avec tant de soin les
ethnographes sont à considérer sous divers aspects. D'une part pour
situer le niveaud'évolutiond'une civilisation: objets de bronze ou de fer et
plus proche de nous, nombre de voitures, de téléphones, d'appareils de
télévision ou de machines à laver ; mais aussi pour étudier le sensde cette
évolution.La technologieest une des branches des sciences sociales qui étu-
die les outils et instruments dont se servent les hommes et les consé-
quences sociales des progrès techniques. Depuis l'usage de la lunette, en
passant par celui de l'étrier, de la découverte de la roue, jusqu'au progrès
de l'automation, la sociologie et la science politique peuvent tirer des
informations importantes des matériaux apportés par la technologie.
Le marxisme considère comme fondamental le rôle joué par les moyens de
production et l'infrastructure de la société, pour déterminer les superstructures ou
formes que revêtent les rapports sociaux, politiques, etc. Plus près de nous, de
nombreux auteurs se sont penchés sur les distinctions qui se précisent à l'inté-
rieur de la classe ouvrière, en fonction des progrès techniques, en particulier de
l'automation.
Enfin l'étude peut porter sur la signification des objets,soit l'objet-
symbole, lié à un rite, mais ayant une signification propre : l'anneau dans
596 LES SOURCES DE DOCUMENTATION
§ 2. L'iconographie
582 Domaine ◊ L'iconographie comprend la documentation par l'image
autre que la photographie, c'est-à-dire dessins, gravures, peintures, etc.
Cette documentation est pour le passé extrêmement précieuse, puis-
qu'elle est le seul témoignage réel de l'aspect humain de la vie. Les musées
possèdent des vêtements d'époques révolues. Seuls les tableaux nous ren-
seignent sur ceux qui les portaient; de même en ce qui concerne les
meubles, c'est grâce aux gravures et tableaux que nous reconstituons le
cadre de vie, l'ambiance d'une époque.
Les dessins des vases antiques, ancêtres des dessins animés, nous ren-
seignent sur la vie quotidienne des individus. A l'époque actuelle, la pein-
ture, ses tendances, sont très significatives3 •
582-1 Tags et graffiti 9 Le tag est une variété particulière de graffiti qui a
pris naissance aux Etats-Unis en 19 70 sous la forme de l'inscription d'un
nom en lettres stylisées,répété à des dizaines d'exemplaires. Ce nom n'est
pas celui du tagueur, mais le surnom qu'il emprunte, le plus souvent à un
univers de légende (bande dessinée, cinéma), suivi du numéro de la rue
où il habite. Le tag ne mentionne aucune revendication. Il est autocentré,
1. Cf. n• 126.
2. (1949, 1950, 1957).
3. Cf. l'importance attachée à la signification idéologique de la peinture abstraite, en U.R.S.S.
sous Staline.
DOCUMENTATION D'UNE AUTRE NATURE 597
CHAPITRE2
LESMÉTHODES
ET TECHNIQUESD'ÉTUDE
DE DOCUMENTS
que le principe qui l'unifie 1 ». Ceci n'implique pas que la signification concep-
tuelle de l'œuvre soit sans importance, mais l'objet à saisir est une signification
totale, devant laquelle la vieille distinction entre le fond et la forme, entre la pen-
sée et le style est irrecevable. « Pour avoir l'âme de l'œuvre il n'est pas d'autre
fenêtre que sa chair 2 • » D'où la place secondaire où seront reléguées les sources
livresques, les influences, tout ce qui paraissait essentiel à la tradition de Lanson.
Sur le plan technique il ne s'agit plus seulement de rechercher à travers
une œuvre la structure d'une pensée, mais, plus simplement, de ne pas
isoler un texte de ce qui l'entoure.
§ 1. Notions générales
589-1 La communication ◊ Les techniques des sciences sociales, comme
celles des sciences de la nature, que ce soit par l'observation, l' expéri-
mentation, l'enquête sur le terrain ou l'analyse de documents, pour-
suivent le même but: recueillir des informations, des matériaux, des don-
nées. Mais les matériaux que les sciences sociales offrent à notre réflexion
ont ceci de particulier qu'ils sont en grande partie composés de communi-
cations, qu'il s'agisse de communications orales: textes de discours,
comptes rendus d'entretiens, ou de communications écrites:textes offi-
ciels, articles de journaux, ceci aussi bien dans le domaine historique que
dans celui des lettres ou de la politique.
Il ne faut pas confondre communication et information. Cette der-
nière est seulement un fragment qui peut se cumuler avec d'autres. La
communication est plus globale. Elle prend en compte l'ensemble de ces
fragments, les interprète en fonction de la représentation que s'en font
l'émetteur et le récepteur. Prend en compte comment ? Interprète dans
quel sens? D'après quels points de repère?
L'utilisation de plus en plus répandue d'ordinateurs permet le traite-
ment de données plus nombreuses. Enfin la multiplication des informa-
tions issues des moyens de communication incite à tent.er de mesurer
leur influence. Ce chapitre intéresse particulièrement les hommes poli-
tiques à la recherche du dialogue, du consensus, etc. 3, mais aussi les lin-
guistes, les sociologues et les politologues que le structuralisme et le systé-
misme 4 ont préparé à ce type d'approche.
Tout ceci aboutit à un foisonnement de recherches sur la communica-
tion, bien qu'il n'existe pas plus que dans les autres sciences de définition
acceptée par tous, ni en admettant qu'elle soit possible, une véritable
théorie de la communication.
1. G. Poulet (1959), J. P. Weber (1960, 1964, 1966), R. Barthes (1965, 1968), R. Picard (1965),
S. Doubrovski (1966), R. E. Jones (1968).
2. Cf., Le Monde,27 fév. 1963, p. 9. P.-H. Simon, La vie littéraire.
3. Cf. n° 238-1.
4. Cf. n°' 367 et s., 382 et s.
606 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS
1. P. Stone (1966).
2. Op. dt.
3. H. D. Lasswell (1949, 1952).
608 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS
Pendant le dernier conflit mondial, l'analyse de contenu faisait partie des moyens
de défense militaire ; des experts de la radio de Londres traitaient systématique-
ment la masse de communications diffusées par la propagande nazie. Ils avaient
si bien pénétré les mécanismes de l'adversaire qu'ils arrivaient à prédire certains
événemep.ts à partir des informations elles-mêmes.
Aux Etats-Unis également, l'analyse de contenu systématique était utilisée
régulièrement, c'est ainsi que l'étude de documents de l'agence Transocean per-
mit d'identifier ses représentants comme étant des agents nazis.
Après une période d'enthousiasme pour la quantification, le décou-
ragement s'était emparé d'un certain nombre de chercheurs, déçus sans
doute, parce qu'ils attendaient de cette méthode plus qu'elle ne pouvait
apporter. On paraît avoir abordé ces dernières années une deuxième
étape. D'une part, les machines offrent à l'heure actuelle d'immenses
possibilités de recherches, d'autre part, les limites de l'analyse quantita-
tive étant mieux connues, on l'utilise à meilleur escient et surtout on
tend à la compléter par des emprunts à la linguistique.
591 Divers types d'analyse de contenu: 1° Analyse d'exploration ou
de vérification. Analyse dirigée ou non dirigee ◊ Insistons
d'abord sur la distinction capitale propre à toutes les recherches de
sciences sociales: la distinction entre l'analyse de documents ayant pour
but la vérificationd'une hypothèse,analyse dont l'objectif est précisé, qui
sait ce qu'elle cherche et quantifie ses résultats et celle dont le but
consiste d'abord à explorer.Il est évident que la première est plus facile-
ment rigoureuse et systématique. Un certain nombre de règles lui sont
déjà applicables et elle bénéficie d'une technique accessible.La recherche
d'hypothèses, en revanche, ne peut jamais être standardisée, car elle fait
avant tout appel à l'intuition et à l'expérience.
Si l'on veut classer, en vue d'une quantification, certains éléments
significatifs dans une documentation, il faut savoir ce que l'on veut
dénombrer. Comme le remarque AL. George (1959), lorsque l'on effec-
tue des analyses de contenu quantitatives sur un grand nombre de don-
nées, sans l'aide d'hypothèses nettes, on gaspille en général son temps et
ses efforts. Sur le plan de la systématisation, il faut admettre l'analyse
dirigée, mais en reconnaissant ses inconvénients : le risque de laisser les
éléments essentiels, mais imprévus, en dehors du champ d'étude.
592 2° Analyse quantitative, analyse qualitative ◊ L'analyse de
contenu née d'une volonté de quantification en réaction contre l'analyse
littéraire, considérait la notion de qualitatif comme exclue de ses préoc-
cupations et opposait le qualitatif et le quantitatif: impressionnisme
contre systématisation, hypothèse au lieu de vérification, souplesse ou
rigidité. A L. George retient comme seule différence essentielle le fait que
l'analyse qualitative repose sur la présenceou l'absenced'une caractéris-
tique donnée, tandis que l'analyse quantitative recherche la fréquencedes
thèmes, mots, symboles retenus.
Sans doute l'analyse quantitative peut-elle se préoccuper également de la pré-
sence ou de l'absence de certains attributs, mais cet élément n'est retenu qu'en
L'ANALYSE DE CONTENU 609
tant que distribution de fréquence, d'où l'on tirera des conclusions. Pendant la
guerre, le commentateur de la radio nazie, traitant des succès des sous-marins
allemands, déclara : « Nous ne sommes pas assez naïfs pour spéculer sur le futur
à partir de cette victoire. » Cette petite phrase isolée dans une propagande eupho-
rique, n'aurait pas été retenue dans une analyse quantitative. Sur le plan qualitatif
elle était extrêmement intéressante, comme début de mise en garde du public
allemand contre des déceptions futures.
Plus que les notions de présence ou fréquence (tout ce qui est présent
n'intéresse pas forcément l'analyse qualitative), nous serions tentés de
voir la différence entre les deux types d'analyses, dans la façon dont elles
conçoivent la notion d'importance.Dans l'analyse quantitative, ce qui est
important, c'est ce qui apparaît souvent, le nombrede fois est le critère,
alors que dans l'analyse qualitative, la notion d'importance implique la
nouveauté, l'intérêt, la valeurd'un thème, ce critère demeurant évidem-
ment subjectif.
Toute analyse se situe ainsi entre deux possibilités, mais aussi deux
écueils : adopter des catégories très fines, rendant compte de la réalité,
mais la reproduisant de trop près, en une liste de thèmes dont chacun
n'aura qu'une fréquence faible, ou regrouper les données en un nombre
limité de catégories, mais en sacrifiant une information, peut-être essen-
tielle, qui se trouvera perdue dans le résultat final.
593 3° Analyse directe ou indirecte, communication représentative
ou instrumentale ◊ L'analyse quantitative emploie le plus souvent la
mesure sous une forme directe. La comparaison entre deux propagandes
comportera la totalisation des thèmes après recensement des symboles,
etc., purement et simplement dénombrés. Ceci représente la forme la
plus répandue et la moins élaborée. Mais on peut, à partir d'une analyse
quantitative, rechercher une interprétation plus subtile, par exemple ce
qui est latent sous le langage manifesté. L'interprétationindirecte,c'est-à-
dire au-delà de ce qui est dit, n'est pas le seul apanage du qualitatif, elle
peut parfaitement s'appuyer sur un contenu quantifié.
Imaginons qu'un malade tente diverses manœuvres pour provoquer une réac-
tion chez le thérapeute qui l'observe. Lecontenu de l'entretien pourra être analysé
de façon quantitative. On trouvera chez le sujet tant de thèmes ou de minutes de
plaisanterie, tant d'agressivité ou de provocation, tant de manifestations d'irrita-
tion, etc. On pourra comparer le comportement et la stratégie de ce malade à
celle d'un autre, mais cette quantification de comportements manifestes nécessi-
tera tout de même une hypothèse, forcément qualitative. Alors que le plus
souvent, la quantification se contente de présenter des résultats chiffrés, ici la
variation des stratégies, l'apparente incohérence du contenu, obligent à chercher
une hypothèse explicative dans ce qui est latent et non quantifié : le désir du sujet
de provoquer une réaction chez le thérapeute.
L'analyse quantitative directe se contente de comptabiliser les réponses
telles qu'elles sont données. L'analyse quantitative indirecte peut parfois,
au-delà de ce qui est manifeste, atteindre par inférence, même ce que
l'auteur a voulu taire. Dans ce domaine, les silences inusités, le debit, le
rythme du discours, le choix des mots dans un texte écrit, bref les caracté-
610 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS
« milieu lointain». Le premier relève de la « sphère d'attention», sur laquelle se centre spontané-
ment l'individu ou le groupe, le second peut être «occasionnel»: tel lieu public ou «propre» : la
presse lue par le public.
1. Cf. n• 607.
L'ANALYSE DE CONTENU 615
relève, des réponses s'il s'agit d'entretien, ou des buts, intentions, signifi-
cations de l'émetteur s'il s'agit d'un texte, tout en tenant compte, suivant
les cas, des éléments absents qui peuvent être significatifs.
607 Le cadre de référence ◊ La pertinence implique une condition d'ordre
général importante. Lorsqu'il s'agit d'enquête par interview:c'est l'adap-
tation du cadre d'analyse ou des catégories au contenu empirique que
l'on doit classer. Ceci signifie que les catégories, lorsqu'elles sont prévues
d'avance, doivent être adaptées au cadre de référence des sujets interrogés
et à la situationdans laquelle s'effectue l'enquête.
D. P. Cartwright (1959) note, par exemple, à propos d'une enquête sur la crise
économique, que les catégories prévues dans les questions étaient trop savantes et
ne cadraient pas avec les réponses données par l'homme de la rue. Il était impos-
sible de classer ce contenu dans des catégories qui ne les recouvraient pas.
Une étude sur les conditions d'achat de telle marque de lessive par les ména-
gères, doit tenir compte de leur situation de ménagère et d'acheteuse, autant que
de l'objectif de l'enquête qui est d'informer le fabricant.
Lorsqu'il s'agit d'un texte, certains mots ou symboles ne peuvent être purement
et simplement comptabilisés, sans tenir compte non seulement du contexte géné-
ral dans lequel ils se trouvent placés, mais dans un sens plus étroit, de la façon
dont ils sont associés à d'autres termes. Il s'agit là d'un emprunt fait à la linguis-
tique, dont nous savons l'importance qu'elle accorde à la place des unités de lan-
gage.
Pool (1959) déclare que les catégories d'analyse utilisées doivent être en rap-
port avec la structure des données et les unités, liées aux hypothèses constituant
l'objet de la recherche. Ceci signifie qu'un objectif tel que l'étude de la propa-
gande nazie à la radio, ne doit pas se contenter de compter les références critiques
à l'égard de la Grande-Bretagne dans telle ou telle émission, sans situer celles-ci
par rapport à la stratégie d'ensemble élaborée par les Allemands. De même un
roman, une pièce de théâtre, un discours, ont un début, un milieu, une fin,
obéissent à des règles que l'on ne peut ignorer et qui doivent exercer leur
influence sur le type de catégories et de manières de quantifier. Sur un plan plus
limité, cela signifie également que le symbole A doit être interprété différemment
s'il est accompagné du symbole 8 ou du symbole C. Ici il s'agit de leur apparition
dans le texte, mais on peut être encore amené, lorsque c'est possible (cf. le docu-
ment personnel) à rechercher dans le passé du sujet ou dans sa personnalité, l'ex-
plication des associations qui apparaissent dans ses messaies. L'analyse du jour-
nal de Goebbels, fait apparaître un lien entre l'idée de « genéraux allemands» et
celle de « friction » dans le cercle des nazis et plus encore entre le public allemand
et un mauvais moral.
La difficulté de ce type d'interprétation provient de ce que l'on n'a pas
de moyens pour prouver la validité des interprétations admises; or
celles-ci sont nombreuses et peu sont apparemment significatives.
Cependant l'analyse de ce type représente un moyen terme entre l'analyse
purement quantitative et l'analyse qualitative.
608 Difficultés ◊ Cette rapide revue des conditions que doivent remplir les
categories, ne donne évidemment qu'une faible idée des difficultés que
présente la catégorisation. Quatre excès sont à éviter:
1° Imposer un schéma trop rigide, a priori, n'appréhendant pas la
complexité du contenu, ou 2° élaborer ce schéma de façon superficielle,
L'ANALYSE DE CONTENU 619
Nous avons donc été amenés, pour tenter de regrouper à peu près
toutes les tendances de la réalité, à distinguer sur notre tableau les catégo-
ries suivantes :
OUI NON
Sans
Olll oui non de non de Absten- Liberté Ajourne- prendre
enthou- résigné gauche droite tian de vote ment position
siaste
pour le non ... Quelle unité retenir? compter le nombre de oui ou de non
ou compter le nombre de lignes ou de centimètres consacrés au oui et au
non?
Nous nous trouvions là devant les principaux problèmes de la quanti-
fication de l'analyse de contenu.
614 a) Le problème de l'échantillon ◊ Les premières analyses de
contenu souffraient d'un manque de méthode, quant aux sources des
documents qu'elles étudiaient Parfois ce problème ne se pose pas, on
étudie un texte dans sa totalité ou une série de discours, mais lorsqu'il
s'agit d'éléments aussi nombreux que plusieurs années d'un journal, ou
aussi variés qu'une propagande, on est bien forcé de délimiter sa re-
cherche. On le fait, soit en sélectionnant le contenu à la source : tel type
de journal ou de propagande, soit si ce n'est pas suffisant, en choisissant
alors telle ou telle rubrique. Nous pouvions par exemple n'étudier que les
Tribunes libres du Monde ou seulement les éditoriaux. Enfin on peut pré-
férer ne pas limiter la matière mais sélectionner un échantillon du jour-
nal, représentatif du journal tout entier 1.
Quelles sont les caractéristiques qui peuvent assurer la représentativité
de l'échantillon d'un document? On les connaît mal à l'avance. Le plus
souvent on les définit en fonction des hypothèses que l'on formule, ce
qui est peu scientifique et risque de ne pas tenir compte de tous les fac-
teurs.
Berelson note que ce problème de l'échantillon implique en matière
d'analyse de communications trois décisions : choix de la source, nombre
et date des messages, contenu observé.
615 Choix de la source ◊ Il dépend de l'objectif. Une étude de presse peut
choisir un échantillon géographique, comprenant la représentation des
journaux locaux. S'il s'agit de comparer divers publics de lecteurs, en ana-
lysant les romans publiés dans les magazines lus dans chacun de ces
milieux, l'univers à étudier sera constitué par l'ensemble des romans
publiés dans tous les magazines, parus dans le pays, pendant un certain
temps. Il faudra donc établir un échantillon représentatif des magazines,
aussi bien que des romans de chaque magazine. Ici nous voyons la
complexité du problème de l'échantillonnage représent.atif. Les romans
seront-ils considérés comme représent.atifs, même si le magazine où ils
sont publiés a moins de lecteurs ou moins de pages, ne publie qu'un
roman ou plusieurs, etc. ? Comme le dit O. P. Cartwright (1959), si
l'analyste veut être en mesure de justifier les conclusions générales qu'il a
1. Nous rappelons qu'il faut respecter les règles suivantes pour constituer un échantillon:
1° Délimiter l'univers auquel s'applique la généralisation.
2° S'assurer que chaque unité de cet univers a une probabilité connue d'être comprise dans
l'échantillon.
3° Procéder à un échantillonnage qui soit indépendant de toute corrélation entre les unités de
l'univers.
4° Choisir un échantillonnage assez large pour qu'il ne comporte qu'une erreur probable
d'échantillonnage suffisamment réduite.
624 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS
tirées du matériel analysé, il doit être capable de formuler les raisons qui
l'ont amené à circonscrire un univers donné de contenu et à définir cet
univers d'une façon précise.
Le choix de l'échantillon peut être déterminé par les types de public :
féminins, confessionnels, ou par tendances politiques : pour l'Europe,
neutraliste, contre l'Europe, ou par importance suivant le nombre de lec-
teurs.
616 Nombre de messages et période ◊ Il faut fixer ensuite le nombrede
messagesà retenir pour que l'échantillon soit suffisamment représentatif,
et la périodependant laquellepréleverces messages. Le sujet choisi peut
déterminer une période, par exemple l'après-guerre ou les effets de tel dis-
cours pendant trois mois, mais il reste à préciser cette indication. C'est ici
qu'intervient la nécessité, pour l'unité choisie de l'univers à étudier,
d'avoir une probabilité connue d'être comprise dans l'échantillon et
d'être indépendante de toute corrélation entre les unités de cet univers.
Imaginons que l'on décide de prendre comme échantillon d'une étude de
journal, un numéro sur sept Si le hasard d'un tirage au sort fait tirer les
numéros du dimanche, qu'adviendra-t-il si celui-ci diffère justement des
autres? Il est donc indispensable, avant l'échantillonnage, de se ren-
seigner sur les possibilités de cyclesd'évolution, de fluctuations régulières
de certaines sources, qui peuvent modifier la nature des émissions.
Un exemple classique est celui de l'étude des mariages dans les rubriques du
New York Timesdu dimanche 1. Cette étude portant sur le mois de juin, signale
que le journal ne mentionne aucun mariage juif. Peut-on conclure à de l'antisé-
mitisme ou à une mauvaise information ? Il se trouve simplement, que pour des
raisons religieuses, les mariages juifs ont rarement lieu au mois de juin. La pério-
de choisie pour l'analyse du journal n'était donc pas représentative sur ce point 2.
617 Le contenu observé◊ Il reste enfin à déterminer l'échantillon de
l'échantillon, c'est-à-dire dans le journal considéré, de la période considé-
rée, le contenuobservé.Ici encore il doit correspondre aux caractéristiques
du journal qui varient en typographie, en emplacement, etc. La première
page du journal est différente de la dernière.
Le problème de l'échantillonnage, extrêmement important quant à la
validité de l'analyse de contenu, est difficile à codifier, étant donné la
variété des objectifs. On est souvent amené à utiliser des méthodes très
souples, comportant dans une même étude, des types d'échantillons pré-
levés à des sources, périodes et contenus différents.
En ce qui concerne l'étude du Monde, nous avons résolu, pour notre part, le
problème de l'échantillon, en décidant d'étudier pendant la durée de la cam-
pagne, toutes les informations ayant trait au référendum, de tous les numéros du
journal Le Monde.
Restait le problème de la façon de les quantifier. Nous allons proposer les
divers types de quantification et reprendrons ensuite notre exemple.
1. B. Berelson in Lindsey (1954, B. 198), vol. I, p. 515.
2. L'expérience indique que les échantillons de presse pris tous les jours et tous les cinq jours
sont nettement préférables aux autres, par exemple à la semaine entière pour le mois.
L'ANALYSE DE CONTENU 625
CATÉGORIES
ÎHÈMES oui
enthou- oui résigné non de gauche non de droite
siaste
------
------
------
------
L'ANALYSE DE CONTENU 627
1. Nous rappelons ce que signifient ces deux notions. Fidélité : plusieurs chercheurs obtiennent
le même résultat Validité: l'instrument mesure ce qu'il doit mesurer, appréhende bien la réalité et
permet un pronostic.
2. In B. Berelson, op. dt. (1954).
L'ANALYSE DE CONTENU 629
TABLEAUII
INFORMATIONS PosmONS
ÉonoRIAI.
TRIBUNE
URJI[
GÉN!RAU:S
=
UNJJtD'EN- Catégories Catégories Catégories Catégories
RfGISIIŒ-
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z
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/C /C
•••••••••••• Xcm2
cml cml
anl
SECTION3. NOUVELLESTENDANCES
1
§ 1. Les analyses paralinguistiques
Nous trouvons ici une zone intermédiaire dans laquelle analyse de
contenu et linguistique cohabitent sous des formes différentes suivant les
procédures utilisées.
629-2 L'analyse lexicologique. a) quantitative ◊ Si surprenant que cela
paraisse, il existe plus de quatre cents définitions du mot. Il ne suffit pas
comme le faisait l'analyse du contenu à ses débuts de les compter, mais
grâce à l'utilisation des ordinateurs, de comptabiliser les occurrences de
mots mais aussi les fréquences d'association pour repérer les unités don-
nant le plus d'information. P. Guéraud (1963) distingue les « mots
outils», environ la moitié des termes, les mots «pleins», les plus chargés
de signification, eux-mêmes composés des mots de caractérisation (nom-
breux mais variés), des mots de base plus nombreux. Enfin les mots
thèmes, les plus employés. Ceux qui apparaissent avec un taux de fré-
quence relative au-dessus de la moyenne, sont appelés mots clés.
Les applications de l'analyse lexicologique à des textes littéraires et en
science politique sont nombreux 2 .
630 b) La lexicologie structurale ◊ Le principe fondamental de cette
procédure se trouve résumé dans l'affirmation de G. Mounin: « le
lexique n'est pas un tas de mots». Peut-on supposer l'existence d'en-
sembles organisables de signifiés c'est-à-dire de structures sémantiques?
A une première tendance correspond l'analyse componentielleou
sémique.Elle a pour but de rechercher les unités de signification minimale
ou sèmes qui composent un mot Il s'agit d'après A. Trognon (1974)
d'une connaissance extralinguistique, en fait d'une perception, avec ce
que cela comporte de subjectif ou d'arbitraire.
Deuxième tendance: l'analysecontextuelle.Il s'agit d'étudier la distribu-
tion du mot à l'intérieur des corpus d'analyse. C'est un procédé sem-
blable à celui de l'analyse de contingence (cf. n° 594) pour chercher les
relations d'opposition, d'association qui structurent le lexique. Procédé
soumis à la même critique: réintroduire dans l'analyse une décision arbi-
traire et souvent implicite.
630-1 L'analyse du discours ◊ « L'analyse du discours est l'étude visant à
repérer par l'analyse linguistique, les conditions de production d'un
texte 3 . » Interprétée de façon restrictive on peut l'opposer à l'analyse de
contenu, limitée à des résultats quantifiés4. Mais nous l'avons vu (cf.
1. Nous empruntons à l'intéressante thèse de J.Gerstlé (1992), une part des informations des
§ 1 et 2, et renvoyons à sa bibliographie pour les très nombreux travaux qu'il cite.
2. Cf. Bibliographie in J.Gerstlé (1992) et P. Favre (1978).
3. Cf. A. Trognon (1974).
4. Pour P. Favre (1978) dans l'analysede contenu,les critères d'analyse sont exogènes, le discours
est atomisé, le système de référence unique. L'analyse quantitative est le réel supposé contenu dans le
texte. Au contraire, dans l'analysedu discours,les critères sont endogènes, le discours peut être
recomposé, les références sont multiples et liées au concept de performance (cf. n° 248-1), l'étude
NOUVELLESTENDANCES 635
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TITRE2
LESTECHNIQUES
VIVANTES
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 643
CHAPITRE1
LESTECHNIQUES
DE RAPPORTSINDIVIDUELS
« On étudiele fond de la mer avecune sonde.Si
celle-ciramène de la vase c'est que le fond est
vaseux.Si elleramènede la bouec'est que le fond
est boueux.Si ellene ramènerienc'estquela ficelle
est trop courte.»
Jean Charles, La foire aux cancres.
2 3 4 5 6
tians, nous retirons l'impression qu'il finira par se décider pour une
Simca. Enfin le dernier enquêté hésite devant une pile de catalogues.
En utilisant la même technique d'entretien, en posant la même ques-
tion, de la même manière, nous avons recueilli des informations ayant
une valeur de précision, de certitude, une possibilité de prédiction très
différentes. En fait, si nous cherchions sur un grand échantillon, un
résultat statistique, pour une étude de marché, nous risquerions d'obtenir
des « je ne sais pas » honnêtes, ou des réponses ne correspondant pas à
des renseignements sûrs et ne permettant donc pas de prévoir un
comportement réel. Finalement, les informations les plus intéressantes
que nous recueillons chez les enquêtés, ne concernent pas l'achat de la
voiture, mais l'état d'espritde chaque acheteur et constituent un ensemble
assez imprécis de facteurs psychosociologiques. La valeur symptomatique
de l'information est donc très inégale et nous devons nous poser deux
questions:
1° Quel est l'état d'information du sujet lui-même vis-à-vis du pro-
blème? Est-ce qu'il sait ce qui le fait agir? Est-il conscient d'avoir envie
d'une décapotable deux places pour épater les filles, ou d'une voiture
rapide pour compenser son sentiment de faiblesse ?
2° L'information que nous cherchons, à savoir ce qui pousse les
enquêtés à choisir telle ou telle voiture, est-elle accessiblepar la technique
utilisée, c'est-à-dire par la question?
Celle-ci suppose }'enquêté capable de répondre. Or une partie de la
psychologiecontemporaine, depuis Freud, a montré que la plupart de nos
raisons d'agir nous échappaient, parce qu'inconscientes. Dès lors, le pro-
blème pour l'enquêteur ne consiste plus à recevoir une information
directe, mais seulement à faire livrer par l' enquêté le plus symptomatique,
c'est-à-dire les informations significatives, celles que l'enquêteur pourra
interpréter. C'est la façon de parvenir à rerueillir ces informations signifi-
catives, qui donne leur spédficitéaux diversestechniquesd'interview.
643 L'infonnation significative ◊ En quoi, comment, une information
peut-elleêtre significative? - Les conduites humaines s'accomplissent en
réponse ou en fonction de certaines informations. C'est parce que nous
sommes frileux, que nous percevons le froid et mettons un manteau.
