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DROIT PUBLIC

SCIENCE POLITIQUE

Méthodes
des sciences
sociales

Madeleine Grawitz
Méthodes
des sciences
sociales

Méthode, méthode, que me veux-tu


ne sais-tu pas que j'ai mangé
des fruits de l'inconscient?
JULESlAFFORGUE
Méthodes
des sciences
sociales
1 7eédition

2001

Madeleine Grawitz
Professeur émérite à l'Université de Paris I

Ouvrage couronné par


l'Académie des Sciences morales et politiques
Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication.

®
DANGER Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente
pour l'avenir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de
l'édition technique et universitaire, le développement massif du
PHOTOCOPILlAGE photocopillage.
TUE LELIVRE Le Code de la propriété intellectuelle du 1erjuillet 1992 inter-
dit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans
autorisation des ayants droit. Or; cette pratique s'est généralisée
dans les établissements d'enseignement supérieur; provoquant une baisse brutale des achats de livres et
de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire
éditer correctement est aujourd'hui menacée.
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Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

@ ÉDITIONSDALLOZ - 2001
SOMMAIRE
Unetabledes matièresdétailléefigure à la fin de l'ouvrage

LIVRE1 SCIENCE ET SCIENCESSOCIALES . . . . . . . . . . . . . .. . . 1

CHAPITRE1 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3


CHAPITRE2 L'ÉVOLUTION DE LA RÉFLEXIONSCIENTIFIQUE. . . . . . . . . . 22
CHAPITRE3 L'ÉVOLUTION DES SCIENCESSOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
CHAPITRE4 LES DIFFÉRENTESSCIENCESSOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

LIVRE2 LA LOGIQUE DE LA RECHERCHE DANS LES


SCIENCESSOCIALES.................................. 349

CHAPITRE1 LESCONFLITS DE MÉTHODES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 351


CHAPITRE2 LES EXIGENCESDE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378
CHAPITRE3 LES NIVEAUXDE LA RECHERCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404
CHAPITRE4 L'UTILISATIONDES MATHÉMATIQUES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451
CHAPITRE5 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LESSCIENCESSOCIALES 476

LIVRE3 LES TECHNIQUES AU SERVICEDES SCIENCES


SOCIALES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487

CHAPITRE1 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSIFICATIONS. . . . . . . 489


CHAPITRE2 QUE CHERCHE-T-ON ET COMMENT? . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . 500
CHAPITRE3 ÉTAPESCOMMUNES A TOUS LES 1YPESD'ENQUtTE . . . . . 546

TITRE1 LES TECHNIQUES DOCUMENTAIRES . . . . . . . . . . . . .. . . . 571

CHAPITRE1 LES SOURCESDE DOCUMENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . 573


CHAPITRE2 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCU-
MENTS ..................................................... 604

TITRE2 LES TECHNIQUES VIVANTES ........................... 641

CHAPITRE1 LESTECHNIQUES DE RAPPORTSINDIVIDUELS . . . . . . . . . . . 643


CHAPITRE2 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉSET DE
GROUPES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 766
COURSDE SCIENCESOCIALE.
LEÇOND'OUVERTURE(1888)
E. DURKHEIM

« Ces études pourront, je crois, être utiles à des catégories assez dif-
férentes d'auditeurs.
Il y a d'abord les étudiants en philosophie.S'ils parcourent leurs pro-
grammes, ils n'y verront pas mentionnée la science sociale ; mais si, au
lieu de s'en tenir aux rubriques traditionnelles, ils vont au fond des
choses, ils constateront que les phénomènes qu'étudie le philosophe sont
de deux sortes, les uns relatifs à la conscience de l'individu, les autres à la
conscience de la société : c'est de ces derniers que nous nous occuperons
ici [ ...] En particulier c'est de la science sociale que relèvent les problèmes
qui jusqu'ici appartenaient exclusivement à l'éthique philosophique[ ...]
Seulement nous essaierons de la [la morale] traiter scientifiquement[ ...]
nous l'observons comme un système de phénomènes naturels que nous
soumettrons à l'analyse et dont nous chercherons les causes: l'expérience
nous apprendra qu'elles sont d'ordre social [ ...]
Mais les philosophes ne sont pas les seuls étudiants auxquels s'adresse
cet enseignement. J'ai dit en passant les services que l'historienpouvait
rendre au sociologiste, il m'est difficile de croire qu'en retour les histo-
riens n'aient rien à apprendre de la sociologie [...] Pour opérer une sélec-
tion, il [l'historien] a besoin d'une idée directrice, d'un critérium qu'il ne
peut demander qu'à la sociologie. [ ...]
Enfin, Messieurs, il est une dernière catégorie d'étudiants que je serais
heureux de voir représenter dans cette salle. Ce sont les étudiantsen droit.
Quand ce cours a été créé, on s'est demandé si sa place n'était pas plutôt
à l'École de droit[ ...] les meilleurs esprits reconnaissent aujourd'hui qu'il
est nécessaire pour l'étudiant en droit de ne pas s'enfermer dans des
études de pure exégèse. Si en effet, il passe tout son temps à commenter
les textes et si, par conséquent, à propos de chaque loi, sa seule préoc-
cupation est de chercher à deviner quelle a pu être l'intention du législa-
teur, il prendra l'habitude de voir dans la volonté législatrice la source
unique du droit. Or ce serait prendre la lettre pour l'esprit, l'apparence
pour la réalité. C'est dans les entraillesmêmesde la sodété que le droit s'éla-
bore,et le législateur ne fait que consacrer un travail qui s'est fait sans lui.
Il faut donc apprendred l'étudiantcomment le droit se forme sous la pression
desbesoinssociaux1, comment il se fixe peu à peu, par quels degrés de cris-
tallisation il passe successivement, comment il se transforme. Il faut lui
montrer sur le vif comment sont nées les grandes institutions juri-
1. C'est nous qui soulignons.
VIII MÉTHODESDES SCIENCESSOCIALES

diques, comme la famille, la propriété, le contrat, quelles en sont les


causes, comment elles ont varié, comment vraisemblablement elles varie-
ront dans l'avenir. Alors il ne verra plus dans les formules juridiques des
espèces de sentences, d'oracles dont il faut deviner le sens parfois mysté-
rieux; il saura en déterminer la portée, non d'après l'intention obscure et
souvent inconsciente d'un homme ou d'une assemblée, mais d'après la
nature même de la réalité. »
Durkheim, Cours de ScienceSociale.Leçon d'ouverture (1888). Revue
internationale de l'enseignement, X.V,pp. 23-48, in La Science Sociale
et l'Action, P.U.F., coll. S.U.P., 1970, 334 p.
1
AVANT-PROPOS

Cet ouvrage vise à donner une initiationutile aux étudiantsde toutes les
disciplines,et également aux travailleurs sociaux. Traitant de la MÉIHODE,
des méthodes et des techniques, nous pensons couvrir les différentes
conceptions qui divisaient aussi bien les enseignants que les étudiants,
sur le contenu de ce cours et répondre aux attentes de tous.
Si une spécialisation est inévitable à partir d'un certain degré de forma-
tion, il paraît indispensable au stade de l'initiation, de donner une idée
des diverses sciences sociales, en insistant sur la sociologie, la psychologie
sociale et la science politique. Aspects sociologiqueet politique,qui, par
l'étude des faits sociaux et de leurs déterminismes, permettent de décou-
vrir la dimension collective des problèmes ; point de vue psycho-
sociologique, qui, complétant le premier, favorise une prise de conscience
des phénomènes collectifs et des rapports interindividuels, du comporte-
ment de chacun, y compris de soi-même avec les autres. Cette triple
approche atténue le risque de voir la sociologie déformée par ceux qui
préfèrent s'en prendre à la société qu'à eux-mêmes, ou la psycho-
sociologie servir de refuge et d'alibi à certaines formes de narcissisme, de
bons sentiments et de fuite devant les réalités et responsabilités collec-
tives ; enfin la politique réduite aux passions partisanes.
Cette extension de la conception de l'ouvrage et du public auquel il
s'adresse présente quelques inconvénients:
Ce livre est trop gros pour un manuel, trop long pour un cours semes-
triel ou même annuel : nul ne le sait mieux que l'auteur ! En voici les rai-
sons. D'abord, évidemment l'ampleur même du programme, auquel
s'ajoute le fait que la méthode ne s'étudie pas abstraitement. Sans écrire
un ouvrage de psychologie sociale, de sociologieou de science politique, il
est nécessaire d'indiquer les grandes lignes de leurs domaines. Ensuite il
s'agit d'une initiation, d'un langage, d'une façon particulière de poser les
questions, il faut donc un certain temps pour y parvenir. Les sciences
sociales se résument difficilement. Elles se comprennent plus qu'elles ne
s'apprennent Or il est sûrement moins difficile de comprendre un
ouvrage plus explicite comportant des exemples, même s'il est long,
qu'un exposé succinct et allusif. C'est pourquoi nous ajouterons aux
remarques qui suivent un mode d'emploi.
1° Cet enseignement donné après, ou en même temps, qu'un de'but de
spécialisation dans une autre discipline, exige une certaine période
d'adaptation.
2° Comme dans les autres matières, mais semble-t-il avec un plus
grand écart entre les extrêmes, tous les étudiants ne sont pas également
intéressés.
1. A la première édition.
X AVANT-PROPOS

3° A noter ceci, qui est particulier aux sciences sociales, c'est dans la
plupart des cas, une« discipline-retard», dont les effets sont surtout sen-
sibles à plus ou moins long terme.
4° Enfin on ne s'improvise pas plus sociologue ou anthropologue que
juriste ou géologue. Les sciences sociales exigent une rigueur, une attitude
intellectuelle particulières. Il faut comme dans les autres sciences, les
acquérir par le travail et la réflexion.
Ce livre n'est pas un « produit jetable » mais un investissement.
Au-delà de l'inévitable matière d'examen, c'est d'une formation scien-
tifique et humaine qu'il s'agit. Se contenter d'un bachotage rapide serait
manquer l'essentiel.
Parmi tous ceux qui m'ont aidée de leurs encouragements et de leurs
conseils, je remercie plus particulièrement : M. Barbut, Ch. Carcassonne,
R. Redon et D. Merllié pour les mathématiques et la statistique; D.
Dufour pour l'économie; H. Lefebvrepour la dialectique; M. Pagès et R.
Pagès pour la psychologie sociale ; J. Dubost, les techniques d'enquête et
l'intervention psychosociologique ; P. Clava!, J. Labasse, P. Pinchemel, la
géographie; D. Maingueneau, la linguistique; J. Lambert, la démo-
graphie ; les services si efficaces de la documentation et de la bibliothèque
du Centre d'études sociologiques; les utilisateurs dont les remarques et
encouragements m'ont été précieux.
Madeleine Grawitz
AVANT-PROPOS
A LA ge ÉDITION
ETAUX SUIVANTES
Relisant cet ouvrage en vue de sa neuvième édition, j'ai naturellement
été amenée à m'interroger sur sa conception essentiellement pluridisci-
plinaire. Si, il y a vingt ans, on évoquait souvent la pluridisciplinarité,
aujourd'hui, sous prétexte de professionnalisation, les enseignements
universitaires sont de plus en plus étroitement spécialisés. Fallait-il alors
supprimer les chapitres sur les diverses sciences sociales, parce que les
étudiants (et malheureusement trop souvent les enseignants) limitent
leurs efforts et leur intérêt à leur seule discipline principale ?
Dans des proportions différentes, toutes les sciences sociales utilisent
les mêmes démarches et les mêmes techniques. Toutes réclament de leurs
utilisateurs une réflexion épistémologique, tous doivent se demander ce
qu'ils font, la valeur de leurs instruments de recherche et celle de leurs
résultats. Ces similitudes justifient une formation commune, mais à l'in-
térieur de cet ensemble, ce sont les différences qui plus encore la rendent
souhaitable. Il paraît en effet indispensable de compenser les inconvé-
nients d'une formation trop spécialisée par la confrontation entre les
points de vue de disciplines voisines, mais différentes.
L'enseignement permet de développer la mémoire, d'acquérir des
connaissances, d'améliorer la rigueur du raisonnement mais il n'existe
aucune méthode pédagogique, aucun moyen de rendre plus intelligent.
Parmi de nombreuses définitions, on peut définir l'intelligence de
façon générale, non seulement comme l'aptitude à résoudre les pro-
blèmes, mais surtout comme la capacité de les voir, de poser les bonnes
questions, c'est-à-dire d'établir des rapports. Cette aptitude, dans la
mesure où elle dépend de facteurs innés, constitutionnels, ne peut être
modifiée. Mais elle comporte également une part de facteurs acquis sus-
ceptibles, eux, d'amélioration. Si l'on ne peut augmenter l'intelligence des
étudiants, on peut au moins leur apprendre à mieux s'en servir.
La pluridisciplinarité, parce qu'elle favorise les comparaisons et incite à
découvrir des rapports, demeure actuellement un des meilleurs moyens
d'améliorer l'efficacité de l'outil intellectuel. Pour cette raison, la neu-
vième édition et les suivantes, des Méthodes des Sciences Sociales main-
tiennent l'orientation pluridisciplinaire choisie au départ et qui paraît
plus que jamais nécessaire !
Je renouvelle mes remerciements aux collègues et amis cités dans
l'avant-propos de la 1reédition.
Madeleine Grawitz
Juin 1993.
XII AVANT-PROPOS

J'ajoute pour cette 9e édition l'expression de ma reconnaissance à Jean


Ferreux, ancien étudiant, exemple de fidélité lyonnaise, qui m'a aidée
dans la tâche longue et difficile de moderniser la bibliographie et procuré
la grande joie d'avoir suscité l'intérêt des étudiants pour les sciences
sociales en dehors de tout objectif professionnel.

« Chacun n'apprendquecequ'il
peut apprendre»
Goethe.

Mode d'emploi de l'ouvrage.

La dimension du Précis de Méthodes des Sciences Sociales vous


inquiète:
Pas d'affolement.Certains chapitres sont plus importants que
d'autres.
Reportez-vousà la table des matières.Il n'y a pas comme dans le
guide Michelin de 4 étoiles vous assurant confort et quiétude,
mais
** indispensable, à lire absolument, à méditer, comprendre et
retenir.
* important, à lire attentivement.
Pas designes.Il est conseillé de tout lire.

Mode d'emploi de la bibliographie. - Elle n'est naturellement pas,


malgré ses dimensions, exhaustive, mais assez complète pour que l'en-
seignant chargé d'un cours, le chercheur, l'étudiant ayant un exposé, un
mémoire, ou une thèse à préparer, trouvent des références utiles.
Ici encore, les deux** indiquent les livres importants, l'* les ouvrages
auxquels le texte se réfère, faciles à trouver et à comprendre. Les noms des
auteurs cités sont suivis dans le texte de la date de parution de l'ouvrage.
S'il y a plusieurs titres ou divers auteurs ils sont reportés en note en bas de
page.
Les références complètes des auteurs (cités ou non) se trouvent ( ordre
alphabétique) dans la bibliographie après chaque section.
Pour éviter les répétitions, la date de parution d'auteurs déjà cités est
suivie d'un B (pour bibliographie) et du n° dans lequel se trouve la réfé-
rence complète.
Ex. : Gurvitch, Traité de sociologieest cité de façon complète au n°
159 bis. Au n° 354 il est signalé simplement par Gurvitch (G.) (1958 B.
159 bis) 1.
1. Pour alléger la bibliographie, il m'a paru préférable de noter pour l'étranger et la province le
lieu de l'édition mais de supprimer la mention Paris pour tout le reste. En tout cas de conserver dans
la mesure du possible le nombre de pages et surtout (tendance récente à la suppression scanda-
leuse!) le nom (indispensable) de la maison d'édition.
AVANT-PROPOS XIII

Sont reportés en fin d'ouvrage:


une liste des principales bibliographies, encyclopédies et des principales
revues de sciences sociales ainsi que des dictionnaires les plus utilisés;
quelques définitions et des indications biographiques d'auteurs impor-
tants 1 ;
une annexe qui rappelle quelques notions de statistique et donne un
exemple d'analyse factorielle après des éléments de base pour la construc-
tion de graphiques.
Un lexique( éd. Dalloz) d'un format maniable, facilite la compréhen-
sion des termes les plus utiles de chacune des sciences sociales et
complète utilement les méthodes.

1. A noter qu'à l'essor des sciences sociales en France et en Allemagne (Durkheim, Mauss, Sim-
mel, Weber) avant 1914 a succédé après la deuxième guerre mondiale le développemnt rapide aux
États-Unis de la psychologie sociale. Développement dû aux émigrés d'Europe centrale (Lazarsfeld,
Lewin, Marcuse, Moreno). Les grands débats sur les méthodes et sur les problèmes des techniques se
situent durant cette période, d'où le maintien dans les bibliographies de nombreux ouvrages datant
de cette époque (1950-1970). Depuis, les études dans chaque discipline portent surtout sur les pro-
blèmes actuels (Crozier, Durand, Touraine) sans grand deôat de fond (sauf sur les éternels sujets de
l'individualisme, du holisme et du qualitatiO.
LIVRE1

SCIENCE
ET SCIENCES
SOCIALES
Le titre du livre 1 de cet ouvrage soulève quelques questions fonda-
mentales. D'abord qu'est-ce que la connaissance et qu'est-ce que la
science ? Ensuite les sciences sociales sont-elles des sciences, et en quoi
diffèrent-elles des sciences physiques et naturelles ? Que faut-il entendre
par méthodes ? Les sciences naturelles et les sciences sociales utilisent-
elles les mêmes et lesquelles? Nous reprendrons chacune de ces ques-
tions et verrons quelles réponses leur ont été données.
LESCONDITIONS DE LA VÉRITÉ: LA LOGIQUE 3

CHAPITRE1
LEPROBLÈME
DE LA CONNAISSANCE
« En philosophie, il est très important de ne pas
être intelligent tout le temps» (L. Wittgenstein)
« ... en SciencesSociales,c'estmêmeindispensable»
(Madeleine Grawitz).

SECTION1. LES CONDITIONS DE LA VÉRITÉ :


LA LOGIQUE

§ 1. Logique et connaissance
1 Le sujet et l'objet ◊ Le point de départ de la science réside dans la
volonté de l'homme de se servir de sa raison pour comprendre et contrô-
ler la nature. Le premier problème posé par la science est de savoir com-
ment elle est possible. Comment le réel se prête-t-il à notre investiga-
tion? Comment le sujet retrouve-t-il l'objet, le connaît-il? Une part
importante de l'histoire de la philosophie constitue une tentative pour
répondre à ces questions. Dans ce fait vécu: la connaissance elle-même,
la réflexion a séparé le sujet connaissant de l'objet à connaître et soumis à
l'analyse, le lien qui les unit. La réponse diffère en fonction du terme à
privilégier : l'objet ou le sujet de la connaissance, l'être ou la pensée, la
matière ou l'esprit, la matière ou la conscience. L'accent porté sur l'un ou
sur l'autre, distingue les deux grarids courarits de la philosophie : le maté-
rialisme et l'idéalisme.
Que l'on privilégie le sujet ou l'objet, quel que soit le point de départ
du mouvement de l'un vers l'autre, c'est toujours par la pensée que l'on
accède à la connaissance, c'est pourquoi la démarche logique de la raison
a souvent été définie comme l'étude des conditions de la vérité, « la
science des sciences» disait saint Augustin.
Comme toutes les sciences, la logique est née de la philosophie, et
n'aurait même pas d'histoire, étant, d'après Kant,« sortie achevée du cer-
veau d'Aristote» (384-322). Il fallut attendre les développements de la
logique moderne pour que soit reconnu l'apport des prédécesseurs d'Aris-
tote (Thales de Milet, 640-546, Pythagore, 570-496, Zénon d'Elée, 428-
347 et même Platon (VCs. av. J.-C.) et de ses successeurs: les Stoïciens,
enfin des Logiciens médiévaux.
Le raisonnement, base de la connaissance, implique, avons-nous vu,
une certaine relation entre un sujet et un objet. Dire que Socrate est un
4 LEPROBLÏMEDE LA CONNAISSANCE

homme suppose un objet ou un concept (substantif: Socrate), une acti-


vité ou un jugement par le sujet : « est un homme » (classification, mise
en relation), enfin un raisonnement qui constitue une structure ou
forme, un lien entre le sujet qui classe et l'objet qui est classé ou quanti-
fié.
On se heurte alors à deux obstacles. D'abord, l'impossibilité de savoir
si ces structures ou formes appartiennent à l'objet, au sujet, à tous les
deux ou à leur relation, donc d'acquérir une certitude sur la validité de
cette relation (querelle de l'idéalisme et du matérialisme), mais plus grave
encore se pose le problème de la réflexion elle-même, c'est-à-dire de la
validité de la logique. La pensée s'interrogeant bute sur ses propres fonde-
ments. De la même façon en mathématiques, K. Gëdel ( 1906) prouvait
en 1932 qu'il n'était pas possible de démontrer la non-contradiction de
l'arithmétique par ses propres moyens.
Pour éviter ces problèmes insolubles, Aristote ne s'attachera qu'aux
seules structures de raisonnement, à leur validité, sans se préoccuper du
contenu vrai ou faux des propositions souvent remplacées par des lettres
(a, b, c).
Comme le grammairien ne s'intéresse qu'au respect des règles du lan-
gage sans se préoccuper du cont.enu, le logicien s'attache aux seules règles
de cohérence gouvernant la pensée et réduit alors la logique à l'étude des
conditions formelles de la vérité.

§ 2. Logique formelle, logique concrète


2 Forme et contenu ◊ Le contenu expérimental de la connaissance est
particulier, contingent, alors que l'exigence d'universalité rend un certain
formalisme nécessaire. La logique formelle déterminera donc des opéra-
tions intellectuelles indépendantes du contenu, de toute affirmation
concrèt.e. Mais en éliminant le contenu objectif, historique, pratique et
social de la connaissance, la logique formelle se transforme en pensée
formaliste.
L'intermédiaire entre la logique formelle et la recherche concernant le
contenu, se nomme une problématique.Elle répond à un besoin de cohé-
rence logique, met en œuvre un ensemble de problèmes qui orient.ent la
recherche et un corps de concepts qui, directement ou indirectement,
de'bouchent sur des hypothèses rendant compte d'un contenu riche de
conflits.
En fait, forme et contenu ne peuvent être totalement séparés et la
logique, même formelle, garde malgré tout une signification concrète
dont la limite imprécise laisse entier le problème essentiel : comment
unir la forme et le contenu, passer de l'être pensant à l'être existant ? A
cette question, la pensée occidentale cherchera vainement une réponse.
Le dualisme kantien aggravera les conflits en séparant la forme et le
contenu, la pensée et l'objet à connaître, ou« chose en soi». Cependant
LESCONDITIONS DE LA VÉRITÉ: LA LOGIQUE 5

avec la notion de synthèse, Kant cherchera à concilier la rigueur du for-


malisme et la fécondité du concret, ouvrant la voie à une nouvelle
logique. C'est à Hegel qu'il appartiendra, non comme on le croit trop
souvent de découvrir la contradiction, mais le troisième terme qui,
comme nous allons le voir, permet sinon de la résoudre, du moins de
l'utiliser.

§ 3. La dialectique
3 Hegel (1770-1831) ◊ La pensée de Hegel est confuse, son style diffi-
cile, on se bornera ici à donner des indications indispensables pour
comprendre la suite, en particulier le marxisme. Hegel ne nie pas la
logique formelle. Il veut réconcilier le principe d'identité avec son opposé,
la contradiction. La logique formelle est limitée par ses affirmations, sa
rigueur même : A est A. C'est la logique d'un monde simplifié, abstrait,
définitif, incapable d'exprimer le mouvement, le devenir, la contradiction
inhérente aux choses.
La logique dialectique ne dit pas A est non A, ce qui serait absurde,
mais si A correspond à une réalité, à moins d'être une tautologie sans
signification, A possède en lui un devenir au-delà de lui : A est A mais
aussi plus que A. « Alors que la logique formelle affirme qu'une proposi-
tion doit être vraie ou fausse, la logique dialectique déclare que toute pro-
position qui a un contenu réel, est à la fois vraie et fausse, vraie dans la
mesure où elle est dépassée, fausse si elle s'affirme absolument 1.»
« Il n'est rien sur la terre et dans le ciel qui ne contienne en soi l'être et
le néant 2 . » « L'être d'une chose finie est d'avoir en son être interne
comme tel le germe de sa disparition ; l'heure de sa naissance est aussi
l'heure de sa mort (GrandeLogiqueII, 139) 3 • Au premier terme immédiat
de l'affirmation succède un second terme sur le même plan, mais qui le
complète en le niant » « Les deux termes agissent et réagissent l'un sur
l'autre [ ...]. Le troisième revient au premier en niant le second et les
dépasse ainsi l'un et l'autre.» L'unité du monde s'exprime dans un prin-
cipe d'identité rendu concret et vivant par sa victoire sur les contradic-
tions.
La dialectique de Hegel a ouvert la voie permettant de dépasser la
logique formelle mais elle n'a pas abouti, dans la mesure où l'idéalisme
l'amène, comme le lui reprochera Marx, à remplacer toute la réalité
humaine par la conscience qui se connait elle-même. Lorsqu'il oppose le
contenu à la forme ce n'est pas d'un contenu vivant qu'il s'agit, mais des
idées qui s'opposent entre elles. La phénoménologie déclarera que: le
contenu plus précisément défini... est l'esprit qui se parcourt lui-même et
se parcourt en tant qu'esprit. De même le chapitre terminal de la Grande

1. H. Lefebvre (1971), p. 34.


2. G.L. I 81 in Lefebvre,p. 25.
3. In op. dt., p. 25.
6 LEPROBLÏMEDE LA CONNAISSANCE

Logique affirme que le concept n'est plus externe au contenu: « L'idée


logique est son propre contenu en tant que forme infinie 1.»
Ces discussions sur la logique ne doivent pas être considérées comme
divertissements pour philosophes. Elles soulèvent le problème de notre
raison donc de la rigueur de la science et de nos possibilités de connaître.
Les solutions adoptées commandent des attitudes face au savoir et au
monde. Marx et Lénine partis d'une analyse historique et pratique de la
vie concrète, ont été amenés à remonter à ces problèmes philosophiques
pour trouver le fondement du matérialisme dialectique 2 •
Tandis que les philosophes discutaient abstraitement des règles du
bien-penser, sans enrichir le savoir, les sciences progressaient en consti-
tuant leurs propres méthodes de recherche. Ce risque d'une négation de
la logique en général, dans un émiettement de logiques particulières,
devait être surmonté. Comme l'écrit G. Bachelard (1968) : « Il fallait
pour cela, à côté d'une logique formelle dont les impératifs : cohérence,
rationalité, universalité, seront respectés, concevoir une logique concrète
qui élucide de l'intérieur les méthodes des diverses sciences, mais aussi
crée entre elles un lien. » Ces règles de la logique, considérées comme les
outils d'analyse et de recherche des lois générales de la nature, « consti-
tuent la théorie d'une pratique : la connaissance 3 ».
4 Bibliographie ◊
Pour l'utilisationde la Bibliographiecf. Avant-Propos.
BACHELARD (G.) 1968. - Le nouvelespritscientifique,P.U.F., 10e éd., 181 p.
**- 1965. - La formation de l'espritscientifique,contributiondune psycha-
nalysede la connaissanceobjective,éd. J. Vrin, 295 p. (1re éd. 1938).
BAUDOlN a.) 1989. - Karl Popper,P.U.F., Que sais-je?
BIANCHÉ (R.) 1967. - L'axiomatique,coll. sup. P.U.F., 111 p.
- 1968. - Introductionà la logiquecontemporaine,Colin, coll. U2, 204 p.
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LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 7

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SECTION2. LES PROBLÈMES


DE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE
« Chacun a son Kant à soi. »
Einstein.

§ 1. Définitions
5 Science et philosophie ◊ Abandonnés par la logique d'Aristote, les
problèmes des relations entre le sujet et l'objet, de ce qui est introduit par
l'un ou appartient à l'autre, enfin des structures ou formes de l'objet par
rapport aux activités du sujet, constituent l'un des grands chapitres de la
philosophie.
A l'origine, philosophie et science étaient confondues. La connais-
sance, la réflexion sur la démarche scientifique en général, ou sur les pro-
grès de chacune des sciences, relevaient du domaine des philosophes. La
séparation du domaine scientifique devait amener un glissement de la
signification des termes, qui aboutit aujourd'hui à une confusion regret-
table. Théorie de la connaissance, philosophie des sciences, épistémolo-
gie, souvent employées l'une pour l'autre, méritent que soit précisé ce
qu'elles recouvrent
La théorie de la connaissanceou gnoséologie,traite des problèmes de la
connaissance, des relations entre le sujet et l'objet sur le plan le plus
général et le plus abstrait.
La philosophiedes sciencesrecouvre une réflexion générale sur l'en-
semble des sciences et leur développement A partir du moment où ce ne
sont plus les philosophes qui s'intéressent à la science mais les savants
qui s'interrogeant sur leur propre démarche scientifique, posent des pro-
8 LEPROBLÏMEDE LA CONNAISSANCE

blèmes philosophiques, ils empruntent à la philosophie son vocabulaire.


Celle-ci reflétera forcément la différence de point de vue des utilisateurs
et se modifiera. Un exemple frappant de cette évolution est fourni par le
terme d'épistémologie.
L'épistémologieà l'origine se distinguait du terme vague de philosophie
des sciences par sa précision. D'après Lalande, il désigne moins des
notions générales d'évolution que « l'étude critique des principes, des
hypothèses et des résultats des diverses sciences, destinée à déterminer
leur origine logique, leur valeur et leur portée objective». L'épistémologie
au sens strict, est donc une étude critiquefaite a posteriori,axée sur la vali-
dité des sciences, considérées comme des réalités que l'on observe, décrit,
analyse. En fait, ces nuances se sont estompées, épistémologie et philo-
sophie des sciences sont à l'heure actuelle deux termes souvent utilisés
l'un pour l'autre.
Cependant le terme d'épistémologie demeure utilisé au sens étroit,
lorsqu'il s'agit de l'étude non plus des sciences en général, mais d'une
science particulière. C'est ainsi que le recueil de la Pléiade qui s'intitule
Logiqueet Connaissancescientifique(1967) comporte des chapitres sur
l'épistémologie de la chimie ou de la logique.
De la même façon, sous l'influence du développement de la réflexion
scientifique, l'épistémologie va absorber progressivement la théorie de la
connaissance.
Alors que le français, fidèle à l'étymologie grecque, distingue «gnoséologie»
ou théorie de la connaissance au sens général, abstrait et philosophique du terme,
et« épistémologie» ou philosophie des sciences, l'anglais et l'italien confondent
les deux, les rapprochant du sens allemand, plus large, de Erkenntistheorie (Théo-
rie de la connaissance).
On peut donc admettre aujourd'hui que l'usage consacre l'emploi du
terme « épistémologie » pour désigner à la fois la théorie de la connais-
sance et la « philosophie des sciences ». Encore faut-il justifier l'utilisa-
tion du terme par le contexte dans lequel on l'emploie, être conscient de
la zone frontière des disciplines dans lesquelles on évolue. Nous insistons
sur ce point, car parmi les termes que le jargon a mis à la mode en
sciences sociales, l'épistémologie est un des plus souvent employés. Or
c'est le souci de rigueur, non l'utilisation abusive de termes scientifiques,
qui permettra aux sciences humaines d'accéder au statut de science.

§ 2. L'idéalisme
Le monde extérieur s'imposant à tous comme une évidence, la philo-
sophie, au moins à ses delmts, aurait pu reconnaître la suprématie de
l'objet et s'orienter vers une interprétation matérialiste. Mais justement,
l'évidence et l'importance des phénomènes de la nature, obligent à poser
des questions : pour expliquer le réel, l'homme a inventé le surnaturel.
Les esprits sinon l'esprit, sont au départ plus forts que la matière qu'ils
commandent, la religion naîtra avant la science. Les progrès les plus
LESPROBLÈMESDE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 9

rapides de la réflexion philosophique porteront sur le domaine du sujet


connaissant : la perception pour le monde sensible, la logique pour la
pensée. Le sujet pensant est pour lui-même plus évident que l'objet pensé.
6 Les auteurs ◊ La tendance idéaliste regroupe de nombreuses doctrines
philosophiques, nous nous bornerons ici à indiquer ce qu'elles ont de
commun et à rappeler quelques noms des auteurs les plus importants.
Depuis l'Antiquité (Platon, Aristote) l'idéalisme reconnaît le primat de
l'esprit par rapport au monde.
« Que représentent les objets sinon des objets perçus par nos sens ? Or que
percevons-nous, sinon nos idées et nos sensations? N'est-il pas simplement
absurde de croire que les combinaisons d'idées et de sensations peuvent exister
sans être perçues» écrit Berkeley (1685-1753) 1. Comme on le verra, Descartes
est partagé entre le matérialisme indispensable pour créer la science et l'idéalisme
nécessaire à la sauvegarde de la religion et à la sécurité des principes de la pensée.
Leibniz (1596-1650), lui, s'en tire par une pirouette:« Rien dans l'entendement
qui ne vienne des sens... si ce n'est l'entendement lui-même 2 • » Enfin Kant
(1724-1804), pour lequel notre esprit incapable de sortir de lui-même, ne retrou-
ve dans les choses que ce qu'il y a mis.
Après avoir accepté le monde de l'expérience : les phénomènes, Kant se réfugie
dans l'idéalisme le plus absolu, celui des vérités éternelles« nouménales». Hegel
(1770-1831) se distingue par un idéalisme objectif,c'est-à-dire qui attribue à nos
instruments de connaissance une certaine valeur. Le monde réel est l'incarnation
d'une« Idée» à laquelle l'esprit humain accède par une« conscience vraie». Plus
près de nous, Bergson (1859-1941) affirme que le monde n'est qu'un ensemble
d'images. « Nous ne sommes assurés immédiatement que de l'idée, que ce soit
l'idée de la pensée, ou l'idée des choses corporelles 3• »
Enfin Brunschvicg (1869-1944): «Je crois toucher et voir ce qui m'entoure,
en réalité, la maison dont je dis qu'elle est devant moi, ne se présente pas à moi
d'une façon différente que ne le fait à ce même instant, le lac que je me souviens
avoir traversé l'année dernière; je ne saisis pas directement le monde ... parce que
je ne puis sortir de moi, sans cesser d'être moi; le monde qui est connu est en
moi 4.»
En fait, comme l'écrit Lefebvre,l'idéalisme se referme sur le moi, « il
porte à l'absolu, une petite expérience fort suspecte: la conscience pure-
ment subjective». Cependant les idéalistes, par l'importance accordée à
la pensée, ont plus que les matérialistes contribué aux progrès de la
connaissance et forgé les instruments et concepts les plus pénétrants
pour l'analyser.

§ 3. Le matérialisme
7 L'évolution ◊ Si le philosophe est attiré par l'idéalisme, le savant, lui, à
quelques exceptions près, ne peut être que matérialiste, car il n'y a pas de
1. Dialogued'Hylaset de PhilonoüsI, p. 8, in H. Lefebvre(1969, B. 4), p. 24.
2. NouveauxEssaisII 1. sec. 2 in H. Lefebvre(1969, B. 4), p. 25.
3. In op. dt.,(B. 4), p. 33.
4. L. Brunschvicg(1905).
10 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE

connaissance sans un objet à connaître, pas de science possible, sans une


nature à observer. Le matérialisme apparaît très tôt dans l'Antiquité. Aux
vf et~ siècles av.J.-C., des philosophes importants tels que Thalès, Héra-
clite... plus tard Epicure ( 341-2 70), sont frappés par le fait que tout est
mouvement dans la nature. Il s'agit là d'un matérialisme mécaniste et, a
priori que l'état des sciences de l'époque ne permet pas de confirmer ou
de rectifier, d'où sa faible extension 1.
« Le matérialisme est le vrai fils de la Grande-Bretagne » écrivait Marx. Roger
Bacon (1214-1294) invite à étudier le grand livre de la nature, Locke (1632-
1704) déclare que nos idées ne peuvent venir que de notre expérience du monde
extérieur.
Le matérialisme qui s'épanouit progressivement est encore mécaniste parce
que de toutes les sciences naturelles, la mécanique des corps solides terrestres et
célestes est la plus avancée. Le mouvement mécanique est le plus simple à obser-
ver. Faute de connaissances en chimie, en biologie, en physique, le dynamisme du
vivant n'apparaît pas et de ce fait le mouvement de la nature ne peut être que per-
pétuel, sans histoire et sans évolution.
Le matérialisme vulgaire, en niant la conscience, pour l'arracher au
cercle clos où l'enfermait l'idéalisme, ne faisait que créer une autre méta-
physique, non de l'esprit mais de la matière.
A partir du XVIIesiècle, les deux courants apparaissent de plus en plus
comme les défenseurs de deux idéologies opposées: l'idéalisme lié à la
religion, à une certaine forme d'humanisme moral, le matérialisme, au
développement scientifique. Les deux tendances vont s'affiner, se nuan-
cer. De toute façon le débat entre l'idéalisme et le matérialisme ne peut se
résoudre in abstracto. Comme le dit Marx: « La discussion sur la réalité
ou l'irréalité de la pensée - isolée de la praxis - est purement scolas-
tique 2. »
L'essor scientifique favorise le développement du matérialisme. Sous sa
forme moderne, soucieux de se détacher des conceptions métaphysiques,
il ne cherche plus une identité entre les sensations, les représentations
humaines et les objets de la nature, mais une correspondance de fait,
grâce à laquelle la science existe, observe, expérimente. Il ne nie donc pas
l'existence de la pensée, mais refuse de l'isoler. Position pratique que
Lénine (1967) définit en ces termes: « L'admission du monde extérieur,
de l'existence des objets en dehors de notre conscience, indépendamment
d'elle, est le postulat fondamental du matérialisme. » De son côté, face
au progrès de la science, l'idéalisme ne peut nier le monde extérieur.
Devant l'excès d'un certain scientisme, il se camouflera, se modernisera,
prendra des formes nouvelles, telle la phénoménologie.

§ 4. La phénoménologie
8 Edmond Husserl (1859-1938) ◊ La phénoménologie est une doc-
trine philosophique conçue par E. Husserl au debut du :XXC
siècle en Alle-
1. La dispute entre idéalistes et matérialistes reprendra dès le xf siècle. L'œuvre d'Aristote, idéa-
liste, sera condamnée au XIf siècle avant de régner à partir du xm'.
2. K. Marx, rééd. 1963, p. 50.
LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 11

magne. Elle est, comme toutes les doctrines, une protestation contre
celles qui règnent à cette époque : le kantisme et la psychologie de l'école
de Warzbourg. Mais ce qui fait son originalité c'est que hostile à l'idéa-
lisme, elle s'oppose également à l'empirisme, lié au développement scien-
tifique et industriel. Husserl reproche à ces deux tendances leur infidélité
aux choses. Le point de départ de sa réflexion sur la nature de la scientifi-
cité: « comment peut-il y avoir « un vrai» appre'hendé par une sub-
jectivité?», l'amène à retrouver dans l'intention l'évidence de la sub-
jectivité.
Même les matériaux recueillis dans l'observation empirique sont construits au
lieu d'être simplement vécus. La phénoménologie se veut une méthode de retour
aux choses elles-mêmes, dans des descriptions, en dehors de toute conceptualisa-
tion. Il s'agit d'une« eidétique» ou« science des essences» qui repose avant tout
sur l'intuition.
Comment se situe l'individu par rapport à cet objet vécu ? Il sera la conscience
intentionnelle, « le rayon qui éclaire la chose», écrit G. Picon 1, car « toute
conscience est conscience de quelque chose», toute conscience vise un objet qui
n'est pas elle, qui ne saurait être contenu en elle, qui est donc transcendant.
Le sujet face à la transcendance de l'objet est conscient de l'acte par lequel il
donne à celui-ci une signification. Cette prise de conscience au centre de l'opéra-
tion de réduction, est le propre de ce que Husserl appelle « l'Ego Transcendantal »
qui a permis de qualifier cette philosophie d'idéalisme transcendantal 2•
L'évolution des idées de Husserl s'explique par son insatisfaction, ses hésita-
tions. Ceci ne l'a pas empêché d'exercer une influence profonde: phénoménolo-
gie du langage, de la volonté, de l'imagination, de l'art, en particulier en France,
~ur M. Merleau-Ponty (1908-1961) qui fut son véritable continuateur et aux
Etats-Unis sur A. Schutz. Enfin, la phénoménologie est à l'origine des diverses
théories existentialistes qui reprennent l'idée de la supériorité du vécu, du sub-
jectif, sur les constructions conceptuelles.

§ 5. Le matérialisme dialectique
Le marxisme d'inspiration historique, sociologique, économique
peut-il aussi se réclamer d'une philosophie? Il était normal que les opi-
nions se divisent sur les problèmes de connaissance, celle de Marx lui-
même ayant varié 3.
9 Friedrich Engels (1820-189 5) ◊ A propos de Ludwig Feuerbach
( 1804-18 72) 4 il admet que la question première et dernière de la philo-
sophie est celle des rapports entre la pensée et l'existence, entre l'esprit et
la nature, l'idéalisme privilégiant la première, le matérialisme la dernière.
Mais pour lui, c'est la religion et la philosophie qui ont séparé le réel de
1. G. Picon (1957), p. 55.
2. Ce que conteste Merleau-Ponty:« Loin d'être comme on l'a cru, la formule d'une philosophie
idéaliste, la réduction phénoménologique est celle d'une philosophie existentialiste» (1967).
3. Un exposé plus complet sur le marxisme trouvera sa place ultérieurement ( cf. chap. III, section
II, par. 2, n°' 128 et suivants).
4. Philosophe allemand critique de Hegel, a suscité la réflexion des marxistes.
12 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE

l'idéal. Le matérialisme en reconnaissant « le monde tel qu'il est» sup-


prime le pseudo-problème philosophique. Dialectique et logique formelle
pourraient se rattacher directement aux sciences, sans passer par la philo-
sophie.
En simplifiant le problème, E~els a refermé la théorie en un système clos.
Comme le note Lénine, l'objectivite de la dialectique est illustrée par des exemples
mais n'est pas prouvée. Les questions essentielles restent en suspens. Comment
en partant des processus concrets des sciences particulières, généraliser pour
atteindre des lois universelles ? Comment ne pas rattacher celles-ci aux concepts
philosophiques : matières, loi, devenir. H. Lefebvrepose alors la question : « Si la
dialectique vient de l'étude de la nature, comment et pourquoi est-elle révolution-
naire, si elle vient de la critique révolutionnaire et de l'analyse historique, com-
ment et pourquoi la retrouve-t-on dans la nature ? »
10 Karl Marx (1818-1883) ◊ Le matérialisme historique de Marx ne
retient que l'aspect économique, historique, social, humain des faits mais
ne se préoccupe pas de logique formelle. La dialectique n'existe pas sinon
comme donnée empirique. Après avoir en 1844 déclaré que le prolétariat
devait s'accomplir et par là supprimer la philosophie, Marx est amené
dans sa lutte contre la gauche hégélienne à opposer l'action révolution-
naire à la philosophie considérée comme une idéologie. C'est vers 1857
seulement qu'il découvre la dialectique de Hegel (après l'avoir tant
décriée) et aborde les problèmes de la connaissance. Celle-ci résulte de
l'appropriation 1 d'un contenu par la pensée et se rattache donc à une
théorie philosophique : le matérialismedialectique.
La position de Marx par rapport à l'hégélianisme est résumée dans le
fameux texte de la préface du Capital: « Ma méthode dialectique n'est
pas seulement différente par ses fondements de la méthode hégélienne,
mais elle est exactement le contraire. Chez Hegel, elle se tient sur la tête,
il faut la retourner pour trouver le noyau rationnel sous l'enveloppe mys-
tique.»
Marx reprend donc à Hegel la notion dialectique de contradiction. « Le
rapport des contradictoires n'est pas un rapport statique, défmi abstraite-
ment et retrouvé dans la réalité, il devient un rapport vécu 2 . »
La prise de conscience vraie pour Hegel, couronnement de son apolo-
gie de l'action, n'est pour Marx que son point de départ. Hegel part de
l'idée, il s'agit de partir des faits. « L'action est une valeur, car c'est par
l'action qu'on arrive aux conditions d'une pensée conceptuelle claire,
consciente, à « l'en soi et pour soi » à la réalisation de l'esprit absolu,
c'est la position de Hegel. La pensée claire et vraie est une valeur, car c'est
par elle qu'on peut réaliser les conditions d'une action efficace pour
transformer la société et le monde, c'est la position de Marx 3 .
Le matérialisme dialectique ne conçoit plus la raison universelle
comme intérieure à l'individu, il ne la sépare plus de la nature, de la pra-
1. Pour Marx, l'appropriation est un concept philosophique: l'activité qui se saisissant d'une
donnée concrète, d'une matière, produit des o::uvreset les connaît en s'y reconnaissant.
2. ln H. Lefebvre,Encyclopédie,p. 100.
3. In L. Goldman (1959), p. 18.
LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 13

tique, de la vie. La connaissance va de l'immédiat au concret, de la pra-


tique spontanée à la pratique réfléchie, de l'expérience sensible à l'action
rationnelle, à travers l'abstrait. « Les idées que l'on se fait sur les choses
ne sont que le monde réel, matériel, exprimé et réfléchi dans la tête des
hommes, c'est-à-dire qu'elles sont édifiées à partir de la pratique et du
contact actif avec le monde extérieur par un processus complexe ou entre
toute la culture 1 . Ce lien entre le vécu, la pratique et la pensée c'est ce que
recouvre la notion de praxis « faire et se faisant se faire».
Celle-ci n'était pas étrangère à Hegel qui dans sa téléologie2 retrouvait la valeur
de la pratique 3 • Certes, il ne s'agit pas encore pour lui par la philosophie de trans-
former le monde, mais seulement de le comprendre. Cependant le monde que la
philosophie hégélienne s'efforce de comprendre n'est pas un monde tel que
l'homme l'aurait reçu, mais tel qu'il le modifie selon ses fins dans une praxis 4.

11 Linine 5 (1870-1924) ◊ Lénine revenant à Marx, assouplit les posi-


tions d'Engels. Il aborde dans Matérialisme et empiriocriticisme(1908) et
dans les Cahierssur la dialectiquede Hegel,les problèmes de la connais-
sance. Pour lui matérialisme et idéalisme, sont des postulats6 philo-
sophiques c'est-à-dire des affirmations nécessaires et sans preuves, qui
concernent deux interprétations opposées du monde ayant chacune leur
histoire propre. L'une et l'autre ne pourront disparaître qu'ensemble,
lorsque sera achevée la fusion entre les sciences particulières, la science et
la philosophie. Mais ceci n'est qu'une orientation ... le but est à l'infini.

12 Conclusion sur le matérialisme ◊ Nous dirons pour conclure :


- que la dialectique matérialiste privilégie le contenu : l'être détermine
la pensée.
- qu'elle est une analyse du mouvement de ce contenu dont elle tente
d'établir les lois de développement,sous la forme d'une théorie de la
connaissance, ou d'une analyse concrète. Elle n'est jamais un dogme, un
système fermé mais toujours un instrument de recherche et d'action.
Enfin que le matérialisme historique, grâce à ses analyses économiques
concrètes, a réintroduit le vécu dans la dialectique lui faisant perdre sa
forme idéaliste. La liaison du concret et de l'abstrait permet au matéria-
lisme dialectique de dépasser à la fois l'idéalisme et le matérialisme méca-
niste.
Si d'excellents esprits ont mélangé contrariété, opposition, réciprocité,
complémentarité avec la pensée dialectique c'est-à-dire avec la théorie des
contradictions, ces confusions ont abouti à l'abus et à la dégénérescence
1. In op. dt.
2. Téléologie : étude des fins.
3. Lénine discerne dans les derniers chapitres de la logique une volonté de réintégrer la pratique à
la théorie. « Maix se rattache donc directement à Hegel, en introduisant le critère de la pratique dans
la théorie de la connaissance. » Lénine, Cahiersphilosophiques.
4. Cf. J. Hyppolite (1970). Sur Hegel (1970, B. 4).
5. Vladimir Illitch Oulianov dit Lénine.
6. Le postulat est un acte, il implique une position, une prise de parti comme l'avait déjà indiqué
Marx.
14 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE

de la notion de matérialisme dialectique dans les pays qui ont voulu l'uti-
liser et la vulgariser. C'est ainsi que dans les pays de l'Est et surtout en
Chine, toute opposition devenait dialectique 1.
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Pour éviter de réduire la dialectique à la logique, le dogmatisme avait absorbé la logique dans la dia-
lectique. Mais, pendant ce temps, les logiciens créaient des instruments nouveaux de connaissance et
d'action : logique opérationnelle, cybernétique, théorie des jeux et de l'information. Ne serait-ce que
pour des impératifs militaires, il fallait que les dialecticiens se plient à ces nouvelles exigences d'une
logique qu'ils avaient voulu méconnaître. C'est alors que naquit, pour les besoins de la cause, la dis-
tinction entre la contradiction et l'antagonisme ou contradiction insurmontable. Cette distinction
ne comportant pas de crttère, permet de qualifier les situations réelles en fonction des nécessités poli-
tiques et de légitimer par exemple la coexistence pacifique.
La difficulté consiste à concilier le mouvement dialectique avec le plan de la logique, celle de la vie,
dans la mesure où elle correspond au principe d'identité et présente une certaine stabilité: cette table
est bien une table, elle a sa structure, elle a quatre pieds. Lefebvre propose d'assigner à la logique,
l'étude des conditions de stabilité (relative), étude concrète, alors que la dialectique s'occuperait du
devenir: disparition et formation, négation et création des structures. « Cette mise en place des
domaines méthodologiques ne les sépare pas, elle évite qu'on les confonde et laisse ouvert le pro-
blème de leur articulation et des transitions de l'une à l'autre.»
LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE: MÉTHODE, THÉORIE ET PROCÉDURE 15

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SECTION3. LESMOYENS
DE LA CONNAISSANCE :
MÉTHODE,THÉORIEET PROCÉDURE

§ 1. La méthode

14 Ambiguïté de la notion ◊ La notion de méthode est d'une ambiguïté


souvent dénoncée. En ce qui concerne la méthode au sens élevé du terme,
J. Piaget (1967) remarque qu'elle n'est pas une branche indépendante,
car les problèmes d'épistémologie et de logique posent constamment des
questions de méthode.
A propos de méthode déductive, on est amené à traiter de logique et
d'épistémologie mathématique; quant à la méthode expérimentale, en
physique ou en psychologie, sa conception, son application ou son échec
sont subordonnés à l'épistémologie, à la logique appliquée. C'est pour-
quoi on ne peut traiter la méthode à part. De plus il existe plusieurs
conceptions:« Le propre de la méthode, dit A. Kaplan (1964), est d'aider
à comprendre au sens le plus large, non les résultats de la recherche
scientifique, mais le processus de recherche lui-même.» Il ajoute que les
attitudes concernant les problèmes de la connaissance dépendent de
positions philosophiques beaucoup plus que des difficultés rencontrées
dans la recherche scientifique elle-même. De la même façon, les ques-
tions de méthode seront influencées par les a priori philosophiques. Sans
doute, mais les difficultés rencontrées dans la recherche relèvent, elles
aussi, de la méthode.
Pour toutes ces raisons nous renvoyons les différentes conceptions de
la méthode au Livre Il, chap. 1.
16 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE

§ 2. La théorie
On ne donnera ici que des indications très sommaires car on retrou-
vera ces problèmes à propos de l'évolution des sciences.

15 Le rationalisme ◊ Pour le rationaliste, le critère de la vérité ne dépend


pas de nos sens : il est intellectuel. Constructions logiques, schémas
conceptuels, forment les démarches d'une pensée avant tout déductive,
c'est-à-dire qui part du général pour s'appliquer au particulier. En fait, le
rationalisme s'oppose surtout à la «révélation», à une certaine méta-
physique. Il revêt des formes complexes et parfois proches d'un idéalisme
rationalisé.

16 L'empirisme ◊ A l'opposé, l'empiriste affirme que l'origine de la


connaissance se trouve dans l'expérience. Il croit en la valeur de l'obser-
vation, et en celle de la sensation. Le concret se trouve ainsi appréhendé
par le sensible, c'est le contraire de la conception platonicienne.

§ 3. La procédure, les types de raisonnement :


déduction, induction
17 La déduction ◊ C'est avant tout un moyen de démonstration. On part
de prémisses supposées assurées, d'où les conséquences déduites tirent
leur certitude. Aristote déclare qu'il est nécessaire que la science démons-
trative, la seule véritable à ses yeux, parte de prémisses vraies, premières,
immédiates, plus connues que les conclusions antérieures dont elles sont
les causes. La mathématique, jusqu'à une époque récente, représentait le
modèle de ce type de science.
Mais si la déduction démontre, elle découvre rarement Pour découvrir,
il faut alimenter la réflexion du sujet par l'observation de l'objet C'est ce
qu'affirment les empiristes mais c'est une autre démarche qu'ils pro-
posent

18 L'induction ◊ L'induction est une généralisation, opération par


laquelle on étend à une classe d'objets ce que l'on a observé sur un indi-
vidu ou quelques cas particuliers. La philosophie classique distingue l'in-
ductionrigoureuse,dite aristotélicienne, qui reconnaît certaines caractéris-
tiques aux phénomènes observés (en principe la totalité des cas), les
généralise ou les résume dans une loi, et l'induction amplifiante (à tort
appelée baconienne) ou expérimentale,qui, d'un nombre déterminé de
faits observés, généralise à un nombre infini de faits possibles.
L'induction rigoureuse ne permet pas de passer des faits aux lois. La
nouveauté qu'introduit l'expérience n'intéresse pas la logique formelle,
c'est en dehors d'elle que se développeront les sciences. Mais alors leurs
méthodes ne reposant pas sur une logique rigoureuse, se séparent de la
LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE: MÉTHODE, THÉORIE ET PROCÉDURE 17

logique et de la philosophie. « Le savant prouve le mouvement de la pen-


sée en avançant dans la connaissance, mais le philosophe se venge en
mettant en question la valeur de la science. Le conflit entre la rigueur et
la fécondité s'élargit, il fait naître le problème de la connaissance et de la
valeur de la science 1. »
Si l'expérience ne peut vérifier au sens complet du terme l'induction, ne
peut-on admettre qu'elle la confirme plus ou moins? Des auteurs comme R. von
Mises (1883-1953), Rudolf Camai? (1891-1976), précisent la notion de probabi-
lité et admettent à côté d'un degre de confirmation contrôlé par la logique, une
notion de fréquence statistique soumise à l'expérience elle-même 2 •
Enfin K. Popper 3 rejette en bloc l'induction même tempérée de probabilité, car
de toute façon les conclusions dépassent les prémisses. Pour lui le problème de
l'empirisme a été faussé au départ par une confusion entre l'analyse logique de la
connaissance scientifique, qui ne s'occupe pas du fait lui-même de découvrir,
mais seulement de la justification ou de la validation de ce qui a été découvert et
l'inspiration qui relève de la psychologieempirique, mais pas de la méthode. Eins-
tein indiquait que dans la recherche des lois universelles, il n'y avait pas de voie
logi9ue tracée d'avance: « Elles ne peuvent être atteintes que par une intuition
basee sur quelque chose comme un amour intellectuel des objets de l' expé-
rience 4.»
Tout en admettant l'existence d'une rupture dans la découverte,
peut-on considérer la séparation entre la rigueur de la déduction et la
fécondité de l'induction comme absolue, se demande H. Lefebvre.Selon
Aristote, le syllogisme est un raisonnement dans lequel le moyen terme
joue un rôle essentiel de médiation, de relation fondamentale. Il classe les
objets d'après les qualités essentielles de leur nature. Le jugement donne
un contenu au syllogisme.Dire : Socrate est un homme, tous les hommes
sont mortels, donc Socrate est mortel, c'est reconnaître à Socrate la qua-
lité d'homme et de mortel.
On peut donc réduire l'antinomie classique entre induction et déduc-
tion, en constatant : 1° que la déduction du syllogismeformel pur est, à la
limite, une tautologie si son contenu ne lui ajoute rien; 2° que l'induc-
tion rigoureuse est rarement utilisable, car on n'est jamais sûr d'avoir la
liste complète des objets d'où l'on extrait la loi les concernant; 3° qu'en
revanche, dans la mesure où le syllogisme porte un contenu, où le juge-
ment reconnaît une qualité (Socrate est un homme, etc.) dans ce cas, le
plus fréquent, la déduction se rapproche de l'induction amplifiante qui
généralise, sans certitude totale. Dans les deux cas, la pensée prend un
risque, établit un compromis entre rigueur et invention. Dans les deux
démarches de la pensée, l'important c'est de discerner l'essentiel, d'abs-
traire, de généraliser, de créer des concepts.

1. H. Lefebvre (1971, B. 4), p. 17.


2. R. Carnap (1928).
3. K. Popper (1935, 1973), cf. n° 86.
4. A. Einstein (1952, B. 86).
18 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE

§ 4. Les outils: les concepts


19 Définition ◊ L'opposition entre rationalistes et empiristes sur le plan
du raisonnement (induction, déduction) se poursuit en ce qui concerne
la valeur des concepts.
Qu'est-ce qu'un concept? Ce n'est pas le phénomène lui-même, c'est
une abstraction, une pensée, un moyen de connaissance 1. Le concept
obéit à un double mouvement: d'une part il représente une activité pra-
tique, sensible, le contact avec le monde sous la forme des êtres singu-
liers : tel objet, tel animal, et de proche en proche il s'élève en écartant les
aspects particuliers, contingents, de ce contenu, pour atteindre par abs-
traction l'universel, le concept d'homme, d'animal. La formation d'un
concept, pour Lefebvre,signifie que l'on a pénétré au-delà de l'immédiat
sensible, de l'apparence, du phénomène, dans un degré supérieur d' ob-
jectivité. « La logique du concept est une logique de l'essence 2 », de la
qualité essentielle.
20 Extension. Comprenension ◊ Le concept est plus ou moins étendu,
plus ou moins compréhensif. Le concept de chien recouvre un certain
nombre d'animaux : basset, griffon, cocker, etc., d'après leurs caractéris-
tiques communes : vertébré, mammifère, etc., sans se préoccuper de leurs
qualités particulières : poil ras, poil long, etc.
D'après la logique formelle, compréhension et extension varient en
raison inverse l'une de l'autre. Le degré supérieur de l'abstraction: l'ani-
mal, a une grande extension, aucun animal ne lui échappe, mais peu de
compréhension, il ne recouvre pas les particularités du cocker. En aug-
mentant le nombre d'objets, on réduit à l'essentiel ce qui les unit.
La distinction entre extension quantitative et compréhension qualita-
tive, oppose surtout les concepts stables, déjà constitués, formés dans une
hiérarchie (l'individu, le genre, l'espèce). Dans la réalité, les concepts se
créent, s'enrichissent et disparaissent sans que leurs contours obéissent à
une délimitation aussi rigoureuse. On reconnaît au concept une valeur
de généralité. Quelle est l'origine de cette valeur ?
Sur la constitution même des concepts, leur mode d'élaboration, s'af-
frontent empiristes et rationalistes. Prenons l'exemple du concept de
frustration. Pour les empiristes, la généralité du concept résulte de la
somme d'expériences, de situations de frustrations observées, d'où l'on a
abstrait certaines propriétés qui leur étaient communes. Au contraire,
pour les rationalistes, la généralité du concept de frustration résulte de sa
définition même, c'est-à-dire de l'existence d'une propriété essentielle,
abstraite, commune à toutes les situations qui relèvent du concept.
Ceci soulève deux questions : le rapport entre concept et jugement, le
lien entre concept et définition.
21 Concept et jugement ◊ Dans la mesure où le concept retrouve une
qualité essentielfe, il implique un jugement. Logiciens et psychologues se
sont demandé si le jugement précédait ou non le concept. Aristote
1. Cf. Livre Il, chap. Il, sect. I, n°' 307 et suivants.
2. H. Lefebvre (1969, B.4), p. 115.
LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE: MÉTHODE, THÉORIE ET PROCÉDURE 19

affirme:« La perception porte sur le général, nous percevons l'homme en


général avant de percevoir Kallias ». Pour Kant, au contraire, l'acte élé-
mentaire de l'intelligence est le jugement, le concept implique seulement
une virtualité indéfinie de jugements 1. On peut, d'après Lefebvre2,
résoudre le problème en considérant que les deux thèses expriment deux
moments de la pensée. La thèse aristotélicienne concerne le concept déjà
formé : je vois un chien et le saisis immédiatement sous cet aspect La
thèse kantienne exprimerait plutôt la formation du concept: il faut
observer un certain nombre de cas pour juger leurs qualités, saisir ensuite
d'emblée le général.
22 Concept et définition ◊ Pour comprendre ce qu'est une définition, il
faudrait logiquement donner d'abord une définition de la définition. R.
Robinson (1950) distingue dix-huit types de définitions. Pour Aristote la
définition est une phrase signifiant « l'essence d'une chose». Dans la
pratique, on se contente souvent de définir par des synonymes ou encore
par des exemples, mais la véritable définition fait appel aux propriétés du
concept.
Elle est ontologique 3 . Or comme nous l'avons vu, le concept est une
représentation rationnelle, comprenant les attrtbuts essentiels d'une
classe de phénomènes ou d'objets. On voit donc que définition et
concept sont sinon synonymes, du moins liés. C'est pourquoi l'une et
l'autre vont subir les conséquences des divers points de vue concernant ce
qui est défini, c'est-à-dire dépendre de la notion de réalité.
C'est ce problème qu'évoque Platon dans le dialogue d'Hermogènes et Cra-
tyles, le premier déclarant que le sens des mots résulte de conventions arbitraires,
sans lien nécessaireavec la réalité, tandis que Cratyles,à qui Socratedonnera rai-
son, soutient 5lUeles mots signifient quelque chose en rapport avec les objets aux-
quels ils se réferent. Discussion toujours actuelle et qui oppose encore des socio-
logues tels que G. A. Lundberg (1946), qui veut définir« a priori», et H. Blumer
qui lui oppose la nécessité de tester empiriquement le concept, l'expérience seule
permettant de savoir si sa définition est vraie.
Mais que signifient vérité et réalité ? Les mathématiques par exemple,
reposant sur des postulats, ne sont pas tenues par la réalité. C'est le sens
de la fameuse boutade d'Einstein : « Dans la mesure où les mathéma-
tiques traitent de la réalité, elles ne sont pas certaines et dans la mesure
où elles sont certaines, elles ne traitent pas de la réalité. » Bien des
concepts des sciences physiques ne sont encore que des formules. Les
atomes sont-ils réels ? Et en sciences sociales que signifient «culture»,
«opinion», « classe sociale» ? Les mots recouvrent-ils des réalités ?
L'opinion est-elle une description, une mesure, un processus, une entité
ou une invention ? On peut trouver une réponse conciliant les points de
vue, en distinguant à quoi ils s'appliquent.
1. Il distingue les jugements analytiques(rigoureux formellement, mais stériles) et les jugements
synthétiquesdans lesquels la pensée avance mais par la constatation d'un fait contingent essayant
d'unir ligueur et fécondité.
2. (1969, B. 4), p. 122.
3. Ontologie: science de l'être.
20 LE PROBLÈMEDE LA CONNAISSANCE

2 3 Définition nominale. Définition réelle ◊ La définition nominale,


utifise un mot ou une phrase (definiens) comme substitut d'une autre
(definiendum).Le concept dans ce cas a la signification qui lui est donnée
arbitrairement. Il ne prétend à d'autre vérité que la conformité à sa
propre définition. Il n'ajoute rien à nos connaissances, mais peut, sur le
plan méthodologique, aider à les accroître.
C'est le cas des symboles en algèbre. L'inconvénient des définitions
nominales, c'est qu'elles risquent au bout d'un certain temps, d'être
considérées comme réelles par ceux qui les emploient.
La définition réelledésigne l'objet par ses caractéristiques essentielles,
elle suppose donc une vérité. Tout en établissant une équivalence entre le
défini et la définition, elle dépasse le plan du langage pour atteindre celui
de la connaissance. Cette distinction entre les deux types de définition est
importante car toute science repose sur des théories et celles-ci sur des
concepts. Lorsqu'elles se réfèrent à des concepts possédant des définitions
nominales, elles offrent un intérêt méthodologique, si au contraire elles
font appel à des définitions réelles, c'est leur contribution à la science qui
est en cause. On juge les définitionsnominalesd'aprèsleur utilité, les défini-
tions réellesd'aprèsleur vérité1.
Les Anglo-Saxonsdistinguent les concepts substantifs ou phénoménaux qui
ont trait au domaine à analyser, par exemple: culture, personnalité et les
concepts méthodologiquesqui concernent le processusmême de la recherche tels
que validité,théorie. F. S .C. Northrop (1947) distingue les concepts par intuition,
dont la signification dépend d'un objet appréhendé immédiatement et les
concepts par postulat, dont la significationdépend du systèmehypothéticodéduc-
tif de la théorie dont ils font partie.

24 Conclusion ◊ Nous avons jusqu'ici abordé les problèmes généraux que


posait toute réflexion sur la connaissance. Loin de constituer le domaine
réservé de philosophes abstraits, celle-ci, à des degrés divers, a toujours
accompagné l'activité pratique des hommes de sciences eux-mêmes.
Comme le note R. Blanché : « Par le style selon lequel ils ont conduit
leurs recherches, ils ont, qu'ils l'aient voulu ou non, manifesté l'idée
qu'ils se faisaient du but et des moyens de leur science. Tout savant a
ainsi impliqué dans son travail une épistémologie que l'on peut, pour
cette raison, qualifier d'immanente. Parallèlement au progrès des sciences
et en interaction étroite avec ceux-ci, se développe une réflexion scienti-
fique. Les savants s'interrogent sur les méthodes qu'ils utilisent, leur
signification et leur validité 2 . »
C'est l'histoire de cette réflexion qui va maintenant nous retenir.
25 Bibliographie ◊

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22 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

CHAPITRE2
L'ÉVOLUTION
DE LA RÉFLEXION SCIENTIFIQUE

« Le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire


mais il est toujours cequ'on aurait pu penser.»
Bachelard.
Il ne s'agit pas ici de retracer l'histoire des découvertes de la science ni
même de l'évolution de la philosophie des sciences, mais seulement, dans
l'ensemble de conditions politiques, économiques et sociales qui caracté-
risent chaque époque, tenter de dégager lesprogrèsde la méthodescienti-
fique. Cette progression n'est pas linéaire. Chaque novateur porte en lui à
la fois l'empreinte du passé et la marque de son temps. Pas plus que l'être
humain, la société ne mûrit de façon égale, et chacune des sciences pro-
gresse à son propre rythme.
Lesœuvres de quelques savants et philosophes, jalonneront brièvement
les grandes étapes de l'évolution de la réflexion scientifique.