Chaque individu perçoit le monde extérieur à sa façon, il le caractériseà sa
manière. On peut alors dire que les enquêtes psychosociologiquesvisent à
atteindre le domaine des conduites(quelle voiture allez-vous acheter ?) en
partant du domaine des caractérisations(que représente, qu'évoque pour
vous telle voiture?). Il s'agit de prévoir, d'atteindre l'organisation des
actions, en recueillant des données sur l'organisation des informations.
La première étape d'un entretien voulant recueillir autre chose qu'une
information superficielle, consiste à chercher la manière dont les sujets
eux-mêmes perçoivent, appréhendent les données que l'on veut étudier,
quelles sont leurs catégories, leurs cadres de référence, leur mode de
caractérisation. D'après Palmade, l'enquêteur peut alors se trouver dans
une des situations suivantes :
1° L'enquêté sait pourquoi il a a agi ou va agir de telle ou telle manière,
il possède des informations suffisantes sur ses modèles d'action, il
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 6 51
des conceptions plus proches des leurs. Comme toujours, ceux qui se pré-
tendent disciples de Rogers sont parfois assez infidèles à ses préceptes 1.
En dehors de l'entretien psychothérapeutique, qui ne nous intéresse
pas ici directement, la technique de Rogers a été appliquée aux études de
motivation, elle a également inspiré l'attitude des enquêteurs dans
d'autres types d'interviews et enfin exercé une profonde influence sur la
conduite des groupes (cf. n° 896).
646 b) Entretien direct ou indirect ◊ Alors que la dimension directif-
non-directif, signifie avant tout que le contenu de l'entretien est ou non
structuré par l'enquêteur, la notion direct-indirect se place à un tout
autre point de vue. Il ne s'agit pas ici, comme le font certains auteurs, de
caractériser un type d'observation, mais de qualifier le moyen utilisé pour
recueillir les données: la question (dans un sens large) et l'interprétation
des réponses. Direct, signifie que questions et réponses ne veulent rien
dire d'autre que ce qu'elles paraissent dire, l'enquêteur ne cherche pas au-
delà. La signification qu'il donne correspond à ce qu'explicite la réponse
de l' enquêté ; le sens de la question et de la réponse est supposé le même
pour l'enquêteur et l' enquêté. La méthode indirecte implique, au
contraire, que le sens réel de la question ou de la réponse, peut être dif-
férent de son sens apparent. Cette signification, supposée réelle, est obte-
nue à partir des renseignements fournis par l'enquêté, sans qu'il se doute
de l'interprétation à laquelle ceux-ci doivent conduire. L'enquêté ne peut
deviner qu'en lui demandant: qu'avez-vous fait dimanche? On cherche
à savoir s'il a voté, s'il est allé à la messe, etc.
La méthode indirecte, comme la méthode non directive se caractérise
par une attitude d'esprit particulière, une technique spéciale. Mais celle-ci
vise la forme de la question, la façon d'obtenir les données, d'interpréter
les réponses. Elle concerne donc l'analyse,alors que dans l'entretien non
directif, c'est la conduitemême de l'enquêteur qui implique une technique
particulière.
Les nogons direct-indirect, directif-non directif ne coïncident par for-
cément. Evidemment, la question directe : « Avez-vous voté ? » est à la
fois directe et directive. Mais un entretien non directif est généralement
direct, du moins au niveau des données, c'est-à-dire que l'enquêteur,
durant l'entretien, s'interdit d'interpréter ce que dit l'enquêté. S'il refor-
mule ses propos, il ne leur attribue pas un sens autre que celui qui leur a
été donné par l'enquêté lui-même. Au cours de l'entretien, seule est prise
en considération la vision et la compréhension que le sujet a du problème
ou celle à laquelle il parvient. Mais une fois les données recueillies, elles
peuvent parfaitement être analysées de façon indirecte, c'est-à-dire que le
chercheur peut les interpréter au-delà de ce qui a été explicité.
Dans l'entretien de style direct, on part de l'idée que pour savoir ce que
les gens pensent ou éprouvent, il suffit de le leur demander. L'hypothèse
1. Les habitudes et attitudes directives sont tellement ancrées que des psychologues croyant être
rogériens, laissent souvent échapper des mots révélateurs de leur attitude profonde, incompatible
avec le véritable rogérisme. En dehors de l'apprentissage de cette méthode, il est certain qu'il existe
des sujets plus ou moins aptes et naturellement orientés vers ce type de comportement, très peu
spontané et habituel.
654 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
de lire Autant en emportele vent ? » Dans ce cas, la réponse « non, je l'ai déjà lu »
donne l'information directe que l'on cherchait à obtenir par la question indirecte.
649 Question indirecte interprétée de façon indirecte ◊ C'est le cas le
plus général des techniques indirectes, elles ont pour but de tourner en
quelque sorte les défenses de l'enquêté. Il existe un certain nombre de
techniques indirectes :
- soit les techniquesassociatives
: on conduit l'interview par des questions du
type « à quoi ceci vous fait-il penser?» ou l'on donne une liste de phrases à
compléter, par exemple : « Le moment le plus agréable de la journée c'est... » Ces
procédures empruntent la plus grande part de leur interprétation à l'expérience
psychanalytique, mais celle-ci n'offre pas un grand choix de techniques propre-
ment dites.
On peut également demander de désigner sur des images les individus corres-
pondant à telle ou telle voiture: quel est d'après vous le conducteur du camion,
celui de la 4 01, etc. ?
- soit les techniques projectives,
cf. n 06 726 et s.
§ 2. Le rapport enquêteur-enquêté
et les difficultés de l'interview
652 Les difficultés de l'entretien ◊ L'entretien présente un type de
communication assez particulier. Il est suscité, voulu, d'un côté, plus ou
moins accepté ou subi de l'autre. Il a un but précis et met en présence des
individus qui en général ne se connaissent pas. Il repose sur l'idée que
pour savoir ce que pensent les gens, il suffit de le leur demander.
Mais la communication est un élément banal de notre vie. Notre exis-
tence est tissée de communications plus ou moins fragmentaires, plus ou
moins réussies. Aussi, chacun a-t-il déjà ses habitudes, ses attitudes face à
ses semblables : circuits de fuite ou de repli, suivant qu'il se sent plus ou
moins vulnérable, ou croit le voisin plus ou moins redoutable. Chacun
élabore ainsi, pour vivre, un système plus ou moins conscient de protec-
1. J. Marcus-Steiff (1964), p. 126.
658 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
tion contre ce qui vient des autres, les risques d'influence, de curiosité ou
d'attachement.
Nous avons aussi nos habitudes de «tri», nous interprétons ce que
nous entendons par rapport à nos cadres de pensée, nous évaluons les
paroles prononcées, en fonction de l'image que nous nous faisons de
celui qui les prononce 1.Rogers prétend que c'est notre tendance à juger,
évaluer, notre habitude d'approuver ou désapprouver l'interlocuteur, qui
constituent la barrière la plus forte à la communication. Plus un individu
est impliqué dans ses croyances et sentiments, plus ses communications
sont difficiles avec les autres; on aboutit le plus souvent à deux idées,
deux sentiments, deux jugements qui se croisent sans jamais se ren-
contrer dans l'espace psychologique.
Ces blocages, habituels dans l'existence quotidienne, doivent dispa-
raître le plus possible pendant le temps privilégié de l'entretien. Autre-
ment dit, il doit s'établir un processus de communication, dans lequel les
éléments qui habituellement tendent à le freiner ou le dévier, sont élimi-
nés ou réduits. C'est à l'enquêteur d'y parvenir.
On imagine le plus souvent l'interview, soit sous un aspect purement
technique: moyen d'obtenir des informations, soit sous un aspect banal
et journalistique : habileté à faire parler un personnage. Or l'entretien,
même le plus superficiel, est infiniment complexe. Sans doute existe-t-il
une technique de l'entretien, mais beaucoup pfus qu'une technique,c'est
un art. C'est pourquoi on ne saurait définir l'interview, en disant simple-
ment que c'est un moyen par lequel M. X., enquêteur, va obtenir des ren-
seignements de M. Y., enquêté. L'interview constitue un processus d'inte-
ractions entre X et Y et si les informations vont de Y vers X, la valeur de la
communication, elle, dépendra de X autant, sinon plus que d'Y2 .
Puisqu'il s'agit d'une interaction, il convient d'en étudier les deux
termes: l'enquêté et ce qui le pousse à parler, l'enquêteur et l'attitude
qu'il doit prendre pour aider l' enquêté à parler et dire la vérité.
653 1° Motivation de l'enquêté. a) Les facteurs négatifs. Les
défenses de l'enquêté ◊ L'entretien déclenche une série d'interactions
entre l'enquêteur et }'enquêté. Non seulement l'idée que chacun a de
l'autre intervient, mais aussi ce que chacun pense que l'autre va penser de
lui. Dans cette relation, ce sont surtout les mécanismes de défense de
}'enquêté qui vont jouer. Il devra d'abord faire face à la tension plus ou
moins forte que créera chez lui ce premier problème : accepter ou non
l'interview.
Qui a demandél'entretien? - Les raisons qu'a !'enquêté de répondre ou
non, dépendent d'abord du type d'entretien dont il s'agit et de la façon
dont il est proposé. L'enquêté aura spontanément une attitude générale
d'acceptation s'il est demandeuret que l'entretien représente pour lui le
1. R. C. Kahu et C. F. Canne! (1957) p. 7.
2. Cette découverte d'une interaction et de l'importance du rôle de l'enquêteur sont très forte-
ment ressenties par les étudiants dans leurs premières enquêtes, même dans des enquêtes d'opinions
très superficielles et prévenus pendant le cours, le choc de la réalité les impressionne presque tous.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 659
1. On constate par exemple la peine que l'on a à faire indiquer par les étudiants enquêteurs les
raisons de non-réponses : question pas posée et pourquoi ? !'enquêté avait-il déjà répondu dans une
question précédente ?
2. Les Américains ont comparé les résultats des enquêteurs suivant l'âge et le sexe. La réticence
des adolescentes à se confier à des femmes de plus de 50 ans pose le problème de l'efficacité de
celles-ci dans les collèges de jeunes filles. Cf. J. S. Ehrlich, D. Riesman (1961).
3. R. C. Kahn, C. F. Canne! (1957), p. 235.
4. J. M. Stycos (1952, 1955).
668 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
l'avis de !'enquêté, d'autre part, de le faire en quelque sorte participer. Il est rare
qu'il soit vraiment hostile, le fait de donner son point de vue et son approbation
le rend en quelque sorte plus solidaire encore de l'enquête et permet de terminer
l'entretien sur une note favorable 1.Ceci est important pour l'avenir des enquêtes.
L'enquêteur doit remercier !'enquêté de s'être prêté au rendez-vous. Surtout s'il
s'agit d'étudiants, ils ne doivent pas donner une impression de désinvolture, mais
du sérieux qu'ils apportent à ce qu'ils font. Si !'enquêté a manifesté de l'inquié-
tude, il est possible de lui affirmer une fois encore que l'entretien est anonyme.
Il est nécessaire d'insister auprès des enquêteurs pour qu'ils soient discrets sur
les personnes qu'ils ont interrogées et le contenu de l'entretien. En l'absence de
véritable secret professionnel, il est important de respecter la confiance qu'a
témoignée !'enquêté. Tout ce qui est recueilli dans les entretiens, ne doit pas sortir
du cercle des responsables de l'enquête et doit être utilisé uniquement en fonction
de ses objectifs.
Parfois, le questionnaire terminé, l'enquêteur et !'enquêté bavardent ensemble.
Les enquêteurs inexpérimentés sont tentés de voir là un signe de réussite de l'in-
terview. Il est certes heureux que l'entretien provoque la sympathie et le besoin de
communiquer davantage, mais il ne faut pas oublier que le but de l'entretien
consiste avant tout à recueillir certaines informations et que la sympathie ne sau-
rait constituer un critère de fidélité, ni de validité.
Ajoutons enfin qu'il est recommandé d'envoyer aux enquêtés les résultats de
l'enquête lorsque celle-ci paraît 2 .
§ 3. Le questionnaire
672 1° Questionnaires écrits et questionnaires d'interviews ◊ Le
questionnaire écrit, envoyé par la poste, représente dans les rapports indi-
viduels un cas bien différent de l'interview libre dans lequel enquêteur et
enquêté sont face à face. De ce fait, les informations recueillies par les
interviews et les questionnaires écrits diffèrent, ainsi que les indications
pour utiliser l'un ou l'autre.
Les problèmes soulevés par la technique même du questionnaire sont
semblables qu'il s'agisse du questionnaire écrit ou du questionnaire oral.
Les Anglo-Saxons distinguent en principe : le questionnaire proprement dit
envoyé par poste, l'interviewschedule,ou questionnaire d'interview et enfin l'inter-
view guidé,moins structuré qu'un questionnaire.
Nous limiterons l'emploi du terme de questionnaire, à son sens exact
de liste de questions. Nous préciserons d'abord les cas dans lesquels on
peut utiliser le questionnaire par poste 3, ses particularités, avantages et
inconvénients par rapport à l'interview, pour traiter ensuite le problème
de la confection du questionnaire, dans le seul cadre de l'interview, étant
entendu que la partie purement technique du libellé des questions est
applicable à tous les types de questionnaires par poste, par téléphone, etc.
1. Cette influence ne fausse pas les résultats.
2. Et de ne pas leur en vouloir s'ils n'accusent pas réception, ce qui est souvent le cas.
3. D. C. Lockhart (1984).
672 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
1. On est étonné, du nombre de gens qui, même parmi les intellectuels, ne savent pas lire un
texte.
2. C. F. Reuss, T. W. Smith (1983).
67 6 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
part à évoquer tous les problèmes qu'il doit aborder, les variables en
cause, d'autre part à préciser la nature des données que l'on cherche à
recueillir, c'est-à-dire l'information que les réponsesaux questionsposées
doiventcontenir.
En général, les chercheurs notent toutes les questions qui leur viennent
à l'esprit et semblent en relation avec les divers points que l'enquête doit
élucider. Suivant le genre d'enquête, la plus ou moins grande extension
du sujet, le type de problèmes posés, le fait qu'ils ont été déjà ou non
explorés, que l'objectif est plus ou moins précisé, l'établissement du ques-
tionnaire sera plus ou moins délicat. Lorsqu'il s'agit d'un domaine peu
connu, que l'on manque de renseignements sur les problèmes en cause, il
est utile de commencer par effectuer quelques interviews libres dans le
milieu intéressé. Les enquêtés dans ce cas peuvent évoquer spontanément
leurs difficultés et susciter chez le chercheur les questions utiles.
En face de la variété infinie de facteurs à étudier, l'interview par ques-
tionnaire est une technique qui a ses limites. Elle n'aborde que certains
problèmes, d'une certaine manière et ne peut obtenir que certains types
d'information. En fait, questionner un individu c'est chercher à obtenir
des renseignements sur ce qu'il sait, sur ce qu'il a fait ou compte faire, ce
qu'il pense ou ressent,c'est-à-dire croit, espère, admire, redoute ou blâme,
et avec quelle intensité et enfin quelle explication il donne lui-même de
son comportement. Mais pour recueillir tous ces renseignements, il faut
d'abord que l'enquêté lui-même les possèdeet ensuite qu'il acceptede les
donner.
A ce premier stade de conception du questionnaire, décider du genre de
renseignements que l'on veut obtenir, c'est décider du type de questions à
poser.
686 Questions de fait ◊ Ces questions paraissent faciles à concevoir et à
poser. Elles semblent devoir attirer des réponses ayant le plus de chances
d'être vraies : questions d'état civil : célibataire, marié, date et lieu de
naissance. Même au niveau des faits, il existe dans le domaine politique,
religieux, économique, sexuel, des questions sur lesquelles on sait à
l'avance que l'on obtiendra difficilement une information.
Combien de Français avoueront volontiers être catholiques pratiquants, mais
n'avoir pas voté, aller à la messe, mais tromper leur femme, gagner X F par mois
et frauder le fisc ? Quelle actrice avouera volontiers son âge ?
En dehors de ces zones dangereuses, il peut y avoir des questions de fait qui
gênent tel individu et non tel autre. Tel enquêté n'aimera pas dire qu'il n'est pas
bachelier, alors que tel autre déclarera sans peine ne pas avoir son certificat
d'études primaires. Donc, malgré la précision et l'apparente simplicité des ques-
tions de fait, comparées aux autres, il faut déjà tenir compte de ce que le sujet
peut savoir, avoir oublié, déformé, des raisons pour lesquelles il en parle : se faire
valoir, etc.
Les questions de fait donnent le renseignement lui-même, par exemple
la date de naissance, ou indiquent le niveau d'information du sujet: il
sait ou non ce qu'est l'O.N.U ... Ce fait peut également avoir une signifi-
cation indirecte par rapport à un problème moins apparent, par exemple
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 679
réponses, la question ouverte est la plus indiquée. Dans les autres cas, on
a intérêt à utiliser des questions préformées ou fermées, plus précises,
comparables et moins difficiles et onéreuses à totaliser.
694 Questions directes, questions indirectes ◊ Nous avons vu qu'il
existait une méthode directe ou indirecte pour conduire un entretien.
Mais, même dans une interview de style direct, on peut utiliser un certain
nombre de questions indirectes.
Certains sujets peuvent être considérés comme délicats : problèmes sexuels,
religieux, politiques, questions raciales. Une question posée directement : « ttes-
vous pratiquant ? » « A quel âge avez-vous eu votre première expérience
sexuelle ? » « A quel parti appartenez-vous ? », risque non seulement de provo-
quer une réponse fausse, mais encore de gêner !'enquêté ou même l'enquêteur et
de perturber la suite de l'interview.
Si l'on ne veut pas sacrifier une question délicate, du moins faut-il
essayer, par sa forme, de faciliterla réponse. Une question ne doit jamais
mettre le sujet dans la nécessité de donner une réponse socialementinac-
ceptable,c'est-à-dire de l'obliger à révéler sur lui-même un fait ou une
opinion, lui paraissant peu conforme à sa situation sociale, familiale, ou
capable de susciter la désapprobation de l'enquêteur. Celui-ci doit mon-
trer par son attitude que toutes les réponses l'intéressent et qu'il s'abs-
tient de juger. Mais il ne doit pas risquer de heurter l'enquêté par une
question.
La question délicate doit être libellée de façon à rendre normale n'importe
quelle réponse. C'est ainsi que A. C. Kinsey (1943) déclare qu'il vaut mieux
demander : « A quel âge avez-vous embrassé un jeune homme ou une jeune fille
pour la première fois?» laissant par là supposer que c'est normal de l'avoir fait,
plutôt que: « Avez-vousdéjà embrassé un jeune homme ou une jeune fille?»
Parfois la question indirecte consiste à prendre un détour et à demander à l'en-
quêté de répondre à la place d'une tierce personne imaginaire : « Que pensez-
vous que M. X éprouve dans telle situation? ... » Enfin l'approche peut être encore
plus indirecte, c'est le cas des tests projectifs (cf. n° 755).
Il faut noter au départ, que le seul fait de poser une question attire l'at-
tention sur le problème, comme le rayon lumineux modifie le comporte-
ment de l'atome observé. Toute question, si neutre ou objective soit-elle,
exerce par elle-même une influence, à laquelle les enquêtés seront plus ou
moins sensibles.
Pour être rigoureux, il faut donc bien noter que tout échantillonnage,
du seul fait qu'il représente le lot des gens questionnés, ne peut être par-
faitement représentatif de ceux qui ne le sont pas. C'est-à-dire qu'un son-
dage d'opinion n'indique pas ce que les gens pensent, mais seulement ce
qu'ils disent qu'ils pensent quand ils sont interrogés.La plupart des gens
ont des opinions tranchées sur les problèmes qui les touchent de près.
Dans ce cas, la manière dont la question leur est posée importe moins,
car elle ne modifie pas la réponse, mais un grand nombre d'enquêtés
expriment une opinion, seulement parce qu'on le leur demande. En fait,
ils n'en ont pas sur tous les sujets abordés et sont prêts à répondre n'im-
porte quoi aux questions se référant à des problèmes auxquels ils n'ont
pas réfléchi. Dans ce cas, la moindre incitation cont.enue dans la ques-
tion fixera la réponse. Autrement dit, le libellé de la question prend tout.e
son importance, lorsqu'il s'agit d'individus plus ou moins influençables,
ayant des opinions peu affirmées. Cela représente un nombre indéter-
miné d' enquêtés sans opinion, qui risquent de basculer dans le camp des
oui ou des non, sous la simple influence de certaines questions.
Il est donc important, pour éviter de telles erreurs, de savoir qu'une
question, par son seul libellé, peut influencer la réponse.
697 d) Quatrième étape. Nombre et place des questions ◊ A cette
étape du travail, les questions étant libellées, il est bon de vérifier leur
contenu, pour le cas où certaines feraient double emploi. D'autres, au
contraire, pourraient être trop générales, correspondre à deux idées et
mériteraient dans ce cas, pour la clarté de la réponse, d'être décomposées.
Nombre des questions.- En admettant que toutes les questions soient
utiles et correctement libellées, se pose le problème du nombre des ques-
tions. Il n'y a pas de critère sûr. La longueur du questionnaire doit être le
résultat d'un compromis, entre le domaine à parcourir et le temps que
l'on suppose pouvoir obtenir de l' enquêté.
Pour des interviews d'opinion, auprès d'un échantillon non caracté-
risé, il convient de ne pas dépasser 3 5 à 40 questions. Ceci donne la pos-
sibilité aux gens pressés de répondre rapidement, en vingt minutes, et aux
autres de ne pas dépasser une heure.
L'ordre des questions,la façon dont elles se suivent, est également
importante. D'abord la place des renseignements signalétiques : état civil,
profession, etc. Ici encore tout dépend du sujet de l'enquête. Des candi-
dats aux élections législativessont habitués à décliner leur nom et qualité
et cette entrée en matière permet de faire connaissance. Au contraire,
dans une enquête d'opinion faite à domicile, commencer par des ques-
tions de ce genre aurait une allure policière et inquisitoriale gênante. Ces
renseignements rejetés à la fin de l'entretien, lorsque le contact a été éta-
bli, passent au contraire fort bien.
688 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
1. Tout le monde n'est pas d'accord sur ce point. Avec des enquêteurs inexpérimentés cela vaut
tout de même mieux. Mais il faut éviter que l'individu ne soit entraîné à un certain type de réponses
par l'enchaînement logique des questions. Cf. l'effet de halo.
2. Parfois aussi une question ouverte, concernant le passé récent, est utilisée pour aider !'enquêté
à reconstituer ses souvenirs et à donner une réponse exacte à une question d'opinion.
3. Cité in C. F. Cannell, R. L. Kahn (1953).
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 689
viennent d'un manque de précision dans l'objectif poursuivi. Que peut-on espé-
rer d'une demande libellée de façon aussi lâche? La première condition, pour
obtenir une bonne formulation de la question, c'est d'avoir bien présent à l'esprit
ce que l'on cherche à savoir.
Sont à écarter, pour les mêmes raisons, les questions concernant un
avenir ou un passé trop lointains, qui ne peuvent rien viser de précis.
Il est recommandé de poser des questionscourtes,pour ne pas exiger de
l'enquêté un effort d'attention ou de mémoire trop intense. Une rédac-
tion confuse, trop longue, trop complexe, multiplie les risques d'erreurs.
De même il ne faut pas poser plusieurs questions dans la même, sous
peine de ne pas savoir à quoi il est répondu.
Exemple : « Avez-vousvoyagé en Afrique et en Amérique ? Avez-vousdes amis
à l'usine et en dehors ? » Il vaut mieux dans ce cas poser deux questions.
Les conseils que l'on peut donner à ce niveau sont ceux qui relèvent
surtout du bon sens et du bon usage de la langue française. Lorsque les
questions s'adressent à une population tout-venant, le plus sûr est de
s'exprimer dans un langagehabituel,d'employer des termes simples, mais
précis, ne laissant pas de marge d'appréciation. Car cette marge dépend
de l'expérience vécue par l' enquêté, de son genre de vie, etc. Elle est donc
éminemment subjective. La notion de niveau objectif de clarté d'une
question demeure, en effet, très théorique. Dans le concret, le question-
naire vise certains problèmes et s'adresse à des individus qui peuvent pré-
senter certaines caractéristiques: groupes d'ingénieurs, d'ouvriers, d'étu-
diants, ou au contraire composer un échantillon de population sans traits
particuliers.
Une grande part des problèmes du libellé des questions se pose surtout
en fonction des enquêtés. Il ne s'agit plus ici seulement de grammaire.
L'expérience du chercheur apparaît nécessaire, pour résoudre ces pro-
blèmes d'adaptation de la formulation desquestionsau niveaudes enquêtés.
699 Le niveau d'information ◊ Le chercheur doit d'abord évaluer le
niveau d'informationdes enquêtés sur le sujet en question. C'est cela qui
déterminera leur compréhension et la richesse de leur vocabulaire. Il est
donc prudent de considérer les termes techniques en fonction du milieu
enquêté.
Leterme O.S., par exemple, sera plus stlrement compris par un ouvrier que par
un étudiant Si un mot est indispensable, mais risque d'être incompris, on peut
en donner une rapide définition. Exemple : « Avez-vous entendu parler de
l'O.N.U. ou Organisation des Nations Unies ? »
Cette mise au niveau de l'enquêté ne signifie pas qu'il faille parler
argot L'important n'est pas que ce dernier perçoive l'enquêteur comme
quelqu'un de tout à fait comme lui, mais comme quelqu'un qui peut le
comprendre.Le libellé de la question ne doit pas rompre cette impression
et éviter ainsi que l'enquêté ne réponde n'importe quoi, soit parce qu'il
n'a pas compris, soit parce qu'il redoute de n'être pas lui-même compris.
690 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
rer. Bien entendu, ceci ne dépendra pas seulement des questions elles-
mêmes, mais aussi de la façon dont l'enquêteur aura expliqué ses objec-
tifs et su créer un climat de coopération.
Les candidats aux élections législatives répondaient volontiers aux questions
concernant leurs idées politiques, parce que cela leur paraissait naturel, mais se
montraient beaucoup plus réticents sur les questions plus personnelles telles que :
« Aimez-vous commander ? » dont ils voyaient moins bien l'utilité 1. Les ques-
tions de revenus, de salaires, suscitent souvent des difficultés et nécessitent plus
que d'autres d'être justifiées par des explications.
Il ne faut pas avoir, comme certains enquêteurs, la phobie des réponses
« je ne sais pas» ou « je n'ai pas d'opinion». Au contraire, on a parfois
remarqué que des enquêteurs expérimentés recueillaient, plus que
d'autres, des « je ne sais pas» correspondant mieux à la réalité. Sans
doute, lorsque de telles réponses sont nombreuses, peuvent-elles indiquer
que le problème n'intéressait pas la population interrogée ou qu'il était
mal formulé. Il n'est pas sans intérêt de le savoir et, de toute façon, un
renseignement vrai vaut toujours mieux que des réponses erronées et des
statistiques fausses.
701 Les mots ambigus ◊ On doit, avons-nous dit, sauf exception, éviter
les mots techniques ou trop abstraits et utiliser des mots d'un usage cou-
rant Le langage habituel se contente d'à peu près et les mots usuels, le
plus souvent, prennent leur sens dans le contexte où ils sont placés.
S. L Payne (1951) conseille de se demander, à propos de chaque mot: 1° s'il
signifie bien ce que l'on veut dire; 2° s'il n'a pas d'autre sens et dans ce cas, si le
contexte le précise suffisamment ; 3° s'il ne peut être confondu (par oral ou écrit)
avec un autre mot; 4° si l'on ne peut trouver un autre mot ou une autre tournure
plus usuels, plus clairs.
Une simple expérience de chercheur permet de repérer un certain nombre de
questions telles que : « Allez-vous souvent au cinéma ? » « Lisez-vous beau-
coup?» qui ne signifient rien, car un enquêté répondra: « oui beaucoup», pour
deux livres par mois et l'autre:« non», pour deux livres par semaine. La question
doit être précisée, par exemple : « Allez-vous au cinéma plus d'une fois par
semaine, plus d'une fois par mois ? »
« Que faites-vous maintenant? » L'ambiguïté combinée du verbe faire et de
l'adverbe maintenant, pourrait inciter un enquêté facétieux à déclarer: « Je
réponds à des questions idiotes... » Il vaut mieux dire : « Quelle est votre profes-
sion actuelle ? »
Actuellement est aussi un mot qui peut être ambigu. « D'après vous, la situation
économique de la France, actuellement, est-elle satisfaisante ? » ceci signifie-t-il
cette année, depuis trois mois ... ?
Leterme combien,s'il n'indique pas les termes de la mesure, peut parfois attirer
des réponses trop variées : soit un pourcentage ou des chiffres absolus, des poids,
des quantités, etc.
Le mot connaftreprête à des interprétations différentes, l'un répondra qu'il
connaît M. X parce qu'il sait qui c'est, qu'il l'a vu à la télévision, un autre plus
exigeant dira qu'il ne le connaît pas, alors qu'il l'a salué quelques minutes aupara-
vant, mais il voulait indiquer par là qu'il ne le connaissait pas bien.
1. Cf. M. Grawitz (1961).
692 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
déjà répondu dans une question précédente. Bien que le contexte l'in-
dique, il est préférable de le signaler.