SECTION1. LA NOTION DE SCIENCE


26 Évolution de la définition ◊ Le mot science n'a pas toujours eu la
signification particulière qui est la sienne de nos jours. Aristote affirme
que« la Science concerne le nécessaire et l'éternel». Platon y voit le plus
haut degré de la connaissance. Au Moyen Age la Vérité suprême est
d'ordre religieux. D'après Lalande, dans la langue théologique, « science »
désigne la connaissance que Dieu a du monde.
Comme le dit G. Gusdorf (1966), selon la scolastique héritière de la
pensée hellénique, la dignité de la science provient de la valeur de son
objet. « La plus haute connaissance est celle de la réalité suprême ; elle est
donc d'ordre ontologique et théologique 1.»
La révolution mécaniste du XVIfsiècle manifeste une attention parti-
culière pour les méthodes et démarches de la pensée, un déplacement
d'intérêt de la métaphysique vers la théorie de la connaissance. Évolution
que caractérise la définition de la science donnée par C. Wolff au
XVIIf siècle: « l'usage de démontrer ce que l'on affirme, c'est-à-dire de
déduire de principes certains et immuables par voie de conséquence légi-
time 2 ». L'épistémologie a supprimé Dieu, c'est un des phénomènes
importants du XVIIfsiècle et Laplace sans scandale exposera à Bonaparte
que l'on peut expliquer le réel sans recourir à l'hypothèse divine.
1. G. Gusdorf (1966), p. 12.
2. In op. cit., p. 12.
LA NOTION DE SCIENCE 23

Autrefois découverte de l'essence, la science tend à devenir recherche


de l'ordonnancement des phénomènes. Désormais, le rapport de
l'homme au monde est plus important que la relation avec Dieu ou avec
soi-même. La notion de science se rapproche de la nôtre, elle se caracté-
rise par ce que nous appelons l'esprit scientifique, la manière de savoir
plus que l'objet du savoir. Pour Karl Jaspers: « la science est la connais-
sance méthodique dont le contenu, d'une manière contraignante est à la
fois certain et universellement valable 1 ». Cette définition très large per-
met à de nombreuses branches du savoir de revendiquer le titre de
science. Les juristes parlent de science juridique. Pour Newman et
K. Barth, la théologie est une science. Parallèlement aux sciences phy-
siques et naturelles, se développent depuis le xvn1e siècle des sciences
morales, humaines, politiques, sociales. Cette évolution permet de penser
comme l'indique G. Gusdof2 que l'idée de science est une variable histo-
rique et qu'à l'heure actuelle on peut en distinguer plusieurs acceptions.
D'une part la notion large qui correspond à une certaine façon raison-
née, systématique, d'appréhender le réel, point commun à toutes les dis-
ciplines qui se veulent scientifiques. D'autre part une acception plus
étroite, liée à la regrettable distinction universitaire entre lettres et
sciences.
2 7 Distinction entre sciences et lettres ◊ Il est curieux de constater
qu'au debut du XVIf siècle, le mot « lettres» recouvre tout le domaine de
la connaissance. Si l'on se reporte aux textes de l'époque, on n'aperçoit
pas de distinction nette entre lettres et sciences.
Descartes dans le Discoursde la Méthodeécrit: « J'ai été nourri aux lettres dès
mon enfance, et pour ce qu'on me persuadait que par leur moyen on pouvait
acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avais
un extrême désir de les apprendre 3 • » Sous l'influence des jésuites, les « lettres »
comprennent tout le programme des études alors que pour d'autres auteurs ce
sont les sciences qui recouvraient le domaine entier de la connaissance. Cepen-
dant progressivement se précise la distinction : les lettres correspondent, à partir
du milieu du XVIIIesiècle environ, à l'idée d'une culture livresque c'est-à-dire plus
littéraire, moins expérimentale.
La querelle des Anciens et des Modernes manifeste la volonté des
scientifiques d'être reconnus, honorés à l'égal des gens de lettres.
Ch. Perrault écrit : « Les choses ont bien changé de face. L'orgueilleux désir de
paraître savant par des citations a fait place au désir sage de l'être en effet par la
connaissance de la nature 4.» Leibnizréclame que l'enseignement de la poésie, de
la logique et de la scolastique ne prédomine plus sur les sciences du réel : mathé-
matiques, histoire, physique, géographie. Le lien perçu entre les Lettres et l'Ancien
Régime, l'élimination souhaitée des valeurs traditionnelles grâce à une formation
intellectuelle critique, vont susciter un clivage politique qui persistera

1. In op. dt., p. 13.


2. In op. dt., p. 15.
3. In op. dt., p. 17.
4. In op. dt., p. 28.
24 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

jusqu'à nos jours. L'enseignement des sciences est à gauche, démocratique, anti-
clérical, celui du latin est le symbole de la réaction.
Toujours en retard sur la réalité, l'enseignement continue à privilégier les
Humanités. Alors qu'en 1807 Cuvier s'élève contre le faux problème que consti-
tue pour lui la distinction entre Lettres et Sciences, la rupture est consacrée par la
création en 1852 du Baccalauréat ès-sciences 1 et surtout par l'Université impé-
riale qui crée des Facultés des Sciences et des Facultés des Lettres séparées.
A l'heure actuelle, l'ambiguïté de la définition demeure. A côté du sens
large concernant tout corps de connaissance méthodiquement organisé,
le développement et le modèle des sciences physiques et naturelles amène
le plus souvent à appliquer le terme de science au sens étroit, à un
ensemble de connaissances établi de façon systématique, à référence uni-
verselle et susceptible d'être vérifié.
Encore en retard sur l'évolution de la pensée et les besoins de
l'homme, le gouvernement aujourd'hui souhaite la promotion des
sciences et l'accès aux disciplines scientifiques au moment où les peuples
civilisés inquiets des conséquences des découvertes et de leur utilisation
militaire et industrielle manifestent un intérêt grandissant pour les
sciences de l'homme. Sciences de l'homme dont la vulgarisation anti-
cipée rappelle la mentalité préscientifique du XVIIIesiècle et risque de susci-
ter des obstacles au développement d'une connaissance véritable. La
science de l'homme dont notre époque ressent le besoin, ne correspond
pas à une culture livresque de citations ni à une perpétuelle adaptation à
une société de plus en plus technique. Cette science porte sur le destin de
l'homme dans une communauté humaine. Elle comprend certes le passé
mais surtout l'avenir d'hommes vivants et la compréhension des rapports
qui les unissent ainsi qu'à leur environnement

28 Bibliographie ◊
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1. Jusque-là section du baccalauréat ès lettres.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 25

SECTION2. L'ÉVOLUTION DES SCIENCES


JUSQU'AU XIXe SIÈCLE
« Le chaosest la loi de la nature,
l'ordreest le rêvedeshommes.»
Henry Adams (1903)

§ 1. Les origines
29 L'expérience première ◊ Il est difficile de se faire une idée précise des
étapes premières de la formation de l'esprit scientifique. Sans doute,
peut-on supposer avec Piaget qu'elles furent assez semblables à celles
observées dans le développement mental de l'enfant qui comprend plus
facilement la physique aristotélicienne : le haut, le bas, l'air, le feu, que la
physique moderne. Les premiers éléments de réflexion scientifique sont
plus sûrement nés des exigences de la pratique que des préoccupations
religieuses qui leur ont quelque temps fait obstacle.
La pratique amena un certain « acquis » d'expériences : la pierre qui
tombe, la flamme qui s'élève, et même d'observations empiriques dont
l'explication ne relevait aucunement d'un raisonnement scientifique. Les
Azand, nous dit E.E.Evans-Pritchard (1959), constatent que l'écroule-
ment d'un grenier à grains, rongé par les termites cause la mort d'un
homme assis à l'ombre du mur. Où nous voyonsun hasard malheureux,
ils incriminent la sorcellerie. La compréhension des rapports critiques est
chez les primitifs sans commune mesure avec leurs capacités déductives
ou réflexives. Il est donc clair qu'il nous manque un chaînon: ou leur
intelligence opératoire atteint déjà le niveau des opérations concrètes,
mais est tenue en échec par une idéologie coercitive, ou dans l'action
même, elle demeure intuitive et pré-opératoire. Les articulations de leurs
intuitions pratiques sont plus proches de l'opération que leurs représen-
tations verbales et mythiques.
On a coutume de considérer la science moderne comme caractérisée
par le triomphe de la méthode expérimentale et inductive. Le jugement
doit être nuancé surtout en ce qui concerne la physique. Un fait peut être
cependant tenu pour acquis: le progrès des sciences est d'abord dû au
lent apprentissage de la méthode expérimentale et inductive. Celui-ci
exige que soient réunies un certain nombre de conditions : détachement
de toute arrière-pensée métaphysique, liberté de pensée, développement
des moyens d'observation, mathématisation et spécialisation. L'histoire
de la pensée scientifique est celle de la difficile conquête de ces condi-
tions.

§ 2. L'antiquité
30 La Grèce ◊ Quoi qu'il en soit de ses origines, la pensée scientifique
apparaît d'abord chez les Grecs et ceci sur deux plans différents: celui de
26 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

la pratique longtemps spontanée, limitée à une observation plus ou


moins fine, d'autre part à l'opposé celui de la réflexion avec la mystique
des nombres, le mathématisme pythagoricoplatonicien et la logique
d'Aristote.
Logique et mathématique sont les deux apports fondamentaux de la
Grèce à la science.
Les grands noms de Thalès, d'Anaximandre (610-547), de Pythagore sont
parmi ceux qui les premiers méritèrent le nom de philosophes et de physiologues
(de physis: nature). Ils empruntent aux civilisations égyptienne et babylonienne
des éléments d'astronomie et de mathématiques ; mais Pythagore « remonta aux
principes supérieurs et rechercha les théorèmes abstraitement et par l'intelligence
pure 1 ». L'idée que les phénomènes devaient être régis par des nombres les amena
a rechercher la solution de problèmes de physique (en particulier d'acoustique)
dans un esprit déjà scientifique et expérimental.
L'école Eléate (Zenon) se distingue par une réflexion critique sur la connais-
sance scientifique.
Enfin Hippocrate et ses disciples en perfectionnant l'art de guérir Jans pra-
tiques magiques, sont plus proches d'une médecine scientifique que les Egyptiens.
31 Platon (428-347) ◊ Élève de Socrate, fortement marqué par l'en-
seignement de Pythagore, il inscrit au fronton de l'Académie cette indica-
tion significative: « nul n'entre ici s'il n'est géomètre». Cet effort de
mathématisation se traduit par une volonté de <( transcender les nombres
pour leur conférer une valeur d'intelligibilité 2 ». Platon par son détache-
ment du réel, son idéalisme, va créer un courant puissant qui détournera
de l'observation de la nature et par là même de la recherche scientifique.
32 Aristote (384-329) ◊ Élève de Platon, il établit son école dans les
jardins du Lycée.Contrairement aux platoniciens, il insiste sur l'observa-
tion de la nature et la valeur des données sensorielles par lesquelles nous
y parvenons. Ses trois ouvrages d'observation sur les animaux, l'ame-
nèrent à déclarer: «qu'on doit accorder plus de confiance à la sensation
qu'au raisonnement et se fier aux considérations rationnelles à condition
qu'elles fournissent des résultats en accord avec les phénomènes 3 ». Pre-
mier empiriste réfléchi, il n'incite cependant pas à l'expérimentation qui
lui semble trop artificielle. Nous retrouverons Aristote et Platon à travers
l'influence qu'ils ont exercée sur l'Europe au Moyen Age.
Après la Grèce, c'est vers Alexandrie que se déplace le centre de
réflexion philosophique et scientifique. AvecEuclide (- 300) s'ouvre l'âge
d'or des mathématiques grecques. Archimède (287-212) par sa façon
d'aborder les problèmes techniques sous un angle théorique sera non seu-
lement un mathématicien et un physicien de génie, mais le plus moderne
des savants. Cependant, son mépris pour la pratique le rattache à son
siècle4.
1. Histoire de la science (1957), p. 210.
2. Op. dt., p. 220.
3. Op. dt., p. 229.
4. Plutarque écrit de lui : « Archimède refusant généralement tout art qui apporte quelque utilité
à le mettre en usage, vil, bas, et mercenaire, employa son esprit et son étude à écrire seulement des
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 27

33 La science gréco-romaine ◊ C'est l'utilitarisme qui caractérise cette


période. La tournure d'esprit philosophique des Grecs avait orienté la
science mathématique ou physique vers une réflexion plutôt théorique,
quels que fussent les progrès des applications pratiques. A Rome il en va
tout autrement : l'indifférence des Romains pour la science et la philo-
sophie est totale, ils n'éprouvent même pas le besoin de traduire les
auteurs grecs. Les sciences naturelles seront au service de l'agriculture et
de l'élevage, les mathématiques, de la physique, de l'architecture et des
machines de guerre. Il faut cependant citer au début du 1{ siècle de notre
ère Ptolémée, le dernier des grands astronomes, préoccupé de physique,
plus particulièrement d'acoustique et d'optique.
Sans nous avoir laissé d'écrits de méthodologie, Ptolémée équilibre
dans sa propre pratique la recherche expérimentale et la réflexion mathé-
matique.
On peut après lui parler du déclin de la science, dans le bassin méditer-
ranéen où elle avait pris son essor. Dès le début de notre ère, la chimie se
dégrade en alchimie, l'astronomie en astrologie, la médecine utilise des
amulettes plus que les principes d'Hippocrate, les mathématiques se
transforment en arithmétique.

§ 3. Le Moyen Âge
34 L'influence arabe ◊ Toute histoire implique des coupures arbitraires
et donne lieu souvent à des interprétations abusives. Certains accentuent
l'aspect novateur des esprits qui les attirent, d'autres s'évertuent à déceler
une continuité sans rupture.
Le Moyen Age a peut-être été plus que d'autres époques victime des
jugements contrastés de l'histoire 1. Après l'enthousiasme des roman-
tiques, il est apparu jusqu'à une époque récente, comme une période d'ar-
guties sans intérêt, sous l'arbitrage d'Aristote et de Rome. La fameuse
« nuit du Moyen Age» du vf au XIesiècle, fut moins, comme l'a montré
H. Pirenne, la conséquence des invasions germaniques, que le résultat de
la rupture des relations entre l'Orient et l'Occident, la pensée latine et la
pensée grecque. C'est par le monde arabe, héritier de la civilisation hellé-
nistique que celle-ci suscitera l'essor de la pensée médiévale. Les Arabes
n'ont pas été de simples intermédiaires mais les maîtres et éducateurs de
l'Occident latin 2 .
Alors que les philosophes de l' Antiquité imaginent des dieux différents,
le philosophe médiéval est tenu par le cadre rigide d'une religion révélée,
l'idée d'un Dieu créateur.
Pourtant les questions posées sont toutes les mêmes, d'abord méta-
physiques elles concernent le savoir, l'Être: qu'est-ce que le monde, corn-
choses dont la beauté et la stabilité ne fussent aucunement mêlées avec la nécessité» in op. dt.,
p. 376.
1. Cf. R. Pemoud (1977).
2. A. Koyré (1973), p. 14.
28 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

ment le connaître, me connaître ? « Sous le Dieu créateur, écrit Koyré,le


philosophe du Moyen Age retrouve le Dieu-bien de Platon, le Dieu-
pensée d'Aristote, le Dieu-un de Plotin.» Le souci majeur du Moyen Age
sera la recherche d'un accord entre la philosophie et la théologie. La sco-
lastique répond à ce but par l'emploi d'une dialectique rigoureuse. A l'in-
térieur de ce cadre méthodologique, les tendances opposées s'affrontent,
soulevant indirectement les problèmes essentiels de la philosophie des
sciences.
35 L'influence grecque. a) L'influence de Platon ◊ Ce serait une
erreur de croire qu'Aristote a régné sans contestation durant le Moyen
Age. En fait jusqu'au xmesiècle, c'est surtout Platon qui exerce son
influence et ceci par l'intermédiaire des commentateurs arabes, car les
ouvrages en grec sont introuvables, sauf le Timée, mythe de la création du
monde qui eut un grand succès. Cet ouvrage présente certains aspects
essentiels de la pensée platonicienne : les idées-formes et la solution par
l'action divine du problème des rapports entre les idées et le réel sensible.
C'est la lecture de Platon qui convertit saint Augustin. La vérité des
choses sensibles n'est pas dans les objets eux-mêmes, mais dans leur
conformité aux essences éternelles de Dieu. C'est dans l'intérieur de
l'âme qu'habite la vérité :
« La primauté de l'âme, la doctrine des idées, l'illuminisme qui supporte et
renforce l'innéisme de Platon, le monde sensible conçu comme un pâle reflet de
la réalité des idées, l'apriorisme et même le mathématisme, voilà un ensemble de
traits qui caractérisent le platonisme médiéval » écrit A. Koyré1.
Mais Platon est difficile à comprendre, il suppose un niveau de
connaissances et de réflexion elevé, c'est pourquoi il sera plutôt vulgarisé,
commenté, ou trahi qu' étudié.
36 b) L'influence d'Aristote o Aristote aura plus de chance. Il est en
effet le seul philosophe grec dont l' œuvre entière est traduite, en arabe
d'abord, puis en latin. De plus elle est pédagogiquement efficace car Aris-
tote discute, il veut se persuader ... et de ce fait persuade. Même l'interdic-
tion dont il est frappé, dès 1210, par l'autorité ecclésiastique, n'empê-
chera pas la diffusion de son œuvre. Tout au plus sélectionnera-t-elle ses
lecteurs, un autre milieu que ceux de Platon : celui des universités. Il fau-
dra tout l'art d'un saint Thomas pour christianiser une doctrine si scien-
tifique et déjà si laïque. En effet la soif de connaître de l'aristotélicien
n'est pas tournée vers l'âme, mais vers l'extérieur. La perception première
est celle des objets naturels qui l'entourent. Ceux-ci font partie d'un
monde hiérarchisé, ordonné, composé de « natures », et la vérité des
choses repose en elle. Pour l'aristotélicien, le domaine du sensible est le
domaine propre de la connaissance primaire, pas de sensation, pas de
science, mais l'esprit de l'homme intervient et par l'abstraction il extrait
la forme de la matière 2 .
1. Op. cit., p. 26.
2. o. cit., p. 30.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 29

La nature, voilà le grand thème d'Aristote, et l'homme est une nature parmi
d'autres. Sans doute a-t-il une âme, mais aussi un corps... il est un homme ... un
animal rationnel et mortel. La pensée, le propre de l'homme, doit donc l'engager
tout entier et débuter par ce que lui permet son corps : la perception sensible, d'où
son intellect abstraira ensuite, par le raisonnement, la forme de la chose perçue.
Mais un problème demeure, comment une activité purement spirituelle peut-elle
appartenir à un être humain ? C'est grâce à « l'intellect agent» qui permet de
comprendre, comme la lumière permet à l'œil de voir. Le texte difficile à inter-
préter divisera les disciples d'Aristote en deux tendances: celle d'Averroès qui pri-
vilégie l'élément extérieur à l'homme, brise son unité et s'oppose de façon
camouflée à la religion, et celle de saint Thomas qui, élargissant pour les besoins
de sa démonstration la pensée d'Aristote, considère l'agent extérieur comme
venant de Dieu.
37 c) La querelle des universaux ◊ La grande querelle qui oppose au
Moyen Age les héritiers de Platon à ceux d'Aristote, est celle des univer-
saux. Elle fait suite aux controverses des philosophes sur les concepts.
L'idéalisme des platoniciens les conduisait à qualifier de réels, des
concepts qui en fait ne correspondaient pas à la réalité du monde sen-
sible. Tournés vers une recherche dialectique de l'intelligence, ils étaient
en fait peu portés vers l'empirisme et une conception expérimentale de la
science.
Les nominalistes, au contraire, visant une extension des concepts au
monde extérieur, cherchent la réalité dans l'observation des phénomènes.
38 Le développement des sciences ◊ Il ne faut pas confondre le déve-
loppement technique, réel au Moyen Age et le développement scienti-
fique. A. Koyré1 s'oppose aux affirmations de Crombie suivant lesquelles
la révolution méthodologique du xnf siècle aurait donné naissance à une
science nouvelle. Les inventions du harnais et du gouvernail arrière faci-
litent les communications, mais pas plus que l'art gothique, ils n'ont été
le résultat de théories scientifiques et ils n'en ont suscité. Cependant la
multiplication des encyclopédies est la preuve de l'intérêt que le
Moyen Age porte au domaine scientifique. A côté de l'aspect de compila-
tion, ou de recettes pratiques, se fait jour une recherche plus élaborée de
signification. Quelques esprits vont contribuer au progrès méthodolo-
gique.
RogerBaconnaquit à Oxford vers 1214. Son importance est contestée comme
le sera plus tard celle de son homonyme Francis. Sans doute trouvera-t-on dans
son œuvre à côté d'observations justes, des naïvetés et des contradictions nom-
breuses. Il faut reconnaître à son crédit, la place qu'il attribue à la méthode expé-
rimentale, même s'il ne la pratique pas lui-même et, fait plus remarquable
encore, celle qu'il accorde aux mathématiques qui doivent« porter la science à
son état de perfection ».
AlbertLe Grand naquit en 1206 en Souabe. Dominicain, il enseigna à Paris, à
Cologne et apparaît comme un des meilleurs commentateurs d'Aristote. Doué
d'un grand talent d'observation, il s'intéresse à la chimie, à la géologie,mais sur-
tout à la botanique et à la zoologie.
1. Op. dt., p. 42.
30 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

En astronomiede nombreux travaux préparent la révolution copernicienne,


tandis que les problèmes d'algèbre et de trigonométrie (repris aux Arabes)
donnent lieu à des défis que se lancent entre eux les savants européens.
L'alchimieelle-même se détache par certains côtés de la magie et devient expé-
rimentale, tandis que biologie et médecine grâce à l'autorisation de disséquer,
accordée par Rome, préparent les progrès de l'anatomie.
Signalons enfin en mécaniquel'importance de l'école des nominalistes
parisiens dirigés par le recteur J.Buridan, précurseur de Galilée, qui invente, à
propos des lois de la chute des corps et du mouvement, la notion d'impetus,éner-
gie inhérente au projectile.

§ 4. La Renaissance
3 9 Progrès et obstacles ◊ Au préjugé du Moyen Age barbare, correspond
souvent l'image d'une renaissance miraculeuse. Sans doute le fut-elle sur
le plan des lettres et des arts, non sur celui de la science. « La Renaissance
a été une des époques les moins pourvues d'esprit critique que le monde
ait connues», écrit A. Koyré1. C'est l'époque de la superstition la plus
grossière et la plus profonde, une époque où la croyance à la magie et à la
sorcellerie s'est étendue d'une manière prodigieuse. Elle était infiniment
plus répandue qu'au Moyen Age.
Une des explications proposées c'est qu'en détruisant la physique, la
métaphysique, l'astrologie aristotélicienne, les savants du xvf siècle ont
sans doute préparé le renouveau scientifique du xvif siècle, mais se sont
eux-mêmes trouvés sans cadre, sans critère pour juger du réel, du pos-
sible. D'où le foisonnement imaginatif accompagné d'une immense cré-
dulité. « C'est dans cette naturalisation magique du merveilleux que
consiste ce qu'on a appelé le «naturalisme» de la Renaissance2 ». La
rupture avec Aristote a libéré la Nature des quelques règles qui permet-
taient, quelque insuffisantes qu'elles fussent, de lui donner un sens; on
n'en a pas trouvé de meilleures et dès lors la nature redevient« l'univer-
selle magie de l'imagination populaire». Si la science d'Aristote se trouve
à cette époque d'accord avec l'état d'esprit des politiques et des théolo-
giens prêts à imposer une discipline, celle de l'école naturaliste fait mer-
veilleusement l'affaire, à la fois des esprits aventureux et de la masse.
Cependant en marge de cette exubérance, la science progresse grâce à
quelques grands esprits qui, les uns et les autres, vont saper la synthèse
aristotélicienne. Mais l'évolution ne suit pas une ligne droite, elle est faite
de quantités de contributions diverses.
Les P.rogrèsde l'astronomie achèvent le travail de démolition du «cosmos»
aristotelicien commencé par les philosophes (Nicolas de Cues). La terre était au
centre de l'Univers en vertu de la structure de cet univers. Avec Copernic(né en
Pologne, 14 73-1543) un principe et une force physiques se substituent à un lien
métaphysique et à une structure cosmique. La terre fait partie dorénavant d'un
univers unique non hiérarchisé.

1. Op. cit..
2. Op. cit.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 31

Kepler(1561-1630), lui, est un savant plus qu'un philosophe. En affirmant


que physique céleste et physique terrestre n'en font qu'une, il apporte l'idée neuve
d'un univers régi par les mêmes lois, de nature mathématique. Cependant, sa
conception encore animiste le rattache davantage à son époque que son contem-
porain Galilée. On étudiera celui-ci au XV11•siècle, auquel il appartient par son
modernisme.

40 Uonard de Vinci (1452-1519) ◊ Certains auteurs (P. Duhem,


1906) rattacheront Vinci au Moyen Age et le considéreront comme un
érudit, alors qu'à l'opposé, d'autres rappellent que ses contemporains
voyaient en lui un homme sans culture. Dans son cas il ne s'agit pas de
latin fleuri mais d'art et de science. Vinci est un artiste et un ingénieur
plus qu'un théoricien.
Malgré ses dons d'observation, son intérêt pour les solutions pratiques,
ce n'est pas un pur empiriste car il ne sous-estime pas la théorie. Gêné
par les abstractions, son sens du concret s'épanouit dans la géométrie,
mais là encore il se montre plus invent.eur que constructeur. En fait, son
génie est celui d'un technologue bien plus que d'un technicien. En tant
qu'artiste et savant, Vinci explique que la peinture, « la plus belle langue
de l'esprit, est le seul art capable de nous montrer les choses comme elles
sont». Pour la première fois dans l'histoire, le savoir par l'ouïe, c'est-à-
dire par les autres, est remplacé par la vision directe et l'intuition per-
sonnelle.
Cependant son goût de la rigueur lui permet de résister à l'ambiance de
son époque à laquelle il appartient tout de même par son humanisme,
son rejet de l'autorité et d'une conception chrétienne du monde.
41 Francis Bacon (1561-1626) 1 ◊ F. Bacon, baron de Verulam,
naquit à Londres. Les jugements sur l'importance scientifique de son
œuvre ont varié. A part ses compatriotes qui lui voueront une grande
admiration, il déçoit ses contemporains et leurs successeurs immédiats :
Descartes, de Mersenne, Hobbes et même Newton. Il semble en effet
paradoxal qu'en cette époque où les découvertes scientifiques se multi-
plient, celui qui sera considéré comme le fondateur de la science expéri-
mentale ne découvre ni loi, ni théorème. « Il promet tout et ne livre rien,
dit-on de lui, sa gloire est l'œuvre des historiens.» L'histoire commence
avec Leibniz qui voit en lui « un génie divin ».
Curieux homme que ce Bacon. Proche de la Renaissance par son côté
« touche-à-tout enthousiaste», tempéré par sa nature d'anglo-saxon pra-
tique, il sera à la fois historien, juriste, philosophe, savant et homme poli-
tique (chancelier d'Angleterre) d'une honnêteté douteuse puisqu'il fut
emprisonné pour ses indélicat.esses.
Quelle que soit la place qu'on lui attribue dans l'évolution des
sciences, on ne peut nier qu'avec lui l'atmosphère change. Il n'a sans
dout.e rien découvert, sa pensée est encore prisonnière de nombreuses
chimères, mais on lui doit quelques-unes des plus belles pages de la litté-
1. P. M. Schuhl (1949), G. Escat (1968).
32 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

rature scientifique et des réflexions, qui non seulement marquent une


rupture avec le passé, mais surtout préparent l'avenir.
42 a) La rupture avec le passé ◊ Le moins contesté des jugements por-
tes sur Bacon c'est qu'il est un antiscolastique. Que lui offre cette époque
de la Renaissance? D'une part une science théorique autrefois intou-
chable, portant sur une nature ordonnée, hiérarchisée, mais qui
commence à se lézarder: l'aristotélisme, d'autre part les divagations de
l'art des alchimistes, enfin des techniques artisanales.
43 L'unité de la nature ◊ En affirmant que la chaleur du soleil est la
même que celle de nos fourneaux, que« les forces du ciel (les naturalia)
sont de même nature que celles que nous manipulons sur la terre (artifi-
dlia) », Bacon unifie l'idée de nature, la désacralise.
Non seulement la peur de porter atteinte à l'œuvre du Créateur n'a plus de rai-
son d'être, mais encore écrit Bacon:« Il faut lutter contre le préjugé qui considère
que l'homme peut à la rigueur ajouter à la nature, mais non la transformer. »
Avec enthousiasme il va même découvrir une valeur morale dans cet intérêt :
« [ ...] cette ambition d'étendre l'empire et la puissance du genre humain tout
entier sur l'immensité des choses, cette ambition, on conviendra qu'elle est plus
pure, plus noble et plus auguste que toutes les autres, or l'empire des hommes sur
les choses n'a d'autre base que les arts et les sciences, car on ne peut commander
à la nature qu'en lui obéissant 1 ».
Le thème de la richesse de la nature est constamment évoqué. Comme le note
R. Lenoble2 toute l'œuvre de Bacon semble inspirée du fameux aphorisme de son
compatriote et contemporain Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et
sur la terre que dans toutes les philosophies. »
Mais pour connaître la nature, la pensée ne suffit pas, la réhabilitation
de la pratique s'impose et Bacon ne cessera de proclamer la nécessité de
l'union de la raison et de l'expérience.
44 Le rationalisme et l'empirisme o « L'empirique, semblable à la fourmi se
contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel
l'araignée ourdit des toiles, dont la matière est extraite de sa propre substance.
L'abeillegarde le milieu; elle tire la matière première des fleurs, des champs; puis
par un art qui lui est propre elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait
quelque chose de semblable. Notre plus grande ressource, celle dont nous devons
tout espérer c'est l'étroite alliance de ces deux facultés: expérimentale et ration-
nelle, union qui n'a point encore été formée 3 • »
Méprisant les expériences anti-scientifiques des alchimistes, Bacon sait
déjà que c'est avec sa raison que l'on expérimente. Il faut « quitter Vul-
cain pour Minerve 4 ».
45 La méthode ◊ Le titre même de l'ouvrage de F. Bacon: Organon, signi-
fie outil et traduit bien le but de l'auteur qui dans une curieuse utopie
égalitaire écrit : « de même que pour tracer un cercle, un bon compas dis-
1. R. Lenoble (1951), p. 129.
2. Op. dt..
3. Op. dt., p. 95.
4. F. Bacon, trad. 1943, Novum OrganumII 7.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 33

pense de l'adresse de la main, notre méthode d'invention dans les


sciences rend tous les esprits presque égaux et laisse bien peu d'avantages,
à la supériorité du génie 1 ». Bacon par méthode entend à la fois le retour
à l'expérience mais aussi la démarche positive de la pensée et les précau-
tions pour la protéger. « La vérité, écrit-il, survit plus aisément à l'erreur
qu'à la confusion 2 . » Ni empirisme sensible et désordonné, ni rationa-
lisme fermé. Contre ses prédécesseurs, Bacon affirme que la recherche ne
peut partir de la perception du particulier mais bien « des généralités
confuses du sens commun » pour observer les cas particuliers et revenir
dans la mesure du possible à une autre généralité, celle-là rationnelle et
ordonnée. Loin d'opposer induction et déduction qui jouent chacune un
rôle essentiel dans la méthode expérimentale, il déclare que« toute philo-
sophie naturelle solide et fructueuse emploie une double échelle; [ ...]
l'une qui monte de l'expérience aux axiomes (principes ou hypothèses),
l'autre qui descend des axiomes aux nouvelles inventions 3 ».
Bacon comme Aristote et même Descartes, souhaite des énumérations
les plus complètes possibles car il connaît bien les risques d'ex-
trapolations hâtives. La nature est à la fois « éparse » et « variée » tout en
formant une « unité » ou des « sommes». Comme tous les savants qui
l'ont précédé, il prêchera la nécessité d'une observation attentive, mais
insistera sur les exceptions, les exemples solitaires, les cas limites qu'il
appelle si joliment « les exemples clandestins» ou « du crépuscule».
Enfin sur l'importance de cette « expérience cruciale» si contestée en
physique:« Je les appelle ainsi, en empruntant le nom de ces croix qu'on
élève à l'entrée des chemins fourchus et qui indiquaient les lieux où
conduisent les deux routes 4.»
Il ajoute à ces impératifs de bon sens des considérations plus modernes
sur la nécessité d'écarter les quatre fantômes qui altèrent notre vision.
D'abord l'anthropomorphisme commun à tous les hommes, qui leur fait
croire que le sens humain est la mesure des choses alors que toutes les percep-
tions « sont construites à la ressemblance de l'homme, non à la ressemblance de
l'univers » ; puis les préjugés du milieu, fantômes évoqués par Platon dans le
mythe de la caverne : « Ils ont leur origine dans la nature propre de chaque indi-
vidu, l'éducation, les conversations, les lectures, les sociétés, l'autorité des per-
sonnes qu'on admire et qu'on respecte», les fantômes du commerce, car« les
hommes s'associent par les discours et les noms qu'on impose aux choses sont
proportionnés à l'intelligence du vulgaire». Enfin les fantômes qui amènent les
systèmes de philosophie à nous donner en une représentation totale et définitive
les mondes imaginaires sont de véritables « pièces de théâtre».
Sous ces formules imagées, nous trouvons déjà évoqués la pensée
socialisée, « l'ethos de classe» des sociologues contemporains et surtout
les « obstacles épistémologiques » dénoncés quatre siècles plus tard par

1. R. Blanché (1969), p. 39.


2. Novum OrganumII 20 in R. Lenoble (1957), p. 436.
3. (N. O. III 3) in R. Lenoble (1957).
4. In op. dt., p. 447.
34 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

Bachelard dont la belle formule:« Le réel n'est jamais ce qu'on pourrait


croire, mais il est toujours ce qu'on aurait pu penser», fait écho à l'in-
quiétude de Bacon : « les choses sont de telle nature qu'avant qu'elles
fussent découvertes, il était difficile d'en avoir le moindre soupçon 1 ».
46 f) La critique de la tradition ◊ Réhabiliter la pratique, faire
confiance à la raison, c'est diminuer le poids de la tradition. « Tout
homme suffisamment instruit doit user de son propre jugement» (De
Dign., I, p. 33). Bacon reprochera aux aristoteliciens de considérer
comme définitifs des principes rationnels qui correspondent simplement
aux connaissances scientifiques de leur temps, écrivant ainsi « la méta-
physique de leur insuffisance technique». Il s'attaquera à la fameuse dis-
tinction de la matière et de la forme, à celle classique des quatre éléments,
au mouvement circulaire des astres, bref, aux fameux principes à partir
desquels Aristote déroulait ses irréfutables syllogismes. Non qu'il nie la
valeur du raisonnement, il remarque simplement qu'il ne « lie pas la
nature», indiquant une fois de plus que la subtilité du discours ne peut
jamais égaler celle des opérations de la nature.
47 c) Le maintien de l'influence du passé◊ Moderne par quelques-
unes de ses intuitions, par la hardiesse réfléchie de sa pensée, Bacon
demeure tout de même encore marqué par l'influence d'Aristote (la théo-
rie du mouvement, et la théorie des quatre causes : matérielle, efficiente,
formelle, finale). L'importance accordée par Bacon à cette notion de
forme l'oriente vers des notions purement qualitatives: sympathies, affi-
nités, langage, fort peu scientifiques, où il est constamment question du
moyen d'atteindre la « nature des choses». Il nous donne de précieux
conseils certes pour définir des « natures », en utilisant ces trois fameuses
tables de présence, d'absence, de degrés. Mais nous sommes encore loin
des règles de Stuart Mill (concordance, différence, variations concomi-
tantes). Comme le remarque R. Lenoble, Bacon ne vise pas à travers les
causes efficientes à traduire des lois, mais seulement à établir des défini-
tions.
Il rêve d'écrire« une histoire des qualités elles-mêmes, qui constituent
proprement les forces de la nature et qui sont comme ses premières pas-
sions et ses premiers désirs 2 ». Peut-être le sens du concret, si remar-
quable chez lui, contribue-t-il aussi à le détourner des abstractions. Il ne
comprend pas l'importance des mathématiques, de ce qui permet de les
appliquer : la mesure et ses instruments. Il regrette que l'astronomie ne
présente que « l'extérieur des phénomènes célestes... la peau du ciel » au
lieu des choses telles qu'elles sont. Et s'il parle des instruments de
mesure: microscope, astrolabe, c'est en passant et pour indiquer que cela
« ne mène pas loin» (De Dign., II, Préface3).
Sur le plan de la méthode qui nous intéresse, Bacon méritait une place
particulière. Il avait dit lui-même que d'autres feraient ce qu'il n'avait pu
1. In op. cit., p. 431.
2. In op. cit., p. 444.
3. In op. cit., p. 445.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 35

faire ; ceci pourrait paraître banal mais ma nifeste, ce qui est neuf : la foi
dans le progrès, une pensée consciente de sa nouveauté et tournée vers
l'avenir.
Homme du passé par son dédain pour les mathématiques, son attache-
ment à une physique qualitative trop souvent mêlée de métaphysique, il
prépare la pensée moderne en préconisant l'union de l'expérience et de la
réflexion. Il a compris le sens du raisonnement inductif et donné une
valeur morale à l'observation de la nature. « Homme de transition, écrit
Lenoble, homme du XVIesiècle encore. D'un savant de la Renaissance, il
garde tous les caractères. Il est éclectique, curieux, tumultueux, et aussi
plein de confiance dans l'avenir 1.»

§ 5. Le XVIIe siècle
48 Le changement ◊ R. Lenoble note que l'apparition d'une doctrine
neuve dans les sciences est comparable à celle d'un type nouveau en bio-
logie, elle explose partout à la fois. Sans doute ceci provient-il du fait qu'il
n'y a pas ou peu de doctrines véritablement neuves, mais le plus souvent
des tendances, un glissement des théories elles-mêmes, mais aussi ou sur-
tout de ce qui les entoure. Les oppositions s'assouplissent. C'est ainsi que
le XVIIesiècle voit triompher les institutions et tendances novatrices du
siècle précédent
Les découvertes se multiplient dans tous les domaines de la science : loi de la
chute des corps et lunette astronomique (Galilée 1604 et 1610), circulation du
sang (Harvey 1628), expérience sur la pesanteur de l'air (Torricelli 1644), théorie
de la lumière (Newton 1670), microscope, calcul différentiel (Bernoulli 1690),
machine à vapeur (Papin 1690).
Le plus frappant, c'est l'apparition d'une mentalité scientifique
moderne, qui a permis de comparer ce siècle au nôtre pour son impor-
tance.
49 René Descartes (1596-1650) 2 ◊ Si certains sont victimes de
légendes, Descartes comme Bacon, a au contraire bénéficié, en France
surtout, d'une simplification flatteuse de ses conceptions et c'est à tort
qu'on le considère à l'origine du développement de la pensée moderne. Il
insiste sur la valeur des mathématiques non pour leur précision quantita-
tive, mais seulement pour la certitude et l'évidence de leur démarche.
Il cherche à prouver la validitéde la scienceet pose les questions laissées
en suspens par Aristote et ses successeurs : Comment concilier l'univers
quantitatif et la perception qualitative ? Qui nous dit que nos représenta-
tions s'accordent avec les choses et que le monde est intelligible? Il ne
donne pas de justification scientifique mais une réponse métaphysique:
la raison s'accorde aux choses parce que toutes deux sont l'œuvre de
1. Op. dt., 451.
2. Op. dt., p. 477.
36 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

Dieu. L'évidence, critère de la vérité, apparaît à l'esprit, dégagé du sen-


sible. La base de la science n'est donc pas expérimentale. Pourtant si les
commentateurs de Descartes ont vu en lui un précurseur, c'est qu'à côté
de ces affirmations théoriques, il pratique lui-même le raisonnement
expérimental. Il suggère même de détacher la physique de la méta-
physique, d'une part en reconnaissant la valeur de l'hypothèse: adoption
d'un système hypothético-déductif, d'autre part en le justifiant par ses
conséquences expérimentales.
« Et on ne doit pas imaginer que je commette en ceci la faute que les logiciens
nomment un cercle; car l'expérience rendant la ~lupart de ces effets très certains,
les causes dont je les déduis ne servent pas tant a les prouver qu'à les expliquer ;
mais tout au contraire, ce sont elles qui sont prouvées par eux 1 . » De cette liberté
rendue à la physique vont profiter les successeurs de Descartes. Malebranche
(1638-1715) qui prêche le retour au concret et surtout Huyghens (1629-1695)
physicien au sens le plus moderne du terme.
50 Blaise Pascal (1623-1662) ◊ On doit retenir en ce qui concerne la
méthode, l'insistance de Pascal sur la valeur des expériences : « véritables
maîtres qu'il faut suivre dans la physique 2 » et la nécessité de distinguer
divers aspects de la preuve. « De sorte que pour faire qu'une hypothèse
soit évidente, il ne suffit pas que tous les phénomènes s'ensuivent, au lieu
que s'il s'ensuit quelque chose de contraire à un seul des phénomènes,
cela suffit pour assurer de sa fausseté3. »
51 Isaac Newton (1642-1727) ◊ Il clôt le XVlle siècle, mais surtout
debute le XVllf. Moderne, Newton l'est par le lien qu'il établit entre les
mathématiques et la méthode expérimentale. Les cartésiens sont opposés
à l'idée de gravitation parce que pour eux elle est inintelligible. Pour New-
ton, il suffit que l'expérience atteste le principe. Comme le note R. Blan-
ché : « Newton n'a pas découvert la gravitation céleste en ce sens qu'il en
aurait eu le premier l'idée, il l'a découverte en ce sens qu'il a le premier
réussi à la mathématiser et à la soumettre ainsi à un contrôle expéri-
mental précis 4 . » Mais une fois de plus, on constate les déformations de
l'histoire. Les scrupules scientifiques de Newton, sa volonté de raisonner
sur les phénomènes sans le secours d'hypothèses imaginaires, de déduire
les causes des effets jusqu'à ce que l'on soit parvenu à la cause première;
de considérer les certitudes expérimentales comme seules garantes de la
vérité, son célèbre: « je ne fais pas d'hypothèse», ont amené les positi-
vistes à l'annexer. Il est involontairement responsable de l'aversion du
XVllf siècle pour les théories et les hypothèses. Pourtant sa physique
demeure elle aussi liée à une théologie et Newton lui-même est plus
croyant que Descartes.
La science newtonienne est plus philosophique que scientifique. Comme le dit
R. Blanché : La physique de Newton procède de façon analytique partant des phé-
1. In R. Blanché (1969), p. 70.
2. Op. dt., p. 56.
3. Op. dt., p. 63.
4. Op. dt., p. 85.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 37

nomènes pour remonter à Dieu, tandis que Descartes procédant déductivement


allait de Dieu au monde [ ...] Le Dieu invoqué par Descartes pour fonder sa phy-
sique est un foyer d'intelligibilité, une lumière, le Dieu auquel conduit la physique
de Newton est une puissance, une force qui se manifeste ~ des actions contin-
gentes et irrationnelles que seule l'expérience peut nous revéler1.
52 Galileo Galilei (1564-1642) ◊ Professa d'abord à Pise puis devint
mathématicien et ingénieur du cfuc de Florence. Il réparait les sonnettes
du palais et surveillait dans les jardins les canalisations utilisées les jours
de grandes eaux. Il est heureux qu'il ait eu le temps de penser à autre
chose. Nous sommes bien dans la tradition physique (et aquatique!) de
celui qu'il admirait tant : le divin Archimède.
Comme Bacon, il s'attaquera au conformisme intellectuel des héritiers
d'Aristote. « Jamais autant que possible je ne poserai des affirmations de
principe comme vraies. Cette méthode-là est celle que m'ont enseignée
mes mathématiciens» (Démocrite et Archimède) et il s'en prend à ceux
« qui ne savent jamais rien par les causes, mais croient seulement par la
foi, sur cette raison précisément que c'est Aristote qui l'a dit 2 ».
Rejet des principes, recours à l'expérience, Galilée renforce la tendance
la plus moderne, mais il est deux points sur lesquels il se montre vrai-
ment un novateur en particulier par rapport à Bacon; c'est d'abord l'idée
de distinction entre le réel et le sensible. Car le danger qui va longtemps
freiner le développement de la physique moderne c'est comme nous le
verrons la confusion dans l'observation ou mieux dans l'expéri-
mentation, entre la notion scientifique d'objectivité et l'évidence du sens
commun.
Si Galilée prêche le retour à l'expérience ce n'est pas pour y retrouver
les fameuses «qualités» de Bacon, car pour lui la science est quantita-
tive : « La première est écrite dans un grand livre qui se tient toujours
ouvert devant nos yeux, mais on ne peut le comprendre si d'abord on ne
s'applique à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec
lesquels il est écrit. il est écrit dans la langue mathématique, et les carac-
tères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques 3 • »
Bien plus ces fameuses qualités dépendent de la quantité des mouvements
invisibles de la matière elle-même que l'on peut calculer grâce à des indivisibles.
Par une intuition géniale, Galilée relie la physique des atomes à la théorie mathé-
matique, franchissant de Démocrite à Einstein un fossé de 20 siècles. Comme
l'admet Cournot: « grâce à Galilée on sait enfin que mettre sous le terme de
« matière » dont on avait parlé si longtemps et que tant de philosophes du
xvr•siècle employaient encore à l'aventure. Et la notion de forme fit place dans la
science à celle d'équilibre mathématique 4.»
Connu par ses études sur le mouvement, sur la chute des corps, par
d'innombrables réflexions sur les problèmes philosophiques les plus
1. Op. dt., p. 91.
2. Opere di Galileo Galilei in R. Lenoble (1957), p. 460.
3. In op. dt., p. 463.
4. In op. dt., p. 464.
Husserl reprochera à Galilée d'avoir éliminé les qualités de l'objet et l'acte du sujet. Cf. « La crise
des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale». Trad. Étudesphilosophiques n• 4,
1949.
38 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

divers, Galilée sera, pour la postérité, l'homme condamné par Rome pour
avoir affirmé « que le soleil est le centre de l'Univers, qu'il ne se meut pas
d'Orient en Occident, que la terre se meut et n'est pas le centre du
monde » ce qui est contraire à !'Écriture et « insensé et absurde en philo-
sophie».
On sait moins que le procès de Galilée n'a pas ému l'opinion de son époque,
ni gêné la diffusion de ses idées. Mais l'histoire a besoin d'exemples et d'idées
simples. La lutte de la science, de la liberté et de la vérité contre l'autorité et l'obs-
curantisme, voilà ce qui reste du procès de Galilée.)..es belles études de Koyré cor-
rigent cette image 1. Dans ce procès intenté par l'Eglise, elle était sur le plan des
idées, défenderesse comme diraient les juristes. Au demandeur d'apporter les
preuves. Car si Galilée avait raison comme la suite devait le montrer, il ne le
prouvait pas ou plutôt les preuves qu'il avançait étaient fausses ou invérifiables. A
cette époque la physique de Galilée : l'héliocentrisme, paraissait absurde par rap-
port au critère de vérité que constituait : « la raison naturelle », mélange de révé-
lation, de doctrine, d'autorité des grands penseurs, et d'habitudes. Accepter de
faire du soleil le centre du monde, c'était faire basculer tout l'Univers, traiter la
Terre en planète parmi d'autres, b~ef renoncer à cette hiérarchie de la nature,
principe d'ordre fondamental, or l'Eglise ne se situe pas sur le plan de la science
mais sur celui des principes 2 •
Alors soyons justes et reconnaissons les risques courus par les juges. Ils
devaient trancher, sans preuves suffisantes, un problème remettant en
cause non seulement des connaissances, mais tout un équilibre : la
conception du monde, la démarche de la pensée, sans parler du halo
d'images sensibles mais aussi affectives: l'image du Cosmos, de la terre,
l'idée que chacun en avait 3. Comme l'écrit R. Lenoble, dans l'affaire Gali-
lée: « Il s'agit non comme on le croit d'un simple épisode de la lutte de
l'intelligence contre la bêtise, mais d'une « grande cause» parce qu'elle
tendait à un drame de l'esprit... Si l'on comprend que les savants aient
tout risqué pour les progrès de leur technique, il faut aussi comprendre
que les hommes d'une autre formation et sur lesquels pesaient de lourdes
responsabilités, n'aient pas osé tenter l'aventure ... A trop simplifier le
debat on perd jusqu'à la perception exacte de ce qui fut le premier acte de
« la crise de conscience européenne 4. [...] Deux époques se heurtent et
non pas seulement des hommes; voilà pourquoi ce procès allait prendre
un jour la valeur d'un symbole 5 . »

§ 6. Bilan du développement
de la pensée scientifique
53 1 ° Les obstacles aux progrès des sciences ◊ Les sciences ne se déve-
loppent pas dans un vide social. Si elles influencent les progrès de l'esprit
1. A. Koyré (1966).
2. De la même façon bien qu'avec plus de prudence, elle condamne les moyens anti-
conceptionnels, non en se limitant au plan éthique ou au plan médical, mais en se référant à une
notion de nature imprécise et sujette à évolution.
3. H. Védrine (1976).
4. R. Lenoble (1957}, p. 476.
5. Op. cit., p. 471.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 39

humain et modifient par leurs conséquences techniques les civilisations,


elles-mêmes naissent à un moment donné de l'histoire, elles utilisent les
moyens d'expérience et de réflexion que leur offre leur époque et se
heurtent comme nous l'avons dit aux obstacles philosophiques, religieux,
politiques ou sociaux que celle-ci leur oppose.
Certains s'étonnent que l'humanité ait mis si longtemps pour étudier
la nature de façon scientifique. C'est que le véritable esprit scientifique
consiste, on ne le répétera jamais assez, à poser« les bonnes questions».
Or les Anciens étaient d'une part gênés par l'insuffisance de leurs moyens
d'observation mais surtout par les obstacles « épistémologiques » liés au
mode de pensée réaliste ou ontologique des aristotéliciens, en même
temps qu'archaïque, magique ou mystique, mentalité qui, il faut bien le
dire, empêchait justement de ressentir le besoin d'instruments précis.
54 a) L'insuffisance des moyens d'observation ◊ Lorsqu'il s'agit des~diffi-
cultés rencontrées par exemple au Moyen-Age, on invoque l'autorité de l'Eglise,
mais il est d'autres éléments sans doute moins connus qui ont constitué des obs-
tacles aussi considérables. Ce sont d'une part l'absence du calcul, car l'usage des
chiffres arabes n'est pas généralisé, d'autre part l'absence d'instruments d'obser-
vation et de mesure 1.En 1647 Mersenne faisant des expériences sur la chute des
corps s'indigne de ne pouvoir mesurer avec précision les temps de chute, faute de
synchronisation des pendules. Au Moyen Age chacun vit dans une exactitude très
relative, même le commerçant qui pourtant calcule et mesure. En dehors du
négoce soumis au chiffre, la véritable réflexion est d'ordre philosophique. Il fau-
dra attendre Bacon, Descartes, Pascal, pour réhabiliter l'expérience scientifique et
ce qu'elle implique d'humble rigueur.
Malgré ces obstacles, le XVIIesiècle marque tout de même un progrès
considérable. Galilée en est le symbole. Il est anti-magique et sans doute
le premier à avoir cru que les formes étaient réalisées effectivement dans
le monde. L'expérimentation est pour lui une question posée à la nature
dans un langage mathématique et géométrique. Enfin il créé les premiers
véritables instruments scientifiques compléments de ses recherches.
5 5 b) Les obstacles philosophiques et sociaux. Le primat de la
théorie sur la pratique ◊ Comme l'a dit P.M. Schuh1: « L'existence
de l'esclavage [ ...J entraîne une hiérarchie particulière des valeurs provo-
quant le mépris du travail manuel. L'idéal du sage est la réflexion et la
contemplation 2. » Après l'abolition de l'esclavage, le travail, signe de la
condamnation d'Adam, aura de la peine dans l'Europe chrétienne à se
réhabiliter. Il faudra attendre Bacon pour que soit avancée l'idée de
féconder l'une par l'autre la réflexion et la manipulation.
5 5-1 c) Le respect de la nature ◊ Le goût de la recherche scientifique
implique la volonté de mettre la « nature à la question», de la violer,
pour finalement la modifier. Or le respect de la nature, œuvre de Dieu,
1. Que l'on songe à la difficulté que l'on éprouve aujourd'hui à obtenir des observations précises
et l'on imaginera l'effort à acomplir pour envisager la notion d'exactitude à une époque où rares
étaient les possesseurs de montres. En 1564 Viret parle de ces coqs que les gens d'armes emportent
avec eux «lesquels de nuit leur servent d'horloge» in Koyré (1973), p. 373.
2. P. M. Schuhl (1947).
40 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

rend suspecte tout.e int.ervention. Un exemple moins connu que la


condamnation de Galilée, illustre cett.e affirmation, c'est l'invention des
lunettes, ou plus exactement des lentilles dont l'usage fut condamné pen-
dant plus de trois siècles.
Une légende historique 1 veut que les lunettes aient été découvertes vers 1285
par hasard, par un maître verrier âgé qui, vérifiant des disques de verre, s'aperçut
qu'à travers eux les objets lui paraissaient aussi nets et distincts que dans sa jeu-
nesse. Mais il se heurta à l'opposition des savants, toujours méfiants en ce qui
concerne les illusions de la vue. Trois siècles plus tard, même opposition pour la
lunette« instrument trompeur qui ne fait pas voir la vérité». Galilée, qui préfé-
rait lire dans le livre de la nature, plutôt que dans ceux de ses maîtres, comprit dès
1609 l'intérêt de ce nouvel instrument qu'il perfectionna pour en faire cette
« machine à défoncer le ciel», grâce à laquelle il révolutionna l'astronomie en
découvrant: la Voie Lactée, le satellite de Jupiter, les phases de Vénus. Mais sur-
tout il défonça le système de Ptolémée en reléguant l'humanité sur cette petite
planète comme les autres: la Terre.
« Comme vous ririez, écrivait Galilée à Kepler, si vous pouviez entendre les
plus considérables philosophes de notre école, s'efforcer de supprimer du ciel les
nouvelles planètes par des arguments logiques, comme si c'étaient des paroles
magiques... Cette sorte d'homme croit que la philosophie est un livre[ ...] et que
la vérité doit se chercher non dans le monde ou dans la nature, mais par la
comparaison des termes 2. »
56 d) La mentalité préscientifique ◊ La Renaissance a marqué une
réaction contre l'esprit scolastique et l'attitude réaliste et ontologique des
aristotéliciens, mais ce siècle était dans l'ensemble peu scientifique.
Bacon, pourtant novateur, fait figurer la magie dans la classification des
sciences et Descartes dut lutter contre les Docteurs de la Sorbonne autant
que contre les alchimistes.
L'observation n'est plus celle de l'esprit curieux, elle devient scientifique
et éloignera le physicien du philosophe pour le rapprocher de l'artisan et
de l'ingénieur. Les instruments d'observation qui deviendront d'un usage
courant seulement au XVIIIesiècle, se perfectionnent, facilitant la précision
et la mesure. Les degrés de température se substituent au chaud et au
froid.
L'hypothèse se détache de l'imagination, de la fiction, ou même des
postulats, pour devenir ce que Blanché appelle« l'hypothèse conjecture»,
liée à l'expérience qui prouvera sa vérité ou sa fausseté. Attitude qui
entraîne une nouvelle façon de concevoir.
Le raisonnement.Aristote, lui, s'intéresse surtout à la cohérence for-
melle, à la déduction et à l'induction (généralisation à partir des faits). La
science moderne se distingue non par un refus de l'une et l'autre, mais
par sa façon d'utiliser ces deux formes de raisonnement. Elles ne se
situent plus sur le plan de la pure logique, mais sont liées à l'expérience.
L'induction des savants s'ajoute à celle des logiciens. Il ne s'agit plus sim-
plement de généraliser une observation : je vois tomber cette pierre, donc
1. V. Ronchi (1959), pp. 142-158.
2. R. Blanché (1969), p. 8.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 41

toutes les pierres tombent, mais de trouver la formule de la chute des


corps. Parallèlement à l'importance croissante accordée au contrôle de
l'expérience, se transforme la notion de probable;pour les scolastiques,
équivalent de prouvable: le résultat de leur argumentation. L'intérêt
porté au calcul des probabilités (cf. Pascal, Montmort 1678-1719) signi-
fie comme le dit Blanché « que le probable devient le possible, numé-
riquement quantifié ».
5 7 2° Les progrès de l'esprit sdentifique. a) Le rejet de l'auto-
rité ◊ C'est le plus frappant Cette revendication d'indépendance vis-à-
vis des Anciens apparaissait déjà chez les novateurs du siècle précédent,
mais à titre individuel. La majorité des savants cette fois la réclament. On
peut même dire qu'elle va au-delà d'un simple besoin de liberté. Si l'on
revendique celle-ci c'est parce que l'on croit en la raison, surtout parce
que l'on croit au progrès et qu'on en prend les risques. Il y a sur le plan
scientifique, dans ce xvif siècle, par ailleurs ordonné et rationnel, une
sorte d'allégresse qui, au XVIIIe siècle atteindra la société tout entière.
Bacon écrivait déjà : « La vraie nature ne nous est pas donnée au principe
de nos recherches, elle est à conquérir comme le terme final, mais tou-
jours fuyant de la science. »
La science n'est ni un acquis définitif, ni une initiation confidentielle à
l'interprétation des textes sacrés. La vérité est une conquête et le savant
n'est plus celui qui sait, mais celui qui cherche. Pour faire accepter cette
idée, de nombreuses citations de l'époque insistent sur la continuité
nécessaire avec le passé.« Il est bien facile et même nécessaire, écrit Mer-
senne, de voir plus loin que nos devanciers, lorsque nous sommes montés
sur leurs épaules 1. »
b) L'institutionnalisation. A la fois conscients des progrès accomplis
et confiants dans leurs propres capacités pour en accomplir d'autres, les
savants du xvif siècle voient les mérites de la science officiellement recon-
nus. Le groupe des « virtuosi » disciples de Bacon, obtient en 1662 le
droit de constituer la « Royal society of London for improving natural
knowledge ». Colbert crée en 1666 l'Académie des Sciences dont Fonte-
nelle sera nommé l'historiographe.
58 c) La notion d'expérience et de méthode expérimentale ◊ Alors
qu'au Moyen Age on distinguait la science, « l'intelligible en soi» et la
technique, avec ses applications pratiques, l'expérimentation devient au
XVIf siècle la science elle-même. Il faut bien ici s'entendre: les savants ont
toujours fait des expériences. Mais pour la science moderne, il ne suffit
pas de constater des phénomènes ni même d'en organiser dans un labo-
ratoire, ce n'est pas entre l'expérience spontanée et l'expérience provo-
quée que se situe la différence, mais dans une nouvelle attitude d'esprit Il
s'agit d'une façon d'interroger les faits, de raisonner sur les résultats,
comme devait l'écrire C. Bernard, de concevoir les deux fonctions de
l'expérimentation : la naissance de l'hypothèse et son contrôle.
1. Cité in R. Lenoble (1957), p. 498.
42 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

59 d) La mathématisation ◊ C'est sur ce point que se situe la vraie cou-


pure entre le xvif siècle et le Moyen Age. En accord avec Aristote, les
médiévaux distinguent les mathématiques concernant les choses idéales
et la physique qui traitait des choses réelles. Galilée proclame : « Il faut
mathématiser la nature. »
L'Antiquité connaissait le poids, la longueur, parce qu'ils corres-
pondent à nos sens. La masse et l'énergie ne se perçoivent pas. Pour
mathématiser, encore fallait-il accepter l'identité de l'abstraction avec la
réalité, se défaire de la croyance spontanée dans l'évidence et le sensible.
« Le passage à la science moderne, écrit Blanché 1 , suppose une vraie
révolution mentale [ ...], la substitution à l'espace concret de la physique
prégaliléenne, de l'espace abstrait, de la géométrie euclidienne. » Ceci
implique le bouleversement de l'idée même de réalité et de celle d'ob-
jectivité.
60 e) La réalité et l'objectivité ◊ La réalité, pour Platon, intelligible
comme un reflet de« l'en-soi», devenait au Moyen Age, reflet de Dieu.
Au xv1f siècle la science se sépare de la métaphysique, le but de la
connaissance se modifie. Le réel existe mais n'est plus l'affaire du savant
Comme l'écrit Mersenne : « Lesconcepts scientifiques, les fameux universaux
de la scolastique, ne sont ~as le réel mais ce qu'une époque donnée a pensé du
réel. Si on les croit acheves, on bloque la recherche et ils deviennent alors les
asiles de l'ignorance 2. » La vérité scientifique va se définir par la possibilité d'orga-
niser les faits dans un système de lois.

61 f) La notion de causalité ◊ Elle exige une nouvelle définition. Se


éfétachant de la métaphysique, elle devient le rapport constant qui unit
deux phénomènes donnés empiriquement, sans rechercher d'où ils
viennent. Ainsi se dissocient les deux composantes du réel: le donné
concret immédiat, ce qui tombe sous nos sens et se trouve au point de
départ de notre connaissance de la nature, et ce qui existe en dehors de la
perception que nous en avons: le monde« objectif», but de la connais-
sance scientifique. « Entre le concret et l'objectif, il faut désormais choi-
sir. Le réel du physicien ne peut plus être le même que celui du sens
commun 3 • »

§ 7. le XVIIIe siècle
62 1 ° La vulgarisation de la sdence ◊ Sur le plan scientifique le xvi1f
siècle est newtonien. Malgré quelques opposants : les philosophes Leibniz
(1646-1716) et Berkeley (1685-1753), la science de l'époque se méfie
des systèmes et cherche à découvrir les lois des phénomènes. D'Alembert
(1717-1783) dans son discours préliminaire de }'Encyclopédieparle de
1. R. Blanché (1969), p. 24.
2. In R. Lenoble (1957), p. 482.
3. R. Blanché (1969), p. 26.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 43

ces « conjectures frivoles qu'on honore du nom de système ». L'expéri-


mentation triomphe. C'est au~ siècle qu'il appartiendra de remettre en
question ce triomphe. Le XVIIIesiècle lui, semble plutôt se griser des succès
de la science. Il fait des bilans et les premières histoires des sciences appa-
raissent
Les découvertes se multiplient dans tous les domaines. En mathématiquesBer-
noulli (1654-1705) écrit le premier traité sur le calcul des probabilités (1713),
d'Alembert (1717-1783) sur la systématisation de la mécanique. Euler (1707-
1783) découvre les principes généraux du mouvement des fluides (1755).
En physique et chimie, Fahrenheit (1686-1736) précise les règles pour la
construction du thermomètre, Franklin (1706-1790) invente le paratonnerre
(1747), Pierre Leroy (1717-1785) le chronomètre de précision (1772), Priestley
(1733-1804) découvre l'oxygène (1774). Les frères Montgolfier réalisent la pre-
mière ascension (1783), Lavoisier (1743-1794) écrit (1789) le premier traité élé-
mentaire de chimie.
En astronomie,W. Herschel (1738-1822) fondateur de l'astronomie moderne
découvre Uranus (1781).
Les sciences physiques ne sont pas seules à évoluer. Les progrès en sciences
naturelles sont aussi importants. Carl von Linné (1707-1778), naturaliste sué-
dois propose un code, une classification correspondant à l'ordre naturel « ins-
tauré par le Souverain créateur». Le lien est maintenu entre Dieu et la nature
mais celle-ci devient peu à peu, surtout à la fin du xvuf siècle, l'objet de la science
seule. De la même façon, !'éthologie 1 n'est plus constituée d'une suite d'anec-
dotes et devient une science rigoureuse.
Buffon (1701-1788) s'opposera à la classification linnéenne qu'il juge arbi-
traire et mal fondée. De la même façon il critiquera l'usage des mathématiques
« appliquées à des objets encore mal connus». Au-delà de ces oppositions, on
observe cependant une attitude commune moderne : ne tenir pour vrai que ce qui
peut être vérifié et une démarche semblable : la quête d'une explication globale de
l'évolution de la nature et de la place des hommes dans leurs rapports avec elle. La
découverte des mondes nouveaux qui fera progresser !'éthologie (cf. n° 172)
jouera un rôle important « dans la transformation progressive de l'histoire natu-
relle en une sorte d'économie politique de la nature, prémice de l'écologie2 ».
Galvani (1737-1798) poursuit ses expériences sur l'excitabilité des muscles
des grenouilles et Wolff (1738-1794) est le précurseur de l'embryologie moderne.
A côté de cette science fondée sur une méthode expérimentale rigou-
reuse et qui poursuit les conquêtes du xvif siècle, se multiplient des expé-
riences que l'on peut qualifier de mondaines. Le XVIIe siècle se heurtait à
l'alchimie, la vraie science est au XVIIIesiècle victime de la vulgarisation et
de la déformation de ses propres découvertes 3 •
63 2° Les obstacles au développement. a) La contre-pensée ◊ Dans
la formation de l'esprit scientifique, G. Bachelard affirme que c'est en
termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance:
1. Éthologie. A l'origine science des ma:urs, des organismes, de leurs besoins vitaux et de leurs
relations avec les autres organismes (biocenose, symbiose, parasitisme) aujourd'hui signifie seule-
ment étude du comportement animal et de ses causes.
2. J.-P. Deleage (1992), p. 37.
3. C'est à un phénomène, d'une certaine façon analogue, que nous assistons aujourd'hui dans
les sciences humaines (cf. sondages, tests, dynamique de groupe).
44 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

« L'historien des sciences doit prendre les idées comme des faits. L'épisté-
mologue doit prendre les faits comme des idées en les insérant dans un
système de pensée. Un fait mal interprété par une époque, reste un fait
pour l'historien. C'est au gré de l'épistémologue un obstacle, c'est une
contre-pensée 1 . » Ces contre-pensées, ce sont les idées toutes faites, les
préjugés, les fausses évidences : Je soleil se lève, la terre est plate ... et pour-
quoi pas, aussi bien, les nègres sont paresseux et les femmes bavardes.
63-1 b) L'expérience première ◊ Les sciences du XVIIIesiècle font appel à
l'expérience quotidienne. La pensée préscientifique est entrée dans le
siècle comme une distraction, non comme une réflexion véritable. La
facilité, le pittoresque, gages de succès, suppriment la recherche, le sens
du problème. Tout homme cultivé s'intéresse à la science, surtout lors-
qu'elle permet comme l'électricité, quantité d'expériences qui amusent
les gens du monde : araignée électrique, baiser électrique, etc.
L'aspect scientifique construit, réfléchi, de l'expérimentation, s'efface
devant l'inusité, le sensationnel.
64 c) La connaissance générale ◊ D'Aristote à Bacon la généralisation,
l'induction sont considérées comme scientifiques. Or « ces lois générales
définissent des mots plus que des choses». Après avoir été attiré par le
singulier (premier obstacle), l'esprit est tenté par l'universel (second obs-
tacle). Ce sont, nous l'avons vu les deux aspects du concept: compréhen-
sion et extension. Mais si l'un et l'autre bloquent la pensée, d'où viendra
le progrès?«[ ...] la richesse d'un conce~t scientifique, écrit Bachelard, se
mesure à sa puissance de déformation . » La science ne trouve pas les
objets tout faits, elle doit constamment rectifier, compliquer l'idée qu'elle
se fait des choses. « Le physicien essaiera de compléter le phénomène, de
réaliser certaines possibilités que l'étude mathématique a décelées [ ...] Ce
qui retient son attention ce n'est plus le phénomène général, c'est Je phé-
nomène organique, hiérarchique, portant la marque d'une essence et
d'une forme et en tant que tel perméable à la pensée mathématique 3 • »
Toute généralisation hâtive détourne de la voie patiente de l'expérience.
Bachelard donne l'exemple de concepts issus de ce genre de l?rocédé.Lacoagu-
lation qui amène à la congélation et par des analogies, aboutit a des affirmations
sans fondement sur l'identité du lait, du sang, de l'eau et même de la sève des
arbres. De la même façon le concept de fermentation suggèrecelui de digestion et
de mouvement... secouez donc les nourrissons après chaque tétée I Enfin un seul
mot sert d'explication à toute une série de phénomènes: c'est le cas de l'éponge
qui donne lieu à des raisonnements étranges concernant l'air (Réaumur), l'e1ec-
tricité (Franklin), la terre, etc. Alors que dans la mentalité scientifique l'analogie
peut servir à illustrer une théorie et intervient après, elle joue avant, on pourrait
presque dire « à la place de», dans la mentalité préscientifique.
La généralisation est souvent accompagnée d'un besoin d'unité : la
nature ne peut être hostile. L'homme du XVIIIesiècle l'aime plus qu'il ne
1. G. Bachelard (1960), p. 17.
2. Op. cit., p. 61.
3. Op. cit., p. 65.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 45

cherche à la domestiquer. La concision du langage scientifique ne s'est


pas encore imposée et les commentaires littéraires survalorisent, les bons
sentiments aidant, les soi-disant découvertes. Les livres accumulent une
érudition non sélectionnée, foisonnant dans toutes les directions. « Toute
pensée non scientifique, a écrit Bachelard, est une pensée surdétermi-
née 1 . »
65 d) Le substantialisme et l'animisme o Nous trouvons, dans l'importance
accordée à l'aspect qualitatif des choses un héritage de l'alchimie. Le phénomène
tel qu'il est perçu par nos sens est pris comme signe d'une propriété qui explique
tout. Le feu électrique est substantiel, il est« glutineux, onctueux, tenace». Cette
accumulation d'adjectifs caractérise le procédé substantialiste dont Bachelard
pense que l'explication se trouve dans l'inconscient. Ce procédé utilise le symbole
ou l'image. La science moderne aussi invente des images parfois utiles, mais elles
peuvent bloquer la réflexion : c'est ainsi que Fresnel a retardé la découverte de la
relativité. la tendance à glorifier la vie, la vitalité, à privilégier les explications de
type biologique, constitue l'obstacle animiste. Le flux vital est une explication
commode souvent utilisée, qui n'explique rien 2 •
La vulgarisation, revers du succès de la science contre « l'obscuran-
tisme», a permis l'extension d'une mentalité qui se croyait scientifique
alors qu'elle accumulait des contre-pensées. Sans doute est-ce une des
raisons du retard pris par la chimie. Les caractères de rigueur et de diffi-
culté, propres à la physique, protégeaient mieux celle-ci contre les
engouements dangereux.
66 Bibliographie ◊
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1. Op. dt., p. 89.


2. Cf. les sarcasmes de J. Monod (1970) dans Le hasardet la nécessité
contre Bergson et Teilhard
de Chardin.
46 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

EVANS-PRITCHARD (E.) - 1951, trad. (1969). Anthropologiesodale, Payot,


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SECTION3. LA SCIENCE
DU XIXe SIÈCLE A NOS JOURS
§ 1. Le x1r siècle
67 Les oppositions théoriques ◊ Après le triomphe de la méthode expé-
rimentale au xvrnesiècle, il appartient au ~ siècle, avons-nous dit, de se
poser à son sujet de nouvelles questions. L'ambiguïté de la notion de
méthode : discipline intellectuelle ou ensemble de procédés techniques,
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 47

prête à des conceptions différentes. Suivant que l'on insiste sur l'état d'es-
prit qu'anime l'expérimentation ou les règles qui la régissent, on adopte
un point de vue différent sur les buts de la science, le rôle de l'hypothèse,
celui des théories et la signification des lois.
Pour les uns, dit R. Blanché, il ne s'agit pas de comprendre mais seule-
ment de connaître. « [ ...] l'aptitude à la prévision est le but dernier de la
science, la possibilité de la vérification, son exigence première. Tout le
reste est métaphysique». Pour d'autres, plus fidèles à l'inspiration carté-
sienne, « le but dernier de la science est d'atteindre par-delà la prévision
des phénomènes leur explication 1 . » Les deux courants sous des formes
plus ou moins complexes ont partagé la pensée occidentale à travers l'his-
toire.
Sur le plan philosophique,la première tendance s'appelle le positivisme,
la deuxième rallie ce qui lui est opposé.
Sur le plan scientifique,la première est liée à l'énergétique, la deuxième
au mécanisme 2 .
68 Positivisme et scientisme. a) Auguste Comte (1798-1857) ◊ C'est
le plus illustre représentant du positivisme. D'après lui, le caractère
fondamental de la philosophie positive est « de regarder tous les phé-
nomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables 3 ».
Il assigne un rôle restreintaux hypothèsesqu'il distingue en deux classes : « Les
unes jusqu'ici peu multipliées sont simplement relatives aux lois des phéno-
mènes, les autres, ... concernant la détermination des agents généraux auxquels
on rapporte les différents genres d'effets naturels... les premières sont seules
admissibles ; les secondes, essentiellement chimériques ont un caractère anti-
scientifique et ne peuvent désormais qu'entraver radicalement le progrès réel de la
physique bien loin de le favoriser. » Pour lui, « la vraie théorie relative à l'institu-
tion des hypothèses est que toute hypothèse scientifique, afin d'être réellement
jugeable, doit exclusivement porter sur les lois des phénomènes et jamais sur leur
mode de production».
E. Mach (1838-1916). Le positivisme allemand se développe dans une atmo-
sphère très différente de celle du positivisme français. Il s'oppose avant tout à la
métaphysique allemande (Fichte, Schelling, Hegel) et surtout à Kant. E. Mach
exerça une profonde influence en particulier sur Einstein jeune. Il déclare : « [ ...]
nous devons limiter notre science physique à l'expression des faits observables,
sansconstruiredeshypothèsesderrière ces faits[ ...]. On se tromperait en attendant
des hypothèses plus d'éclaircissements que des faits eux-mêmes 4 [ ...] ».
69 b) Le scientisme ◊ Pour comprendre les excès des théoriciens, il faut
tenir compte des éléments irrationnels qui les motivent, contre qui et
contre quoi ils luttent. Renouvier a qualifié de « scientisme » la position
des « ultra » de l'esprit scientifique, qui s'opposent à la religion et à tout
ce qui de près ou de loin rappelle la métaphysique. Comme le note
1. R. Blanché (1969), p. 149 et sq.
2. Dès 1847, H. Von Helmholtz (1821-1894) s'appuyant sur le principe de causalité, découvre le
principe de conservation de l'énergie, deuxième principe de thermodynamique.
3. A. Comte (1907).
4. E. Mach (1885), p. 204.
48 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

G. Bachelard: « Dès qu'une difficulté se révèle importante, on peut être


sûr qu'en la tournant on butera sur un obstacle opposé. Une telle régula-
rité dans la dialectique des erreurs ne peut naturellement venir du monde
objectif. A notre avis, elle provient de l'attitude polémique de la pensée
scientifique devant la cité savante 1.» Pour abattre la religion, on crée le
mythe de la science. Un nouveau dogmatisme est né, dogmatisme induc-
tif, dont les certitudes fondamentales étaient situées au niveau de l'expé-
rience au lieu de l'être à celui des principes. Le plus curieux, comme le
remarque R. Blanché, « la réflexion théorique est en retard sur la science
elle-même. Hume a mis en doute le fondement de la science expéri-
mentale, lorsque celle-ci s'affirmait et c'est au moment où les certitudes
de la science traditionnelle commencent à s'effriter avec les systèmes non
euclidiens, à se fractionner avec l'électromagnétisme, que les scientistes
dogmatisent et prophétisent la synthèse du savoir2 ».
70 L'opposition au dogmatisme positiviste. a) Le conventiona-
lisme ◊ Pour se défendre contre le dogmatisme des scientistes, Poincaré
(1854-1912), propose une conception de la théorie physique appelée
« conventionalisme », car elle fait ressortir la part arbitraire que
comportent les définitions scientifiques.
Elle est aussi caractérisée par l'importance donnée à la notion de commodité.
Cette notion retient l'efficacité des hypothèses comme critère pour les utiliser,
d'où une grande souplesse dans leur adoption et abandon. A côté de la croyance
qu'il manifeste dans la valeur de la science, fondée sur le caractère stable des rela-
tions entre objets, Poincaré témoigne d'un scepticisme rare vis-à-vis des objets
scientifiques créés par le savant. Une théorie pour Poincaré, comporte des prin-
cipes, définitions a priori, et des images substituées aux objets réels. « Les rapports
veritables entre ces objets réels, sont la seule réalité que nous puissions atteindre,
et la seule condition, c'est qu'il y ait les mêmes rapports entre ces objets qu'entre
les images que nous sommes forcés de mettre à leur place 3 • »
Marquant un progrès dans la lutte contre le dogmatisme, le conventionalisme,
malgré sa souplesse, ne résistera pas à l'épreuve des théories de la relativité (cf.
n° 83).
Le nominalismedont le principal représentant est E. Roy (1870-1954) peut être
considéré à l'intérieur du conventionalisme comme un extrêmisme. Il tend vers
une philosophie de l'intuition et considère les constructions scientifiques non
comme des reproductions du réel mais comme des inventions contingentes de
l'esprit humain.
71 b) Causalisme et réalisme ◊ A l'opposé des positivistes, une orienta-
tion cartésienne et causaliste réhabilite l'hypothèse et les démarches,
même aventureuses, de l'esprit Comme l'illustrent les citations ci-
dessous, ces auteurs reconnaissent une réalité en dehors de nous et
accordent à la science une vocation plus large.
W. Whewell (1794-1866) né en Grande-Breta~ne écrit: « [ ...] Les faits sont
connus, mais demeurent isolés et sans lien, jusqu'a ce qu'un esprit inventif four-
1. G. Bachelard (1965, B. 4), p. 20.
2. ln R. Blanché (1969), p. 231.
3. In op. cit., p. 212.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 49

nisse, de son propre fonds, un principe de connexion. Les perles sont là, mais
elles ne forment pas un collier avant que quelqu'un n'apporte le fil 1.»
E. Meyerson(1859-1933): « La loi joue certes un rôle immense dans la
science, puisqu'elle permet la prévision et partant l'action. Mais elle ne contente
pas l'esprit qui cherche au-delà d'elle une explication du phénomène 2. »
M. Planck(1858-1947) réclame pour la science une définition plus ambi-
tieuse. « Le point essentiel, c'est que le monde de la sensation n'est pas le seul
monde dont on puisse concevoir l'existence., mais qu'il y a encoreun autre
monde.» « [...] ce noble nom« science exacte» ne doit pas entraîner qui que ce
soit à sous-estimer la valeur de cet élément d'irrationalité 3• »

72 Énergétique et mécanisme ◊ Fidèle à l'idéal du positivisme, se déve-


loppe sous le nom d'énergétique, une physique générale qui proteste
contre le mécanisme traditionnel. Fondée par Rankine (1820-1872) en
Angleterre, développée par Mach et Ostwald (1853-1922) en Allemagne,
et Pierre Duhem (1861-1916) en France, l'énergétique veut« fonder une
théorie physique d'où toute hypothèse sur la réalité fût exclue, qui ne se
présentât pas comme une explication mais seulement comme une corres-
pondance entre un formalisme mathématique et un ensemble de lois
expérimentales 4 ». Pour Duhem: « Une théorie physique n'est pas une
explication, c'est un système de propositions mathématiques, déduites
d'un petit nombre de principes qui ont pour but de représenter aussi sim-
plement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un
ensemble de lois expérimentales [ ...]. L'accord avec l'expérience est pour
une théorie physique, l'unique critère de vérité 5. »
De même que l'énergétique se rattache à la philosophie positiviste,
c'est au mécanisme plus traditionnel que se rattachent leurs opposants.
Les progrès de la physique rabattront les prétentions des uns et des
autres. Le succès de l'atomisme est une victoire des mécanistes, mais
l'irruption de l'électro-magnétîsme ne permet plus d'expliquer les phé-
nomènes par le seul jeu de corpuscules matériels régis par des forces
contradictoires.
La physique del' onde et du champ (Maxwell) se révèle irréductible à la
mécanique. Une physique de la continuité (le relativisme) se juxtapose à
la physique des éléments, ponctuelle et discontinuiste. L'opposition entre
l'onde et le corpuscule est âprement discutée. Mais la dualité lumière-
matière interviendra dans chacun des deux domaines, avec l'introduction
par Einstein du proton dans l'onde lumineuse, et l'adjonction par L. de
Broglie d'une onde aux corpuscules de matière.
Avant d'aborder les problèmes du~ siècle, résumons ce qu'au-delà de
leurs oppositions, les savants ont apporté à la réflexion scientifique.
1. In op. dt., p. 177.
2. Science et synthèse (1967), pp. 36-49.
3. M. Planck (1960), pp. 145-151.
4. In J. Ullmo (1969), p. 92.
5. In R. Blanché (1969), p. 217.
50 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

73 L'évolution des notions fondamentales. a} Le détermi-


nisme ◊ Les réflexions sur la causalité sont nées à la (oisd'une exigence
de la raison: expliquer, trouver des causes, et de l'observation et de la pra-
tique: le feu brûle. L'évolution de l'animisme à la science, passe par l'ex-
plication en termes de causalité. Si l'origine de cette notion se perd dans
la nuit des temps, celle du déterminisme en revanche, plus élaborée, est
aussi plus récente. Elle apparaît vers 1820. Le monde étant souvent
comparé à une machine, le déterminisme fut appliqué à l'Univers. Cette
nouvelle définition permit une extension de la méthode scientifique.
C'est ainsi qu'on ne la croyait pas applicable aux phénomènes de la vie
du fait de leur caractère imprévisible . C'est C. Bernard qui utilisant la
méthode expérimentale en biologie la fit entrer dans le domaine scienti-
fique.
A-A Cournot, un des premiers, mit en doute la portée universelle de
la mécanique classique2. L'extrapolation n'était en effet pas sans danger.
Comme le remarque J.Ullmo (1958) 3 l'empire de la mécanique au
xr)é! siècle a amené une confusion entre le déterminisme dans le sens par-
tiel et scientifique du postulat méthodologique : isoler un groupe de phé-
nomènes pour en découvrir les lois, et le déterminisme universel, hypo-
thèse métaphysique impliquant une prise de position totalitaire,
étrangère à la science. Le premier postule la prévisibilitéet s'oppose à une
certaine conception métaphysique du hasard. La seconde nie notre intui-
tion de liberté, en réduisant toute activité à des interactions mécaniques.
Le déterminisme au sens strict, tel que l'avait formulé Laplace, implique
la connaissance de toutes les conditions initiales et de toutes les inter-
actions agissantes. Or il est impossible de connaître la totalité de celles
qui interviennent dans l'Univers. De ce fait, comme le note F. Enriquez
(1934) 4, le déterminisme absolu ne devrait pas avoir de sens pour des
positivistes qui déclarent tenir compte seulement de ce qui se mesure et se
vérifie.
Une extrapolation scientiste, non scientifique et une vulgarisation peu
rigoureuse ont donc associé une hypothèse métaphysique: le détermi-
nisme universel, à une attitude philosophique : le positivisme. Cette
déformation peut sans doute s'expliquer une fois encore par la lutte anti-
religieuse, la volonté de nier l'existence de Dieu et la liberté de l'homme.
Le vertige du savant découvrant les lois de la nature, peut aussi fournir
une explication psychologique, à l'extrapolation abusive du particulier à
l'universel. Malgré ses exagérations qui porteront la discussion sur un ter-
rain qui n'est pas le sien, le déterminisme scientifique est à la fin du
xr)é! siècle, accepté par l'ensemble du monde des savants.

1. A noter cependant que si la notion de finalité a disparu de la pensée scientifique, elle persiste
encore en biologie, non comme intention extérieure mais parce qu'inscrite dans la structure interne
de la cellule, cf. Monod, Le hasardet la nécessiti(B. 66). Finalité pour laquelle est proposé le terme de
«téléonomie», purgé de toute implication métaphysique.
2. Cf. R. Blanché (1969), p. 333.
3. Auquel nous empruntons les réflexions qui suivent.
4. F. Enriquez (1934) (B. 66) et s.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 51

74 b) La loi ◊ La découverte des lois de la physique relève moins de la


nature que du laboratoire et les faits observés sont de plus en plus soumis
à des expériences éloignées de la réalité. De ce fait, la loi n'apparaît plus
un décret de la Providence, mais une propriété de la nature. Cependant
même sécularisée, elle garde de son origine théologique un caractère
sacré, surtout, bien qu'ils ne s'en doutent pas, pour les scientistes.
Alors qu'auparavant on pensait que l'imperfection de notre esprit
compliquait les choses, on s'aperçoit que c'est nous qui simplifions les
phénomènes. La nature est complexe et la loi n'est simple que grâce à
notre esprit! Elle n'est jamais qu'un moyen, une régularité statistique
comme le ditJ. Ullmo (1958), et sa définition pourrait être acceptée par
les savants de toutes tendances.
« Il est ainsi bien clair que les lois sont tirées des phénomènes, que c'est une
expression vicieuse que de dire : les faits sont soumis à des lois, qu'il faut lire : les
faits comportent des lois. »
Par cette relation répétable, le savant cherche à construire des objets
scientifiques. La loi d'Ohm par la notion de résistance électrique, trans-
forme un simple fil métallique en un objet scientifique. Cet objet n'est
pas concret au sens du perçu par nos sens, il est sur le plan scientifique
« construit par notre jugement 1 ». La formule de Wundt résume toute
cette évolution de la notion de loi. « Au xvrrf siècle c'est Dieu qui établit
les lois de la nature; au xvnf siècle c'est la nature elle-même, aux~ siècle
ce sont les savants qui s'en chargent 2 • »

75 c) La vérité ◊ Le XI.XC siècle évolue vers une relativisation générale des


conceptions scientifiques. En même temps que la notion de loi, celle de
vérité va se transformer, s'assouplir.
Tant que le sujet (l'esprit), et l'objet, (le réel) étaient séparés, la notion
d'une vérité absolue et préexistante paraissait indispensable pour garantir
la validité de leur rencontre, leur adéquation. A partir du moment où l'ef-
fort de la connaissance a pour but de distinguer sujet et objet, la vérité
devient relative, elle est fonction du succès de la conquête du monde et de
la pensée. « La vérité qui est accord,s'est monnayée en vérité, vérification
qui est accord avec l'objet, et vérité consistante qui est accord du sujet
avec soi-même. 3 »
En conclusion, empruntons à R. Blanché son jugement sur l'évolution
de l'épistémologie au XI_xCsiècle : « Celle-ci n'est pas sceptique, elle est
antidogmatique, ou si l'on préfère une qualification moins négative, elle
est relativiste. La vérité ne réside pas dans tel ou t.elénoncé isolé, dont la
somme ferait la vérité totale; elle est dans le système, dont chaque élé-
ment n'a de vérité et même de sens que par sa relation à l'ensemble4. »

1. Op. dt., p. 33.


2. In R. Blanché (1969), p. 234.
3. J. Ullmo (1969), p. 200.
4. R. Blanché (1969), p. 238.
52 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

§ 2. Le XXe siècle
76 L'empirisme logique ◊ Les oppositions se poursuivent sur le plan phi-
losophique entre la tendance scientiste et la réaction qu'elle suscite : berg-
sonisme, etc. Sur le plan de l'épistémologie des sciences, l'orientation la
plus nouvelle et la plus intéressante est celle de l'empirisme logique. C'est
un courant philosophique dont les manifestations principales furent
l'atomisme logique 1 en Grande-Bretagne, le néo-positivisme ou positi-
visme logique, issu du cercle de Vjenne et la philosophie logique contem-
poraine, son prolongement aux Etats-Unis.
Participant de la philosophie et des sciences, ces trois tendances pré-
sentent des caractéristiques communes: méfiance à l'égard de la méta-
physique et du subjectivisme et, ce qui fait leur originalité, attachement à
la fois à l'expérience sensible et à la logique.
Comme le note L. Vax (1970), les véritables sources de l'empirisme
logique sont l'empirisme anglo-saxon et la logique formelle moderne.
« Empiriste plutôt qu'empirique, cette philosophie est au contraire un
discours très abstrait sur une science elle-même abstraite, encore que fon-
dée sur l'observation 2 • »
76-1 a) L'atomisme logique ◊ B. Russell (1871-1970) en est le plus illustre repré-
sentant. Malgré des modifications d'étiquettes et des nuances dans les théories,
l'essentiel de l'empirisme logique demeure l'accord sur la séparation entre le fac-
tuel et la logique, le cognitif et l'émotif.
Il semble que leurs contemporains aient à tort vu dans Wittgenstein (1889-
1951) un disciple de Russell et fort mal interprété le Tractatus(1918) 3 • Le carac-
tère original de l'auteur ne facilitait pas la compréhension de son œuvre.
E. Mach et les premiers néo-positivistes croyaient à une correspondance entre
une théorie et la série de sensations ou d'observations qui lui donnent une
« signification physique». Pour Wittgenstein au contraire, toute axiomatique
demeure probabilité. La théorie ne peut définir qu'un ensemble formel et les rela-
tions logiques ne sont vraies qu'à l'intérieur d'une symbolique.
En fait Wittgenstein était un philosophe qui cherchait non à déterminer les
bases de la connaissance mais la nature et les limites du langage et sur ce point
encore il s'opposait aux positivistes. « Le positivisme soutient - et c'est son
essence même - que nous pouvons parler de tout ce qui importe dans la vie. Tan-
dis que Wittgenstein est passionnément convaincu que « tout ce qui importe
dans la vie est précisément ce qu'il faut taire » 4 •
LeTractatusétait une tentative pour séparer le domaine de la raison de celui de
l'imagination, comme l'auteur estimait devoir séparer les faits des valeurs et s'op-
posait aux tendances techniques et à l'empirisme logique des universitaires améri-
cains de 1950, héritiers du Cercle de Vienne.

1. Le titre de positivisme ne doit pas entraîner de confusion. Le seul point commun avec A.
Comte est la réaction contre la métaphysique.
2. L. Vax (1979), p. 7.
3. E. Engelman (1967), A. Janik (1973), J. Clammer (1976}, D. Nicolet (1989}.
4. P. Engelman, in Janik (1973}.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 53

77 b) Néo-positivisme ou positivisme 1 o Cette tendance regroupe


autour de la revue Erkenntis, fondée en 1940 par H. Reichenbach, Car-
nap, Hempel, d'autres savants qui forment ce qu'on appelait le groupe de
Vienne 2 • Après !'Anschluss, la plupart d'entre eux émigrent aux Etats-
Unis où leur influence est encore grande 3,à l'inverse de la France, plon-
gée dans la querelle entre bergsonisme et existentialisme. L'apport de
l'école de Vienne, c'est l'importance accordée dans la théorie de la
connaissance à la logique sous sa forme moderne, c'est-à-dire proche des
mathématiques. La logistique fait elle aussi usage de symboles donnant
lieu à un calcul, permettant de tirer les conséquences vraies d'un système
de propositions. Les logiciens distinguent l'apport de l'expérience, qui
fournit un contenu à la pensée et l'exercice de la pensée, de nature tauto-
logique. On en revient à la logique formelle, à la syntaxe indépendante du
contenu objectif.
Pour les positivistes, la loi est l'œuvre du savant qui l'invente. « Elle n'appar-
tient pas à la nature des choses, mais au langage des hommes 4.» De ce fait, elle
ne correspond pas à un ordre sacré ou immuable et la philosophie n'est qu'un
« exercice intellectuel de recherche de la vérité 5 ». Ceci facilite le changement de
point de vue, en fonction de cet élément essentiel pour les positivistes : la vérifica-
tion. 11ne s'agit pas de la validité des techniques d'observation, préoccupation du
savant qui expérimente, mais de façon de formulerlespropositions, souci du philo-
sophe intéressé par la structure du langage scientifique. Comme l'énonce
Schlick6 : la signification d'une proposition réside dans sa méthode de vérifica-
tion. Lorsque les positivistes déclarent que telle proposition n'a pas de sens, cela
ne signifie pas, comme le croient ceux 9.ui en sont choqués, qu'elle est absurde,
mais simplement qu'elle échappe à la verification scientifique.
78 c) La philosophie logique ◊ La philosophie américaine issue du cou-
rant de Vienne revient indirectement à la métaphysique et soulève en
d'autres termes les vieux problèmes de la scolastique. Écartant le réalisme
(les idées ont une existence indépendante des objets dans lesquels elles
s'incarnent, l'idée de l'homme existe comme modèle éternel), le concep-
tualisme (les idées sont conçues par nous sans expérience des objets), les
logiciens sont nominalistes.Comme leurs inspirateurs anglais, c'est d'un
nominalisme linguistique plutôt qu'ontologique qu'il s'agit. On renonce
à considérer la nature des choses, on s'intéresse au sens des mots.
Lesempiristes logiques refusent non seulement la notion « d'essence » chargée
de métaphysique mais même celle plus couramment acceptée de « signification »
qui pour eux n'en est qu'un succédané. Ils ne retiennent que celle de langage.
Alors que la plupart des philosophes étaient jusque-là, comme Bacon, frappés du
fait qu'il y avait plus de choses dans la réalité que dans leur philosophie, les logi-
ciens austères et scrupuleux répondent comme Nelson Goodman « qu'ils sont
1. Curieusement ce mouvement paraît au départ inspiré d'un empirisme anglo-saxon et il n'est
pas surprenant qu'il ait été suivi en Grande-Bretagneet aux U.S.A.plus qu'en France (cf. n° 79).
2. T. Adorno (1979), Manifeste(1985).
3. Leursdisciplesaméricains les plus connus sont N. Goodman, Nagel et Quine.
4. L. Vax (1970), p. 42.
5. Op. dt., p. 44.
6. Fondateur de l'Associationviennoise des philosophes empiristes.
54 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

avant tout soucieux de ne pas inclure dans leur philosophie, des choses qui
n'existeraient ni dans le ciel ni sur la terre 1 ».
79 La réticence des Français ◊ Bien que leur premier congrès ait eu lieu
à Paris en 1935, les néo-positivistes eurent peu de succès en France. Leur
pensée heurtait la vieille tradition rationaliste hostile à la logique, de la
philosophie française. Curieusement, on constate que les philosophes qui
reconnaissaient la valeur du sensible (Aristote, Saint-Thomas) admet-
taient également celle de la logique, alors que les rationalistes (Descartes,
Bnmschwig) la méprisaient comme une simple technique, fastidieuse par
rapport à la noble intuition intellectuelle. Mais si le subjectivisme de l'in-
tuition rend le rationalisme suspect, la logique amène aussi à douter de la
pensée, à se méfier de la raison, dans la mesure où sa production échappe
à la vérification.
Comme le note L Vax: « La philosophie de jadis prétendait imposer à
l'homme des règles de connaissance et de conduite; celle d'aujourd'hui se
contente souvent de décrire l'expérience vécue. Le passage de la phénoménologie
transcendantale, qui voulait fonder la connaissance, à la phénoménologie exis-
tentielle, qui décrit l'expérience vécue du vulgaire, en est un témoignage frap-
pant 2 . »
Plus grave était la volonté des néo-positivistes de limiter la philosophie
au plan linguistique. Pour eux, la science s'occupe des choses, la philo-
sophie, du langage qui en parle. On a comparé son rôle à celui des cours
de cassation qui ne jugent pas des faits mais des jugements. Enfin dernier
grief contre les néo-positivistes, en renouant avec l'ancienne tradition des
philosophes-savants, ils heurtaient en France la regrettable et sacro-sainte
séparation entre les Sciences et les Lettres.
80 Bilan de l'empirisme logique ◊ On doit retenir à l'actif de l'empi-
risme logique : d'abord la dénonciation des faux problèmes, une grande
rigueur scientifique alliée à beaucoup de souplesse due à la conception de
la vérité comme recherche, non comme absolu, ensuite la remise à l'hon-
neur d'une logique formalisée, symbolique, proche des mathématiques
modernes, qui elles-mêmes échappent à l'intuition sensible et rendent
possible la solution de problèmes nouveaux. Mais on peut reprocher au
néo-positivisme la prétention de détenir des critères pour juger a priori de
la légitimité d'une recherche. Négliger ce qui n'est pas vérifiable sous pré-
texte de chasser la métaphysique, c'est courir le risque de se priver de
découvertes. La logique fournit des preuves mais elle ne découvre rien, or
la science a besoin d'imagination, d'invention autant que de rigueur. Par
refus d'admettre des objets «réels», Ostwald, Duhem et Mach ont été
passionnément anti-atomistes. Enfin dernière critique: l'empirisme
logique trouve ses meilleurs arguments dans le domaine de la logique et
aurait dû s'en tenir là. Dans la mesure où il se prétend une philosophie,
on doit constater les faiblesses de sa théorie de la connaissance et son
1. ln L. Vax, p. 72.
2. Op. cit., p. 100.
LA SCIENCE DU XIX" SIÈCLE A NOS JOURS 55

incapacité à la compléter par une théorie de l'action. L'exigence de


rigueur propre aux néo-positivistes les empêche plus que d'autres de
camoufler leurs lacunes sur le plan des valeurs.
81 1 ° La première révolution : la théorie de la relativité ◊ La
méthode expérimentale marque l'accord de la raison de l'homme avec la
nature. Par sa pensée, aidé d'instruments construits pour l'observation, le
savant découvre les règles du monde qui l'environne. Le xxe siècle va
ébranler plus encore que le xrx= siècle ces certitudes raisonnables. La
mécanique relativiste remet en question ce qui paraissait évident, nos cer-
titudes: l'espace et le temps. Elle détruit la notion ancienne de simulta-
néité, pseudo-idée non susceptible d'être traduite en terme d'expérience.
Rappelons rapidement l'expérience du train décrite par Einstein pour montrer
que la simultanéité n'est pas absolue mais dépend du système de référence spatial
dans lequel on se place : la voie ou le train. J.Ullmo résume l'expérience de la
façon suivante 1 : si A' et B' dans le train coïncident avec A et B sur la voie, il est
impossible d'émettre des signaux lumineux en A et B tels qu'ils atteignent en
coïncidence le milieu O de AB sur la voie et aussi le milieu M de A'B' dans le train
puisque M et O qui coïncident au départ des signaux se seront écartés pendant
leur trajet et ne coïncideront plus à leur arrivée... Il est impossible que deux événe-
ments distants soient à la fois simultanés pour le système de référence « voie » et
pour le système « train ».
En bousculant l'espace et le temps, Einstein atteignait cette zone méta-
physique, la plus obscure de la matière, qui se trouve à l'intersection des
propriétés spatiales et des propriétés temporelles. Pour révolutionnaire
qu'ait paru la théorie relativiste, du moins n'atteignait-elle que les formes
de l'intuition sensible, l'aspect le plus superficiel de notre raison. Il en ira
autrement de ce qui fut une véritable révolution, l'ébranlement des fon-
dements mêmes de l'esprit humain : la mécanique quantique. Cette fois
l'essentiel est remis en cause: principes d'identité, de contradiction, de
déterminisme, notions de cause et de substance.
82 2° La seconde révolution : la mécanique quantique. a) Les
quanta ◊ Max Planck découvrit en 1900 qu'au niveau microphysique,
les échanges d'énergie ne sont pas continus mais discontinus, par quanta.
Comme dans un mouvement de foule c'est l'effet de masse qui donne
une apparence de continuité. Les corpuscules de la mécanique quantique
ne peuvent être localisés exactement avec certitude. Pour Niels Bohr
(1885-1962) l'atome fonctionne« hors du temps», succession disconti-
nue de transitions instantanées, le saut quantique d'un électron ne
comporte pas de trajectoire et s'accomplit« hors de l'espace».
Tous les caractères de l'espace-tempsde la science classique et de nos
intuitions les plus évidentes sont niées, mais il y a plus: à partir d'un cer-
tain degré de petitesse, on ne peut distinguer, donc mesurer, ni supprimer
l'action de l'observation sur le phénomène observé. Pour situer un élec-
tron il faut l'éclairer par un photon mais ceci modifie la place de l'élec-
1. J. Ullmo (1969), p. 39.
56 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

tron et la fréquence du photon. On ne peut plus considérer le phéno-


mène comme objectif au sens habituel du terme, c'est-à-dire
indépendant des conditions dans lesquelles il a été observé1.
83 b) Les iné~alités d'Heisenberg ◊ A cette« subjectivité» de la micro-
physique, s ajoute l'indétennination,relation d'incertitude qu'expriment
les inégalités d'Heisenberg (1901). On peut les résumer dans l'impossibi-
lité de prévoir l'évolution d'un phénomène, faute de pouvoir déterminer
la place et la vitesse d'un électron dans un atome. Simultanément les
deux facteurs éventuels, l'énergie et la durée, la figure et le mouvement,
par lesquels Descartes voulait expliquer les phénomènes naturels, se dis-
socient. Cette incertitude ne provient pas des limites de notre esprit, elle
est dans la nature elle-même.
« L'évolution de l'onde entre deux mesures, écrit L. de Broglie (1953), est
entièrement déterminée par sa forme initiale et par l'équation de propagation :
elle obéit par suite à un déterminisme rigoureux mais il n'en résulte nullement
un déterminisme rigoureux des phénomènes observables et mesurables, parce que
l'onde ne représente que la probabilité de ces phénomènes. Et c'est parce que cette
probabilité sera bouleversée quand nous ferons une mesure, laquelle perturbera
de manière imprévisible le phénomène observé, que l'évolution de l'onde n'est
déterminée qu'entre deux mesures 2• »
On n'ose plus parler d'observation pour ce qui en fait ne s'observe pas. Habi-
tuellement, une observation continue est le moyen employé pour s'assurer de
l'identité d'une entité imprécise. En microphysique cette possibilité nous est refu-
sée. « Les observations y sont des événements discrets, separés par des intervalles
que nous pouvons bien resserrer, mais non abolir. C'est pourquoi quand on s'in-
terroge sur l'être du corpuscule, il faut bien distinguer deux cas: sa réalité au
moment d'une observation 3, sa réalité entre deux observations. 4 » Mais entre les
deux que se passe-t-il ? Ce stade, note Heisenberg, ne peut se décrire à l'aide des
concepts classiques; il n'existe aucune description de ce que devient le système
dans l'intervalle entre l'observation initiale et la mesure suivante... la seule chose
que l'on puisse donner comme une description, c'est une fonction de probabilité.
L'on s'aperçoit donc que même la qualité d'exister (si l'on peut appeler
cela une« qualité») est refusée à ce que l'on décrit.« Il s'agit d'une pos-
sibilité d'exister ou d'une tendance à exister 5. » Ainsi s'évanouit la notion
de substance et avec elle disparaissent les principes d'identité et la notion
de causalité.
Le corpuscule n'est pas quelque chose pourvu de qualités concrètes,
doté d'une forme, d'une certaine vitesse et d'un volume occupant une
position dans l'espace etc., c'est une structure mathématique, un état vir-
tuel, une probabilité d'existence. On assiste avec la mécanique quantique
à ce que Mach appelle une« désubstantialisation de l'univers physique».
1. Ceci a pu être comparé, de façon parfois peu rigoureuse, aux sciences sociales dans lesquelles
la présence de l'observateur modifie !'observé.
2. L. de Broglie (1953), p. 64.
3. En réalité il ne s'agit pas d'une observation directe, c'est par une réaction en chaîne qui s'am-
plifie, que se manifeste le corpuscule.
4. ln op. cit., p. 73.
5. In R. Blanché (1967), p. 74.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 57

En chimie également l'objet se mathématise, la preuve expérimentale se rap-


proche de la ~reuve mathématique: « La substance chimique n'est que l'ombre
d'un nombre . »
Il y a plus, la liaison entre l'aspect dynamique et l'aspect spatio-
temporel du phénomène microphysique implique la complémentaritédes
explications ondulatoires ou corpusculaires que l'on peut en donner.
N. Bohr a remarqué que cette relation d'incertitude était placée à la
frontière commune des deux intuitions fondamentales : corpusculaires et
ondulatoires.
Le déterminisme classique est solidaire d'une conception de la matière
liée aux notions de chose et de mouvement. Et R. Blanché (1969) de
conclure : « Au lieu d'avoir comme jadis le déterminisme de l'événement,
nous avons maintenant le déterminisme de la probabilité de l' événe-
ment»
Cette notion de complémentarité « onde-corpuscule » achève donc le
travail de démolition du déterminisme et la causalité si efficacement
commencé.
Comment une même substance peut-elle s'étendre dans l'espace comme une
onde et se localiser en un point comme un corpuscule ? La comparaison de
Bachelard:« L'onde est un tableau de jeux, le corpuscule est une chance», incite
au rêve plus qu'à la précision. Au rêve, au fantastique ... disons plutôt à l'abstrac-
tion, car« l'imagination ne suit pas la pente mathématique 2 », et le corpuscule et
l'onde ne sont pas des choses liées par des mécanismes. Leur association est
d'abord mathématique ... on doit les comprendre comme « des moments de la
mathématisation de l'expérience 3 ».
Ce passage dans le monde de l'inimaginable renforce la position de
ceux pour lesquels une saine théorie physique n'est rien de plus qu'une
« architecture de relations mathématiques». Du même coup sera modi-
fié l'équilibre entre la raison et l'expérience dans la méthode expéri-
mentale. Einstein déclare : « L'expérience peut bien entendu nous guider
dans notre choix des concepts mathématiques à utiliser mais il n'est pas
possible qu'elle soit la source d'où ils découlent4. »
84 c) L'école de Copenhague et l'école de Paris ◊ En présence de pro-
blèmes aussi complexes et graves nous retrouvons les deux attitudes d' es-
prit habituelles: l'école de Copenhague représentée par N. Bohr et
W. Heisenberg, de tendance phénoméniste et probabiliste, regroupe les
savants qui veulent jouer le jeu du modernisme, quitte à reconstruire la
physique sur des bases nouvelles, en rectifiant les concepts pour les adap-
ter aux besoins actuels. La tendance de ce qu'on a appelé l'École de Paris
(L. de Broglie) représente le vieux courant cartésien, avec son exigence
d'intelligibilité. Plus prudente, elle considère ne pas devoir renoncer aux
catégories fondamentales de la pensée sous prétexte d'une suprématie,
1. Autocritique de la science (1973), p. 82.
2. G. Bachelard (1968), p. 132.
3. Op. dt., p. 95.
4. In R. Blanché (1969), p. 273.
58 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

sans doute provisoire, des interprétations probabilistes. L. de Broglie se


demande si ce n'est pas plutôt vers un retour à la clarté des représenta-
tions spatio-temporelles qu'il faudrait s'orienter. Le changement ne fut
pas celui qu'il prévoyait.

84-1 La révolution morphologique ◊ Depuis plusieurs décennies, la


science moderne délaissant notre monde s'est engagée dans la découverte
de l'infiniment grand et de l'infiniment petit. A cette image d'une science
à la fois envahissante (technoscience) et lointaine, se substitue avec de
plus en plus d'importance une nouvelle figure du savoir, ce que les philo-
sophes des sciences appellent " un changement de paradigme 1 ". Lespro-
moteurs sont des savants non conformistes qui, délaissant les quarks, les
neutrons et autres éléments imaginaires de la physique atomique, se
penchent sur le monde où nous vivons. Le monde est celui des formes
qui nous entourent, monde qui n'est pas susceptible d'une analyse limi-
tée« par le fait même que la forme est précisément la libre diversité2 ».
La relativité a éliminé l'illusion newtonienne d'un espace et d'un
temps absolus, la théorie quantique a supprimé le rêve newtonien d'un
processus de mesure contrôlable, le chaos, lui, élimine l'utopie lapla-
cienne d'une prédictibilitédéterministe[...]. L'expériencequotidienne et les
images réelles du monde sont devenues des objets d'étude légitimes» 3 •
Légitimes même si non quantifiables et que, pour cette raison, la phy-
sique classique ne se risquait pas à aborder.
Alain Boutot insiste sur les limites des modèles physiques « impuis-
sants à formaliser les discontinuités empiriques classiques parce qu'ils
font intervenir des fonctions régulières qui sont par nature continuesalors
que le monde des formes est discontinu.« L'impuissance de la physique à
aborder les faits de forme tient en partie à l'inadaptation de l'outil
mathématique, mais surtout au caractère presque insaisissable des phé-
nomènes à considérer 4 : volutes de fumée d'une cigarette, tourbillons de
l'eau d'un torrent, chute d'une feuille.
La forme est une notion fondamentalement qualitative.Voilà remis en
cause les efforts des sciences sociales pour se quantifier en poursuivant
un modèle de la science déjà contesté sinon périmé. Pourtant les notions
de gestalt,d'ordre, indiquent déjà une orientation plus proche des aspects
les plus récents de la science.
a) La théoriedescatastrophes. Le terme de catastrophe est certainement
en partie responsable de la notoriété de la théorie, au moins hors du
cercle des mathématiciens 5. Il ne s'agit pas de catastrophe au sens cou-
rant du terme: e1ément imprévu et bouleversant, mais d'une significa-
tion mathématique précise. « Il y a catastrophe lorsqu'une variation

1. A. Boutot (1993) L'inventiondesformes, p. 10, Odile Jacob, 375 p. Livre passionnant auquel
nous empruntons une part des informations qui suivent.
2. G. Bachelard, 2c éd. 1973, Le pluralismecohérentde la chimiemoderne,Vrin.
3. J. Gleick (1989), La théoriedu chaos,Albin Michel, p. 21. C'est nous qui soulignons.
4. A. Boutot (1993), p. 23.
5. La théoriedes catastrophesest due au mathématicien anglais Cristopher Zeeman, cf. (1980).
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 59

continue des causes entraîne une variation discontinue des effets 1. »


D'après R. Thom, « il y a catastrophe dès qu'il y a discontinuité phéno-
ménologique» 2 , ce qui implique le non-respect du principe suivant
lequel: « l'effet ne peut être supérieur à la cause». Thom distingue les
points réguliers: zones de continuité et les points catastrophiques, ceux
dans lesquels les propriétés qualitatives du support présentent une dis-
continuité. Cette distinction permet d'analyser toutes les morphologies
de l'univers quotidien: le passage du noir de l'écriture au blanc de la
feuille représente un point catastrophique comme le gris du nuage au
bord découpé sur un ciel blanc. Le support de la morphologie peut être
plus complexe : en acoustique l'espace substrat de la morphologie est l'es-
pace fonctionnel de dimension infinie qui décrit les vibrations de l'air.
Sont également concernées les formes les plus abstraites telles que les
catégories du langage ou même de la pensée.
b) La théorie des fractales. Due au mathématicien Benoîst Mandel-
brot 3, cette théorie ne propose pas l'étude des formes en général mais
seulement celles dites« fractales». Ce néologisme formé par Mandelbrot
en 1975 à partir du latin fractus (du verbe franqere: casser) s'applique à
ce qui est irrégulier, brisé, caractérisé par une complexité intrinsèque.
Pour Mandelbrot, il s'agit d'une nouvelle discipline à part entière et plus
révolutionnaire que la première géométrie non euclidienne 4, laquelle
conserve les catégories fondamentales implicites de ligne, surface et
contestées par la théorie des fractales.
c) La théorie des structures dissipatives. Cette théorie s'intéresse « aux
phénomènes d'auto-organisation dont peuvent être le siège, dans certains
cas et sous certaines conditions, des populations composées d'individus a
priori identiques (molécules en chimie, cellules en biologie, agents écono-
miques, habitants d'une ville)» 5.
L'auteur de cette théorie Ilya Prigogine6 n'est pas un mathématicien
mais un physicien chimiste intéressé par les phénomènes en rapport avec
le temps (histoire, musique) et la thermodynamique. Les phénomènes
d'auto-organisation 7 sont connus depuis longtemps mais de façon frag-
mentaire. Prigogine a unifié les diverses expériences et en tire une théorie
applicable à une grande variété de systèmes macroscopiques, en parti-
culier aux « brisures de symétrie » qui rompent la stabilité de l'équilibre
thermodynamique du système dans lequel elles apparaissent.
d) La théorie du chaos. Cette théorie doit son nom au mathématicien
américain James York qui aurait en 1875 qualifié un régime de chao-

1. A. Boutot (1993), p. 28.


2. R. Thom (1991), Prédiren'est pas expliquer,Este!, p. 11, 12.
3. Né à Varsovie en 1924, émigré aux États-Unis en 1950.
4. Cf. les mathématiciens B. Riemann et N. Lobatchevski.
5. A. Boutot (1933), p. 47.
6. Né à Moscou en 1917, a fait toute sa carrière en Belgique. Prix Nobel de chimie en 1977.
Connu du grand public par son ouvrage: La nouvellealliance(1979, 2' éd. 1986) rédigé en collabora-
tion avec une chimiste et philosophe des sciences : Isabelle Stengers.
7. Exemple d'expérience in Prigogine, op. dt., et Boutrot (1993), p. 48 et s.
60 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

tique 1, donnant au terme une signification et un statut mathématiques


précis.
La théorie du chaos intéresse surtout le domaine des formes irrégu-
lières ou « chaotiques » et fait appel comme la théorie des catastrophes
aux principes mathématiques des systèmes dynamiques. Comme toute
nouveauté« dérangeante», la théorie du chaos a été mal accueillie par les
scientifiques, sous le prétexte que ces systèmes ne pouvaient décrire
aucun processus physique réel. Grâce au succès des expériences de David
Ruelle (1971) sur la turbulence en hydrodynamique 2 une véritable mode
a succédé à la méfiance 3 •
La turbulence,facile à observer dans les remous d'un fleuve, constitue
un des problèmes les plus difficiles de la physique 4. Lev Landau 5 est un
des premiers a avoir tenté en 1914 une théorie du phénomène. Celle-ci
fut acceptée jusqu'en 1971, date à laquelle deux physiciens théoriciens:
David Ruelle et Floris Takens, la contestèrent pour proposer une analyse
fondée sur la notion d'attracteurétrange.Il s'agit là non d'objets eucli-
diens (repérables par des lignes, surfaces, volumes) mais d'êtres « frac-
tals» encore mal connus, et impossibles à préciser de façon géométrique.
David Ruelle dans son ouvrage: Hasardet chaos (1991), raconte avec
humour les avatars de sa découverte et profite de l'occasion pour dénon-
cer l'état d'esprit de certains savants, l'ambiance régnant dans le milieu
de la recherche scientifique et les difficultés rencontrées pour faire
paraître un article non conformiste 6 .
Les théories morphologiques que nous venons de citer sont très dif-
férentes les unes des autres. Cette diversité, reflet de la variété des formes
n'entraîne entre elles aucune opposition mais plutôt une complémenta-
rité. Le plus important c'est qu'au-delà de leurs différences, ces théories
présentent des caractéristiques communes, en particulier toutes partagent
vis-à-vis de la science une attitude nouvelle que l'on peut qualifier de
phénoménologique.
C'est d'abord l'oppositionau réductionnisme. L'approche réductionniste
consiste à déduire les phénomènes d'autres facteurs que d'eux-mêmes.
On bute alors sur l'insoluble problème de la causalité... Les théories mor-
phologiques ne cherchent pas à déduire les phénomènes de processus
autres mais les envisagent « comme des réalités autonomes, indépen-
dantes de la nature des forces qui leur ont donné naissance » 7. C'est
1. Periodthreeimplieschaos,1975. Amer. Math. Monthly 82, p. 985-992.
2. Cf. David Ruelle, Hasardet chaos(1991), O. Jacob, 245 p.
3. li est probable que le terme chaos comme celui de catastrophe a joué dans cette mode un rôle
non négligeable.
4. On a dit que la turbulence était« le cimetière des théories scientifiques».
5. Physicien soviétique.
6. «[ ...]il me faut parler du rôle dévastateur des modes dans la science contemporaine, rôle plus
important aux États-Unis qu'en France, plus important en physique qu'en mathématique [ ...]. Le
problème n'est plus de convaincre les collègues que vos idées controversées représentent la réalité
physique. Le problème est de battre la concurrence par tous les moyens et d'accéder ainsi à la noto-
riété ... et aux crédits de recherche» (David Ruelle, 1971, p. 94-95).
7. A. Boutot, op. cit., p. 69. On distingue le réductionnisme externe:le phénomène évolue sou-
mis à des facteurs extérieurs, et le réductionnisme interne: le phénomène bien qu'il semble évoluer
de lui-même est en fait dépendant de facteurs internes d'un niveau d'organisation inférieur.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 61

reconnaître à la fois l'indépendance de la forme par rapport au substrat et


admettre que si la matière a ses lois, les formes obéissent à d'autres règles
précises1 . Cette indépendance est la conséquence de la neutralité ontolo-
gique des théories de la forme qui n'ont pas à connaître la nature du
substrat des formes qu'elles étudient et ne sont donc pas influencées par
les progrès de la physique 2 .
Autre trait fondamental qui caractérise la méthodologie des théories
morphologiques: le holisme3 . Les formes sont perçues comme des entités
non seulement indépendantes mais aussi « globales » : totalités irréduc-
tibles à la somme de leurs parties 4.
Enfin dernier point commun : toutes ces théories sont dassificatoires
car leur première tâche consiste à « recenser les forces mathématiques
élémentaires qui vont entrer dans la composition de toutes les autres 5 ».
Ces traits particuliers aux théories morphologiques auraient pu leur faire
reconnaître le statut de branche particulière de la physique et les confin-
rer à l'étude des formes. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit mais d'une visée
plus ambitieuse : la remise en cause d'une tradition scientifique dont la
science moderne, qualifiée à juste titre de techno-science, est aujourd'hui
l'aboutissement L'opposition à l'actuelle conception de la science est ce
qui caractérise les théories morphologiques. Le lien entre la science et la
technique a toujours existé mais la technique est devenue le moteur
essentiel du progrès scientifique et tend de plus en plus à finaliser la
recherche.
Ce que les scientifiques ont surtout reproché aux théories morpholo-
giques c'est de n'aboutir à aucune application pratique, de s'inspirer d'un
vitalismedont la science a eu beaucoup de peine à se dégager, enfin de
renouer avec la philosophie, qui, elle aussi, l'a si longtemps dominée.
A ces critiques il est facile de répondre par un reproche plus grave :
celui de la perversion de la science. Son objectif aujourd'hui n'est plus de
connaître le réel, le monde, mais d'agir sur lui. « La science, dit Thom, a
oublié sa vocation première [ ...] qui était de faire comprendre la réalité.»
Au désir de connaissance, s'est substituée la volonté de puissance, il ne
s'agit plus de comprendre le monde mais de le dominer. D'après A. Bou-
trot, la théorie morphologique correspond non seulement à une science
plus proche, plus spéculative, plus rationnelle et pour tout dire plus « spi-
rituelle » et néanmoins« terrestre ». « Et qui sait même si l'émergence de
ces théories, en contraste avec le matérialisme de l'époque ne serait pas le
signe avant-coureur d'une renaissance de l'esprit, d'un retour du souffle
de la raison sur le devant de la scène du monde 6 ? », se demande-t-il.
1. Cf. R. Thom (1974), Modèlesmathématiquesde la morphogenèse, 2' éd., Bourgeois, 1980.
2. Cf. A. Boutot, p. 83.
3. Du grec holon: tout
4. Cf. en particulier les structures dissipatives de Prigogine dans lesquelles la population des
molécules se structure « comme si chaque molécule était informée de l'état de l'ensemble du sys-
tème», La nouvellealüance,p. 291.
5. A. Boutot (1993), p. 93.
6. A. Boutot, op. cit., p. 15.
62 L'ÉVOLUIION DE LA RÉFLEXION SCIENTifIQUE

85 Réalisme et rationalisme au xJt siècle: l'épistémologie concor-


dataire ◊ En dehors du courant morphologique, deux attitudes fonda-
mentales intitulées de façon classique et peu satisfaisante : rationalisme
et réalisme, continuent à s'opposer, mais avec moins de virulence. On
s'est orienté vers la position de G. Bachelard que G. Canguilhem (1957)
intitulait « épistémologie concordataire» c'est-à-dire établissant un
compromis. A l'heure actuelle : « toute pensée scientifique s'interprète à
la fois daps le langage réaliste et dans le langage rationaliste 1 ». Pour le
savant, l'Etre n'est saisi en bloc, ni par l'expérience, ni par la raison. « Il
faut donc que l'épistémologie rende compte de la synthèse plus ou moins
mobile de la raison et de l'expérience. [ ...]
Ce n'est pas seulement l'induction baconienne qui est ainsi boulever-
sée mais toutes les étapes de la méthode expérimentale. On ne sélec-
tionne plus dès le stade de l'observation, en fonction d'une hypothèse
plus ou moins précise. La science moderne va au-delà. La nécessité de
l'expérience est saisie par la théorie avant d'être découverte par l'observa-
tion ... D'ailleurs l'instrument de mesure est toujours lié à une théorie.
Innovations douloureuses. Les savants du .XXC siècle ont dû singulière-
ment modifier leurs façons de penser et de raisonner en relativement peu
de temps, tandis que leurs contemporains continuent à vivre dans un
monde où le feu brûle, la lumière onde ou corpuscule, éclaire, et une voi-
ture, masse ou énergie, s'écrase parfois contre un arbre. Les instruments
intellectuels efficaces pour notre vie quotidienne ne le sont plus lorsque
l'on passe à un autre ordre de grandeur.
L'histoire des sciences, cette longue conquête de la vérité paraît la plus
passionnante des aventures. En reste-t-il au moins une vibration dans ce
rapide survol de notions difficiles? Les lecteurs impatients (du moins
nous l'espérons) de s'initier aux sciences sociales, ne vont-ils pas escamo-
ter ces pages qui leur rappelleront de vagues réminiscences philo-
sophiques. Elles sont pourtant utiles pour comprendre la suite. Il y a des
livres qu'il faut relire à divers âges, des thèmes de réflexion que l'on peut
aborder plusieurs fois... même toute la vie.
Ce qui paraît fondamental dans l'évolution des sciences et exemplaire
pour les sciences sociales, c'est de constater combien chaque époque a eu
ses certitudes, plus ou moins vites démolies par la suivante. N'oublions
pas le nombre d'erreurs partagées par tous et considérées comme des véri-
tés évidentes, ni les efforts qu'ont représenté, non seulement la lente
acquisition de la vérité, mais surtout la suppression des préjugés, super-
stitions, croyances. Les savants du .XXC siècle ont été obligés, depuis vingt
ans, de reconstruire trois ou quatre fois leur raison. Ceci donne à réflé-
chir si on les compare aux savants en sciences sociales, dont certains
exploitent jusqu'à la fin de leur existence, dans une théorie excessive et
par là même inexacte, la petite idée, souvent juste, qui les a un jour frap-
pés.
En sciences sociales, la preuve de la vérité ou de la fausseté d'une opi-
nion n'apparaît pas toujours de façon manifeste. Le démenti de l'expé-
1. G. Bachelard (1968), p. 3. Nous serions tentés, Bachelard nous en donne l'exemple, d'ajouter
dans le langage de l'imaginaire.
LA SCIENCE DU XIX' SIÈCLE A NOS JOURS 63

rien ce n'est pas aussi évident que dans les sciences naturelles. Cette diffi-
culté soulevée par la vérification devrait rendre les sociologues
particulièrement prudents dans leurs affirmations et interprétations.
C'est, à eux, autant sinon plus qu'aux savants des sciences naturelles, que
s'appliquent les consignes de Bachelard sur le doute scientifique, la
méfiance vis-à-vis de ses impressions, la nécessité d'une rupture épisté-
mologique.
L'industrialisation, l'urbanisation, la violence, posent aujourd'hui des
problèmes aussi difficiles à résoudre que la chute des corps pour nos
ancêtres. Les problèmes humains sont autres et il ne s'agit pas de les
comparer abusivement, mais de rapprocher des attitudes semblables face
à des problèmes différents. Il faut se méfier des certitudes, des évidences,
c'est la grande leçon que l'histoire des sciences peut donner aux sciences
sociales. Seuls une longue patience, un mélange de doute prudent et de
curiosité passionnée peuvent amener des progrès dans la compréhension
de vérités provisoires.
En sciences sociales, nous en sommes au stade de l'alchimie, la dif-
férence avec le x:-f siècle, c'est que nous le savons.
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L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 67

CHAPITRE3
L'ÉVOLUTION
DES SCIENCESSOCIALES

« Les richesses les plus précieuses sont les


méthodes»
Fréderic Nietzsche.

SECTION1. L'ÉVOLUTIONDES SCIENCES


SOCIALESJUSQU'AU XIXe SIÈCLE
1
§ 1. Les auteurs
87 1° L'Antiquité ◊ Dans l'Antiquité, les mêmes philosophes s'intéres-
saient sous le nom de sciences, à la philosophie, à la physique ou aux
mathématiques, mais les trois domaines pouvaient en partie se distinguer
par leur objet Il en est autrement des sciences sociales, où se mêlent
considérations morales, politiques, sociales et philosophiques. Alors que
les sciences naturelles sont nées de l'expérience pratique journalière, les
sciences sociales, elles, se développent grâce aux crises. Il est difficile de
mesurer l'influence de la vie quotidienne sur la pensée psychologique ou
sociologique, mais une chose paraît sûre, la réflexion sur la société
commence par des considérations sur la politique. Aristote (385-322)
aborde l'étude de la réalité sociale et passe en revue divers facteurs dont l'équi-
libre détermine les formes gouv~mementales (densité démographique, distribu-
tion des richesses, etc.). Dans l'Ethique, il distingue« le savoir scientifique» et la
connaissance que nous pouvons avoir des « choses humaines». Mais celles-ci
étant variables, on ne peut tirer de leur observation des principes généraux, mais
seule;nent arriver à une« opinion vraie et raisonnable». Qu'il s'agisse de Platon,
des Epicuriens ou d'Aristote, tous étudient la société et cherchent en partant de
l'origine des gouvernements, à imaginer pour l'avenir la cité modèle.
De l'Antiquité au XDf siècle, les nombreux obstacles à l'idée même de
sciences sociales s'atténueront progressivement. Il ne s'agit pas d'étapes
nettes, de progrès précis, mais de façon diffuse, d'une lente évolution des
façons de penser, dans lesquelles tous les facteurs philosophiques, reli-
gieux, sociaux sont imbriqués. Nous rappellerons rapidement les noms
des principaux auteurs ayant apporté une contribution à ces change-
ments, sur le plan de la méthode.
88 2° Moyen Âge et Renaissance. Thomas More (1478-1535) ◊ Publie à
Louvain en 1516 le De optimoreipublicae statu digneNovaInsula Utopie,traduit en
anglais en 1551. Il oppose à la réalité de la société anglaise contemporaine, la
1. Cf. J.-J.Chevallier (1949, 1979).
68 L'ÉVOLUIION DES SCIENCES SOCIALES

république communiste laborieuse, fondée sur les familles, dénommée Utopie.


Avec More se débute la lignée des utopies politiques.
Nicolas Machiavel (1469-1527). A partir d'une description réaliste, elle aussi,
de la société italienne, il définit non une société idéale conforme à la justice, mais
les moyens de réussir en politique. Cette attitude paraît déjà plus proche d'une
science politique objective que les vœux pieux de ses prédécesseurs 1.
89 3° Le XVIIt siècle. Thomas Hobbes (1588-1679) ◊ Considère que l'état
de nature est celui de guerre de tous contre tous ; seul le contrat par lequel les
individus renonceni au droit absolu qu'ils ont sur toute chose assure avec la paix,
la suprématie de l'Etat, la souveraineté absolue et perpétuelle de ce grand Lévia-
than.
Jolm Locke (1632-1704). Préfigurant les thèses de Rousseau, il considère, à
l'opposé de son compatriote Hobbes, que les hommes sont à l'origine sociables et
pacifiques. Le contrat qui les lie protège leurs droits, en particulier le droit de pro-
priété. Ces deux auteurs cherchent à justifier des positions politiques et inter-
prètent les faits en fonction de leurs présupposés. C'est ainsi que les mêmes
Indiens d'Amérique, exemple de société apolitique, vivent d'après Hobbes de
manière sauvage, alors que Locke les considère comme illustrant les vertus de
l'état de nature.
90 Baruch Spinoza (1562-1677) ◊ Nous sommes au XVIIe siècle, il
n'est donc pas surprenant de voir surgir une explication mécaniste des
phénomènes sociaux. Spinoza, plus scolastique que Hobbes, ?Dalyse de
façon plus complète et plus fine les divers types de sociétés-Etats. Les
Anciens avaient cru faire œuvre scientifique en méditant sur la politique.
Platon n'affirmait-il pas qu'elle est l'objet d'une science ? Il paraît plus
surprenant que Hobbes, Machiavel ou Spinoza, contemporains d'un
développement rapide des mathématiques et de la physique, donc d'un
modèle scientifique déjà moderne, n'aient pas perçu plus nettement la
différence entre sciences naturelles et sciences sociales. Spinoza est per-
suadé que l'on peut traiter des rapports humains comme de la physique.
Pour Hobbes, ce qui sépare les mathématiques des sciences sociales, c'est
que les « premières unissent les hommes parce que la vérité et leurs inté-
rêts ne se trouvent pas en opposition, alors que les secondes les divisent,
car chaque fois que la raison est contraire à l'homme, l'homme est
contraire à la raison». En fait, comme le dit L.Althusser (1969), les
théoriciens tels que Hobbes et Spinoza ne font pas une théorie de l'his-
toire réelle, ils font une théorie de l'essence de la société[ ...] et en
donnent un modèle idéal et abstrait.
Ce qui au-delà de leurs différences, unit les divers auteurs que nous
venons de voir et leurs contemporains des XVIIeet xvnf siècles (exception
faite de Vico et de Montesquieu), c'est qu'ils se posent la même question:
quelle est l'origine de la société? et lui donnent la même réponse: l'état
de nature et le contrat social. Partant d'une absence de société, ils croient
trouver dans ce vide du passé, l'idéal d'une société à recréer. Le passage du
néant à la société existante est assuré par le contrat social. Cette notion
de contrat pour discutable qu'elle soit comme explication, est importante,
1. Cf.].-]. Chevallier (1970).
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 69

car elle est volontariste.Elle signifie que la société n'est pas une institution
divine, ni ce qui revient au même, issue d'un ordre naturel mais qu'elle
est l'œuvre d'individus égaux. De ce fait, elle s'oppose aux conceptions
féodales d'une hiérarchie naturelle et nécessaire des ordres, des états et
des hommes. Ceci explique l'attitude non plus moralisante, mais polé-
mique, des auteurs, antérieurement cités. D'après Althusser: « Ils ne vou-
laient pas comprendre tous les faits, mais fonder, c'est-à-dire proposer et
justifier un ordre nouveau. 1 »
Une véritable science sociale exigeait au contraire la recherche des faits
et pour cela une vue plus objective, moins utilitariste. C'est chez Vico et
chez Montesquieu que l'on trouvera pour la première fois une telle atti-
tude.
91 4° Le XVIIIe siècle. a) La science politique. Vico (G.B.) (1668-
17 44) ◊ Philosophe napolitain, précurseur de Comte (qui regrettait de
ne pas l'avoir connu), Vico par sa loi des trois états, (âge divin, âge
héroïque, âge humain) tente de découvrir dans l'histoire les critères de la
vérité 2 . Il nous intéresse par le modernisme de ses techniques de
recherches (études de documents, analyse linguistique), parce qu'il veut
appliquer aux faits sociaux les principes de Bacon en écartant les vues
normatives, en faveur d'une étude réaliste et objective.

92 Charles de Montesquieu (1689-1755) ◊ (Baron de Segondat)


Premier politologue mais aussi anthropologue, Montesquieu est pour
tous le précurseur de la sociologie moderne 3 . Pour R. Aron 4 (1967) il en
est même le fondateur, à la fois le dernier des philosophes classiques et le
premier des sociologues. On étudiera ici seulement ce qu'il apporte de
nouveau sur le plan de la méthode. La nouveauté réside dans le but qu'il
se propose: « J'ai d'abord examiné les hommes et j'ai cru que dans cette
infinie diversité des lois et des mœurs, ils n'étaient pas uniquement
conduits par leur fantaisie 5. »
Le point de départ de la recherche et sa nouveauté c'est de supposer
que cette infinie diversité n'est pas seulement la manifestation de la fai-
blesse des hommes, mais qu'un ordre intelligible peut lui être substitué.
Ceci suppose d'une part que l'on puisse trouver des causes, d'autre part
qu'elles ne soient pas transcendantes. Faire œuvre scientifique implique
le rejet d'explications théologiques ou morales. Le propre de Montesquieu
sociologue, sera donc de chercher les causes des événements et de les clas-
ser, de les ramener à un petit nombre. Comme le note R. Aron : « On
rend le devenirintelligible lorsque l'on saisit les causes profondes qui ont
déterminé l'allure générale des événements. On rend la diversitéintelli-

1. L. Althusser (1969), p. 23.


2. Son livre, LesPrincipesd'unesciencenouvellefut traduit en français par Michelet en 1824 sous
le titre LesPrindpesde la philosophiede l'histoire.
3. J.-J.Chevallier (1949), J. Starobinski (1957).
4. R. Aron (1967, B. 159 bis) p. 66.
5. C. de Montesquieu (1949, 1951, B. 104).
70 L'ÉVOLUIION DES SCIENCES SOCIALES

gible lorsqu'on l'organise à l'intérieur d'un petit nombre de types ou de


concepts 1. »
93 La notion de loi ◊ Montesquieu déclare... : « Plusieurs choses gou-
vernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gou-
vernement, les exemples des choses passées, les mœurs d'où il se forme
un esprit général qui en résulte. »
La recherche des causes est une première étape qui mène à la décou-
verte de lois : « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des
choses.» Nous avons vu dans l'histoire des sciences que la loi était, à
l'origine, un commandement en vue d'une fin, et que la loi divine régnait
au-dessus de tout C'est progressivement que s'est dégagée l'idée précisée
par Newton de la loi, rapport entre les choses. Si les termes choisis par
Montesquieu sont donc newtoniens et modernes, les appliquer aux
affaires humaines représente une véritable révolution. Cela signifie que
l'on peut tirer de l'histoire, de la politique, des institutions humaines,
l'explication de leur changement. On trouve déjà dans les arguments de
Montesquieu, une théoriesociologique descroyancesreligieuses et morales.
On voit alors le danger. S'il peut être utile de montrer que telle hérésie
dépend du climat, que telle religion fausse n'a qu'une cause humaine,
comment empêcher cette science profane de s'attaquer aussi à la vraie
religion : le christianisme ? Montesquieu réclame une séparation des
domaines de la religion et de la science. Cela même le fera traiter d'athée.
D'autres avant lui (Hobbes, Spinoza) avaient déjà tenté de considérer
la religion et la morale comme des faits historiques, mais en s'appuyant
sur le droit naturel, ils donnaient à leurs revendications un caractère
polémique et revendicatif. Montesquieu, en critiquant la doctrine du
droit naturel, refuse ces impératifs politiques et prend une attitude scien-
tifique que résume sa fameuse phrase : « décrire ce qui est, non ce qui
doit être». Parce qu'il est le premier à défendre le point de vue suivant
lequel une science du politique ne peut se fonder que sur l'autonomie du
politique, et qu'il reconnaît même sans la définir, la spéàficité du poli-
tique, Montesquieu mérite le titre de premier politologue européen.
La conception de la loi qu'il propose est également moderne, en ce
sens qu'elle ne s'applique qu'à des situations limitées: l'importance des
facteurs dépend de l'ensemble dans lesquels ils s'exercent Montesquieu
est le premier à affirmer l'interdépendance des phénomènes sociaux. Il
est aussi le premier à définir les sciences sociales par une méthode empi-
rique, où l'hypothèse vérifiée devient principe : « Je suivais mon objet
sans former de dessein : je ne reconnaissais ni les règles ni les exceptions ;
je ne trouvais la vérité que pour la perdre, mais quand j'ai découvert les
principes, tout ce que je cherchais est venu à moi 2 . »
En distinguant la «nature» d'une société, ce qui la fait telle, et son
«principe», ce qui la fait agir, Montesquieu prévoit la différence entre la
structure sociale et le système des valeurs qui fonctionne à l'intérieur de
celle-ci.
1. R. Aron (1967, B. 159 bis) p. 29.
2. C. de Montesquieu (1945, 1951), Préface à !'Esprit des Lois.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 71

Enfin on peut dire que pour lui l'État n'est pas seulement une totalité
idéale, comme chez Platon ou Hobbes, mais une totalité réelle, concrète.
Législation, institutions, coutumes, ne sont que la conséquence et l'ex-
pression de son unité. Avec Montesquieu, écrit L. Althusser (1969) « la
totalité qui était une idée devient une hypothèse scientifique destinée à
rendre compte des faits 1 ».
A côté de la réflexion politique, d'autres sciences humaines s'orien-
taient elles aussi vers une recherche plus scientifique. Comme dans les
sciences naturelles, c'est tout l'ensemble qui évolue. Avant d'aborder les
facteurs de progrès et les obstacles aux sciences sociales, signalons rapide-
ment les progrès de l'économie, de la statistique et les noms de quelques
auteurs qui les illustrent.
94 b) L'économie. En 1615 Antoine de Montchretien (1575-
1621) ◊ Auteur dramatique, publie le premier traité d'économie politique. En
1750, E. Quesnay (1694-1774) médecin de Louis XY fonde l'école physiocra-
tique. Les considérations qu'il expose débordent l'économie et rejoignent le droit
et la sociologie. Fondée sur le droit naturel et le contrat, c'est une doctrine libérale
qui tente d'élaborer une science sociale sur des principes rationnels.
Adam Smith (1723-1790) économiste écossais reprend dans les Recherches
sur la natureet lescausesde la richessedesnations (1776) les idées des physiocrates.
Cet ouvrage qui eut un grand succès est intéressant par sa logique qui annonce la
méthode comparative.
95 c) La. statistique ◊ C'est au xvi1• siècle que s'est affirmée l'idée que certains
événements sociaux pouvaient être q_uantifiés.Les problèmes de dénombrement
démographique furent les premiers a être abordés systématiquement malgré la
réticence des sujets interrogés. Les premières tables de mortalité furent établies
par un Anglais: Graunt et publiées en 1662 2 • A la fin du XVII"siècle, l'art de
« l'arithmétique politique» suivant la dénomination de W. Petty (1623-1687)
est devenu une spécialité britannique. Pourtant, à la même époque en Allemagne,
H. Conring (1606-1682) s'intéresse aussi aux problèmes de gouvemçment et
cherche le meilleur ense!Jlble de catégories pouvant caractériser un Etat. Son
«modèle» est celui de l'Etat comme unité active. Sous son influence posthume
s'ouvre, en 1737, l'uajversité de Gôttingen qui enseigne la statistique, entendue
comme science de l'Etat. Gottfried Achenwall (1719-1772) y sera considéré
comme le fondateur de la science allemande non quantitative. Celle-ci s'opposera
avec véhémence aux statisticiens vulgaires. « Ces pauvres Îl]lbéciles répandent
l'idée insensée que l'on peut comprendre la puissance d'un Etat en ne connais-
sant que sa superficie, sa population, son revenu national et le nombre d'ani-
maux broutant alentour». L'opposition à la quantification des sciences sociales
s'exerce même dans le domaine du mesurable ... parce que l'on n'en voit pas l'in-
térêt.
]. P. Suessmilch (1707-1767) auteur allemand est intéressé par la médecine.
Devenu pasteur, il publie en 1742 : L'ordredivinprouvépar la natalité,la mortalité
et la fertilité du genrehumain. Il est le premier à avoir étudié non seulement les
taux de naissance et de décès mais la fertilité dont il cherche les facteurs de varia-
tion. Il s'agit là de précurseurs, le fondateur de la statistique est un médecin
belge: Adolphe Quételet (1796-1874).
1. Hegel en reprenant la notion de totalité a reconnu ce qu'il devait au génie de Montesquieu.
2. Elles étaient en partie établies d'après les affichages publics des enterrements.
72 L'ÉVOLUIION DES SCIENCES SOCIALES

§2. Facteurs de développement et obstacles


aux sciences sociales
96 1 ° Les facteurs de changement ◊ L'absence de liberté de pensée
constituait dans le domaine des sciences humaines un obstacle plus
gênant et plus fort peut-être que dans les sciences physiques et naturelles.
Plus gênant parce que les préjugés y sont tenaces, l'expérimentation et
l'administration de la preuve compliquées, et plus fort, parce qu'au
dogme catholique s'ajoute la censure politique.
Pourtant, les contraintes extérieures étaient presque moins pesantes
que la limitation inconsciente qu'imposait le milieu lui-même, ses façons
de penser et de sentir. J. Piaget (1965) parle de la« décentration» néces-
saire non seulement à l'acquisition d'une attitude objective, à l'accumu-
lation d'observations utiles, mais aussi à une systématisation de ces don-
nées 1 .
La «décentration» implique que l'on sorte soi-même du milieu
observé, que l'on considère celui-ci comme contingent pour chercher à
comprendre et expliquer pourquoi il est ainsi et pas autrement. Ce qui
peut faciliter un tel état d'esprit assez peu spontané, c'est d'une part le
changement, l'évolution,d'autre part l'observation de milieux différents,
changement et comparaisonsont les deux facteurs les plus efficaces de
relativisation.
97 a) Changement et comparaison ◊ Dans le climat intellectuel de
l'Europe jusqu'au xvnf siècle, la tendance naturelle à croire universelles
ses propres manières de vivre, se trouvait renforcée par l'autorité, la hié-
rarchie, la vérité révélée.Mais à l'intérieur de ce cadre rigide s'effectuaient
de nombreux changements: la Réforme, les guerres civiles, l'abaissement
de la noblesse et la montée de la bourgeoisie, enfin la transformation de
la structure traditionnelle de l'État. L'évolution est en elle-même facteur
de réflexion, car tout changement relativise les croyances, suscite des
questions. C'est aussi la période des grandes explorations. Or, la possibi-
lité de comparer ce qui paraît aller de soi, à d'autres solutions, tout aussi
évidentes pour ceux qui les ont adoptées, permet d'utiles réflexions. La
découverte du Nouveau Monde, de façons de vivre différentes, facilite la
mise en question de la société, indispensable pour que naisse la sociolo-
gie, et prépare l'abondante documentation, d'où naîtra au XDf siècle,
l'ethnographie scientifique 2 . La linguistique, sans doute la plus ancienne
science sociale, a donné lieu à de nombreuses tentatives de systématisa-
tion (cf. les essais sémantiques au Moyen Age) mais son évolution vers
1. J.Piaget (1965, B. 159 bis) p. 69.
2. 1458, arrivée aux Indes de Vasco de Gama par l'Afrique du sud, 1492, découverte de l'Amé-
rique par C. Colomb, Magellan fait le tour de la terre en 1520. L'italien Pigafetta chargé du récit de
l'expédition rapporte de nombreux détails ethnographiques. Conquête du Pérou en 1527 par
F. Pizarre. Les missions se multiplient avec des comptes rendus détaillés des mœurs indigènes. Lexvm'
siècle voit s'organiser les explorations auxquelles sont attachés les noms de Cook, La Pérouse, G.
Vancouver. A. de Humbolt, un précurseur, affirme la nécessité pour l'européen de se libérer de la
culture gréco-latine pour comprendre les sociétés archaïques.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES JUSQU'AU XIX' SIÈCLE 73

un statut scientifique a été gênée par l'absence de termes de comparaison.