On n'insiste jamais assez auprès des enquêteurs sur la nécessité absolue de ne
jamais laisser un blanc et de consigner le maximum d'indications complémen-
taires sur les silences, les hésitations de l'enquêté, le fait de répéter la question,
etc., ou de la reformuler, bref les incidents ou variations dans le déroulement de
l'enquête, qu'il est important de retrouver au stade de l'analyse des résultats.
Parfois les enquêteurs oublient de noter la durée de l'interview ou d'indiquer le
type de logement ou le lieu de l'interview, bien qu'il soit demandé. Lor~ue l'ana-
lyse a lieu peu de temps après les entretiens, l'enquêteur peut completer, après
coup, les éléments qui lui sont réclamés, dont il peut encore se souvenir, mais ce
n'est pas toujours le cas.
La concordance des réponses.- L'enquêté qui a répondu à la question 10 qu'il ne
prenait jamais de vin, ne devrait pas répondre à la question 20 qu'il supporte
mieux le bordeaux que le bourgogne 1.
Bien entendu, il ne s'agit pas de manipuler le texte des entretiens, mais de le
dégager des erreurs possibles de compréhension ou de transcription, en ne
conservant que les contradictions réelles, comme on le ferait pour un document
historique.
Rappelons aussi la différence entre l'interprétation d'une enquête par question
directe, dans laquelle l'information est prise dans son sens immédiat, supposé
identique chez l'enquêteur et !'enquêté, cas que nous envisageons ici, et l'inter-
prétation d'une enquête indirecte, dans laquelle le contenu analysé n'est pas celui
que suggère la question. Dans ce dernier cas, les contradictions, parfois laissées de
côté dans l'analyse directe, sont au contraire retenues.
L'uniformitédes réponses.- Tous les enquêteurs doivent avoir utilisé les mêmes
questions et, s'il y a lieu, les mêmes unites de mesure : jours, semaines, an, pré-
vues au moment du libellé des questions ; celles-ci doivent être vérifiées au stade
de l'analyse.
Combien de fois par mois allez-vous au cinéma ? Combien de litres (et non de
bouteilles) d'huile consommez-vous par semaine? Le calcul des heures de travail
des enfants comporte-t-il uniquement les heures de classe ou aussi le travail à la
maison ? etc.
La clarté ou la compréhension. - Si les enquêtés sont souvent confus
dans leurs explications, ce sont parfois les enquêteurs qui prennent mal
leurs notes. Elles doivent être lisibles et le plus proche possible de ce qu'a
dit l' enquêté.
709 2° Le rassemblement des questions ◊ La vérification étant faite, on
peut se demander si l'on doit étudier les interviews par personne, ou ras-
sembler les réponses de tous les enquêtés, question par question.
Cela dépend de ce que l'on cherche, car il est bien évident que ce qui
apparaît dans l'un et l'autre cas est très différent.
Un bon exem:{)lenous est donné par une enquête 2 étudiant l'influence exercée
par Pierre Mendes France sur ceux qui avaient participé à ses entretiens, lors de
ses tournées en province. La lecture des questionnaires un par un, campait fort
qu'aucune réponse n'a été omise et l'on s'assure ensuite, que les catégo-
ries retenues correspondent bien à toutes les attitudes comprises dans les
réponses.
RÉPONSE À IA QUESTION N° 10
Quel doit être d'aprèsvous le rôle desfemmes
dans la nation ?
Même rôle que ~lité de prtn-
les hommes, clpe mals avec
Rôledifférent
égalité sans
de celui Sans réponse
réserveen des hommes
réserve pratique
culièrement les crises possibles, parce qu'il ne saisit pas les opinions dans
la situation réelle dans laquelle elles se constituent Le sondage ne peut
saisir l'opinion avant qu'elle ne soit formée... et il la détruit en quelque
sorte en l'atomisant, en écartant les influences à travers lesquelles elle se
forme. 11ne peut prévoir une crise dont il n'a retenu ni les éléments qui la
suscitent, ni les possibilités de mobilisation brusque de l'opinion. En fait
de prévision, des interviews de représentants efficaces et informés des
groupes intéressés ont certainement plus de validité qu'un sondage
auprès d'un échantillon représentatif d'une population dont l'opinion
n'est pas encore constituée.
720-1 L'influence des sondages d'opinion ◊ De nombreux hommes poli-
tiques se sont préoccupés devant la multiplication d'instituts ... ou d'offi-
cines de sondages, de faire respecter certaines garanties techniques, mais
aussi et peut-être surtout, de neutraliser l'influence de la publication des
résultats des sqndages électoraux sur les électeurs. Pourtant des travaux
effectués aux Etats-Unis et en France montrent que le pourcentage de
ceux qui volent au secours de la victoire (effet de bandwagon)compense à
peu près le nombre de ceux qui veulent limiter le triomphe des gagnants
(effet de underdog).De plus dans une démocratie les citoyens ont droit à
toutes les informations, même contestables, ou alors il faut également
interdire la propagande électorale. Quoiqu'il en soit, une loi du 19 juillet
19771, 2, dans son article 11, interdit que les résultats des sondages poli-
tiques soient publiés la semaine précédant chaque tour de scrutin. Elle
charge également une commission des sondages d'interpréter la loi (la
notion de sondage n'est pas définie) et de veiller à la régularité des
normes techniques imposées (identification de l'origine du sondage,
conditions de réalisation, abus de redressement, etc.).
L'expérience de ces dernières années montre que ce sont les hommes
politiques plus encore que les gouvernés qu'il faudrait protéger de l'in-
fluence des sondages. Plus que les autres citoyens ils sont intéressés et
vulnérables. De combien de décisions les sondages, favorables ou pas,
sont-ils responsables ?
Curieusement, si sur le plan politique l'influence (supposant la validité) des
résultats des sondages est reconnue, et donne lieu à des mesures législatives,cette
influence n'est pas admise dans un autre domaine qui a échappé au législateur ;
celui des opérations boursières. En effet la C.O.B. 3 s'est émue des « fuites »
concernant des sondages confidentiels effectués en août 1992 au sujet du référen-
dum de Maastricht. Certains établissements auraient eu connaissance des résul-
tats avant leur publication et ainsi réalisé des plus-values importantes. La C.O.B.
chargée de la surveillance du marché en vue de la protection des épargnants a
estimé que la loi exigeait, pour constituer le « délit d'initié», une information
certaine, précise, dépourvue d'aléas. Ces caractères ne pouvaient s'appliquer aux
sondages qui ne sauraient « a priori être considérés comme information privilé-
giée » (affaire à suivre).
1. Complétée par un décret du 16 mai 1980.
2. Cf. A. Lazareff (1984) et Ph. Crouzet in Pouvoirs(1985).
3. Commission des opérations de Bourse.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 705
721 Validité des autres interviews ◊ S'il s'agit d'entretiens dans une
enquête d'exploration, l'important n'est pas de savoir si l'on mesure bien
ce que l'on est censé mesurer, mais seulement de reconnaître ce que l'on
découvre. La richesse de l'information l'emporte sur la précision de la
mesure.
Sous ces réserves, reprenons les aspects classiques de la validité, dans
les divers types d'entretien.
Validitéempirique.L'instrumentpermet-il une prévision? Si les condi-
tions ont été respectées, la réponse est favorable. Mais les cas d'applica-
tion sont limités : interviews pour un sondage avant un vote ou inter-
views en profondeur, pour émettre un diagnostic.
Validitélogique.L'instrumentmesure-t-ilde f<lfonexactece qu'il est censé
mesurer? La réponse est plus difficile. Il n'existe pas d'étalon de mesure,
ni de critèreexternede validité. On peut seulement parfois comparer les
résultats des entretiens à ceux obtenus par d'autres techniques: tests pro-
jectifs, analyses de documents, etc. Le critèreinterne,le fait que les ques-
tions semblent concerner le problème, se révèle particulièrement flou.
Aussi faut-il mettre les chercheurs en garde contre le nombre de critères
implicites et non démontrés, sur lesquels inconsciemment et faute de
mieux, repose une part de la notion, pour ne pas dire impression, de vali-
dité dans l'interview.
On conçoit trop souvent la validité de l'interview, en fonction de l'idée
que l'on se fait de la difficulté de déceler certaines opinions et l'on est
tenté de juger satisfaisant un entretien, où l' enquêté aura semblé parler
facilement. Ceci ne correspond à aucun critère sérieux. En fait, la validité
de l'interview pose des problèmes beaucoup plus fondamentaux que les
questions classiques de critère externe ou interne.
La notion de validité, se référant à une idée de justesse, implique
d'abord l'étude des divers types d'erreurs qui risquent de lui porter
atteinte. Au-delà de la pure technique, la recherche des erreurs réserve, en
matière d'entretien, des difficultés particulières. S'il existe une vérité
objective en ce qui concerne les faits, permettant de se demander si l'in-
terview est un bon instrument pour les appréhender, en matière d' opi-
nion, il n'existe aucun critère pour reconnaître la vérité. Ainsi que nous
l'avons vu, il existe en sciences humaines des erreurs d'une nature parti-
culière, avant tout relative, qui ne se manifestent qu'en fonction d'un
changement de niveau ou d'objectif. Ceci est particulièrement redoutable
en matière d'interview, du fait de la variété même des niveaux que l'on
peut atteindre par cette technique.
721-1 L'erreur relative ◊ Un bon exemple d'erreur de ce type est fourni par
le fait, déjà signalé, qu'une réponse exprimée spontanément, par un
enquêté, dans un entretien non directif peut se transformer en face d'une
question directe et posée un peu plus tard. Au lieu de la petite exagération
à laquelle le portait sa confiance, dans le premier cas, joue probablement,
dans la deuxième situation, une légère inhibition due à la question
directe. Devant une notion de vérité de l'objet, elle-même aussi relative,
comment concevoir un critère de la validité de l'instrument de mesure ?
706 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
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710 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
2. LESTESTS
SECTION
« Tesparoles,en effet, me suggèrentcetteréflexion
que tout d'abord,la naturen'a pas fait chacunde
noussemblableà chacun,maisdifférentd'aptitude,
et propreà telleou tellefonction.»
Platon, La République,liv. Il.
§ 1. Évolution
72 6 Définition ◊ Le mot test ou têt, est un mot de vieux français, syno-
nyme de coupelle (latin testum; vase en terre), désignant des petits pots
de terre cuite, dont se servaient les alchimistes pour éprouver leurs
alliages. En anglais il désigne un réactif, un essai. Le mot test est un de
ceux dont notre époque fait un usage abusif. N'importe quelle réponse ou
réaction, à une question ou devinette, devient un test. Or, une réaction,
pour symptomatique ou révélatrice qu'elle apparaisse, ne constitue un
test que si, d'une part, la situation et le stimulus sont standardisés,
d'autre part, si le comportement du sujet peut être évalué quantitative-
ment, par comparaison statistique avec celui d'un groupe de sujets placés
dans la même situation. H. Piéron propose la définition suivante : « Un
test est une épreuve définie, impliquant une tâche à remplir, identique
pour tous les sujets examinés, avec une technique précise pour l'apprécia-
tion du succès ou de l'échec ou pour la notation numérique de la réus-
site 1 . » La tâche peut comporter une mise en œuvre, soit de connais-
sances acquises : test pédagogique, soit de fonctions sensorimotrices ou
mentales : test psychologique.
D'autres définitions sont plus larges; ainsi M. Reuchlin (1960) désigne sous le
nom de «test», « toute technique permettant une description quantitative,
contrôlable, du comportement d'un individu placé dans une situation définie, par
référence au comportement des individus d'un groupe défini placé dans la même
situation».
72 7 Historique ◊ La méthode des tests est née, comme une grande part de
la psychologie sociale moderne, de l'apparition de problèmes pratiques
posés par le développement technique, coïncidant avec l'amélioration des
moyens d'investigation.
Binet écrivait en 1911 : « Il n'est rien de tel que la nécessité pratique, pour faire
surgir des méthodes nouvelles. Nous serions restés longtemps dans le statu quo,si
nous n'avions été obligés, dans un intérêt véritablement social, de faire des
mesures d'intelligence par la méthode psychologique2 • »
On s'est d'abord rendu compte que l'on avait intérêt à mettre « the
right man in the right place». En effet, une personne plus apte qu'une
1. Définition adoptée par l'Association internationale de psychotechnique en 1933. Vocabulaire
psychologique,
zc éd., Paris, P.U.F.
2. Cité in B. Bonnardel (1960).
LES TESTS 713
autre à faire un travail, s'adapte plus vite, le fait mieux, avec un meilleur
rendement, moins de fatigue, moins de risques d'accidents et plus de
satisfaction. Comment arriver à trouver la personne la plus apte ? Il fal-
lait pour cela que progresse la psychologie, c'est-à-dire prendre
conscience des différencesentre individus,tenter de les mesurer,s'aperce-
voir que le comportement d'un sujet, sa réussite ou son échec dans une
situation donnée, ne sont pas dus au seul hasard, mais dépendent de cer-
taines aptitudes,de la continuitéde certains facteurs, dont la stabilitérend
possible une prévision.
728 Les origines ◊ Pour comprendre comment et pourquoi les tests sont
nés, il faut remonter aux origines de la psychologie différentielle. Nous
trouvons trois grandes orientations :
1° L'école allemande de psychophysique, dont le centre est le labora-
toire de Wundt, créateur à Leipzigde la psychologie expérimentale ; elle a
pour idéal la rigueur de la psychophysiologie et de la physique.
2° L'autre courant s'est développé aux Etats-Unis sous l'impulsion de
R. Cattell (1956). Pour cet auteur et ses disciples, l'idéal de la science
c'est d'être efficace et la psychologie ne doit pas y faire exception. D'une
part, l'extension industrielle, le développement des universités, l'immi-
gration (formation), le travail à la chaîne (taylorisme) font apparaître de
nombreux problèmes pratiques. D'autre part, en même temps qu'une
philosophie de l'action, se développent les idées évolutionnistes. La varia-
tion, jusque-là considérée comme sans intérêt pour la généralisation
scientifique, apparaît désormais, même au stade individuel, comme le
principe explicatif du domaine vivant.
La psychologie de Cattell est, avant tout, une psychologie de l'individu.
Dans son fameux article paru en 1890, il utilise l'expression de mental
test et prône l'application de la mesure à un grand nombre de sujets. Pour
la première fois, il est question d'interdépendance, de variabilité, de stan-
dardisation, avec une préoccupation d'utilisation pratique. Cette idée de
mesure, appliquée à l'individu, est capitale, car elle brise une certaine
notion immobiliste de l'homme. Comme le dit R. Zazzo (1961): « La
mesure permettra de situer un individu dans un groupe biologiquement
et socialement défini.»
729 L'apport de la statistique ◊ Les tests impliquent la notion de varia-
tion. Ils exigent également les progrès d'une autre technique: la statis-
tique.Ce n'est pas par hasard que le premier article de Cattell a été publié
sous le patronage de Galton, créateur de la biométrie et des statistiques en
biologie. Les éléments d'où devait naître la psychométrie, sont ainsi réu-
nis : variation individuelle, précision de la mesure, statistique. Pourtant,
pendant quinze ans, les psychologues américains, malgré leur volonté
d'aboutir à des résultats pratiques et de rejeter l'esprit de la psychologie
allemande, conservent ses instruments et ses techniques et n'apportent
rien de nouveau.
Enfin, Binet survint ! Binet, médecin français, travaillant à peu près
seul, va, en 1905, trouver une solution aux problèmes posés par les Amé-
714 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
ricains. Son hypothèse géniale consiste à avoir supposé que ce ne sont pas
les phénomènes élémentaires qui différencient les individus, « ou du
moins, déclare-t-il, nos techniques ne permettent-elles pas de saisir les
différences à ce niveau. C'est dans les processus complexes : personnalité,
intelligence que les différences individuelles sont plus perceptibles». En
découvrant que plus un processus est compliqué et élevé, plus il varie sui-
vant les individus, Binet a sorti la psychologie différentielle de l'ornière de
la psycho-physiologie de laboratoire, limitée à la mesure des sensations.
Binet parle d'abord« d'échelle métrique d'intelligence» et situe la psy-
chologie dans une perspective génétique, en marquant les étapes du déve-
loppement intellectuel par l'âge, critère précis et quantifiable. En 1904, il
est chargé par le Ministère de l'Instruction Publique, d'établir une
épreuve de dépistage, pour distinguer les enfants arriérés mentaux, de
ceux qui étaient seulement en retard du fait d'une scolarité irrégulière.
Binet crée alors la première échelle métrique, connue sous le nom de test
Binet-Simon.
730 Le test de Binet-Simon ◊ L'idée fondamentale consiste à grouper des
séries d'épreuves de difficulté croissante, partant du niveau intellectuel le
plus bas et aboutissant au niveau normal. Les tests ont été étalonnés sur
des élèves normaux des écoles parisiennes. La notion d'âge mental propo-
sée par Binet, permet de définir le retard des enfants par rapport à l'âge
normal, en fonction d'un degré de réussite aux diverses questions 1. C'est
pourquoi R. Zazzo faisait remarquer, avec humour, que ce test constituait
plutôt une mesure de l'inintelligence que de l'intelligence.
En 1917, lorsque les États-Unis durent recruter et classer en quelques mois,
plusieurs millions d'hommes, ils utilisèrent un test collectif: le Binet-Simon, sur
près de 2 millions d'individus. Le mouvement en faveur des tests était lancé et
devait, en 1940, aboutir à une utilisation beaucoup plus complète et efficace de
tests améliorés et adaptés 2.
constituant les épreuves d'un test, repose sur des hypothèses relatives aux
propriétés de l'aptitude à mesurer 1.
La première étape de construction d'un test, consiste à délimiter la
signification de l'aptitude, c'est-à-dire cerner son champ de performance
ou d'application.
Délimiter le champ de l'aptitude, c'est chercher les situations dans les-
quelles se manifestent ses propriétés.
On peut concevoir un certain nombre d'opérations différentes, relevant de
telle ou telle aptitude: appuyer sur un bouton lorsque s'allume un signal, etc., et
admettre qu'un même facteur : rapidité de tel réflexe, joue dans divers cas. On
peut également supposer que ce qui permet à un enfant de réussir en histoire,
géographie, récitation, c'est une aptitude à retenir, nommée mémoire. Lorsque
l'opération à accomplir met en jeu l'aptitude, celle-ci sera responsable de la réus-
site. En revanche, en mathématiques, la mémoire compte peu et les résultats
enregistrés seront moins bons.
On peut aussi envisager des situations concrètes plus complexes, dans les-
quelles les opérations (~estes constituant des réponses à un stimulus) seront
décomposées en divers eléments. Ces éléments peuvent être considérés comme
indices spécifiques et représentatifs des propriétés de la performance, c'est-à-dire
qu'on les suppose homogènes, relevant de la même aptitude et en relation pro-
portionnelle avec la performance totale attribuée à celle-ci. En admettant que
nous sachions quels gestes ou réponses traduisent la présence de l'aptitude,
encore faut-il que nous puissions en mesurer le degré.
1. Les hypothèses déterminent la valeur du test, mais leur propre valeur dépend de l'état des
connaissances psychologiques et des théories sur lesquelles elles reposent.
2. Décilage, tétronnage, quotient d'intelligence (QI).
LES TESTS 717
Nbre de bonnes
réponses:
de .................. 1 6 11 16 21 26 31 36 41 46 51 56 61 66 71 76 81 86 91
à ................... 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95
§ 3. La notion de validité
736 La notion de critère ◊ Déterminer la valeur objectived'un classement
d'individus, par rapport à une tâche à effectuer, revient à trouver dans la
vie concrète un critèreindépendant,qui, recouvrant la même aptitude, hié-
rarchise les mêmes sujets de façon identique. Sans doute, d'autres fac-
teurs d'influence peuvent-ils intervenir dans la réalité, mais il faut que
l'aptitude que l'on essaie de cerner dans le test exerce également une
influence dans le classement réel, établi suivant ce critère. Si tel individu
réussit les tests mettant en cause la rapidité, on pourra en déduire qu'il
réussira dans la vie dans les activités où interviendra ce facteur. Ceci
implique que l'on puisse isoler, en laboratoire, des aptitudes et que
celles-ci se retrouvent déterminantes dans les situations réelles, profes-
sionnelles ou autres, sur lesquelles porte la prédiction. Entre les épreuves
ou items des tests, mesurés en laboratoire et les performances de tel
métier ou situation, mesurées suivant un critère défini, doit exister un
élément commun: telle aptitude ou facteur d'aptitude.
Pour que la prévision soit possible, il faut donc, non seulement que
l'instrument: le test, mesure bien ce qu'il est censé mesurer: l'aptitude,
1. Cf. Annexestatistiquenos912 et s.
718 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
130-
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quelque sorte prévue d'avance. Ce sont des tests qui cherchent moins une prévi-
sion qu'un contrôle et posent, de ce fait, des problèmes de validation moins déli-
cats. C'est le cas des tests pédagogiques. Ceux-ci ne mesurent pas indirectement
l'aptitude par la performance, mais cherchent simplement, à émettre un diagnos-
tic sur les résultats d'un apprentissage, accompli dans des conditions connues et
contrôlables. Les examens d'histoire constituent un jugement porté sur l'appren-
tissage que représentent des cours d'histoire, en fonction d'un critère : les
connaissances historiques. Dans ce cas, il y a correspondance directe entre le
contenu du test et le critère. Les tests de ce type sont en revanche totalement
insuffisants pour faire une prédiction plus large. En effet, faute d'avoir su préciser
les critères de réussite de l'école moderne, par rapport à sa triple finalité : ins-
truire, éduquer, orienter, ces tests ne mesurent que les aspects les plus méca-
niques de l'instruction, les seuls vérifiables parce que les seuls précisés par des cri-
tères définis.
1. Cf., n° 800.
LES TESTS 7 21
ou des erreurs s'être glissées dans le résultat des épreuves. L'erreur pouvait égale-
ment provenir d'une analyse insuffisante du métier et des qualités requises pour y
réussir.
La validité n'est donc pas une fonction du test, mais bien de l'usage
pour lequel le test est envisagé. C'est là le grand problème du contenu du
test, qui doit révéler ce que l'on cherche: l'aptitude de l'individu, en fonc-
tion de ce qui est supposé utile et la même aptitude, facteur de réussite
dans la réalité.
743 a) Tendance structurale et analyse factorielle 1 ◊ L'analysefacto-
rielle est née de l'idée de corrélation, d'abord mise en valeur par Ch.
Spearman, psychologue anglais, qui ne pouvait admettre la conception
unitaire de Binet De 1904 à 1930, il s'attache à démontrer dans les apti-
tudes que révèlent les réussites aux tests, la présence d'un facteur géné-
ral g, que l'on retrouve dans toutes les branches de l'activité intellectuelle
et qui explique les mêmes réussites, dans des épreuves d'ordre différent.
Utilisant des matrices, Spearman montre que lorsque les corrélations
peuvent être entièrement expliquées par ce facteur g, elles tendent à se
ranger en ce qu'il appelle un« schéma hiérarchique». Les autres facteurs
spécifiques de l'activité semblent, eux, être totalement indépendants et
différents les uns des autres.
L'originalité de Spearman consiste, avant tout, dans le fait qu'il a
considéré l'analyse factorielle et l'utilisation des corrélations, non comme
une simple technique descriptive, mais comme un moyen d'identifier de
véritables processus sous-jacents, de découvrir des «aptitudes» relevant
de causes physiques, comme les « structures nerveuses ».
La théoriemultifactorielle.- LesAméricains L. L. Thurstone et J. P. Guil-
ford, depuis 1938, s'opposèrent à la notion de facteur général et de hié-
rarchie. Utilisant les mêmes techniques de corrélation, ils s'attachèrent à
démontrer que celles-ci pouvaient être expliquées par un certain nombre
de types d'aptitudes indépendants ou de facteurs multiples, qu'il convient
d'essayer d'apurer au maximum et d'isoler, au point d'en faire des fac-
teurs primaires. C'est la théoriemultifactoriellede Thurstone,dont les expé-
riences tendent à démontrer l'existence d'un certain nombre de facteurs
distincts : verbal, numérique, spatial etc.
A grands renforts d'expériences 2, avec un lourd appareil mathématique 3, les
discussions se sont poursuivies et, comme on pouvait s'y attendre, les résultats
des tests permirent aussi bien à l'école anglaise qu'à l'école américaine 4,de justi-
fier leurs théories. En 1945, paraissait l'important rapport du service américain de
la main-d'œuvre (USES), tandis que la marine et l'année anglaise confirmaient
l'importance du facteur g.
Quelles que soient leurs tendances théoriques et l'interprétation qu'ils
donnent des facteurs, les factorialistes envisagent tous la validité sous
1. Cf. Ph. Cibois (1983) et Annexe 4.
2. Certaines, si considérables,furent appelées« opérations mammouth».
3. Rotation des axes, etc. Cf. Analysefactorielle,C.N.R.S.(1955).
4. Les auteurs américains depuis le XIX"siècle étaient portés à croire à des aptitudes multiples et
spécifiques.
722 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
G S1 El
2 G S2 E2 tests
3
1· B 1 • 0 SE E3
LA 1 .8
L 1•
C D
1
Sj Ej critère J
Les tests 1 et 2 ont en commun avec le critère J, et dans des proportions dif-
férentes, les facteurs A et C ; le test 3, les facteurs B et D. Les 3 tests sont donc
valides par rapport à ce critère J, mais pour des raisons différentes, c'est-à-dire en
fonction de facteurs différents.
Les tests 3 et 1 ensemble, donneront une meilleure prédiction, car ils couvri-
ront un plus grand nombre de facteurs, ABCD,que les tests 1 et 2 qui ne couvrent
qu'A et C.
Un test n'est valide que par rapport à un critère déterminé. Ajouter un nou-
veau test à une batterie n'améliore sa corrélation avec le critère que dans la
mesure où il recouvre une nouvelle variable du critère, jusque-là non représentée
dans le test. Par exemple, le facteur S dans notre tableau. L'idéal serait évidem-
ment la parfaite conformité entre les facteurs contenus dans le test et dans le cri-
tère.
LES TESTS 723
1. R. Boudon (1965).
2. P. E. Vernon (1952).
3. In L'analysefactorielle(1955).
724 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
le contenu de la batterie des tests qu'à faire les calculs ultérieurs. L Guttmann
faisait aussi remarquer avec beaucoup d'honnêteté : « Meilleurs sont la théorie
psychologique et le choix du contenu des tests, moins il y a de calculs à faire » et
enfin, P. Oleron (1957) reconnaît à son tour: « que les mathématiques utilisées
sont beaucoup plus des recettes, permettant de surmonter la complexité du maté-
riel à manier, que des moyens d'un enchaînement rigoureux de la pensée ou des
faits». C'est pourquoi H. J.Eysenck, au nom des psychologues, déclare que les
h}1>othèsesfactorielles ne peuvent trouver leur validation qu'intégrées dans une
theorie générale.
745 b) Validité critérielle d'Eysenck o Pour cet auteur, les aptitudes nous par-
viennent trop mêlées de facteurs sociaux pour pouvoir être isolées. Nous devons,
au contraire, chercher une validation de ces critères, retenus par l'analyse facto-
rielle, en accord avec les théories générales : théorie de la personnalite, de l'ap-
prentissage, etc. Ceci suppose un groupe de référence, incarnant la théorie en
question : par exemple, groupes de névrosés servant de ~roupes de référence pour
des facteurs hypothétiques sur la névrose, etc. Eysenck prend pour exemple les
facteurs : radical et tendre, qu'il retient dans le domaine politique, parce qu'ils
cadrent à la fois avec la position des partis politiques et les théories psycho-
logiques. Ce point de vue est plus intéressant par son orientation que par la préci-
sion de la technique, car l'identification des facteurs demeure hypothétique.
746 Complémentaritédes diversesconceptionset techniques ◊ Quelles
concfüsions pouvons-nous tirer de ces diverses conceptions, en ce qui
concerne les deux questions posées au départ: Le test mesure-t-ilbien ce
qu'il est censémesurer?La prévisionest-ellejuste?
Sur le premier point, nous ne possédons pas plus qu'avant de défini-
tion de l'aptitude, ni des facteurs. La plupart des auteurs sont parvenus à
une conception modérée, c'est-à-dire qu'ils veulent éviter, pour justifier
des réussites empiriques, de réifier les facteurs et ressusciter, sous le nom
d'aptitudes, les «facultés» du Moyen Age. Ils se contentent d'admettre
que toute tâche nécessite des faisceaux d'aptitudes que le sujet mobilise
ensemble, dans un rapport impossible à déceler. Une « aptitude »
implique l'existence de performances qui corrèlent fortement entre elles
et sont relativement distinctes d'autres performances. Pour concevoir un
facteur mémoire, il faut que les diverses sortes de mémoires, visuelle,
auditive, des chiffres, etc., présentent une forte corrélation les unes avec
les autres. Dans cette optique, un facteur n'est pas un pouvoirmental
hypothétique comme une faculté, c'est une interprétation (également
hypothétique) rendant compte des corrélations objectivement détermi-
nées, entre les tests. Le facteur sert, à titre de catégorie, pour classer des
performances, plutôt que comme entité causale et explicative.