Le langage se réduisant à une grammaire, celle de la langue maternelle,
qui paraissait liée à la logique universelle. C'est l'enseignement des
humanités classiques (latin-grec) et surtout l'histoire de l'évolution des
langues ( donc du changement) qui permit par des comparaisons d'élargir
ces points de vue.
98 b) Histoire et évolution ◊ La décentration dans l'espace devait s'ac-
compagner d'une décentration dans le temps. Il était indispensable de
découvrir que les états individuels ou sociaux saisis de façon immédiate,
ont en réalité une histoire, sont le résultat de causes, qu'il faut connaître
pour en comprendre les conséquences. Il était nécessaire de passer du
stade de la réflexion sur des événements particuliers, à une histoire de
phénomènes récurrents. Ces problèmes devaient être l'objet de dis-
cussions (surtout en Allemagne) et préparer le grand développement de
l'histoire au ~ siècle. L'apparition de l'histoire des sciences au XVIIIe
siècle, liera la notion d'histoire à celle de progrès.
La découverte par Darwin de la dimension génétique de l'évolution des
êtres organisés, constituera un facteur décisif de changement Quelle
décentration pouvait être plus considérable pour l'homme que l'idée de
descendre du singe ! Quel choc pour la doctrine de la nature humaine
immuable, et sa conséquence : une vie sociale stable.
Pourtant la sociologie a détourné le choc et n'a pas intégré rapidement
un événement si étranger à ses préoccupations 1 . L'histoire en revanche
restait son histoire, proche de son mode de réflexion, d'un désir de prévoir
les phénomènes, plus que d'un besoin scientifique de comprendre leur
mode de production
99 c) Le modèle des sciences de la nature ◊ Les sciences de la nature
ne se développaient pas en vaseclos. S'il n'existait pas de moyens d'infor-
mation de masse, les idées circulaient dans tout le milieu intellectuel
européen. L'extension de l'esprit scientifique, l'influence de l'Encyclo-
pédie, puis au ~ la philosophie positiviste, devaient modifier les façons
de penser dans tous les domaines. Ajoutons à cela que les succès réels et
mondains des sciences de la nature au XVIIIesiècle offraient aux sciences
humaines à la fois un stimulant et un modèle.
100 d) La de1imitation des problèmes ◊ La philosophie vise une
réflexion d'ensemble et met en jeu des valeurs qui relèvent de croyances
subjectives (idéalisme, matérialisme) dont on ne peut prouver la vérité.
La science implique la mise à l'écart de ces convictions et la recherche
d'observations, d'explications et de solutions même limitées, mais véri-
fiables par des méthodes accessibles à tous. Les sciences sociales devaient
donc pour atteindre un statut scientifique, se détacher des réflexions
générales et se limiter à des secteurs où les rapports et les relations entre
facteurs pouvaient être mis en évidence. Ceci impliquait que soit réduit le
champ d'obseivation.
1. En revanche, l'évolutionnisme darwinien a exercé une influence directe sur la psychologie.
74 L'ÉVOLUIION DES SCIENCESSOCIALES

Ces changements étaient subordonnés à ce qui au fond résume tout le


reste : l'emploi de méthodes scientifiques.
101 2° Obstacles au dévelopP.ement des sciences sociales. a) La dif-
ficulté d'utiliser une méthode scientifique ◊ Nous retrouvons ici
le problème des obstaclesépistémologiques rencontrés dans les sciences de
la nature. Dans le cas des sciences de l'homme ils se révèlent plus diffi-
ciles encore à surmonter. On l'a vu, les sciences expérimentales se sont
constituées après les disciplines déductives. Ce retard est encore plus net
dans les sciences de l'homme, car la tendance à déduire et spéculer à par-
tir de sentiments éprouvés, vécus, ou compris instinctivement, l'a
emporté longtemps faute d'un cadre logique, sinon mathématique, per-
mettant d'observer les facteurs après les avoir dissociés et isolés. L'intui-
tion peut donner lieu à des vues pertinentes, à des hypothèses, mais l'ob-
servation utile, la vraie lecture de l'expérience, nécessitent une
préparation que l'on n'était pas en mesure d'organiser.
102 b) La confusion entre État et société ◊ C'est aux philosophes du
contrat social que l'on doit la distinction entre gouvernementet société.
Nous avons vu Hobbes et Locke découvrir le fondement de la société poli-
tique dans l'union sociale des gouvernés, indépendamment de la forme
du gouvernement. Mais c'est seulement au ~ siècle, que la distinction
entre l'étude politique de l'État, et l'étude sociologique de la société sera
définie, acceptée, et reconnu le fait que la vie en commun crée entre les
hommes un lien particulier, différent du lien de subordination à l'État 1.
103 c) Le réformisme ◊ Un des obstacles au développement des sciences
sociales, c'est le réformisme. En science politique, la recherche du bon
gouvernement et de la société idéale, détournera de l'observation des
faits. Le désir d'évangéliser et de civiliser les sauvages, couvrira tous les
trafics et empêchera l'ethnographie d'acquérir dès le départ un statut
scientifique. Cependant ce désir de réformer (malgré tout ce qu'il
implique) constituera aussi au~ siècle un puissant stimulant au déve-
loppement des sciences sociales.
104 Bibliographie ◊
*ArnmssER(L.) 1969. - Montesquieu,la Politiqueet l'Histoire,P.U.F., Coll.
sup., 126 p.
BECKER (H.), BARNES (H.E.) 1961. - Social thought from lore to science,
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360 p.
CASSIRER (E.) 1966. - 1932. Tr. fr. La Philosophiedes lumières, Fayard,
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1. Leterme de sociétécivileest utilisé pour la premièrefois en Grande-Bretagnepar A. Ferguson:
Historyof civil sodety (1766), avant de connaître le succèsgrâce à son utilisation par Hegelpuis les
marxistes.
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES DEPUIS LE XIX' SIÈCLE 75

CASTELS (M.) et !POLA (E. de) 1973. - « Pratique epistémologique et


sciences sociales», in Théorieet Politique,1erdécembre 1973 pp. 30-61.
*CHEVAllIER o.-J.) 1949. - Lesgrandesœuvrespolitiques,Colin, 406 p. nou-
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CI.AVAL (P.) 1980. - Les mythes fondateursdes sciencessociales,P.U.F., 263
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Hozarrz (B.F.) (ed.) 1970. -A Reader'sGuideto the SocialSciences,Lon-
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SrAROBINSKIQ.) 1957. - Montesquieupar lui-même, Seuil, 192 p.
THUILLIER (P.) 1918. - Darwin et compagnie,P.U.F., 224 p.

SECTION2. L'ÉVOLUTIONDES SCIENCES


SOCIALESDEPUIS LE XIXe SIÈCLE
1O5 1 ° Impérialisme et division ◊ Ce qui caractérise le savant en scien-
ces sociales, comme en sciences naturelles, ce n'est pas tellement l'ac-
cumulation du savoir, ce qu'il sait, que le sens des problèmes qui se
posent, c'est-à-dire ce qu'il ne sait pas. L'un et l'autre sont d'ailleurs
complémentaires, le paradoxe étant qu'il faut savoir de plus en plus de
choses, pour mieux se rendre compte de tout ce que l'on ignore.
Il est indispensable de comprendre que toute science naît de « pour-
quoi» et que toute formation scientifique, consiste avant tout à dévelop-
per l'aptitude à poser de bonnes questions, celles qui visent les vrais pro-
blèmes.
Les sciences sociales comme les sciences de la nature, vont se diviser
autour de quelques questions clefs. Lorsque ces questions essentielles for-
meront, avec les questions secondaires qu'elles auront suscitées, un
ensemble cohérent, elles se sépareront du domaine plus général d'où elles
sont issues.
Les hasards de l'histoire sembleraient à certains suffisants pour expli-
quer la manière dont la division s'est faite. Cependant, une observation
plus attentive amène à penser qu'en fait, les sciences sociales ont suivi
une évolutionlogiquequi leur était propreà chacuneet qui incita chacune
d'elles à se scinder du tronc originel.
La sociologie s'est séparée de la philosophie, puis la psychologie sociale de la
sociologie; la démographie, de son côté, est devenue une spécialité, comme l'ur-
banisme est en train de le devenir. On distingue parmi les sciences sociales : celles
entre lesquelles subsistent des liens étroits de dependance, qui, à titre de spécia-
76 L'ÉVOLUIION DES SCIENCESSOCIALES

lité, demeurent à l'intérieur d'une discipline à laquelle elles continuent d'apparte-


nir (la sociologie du travail ou la sociologie religieuse), et celles dont l'objet, le
point de vue et les méthodes, deviennent si spécifiques, qu'elles se transforment
en véritables sciences sociales indépendantes, telles la psychologie sociale, ou la
démographie. On ne peut prévoir à l'avance le processus de spécialisation, qui se
calque sur la transformation du monde lui-même.
Les différentes sciences sociales étudient les secteurs d'un même
ensemble: l'activité humaine. Ces secteurs ne sont pas toujours très clai-
rement définis et leur séparation, leur classification, ne peuvent être
qu'arbitraires et temporaires. D'autre part, le fait même que chacune des
sciences ait pour objet essentiel les activités humaines et admette que
l'homme est un tout, les rend impérialistes, alors qu'elles devraient être
surtout solidaires.
Il faut enfin noter que les spécialisations correspondant à la logique propre de
chaque science, ont encore éte aggravéespar une division universitaire arbitraire.
Si chaque science de la nature n'étudie également qu'un aspect de la réalité, il
existe du moins une philosophie des sciences, représentant une synthèse de toutes
les recherches particulières. Rien de semblable dans les sciences sociales, qui ne
disposent pas de science générale, dont la fonction spécifique consisterait à exa-
miner et synthétiser les résultats acquis dans les domaines séparés, d'où leur
crainte d'une subordination possible a l'une ou à l'autre d'entre elles.
Les sciences sociales ont parfois été comparées à un paysage où chacun
se promène avec un point de vue différent, l'un pense au sous-sol, il est
géologue, l'autre est peintre, les suivants géomètre, botaniste, etc. Chacun
voit bien, sans doute, la totalité du paysage, mais n'en approfondit qu'un
aspect et chacun de ces aspects ne rejoint pas l'autre. Tous sont d'accord
sur ce qui est superficiel, visible, mais, lorsqu'il s'agit d'interprétation,
d'explication en profondeur, chacun propose sa solution, fournit ses
propres critères. Reconnaître la totalité de l'homme, c'est, pour chaque
science sociale, qu'elle le veuille ou non, présenter ses propres conclu-
sions comme la vision de l'homme la plus adéquate. D'où le danger d'im-
périalisme ou de morcellement, alors que l'on ressent le besoin de syn-
thèse, synthèse qui devra s'opérer à différents niveaux : celui de la
recherche, par des travaux en équipe où chacun apporte sa contribution,
celui de la réflexion, par une connaissance suffisante des diverses spéciali-
tés.
A l'heure actuelle, on considère que les principales sciences sociales
sont: la sociologie, l'anthropologie, la psychologie sociale, l'histoire, la
géographie, la démographie, l'économie politique, la science politique et
la linguistique. Cette liste n'est naturellement pas limitative.
Chaque science sociale comporte un très grand nombre de définitions, chaque
auteur ou presque proposant la sienne. Or, une définition n'est jamais qu'une
façon de considérer l'objet, de le connaître, elle dépend donc de la nature de
celui-ci, mais au moins autant de la façon dont il est perçu par l'observateur et de
l'état actuel des connaissances. Les unes et les autres évoluent. C'est pourquoi il
nous paraît préférable de marquer les étapes essentielles de développement des
diverses sciences sociales, plutôt que d'insister au début sur leur définition. De
même, nous ne donnerons pas de liste exhaustive des domaines de chaque
L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES DEPUIS LE XIX' SIÈCLE 77

science, mais nous attacherons plutôt à faire le point sur leur nature, sur leur
orientation, et surtout leurs problèmes méthodologiques.
106 2° Sciences sociales et sciences humaines ◊ A voir utiliser tantôt le
titre de sciences humaines (cf. anciennes facultés de lettres) tantôt celui
de sciences sociales (cf. nouvelles universités) enfin de sciences de
l'homme, on peut se demander quelle est la différence... s'il y en a une,
ou s'il ne s'agit que d'une division universitaire historique.
Pour C. Lévi-Strauss (1964) l'expression même de sciences sociales
recèle un pléonasme, car en se déclarant « sociales », elles impliquent
déjà qu'elles s'occupent de l'homme, et il va de soi qu'étant donc d'abord
humaines, elles sont « sociales » automatiquement. Pour lui le critère de
distinction serait d'ordre pratique « sous le manteau des sciences sociales,
on trouve toutes celles qui acceptent sans réticence de s'établir au cœur
même de leur société, avec tout ce que cela implique en fait de prépara-
tion des élèves à une activité professionnelle et de considération des pro-
blèmes sous l'angle de l'intervention pratique ». Ceci regrouperait études
juridiques, sciences économiques et politiques, psychologie sociale, cer-
taines branches de la sociologie. En revanche, les sciences humaines
seraient celles qui se mettraient en dehors de chaque société particulière :
« vis-à-vis des sciences exactes et naturelles, les sciences sociales sont en
position de clientes, alors que les sciences humaines aspirent à devenir
des disciples [ ...] la différence n'est pas seulement affaire de méthode;
elle est aussi affaire de tempérament... [ ...]. Aux sciences exactes et natu-
relles les sciences humaines ont emprunté la leçon, qu'il faut commencer
par récuser les apparences, si l'on aspire à comprendre le monde ; tandis
que les sciences sociales se prévalent de la leçon symétrique, d'après
laquelle on doit accepter le monde si on prétend le changer. »
Ces formules séduisantes ne sont pas convaincantes car nous verrons
qu'en sciences sociales comme en sciences humaines, il faut récuser les
apparences si l'on veut faire œuvre scientifique.
La distinction proposée par J. Piaget 1 paraît plus proche de la réalité.
Après avoir déclaré qu'aucune différence de nature ne permettait de dis-
tinguer sciences sociales et sciences humaines, il pense que l'on peut
regrouper:
1° les sciences « nomothétiques», disciplines qui cherchent à dégager
des lois ou des relations quantitatives. Ce sont la psychologie scientifique,
la sociologie, l'ethnologie, la linguistique, l'économie et la démographie.
Toutes utilisent des méthodes soit d'expérimentation stricte soit d'expéri-
mentation au sens large d'observation systématique, et de ce fait sont
amenées à ne faire porter leurs recherches que sur peu de variables à la
fois.
2° les sciences historiquesqui reconstituent le déroulement de la vie
sociale au cours des temps.
3° les sciences juridiques.
4° enfin les disciplines philosophiques.
1. J. Piaget (1970) in Tendances,1" partie.
78 L'ÉVOLUIION DES SCIENCES SOCIALES

Pour notre part nous utiliserons dans ce livre indifféremment les


appellations sciences de l'homme, sciences humaines et sciences sociales.
107 Bibliographie ◊
BECK(L. W.) 1958. - PhilosophicalInquiry, Englewood Cliffs, Prentice
Hall, 6e éd., 470 p.
CAILLE (A) 1986. - Splendeuret misèredesSciences Sociales,Genève, Droz.
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LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 79

CHAPITRE4
LESDIFFÉRENTES
SCIENCESSOCIALES

SECTION1. LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE


La sociologie est l'étude de la réalité sociale. Les préoccupations philo-
sophiques sur la nature de la société, ou morales sur les moyens de l'amé-
liorer, sont aussi anciennes que la réflexion sociale, politique ou philo-
sophique, mais ce n'est qu'à partir du moment où l'on a observé les faits
sociaux, en les séparant des jugements de valeur, que la sociologie est née
en tant que science.
108 Les tendances ◊ Au XIXeet au xxe siècle, persistent, affermies ou affai-
blies, les diverses tendances décelées au XVIIIesiècle. Parmi celles-ci, à côté
de l'utopie et du réformisme toujours plus ou moins présents, les cou-
rants qui se précisent sont l'évolutionnisme, la réflexion théorique et la
recherche empirique.
Il est intéressant de constater, car ce n'est pas un hasard, que l'on
retrouve dans les sciences sociales, les deux orientations déjà signalées
dans l'évolution des sciences de la nature. En effet la sociologie se déve-
loppe comme une lutte, une juxtaposition ou une conciliation entre deux
tendances préexistantes et opposées : une pensée théorique et une
recherche pratique, souvent inspirée par une volonté réformatrice. L'une
ou l'autre domine, suivant les périodes et les pays. A l'empirisme des
anglo-saxons, s'opposent l'idéalisme allemand et le rationalisme français.
Les tendances peuvent même se manifester suivant des dosages diffé-
rents, chez le même individu. Les premiers sociologues : Saint-Simon,
Comte, Marx, Durkheim, tout en poursuivant des buts scientifiques
demeurent des utopistes, des prophètes ou des réformateurs.

SOUS-SECTION
1. Le courant évolutionniste
109 1 ° En Europe ◊ Le courant évolutionniste, directement lié à la philo-
sophie de l'histoire, est antérieur au darwinisme, et compte des représen-
tants dans toute l'Europe.
Ceux-ci se caractérisent par leur tendance plus ou moins organiciste 1. On peut
citer Lllenfield Toailles (1829-1903) russe d'origine suédoise. En France A. Espi-
nas (1844-1922) qui enseignait à Bordeaux en même temps que Durk-

1. La sociétéest un organisme vivant sujet à des lois naturelles : coopération, divisiondu travail,
etc.
80 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

heim. René Worms (1869-1926) qui fonda la Revueinternationalede sodologieen


1892. A. J. E. Fouillée (1838-1912), G. V. de Lapouge (1854-1936). En Alle-
magne: A. E. F. Schaffle (1831-1903) etJ. A. de Gobineau (1816-1882) enfin en
Pologne, Ludwig Gumplowicz ( 1838-1909). Ces derniers, darwinistes, sont
préoccupés des problèmes raciaux et biologiques.
Mais c'est tout de même en Grande-Bretagne et aux États-Unis que le
courant évolutionniste trouve l'accueil le plus favorable et se développe
dans le dernier quart du~ siècle, à la fois chez les sociologues liés à une
tradition historique, et chez les anthropologues intéressés par l'évolution
de la culture.

109-1 2° En Grande-Bretagne et aux États-Unis. H. Spencer (1820-


1903) ◊ Leplus important parmi les représentants de la tendance naturaliste,
est un des premiers à avoir précisé la notion de types sociaux mais sa notion
d'évolution demeure vague, son psychologisme déterministe et ses nombreuses
comparaisons biologiques pour expliquer la société, peu convaincantes. Ajoutons
à cela que ses définitions et points de vue sont souvent contradictoires ( cf. la
notion d'organisme social). Les faiblessesde cette œuvre suscitèrent de très nom-
breuses critiques en France et en Allemagne, mais ne l' empêçhèrent pas d'exercer
une grande influence en Grande-Bretagne, et surtout aux Etats-Unis où la dis-
tinction, empruntée à la biologie, entre structure et fonction, et la notion d'équi-
libre sont à l'origine du structuro-fonctionnalisme (cf. n° 384).
Bmjambt Kidd (1858-1919), mérite d'être signalé car pour lui le progrès dans
l'évolution se produit grâce aux conflits.Lester F. Ward (1841-1913) et Fran-
klin H. Giddbtgs (1858-1931), l'un et l'autre influencés par Comte et Spencer,
tentent de sauvegarder la liberté et la dignité de l'homme à travers l'évolution:
« L'environnement transforme l'animal, tandis que l'homme transforme son
environnement 1 » écrit Ward. « La société est plus qu'un organisme... c'est une
organisation ... partiellement le produit d'une évolution inconsciente [ ...] par-
tiellement le résultat d'un plan conscient 2. »
L. T. Hobhouse(1864-1929) est préoccupé par l'évolution morale et voit dans
la rationalité une conquête de l'esprit humain, mais la méthode comparative qu'il
utilise, ne remplit pas les conditions de rigueur scientifique requises.

2. Le courant théorique
SOUS-SECTION

La différenciation de la pensée scientifique en fonction des nationalités


eût été incompréhensible au Moyen Age. C'est un phénomène moderne,
qui se conçoit particulièrement pour la sociologie, puisqu'elle se déve-
loppe en réponse aux problèmes posés par des crises. Il existe chez Prou-
dhon, Comte, Durkheim, un ensemble de réflexions issues de la situation
politique et sociale de la France. Elles forment ce que l'on a appelé l'école
sociologique française. Il existe également une sociologie allemande mais
pas une école. Les conditions politiques et sociales ne le permettaient pas.
1. ln G. Duncan Mitchell (1968), p. 58.
2. In op. cit., p. 61
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 81

§ 1. La sociologie en France
110 Claude Henri Comte de Saint-Simon (1760-1825) ◊ D'après
Durkheim, il mérite plus que Comte le titre de père spirituel de la sociolo-
gie contemporaine.
On trouve en germe chez Saint-Simon, les idées qui ont alimenté la réflexion
de notre époque : notion de réalité sociale, rapport entre production matérielle et
production spirituelle : ... « c'est dans l'industrie que résident en dernière analyse
toutes les forces ~éellesde la société [ ...] opposition de classes et domination de
l'une d'elle par l'Etat, enfin opposition de la réalité sociale rigide, aux forces spon-
tanées qu'elle recouvre. »
Sur le plan de la méthode, il réaffirme à la suite des encyclopédistes la nécessité
de constituer une« science autonome des faits sociaux». Influencé par des idéo-
logues et des médecins (Cabanis, Bichat), il est intéressé par la physiologie et c'est
sur le modèle de cette science qu'il conçoit ce qu'il nomme « la science nou-
velle». Dans son mémoire sur La sciencedel'homme(1813) il insiste sur la néces-
sité de raisonner à partir de faits vérifiés et prouvés.
Mals il reste un utopiste encore marqué par l'influence de la philo-
sophie de l'histoire.
111 Pierre Proudhon (1805-1865) ◊ Pour lui la« science sociale» a
pour objet de révéler les antinomies qui opposent dans la société groupes
et classes... « Après avoir produit la raison et l'expérience sociale, l'huma-
nité procède à la construction de la science sociale ». Comme chaînon
intermédiaire entre Saint-Simon et Marx, Proudhon est important. Sur le
plan méthodologique, il reste un utopiste plus dogmatique que Saint-
Simon. Sur le plan politique, c'est avec M. Bakounine, le père de l'anar-
chie.
112 Auguste Comte (1798-1857) ◊ Il est considéré (lui aussi!) comme
le père de la sociologie. Après l'avoir appelée « physique sociale», nom
déjà utilisé par le statisticien Quetelet, il créa le terme de « sociolo-
gie». Il mérite son titre de fondateur, pour une autre raison moins
anecdotique. Il est le premier dans son Cours de philosophie positive 1 et
son fameux Discours sur l'esprit positif, à présenter de façon systéma-
tisée les principaux problèmes sociologiques.
Secrétaire de Saint-Simon, A. Comte reconnaît avoir subi l'influence de Bos-
suet et de Maistre dont il retient le goût pour l'histoire, de Montesquieu et
Condorcet auxquels il emprunte, au premier la notion de déterminisme, au
second l'idée des étapes des progrès de l'esprit humain.
A l'origine de la vocation de Comte, polytechnicien, se trouve cette affirma-
tion: « Soyons en rapport avec les hommes pour travailler à l'amélioration de
leur sort 3 ». Il est un exemple parmi beaucoup d'autres, de l'influence des événe-
ments politiques et sociaux sur la naissance d'une vocation de sociologue et de
l'orientation d'une réflexion sociologique. Dans une société industrielle en plein

1. A. Comte (1907-1908), Coursdephilosophiepositive,6 vol.: Schleicher Frères, éd.


2. A. Comte éd. 1963. Discourssur !'Espritpositif, coll. 10/18, 186 p.
3. In P. Arnaud (1969), p. 7.
82 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

développement, basée sur l'organisation du travail, il voit s'accumuler les injus-


tices. Il refuse le socialisme, car la disparition de la propriété privée ne lui paraît
pas un remède dont l'efficacité soit scientifiquement démontrée. Il attribue la
crise de la société à la contradiction entre le type théologique et militaire du passé,
et le type scientifique et industriel du présent. Il en déduit, avec une logique très
polytechnicienne, la nécessité de créer un système d'idées scientifiques, pour pré-
sider à l'ordre social futur. Comte prévoit le rôle des technocrates.
La réforme intellectuelle indispensable, devra s'inspirer de l'esprit avec lequel
l'intelligence humaine ordonne le réel : les sciences exactes et les sciences de la
nature (mathématiques, astronomie, physique). L'histoire de ces sciences nous
apprend comment elles se sont progressivement dégagées de la métaphysique.
Chacun d'entre nous se souvient aussi « en contemplant sa propre histoire, avoir
été successivement, quant à ses notions les plus importantes, théologien dans son
enfance, métaphysicien dans sa jeunesse et physicien dans sa virilité 1 ». D'où la
fameuse loi des trois états des sociétés : théologique, métaphysique et positif.

113 La méthode ◊ Comte propose ses règles de méthode sociologique dans


la quarante-huitième leçon du Cours de philosophiepositive après avoir
annoncé : « Il ne peut ici être nullement question d'un vrai traité logique
préliminaire de la méthode en physique sociale 2 ». Pourtant l'aspect
méthodologique de son œuvre, qui sera seul retenu ici, est capital 3 •
Le titre même de physique sociale: « j'entends par physique sociale, la
science qui a pour objet propre l'étude des phénomènes sociaux 4 » est
significatif. Il implique la volonté de s'inspirer de la physiologie et d'étu-
dier les faits sociaux comme les phénomènes astronomiques, physiques,
chimiques ou physiologiques.
Pour la première fois est affirmée la nécessité d'une observationrigou-
reuse des faits.
« L'observation des faits est la seule base solide des connaissances humaines 5•
[ ...] Envisageant toujours les faits sociaux non comme des sujets d'admiration ou
de critique, mais comme des sujets d'observation, elle (la science sociale) s'oc-
cupe uniquement d'établir leurs relations mutuelles 6 • »
L'observation est indispensable pour connaître la réalité, mais Comte
combat dans les trois premiers volumes du cours, les doctrines empiristes
et réclame un cadre théorique: « car il n'y a jamais d'action sans une
spéculation préliminaire». C'est comme le dit P. Arnaud: « la transposi-
tion de la méthode hypothético-déductive de la physique des corps bruts à
celle du corps social 7 ».
« La science se compose de lois, non de faits » et le but de la science c'est
« d'agrandir le domaine rationnel aux dépens de l'expérimental, c'est pourquoi

1. In op. dt.
2. Cours IV p. 231 in P. Arnaud, p. 94.
3. Dans cette cx:uvresi riche, la plupart des commentateurs négligent cet aspect. Aussi faut-il
apprécier la part qui lui est faite par P. Arnaud, auquel nous ferons de nombreux emprunts.
4. In Arnaud (1969), p. 18.
5. In op. dt., p. 14.
6. In op. dt., p. 17.
7. In op. dt., p. 10.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 83

toute science véritable est déductive 1 ». La connaissance ne devient scientifique


qu'à partir du moment où elle s'organise et se généralise. « Aucune véritable
observation n'est possible qu'autant qu'elle est primitivement dirigée et finale-
ment interprétée par une théorie quelconque 2. Le meilleur exemple de ce« besoin
logique» dit Comte nous le trouvons dans l'exemple de la statique et de la dyna-
mique. II s'agit là de deux notions essentielles, pour l'auteur.
114 La statique et la dynamique ◊ La « sociologie dynamique », but de la socio-
logie, concerne ce qui varie dans les sociétés, leur histoire. Son étude repose sur les
données scientifiques que lui fournit la sociologie statique qui comprend l'ordre
spontané des sociétés humaines, ce qui est commun à toutes et demeure stable. Il
s'agit là non d'une coupure épistémologique arbitraire, mais d'une division
méthodologique commode pour l'étude des faits sociaux, comparable à la distinc-
tion entre l'anatomie (statique) et la physiologie (dynamique).
Malgré sa volonté de dépasser l'empirisme, de chercher des lois, d'utiliser la
déduction, Comte ne va pas jusqu'à admettre l'utilisation de procédés mathéma-
tiques en sciences sociales. Son admiration pour Condorcet, son « père spiri-
tuel», ne l'empêche pas de déclarer à propos du calcul des probabilités que« les
travaux de ce genre, exécutés jusqu'ici, n'ont réellement ajouté aucune notion
d'importance à la masse des idées acquises».
Les efforts des mathématiciens pour appliquer aux sciences sociales leurs pro-
cédés n'ont abouti au terme d'un « long et pénible travail algébrique» qu'à quel-
ques propositions presque triviales dont la justesse est aperçue du premier coup
d'œil avec une parfaite évidence par tout homme de bons sens 3. » Les réserves
exprimées par les biologistes doivent être partagées par les sociologues car la
« variabilité » et la « complication » des faits sociaux sont au moins égales à celles
des phénomènes physiologiques. Comte se méfie du risque d'abstraction des
mathématiques: « l'analyse mathématique isolée de l'observation de la nature,
n'a qu'un caractère métaphysique 4 ». Les faits sociaux sont concrets et exigent
une science positive. En identifiant ainsi réel et concret, le positivisme de Comte
malgré ses disciples abusifs est aux antipodes du scientisme.
Enfin, pour réserver l'avenir du développement des mathématiques, Comte
émet des doutes sur l'aptitude des mathématiciens à observer les faits sociaux et la
sociologie n'est pas encore mûre pour cette quantification.
115 Les méthodes comparative et historique ◊ Après l'observation,
Comte se préoccupe de l'expérimentation.La manipulation étant difficile,
c'est l'histoire qui offrira les« cas pathologiques» à observer. Les pertur-
bations« constituent pour l'organisme social, l'analogue exact des mala-
dies proprement dites de l'organisme individuel 5 ». Comte insiste sur la
valeur des méthodes comparativeet historique.
Comparer les divers états consécutifs de l'humanité est le but même de la
science sociale. L'étude des phénomènes du passé envisagés dans leur ensemble
permet la prévision. Celle-ci est légitime lorsqu'elle est « fondée sur l'exacte
connaissance générale de ces relations nécessaires6 ».

1. In op. dt., p. 70.


2. Op. dt., p. 97, Cours IV p. 334.
3. In op. dt., p. 35.
4. In op. dt., p. 37.
5. In op. dt., p. 102. Cours IV p. 345.
6. In op. cit., p. 110. Cours IV p. 259.
84 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Ce qui importe c'est d'établir entre les faits un enchaînement réel,« les lois qui
président au développement social de l'espèce humaine 1 ».
Mais cet enchaînement est égalitaire, il lie plus ou moins entre eux des
séries de phénomènes humains différents (série scientifique, esthétique,
morale, etc.) qui sont à la fois cause et effet et ne peuvent être étudiés
qu'au sein de la totalité qu'est la société. Comte, par opposition à toute
métaphysique et du fait de l'interdépendance des phénomènes sociaux,
s'interdit de rechercher les causes au sens mécaniste ou providentiel du
terme, car la notion de cause ne peut convenir à la nature des faits
sociaux. Le but de la loi, étape ultime de la physique sociale, n'est plus de
rechercher des concomitances, mais de rendre le réel compréhensible,
c'est-à-dire de l'expliquer en le rendant intelligible. Pour Comte, l'intelli-
gibilité proviendrait de la qualité compréhensivede l'explication 2 , dont le
caractère subjectif est indispensable lorsqu'il s'agit d'un phénomène
reliant des hommes entre eux. Comprendre une relation entre deux faits
sociaux c'est être capable de les intégrer à une visée humaine 3 • Le fait que
l'observation des hommes soit faite par des hommes, fait prédominer le
caractère humain de la science sur son aspect positif.
116 La spécificité des faits sociaux o Autre élément à l'actif
d'A. Comte, il affirme après Montesquieu (qui l'appliquait au domaine
politique) la spécificitédesfaits sociaux.La science sociale, pour se consti-
tuer en discipline autonome, doit déterminer son domaine, sélectionner
des faits qui lui soient propres. Ceux-ci relèvent d'abord de la notion de
« consensus fondamental » idée que l'on retrouvera chez de nombreux
sociologues sous diverses formes (solidarité de Durkheim, imitation de
Tarde). Cette notion de consensus lui fournit la solution du problème des
rapports entre l'individu et la société, qui le trouble moins que d'autres
auteurs:« l'activité collective du corps social n'étant que la résultante des
activités individuelles de tous ses membres, dirigées vers un but commun,
ne saurait être d'une autre nature que ses éléments».
Ennemi du monisme, Comte veut que la sociologie appréhende la
diversité du réel. La réalité comporte des aspects irréductibles les uns aux
autres 4, mais après Montesquieu, il note l'interdépendance des facteurs
et surtout le caractère de totalité des phénomènes sociaux. Cette notion
de totalité apparaît très tôt dans l'œuvre de Comte et s'applique à des
groupes différents, depuis l'histoire générale de l'humanité, jusqu'aux
histoires particulières « qui en constituent le tout organique parce
qu'elles sont elles-mêmes des totalités 5 ». Toute étude des phénomènes
1. In op. cit., p. 23. Appendicedu tome N.
2. La notion de compre'hensionse retrouve, amplifiée,chez les auteurs allemands, en particulier
chez Weber. Cf. n° 141.
3. Op. cit., p. 119.
4. Certains passagesde Comte font penser à G. Gurvitch (1957), P. Arnaud imagine ce qu'aurait
été l'a::uvrede ce dernier si au lieu de s'attacher à retrouver chez Saint-Simonles préliminairesde la
sociologiemoderne, il avait consenti à les découvrirchezComte, évitant ainsi d'avoir à le recommen-
cer.
5. P. Arnaud (1969), p. 19.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 85

sociaux s'applique donc à des totalités dont le facteur humain assure


l'homogénéité. A l'inverse de Montesquieu, Comte est le sociologue de
l'unité humaine. Il cherche : « la coordination rationnelle de la série fon-
damentale des divers événements humains d'après un dessein unique».
Cette coordination rationnelle se rattache à deux idées essentielles.
D'abord la notion de système,ensuite celle de l'universalitédu fait social.
Comte dans sa quarante-huitième leçon, s'est élevé « contre ceux qui
s'efforcent de dépecer le système des études sociales». Il a toujours refusé
de définir à l'avance et arbitrairement une division des sciences sociales
mais leur «solidarité» lui dicte une attitude intransigeante et même
impérialiste. Il proclame la suprématie de la sociologie.
Sans doute pourrait-on dater de cette époque le fossé creusé entre économistes
et sociologues. Malgré son admiration pour A. Smith, Comte se montre très
sévèrepour l'économie:« En économie politique comme en physique, comme en
tout, on a fait des systèmes avant d'établir des vérités 1 . » L'homoeconomicuslui
paraît un exemple de fiction inspirée par un matérialisme grossier et simplifica-
teur. Toutes les discussions sur la valeur, l'utilité, ne sont« qu'oiseuses disputes
des mots» et la doctrine du laissez-faire revient à « systématiser l'anarchie».
Tout en reconnaissant la nécessité des points de vue complémentaires
et d'un pluralisme, il refuse de séparer les aspects économiques, poli-
tiques, en les isolant de façon abstraite. L'objet de la science sociale c'est
une « indivisible existence », une réalité concrète, complexe, spontanée.
La sociologie « n'est une étude globale et totale que parce qu'elle
répond et est faite pour répondre à une question globale : celle que pose la
société de notre temps 2 ». Malgré l'importance reconnue à l'histoire, la
sociologie est pour Comte la science du présent« parce qu'elle a l'action
pour objet et dans certaines limites, elle est action 3 ». C'est pourquoi
toute sociologie,comme nous aurons l'occasion de le redire, suppose une
vision de l'homme, c'est-à-dire une philosophie. Pour Comte la sociolo-
gie en tant que connaissance scientifique est une solution au problème
social. La société instruite saura se diriger.
Importante sur le plan de la méthodologie et par la richesse de sa pen-
sée, l'influence de Comte n'a pas été ce qu'elle aurait pu être. Son œuvre
très vaste, son style peu agréable, expliquent que sa doctrine ait été
souvent mal comprise, mais surtout ses prophéties (le pacifisme à venir)
à côté de vues pénétrantes, ont trop souvent été démenties. Comme chez
de nombreux sociologues, sa doctrine ne suit pas les règles de sa méthode
scientifique. La philosophie soi-disant positive recouvre une méta-
physique dogmatique, d'inspiration théorique et sa sociologie se trans-
forme en sociolâtrie.
117 Alexis de Tocqueville (1805-1859) ◊ R. Aron note que Tocqueville
ne figure pas parmi les inspirateurs de la pensée sociologique. Sans doute
comme Montesquieu est-il avant tout un penseur politique, « le Montes-
1. In P. Arnaud, p. 42.
2. In op. dt., p. 198.
3. In op. dt., p. 191.
86 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

quieu du XIXesiècle» dit de lui Royer-Collard1 . Mais alors que Montes-


quieu peut être considéré comme un précurseur de la rigueur scientifique
dans les sciences sociales, les idées de Tocqueville exercent une influence,
non ses méthodes. Sa seule méthode est d'être intelligent, subtil, intuitif,
et de savoir écrire ! Ne serait-ce qu'à titre d'exemple de résultats d'analyse
qualitative, il mérite d'être cité.
Tocqueville a écrit deux livres importants 2, publiés de son vivant : La
Démocratieen Amérique(1835), et L'AncienRégimeet la Révolution(non
terminé). il étudie non seulement les facteurs historiques, politiques et
économiques, mais également sociologiques : « On peut m'opposer sans
doute les individus, écrit-il, je parle des classes, elles doivent seules
occuper l'histoire.» Sans donner de définitions des classes ni des groupes
sociaux, il les analyse, montrant leur manque d'unité, leur tendance à
l'uniformité et à la séparation, les privilèges des uns, les ambitions des
autres. Analyse descriptive sans doute, mais plus riche d'explication que
bien des tentatives plus ambitieuses.
Si Tocqueville excelle dans l'analyse politico-sociologique, ou dans la
description et le portrait d'une société particulière, il utilise, note R. Aron,
dans le second volume de la Démocratieen Amérique une troisième
méthode : « une sorte de type idéal, la société démocratique, à partir
duquel il déduit quelques-unes des tendances de la société future ». A
partir d'éléments connus il essaie de poser les questions essentielles pour
l'avenir et d'y répondre en termes de tendance et d'alternative. C'est le
même type de procédé qu'utilisera Weber pour imaginer un autre passé
possible.
L'aristocrate Tocqueville ne croit pas que l'industrie suscite une aristo-
cratie nouvelle. Comme le dit R. Aron: « [ ...] contre la vision cata-
strophique et apocalyptique du développement du capitalisme propre à la
pensée de Marx, Tocqueville faisait, dès 1835, la théorie plus résignée
qu'enthousiaste du wellfarestateou encore de l'embourgeoisement géné-
ralisé 4 ».
On doit enfin noter que Tocquevillen'éprouve pas de scrupules à juger.
A côté de toutes les professions de foi scientifiques (Comte, Durkheim,
Pareto) et serments d'objectivité constamment transgressés, il est repo-
sant de lire un auteur qui, après avoir analysé d'une façon qu'il croit hon-
nête, les événements, les juge en fonction de sa propre échelle de valeurs.
« Je n'ai même pas prétendu juger si la révolution sociale, dont la marche
me semble irrésistible était avantageuse ou funeste à l'humanité; j'ai
admis cette révolution comme un fait accompli, ou près de s'accomplir,
et, parmi les peuples qui l'ont vu s'opérer dans leur sein, j'ai cherché celui
chez lequel elle a atteint le développement le plus complet et le plus pai-
sible, afin d'en discerner clairement les conséquences naturelles et
d'apercevoir s'il se peut, les moyens de la rendre profitable aux
hommes 5. »
1. 1nJ.-J. Chevallier (1949, B. 104), pp. 223-241.
2. A. de Tocqueville,cf. Œuvrescomplètes.
3. R. Aron (1967), p. 229.
4. Op. cit., p. 229.
5. InJ.-J. Chevallier (1949), p. 229.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 87

En ce sens, écrit Aron, « il appartient à la tradition des philosophes


politiques classiques, qui n'auraient pas conçu d'analyser les régimes sans
les juger simultanément 1 .
118 Vilfredo Pareto (1848-19 23) 2 ◊ Le Traité de sociologiegénérale
« énorme bloc » au sens physique du terme, hors des courants de la
sociologie,demeure l'objet des jugements les plus contradictoires ... ce qui
est rare après un demi-siècle, constate R. Aron 3 . Si l'on considère l'en-
semble de l'œuvre de Pareto4, on s'aperçoit qu'elle n'atteint pas les buts
qu'il s'était fixés. Alors qu'il insiste sur la nécessité de l'objectivité scienti-
fique, ses raisonnements s'appuient sur de nombreux a priori et juge-
ments de valeurs. Malgré son horreur du réformisme et du moralisme,
son œuvre s'apparente plus à celle des auteurs du début du ~ siècle
(Comte) qu'à celle de ses contemporains (Durkheim, Weber).
Pourquoi faut-il dans une histoire succincte des méthodes de la socio-
logie, faire une place à Pareto? Parce qu'il est sans conteste un des pré-
curseurs de la sociologie systématique et un des premiers à avoir tenté de
rendre compte des changements politiques et sociaux. La formation d'in-
génieur gePareto le prédisposait sans doute à une vue mécaniste de la
société. Economiste, il succède à la chaire de Léon Walras à l'université de
Lausanne. Après des articles d'économie il publie en 1902, un ouvrage
critique économico-politique : Les systèmes socialistes et en 1916 le
fameux TraitédeSociologieGénérale.
Pour Pareto la distinction fondamentale est celle qui oppose les formes d'ac-
tions logiquesaux formes non-logiques.Alors que les premières sont reliées aux
buts qu'elles poursuivent: activité de l'ingénieur ou de l'économiste, les
deuxièmes concernent le reste des actions humaines, dont l'étude revient à la
sociologie.Celle-ci doit donc étudier logiquement les actions non logiques : senti-
ments, croyances, instincts, ce que les hommes rationalisent mais ignorent le
plus souvent eux-mêmes, et que Pareto nomme résidus5. Ces sentiments peuvent
ëtre rationalisés, justifiés en quatre classes de dérivations 6
• Comment fonc-
tionnent ces éléments? Comment agissent-ils pour maintenir l'équilibre de la
société ? Nous voyons ici abordés les problèmes qui seront ceux des structuro-
fonctionnalistes modernes comme T. Parsons 7 et G. C. Homans qui ont certaine-
ment subi l'influence de Pareto. L'autre aspect important de la contribution de
Pareto est son analyse du changement social. S'opposant à Marx en élargissant la
notion de lutte de classes, il pense que celle-ci n'est que la forme contemporaine
et transitoire d'oppositions qui sont celles de la lutte _P.OUrla vie. Le plus impor-
tant pour Pareto est le problème de la circulation des elites, en fonction de la dis-
tribution des résidus et de leur nature 8 • Suivant sa formule célèbre« l'histoire est
un cimetière d'aristocraties».
1. R. Aron (1967), p. 239.
2. V. Pareto, cf. Œuvres.
3. Cf. Aron (1967), pp. 407-495.
4. G. Perrin (1966).
5. Il les divise en six classes : instinct de combinaisons, persistance des agrégats, expression des
sentiments, discipline collective, défense individuelle, résidus sexuels.
6. Affirmations, autorité, principes, preuves verbales.
7. Cf. n° 384.
8. La loyauté, résidu Il, peut amener au pouvoir d'autres personnalités que les résidus I, intri-
gants. C'est l'opposition entre les lions et les renards.
88 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Sur le plan de la méthode, la conception qu'il appelle logico-


expérimentale fait appel à l'obseivation et même à l'expérimentation. Ne
se préoccupant pas de l'essence des choses, Pareto se contente d'hypo-
thèses. Les lois ne sont pas nécessaires. Il émet le vœu très moderne de voir
la sociologie« atteindre le niveau auquel se trouve déjà la philologie». En
fait dans la 1repartie du Traité, Pareto constate les sentiments à travers les
conduites, sans donner d'explication réelle. Il s'arrête au seuil de la psy-
chologie. Dans la seconde partie au contraire, les élites sont caractérisées
par des traits psychologiques qui limitent l'explication en n'abordant pas
l'organisation des pouvoirs et de la société. « La méthode de Pareto n'est
ni proprement psychologique ni spécifiquement historique, elle est géné-
ralisatrice», écrit R. Aron 1... Sa volonté de voir la sociologie étudier ce que
les hommes font, sans savoir vraiment pourquoi ils le font, est proche
également des préoccupations de la sociologie contemporaine. Pareto
« confond les traits communs à toutes les sociétés avec les traits essentiels
à tout ordre social, dévalorise les différenciations historiques et enlève
presque toute signification au devenir lui-même 2 ».
119 Émile Durkheim (1858-1917). a) L'homme et l'œuvre ◊ Pre-
mier sociologue à avoir élaboré une méthode scientifique dans Les règles
de la méthodesociologique 3,Durkheim n'en reste pas moins avant tout un
philosophe et un moraliste, lui aussi marqué par les problèmes de son
époque et ses problèmes personnels: l'affaire Dreyfus4, la défaite de
1870, la commune, la guerre de 1914, la mort de son fils tué en 1917.
« Notre premier devoir actuellement est de nous faire une morale »
déclare-t-il en conclusion de sa thèse sur La division du travail social
(1893), et d'affirmer que la sociologiene vaudrait pas une heure de peine
si elle n'était que spéculative.
On n'insistera pas ici sur l'aspect philosophique de l'œuvre de Durk-
heim.
Il demeure de son époque, proche de Comte par son moralisme, sa
façon de réifier et même de déifier la société : « Entre Dieu et la Société, il
faut choisir. [ ...] Ce choix me laisse assez indifférent, car je ne vois dans
la divinité que la société transfigurée et pensée symboliquement 5• »
Il faut en revanche insister sur le modernisme de ses conceptions
scientifiques.
On doit à Durkheim le premier effort conscient et réussi pour allier
théorie sociologique et recherche empirique.
En effet, après la publication (1895) des Règlesde la méthodesociolo-
gique, Durkheim fait paraître (1897) une étude sur Le suicidequi illustre
sa méthode.
Le suidde est une étude d'après des documents statistiques qui commençent à
se multiplier. Durkheim s'aperçoit que la notion même de suicide est difficile à
1. R. Aron (1967), p. 482.
2. Op. dt., p. 485.
3. E. Durkheim (1985}.
4. ll est juif et fils de rabbin.
5. E. Durkheim (1967}, p. 59.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 89

définir parce qu'elle recouvre un même phénomène dont les causes peuvent être
très différentes.
En comparant l'évolution des taux de suicide des divers pays, Durkheim s'aper-
çoit que ceux-ci sont fonction des groupes sociaux. Il en conclut que le suicide est
un fait social, indépendant de chaque décision individuelle. Restaient alors à
découvrir les facteurs sociaux en cause. Se livrant à des analyses que l'on a depuis
perfectionnées et que l'on appelle aujourd'hui multivariées1, Durkheim isole tour
a tour les divers facteurs : sexe, état-civil, religion, pour en mesurer l'importance.
Il est également le premier à avoir utilisé la « variable intervenante» c'est-à-dire
le facteur non compris dans une statistique, mais que l'on soupçonne d'agir, et
dont il faut trouver un indice révélateur mesurable. C'est le cas par exemple de la
cohésion sociale, qui n'apparaît pas dans les documents administratifs et que
Durkheim recherche à travers les taux de divorce, etc.
Posant alors le problème des degrés d'intégration à la société il découvre la
notion d'« anomie» qu'il rendit célèbre et que l'on peut définir comme l'état de
trouble, d'absence d'intégration sociale qui fait suite au dérèglement des besoins
par rapport aux possibilités qu'offre la société de les satisfaire.
Ce sont ces innovations, les scrupules et l'extrême conscience avec laquelle
sont exploités les chiffres de cette étude, malgré ses imperfections, qui ont permis
de considérer Durkheim comme le premier grand sociologue empirique. Mais,
Durkheim ne sera pas qu'un empiriste.
Les volontés individuelles sont insuffisantes à expliquer ces lois que
traduisent la régularité de certains événements, comme le suicide. Il faut
admettre que des forces extérieures impersonnelles agissent, qu'il existe
donc bien des phénomènes sociaux. C'est le propre de la sociologie de les
étudier, d'observer les habitudes collectives et leurs transformations.
On imagine l'effet que pouvait produire en 1895 une démonstration
de ce geme. Si elle enthousiasmait les esprits scientifiques, désireux de
démonter la mécanique sociale, comme celle des planètes ou des fluides,
en reléguant sorciers et soutanes 2, quelle pouvait être la réaction de
l'homme, même sans parti pris, pour lequel la décision de vivre ou de
mourir représentait l'action la plus personnelle et la plus libre que l'on
puisse entreprendre ? Les lois de la physique sont extérieures, elles nous
conditionnent seulement matériellement, il est plus facile de s'en accom-
moder. Mais ces impondérables lois sociales, fabriquées par nous-mêmes
à notre insu, qui nous détermineraient sans que nous le sachions ... com-
ment en accepter l'idée ?
119-1 b) Durkheim et l'exemple de la physiologie: C. Bernard et
L Pasteur ◊ Si Durkheim heurte les tendances majoritaires de son
époque : la métaphysique, le vitalisme, le psychologisme, il n'est tout de
même pas seul. Saint-Simon, A. Comte et Spencer ont montré le chemin
mais ne l'ont pas suivi 3 • C'est un contemporain, un physiologiste, C. Ber-
nard qui lui servira d'exemple dans son entreprise scientifique. Il le cite
rarement, car ce n'est pas au savant qu'il emprunte, mais à la physio-
1. Cf. n°' 542 et s. et 561 ainsi que la bibliographie n° 580 bis.Maxwell (1978), Baudelot (1984),
Taylor ( 1982), Merllié ( 199 2).
2. Nous sommes en 1895 et Durkheim est juif.
3. Durkheim les considère comme des prédécesseurs non comme des précurseurs.
90 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

logie 1.Comme l'écrit J.Michel (1990) 2 : D'après Durkheim«[ ...] pour


une science, s'autonomiser veut dire à la fois se libérer et se servir des
autres savoirs [ ...] mais une science ne peut efficacement emprunter à
une autre, qu'à la condition que celle-ci soit établie, autonome tant dans
sa méthode que dans son champ d'investigation». Ce n'est pas de méta-
phore qu'il est question, Durkheim a reproché à Spencer d'en abuser,
mais de comparaison. Il s'agit d'une similitude des points de vue3, non
d'une activité semblable que la différence d'objet rend impossible.
On a de nombreuses preuves et les réflexions de Durkheim lui-même
sur l'influence qu'exerça sur lui C. Bernard dont la notoriété n'était en
rien comparable à celle de Pasteur. Alors pourquoi Pasteur n'a-t-il pas lui
aussi, par ses recherches empiriques, intéressé Durkheim ? D'abord une
opposition sociale et psychologique explique cette distance. Pasteur est un
catholique pratiquant, ambitieux, conservateur, cultivant ses relations et
sa popularité. Durkheim, un juif, socialiste et ce qui ne facilitait pas les
échanges, tous deux également austères, convaincus et entêtés. Mais plus
que ces traits de personnalité, leurs objectifs scientifiques les opposaient
Pasteur s'intéressait à la microbiologie et poursuivait des résultats pra-
tiques, limités à un domaine précis, « un symptome, un microbe, un vac-
cin » disait-on. Au contraire, Durkheim trouvait chez Claude Bernard,
toutes proportions gardées, un objectif semblable au sien. Tous deux
entreprenaient des recherches empiriques rigoureuses, mais avec la même
ambition d'en généraliser les résultats, pour C. Bernard aux grandes fonc-
tions de l'organisme, pour Durkheim à la société tout entière.
C'est chez Claude Bernard que Durkheim trouvera la solution ou du
moins la confirmation de la vérité qu'il apporte aux problèmes délicats de
la sociologie : L'incontournable question des rapports de l'individu et de
la société, des parties et du tout, du déterminisme et de la liberté, enfin de
la psychologie et de la sociologie.« Il y a entre la psychologie et la sociolo-
gie, la même solution de continuité qu'entre la biologie et les sciences
physico-chimiques» 4 écrit-il. Si la sociologie se heurte à des difficultés
propres aux sciences sociales, la solution est la même : « L'origine pre-
mière de tout processus social de quelque importance doit être recherchée
dans la constitution du milieu social interne [ ...]. L'effort principal du
sociologue devra donc tendre à découvrir les différentes propriétés de ce
milieu» 5. La notion de milieu interne, avec tout ce qu'elle implique est
une création de C. Bernard que Durkheim s'approprie. De même que
pour le physiologiste, les organismes élémentaires ne peuvent survivre
séparés de leur environnement, l'individu ne peut se concevoir hors de la
société dont il fait partie, au sein des diverses consciences collectives :
1. 1n G. Canguilhem (1970), p. 440. « Ce n'est pas un grand physiologiste, c'est la physiologie»
dit J.-B. Dumas à V. Duruy le jour des obsèques de C. Bernard.
2. J. Michel (1990), p. 230.
3. En ce qui concerne la méthode expérimentale, ce sont toutes les sciences sociales qui comme
la médecine seront influencées par C. Bernard.
4. Durkheim (1895), p. 103.
5. Op. cit., pp. 111, 112.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 91

(morales, familiales, religieuses, juridiques) au milieu desquelles il a


grandi et dont l'étude forme le champ de la sociologie. L'anomie est bien
la preuve de la nécessité pour la liberté de l'être humain d'une subordina-
tion de l'individu à l'ensemble social. « Comme chez C. Bernard, l'auto-
nomie et la subordination doivent être pensées ensemble » 1 .
A la question fondamentale de la sociologie : comment une somme
d'individus peut-elle former une société ? Durkheim répondra : par la
solidarité, élément commun à toute existence sociale. S'opposant à Spen-
cer qui considérait deux types de société possible sans rapports entre eux,
il distingue la solidaritémécaniquedans les sociétés à conscience collective
forte, et la solidaritéorganiquedans les sociétés complexes, où, sous l'in-
fluence de la division du travail, la complémentarité unira des parties et
des intérêts interdépendants.
On trouve déjà dans la division du travail social des idées fonda-
mentales que Durkheim explicitera dans la suite de ses œuvres. La
conscience collective est : « l'ensemble des croyances et des sentiments
communs à la moyenne des membres d'une société. » Cet ensemble
forme un « système déterminé qui a sa vie propre ». Durkheim affirme
ensuite la priorité de la société, de la structure sociale, du tout sur les par-
ties : les individus, les phénomènes individuels.
120 c) Existe-t-il des faits sociaux? ◊ Sur le plan méthodologique,
nous trouvons pour la première fois une réflexion organisée, systémati-
sée, sur ce qu'est la sociologie et à quelles conditions elle peut être une
science. Les deux textes essentiels, qui d'ailleurs se recoupent en bien des
points, sont Lesrèglesde la méthodesodologiqueet l'article de P. Fauconnet
et M. Mauss 2 sur la sociologie, paru dans la Grandeencyclopédie française
du xx-siècle(1901).
La première question posée par Durkheim est celle-ci: peut-il exister
une science appelée sociologie comme il existe une science physique 3 ?
A quelles conditions peut-on parler de science? Lorsqu'il y a un objet
et une méthode scientifiques, c'est-à-dire la possibilité de relier les faits
entre eux. D'où deux questions: y a-t-il un domaine, un objet, des faits
sociaux spécifiques ? y a-t-il une méthode scientifique applicable à cet
objet?
Admettre des faits sociaux spécifiques, c'est prendre une position anti-
psychologiste et reconnaître que les phénomènes collectifs sont autre
chose qu'une simple addition de réactions individuelles.
Non content de découvrir ces faits sociaux, Durkheim ajoute que leur
caractéristique, ce qui permet de les reconnaître, c'est la contrainte4 .
1. <( Est-il permis d'aller jusqu'à l'individu en respectant le point de vue sociologique de la même
manière que la physiologie arrive à la cellule sans abandonner le terrain expérimental?» J.Michel
(1990), p. 241.
2. Disciple et neveu de Durkheim, cf. n° 124.
3. J.-C. Chamboredon (1984).
4. Sans doute peut-on avec R. Aron reprocher à Durkheim l'ambiguïté du terme et sa tendance à
confondre concept et réalité. La contrainte est-elle l'essence des faits ou une manifestation qui per-
met de reconnaître les faits sociaux? R. Aron (1967), p. 365.
92 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

« Les faits sociaux consistent en des manières d'agir, de penser et de sen-


tir extérieures à l'individu et qui sont douées d'un pouvoir de coercition
en vertu duquel ils s'imposent à lui 1. [ ...] Un fait social se reconnaît au
pouvoir de coercition externe qu'il exerce ou est susceptible d'exercer sur
les individus 2 . »
Les institutions constituent cet ensemble d'actes et d'idées que les indi-
vidus trouvent en naissant, qui sont antérieures à chacun et qui s'im-
posent à tous, mais elles vivent, se transforment. La sociologie a pour but
de les étudier. L'éducation est l'opération par laquelle l'être social est
surajouté à l'enfant et l'adapte à cette contrainte qu'exerceront sur lui les
institutions 3 .
121 d) L'explication des faits sociaux o Comment expliquer cette
contrainte et ce qui détermine les faits sociaux. Durkheim repousse les
explications trop générales que propose la philosophiede l'histoire(Comte,
Spencer), car elles ne rendent pas compte de la variété des coutumes, et
également les explications particulières par l'histoire elle-même. La
méthode comparative montre, sans fournir de raisons, qu'il existe des
institutions identiques chez des peuples différents.
Il écarte enfin et surtout, l'explication par la psychologieindividuelle,
très répandue chez les sociologues de l'époque, qui attribuent à l'homme
les sentiments que sa conduite manifeste (la jalousie par l'instinct
sexuel) au lieu d'en expliquer l'origine. « Puisque leur caractéristique
essentielle consiste dans le pouvoir qu'ils ont d'exercer du dehors une
pression sur les consciences individuelles, c'est qu'ils n'en dérivent pas et
que par suite la sociologie n'est pas un corollaire de la psychologie. [ ...]
L'individu écarté, il ne reste que la société, c'est donc dans la nature de la
société elle-même, qu'il faut aller chercher l'explication de la vie
sociale4 . »
Pour Durkheim, on s'en doutait, l'explication doit être de nature socio-
logique.« La cause déterminante d'un fait social doit être cherchée parmi
les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience indi-
viduelle. [ ...] La fonction d'un fait social doit toujours être recherchée
dans le rapport qu'il soutient avec quelque fin sociale5. »
La pensée de Durkheim que Malinowski considérait comme le père du
fonctionnalisme, oscille entre une explication historique : « l'origine pre-
mière de tout processus social doit être recherchée dans la constitution
du milieu social interne» et une attitude que l'on qualifierait aujourd'hui
de fonctionnelle. Confondant parfois la recherche des origines et la
découverte des fonctions, il tente une conciliation en déclarant qu'il faut
utiliser ces deux points de vue de façon indépendante. Cependant Durk-
heim rend un immense service à la sociologie en la débarrassant du fina-
lisme historique, cette forme d'utopie, obstacle à son développement
scientifique.
1. E. Durkheim (1895), op. cit., p. 5.
2. Op. dt., p. 11.
3. C'est la raison pour laquelle Durkheim s'est intéressé aux problèmes d'éducation.
4. Op. dt., p. 101.
5. Op. cit., p. 109.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 93

« Quand on entreprend d'expliquer un phénomène social, il faut


rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonction
qu'il remplit 1.»[ ...]«Faire voir à quoi un fait est utile, n'est pas expli-
quer comment il est né, comment il est ce qu'il est[ ...] un fait peut exis-
ter sans servir à rien 2 . »
A la recherche d'une explication sur la valeur impérative des institutions
sociales, Durkheim découvre l'opinion,système de représentations collectives qui
expriment l'état de la société. Les institutions n'existent que par les représenta-
tions que s'en fait la société, leur force vient des sentiments qu'elles inspirent.

122 e) La méthode d'étude des faits sociaux ◊ L'existence de l'objet de


la sociologie : les faits sociaux, étant admise, reste à savoir comment ils
peuvent être étudiés de façon scientifique. La première règle, fonda-
mentale est de « considérerlesfaits sociauxcommedeschoses». « Nous ne
disons pas en effet que les faits sociaux sont des choses matérielles, mais
sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d'une
autre manière. Qu'est-ce en effet qu'une chose? La chose s'oppose à
l'idée, comme ce que l'on connaît du dehors à ce que l'on connaît du
dedans[ ...] Traiter des faits d'un certain ordre comme des choses, ce n'est
donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel, c'est observervis-
à-vis d'euxune certaineattitudementale3. » C'est grâce à Durkheim que la
sociologie française a la première admis que la sociologie est une science
comme les autres et que son but est la découverte de relations générales
entre les phénomènes. Mais Durkheim ne s'est pas contenté de vouloir
appliquer la démarche de la recherche scientifique aux faits sociaux. Le
processus est vécu, pensé, systématisé en fonction de son objet parti-
culier. Si la démarche est semblable, c'est parce que le but identique, la
science, impose les mêmes conditions.
Après avoir attiré l'attention sur l'importance de la définitionpour
« limiter le champ de la recherche et savoir ce dont on parle», Durkheim
insiste sur la nécessité de substituer aux notions du sens commun une
première notion scientifique. Les notions ou concepts, « [ ...] ne sont pas
lessubstitutslégitimesdes choses. Produits de l'expérience vulgaire, ils ont
avant tout pour objet de mettre nos actions en harmonie avec le monde
qui nous entoure. Ils sont formés par la pratique et pour elle 4 ».
L'observation ne doit pas être un simple compte rendu car la sociologie
ne décrit pas les faits, elle doit les constituer,thème que reprendra Bache-
lard. Durkheim insiste sur le fait que les observations doivent être faites
de façon impersonnelle, utilisables et vérifiables par tous, avant d'être sys-
tématisées rationnellement.
Devant les difficultés de l'expérimentation, il reconnaît que « la
méthode comparative est la seule qui convienne à la sociologie5 ». Don-
1. Op. dt., p. 95.
2. Op. dt., p. 90.
3. Op. dt. Préface 2' édit. p. XII, XID.
4. Op. dt., p. 15.
5. Op. dt., p. 124.
94 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

nant une fois de plus la preuve de son esprit scientifique, il insiste sur la
qualité d'une expérience, plus importante à son avis qu'une accumula-
tion de constatations secondaires.« Dès qu'on a prouvé que dans un cer-
tain nombre de cas, deux phénomènes varient l'un comme l'autre on
peut être certain qu'on se trouve en présence d'une loi» 1.

123 Influence de Durkheim ◊ L'œuvre de Durkheim a exercé une in-


fluence souvent indépendante des idées de son auteur. Les sociologues
américains ont trouvé chez lui, sur le plan théorique, les notions de fonc-
tion, de solidarité et d'anomie et sans doute un moralisme convenant à
leur puritanisme. Parsons en particulier, y a puisé des éléments pour sa
théorie de l'équilibre social2 . Sur le plan pratique, les règles de la méthode
donnaient aux chercheurs des États-Unis la garantie scientifique qu'ils
recherchaient En France, Durkheim a occupé à la Sorbonne la première
chaire de sciences de l'éducation et de sociologie. Ses élèves les plus émi-
nents, (Mauss, Fauconnet, Davy), ont constitué ce que l'on a appelé
l'école française de sociologie.
La fondation de L'annéesociologique en 1898 (deux ans après l'Ameri-
canjournalof sodology),a permis le contact entre sociologues d'horizons
divers et la publication de nombreuses recherches, en particulier d'eth-
nologie. Mais l'impérialisme de Durkheim qui visait le regroupement de
toutes les sciences sociales sous la protection de la sociologie, irritait les
économistes et les historiens 3 • Enfin son esprit dogmatique, moralisa-
teur, et, c'est à un anglais de s'en plaindre 4, totalement dépourvu d'hu-
mour, ne facilitait pas l'acceptation de tendances scientifiques, qui heur-
taient un grand nombre de ses collègues.
L'influence directe de Durkheim après la disparition de ses disciples
subit une éclipse. Elle se fera à nouveau sentir en France par le détour des
États-Unis, dans la recherche d'une réflexion théorique plus scientifique 5•
Parmi les sociologues français de cette époque, il faut encore citer Levy-Brühl
(1857-1939). Sans être en opposition réelle avec Durkheim, il représente un cou-
rant de pensée différent, opposé à toute tendance moralisante.
Parmi les durkheimiens: Halbwachs (1877-1945) s'est intéressé aux pro-
blèmes des classes sociales, des niveaux de vie, à la mémoire collective6 • Marcel
Granet (1884-1940) à la pensée chinoise, Simiand (1873-1935) est l'auteur
d'un ouvrage sur le salaire.

124 Marcel Mauss (1872-19 50) ◊ Neveu de Durkheim, Mauss mérite


une attention particulière. Il fut à la fois ethnologue et sociologue. Son
œuvre comporte surtout des articles. Les plus connus ont été rassemblés
1. Op. dt., p. 132.
2. Cf. n• 384.
3. Cf. la discussion entre Simiand (durkheimien) et l'historien Seignobos.
4. J. Madge (1967), p. 14.
5. Le métierde sociologuede P. Bourdieu (1968) est très inspiré de Durkheim et la réédition des
œuvres de ce dernier marque le nouvel intérêt qu'il suscite.
6. Halbwachs (1963 et 1970).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 95

dans un volume Sociologieet Anthropologie1 et concernent une théorie


générale de la magie, l'essai sur le don, les rapports réels et pratiques de la
psychologie et de la sociologie. D'autres textes ont été également publiés 2 •
Fervent durkheimien, Mauss réagira tout de même contre le spiritua-
lisme et l'évolutionnisme de son oncle.
Comme l'écrit G. Cazeneuve (1968), il recherchait davantage dans
l'étude des sociétés lointaines un moyen d'accès à des phénomènes fon-
damentaux et pour ainsi dire universels, qu'un point de départ d'une évo-
lution plus ou moins mécaniste ou réductrice. « Non point un chef
d'école, mais un précurseur 3 • »
Il n'énonce pas de règles précises, mais sa manière de découvrir dans la
prière un élément commun, dans l'Essai sur le don, de raisonner sur
chaque étape de sa réflexion, font de ces passages de véritables leçons de
méthode. « Pour la première fois dans l'histoire de la pensée eth-
nologique un effort était fait pour transcender l'observation empirique et
atteindre des réalités plus profondes 4.»

12 5 Interdépendance des Sciences humaines ◊ Mauss a insisté sur l'in-


terdépendance entre toutes les sciences humaines qui, en devenant auto-
nomes, commençaient à s'opposer 5. Il a tenté de concilier, par une
complémentarité des points de vue, la psychologie et la sociologie6.
L'étude des sociétés que l'on appelait primitives devait permettre de
saisir les phénomènes sociaux, détachés des facteurs qui les perturbent ou
les recouvrent, dans les sociétés complexes comme les nôtres, d'où l'im-
portance de l'ethnologie.
Mauss a insisté sur la valeur de la méthode comparative dans la
mesure où elle utilise des faits bien délimités, étudiés dans leur cadre, per-
mettant« d'établir des rapports d'une certaine généralité». Il s'oppose à
la tendance des ethnologues (anglais) de son époque, qui accumulent des
observations dans des sociétés différentes, sans en tirer de conclusion.
Adoptant le point de vue de Durkheim, il écrit: « C'est une erreur de
croire que le crédit auquel a droit une proposition scientifique dépende
étroitement du nombre des cas où l'on croit pouvoir la vérifier 7. »
D'après M. Merleau-Ponty ( 1960) et C. Lévi-Strauss,il peut être consi-
déré comme le fondateur de l'anthropologie sociale moderne car il a vu
que le social est à la fois signifiant et médiateur de l'intention per-
sonnelle.

1. (1950) Avec une importante préface de Lévi-Strauss.


2. M. Mauss (1969).
3. J. Cazeneuve (1968), p. 3.
4. C. Lévi-Strauss.Préface Mauss (1950), p. xxxm.
5. De ce fait sa tâche était plus difficile que pour Montesquieu ou Comte.
6. Mauss pense que le terrain de la psychopathologie serait favorable à un travail inter-
disciplinaire entre psychologues et sociologues, montrant ainsi sa voie à l'école américaine
(M. Mead).
7. M. Mauss (1950).
96 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

126 Le fait social total ◊ C'est dans l'Essaisur le don,fonne archaïquede


l'écfiange,que la méthode de Mauss apparaît peut-être le mieux. Il envi-
sage toujours un petit nombre de cas judicieusement choisis, représen-
tant des types clairement définis. Il étudie ensuite chaque type comme un
tout, en le traitant comme un système. « L'espèce de relations qu'il
cherche à découvrir n'est jamais celle qui existe entre deux ou plusieurs
éléments arbitrairement isolés de l'ensemble de la culture, mais entre
toutes ses composantes: c'est ce qu'il appelle des « faits sociaux
totaux 1 ». Cette notion est capitale.
Le don est considéré non pas comme un élément isolé mais la forme dyna-
mique d'une institution générale, qui met en jeu tous les rouages. Ce qui est en
cause dans les échanges, ce ne sont pas seulement des choses utiles du point de
vue strictement économique, ce sont aussi « des politesses, des festins, des rites,
des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires
[ ...J Toutes ces institutions n'expriment qu'un fait, un régime social, une menta-
lite définie : c'est que tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, tra-
vail, services, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddi-
tion 2 •
L'une des formes de don, le potlatch des tribus nord-américaines est
plus qu'un phénomène juridique, il a une signification religieuse, mytho-
logique, économique, magique. C'est un parfait exemple de « fait social
total».
Certes, d'autres avant Mauss: Comte et surtout Durkheim 3 , avaient
insisté sur la notion de totalité en sociologie, mais il s'agissait encore
d'une notion abstraite.
L'apport de Mauss, c'est d'avoir démontré dans le concret les divers
éléments d'un fait social total, les relations des parties avec le tout
« C'est en considérant le tout dans son ensemble que nous avons pu per-
cevoir l'essentiel, le mouvement du tout, l'aspect vivant, l'instant fugitif
où la société prend, où les hommes prennent conscience sentimentale
d'eux-mêmes et de leur situation vis-à-vis d'autrui 4.»
Comme les juristes cherchent des «précédents», les sociologues
cherchent des précurseurs, c'est pourquoi certains ont voulu qualifier
l'attitude, de Mauss de fonctionnaliste, tandis que d'autres tels Levi-
Strauss découvrent en lui une orientation structuraliste, la totalité prove-
nant de la structure. J.Poirier (1969) écrit que Mauss en découvrant
«[ ...]comment tous les éléments de la vie en communauté s'intégraient
dans un système coordonné et pouvaient s'analyser comme autant de
termes différents et interchangeables», apportait« une méthode presque
quantitative pour enregistrer des phénomènes qui jusqu'alors ne rele-
vaient que la description qualitative. On saisit tout le sens de la révolu-
tion : Mauss a mis les données ethnologiques en équation 5 ».
1. G. Gurvitch (1957), p. 536.
2. M. Mauss (1950), pp. 151 et 164.
3. C'est lui qui avait indiqué à Mauss l'importance de cette notion.
4. Op. cit., p. 275.
5. ln]. Caieneuve (1968), p.15.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 97

A l'opposé, G. Gurvitch voit dans l'œuvre de Mauss, l'origine de


l'orientation pluraliste de la sociologie.
Comment expliquer ce destin curieux qui conduit Mauss à avoir une descen-
dance si hétérogene? Ce n'est pas l'ambiguïté de son œuvre qui est en cause, mais
sa richesse : Mauss, esprit moins dogmatique, plus intuitif que Durkheim, est
servi par une connaissance encyclopédique1, et surtout par un « flair génial » qui
lui permet de deviner parfois sans approfondir. Moins didactique que Durkheim,
il indique, suggère, demontre. Loin d'être superficiel, il ne s'arrête que « sur le
roc» comme il le dit lui-même, ce roc concerne l'objet étudié, mais la question
ne va pas au-delà. Après son irréfutable démonstration sur le don, Mauss ne
donne pas de réponse aux problèmes que d'autres, après lui, ont soulevé et qu'il
ne pose même pas. Lemodernisme et les intuitions de Mauss lui ont permis d'an-
ticiper sur les tendances à venir, aussi bien pluralistes que structuralistes. Mais
dans la mesure où ces tendances sont devenues des théories et des systèmes d'ex-
plications particularistes, il aurait sans doute refusé de s'y rallier.
Ce que l'on peut retenir sans interprétation abusive, c'est que
M. Mauss a voulu détacher la sociologie de l'étude abstraite des institu-
tions: « Le principe et la fin de la sociologie c'est d'apercevoir le groupe
entier et son comportement tout entier» 2 •

§ 2. La sociologie en Allemagne
12 7 Les tendances ◊ Les conditions politiques en Allemagne n'étaient pas
favorables à l'élaboration d'une sociologie scientifique. Des penseurs,
juristes et historiens, développaient la sociologie en tant que théorie et
méthode, à partir de leurs propres disciplines. Malgré les différentes ten-
dances que l'on a pu classer en sociologie systématique ou formelle: Sim-
mel, Von Wiese, Tonnies ; phénoménologique : Vierkandt; historique :
Oppenheimer, Mannheim, Alfred Weber 3, tous ces auteurs ont un point
commun, les problèmes intellectuels et sociaux que pose leur époque :
l'influence des systèmes de Hegel et Marx contre lesquel ils vont s'insur-
ger, le développement industriel, les rapports de l'individu avec la collecti-
vité. Problèmes qui, d'une façon plus aiguë qu'en France, opposaient
communauté et société, culture et civilisation.
128 Karl Marx (1818-1883), Friedrich Engels (1820-
1895) ◊« Marx était un égoïste qui ne pensait qu'aux autres» écrivait
de lui sa femme Jenny.
Est-il sociologue, a-t-il sa place dans cette rubrique? Pour G. Gurvitch,
il est« le plus grand et le moins dogmatique de tous les fondateurs de la

1. <t Mauss sait tout» disaient ses étudiants.


2. Il est regrettable comme le note R. Boudon (1979, B. 170) que cette notion de totalité soit
souvent mal comprise. En langage de système, elle signifie que le sociologue devra« éviter d'analyser
isolément une relation, lorsque celle-ci est prise dans un ensemble de relations formant un sys-
tème.»
3. Ne pas confondre avec Max Weber son frère.
98 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

sociologie[ ...] d'abord et avant tout un sociologue1 ». Pour R. Aron:« Ici


apparaissent à la fois la grandeur et l'équivoque de la sociologiemarxiste :
Elle est essentiellement une philosophie et veut être une sociologie2. »
L. Goldman de son côté affirme que pour le marxisme, la sociologie est
impossible car la science marxiste se veut pratique et révolutionnaire.
H. Lefebvre,après avoir repoussé les interprétations économistes et his-
toricistes de la pensée marxiste, refuse également le sociologisme. « La
méthode dialectique disparaît au profit du «fait» et la contestation cri-
tique s'affaiblit au profit de la constatation». La considération de la
société comme un tout déprécie la contradiction, c'est pourquoi il s'en
tient à l'affirmation suivante: « Marx n'est pas un sociologue, mais il y a
une sociologie dans le marxisme 3 • »
Le marxisme comme le positivisme de Comte, est né des contradic-
tions de la société moderne, de la grande industrie, de la lutte de
l'homme contre la nature et contre d'autres hommes. Le génie de Marx a
consisté à donner de ces contradictions une explication qui « plonge dans
la réalité, la découvre et l'exprime au lieu de s'en détacher et d'en déta-
cher un fragment isolé».
Il arrive à ce résultat par une synthèse des doctrines antérieures : maté-
rialisme, idéalisme, utopie sociale. Engels déclare que Marx a retenu de la
philosophie classique allemande la philosophie, des économistes anglais
le goût des analyses scientifiques, enfin des socialistes français la notion
de lutte des classes.

12 9 La dialectique ◊ Il y a chez Marx une méthode au sens le plus élevé du


terme: la dialectique (cf. n° 9 et s.). Elle relève de la théorie de la connais-
sance, mais en tant que démarche pour l'étude de la réalité, elle n'est
nulle part codifiée. Liée à la conception marxiste du monde, elle ne se
détache pas du contenu même de la démonstration. D'importantes indi-
cations méthodologiques se trouvent dans la préface du Capital,précisant
l'aspect concret de l'analyse. Marx distingue d'abord la méthode de
recherche qui doit « s'approprier en détail» l'objet étudié, analyser et
découvrir les relations internes de ses éléments entre eux, et employer
pour cela des techniques les plus appropriées à l'objet, c'est-à-dire ne pas
employer des méthodes propres aux sciences naturelles pour l'étude des
phénomènes économiques, par exemple. Après l'analyse naît l'exposition
qui, elle, est synthétique et vise à reconstituer l'ensemble. Pour le résu-
mer, nous dirons que le marxisme insiste sur le fait que la réalité à
atteindre est toujours une réalité en mouvement.
La méthode dialectique voulant être une explication totale, on la
retrouvera à propos des diverses tentatives d'explication en sociologie (cf.
n° 394).

1. G. Gurvitch (1957). Vol. II, chap. Xll.


2. R. Aron (1967), p. 178.
3. H. Lefebvre(1968), op. cit., p. 17.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 99

130 Notions essentielles ◊ Pour comprendre le déroulement de la pensée


marxiste, un texte célèbre tiré de la Critiquede l'économiepolitiqueapporte
de nombreux éléments : « Dans la production sociale de leur existence,
les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants
de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un degré
donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'en-
semble de ces rapports forme la structure économique de la société, la
fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à
quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode
de production de la vie matérielle domine en général le développement de
la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la consciencedes
hommesqui détermineleur existence,c'estau contraireleur existencesociale
1
qui détermineleur conscience . »
Dans ce texte apparaît d'abord la notion essentielle de la spécificitédu
social : l'existence sociale détermine la conscience. Ce n'est pas l'individu
isolé mais la masse des individus qui constitue le facteur déterminant de
l'évolution sociale. Autre idée fondamentale, le marxisme veut être
concret,car l'homme est un être de besoins. Pour les satisfaire, il entre en
lutte avec la natureen développant des techniqueset une organisationpar
la divisiondu travail.Ces trois éléments constituent ce que le marxisme
nomme les forcesproductives,tandis qu'il appelle modede production:la
structure sociale, non plus le rapport de l'homme avec la nature mais
l'organisation de la propriété, les fonctions sociales, la lutte des classes,
etc. Historiquement les forces de production déterminent le mode de pro-
duction mais on ne peut les séparer de ce dernier. Nous retrouvons ici la
notion de praxiscar c'est à travers l'action sur la nature et sur lui-même
que se développe la conscience de l'homme, sa connaissance du monde,
sur elle que s' édifie l'organisation politique et sociale et à travers elle
enfin, que se déroule l'histoire de l'humanité. « Au commencement était
l'action», écrivait Engels, rappelant le mot de Goethe: «[ ...]avant d'ar-
gumenter, les hommes agissaient. »
Ce qui conditionne l'évolution des sociétés, ce sont les rapports de pro-
duction, d'où le nom de matérialismehistoriqueappliqué au marxisme. Ce
terme désigne non pas une philosophie de l'histoire mais la genèse de
l'homme total, objet de toute science de la réalité humaine, et objectif de
l'action. Marx conçoit une science historique qui échappe à ce qui la
limite habituellement: l'histoire événementielle et celle des institutions.
Mais les rapports de production en se développant entrent en collision,
« des conflits naissent qui opposent des groupes aux intérêts contradic-
toires». C'est la lutte des classes.« L'histoire de toute société jusqu'à nos
jours n'a été que l'histoire des luttes de classe. Homme libre et esclave,
patricien et plébéien, baron et serf, maître et compagnon, en un mot
oppresseurs et opprimés en opposition constante, ont mené une guerre
ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait
toujours, soit par une transformation révolutionnaire de la société tout
entière, soit par la destruction de deux classes en lutte 2 . »
1. C'est nous qui soulignons. K. Marx (1965).
2. Le Manifestedu Parti Communistein Œuvres (1965).
100 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

La définition que donne Marx des classes sociales, leur nombre et les
critères retenus pour les distinguer ont varié suivant les événements à
propos desquels il les étudiait 1 .
131 L'aliénation o A la complexité de l'interaction de deux éléments, l'un spon-
tané, biologique (rapport homme-nature), l'autre réfléchi (conscience de
l'homme, organisation), s'ajoute un troisième facteur: le monde inhumain, illu-
soire, de l'aliénation, notion complexe et très controversée. Transformant la
notion philosophique empruntée à Hegel, Marx lui a donné un sens dialectique,
rationnel et plus positif. L'homme se développant à travers des contradictions,
l'humain, l'élément positif ne pouvait se former qu'à travers l'inhumain (le néga-
tif), c'est-à-dire l'aliénation de l'humain. L'aliénation de l'homme n'est pas reli-
gieuse (notion de chute), ni morale (faute), ni théorique, ni idéologique, elle est
réelle, concrète, pratique, économique, sociale et politique. Les rapports que
l'homme entretient avec les objets qu'il crée, dans lesquels il s'exprime, sont nor-
maux, jusqu'au moment où certains prennent une existence indépendante. Ils se
transforment en formes abstraites: l'argent, le capital, qui deviennent alors des
réalités oppressives,aux mains d'une minorité. La domination de ces fétiches sur
l'homme constitue son aliénation.
Le fétichisme véritable apparaît lorsque les abstractions échappent au contrôle,
à la pensée et à la volonté des hommes. Ce serait au fond, la version moderne de
l'animisme des sociétés archaïques. Les objets n'exercent plus une domination
surnaturelle, mais sociale, psychologique, en fait, ils deviennent un peu plus que
des choses matérielles2 •
132 La superstructure o Dans l'analyse sociologique on retrouve aussi un troi-
sième niveau s'ajoutant aux forces productives et au mode de production: la
superstructure. Elle élabore, codifie ou transpose (idéologiquement) les rapports
humains dans un mode de prod9ction donné et reagit soit pour les faire avancer
(par exemple par le moyen de l'Etat politique), soit au contraire pour les conser-
ver (politique réactionnaire).
La superstructure comprend les institutions juridiques et politiques, les
idéologies et fétiches idéologiques. Elle est l'expression du mode de pro-
duction. Ici encore, les définitions données des superstructures ... et des
idéologies ont varié. Ce que les critiques et même les disciples de Marx
oublient trop souvent, c'est que les forces productives ne se réduisent ni
« aux moyens de subsistance» ... ni plus généralement, à la seule produc-
tion économique. Marx cite également « la production spirituelle » et
souligne que les deux s'interprètent dans l'activité sociale, globale qui
1. Gurvitch indique que le concept de classe, encore vague dans L'idéologie allemande,in Œuvre
(1965) oppose les urbains aux ruraux dans Misèrede la philosophie,tandis que dans le Manifesteil
distingue cinq classes. Aron (1967} p. 189 cite le Capital(Livre III, chap. 48 et 193} dans lequel les
classes au nombre de trois : salariés, propriétaires fonciers et capitalistes sont définies par la place
occupée dans le processus de production. Dans Les luttesde classesen France( 1848-18 50) cherchant
à définir l'influence des groupes sociaux sur des événements particuliers, Marx distingue les bour-
geoisies financière, industrielle, commerçante, la petite bourgeoisie, la classe paysanne, la classe pro-
létarienne et le Lumpen-prolitariat(sous prolétariat). Enfin dans Le 18 Brumairede LouisBonaparte
(1969}, il insiste sur le fait que même des groupes exerçant la même activité économique ne consti-
tuent pas forcément des classes sociales. Il faut qu'il y ait« prise de conscience» de l'unité du groupe
et de la séparation, de la différence, de l'opposition aux autres groupes, pour qu'existe une classe.
2. Cf. J. Baudrillard (1968).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 101

« est sensible, totale et vivante 1 ». C'est ce qui lui permet d'écrire : « De


tous les instruments de production, le plus grand pouvoir productif, c'est
la classe révolutionnaire elle-même.» Sans doute s'agit-il encore d'un
volontarisme collectif qui ne tient pas compte de l'action individuelle,
mais nous sommes loin de l'effet mécanique des facteurs économiques,
caricature du marxisme. Affirmer que Marx réduit toute la vie sociale à la
vie économique est fondamentalement« faux» écrit Gurvitch,« car il a
fait exactement le contraire: il a révélé que la vie économique n'est
qu'une partie intégrante de la vie sociale et que notre représentation de ce
qui se passe dans la vie économique est faussée, dans la mesure même où
nous ne nous rendons pas compte que sous le capital, la marchandise, la
valeur, le prix, la distribution de biens, se cachent la société et les
hommes qui y participent 2 ».
Engels précisait dans une lettre à Joseph Bloch (21 septembre 1890) :
« D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur qui est en dernièreins-
tance,déterminant dans l'histoire, est la production et la reproduction de la vie
réelle. Ni Marx, ni moi n'avons rien affirmé de plus. Mais si l'on nous fait dire
que le facteur économique est le seul déterminant, alors on transforme la pre-
mière proposition en une phrase creuse, abstraite et absurde. La situation écono-
mique est la base, mais les différents facteurs de la superstructure - formes poli-
tiques de la lutte des classes et ses résultats - formes juridiques et aussi bien
entendu, les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants,
théories politiques, juridiques, philosophiques [ ...] exerçant également leur
influence sur le cours des luttes historiques et en déterminent dans beaucoup de
cas, les formes de façon prépondérante. Il y a action et réaction de tous ces fac-
teurs 3 • »
Ajoutons enfin que seule une mauvaise interprétation du matérialisme
historique permettait d'attribuer à Marx une conception fataliste et déter-
ministe de l'histoire. Dans La Sainte Famille il écrit: « L'histoire ne fait
rien. C'est l'homme, l'homme seul, l'homme vivant qui fait, qui possède,
qui combat Ce n'est pas l'histoire qui utilise l'homme pour réaliser ses
fins [...] comme si elle était une personne indépendante, elle n'est rien,
rien que l'activité de l'homme poursuivant ses fins 4 . » Mais, et c'est en
cela que Marx est sociologue, lorsqu'il dit l'homme, il s'agit des hommes,
de l'humanité et des fins qu'ils poursuivent même s'ils n'en sont pas tou-
jours conscients. « Les hommes font leur histoire mais ils ne savent pas
qu'ils la font» Une sociologie scientifique comporte l'étude de ces fac-
teurs extérieurs à l'homme.
133 Influence du marxisme ◊ H. Lefebvrea raison de ne pas vouloir limi-
ter Marx en l'enfermant dans une catégorie (même aussi variée que celle
des sociologues), lui qui les bouscule toutes. On a beaucoup discuté,
interprété Marx, sa doctrine, sa théorie de la connaissance, mais le plus
souvent passé sous silence sa pratique méthodologique en sociologie.
1. K. Marx (1970).
2. G. Gurvitch (1957), p. 224.
3. A. Cuvillier (1967), p. 70.
4. In Œuvrescomplètes(1965).
102 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Bien entendu la méthode dialectique est la clef qui ouvre toutes les
portes, le seul moyen de comprendre les faits sociaux puisqu'ils sont
contradictoires. Mais on aurait aimé voir sélectionnés et rassemblés les
conseils méthodologiques épars dans toute son œuvre tels que : « L'obser-
vation empirique doit [ ...] présenter la connexion de la structure sociale
et politique avec la production. »
Sans doute H. Lefebvredans un chapitre sur la méthode 1 cite-t-il les
indications de la préface du Capital, mais il n'insiste pas. Tandis que cer-
tains reprochent à Marx l'utilisation d'une méthode déductive, dans
laquelle les faits viennent à l'appui des principes a priori, d'autres
indiquent que : « la conception marxiste des modes successifs d' organisa-
tion sociale est un produit authentique de la méthode historique et
inductive 2. » M. Cuvillier signale brièvement que Marx et Engels ont uti-
lisé les méthodes de la sociologiepositive de l'époque, méthode historico-
comparative surtout, mais aussi méthode statistique dans le Capital et
techniques d'enquêtes~ethnographiques dans l'Originede la Famillede la
propriétéprivéeet de l'Etat (Engels).
Mais comment travaillait Marx, où puisait-il ses documents, comment
les utilisait-il 3 ? Surtout comment ne trouve-t-on pas évoquée cette
enquête sur les ouvriers, préparée par Marx, jamais dépouillée semble-t-il,
qui montre jusqu'où allait son désir de chercher ses matériaux dans la
réalité 4. Dans la mesure où l'importance attribuée aux facteurs écono-
miques paraît aujourd'hui évidente, et où de nombreuses façons de pen-
ser sont d'origine marxiste (sans qu'on le sache toujours) on peut dire
que cette vulgarisation, malgré ses inconvénients (Marx se disait non
marxiste, que dirait-il aujourd'hui ?) est un signe indéniable d'influence.
Au point de vue méthodologique, qui nous intéresse ici, c'est surtout au
niveau le plus élevé de cette notion, dans le cadre d'une théorie de la
connaissance que la dialectique a suscité de l'intérêt et de nombreuses
controverses 5 . Pourtant un ouvrage britannique 6 note après quelques
lignes sur Marx que « his influence is not unconsiderable 7 » et P. Lazars-
feld indique que la nouvelle InternationalEncyclopedia of the socialsciences
en 16 volumes, anthologie américaine classique consacrée à la philo-
sophe des sciences sociales, ne comporte aucun article sur la dialectique.
Cependant, si à la recherche d'une nouvelle conception du monde, les
jeunes « radicaux» 8 américains se mettaient ( en 1960) à étudier Marx,
ce n'était peut-être pas seulement pour échapper à l'ennui du structuro-
fonctionnalisme.
1. Dans Le marxisme,qui, paradoxalement, insiste davantage sur ce point que le recueil sur La
sociologie
de Marx, où la méthode, au sens où nous l'entendons ici, est passée sous silence.
2. Cf. M. Bourguin in A. Cuvillier (1967).
3. Depuis l'analyse de condamnations à propos d'un fait divers de vol de bois, en passant par les
réflexions sur le code civil, ou l'histoire des différents types de société.
4. Enquête publiée par Marx dans la Revue Socialistedu 20 avril 1880, in Œuvres complètes,
p. 1527. La critique du questionnaire constitue un bon exercice de travaux pratiques.
5. P. Lascoumes (1984).
6. G. Duncan Mitchell (1968).
7. Double négation dans le style universitaire français 1
8. Ne correspond pas au radicalisme français, c'est aux États-Unis un mouvement d'opposition
et de contestation.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 103

134 Wilhelm Dtlthey (1833-1912) ◊ Comme Burckardt, l'historien fonda-


teur de l'anthropologie historique, son compatriote et contemporain, Dilthey est
issu de l'aristocratie protestante. L'un et l'autre renoncent à devenir pasteurs
comme le souhaitaient leurs familles. Dilthey, critiquant Hegel tente de réduire
les oppositions sujet-objet, philosophie-sociologie, individu-société. La vie lui
apparaît comme l'unité du Moi et du Monde. Sa recherche des critères scienti-
fiques et objectifs dans les sciences sociales l'a fait comparer à l'anglais W. James.
Nous connaissons le monde physique, mais nous comprenons le monde social.
Or comprendre, c'est sélectionner ce qui est significatif. Le type est la représenta-
tion formelle, significative, reliant à l'ensemble le plus grand nombre de faits pos-
sibles. Dithey identifie sciences sociales et histoire, permettant une compréhen-
sion intérieure des données, alors que les sciences de la nature nécessitent une
analyse extérieure :
Henri Riclœrt (1863-1936): pour lui la différence entre sciences sociales et
sciences naturelles, tient seulement au degré d'exactitude et de précision des
concepts. Les unes et les autres sont de nature empiriques, mais la science à partir
des concepts abstraits, explique ce qui se répète, alors que l'histoire utilise des
concepts individuels, pour tenir comte de ce qui est unique. Ces deux auteurs ont
insiste sur la notion de ce qui est significatif.
135 Ferdinand Tonnies (1855-1936) ◊ Il fut souvent considéré com-
me le père de la sociologie allemande. Son succès fut tardif car il suscita
toute sa vie la méfiance du gouvernement prussien qui, trouvant ses
théories trop sociales, le prenait pour un disciple de Marx. De plus l'école
historique de Droit, issue de la philosophie hégélienne, s'oppose à toute
orientation scientifique de la sociologie, qui doit rester normative.
Professeur malheureux à l'Université de Kiel, il n'a en 1883 plus qu'un étu-
diant J En ;evanche, son ouvrage Gemeinschaftund Gesellsaft1 paraît en 1887. Il
est lu aux Etats-Unis et en France où Tônnies sera en 1894 nommé membre de
l'Institut International de Sociologie de Paris. A partir de 1913 la valeur de son
œuvre sera reconnue, y compris en Allemagne.
Influencé par l'œuvre de Hobbes, Tënnies comme Durkheim et de
nombreux sociologues se demande comment l'ordre est maintenu dans
la société. Pour lui les rapports sociaux reposent sur des relations entre les
volontés humaines qui constituent un ensemble de mécanismes orien-
tant la conduite des hommes. Le point de départ de Tënnies relève donc
de la psychologie individuelle. Il distingue la volonté organique (Wesen-
wille) et la volonté réfléchie (Kmwille). L'une est du domaine concret,
physiologique, affectif, l'autre intellectuelle, est dominée par la pensée.
Ces deux volontés seront à l'origine des rapports sociaux différents. Les
relations obéissant à la volonté organique correspondent aux rapports
sociaux de caractère communautaire et forment un type d'organisation
sociale: la communauté(Gemeinschaft). Celle-ci constitue un tout orga-
nique, un type de société dans lequel les liens naturels familiaux sont
forts et où l'intérêt des membres s'identifie à la vie et à l'intérêt de l'en-
semble. Les groupes sociaux où prédominent les volontés de type réfléchi,
forment ce que Tënnies appelle la société( Gesellschaft). Les relations
1. F. Tônnies (1887).
104 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

s'établissent sur la base des intérêts individuels dont l'échange commer-


cial est l'exemple. L'histoire occidentale, du Moyen Age à nos jours,
illustre le passage d'une organisation sociale communautaire à une orga-
nisation sociétaire. L'homogénéité c'est la communauté, l'hétérogénéité
c'est la société.
Cette typologie devenue célèbre est assez proche de celle de Durkheim
(mécanique et organique) qui la connaissait, mais reprochait à Tënnies
ses implications individualistes et psychologistes. L'œuvre de Tônnies est
importante sur le plan méthodologique, car il a contribué à séparer, en
Allemagne, la sociologie, de l'histoire, de la philosophie et du droit.
Bien que très éloi~é d'une sociologie empirique, il organise tout de même
W1eenquête sur la delinquance dans le Nord de l'Allemagne dans laquelle il uti-
lise des statistiques complexes. Mais sans doute n'était-ce pas là pour lui l'essen-
tiel puisqu'il déclarait: « il n'y a de vraie science que celle des notions 1 ». Il se
rapproche d'une sociologie scientifique par l'objet qu'il lui propose. En Alle-
magne la lutte pour l'autonomie de la sociologie impliquait la nécessité de la
définir. Pour Tônnies elle est la théorie des réalités sociales, dont l'unité provient
des rapports positifs entre les individus.
La recherche de catégories (même s'il ne les utilise pas lui-même) permettant
de comprendre les rapports sociaux, marque aussi un progrès. 11a défini l'utilité
des types, montrant ainsi la voie à Max Weber (cf. n° 144) et élaboré un modèle
relevant d'une théorie générale applicable à toutes les sociétés. Il préparait ainsi
les conceptions formalistes.
136 Georg Simmel (1858-1918) 2 ◊ Professeur à l'Université de Ber-
lin, il est le fondateur de la sociologie formelle qu'il conçoit comme une
géométrie du monde social. La notion de forme est d'origine kantienne.
De même que pour Kant la connaissance de phénomènes naturels est
possible grâce à l'esprit qui projette des formes (l'espace, le temps), pour
Simmel, l'analyse des faits sociaux comme la compréhension de l'his-
toire sont possible grâce à l'activité du sociologue qui organise le réel à
l'aide de catégories et de formes... ce que l'on appellerait aujourd'hui:
des modèles 3 • Mais pour Simmel, cette mise en forme n'est pas seule-
ment le fait du sociologue observateur mais également due à l'activité de
l'acteur lui-même (cf. Weber, n° 138).
Simmel, esprit souple et prudent, en avance sur son époque est inté-
ressé par la macrosociologie comme par les actions individuelles. Il s' op-
pose à« la manie de trouver des lois de la vie sociale [ ...] retour au credo
métaphysique [ ...] selon lequel toute connaissance doit être absolue et
universelle». Malheureusement pour Simmel, cette recherche de lois
empiriques et universelles constitue justement le but de Durkheim (cf.
n°5 119 et s.) qui à son tour reprochera à la sociologie formelle de Sim-
mel de maintenir la sociologie dans une « idéologie métaphysique ».
Célèbre de son vivant, le sociologue allemand, proche de Weber son
contemporain, a connu en France une longue éclipse due à l'opposition
1. Op. dt., p. 119.
2. G. Simmel (1981 et 1984).
3. L. Deroche-Gurcel (1988).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 105

et au succès du positivisme durkheimein. C'est surtout comme psycho-


logue social 1 qu'il est connu et apprécié aux États-Unis. On semble
enfin en France redécouvrir Sirnmel pour ce qu'il est: un des grands
sociologues du de'but du~ siècle et avec Weber un des précurseurs de la
sociologie de l'action.
Von Wtese disciple de Simmel tente de rendre plus rigoureuse la pen-
sée brillante de son maître en y introduisant une quantification concep-
tuelle avec les notions de processus social, de distance, d'espace social et
de formation sociale, système qui représente une ébauche des tentatives
systémiques actuelles. Il a tenté d'appliquer son schéma à un village alle-
mand (1928). Mais la multiplication de ces catégories abstraites n'abou-
tit pas à une explication. De plus ce qui était stimulant chez le maître,
devient aride et lourd chez le disciple.
137 Alfred Vierkandt 1867-1953) ◊ Est le représentant de la sociolo-
gie phénoménologique. Il subit également l'influence de Tënnies et de
Simmel. Vierkandt a été ethnologue avant d'aborder la sociologie philo-
sophique et reste également influencé par ses études historiques. Faute
de définitions précises et malgré l'intérêt de ses analyses, il oscille
constamment entre des formules psychologiques provenant de son inté-
rêt pour l'individu, et des formules totalitaires inspirées par le mythe de
la communauté.
Faisant le bilan de la sociologie systématique, R. Aron reconnaissait à
ces auteurs le mérite d'avoir permis de mieux comprendre les formes
diversifiées des relations entre personnes et les échanges entre individus
et formations sociales. « Et, pour saisir cette vie à la fois mystérieuse et
proche, la sociologie systématique enrichit nos ressources conceptuelles,
elle affine notre sens du réel 2 . »
138 Max Weber (1864-1920) ◊ Pour comprendre Max Weber, il faut
naturellement comme pour les autres sociologues, on serait tenté de dire
plus que pour les autres, le replacer dans le cadre de son époque et de sa
biographie 3 .
Né dans un milieu bourgeois, il s'intéresse à la politique (son père y joue un
rôle) et à la religion protestante (sa mère est très croyante). Il est lui-même
juriste de formation et sa culture est exceptionnelle. Son opposition à Freud peut
être interprétée comme une défense contre des interprétations psychanalytiques
dont il aurait eu probablement besoin. Ses dépressions, ce que l'on peut
connaître de sa vie, permettent de supposer un complexe de culpabilité4, un
Œdipe mal résolu 5 et une femme possessive6 bien que compréhensive7. La
1. Cf. R. Baudon et F. Bourricaud (1982). Considéré même comme précurseur de l'eth-
nométhodologie du fait de son intérêt pour la vie quotidienne.
2. R. Aron (1935), p. 52.
3. H. Gerth (1945), R. Bendix (1960).
4. Vis-à-vis de son père qui mourut quelques jours après une discussion avec lui et vis-à-vis d'un
ami dont il épousa la fiancée.
5. Cf. A. Mitzmann (1970). Attachement à sa mère.
6. Cf. le récit de sa vie par Marianne Weber (1926).
7. M. Green. Cf. l'idylle de Weber avec Else Jaffe (1974).
106 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

fragilité de son sytème nerveux et sa grande sensibilité semblent dominées par


une exceptionnelle intelligence. Mais cette dualité explique peut-être l'ambi-
valence de ses attitudes, l'impression qu'il donne si souvent d'être déchiré (en
particulier en politique) entre l'action et la réflexion, la science et des aspirations
religieuses, l'Allemagne des junkers qu'il déteste, et son nationalisme.
Le cadre de son époque, c'est, sur le plan politique en 1870 l'Alle-
magne unifiée et prussienne de Bismarck. Sur le plan intellectuel, la
grande querelle entre l'idéalisme et le matérialisme (Kant, Hegel, contre
Marx), enfin les discussions sur l'opposition ou la similitude entre la
méthode historique et celle des sciences de la nature. Une part de
l'œuvre de Weber représente une tentative de réponse à ces deux ques-
tions. L'historien du droit, l'expert en sciences politiques et économiques
se transforma en sociologue au cours d'un long et intense dialogue avec
l'ombre de Karl Marx 1.
139 Idéalisme et matérialisme ◊ Dans L'éthiqueprotestanteet l'esprit du
capitalisme(1904) il s'oppose à la fois aux idéalistes en montrant que
l'esprit, les croyances d'une société peuvent s'étudier objectivement et
aux matérialistes, en montrant que les explications sociologiques per-
mettent de comprendre des « valeurs qui issues peut-être de facteurs
économiques ou autres, permettent de s'exprimer à travers eux». mais il
déclare lui-même que reprochant à Marx l'importance excessive qu'il
accorde au facteur économique « son but n'est pas de le remplacer par
un autre facteur opposé» mais de suggérer d'autres éléments essentiels:
la puissance de la conjonction des militaires et des industriels et surtout
l'organisation bureaucratique, pour lui aussi importante que la lutte des
classes.
Tout en reconnaissant la nécessité scientifique de systématiser les
faits, il reproche à tout système de vouloir constituer une représentation
de la réalité. Quand lui-même systématise le capitalisme, il ne prétend
nullement rendre compte de la totalité du phénomène, il cherche sim-
plement à rendre certains aspects plus intelligibles. L'élaboration des
concepts n'est pour Weber que le moyen de construire un instrument
pour comprendre le réel.
140 Sciences de la nature et faits sociaux ◊ Les auteurs de l'époque
s'orientaient vers la distinction entre deux méthodes : la méthode géné-
ralisante convenant aux sciences de la nature, celles que Windelband
appelle « nomothétiques2 » parce qu'elles visent à établir des lois, et la
méthode individualisante,celle des sciences « idiographiques 3
» que Ric-
kert nomme sciences de la culture qui s'intéressent, comme l'histoire, à
des événements singuliers.
Fallait-il malgré leurs particularités proposer aux secondes le modèle
des premières ou les considérer comme autonomes ? Tel était le pro-
1. Salomon in G. Gurvitch (1947), p. 603.
2. Nomos = universel.
3. Idio = individuel (cf. n° 271).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 107

blème à résoudre. Tout en prenant à son compte la distinction proposée,


Weber contestera l'attribution de chaque méthode à une seule des
sciences1. Bien au contraire, toutes les sciences utilisent suivant l'objet
de leur recherche l'une ou l'autre. Weber est opposé à tout dogmatisme.
Pour lui le propre d'une méthode est d'être efficaceet de faire progresser
le savoir. Loin de réclamer la suprématie de la sociologie (comme Comte
et Durkheim) il réclame son autonomie, comme il l'accorde aux autres
sciences et laisse chacune utiliser la méthode qui lui convient. « La vali-
dité de la sociologie comme science dépend uniquement des problèmes
spécifiques qu'elle se propose de résoudre 2 • »
Weber n'est pourtant pas l'homme des compromis. Il insiste dans Le
savant et le politique( 1919), sur le fait que la vérité ne se situe pas entre
deux opinions opposées et que l'idéal modéré n'est pas plus scientifique
qu'une attitude partisane. Il ne s'agit pas pour lui d'une attitude de tolé-
rance, qui, au milieu de discussions passionnées pourrait paraître du
détachement et qu'expliquerait son horreur du dogmatisme, des interdits
et des systèmes, mais bien d'une conviction. Si détachement il y a, il est
fondé sur le fait que même avec les meilleures méthodes, le mode sen-
sible est infini et qu'aucune science ne pourra l'épuiser. Le concept est
par essence sélectif, et même en additionnant un grand nombre d'entre
eux on n'atteindra jamais la totalité du réel. C'est cet état d'esprit qui lui
dictera cette déclaration désabusée : « Dans le domaine de la science...
chacun sait que son œuvre aura vieilli d'ici dix, vingt ou cinquante ans.
Toute œuvre scientifique «achevée» n'a d'autres sens que celui de faire
naître de nouvelles questions : elle demande donc à être « dépassée » et à
vieillir. Celui qui veut servir la science doit se résigner à ce sort » 3 .
L'idéal du _xoc:siècle d'une science unifiée, n'est qu'une utopie. Weber,
tout en reconnaissant l'utilité des mathématiques, déclare que le fait
d'être parvenues les premières à la rigueur scientifique ne leur confère
aucune supériorité logique et aucun droit à la suprématie sur les autres
sciences. Comme économiste, il a utilisé les mathématiques parce
qu'elles étaient efficaces, mais il redoute qu'en sciences humaines, elles
ne veuillent donner une apparence scientifique à des travaux qui ne le
seraient pas. Si les sciences humaines peuvent utiliser les mêmes
méthodes que les autres sciences, elles ont cependant du fait de leur
objet, une spécificité qui exige des procédés particuliers. Elle doivent
comprendreet généraliserles faits sociaux suivant une méthode qui leur
est propre. Pour Weber la méthode qui permet de comprendre, est la
sociologie compréhensive, celle qui permet de construire le type idéal.
141 1° La sociologie compre'hensive◊ Contrairement à Durkheim,
Weber ne distingue pas les structures et les institutions sociales. Il s'in-
téresse à l'homme vivant, à la façon dont il se comporte dans la société,
comment il la transforme. Weber distingue l'évolution objective des ins-
1. P. Lazarsfeld (1970, B 104) rappelle que Weber a lui-même dirigé d'importantes enquêtes.
2. In J. Freund (1968), p. 36.
3. In op. dt., p. 251.
108 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

titutions qui intéresse la sociologie, et la signification que ces institu-


tions ont pour ceux qui les vivent. Signification qui, bien souvent, est la
cause du changement. Les deux aspects loin de s'opposer sont donc
complémentaires, et représentent les façons différentes d'étudier la
richesse et la diversité du réel. « Nous appelons sociologie (et c'est en ce
sens que nous prendrons ce terme aux significations les plus diverses)
une science dont l'objet est de comprendre par interprétation ( deuten
verstehen)l'activité sociale, pour ensuite expliquer causalement le déve-
loppement et les effets de cette activité 1. »
Cette notion de compréhension n'était pas une découverte. D'autres
auteurs allemands 2 l'avaient utilisée, mais Weber lui donne une impor-
tance particulière. Laissant de côté les fondements philosophiques d'une
théorie de la connaissance, il s'interroge sur l'efficacité de la méthode
sociologique. Alors que l'explication porte dans les sciences de la nature
sur une relation de cause à effet, la compréhension dans les sciences
humaines doit déceler le sens d'une activitéou d'une relation.
On ne se préoccupe pas de la sensation qu'a une pierre de tomber,
mais il faut se demander ce que pense un individu qui va voter. Dans
l'Fssaisur la théoriede la science(1922), Weber écrit: « La compréhen-
sion considère l'individu isolé et son activité comme l'unité de base, je
dirai son atome». Sans doute d'autres sciences peuvent-elles considérer
l'individu sur le plan physique ou chimique. « Mais du point de vue de
la sociologie,tout appel à un sens, suppose une conscience, et celle-ci est
individuelle3 • »
« Les concepts collectifs ne deviennent sociologiquement intelligibles qu'à
partir des relations sig}1ificativesqui comportent les conduites individuelles4 ».
Prenant l'exemple de l'Etat il montre comment le juriste y voit une entité auto-
nome alors que pour la sociologie compréhensive : il est « le lieu d'activités
significativesdes personnes qui y participent[ ...] La sociologie [...] a pour tâche
de comprendre avant tout le sens subjectivement visé par les membres, sens en
vertu duquel ils acceptent la réalité étatique, y entretiennent des relations
sociales et y poursuivent des activités déterminées. » La sociologie porte sur le
sens du vécu.
Mais se posent alors les questions : comment fait-on pour
comprendre? Comment sait-on que l'on a compris? et comment passe-
t-on de la compréhension individuelle à la généralisation, au collectif ?
Weber n'assimile en aucune façon la sociologie à la psychologie5 • Il
reproche à Simmel de limiter la compréhension à un processus psy-
chique, alors qu'elle est« une méthode logique orientée vers la saisie du
sens d'une activité ou d'un comportement 6 ». Sans doute son vocabu-
laire (des mots tels que réviviscence)peut-il prêter à confusion bien qu'il
spécifie: « La possibilité de revivre effectivement le comportement d'au-
1. In op. dt., p. 81.
2. L'historien Droysen l'a employée la première fois en 1850.
3. M. Weber (1965), p. 345.
4. Op. dt., p. 345 et s.
5. En Allemagne particulièrement développée sous une forme très physiologiste.
6. In J. Freund (1968), p. 85.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 109

trui est sans doute importante pour l'évidence propre à la compréhen-


sion, mais elle n'est pas une condition absolue d'une interprétation
significative1 ». Il objecte aux tenants de l'intuition qu'elle appartient à
la sphère du sentiment et ne se définit pas par des concepts rigoureux,
acceptables par tous. De plus, elle aussi, opère une sélection et ne
recouvre pas la richesse du réel.
La conception qu'a Weber de l'action sociale bien que subjective, en
quoi elle s'oppose à Durkheim 2, n'est tout de même pas psychologique.
Pour lui « L'action (humaine) est sociale dans la mesure où, du fait de
la signification subjective de l'individu ou des individus qui agissent y
attachent, elle tient compte du comportement des autres et en est affec-
tée dans son cours. » La main tendue est un symbole : il a une significa-
tion, celui qui fait ce geste s'attend à être compris. La conduite sociale
est donc influencée par la perception que les individus qui y sont enga-
gés ont de la signification de leur action pour les autres et réciproque-
ment3. On peut ainsi par l'observation des comportements extérieurs,
trouver des indices de bonne ou mauvaise compréhension.
La conception de Weber a souvent été mal comprise. Elle est difficile,
ses fondements incertains; de plus elle apparaît surtout dans des
controverses, c'est-à-dire de façon négative en s'opposant aux autres
théories. En fait, Weber caractérise la compréhension mais il ne la défi-
nit pas. On peut dire que Weber s'oppose aux positivistes et aux scien-
tistes en reconnaissant la particularité des faits sociaux, qui, non seule-
ment existent objectivement, mais ont de plus une signification pour ceux
qui les vivent.
A l'encontre des psychologues, il pense que cette signification ne suffit
pas à tout expliquer. Faute de preuve, toute explication compréhensive
demeure hypothétique. Subjective au point de départ, elle doit pour être
vraie, établir des rapports objectifs. Elle n'est qu'un moyen auxiliaire
dont les résultats doivent être vérifiés par les moyens scientifiques habi-
tuels : statistiques, recherche de causalité, etc. Mais une singularité ne
s'explique jamais à partir de lois générales. En sociologie, il n'existe que
des probabilités, des régularités tendancielles (l'importance de la notion
de chance chez Weber).
« Parce que sa psychologie repose sur la notion d'activité individuelle
significative et sur celle de conduites typiques, elle se donne pour tâche
de nous aider à comprendre sur la base de l'histoire et de l'expérience
générale, en quel sens nous pouvons nous attendre avec une certaine
probabilité, à de telles conséquences plutôt qu'à d'autres, au regard des
conditions qui sont données concrètement4. »

1. Wirtschaft und Gesellschaftin J. Freund, op. dt., p. 86.


2. Pour Durkheim (cf. n° 119) l'action socialeest définie par des manières de penser collectives
s'imposant à l'individu.
3. Nous retrouveronsdes analysesdu même ordre à propos des rôles comme attente cf. LivreIII.
4. J. Freund (1968), p. 122.
110 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

142 Causalité et rapport aux valeurs ◊ Chercher les causes d'un événe-
ment, ce n'est pas, comme dans les sciences de la nature, retrouver une
succession de faits, mais sélectionner à l'intérieur de celle-ci les plus
significatifs. Weber propose de remplacer l'expérimentation par la modi-
fication imaginaire des événements. On peut se demander par exemple ce
qui se serait passé si les Grecs n'avaient pas été vainqueurs à la bataille de
Marathon. Si le nez de Cléopâtre... La recherche de la causalité ne porte
pas sur un fragment de la réalité, en fonction duquel on sélectionne cer-
tains faits considérés comme importants. Mais importants par rapport à
quoi? Un fait social n'est en lui-même pas plus digne qu'un autre d'être
connu, déclare Weber. Par rapport aux valeurs il ne peut l'être que sub-
jectivement. Ce rapport aux valeurs exerce son influence à différentes
étapes de la recherche: il détermine le choix du sujet en fonction de l'in-
térêt que lui trouve le sociologue, il permet de sélectionner les faits en
fonction de leur signification, d'orienter la recherche des liens de causa-
lité.
Si le sociologue doit essayer d'être conscient de ses valeurs, les groupes
sociaux eux, ne le sont pas, il ne suffit donc pas d'étudier ce qu'ils disent
eux-mêmes de ce qu'ils croient ou de ce qu'ils font, il faut observer leur
conduite réelle. On peut dire que subjective au départ, dans ce qui l'ins-
pire, la notion de valeur peut et doit être étudiée de façon objective, dans
ce qu'elle inspire.
Ayant accepté le fait de cette influence de la subjectivité et des valeurs
qu'elle privilégie, peut-on la limiter, l'objectivité du savant est-elle pos-
sible?
143 L'objectivité du savant ◊ Weber consacre à cette question de longs
développements 1 qui prêchent la neutralité axiologique2 sur un ton
curieusement passionné. Le problème est cette fois vécu, et la réponse
semble correspondre autant à une auto-justification qu'à une opinion.
Weber se distingue de ses prédécesseurs non en séparant jugements de
réalité (ce qui est) et jugements de valeur (ce qui doit être), ce que fai-
saient d'autres avant lui, mais en refusant tout espoir de modifier la
société (loi de l'évolution des positivistes, ou utopie morale chez Durk-
heim). Il affirme que la vocation du sociologue est la recherche de la
connaissance pour la connaissance. En dehors de l'élaboration théorique
des concepts, il aborde le sujet, plus dangereux à cette époque, de l'atti-
tude pratique du savant dans la vie quotidienne.
Weber distingue le plan de la pédagogie et celui de la recherche. Comment
séparer constatations empiriques et jugements de valeur ? Weber distingue le cas
du pédagogue qui trouve, suivant la situation donnée, sa réponse personnelle, et
celui du savant pour lequel c'est un impératif sans souplesse. Le sociologue ana-
lyse la société, il n'est ni un réformateur ni un prophète. Mais que penser du poli-
tique ?3 La distinction entre connaissance et action correspond à l'opposition

1. A. Weber (1919, 1922, 1969), A. N. Sharlin (1974), R. Brubaker (1984).


2. Axiologique: qui a trait aux valeurs, mais traduction critiquable d'après Nommsen.
3. W. Nommsen (1985).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 111

entre le fait et la valeur, la volonté et le savoir. Cette tension qu'il vécut dans sa
vie de façon douloureuse, Weber essaie de la résoudre théoriquement : « La
science aide l'homme d'action à mieux comprendre ce qu'il veut et peut faire, elle
ne saurait lui prescrire ce qu'il doit vouloir.» Réponse théorique scandaleuse pour
l'époque, qui aujourd'hui nous paraît aussi loin d'épuiser le problème, que de le
résoudre ...
144 2° Le type idéal ◊ Suivant cette démarche qui lui est particulière 1,
Weber ne définit pas le type idéal. R. Aron (1967) note que Weber pense
«contre», ce qui oblige à voir surtout ce que le type n'est pas. Ce n'est
pas une hypothèse, car c'est une proposition correspondant à une réalité
concrète, d'où le type est abstrait. Ce n'est pas une description de la réa-
lité, puisqu'il ne retient que certains aspects de celle-ci. Ce n'est pas une
moyenne : le significatif ne relève pas de la notion de quantitatif dans le
sens d'une moyenne d'âge ou de taille.
Les types en sociologie ne sont considérés ni comme des espèces biolo-
giques, ni comme des étapes du développement historique, ni comme des
êtres, ce sont des « images mentales obtenues par des rationalisations
utopiques». Weber reconnaît le caractère empirique, arbitraire et uto-
pique de sa typologie.
Si les processus de construction des types demeurent assez imprécis, on
chercherait en vain dans les types idéaux achevés, des caractéristiques
plus convaincantes. L'œuvre de Weber nous propose des« types idéaux»
assez hétéroclites : rapports sociaux, types de pouvoir, de groupes, de pro-
cédure, de religion ou même de civilisation, aucun critère objectif ne pré-
side à leur usage ou à leur élaboration.
145 Type de concept ◊ Le concept, nous le savons, abstrait une qualité
commune de différences particulières: l'orange, la pomme, la poire
relèvent du concept de fruit. Le concept ne sélectionne qu'en fonction
d'un aspect de la réalité. Il doit sa précision à la sélection, la limitation
qu'il impose.
Letype, comme le concept, n'exprime pas la totalité de la réalité, seule-
ment son aspect significatif. Mais à la différence du concept, il ne retient
pas les caractères les plus généraux, ceux que l'on trouve régulièrement et
qui correspondraient à la simple notion de «type». Le qualificatif idéal
implique quelque chose de différent L'aspect original retenu dans chaque
phénomène, dégage ce qui individualise, non ce qui rapproche ou norma-
lise.
De plus pour Max Weber, le type idéal se différencie du concept parce
qu'il ne se contente pas de sélectionner la réalité, il ajoute aussi à la réa-
lité. Le rôle du savant consiste, au-delà de ce qu'il perçoit de « significa-
tif», à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects.
146 Type, catégorie et théorie ◊ La catégorie, en dehors de son sens phi-
losophique, est utilisé en sciences sociales dans un but pratique de classi-
fication (cf n° 336). Quant à la théorie, elle représente un système de
1. Cf. la sociologie compréhensive, T. Burger (1976).
112 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

propositions rendant compte des faits. Le type peut être considéré comme
un intermédiaire entre les données réelles et la théorie abstraite. Dans un
système achevé, le type se distingue difficilement du cadre théorique dont
il fait partie 1 .

147 Critique du type idéal ◊ Gurvitch reproche à Weber de construire un


type idéal abstrait, alors qu'il est une réalité concrète. De plus, comme
c'est le cas pour d'autres notions abstraites: structure, concept, les utili-
sateurs du type l'ont involontairement réifié. Sans doute Weber créait-il
l' « idéal type» contre la notion d'essence, trop liée à des valeurs et
déclarait-il que sa seule perfection était d'ordre logique. Qu'il s'agisse du
libre échange ou de l'économie urbaine des villes marchandes du Moyen
Age, l'idéal type n'est que la « rationalisation utopique » des relations
commerciales, perçues par ceux qui ont essayé de saisir le « sens vécu »
des lois du commerce. Il ne s'agit pas d'une connaissance contenant la
réalité et formant un système achevé, mais d'un moyen heuristique
homogénéisant la recherche. La meilleure preuve c'est que l'élaboration
de nouveaux types ne cesse pas, en réponse« au flux éternellement mou-
vant de la civilisation ».

148 Influence de Weber ◊ La mort prématurée (1920) de Weber fut pour


de nombreux allemands une « tragédie nationale ». Joseph A. Schumpe-
ter déclarait qu'il était le seul professeur de liberté de la culture alle-
mande. Les jeunes étudiants surtout l'appréciaient, parmi lesquels parti-
culièrement K. Jaspers. Il incarnait à leurs yeux la virilité, ce qui semble
curieux lorsque l'on connaît tous les symptômes névrotiques dont il souf-
frait Mais son physique sérieux, sa culture, son intelligence impression-
naient Quelques années plus tard, il n'intéressait plus les sociologues de
son pays et c'est d'Amérique que lui vint la consécration. En 1960,
l' œuvre de Merten est d'inspiration weberienne mais la jeunesse a
changé. Lors de la célebration en 1964 du centenaire de Weber à Heidel-
berg, qui coïncidait avec le 15e congrès des sociologues allemands, Par-
sons en weberien convaincu mais sans fanatisme, dut affronter la contra-
diction de J. Habermas 2 et surtout celle de Marcuse, très applaudi par les
étudiants. Seuls les professeurs plus âgés et les Américains défendirent la
mémoire du sociologue allemand. L'influence de la sociologie américaine
en particulier celle de Parsons, maintint cependant la renommée de
Weber et c'est par les États-Unis qu'il sera connu en France. L'immense
érudition de Weber, la richesse de sa conceptualisation n'ont pu compen-
ser les limites de ses théories : impossibilité de justifier le passage des
significations internes, subjectives, aux significations sociales et cultu-
relles, compréhension substituée à explication, absence de conception
dialectique. Il semble que ses instruments de pensée théorique n'aient pas
été à la hauteur de sa pratique.
1. Cf. n° 340.
2. En 1968, Habennas à son tour sera conspué.
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 113

En France, à part quelques exceptions : R. Aron, J. Freund, germanistes


et weberiens, les sociologues connaissent Weber depuis relativement peu
de temps.
149 Comparaison entre la sociologie allemande et la sociologie
française ◊ Il est frappant de constater que Weber ne fait pas allusion
à Durkheim, son contemporain et que l'Annéesociologiqueconsacre seule-
ment quatre lignes à l'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme. La
période de 1870 n'est pas favorable aux échanges franco-allemands, mais
la véritable explication se trouve dans l'approche si dissemblable des
sociologues allemands et des sociologues français. On serait même tenté
d'évoquer des domaines différents plus qu'une opposition. Alors qu'en
France, Comte, puis Durkheim, inaugurent l'ère du positivisme, en Alle-
magne c'est Hegel qui suscite la réflexion. Celle-ci a pour thème central
l'objectivité en histoire.
Les sociologues français de l'époque non seulement excluent l'histoire
de leurs préoccupations, mais ils ignorent également l'économie. En Alle-
magne, au contraire, Marx et !'Autrichien Wenger lui font une large
place. La sociologie allemande se développe donc sur un terrain où se ren-
contrent l'histoire, l'économie, la psychologie, alors que les sociologues
français veulent construire une discipline scientifique autonome, en l' op-
posant à toutes les influences autres que celles des sciences de la nature.
De ces points de départs différents suivront des évolutions très étrangères
l'une à l'autre.

3. La tendance empirique
§
150 Les enquêtes sociales ◊ L'idée de faire des enquêtes, c'est-à-dire de
chercher dans la réalité des éléments plus précis et objectifs que de
simples impressions, est naturellement fort ancienne.
Lapremière enquête connue est probablement celle que signale Hérodote, véri-
table recensement de la population et des revenus du peuple égyptien. Elle date de
3 000 ans avant J.-C.
Il a toujours existé dans les sciences sociales, en marge des prises de
positions philosophiques et bien avant que naissent les discussions sur le
rôle de la théorie ou de la recherche, une tradition à peu près ininterrom-
pue d'enquêtes organisées. Ces enquêtes, à l'origine, ne sont pas nées
d'une volonté de recherche sociologique, mais de l'émotion que susci-
taient les nouvelles conditions de vie des travailleurs ruraux, transformés
en ouvriers des villes par la révolution industrielle.
151 En Allemagne sous l'impulsion de groupements religieux et de l'administra-
tion, des enquêtes sont organisées. Le Vereinfür Sozialpolitikfondé en 1872 et la
législation sociale de Bismarck (1873-1880) incitent à des études statistiques et
concrètes 1• 2 •
1. Cf. P. Lazarsfeld (1970), p. 228 et s.
2. Nous rappelons les enquêtes déjà citées de Weber et Tônnies.
114 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

152 En Grande-Bretagne ◊ Les conditions les plus favorables à l'éclosion d'en-


quêtes étaient réunies dans ce pays: l'essor industriel et une tradition empirique
et pragmatiste. Aucune tendance rationaliste ou spiritualiste ne détournait les
sciences sociales de cette orientation que ne méprisaient ni les universitaires ni les
intellectuels. On sait aujourd'hui que l'essor économique de l'Angleterre permit
(sauf dans les industries anciennes mal adaptées) une augmentation du niveau
de vie de la population. Le taux de mortalité décroît grâce, semble-t-il, à une meil-
leure alimentation. Mais les conditions de logement dans les villes sont
effroyables. La misère n'augmente sans doute pas, mais elle apparaît au grand
jour. Auparavant elle était disséminée, camouflée dans la campagne, atténuée par
les coutumes locales, la solidarité du voisinage. Elle s'étale maintenant toute
proche, accompagnée de la maladie, de l'ivrognerie, de tous les phénomènes de
désintégration sociale. Cet état de choses suscitera les premières enquêtes, nées
avant tout d'un désir de connaître la situation pour la réformer.
L'un des premiers à tenter de recueillir des faits de façon objective et systéma-
tique est Jolm Howard (1726-1790), philanthrope anglais, préoccupé de la
réforme des prisons.
Charles Booth (1840-1916). La situation des « économiquement faibles»
avait fait l'objet en Grande-Bretagne de descriptions émouvantes qui inspirèrent à
Charles et Mary Booth l'idée de substituer à ces récits impressionnistes des faits
concrets et vérifiables1 . Se bornant à un groupe défini : les travailleurs de Londres,
Booth en 1886, commence sa monumentale étude dont le premier volume parut
en 1892, et le dix-septième et dernier en 1897 1 Grâce à sa participation à la vie
même des quartiers ouvriers, mais aussi à l'aide d'interviews, de statistiques,
d'analyses de documents, Ch. Booth cherche des corrélations entre les niveaux de
vie, la délinquance, le mode de vie, le logement, la taille des enfants, etc., et décrit
les conditions de vie des divers groupes de travailleurs. Avec une remarquable
modestie l'auteur déclare:« L'idée de base avec laquelle je commençais à travail-
ler était que chaque fait dont j'avais besoin devait être connu par quelqu'un et
qu'il n'y avait qu'à recueillir les informations et les mettre ensemble. » Ce qui fait
la valeur de ces documents, ce n'est pas seulement la compilation statistique mais
la personnalité même de l'auteur, qui a su comprendre et faire vivre pour ses lec-
teurs tout le petit peuple des travailleurs londoniens. Comme le dit R. E. Park :
« Ces volumes constituaient une étude sociologique, ils sont devenus un docu-
ment historique. »
B. S. Rowntreetente d'améliorer les méthodes peu standardisées des Booth en
étudiant une petite ville de province anglaise: York. Enfin Arthur Bowleypublie
en 1915 une étude comparative de cinq villes industrielles de taille moyenne.
Bowley utilise pour la première fois un échantillon statistique, en sélectionnant
une maison sur vingt et se préoccupe plus que ses prédécesseurs, de la rigueur des
techniques utilisées. La London School of Economies a repris en 1928 une nou-
velle enquête à partir de celle de Booth. 9 volumes ont paru de 1930 à 1945.
A côté de ces grandes enquêtes sur la pauvreté, de nombreuses universités et
associations se sont livrées à des recherches, en général sous la forme de mono-
graphies.
153 En France ◊ En France, avec un peu de retard, l'industrialisation pro-
voque les mêmes effets, suscite les mêmes recherches et désirs de
réformes. Le rapport présenté par Vfllenné en 1840, à l'Académie des
1. « Mon but est de me limiter à la description des choses comme elles sont» in C. Booth
(1902).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 115

Sciences Morales et Politiques, constitue un document accablant sur la


situation des travailleurs, en particulier sur l'utilisation des enfants, dès
l'âge de six ans, dans les usines 1.Les études de Villeneuve-Barjemont sont
issues des mêmes préoccupations.
F. Le Play (1806-1882) fut le premier à utiliser ce que les Américains
dénommeront plus tard: casestudy, c'est-à-dire un ensemble de docu-
ments concernant un individu ou une situation. Dans une conception
très moderne, Le Play fait appel à des économistes, ingénieurs, socio-
logues, pour étudier avec lui le niveau de vie des ouvriers et s'efforce
d'utiliser non seulement l'observation-participation, mais tous les
moyens de recueillir des données quantitatives sur les divers éléments de
la vie d'une famille, en particulier le budget Les six tomes de son ouvrage,
Les ouvrierseuropéens(1876-1879), représentent le travail de plus de
vingt ans et ont valu à son auteur une audience intemagonale. Ses
méthodes ont inspiré le développement de la recherche aux Etats-Unis.
154 Aux États-Unis ◊ Aux États-Unis, comme en Grande-Bretagne et en
France, les premières enquêtes sont d'inspiration plus réaliste que scienti-
fique et constituent une description des conditions de vie de certains
groupes de population. Cette quête d'informations réelles obéit aussi à
des motif~ humanitaires et souvent politiques. Il s'agit avant tout de
réformer ce qui existe. L'enquête au départ, a pour nom« social survey ».
Celle-ci se définit comme la description d'un secteur de la vie sociale,
l'analyse des facteurs qui l'influencent devant permettre de formuler un
programme de réformes, le plus souvent avec l'appui de l'opinion
publique. Les premières enquêtes américaines relèvent davantage du jour-
nalisme que de la sociologie.
«Monbut n'était pas plus scientifique que l'esprit de ma recherche. Je voulais
voir si tous ces faits honteux [ ...J ne heurteraient pas la fierté américaine». Effec-
tivemement, ces études furent a l'origine de quelques mesures sociales. Cepen-
dant leur influence fut beaucoup moins grande qu'en Angleterre, car les concep-
tions individualistes empêchaient d'admettre la nécessité de réformes générales.
C'est par ses qualités personnelles que l'individu doit améliorer son niveau de vie
et il faut le laisser libre. L'accumulation d'études non suivies de résultats, suggé-
rait qu'après tant d'enquêtes, ce dont les Américains avaient besoin« c'était d'un
plan d'action».
En Grande-Bretagne au contraire, l'influence du livre de Ch. Booth fut consi-
dérable, parce 9.ueles personnalités dirigeantes du Parlement avaient déjà compris
l'urgence de reformes sociales et que les mouvements socialistes représentaient
un fort mouvement d'opinion.
, Même si leur influence est assez faible, les enquêtes sociales se multiplient aux
Etats-Unis: gouvernements locaux, services sociaux, accumulent des informa-
tions. Il s'agit surtout d'enquêtes statistiques concernant certains aspects de la vie
sociale : niveau de vie, logement, éducation. L'une des premières et des plus
importantes, confiée à des économistes, sociologues, statisticiens, est l'étude de
Pittsburgh.
Depuis 1930, avec la crise, le New Deal et la présidence de F. D. Roose-
velt, les enquêtes d'information sont plus largement utilisées et
1. A l'origine de la première loi limitant la durée du travail des enfants.
116 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

deviennent un des moyens de décision politique. Deux facteurs ont


amené cette transformation. D'une part les méthodes ont atteint un
degré de grande précision, d'autre part et surtout, les conceptions du pou-
voir ont considérablement évolué. On a vu jusqu'ici des enquêtes à
motifs humanitaires, visant des réformes ou du moins une information,
enquêtes menées par des méthodes peu rigoureuses ou au contraire pure-
ment statistiques. A partir de 1920, les sociologues américains vont diri-
ger leurs recherches dans un but plus spécifiquement scientifique. Il était
d'abord indispensable que les sociologues ne se contentent plus de réflé-
chir sur une documentation recueillie par d'autres, mais qu'ils acceptent
d'allersur le terrain.Ensuite, les méthodes d'observation et de rassemble-
ment des données devaient être rendues plus rigoureuses.Ce sont les
anthropologues qui ont incité les sociologuesà remplir la première condi-
tion et les psychologues qui leur ont donné l'exemple de la quantifica-
tion. Sous cette double influence vont naître, à côté des socialsurveys,qui
continuent à se multiplier, des enquêtes sociologiques à but scientifique,
enquêtes d'opinion, et surtout enquêtes sur le terrain que les Anglais
appellent fieldstudies.Le terme d'enquête recouvre les unes et les autres et
la différence entre les sodal surveys et les field studies paraît à l'heure
actuelle bien souvent inexistante.
155 al L'école de Chicago ◊ Avant même ce qu'il a été convenu plus tard,
d appeler l'école de Chicago, l'on doit signaler deux figures importantes.
John Dewey (1859-1952), influencé à la fois par le logicien C.S. Pierce
(1839-1914) et l'utilitariste W. James (1842-1910) qui l'amène à privi-
légier l'expérience.
G.H. Mead (1863-1931). Dans un recueil posthume de ses cours: L'es-
prit, le soi et la société(1934), Mead, en psychosociologue, s'oppose au
fonctionnalisme, mais surtout au schéma mécanique du behaviorisme :
stimulus-réponse. Le point de vue sera repris plus tard par les inter-
actionnistes. Ils insistent sur le caractère symbolique des échanges inter-
individuels. Analyser cette interaction implique de tenir compte des
conditions dans lesquelles s'effectue l'interprétation. Lesinteractionnistes
lui reprochent d'exagérer la socialisation des acteurs sociaux, les normes
apprises étant souvent floues et peu contraignantes.
L'école de Chicago existe-elle? Voilà le titre d'un article de D. Breslau
(1983). L'expression était inconnue des sociologues, considérés aujour-
d'hui comme en ayant fait partie. La question de la reconstitution du
passé a divisé les sociologues anglo-saxons et les historiens. Sur ce débat
méthodologique se greffe un autre conflit, celui de l'héritage. Cette école,
reconnue comme précédant la tendance fonctionnaliste a attiré l'atten-
tion, lors de la baisse d'influence de cette dernière. Elle est ainsi devenue
un enjeu dans la lutte pour l'annexion des grands ancêtres.
R. E. Park (1864-1944). D'après D. Breslau (1983) il peut être
considéré comme l'animateur du mouvement de l'école de Chicago. Il a
mis fin au conflit opposant les sociologues universitaires aux praticiens.
Les premiers, pour défendre leur position sociale, revendiquaient une
notion de science et de théorie distante de la réalité, les seconds, préoc-
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 117

cupés d'aide sociale, affirmaient la nécessité des enquêtes empiriques et


des recherches sur le terrain, recherches considérées également indispen-
sables par la classe dirigeante, soucieuse d'éviter les conflits sociaux et
préoccupée par la vague d'immigration.
La carrière de R. Park est curieuse et typiquement américaine. Fils
d'épicier, il avait interrompu des études de philosophie 1 par« manque
d'agilité intellectuelle, de confiance en soi et d'éducation impeccable».
Park se trouve un marginal, par rapport aux universitaires raffinés qu'il
détestait et dont il critiquait l'isolement professionnel: « Ce que les
sociologues doivent connaître avant tout est ce qui se passe derrière le
visage des hommes, ce qui rend la vie de chacun morne ou palpitante »
disait-il. Il s'opposait également aux enquêteurs et à ceux qui prônaient
l'intervention sociale sans posséder le niveau culturel suffisant et il les
qualifiait de « fichus bienfaiteurs». Les politiciens corrompus lui parais-
saient moins néfastes pour la ville de Chicago, que les femmes réfor-
mistes. C'est finalement en s'intégrant à l'université (lecteur à Chicago)
d'une part et d'autre part en trouvant le moyen de conférer un statut
scientifique aux enquêtes empiriques, qu'il parviendra ainsi à réconcilier
les deux tendances et surtout leurs principaux représentants. Ce moyen
ce sera la « scientifisation » de l'enquête sociale par le biais de l'écologie
humaine. Celle-ci va utiliser rationalisme et empirisme, organisme social
et problèmes sociaux, en offrant un cadre conceptuel qui manquait aux
enquêtes. Il applique aux études urbaines la distinction entre « forces
sociales » relevant de l'organisme et de ses lois universelles et « valeurs »
représentant l'élément humain.« L'étude d'un groupe particulier de faits
sociaux » est rendue scientifique parce que la particularité de ces faits est
fondée scientifiquement. Elle n'est plus la conséquence d'une préoccupa-
tion réformiste; elle est présentée comme « le produit construit d'une
théorie scientifique.» L'orientation de Park en faisait l'allié objectif des
fondations qui pouvaient ainsi continuer à financer des recherches utiles,
sans paraître marquer d'intérêt pour les résultats. Ce financement était
indispensable aux sociologues universitaires pour poursuivre des
recherches qui gagnaient ainsi en rigueur et en objectivité. Animée par R.
Park, cette tendance retient du darwinisme non le principe de l'évolution
(survie des plus aptes), mais un certain type de causalité spatiale et limi-
tée. La notion de communauté ne se réfère pas à une culture commune
mais à l'équilibre précaire entre l'homme et son milieu. « L'environne-
ment, notion fondamentale de l'école de Chicago, est donc le point
d'équilibre entre un espace géographique localisé : l'habitat, et la qualifi-
cation technologique des individus qui y vivent: les habitants. » L'idée
que l'activité de l'homme risque de compromettre l'équilibre du règne
naturel, devait connaître plus tard le succès que l'on sait. L'école de
Chicago est née d'une crise importante: celle de l'immigration urbaine.
Or celle-ci implique à partir de 1910 environ, la constitution de groupes
ethniques vivant en marge et offrant à la fois un intérêt sociologique, par
1. Il avait étudié la philosophie avec Vierkandt à Heidelberg et il était docteur en philosophie de
l'université de Strasbourg, d. D. Breslau (1983).
118 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

les groupes qu'ils constituent et social, par la nécessité de socialiser et


d'intégrer les plus jeunes. D'où une série d'études: The Hobo de Niels
Anderson (1923), Le gang de J. M. Trasher (1927), La cité de RE. Park
(1968) sont les plus connus.
156 b) Le culturalisme ◊ L'école de Chicago déclinante, sera remplacée
par les sociologues provenant en majeure partie de Columbia mais pré-
sentant moins d'homogénéité doctrinale. Il ne s'agit plus de l'action de
l'environnement physique ou technologique. Le facteur écologique s'ef-
face devant le facteur culturel. Le problème essentiel devient celui de la
personnalité, du processus de socialisation qui transforme chaque indi-
vidu, pour l'adapter à la société. Ceci suppose une nature humaine
composée d'instincts semblables chez tous, d'individus dotés de person-
nalités dont les besoins et aspirations diffèrent, enfin de normes cultu-
relles qui homogénéisent l'ensemble.
Ici encore on peut dire que ce qui inspire les recherches sur les modifi-
cations, les adaptations, etc., ce sont justement les changements qui
s'opèrent dans la société. Jusque-là l'inégalité sociale trouvait une sorte de
compensation dans la solidarité de la commune. Le développement de la
grande industrie brise cette unité. Lesvilles s'agrandissent et des quartiers
socialement homogènes se constituent Les distinctions sociales se pré-
cisent tandis que les distances entre classes se constituent.
L'étude classique de R. et H. Lynd sur Middletown(1969) montre bien
le processus de séparation causé par l'industrialisation. Elle insiste avec
une certaine naïveté sur des facteurs objectifs et les auteurs innovent sur
ce point par rapport à la sociologie plus idéaliste de l'époque.
D'autres étudieront la socialisation selon les classes 1 ou encore les pro-
blèmes soulevés par les sous-cultures 2. C'est ainsi que la délinquance des
jeunes des classes populaires sera expliquée par la contradiction que leur
impose le fait d'être exposés à deux cultures différentes: celle de leur
milieu et à l'école, celle des classes moyennes.

§ 4. Interrogations
15 7 a) Où allons-nous ? où va la société? où va le monde ? ◊ Une
science se développe autour de questions fondamentales, encore faut-il
qu'il s'agisse de bonnes questions. La sociologie, pour devenir une
science, a d'abord dû se rendre autonome et pour cela, se détacher de la
philosophie historique. Mais celle-ci a inspiré ses premières questions, qui
étaient en réalité mal posées et constituaient ce que l'on appelle de faux
problèmes.
Les philosophes, historiens et moralistes, faute de trouver une réponse
à ces questions, les ont posées à la sociologie. Celle-ci, dans la mesure où
elle tentait de découvrir son domaine propre, s'est donc trouvée au départ
1. A. Davis etJ. Dollard (1940).
2. J. Dollard (1937).
LES DÉBUTS DE LA SOCIOLOGIE 119

gênée par des préjugés philosophiques ( confusion entre jugements de


réalité et jugements de valeur), des problèmes posés en termes de philo-
sophie historique, influencée enfin par des idées plus ou moins humani-
taires, réformistes et politiques que lui inspirait l'évolution industrielle et
sociale.
158 b) Facteur prédominant et lois sodologiques ◊ Autre impasse de
la sociologie du :xorsiècle, le problème du facteurprédominantallait divi-
ser la sociologie en de nombreuses tendances :
- École géographique, expliquant la réalité sociale à partir de phénomènes natu-
rels; biologique: Gobineau, Malthus; technologique: Veblen (Allemagne),
Leroi-Gourhan, Mumford (U.S.A.).
Cette tendance à favoriser un facteur, semble en fait inhérente à toute
doctrine, qui, naturellement, valorise l'élément dont elle s'occupe. Durk-
heim et Marx n'ont pas échappé à cette déformation, le premier avec
l'idée de contrainte et de conscience collective, le deuxième avec l'accent
mis sur le facteur économique.
Un legs de la sociologie du ~ siècle, parfois renforcé par le besoin
d'efficacité du xt=,c'est la recherche de prévisions, le désirde découvrirdes
lois sociologiques.
Ce n'est pas sans raison qu'Auguste Comte empruntait à Hobbes le terme de
« Physique sociale », avant d'inventer celui de sociologie. Les successeurs de
Comte et Spencer ont, eux aussi, élaboré des lois, finalement reconnues par
celui-là seul qui les avait découvertes. A l'heure actuelle, l'absence de loi n'est plus
qu'un prétexte, pour ceux qui s'opposent à une conception scientifique de la
sociologie. La plupart des sociologues se contentent de régularités, corrélations,
etc.