Enfin, comme le note N. Reuchlin (1964), toute possibilité de prévi-
sion ne peut faire abstraction d'éléments sociaux. Ceux-ci créent une dif-
férence entre une tâche élémentaire simple : appuyer sur un bouton après
l'audition d'un stimulus sonore, et une orientation complexe, telle qu'ap-
prendre un métier. Le mot aptitude ne peut s'appliquer avec le même
contenu dans les deux cas. Il faut donc admettre, à côté de recherches
1. In op. cit. (1955), cf. n° 772.
LES TESTS 725
§ 4. La fidélité
L'exigence de prévision, qui rend essentielle la notion de validité des
tests, oblige à concevoir de façon très stricte la fidélité. Celle-ci concerne
la façon de recueillir les données, c'est-à-dire non plus la construction du
test, mais toutes les étapes de sa passation. Elle est liée, avant tout, à l'ob-
jectivité des méthodes de passation : normalisation, application, nota-
tion, etc. Cette notion de fidélité recouvre des contenus différents, qui
correspondent aux principales sources de variations, tenant soit aux sujets
eux-mêmes,à leurs dispositions particulières (santé, fatigue, attitude à
l'égard du test), soit à l'instrument,c'est-à-dire au test et aux activités pro-
posées, soit à l'opérateur.La fidélité traduit d'abord la corrélation entre les
notations de plusieursobservateurs.Ensuite, la cohérence et la stabilitédu
comportement d'un sujet, obtenues par corrélation entre deux tests
parallèles ou deux applications successives du même test 1.
747 1° Présentation, application du test ◊ Peu d'individus sont sus-
ceptibles de faire des observations objectives sans un véritable apprentis-
sage. Le plus souvent, les observateurs subissent l'effet de« halo», c'est-
à-dire ne différencient pas les aspects divers du comportement du sujet et
ont tendance à le juger en bloc, bon ou mauvais.
2
L'étude docimologique , ou étude des jugements aux examens, montre que si les
correcteurs sont en général constants dans leur tendance à la sévérité ou l'in-
dulgence, les mêmes copies, corrigées par un même professeur à des époques dif-
férentes, n'obtiennent qu'une corrélation parfois à peine égale à 58. Entre huit
professeurs, il y a 50 % de désaccord 3 •
Lorsqu'il s'agit de juger des éléments aussi divers que le rythme de travail, la
sociabilité, l'aptitude manuelle, etc., l'accord entre observateurs, même entraînés,
ne serait pas plus élevé qu'un accord réalisé par des jugements faits au hasard 4.
1. Diverses techniques statistiques, analyse de variance, corrélation, permettent de calculer le
degré de ces différents aspects de la fidélité.
2. Du grec ôonµam.am, notation des épreuves, cf. A. Picl'On (1963).
3. In N. Reuchlin (1960).
4. In A Picron (1963).
726 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
sés. On peut ranger les tests, soit d'après leur présentation:certains néces-
sitent un appareillage, des éléments à manipuler, d'autres seulement un
papier et un crayon; soit d'après leur fonction, le but que l'on se propose
en les appliquant. Certains auteurs distinguent les tests analytiques,
s'adressant au développement d'une fonction déterminée: sensorielle,
motrice, tests d'habileté manuelle et de réactions ; ou mesurant des apti-
tudes élémentaires : mémoire concrète, intelligence verbale ; certains tests
de connaissance, ayant pour but de remplacer les compositions aux exa-
mens ; soit au contraire des tests synthétiques, étudiant des aptitudes
complexes : aptitude à la musique par exemple.
Classificationde G. Palmade(1948). Si l'on considère le but des tests,
on s'apercevra qu'ils sont utilisés suivant trois tendances. La première
inspire ceux qui se soucient d'examenspréds et étalonnés,reposant sur des
corrélations contrôlées. La deuxième, préoccupée davantage d'une solu-
tion en fonction de la vie concrètedes professions, s'attachera à un aspect
plus global et négligera certains aspects statistiques. La dernière, inspirée
davantage de la psychiatrieet de la psychologie pathologique, étudiera les
facteurs affectifs profonds d'adaptation au travail. Elle est sur le plan psy-
chologique beaucoup plus élaborée que les précédentes, mais manque
parfois de rigueur expérimentale.
L'adaptation de l'homme au travail se fait sur trois plans. Plan desapti-
tudes opérationnelles: tout métier, toute technique, comporte des opéra-
tions définies, dans lesquelles la réussite est sans ambiguïté et correspond
à des aptitudes données 1. Mais la vie de travail, la façon de travailler,
n'expriment pas tout l'individu. Il existe, en dehors des gestes concrets,
un élément plus général: le comportement.De plus, tout métier a une
signification sur le plan humain et l'on peut considérer au-delà du
comportement un domaine des conduites.Si nous admettons cette divi-
sion en trois grands groupes de facteurs, encore faut-il disposer de
moyens de déceler et mesurer ces facteurs. Dans tout examen par test, il y
a non seulement ce que l'on cherche (facteurs manifestant des apti-
tudes), mais aussi la façon dont on le cherche, qui est, nous l'avons vu,
liée aux données symptomatiques retenues pour être interprétées.
On peut classer les tests d'après la nature de ces indices, ce qui donne
huit types d'examen psychotechnique, pouvant se regrouper en trois
méthodes principales :
1. Ces aptitudes, comme nous l'avons vu, peuvent être définies à partir de conceptions sur laper-
sonnalité et la nature de l'homme (point de vue dogmatique), à partir de la structure des opérations
(notion classique d'aptitude) ou d'une analyse expérimentale (point de vue factoriel).
728 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
C'est ainsi que W. H. Whyte jr, dans son ouvrage L'hommede l'organisation1
explique comment mentir aux tests, pour être embauché dans une grande entre-
prise. Le système étant établi par rapport à l'ensemble de la population, on a inté-
rêt à ne pas troP. se singulariser, à rester proche du normal, tout en essayant de
n'être pas trop eloigné de ce que l'on est vraiment.
Ces méthodes bien que de plus en plus utilisées sont beaucoup moins
répandues en France, où elles suscitent à la fois méfiance et ironie 2 • Les
syndicats se montrent réticents, d'une part dans la mesure où les services
d'embauche tendent à dépasser le simple niveau des aptitudes profes-
sionnelles et cherchent des informations sur le comportement des indivi-
dus, d'autre part et surtout, dans la mesure où le sujet n'est pas tenu au
courant des résultats de ses épreuves. Des tests, comme un examen médi-
cal, peuvent se concevoir, mais en fonction d'abord de l'intérêt du sujet,
qui doit être averti de ses aptitudes et de ses faiblesses et ensuite, dans l'in-
térêt général de l'entreprise et dans celui de la société.
Il faut cependant comprendre la tendance des psychométriciens à
essayer de porter un diagnostic au-delà des seules réussites et la tentation
des patrons de se servir de ces indications.
Comme le remarque S. Pacaud (1955): « A l'heure actuelle, l'adaptation de
l'homme à son métier, et même de la machine à l'homme, est moins urgente que
l'apaisement, à l'intérieur de l'entreprise, des conflits intrahumains et des conflits
de groupes. »
Utilisés de façon raisonnable, les tests peuvent aider l'orientation et la
sélection. Ceci à condition que soient respectés, en dehors des consignes
techniques, un certain nombre d'impératifs : respect du sujet soumis au
test, non pas mesuré comme un objet, mais comme une personne ayant
droit à la connaissance des résultats, prudence du psychotechnicien vis-à-
vis de ses conclusions. Celles-ci constituent seulement des indications.
Elles sont soumises aux aléas des interprétations et comportent de nom-
breuses lacunes.
Avec ces réserves, on peut admettre que, l'individu étant plus heureux
lorsqu'il accomplit une tâche pour laquelle il est doué, une sélection bien
faite concourt à la fois à l'épanouissement individuel et au rendement
dont bénéficie la collectivité.
766 Bibliographie ◊
*ANZŒu (D.) 1960. - Les méthodes projectives, P.U.F., 4e éd. 1973, 286 p.
* « L'Analyse factorielle et ses applications», 1955. Colloque International
du C.N.R.S., Paris.
ABr(L. E.) and BELLAK(L.) 1952. -Projectivepsychology, clinical approaches
ta the total personality, New York, A. Knopf, 488 p.
BARCI.AY a.
R.) 1969. - Controversial issues in testing, Boston (Mass.)
Houghton, 96 p.
BoNNARDEL (R.) 1960. - « Psychologie différentielle», Bulletin de Psycho-
logie,vol. XIII, pp. 658-670.
1. W. H. Whyte (1956) (B. 239).
2. M. de Montmollin (1972).
LES TESTS 735
3. LA MESUREDES ATTITUDES
SECTION
ET DES CHANGEMENTS
While you and I have lips and voiceswhich
Are for kissingand to sing with
Who caresif some one eyedson of a bitch
Invents an instrument to measureSpringwith.
E. E. Cummings.
1
§ 1. Les caractéristiques des attitudes
767 1° Les changements d'attitudes ◊ Connaissantle rôle des attitudes 2
on peut émettre l'hypothèse qu'une attitude changera plus facilement,
lorsqu'elle ne remplira plus sa fonction. Il est donc utile de connaître
celle-ci. On peut imaginer qu'en supprimant certaines raisons d'anxiété
on rendra inutiles les attitudes de défense correspondantes, ou qu'en don-
nant des informations répétées sur un sujet précis, on modifiera des
cadres de références anciens, donc des attitudes fondées sur des erreurs de
jugement ou d'appréciation. Ce changement sera plus ou moins probable,
plus ou moins facile, suivant les individus et surtout suivant les caractères
de l'attitude.
Il convient d'abord de connaître le degréde consistancede l'attitude,
autrement dit sa solidité, sa persistance, lorsqu'elle se trouve en face d'un
stimulus semblable, mais aussi dans des occasions différentes. Ensuite, la
cohérencede l'attitude, son degré de corrélation avec d'autres attitudes et la
zone, l'étenduequ'elle recouvre, c'est-à-dire sa spécificitéou sa généralisa-
tion. Un individu raciste acceptera mal qu'un Noir habite dans son
immeuble, mais en embauchera facilement un comme chauffeur.
Enfin, l'intensité de l'attitude va souvent de pair avec l'étendue et la
cohérence. Plus une opinion est intense, plus elle tend à recouvrir un
grand nombre d'attributs. On ne peut traiter des changements d'attitude,
sans signaler cet élément important de la psychologie sociale que consti-
tue la résistanceau changement.Elle renforce toutes les attitudes existantes
et l'élément d'économie, de refus d'adaptation à la nouveauté, qu'elles
contiennent.
768 La ri_gidité ◊ La résistance au changement est liée à un trait de person-
nalite: la rigidité,c'est-à-dire la force de maintien des attitudes. Lesindivi-
dus sont, pour la plupart, aveugles et sourds à ce dont ils n'ont pas l'habi-
tude. Ceci explique qu'ils ne lisent que les journaux les confirmant dans
leurs opinions, écoutent seulement ceux qui sont de leur avis, etc. La rigi-
dité rend certaines personnes, non seulement incapables de s'adapter
rapidement, mais encore de tolérer l'ambiguïté,c'est-à-dire l'indécision et
1. Cf. n°' 453 et s. R. Thomas et D. Alaphilippe (1983), D. Katz (1960).
2. D. Katz (1960).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 737
C'est ce qu'a essayé de faire T. W. Adorno (1950), dans sa recherche sur la person-
nalité autoritaire.
On voit ici dans le secteur en haut et à droite ce qui concerne plutôt les réac-
tions fascistes et en bas, un certain type de libéralisme. Tandis qu'à gauche, on a en
haut le point de vue communiste et en bas une certaine gauche humaniste. Les
quatre dimensions permettent de nuancer les positions, les attitudes, plus que la
simple ligne ne comportant que deux extrêmes.
773 3° Conditions et limites de la prévision des attitudes ◊ On peut
distinguer: a) D'une part, la prévision d'une attitude particulière à partir
d'une autre attitude particulière ou d'une attitude plus générale (cas de
!'ethnocentrisme et de l'antisémitisme) ; par exemple, l'attitude vis-à-vis
des Noirs, attitude particulière de tel individu appartenant à un parti de
droite ( attitude générale).
b) D'autre part, la prévision d'un comportement précis dans une situa-
tion donnée, à partir d'une attitude connue, par exemple peut-on prévoir
comment tel individu raciste, se comportera devant un Noir qui a besoin
d'être aidé? Il s'agit là de deux questions tout à fait différentes, qui
expliquent ce que pourraient avoir de contradictoires, d'une part, l'affir-
mation que les attitudes sont liées entre elles et d'autre part, la constata-
tion que l'on ne peut prévoir avec certitude un comportement réel à partir
d'une attitude.
L'exemple le plus fréquemment ava11céest celui du sociologue R.T.La Piere
(1934), qui, en 1930-32, voyageant aux Etats-Unis avec un jeune ménage chinois,
fut fort bien accueilli dans les hôtels et restaurants, alors qu'aux lettres envoyées
préalablement, posant la question : « Acceptez-vous des Chinois comme
clients?», 92 % des restaurateurs sur les 51 % qui répondirent le firent négative-
ment. La question de La Piere n'était pas, en fonction d'une prévision, une bonne
question. Révélatrice sans doute de l'opinion ethnocentriste des hôteliers, elle ne
permettait pas de prévoir comment ils adapteraient leur attitude à la réalité sociale
précise dans laquelle elle aurait à se manifester. En effet, en période de crise écono-
mique, la question écrite suggérait sans doute la venue de Chinois loqueteux. Elle
n'avait rien de commun avec la réalité: l'arrivée de clients corrects et bienvenus
parce que rares.
774 Limites à la prévision ◊ On peut seulement dire que l'attitude ou
l'opinion, extériorisée dans une situation donnée, représente l'attitude de
cet individu dans telle situation. Nous insistons ici sur la tendance regret-
table de certains à considérer certaines attitudes comme « réelles » ou
«vraies», alors que d'autres seraient fausses. Du point de vue de l'obser-
vateur, toutes les attitudes sont également réelles et vraies. Qu'il puisse
trouver entre elles des corrélations plus ou moins parfait.es, est un pro-
blème qui n'a rien à voir avec la vérité ou la réalité des attitudes. Le
comportement ne dépend pas seulement de l'attitude. Entre celle-ci, dic-
tée par des motifs intérieurs, et le comportement réel, jouent les écrans de
la politesse, de la pression sociale, de la peur, etc. Entre une attitude qui
tend à donner une certaine réponse à une situation et les éléments exté-
rieurs qui vont atténuer ou corriger cette réponse, on trouve des deux côtés
des facteurs plus ou moins contraignants. Un adolescent peut avoir vis-à-
vis de son père une attitude très hostile, dont la manifestation sera inhibée
par la crainte. Malgré ces difficultés, la mesure des attitudes garde tout son
7 40 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
777 Les items ◊ L'échelle tient sa valeur de l'ensemble des questions posées
ou items,de leur lien avec l'attitude qu'elles ont pour but de mesurer, de
leur valeur de discrimination et de diagnostic. Les items d'une échelle ne
représentent jamais qu'un échantillon de l'univers de cette attitude. Il faut
donc retenir les plus significatifs, les plus révélateurs, c'est-à-dire ceux qui
sont les plus étroitement liés à l'attitude que l'on veut mesurer. Ce lien
peut être apparent Une proposition telle que « La Russie fait des efforts
sincères pour que les Nations-Unies puissent fonctionner normale-
ment», mesure manifestement l'attitude vis-à-vis de la Russie. Étant don-
née la complexité du problème de nos croyances et attitudes, de leurs liens
cachés entre elles, un item peut relever d'une attitude autre que celle à
laquelle il semble se rattacher. Il peut même être volontairement indirect,
pour ne pas susciter de défense chez !'enquêté: par exemple un item sur
l'importance des valeurs religieuses dans une échelle d'attitude vis-à-vis
du communisme. Mais, apparent ou pas, le lien, entre l'item et l'attitude,
est toujours testé et validé avant d'être utilisé.
778 L'efflcacité ◊ Pour qu'une échelle soit efficace, les items doivent, non
seulément distinguer les individus situés aux extrémités du continuum,
mais également échelonner les autres suivant les nuances de leur attitude.
Les items ne doivent pas se chevaucher, mais être gradués, de façon paral-
lèle aux attitudes réelles. Bien entendu, il existe toujours des influences
perturbatrices, qui feront que certains sujets, pour une raison personnelle,
auront une opinion particulière sur l'un ou l'autre item. Tel individu,
d'opinion raciste, fera une exception pour la race jaune, parce qu'il a fait
un agréable séjour au Japon. Il est donc préférable d'avoir un nombre
d'items assez grand, pour que les cas particuliers s'annulent. Cependant,
un questionnaire trop long est lourd et difficile à manier. Il faut trouver
un compromis entre la sécuritéet la maniabilité.
Imaginons une question impliquant trois réponses possibles : oui, non, sans
opinion. Ceci permettrait de classer en trois groupes la population ayant répondu.
Si l'on pose deux questions, on aura, en combinant les diverses possibilites, neuf
groupes : ceux qui répondent oui aux deux questions, non aux deux questions,
sans opinion aux deux questions, oui à la première, non à la deuxième, etc. Si l'on
veut mesurer, par exemple, des attitudes raciales par trois questions, on peut
admettre, suivant le type de question, que l'individu A répondant oui aux trois
questions, a des préjugés plus forts que celui qui répond non. Mais comment
comparer ces individus, si A répond oui à la première question, non à la deuxième,
alors que B fait le contraire ? Evidemment, si la première question est « Êtes-vous
favorable à la pratique du lynchage ? » et la deuxième « Aimeriez-vous que votre
fille épouse un Noir ? », on fait aisément la différence entre les réponses aux deux.
Les items sont en général prévus de façon plus nuancée.
Pour pouvoir situer les individus d'après leurs réponses aux questions
ou items, encore faut-il que ceux-ci aient une signification, une valeur dif-
férente connue. La pondération consiste justement à donner une valeur
numérique à chaque item, ce qui permet d'attribuer un score total à l'indi-
vidu. Les procédés de pondération varient, ainsi que nous le verrons, sui-
vant les échelles.
7 42 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
faut, d'une part déterminer quel est le point de départ, le point zéro de l'at-
titude et avoir à partir de là une unité de mesure. Ceci signifie que les
échelles ne sont pas seulementcaractérisées par leurspropriétésmathéma-
tiques,maisaussipar desprocédés différentsdecollecte desdonnées.Suivant le
cas, on pourra ou non utiliser telle ou telle mathématique, parce que l'on
disposera de tel ou tel matériau et l'un et l'autre permettront un niveau de
mesure, un raffinement et une précision plus ou moins grands. Voici,
dans l'ordre croissant de précision, les divers types d'échelles:
782 a) L'échelle nominale ◊ Elle représente le degré le plus élémentaire de
l'échelle de mesure. Elle substitue des symboles et des noms hiérarchisés, à
des objets concrets : catégories de professions, de grades, tels que maître de
conférences, agrégé, professeur. Elle comprend la notion d'équivalence : si
A= B, B = A, ou d'inégalité. Elle permet des statistiques par types ou
genres, le classement des types de maladies et l'apparition successive des
symptômes dans un certain ordre de gravité : la fièvre, l'éruption, enfin
elle situe les différences, par exemple Pierre, Paul et Jacques n'ont pas le
même revenu.
783 b) L'échelle partiellement ordonnée ◊ Les objets d'une certaine
classe apparaissent comme différents de ceux d'une autre classe, mais il
peut y avoir un rapport entre ces deux groupes d'objets. Cette échelle
introduit une comparaison, un certain ordre, la notion de plus ou de
moins en moins favorable.
A>B B>C A>C
Lerevenu de Pierre est supérieur à celui de Paul et Jacques; comme nous igno-
rons la différence entre les revenus de Pierre et ceux de Jacques, notre échelle n'est
que partiellement ordonnée. Si nous voulons les comparer à la fois sur le plan du
revenu et du niveau d'instruction, en admettant que Pierre ait un revenu supérieur
à celui de Jacques et de Paul et un niveau d'instruction inférieur à celui de Paul,
nous ne pourrons plus les comparer sur la même échelle. Celle-ci ne sera que par-
tiellement ordonnée.
dérer tous les choix comme interchangeables et égaux, ce qui est évidemment
contestable. Quel est le livre qui a le plus grand succès, celui qui est lu par 3 000
personnes de qualité, ou le best-seller lu par des centaines de milliers de per-
sonnes?
787 e) Les échelles d'intervalles ◊ Il ne s'agit plus ici seulement d' ordon-
ner, mais d'ordonner suivant une évaluation des intervalles entre les éche-
lons. Ce progrès important exige que l'intervalle entre les échelons soit
mesurable à partir d'une unité commune.
Nous ne devons pas nous contenter de savoir que la différence entre le revenu
de Pierre et celui de Paul est plus ~rande que celle qui sépare le revenu de Paul de
celui de Jacques, mais dire avec precision : Pierre gagne 500 F par mois de plus que
Paul qui gagne 300 F de plus que Jacques. Grâce aux chiffres de salaire, nous avons
une possibilité de mesure plus satisfaisante que celle de la hiérarchie militaire. Le
nombre d'hommes commandés, dans l'exemple précédent, nous obligeait à postu-
ler l'égalité de tous les soldats. Si l'on peut assimiler un soldat à un autre soldat
comme unité de mesure, peut-on admettre des éléments d'unité comparables lors-
qu'il s'agit d'opinions? Comment mesurer l'égalité du plus ou du moins entre des
opinions différentes ?
Exemple : tel parti est plus révolutionnaire que tel autre, tel film plus immoral,
tel fruit plus parfumé. Deux sujets n'ayant pas les mêmes goOts peuvent cepen-
dant être d'accord sur le jugement porté sur tel ou tel attribut; par exemple, recon-
naître que tel parti est révolutionnaire, mais l'un le constatera pour le combattre,
l'autre pour s'y engager.
Dans le premier cas, celui de la préférence, on s'intéresse au sujet lui-
même, à son choix; dans le deuxième, au stimulus: le parti est révolu-
tionnaire. Coombs ajoute une deuxième distinction : la différence entre le
comportement indépendant, c'est-à-dire ne jugeant qu'un seul stimulus à
la fois, tel fruit est sucré, ou relatif, visant à établir une comparaison : tel
parti est plus révolutionnaire. Autrement dit, on aboutit à un tableau à
double entrée donnant les possibilités suivantes :
COMPORTEMENT COMPORTEMENT
INDÉPENDANT REIATIF
(COMPARAISON)
Évaluation du stimulus II I
par rapport à une pré- J'aime le parti A Je préfère les partis A et B
férence àC et D
Évaluation du stimulus III IV
par rapport à un attribut Le parti A est révolution- Les partis A et B sont les
naire plus révolutionnaires
Imaginons que nos quatre sujets fassent trois choix, par ordre de préférence.
On obtiendra :
Partis
A B C D E
individus 1 1 2 3
2 2 1 3
3 3 1 2
4 3 2 1
On s'aperçoit que cette technique constitue une application de la technique du
parallélogramme, car, si au lieu d'un classement, l'on demandait simplement:
quels sont les trois partis que vous préférez ? on remplacerait les numéros de clas-
sement par des+ ... et les choix 1, 2, 3, 2, 3, 1, 1, 3, 2 ne pourraient être distin-
gués. Il ne resterait que trois classes d'individus (cas précédent), ceux qui pré-
fèrent ABC, BCD ou CDE.
Dans ces deux exemples, les résultats sont représentés exclusivement à partir
des données. L'instrument d'analyse n'impose aucune propriété à l'information.
L'échelle n'est obtenue que si les données satisfont aux conditions requises, si les
individus s'ordonnent sur des stimuli échelonnés. Ce n'est pas la technique qui
transforme la donnée, au contraire, il s'agit d'une technique sensible, dans le sens
donné à ce terme à propos des niveaux de mesures. Or, remarque Coombs, il est
rare que, dans le domaine psychosociologique, les conditions requises soient réu-
nies. En général, on doit se contenter d'une mesure moins fine, correspondant au
niveau que l'on trouve le plus souvent, celui de la simple échelle nominale.
Items ..................... 1 2 3 43 5
Individus A 5 5 5 5 5 25
B 3 5 2 5 5 20
C 1 3 1 3 4 12
D 1 1 1 4 1 8
-- -- -- -- -- --
10 14 9 17 15
1. Par exemple: « Nous devrions intervenir militairement chaque fois que nos investissements
en Afrique sont menacés. »
2. En réalité le processus est plus complexe. Pour« valider» les items on calcule le coefficient de
corrélation entre le score global de chaque sujet et le score de chaque item. On élimine les items
insuffisants avant de présenter l'échelle aux sujets. Pour ces opérations voir l'excellent exposé de R.
Daval (1963).
3. Mauvais item qui ne permet pas de classer les individus. C, est plus faible que D, alors que ce
devrait être le contraire.
LA MESUREDES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 751
Numéro de la catégorie
18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
X X X X X X X X X
1 8
X X X X X X 0 X X
X •••~•••
X X X X X X X X X 3
X X X X X X X X X 4
X X X X X X X X X 5
X X X X X X X X X 6
X X 0 X X X X X X X 7
X X X X 0 X X X X X 8 7
X X X X X X 0 X X X 9
X X X X X X 0 X X X 10
X X X X X X X 0 X X 11
X X X X X X X X 0 X 12
X X X X X X X 0 X 0 X 13
X •=i_-4 ...
X X X X X X X X
X X X X X X X X 0 X 15 6
X X X X X 0 X X X
X .••••••••• .f.~...
X X O X X X X X X X 17
X X X X X X X X X 18 5
X X X X X X X X X 19
X X X X X X X X 0 X 20
X X X X X X X X X ···········:ii'·~
X X X X X X X X 0 X
..........).~ ...
X X X X X X X X X 23
X X X X X X X X X 24
X X X X X X X X X 25
X X X X X X X X X 26
X X X X X X X X X 27 3
X X X 0 X X X X X X 28
X X X 0 X X X X X X 29
X X 0 X X X X X X X 30
X X 0 X X X X X X X 31
o = erreurs X X X X X X X X 0 X 32
x = catégo- X X X X 0 X X X X
··;········3°3···
ries aux- X X 0 X X X X X X X 34
que 11es X X 0 X X X X X X X 35
on a X 0 X X X X X X X X 36 2
« bien » X X X X X X X X X 37
répondu X X X X X X X X X 38
X X X X X X X X X
.......... }.~ ...
X X 0 X X 0 X X X X X 40
X X X X X X X X X 41
X X X X X X X X X 42
X X X X X X X X X 43
X )( )( X )( X X X X
44 l
X X X X X X X X X 45
X X X X X X X X X 46
X X X X X X X X X 47
X )( X X X X X X X 48
X X X X X X X X X
........... ~~ ...
X X X X X X X X X 50 0
Échelle de militantisme politique d'après S. Moscovici (27).
7 52 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
Items .............. 1 2 3 4 5
Individus A + + + + +
B + +
C + + +
D + + + +
E +
2 4 5 3 1 2 4 5 3 1
A X + + + +
D X + + + +
C X X + + +
B X X X + +
E X X X X +
tudes suscitées, mais qui n'entrent pas dans le cadre général du parallélo-
gramme.
Intérêtde l'échellede Guttman. - L'échelle part d'une hypothèse, on peut
aimer Brahms et ne pas aimer Chopin, mais si l'on répond oui à la ques-
tion: êtes-vous licencié? on répond forcément oui à : êtes-vous bache-
lier ? Cette distinction est exacte. La plupart des auteurs indiquent ensuite
que si l'on saute 1 mètre on répond forcément oui à : sautez-vous 50 cen-
timètres ? C'est ici que la simplification nous paraît inconsidérée. Pre-
nons l'exemple d'individus nerveux. Capables de mobiliser leurs res-
sources dans de grandes occasions, ils ne répondent pas à ce qui est exigé
d'eux dans la vie quotidienne. Tel qui supporte un bombardement, s'exas-
père contre le bruit régulier d'une horloge. Il est donc important de savoir
dans quels domaines la gradation est possible. Des objets : cuisinière elec-
trique, télévision, voiture, forment-ils une échelle de niveaux de vie ? Les
symptômes: rougeurs, fièvre, vomissements, peuvent-ils se hiérarchiser
dans certaines maladies ? L'intérêt majeur de l'échelle de Guttman 1 nous
paraît consister, non dans ses résultats, un peu artificiels, mais dans la
distinction qu'elle permet entre ce qui est scalable,c'est-à-dire les élé-
ments d'après lesquels une population peut se classer sur une échelle cor-
respondant à la réalité et ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire les domaines
dans lesquels on ne trouve pas de critère classant régulièrement les indivi-
dus, dont les choix ou les ordres de classements sont hétérogènes,
variables et ne peuvent être hiérarchisés.
798 L'analyse de structure latente de Lazarsfeld ◊ La notion d'ordre
représente dans les sciences humaines la première étape de la classifica-
tion. Mais on classe par rapport à un concept : cet individu court plus vite
que tel autre. Le chronomètre permet une mise en ordre en fonction de la
notion de vitesse. Dans les sciences humaines, les concepts sont moins
définis : stratification sociale, mobilité, participation, nationalisme ; ils
regroupent différents éléments et ne s'observent pas directement. C'est à
partir de ces constatations que P. Lazarsfeld2 a imaginé un procédé pour
remédier à ces inconvénients.
Imaginons l'étude du comportement du personnel d'une entreprise. Nous
trouverons, par comparaison à d'autres entreprises similaires, que l'absentéisme
est faible, l'age et l'ancienneté dans la maison élevés, l'accueil des nouveaux,
satisfaisant, l'attitude vis-à-vis du travail favorable, etc., bref on trouve là des don-
nées« manifestes». Si l'on introduit, pour interpréter et coordonner ces données,
le concept de « moral du travailleur» ou de« satisfaction au travail», celui-ci ne
sera pas directement observable, ce sont les données manifestes qui le révéleront.
En termes de mesure, on admettra, comme le dit R. Daval (1959),
« que la variable par rapport à laquelle on cherche un classement est une
variable qui n'est ni directement observable en tant que telle, ni mesu-
rable». On recourt alors à des variables auxiliaires qu'on présume liées à
la première. Le problème délicat, nous l'avons vu à propos du choix des
1. J. Dubost (1955), R. Daval et al. (1963).
2. P. Lazarsfeld (1949, 1954).
756 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS
1 2 3 4 5 6 7
1
§ 3. La technique du« panel»
805 1° Définition 2 ◊ Il s'agit seulement d'entretiens répétés. Les mêmes
questions sont posées aux mêmes personnes, à intervalles réguliers. Cette
technique est généralement abordée à propos de problèmes d' échantil-
lonnage et d'interview, du fait de la répétition des entretiens. Cependant,
l'échantillonnage n'est qu'un aspect secondaire. Le but du panel, ce qui
lui est propre, c'est d'étudier des changements d'opinions, d'attitudes, de
comportement. Il ne s'agit pas d'une mesure, au sens précis des échelles
d'attitude, mais d'une technique ayant pour objectif l'étude de l'orienta-
tion des changements, de leur importance, de leur cause, en vue de per-
mettre une explication, éventuellement une prévision. C'est pourquoi
nous croyons justifié de placer l'étude par « panel » à côté des mesures
d'attitudes.
Les résultats varient en fonction de l'objectif poursuivi et de la façon
plus ou moins raffinée dont on emploie la technique. Dans le cas le plus
favorable, il s'agit d'étudier des changements d'opinions ou d'attitudes.
On limite l'observation à une période fixée dans le temps, à une opinion
ou attitude particulière, par exemple le comportement électoral.
1° Cette opinion est individualisée, c'est-à-dire que l'on situe les
changements chez tels ou tels enquêtés particuliers.
2° On recherche les facteurs de ce changement, les stimuli qui ont
influencé l'enquêté: émission télévisée, discours ou prise de position
d'un leader, d'un membre de la famille, d'un voisin. Ce double objectif
est atteint par les entretiens répétés sur les mêmes enquêtés, 2, 3 ou 4
fois (rarement davantage) pendant une période de 3 à 6 mois ou 1 an.
Dans le cas où l'on cherche à obtenir des informations plus sommaires, on se
borne en général à rechercher le sens du changement et les facteurs en cause :
enquêtes sur les communications ou la consommation. Certaines de ces études
sont organisées par des services permanents, chargés d'effectuer des enquêtes
régulièrement organisées, comme des panels, c'est-à-dire avec répétition du
même questionnaire, sur un même échantillon d' enquêtés. Les résultats de ces
1. C.Y. Glock (1955), C.A. Moser (1958), Lazarsfeld (1966), L.H. Wiggins (1973), T. Caplow
(1983).
2. Le terme désigne en anglais une liste officielle de jurés, d'experts, etc.
7 60 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS
806 2° Buts du panel ◊ Les deux objectifs du panel visent à situer les gens
qui changent d'opinion et à préciser les facteurs déterminants de ce
changement
Dans le cas d'une étude électorale de type classique, l'analyse des résultats sta-
tistiques porte sur des chiffres globaux. Elle donne le sens du changement, un
ordre de grandeur, mais se borne, du fait des compensations entre les positions
des électeurs, à des hypothèses sur l'ampleur du changement. L'avantage du
panel, c'est de pouvoir identifier les électeurs et par là même, de rendre plus
accessibles les facteurs de changement et les conditions dans lesquelles ils
s'opèrent.
Dans l'étude d'Elmira, les électeurs ayant déclaré durant la campagne qu'ils
avaient changé d'opinion et comptaient modifier leur prochain vote, furent
interrogés sur les diverses influences qu'ils avaient subies (radio, journaux,
influences personnelles). Il est donc nécessaire, avant de lancer une étude par
panel, de prévoir les facteurs que l'on suppose influents.
Le double objectif du panel est atteint, lorsque à partir des constata-
tions faites dans les domaines étudiés, sur les changements et leurs
causes, on peut, quel que soit le domaine (élections, consommation),
tirer des conclusions généralisables, soit sur le type d'individus, d'opi-
nions ou attitudes, les plus susceptiblesde changement: la fidélité à une
marque de café serait plus grande qu'à des boissons rafraîchissantes, ou
les individus présentant telles caractéristiques seraient particulièrement
susceptibles de changement; soit sur le type de facteurs exerçantle plus
d'influence,par exemple, on a découvert que les jeunes femmes sont plus
écoutées en matière de mode et de beauté, les plus âgées en matière
ménagère. Enfin le milieu familial, en matière de vote exerce une
influence prépondérante 2 .
807 3° Problèmes techniques. a) Quel genre de changement
veut-on observer? Quel critère retenir? ◊ A partir de quand
décide-t-on qu'il y a changement? Dans le cas du vote, on peut considé-
1. La première enquête par panel a été effectuée par S.A. Rice (1928) en 1924.
2. Cf. P. Lazarsfeld (1955).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 761
CHAPITRE2
LES TECHNIQUES D'ÉTUDES
DE COLLECTIVITÉS
ET DE GROUPES
quête sur le terrain a tendance à se multiplier d'une part pour des raisons théo-
riques: la nécessité de ne pas détacher l'homme de son environnement, les
progrès de l'écologie, la tendance à la pluridisciplinarité; d'autre part pour des
raisons techniques: l'augmentation des moyens de traitement des données.
b) Les « casestudies» 1. - Nous n'avons pas en français de terme équivalent
pour ce que nous considérons comme un type d'enquêtes parmi d'autres. Il se
caractérise par son objectif: recueillir le maximum d'informations sur un sujet
précis et limité, en général dans un simple désir d'information, de description, ou
de classification, mais sans arrière-pensée de mesure. C'est un type d'enquête
qualitatif, idiographique, utilisant souvent la méthode clinique. Le « case study »
suggère des hypothèses à la suite d'un grand nombre de données mais n'a{>porte
pas de preuves, tandis que dans une recherche plus expérimentale, l'hypothese est
antérieure à l'observation et celle-ci aboutit plus ou moins à une vérification.
On peut parfois se demander s'il vaut mieux accumuler plusieurs « case stu-
dies » ou lancer une enquête sur un plus grand nombre de personnes 2. Ceci
comme toujours dépend de nombreux facteurs: type de problème, degré d'infor-
mation, financement, nombre de chercheurs, etc.
818 2° Distinction suivant le degré de précision ou de mesure ◊ La
précision et le niveau de la mesure dépendent du but poursuivi, de la
nature du problème et des possibilités ou moyensmis en œuvre pour y
parvenir.
Toute division paraît forcément arbitraire. Cependant, on peut consi-
dérer qu'il existe trois catégoriesprincipales d'enquêtes3 :
1° Lesenquêtes d'exploration.Elles ne sont pas suscitées par une hypo-
thèse précise et demeurent plutôt descriptives. Il s'agit de découvrir les
problèmes, par exemple ceux d'un groupe de jeunes.
2° Les enquêtes d'analyseou de diagnostic,qui cherchent souvent une
réponse à une question pratique telle que l'explication du mécontente-
ment des ouvriers de tel atelier. Il faut alors analyser les divers facteurs,
préciser les variables qui peuvent intervenir : conditions de travail,
salaires, types de commandement, etc.
3° Les enquêtes expérimentales ayant pour but de vérifier les hypothèses
émises.
Encore une fois, il s'agit ici d'une classification très souple, car il est
rare de faire une recherche sans émettre d'hypothèse et sans lui donner
un début de vérification; enfin, une enquête naît toujours d'une question
à laquelle on imagine plusieurs réponses.
819 a) L'enquête d'exploration ◊ La description.- Il s'agit du premier
niveau de la recherche, celui de l'observation et de la collecte des données
qui, scientifiquement choisies, recueillies et organisées, permettent les
étapes ultérieures. On ne doit pas sous-estimer son importance. La des-
cription du cas de Anna O. par Freud est à l'origine de la découverte de la
psychanalyse.
1. Ne pas confondre avec le« case work » procédé pratique et pédagogique utilisé par les travail-
leurs sociaux pour apprendre à ceux qui les consultent à s'aider eux-mêmes, ni avec la« méthode des
cas » procédé pédagogique de discussion en groupe sur des cas concrets.
2. Querelle de l'idiographique et du nomothétique, cf. n° 271.
3. Cf. M. Jahoda et al. (1951, B. 198), L. Festinger et Kati (1959, B. 198).
770 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
1. In G. Lindzey (1954).
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 781
que les observateurs sachent à quel niveau ils doivent juger et dans le cas où ils
peuvent interpréter les intentions, quels indices ils doivent retenir. Les observa-
teurs ont parfois tendance à être impressionnés ou à justifier leur interprétation
des intentions, par les réactions qu'elles suscitent dans le groupe. Dans l'exemple
ci-dessus, l'observateur peut estimer avoir eu raison de noter: esprit d'opposition
plutôt que demande d'information, si la question a effectivement suscité une
réaction violente de la part de celui à qui elle était adressée ; ici encore, le proto-
cole d'observation doit avoir prévu dans le codage si l'influencede l'effetest accep-
tée ou non.
Il n'y a pas de formule absolue, sauf une règle très générale : tout sys-
tème de catégorie, tout codage, doit donner le maximum de précision
concernant la taille de l'unité, l'interprétation des données, des indices,
etc. Faute de mieux, on a été amené à définir de façon empirique l'unité
de comportement Bales la considère comme étant le plus petit segment
repérable de conduite verbale ou non verbale, qui puisse être classé dans
l'une des catégories, au cours d'une observation continue, autrement dit,
les manifestations pouvant servir à illustrer la catégorie dans laquelle on
les range. Tout comportement composite peut être signalé à part, mais ne
doit pas être retenu et codé en tant qu'unité de comportement, sous
peine de compromettre la clarté et la rigueur des résultats.
On distingue en général des unités non verbales: mimiques, gestes, manifesta-
tions et les unités verbales.Celles-ci comprennent la séquence : sujet, verbe, attri-
but, qui constitue la phrase. Il paraît commode, en pratique, d'appliquer la règle
d'unité de signification et de noter une seule fois plusieurs phrases signifiant la
même chose dans la même intervention. (Mais, comme le note Baies, ceci ne per-
met pas de distinguer l'intervention longue ou courte.)
La variété des comportements, la rapidité du déroulement, surtout la multi-
plicité des interactions, dans de petits groupes, obligent à sacrifier une part des
phénomènes. On peut décider de n'observer que certains membres du groupe, ou
de les observer chacun pendant un certain laps de temps, ou de sélectionner les
comportements intéressant seulement certaines catégories et d'abandonner les
autres. Enfin, on partagera souvent le travail entre différents observateurs, se
relayant, ou observant des éléments différents, l'un le contenu général, l'autre le
ton, le troisième les processus au niveau des individus. Les observateurs bien
entraînés savent distribuer leur attention entre les différents membres du groupe
et consignent dans un p:oupe de 6 ou 7 membres environ, 15 observations par
minute, le degré de fidelité entre les observateurs dépassant 75.
784 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
843 La prévision ◊ Les modifications qui peuvent survenir dans une situation de
groupe sont imprévisibles et ne permettent pas d'essayer d'appliquer en cours
d'observation des catégories différentes, alors qu'un texte est une donnée sur
laquelle un code peut être essayé et modifié s'il y a lieu. Cependant, lorsqu'il s'agit
de l'observation d'une série de réunions d'un même groupe, un gang de jeunes
par exemple, l'observateur peut mettre au point, dans les premières réunions, son
plan d'observation et ses unités de comportement, pour les confronter ensuite
avec la réalité et les améliorer.
Ceci n'est évidemment pas possible dans le cas d'une seule réunion, où tout
doit être prévu à l'avance. Il est vraisemblable que les interactions sont plus nom-
breuses et le niveau visé plus profond, lorsqu'il s'agit d'un groupe restreint se réu-
nissant souvent, que dans une grande réunion occasionnelle. On peut donc pen-
ser que la possibilité de mise au point du cadre d'observation croît avec la
complexité d'expression des comportements et le niveau que l'on veut atteindre.
844 Moyens de faciliter la notation des observations sur le terrain ◊ Vu la
rapidité de déroulement des interactions dans les groupes et le travail de plus en
plus complexe exigé des observateurs, on a essayé de faciliter leur tâche, en prépa-
rant les catégories et en facilitant la notion matérielle des comportements, pour
limiter au maximum le temps enlevé à l'observation.
RF. Bales (1951) utilise une machine dans laquelle glissent des feuilles où
sont inscrites les catégories. Le codeur note rapidement les manifestations corres-
pondantes, un voyant s'allume toutes les minutes et un compteur les totalise.
L Carter 1,utilisant des catégories non verbales, em~loie une sorte de machine de
sténotypie, dans laquelle les touches correspondent a des chiffres ou lettres repré-
sentant les catégories. E. D. Chapple (1949) utilise ce qu'il appelle « an inter-
action chronograph », permettant de coder les individus séparément. Ici, la
machine a été prévue en fonction des catégories de Chapple et ne peut être utili-
sée pour d'autres types d'observations.
845 Moyens de conserver le déroulement verbal des interactions ◊ L'enre-
gistrement est un moyen précieux de conserver tous les processus de discussion
pour pouvoir les étudier. Mais il a ses limites, car il manque les expressions,
mimiques etc. ; de plus, il est difficile d'identifier les interlocuteurs, simplement
par l'audition. Sur ce dernier point, la sténotypie est préférable 2 • Lorsqu'il s'agit
d'observation par catégories verbales simples, c'est-à-dire sans inférence, ni inter-
prétation, le codage d'après document (enregistrement ou sténotypie) ou d'après
observation réelle, donne un résultat à peu près semblable. Dès qu'il s'agit d'ob-
servation plus complexe, le magnétophone, ou le camescope, sans remplacer l' ob-
servateur, peut l'aider. On a peu étudié l'influence de ce genre d'outils sur les
réactions des individus. L'accoutumance supprime assez rapidement les inhibi-
tions (probablement plus rapidement dans les groupes que dans les entretiens
individuels).
On peut résumer les difficultés techniques de l'observation des
comportements de groupe, en disant qu'elle implique des problèmes de
choix des catégories d'organisation, mais surtout de mise au point, en
fonction d'une conceptualisation des problèmes de la recherche. Les
résultats de l'observation de groupe dépendent donc en grande partie de
1. In G. Lindzey (1954).
2. Qu'il s'agisse d'enregistrement ou de sténotypie, le coût de la dactylographie indispensable
pour travailler sur document est toujours élevé.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 785
des recherches plus précises. Parce qu'elle est une explication, l'hypothèse
crée également des liens entre théorie et recherche, en perlectionnant les
concepts utiles à la compréhension des mécanismes psycho-sociaux.
Enfin, bien comprise, elle évite les généralisations hâtives auxquelles
aboutissent ceux qui franchissent trop rapidement les étapes de vérifica-
tion, de comparaison des données, sur lesquelles doit être fondée une
interprétation scientifique.
R. K. Merten 1 montre comment, étudiant l'influence des habitations à
mélange racial sur les préjugés raciaux, il avait été amené à quantifier tous les élé-
ments de diminution des préjugés : fréquence des contacts de voisinage, signes de
sentiments amicaux, etc. Lesrésultats semblaient très encourageants. Une enquê-
tée avait déclaré qu'elle entretenait des relations si amicales avec les familles
noires, que souvent, dans la rue, certaines l'interpellaient joyeusement : « Hello
Hélène 1» « Mais, ajouta-t-elle après une pause, bien sûr, je m'évanouirais si ceci
se produisait dans la Grand-Rue, devant tout le monde. » Cette seule phrase
montrait les limites de la quantification, réelle par rapport à ce qu'elle mesurait,
mais bornée aux seuls rapports nés du voisinage. Une enquête sur la persistance
des attitudes, en dehors des lieux où on les observait et mesurait leur change-
ment, s'imposait. Cet exemple montre qu'en tout cas, l'interprétation des élé-
ments quantifiés demande une grande prudence et qu'il ne faut jamais générali-
ser en dehors du contexte observé et soigneusement vérifié. A ce stade de
l'analyse, les qualités d'imagination et de rigueur sont indispensables.
L'interprétation des résultats obéit aux considérations générales déjà
évoquées au sujet des enquêtes. Lorsqu'il s'agit d'enquêtes sur le terrain,
c'est là un moment particulièrement important, celui où il faut être assez
honnête pour abandonner les hypothèses auxquelles on tenait, si les élé-
ments rassemblés ne les confirment pas, assez souple et inventif pour en
imaginer d'autres, assez humble pour voir toutes les lacunes de son tra-
vail, mais assez passionné pour le continuer tout de même, en y trouvant
des satisfactions.
vivante, ne méritent-ils pas les mêmes mises en garde contre des exagéra-
tions possibles, que l'analyse de documents ? Est-il vraiment utile de
savoir que, dans tel groupe, 25 % des comportements ont traduit de
l'agressivité, 10 % de la compréhension, etc. Tout ce déploiement de tech-
niques ne représente-t-il pas un certain gaspillage? Explique-t-on quel-
que chose de plus? Pour répondre, il faut considérer l'observation systé-
matique sous des aspects différents.
Sur le plan du niveau de profondeurde l'explication,peut-on dire qu'à
des observations plus systématiques et rigoureuses, correspond une possi-
bilité d'explication plus complète ? Certes, ce n'est pas toujours le cas,
nous retrouvons ici le problème du « vertige des faits». En principe, la
quantification, l'observation systématique ont pour but d'aller pas à pas,
de ne rien laisser perdre, pour permettre ensuite de proposer une hypo-
thèse, rendant compte de tous les aspects de la réalité observée. Or, n'ou-
blions pas que les problèmes en cause sont des problèmes collectifs de
groupe, nécessitant une vue globale.Bien souvent, les arbres cachent la
forêt. L'observateur accaparé par sa tâche de transcription rapide des phé-
nomènes fractionnés ne peut chercher leur signification, tandis que le
chercheur travaillant ensuite sur ces fiches, n'a pas le contact avec la réa-
lité du groupe. Parfois, au niveau de l'explication, l'observateur partici-
pant aura intuitivement et globalement une vue plus juste et plus pro-
fonde, parce que globale, du problème, que des observateurs qui
décortiquent et quantifient des processus.
Cependant, même si l'observation quantifiée n'a pas toujours plus
d'intérêt, il faut poursuivre l'effort accompli dans ce sens, car c'est un
procédéscientifiquequi substitue un ordre de grandeur, des indications,
une orientation à une simple intuition et peut, comme l'analyse de
contenu ou les sociogrammes, révéler des corrélations qu'on ne soup-
çonne pas ou même détruire des impressions fausses. Ces procédés d' ob-
servation systématique (ou ordonnée) ont été très utilisés en psychologie
en particulier pour l'étude des enfants. Ils ont fait progresser ces dernières
années la recherche des comportements de groupes et découvrir de nom-
breux problèmes 1. Le fruit de ces travaux est communicable à d'autres
chercheurs et des applications pratiques sont possibles.
On suppose, comme cela s'est produit dans d'autres domaines, qu'en
accumulant des observations, on pourra généraliser certaines constata-
tions, découvrir des régularités, donc prévoir,ce qui demeure un des buts
de la science. Dans ce passage de la collecte des faits à l'interprétation,
nous retrouvons la nécessité de l'intuition, de l'expérience acquise sur le
terrain, tant dans la participation que dans l'observation. Ici encore, les
deux techniques d'observation ne s'opposent pas, mais se complètent.
Ellescorrespondent à des objectifs différents, à des moments différents de
l'enquête. De toute façon, l'observation systématisée est indispensable,
par la mise en ordre qu'elle implique et l'effort de conceptualisation
qu'elle impose.
Il est certes difficile de rendre sensibles et même compréhensibles les
problèmes que posent les techniques d'observation. Il nous semble à peu
1. Cf. sect. III.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 793
1
§ 5. L'interview de groupe
859 Particularités propres à l'interview de groupe ◊ Il s'agit là d'une tech-
nique hybride, en partie d'une interview : l'enqueteur cherche à obtenir une
information orale de la part des enquêtés, mais non dans un rapport individuel,
l'élément de groupe étant prédominant. Cette technique est utilisée, le plus
souvent, pour des recherches de motivations, dans le cadre d'enquêtes de marché.
Elle peut s'adresser à un groupe naturel : une étude de marché sur les postes de
télévision recueillera les opinions de groupes familiaux; ou à des groupes artifi-
ciels: ménagères possédant une machine à laver. Il s'agit bien ici d'une technique
de groupe, car il apparaît que les informations recueillies sont un peu différentes
de celles obtenues par une simple addition d'opinions individuelles. Ble peut éga-
lement être utile au stade de la préenquête pour voir apparaître rapidement les
problèmes.
Le comportement des ménagères possédant une machine à laver n'est pas
identique. Pour certaines de plus en plus rares, le linge personnel doit être lavé à
la main. Ceci sans doute apparaîtrait dans une enquête d'opinions individuelles,
mais la mise en présence de ménagères ayant des comportements différents, favo-
rise l'expression de certaines opinions, permet même à certaines révoltes de se
manifester 2 • L'interaction entre les membres du groupe favorise une mise en évi-
dence des attitudes et justifie la place de cette technique parmi les techniques de
groupe.
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796 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
2. L'EXPÉRIMENTATION
SECTION
SUR LETERRAINOU EN LABORATOIRE
« A l'aide de ces sdences expérimentalesactives,
l'hommedevientun inventeurdephénomènes,un
véritablecontremaîtrede la création».
C. BERNARD.
861 Historique ◊ « C'est moi qui fonde la médecine expérimentale dans
son vrai sens scientifique, voilà ma prétention » écrit Claude Bernard.
Cependant, le grand chimiste organicien M. E. Chevreul avait déjà défini
la méthode : « Le raisonnement suggéré par l'observation des phéno-
mènes institue donc des expériences d'après lesquelles on reconnaît les
causes dont ils dépendent et ce raisonnement constitue la méthode que
j'appelle expérimentale.» Mais c'est tout de même C. Bernard qui fera
accepter par son argumentation et surtout la réussite de ses expériences la
notion de médecine expérimentale. La difficulté de faire admettre la
méthode en sciences sociales demeurait. Le développement d'une sociolo-
gie de type philosophique a enrayé les progrès que les savants avaient
accomplis. Les tentatives d'application des mathématiques au comporte-
ment humain (Condorcet sur le vote, Laplace sur le témoignage) mais
également les réflexions de Laplace sur l'expérimentation n'ont pas été
suivies d'effet C'est chez les socialistes utopistes (Fourier) quel' on trouve
le recours le plus explicite à l'expérimentation comme moyen de preuve.
li s'agit d'un procédé que R. Pagès1 intitule l'expérimentationactiviste,qui
consiste à attribuer plus d'importance aux effets de l'intervention qu'au
contrôle exact de la source des effets, montrant ainsi la voie à l'interven-
tion active (Lewin, Moreno, cf. n°5 882, 885).
Sous l'influence des idées socialistes,des expériences ont été tentées comme
cellesde J.B.A.Godin, à l'intérieur d'une associationde production : le familistère
de Guise. C'est ensuite Ch. Pellarin, qui prône le rapprochement avec la méthode
expérimentale de C. Bernard.
L'opposition à l'expérimentation est liée d'une part à la préférence
pour la méthode comparative, qui privilégie l'histoire : variation dans le
temps, et l'ethnographie: variation dans l'espace, tendance représentée
par Comte et Durkheim. C'est à la psychologie, surtout à la psycho-
physiologie allemande que l'on doit les progrès de l'expérimentation en
laboratoire. Triplett aux États-Unis (1897) organise une expérience pour
1. Cf. R. Pagès (1969), pp. 103-118.
800 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
§ 1. Le plan d'expérience
862 1 ° Les conditions d'établissement du plan 2 ◊ L'organisation d'un
plan d'expérience suppose que soit posée une question.Celle-ci doit cor-
respondre à un problème pouvant être sinon résolu, du moins analysé
et expliqué par les techniques et instruments du sociologue. L'analyse
aboutit à une hypothèse, proposition de réponse à la question posée. La
validité de cette hypothèse dépend de la façon dont elle résout le pro-
blème. L'expérimentation apportera la preuve de la vérité ou de la faus-
seté de l'hypothèse.
Le plus souvent, il s'agit de déterminer les liens qui unissent deux
variables: sont-elles toujours présentes en même temps, varient-elles
dans le même sens? Quelle est la cause et quel est l'effet? Parfois, il s'agit
de comparer les effets de deux facteurs, leur efficacité : comparaison entre
l'effet du psychodrame et celui d'une discussion de groupe, comparaison
des résultats de moyens publicitaires, etc.
Prenons un exemple : le groupe de recherche de l'Université de Michigan, sous
la direction de French, a constaté que dans les usines étudiées, les équipes de tra-
vailleurs qui présentaient le meilleur rendement, étaient celles où l'autorité
s'exerçait de façon démocratique. L'observation permettait de constater une cor-
rélation, mais comment distinguer la cause... et l'effet 3 ?
Rappelons que la variable indépendante est celle que l'on manipule pour
découvrir dans quelle mesure elle influence les autres facteurs : variables dépen-
dantes.
Dans l'exemple ci-dessus, la variable indépendante:attitude du contremaître, se
compose de plusieurs variablesindépendantes: degré de rigueur de la surveillance
en corrélation avec la discipline, attention du contremaître aux besoins des
employés, façon dont il les fait participer aux décisions ou à la marche de l'atelier.
Le rendement des ouvriers est la variabledépendante.La simple enquête ne peut
qu'indiquer ces facteurs. L'expérimentation seule permettra de manipuler la
variable indépendante : le comportement du contremaître, et de juger des résul-
tats.
Le plan d'expérience a pour but, et c'est son avantage sur la réalité, de
ne faire varier qu'un seul facteur à la fois. Pratiquement ce n'est pas
facile.
1. Cf. R. Pagès, op. dt., p. 112.
2. E. Greenwood (1945), M. Jahoda et al. (1951), A. L Edwards in Lindsey (1954), H. Kelley,
J. W. Thibaud in Lindzey (1954), L. Festinger in Festinger et Katz (1959), J. R. P. junior French in
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3. In J. R. P. junior French (1959), pp. 118, 161.
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 801
876 2° Les fonctions du groupe 3 ◊ Elles sont diverses et l'on doit se sou-
venir en les étudiant : 1° que les besoins apparents ou avoués des
membres du groupe ne sont pas toujours leurs besoins réels et que les
fonctions réelles du groupe ne coïncident pas forcément avec ses fonc-
tions apparentes ; 2° que les besoins satisfaits par un groupe peuvent ne
plus être ceux que le même groupe a satisfaits dans le passé. On retrouve
ici la notion de fonction latente. Il faut d'abord envisager le rôle que joue
le groupe pour chacun de ses adhérents. En général, l'appartenance au
groupe diminue l'anxiété de l'individu. De plus le groupe assure la satis-
faction de certains besoins de ses membres : sécurité ou domination ; en
particulier chez les dirigeants : être écouté, admiré, décider, commander,
etc. L'appartenance de l'individu à plusieurs groupes posera des pro-
blèmes d'équilibre, de conflit parfois. C'est pourquoi les groupes, cher-
chant à exercer une influencey lus complète, tentent de satisfaire tous les
besoins de leurs membres. L'Eglise,outre sa fonction religieuse, poursuit
une œuvre éducative, culturelle, etc. Le parti communiste le faisait égale-
ment
Le problème des croyances est aussi lié aux fonctions du groupe. Même
sans viser une propagande, l'information, dans la mesure où elle est issue
d'une même source, tend à uniformiser l'opinion des membres du
groupe. C'est une des raisons pour lesquelles les opinions collectives
résistent mieux au changement que les croyances individuelles. On arrive
parfois à cette situation extrême où personne ne croit plus, mais chacun
1. Les psychiatres prévoyaient que seulement 4 % des étudiants dépasseraient 300 volts, or 78 %
ont continué jusque-là.
2. A. Bavelas in Lasswell (1951), H. Kelley,J.W. Thibaud (1968).
3. D. Krech, S. Crutchfield (1952), tome II, pp. 498 à 600.
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 809
croit que les autres croient et tous font comme s'ils croyaient 1. En fait, la
conformité de croyance avec le groupe satisfait l'individu qui a besoin de
sentir qu'il fait effectivement partie d'un ensemble qui le dépasse. Ceci est
important pour comprendre le rôle des groupes dans l'évolution sociale et
leur résistance au changement, enfin la stabilité et l'instabilité des
groupes et leur possibilité tant de résoudre leurs tensions intérieures que
de s'opposer aux pressions extérieures.
8 7 7 3° La structure du groupe2 ◊ Lepremier elémen t important est ici le
volumedu groupe. Il est probable qu'il existe, suivant les tâches à accom-
plir, une dimension optimale. Tout le monde sait que l'atmosphère d'une
réunion à 15 ou à 50 est très différente. Chaque groupe a son atmosphère
propre, que détermine son volume habituel.