159 c) L'individu et la société◊ Un autre problème mal posé à la socio-


logie, qui hante, depuis Platon, les philosophes, est celui des rapports
entre l'individuet la société.Posé d'abord en termes abstraits, le problème,
au siècle dernier, se formulait de façon beaucoup plus pratique comme
un choix: doit-on réduire la psychologie à la sociologie ou le contraire ?
La crainte d'une subordination possible devait rendre tout compromis
difficile.
Auguste Comte pensait que tout problème soulevé par des manifestations du
psychisme, pouvait être résolu par la sociologie.
Marx devait montrer que par la «praxis», l'homme se construit, en même
temps qu'il construit la réalité et introduisait ainsi la dimension historique dans
les rapports entre le psychique et le social. Tarde estimait que la sociologie pouvait
être ramenée à la psychologie individuelle et interindividuelle. Durkheim décla-
rait, au contraire, que la réalité sociale tout entière ne pouvait être réduite au psy-
chique, celui-ci n'intéressant la sociologie qu'en tant que partie intégrante de la
réalité sociale. Le problème de la conscience collective, tel que le posait Durkheim
creusait malheureusement un fossé entre psychologie individuelle et psychologie
collective.
Le conflit, à cette époque, provenait en partie de ce que la psychologie
collective se réduisait à une réflexion abstraite sur la psychologie de
120 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

l'homme concret, tandis que la psychologie individuelle, psychologie de


laboratoire, visait l'homme en général. La rencontre exigeait que psycho-
logie et sociologie se situent sur un même plan concret. La psychologie
n'était concrète qu'en fonction de ses liens avec la physiologie, qui l'écar-
taient de la sociologie; alors que l'ethnologie, toujours très proche de la
sociologie, lui fournissait une grange part de ses matériaux de réflexion
(cf. Durkheim et LevyBruhl). Aux Etats-Unisau contraire, la sociologieet
la psychologiese voulant toutes deux empiriques, ont partiellement évité
ces problèmes, que soulevait en France, leur cohabitation parmi les
sciences sociales.
La sociologie américaine se développe rapidement dans le sens d'une
psychologie sociale, au debut particulièrement orientée vers la vie affec-
tive et émotionnelle. En France, l'équilibre sera mieux établi mais avec
retard.
MarcelMauss, on l'a vu (n° 124) tiendra compte des liens entre psy-
chologie et sociologie. Il proclame close la discussion philosophique :
Nous savons qu'il existe deux règnes spéciaux : le règne de la conscience d'une
part, et le règne de la conscience collective et de la collectivité d'autre part ... Sur
ces deux points fondamentaux, le caractère phénoménologique expérimental de
nos deux sciences, la division de nos sciences, nous sommes tous d'accord. Les
seules questions qui nous séparent sont des questions de mesure et des questions
de faits 1 . »
Les progrès de la psychologie, de la biologie, de la génétique et de la
sociologie, montrent que l'homme, naissant dans un milieu social
donné, il n'est pas possible de l'en abstraire. La socialisation de l'individu
est telle et commence si tôt, que toute division entre l'individu et la
société qui l'entoure, ne peut être qu'arbitraire et acceptable pour des
seules raisons pratiques de spécialisation. Il n'y a pas de psychologie indi-
viduelle isolée de l'expérience sociale, pas plus qu'il n'y a d'expression de
psychologie collective transcendante. Le groupe n'est pas quelque chose
d'indépendant des individus qui le composent, et l'individu présente une
grande part de social «intériorisé». Ce qui existe, c'est un aspect indivi-
duel ou collectif et des niveaux d'expression différents. C'est pourquoi,
comme le dit Mauss, le fait social est un « fait total », et comme le
remarque R. Bastide (1965), si dans des sociétés stables à structures
rigides, le social est plus apparent, plus accessible, dans les cas de boule-
versement, c'est le psychisme collectif ou individuel qui se manifeste
d'abord.
A partir du moment où la psychologie admettait que l'individu concret
ne pouvait être arbitrairement isolé de son expérience sociale et que la
sociologie considérait l'homme « dans sa totalité», l'obstacle fonda-
mental était levé, et sociologie et psychologie devenaient deux points de
vue complémentaires pour saisir l'activité humaine.
159-1 Bibliographie ◊
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LA SOCIOLOGIE MODERNE 131

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SECTION2. LA SOCIOLOGIE MODERNE


160 La crise de la sociologie ◊ A l'Université de Chicago, en septembre
1983, se tint une conférence sur le thème des Potentialitésdu savoir dans
les sdences sociales. Sociologues, anthropologues, psychologues, psy-
chiatres, philosophes se sont interrogés sur le statut scientifique de leur
discipline, dénonçant le « malaise» grandissant des sciences sociales aux
États-Unis. Ceci depuis la remise en question du positivisme, après 1960
et « la mer de découragement » révélée lors du cinquantenaire du Social
science research coundl, dont la célébration relevait de « la veillée
funèbre» plus que de la fête. Furent considérés responsables le faible
niveau de généralité des théories ou propositions, la multiplicité de cou-
rants opposés, les relations complexes et ambiguës entre recherche et
demande sociale, enfin la place du subjectif de l'action humaine, dans les
sciences de la société.
En France, la crise est accueillie avec plus de sérénité... on avait été
moins triomphaliste et les sociologues voient même là une occasion
d'exercer leur réflexion. Il est intéressant de comparer leur diagnostic à
celui des Américains. J.-P. Durand (1989) décèle lui aussi quatre causes
aux difficultés de la sociologie, mais ce ne sont pas les mêmes que celles
dénoncées à Chicago 1 .
D'abord, l'influence des paradigmes de l'économie classique. En effet,
le prestige excessif et l'influence du modèle économique sont évidents.
Ensuite l'excès d'intérêt pour le local et la micro-analyse entraîne l'in-
fluence prépondérante des praticiens et laisse peu de place à la réflexion
1. J.-P. Durand (1989), p. 206.
132 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

fondamentale. Vieux problème également signalé par les Américains. De


plus, il faut également regretter, à côté de la multiplication de micro-
analyses, le développement anarchique de conceptions, propositions
confondant abstraction et théorie, d'autant plus que la notion même de
théorie, essentielle au développement d'une science, demeure imprécise.
En fait, plus que d'autres sciences sociales, la sociologie est toujours à la
recherche d'elle-même et n'a pas résolu le problème du lien entre théorie
et réalité, entre la description(étude empirique) et l'explicationou théorie,
essayant d'interpréter les faits. Enfin, dernier point indiqué par les Fran-
çais, mais loin semble-t-il des préoccupations américaines, le fait que la
sociologie a perdu sa dimension critique. Si critique il y a, en France, elle
relève autant d'affrontements entre personnalités et conflits de carrière,
que d'oppositions intellectuelles de points de vue et plus grave encore,
l'autocritique est absente du débat. Comme l'écrit J.P. Durand (1989)
« Tout se passe comme si pour ne pas être rejetée par la société qu'elle
décrit et analyse, la sociologie se rangeait à l'avis général 1 . »
C'est la recherche du consensus.G.E. Hughes (1971) définit la soft
ideologyrégnante: « l'art d'accompagner 2 les restes, elle cuisine avec les
grands thèmes des idéologies précédentes ( ...). C'est aussi une « Kit-
idéologie », faite de bric et de broc avec des legs de l'idéologie gestionnaire
de l'ancienne droite et de l'idéologie de l'ancienne gauche ( ...) 3 •
P.A. Sorokin n'a pas tort de déclarer qu'aucun auteur comparable aux
grands noms du ~ siècle; Durkheim, Weber, Pareto, Spengler, n'est
encore apparu.
La sociologie se distingue par l'hétérogénéité de ses démarches. Le poly-
morphisme plus grand qu'en économie peut en partie s'expliquer par le
fait que le sociologue est rarement en situation vraiment expérimentale,
et les données dont il dispose, sont souvent insuffisantes pour confirmer
ses hypothèses.
Pour R. Boudon (1971), ces raisons expliquent la sensibilité de la
sociologie à des facteurs diffus, moins faciles à repérer et son évolution
par crises plus que par changement continu. L'oscillation marque une
rupture souvent brutale, augmentée par un effet de mode auquel elle est
très sensible. Ces facteurs sociaux diffus, orientent l'intérêt des socio-
logues, les sujets de recherche: urbanisme, délinquance, développement,
qui eux-mêmes commandent le langage et dictent les méthodes, suivant
les études macro ou microsociologiques.

§ 1. Les États-Unis
160-1 Évolution ◊ Tous les pays subissent plus ou moins l'influence de la
sociologie américaine, celle-ci s'est d'abord développée grâce aux Euro-
péens, en particulier de Durkheim. Puis ce furent les réfugiés d'Europe
1. Id.
2. Probablement «d'accommoder».
3. In J.-P. Durand, op. dt.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 133

centrale : membres du cercle de Vienne, de l'école de Francfort, et des


psychosociologues Lazarsfeld,Moreno, Lewin, etc.
P.A. Sorokin (1928) résume ainsi l'évolution de la sociologie: multi-
plication du nombre de cours de sciences sociales dans les universités,
ainsi que des recherches et publications ; augmentation du nombre de
sociologues utilisés comme experts à différents échelons : gouvernement,
syndicats, entreprises, et prise en considération croissante de facteurs
sociologiques dans des domaines de plus en plus nombreux : biologie,
psychologie, histoire, économie, philosophie, etc.
Il est difficile de percevoir les changements survenus à l'intérieur de la
sociologie elle-même : intérêt porté à des recherches microsociologiques
au moyen de techniques perfectionnées, puis attrait pour de grandes
théories.
La première démarche de la sociologie contemporaine d'après G. Gur-
vitch est l'étude de la réalitésocialeen profondeur.Par rapport à la sociolo-
gie unidimensionnelle du xoc= siècle elle est pluridimensionnelle. Dans
l'ensemble, il n'y a pourtant pas de rupture avec la période précédente et
à quelques exceptions près, peu de nouveautés, plutôt une reformulation
des idées et un perfectionnement des techniques. Il existe une différence
entre la sociologie américaine du :XXC siècle et celle européenne du xoc=
siècle. Différence que souligne N. Herpin 1 (1973): « Les sociologues
américains ne sont pas les intellectuels issus des classes dominantes dont
parle M. Weber [ ...] ce sont des professionnels de la sociologie [...] des
Européens on peut dire que ce sont des sociologues réguliers, les Améri-
cains ont été les premiers sociologues séculiers2 • » Ceci explique des atti-
tudes dissemblables à propos de l'objectivité, mais est également cause
d'orientations différentes de la recherche sociologique elle-même 3 •
En se référant aux auteurs américains, on est frappé d'abord de la
variété des définitions données de la sociologie4, ensuite des critères
contestables et arbitraires qui président à l'énumération organisée des
diverses écoles. Sorokin pense que ceci manifeste une situation « chao-
tique» mais« naturelle». Pour N. Herpin, étudier les discours des socio-
logues en faisant abstraction de ce qui les conditionne : universités, fon-
dations, etc. n'est pas une démarche sociologique. On pourrait résumer
son projet 5 en disant qu'il étudie les sociologies américaines à travers les
sociologues américains 6. Mais les universités, fondations, etc., sont elles-
mêmes conditionnées par les problèmes plus larges de leur époque. La
recherche se développe en réponse à des questions. Il faut donc replacer
chaque tendance dans son contexte historique.
1. Ouvrage auquel nous empruntons une part des réflexions qui vont suivre.
2. N. Herpin (1973), p. 8.
3. <( On ne peut pas, en effet, à la fois faire passer dans les mœurs des employeurs le recours aux
sociologues et garder sa liberté d'appréciation et d'engagement politique» écrit N. Herpin, op. cit, p.
8.
4. Certains mêlent la sociologie aux autres sciences humaines, d'autres l'érigent en discipline
fondamentale, les troisièmes ne sont d'accord que pour la distinguer des autres sciences.
5. Op. dt., p. 173.
6. Ce que confirme son titre : Lessociologues américainset le siècle.
134 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

N. Herpin part de la constatation de la variété des travaux empiriques


ne possédant aucun système fondamental de référence. Pour lui, l'aspect
le plus original de la sociologie américaine réside dans le fait qu'il n'y a
pas « une démarche d'investigation, mais un nombre restreint de for-
mules dont l'application donne un traitement sociologique des don-
nées». On peut donc décrire le développement de la sociologie améri-
caine de 1910 à 1970 suivant la problématique utilisée. « Chaque
problématique peut se définir comme la mise au point d'une formule
d'investigation empirique. »
Le point de vue qui inspire les types de recherche : études de milieu, de
communautés, ou la façon de considérer l'objet, de l'analyser (différentes
façons d'étudier un hôpital) doivent permettre de distinguer les dif-
férentes orientations de la sociologie américaine.
161 a) Le fonctionnalisme ◊ Ces diverses orientations ne sont pas tran-
chées. Les culturalistes utilisent parfois des types d'approche fonctionna-
listes, mais les points de départ divergent. Tandis que les culturalistes
recherchent l'influence normalisatrice de la culture sur les individus, les
fonctionnalistes s'intéressent à la diversité des conduites des individus
soumis à une même culture, mais possédant des statuts sociaux diffé-
rents. « La socialisation n'est donc pas tant un processus d'intériorisa-
tion, qu'un mécanisme de sélection des individus en vue de pourvoir dif-
férentiellement aux positions que définissent la structure sociale et en
particulier la structure professionnelle 1. » Cette conception privilégiant
les positions et les rôles sous-tend le problème central : le fonctionne-
ment des systèmes sociaux. La notion de système quoiqu'en disent les
fonctionnalistes s'inspire directement de la physiologie et traduit un cou-
rant important 2 de la sociologie américaine. Elle a inspiré des travaux
divers3 et rassemble des noms aussi différents que ceux de T. Parsons, R.
K. Merten, P. Lazarsfeld. Les raisons historiques de cette orientation,
N. Herpin les voit dans la bureaucratisation qui suivit la guerre, l'utilisa-
tion des machines, enfin l'importance accrue, aussi bien en nombre
qu'en influence, des employés de bureau. Un autre facteur idéologique
explique peut-être le succès du fonctionnalisme: son aspect à la fois opti-
miste, le système s'autorégule, et rassurant. Un système pluraliste
implique un équilibre démocratique grâce au jeu des sous-systèmes4. Sur
le plan pratique, le fonctionnalisme explique l'intérêt porté à la notion
d'évaluation5 qui implique, concrètement, une mesure du fonctionne-
ment de tout système, aussi bien de l'enseignement que de la santé.
162 b) Le second souffle de l'école de Chicago. L'interaction-
nisme ◊ Vers 1950, l'école de Chicago développe un nouveau courant
représenté par un élève de Park, de Mead et Dewey, le psychosociologue
1. Op. dt., p. 39.
2. Op. dt., cf. n° 363.
3. L'opposant le plus connu est C. W. Mills (1959).
4. Elle inspire le structuro-fonctionnalisme et les diverses variétés de systémismes (cf. n° 381).
5. J.A Ciarlo (1981).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 135

H. Blumer (1969) un spécialiste de la sociologie du travail: E.C. Hughes


(1971) et un anthropologue W.L. Wamer 1 connu pour son intérêt pour
les petites cités et communautés.
Vers 1937, Blumer crée le terme d'interactionnismesymbolique et le
mouvement s'institutionnalise avec une société pour son étude.
E. Goffman, leur élève, est à la fois le plus brillant, le plus original et le
plus contesté de la nouvelle génération. D'origine modeste, juive ukrai-
nienne, il mesure 1,65 m et épouse pourtant une jeune fille de la haute
société protestante. D'une sensibilité excessive,d'une intelligence excep-
tionnelle, d'une vaste culture interdisciplinaire, il était aussi taquin et
souvent cruel, et ne pouvait que surprendre les sociologues américains fils
de pasteurs et bien pensants. Cependant, le milieu comptait assez de gens
intelligents pour accepter, même sans en mesurer l'importance, l'orienta-
tion nouvelle qu'apportait ce jeune collègue. L'attitude de Goffman est
double, d'une part il n'est ni de Harvard ni de Colombia alors presti-
gieuse, mais fait partie de l'école de Chicago. Ceci signifie qu'il est contre
la sociologie dominante (Stouffer, Lazarsfeldet même Merton) qui prône
les méthodes quantitatives et utilise des questionnaires à des fins statis-
tiques. Proche des anthropologues, il est pour les méthodes qualitatives et
l'observation participante (cf. n° 824). Mais au-delà de cet accord avec
ses maîtres de Chicago, Goffman a un esprit trop original et un caractère
trop indépendant pour se montrer un disciple soumis et va leur réserver
bien des surprises .
LloydWamer lui suggère comme sujet de thèse l'étude d'une commu-
nauté 3 et Goffman passera deux ans dans l'île la plus septentrionale de
l'archipel des Shetland. « Ceci n'est pas l'étude d'une communauté, c'est
l'étude qui s'est déroulée dans une communauté» dit-il se rendant
compte des limites de son travail. « Le but de la recherche est d'isoler et
de fixer des pratiques régulières de ce que l'on appelle l'interaction face à
face.» Mais il veut l'envisager comme un domaine de plein droit et sortir
le terme « interaction » de l'ornière où les grands psychologues sociaux et
leurs épigones patentés semblaient prêts à l'abandonner. La grande dif-
férence c'est que les psychologues observent ou provoquent les inter-
actions comme un produit des individus en groupe, alors que Goffman
considère les interactions comme des systèmes, indépendants des indivi-
dus qui les vivent. Système, le mot important est bien là. Sans doute,
Goffman ne le définit-il pas 4 mais il a déjà une signification adoptée par
d'autres sociologues: Pareto, Parsons et c'est le sens d'interdépendance
des éléments qui est sous-entendu par Goffman 5 . Citer Parsons, l'in-
1. W.L. Wamer (1941, 1942. B. 860).
2. Dans la vivante présentation du dernier livre de Goffman, Y. Winkin (1984) auquel nous
empruntons de nombreuses informations, donne des détails sur le caractère et la biographie de Goff-
man et le compare à Woody Allen, « l'un et l'autre sont profondément pathétiques».
3. Communicationcondud in an Islandcommunity.
4. Il crée volontiers des concepts sans les définir.
5. La notion de système implique pour Parsons« l'interdépendance des éléments qui forment un
ensemble lié, dans lequel les mouvements et les changements ne peuvent pas se produire d'une
manière désordonnée, et au hasard, mais sont le fruit d'une interaction complexe, d'où résultent des
structures des processus».
136 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

curable théoricien 1,dans une thèse soutenue à Chicago, c'était en partie


de la provocation, mais pas seulement, car l'ordre de l'interaction avec
ses mécanismes de régulation, vision de Goffman, est vraiment proche de
l'ordre autorégulé de Parsons. La grande différence est dans le style et le
choix des exemples. Loin des abstractions de Parsons, Goffman veut, à
travers des petits exemples triviaux, répondre à la question sous-jacente à
toute la sociologie « Pourquoi les loups humains ne se mangent-ils pas
entre eux ? » Goffman pense que d'une manière générale, les gens
« feront tout pour éviter une scène», c'est pourquoi il est souvent préfé-
rable « de concevoir l'interaction non comme une scène d'harmonie,
mais comme une disposition permettant de poursuivre une guerre
froide».
Ces dispositions, c'est d'abord à travers les interactions que Goffman
appelle « conversationnelles » qu'elles seront saisies. Car le sociologue
connaît non seulement la psychanalyse2 et l'anthropologie, mais égale-
ment la linguistique 3 • En étudiant le langage-parole, comme comporte-
ment et non le langage écrit comme produit, Goffman se distingue de la
linguistique «descriptive» de l'époque et préfigure le courant sociolin-
guistique des années 60.
Si on a pu rapprocher Goffman de Parsons, on peut également voir
une similitude entre le« symptôme» de Freud et« le signe» chez Goff-
man. Comme l'écrit Yves Winkin (1984) « Goffman parle de social, là
où Freud parle d'inconscient». Ces signes, Goffman ne les repère pas
seulement dans le langage, il s'interroge également sur les dimensions
sociales et culturelles du comportement expressif et c'est ici qu'intervient
l'importance de la présence de l'autre, celui qui va interpréter les signes,
d'où la tentation de l'émetteur de les dissimuler. « Toute interaction
devient ainsi un jeu constant de dissimulation ( de soi) et de fouille (de
l'autre) que Goffman analyse à plusieurs« niveaux de sophistication» 4.
Lesvariations sur le thème de la communication sont encore étrangères à
la sociologie et commencent à peine à préoccuper les linguistes et les psy-
chosociologues sous la forme d'expériences de laboratoires, limitées à
l'écriture pour les uns et à une transmission intentionnelle de messages
verbaux pour les autres. Si Goffman n'a pas voulu prendre parti sur les
liens entre macro et microsociologie, il n'en indique pas moins, proche
en cela de Durkheim, que les rites d'interaction constituent une relation
essentielle entre la macrostructure sociale et la microstructure inter-
actionnelle. Enfin, cherchant des parentés à cet auteur insolite, on a
encore pu noter combien la démarche de Goffman se rapproche de celle
des anthropologues britanniques 5 par l'importance accordée au rituel
non religieux, sans toutefois lui accorder un rôle essentiel.
On pourrait résumer les conclusions de la thèse de Goffman en disant
que d'après ses observations, l'interaction en société implique un
1. C'est ainsi que se qualifiait Parsons lui-même.
2. li ne semble pas avoir été analysé, ce qui est curieux pour un être si complexe, vivant aux États-
Unis. Pourtant dans un mémoire, il commente des tests projectifs.
3. Le chap. III de sa thèse s'intitule« comportement linguistique».
4. Y. Winkin (1984).
5. M. Gluckman (1968, B. 181), cf. E. R. Leach (1984).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 137

mélange de ruse pour se dissimuler aux yeux de l'autre et même pour le


tromper et en même temps de respect pour lui, afin de maintenir la paix,
ne pas créer d'incident et taire également ce que l'on devine qu'il dissi-
mule.
Everett Hughes et surtout Lloyd Wamer, l'inspirateur du sujet atten-
daient une monographie classique. Ces anecdotes, perdues dans des
considérations générales, mêlant les conceptions d'auteurs si différents,
représentaient un travail auquel ne convenait aucune étiquette acadé-
mique connue. Goffrnan obtint tout de même son titre de docteur et loin
de chercher à enseigner, il va d'abord poursuivre ses observations. En
1961, il publie Asilesaprès avoir passé deux ans dans un asile psychia-
trique pour l'étudier de l'intérieur (cf. n° 304). Puis viendra l'heure d'ex-
ploiter la mine d'idées que représente sa thèse et c'est la Présentationde soi
(1956).
Lepoint de départ de Goffrnann paraît à la fois banal et peu rigoureux.
Il compare le monde à un théâtre dans lequel sont distribués les rôles
sociaux. L'opposition scène-coulisse de ce théâtre, permet d'expliquer de
nombreux rôles. Les divisions de l'espace social créent diverses catégories
d'attitudes: division entre les lieux de l'habitation où l'on reçoit (salle de
séjour) et ceux où l'on se refait et où l'on se prépare (chambre, salle de
bains, cuisine), séparation entre les institutions spécialisées dans le gar-
diennage de certaines catégories d'hommes (Asiles) et la société normale.
Chacun s'inscrit dans l'écart entre ce qu'il veut être et ce qu'il est aux
yeux des autres, en sorte que la catégorie fondamentale d'interprétation
est celle d'interaction, d'où le nom d'interactionnisme donné à cette école.
Goffman n'a pas peur de déclarer: « J'ai été formé par Hugues et Présen-
tation de soi est réellement de la psychologie sociale structurale à la Hug-
hes ( ...) nous avons formé une sorte de groupe solidaire, on les a tous
appelés des interactionnistes symboliques. Je suppose donc que j'appar-
tiens à "l'interactionnisme symbolique", mais rappelez-vous, ce n'est
qu'une étiquette 1.» « Par interaction, déclare Herpin, on entend à peu
près l'influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions
respectives lorsqu'ils sont en présence physique, immédiate, les uns des
autres 2 ... ». Dans les situations de face à face, à travers les attentes et les
réponses qui rétroagissent sur les attentes, apparaît alors une logique de la
communication sociale, comparable à celle qui préside à tout acte
sémique... Au fond, le scénique est sémique.
L'importance attribuée à la notion de rôle n'est pas nouvelle, mais ce qui inté-
resse Goffman dans le théâtre, ce n'est pas tant l'agencement prédéterminé des
rôles, que la représentation elle-même. « Ce qui apparaît dans la représentation,
ce qui s'y exprime, c'est ce qu'on ne trouve codifié dans aucun texte, dans aucun
rôle, dans aucune thématique: c'est l'individualité, comme expression du parti-
culier dans l'universel[ ...] La viequotidiennecommereprésentation est précisément
l'étude de ce procès d'individualisation par l'expressivité3.»

1. In Y. Winkin (1984).
2. W. Herpin (1973).
3. Op. dt., p. 70.
138 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Ceci implique un concept essentiel pour les interactionnistes : le Soi, ( self) qui
ne doit pas être confondu avec le rôle dans lequel il apparaît ou qu'il déforme ou
refuse [ ...] La représentation est toujours le moment décisif, car c'est le public,
l'autre ou les autres qui acceptent, valident l'acteur. On comprend alors que pour
Goffman, « le Soi est un effet dramatique ... le soi en lui-meme ne dérive pas de
son possesseur, mais de la scène totale où s'insère l'action de son possesseur 1.» Il
ne s'agit pas de la personnalité de l'individu, de son moi permanent, mais de ce
qu'il est avec les autres.
En effet, cette apparition du Soi dans la vie quotidienne, dépend d'un accord,
d'une complicité entre acteurs et acteurs et public.
C'est le problème du « consensus de fait». L'interactionnisme
implique ainsi deux pôles : le soi manifesté dans le rôle et le consensus du
public qui, acceptant le rôle joué, fait sortir l'individu de l'anonymat.
Lorsque l'accord tacite ne se produit pas, un processus de rupture se
déclenche. Des auteurs comme Garfinkel tentent même de le provo-
quer 2.
On comprend l'intérêt porté aux problèmes de la déviance qui sanc-
tionne cette rupture et le nombre d'études que Goffmann et d'autres à
Chicago ont consacré à ce thème 3 •
Goffman ne propose ni théorie ni même technique et la finesse de ses observa-
tions ne suffirait pas à offrir, comme il le souhaitait, un cadre nouveau pour
l'analyse des faits sociaux, s'il ne suggérait implicitement un modèle rationnel
pour étayer sa thématique. Ce modèle rationnel est la transposition en sociologie,
de la theorie des jeux. Ce modèle n'est pas apparent. Le schéma n'est pas présent
comme dans les tentatives d'application du modèle systémique d'Easton à telle ou
telle analyse politique. La démonstration est absente, seule demeure dans cette
transposition, une inspiration, la similitude d'une démarche qui enrichit son
nouveau champ d'application et le renouvelle. Les conceptions d'action sociale,
d'institution, de situation, apparaissent sous un jour différent. Surtout en mon-
trant l'intérêt que présente pour le joueur, l'action en elle-même (on ne sait pas
dans quelle mesure le joueur joue pour gagner ou pour le plaisir de jouer), Goff-
man démolit la distinction classique entre moyens et fins, pour lui substituer une
notion plus riche mais aussi plus ambiguë, celle du rapport entre le gain et le
risque. En admettant que gagner de l'argent soit pour certains un but, le plus inté-
ressant n'est-il pas de déduire de leur comportement dans la vie quotidienne, le
dosage des risques courus pour atteindre ce but, le prix qu'ils sont prêts à payer
pour y parvenir ?
162-1 c) L'ethnométhodologie 4 ◊ L'ethnométhodologie représente une
orientation plus qu'une doctrine. Influencée par la phénoménologie
(Schütz) et la linguistique, elle a surtout opposé aux critiques théoriques
l'intérêt de ses recherches sur le terrain.
A. Schütz (1899-1959) quitte Vienne pour New York en 1932 et
enseigne à la New-York School for Social research. Élèvede Husserl, il est
influencé également par la sociologie compréhensive de Max Weber. Le
1. E. Goffman (1956), p. 239.
2. Cf. n° 871.
3. E. Goffman (1961), H. Becker (1963).
4. B. Turner (1974), R. Gordon, D. Doyle (1977), D. H. Zimmerman (1978).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 139

seul ouvrage publié de son vivant est La structure intelligibledu monde


social (1932). Il s'oppose au behaviorismealors très influent aux États-
Unis, car il juge la méthode des sciences naturelles, inadéquate pour
comprendre !'intersubjectivité qui lui paraît essentielle. Entre le sub-
jectivisme et l'objectivisme existe pour lui une autre voie : « ... Elle revient
à accepter naïvement le monde social ( ...) comme un univers signifiant
pour l'observateur ( ...). A la première question : " Que signifie ce monde
social pour moi observateur ? " s'en ajoute une seconde : " Que signifie le
monde social pour l'acteur tel qu'on l'observe dans ce monde et qu'a-t-il
voulu signifier par son agir ? ". On réintroduit dans la sociologie
l'homme trop oublié : " l'acteur dont le faire et le sentir se trouvent au
fond de tout le système social" » 1.
Inspiré par l'idéal type weberien, Schütz pense que sans connaître l'ac-
teur lui-même de façon approfondie: « il suffit pour le comprendre de
trouver des motifs typiques, d'acteurs typiques qui expliquent l'acte
comme étant lui-même typique et surgissant d'une situation également
typique » 2 • Prêtres, soldats représentent des cas de ce genre.
H. Garfinkel3. Il faut voir du dedanstel est le mot d'ordre lancé par
Garfinkel. Après avoir travaillé à Harvard (1946) avec Parsons, il suit les
cours de Schütz à New York. Cet enseignement (passant d'un extrême à
l'autre) l'a orienté vers la sociologie du savoir ordinaire.Il étudie à l'aide
d'enregistrements clandestins les délibérations des jurés de Chicago et
analyse leurs stratégies plus ou moins conscientes pour jouer leurs rôles.
C'est alors qu'il aurait forgé le terme d'ethnométhodologie4. Il s'oppose
au positivisme de Durkheim dans la mesure où ce dernier considère les
faits sociaux comme des choses extérieures à la conscience individuelle et
soumis à la contrainte sociale, alors que pour Garfinkel, ils sont irréduc-
tibles à la pure objectivité. Garfinkel étudie ce que suppose de consensus
implicite, le « non dit» qui permet néanmoins à des interlocuteurs de se
comprendre.
Ce que l'ethnométhodologie entend par naturallanguage,n'est pas une
étude sémantique, malgré l'influence de la linguistique, mais l'observa-
tion et l'analyse des systèmes de pratiques sociales, régies par des règles
comme une grammaire. Quoi qu'en pensent les critiques, il ne s'agit pas
d'une sociologie phénoménologique, le monde extérieur n'est pas nié
mais il ne peut être vu et interprété que par les individus qui le
composent. Les faits sociaux sont étudiés non plus de l'extérieur, mais
tels qu'ils sont vécus. Enfin il ne s'art pas non plus d'un réductionnisme
ni de l'opposition individu société mais d'une interaction dialectique.
Les acteurs sociaux sont des agents du système qu'ils subissent et pro-
duisent, d'où l'importance du terme de créativité. L'essentiel ce sont les
1. In Sociétés(1984), p. 6-10.
2. In Sociétés,op. cit., p. 10.
3. H. Garfinkel (1967, 1968, 1986).
4. Goffman déclare: « Ne croyezpas Garfinkel quand il raconte comment il a crée le mot: c'est
de la foutaise» in Y. Winkin (1984).
5. H. Weber insistait déjà sur le sens du vécu par l'acteur social, sans être taxé de psychologisme
ou d'individualisme.
140 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

normes en vigueur et l'usage de ces normes est un processus mystérieux,


que chacun adapte à chaque situation. Selon Garfmkel, il se passe tout le
temps des activités sociales fondamentales, mais elles sont difficiles à
découvrir. L'ethnométhodologie ne propose pas une nouvelle théorie de
la société « mais une approche des fondements de l'ordre social».
A. Cfcourel (1973) élabore une sociologiecognitiveessayant de coor-
donner l'apport des interactionnistes, de l'ethnométhodologie et de
l'analyse conversationnelle. S'inspirant de Chomsky qui, dans sa gram-
maire générative, suppose au-delà des structures superficielles de la
langue, une grammaire régissant ses structures profondes, conférant la
compétence linguistique et la production du sens, Cicourel tente d'appli-
quer à l'interaction sociale ce même schéma. Il propose un système de
procédésinterprétatifsqui permettent de se comprendre malgré les dif-
férences, les ambiguités.
Par rapport aux sociologues français, gardiens si intransigeants des
frontières (ou même de la suprématie) de leur discipline, les Américains
paraissent singulièrement ouverts. Ils appliquent très naturellement une
transdisciplinarité exemplaire, se référant aussi bien aux acquis de la lin-
guistique qu'à la phénoménologie, à la sociologie compréhensive, à
l' ethologie, et même à cette psychologie sociale si mal vue des sociologues
français. En revanche, ils n'ont pas été indulgents pour le courant inter-
actionniste si différent de la sociologie traditionnelle. Ils lui reprochent
son subjectivisme, son manque de rigueur, le flou de sa méthode limitée à
l'observation directe, l'ignorance des facteurs institutionnels. En France,
Bourdieu reproche aux interactionnistes leur critique de Durkheim qui
les amène à réduire le monde social aux représentations que s'en font les
acteurs. La science deviendrait alors un compte rendu des comptes ren-
dus des acteurs sociaux.
Bourdieu doute (on ne s'en étonne pas lorsque l'on connaît son
œuvre) que la vérité de l'interaction soit décelable dans l'interaction elle-
même. Enfin, M. Crozier et E. Friedberg (1977) se demandent comment
apprécier la liberté des acteurs si l'on néglige les contraintes qu'ils
subissent et le poids des institutions. Quelles que soient les imperfections
et les limites du courant interactionniste, il faut reconnaître qu'il a valo-
risé le rôle des acteurs sociaux, l'imagination et la sensibilité des observa-
teurs et amené un peu d'air frais dans la sociologie américaine.
162-2 d) La sociobiologie ◊ De nmpbreuses recherches ont abouti à un
ouvrage qui a fait sensation aux Etats-Unis et donné son nom à ce qui
voudrait être une nouvelle science: la sociobiologie. L'auteur, E. O. Wil-
son, après de nombreux articles, publie en 1975 : Sociobiology: the new
synthesis, puis en 1978: On human nature, définit la sociobiologie
comme la science qui étudie systématiquement les bases biologiques de
tous les comportements sociaux. Utilisant les données de l'éthologie, du
néodarwinisme 1 ou génétique des populations et de l'écologie, Wilson les
étend à l'analyse des sociétés considérées globalement.
1. Issu des travaux des savants britanniques.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 141

Le premier ouvrage hostile à cette tendance est signé par l'anthropo-


logue M. Sahlins (1980). A partir de là s'ouvre une polémique violente
aggravée par la publicité.
Wilson refuse les conséquences que la droite tire de ses recherches : eli-
tisme, priorité à l'hérédité, tandis que les radicaux l'accusent de fas-
cisme 1.
Il semble que cette polémique s'intéresse moins aux arguments scienti-
fiques qu'aux conséquences politiques que l'on peut en tirer 2 • En France
l'utilisation de la sociobiologie par la nouvelle droite est combattue par la
gauche, sans susciter le même intérêt qu'aux États-Unis.
Cette théorie cherche à conforter par des arguments scientifiques la
tendance libérale des économistes et sociologues, leur vision de l'homme
voulant partout et toujours optimiser ses gains. « L'altruisme ne consti-
tuant jamais qu'une forme élaborée c'est-à-dire hypocrite, de l'égoïsme.»
L'utilisation des mathématiques a permis d'affiner l'étude des sociétés
animales. Martin Novait (mathématicien autrichien) et Karl Sigmund
(zoologue Grande-Bretagne) ont utilisé un modèle numérique fondé sur
« la théorie des jeux» pour étudier le comportement de groupes d'ani-
maux et ont constaté 3 que les « altruistes» l'emportaient sur les égoïstes.

§ 2. La sociologie en Grande-Bretagne

163 Les oppositions ◊ La Grande-Bretagne a, comme les autres pays, sa


tradition sociologique. Très influencée par le fabianisme de tendance plus
paternaliste que marxiste, elle poursuivait des buts pratiques d'améliora-
tion sociale, analogues à ceux de la sociologie empirique américaine à ses
débuts. Elle empruntait également à Malinowski, un fonctionnalisme qui
convenait à son rôle colonisateur et à son conservatisme. Au courant
positiviste et empiriste dont les ordinateurs augmentaient l'efficacité,
s'opposa depuis 1968.1une orientation phénoménologique (A. Schutz aux
U.S.A.) et marxiste (Ecole de Francfort) des sociologues de la jeune géné-
ration.
Cette multiplicité de points de vue, loin d'être favorable au débat scien-
tifique, se révéla stérilisante du fait du sectarisme de la gauche et de l'in-
compréhension de la droite. Le retour à un véritable esprit de recherche
dans la tolérance, paraît aujourd'hui plus important qu'une discussion
sur le rôle de la théorie ou les avantages de l'empirisme.

1. Les radicaux américains demandaient même l'exclusion de l'Université des chercheurs de la


tendance de Wilson.
2. Un groupe d'économistes croyait pouvoir déduire de la sociobiologiel'impossibilitéde la vic-
toire des régimesmarxistestrop peu adaptés aux lois biologiquesnaturelles. Pour plus de détails et un
point de vue moins critique, cf. Boudon et Bourricaud ( 1982, B. 159 bis).
3. Nature, 11 juin 1968.
142 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

§ 3. La sociologie en Allemagne 1
163-1 L'école de Francfort ◊ La dénomination d'École de Francfort s'ap-
plique à un groupe d'intellectuels juifs (les plus connus sont :
T. W. Adorno, A. Benjamin, E. Fromm, Horkheimer, H. Marcuse,
A. B. Pollockl qui pour la plupart, à l'arrivée du nazisme au pouvoir, émi-
grèrent aux Etats-Unis 2 . Quelques-uns revinrent en Allemagne après la
guerre.
On peut ici poser la question déjà soulevée à propos du marxisme.
L'école de Francfort trouve-t-elle sa place en sociologie ou en philo-
sophie?
L'histoire des deux disciplines s'est longtemps confondue. L'école de
Francfort continue cette tradition d'absence de frontières, caractéristique
de la pensée allemande.
La création en 1923 de l'Institut de recherche sociale, puis l'intitulé de
la chaire d'un de ses fondateurs, Horkheimer : Sociologieet philosophie,
indiquent une orientation. L'auteur la précise dans sa leçon inaugurale:
créer une communauté de travail pluridisciplinaire, pour prendre en
compte les questions philosophiques, « elles-mêmes intégrées dialec-
tiquement au processus de la science empirique ».
Dans sa théorie critique, l'auteur envisage le recours à des analyses de
presse, à des enquêtes par interviews et questionnaires et des emprunts
aux diverses théories et méthodes aussi bien philosophiques qu'écono-
miques, sociologiques ou historiques. Le tout appliqué d'abord à deux
catégories sociales : les employés et les ouvriers qualifiés 3 •
Comme le note Luce Giard, ceci, banal aujourd'hui, signifiait dans
l'Allemagne de 1930 que« l'enracinement philosophique[ ...] n'était pas
honteux, que la saisie de l' empirie dans un cadre conceptuel avouant ses
présupposés théoriques, n'était pas de ce seul fait disqualifié dans l'ordre
du savoir scientifique, que l'infrastructure économique et l'histoire des
luttes sociales avaient autant d'intérêt et de sens que les produits culturels
de la superstructure »... 4
Horkheimer après Weber s'interroge sur les rapports entre nature et
raison. Le combat entre l'une et l'autre persiste. Mais « l'histoire des
efforts de l'homme pour asservir la nature est également l'histoire de l'as-
servissement de l'homme par l'homme». La science et la raison doivent
être soumises à la critique, sous peine d'être détournées de leur véritable
mission.
Horkheimer et Adorno ont vécu 5 la tragédie de la technique mise au
service de la barbarie, et sur le plan théorique, constaté les excès de la ten-
1. M. Horkheimer (1933, 1974), M.Jay (1973), P. V. Zima (1973), M. Hirsch (1975), J. Haber-
mas (1981-1982). Bibliography of Gennansodology(1980).
2. Fromm écrivant en anglais fut le plus lu. Marcuse exerça une grande influence, qui le surprit
lui-même, sur la jeunesse universitaire. Adorno fut surtout connu par son étude sur la personnalité
autoritaire (1 B. 278).
3. In Esprit(mai 1978), p. 52.
4. In op. cit.
5. Toujours se demander à propos d'une théorie à qui et à quoi l'auteur s'oppose, contre qui et
quoi il veut lutter.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 143

dance formaliste et systémique de l'école de Vienne 1, enfin ceux du dog-


matisme marxiste et du technocratisme capitalist.e. Au moment de la
création de la théorie critique (fin des années 1920) son inspiration mar-
xiste ne fait pas de doute mais celle-ci provient de deux ouvrages considé-
rés hérétiques, Histoireet consciencede classede Lukacs et Marxismeetphi-
losophiede Korsch. Par la suite (1940) le cercle de Francfort se livre à une
véritable critique du marxisme, surtout dans la mesure où celui-ci accuse
la philosophie de désuétude (onzième thèse sur Feunerbach). Le véritable
responsable du dépérissement de la philosophie, c'est Hegel. 11amène la
théorie critique sur le terrain de la politique, del' observation de la société
pour en noter les manifestations d'autorité, même dans la famille. Ici
encore le cercle de Francfort se distingue de Marx : la priorité n'est pas
donnée à l'économique mais au politique, à la pluralité plutôt qu'à
l'unité. Particularité trop oubliée, de l'école de Francfort : sa haine de la
souffrance et de son utilisation morale et religieuse à laquelle doit échap-
per une société libre. Enfin ce qui est remarquable, les membres du cercle
n'ont pas été comme tant d'autres dupes de !'U.R.S.S.Ils ont vu dans le
régime soviétique non un État souverain perverti mais un système parti-
culier à forme bureaucratique.
On comprend l'attrait qu'a exercé (cf. Marcuse) sur la jeunesse de
1968, une réflexion inspirée du marxisme mais bien éloignée de son évo-
lution dogmatique ultérieure. Cependant l'audience plus large, ren-
contrée en France aujourd'hui par l'école de Francfort pourrait s'expli-
quer par l'absence de certitudes de ses auteurs, la qualité de leurs analyses
et l'indépendance de leurs critiques : ne pas appartenir, « nicht mit-
zumachen» déclarait Horkheimer.
Comme l'écrit Luce Giard, l'intérêt de l'école de Francfort« est moins
un cont.enu doctrinal qu'une manièredefaire, que la désignation pour la
pensée de nouveaux lieux d'interrogation 2 ».
Héritier plus que représentant de l'école de Francfort, J.Habermas3 (né
en 1929) fut l'assistant d'Adomo. Cependant, alors que pour Adorno, la
théorie et l'empirie sont également nécessaires, mais ne relèvent pas du
même ordre et doivent rester distinctes, Habermas, au contraire, en pro-
pose une synthèse. 11conteste également la critique de la raison instru-
mentale d' Adorno parce que inscrite dans une conception transcendan-
tale de l'histoire hégelienne. Habermas veut réintroduire la raison dans
la logique de l'action sociale, en particulier dans la communication.
Dans ce processus, le langage tient une place essentielle et J. Habermas
(1987) propose « l'agir communicationnel » comme moyen d'étudier
les pathologies de la modernité. Parmi celles-ci il incrimine surtout
le dépérissement des rapports spontanés provoqué par la bureaucratie
et l'excès de codification: « la colonisation du monde vécu». On a
reproché, à juste titre, à cet auteur de concevoir une nouvelle méta-

1. Cf. n° 77.
2. In Esprit (mai 1968).
3. J. Habermas ( 1986-1987).
144 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

théorie philosophique s'éloignant plus encore que l'école de Francfort des


objectifs de la sociologie1.
Pour quelle raison, J. Habermas est-il connu en France alors que
Niklas Luhmann2 son contemporain dont l'œuvre est considérée en Alle-
magne comme plus importante encore, commence-t-il à peine à être
traduit en France ? On ne peut donner ici qu'un aperçu de la théorie
exposée en quelques quarante ouvrages et plus de 300 articles 3• En tant
que juriste, Luhmann s'intéresse à la bureaucratie, aux organisations, il
aura pour ambition d'élaborer une théorie générale permettant une des-
cription adéquate de la société contemporaine. Pour cela, il va d'une part
emprunter des éléments à des disciplines modernes diverses : biologie,
cybernétique, théorie des systèmes, de la communication, d'autre part
insister sur la nécessité de l'ouverture. Il rejette tout ce qui implique un
fondement ontologique 4 (valeur, intention) ou exige un fondement fixe
de la réalité en même temps qu'il s'oppose à la notion statique d'identité
au profit de celle de différence, ce qui l'entraîne à privilégier la relation.
Ces relations si nombreuses dans les sociétés modernes, sont la cause de
leur complexité. La théorie a pour but de la réduire bien que la
complexité ne soit réductible que par un instrument plus complexe
encore.
Privilégiant la fonction au lieu de la structure, Luhmann qualifie sa
théorie de structuralisme fonctionnel par opposition au fonctionnalisme
structurel de Parsons. Avec la publication en 1980 de Sociologische auf-
klanmg, Luhmann évoque un changement de paradigme et s'oppose à
Parsons. Ce n'est pas une théorie de l'action sociale qu'il propose, mais
une théorie de la société. L'ouverture est obtenue grâce à la nouvelle
théorie biologique des Chiliens Humberto Maturana et Francisco
Varela: l'autopoiëse. La société et les systèmes sociaux seraient d'après
Luhmann autoréférents 5 et autopoiëtiques, c'est-à-dire reproduisant
comme les êtres vivants leurs propres éléments et construisant ainsi
leurs structures. Enfin dans ses plus récentes contributions, l'auteur
insiste sur la notion d'observationnon comprise au sens anthropologique
mais au sens cybernétique. Observer, c'est pour Luhmann marquer sa
différence vis-à-vis de l'objet observé. A partir de ces concepts essentiels,

1. Ses positions politiques trop modérées pour l'extrême gauche, trop à gauche pour les conserva-
teurs n'ont pas été bien comprises en particulier des étudiants qui lui reprochaient de ne pas croire
l'époque révolutionnaire et de n'être pas l'ennemi de la social-démocratie.
2. Né en 1927 à Lunebourg, Luhmann commence une carrière de juriste et de philosophe. Il étu-
die la théorie des organisations à Harvard où il rencontre Habermas et Parsons. De retour en Alle-
magne, il obtient un doctorat de sociologie et devient professeur à la nouvelle université de Bielefeld.
Il obtient en 1984 la« Hegel preis » pour l'ensemble de son a:uvre.
3. Cf. !gnosie Isuyguiza (1990) et A. Gras (1990) auxquels nous empruntons l'essentiel de ces
indications. Cf. A. Gras pour la bibliographie.
4. Cf. ses attaques contre la vieille pensée européenne. L'importance qu'elle accorde à l'acteur la
rendent incapable de comprendre la société contemporaine. Point de vue qui a naturellement suscité
de violentes critiques.
5. D'après Heinz von Forster, les systèmes cybernétiques sont des systèmes capables de s'observer
eux-mêmes et de modifier leur comportement à travers cette observation.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 145

Luhmann utilise la théorie des systèmes, la théorie de l'évolution 1 enfin


la théorie de la communication qui est en même temps sélection.
Cette conception aboutit à la négation de l'individu. Les hommes font
partie de l'environnement, ils forment un système autoréférent - dont le
trait spécifique est la conscience - et entre les hommes et la société se
trouve une relation d'interprétation mais pas de relation de contenant à
contenu ; les hommes ne sont pas des éléments composants. Affirma-
tion d'une nouveauté singulièrement bouleversante pour les sociologues.
Depuis ces dix dernières années, on assiste à un développement de la
sociologie industrielle en R.F.A.de même qu'à l'étude de l'influence des
progrès de la technologie sur la vie quotidienne.

§ 4. La sociologie en Russie
164 L'évolution ◊ Un système fondé sur le dogmatisme et l'infaillibilité
du pouvoir ne pouvait accepter les risques de la recherche ni la sanction
des faits. La participation des pays de l'Est à la sociologie internationale
n'a commencé officiellement qu'au Congrès de sociologie d'Évian
(1966). A Varna (1970), elle était considérable 2• 3. Il s'agissait de rattra-
per le retard face à l'Ouest mais surtout d'utiliser ses techniques pour
obtenir des informations. L'Association soviétique de sociologie fondée
en 1965 se développe jusqu'en 1970. En 1968 est créé pour l'autonomie
de la sociologie l'Institut pour la recherchesodale appliquée(I.A.S.R.R.)
après un long de'bat. Les recherches portent sur les loisirs, les budgets, les
migrations de travailleurs, l'influence des mass media. Tout en camou-
flant souvent les résultats, on admet cependant que la notion léniniste
de classe sociale est insuffisante pour couvrir la structure de la société
(intelligentsia, ouvriers agricoles). L'on observe parfois chez les travail-
leurs des attitudes, considérées par les marxistes en pays capitalistes
comme symptômes d'aliénation. Enfin il faut bien reconnaître que la
jeunesse s'intéresse davantage au bonheur individuel (niveau de vie,
logement) qu'à un idéal collectif. Malgré cet effort de développement, la
sociologie soviétique se limite à n'être qu'une « science appliquée» et
subit dans cette orientation l'influence de la sociologie empirique améri-
caine. La fin de !'U.R.S.S.et les bouleversements qui l'accompagnent
permettront à la sociologie de se montrer plus ambitieuse. Elle se tour-
nera vers la sociologie européenne, en particulier la sociologie française
qui semble présenter une tradition théorique plus forte. De nombreux
échanges se poursuivent depuis 1990 entre sociologues russes et fran-
çais 4.
1. Pour Luhmann, l'évolution n'est jamais causale et n'implique pas de progrès. Elle est simple-
ment « triomphe de la nouveauté ».
2. Le nombre de participants donne une idée de l'intérêt porté à la sociologie. U.R.S.S.: 300 délé-
gués, Bulgarie: 500, Pologne: 174, Hongrie : 74.
3. La plupart des délégués étaient des démographes, économistes, ethnographes, philosophes
devenus sociologues.
4. Nous empruntons les informations qui suivent aux notes de mission de Patrick Champagne
(1991).
146 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Les bouleversements qui agitent la société russe posent aux socio-


logues des problèmes particuliers.
164-1 Les obstacles politiques ◊ Pour les gouvernants d'un pays en crise
comme la Russie qui ne disposent plus des moyens de coercition de Sta-
line et veulent instaurer des réformes, la connaissance de l'opinion est
indispensable. Les sondages d'opinion paraîtront donc une des tech-
niques les plus utiles à emprunter à l'Occident.
La production, l'interprétation et l'utilisation des sondages en Russie
de 198 5 à 1992 est révélatrice de l'attitude du pouvoir vis-à-vis de la
sociologieet de la plus ou moins grande volonté du gouvernement d'ins-
taurer la démocratie. La connaissance de l'opinion devrait assurer une
plus grande efficacité de l'action gouvernementale mais elle présente le
risque de permettre à l'opposition de se manifester. Aussi l'attitude du
pouvoir traduit-elle à la fois méfiance et intérêt.
La prédominance de l'intérêt, de l'aspect instrumental entraîne la
multiplication des sondages, mais la méfiance suscite leur totale confi-
dentialité. Le gouvernement garde les résultats secrets. L'arrivée de Gor-
batchev au pouvoir ne modifie pas cette règle, mais l'objectif des son-
dages change. C'est l'opinion du peuple que l'on cherche à découvrir,
même si elle diffère de la propagande officielle1 . Élément nouveau, dès
1985, les sociologues sont invités à collaborer et renforcer l'action du
pouvoir 2.
L'inefficacité des mesures prises par M. Gorbatchev pour susciter les
efforts du pays l'amène à recourir aux intellectuels. Les sociologues sont
appelés à devenir consultants, mais en échange de ce nouveau rôle de
conseillers du prince, ils souhaitent que les gouvernants respectent
davantage les avis qui leur sont donnés. Cet équilibre est naturellement
trop fragile et menace l'objectivité et l'indépendance de la sociologie.
Dès 1987 les sociologues réclament l'autonomie de leur discipline. Il ne
s'agit pas encore de se libérer de l'emprise du pouvoir, ni de le contester,
la volonté d'aider l'action sociale du pouvoir demeure et même un souci
d'efficacité inspire en partie la demande de liberté des sociologues.
De 1986 à 1988 le pouvoir résiste encore aux aspirations des intellec-
tuels, mais l'action décousue de la glasnostdéclenche une vague d'aspi-
rations incontrôlable. Les élections semi-libres de 1989 renforcent les
exigences de l'opinion qui veut prendre conscience d'elle-même. Les par-
tis politiques créent alors leurs propres services de recherches tandis que
l'idée neuve de pluralité d'opinions progresse lentement. Idée exaltante
pour les sociologues dont l'activité se trouve au centre même de la vague
de revendications. Le pouvoir de son côté évolue et utilise plus souvent
dans ses discours les résultats des sondages comme si grâce à eux « il
parlait au nom du peuple». M. Gorbatchev qui n'avait jamais
commandé des sondages s'est reconnu mal informé, lors du speech qui
vit son éviction du pouvoir. Les succès des réformateurs et des radicaux
1. Nous empruntons les informations qui suivent à l'excellent article d'Elisabeth Sieca (1994).
2. Par exemple dans sa lutte contre l'alcoolisme.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 147

aux élections de mars 1990 et l'arrivée de Boris Eltsine au pouvoir


amènent naturellement des changements. Ce sont d'abord les munici-
palités nouvellement élues (Moscou et Leningrad) qui voudront utiliser
ce moyen de connaître l'opinion de leurs administrés. De son côté,
B. Eltsine donne l'exemple. Dès mars 1991 il crée auprès de lui un
conseil consultatif de 2 5 membres, composé de sociologues mais surtout
d'économistes. Les sondages ne révèlent pas seulement l'opposition au
pouvoir, mais la publication des résultats suscite lorsqu'il s'agit d'avis
sur des réformes, des réactions hétérogènes dans la population 1 .
Le gouvernement s'intéresse aux sondages mais les mentalités ne
changent pas si vite et les sociologues russes donnent de nombreux
exemples de permanence de l'ancienne attitude. « On a besoin d'infor-
mations qui renforcent la croyance du gouvernement en lui-même [ ...]
et si possible sans payer», s'indigne le sociologue Boris Grouchine 2 . Ce
qui est nouveau c'est l'utilisation des résultats de sondages par les
hommes politiques. Le taux élevé des sans opinion sert de prétexte pour
réclamer un gouvernement autoritaire. Le même sondage est interprété
de façons différentes par les partis opposés qui ne se préoccupent pas de
vérifier sa fiabilité et ne se gênent pas pour manipuler les résultats. La
rigueur scientifique ne progresse pas aussi vite que l'utilisation des son-
dages. Cependant l'accession au pouvoir de certains sociologues si elle
n'assure pas leur objectivité, renforce tout de même la position de la
sociologie. Après les obstacles purement politiques les sondages en Rus-
sie se heurtent à des obstacles techniques. Le temps est également néces-
saire pour créer une mentalité scientifique.
164-2 Les obstacles techniques ◊ D'abord sur un plan pratique du côté
des chercheursun problème de formation. Malgré leur enthousiasme à se
sentir libérés de la tutelle du parti, il leur est difficile de passer d'une for-
mation marxiste-léniniste à une conception durkheimienne et bachelar-
dienne, de la recherche 3 • La notion d'objectivité, plus encore que dans
les pays occidentaux, paraît particulièrement complexe et insoluble.
Comment « désidéologiser» la sociologie jusque-là sous la tutelle du
pouvoir et comment étudier empiriquement la réalité sociale sans a
priori ? Du côté du potNoirpolitique, la disparition du dogme marxiste
laisse le gouvernement sans boussole, à la fois désireux de voir les
sciences sociales se développer librement, mais en même temps avide de
renseignements sur l'état de la société, de l'opinion et attendant des
sociologues les informations dont il a besoin pour prendre des décisions.
Il en résulte une prolifération d'enquêtes sur les différents groupes
sociaux ( ouvriers, paysans, jeunesse) et la création d'observatoires statis-
tiques comparables aux nôtres pour recueillir des données fiables - elles
1. Par exemple à propos de la libéralisation des prix.
2. En octobre 1992, il réclamera dans la presse d'être payé pour les enquêtes qui lui ont été
commandées et dont il a déjà fourni les résultats.
3. Passer du rôle de fournisseur de statistiques tronquées à celui de chercheur recueillant des
faits, construisant un objet sociologique, implique une souplesse d'esprit à laquelle le marxisme-
léninisme n'a pas préparé les sociologues russes.
148 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

étaient jusque-là manipulées - sur les sujets importants ( alcoolisme,


démographie, consommation, mobilité sociale).
Mais cette recherche d'informations confiée aux sociologues, se
heurte à une difficulté majeure : l'absence de données exactes sur la
structure sociale. Non seulement la composition socio-professionnelle
de la population n'est pas connue, mais de plus sa complexité est
extrême. On ne peut comme en France situer les individus dans l'espace
social d'après des critères simples et objectifs : salaire, diplômes. En
U.R.S.S.,il s'agit de filières bureaucratiques d'accès aux biens. Un profes-
seur moins payé qu'un ouvrier pouvait vivre mieux (logement plus
grand, etc.) grâce à des appartenances lui accordant des droits parti-
culiers. A Leningrad, on comptait quarante-cinq filières différentes pour
obtenir un logement. La société soviétique proclamait le principe d' éga-
lité pour aussitôt prévoir des exceptions plus nombreuses que la norme.
Dans les pays occidentaux, on compare la hiérarchie sociale à une pyra-
mide. En Union soviétique, il s'agit plutôt d'un œuf comportant au
sommet une petite élite de favorisés, à la base une minorité d'exclus et
au centre une masse importante en constante restructuration. Celle-ci
n'obéit plus aujourd'hui aux impératifs du parti. Elle est soumise aux
lois du marché, à la concurrence dont la masse n'a pas l'habitude et qui
laisse apparaître dans la réprobation générale des trafiquants et des nou-
veaux riches.
A côté des questions pratiques concernant la formation des cher-
cheurs et l'absence de données, se pose le problème plus grave de l'auto-
nomie des sciences sociales et de leurs rapports avec le pouvoir.
Si la sociologie ne subit plus la contrainte de la censure et ne connaît
plus les mêmes obstacles, elle n'en demeure pas moins dépendante du
pouvoir indirectement et globalement. D'abord, ce que le gouvernement
attend d'informations de la part des sociologues dicte les sujets de
recherche, presque toujours sur des problèmes d'actualité. Il est normal
que l'apparition d'une opinion publique implique de la part de gouver-
nements qui se veulent démocrates, de l'intérêt pour ce qu'elle exprime.
D'où « la folie des sondages » qui s'est emparée de la Russie. Au règne
sans partage de la seule « opinion autorisée » succède aujourd'hui celui
de l'opinion, en permanence sollicitée1... Cet intérêt pour ce que
pensent les citoyens comporte deux conséquences. D'une part, l'analyse
de l'opinion n'est plus le monopole du pouvoir, d'où la prolifération
d'instituts plus ou moins sérieux (échantillons non représentatifs,
enquêteurs sans formation, questionnaires biaisés). D'autre part et sur-
tout le gouvernement subventionne de moins en moins la recherche et
se borne à financer les enquêtes sur les sujets d'actualité qui l'in-
téressent, en général sur cette opinion libérée qu'il ne maîtrise ni ne
fabrique plus. Sans l'aide de l'État où trouver un financement pour la
recherche fondamentale ou à long terme? Celle-ci soumise à la même
contrainte économique que dans les pays occidentaux en souffre davan-

1. P. Champagne (septembre 1991).


LA SOCIOLOGIE MODERNE 149

tage 1, car elle n'y est pas habituée. Les chercheurs se voient brusquement
privés du financement et des facilités que l'État tenait à leur disposition
auparavant (frais de déplacement, etc.). Les conditions de travail se sont
dégradées, la situation matérielle des instituts de recherche devient très
difficile, enfin les nouv~lles revues risquent de disparaître, le papier
n'étant plus fourni par l'Etat doit être acheté, très cher, au marché libre.
Une des conséquences graves de cette crise, c'est le risque de voir dispa-
raître les groupes et instituts les plus sérieux, tandis que les chercheurs
compétents sont nombreux à s'orienter vers de nouveaux instituts aux
objectifs moins scientifiques.
Obligés de s'adapter brusquement à la liberté et la concurrence d'une
économie de marché, les sociologues russes évoluent avec difficulté dans
une société incertaine et bouleversée, sans le secours des règles tacites
qu'offre le jeu capitaliste dans les pays qu'il domine depuis longtemps 2 •

§ 5. La sociologie en France
La sociologie en France comme dans les autres pays ne comportait pas
de cursusuniversitaire. Elle s'est développée comme une spécialisation,
postérieure à une formation philosophique. Très influencée par la socio-
logie américaine des années 50, la sociologie française trouve depuis ces
dernières années une autonomie et une tonalité particulières où figurent
autant que des tendances opposées des personnalités très différentes.
1. La loi de l'audimat et la recherche du best-sellerne représentent-ils pas pour la culture des obs-
tacles aussi sérieux que la censure du parti ?
2. Principaux instituts et centres de recherches :
L'Institut de sociologiede Moscou: Directeur Professeur Tadov. Les thèmes dénotent l'intérêt du
pouvoir pour la justice sociale, l'enseignement, les loisirs, etc. Financement 1/3 par l'État, 1/3 par
l'étranger.
L'Institut de sociologieet l'Institut de philosophiedirigé par A. Roubtzov s'intéresse surtout à l'opi-
nion(« ethno-idéologie »).
Institut du mouvementouvrierinternational(Moscou) : Dir. Professeur Shubkine, s'intéresse à la
bureaucratie.
L'Institut d'ethnologiede Moscou: Dir. Professeur Shkarakap, étudie les populations du Caucase.
L'Institut d'étudede l'opinionpublique:récent, dirigé par la socioloiue Tatiana Salavskaia et Boris
Grouchine (25 centres). L'Institut travaille en collaboration avec les Etats-Unis sur la politique inté-
rieure et les problèmes de travail, de démographie.
Vox Populifondé en 1990 par B. Grouchine juge la technique des questions empruntée à l'Ouest
mal adaptée à la population russe.
Saint-Pétersbourg dispose d'une tradition plus ancienne que Moscou.
Institut desproblèmessociauxet économiques.
Institut de sociologieissu du précédent, dirigé par le professeur Firsov. Il s'intéresse aux questions
culturelles.
L'Institut d'ethnographiedirigé par le professeur Tchistov spécialisé dans l'étude des Slaves orien-
taux, s'est progressivement intéressé aux problèmes urbains, aux minorités qui suscitent aujourd'hui
des réactions d'opposition chez les extrémistes.
LeCentred'étudedesprocessussociauxcréé par Léonid E. Keselman, lui aussi transfuge de l'Institut
de sociologie de Moscou s'intéresse« aux comportements sociaux standard» et aux enquêtes d'opi-
nion ( auditoires de radio, attitudes vis-à-vis du putsch).
Centrede sociologiede Samaradirigé par un jeune sociologue, Dimitri Zaverchinski. Étudie l'opi-
nion publique dans le domaine politique et la pédagogie. Certains sondages sont payés par les Améri-
cains.
150 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

165 1) Les auteurs. a) Le métier de sociologue: Pierre Bour-


dieu ◊ Une des figures les plus originales de la sociologie française, est
un philosophe passé par l'École Normale Supérieure. Il déclare que chez
lui « les différents choix théoriques ont sans doute été plus négatifs que
positifs à l'origine» 1.Mais ces refus conservent cependant la marque du
debat qu'ils ont suscité avec les structuralistes (Saussure, Levi-Strauss,
Althusser, Foucault), la phénoménologie existentialiste (Husserl, Mer-
leau-Ponty, Sartre). A noter enfin, les influences de Marx, Weber et
Durkheim, des ethnologues et des linguistes.
Si Bourdieu met en avant la notion de classe, il se détache cependant
du marxisme par l'importance qu'il attache non à une conception socio-
économique mais aux rapports et aux dominations symboliques. Il définit
toute formation sociale « comme système de rapports de force et de sens
entre des groupes ou des classes » 2 .
C'est à la tradition durkheimienne que l'on peut rattacher la concep-
tion de la sociologie proposée par Bourdieu. Une même volonté de la
constituer comme science pour, par un travail continu, lutter contre les
illusions ( cf. Bachelard) et atteindre l'objectivité. Il faut enfin noter l'in-
fluence sans doute la plus déterminante, la plus stimulante pour l'esprit:
celle de Lévi-Strauss et du structuralisme. Au lieu d'une simple obser-
vation empirique, il s'agit pour le sociologue de tenter de découvrir
quelles relations et quel système de relations organisent l'objet étudié 3 •
Mais si Bourdieu cherche à découvrir les structures déterminantes il veut
tout de même « réagir contre l'orientation mécaniste [ ...] du structura-
lisme »4.
La richesse et l'hétérogénéité de ces influences s'expriment dans un
style particulier, que l'on éprouve souvent le désir de simplifier et dans
des termes, piliers de ses diverses démonstrations.
Il construit sa démarche autour des notions qu'il enrichit de son expé-
rience de chercheur.
Le champ. Ce terme polysémique est à la mode dans les sciences
sociales où il paraît plus savant que domaine, secteur, discipline, etc. ; les
champs peuvent se définir comme « des espaces structurés de positions
( ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces
espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéris-
tiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles) 5 ». K. Lewin a
emprunté le terme à la physique pour insister sur l'aspect relationnel qu'il
implique (cf. n° 190). Influencé par Marx et Weber, Bourdieu utilise la
notion dans ses analyses de sociologie de l'art où apparaissent des rela-
tions symboliques fonctionnant à l'intérieur de marchésdoués de leur
propre logique.
1. P. Bourdieu (1987).
2. P. Bourdieu (1989).
3. L'ouvrage consacré à l'Université Homoacademicus(1984) constitue un bon exemple de ce
type de recherche comportant trois moments: réduction, repérage, développement (cf. P. Angsart
1990).
4. P. Bourdieu (1987), p. 23.
5. P. Bourdieu (1980).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 151

Une autre notion importante est celle d'habitus (mot latin issu du
grec, utilisé par Aristote pour désigner les dispositions acquises). Il per-
met, d'après Bourdieu, d'éviter le double écueil du subjectivisme, sui-
vant lequel les individus agissent en fonction d'une stratégie consciente
et l'objectivisme, d'après lequel ils sont le jouet de structures sociales
préétablies. Bourdieu confère à ce vieux terme d'habitus la capacité de
reproduction(mémoire du passé et production d'un avenir) et une capa-
cité d'invention. L'habitus est « une machine transformatrice qui fait
que nous reproduisonsles conditions sociales de notre propre produc-
tion, mais d'une façon relativement imprévisible » 1 . Il est adapté aux
structures objectives puisque produit de ces structures, sans volonté ni
même intention ou conscience d'une stratégie d'ajustement. Du fait de
l'habitus, les agents agissent pour que se perpétuent les relations objec-
tives entre les classes, apportant ainsi un élément d'explication au pro-
blème de la reproduction sociale 2. Mais ici encore Bourdieu se sépare de
Marx. Tout en employant le terme économique de capital, il distingue
au-delà des capitaux économique et culturel, un capital social et, ce qui
lui est plus personnel, un capital symbolique 3. A propos des rapports de
domination et de ce qui les légitime (autre terme souvent utilisé), Bour-
dieu invoquant une plus-value symbolique, écrit: « [ ...] la trans-
formation d'une espèce quelconque de capital en capital symbolique,
possession légitime fondée dans la nature de son possesseur, suppose
toujours une forme de travail, une dépense visible[ ...] de temps,
d'argent et d'énergie, une redistributionqui est nécessaire pour assurer la
reconnaissance de la distribution » 4.
A côté de réflexions, souvent décapantes, sur la routine ... qui parfois se
routinisent elles aussi, Bourdieu, sur le plan de la méthode, s'est surtout
fait connaître par un de ses premiers ouvrages, polémique : Le métier de
sociologueoù il s'attaque aux idées préconçues et au formalisme des
méthodes quantitatives. Attaques constamment renouvelées : « Il faut
tout l'effet de domination exercé par la science américaine et aussi une
adhésion plus ou moins honteuse et inconsciente à une philosophie posi-
tiviste de la science, pour que passent inaperçues les insuffisances et les
erreurs techniques qu'entraîne à tous les plans de la recherche [...] la
conception positiviste de la science. On ne compte pas les cas où les plans
d'expérience singeant la rigueur expérimentale dissimulent l'absence
totale d'un véritable objet sociologique construit 5 ».