Le rôle des individus dans le groupe, la façon dont ils se comportent
vis-à-vis des autres, dépendent en partie de la personnalité de chacun, en
partie de la structure du groupe et du rôle que chacun y joue, ou aspire à y
jouer. Plus la structure du groupe est précise, plus il faut s'attendre à ce
que les rôles soient déterminés d'avance et exercent sur les rapports entre
les membres, parfois plus d'influence que les personnalités. Cependant, il
arrive aussi que le groupe, tel qu'il est officiellement défini, ne représente
qu'imparfaitement la réalité.
La sociologie industrielle a appris à distinguer les hiérarchies formelles
des informelles, dans lesquelles tel individu, parce qu'il sait tout, ou
entretient de bons rapports avec tout le monde, finit pas détenir une
grande influence, malgré un poste officiel subalterne. Une part du
comportement de certains membres du groupe n'est donc pas entière-
ment déterminée par sa structure apparente ou formelle. Structure étroi-
tement liée à trois problèmes qui sont : le commandement, le moral et les
communications.
878 a) Le commandement ◊ Un grand nombre d'auteurs ont cherché à
3
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820 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
§ 2. L'apport théorique
882-1 1° Kurt Lewin: l'action-research et la notion de change-
ment ◊ L'action-research part de la conception lewinienne des rapports
entre l'individu et son environnement en termes de champ. Les groupes,
dans la théorie lewinienne, forment des ensembles définis par des liens
d'interdépendance entre leurs membres et possédant un champ psycho-
logique spécifique. Le champ des phénomènes inclut le chercheur et l' ob-
jet de la recherche. Celle-ci, dans le groupe, a pour but une production de
connaissances, c'est-à-dire un objectif épistémologique. Dans le cas de
Lewin, on trouve également une inspiration idéologique : un idéal démo-
cratique et concrètement, un désir de participer à l'action du pouvoir.
La rupture avec le behaviorisme et l'idéologie technocratique régnant
aux États-Unis est très nette, mais cette réaction de rejet avait commencé
avant les expériences de Lewin et celle d'Elton Mayo (cf. n° 166) qui
montraient l'importance du facteur humain et des réactions de groupe.
La théorie lewinienne du changement, a donné à la recherche active
son point de départ et son orientation. Cette théorie est issue d'une expé-
rience pratique .
Lewin fut chargé pendant la guerre, par le gouvernement américain, de tenter
de modifier les habitudes alimentaires des ménagères. Il organisa d'abord une
1. K. Lewin (1941), cf. Levy(1965).
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 825
série de conférences pour expliquer aux femmes la valeur calorique des abats et
diminuer la demande de viande de bœuf. L'influence de ces réunions fut chiffrée
à 3 % de modifications, dans le comportement des consommateurs. Lewin entre-
prit alors une série de réunions-discussions dans lesquelles, au lieu de mono-
loguer, il incitait les participantes à donner leur opinion, faire part de leurs essais,
etc. Les résultats furent spectaculaires puisqu'on enregistra 32 % de modifications
dans les achats.
Moreno eut, dit-il, l'idée de la sociométrie en regardant jouer des enfants dans
un jardin public. Chargé après la première guerre mondiale de l'administration
d'un camp de réfugiés dans le Tyrol, il s'aperçut que les individus s'adaptaient
mieux et trouvaient plus facilement leur équilibre lorsqu'ils pouvaient former des
groupes suivanJ leurs affinités, au lieu d'être réunis arbitrairement ou au hasard.
Rentré aux Etats-Unis, Moreno se livra à de nombreuses études sur les groupes.
Il déclare dans son ouvrage Psychodrame, avoir élaboré ses conceptions à partir de
trois doctrines très différentes : celles de Bergson, de Freud et de Marx.
Pour Moreno, la spontanéitéet la créativité,sont la source des relations
entre individus. Il existe dans l'homme une spontanéité socio-affective,
qui s'exprime dans des préférences ou des rejets. Cette spontanéité est à
l'origine de la structuration des relations dans le groupe et de leur évolu-
tion. La réalité sociale est pour Moreno fondamentalement affective.
« Pour le sociométricien, toutes les unités sociales sont d'abord des systèmes de
préférences positives et négatives.» Notre siècle, déclare Moreno (1954), a vécu
sur le principe de la conservation de l'éner~ie, au sens propre de la physique, mais
aussi au sens figuré. En effet la spontaneité, énergie psychique, est freinée, car
l'homme, pour assurer sa sécurité, a développé des «conserves» individuelles :
mémoire, habitude, et des conserves sociales et culturelles, qui lui évitent de per-
pétuels efforts pour s'adapter à des situations sociales nouvelles.
Ces modèles, d'une part, constituent la culture, mais d'autre part
empêchent les attractions et répulsions de s'exprimer. En maintenant des
rôles traditionnels rigides, ils sont source de tension et d'inadaptation
pour les individus, de déséquilibre pour la collectivité. La sociométrie vise
donc, d'une part à acquérir une connaissance théorique des interactions
dans les groupes, d'autre part à jouer un rôle thérapeutique, en libérant la
spontanéité créatrice des individus, dans leurs rapports sociaux.
Après Marx, Moreno affirme que l'on ne peut découvrir la structure
propre d'une société, qu'en essayant de la modifier. Alors que Marx tirait
de ces affirmations des conséquences en termes de lutte de classes,
Moreno entend améliorer le statut de tous les individus en tant que tels.
Ses recherches sur les structures de groupe ont pour but d'améliorer la vie
en société. On laissera de côté les théories philosophiques de Moreno 1
qui n'entrent pas dans le cadre de cet ouvrage pour s'attacher ici à leurs
applications pratiques.
886 b) Aspects techniques: l'obtention des données ◊ On peut
concevoir sous le terme sociométrie deux méthodes. La première, objec-
tive, relève des techniques d'observation systématique que Moreno a for-
tement inspirées, sans que cette influence soit toujours reconnue. Il s'agit
d'observer les interactions dans le groupe: qui parle ? à qui ? qui sourit?
à qui ? etc. Les premières expériences eurent lieu sur des enfants.
La deuxième est proprement sociométriqueet vise selon Moreno, à
conjuguer objectivité et subjectivité. Il s'agit de rendre manifestes,objec-
1. Moreno ne jouit pas en France du crédit qu'il mérite. Sans dout.e ses conceptions philo-
sophiques sont-elles, d'expression souvent confuse, mais la richesse de son imagination, de sa sensi-
bilité en font un auteur qui a tout de même marqué les sciences sociales de notre époque.
828 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
1. <<L'idées'est imposée à moi qu'il fallait jouer les situations et non se contenter de les observer
et de les analyser.»
2. Moreno (1954).
3. Cf. Le Monde du 6 juin 1995.
832 LESTECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉSET DE GROUPES
9 9
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E&cadrilloA
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é ô d'après J. Jenkins.
B
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RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 833
nombreux adeptes, surtout chez les garçons âgés de 15 à 20 ans 1. Cette mode
inquiète : elle prend du temps (4 à 8 h au moins pour une séance et parfois tout
un week-end) et détourne les jeunes de leurs études mais surtout elle déstabilise
les individus fragiles qui parfois « décrochent d'une réalité, à laquelle ils sont mal
adaptés », d'où des accidents possibles : suicides, violences 2 et les thèmes des jeux
peuvent être humanitaires, idéalistes, de science-fiction mais d'autres sont fantas-
tiques, cyniques parfois même pervers. Le jeu développe-t-il l'imagination ou inté-
resse-t-il les individus qui ne trouvent pas dans la vie l'occasion d'exprimer celle
qu'ils possèdent ?
Psychodrame et sociodrame, en dehors des séances de cure, sous surveillance
médicale, sont moins bien acceptés dans les pays latins qu'aux États-Unis. En
France, les tentatives faites sont peu convaincantes. Les expériences conservent
un caractère artificiel, les sujets n'arrivant pas à libérer leur spontanéité.
Les psychologues sociaux sont d'accord pour affirmer que si role
playing et sociodrame sont susceptibles de modifier les attitudes, dans des
cas de tension ou difficultés, ils ne sauraient résoudre les conflits impli-
quant des facteurs objectifs : salaires, rythmes de travail, etc.
Dans ce cas comme le note J.Maisonneuve (1959), loin de neutraliser le poids
des faits et de la situation, ils renforcent au contraire la perception des lignes de
partage entre les intérêts en présence et les forces qui les opposent
Quel que soit le jugement porté sur l'œuvre de Moreno, il a indiqué
une nouvelle voie d'approche de certains problèmes essentiels que la vie
moderne rend très aigus. li a également modifié la conception du rôle du
thérapeute.
890-1 3° Le changement social: A. Touraine ◊ L'évolution de A. Tou-
raine lui a valu des détracteurs parmi les sociologues. Elle est mieux
comprise par les psycho-sociologues car il s'agit d'intervention psycho-
sociologique.
Les événements de mai 68, ceux du Chili provoqueront « la rupture
épistémologique» dont fait état Touraine dans la Voix et le Regard(1978).
S'y ajoute un « traumatisme » : le fait que les catégories de pensée des
acteurs « étaient complètement étrangères aux catégories de leur pra-
tique».
Sans entrer dans les détails d'une pensée complexe, on indiquera seule-
ment sur le plan de la méthode l'évolution de Touraine (qu'il en soit
conscient ou non) d'une sociologie liée à l'histoire, vers une psycho-
sociologie. Les faits ne sont pas seulement saisis au niveau immédiat du
«ressenti» ou du vécu mais replacés dans les cadres dans lesquels ils sont
apparus. A partir de là s'opère le glissement, car cette analyse ne peut s'ef-
fectuer à trop grande distance des faits, sous peine de ne plus les voir, ni
négliger ceux qui les vivent, acteurs de la lutte. Ceci impose une double
condition, la participation du sociologue observateur, mais surtout celle
1. On compterait en France 100 000 passionnés et 300 000 joueurs irréguliers, répartis dans 500
clubs.
2. 3 accidents en 15 ans c'est moins que la moto, mais on ne comptabilise pas les désordres psy-
chologiques que peut entraîner le jeu du rôle.
834 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES
des acteurs qui, impliqués au premier chef, doivent pouvoir eux aussi
réfléchir collectivement et participer au processus d'analyse. C'est ainsi
que la pratique nouvelle de Touraine va se traduire en de nombreuses
interventions 1 et aboutir à une recherche-action dont elle présente les
caractères, même lorsqu'il s'agit d'une offre de consultation plus que
d'une demande. Touraine privilégie l'analyste par rapport au groupe. Il
prépare l'intervention par une construction théorique que le travail de
groupe, son auto-analyse confirmera, infirmera ou nuancera. Ce qui gêne
un psychosociologuecomme J. Dubost (1980) dans cette démarche, c'est
que les deux termes théorie et action restent encore séparés. D'un côté les
penseurs, « agents d'historicité», chercheurs, tout en s'imposant dis-
tance et indépendance, proposent tout de même leur interprétation ; de
l'autre, les acteurs sociaux prisonniers de leurs luttes et devant se conten-
ter d'apporter à l'analyste « les matériaux vivants» dont celui-ci a besoin
pour « écrire l'histoire sociale de demain». L'intervention risque de se
limiter à une action de démonstration et de formation, négligeant la
fonction heuristique, réduisant ainsi l'aspect scientifique au profit d'une
technique pédagogique. Dubost note que pour le psychosociologue, l'in-
tervention ne consiste pas à considérer l'événement comme « ce qui doit
être analysé», mais comme le delmt d'une analyse qui doit encore se faire
travail.Il ne s'agit pas d'une simple dynamique d'un groupe limité à lui
même (cf. n° 904) mais de l'analyse d'un groupe qui doit être reconnue
pour« l'intégrer au champ d'analyse».
§ 4. L'intervention clinique
Ce type d'inteivention est caractérisé non plus par le niveau auquel se
situe son action sur le groupe (structure ou information), mais par la
technique employée et la façon de concevoir le rôle du psychologue.
Celui-ci obseive les problèmes de groupe à un niveau de plus grande pro-
fondeur. Cette technique recouvre des inteiventions ayant entre elles une
orientation commune, qui les distingue des autres types. Ellessont cepen-
dant difficiles à classer du fait des éléments complexes qui les inspirent et
de la variété des démarches qu'elles utilisent.
En pédagogie
L'école offre des caractéristiques assez semblables à celles de l'hôpital,
aussi n'est-ce pas surprenant que les enseignants se soient rapidement
emparés du terme 1.
Ici aussi les idées, avec les méthodes actives, étaient présentes avant
l'utilisation du terme. Comme dans le cas de l'hôpital, le groupe-classe
devient l'agent essentiel de l'action pédagogique à la place du Maître. La
classe, l'école, apparaissent comme produits de la société.
Cependant a l'intérieur de cette orientation générale, les inter-
prétations diffèrent. Certains s'inspirent à la fois de C. Freinet et de
Freud 2 , alors que d'autres insistent sur l'auto-gestion 3 mais se retrouvent
surtout unis dans une idéologie politique. L'analyse institutionnelle de
G. Lapassade paraît plus inspirée par Mai 1968, la critique sociale et ses
propres besoins de contestation, que par la thérapeutique institutionnelle
dont elle est chronologiquement issue.
1
894 b) L Î}1Spiration lewinienne. Les Training Group Laboratories
aux Etals-Unis ◊ Il s'agit là des expériences des National Training
Laboratories, fondés par les disciples de Lewin. Elles ont lieu à Bethel et
sont connues sous le nom de training group ou T-group.
L'idée initiale du groupe de base est la suivante: la plupart des indivi-
dus sont appelés à vivre et travailler dans des groupes, mais le plus
souvent ne se rendent pas compte de leurs façons d'agir, de la façon dont
les autres les voient, des réactions qu'ils suscitent. La vie représente pour
la plupart des êtres un dialogue de sourds. Il importe donc de faciliter le
dialogue, d'obtenir une meilleure communication. Celle-ci n'est possible
que lorsque les obstacles intérieurs, les défenses que chacun oppose aux
autres sont levés.
Comme l'avait bien vu Lewin, on ne peut modifier des comportements
à partir de conférences demeurant au niveau didactique et rationnel, en
expliquant ce qu'il faut éviter et pourquoi. Ce que cherche le groupe de
base, c'est à faire vivre, sentir, au lieu d'expliquer.
Le T-group à l'état pur (il existe des formes atténuées), consiste à réu-
nir, en général en séminaire résidentiel, parfois à la campagne, des gens
qui ne se connaissent pas et proviennent d'horizons divers, ceci pendant
une dizaine de jours 4.
Les groupes comprennent dix à quinze membres et les réunions occupent envi-
ron une moitié de la journée, l'autre partie étant réservée à d'autres methodes de
compte, les expliquer, agir sur eux, donc les connaître. En dehors des
groupes de psychothérapie, la simple réunion de formation pour cadres et
éducateurs, assemblant des gens supposés normaux, même pas spéciale-
ment sensibles ou émotifs, permet assez rapidement de percevoir, au-delà
d'échanges à un niveau banal, la naissance de liens ténus, de sentiments
inconscients. Ces sentiments individuels, liés à l'histoire personnelle de
chacun, vont cependant, par une alchimie mystérieuse, s'organiser en
sentiments de groupe. Quelle est la nature et l'origine de ces sentiments,
leur mode d'évolution, leur influence sur le groupe, leur façon de réagir à
des interventions extérieures ? Ces problèmes ont été perçus par Le Bon,
Freud et plus près de nous S. R. Slavson (1953), H. A. Thelen (1962)
(États-Unis) et W. R. Bion (1965) (Grande-Bretagne) et ont suscité en
France un grand intérêt.
Il est certes difficile de décrire des réunions de groupes et de formuler
des hypothèses sans déformer, grossir, caricaturer les sentiments si
complexes et mobiles qui les animent. On constate que tous les groupes
franchissent les mêmes étapes, éprouvent les mêmes résistances à expri-
mer leur anxiété, retrouvent les mêmes problèmes vis-à-vis du leader et
entre membres du groupe quant aux tâches à entreprendre 1.
Max Pagès, en France, tente des recherches sur ces problèmes. Nous lui
empruntons quelques-unes des observations qui suivent.
898 a) La vie émotionnelle des groupes ◊ L'étude de Bion, bien qu'il
s'en défende, est influencée par la psychanalyse. Le reproche que lui fait à
juste titre M. Pagès, c'est d'opposer émotion et rationalité, sans tenir
compte de la totalité de la vie émotionnelle, enfin d'accorder une part
trop grande au besoin rationnel de progrès des membres du groupe.
I.eprogrès tel que l'imaginent et l'éprouvent certains participants (les cadres de
l'industrie en particulier ...) ne correspond jamais à ce qu'ils trouvent. Les activités
rationnelles du groupe fonctionnent le plus souvent comme des résistances et des
échappatoires. Pagès considère que le moteur de la vie du groupe ( sans que les
membres en soient conscients, du moins au début) c'est« l'expérience de ce lien
positif, dont l'éclaircissement, le renforcement, constituent un but permanent
pour le groupe et pour chacun de ses membres».
Dès le de'but de la vie d'un groupe, s'établit entre ses membres un lien
de solidarité non perçu, mais qui explique le dynamisme, l'orientation
des activités du groupe, cherchant à préciser ce lien. En même temps naît
un sentiment d'anxiété,dont les composantes sont multiples: anxiété
d'être jugé, influencé, manipulé. Surtout apparaît l'anxiété la plus pro-
fonde ( celle qui, dans les groupes de base, s'exprime en dernier, mais sans
doute le plus clairement) : l'anxiété d'être abandonné, qui se confond à
un niveau plus profond, avec la crainte de la mort et la peur de la vie.
Il ne faut certes rien exagérer. Toute fin de vacances implique pour les
groupes d'adolescents l'anxiété de la séparation. Il est cependant remar-
quable qu'un groupe artificiel où les participants adultes ne se sont pas
1. Cf. les réactions au colloque de Sannois, P. Arbousse-Bastide(1959).
844 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES
1. L'attitude vis-à-vis des syndicats peut être retenue comme critère des intentions patronales.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 84 7
0
0~0
~o
0
I 2
2° Les réunionsd stratégie.
Le conducteur possède une solution du problème, mais il ne veut pas la révéler
et cherche à amener le groupe à la découvrir et l'adopter. Dans ce cas, il n'y a pas
de but commun entre le groupe qui cherche et le conducteur qui sait où il veut en
venir.
Ces séances risquent de traiter des êtres vulnérables sans leur procurer
un équilibre véritable, mais d'accentuer par des séances gratifiantes, la
partie la plus refoulée mais aussi la plus instable d'eux-mêmes.
Une critique essentielle et plus générale c'est qu'une expérience aussi
brève que celle d'un marathon ou d'un week-end à Esalen ne peut suffire
à modifier le comportement d'un individu. Dans la meilleure des hypo-
thèses, c'est-à-dire, en cas de réussite, le groupe n'est qu'une bouffée
d'oxygène. Elle peut aider les participants à mieux saisir leurs problèmes
mais sans leur donner les moyens de les résoudre. Les participants
trouvent dans l'action, l'illusion de pouvoir satisfaire leurs désirs à l'abri
de toute répression. Ils risquent fort de se leurrer sur leurs capacités
propres et d'être d'autant plus déçus. La fête terminée, chacun se retrouve
isolé dans un monde qui lui, n'a pas changé et n'est pas devenu plus cha-
leureux.
Enfin une dernière critique, c' eJt celle que l'on adresse à toutes les
sciences sociales appliquées, aux Etats-Unis. Certains estiment que les
groupes de rencontre semblent mieux répondre aux problèmes qui se
posent, que d'autres formes de thérapies, parce ~u'ils sont« en liaison
directe avec la crise de l'individu dans la société ». Mais celle-ci n'est
jamais remise en cause. On traite les individus, leurs symptômes, leurs
problèmes personnels, à partir de leurs idiosyncrasies, mais sans chercher
les raisons extérieures de leur angoisse, ce qui la provoque : éducation,
mode de vie, tabous, etc. On s'occupe des individus seulement sur le
mode de ce qu'ils éprouvent, surtout dans leurs relations inter-
personnelles, en ignorant totalement l'aspect sociologique de ce monde
qu'ils doivent affronter.
§ 7. Un impératif : l'efficacité
909-2 Une nouvelle mode : la gestion des ressources humaines ◊ Passé
l'enthousiasme excessif inspiré par les « relations humaines », l'on
constate dans les entreprises un engouement pour des méthodes regrou-
pant les techniques classiques de gestion sous le titre fourre-tout de« ges-
tion des ressources humaines ».
Le terme de gestion en français a une signification précise et limitée
d'administration de biens, d'affaires. Sous l'influence sans doute de
l'américain management,il a pris un sens plus large et ambigu, qualifiant
toute intervention, toute stratégie visant à obtenir un objectif précis avec
un maximum d'efficacité. C'est ainsi que l'on parle de gérer son divorce,
sa carrière, etc.
Leterme de ressourcesau figuré dans le langage courant, correspond de
façon imprécise à des capacités individuelles. L'expression: « il est plein
de ressources» s'applique au sujet capable de se débrouiller dans de nom-
breuses situations même imprévues. La juxtaposition des deux termes :
gestion sous son acception élargie, et ressources humaines au sens cou-
1. M. M. Chatel (1972), p. 182.
858 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES
sans parler du secteur public, laissent penser qu'il reste beaucoup de pro-
grès à faire.
Au-delà du langage, qui marque une différence superficielleentre 1950
et 1990, on note un point plus important: le public visé. Alors qu'en
1950, le 1WI (cf. n° 902) s'adressait à une population étendue: contre-
maîtres, chefs de service, délégués, la tendance actuelle se limite d'après
les experts, au domaine le plus riche en ressources humaines : l'encadre-
ment 1. Ce qu'il importe de «cibler», disent-ils, ce sont les cadres. Il
s'agit d'abord de détecter les individus possédant le maximum de possibi-
lités, d'où la multiplication de recettes de sélection proposées. A côté de
tests de personnalité, la graphologie est déjà utilisée depuis de nom-
breuses années, l'astrologie, plus récemment, enfin, la numérologie jouit
d'une certaine faveur. On peut y ajouter d'autres moyens plus personnels
et inattendus, tarots, etc.
La sélection accomplie, les techniques d'exploitation des ressources
vont se multiplier pour motiver, dynamiser, «positiver» (pauvre langue
française!) ces« élus». Il s'agit de les inciter à aller jusqu'au bout d'eux-
mêmes. L'objectif n'est plus d'adapter, d'équilibrer, de réconforter des
individus anxieux, frustrés (cf. les groupes marathon n° 908 bis) mais
s'adressant à des responsables, sûrs d'eux, ayant à prendre des décisions
importantes, de leur faire connaître leurs limites pour les dépasser grâce à
des expériences contrôlées, de les armer contre la peur ou le doute de soi.
Cet objectif est supposé devoir être atteint, grâce à des exercices tels que
sauts en parachute ou du haut d'un pont (benji). Ces épreuves sont
toutes d'ordre physique et suscitent la peur et l'apprentissage des moyens
de la surmonter 2 .
Alors que la dynamique de groupe avait pour but de faire prendre
conscience à chacun de son comportement avec les autres, et s'adressait à
des individus pris en groupe, mais en dehors de leur contexte profession-
nel, les expériences actuelles s'adressent à des groupes existant dans la
firme. Ils partagent la même épreuve pour mieux se connaître et ensuite
travailler plus efficacement ensemble. L'objectif est directement la pro-
ductivité de la firme, grâce au meilleur rendement d'individus adaptés
aux buts de l'entreprise. S'ajoutent à ces épreuves de « haut risque»,
toute la gamme des exercices de relaxation, dépaysement, d'expériences
de survie, de voyages, etc. Ce que les gourous doués d'imagination
peuvent inventer n'a d'égal que la stupéfiante crédulité des demandeurs.
Jusqu'ici, la pratique du sport paraissait efficace pour compenser une
vie trop rationnelle, trop tendue, et permettait d'échapper à l'ambiance
de l'entreprise ... ce que l'on veut aujourd'hui au contraire éviter. De plus,
alors que les nouvelles expériences ne sont généralement pas renouve-
lables, le sport représente un contrepoids (ou contrepoison) continu et
certainement beaucoup moins coûteux. On croit rêver devant le prix de
911 D'après le sociologue Merten, c'est une vue utopique de croire que dans
une société, toutes les valeurs peuvent être en même temps maximales.
C'est au sociologue à montrer aux hommes le prix qu'ils paient leurs
convictions, leurs pratiques, leurs désirs et leurs choix.
Jean Rostand faisait remarquer qu'à côté de ceux qui aiment les mathé-
matiques ou les lettres, existent aussi ceux qui aiment la vie, le réel.
« Ce que les sciences naturelles ont de plus extraordinaire, c'est que ce sont les
seules qui enseignent la complexité des choses. Toutes les autres sciences
recherchent des constantes, veulent simplifier, pas la biologie... Les biologistes
sont des gens qui connaissent la complexité de la nature, qui savent qu'il est dan-
gereux de toucher à son équilibre. Supprimer une forêt, cela paraît simple à l'ingé-
nieur, mais cela représente des dangers insoupçonnés, car la nature se venge... Le
biologiste connaît aussi l'importance de l'impondérable: l'organisme, pour fonc-
tionner, a besoin de" traces II de métaux, de manganèse, cobalt et d'autres infini-
ment petits. Le biologiste sait que tout est lié, qu'on ne peut toucher à rien sans
toucher à tout 1.»
1. Cf., le risque, souvent évoqué, de retrouver dans les techniques ce que l'on y a mis.
2. Malheureusement le mot est à la mode et utilisé en dehors de sa définition.
CONCLUSION 873
1. ~L~MENTS DE STATISTIQUE1
911-1 La statistique est liée à chaque étape de la recherche. Elle est à la fois
dépendante de l'objectif poursuivi : c'est un moyen ; mais en même
temps, elle pèse sur les décisions puisqu'elle permet ou non d'atteindre tel
ou tel but. Nous l'avons vu, le choix de la technique est lié au choix de la
population.
La statistique ne devrait donc pas être séparée du contexte de la
recherche, ce n'est pas un système de règles à part. Cependant, si nous
avons renvoyé en annexe quelques notions essentielles, c'est parce que
dans l'état actuel des programmes et de la formation des professeurs et
étudiants, il est préférable d'avoir recours à un spécialiste 2 pour enseigner
les rudiments nécessaires, donner au moins une idée des problèmes qui
se posent et du genre de services que la statistique peut rendre aux
sciences sociales. Comme le disait M. Richardson à propos de l'algèbre,
les étudiants doivent se rendre compte qu'il s'agit d'un langage logique et
non d'une branche de la magie noire.
La statistique, conçue comme science, présente deux aspects différents
et d'ailleurs complémentaires: description et mise en ordre matériel des
observations quantifiées pour traduire les faits d'une manière claire et
condensée; traitement théorique de ces données afin d'en tirer les déduc-
tions logiques associées aux observations. On ne peut aborder la
deuxième phase qu'à partir de résultats déjà classés et présentés de
manière utilisable. Une présentation même claire des résultats d'observa-
tion ne donnera en effet qu'une idée grossière et souvent gênante des
incidences causales, si elle n'a pas été effectuée en fonction des utilisa-
tions possibles.
(/)
Q,
0
C:
CU
::,
CT
• Cl>
L..
u..
0 ____ __.__...__.___._
___ .___.,_......,
__
Variables
Pour chaque valeur de la variable, on porte sur la verticale, à partir de
l'axe des abscisses, un segment ayant une longueur proportionnelle à la
fréquence observée. Si l'on ne représente que l'extrémité de ce segment
on a un diagramme en points, si tout le segment subsiste on a un dia-
gramme en bâtons.
Polygonedesfréquences.
Histogramme.
Les données sont groupées en classes. On marque sur l'axe des abs-
cisses les limites des classes, on construit le rectangle ayant pour largeur
l'intervalle de la classe considérée et pour hauteur la fréquence corres-
pondante.
U)
a,
u
C
(tJ
:::,
0-
..a,
L.
LL
Classes
Remarque: les largeurs des rectangles (les intervalles de classe) ne sont
pas nécessairement égales entre elles.
Pour une même distribution de fréquences, la forme de l'histogramme
variera suivant la largeur des classes. D'une façon générale le diagramme
amortira les variations de la distribution d'autant plus que ces classes
auront un intervalle important
Si les classes sont trop fines, toutes les irrégularités locales de la distri-
bution apparaîtront, mais il sera plus facile de saisir l'allure générale et
globale du phénomène.
Il sera donc courant de tracer, pour un même phénomène, plusieurs
histogrammes, correspondant à des répartitions en classes différentes.
L'étude complète en sera facilitée.
Remarque: Lorsque la variable étudiée n'est pas un nombre, mais une
qualité (couleur, catégorie socio-professionnelle, etc.) l'ordre dans lequel
on écrira les classes sur l'axe «variable» du diagramme est arbitraire.
Courbesdefréquences.
Dans le cas d'une variable considérée comme continue, si l'on pouvait
multiplier à l'infini le nombre des observations faites, on pourrait
connaître, pour toute valeur de la variable, la fréquence considérée. Les
points du diagramme de points ne seraient plus séparés, mais constitue-
raient une courbe continue, que l'on pourrait d'ailleurs considérer
comme la limite du polygone de fréquences.
ANNEXES 879
Ceci n'est bien entendu qu'une abstraction, car nous savons bien
qu'une telle observation sera toujours impossible. Mais notre but est de
trouver le modèle mathématique qui nous permettra de décrire au mieux
l'allure du phénomène, or les modèles mathématiques que nous connais-
sons le mieux se traduisent par des tracés continus. Nous pourrons donc
espérer, par exemple en resserrant à l'extrême les intervalles d'observa-
tion, obtenir un polygone de fréquences très voisin de cette courbe idéale
continue, que nous appellerons courbede fréquences.