1. Bourdieu (1980).
2. Les stratégies de reproduction retiendront particulièrement l'attention de Bourdieu et de ses
élèves (cf. école, institutions, etc.).
3. « Pourquoi le capital symbolique est-il tantôt conçu comme capital au même titre que les
autres et tantôt comme un supercapital qui assure la reconnaissance de tous les autres ? [...] Et de fil
en aiguille, n'est-ce pas toute la théorie des champs se profilant à l'arrière-plan qui elle-même
demande à être redéfinie?» se demande J.-P. Durand (1989), p. 204.
4. P. Bourdieu (1987).
5. P. Bourdieu (1968).
152 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

165-1 b) Holisme 1 ou individualisnœ 2 : Raymond Baudon o Boudon,


après avoir précisé que la notion d'individualisme méthodologique a une
signification différente de celle d'individualisme sur le plan éthique ou
même sociologique (large autonomie consentie aux individus par les lois
et les mœurs) en donne la définition suivante: « Le principe de l'indivi-
dualisme méthodologique énonce que pour expliquer un phénomène
social quelconque - que celui-ci relève de la démographie, de la science
politique, de la sociologie ou de toute autre science sociale particulière - il
est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés
par le phénomène en question et d'appréhender ce phénomène comme le
résultat de l'agrégation de comportements individuels dictés par ces moti-
vations 3 . »
Ce type d'explication suppose que l'individu est rationnel. Hypothèse
largement utilisée par les économistes mais qui limite singulièrement
l'application du paradigme 4 . Le plus paradoxal, c'est que l'individua-
lisme, loin d'être une défense de la liberté individuelle contre les partisans
du holisme, c'est-à-dire du déterminisme et du poids des structures, doit
tenir compte dans sa thèse (ce qu'il ne fait pas toujours) d'une limitation
de la liberté et du libre choix des acteurs sociaux par le poids de ces struc-
tures qu'il veut ignorer.
Le holisme, au contraire, s'efforce d'analyser directement les consé-
quences des données structurelles ou culturelles, supposées éléments
actifs et ignorant l'analyse des motivations et comportements individuels
se prive d'explications souvent essentielles.
Le danger du paradigme holiste, c'est cette simplification qui fait son
succès. Mais en reconnaissant la seule influence des structures, il risque
une dérive idéologique et politique ainsi que des explications simplistes et
parfois sans définitions précises : lutte des classes, domination, etc. Il est
certain que ces prises de position méthodologique recouvrent des atti-
tudes plus profondes. Le succès de l'individualisme sociologique survient
alors que les thèses libérales triomphent dans les sociétés industrielles.
Sans y voir un lien de cause à effet, on peut penser comme le dit J.Leca
(1986) « qu'ils appartiennent à la même vue du monde».
D'un autre côté, le succès du paradigme holiste et la résistance au
point de vue individualiste s'expliquent sans doute par une conception
« hypersocialisée » de l'homme, dont l'influence du positivisme est en
partie responsable. La difficulté d'appliquer le paradigme individualiste
est la cause essentielle de sa moindre utilisation. On ne peut passer de
l'individu à l'explication du fait social sans regrouper les acteurs en une
représentation abstraite, plus ou moins difficile suivant les thèmes de

1. Le terme de holisme semble avoir été utilisé pour la première fois par le général Jan Christian
Smuts (1870-1950) homme d'État sud-africain, dans un ouvrage de philosophie: Hoüsmet évolution
paru en 1926.
2. P. Birnbaum et]. Leca (1986), H. Brochier (1987), J. Michel (1982).
3. R. Boudon (1988).
4. Cf. la critique de la notion de l'utilitarisme dans G. Berthoud (1987), V. Sivré (1987), J.-P.
Durand (1989), P. Favre (1980).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 153

recherche. On a effectivement reproché à Boudon 1 de faire reposer ses


démonstrations sur des individus interchangeables et identiques aptes à
servir dans des modèles,bref des individus abstraits dont la subjectivité
n'est jamais perçue ni retenue.
En économie on peut, par exemple, constater que si le prix d'un pro-
duit monte, la demande pour ce produit diminue. Réactions de prudence
semblables de tous les consommateurs. En revanche, des motivations
plus complexes et hétérogènes rendent difficile d'expliquer en démo-
graphie par d'insaisissables composantes individuelles, pourquoi la pre-
mière guerre mondiale a été suivie en France d'une baisse des naissances
alors qu'on a enregistré une hausse après la deuxième.
Il apparaît évidemment plus simple d'étudier l'action des facteurs exté-
rieurs et de considérer les comportements qui ne correspondent pas aux
résultats d'ensemble comme irrationnels sans penser qu'ils le sont peut-
être pour l'observateur mais pas, du point de vue de l'acteur. On retrouve
ici ce qui oppose les sociologues allemands et surtout Weber à la sociolo-
gie française, en particulier à Durkheim.
La mise à jour du poids des facteurs sociaux sur les comportements
humains représente un progrès de la connaissance en sociologie. Plus ces
contraintes sont « intériorisées » et de ce fait imperceptibles, plus il est
important de les déceler. Mais un progrès plus important encore, consis-
terait à découvrir la part de résistance à ces contraintes et ce qui l'inspire.
Il semble également justifié de considérer le passage du paradigme holiste
au paradigme individualiste comme un progrès, un raffinement dans
l'explication.
Les sociologues ont une fâcheuse tendance à s'enfermer dans leur sys-
tème, à exclure les autres. R. Aron pensait, à juste titre, qu'il valait mieux
reconnaître que la sociologie reposait sur un ensemble de paradigmes
bien distincts plutôt que de vouloir, comme Parsons, les mélanger en une
fragile synthèse. Le domaine de la sociologie est suffisamment vaste pour
que, suivant les tendances personnelles des chercheurs et le champ de
leurs études, ils puissent utiliser l'un ou l'autre paradigme à condition de
savoir qu'il n'est pas seul utilisable ni le meilleur sur le plan heuristique.
165-2 c) Socio{ogie dynamique: Georges Balandier, Alain Tou-
raine ◊ Ediappant à l'opposition individu-société, certains auteurs
renouant avec une tradition sociologique bien établie s'intéressent aux
changements sociaux, au devenir des sociétés. Les mutations sociales
semblent le terrain privilégié de la sociologie car elles relèvent à la fois de
la théorie et de la pratique.
Parmi les travaux les plus significatifs 2 on citera ceux de G. Balandier
et de A. Touraine:
1) Georg~sBalandieren tant qu'anthropologue, a observé la décoloni-
sation des Etats africains et leur évolution. Le marxisme ne suffit pas à en
1. J.-P. Durand et R. Weil (1989) pensent que les modèles mathématiques et la logique formelle
étudiées par Boudon, son absence de travaux sur le terrain, l'ont conduit à ces positions trop abs-
traites.
2. Cf. également: G. Gurvitch, J.Duvignaud, E. Morin, C. Rivière.
154 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

rendre compte, des facteurs autres qu'économiques interviennent (cultu-


rels, politiques). De plus, l'histoire contredit l'hypothèse d'une nécessité
historique régissant le développement des sociétés. Frappé du caractère
provisoire des « agencements sociaux », Balandier les considère trop
influencés par leur passé et incertains de leur avenir pour privilégier le
rôle des structures dans leur développement. Sans nier leur influence, il
s'intéresse à la façon dont elles sont modifiées, en particulier par ceux qui
tentent de les utiliser 1.
Ce que Balandier tente de faire saisir à travers ces sociétés en évolution
rapide, c'est la part d'invisible, mais surtout d'imprévisible qu'elles
cachent sous leurs apparences plus ou moins agitées. Il suggère de distin-
guer comme Braudel en histoire 2, H. Lefebvre3 et les gériatres 4,des tem-
poralités particulières propres aux secteurs différents d'une même société.
Ce que l'on retire de plus frappant de la lecture de cet auteur c'est « le
fait de l'inachèvement essentiel à tout agencement social» et du carac-
tère encore si mystérieux de l'ensemble des facteurs agissant 5 .
Si l'Afrique peut être considérée comme un lieu sinon d'expéri-
mentation non provoquée, du moins d'observation de mutations accélé-
rées, jusqu'à quel point les réflexions qu'elles inspirent sont-elles transpo-
sables aux pays industrialisés ? Les conditions ne sont pas les mêmes mais
il s'agit bien et c'est l'essentiel, de dynamismes sociaux. On doit donc sai-
sir la chance rare d'observer des processus sociaux en train de se produire
et de transposer ce qui peut l'être. Encore faut-il, comme toujours avec la
méthode comparative comparer le comparable, mais distinguer le dif-
férent.
6
2) Alain Tay.raine , historien, fait ses delmts de sociologue dans une
enquête sur !'Evolutiondu travailouvrieraux usinesRenault (1955). Cette
recherche sur le terrain laissera rapidement place à une réflexion théo-
rique non pour construire une théorie générale au sens parsonien, mais
pour donner au sociologue des instruments d'analyse. Premier objectif:
définir l'objet de la sociologie. S'opposant à Marx (au facteur dominant),
complétant Weber (le sens visé par l'acteur) Touraine considère la réalité
sociale comme « un ensemble des systèmes d'actes» dans lequel la
notion de travail devient le fondement des concepts de sujet historiqueet
d'actionhistorique,éléments essentiels de la méthodeactionnaliste.Voyant
en historien l'origine de la sociologie dans la réaction aux injustices de
l'industrialisation, il constate l'évolution de la société et de la nature des
enjeux qui suscitent des luttes: contrôle du travail plus que propriété des
moyens de production. « A cette société en transformation permanente,
1. G. Balandier (1971), pp. 225-230.
2. Braudel (1976, B. 207).
3. H. Lefebvre, cf. sa distinction entre complexité verticale suivant les époques et la complexité
horizontale mêlant les structures contemporaines.
4. Étude du vieillissement des organes chacun, à son propre rythme, différent selon les individus.
5. Ces réflexions n'ont pas bénéficié d'un effet de mode (cf. le structuralisme) mais comme elles
paraissent plus proches de la réalité, de la vie 1
6. Cf. A. Touraine (1955 et s.) in bibliographie.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 15 5

correspondrait une sociologie de l'action considérant la société dans son


ensemble comme un système d'action 1 », l'action de la société sur elle-
même, mais comment se constitue cette historicité2 qui d'après Touraine
« apparait comme une sorte de moteur social qui rend compte du fonc-
tionnement des sociétés et de leur mouvement » 3 . Le lien entre l'histori-
cité et le fonctionnement de la société est assuré par le système d'action
historique, système d'emprise de l'historicité sur la pratique sociale. Le
système institutionnel est « l'ensemble des mécanismes par lesquels le
champ d'historicité est transformé en un ensemble de règles de la vie
sociale qui prédéterminent à leur tour le fonctionnement des organisa-
tions » 4 • Enfin se désintéressant des mouvements corporatistes purement
revendicatifs, Touraine définit les mouvements sociaux comme :
« l'action conflictuelle d'agents des classes sociales, luttant pour le
contrôle du système d'action historique» 5 •
Si la tendance à l'abstraction rend ardue la lecture de Touraine 6, sa
curiosité intellectuelle l'amene à chercher dans la vie et les événements
politiques et sociaux de quoi alimenter sa réflexion 7• Plutôt que d'étudier
les conduites, il propose d'analyser les situations à l'origine des conduites.
Pour cela, il utilise l'observation participante et, pour assurer la distancia-
tion de l'observateur par rapport à son objet: la méthode historique. Des
groupes de sujets (souvent des militants) sont réunis et le rôle du socio-
logue consiste à les aider à faire une auto-analyse. Cette méthode a été
sévèrement critiquée. Que représentent les membres du groupe par rap-
port au mouvement social ? Ne s'agit-il pas simplement d'une dyna-
mique de groupe ne permettant aucune généralisation, mais des hypo-
thèses limitées aux réactions du groupe lui-même? Enfin, il ne s'agit pas
de la présence d'un sociologue non interventionniste mais, au contraire,
Touraine (1980), faisant appel à Freud et à la notion de médiation,
déclare: « Il s'agit de quitter le plan des pratiques-réponses et de passer à
celui de la production conflictuelle d'une situation. Je n'ai pas trouvé
d'autre moyen pour y parvenir que d'utiliser le chercheur comme « pas-
seur» d'un plan à l'autre, comme instrument de renversement de pers-
pectives dont j'appelle conversion, le moment central 8 . »
166 d) L'analyse stratégique: Michel Crozier ◊ Le courant sociolo-
gique représenté par Michel Crozier n'est pas de même nature que ceux
illustrés par les auteurs vus précédemment. Sa place se trouverait plutôt
1. In P. Ansart (1990}, p. 57.
2. Sur l'importance du concept d'historicité chez Touraine, cf. A. Melucci (1975).
3. A. Touraine (1973}, p. 437.
4. A. Touraine (1972}, p. 272.
5. Op. dt., p. 346.
6. Pour une étude de la pensée complexe et évolutive de Touraine cf. P. Ansart (1990}, J. Dubost
(1990}, J.-P. Durand (1989} et A. Melucci (1975).
7. Les étapes de sa réflexion se traduisent par le changement de libellé de son laboratoire qui de
Sociologieindustrielle, devient, en abordant l'étude plus large de la société, Centred'étudedesmouve-
ments sociaux (1970), pour devenir en 1984 le Centre d'action et d'intervention sociologiques
( C.A.D.I.S.).
8. A. Touraine (1980), p. 426.
156 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

dans le chapitre sur la sociologie des organisations. Mais l'importance de


celles-ci dans nos sociétés bureaucratisées 1 et surtout la récente volonté
de Crozier d'élargir le champ de sa réflexion sur le fonctionnement de la
société entière, justifiait qu'il soit compté parmi les représentants de la
sociologie française.
Pour M. Crozier, l'étude des organisations ne représente pas un secteur
particulier de la sociologie, mais le point central permettant d'expliquer le
système social. Il ne situe pas l'origine des conflits sociaux dans la divi-
sion de la société en classes mais voit dans « le phénomène bureaucra-
tique» la source de toutes les difficultés 2. Comme sociologue, il ne s'in-
téresse pas aux structures mais au fonctionnement des organisations, ce
qui l'amène à une démarche en partie fonctionnelle et surtout à étudier
la stratégie des acteurs au sein des organisations.
Deux éléments importants sont à retenir : l'omniprésence du pouvoir
et les dimensions affectives responsables du choix des acteurs. Très ins-
piré par les travaux de J.Marchet H. A Simon (1965), Crozier s'inter-
roge sur les relations de pouvoir, théâtre de permanentes négociations où
l'imprévisibilité des comportements est utilisée comme protection. Cette
importance reconnue à l'incertitude aboutit nécessairement à une notion
de jeu, les acteurs étant supposés choisir une stratégie gagnante. La
notion de jeu permet de compléter cette conception stratégique en faisant
appel au systémisme. « Seul, en effet, le modèle du jeu peut laisser ouverts
à la fois la structure où se déroule l'action (le système d'action concret) et
les mécanismes de régulation de la structure eux-mêmes 3 . » Crozier se
révèle ainsi individualiste et antidéterministe puisque l'acteur choisit sa
stratégie. Il refuse à la fois la cybernétique (qui impose au système un
régulateur), et la lutte des classes. Mais alors quelle explication donner du
changement? Pour Crozier4, le changement est systémique, c'est-à-dire
contingent au système d'action qui l'élabore et auquel il s'applique. Le
processus collectif en sera l'élément moteur. Intéressé par mai 1968, crise
qu'aucun sociologue n'avait prévue, Crozier trouvera là un thème de
réflexion et d'application de sa conception de fa ~ociétébloquée(1970).
L'expression a séduit ceux qu'inquiète le rôle de l'Etat, considéré respon-
sable de ce blocage.
Les analyses des organisations ont retenu l'attention, mais une fois
encore, le passage de la microsociologie à l'analyse de la société en général
n'est pas plus convaincant chez Crozier que chez ceux qu'il critique. Le
rôle de l'incertitude est bien mis en valeur, mais n'est-il pas excessif de le
considérer comme source de pouvoir? Est-il plus juste de faire de l'indi-
vidu un homostratégicusplutôt qu'un rationalis ? En fait, les conceptions
de Crozier et Boudon sont très voisines sur ce point 5 et on leur a repro-
1. « L'homme moderne ne peut agir qu'à travers et au sein de grandes organisations » in M. Cro-
zier. Préface à Marchet Simon. Les organisationsDunod, 2' éd., 1969.
2. Sa conception diffère de celle de Weber qui reconnaît tout de même l'aspect positif de« ratio-
nalisation des activités collectives » de la bureaucratie.
3. M. Friedberg (1981), E. Crozier, p. 333.
4. In J.-P. Durand (1989), p. 133.
5. Ce n'est pas non plus par hasard.
LA SOCIOLOGIEMODERNE 157

ché à l'un comme à l'autre de concevoir des individus désincarnés, inter-


changeables et de ne tenir compte ni des structures, ce qui serait à la
limite normal dans leur conception, ni, ce qui l'est moins, des représenta-
tions, idées, cultures, etc. 1 .
166-1 e) L'importance de l'imaginaire ◊ L'évolution dans les sciences
sociales ne va pas toujours dans le sens d'un approfondissement mais de
la recherche de nouvelles solutions apportées aux vieux ou aux nouveaux
problèmes. A la différence des progrès de la science dûs aux « erreurs rec-
tifiées», on pourrait comparer la sociologie à la mode qui n'a pas une
infinité de moyens de se renouveler : élargir, raccourcir etc. mais combine
dans une proportion différente les mêmes facteurs. Saturés de positi-
visme, de marxisme, de fonctionnalisme, certains auteurs font appel à
l'imaginaire.
a) C. Castoriadiss'est intéressé à l'expérience du mouvement ouvrier et
aux limites des travaux de Marx. Son originalité tient à sa critique d'un
fonctionnalisme envahissant aujourd'hui, ne tenant pas compte de la
dimension symbolique des institutions qui, autant que la rationalité,
influence leur création et leur fonctionnement
C. Castoriadis (1978) cherche à établir des rapports entre la psyché et
le social-historique,c'est-à-dire entre l'imagination radicale,relevant de la
psyché et l'imaginairesodal, appartenant au social historique. Mais si le
projet est attrayant, il n'est ~as certain que les résultats soient à la hau-
teur des ambitions affichées .
On peut se demander, en effet, s'il s'agit encore de sociologie car les
conditions de l'apparition de l'imaginaire social et des significations ima-
ginaires restent floues, le recours à la psyché n'explique rien. Si Castoria-
dis a le mérite de poser une bonne question : « Pourquoi est-ce dans
l'imaginairequ'une société doit chercher le complément nécessaire à son
ordre ? », non seulement il ne trouve pas la bonne réponse mais, plus
grave, sa façon d'essayer de la trouver n'est pas convaincante.
b) Gilbert Durand, disciple de Bachelard, est lui aussi plus philosophe
de la connaissance que sociologue. Cependant, sa tentative de développer
une sociologie s'intéressant à l'imaginaire, en opposition avec le positi-
visme et le rationalisme, oblige à le mentionner dans le courant moderne
de la sociologie française. Durand s'oppose aux herméneutiques réduc-
trices (Freud, l'anthropologie structurale) et préconise des herméneu-
tiques instaurativesvisant à découvrir le sens des symboles plus que leurs
fonctions 3 .
Cherchant à construire une théorie générale de l'imaginaire,
G. Durand nie la distinction des phénomènes psychiques en rationnels et
imaginaires. Pour lui, il n'existe avec des buts différents, qu'une seule
activité de la psyché. « L'imagination se révèle comme le facteur général
d'équilibration psycho sociale » 4.
1. Cf. critique de R. Sainsaulieu (1981).
2. Cf. J.-P. Durand (1989), p. 212.
3. G. Durand (1964, 1969, 1984).
4. Op. dt. (1964), p. 89.
158 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

c) M. Maffesolis'intéresse à la vie quotidienne. Celle-ci lui paraît trop


mouvante, complexe pour être comprise par une sociologie positiviste qui
appauvrit le réel en le réduisant au concept : « Contraindre l'hétérogé-
néité de la vie à l'unicité du concept a toujours été lourd de conséquences
dans l'histoire humaine. C'est pourquoi il vaut mieux opposer à la rigidité
du concept, la mollesse de la notion 1.» Sur le plan scientifique et péda-
gogique, le terme de mollesse paraît bien dangereux. En revanche, l'appel
à la sociologie compréhensive, étudiant la vie sociale par le dedansest une
entreprise louable, surtout lorsque l'on admet, comme le fait Maffesoli,
que la compréhension de la vie sociale passe par une pluralité de points
de vue. En revanche, envisager la sociologie comme une sociologie « de
l'instant, de l'évanescent, du ponctuel et de l'éphémère 2 » paraît relever
de la poésie plus que de la sociologie.
Dans son intérêt pour le quotidien, Maffesoli privilégie la proxémie,
l'appartenance, la communication. D'après lui, nous vivons une dialec-
tique masse-tribu d'où il exclut toute référence aux structures. L'explica-
tion des phénomènes révolutionnaires par l'expérience commune des
hommes paraît un peu courte, même si l'on reconnaît la part de cette
expérience dans les mouvements de masse.
2), Développement de sociologies particulières en fonction de
l évolution de la sodété. Le développement de la sociologie en France
se traduit par le développement et l'autonomie de sociologies parti-
culières : sociologies de la famille, de la religion, de l'éducation, de la
culture et des loisirs, du sport, de l'information, etc. On insistera ici
seulement sur deux d'entre elles: la sociologie du travail et la sociologie
juridique 3 •
Ces deux exemples ont été choisis parce qu'ils montrent mieux que
d'autres les dangers de la division entre les diverses sciences sociales et
même à l'intérieur de la sociologie, les inconvénients des clivages acadé-
miques, des formations trop spécialisées,bref la nécessité de la pluridisci-
plinarité.
La sociologie, du fait qu'elle analyse la réalité sociale trouve toujours
celle-ci ordonnée par le droit qui la réglemente. La sociologiereligieuse ne
peut éviter, en, mesurant le,degré de laïcité d'une collectivité, d'aborder les
rapports de l'Eglise et de l'Etat La sociologie de la famille ne peut ignorer
la protection plus ou moins grande accordée aux couples ou les règles
assurant l'équilibre de l'autorité. Mais les différents points de vue peuvent
cohabiter sans s'ignorer ni se gêner. Il en va autrement comme nous
allons le voir de la sociologie du travail et de la sociologie juridique dont
les barrières avec le droit sont moins précises, les empiètements mala-
droits plus nombreux (ne serait-ce qu'au niveau du vocabulaire) et les
oppositions entre chercheurs trop fréquentes.
1. M. Maffesoli (1985), p. 5.
2. M. Maffesoli (1988), p. 182.
3. Je tiens à remercier particulièrement Sabine Erbès-Seguin (sociologie du travail), Pierrette
Rongère (droit social) et Évelyne Serverin (sociologie du droit) pour l'aide qu'elles m'ont apportée,
en références, informations et réflexions.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 159

167 a) La sociologie du travail ◊ La notion de travail a toujours été en


Occident au centre des réflexions sur la société et même sur le destin de
l'homme. Dans la Bible, sanction de la désobéissance de l'homme à Dieu,
le travail devient ensuite élément de sa dignité.
Le xof découvre le travailleur soit pour l'exalter comme producteur
(Comte [1766-1825], Enfantin [1796-1864], Fourier [1772-1837],
Proudhon [1809-1865]), soit pour s'intéresser à son mode de vie et à ses
conditions de travail (Villermé [1782-1869], Le Play [1806-1882]).
Dépendant directement des progrès techniques, on peut dire que
chaque étape (machine à vapeur, électricité, information) amène une
transformation dans l'exécution du travail, une modification de son
image, de sa signification et des revendications qu'il suscite. Historique-
ment la sociologie du travail est née, comme une grande part de la socio-
logie, à la fois d'un intérêt humanitaire et d'un idéal de justice. Pour que
se crée une véritable sociologie du travail, il était nécessaire qu'apparaisse
un désir de recherche scientifique objective, une volonté non seulement
de décrire pour émouvoir, mais d'observer pour comprendre. Au motif
classique d'intérêt humanitaire, s'est ajouté un facteur de développement
spécifique: la découverte du travailleur en tant qu'être humain dont le
rendement est susceptible de modifications, en fonction de nombreuses
variables.
L'intérêt suscité par ce qui touche au travail impliquait que soient protégées les
conditions de son exercice. Quel pouvait être le principe de légitimité justifiant
une réglementation ? Pour des juristes individualistes, le lien unissant patron et
salarié ne pouvait avoir pour origine que la volonté des contractants matérialisée
dans la signature d'un contrat.
Ainsi intégré dans le droit civil, plus ou moins assimilé au louage de choses ou
de services (le travailleur offre sa force de travail contre un salaire) le contrat de
travail apparut vite mal à l'aise dans cet habit de confection et trop de questions
demeuraient sans réponse.
Le travail relève-t-il de la personne ou n'est-il qu'une chose à vendre ? Surtout,
obstacle majeur, comment concilier l'égalité des contractants, principe essentiel
du contrat et la subordination du travailleur à l'employeur, pour l'instant encore
nécessaire et certainement plus réelle que leur égalité.
A la jonction de la personne et de la chose, de la servitude et de la liberté, le
travail se trouve de plus au point de rencontre de l'individu et du groupe. La Révo-
lution voulant détruire les corporations, soupçonnées de nuire au développement
économique, a donc imposé au principe des rapports de travail, la notion indivi-
dualiste de contrat Lespays germaniques, marqués par une autre tradition, après
avoir sévèrement critiqué le système français ont sous l'influence du juriste Von
Gierke et après quelques tâtonnements, retenu comme fondement de la notion
de travail, celle de communauté 1.Le travailleur occupe une place dans la hiérar-
chie et à l'intérieur de celle-ci obtient un statut.
Les deux orientations : française et germanique, influenceront plus ou moins
les divers pays d'Europe et le droit communautaire. Critiquée meme en France
(cf. G. Scelle) la notion de contrat 2 va tout de même l'emporter, mais avec des
emprunts à la théorie allemande. C'est ainsi que P. Durand dans son traité de
1. « La source essentielle de tout droit est toujours la conscience commune», von Gierke.
2. Pour des réflexions juridiques sur l'avenir du contrat A. Jearnmaud (1988).
160 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Droit du travail (1962) remplace les termes de statut et de communauté par la


notion bien française d'institution, complét.ant celle int.angible de contrat.
Moins exigeant et plus pragmatique, le Traité de Rome emploiera les termes
indispensables au domaine du travail : contrat, travailleur salarié, etc. sans
prendre le risque de les définir.
A ses débuts, la sociologie industrielle s'est peu souciée des définitions juri-
diques. Les problèmes que posait le domaine bien circonscrit de l'entreprise suffi-
saient à la mobiliser. L'étape suivante sera celle de la découverte du travailleur.
16 7 -1 De la sociologie de l'entreprise à la sociologie du travailleur o Une
expérience import.ante se situe en 1893, lorsqu'en Grande-Bretagne Sir W. Mat-
ter s'aperçut qu'en réduisant les heures de travail de 54 à 48 heures, la production
augmentait. Pendant la Première Guerre mondiale, on constatait que les acci-
dents diminuaient de moitié en ~assant de 15 à 10 heures de travail. En fonction
de ces éléments objectifs, on decouvrait, recouvrant une série de, phénomènes
psychophysiologiques, une notion complexe: la fatigue. C'est aux Etats-Unis que
va naître puis se développer la sociologie du travail. Après des enquêtes dans les
usines, les aciéries, les grands magasins (Pittsburg Survey 1907) plus sociales et
politiques que sociologiques, la recherche menée par Bton Mayo à Hawthorne,
dans une usine de la Western Electric Company, pendant la période 1924-1932
est considérée comme le point de départ d'une véritable sociologie du travail, tant
en ce qui concerne l'objectif poursuivi que du point de vue qui nous intéresse :
celui de la méthode. Il s'agissait de mesurer l'influence, sur la productivité des
ouvrières, de différents facteurs que l'on faisait varier: éclairage, rythme, envi-
ronnement. C'est alors la découverte de facteurs psychologiques. En effet, il est
apparu que l'intérêt des ouvrières pour l'expérience, la solidarité dans le groupe de
travail, les rapports avecla hiérarchie ont des incidences beaucoup plus sérieuses
sur le rendement que l'éclairage ou les temps de repos.
Les méthodes employées sont à la fois quantitatives: mesure des performances
suivant la modification des variables et qualitatives: entretiens pour connaître
l'état d'esprit des travailleurs, leurs réactions. Il s'agit à la fois d'une analyse indi-
viduelle: l'ouvrier à son poste de travail, mais aussi collective, il n'est pas isolé
mais appartient à une équipe, il fait partie d'une entreprise. Cette double apparte-
nance implique d'une part que le travailleur subit les contraintes d'une organisa-
tion technique,celle qui répond aux besoins technico-économiques de l'entreprise
(situation sur le marché, degré de technicité) et d'une organisation sodale(les rap-
ports avec les autres ouvriers). Pour Elton Mayo, chaque atelier, chaque usine
représente un « système » dont les éléments sont interdépendants, mais égale-
ment en relation avec l'ensemble dont ils dépendent. Mayo ne porte pas le même
intérêt aux deux systèmes.
C'est l'époque où les Américains s'intéressent à l'atelier, au rôle du contre-
maître et à sa formation (cf. n 06 903 et s.). En limit.ant l'étude du travail à celle du
petit groupe, Mayo commettait une erreur qui devait orienter pour longtemps la
recherche. Surtout, Mayo juge les progrès techniques responsables de l'insatis-
faction ouvrière, mais les considère comme une donnée intangible, alors que
d'après lui, le système social est susceptible de changement, d'où la nécessité de
trouver les moyens de l'améliorer, de l'adapter au système technique.
L'ère des experts et des consultants était née. Mais ces consult.ants vont pour
longtemps 1 rester prisonniers du dogme de Mayo. D'une part, convaincus de
l'autonomie de l'organisation, ils envisagent seulement un problème <l'adapta-

1. En partie encore aujourd'hui.


LA SOCIOLOGIE MODERNE 161

tion des travailleurs au système. D'autre part, souvent plus psychosociologues que
sociologues, obnubilés par « le moral » de l'atelier, supposé facteur de producti-
vité, ils coupent l'entreprise de son environnement, se montrant sur ce point plus
restrictifs ~ue le modèle de Hawthorne qui tenait tout de même compte d'élé-
ments exterieurs : l'entreprise, la famille, etc. 1.Ce qui faisait dire à A. R. Willemer
(1965) « même lorsque les sociologues organisationnels reconnaissent que tous
les problèmes ne trouvent pas leur origine dans l'entreprise, tous les problèmes
doivent y trouver en tous cas une solution » 2 •
Les recherches s'étant multipliées dans l'industrie, il était normal qu'elles
soient regroupées sous le titre de « sociologie industrielle ». Mais la sociologie
industrielle ne représente qu'un secteur, à côté de la sociologie de l'agriculture ou
de l'administration. la sociologie du travail sera considérée dans un sens large
comme« l'étude sous leurs divers aspects, de toutes les collectivités humaines, qui
se constituent à l'occasion des activités de travail 3 ». Toute collectivité de travail,
présentant un minimum de stabilité (une certaine structure et une organisation),
relève de la sociologie du travail, qu'il s'agisse d'un grand magasin, d'un service
hospitalier, d'un atelier, d'un bateau de pêche ou d'une exploitation agricole.
L'un des critiques les plus convaincants de Mayo fut G. Friedman. Il
lui reproche de réduire l'univers des travailleurs à leur lieu de travail et
surtout de chercher à résoudre les problèmes de l'entreprise du seul point
de vue des patrons qui souhaitent couper l'ouvrier des influences exté-
rieures. Or une des difficultés de la sociologie du travail tient à ce que
l'ouvrier est à la fois soumis aux contraintes rencontrées à l'intérieur de
l'entreprise et à celles provenant de l'extérieur (familiales, politiques,
économiques) moins apparentes et mesurables que les variables phy-
siques qui influencent la productivité.
Les titres des ouvrages de Friedman posaient les bonnes questions : Où
va le travail humain (1950) ? se préoccupaient des vrais problèmes: Le
travailen miettes (1956). Friedman n'a pas complété le travail de Mayo
en fonction des critiques qu'il lui adressait. Il a voulu situer le travailleur
dans la société à son époque et suscité avec le Traitédesociologie du travail
publié sous sa direction un intérêt grandissant pour la sociologie du tra-
vail. Elle se développe alors rapidement en France avec les premières
recherches sur le terrain (cf. Dofny 1955, Touraine 1957). A côté des tra-
vaux classiques de psychophysiologie, se multiplient les monographies
professionnelles et des enquêtes sur des secteurs variés : sécurité sociale,
chèques postaux, tabacs 4. Parallèlement à ces travaux sur le travail lui-
même, se poursuivent des recherches sur les groupes et les problèmes de
formation.
Enfin, pour achever d'élargir le point de vue de Mayo, après avoir réin-
troduit les problèmes personnels du travailleur dans l'explication de son
attitude, les sociologues vont démontrer que l'organisation du travail
peut s'améliorer avec l'enrtchissement des tâches, et une certaine liberté
laissée aux ouvriers dans leur façon de travailler.
1. Les successeurs de Maye se montrent sur ce point plus restrictifs encore (cf. P. Desmarei,
1986, 81).
2. P. Tripier, in Durand, 1969, p. 359.
3. G. Friedman (1962), p. 26.
4. M. Crozier (1956, 1971).
162 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Tout en reconnaissant que les différents éléments qui constituent « la


situation de travail» 1 : niveau et forme des salaires, méthodes d'organi-
sation et de gestion de l'entreprise, influencent l'attitude des ouvriers,
Touraine (cf. n° 165 ter et 890 bis), estime que celle-ci dépend également
« des caractères de la société considérée dans son ensemble et de la place
qu'occupe la classe ouvrière ». L'idée que s'en fait celle-ci est à l'origine de
ce que l'on appelle la « conscience ouvrière ». Le lien entre l'entreprise et
la société est ainsi reconnu, mais ce lien est indirect car il s'agit de la
façon dont le travailleur interprète la situation et non de la situation
objectivement considérée. On passe de la sociologie de l'entreprise à la
sociologie du travailleur et avec S. Erbès Seguin à une sociologie du travail
élargie et plus rigoureuse. Dans un excellent article (199 D) axé sur des
exigences théoriques, elle évoque et met en cause la « centralité » de la
catégorie travail. Elle reproche aux recherches dans ce domaine d'avoir
été trop exclusivement intéressées par « la relation entre l'individu et la
machine [ ...] ou enfermées dans l'entreprise « alors que comme toute
relation sociale, le travail ne peut y être totalement contenu ». Les socio-
logues commencent depuis peu à analyser l'entreprise comme le lieu
d'un lien social composite. Comme A. Touraine, S. Erbès-Seguin souhaite
que la sociologie de l'entreprise comble « " ce vide théorique " entre la
sociologie de l'atelier et celle de la société, et rende compte de l'articula-
tion des phénomènes économiques et sociaux liés au travail et à la pro-
duction».
De leur côté une équipe de sociologues à Cambridge tente également
de saisir ce lien. Tandis qu'aux États-Unis, E. C. Hugues 2, 3 développait
des recherches plus proches de la psychologie sociale et s'intéressait non
seulement à la situation professionnelle des travailleurs en tant que telle,
mais comme l'équipe de Cambridge à leur trajectoire antérieure. D'où
l'importance accordée aux biographies, à l'étude d'autres lieux où la
situation de travail est moins codifiée qu'à l'usine et où l'itinéraire des
individus, leur expérience a peut-être plus d'importance que l'atelier. Ce
point de vue relativise la notion de rigidité du système admise depuis l'en-
quête Hawthorne.
Prolongeant le point de vue de Touraine pour lequel c'est la façon de
ressentir la situation qui structure les réactions de l'ouvrier, les socio-
logues de l'écolede Chicagoconsidèrent les réactions du travailleur comme
le résultat de toute sa vie passée. C'est cette trajectoire qui expliquerait ses
attitudes vis-à-vis de l'entreprise et de son travail.
167-2 Méthode et orientation de la sociologie du travail ◊ « Plutôt que
d'une sociologie du travail écrit R. Naville, l'aspect méthodologique nous
invite à parler de " travail étudié par la sociologie " ». Il insiste sur le fait
qu'il s'agit de « combinaisons de méthodes particulières plutôt que de
1. A. Touraine et B. Mottez (1962), t. II, 235.
2. J.H. Goldthorpe et al. (1969).
3. ll semblerait que l'itinéraire familial et professionnel antérieur à la situation de travail consi-
dérée, joue un rôle plus important que les éléments de cette situation.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 163

méthodes spécifiques » 1 . Aspects biologiques et physiologiques : étude de


la fatigue, du rendement; aspects psychologiques : moral, attitudes, rap-
ports entre personnes ; aspects économiques, juridiques, sociaux.
Il nous semble suffisant de dire que la sociologie du travail utilise
comme les autres branches de ce domaine la méthode sociologique mais
avec deux particularités. La sociologie du travail, peut être plus que
d'autres, doit éviter la tentation du mesurable, accessible et rassurant:
production, durée du travail, absentéisme, etc., études indispensables à
condition de ne pas se limiter à des données, mais souvent les remettre
en cause. Comme dans toute la sociologie (cf. Bourdieu), le chercheur
doit découvrir ce que recouvrent les catégories dont il mesure ou mani-
pule les pourcentages. Il ne s'agit pas seulement de déjouer les pièges des
statistiques (cf. n°s 560 et s.) mais de vérifier la validité des catégories sur-
tout les plus évidentes.
La comparaison entre ouvriers et ouvrières offre un exemple frappant
de la nécessité de chercher au-delà des groupes, des réalités moins appa-
rentes que le sexe mais plus actives. En effet, hommes et femmes ont des
façons différentes de concevoir le travail. Des éléments extérieurs au sexe
mais qui lui sont encore aujourd'hui attachés, interviennent: attitude
face à l'autorité, à la liberté, conception du rôle de la femme, de la
famille, etc. Il existe dans le domaine du travail, des objets ebranlés par la
crise, mais encore de nombreux« objets construits» qu'il s'agit d'analy-
ser et parfois de reconstruire autrement C'est le cas du travail des
hommes et de celui des femmes, notions complexes trop longtemps sim-
plifiées. C'est cet esprit d'analyse, nécessitant de nombreuses « mises à
plat», qui doit inspirer aujourd'hui la méthode en sociologie du travail.
La seconde particularité, plus caractéristique encore des recherches sur
le travail, c'est la difficile mais nécessaire interdisciplinarité. Le travail a
toujours été lié à la technologie, celle-ci étudie l'instrument et la manière
de s'en servir. Depuis les découvertes de la roue, du moulin à eau en pas-
sant par la vapeur jusqu'à la robotique, elle influence le rythme de pro-
duction, la répartition des catégories professionnelles, les rapports de tra-
vail, etc. La sociologie du travail doit tenir compte de la démographiedans
la mesure où celle-ci modifie les structures de l'emploi, la composition de
la population (âge, sexe), les phénomènes migratoires et regroupe un
ensemble de facteurs exerçant une influence sur les problèmes du travail.
Par exemple: l'âge moyen de la population ouvrière masculine s'est élevé
de 27 ans en 1861 à 58 ans en 1954 et 42 ans en 1975.
L'ethnologieà son tour ajoute aux problèmes classiques d'observation
des sociétés traditionnelles tout ce que suscite l'industrialisation des pays
du tiers monde et les difficultés de l'acculturation soulevées par l'immi-
gration et les différentes conceptions du travail suivant les cultures.
La géographie,dans la mesure où elle est liée à l'espace, devient égale-
ment avec la reconversion industrielle et la régionalisation, un facteur
important pour résoudre les problèmes de main-d'œuvre.
Enfin l'histoire,malgré son intérêt pour comprendre le présent, est tout
de même reléguée au second plan par l'urgence de l'actualité.
1. Traité de sociologie du travail (1986).
164 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Ces liens ont certes évolué mais toujours existé. En revanche, il existe
deux autres domaines sur lesquels il convient d'insister. Il s'agit du droit
et de l'économie politique dont les rapports avec la sociologie du travail se
trouvent directement perturbés par la crise. Rapprochés par les problèmes
du chômage et de l'emploi qui les obligent à s'unir, ils sont en même
temps opposés par les différences de points de vue, de formation, d'habi-
tudes et d'ambitions académiques.
L'absence de frontières nettes, la complexité des facteurs rendent diffi-
cile la saisie de données sûres, indispensables. Les effets imprévisibles ou
pervers des politiques, les échecs face à une situation si angoissante
rendent nécessaires que chacun contribue avec ses moyens propres au
diagnostic de la situation.
168 La sociologie du travail face au droit, à l'économie et à la
crise ◊ Le rôle de la sociologie, comme l'écrit J.Rancière, consiste à
« dénoncer l'écart entre les mots et les choses». On peut alors affirmer
que son premier objectif sera l'analyse et la signification des termes.
Parmi ceux-ci les plus intéressants et instructifs sont le travail et l'emploi.
L'utilisation de ces concepts a jusqu'à présent plutôt stabilisé les fron-
tières entre les disciplines. Le contrat de travail laissé à la compétence des
juristes, les économistes s'attribuant la production, les salaires, la gestion
et les aspects financiers de l'entreprise, enfin les sociologues intéressés par
ce qui concerne les travailleurs, le contenu de la notion de travail où ils
rejoignent souvent les économistes. Les problèmes posés par la différen-
ciation entre catégories d'emploi ont fait apparaître la fragilité de cette
séparation et l'analyse de la réalité, que les mots ne correspondent plus
aux choses.
Le travail évoque l'activité salariale alors qu'il en existe d'autres formes
comme le travail indépendant, mais c'est l'emploi qui fixe le statut, élé-
ment essentiel de la position sociale.
L'étude de ces deux notions oblige aujourd'hui à engager des
recherches interdisciplinaires où interviennent, suivant les cas, dans des
proportions différentes, le droit, l'économie et la sociologie.
On a vu que le droit assurait par le contrat, la légitimité et l'encadre-
ment plus ou moins lâche des relations entre patrons et salariés. Pendant
la période de plein emploi qui dura environ jusqu'en 1970, la souplesse
du contrat de travail suffisait à répondre aux exigences de flexibilité de
l'époque, aussi observe-t-on peu d'interventions du législateur.
Pendant la période tayloriste de l'après-guerre et celle du plein emploi,
on recherche surtout la stabilité des relations collectives. Les employeurs
veulent fixer la main-d'œuvre qualifiée, d'où la nécessité de définir les
qualifications et conditions de travail tandis que la croissance exige une
participation accrue des travailleurs à la prospérité. Aussi les revendica-
tions portent-elles avant tout sur les hausses de salaires et la mise en
place d'une réglementation légale se bornant à garantir leur protection
juridique et sociale.
La crise et le chômage vont entraîner une modification essentielle :
l'accession à l'emploi devient la priorité et passe avant la hausse des
salaires.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 165

Pour tenter de répondre aux exigences de la situation, l'État multiplie


ses interventions. Le contrat de travail se diversifie, organise un classe-
ment et multiplie les exceptions. Le règne du contrat à durée indétermi-
née jusqu'alors le plus courant, ne suffit plus à couvrir toutes les formes
d'activité 1.La nécessité d'assurer une couverture sociale à des travailleurs
engagés dans des formes d'activité très différentes (spectacle, même le
travail semi indépendant de certains avocats), servira de critère à la qua-
lité de salarié. Sous la forme de contrats considérés comme« atypiques»
apparaissent des exceptions légales : travail à temps partiel, contrat à
durée déterminée, etc.
La véritable nouveauté apparaît avec le travail intérimaire dans lequel
un intermédiaire, loueur de main-d'œuvre, se substitue à l'employeur
supprimant le lien entre les deux contractants du contrat classique.
Mais la sociologiedu travail pour mener à bien ses recherches, a besoin
de temps et cette fois va se heurter aux brusques modifications des orien-
tations et choix politiques. La loi Madelin (1994) à l'encontre de la ten-
dance précédente propose une définition restrictive du salariat. Elle réduit
ainsi le nombre des travailleurs protégés et favorise les entreprises. En
entérinant la pratique d'extériorisation de la main-d'œuvre, elle permet
d'éviter les contraintes du Code du travail 2 mais en même temps, d'après
ses défenseurs, la loi Madelin favorise les travailleurs indépendants.
Un exemple de la relation entre ordre juridique et ordre économique
est fourni par le licenciement dont les modalités montrent comment des
problèmes économiques et sociaux suscitent des solutions juridiques et
pèsent sur les classements et mises en ordre des situations où la sociolo-
gie est également impliquée.
Dans la loi, les termes de licenciement pour motif économique
montrent bien que l'on sort d'une« logique contractuelle purement juri-
dique» (Erbès Seguin). L'important mouvement législatif qui tentera de
régulariser l'accroissement et les procédures des licenciements est la
preuve de l'influence et dans ce cas même de la suprématie de l'écono-
mique et du social sur le juridique.
L'ordre juridique pose certes des problèmes. Son adaptation, ses résis-
tances et ses avancées relèvent de la puissance publique et sont l'objet
d'enjeux politiques, mais la loi est la loi, quelles que soient les stratégies
mises en jeu pour la contourner et les effets pervers qui l'obligent à modi-
fier les mesures prises, ses frontières demeurent claires. Il en va autre-
ment des rapports entre sociologie et économie. Installées sur le même
terrain, analysant les mêmes faits sociaux mais d'un point de vue dif-
férent, elles ne possèdent que le pouvoir et l'influence qu'elles s'octroient
elles-mêmes ou qu'une opinion changeante leur reconnaît.
1. Alors qu'en 1982, 70 % des jeunes hommes (21-25 ans) et 60 % des jeunes femmes
occupaient un emploi à plein temps à durée indéterminée, ces pourcentages n'étaient plus que de 53
et 48 % en 1990 (cf. Heller 1990).
2. Les effets de cette politique libérale intéressent non seulement la sociologie du travail mais
aussi la science politique, tandis que les juristes vont se livrer à des interprétations du texte lui-même.
Cf. Thérèse Aubert-Monpeyssen (1995).
166 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

La sociologiedu travail ne cherche pas plus à se substituer à l'économie


qu'au droit, mais de même qu'elle fournit au droit certaines données
sociales, elle doit par ses analyses plus fines permettre à l'économie une
meilleure compréhension des faits sociaux.
On commence à découvrir les incertitudes de la notion d'activité et le
flou de celle de population active, jusque-là, appréhendées par les seuls
critères économiques. Par exemple : la stabilité du taux des actifs de la
population totale ne provient pas de facteurs économiques, mais du fait
que l'allongement de la scolarité des jeunes est compensé par l'aug-
mentation du travail des femmes. Le modèle de plein emploi a camouflé
les facteurs de différenciation entre travail et emploi, aujourd'hui écarte-
lés par la crise entre significations périmées, simplistes ou floues.
La théorie et la mesure du chômage, apanage des économistes situent
trop souvent la réflexion au niveau macro-économique, mais une
approche globale du marché ne tient pas compte des « marchés locaux »
fonctionnant suivant leurs propres règles de façon certes limitée mais
représentant tout de même la majorité.
Enfin, l'affirmation des économistes suivant laquelle le travail à temps
partiel occupe surtout des femmes ne distingue pas entre temps partiel
choisi pour une période limitée (maternité, accident) par des femmes
susceptibles ou non (autre mesure intéressante) de retrouver un travail à
temps plein et marché de l'emploi basé sur le recrutement à temps partiel
(offre choisie par les employeurs).
L'interdisciplinarité implique l'égalité dans la coopération ou plus
exactement la part plus ou moins importante de l'une ou l'autre disci-
pline suivant le cas. La tendance hégémonique bien connue de l' écono-
mie due à la sophistication de son appareillage économétrique fait
craindre aux sociologues de devoir se limiter à <( apporter un supplément
d'âme social ».
La crise a-t-elle incité les économistes à plus de modestie? En tous cas,
certains d'entre eux, face à l'évolution structurelle en cours, se rendent
compte que les outils conceptuels doivent eux aussi évoluer 1. Les socio-
logues semblent mieux placés pour ce travail et leurs méthodes plus à
même de redéfinir les positions de ce qui concerne le travail et l'emploi.
La durée de la crise, son étendue, la multiplicité des remèdes proposés
ou essayés sans résultat, toutes les analyses sérieuses font penser que l'on
se trouve devant une véritable mutation nécessitant adaptation, création
et invention. Il s'agit bien cette fois de « changer la vie » en changeant le
travail qui en est le centre 2 •
Un rapport d'une commission du plan sur l'évolution du travail 3
constate« qu'une certaine forme de plein emploi a vécu et que l'irréver-
sible mutation du travail bouleverse le pacte social et la vie des Français».
1. R. Salais et Thévenot eds. La notion de convention proposée (cf. n° 222-1) conserve la notion
de volonté du contrat mais y ajoute son aspect extérieur collectif et institutionnel.
2. A noter le trouble des patrons apprenant qu'il existait des sociétés où la notion de travail
n'existait pas (Marie-Noëlle Chamour, cf. Le Monde 19/Vll/95). L'anthropologie aussi intéresse la
sociologiedu travail (1994).
3. (1995) Le travail dans vingt ans, éd. O. Jacob, 373 p.
LA SOCIOLOGIEMODERNE 167

Il présente comme les attentes auxquelles on devra répondre : une


demande d'identité sociale, une demande « très affirmée de temps» et
une « grande attente vis-à-vis de la formation». L'identité sociale ne
relève pas de l'économie ; la réponse à la question : le temps pour faire
quoi ? non plus, ni le choix de la formation. Sans doute les scénarios pro-
posés sont-ils plus ou moins novateurs mais on peut retenir qu'il faut
« rebâtir à neuf le cadre institutionnel et légal du travail (baisse du temps
de travail, transformation du contrat de travail en « contrat d'activité»
plus souple et diversifié). Il faut surtout retenir cette exhortation de
G. Boissonnat dans sa préface:« Puisque le chômage est de nos jours lar-
gement structurel, changeons les structures ! »
169 b) La sociologie du droit ◊ Si la sociologie s'est souvent opposée à
l'histoire, il s'agissait surtout d'une lutte entre deux disciplines sœurs,
dont l'une pour conquérir son autonomie insistait sur ce qui la distin-
guait ( faits totaux au lieu de singuliers, synchroniques et non diachro-
niques). En revanche, entre le droit et la sociologie on ne constate pas de
discussion, mais une séparation, d'autant plus surprenante que parmi les
grands ancêtres de la sociologie, un certain nombre avaient reçu une for-
mation juridique : Marx, Weber, pour ne citer que les plus célèbres. Le
droit est un phénomène social, comment expliquer que la sociologie se
soit développée en dehors de lui ?
Plusieurs raisons peuvent être avancées. D'abord le fait même que les
juristes cités aient émigré vers la sociologie, prouve qu'ils cherchaient un
type de réflexion que le cadre juridique ne leur permettait pas. Qu'il
s'agisse des théoriciens du droit naturel acceptant un principe normatif
transcendant, ou de l'école positiviste ou normativiste (Kelsen), les seules
questions posées le sont aux règles de droit elles-mêmes, à leur logique
propre, non à leur origine extérieure, aux facteurs sociaux qui les condi-
tionnent, à leur signification objective ou subjective (pour ceux qui les
vivent, s'y soumettent ou les contestent). La sociologie juridique est née,
grâce à l'effort de juristes qui avaient acquis ou essayaient d'acquérir une
double formation. Il n'y a pas d'exemples de sociologues se convertissant
tardivement au droit
La pluridisciplinarité exige des notions communes 1 . Lesprogrès de la sociolo-
gie du droit seraient plus rapides si la jeune génération de juristes recevait aussi
une formation sociologique. Malheureusement une fausse conception de l'en-
seignement supérieur et de la professionnalisation n'engage pas l'Université dans
cette voie.
Tout comme la sociologie générale, la sociologie du droit apparaît divi-
sée2. Mais alors que les sociologues «généralistes», parce qu'ils appar-
tiennent à un même champ culturel, peuvent mettre en relation les

1. La difficulté de communication entre juristes et sociologues a été signalée, cf. M. Grawitz


(1960).
2. Sur l'analyse des relations entre juristes et sociologues sur la question de la place de la sociolo-
gie du droit, v. E. Serverin (1985).
168 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

diverses orientations de leur discipline 1, ceux qui se réclament de la


sociologie du droit le font à partir d'horizons, de formation et de compé-
tence trop hétérogènes pour permettre une utile mise en perspective de
leurs objectifs et méthodes. On ne peut aujourd'hui comprendre l'état de
la sociologie du droit sans prendre en considération la césure majeure qui
sépare la sociologiedu droit des sodologues,de la sociologiedu droit des
juristes.Cette opposition a été vue très tôt par G. Gurvitch, qui ne tenait
pas en grande estime les travaux sociologiques des juristes, considérés
comme trop positivistes2 . Mais cette rupture est également attestée par
l'absence de réciprocité dans les citations des travaux provenant de l'une
ou l'autre des disciplines: Durkheim est cité par Duguit, sans jamais le
citer lui-même. Aujourd'hui encore, les manuels de sociologie générale
ignorent les noms et travaux des juristes sociologues du droit Cette situa-
tion est le produit d'une histoiremarquée de défiance réciproque entre les
deux groupes professionnels : dans une première phase, juristes et socio-
logues se sont disputés. La détermination de la place du droit au sein des
sciences sociales a opposé dès le départ juristes et sociologues, puis les
juristes ont « extériorisé » la sociologie du droit en réduisant son rôle à
celui de simple science auxiliaire du droit.
A la fin du siècle dernier, les juristes ont d'abord voulu s'opposer à la
prétention de la sociologie naissante à connaître et à commenter le droit
dans ses rapports avec la société. L'enseignement juridique universitaire a
très tôt considéré que le droit lui-mêmeconstituaitune sciencesociale.Avec
l'introduction du droit public en 1889, le droit se rapproche des sciences
humaines. Duguit, en 1889, proposait même que les facultés de droit
soient nommées Facultés de sciences sociales, et déplorait que le cours de
sociologie de Durkheim ne soit pas rattaché à la faculté de droit 3. Cepen-
dant, avec la création del'« Année sociologique» en 1896, le dialogue est
encore ouvert : cette revue consacrait près de 20 % de ses comptes rendus
à des ouvrages purement juridiques 4. Mais si les juristes de droit public
(Duguit, Hauriou), se montraient sensibles aux objectifs et aux méthodes
de la sociologie (ils assistaient aux cours de Durkheim à la faculté de
droit de Bordeaux), il n'en allait pas de même pour les juristes de droit
privé. Pour ces derniers, la compre'hension des rapports droit/ société
devait naître de l'étude même du droit, et plus précisément de la juris-
prudence. A la sociologie était abandonné l' « extérieur» du droit, selon
une démarche qui tendait à séparer l'étude du droit positif de celle des
phénomènes juridiques.
La rupture entre juristes et sociologues s'est effectuée sur fonds d'un
mépris professé par les juristes envers les méthodes de la sociologie. L'en-
1. A. Touraine propose ainsi un schéma de relations entre les quatre grandes écoles de la sociolo-
gie, autour des thèmes dominants de chacune d'entre elles (intégration, conflit, système, action), ce
qui permet de situer les oppositions, sans en abolir la diversité. A Touraine (1986).
2. G. Gurvitch (1968) opposait les juristes dits «sociologues» (Hauriou, Levy, Levy-Brühl, et
J. Carbonnier), aux véritables sociologues (Durkheim, Weber, Ehrlich, ou lui-même, 1968). Il
récusait la prétention des juristes à faire o:uvre scientifique alors que leur démarche était purement
positiviste.
3. L. Duguit (1889).
4. P. Lascoumes (1991).
LA SOCIOLOGIE MODERNE 169

jeu était la détermination de la méthode à suivre dans la recherche de la


naturedeschoses,définie comme « les multiples éléments de la vie sociale
dont la combinaison et le jeu engendrent les conflits juridiques ». Gény
(1932) donnait le ton dans ses Méthodesd'interprétation:le juriste doit
écarter la sociologie comme méthode de recherche de la nature des
choses en raison« de l'état d'indétermination, et presque d'amorphisme,
auquel la condamnent encore, non moins que sa jeunesse, la complexité
un peu confuse de son objet». Brethe de la Gressaye (1952) posait de
même que la sociologie ne pouvait être d'aucun secours pour la connais-
sance du droit, en raison de l'« incertitude de ses méthodes», mais
qu'elle pouvait être utile pour l'étude des phénomènes juridiques considé-
rés d'un point de vue externe.Du côté de la théorie du droit, H. Kelsen
( 19 53) déniait aux sociologues le droit de rendre compte des lois d' évolu-
tion du droit, parce qu'ils « ne disposent pas des instruments de travail
nécessaires ». Cette idée d'une sociologie du droit« technique auxiliaire »
voire « ancillaire» du droit sera reprise par ce même auteur et par Jean
Carbonnier dans un colloque sur la sociologie du droit en 1956: la socio-
logie du droit doit servir au juriste, lui être utile dans sa tâche d' élabora-
tion et d'application de la règle de droit. C'est essentiellement à la péri-
phérie de l'art législatif que les juristes accordent quelque valeur à la
sociologie du droit : le rôle du sociologue, selon J. Carbonnier, est de tra-
vailler « non pas à extraire une norme en suspension dans le milieu
social, mais à faire que la norme, d'où qu'elle vienne, ne soit pas dans un
milieu social comme dans un corps étranger» : en bref, le sociologue doit
contribuer à adapter la règle à la société, et non pas à prétendre l'y décou-
vrir. Cette vision de la sociologie du droit trouve son achèvement dans la
Sodologiejuridiquede J. Carbonnier (3e éd. 1994). La marginalisation de
la sociologiey est justifiée à nouveau par l'indétermination des méthodes.
Surtout, J. Carbonnier réaffirme la définitive extérioritédu regard sociolo-
gique sur le droit, condamné à ne voir du droit que l'apparence, tandis que
le juriste seul accéderait à une connaissance authentique du droit.
Cette opposition entre les regards externeet internesur le droit, même
dans sa version « modérée », structure aujourd'hui le champ de la socio-
logie du droit pour les juristes. Elle contribue à un développement séparé
des travaux et réflexions menés au sein de chacune des disciplines de rat-
tachement.
La difficulté pour trouver une unité à la sociologie du droit est accrue
par le fait que toute théorie du social doit rendre compte de la part du
droit dans la régulation, et en ce sens on peut dire que le droit est partout
présent en sociologie. On peut cependant tenter de regrouper les dif-
férentes démarches, de juristes ou de sociologues, en fonction de la part
faite au droit dans l'explication et la description des faits sociaux.
- Trois perspectives peuvent être dégagées parmi les sociologies du
droit qui ont cours en France : une perspective institutionnelle,inaugurée
et représentée par E. Durkheim, qui prend pour objet les produits sociaux
consolidés dans des règles étatiques, sur fond d'une méthode compara-
tiste généralisée ; une perspective pluraliste,qui considère plusieurs fqyers
de règles et de régulation, à côté, voire en opposition au droit de l'Etat;
170 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

une approche compréhensive, dans la lignée des travaux de M. Weber, qui


saisit le droit en tant qu'il est visé dans les actions humaines, ce qui
conduit à son éclatement en fonction de l'usage qu'en font les acteurs
sociaux.
1° Une sociologieinstitutionnelledu droit.
Les articles d'E. Durkheim sur le droit ont été nombreux dans l'Année
sociologique,et ont couvert les questions de droit les plus variées, dans
divers pays ( droit pénal, droit romain, propriété foncière, droit inter -
national privé, droit naturel) et surtout, droit de la fa.mille. Ces études
sont menées dans une perspective institutionnelle, clairement exprimée
dans les leçons inaugurales à la Faculté des lettres de Bordeaux (1888).
Considérant les groupes sociaux comme des organismes vivants, qui
naissent, évoluent et meurent, Durkheim donne à la sociologie mission
de constituer les principaux types familiaux, les décrire, les ranger en
genres et en espèces, chercher enfin autant que possible les causes qui ont
déterminé leur apparition et surtout leur survie. Ces constantes sont à
rechercher non par l'observation des pratiques, ni la collecte des récits et
des descriptions à la manière des ethnologues, mais dans le droit lui-
même : « le droit présente à un plus haut degré ce caractère objectif qui
est le signe distinctif de la coutume ; mais comme il a une forme plus
nettement arrêtée, il constitue le document le plus précieux». A l'inverse
du mouvement actuel qui veut soumettre la sociologie au droit, Durk-
heim estime que ces connaissances en sociologie sont indispensables aux
juristes placés en situation d'application du droit: il leur est indispen-
sable de connaître la situation actuelle de la famille, quels changements
s'y sont produits, quels autres s'y préparent.
Cette démarche a été suivie par les élèves de Durkheim dans différents
domaines du droit: la responsabilité, par P. Fauconnet (1928), le don et
l'échange par M. Mauss (1923), le contrat par G. Davy (1922). Mais
Durkheim rattachait également à la sociologie des travaux de juristes
comme celui d'E. Lambert sur La fonction du droit civil comparé(1903),
qui mettait en évidence le rôle créateur de la coutume par le juge.
La démarche de Durkheim l'amène donc à prendre en considération
les règles des sociétés d'un point de vue comparatiste et évolutionniste,
traitant le droit comme un pur reflet de l'organisation sociale sans auto-
nomie ni rupture avec la vie sociale. Il n'y a pas de place dans cette pers-
pective pour l'idée d'un «écart» entre le droit et la société, ou entre le
droit et la pratique, notion qui est au contraire centrale dans la sociologie
d'inspiration pluraliste.
2° Des sociologies pluralistesdu droit.
Le pluralisme juridique est sans doute aujourd'hui la tendance la plus
forte de la sociologiejuridique, surtout dans la variante développée par les
juristes. On peut en retenir la définition donnée par J.G. Belley sous le
mot pluralisme dans le Dictionnaireencyclopédique de théorieet de sociologie
du droit (1993) : « c'est la coexistence d'une pluralité de cadres ou sys-
tèmes de droit au sein d'une unité d'analyse sociologique donnée : société
LA SOCIOLOGIE EN FRANCE 171

locale, nationale, mondiale » 1. Dans ses différentes expressions, la socio-


logie pluraliste du droit repose sur une idée commune: l'existence d'un
écart entre droit et société, tel que le droit étatique ne peut prétendre à
décrire l'état réel des relations sociales. Les démarches divergent cepen-
dant sur la manière de prendre en compte cet écart : la réponse de
G. Gurvitch est politique, celle de J. Carbonnier et de ses épigones est psy-
chosociologique.
- Chez Gurvitch (1931, 1944), la communauté concrète n'est pas la
communauté politique des citoyens (la Nation), mais celle que les indivi-
dus constituent en se rassemblant dans une série de groupes qui s'auto-
nomisent, et entretiennent entre eux, comme des individus, des rela-
tions: la notion clé est celle de démocratie «polyédrique». Ces
groupements aspirent à la reconnaissance ; ils traduisent un « élan
vital ». Ainsi, Gurvitch analyse l'usine, comme une communauté capable
d'engendrer son droit propre, une totalité juridique, antérieure à toute
institutionnalisation.
Cette orientation est revendiquée aujourd'hui par des sociologues pour
rendre compte des procédés non juridictionnels de traitement des litiges
tels la médiation. C'est la communauté qui trouverait en son sein les res-
sorts de la gestion de ses conflits, en dehors, voire en opposition, aux
règles de droit étatiques. C'est sur ce présupposé (discutable, en ce qu'il
suppose une vision extrêmement restrictive des modes de fonctionne-
ment de la règle étatique 2 ) que se fondent les travaux de J.G. Belley,dans
ses différentes études du contrat dans l'entreprise, ou de J.-P. Bonafé-
Schmidt (1993) sur la médiation.
- Bien que se réclamant également du pluralisme juridique, la sociolo-
gie du droit de J. Carbonnier écarte toute idée d'une opposition des règles
entre elles, pour s'intéresser aux différentes manières sociales de les appli-
quer. Ce sont donc les comportements sociaux qui vont être étudiés. Soit
qu'ils résultent de la persistance d'anciennes pratiques (droit fol-
klorique), soit d'une connaissance populaire du droit en vigueur (droit
vulgaire) ils constituent un « infra droit». Le concept clé dans cette ver-
sion de l'analyse pluraliste est celui d'ineffectivité.Entre le droit étatique et
le droit vulgaire existerait un écart, qu'il s'agit d'identifier et de réduire
dans la mesure où il met en cause l'équilibre même du droit Contraire-
ment à la version du pluralisme gurvitchien, l'écart est le signe d'un dys-
fonctionnement qui doit être comblé, afin de rapprocher le droit des
mœurs, surtout à la phase de l'action législative.Cette idée est à l'origine
du développement de programmes internationaux sur la connaissance et
la conscience du droit 3 , mais surtout à une multitude d'études empi-
riques visant à rechercher les causes de la désobéissance aux lois, en parti-
culier aux règles pénales 4.

1. (1993) sous le mot« pluralisme».


2. Pour une analyse plus complexe de la règle de droit, v. A. Jeammaud (1990).
3. Programme K.O.L. (knowledge and opinion about law), Conseil de l'Europe, 1968.
4. V. la bibliographie proposée sur ce point par P. Lascoumes dans le Dictionnaire encyclopédique
de théorie et de sociologie du droit, sous le mot «Effectivité». On relèvera l'étude de J.-F. Perrin
(1977). Pour une critique d'ensemble du concept, v. P. Lascoumes, E. Serverin (1986), p. 101 et s.
172 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Là encore, il semble que cette approche repose sur une insuffisante


prise en compte de la complexité de l'agencement et du fonctionnement
des règles de droit Surtout, on notera le paradoxe de l'affirmation selon
laquelle la non-application de la règle par les sujets mettrait en danger le
système juridique lui-même, sans prise en considération du rôle de la
sanction.
Cette variante de la sociologie pluraliste est bien accueillie par les
juristes enseignants des facultés de droit pour plusieurs raisons :
- Cette démarche« tempère» l'étude du droit positif sans remettre en
cause ni ses fondements ni sa primauté ;
- elle maintient l'idée que le droit commande des conduites, et que les
comportements sociaux peuvent s'évaluer en termes d'obéissance/ trans-
gression;
- elle opère une division du travail entre juristes et sociologues au pro-
fit des juristes, les premiers se situant au cœur du système de droit (regard
interne), les seconds à sa périphérie (regard externe).
C'est précisément sur ce dernier point que la sociologie juridique de
M. Weber se sépare de la sociologie du droit des juristes de tradition fran-
çaise: il ne s'agit pas d'opposer la dogmatique à la sociologie juridique,
mais de se demander, pour chacune des démarches du juriste et du socio-
logue, quel est le sens visé par l'acteur,réintroduisant ainsi le juriste au
cœur de l'observation sociologique.

3° Unesociologie compréhensive du droit (cf. supra,n° 141).