Variable
Puis nous essayerons de trouver dans le matériel mathématique dont
nous disposons une courbe dont l'équation soit aussi voisine que possible
de la courbe de fréquences.
Les mathématiques nous permettront de déterminer à quelles condi-
tions et dans quelle mesure on peut considérer comme valable ce rem-
placement de la courbe de fréquences par la courbe théorique.
Ce travail de description mathématique de la distribution de fré-
quences porte le nom d'ajustementdes distributions.
Les principaux types de courbe de fréquences seront :
~
1
1
1
f
Courbe •en cloche•
•
l_j Courbe •en J •
symétriqi.e disymétrique
q=
n
Employée comme valeur centrale, elle peut toutefois intervenir dans un
calcul d'autres paramètres.
q -- ... -~n,y.2
-
n,
5° La médiane. - La médiane d'une suite de nombres X1, Xn rangés par
ordredegrandeurest le nombre situé au milieu de la suite. Si n est impair
il existe alors effectivement un nombre de la suite qui est
la médiane, celui de rang n + 1 la médiane est alors une donnée.
2
Si n est pair il n'existe pas de nombre de la suite placé au milieu. On
adopte comme médiane la moyenne arithmétique des deux
nombres centraux de rang !! et n + 2 .
2 2
La médiane d'une courbe de fréquences est donc la valeur de l'abscisse
pour laquelle la courbe de fréquences est séparée en deux aires égales.
(/) (/)
a, 41.1
u u
C ---- C
a, (1/
:, :,
O' O'
~a, • t,
'-- '--
1.L 1.L
Variable Variable
882 ANNEXES
Ile,1
écart moyen em ---
n
em = In,lel, avec e, = x, - x
n
Cf tab. Il.
0 = V' k (x,-
n
x)
2
L'écart type est très employé pour les distributions en cloche et pour la
théorie des erreurs. Cf. tab. Il.
AGE
ANNfiES VALEUR
FRtQUENCE f,x,
RtVOLUES CENTRALE
CLASSES
-
I 5-19 17 1 033 17 561
20-24 22 I 351 29 722
25-29 27 1 609 43 443
30-34 32 1 647 52 704
35-39 37 1 580 58 460
40-44 42 1 187 49 854
45-49 47 l 151 54 097
50-54 52 1 322 68 744
55-59 57 1 104 62 928
60-64 62 785 48 670
65-69 67 372 24 924
70-74 72 189 13 608
-- --
TOTAL,, ................. 13 330 524 715
TABLEAU Il
Calcul de l'écart moyen et de la variance.
VALEUR ~CART
CENTRALE
FR~QUENCE
A LA MOYENNE
/,e, f,e,•
164 624,60
Remarquessur le TableauII:
1. On a séparé dans la 4e colonne ceux des produits fce1qui sont posi-
tifs de ceux qui sont négatifs. Seules les valeurs absolues servent au calcul
de l'écart moyen, mais on peut vérifier les calculs en constatant que la
somme des premiers fre1 est bien à peu près opposée à celle des fre1 néga-
tifs (par définition de la moyenne arithmétique).
2. Pour établir la colonne 5 f, ( e1)2 il suffit de multiplier, éléments à
éléments, la colonne 4 par la colonne 3, on a donc :
If,ef = 2 785 581,19
16
14
12
10
8
6
4
2
0
15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75
3° Interquartile.- On partage la suite des données en quatre parties
égales, par un procédé analogue à celui de la médiane. On obtient ainsi
un fractionnement en quatre groupes, les valeurs de séparation s'ap-
pellent les quartiles, les groupes de données s'appellent les interquartiles.
Le deuxième quartile est donc la médiane et les premier et troisième
quartiles sont les médianes des groupes séparés lors du calcul de la
médiane.
médiane
1er quartile 3e quartile
X1 X2 1 Xn
La moitié des données est située entre le premier et le troisième quar-
tile. La différence entre ces deux quartiles permet donc de mesurer la dis-
persion de la distribution. Il est d'usage d'utiliser la moitié de cette quan-
tité comme paramètre de dispersion : c'est le semi interquartile:
Siq = 3e quartile - 1er quartile_
2
4° Obliquité d'une distribution « en cloche».- Il arrive fréquemment
qu'on ait à comparer une distribution en «cloche» dissymétrique avec
une distribution en « cloche » symétrique (par exemple la distribution
normale) on peut utiliser alors comme coefficient d'obliquité (Pearson)
la quantité:
0 = Moyenne - Mode
écart type •
Cette quantité sera nulle pour une distribution symétrique.
886 ANNEXES
PRÉSENCE ABSENCB
c. c,
Présence c, ........... x, x.
Absence C, ........... X1 x,
Tableau réel
PRÉSENCE ABSENCB
c. c.
Présence C 1 ••••••• • • • • y, Y•
Absence c, ........... Y• y,
Tableau théorique
F.xemple.
A la suite d'une représentation de théâtre d'avant-garde on a remis aux
spectateurs un questionnaire. On a obtenu les résultats suivants (on sup-
posera l'échantillon représentatif) :
HOMME FEMME
d'où: Y1 = 58 x 74 = 4.292 = 29
149 149
91 X 74 _ 6.734 =
de même: 45
149 149
58 X 75 _ 4,350 =
29
149 149
91 X 75 _ 6.825 =
46
149 149
d'où le tableau théorique :
HOMME FEMMB
Satisfait .............. 29 4S
pour ordonnée la mesure Yidu caractère Cz. On obtient ainsi une famille
de points (nuage de points).
S'il n'y a pas corrélation, ces points se trouveront bien entendu répartis
au hasard sur le graphique. Mais s'il existe une corrélation entre les deux
caractères, les points auront tendance à se grouper le long d'une courbe
dont l'équation pourra servir à étudier la relation entre les deux carac-
tères. Par exemple s'il existe une corrélation entre la taille et le poids, en
portant la taille en abscisse et le poids en ordonnée nous trouverons une
progression régulière.
Depuis Galton (1886) on appelle ce phénomène la régression (bien
que ce terme n'ait plus la signification que lui avait donnée Galton).
Lorsque les points du diagramme ont tendance à se grouper le long d'une
droite, on dit que la régression est linéaire (positive ou négative).
Cette corrélation serait parfaite si tous les points étaient alignés (cas
théorique d'une relation fonctionnelle linéaire); pour une loi stochas-
tique ils seront seulement groupés autour de la droite. Si les points
s'éloignent peu de la droite, on dit que la dispersion est faible et la corré-
lation forte. S'ils s'étalent loin de cette droite, la corrélation sera dite
faible.
On étudiera de la même façon le cas où la courbe n'est pas une droite
(régression curvilinéaire) et on définira une corrélation forte ou faible.
890 ANNEXES
..
u ..
u
"'O
-0
.. ..
:5
:5
.. ______
"'
E.__ _
..
Ill
E._________ _
mesure x 1 de C1
mesure 1
1 de C1 Groupement autour d'une droite
RPpar t,toon au hasard,
..xislence d'une corréla lion, cas
pas de corrélation d'une corrplat,on !orle pos1l1ve
N
u
"O•
;:;
..
...
..
::,
"'
E'---------
mesure "ide C1
Groupement autour d'une droite
existence d'une corrlitation, cas
d'une corrélation faible positive
Espérancemathématique.
Dans le cas où les résultats d'une expérience peuvent se traduire par
une suite de nombres a1,a2,..., an avec les probabilites P1,Pi, ..., Pnrespec-
tivement, on appelle moyenne ou espérance mathématique de cette suite
le nombre E = p1a1+ p2a2+ ... Pn-an,
La loi des grands nombres nous dit que si on répète un grand nombre
de fois une expérience d'espérance mathématique E, et si on calcule la
moyenne arithmétique des résultats obtenus, la moyenne arithmétique
empirique se rapproche de l'espérance mathématique à mesure que le
nombre d'expériences augmente.
Probabilitésconditionnelles.
Lorsque l'ensemble des événements possibles se réduit de U à un sous-
ensemble A de U de probabilité non nulle, comment modifier la probabi-
lité des événements V ?
On désigne par PA (X), la probabilité de l'événement X si A est réalisé,
si A et X sont incompatibles, on a évidemment PA (X) = O.
ANNEXES 893
P,..(X) = p (X)_
p (A)
Si X n'est ni inclus dans A ni incompatible avec A, alors on a :
P,..(X) = P (A et X)_
p (A)
Le calculdes probabilitéspermet de construiredes mesuresdes degrésde
vraisemblanced'événementsd'une manièrecohérente.La statistiquemathé-
matiquepermet d'estimerlesprobabilitéset d'étudiersi cesprobabilitéssont
compatiblesavecl'observation.
§ 2. L'Analyse de l'information
918 Composantes et invariant ◊ L'information représente un contenu
composé de correspondances entre certains points (variables, facteurs tels
que le temps, l'âge, les prix) appelés composanteset un point qui subit
l'influence de ces composantes mais dont l'unité qu'il représente le fait
nommer: l'invariant.Par exemple, l'influence de l'âge, du sexe, du niveau
scolaire (composantes) sur le taux de délinquance (invariant).
Les composantes peuvent regrouper plusieurs catégories: partis poli-
tiques, P.C., P.S., etc. Elles se distinguent également par leur longueurou
nombre d'éléments ou catégories qu'elles permettent d'identifier. Le sexe
= longueur 2, l'état civil= 4. 1
Enfin les composantes se situent, « s'organisent» à des niveaux dif-
férents:
Le niveauqualitatifqui permet soit de distinguer (agriculteurs différents
des artisans) soit d'associer (catholiques et protestants sont chrétiens).
Le niveau de l'ordre qui permet de classer en plus ou moins: grand,
moyen, petit.
Le niveau quantitatif qui permet de classer en fonction d'une unité
comptable : les prix sont trois fois plus élevés à telle date qu'à telle autre.
918-1 Les moyens ◊ Le graphique peut indiquer un déroulement dans le
temps, mais il est statique et ne peut varier que par rapport aux deux
dimensions du plan papier où il s'inscrit On appelle implantationl'utili-
sation des trois significations qu'une tâche visible peut recevoir par rap-
port aux dimensions du plan. Ce peut être un point: une ville sur une
carte (position sans surface) ; une ligne: augmentation du prix de la vie
(position linéaire sans surface), ou une zone: un département (représen-
tant une surface).
Ces images peuvent varier en taille, valeur, forme, grain, couleur,
orientation.
Ceci permet une grande multiplicité de combinaisons, d'où la tenta-
tion d'intégrer trop de données et la nécessité de choisir l'image la plus
compréhensible. L'efficacitéde l'image dépend du temps nécessaire à sa
compréhension. Celle-ci est d'autant plus rapide que le graphique est
simple, c'est-à-dire intègre moins de données ou composantes, répond à
moins de questions. Le taux de délinquance par rapport au sexe se voit
1. Célibataire,marié,veuf, divorcé.
ANNEXES 895
En outre, quelle que soit l'unité de temps choisie, des intervalles égaux
devront toujours représenter des périodes égales (échelle arithmétique).
En revanche, sous réserve de ce qui est dit à l'alinéa suivant, il est tou-
jours possible de choisir pour les variations du phénomène une échelle
logarithmique.
134
... 135
133
I
~~~ 13ob=h=bd==t=i=tl=t1=cJ
~~-
132
l 12 0 t---+--+--+--+----+--l-----+--1-----+---<I----I
13t 110t---+--t----+--t----+--t---+--1---t----l'--~
\/
13 100'--_,__.___,___....___,___..___,___,J.___,___,_~
AMJ JASONOJFM A M J J A S O N D J. F M
1960 1961
A)T hise de l'aug- B) Thèse de la stabilisation effective du coût de
mentation du coût la vie.
de la vie
PR~SENTATIONS 11 ORIENT~ES" DE L'~VOLUTION DES PRIX de D~TAIL
en FRANCE (Indice do 250 articles, base 100 du 1-7-56 au 30 6-57.)
Source : PIATIER Statitisque p. 2◄9, op. cit., n° 599 (12.)
Graphique II
Le choix du rapportdes échellesn'est régi par aucune règle. Tout ce que
le dessinateur peut faire est de se demander si le graphique produira une
impression très différente avec un rapport d'échelles différent A la limite
en effet, un truquage, ou du moins une présentation très orientée est pos-
sible. ( * Exemple : graphique Il.)
b) Coordonnéespolaires.Autour du point appelé centre de rotation ou
pôle, un système d'axes gradués de la même manière et que séparent des
angles égaux, forme ce que l'on appelle des coordonnées polaires. Les gra-
phiques à coordonnées polaires sont très utilisés pour la représentation
des séries chronologiques (chaque axe représente une période, les gradua-
tions de ces axes les variations du phénomène) et sont particulièrement
suggestifs lorsqu'il s'agit d'événements marquant dans certaines périodes
898 ANNEXES
Oct.
CIi
:J
C
C
ru
C
0
50000
·.;::
ni
E
E
0
Il)
C
0
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10000 20000 30000 40000 50000 60000 70000 80000
Voitures particulières ( un'ttés)
- Rela~ion entre le nombre de voitures particulières
immatriculées et la consommation annuelle de car•
burants( essence et supu) par département en
1952 Source (C.R.E.0.O.C.)
Source PIA Tl ER Stat1st1que p. 278
1. Cf. n° 916.
900 ANNEXES
9. Mai 1959
10. Novembre 1959
11. Mars 1960
12. Juin 1960
13. Novrmbre 1960
14. Mars 1961
15. Juin 1961
100.,/. dt .....
Graphiqut!IV
Axe 3 A\ 5 ,
J-ndua.Indu•. --1
1
1
CAPITAL Q.E
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P. Lib.
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Cros Com. P•t.conr.
Pet.Cca.
Artia.2"11 ~~iaana O.S.
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1 Axel
- - - - - - - - - ____ _ Aniie ~..Si,"!:!'.:.-- _________ -i)
- - -- - - - - - -- - - -·- - - - l'ortiatu ~•d A"'"'• 1 Elllp.a11r,Contr.A11tr.Se.rv. o.Q. 12,
C.At:"1.Sur. C,l'o&i.sup. C.Aàri.Moyffl D,rp.COl'I. Drrp,Bur. Autr,S.MI. O,q.
Artietu C,Adlll.Hoyen Elllp,Coa,
I,ig. Techn. •1
tng. :tnatit, Inatit. T1c1at. 1
Prof. Prot. 1 ~-
14an.
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Graphique IV. Les dots sociales (axe 1 x axe 2) 0
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Inatituteure
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ANNEXES 907
1. Ont donc été exclusde l'analysedes correspondancesd'une part les agriculteurs,les salariésagri-
coles,les mineurs, les patrons et marins-pêcheurs,fortement homogames,et d'autre part les catégories
comportant peu de « pères» : apprentis,clergé,femmesde ménages,gens de maison.
2. Il n'en est pas de même pour les csp rurales,où, on l'a vu, les fils d'agriculteursse marient beau-
coup plus fréquemmentavecdes fillesdes salariésagricolesque ne le font les filsde ces derniersavecdes
fillesdes premiers.
908 ANNEXES
effets des situations sociales des pères sur les mariages des enfants. Ainsi,
sur les graphiques II et Ill relatifs aux origines sociales, sont « tirées » vers
le « haut» de l'échelle (c'est-à-dire vers la gauche du graphique) les csp
particulièrement bien placées par rapport à l'école et favorisant donc,
toutes choses égales par ailleurs, l'« ascension sociale»: les professeurs et
les instituteurs marient leurs enfants un peu « au-dessus » de la place qui
serait la leur par exemple dans une échelle de revenus.
Ces phénomènes de mobilité intergénérationnelle sont plus percep-
tibles dans les graphiques IV et V qui décrivent deux générations dif-
férentes (beaux-pères et gendres). Lespoints« pères» sont plus« hauts»
( à gauche sur le graphique) que les points « maris » dans deux cas : pour
les professeurs et surtout les instituteurs; ceci reflète d'une part le fait
que le « statut social » de ces professeurs a baissé d'une génération à
l'autre, et d'autre part le fait que les filles d'hommes exerçant ces profes-
sions font relativement plus d'études, ce qui leur permet de se marier plus
« haut » [ ...]. En revanche, dans deux cas les points « maris » sont situés
plus« haut» que les points« pères»: les personnels médico-sociaux[ ..],
et les autres personnels de services. Ces deux catégories ont vu leur
contenu changer assez nettement d'une génération à l'autre, par appari-
tion de professions «nouvelles», paramédicales dans le premier cas, de
«service» tels que steward, guide, coiffeur, esthéticien, moniteur d'auto-
école, etc., dans le second cas. Ceci a eu pour effet d'élever la place de ces
catégories : les maris qui y figurent sont situés plus « haut » que les
beaux-pères.
Lesplaces relatives des quatre catégories constituant les patrons de l'in-
dustrie et du commerce sont aussi intéressantes : dans les deux cas, on
trouve, nettement séparés et dans cet ordre, les industriels, dans les caté-
gories «supérieures», les gros commerçants et les petits commerçants,
respectivement aux franges supérieures et inférieures des catégories
moyennes, et les artisans, à peu près au niveau des employés. Un tel ordre
n'était pas évident a priori : la place plus élevée des industriels par rapport
aux gros commerçants peut s'expliquer par le fait que les limites entre
«gros» et« petits» sont arbitrairement hétérogènes (plus de cinq sala-
riés pour les industriels, plus de deux pour les gros commerçants). Mais si
cette explication suffisait, les artisans (5 salariés et moins) devraient être
situés plus« haut» que les petits commerçants (2 et moins), ce qui n'est
justement pas le cas. Ceci suggère que la population des commerçants est
beaucoup plus homogène que celle des industriels et artisans, qui ras-
semble de véritables patrons et des petits artisans assez proches de la
classe ouvrière [ ...] 1.
1. BIBLIOGRAPHIES
COURANTES
a) BIBUOGRAPHŒSGÉNÉRALESDES SCIENCESSOCIALES
Bibliographie internationale des sciences sociales. - London, Tavistock
Publications; Chicago (Ill.), Aldine Publishing Co. Annuel.
Bibliographie internationale de sociologie. Depuis 1951.
Bibliographie internationale de science politique. Depuis 1952.
Bibliographie internationale de science économique. Depuis 1952.
Bibliographie internationale d'anthropologie sociale et culturelle. Depuis
1955.
Recent publications in the social and behavioral sciences. The ABS
guide... supplement - New York, American Behavioral Scientist. Depuis
1965. Annuel.
* Bulletin signalétique. Sections 19-24 : Sciences humaines, philosophie.
Centre national de la recherche scientifique. - Paris. Depuis 1946. Tri-
mestriel.
* Bulletin analytique de documentation politique, économique et sociale
contemporaine. Fondation nationale des sciences politiques. - Paris.
Depuis 1946. Mensuel.
b) BIBLIOGRAPHIES
SPÉOAIJSÉESPOUR UNE SOENŒ
Cours et travaux inédits de science politique. Fondation nationale des
sciences politiques. - Paris. Depuis 1959. Annuel.
* Documen~tion politique internationale/International political science
abstracts. Etablie par l'Association internationale de science politique. -
Oxford, B. Blackwell. Depuis 1951. Trimestriel.
Sociological abstracts. - New York. Depuis 1952. 8 fois par an.
Il. BIBLIOGRAPHIES
RÉTROSPECTIVES
III. RÉPERTOIRESBIBLIOGRAPHIQUES
IV. ENCYCLOPÉDIESGÉNÉRALES
V. ENCYCLOPÉDIESET DICTIONNAIRESSPÉCIALISÉS
Bastide (R.) 159, 159-1, 174, 179, 181, Bennis (W. G.) 428, 860, 881, 910-2.
201, 202, 255, 264, 350, 354, 360, Bensman (J.) 860.
365-1, 395, 478. Bentham Q.) 184.
Bataille (G.) 239. Benveniste (E.) 245, 249.
Bates (F. L.) 416, 465, 467, 478, 881. Benzecri (J. P.) 562-1, 580-1, 923.
Batten (T. R.) 910-2. Berelson (B.) 565, 580-1, 585, 587,
Baud (F.) 110, 478. 590, 595, 596, 606, 610, 614, 615,
Baudelot (C.) 119, 580-1, 910-2. 623, 627, 628, 629, 629-1, 632, 811,
Baudoin (J.) 4, 86, 239. 860, 881.
Baudrillard (J.) 131, 132, 159-1, 587. Berge (G.) 398,416.
Baudry (J. L) 585, 587. Berger Q.) 170.
Bauer (R. A) 632. Berger (Peter) 159-1, 312, 580-1.
Baulig (H.) 208, 214. Bergeron (G.) 239, 392, 395.
Bavelas (A.) 374, 398-1, 416,874,880, Berghe (P. Vanden) 395.
881, 910-2. Bergman 584.
Baverez (N.) 580-1. Bergson (H.) 6, 65, 85, 885.
Beals (R. L.) 181, 264. Berkeley (G.) 6, 62.
Beaujeu-Garnier (J.) 214. Berkoffer (R.F.) 207.
Beck (LW.) 101. Berkowitz (L.) 198.
Beck (S. J.) 275. Bernard (C.) 58, 73, 86, 119-1, 159-1,
Becker (H.) 25, 104, 159-1, 110, 181, 263, 300, 301, 312, 322, 328, 329,
261-1, 265, 269, 297, 337, 340, 341, 861, 881.
395, 580-1, 860. Bernard (P.) 478.
Becquemont (D.) 104. Bernard (Y.) 583, 587.
Beetham (D.) 159-1. Berne (E.) 881.
Behaviorisme 186, 233, 260-1. Bernd (J.) 416.
Bejarano (A.) 910-2. Bernheim 200.
Belier (G.) 110. Bernot (L.) 860.
Bellaev (E.) 170. Bernoulli (J.) 48, 62, 215-1, 280.
Bellak (L) 766. Bernoux (B.) 170.
Bellamy (R.) 170. Bernreuter (R. G.) 754.
Belley (J. G.) 169, 110. Bernstein (A.) 881.
Belson (W. A.) 585, 587. Bernstein (B.) 246, 249.
Benassy Q. P.) 223. Bernstein (E.) 2 54-1.
Ben David Q.) 554. Bernstein (H.) 571.
Benclix (R.) 138, 159-1, 239, 395. Berque (J.) 179, 181.
Benedict (Ruth) 176, 181, 540, 860. Berr (H.) 205.
Benett (E. B.) 881. Berreman (G. D.) 260, 264.
Benezé (G.) 86. Berry (B. J. L.) 214.
Benguigui (G.) 860. Berry (D.) 170.
Benjamin (W.) 163-1, 170, 910-2. Bertalanffy (L. Von) 383, 395, 411,
Benne (K. D.) 428, 860, 910-2. 416.
INDEX ALPHABÉTIQUE 94 7
Bertaulay (K.) 214. Blanché (R.) 4, 24, 28, 45, 49, 51, 55-1,
Bertaux (O.) 275, 554, 573, 580, 56, 59, 61, 66, 67, 69, 72, 73, 74, 75,
580-1. 83, 86.
Berthelot (J. M.) 159-1. Blanchet (A.) 725.
Berthoud (G.) 165-1, 170. Blatner (H.) 910-2.
Bertillon (A.) 215-1. Blau (P. M.) 170, 860.
Bertillon (J.) 215-1. Blaug (M.) 222-2, 223.
Bertin ( C.) 202. Bloch (Marc) 203, 205, 206, 207.
Bertin (J.) 917. Bloch (J. M.) 211.
Besançon (A.) 202. Bloch (Joseph) 132.
Beshers (J. M.) 219. Blondel (J.) 239.
Besnard (P.) 159-1, 198. Bloomberg (W.) 442.
Besson (J. L.) 562, 580-1. Bloomfield (L) 86,243,249.
Bettelheim (B.) 604, 632, 881. Blum (A. J.) 554.
Bettelheim (C.) 223, 860. Blumberg (A.) 860.
Betz (H. K.) 220, 223. Blumberg (H. H.) 725.
Beveridge (W.) 860. Blumer (H.) 22, 162, 170, 271, 297.
Biais 661, 696, 723, 724. Blumler (J. G.) 585, 587.
Bichat 110. Boas (F.) 176, 177.
Bidegain (J.) 910-1. Bode (K.) 223.
Bie (P. de) 170, 428. Bodin (J. L.) 580-1.
Bienayme (A.) 223. Bogardus (E. S.) 137,785,811.
Bierstedt (R.) 159-1. Bogdan (R.) 299.
Billon-Grand (J.) 239. Bogner (A.) 159-1.
Bindrim (P.) 910-2. Bogue (O.) 219.
Binet (A.) 193, 727, 729, 730, 737, Bohr (N.) 82, 83, 84.
738,743,749,756,861. Bois du (Cora) 176.
Binion (R.) 201. Boissomat (G.) 168.
Bion (W. R.) 893, 895, 897, 898, Boland (L.) 222-2, 223.
910-2. Bolle de Bal (M.) 170.
Birnbaum (N.) 159-1, 264. Boil (M.) 478.
Birnbaum (P.) 159-1, 165-1, 110,226, Bollème (G.) 201.
239, 395, 432. Bolles (B. C.) 473, 478.
Bismarck 150. Boltansky (L) 170, 417, 565, 580-1,
Blache (J.) 214. 587, 632, 937.
Black (F.) 223. Bon (F.) 170, 239, 518, 632.
Black (J.) 554. Bonafé-Schmidt (J. P.) 169, 170.
Black (M.) 395. Bonaparte (Marie) 199.
Blake (R. R.) 881, 910-2. Bonjean (C. M.) 811.
Blalock (H. M.) 416, 860, 881, 910-2. Bonnardel (R.) 753, 766.
Blancard (R.) 211-2, 860. Bonnetain (P. H.) 239.
Blanchard (O.) 223. Booth (C.) 152, 154, 159-1, 860.
948 INDEX ALPHABÉTIQUE
Condorcet (A. N. de) 114, 215-1, 280, Cotteret a. M.) 239, 632.
282, 401, 861. Cotton a. W.) 518.
Conduites. Coulon (A.) 110.
-de réunion 903. Courchet a.
L.) 860.
-domaine des 748-1. Cournot (A.) 52, 66, 73, 86, 282.
-et caractérisation 462, 643. Cournot 0-) 220-2.
-étude des 752. Courthenay (B. de) 241.
Conring (H.) 95. Cousteau a.
Y.) 219.
Consensus 116, 162, 222. Couturier (M.) 205-1, 201.
Constantinescu (M.) 170. Cowell (F. R.) 264.
Contrainte 120. Cox (K. R.) 214.
Contre culture 259. Crawford (F.) 264, 428.
Converse (P.) 518, 860. Crawford (V.) 223.
Conway (F.) 518. Crecine a. P.) 869.
Cook (S. W.) 97, 198, 329, 478, 486, Crespi (1.) 587.
518, 606, 725, 860, 881.
Cresswell (R.) 181.
Cooley (C. H.F.) 183, 186.
Crombie 38.
Coombs (C. H.) 299, 786, 788, 789,
Crone (G. R.) 214.
791,811.
Cros (R. C.) 632.
Coombs (P.) 395.
Crossley (H.) 725.
Cooper (C. L.) 910-2.
Crotty (W. J.) 587.
Cooper (E.) 768,811.
Crouzet (Ph.) 725.
Cooper (R.) 223.
Crozier (M.) 162-1, 166, 167-1, 168,
Copans 0,) 260, 264.
170, 238, 860, 882, 892.
Copernic (N.) 39.
Coquet a.
C.) 632. Cruse (H.) 110.
Crutchfield (R.) 182-2, 198, 264, 486,
Corbin (A.) 206, 207.
Corcuff (P. H.) 110. 691, 811, 876, 878, 881.
Cornaton (M.) 486, 881. Cubeddu (R.) 223.
Cornu (R.) 159-1. Cues (N. de) 39.
Corrélation 539, 542, 543, 545, 916. Cuin (Ch. H.) 159-1.
- empirique 324. Cuisenier 0-) 181.
- et causalité 542, 543. Culioli (A.) 244-1, 249.
- fonctionnelle 350. Culture (notion de) 176, 187.
Corsini (R. J.) 910-2. Curie (A.) 910-2.
Cortes (F.) 416. Curtis (A.) 910-2.
Corvez (M.) 395. Curtis a. H.) 110.
Coser (L. A.) 110, 239. Curtis (M.) 239.
Costa-Pinto a.A.) 219. Cuvier (G.) 27.
Cot 0- P.) 239. Cuvillier (A.) 132, 133, 159-1, 354.
Cotgrove (J.F.) 170. Cybernétique 382, 383, 388, 389, 390,
Cotinaud (O.) 910-2. 392,410.
INDEX ALPHABÉTIQUE 9 53
J
I
Jaccard (R.) 200-1, 202.
Idéologie 10, 132, 256, 260, 352, 366, Jacob (F.) 264.
393. Jacob (P.) 86.
ldiart (P.) 860. Jacobs (M.) 264.
ldiographique 140, 271, 274. Jacoby (R.) 202.
Ihl (O.) 239. Jack (L. M.) 836.
ll'icev (F.) 164. Jacquard (N.) 219.
lloornis (C. et Z. K.) 110. Jacquart (A.) 219.
Impact 428. Jacquinot (G.) 587.
Indétermination 83. Jaffé (Élise) 138.
964 INDEX ALPHABÉTIQUE
Jahoda (M.) 198, 478, 486, 518, 550, Jones (R. E.) 214, 395, 632.
606, 632, 661, 725, 811, 818, 848, Jones (E. E.) 881.
860, 881. Jorion (E.) 110.
Jakobson (R.) 245,249, 367, 415-1. Joseph (I.) 159-1.
Jalling (F.) 110. Joutard (Ph.) 580, 580-1.
Jambu (M.) 811. Jouvenel (B. de) 225, 239.
James (P. F.) 214. Jules-Rosette (B.) 110.
James (W.) 134, 192-1, 772. Julliard (J.) 170.
Jamous (H.) 25, 269, 416. Jung (C. G.) 199,200,202, 252, 447.
Janet (P.) 200. Junker (B.) 860.
Janik (A.) 76-1, 86.
Janis (1.) 866, 881. K
Janne (H.) 110, 395.
Janning (F.) 110. Kabongo (I.) 264.
Janov (A.) 910-2. Kaës (R.) 910-2.
Janowitz (M.) 580-1, 585, 587, 603, Kagel (J.H.) 223.
632. Kahl (P.) 354.
Janson (C. G.) 170. Kahn (R. L.) 652, 661 et s., 665, 697 et
Jaques (E.) 882, 893, 895, 910-2. s., 725.
Jarosson (B.) 198. Kalaora (B.) 159-1.
Jaspers (K.) 26, 148, 276, 554. Kalinowski (G.) 170.
Javeau (C.) 159-1, 518, 554, 725. Kalleberg (AL.) 395.
Jaulin (R.) 264. Kalven (H.) 170.
Javillier (J. C.) 170. Kandel (I.) 725.
Jay (M.) 163-1, 170. Kansky (K. J.) 211,214, 254-1, 400.
Jeammaud (A.) 167, 170. Kant (E.) 1, 2, 4, 6, 21, 68, 138, 209.
Jenkins (J. G.) 889. Kaplan (A) 14, 25, 431, 432, 442.
Jennings (H.) 886, 910-2. Kaplan (H. A.) 239.
Jenny (J.) 299. Kapferer (J. N.) 587.
Jequier (F.) 580-1. Karady (V.) 159-1, 173, 181.
Jespersen (O.) 242. Kardiner (A.) 174, 176, 181, 198, 201.
Jessua (C.) 223. Kariel (H. S.) 395.
Jeu 162, 166, 402. Karlsson (G.) 881.
Jevons (W. S.) 220-2. Karsten (S. G.) 223.
Jewkes (J.) 428. Kasler (D.) 159-1.
Jobert (B.) 110,239. Kasperson (R.) 214.
Jodelet (D.) 110, 182-2, 198,239. Katchourine (A) 478, 910-2.
Joffre-Dumazedier 860. Katona (G.) 201, 518.
Johnson (N. R.) 239, 910-2. Katz (O.) 110, 198, 431, 442, 454, 458,
Johnston (R. T.) 214. 478, 486, 518, 632, 725, 811, 818,
Jonas (F.) 159-1. 860, 881.
Jonas (S.) 395. Katz (Z.) 259.
INDEX ALPHABÉTIQUE 96 5
221-1, 222, 224, 254, 254-1, 259, Mehl (L) 383, 389, 395.
304, 346, 347, 352, 376, 394, 496, Meidinger (C.) 223.
885. Meillassoux (C.) 181.
Maslow (A. H.) 189-1, 192-1, 252, Meillet (A.) 249.
264, 473, 478. Melese (J.) 395.
Mass (V.) 169. Melucci (A) 165-2, 170.
Mass media 604, 632. Memling (H.) 340.
Mastrogregori (H.) 207. Menmi (D.) 239.
Matalon (B.) 554, 632, 811. Mendel (G.) 196, 254-1, 210-1, 910-2.
Matarazzo Q.D.) 725. Mendelsohn (H.) 587.
Mathelot (P.) 416. Mendras (H.) 159-1, 110, 181, 239.
Matoré (G.) 246. Menger (C.) 220, 220-2, 221,223.
Mattenzi (M. L. M.) 352, 354. Menger (P. M.) 170.
Matter (W.) 167-1. Menninger (K.) 910-2.
Maturana (H.) 163-1. Meny (Y.) 239.
Maucorps (P.) 198, 860. Menzel (H.) 554.
Mauron (Ch.) 589. Mercier (P.) 181.
Maury (R.) 239. Merle (M.) 239.
Mause (L. de) 207. Merleau-Ponty (M.) 8, 13, 25, 125,
Mauss (M.) 120, 123, 124 et s., 159, 159-1, 165, 442.
159-1, 169, 173, 176, 179, 181, 218, Merlin (P.) 214.
302, 304, 312, 313, 329, 346, 354, Merllié (D.) 119, 562, 580-1.
376, 417, 497, 581, 589. Merrell (F.) 367, 395.
Mauser (P. H.) 219. Merriam (Ch.) 238-1.
Max (A) 518. Merrien (F. X.) 170.
Maxwell Q.) 72, 119. Merrit (R. L.) 395.
May (B.) 580-1. Mersenne (de) 41, 54, 57, 60.
Mayer Q.R.) 68. Merton (R. K.) 101, 148, 159-1, 161,
Mayer (Mona) 239. 162, 170, 223, 263, 264, 298, 299,
Mayfield (R. C.) 214. 322, 323, 329, 339, 349, 353, 354,
Mayo (E.) 167-1, 170, 537, 820, 860, 363, 364 et S., 389, 395, 417, 419 et
871 cf. Western, 882-1, 902. s., 428, 537, 542, 543, 554, 587, 639,
Mazoyer (M. A.) 428. 651,725,811,849,860, 910-2, 911.
Mayone-Stycos Q.) 725. Mesure (Sylvie) 159-1.
McCaman Q.) 395. Metraux (A.) 179.
Mead (G. H.) 155, 162, 169-1, 181, Metz (C.) 249, 580-1, 587.
183, 184, 186, 468. Meyer (F.) 219.
Mead (Margaret) 176, 191, 350, 860. Meyerson (E.) 71, 86.
Meadow (C. T.) 416. Meyerson (1.) 207.
Medard (J.F.) 239. Meynaud (J.) 239, 452, 478.
Meeker (Barbara) 299. Meynier (A) 214.
Mehan (H.) 170. Miaille (M.) 110.
972 INDEX ALPHABÉTIQUE
Michel 0,) 119-1, 159-1, 165-1, 170. Monroe (K. R.) 239.
Michelat (G.) 239, 580-1, 585, 587, Montages (A.) 252,264.
725, 811, 860. Montaigne 173.
Michelet 0-) 91,204,205. Montchretien (A. de) 94, 220.
Michels (R.) 239. Montesquieu (Ch. de) 90, 92, 93,
Michiels 101. 104, 112, 116, 117, 125, 209, 224,
Michon (F.) 110. 236, 372, 380.
Middletown (enquête) 819.
Montgolfier 0-) 62.
Miege (B.) 587. Montlibert (G. de) 110, 428.
Mignet (F. A.) 204.
Montmollin (G. de) 766, 881.
Milbraith (L.) 239.
Montmort 56.
Milgram (S.) 874, 881.
Milher (G.) 632. Montudard (M.) 170.
Miliband (R.) 223. Moore (B.) 239.
Miller a. C.) 395,411,416. Moore (H. E.) 860.
Miller (E.) 186, 860. Moore (F. W.) 395.
Millet (L.) 186, 395. Moore (W. E.) 110.
Millican (M. F.) 428. Moral (étude du) 544, 798, 879, 889.
Mills (T. M.) 881, 910-2. Morazé (Ch.) 207.
Mills (C. W.) 159-1, 161, 110, 239, More (Th.) 88.
290, 299, 339, 340, 341, 386, 395, Moreau (J.) 264.
430,442,538,540,911. Moreau (R.) 239, 249, 632.
Milner (J.) 244-1, 249, 725. Moreau de Bellaing (L.) 170.
Mine (A.) 400,416. Moreau-Desfanges (P. H.) 239.
Mingat 222-2, 223. Moreno (L.) 110.
Mintz (E.) 908-1, 910-2. Moreno (J. L.) 160-1, 465, 469, 478,
Mintz (S.) 580-1. 861, 881, 882, 885 et S., 889, 910-2.
Mises (L. von) 18, 221, 223. Morero 881.
Mishler (E. G.) 860. Morf (A.) 403,416.
Mitchell (C.) 400, 416.
Morgan (L. H.) 174, 372.
Mitchell (Duncan) 109-1, 133, 159-1.
Morgenstern (O.) 401, 416.
Mitchell (W. C.) 220-2, 395.
Morin (E.) 159-1, 165-2, 170, 181,
Mitroff (1.) 264.
239, 263, 264, 269, 416, 469, 478,
Mitzmann (A.) 138, 159-1.
Modèle 211-1, 391,415. 579, 580, 580-1, 585, 587, 860.
Moeschler (J. J.) 245, 246, 249. Morin (G. H.) 587.
Moles (A.) 299, 403, 404, 408, 416, Morin (M.) 428.
580-1, 587. Morineau (A.) 923.
Mornière (D.) 395. Mornet (D.) 66.
Mommsen (W. A.) 159-1. Morris (Ch. W.) 86, 247-1, 249.
Mongin (P.) 223. Morse (N. C.) 412.
Monod 0,) 65, 66, 73,264, 860. Mosca (C.) 239.
INDEX ALPHABÉTIQUE 973
Spradley (J.) 860. Stouffer (S.) 162, 298, 329, 542, 554,
Sprague (J.) 170,416. 563, 575, 695, 725, 770, 811, 860,
Spranger (E.) 338. 881.
Sprott (W. J. H.) 198. Stratégie 238, 266, 401, 402.
Sraffa (P.) 220, 223. Strauss (A) 170, 167-2, 910-2.
Starobinski Q.) 92, 104, 589. Strauss (L) 239.
Stacey (M.) 198, 860. Strayer Q.) 206,207.
Stafford Q.) 312. Streiffeler (F.) 860.
Staline 156, 590. Strodtbeck (F. L.) 881.
Stamm (A.) 580-1. Stoyanovitch (K.) 170.
Stamp (D.) 211-2, 212. Stuart (A) 714.
Statut et status 464 et s. Stuart Mill (J.) 47, 401.
Steedman (1.) 220, 223. Study (case) 153,272, 817.
Steffens (L.) 154. - (area) 817.
Stegemann (H.) 170. - (field) 154.
Stein (M. R.) 860. - suggestion 184.
Steiner (I. D.) 881. Stycos Q.M.) 665, 725.
Steinberg (H.) 632. Suchman (E. A.) 725.
Steinzor (B.) 837, 860. Sudman (S.) 518, 725.
Stengers (Isabelle) 84-1, 86, 261-1, Suessmilch (J. P.) 95,219.
264. Suleiman (E.) 239, 478.
Stenzen (N.) 322. Sullerot (E.) 587.
Stepansky 199. Sumpf (J.) 248-1, 249.
Stern (F.) 587. Sunshine (M.) 442.
Sternberg (B.) 587. Supiot (A.) 170.
Sternhell (Z.) 239. Suret-Canale (J.) 264.
Steward (D. W.) 542, 554. Sussmann (L. A.) 598, 632.
Stiglitz Q.) 223. Süssmilch (J. P.) 219.
Stillermann (R.) 428. Sutherland (J. D.) 202, 416.
Stirner (M.) 184. Swaan (A. de) 416.
Stochastique 914. Swartz (M. J.) 181,239.
Stock (O.) 910-2. Swedberger (R.) 223.
Stodgill (R. M.) 878, 881. Symes (M.) 154.
Stoetzel Q.) 110, 188, 189-1, 192-1, Synchronique 351, 380.
193, 193-1, 195, 196, 198, 215-1, Système 62, 116, 118, 139, 162, 367,
219, 296, 298, 420, 428, 454, 478, 368, 382 et s., 391,411, 819.
518. - systémique 166, 382 et s., 411.
Stoller (F.) 908-1, 910-2. Szacki (S.) 159-1.
Stomier (A.) 223. Szaluta Q.) 207.
Stone (J.) 202. Szczepanski Q.) 159-1.
Stone (Ph. J.) 416, 632. Szondi (L) 755.
Stone (W. F.) 239. Sztompka (P.) 170.
INDEX ALPHABÉTIQUE 983
CHAPITRE
2 L'ÉVOLUTION DE LA RÉREXION SCIENTIFIQUE . . . . . . . . . . 22
SECTION1 LA NOTION DE SCIENCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Évolutionde la définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Distinction entre scienceset lettres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
SECTION2 L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIXe SIÈCLE . . . . . . . . 25
§ 1 Les origines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
L'expériencepremière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
§ 2 L'Antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
La Grèce................................................. 25
Platon (428-347) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Aristote (384-329) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
La science gréco-romaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
§ 3 Le Moyen Age . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L'influence arabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L'influencegrecque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
a) Platon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
b) Aristote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
c) La querelle des universaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Le développementdes sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
§ 4 La Renaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Progrèset obstacles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Léonard de Vmci (1452-1519) . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Francis Bacon (1561-1626) ................................ 31
a) La rupture avec le passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
L'unité de la nature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Le rationalisme et l'empirisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
La méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
b) La critique de la tradition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
c) Le maintien de l'influence du passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
§ 5 Le XVII• siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Le changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
René Descartes (1596-1650) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
BlaisePascal (1623-1662) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
TABLEDES MATIÈRES 991
1 LE COURANT ÉVOLUTIONNISTE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SOUS-SECTION 79
TABLEDES MATIÈRES 993
1° En Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
2° En Grande-Bretagne et aux États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
2 LE COURANT THÉORIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SOUS-SECTION 80
§ 1 La sociologie en France . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . 81
Saint-Simon (1760-1825) . .. .. . .. .. . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 81
Proudhon (1805-1865) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Auguste Comte (1798-1857) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
La méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
La statique et la dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Les méthodes comparative et historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
La spécificitédes faits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Alexisde Tocqueville(1805-1859) . .. . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 85
Vùfredo Pareto (1848-1923)............................... 87
** Émile Durkheim (1858-1917) .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . . . . . 88
** a) L'homme et l'œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
** b) Durkheim et l'exemple de la physiologie: C. Bernard et L.
Pasteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
** c) Existe-t-ildes faits sociaux? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
** d) L'explication des faits sociaux........................ 92
** e) La méthode d'étude des faits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
** Influence de Durkheim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
** Marcel Mauss (1872-1950) . . . .. . . . . . . .. .. .. . . . . . .. .. . . 94
** Interdépendance des sciences humaines.................. 95
** Le fait social total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
§ 2 La sociologie en Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
** Les tendances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
** Karl Marx (1818-1883), F. Engels (1820-1895) . . . . . . . . . . 97
** La dialectique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
** Notions essentielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
** L'aliénation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
** La superstructure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
** Influence du marxisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
* Wùhelm Dilthey (1833-1912) .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 103
* Ferdinand Tonnies (1855-1936) . . . . . .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 103
* Georg Simmel (1858-1918) . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 104
* Alfred Vierkandt (1867-1953) . .. . . . . .. .. .. . . . . . . . .. .. . . 105
** Max Weber (1864-1920) . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 105
** Idéalisme et matérialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
** Sciencesde la nature et faits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
** 1° La sociologiecompréhensive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
** Causalité et rapport aux valeurs......................... 110
** L'objectivitédu savant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
** 2° Le type idéal . .. .. . . . .. .. .. . . . . . . .. .. .. .. . .. .. .. .. . . 111
994 TABLEms MATIÈRES
Typeet concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 111
Type,catégorieet théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 111
Critique du type idéal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 112
Influence de Weber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 112
Comparaison entre la sociologieallemande et la sociologie
**
française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
§ 3 La tendance empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
En Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Les enquêtes sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
En Grande-Bretagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
En France................................................ 114
Aux États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
* a) L'écolede Chicago . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
b) Le culturalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
§ 4 Interrogations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
a) Où allons-nous ? Où va la société ? Où va le monde ? . . . . . 118
b) Facteur prédominant et lois sociologjques . . . . . . . . . . . . . . . . 119
c) L'individu et la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
SECTION2 LA SOCIOLOGIE MODERNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
La crise de la sociologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
§ 1 Les États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
a) Le fonctionnalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
b) L'interactionnisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
c) L'ethnométhodologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
d) La sociobiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
§2 La sociologie en Grande-Bretagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Les oppositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
§ 3 La sociologie en Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
* L'écolede Francfort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
§4 La sociologie en Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
L'évolution............................................... 145
Les obstaclespolitiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
Les obstaclestechniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
§ 5 La sociologie en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
1)Les auteurs............................................. 150
a) Le métier de sociologue: Pierre Bourdieu . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
b) Holisme ou individualisme: RaymondBoudon . . . . . . . . . . . 152
c) Sociologiedynamique: GeorgesBalandier,Alain Touraine.. 153
d) L'analysestratégique: Michel Crozier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
e) L'importance de l'imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
C. Castoriadis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Gilbert Durand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
M. Maffesoli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
2)Développementde sociologiesparticulières . . . . . . . . . . . . . . . . 158
a) La sociologiedu travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
TABLEDES MATIÈRES 995
b) La mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
c) Les comportements d'intelligence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
d) La vie affectiveet les attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
2° Les niveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
* Les liens entre la psychologie sociale et les autres sciences
sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
1° Psychologiesocialeet sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
2° Psychologiesocialeet psychologiecollective. . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
3° Psychologiesocialeet ethnologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
SECTION5 LAPSYCHANALYSE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Origine et évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Les dissidenceset les scissions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
* Lesliens de la psychanalyseavec les autres sciencessociales . 232
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
L'antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Les temps modernes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317
La linguistiquestructurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318
§ 2 La linguistique contemporaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
La grammaire générative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Les autres théories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
La pragmatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
Les disciplinesconnexes de la linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323
L'analysedu discours...................................... 325
La linguistiquedans les sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
SECTION12 PROBLÈMES
ACTUELSDES SCIENCESSOCIALES. . . . . . . . . . . . . 329
§ 1 * Le développement des sciences sociales ................ 329
Les causes de développement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
a) Raisons scientifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
b) Réticencespsychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
Que peut-on répondre à ces critiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
§ 2 * L'objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
1° Points de vue sur l'objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
2° Difficultésde l'objectivité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
a) Facteurspolitiques et objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
b) Facteurssocio-économiqueset objectivité................. 335
c) Facteurspersonnels et objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
3° Sciencessociales,responsabilitéet révolution . . . . . . . . . . . . . . . . 336
a) La sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
b) L'anthropologie........................................ 337
c) La science politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
d) La scienceéconomique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
§ 3 * La recherche de l'unité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
L'interdisciplinarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
1° Interdisciplinaritéentre sciencessocialeset sciencesde la nature 340
2° Interdisciplinaritéentre les diversessciencessociales . . . . . . . . . . 341
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344
Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
405
Écueilsà éviter . .. .. . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 406
§ 2 La classification . . . . . . . . . . . . .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 406
La notion de typologie . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. .. .. .. . .. .. .. . . 406
Typeet catégorie .. .. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 407
Évolutionde la notion de type . . . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. . . . . 407
Le type concret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 408
La typologiesystématique . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. .. . . . . . .. . . . . 408
La construction du type . .. . . . . . . .. . .. .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 409
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410
SECTION2 * L'EXPLICATION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410
1° La crise de l'explication et ses causes . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. .. . . 410
a) La fragmentation des sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 411
b) Le décalagechronologique . . . . .. . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 411
c) L'exigencede totalité . . . . . . .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 412
La totalité, notion philosophique .. . . . . . . .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 412
La totalité, notion sociologique............................. 413
2° Explicationet causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
a) La causalité dans les sciences. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
b) La causalité dans les sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
c) Causalité interne, causalité externe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415
d) La causalité et le temps . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . .. .. . . 416
3° Explicationet théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417
Théorie généraleou théorie moyenne ? . .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 417
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 418
SECTION3 MÉTHODESPROPOSÉESPOURAITEINDREL'EXPLICATION. 419
Lesdifférentes méthodes proposéesen sociologiepour atteindre
l'explication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
§ 1 * * La méthode comparative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
1° Historique . . . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 419
2° Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
3° Limitesde la méthode . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. .. . . . . . . . .. .. . . 420
4° Progrèsrécents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 420
§ 2 ** La méthode historique .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 421
Histoire et Sociologie.. .. .. . . . . . .. . . . . .. .. .. . . . . . . . . . . . .. . . 421
Ce qu'est l'histoire . . . . . . . . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 422
§ 3 ** La méthode génétique . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 423
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
§ 4 * * La méthode fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
La notion de fonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
B. Malinowski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424
R.K.Merton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424
Fonctionnalisme,anthropologieet sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . 425
Fonctionnalismeet causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 426
1002 TABLEDESMATIÈRES
CHAPITREs THÉORIEETRECHERCHE
DANS LESSCIENCESSOCIALES 476
SECTION1 RECHERCHE THÉORIQUE ET RECHERCHE CONCRÈTE . . . . . . . 476
Le problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 476
1° Ce que la théorie apporte à la recherche..................... 477
2° Ce que la recherche apporte à la théorie..................... 477
SECTION2 RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE .. 478
Difficultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 478
§ 1 L'évolution des rapports entre recherche fondamentale et
recherche appliquée dans les sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 479
1° Avant la guerre de 1940 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 479
2° Pendant la seconde guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 479
3° Depuis la guerre: les avantageset inconvénients de la recherche
appliquée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 481
§ 2 Évolution des rapports entre recherche fondamentale et
recherche appliquée dans les sciences sociales . . . . . . . . . . . . 482
La tradition humaniste des sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
1° Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
2° Difficultéspsychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
3° Lescommunications entre chercheurs et utilisateurs . . . . . . . . . . 483
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 484
LJVRE
3 LES TECHNIQUES AU SERVICEDES SCIENCES
SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487
CHAPITRE1 ** MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CIASSIFICATIONS . . . . 489
§ 1 La fin des illusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489
1° L'illusionde la facilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489
1004 TABLEDES MATIÈRES
CHAPITRE
2 QUE CHERCHE-T-ONETCOMMENT? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 500
SECTION1 QUE CHERCHE-T-ON OU LE CHOIX DE L'OBJET D'ÉTUDE... 500
Différents domaines de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 500
1 Les individus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SOUS-SECTION 501
§ 1 La personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501
Intérêt des problèmesde personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501
§ 2 ** Opinions et attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
Importance de la notion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
1° Définition de l'attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
2° Caractéristiquesde l'attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
3° Distinctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
a) Attitude et personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
b) Opinion et attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504
Le schéma d'Eysenck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504
4° A quoi servent les attitudes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504
a) Fonction d'ajustement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
b) Fonction de défense.................................... 505
c) Fonction d'expression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
d) Fonction de connaissance ou caractérisation . . . . . . . . . . . . . . 505
5° L'expressiondes attitudes. Rôleet status . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
Le status . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
Le rôle................................................... 508
a) Niveau des rôles : niveau sociologiqueet collectif. . . . . . . . . . 508
Niveau interpersonnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508
Niveau individuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508
b) Le rôle comme moyen d'intégration et d'adaptation . . . . . . . 509
Importance des notions de rôle et de status . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510
TABLEDES MATIÈRES 1005
§ 3 La motivation . .. .. .. .. . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. .. . .. .. . . . . 510
1° Définition et origine .. . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. . . . .. .. .. . . 510
Motif réel et motif exprimé . . . . . . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. .. . . 511
2° L'analysede motivation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 511
Besoinet désir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 512
Évolutiondu but de l'analyse de motivation . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
3° Lesrésultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
Influence et limites . .. .. .. . . . . . . .. . .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 514
Nouveau domaine de recherche: la Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515
2 ** LESCOLLECTIVITÉS
SOUS-SECTION ETLESGROUPES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
§ 1 Classification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
1° Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
2° Caractéristiques .. .. .. . . . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 519
3° Groupements importants et groupes restreints . . . . . . . . . . . . . . . 520
§ 2 Les groupes restreints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
1° Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
2° Domaine de recherches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
a) Lesindividus .. .. . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 522
b) Les groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
§ 3 Les groupements larges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
SECTION2 ** COMMENf CHERCHE-T-ON OU LE CHOIX DES TECH-
NIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524
2° Questions pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
a) Renseignements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
b) Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
c) Autorisationset informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
3° Le budget de l'enquête .. .. . . . . . . .. . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. .. . . 552
a) Origine des fonds .. .. . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 5 52
b) Diverspostes du budget . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 552
c) Lescauses de dépassement du budget prévu............... 553
§ 2 Étapes terminales de la recherche . . .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 553
1° Analyseet interprétation des résultats de l'enquête . . . . . . . . . . . 553
a) L'enquête de type qualitatif . . . .. . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 553
Lesdonnées qualitativessoulèvent de nouveaux problèmes . . . . 554
Lesdonnées qualitativesrévèlent des faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 554
Les données qualitatives suggèrent des corrélations ou des pro-
cessus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555
Lesdonnées qualitativessuggèrent une idée centrale . . . . . . . . . . 555
b) Les enquêtes à réstùtats quantifiés: La présentation statis-
tique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 556
L'analysesecondaireet les corrélations multiples . . . . . . . . . . . . . 558
Lescorrélations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 59
L'explicationou contrôle des variablesextérieures . . . . . . . . . . . . 560
L'antériorité des facteurs ou l'interprétation. Comment distin-
guer la cause et l'effet?.................................... 561
La spécification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561
2° Effet des enquêtes......................................... 562
3° Propriété,publication et présentation des résultats de l'enquête 562
a) Propriété des résultats de l'enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 562
b) La publication de l'enquête . . . .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . .. . . 563
Le compte rendu d'enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563
La méthodologie.......................................... 564
Le langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565
Lesutilisateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 567
TITRE1 LES TECHNIQUES DOCUMENTAIRES ................. 571
Différentesméthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604
Renouveaude la critique littéraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604
SECTION2 ** L'ANALYSE DE CONTENU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605
§ 1 Notions générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605
La communication........................................ 605
Évolutionet définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 606
Diverstypes d'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608
1° Analysed'explorationou de vérification.Analysedirigéeou non
dirigée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608
2° Analysequantitative,analyse qualitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608
3° Analysedirecte ou indirecte, communication représentativeet
instrumentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 609
4° Analysede contingence et analyse évaluatrice . . . . . . . . . . . . . . . . 611
5° Analyseconceptuellecombinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611
§ 2 L'utilisation de l'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611
1° Étude de la communication dans le cadre du rapport émetteur-
récepteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611
a) Qui parle? ou étude de l'émetteur....................... 611
b) Pour dire quoi? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 612
c) A qui ? ou étude du récepteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 612
d) Comment? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 613
e) Avecquel résultat? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 613
2° Élargissementrécent du cadre de l'analyse de contenu . . . . . . . . 613
a) L'auditeur............................................. 614
b) L'émetteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 615
§ 3 Étapes techniques de l'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . 616
1° Premièreétape: le choix des catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 616
a) Formulation des catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 616
b) Caractéristiquesdes catégories........................... 617
Le cadre de référence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
Difficultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
c) Standardisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 619
Typesde catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 620
Lescatégoriesde forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
d) Exempleconcret d'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
2° Deuxièmeétape : la quantification du contenu . . . . . . . . . . . . . . . 622
a) Le problème de l'échantillon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
Choix de la source . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
Nombre de messageset période . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 624
Le contenu observé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 624
b) Diversesunités de quantification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625
L'unité d'enregistrement................................... 625
L'unité de contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 5
L'unité de numérotation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 626
Exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 626
1010 TABLE DES MATIÈRES
c) L'inspirationpsychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 841
d) L'inspirationrogérienneen France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 842
2° Réflexionssur les phénomènes de groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 842
a) La vie émotionnelle des groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 843
b) Le rôle de l'observateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 844
c) Mises en garde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 844
§ 5 L'intervention par la formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
Formation et thérapie .. . . . . . . . . . . . .. . .. . .. . . . . . . . . . . . .. . . . 845
Formation et intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
1° L'aspecttechnique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
a) Taylorismeet T.W.I.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
b) La conduite des réunions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 846
c) La discussionde groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 847
2° Dans l'enseignement...................................... 848
Dangers d'une utilisation abusive de l'intervention psycho-
sociologique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 849
a) Maladresse.Abus. Influence de la psychothérapie . . . . . . . . . 849
b) Méconnaissancedes structures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 849
c) Méconnaissance des problèmes collectifs. Extrapolationdu
groupe à la collectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 850
§ 6 Un nouveau besoin: l'affectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 851
Une nouvelleorientation dans les groupes................... 851
Les différentsgroupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 853
a) Les groupes marathon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 853
b) La gestalt-thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 854
c) Les groupesbioénergétiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 854
Bilan des groupes de rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 856
§ 7 Un impératif: l'efficacité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 857
Une nouvelle mode: la gestion des ressourceshumaines . . . . . . 857
Le management . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 858
a) Lesconsultants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 858
b) Dérapages: gourous et shamans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 859
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 861
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 871
Imprimé en France
Achevé d'imprimer en juillet 2008
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pement continu; chaque édition nouvelle en tient compte.
Destiné à des publics variés: étudiants, enseignants, respon-
sables et professionnels d'horizons différents, cet ouvrage
apporte à tous une meilleure compréhension des problèmes
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