L'approche compréhensive inaugurée par Max Weber fournit les
moyens d'un dépassement de la « querelle de frontières» 1 que
connaissent actuellement juristes et sociologues.
Une définition de la sociologie centrée sur l'action embrassant l'en-
semble des actions humaines ouvre de nouveaux terrains à la recherche :
« Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre
par interprétation l'activité sociale, et par là d'expliquer causalementson
déroulement et ses effets. ( ...) 2 . Nous entendons par activité un compor-
tement humain quand, et pour autant, que l'agent ou les agents lui
communiquent un senssubjectif. 3 » Le sens visé n'est pas le sens« juste»
ni« vrai», mais le sens« endogène de l'activité sociale4 », c'est-à-dire le
sens que les individus agissanty attachent 5 •
Appliquée au droit, la perspective wébérienne consiste à soumettre à
une mêmeinterrogationles positions du juriste et du sociologue vis-à-vis

1. Sur cette expression, v. P. Lascoumes, E. Serverin (1988), p. 165 et s.


2. M. Weber, Economie et société, Pion, 1971, p. 4-23.
3. P. Pharo (1985), p. 120.
4. La mise en évidence de ce « sens visé » peut se faire à différents niveaux: soit subjectivement,
en réalité, par un agent, soit par un ensemble d'agents, soit par un typeconstruit conceptuellement.
Weber, op. dt., p. 6-7 et supra, n° 141.
5. M. Weber, Économie et société, p. 321.
LA SOCIOLOGIE MODERNE 173

du droit : « Le juriste se demande quelle est la signification, autrement dit


le sens normatif qu'il faut attribuer logiquement à une certaine construc-
tion de langage, donnée comme norme de droit Le sociologue lui, se
demande ce qu'il en advient en fait dans la communauté.»
Ainsi, la recherche sur le droit est elle aussi sociologique.
En réintrodui-
sant l'acteur, M. Weber réintègre le juriste, et le sens par lui visé, comme
un acteur parmi d'autres de la vie juridique. Cette démonstration est
menée à l'aide des données juridiques empruntées aux divers systèmes
étudiés, d'où une technicité déroutante pour les sociologues1 .
- Dans sa sociologie juridique, M. Weber expose ainsi les phases et
facteurs qui ont contribué à la rationalisation du droit moderne, dans le
contexte de la rationalisation propre à la civilisation occidentale 2 . Fidèle
au programme de sa sociologie générale, il procède à l'étude des qualités
formellesdu droit en relation avec les acteurs qui interviennent dans le
champ du droit : ainsi « les qualités " formelles rationnelles " sont visées
par les participants à la formation du droit. Les professionnels, consi-
dèrent le droit comme un ensemble rationnel, organisé, devant être
obéi » 3 • En revanche, les profanes contestent la validité de ces affirma-
tions, et revendiquent un droit plus concret, plus matériel, sans abstrac-
tion 4. Enfin, les juristes universitaires « nostalgiques d'un droit supra
positif dominant le droit positif technique et changeant 5 tendent à refu-
ser la technique. La description de l'évolution du droit se fait donc pour
M. Weber sous forme de tensions, concept clé de la démarche compré-
hensive: tension entre la rationalitématérielledu droit, qui a son origine
dans les besoins quotidiens des intéressés et vise à obtenir des décisions
fondées sur des impératifs éthiques, utilitaires, ou d'opportunité, et la
rationalitéformelleet matérielle,voulue par les professionnels du droit, qui
vise à l'application de concepts et implique le recours à l'abstraction.
Par nombre de ses aspects, la sociologie du droit wébérienne rejoint les
analyses évolutionnistes et comparatistes de Durkheim, bien dans la tra-
dition du xDf siècle. Quelles que soient les critiques qui ont pu être appor-
tées à cette vision du droit, et notamment sa soumission trop grande à la
dogmatique juridique 6, il faut savoir gré à la démarche wébérienne
d'avoir réintroduit au cœur de sa sociologie du droit la technique juri-
dique et les juristes qui en sont les promoteurs. Si la référence wébérienne
reste implicite dans les travaux de nombreux chercheurs, elle n'en est pas
moins source d'interrogations originales, notamment sur les liens exis-
tant entre droit et action dans le domaine du règlement des litiges7, ou
sur le rôle des professionnels du droit dans la production d'un « marché
du droit» 8•
1. J. Freund (1968), p. 215.
2. P. Ladrière (1993), p. 197 et s.
3. M. Weber (1986), p. 43.
4. M. Weber, ibid.,p. 230.
5. M. Weber, ibid.,p. 228.
6. G. Gurvitch (1940), p. 19 et s.
7. Pour des exemples de la mise en œuvre des concepts we'bériensdans ce domaine, v. E. Serverin,
P. Lascoumes, Th. Lambert, 1987, et F. Soubiran (1987).
8. Y. Dezalay (avril 1991).
17 4 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

169-1 Le terrain vague des sciences sociales: la communication ◊ La


communication a toujours existé par les signes, les sons ou la parole.
Tout ce qui vit communique. Les progrès 1 techniques qui ont permis la
multiplication des moyens de communication, la concurrence, la propa-
gande tant commerciale que politique, les médias, l'abolition des dis-
tances, etc., enfin le nombre de messages envoyés et de personnes
atteintes ont attiré l'attention à la fois sur la signification du phénomène,
mais aussi sur la façon de l'utiliser. Les études sur la communication ont
depuis ces dernières années augmenté à tous les niveaux. Henri Lefebvre
pouvait écrire que dans la vie sociale rien ne s'accomplit sans la commu-
nication, tandis qu'un spécialiste américain Ide Sola Pool (1959) décla-
rait : « L'étude de la communication n'est rien moins que l'étude de la
société». Si à défaut de définition on cherche à savoir de quoi traite la
communication, on s'aperçoit en compulsant un ouvrage ou un chapitre
la concernant, qu'il s'agit aussi bien de propagande que d'opinion, d'ac-
tion gouvernementale, de circulation des informations, d'influence, d'at-
titude, de journalisme, de cinéma ou de linguistique. Toute la vie sociale
est fait.e de communication, seulement certains sect.eurs l'utilisent plus
que d'autres. Même dans ceux-là, comme la politique, la notion reste
floue. J.Gerstlé (1992) dans son étude sur la communication politique
concède que « la notion est extrêmement confuse ».
Il a suffi que des auteurs aussi commentés et différents que J.Haber-
mas et N. Luhmann considèrent la communication comme un concept
essentiel de leur réflexion pour attirer l'attention de nombreux polito-
logues et sociologues sur ce« flou ». Chacun intègre ce nouveau sujet à sa
théorie. L'opposition apparaît d'abord entre les modèles comporte-
mentaliste 2 et structuro-fonctionnaliste d'une part 3 et interactionniste 4
et dialogique 5 d'autre part. Lespremiers privilégient l'aspect transmission
de l'information, les seconds s'attachent à la signification et à l'inter-
compréhension.
Il faut ajouter que le développement des moyens de communication,
en particulier d'internet, modifient les données du problème et en créent
de nouveaux. L'évolution est encore trop peu stabilisée pour qu'une ana-
lyse trouve sa place ici. Pour l'instant il s'agit de techniques plus que de
méthodes.
Si sur le plan théorique on peut réfléchir... sans limit.es,sur le plan pra-
tique ce n'est pas possible. On a donc tenté de mettre un peu d'ordre
dans cette confusion 6. Sans ambition théorique, la distinction la plus
1. Le terme de progrès garde une connotation trop optimiste, trace des notions évolutionnistes.
2. Lasswellet son fameux« qui dit quoi, à qui, par quel moyen, avec quel résultat?». Cf. n°' 596
et S.
3. Alemond, Easton considèrent la communication comme un ensemble de processus interactifs
entre les éléments d'un système politique et entre un système et son environnement.
4. G. H. Mead (1934), Edelman (1988), enfin Goffman pour lequel il s'agit surtout d'une
action stratégique.
5. Centrée comme la précédente sur une conception relationnelle de la communication (inter-
actionnisme symbolique) et une conception praxéologique (interactionnisme stratégique).
6. J. Gerstlé propose de distinguer à l'intérieur de la communication politique une dimension
pragmatique concernant émetteur et récepteur, une autre symbolique visant le pouvoir d'évocation
LA SOCIOLOGIE MODERNE 175

simple et la plus efficace paraît celle de Lasswell 1.Qui parle? à qui? par
quel moyen ? pour dire quoi ? avec quel résultat ? C'est un cadre d'ana-
lyse commode qui recouvre tous les aspects pratiques des communica-
tions orales ou écrites.
Faute d'une définition précise et d'un domaine défini, on abordera les
problèmes de communication à propos de chaque question à laquelle ils
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SECTION3. L'ANTHROPOLOGIE
ET L'ETHNOLOGIE
171 Définitions ◊ L'ethnologie a longtemps été considérée comme la dis-
cipfine décrivant les mœurs des différents peuples et plus précisément des
peuples dits archaïques ou primitifs.
Certaines précisions de vocabulaire sont indispensables :
- L'ethnographie concerne le travail matériel sur le terrain, la collection
de matériaux.
- L'ethnologietente un effort d'élaboration, de synthèse.
Celle-ci peut être soit géographique : étude des caractéristiques des tri-
bus d'une région à un moment donné, soit historique: évolution de tel
groupe, soit systématique: recherche sur une coutume particulière, une
cérémonie ou une institution.
Les Anglo-Saxons ont tendance à abandonner ce terme d'ethnologie,
pour utiliser surtout celui d'anthropologie, qui représenterait la troisième
étape d'une même recherche : ethnographie, ethnologie, anthropologie.
Cette dernière, au sommet de la hiérarchie, comprendrait l'étude de
l'homme dans sa totalité.
L'évolution de la discipline a conduit les Britanniques à utiliser le
terme d'anthropologie sociale.En partant des objets, productions et œuvres
humaines de l'homo[aber,elle aboutit aux activités sociales, alors que les
Américains parlent d'anthropologie culturelle,visent au départ ces activités,
pour descendre jusqu'aux objets.
194 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

En France, l'anthropologie est quelque peu vidée de son contenu et sa signifi-


cation limitée à l'anthropologie physique, c'est-à-dire l'étude des types morpholo-
giques, des races, etc. C'est l'ethnologie qui correspond à ce que les Anglo-Saxons
entendent par anthropologie.
Le terme d'anthropologie 1 est de plus en plus employé à la place d'ethnologie;
on utilisera ici l'un et l'autre indifféremment

§ 1. Évolution de l'anthropologie
jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale
172 La conquête de l'autonomie ◊ On a toujours fait de l'ethnologie
spontanée dans des récits de voyage, comme de l'histoire dans des chro-
niques, ou de la psychologie dans des journaux intimes. Les récits de
voyageurs se sont multipliés avec la découverte de régions nouvelles, et au
vu de ces documents, des philosophes (Voltaire, Rousseau) se sont lancés,
sans doute un peu vite, dans de vastes synthèses.
C'est à partir du ~ siècle que l'anthropologie va, comme d'autres
sciences sociales, devenir autonome et dégager son objet d'étude:
l'homme. Elle se divisera en anthropologiephysique: étude de l'homme,
espèce zoologique, et de son évolution ( avènement de la science préhisto-
rique) et ethnologie: étude des sociétés exotiques.
173 L'école française ◊ En France,l'intérêt pour l'ethnologie a toujours
été très vif, même chez les auteurs littéraires comme Montaigne, les ency-
clopédistes, Rousseau, « le plus ethnographe des philosophes », disait
C. Levi-Strauss. Les sociologues dès l'origine utilisaient les données de
l'ethnologie 2 .
On retrouve en France entre les premiers anthropologues chercheurs
sur le terrain, et les sociologues théoriciens les mêmes conflits, toutes
proportions gardées, qu'aux Etats-Unis entre ingénieurs sociaux et socio-
logues universitaires. Mais le conflit ne comporte pas les mêmes enjeux.
En effet, si les résultats des recherches ethnologiques pouvaient être utili-
sés, surtout par les colonialistes, il existait tout de même des chercheurs :
amateurs curieux, voyageurs, fonctionnaires, sans formation mais sans
déformation, dont les recherches étaient utilisables.
Au départ, l'intérêt pour «l'exotisme» suscite la création d'institu-
tions privées 3• 4, mais la multiplication des « collectionneurs de faits»
n'aboutit pas à des interprétations assurant une identité scientifique à
une spécialité définie. La discipline n'était même pas sûre de son nom:
ethnologie, anthropologie, ethnographie et même folklore.
1. Utilisé sur le plan international.
2. Les noms des principaux ethnologues français d'avant 1914 ont été cités à propos de la socio-
logie.
3. En 1859 à Paris, création de la Société ethnographique, suivie d'une Société des américanistes.
Société de géographie, École anthropologique élargissent leur domaine à l'interprétation des faits
sociaux, enfin création de !'École française d'Extrême-Orient (1898).
4. L'essentiel de ces réflexions s'inspire de l'article de V. Karady (1988).
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 195

La première étape, comme toujours, consiste à rendre ces recueils de


faits plus scientifiques et à former et intégrer les chercheurs dans le cursus
universitaire. Alors que les premiers travaux de Durkheim sur les sociétés
archaïques (le totémisme, l'animisme) méritaient de nombreuses cri-
tiques et sont aujourd'hui dépassés, son inspiration et sa méthode ont été
à l'origine de l'évolution et du succès de l'école française d'anthropologie.
Malgré sa méfiance, Durkheim, pour sa recherche des voies de la cohé-
sion socialesera obligé de s'intéresser aux sociétés qui en donnent les
exemples les plus accessibles. Or, il partage les préjugés de son époque,
identifiant les sociétés archaïques contemporaines, étudiées par les eth-
nologues et les sociétés anciennes, toutes deux considérées comme
«simples». Durkheim préconise une méthode comparatiste génétique,
évolutionniste, bien qu'il s'en défende, reposant sur l'idée de la complexi-
fication des phénomènes de sociétés : « Pour rendre compte d'une insti-
tution sociale [ ...]. On constituera d'abord le type le plus rudimentaire
qui ait jamais existé pour suivre ensuite pas à pas la manière dont il s'est
progressivement compliqué 1.» Mauss rectifiera de façon indirecte l'affir-
mation de Durkheim. Dans son étude sur la prière,il déclare : « Car les
formes les plus rudimentaires ne sont à aucun degré plus simples que les
formes les plus développées. Leur complexité est seulement de nature dif-
férente. Les éléments qui se distingueront et se développeront dans la
suite de l'évolution y sont rassemblés dans un état de pénétration
mutuelle. L'unité résulte de leur confusion 2 . »
Curieux paradoxe, l'épistémologie durkheimienne considère la sociolo-
gie comme la science de synthèse de faits provenant des sciences auxi-
liaires: ethnographie, géographie, histoire, statistique, dont l'exactitude
n'est pas assurée. Mais la réflexion de Durkheim, son interprétation,pos-
sèdent une telle force logique, qu'elles confèrent à l'école française un
statut égal à celui des anglo-saxons.
L'intérêt de Durkheim pour la sociologie religieuse bénéficiera des pro-
grès de la qualité de la recherche à partir de 1880. L'Annéesociologique
(créée en 1898) consacre une part de plus en plus importante au secteur
religieux, reconnaissant ainsi à l'ethnologie la première place, parmi les
sciences auxiliaires de la sociologie« parce qu'elle fournit des éléments de
comparaison que rien ne peut remplacer».
Durkheim ne pouvait être insensible aux grands débats de l'époque,
mais en même temps, le risque de dérive hors de la rigueur scientifique
l'incitait, ainsi que ses élèves, à refuser tout objectif utilitaire.
Durkheim a contribué à modifier l'image de l'ethnologie qui souffrait
du bas statut de son sujet d'étude. Dès 1888, il écrit« Pour nous [...] les
mots de supérieur et d'inférieur n'ont scientifiquement pas de sens [...].
Pour la science, les êtres ne sont pas les uns au-dessus des autres». Enfin,
les grands universitaires qui furent ses disciples ont attiré des chercheurs
de valeur parmi les philosophes (Levy-Bruhl) obtenant enfin la création
de certificats de licence à l'université ( 1921).
1. E. Durkheim (1895 B 159 bis).
2. M. Mauss (1968 B 159 bis).
196 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Le plus caractéristique de l'école française d'ethnologie, c'est le lien


persistant entre la réflexion théorique, attitude provenant de la formation
philosophique des chercheurs, et la collecte des faits sur le terrain, la
recherche empirique, à laquelle se limitent les anglo-saxons. Cette double
posture qui est à l'origine de l'école française d'ethnologie persiste encore
de nos jours et c'est à Durkheim qu'on la doit
On peut supposer qu'ayant rapproché l'ethnologie et la sociologie au
point de ne même pas mentionner la première, Durkheim aurait
approuvé la tendance moderne de l'ethnologie européaniste qui se donne
pour objet la société contemporaine (cf. n° 180). Mais cette tendance des
premiers ethnologues à rechercher les cas primitifs « non altérés », les a
détournés de l'étude des transformations et dynamismes sociaux qui
s'écartaient de ceux-ci.
174 L'école évolutionniste anglaise ◊ Le fait que les Anglais aient été
parmi les fondateurs de l'anthropologie, s'explique par les facilités d'une
position colonialiste, et ce n'est sans doute pas par hasard qu'ils ont
représenté l'école évolutionniste 1.Influencée par les théories biologiques,
elle affirme la lente progression de l'espèce humaine. Ceci implique la
recherche des causes, mais surtout la justification de la prépondérance
des groupes sociaux les plus évolués.
Un des plus illustres représentants de l'évolutionnisme est Lewis H. Morgan
(1818-1881). R. Lowie (1937) déclare assez méchamment qu'il ne doit pas sa
célébrité internationale à la valeur de ses solides travaux, mais à un « accident de
l'histoire » : la chance que les tendances évolutionnistes de son livre, Ancient
Society(1867), aient attiré l'attention de 1'0,arx~t Engels, qui l'ont utilisé dans Les
originesde la famille, de lapropriétéet de l'Etat. Evolutionniste, il croit en la loi du
progrès qui a mené la Grande-Bretagne à ce sommet: l'époque victorienne I Ses
affirmations sont trop péremptoires, ses extrapolations peu fondées, mais il a
tenté de rapprocher ce que les marxistes appelleront infrastructure et super-
structure, établi l'ethnologie de la parenté sur des bases solides, et accumulé une
énorme documentation.
La découverte de nouvelles sociétés suscitait l'intérêt des juristes, surtout lors-
qu'ils étaient comme Sir H. J. SummerMaine (1822) employés par leur gouverne-
ment dans des pays lointains 2. On doit également citer les noms de Mac Lennan
et celui plus connu de Sir E. Bumett Tylor(1832-1917). Il n'était pas un véritable
chercheur sur le terrain mais par son goût de la signification concrète des gestes
et des objets 3, il est à l'opposé du classique ethnologue en chambre. D'une grande
honnêteté intellectuelle, il n'est pas seulement l'homme des essais de synthèse 4
mais aussi l'auteur de la théorie de l'animisme et celui qui a introduit la statis-
tique en ethnologie.
Une place à part doit être faite à l'auteur célèbre du Rameaud'Or (1890) : Sir
JamesFrazer(1854-1941). Homme de travail en chambre s'il en fût, il connais-
1. R. Bastide (1971) se demande si l'évolutionnisme n'est pas une rationalisation ou justifica-
tion après coup de la colonisation.
2. Maine vécut aux Indes et compara les droits romain, indien et anglais.
3. 11reçoit un grattoir à peau tasmanien et le fait essayer par son boucher.
4. Ses deux ouvrages les plus importants sont Earlyhistoryof mankindand the developmentof civi-
lisation(Londres 1865) et Primitiveculture(1871). Certains contestent son rattachement à l'école
évolutionniste.
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 197

sait le grec, le latin, le français, l'allemand, l'italien, l'espagnol, le hollandais et


possédait une énorme documentation. Intéressé par les pratiques magiques, il
considérait les tabous comme des précautions pour assurer la vie du prêtre-roi.
Frazer a été regardé par les uns comme l'auteur de « savantes sottises», par
d'autres comme le plus grand anthropologue de son époque (Malinowski). On
peut dire en tous cas que l'influence de son œuvre fut considérable non par ses
théories ni leur justification (souvent insuffisante), mais par la masse de docu-
ments recueillie et surtout par sa valeur littéraire. « Grâce à l'agrément de son
style et à l'amour passionné de l'histoire des hommes qu'il exprime, il a fait
comprendre au savant comme à l'amateur, l'ampleur des problèmes, l'intérêt
humain et la beauté dramatique des données de l'anthropologie 1.»
La réaction aux excès de l'evolutionnisme se fera dans deux directions: le dif-
fusionnisme et le fonctionnalisme.

175 Le diffusionnisme en Allemagne ◊ La pauvreté d'imagination des


hommes expliquerait la propagation des innovations techniques. Pour le
prouver, il faut chercher dans les faits toutes les manifestations d' em-
prunts de civilisations.
C'est en Allemagne et en Autriche que l'école historico-culturelle
représentée par Ratzel, Frobenius (le premier à utiliser la méthode des
aires culturelles), Graebner, défend ces points de vue.
En Grande-Bretagne, sans nier la contagion des cultures, on s'intéresse
moins à la recherche de ses manifestations.
17 6 Les notions de culture et de fonction aux États-Unis ◊ La
déception causée aux Etats-Unis par l'influence des diverses tendances
historiques et évolutionnistes, amena dans le premier quart du xx:- siècle,
une séparation de l'anthropologie et de la sociologie, un rejet de toutes les
théories et la prise en considération d'un concept de base : la culture. Par
opposition à l'ethnologie française, les processus de changement, la
dynamique culturelle, vont devenir aux États-Unis des sujets privilégiés.
Le concept de culture est d'origine anglaise. E. B. Taylor l'a défini le ,12remier
dans son ouvrage Primitive culture paru en 1871. Mais il n'existe pas de definition
de la culture entièrement satisfaisante, bien qu'on en compte plus de 250. De
toute façon, « les cultures sont des choses qu'on trouve sur le terrain et non dans
des définitions 2 », telle est la pensée commune aux anthropologues. Ceci admis,
le contenu des définitions varie.
Le grand anthropologue qui domine les débuts de l'anthropologie américaine
est Franz Boas3 (1858-1942). Il est le premier à avoir pu, à la fois former des
chercheurs et travailler sur le terrain. Linguiste, il insiste sur l'utilité de connaître
les langues indigènes et la nécessité de maîtriser les techniques ethnographiques
pour recueillir des documents authentiques. Boas vise la description de toutes les
données culturelles. Son œuvre comporte une anthropologie physique et la col-
lecte des mythes et traditions orales. Il montre une grande aversion pour toute
systématisation qui lui paraît toujours prématurée. Il est l'auteur de nombreux

1. A. Kardiner (1961), p. 142.


2. N. M. Hart (1957), p. 545.
3. D'origine allemande, il étudia d'abord la physique, la géographie et les mathématiques.
198 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

articles, de monoftîaphies, mais de peu d'ouvrages 1.A. L. Krober(1876-1960), un


des derniers ~éneralistes et des plus estimés, tenta d'élaborer une histoire cultu-
relle générale , tout en se consacrant à des recherches ethnologiques 3• Sur le plan
de la méthode il voulut subordonner l'individuel au social4,et signala les limita-
tions de la méthode comparative en anthropologie, s'opposant ainsi aux évolu-
tionnistes et aux excès de la tendance biologique.
B. Malinowski (1884-1942) 5 est le personnage le plus excentrique et le plus
controversé que connut jamais l'anthropologie dont il refusait les frontières aca-
démiques. « Sur le comportement d'un individu, sur une institution sociale, il ne
posait que trois questions: « Est-ce que ça marche? comment? et pourquoi?
C'est avec ces trois questions qu'il fonda l'éc.ole fonctionnaliste6.1. » Malinowski
fut longtemps considéré comme le fondateur de l'observationpartidpante, mais
son journal révèle qu'il se servit surtout d'informateurs. Néanmoins il fut un des
premiers à vivre sur le terrain et il raconte à propos des indigènes : « Comme ils
savaient bien que j'allais mettre mon nez partout ... ils finirent par me considérer
comme faisant partie de leur vie, comme étant une peste, un mal nécessaire,
mitigé par des dons de tabac 9 . »
Enfin il a fait admettre l'idée que les institutions sociales sont des réponses col-
lectives à des besoins humains fondamentaux et introduisit la psychanalyseen
anthropologie: « Ne jamais oublier l'organisme humain vivant, palpitant, fait de
chair et de sang qui demeure quelque part au cœur de toute institution. »
Une autre orientation devait marquer l'anthropologie américaine, celle du bri-
tannique A. R Radcliffe-Brown(1881-1955) qui enseigna à Chicago 10, 11 . Il trans-
forma cette ville en un centre de ralliement pour tous les opposants de l'interpré-
tation traditionnelle de la science anthropologique par l'histoire. Très écouté, il ne
fut pas cependant très suivi, peut-être parce que les Américains se montraient
rétifs aux critiques d'un Anglais12, mais surtout parce que le courant général était
en faveur de la psychologie, à laquelle il ne faisait aucune place. Fortement
influencé par Comte et surtout Durkheim, Radcliffe-Brownapportait les concepts
de structuresocialeet surtout de fonction, c'est en ce sens que sa recherche a été
considérée comme structuraliste 13 •
A partir de 1928, E. Sapir (1949), linguiste et sociologue, va démontrer que
l'ancienne notion de culture n'est que « fiction statistique», une collection de
produits de l'activité des hommes, alors que la culture est avant tout un « système
de comportements» s'imposant à l'inconscient et servant de système de commu-
nications entre individus. Cette définition a orienté les anthropologues vers la
psychologiepour l'étude de l'inconscient, et vers la linguistique pour celle du lan-
gage.
1. The mind of primitiveman (1911). PrimitiveArt (Oslo 1927).
2. Anthropology(1923).
3. Guide des Indiensde Californie(1925).
4. Ce qui explique son opposition à Freud.
5. B. Malinowski (1922, 1929, 1933, 1944, 1985).
6. In A. Kardiner (1966), p. 219.
7. Cf. l'article« culture» in Encyclopediaof the Soda!sciences,considéré comme le manifeste du
fonctionnalisme (1931).
8. Trad. 1985.
9. Il passa six ans en Australie dont deux dans les îles Trobriand.
10. In Kardiner (1966), p. 245. M. L. Wax (1971 B. 860).
11. In A. Kardiner, op. dt., p. 238.
12. La petite histoire raconte que l'Université de Harvard également voulait inviter Radcliffe-
Brown, et lui écrivit, mais Chicago te1égraphiaet l'emporta. Que serait-il advenu de l'évolution de
l'anthropologie américaine si le contraire s'était produit ?
13. A. R. Radcliffe Brown (1952).
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 199

MargaretMead (1952) et Ruth Benedict(1934) bénéficient de l'apport du freu-


disme et du courant général favorable à la psychologiesociale.Sans s'opposer à
l'histoire, M. Mead insiste sur l'intérêt d'étudier des problèmes qui ne relèvent
pas de l'évolution des cultures, mais se posent en termes de psychologie sociale
comparée. C'est le cas de son ouvrage sur l'adolescence des jeunes filles de
Samoa 1 . Quant à Ruth Benedict, son handicap de femme et de poète lui gagne du
moins la faveur du grand public, et son ouvrage Patternsof culture(1931) obtient
un succès d'autant plus considérable qu'il traite de ce domaine réservé aux
anthropologues des Etats-Unis : celui des Indiens d'Amérique. On a pu soutenir
que Sapir, M. Mead, et Ruth Benedict, en s'intéressant aux problèmes de laper-
sonnalité et de la culture, avaient finalement contribué à créer des liens avec la
sociologie et la psychologie (ce que les historiens n'avaient pas fait) et avaient
exercé une plus grande influence sur celles-ci, que sur l'anthropologie de leur
époque.
Dans cette orientation psychologiste et même psychanalytique il faut citer
après Freud (1924), A. Kardiner (qui insiste sur l'adaptation)(1946), G. Linton 2,
Geza Roheim (1951), K. Horney (1953), E. Fromm (1941), Cora du Bois.
Cette expansion de l'anthropologie américaine entre les deux guerres,
comporte des tendances plus que des écoles, car malgré leurs divergences, tous
sont unis sur le plan de la méthode : elle consiste en recherches concrètes sur le
terrain et descriptions inspirées par le modèle des sciences naturelles.
Malgré les différences qui les séparent, chercheurs américains et bri-
tanniques partagent la conception d'une vie sociale constituant un
ensemble, dont chacun des aspects ne peut être compris qu'en fonction
des autres. Que l'anthropologie se proclame sociale ou culturelle, elle
aspire toujours à connaître l'homme, envisagé dans un cas à partir de ses
productions,dans l'autre, à partir de ses représentations.Cette notion de
« totalité » de l'homme vivant, rejoint ainsi les positions de K. Marx en
Allemagne, et celles plus récentes de M. Mauss et de G. Gurvitch en
France.

§ 2. Évolution
depuis la Deuxième Guerre mondiale
177 Les nouveaux problèmes ◊ Depuis la deuxième guerre, les anthropo-
logues et sociologues ont été arrachés à leurs études et réflexions pour
être utilisés sur le terrain.
En Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis, les problèmes d'oc-
cupation de pays de civilisations différentes, l'accession à l'indépendance
de pays non industrialisés, ont bousculé les querelles d'école et mis les
anthropologues en face de problèmes concrets.
Le cas le plus exemplaire est celui du Japon. Les anthropologues insistèrent
pour que !'Empereur soit maintenu. Vu son prestige, il pouvait faciliter la démo-
cratisation d'un pays qui, sans lui, risquait de sombrer dans le chaos.
Les nouvelles recherches dans les pays sous-développés modifieront
sans doute à terme, l'évolution de l'anthropologie. Elles posent d'abord
1. Contesté depuis, cf. D. Freeman (1983).
2. G. Linton (1947, 1960).
200 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

les problèmes de l'unité de recherche.Le village se substitue à la tribu, mais,


alors que les tribus primitives constituaient des sociétés closes, on ne peut
en dire autant des villages du Tiers Monde, où les problèmes de culture
apparaissent sous des aspects très différents. Si les tribus archaïques
représentaient la chasse gardée des anthropologues, ceux-ci se trouvent,
lorsqu'il s'agit de problèmes actuels posés par des pays non industrialisés,
en concurrence ou en contact, avec des sociologues, économistes, juristes,
géographes, mais aussi avec des administrateurs et ingénieurs. Il serait
regrettable qu'au lieu de stimuler l'anthropologie, cette coexistence ne lui
soit une excuse pour se replier sur ses fiches et continuer à amasser des
descriptions de coutumes folkloriques et de mœurs, etc., simplement
parce qu'elles sont en voie de disparition.
178 Aux États-Unis ◊ Les études monographiques décrivant des sociétés
limitées, sans recherche d'explication, sont encore nombreuses. Les
anthropologues, aussi bien américains qu'anglais, sont toujours sous l'in-
fluence de l'histoire naturelle du .xixCsiècle. La zoologie a pour objet les
animaux, la géologie, les terrains, l'anthropologie a pris ce qui restait: les
squelettes, les outils et les mœurs des non-civilisés. L'anthropologue
aujourd'hui, est aussi excité par la découverte d'une coutume inconnue,
que l'entomologiste par celle d'un insecte.
Leportrait des premiers anthropologues, fait par Kroeber, est toujours ressem-
blant : « Ils aimaient aller sur le terrain, ils aimaient découvrir et plus cela durait,
plus ils étaient contents 1.» Cependant, certains anthropologues ont, sinon aban-
donné la méthode, du moins changé de terrain et fait des recherches non plus sur
des sociétés primitives, mais, comme auraient pu le faire des sociologues, sur des
communautés américaines modernes. Enfin, d'autres ont amélioré les techniques
d'investigation, ou encore, dépassant le stade de la simple description, ont été
amenés, dans une perspective fonctionnaliste, à se demander, comme le dit Hart:
« pourquoi les gens font-ils ce que j'observe qu'ils sont en train de faire ?2 »
A côté de ces anthropologues traditionnels commencent à se faire
entendre des revendications nouvelles. Les bouleversements politiques et
sociologiques survenus dans de nombreuses régions, terrains de
recherche des ethnologues, ne pouvaient les laisser indifférents.
Les anthropologues d'une part réfléchissent sur leur rôle, d'autre part
se plaignent de l'inadaptation des méthodes anthropologiques classiques,
face aux situations nouvelles, enfin ils s'inquiètent de la présence sur le
terrain des sociologues, économistes, politicologues.
Certains souhaitent supprimer la distinction entre anthropologie et
sociologie. Ceci signifie ne plus se contenter d'objets restreints, de mono-
graphies limitées, mais tenir compte des processus globaux en cours (par
exemple des effets de la domination impérialiste). Ensuite, le travail
d'équipe doit se substituer à la recherche isolée. Enfin l'anthropologie
comme les autres sciences, doit réfléchir sur sa propre démarche scienti-
fique, élaborer sa propre critique épistémologique.
1. ln N. M. Hart (1957), p. 546.
2. In op. cit., p. 548.
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 201

179 En France ◊ L'essentiel était d'abord d'inciter les ethnologues français


à partager les joies de leurs collègues anglo-saxons, en allant travailler sur
le terrain. C'est ce que firent les élèves de Mauss. Cette première révolu-
tion se situe aux environs de 1930. G. Balandier 1 distingue quatre direc-
tions principales dans lesquelles s'oriente l'ethnologie : les enquêtes à but
archéologiqueet philologique (Travaux de l'école française d'Extrême-
Orient avec P. Mus) ; les études visant à compléterle tableaugénéraldes
sociétés et des cultures, en dressant en quelque sorte les archives des
sociétés qui n'en possèdent pas ( elles s'expriment par des mono-
graphies) ; des travaux de tendancesynthétiquehistorique,géographique,ou
s'attachant à un thème particulier, tels que le shamanisme et les rituels
de possession ( études de R. Bastide, M. Lewis, A. Metraux).
Enfin, marquant la deuxième révolution de l'ethnologie française, celle
de l'après-guerre, nous trouvons des recherches visant un approfondisse-
ment théorique ou la connaissance exhaustive d'un cas.
Parmi ces travaux, il faut citer ceux auxquels MarcelGriauleconsacra les vingt-
cinq dernières années de sa vie : l'étude des Dogon, peuple du Soudan occidental.
Dans cette même optique, M. G. Dieterlenétudie la religion Bambara et M. Leen-
hard la Nouvelle Calédonie.
Comme nous le dit G. Balandier, selon cette méthode, la recherche porte
moins sur les manifestations extérieures de la réalité sociale ( structures, fonc-
tions, manifestations) que sur les démarches intellectuelles et symboliques qui en
rendent compte. Il s'agit d'étudier les phénomènes« du dedans», c'est-à-dire du
point de vue indigène, en reconstruisant en quelque sorte leur démarche. C'est
indirectement une contribution de l'anthropologie à la sociologie de la connais-
sance. Enfin, C. Lévi-Straussse met en quête d'une élaboration théorique dépas-
sant les vieilles oppositions entre sociétés primitives et sociétés modernes et d'une
conception d'ensemble caractérisant toute société. Pour découvrir ces« propriétés
générales spécifiques de toute existence sociale», il s'agit de réduire la diversité
des cultures, passées ou vivantes, à une unité profonde, un « substrat commun »,
cherché plutôt dans l'inconscient ou au niveau des structures mentales. Les
réflexions rassemblées dans !'AnthropologieStructurale(1958) portent sur les
voies et les moyens de certaines disciplines particulières: linguistique structurale,
mathématiques modernes avec la théorie des groupes, des ensembles et de la
topologie cybernétique.
Divers groupes d'études ethno-sociologiques ont opéré suivant des orienta-
tions personnelles assez souples. C'est le cas de]. Berque(l955) qui s'est consacré
à la sociologie musulmane et nord-africaine en faisant appel a des techniques
variées. R. Bastide(1960), théoricien et praticien, tenta dans ses travaux effectués
au Brésil et au Dahomey, d'intégrer sociologie, psychologie et psychanalyse et de
combler le fossé qui sépare une sociologie conceptuelle et systématique « d'une
simple phénoménologie des changements sociaux ou des phenomènes d'accultu-
ration » 2 • G. Balandier,bien connu par ses travaux effectués en Afrique noire et
particulièrement dans la région congolaise, adopte un point de vue global, faisant
appel à la sociologie et à la science politique, autant qu'à l'anthropologie.
L'ethnologie française, devenue indépendante de la sociologie, a gardé de cette
influence l'habitude de la réflexion méthodique, une possibilité d'organiser les
faits et de poser les vrais problèmes.
1. G. Balandier (1960).
2. G. Balandier (1963, 1967, 1971).
202 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

180 L'anthropologie européenne ◊ On observe dans l'anthropologie


récente deux principaux courants; l'un recouvre la notion classique d'an-
thropologie sociale et avec des sens différents, sous le nom de folklore,
« tout ce qui survit dans une société évoluée, de coutumes, d'habitudes de
vie, de traditions, de croyances appartenant à un stade antérieur de civili-
sation», l'autre se tourne vers l'étude de l'homme dans les sociétés
contemporaines et cherche à interpréter et comparer les faits sociaux et
culturels par lesquels il se manifeste.
Ces deux courants vont-ils se séparer davantage? Le premier, pressé de
recueillir les traces de ces sociétés en voie de disparition, l'autre prenant le
temps de réfléchir devant ce monde nouveau en train de se créer, mais
qui, en revanche, lui oppose la complexité des problèmes que l'anthropo-
logue n'est pas habitué à résoudre. Les anthropologues, aujourd'hui,
manifestent la volonté d'unir ces deux courants. Mais y a-t-il unité de
méthode sinon d'objet entre les deux démarches ? L'étude d'un quartier
dans une grande ville peut-elle se mener comme celle d'une ethnie iso-
lée ? La signification des danses ou des vêtements peut-elle s'interpréter
de la même façon ? Autrement dit, l'anthropologie se définit-elle par son
objet et disparaîtra-t-elle avec lui, ou par sa méthode, ses concepts et
représente-t-elle une science spécifique qui peut s'appliquer non à n'im-
porte quel objet, mais à toutes les manifestations de l'homme dans la
société? La réponse, généralement affirmative des anthropologues des
différents pays, dépend, quant à sa forme et ses pratiques, de leur histoire,
de leur culture et de l'orientation prise dans le passé par leurs travaux. La
France, pays composite et colonialiste, doit à ses traditions régionales et à
son empire, un domaine ethnologique partagé entre l'exotisme et le fol-
klore. Ce dernier souvent considéré comme peu scientifique«[ ...] nous a
habitués à identifier un autre chez nous, nous inculquant ainsi un des
principes fondamentaux de toute recherche ethnologique[ ...] l'accepta-
tion de l'homme en tant que semblable et« autre», autorisant un regard
distancié dont paraissent privés les pays sans tradition d'études fol-
kloriques » 1.
L'anthropologie anglo-saxonne, au contraire, a longtemps refusé de
reconnaître ses particularités au sein de la société britannique et se fer-
mait ainsi à l'observation de sa propre diversité culturelle 2 •
Sans doute la désagrégation précoce de communautés rivales où s'en-
racinent les identités locales n'y est-elle pas étrangère. Aujourd'hui, tour-
née vers l'étude de sa propre société, l'anthropologie anglaise a utilisé plu-
sieurs termes 3 pour marquer son changement Elle a finalement retenu
un modeste Anthropologyat home.
Quant aux pays nordiques, l'absence d'empire colonial et une très
forte tradition d'études folkloriques, les a amenés à changer eux aussi de
1. Martine Segalen (1989) à laquelle nous empruntons de nombreuses remarques.
2. Cf. A. P. Cohen in M. Segalen, op. cit.
3. L'individualisme dont l'Angleterre aurait été le berceau serait à l'origine de cette uniformité.
Peut-être ceci explique-t-il aussi qu'actuellement il ne soit pas question d'intégration des anciens
peuples colonisés vivant en Grande-Bretagne... même s'ils possèdent la nationalité britannique. For-
mule qui si elle n'évite pas la révolte des intéressés évite du moins le rejet par les autochtones.
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 203

dénomination en remplaçant« l'étude de la vie populaire» (Folklivfork-


sning) par« ethnologie et notamment européenne».
Le repli sur soi provoque un intérêt accru pour les études locales, on
passe« du grand au petit». Ce mouvement s'est accompagné d'un regard
moins ethnocentré. La méthode comparative prônée par Durkheim a
relativisé la supériorité ou la spécificité de certains traits de la société occi-
dentale, mettant un terme à l'évolutionnisme toujours plus ou moins
latent des anthropologues. La société occidentale « n'apparaît plus
comme l'étape ultime du développement linéaire des sociétés, mais
comme une des formes possibles, située sur le spectre des cultures » 1.
Cette relativisation est accentuée par l'état de crise des sciences
humaines et l'incapacité des grandes théories (marxisme, structuralisme)
à rendre compte des mutations qui agitent les domaines religieux, fami-
lial, industriel, les classes sociales, etc.
Les critiques opposées par certains anthropologues à ce mouvement
portent en particulier sur deux points. Le premier tient à ce qui a toujours
été considéré comme le domaine de l'anthropologue: l'observation de
l'autre 2 ... Le Parisien, le Lyonnais ou le Londonien contemporain
peuvent-ils être considérés comme « autre » au même titre que l'habitant
des îles Trobriand ? La notion de l'autre est évidemment très ambiguë car
l'O.S. en grève est« autre», par rapport à son P.D.G. En revanche, l'habi-
tant des îles est un être humain comme le Parisien. Il faut donc délimiter
et définir les critères de l'altérité relevant de l'anthropologie. Deuxième
point moins important, les tenants de l'anthropologie classique ont jus-
qu'ici privilégiéles community studieset reprochent à la nouvelle orienta-
tion de s'engager dans une anthropologie sans terrain. Ici encore, on peut
se demander si la notion de terrain est forcément liée à celle d'espace
lointain.
L'anthropologie nouvelle élargit son domaine, mais surtout jette sur
des thèmes anciens un regard neuf, en les transposant à travers l'espace
et le temps. C'est ainsi que renouvelant l'étude des jeux, elle étudie le
football, ou mieux encore dans le domaine classique de la parenté, elle
constate que les quotas laitiers figurent aujourd'hui dans les éléments
d'appréciation de transmission entre les générations 3.
La difficulté de comprendre des cultures différentes apportait au moins
en compensation le fait de ne pas en faire partie. L'ethnologue peut être
différent de ceux qu'il étudie, mais il en partage tout de même, en partie,
la culture. Enfin une difficulté, et non des moindres, concerne l'anthro-
pologie appliquée et le rôle de l'anthropologue. Que peut-il faire de son
savoir ? Qui a besoin de lui ? A côté du sociologue mais avec les limites et
les nuances que l'on verra, il peut, en tant que connaisseur de la société,
comprendre et faire comprendre ce qui s'y passe. Il partage avec le socio-
logue la difficulté de garder son indépendance vis-à-vis du demandeur et
le risque de voir ses connaissances utilisées et surtout déformées. Que les
1. M. Segalen,op. cit, p. 11.
2. Op. cit.
3. Op. dt.
204 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

indigènes et les ethnologues soient devenus des compatriotes et même


parfois des concitoyens et qu'en dernière analyse, ce soient les ethnies qui
paient « leurs anthropologues, voilà qui a porté un coup à la position
dominante du discours anthropologique». Par rapport à l'anthropologie
sociale, l'ethnologie du monde actuel présente un nouveau danger. L'an-
thropologue moderne vient seulement de découvrir les problèmes aux-
quels le sociologue est depuis longtemps confronté. D'intéressantes
réflexions concernant les rapports entre ethnologue et pratiques médi-
cales constatent« c'est au discours des individus sur l'interprétation de la
maladie que doit s'intéresser l'anthropologue et non à la réalité de la
maladie». Pour conclure:« le travail du soignant se situe en termes d'ef-
ficacité et d'action, celui de l'anthropologue en termes de connaissance et
d'explication ; il est sans doute essentiel de dissocier les deux ». Sans
doute, mais on est tenté, dans un domaine aussi grave que celui de la
maladie, de paraphraser Durkheim disant « la sociologie ne vaudrait pas
une heure de peine si elle n'apportait aucune amélioration».
Comprendre, même si ce n'est pas le but visé, doit améliorer la relation
médecin ou infirmière et malade, donc être efficace également sur le plan
thérapeutique 1.
La présence d'un ethnologue est souvent réclamée dans les collectivités
locales. Elleslimitent son rôle à celui de gardien« d'une mémoire retrou-
vée », conservation ou transmission de savoirs anciens. Nommés à des
postes de conseillers auprès des Directions régionales des Affaires cultu-
relles, ils deviennent alors des bureaucrates sans pouvoir.
Plus mystérieuse, moins banalisée que la sociologie, l'aide de l'eth-
nologie sera réclamée le plus souvent lorsque le problème se pose en
termes de « compréhension de l'autre », par ceux qui ont à faire face au
pluralisme culturel : infirmières, assistantes sociales, instituteurs ... on
pourrait souhaiter la police. Malheureusement si l'on analyse les
demandes, on s'aperçoit que tous attendent de l'expert une solution sous
forme de recettes.
Un des auteurs 2 fait part de sa déception lorsque, après un refus d'aug-
menter la durée de son intervention, le directeur d'une école d'assistantes
sociales, ajouta : « nous voulons seulement un saupoudrage » 1
Les articles récents concernant l'évolution de l'anthropologie expri-
ment souvent de l'inquiétude:« l'enseignement qu'ils ont (les anthropo-
logues) reçu, encore fortement marqué par les prestiges de l'ethnologie
exotique, ne les a aucunement préparés à la navigation à vue parmi les
récifs et les vasières de leur propre société».
Une question pourtant demeure sous-jacente : les sociologuesne sont-
ils pas déjà installés et mieux préparés pour comprendre la société
actuelle? En quoi l'ethnologie apporte-t-elle une possibilité de compré-
hension différente et utile ?
Dans une revue comme Actesde la rechercheen sdencessociales,nombre
d'articles relèvent de l'ethnologie autant que de la sociologie.Ce n'est pas
1. A comparer avec le n° 882 sur les buts de l'intervention active en psychosociologie.
2. in M. Segalen.
L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE 205

un hasard si le directeur a commencé sa carrière par des études d'eth-


nologie.
180-1 Originalité de l'anthropologie et liens avec la sociologie ◊ Si
anthropologues et sociologues se partagent de plus en plus le même
domaine, leurs points de vue demeurent cependant différents.
L'anthropologue garde de ses origines, liées aux sciences naturelles, le
culte de la description, la nécessité, quel que soit par ailleurs l'objet de sa
recherche, de décrire la culture dans laquelle elle s'inscrit. Seule parmi les
sciences humaines, la géographie se soumet avec l'anthropologie à cette
obligation. La sociologie, au contraire, vise à étudier une catégorie de phé-
nomènes, à les expliquer, mais isolés de leur contexte. Elle découpe son
projet d'enquête et mêle dans ses recherches ses propres documents,
obtenus par interview, observation directe, etc... aux documents, par
exemple statistiques, recueillis par d'autres.
La différence essentielle provient du fait que l'anthropologue étudie
une culture étrangère à la sienne, ce qui l'oblige à rechercher d'abord une
hiérarchie des normes, à observer les schémas de comportements admis,
l'explication approfondie de tous les aspects culturels, même quotidiens.
Dans un domaine ignoré, le banal devient intéressant. Le sociologue, au
contraire, ne s'intéresse pas à tous les aspects journaliers, supposés
connus, de notre culture. Nos façons de vivre sont laissées de côté et fina-
lement moins connues que celles de certaines tribus, ou que les compor-
tements anormaux 1.
L'anthropologie, malgré ses diverses tendances, paraît moins hétéro-
gène dans son objet, dans ses méthodes et dans son inspiration, que la
sociologie. Ceci provient sans doute d'une plus grande complexité des
problèmes posés par les sociétés actuelles et de la difficulté, pour les
sociologues, de valider leurs réponses par une méthode de comparaisons
très systématiques, comme cela peut se pratiquer plus facilement dans des
sociétés closes.
Ces difficultés rencontrées par le sociologue, le côté particulier des
situations qu'il observe, ont développé sa rigueur méthodologique et une
véritable imagination scientifique, dont font rarement preuve les anthro-
pologues.
Cependant, l'anthropologie peut apporter à la sociologie, les éléments
de vérification et de comparaison sur les facteurs en cause, dans des
sociétés différentes 2 • Mais là où certains voient les possibilités d'une fruc-
tueuse collaboration, d'autres, comme C. Lévi-Strauss, estiment que les
relations entre sociologues et anthropologues se placent encore sous le
signe de l'équivoque. L'évolution de ces sciences n'a pas permis de bien
percevoir la véritable différence qui continue à les séparer, même si à
l'heure actuelle les autres particularités s'effacent.
1. Deviantbehaviortrès étudiée par les Américains.
2. Comme le note Balandier, les bouleversements qui affectent aujourd'hui certaines régions
d'Afrique et d'Asie, en voie d'industrialisation, offrent aux sociologues des conditions expérimentales
d'observation qui sont pour eux exceptionnelles. Cah. Int. Soc. 1956, XXI, pp. 114, 127.
206 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

En effet, écrit C. Lévi-Strauss: « Dans son effort pour dégager des inter-
prétations et des significations, c'est sa propre sociéte que le sociologue vise
d'abord à expliquer; ce sont ses propres catégories logiques, ses propres perspec-
tives historiques qu'il applique à l'ensemble... Tandis que l'anthropologue, placé
en face de la même tâche, s'efforcera involontairement et inconsciemment (et il
n'est nullement certain qu'il y réussisse jamais) de formuler un système, valable
aussi bien pour le plus lointain indigène que pour ses propres citoyens ou
contemporains 1. »
L'anthropologie serait donc au sommet de la pyramide des sciences
humaines, car elle impliquerait la recherche de cette unité de l'homme,
de ce « substrat universel » commun à toutes les cultures, qui se mani-
feste, avons-nous vu, soit dans leur inconscient, soit dans leurs structures
mentales. Tous les anthropologues ne partagent pas ce point de vue.
Pour stimulantes que soient les réflexions de Lévi-Strausset leur orientation,
elles ne paraissent pas encore recouvrir toute la complexité du concret Les
exemples qu'il donne en linguistique ou dans les structures de la parenté, sont
très limités dans leur application. Comme le note G. Balandier, « à ce niveau,
l'anthropologie découvre des propriétés si générales et si abstraites qu'elles ont
une insuffisante valeur explicative. Elle ne tient plus compte de l'incidence des
situations, des conditions concrètes et historiques sur les systèmes sociaux et
culturels. Elle élude une de ses tâches principales: l'explication des différences
que révèle l'inventaire de ces systèmes poursuivi à travers l'espace et le temps» 2 •
181 Bibliographie ◊
Actesdu colloqueAnthropologiesocialeet ethnologiede la France,1989, M.
Segalen, ed.. Louvain Peeters.
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4. LA PSYCHOLOGIESOCIALE
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182 Psychologie sociale et psychosociologie ◊ Utilisés souvent indif-
féremment, les deux termes ne signifient pourtant pas exactement la
même chose. L'expression psychologie sociale suggère « une primauté
non seulement chronologique et méthodologique, mais ontologique » 1.
Dans un cas on insiste sur la psychologie, dans l'autre sur la sociologie.
Cependant vu le développement inégal de la discipline suivant les sec-
teurs et surtout la fracture, sinon l'opposition, entre la recherche théo-
rique et la pratique (cf. n° 882), on risquerait, en adoptant des définitions
précises, de séparer d'un côté une discipline enseignée à l'université sous
la dénomination de psychologie sociale, bien que son domaine scienti-
fique soit encore assez flou et de l'autre, un certain nombre de pratiques
professionnelles. Celles-ci recouvrent une gamme d'interventions carac-
térisées par une grande hétérogénéité et des liens étroits ou presque
inexistants avec la discipline dont elles sont supposées issues, alors qu'en
réalité, elles l'ont souvent précédée. On a vu les difficultés rencontrées
par la sociologie américaine pour faire communiquer et se joindre prati-
ciens et savants, de même la psychologie sociale naîtra des problèmes
posés dans la société et suscitera l'activité des praticiens psycho-
sociologues, av~nt l'avancée de la théorie en psychologie sociale.
Gallup aux Etats-Unis a précédé les réflexions sur les sondages. Après
cette mise en garde et en notant le fait que les praticiens préfèrent en
général s'intituler psycho-sociologues2 , on utilisera encore les deux
termes jugeant toute distinction prématurée.
182-1 Domaine et évolution ◊ La psychologie sociale cherche à répondre à
cette question centrale : comment l'individu peut-il influencer ce qui
l'entoure, les institutions, la société dont il fait partie, alors que celles-ci,
en même temps, le conditionnent?
Lesrelations interindividuelles, objet de la psychologie sociale, se carac-
térisent par le fait que si chaque personne pense, agit, ressent, elle est en
même temps plus ou moins sensible aux réactions des autres. De plus ces
relations ont un caractère social.Les relations humaines se situent tou-
jours dans un environnement social organisé - famille, groupe, commu-
nauté, nation. D'où la nécessité pour le psychosociologue d'étudier l'en-
1. J. Dubost, à qui nous empruntons des réflexions qui suivent (1982).
2. S. Moscovici (1984) préfère psychologie sociale pour la discipline et l'adjectif psycho-
sociologique pour désigner ses méthodes.
212 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

vironnement social dans lequel se produisent les relations inter-


individuelles soumises à son observation.
Les auteurs, dès la plus haute Antiquité, ont eu l'intuition que ces deux
termes: l'individu et la société, vus sous l'angle de la culture qui les exprime, sont
en relation, mais aucun de ces précurseurs n'avait tout de même conçu l'idée que
le raP,port individu-société pourrait un jour constituer une science indépendante.
La reflexion portait sur l'un ou l'autre terme: nature de l'homme ou de la société,
le premier relevant de la psychologie, le deuxième au XIX" siècle de la sociologie.
Une des raisons pour lesquelles la psychologie sociale eut tant de peine à se
constituer en science indépendante tient à ce fait, qu'une partie de son domaine
se trouvait partagé entre des auteurs appartenant à des disciplines différentes.
Si l'origine de la psychologie sociale se trouve dans les préoccupations des phi-
losophes, sociologues, moralistes, politicologues européens, la psychologie sociale
contemporaine est avant tout une discipline amériCjline,à laquelle l'Europe a lar-
gement contribué par ses émigrés installés aux Etats-Unis. Parmi ceux-ci, de
nombreux Allemands apportaient la rigueur et la tendance expérimentale des
laboljltoires de psychologie, les Autrichiens les interprétations psychanalytiques
de l'Ecole de Vienne.
182-2 Évolution générale ◊ Le véritable facteur du développement de la psy-
chologie sociale fut la mise au point, depuis la première guerre mondiale,
d'une méthodologie originale et de techniques appropriées : sondages,
recherches sur le terrain, échelles d'attitudes. En matière sociale, plus
qu'ailleurs, elle n'était rendue possible qu'à partir d'un changement de
mentalité, permettant de concevoir les faits humains comme des choses,
c'est-à-dire de les soumettre comme les autres, malgré leur charge affec-
tive, à l'observation empirique et à l'expérimentation.
L'accélération des changements sociaux après la première guerre, la
multiplication des effets visibles de ces modifications sur les individus,
mais aussi, en retour, l'influence des réactions de ces derniers sur la
société tout entière, rendaient indispensables des études et une réflexion
de nature psycho-sociale.
On assiste, depuis la Deuxième Guerre mondiale, non seulement à
une multiplication des enquêtes dans des domaines extrêmement divers
et à un perfectionnement rapide des outils techniques, mais encore à un
approfondissement de la réflexion méthodologique et à l'apparition de
nouveaux concepts, bref, à un encadrement théorique, parfois très en
retard sur les matériaux fournis par la psychologie sociale appliquée, mais
essayant tout de même de les ordonner, sinon de les expliquer. Ce déve-
loppement amena des spécialisations, une division de la psychologie
sociale en branches autonomes, naissant plus ou moins conjointement
avec des domaines particuliers de la sociologie : psycho-sociologie indus-
trielle, militaire, etc.
La psychologie sociale a représenté de 1920 à 1960, l'élément le plus
dynamique des sciences sociales grâce aux techniques assurant des possi-
bilités d'expérimentation plus rigoureuses. Elle correspondait à l'esprit
positiviste de l'époque et elle marque depuis un temps d'arrêt Les Améri-
cains qui peuvent financer des recherches et doivent publier, fournissent
encore de nombreux travaux mais d'intérêt inégal et sur le plan théo-
LA PSYCHOLOGIESOCIALE 213

rique, on ne note pas de grands progrès. De plus, alors que la sociologie a


pu se diviser en sociologies particulières, la psychologie sociale n'a pas les
mêmes possibilités de fractionnement. Les chercheurs se spécialisent :
motivations, croyances, attitudes, influence, mais la liste de travaux ne
s'ordonne pas en une classification satisfaisante.
Les récents ouvrages de psychologie sociale font état de réflexions déjà
anciennes ou alors de nombreuses recherches ponctuelles 1 2 .
183 Les premiers auteurs ◊ L'histoire de la psychologie sociale se trouve,
en général, partiellement traitée par les représentants de diverses disci-
plines 3, les deux auteurs qui semblent avoir le mieux pressenti le pro-
blème sont J.-J.Rol!Sseau et A. Comte, dont le rôle de précurseur est
mieux reconnu aux Etats-Unis qu'en France. En dénommant la véritable
science « science morale », sans doute faisait-il un choix malheureux,
mais la définition qu'il en donne paraît de conception très moderne :
« elle est capable de systématiser les connaissances particulières sur notre
nature individuelle par la combinaison de deux points de vue : le biolo-
gique et le sociologique ».
Le premier nom à citer, est celui de Lester F. Ward 4 (1893), auto-
didacte, ayant debuté dans une ferme, devenu charron, géologue et à
6 5 ans, professeur de sociologie à Brown College. La doctrine de Ward est
à la fois utilitariste et évolutionniste. L'évolution pour lui n'est pas seule-
ment biologique et il insiste sur l'aspect psychologique des forces sociales.
A la même époque (1898), un ouvrage allemand, Die Sociologische
Erkenntnis,de Gustave Ratzenhofer, introduisait également en sociolo-
gie, à côté des structures sociales, des considérations sur les motivations
des individus, justifiaI}t le titre de Sodal-psychology. Ratzenhofer eut une
grande influence aux Etats-Unis, où il inspira A. W. Small et Mac Dou-
gal! (1908), sujet britannique, fixé aux Etats-Unis, représentant le plus
connu de la théorie de l'instinct dans la psychologie sociale préscienti-
fique. Son livre : Introductionà la psychologiesodale,vivement combattu,
exercera, à terme, une influence.
Après la querelle entre les partisans de l'instinct et ceux du milieu, les
deux pôles fondamentaux de la psychologie sociale : individu, société,
vont se réconcilier ou plutôt retrouver leur équilibre avec J. M. Baldwin
(1895) et Ch. Forton Cooley, qui replacent l'individu dans un contexte
social et montrent comment le sentiment du moi une fois constitué,
reçoit à travers les institutions sociales, l'influence des autres.
Enfin Georges Herbert Mead (1934) 5, analyse les rapports entre
l'individu et sa propre expérience de socialisation. Pour l'enfant, son moi
est une donnée sociale. Dans sa conduite avec les autres, il joue un rôle,
1. Nous signalerons ces recherches aux chapitres les concernant ou pour illustrer l'expéri-
mentation.
2. Cf. E. Maccoby et al. (1947), D. Krech et R.S. Crutchfield (1948), R. Daval et al. (1963),
J. Maisonneuve (1951, 1973), Denise Jodelet et al. (1970), S. Moscovici (1972).
3. E. Apfelbaum (1981).
4. Psychicfactorsin civilisation(1893).
5. G. H. Mead (1934, B. 181).
214 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

celui que l'on attend de lui. La personnalité est constituée de ces rôles
intégrés, englobant les attitudes sociales de groupes proches (familles,
amis), mais également de groupes beaucoup plus vastes (nation, etc.). A
partir de cette époque, la psychologie sociale est constituée.
184 Les premières notions ◊ Les recherches des auteurs du xi~ siècle,
sociologues et philosophes, s'exprimaient sous forme abstraite. Tous
poursuivaient une explication de caractère unitaire, pouvant rendre
compte des phénomènes du type du réflexe en physiologie.
Les recherches concrètes menées par des auteurs contemporains
montrent trop la complexité des variables en cause, pour envisager une
explication unique. Cependant, les uns et les autres sont naturellement
portés à donner plus d'importance à certains facteurs qui les intéressent ;
ceux-ci évoluent, mais on retrouve le plus souvent, sous des formes dif-
férentes, de vieilles notions.
Parmi celles-ci, on compte l'hédonismeou principe d'utilité de Bentham,
repris par SP,encer, l'un et l'autre l'appliquant au système économique. Cette
notion du role des besoins ou du plaisir apparaît sous une forme originale dans
les ouvrages de Freud. On la retrouve aujourd'hui dans les études de motivations.
Proche de cette notion de plaisir, on trouve celle de pouvoirauquel sont attachés
en Angleterre le nom de Hobbes, en Allemagne, de Max Stirner et Nietzsche,
en France, du biologiste évolutionniste Le Dantec, enfin Adler, psychiatre autri-
chien. Plus près de nous K. Horney (E.-U.), B. Russell (G.-B.) reconnaissent à
l'esprit de compétitionplus d'importance qu'à la sexualité.Trouvant insuffisante
l'importance reconnue à la manifestation naturelle de l'amour de soi, certains
auteurs s'orientent dans une direction très différente du freudisme et recherchent
dans l'homme d'autres motifs d'action. Ce seront la sympathie,l'imit:ation, la sug-
gestion,notions proches du rapport entre l'individu et les autres, c'est-à-dire pro-
prement psycho-sociales.
Adam Smith, Herbert Spencer, Mac Dougall (1908), T. Ribot, Max Sche-
ler distinguent, sous des formes diverses, la sympathieressentie par l'individu.
Tarde généralise en sociologie la théorie de l'imif:ation (1890) (proposée par
Baldwin pour expliquer le développement de l'enfant), reprise et complétée par
G.H.Mead.
Quant à la suggestion,ce fut sans doute la notion la plus importante pour le déve-
loppement des sciences sociales. Peut-être parce 4,ue née d'une expérience
concrète (Charcot à la Salpêtrière), opposée aux theories existantes (Ecole de
Nancy), la suggestion est au départ clairement définie. Assez rapidement, grâce à
de nombreuses expériences vérifiables, naîtront les concepts modernes de condi-
tionnement, de réflexes conditionnés, la notion de situation de crise, de structure
mentale, d'influence du groupe, etc.
185 Les tendances principales ◊ La psychologie sociale n'a pu se déta-
cher de conceptions imp1icitessur la nature de l'homme. Ellesvont inspi-
rer quelques idées fondamentales, certains courants, qui tiendront lieu
momentanément de théorie et reflètent en partie des vues divergentes
quant à l'essence de l'homme. L'importance accordée à la physiologie ou
à l'expérience, à l'enfance ou à l'environnement, à la recherche du maxi-
mum de satisfaction et à la nature des facteurs contribuant à celle-ci
( égocentriques ou altruistes) vont orienter les hypothèses et les
recherches.
LA PSYCHOLOGIE SOCIALE 215

185-1 a) La psychologie de la forme ◊ Une des influences les plus mar-


quantes sera exercée par l'école de la psychologiede la forme (Gestalt-
psychologie). En re'bellion contre la psychologie allemande de l'époque,
les gestaltistes affirment que la première étape indispensable aux progrès
d'une psychologie systématique, consiste à observer les faits psycho-
logiques tels qu'ils apparaissent dans l'expérience directe. Le gestaltisme
va donner à la psychologie sociale naissante une orientation expéri-
mentale. Sans doute explique-t-il aussi l'attrait pour ce que l'on appelle
l'expérience naïve, le terrain, que l'on retrouve aujourd'hui dans l'intérêt
manifesté pour la vie quotidienne.
Deux idées essentielles inspireront toute une série d'expériences : 1° Un
phénomène psychologique se produit à l'intérieur d'un champ, dans un
système de facteurs interdépendants, dans lequel les propriétés du tout
diffèrent de celles des parties. 2° Le système tend à fonctionner aussi bien
que le permettent les conditions existantes. Nous retrouverons ces postu-
lats dans les expériences de Lewin1, Asch 2, Festinger3,etc.
Cependant, en notant que la cause d'un phénomène social ou individuel n'est
pas un autre fait social ou individuel, mais toujours une combinaison des deux,
on demeure dans la recherche d'une causalité limitée. Il appartenait au gest.al-
tisme, d'opérer ce que Lewin a appelé la révolution copernicienne des sciences
humaines: la substitution de la logique des rapports (Galilée) à celle des essences
(Aristote). Le comportement humain ne dépend pas de la nature de chacun des
éléments du groupe, mais les atittudes psychiques individuelles sont fonction de
leurs relations dynamiques avec les divers aspects de la situation et ne peuvent
être comprises que par les ensembles sociaux, auxquels les individus sont intégrés.

186 b) Les théories du renforcement : le behaviorisme ◊ La psycho-


logie moderne rejette les théories de l'instinct et subit l'influence de l'évo-
lutionnisme. Celle-ci l'amène à s'intéresser, surtout aux États-Unis, aux
phénomènes d'acquisition des réponses, à l'apprentissage. Les expé-
riences montrent que l'acquisition des réflexes ne dépend que fort peu de
facteurs génétiques. C'est surtout en fonction de son expérience face à
l'environnement physique et social, que l'individu acquiert langage, atti-
tude, etc ... Alors que la psychologie limite son investigation à l'aspect
physiologique de l'apprentissage en laboratoire, avec des animaux pour
sujets, la psychologie sociale, intéressée par les comportements, les inter-
actions, les rapports entre les individus et la société, s'inspirera de ces
expériences et étudiera des sujets humains.
Le behaviorisme4,est apparu comme une réaction contre les procédures
subjectives de l'introspection. C'est un courant de pensée plus qu'une
théorie. Il insiste sur la nécessité de fonder la psychologie sur des données
observables : les stimuli, frappant les organes des sens et les conduites
tenues en réponse. Processus que l'on symbolise ainsi : S - R.

1. Cf. n° 882.
2. Cf. n° 873.
3. Cf. n° 830.
4. Behavior =comportement.Cf. E. Ions (1976).
216 LESDIFFÉRENTESSCIENCESSOCIALES

A l'origine de cette tendance, on trouve les expériences de Pavlov1 qui


ont inspiré J.B.Watson (1919) et de nombreux psychologues.
I.e behaviorisme,
en considérant les comportements des individus comme des
réactions aux stimuli venus du monde social extérieur, a modifié les rapports
entre la psychologie, qui étudie des réactions aux stimuli naturels,la psychologie
sociale aux stimuli sociaux et la sociologie, ou étude des stimuli sociauxeux-
mêmes. Mais les gestes et les mots, réactions de comportement, expriment l'indi-
vidu dans la mesure où ils ont pour lui une signification. Tout en conservant le
point de vue du behaviorisme, il faut y réintroduire la conscience, ce sera la
contribution de C.H.F. Cooley, de G.H. Mead, de F. Znaniecki. Lagrande supério-
rité des Américains a consisté, au lieu de viser ou redouter une subordination
d'une science à l'autre, à chercher une intégration entre anthropologie, psycho-
logie et sociologie, le psychologue opérant la vérification des hypothèses de l'an-
thropologue.
I.e behaviorisme a inspiré dans des directions différentes des expériences don-
nant lieu à des généralisations, à l'élaboration de concepts. On retrouve son
influence dans les recherches sur le rôle de l'éducation et de l'apprentissage, sur
les quatre facteurs de l'apprentissage de J.Dollard et Millet 2, sur les effets des dif-
férents types de communication et les changements d'opinion étudiés par C.L
Hovland 3 (1949), sur le rôle de l'imitation et du renforcement par A. Bandura
(1977), enfin sur le contrôle du comportement, idée fixe de B.F. Skinner (1978).
I.e behaviorisme a donné lieu aux thérapies comportementales 4. Il s'agit d'uti-
liser le renforcement par récompense ou l'inhibition par punition de certains
comportements, l'absorption d'alcool étant, par exemple, associée à des médica-
ments donnant des nausées. On distingue trois courants utilisant ce schéma. I.e
courantsud-africainde Wolpe inspiré de Pavlov cherche à briser le lien entre les
situations provoquant l'anxiété, en inhibant celle-ci.
L'écoleanglaise,également pavlovienne, mais plus expérimentale, cherche, sous
l'influence d'Eysenck, à briser ou créer des liens en utilisant les principes d'ap-
prentissage de la psychologie expérimentale.
I.e groupeaméricainde Skinner évoque des situations en dehors de la thérapie
sous le titre plus large de« behavior modification». Tout comportement adapté
ou inadapté s'acquiert suivant le même mécanisme : celui du conditionnement.
On a reproche, à juste titre, aux behavioristes d'être simplistes, de passer trop
rapidement de l'animal en laboratoire aux individus, sans tenir compte de leur
complexité. Enfin, les adeptes de la théorie et des modèles s'opposent à ceux qui
privilégient l'expérimentation.
Les thérapies comportementales, malgré les réserves exprimées, se sont déve-
loppées en France ces dernières années sur le plan thérapeutique pour traiter les
phobies mais les expériences, en particulier en matière de sexualité, soulèvent le
problème de la définition de la déviance (homosexualité, fétichisme etc.) et sus-
citent également des réserves sur le plan éthique, à cause du caractère de manipu-
lation de ces pratiques.
Née de la psychologie et de la sociologie, la psychologie sociale
emprunte à la première son empirisme, à la seconde son environne-
1. Un chien qui saliveen absorbant de la poudre de viande (stimulus inconditionnel S. 1.) sali-
vera même sans viande, en entendant une cloche (stimulus conditionnel S. C.), si le son de celle-cia
été régulièrementassociéà la prise de viande.
2. Impulsion, indice, réponse, récompenseou renforcement.
3. C.L. Hovland et al. (1949, B. 860).
4. La Douceur (1989).
LA PSYCHOLOGIESOCIALE 217

mentalisme. L'influence de la tendance expérimentale, l'impossibilité de


trouver une grande théorie unitaire d'explication des comportements, ont
contribué à perfectionner les instruments techniques. « Le refus de théo-
ries en chambre [ ...] a conduit de nombreux psychosociologues,non seu-
lement à quitter leur chambre, mais aussi à cesser toute théorisation 1.»
Le danger, signalé en sociologie, de confusion entre rigueur épistomolo-
gique et fétichisme des procédures 2 se retrouve en psychologie sociale.
Aussi les tendances récentes s'orientent-elles vers une liaison plus étroite
entre recherche et théorie mais en limitant cette dernière à des explica-
tions partielles.
186-1 c) Les sciences cognitives ◊ Le domaine des sciences cognitives
comme celui de la communication intéresse toutes les sciences humaines
et présente également un aspect technique poussé puisqu'il s'agit à la fois
du fonctionnement du cerveau et de sa copie: l'ordinateur.
Le prodigieux essor des neurosciences et l'évolution parallèle des
machines à intelligence artificielle ont créé une mode mais aussi suscité
des questions plus sérieuses. Sans aller jusqu'à admettre la possibilité que
les machines puissent remplacer le cerveau humain, on peut encore amé-
liorer leurs capacités déjà surprenantes et surtout la connaissance des
mécanismes du cerveau sur le plan thérapeutique, psychologique
(mémoire, acquisition des connaissances) et celui du comportement.
Les chercheurs des diverses branches formulent des concepts nou-
veaux, étape nécessaire avant de constituer une véritable science auto-
nome 3.
On a reproché à l'orientation cognitive de privilégier l'individu en
sacrifiant le sens de la communauté 4 .
187 Les principaux secteurs de la psychologie sociale. La personna-
lité ◊ La personne est le thème central de toute la psychologie sociale,
comme elle l'était de la psychologie, mais la psychologie sociale insiste,
du fait du mot social, sur l'idée d'interaction avec le milieu.
Le psychologue G.W. Allport a noté plus de cinquante définitions dif-
férentes de la personnalité. Cette multiplicité des définitions est révéla-
trice de notre incertitude sur la notion. Un grand nombre d'auteurs ont
défini la personnalité de façon opératoire, c'est-à-dire en fonction des
techniques qu'ils utilisaient pour l'aborder, d'où l'importance de celles-ci.
C'est le cas de R. Cattel (1950), qui définit la personnalité:« ce qui per-
met de prédire ce que fera un individu, dans une situation donnée 5 ».
La personnalité a aussi été définie comme « l'organisation dynamique
des aspects cognitifs, volitionnels ou conatifs 6, physiologiques et mor-
phologiques de l'individu».
1. R. Daval et al. (1963), p. 237.
2. Cf. P. Bourdieu et al. (1968, B. 170).
3. Cf. M. Scheerer (1954).
4. Cf. E. E. Sampson in J. Guergen (1980), p. 498, J. R. Eiser (1980), K.J. Guergen (1984), F.J.
Varela (1988).
5. La prédiction est faite à partir d'une analyse factorielle.
6. Conatif qualifie un acte de volonté impliquant un effort.
218 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

On peut étudier la personnalité de différentes manières : 1° en tennes


de niveaux et d'instance.L'introspection la plus élémentaire permet de
reconnaître et éventuellement de hiérarchiser les éléments divers dont se
compose la personnalité, malgré son unité. C'est la distinction entre les
vies végétative, animale, et raisonnable de l' Antiquité.
Freud explique le jeu des conflits par la distinction entre le ça, le sur-
moi, le moi, instances purement psychologiques et sans références biolo-
giques.
2° On peut encore étudier la personnalité en fonction des différents
fact.eurs, au sens large, qui la composent : facteursbiologiques et facteurs
sociaux.
Lesfacteursbiologiquesse divisent en facteurs acquis,donc plus ou moins acci-
dentels, et facteurs constitutionnelsoù l'on distingue deux grandes tendances sui-
vant l'importance qu'elles accordent aux caractères héréditaires : théories substan-
tialistes,plus statiques, examinant ce qu'est la personne du point de vue inné et
individuel, et théories situationnellesou « environnementalistes » considérant la
personne en fonction des réactions qu'elle oppose à son milieu.

188 Théories substantialistes. a) Les types ◊ Les théories substantia-


listescherchent à connaître, expliquer, prévoir les conduites d'un individu
dans chaque situation par rapport à sa personnalité tout entière. Qu'il
s'agisse de conceptions plus synthétiques ou plus hiérarchisées, ces théo-
ries insistent sur le fait que la personnalité est composée d'éléments sou-
mis à une organisation.
Le succès de la typologie, d'après J.Stoetzel (1963), pourrait s'expliquer
parce qu'elle exprime les caractéristiques fondamentales de la conception
occidentale de la personnalité, une et intégrée, qu'elle répond à notre
goût de la classification et de l'abstraction, que de plus, elle est relative-
ment accessible au public et correspond au désir de chacun de se
comprendre (narcissisme).
189 b) Les facteurs ◊ La typologie tente de classer les individus en déga-
geant ce qui leur est commun. A côté de cette voie synthétique existe une
voie analytique qui tend à établir des distinctions. Cette seconde tendance
apparaît avec P.J. Gall (1758-1828).
Elle s'oppose aux facultés générales, ne rendant pas compte des différences
individuelles et annonce ainsi la théoriedesfacteurs,d'après laquelle la personna-
lité pourrait se décrire et se mesurer, sinon se définir, à l'aide de corrélations entre
les divers facteurs la composant.
C'est en 1924 que Ch. Spearman met au point une méthode mathé-
matique : 1'analyse factorielle
1, 1ui permettant d'analyser un facteur
unique, contenu dans les tests d'intelligence et qu'il nomme g. L.L.
Thurstone, puis R Cattel découvrent d'autres facteurs déterminés de
façon mathématique et objective. Cattell en dénombre douze, qu'il
appelle traits primaires de la personnalité. La personnalité serait ainsi
1. Cf. n° 743.
LA PSYCHOLOGIE SOCIALE 219

constituée par un ensemble de facteurs dont l'inventaire n'est pas ter-


miné.
189-1 c) Les traits ◊ On admet que le type existe, lorsqu'un certain nombre
de traits stables sont associés1 . Pratiquement, les psychologues utilisent
plutôt la notion de typepour décrire la personnalité pathologique et celle
de traits pour décrire la personnalité normale ... dans la mesure où le nor-
mal existe encore pour eux...
Du fait des origines psychiatriques des études sur la personnalité et de la qua-
lité du matériel humain, généralement soumis à obseivation, les traits et facteurs
de personnalité sont presque toujours analysés en fonction de l'élément de désé-
quilibre qu'ils représentent. On étudie les facteurs d'an&_oisse,les causes de
complexe, les mécanismes de défense, mais qui s'intéresse a l'aptitude à la joie,
aux sources de confiance, au dynamisme et à l'altruisme? Un auteur américain,
A.H. Maslow 2 (1954), faisant cette remarque, a essayé d'analyser des personnali-
tés toniques, mais son étude, la seule à notre connaissance répondant à cette
préoccupation, n'est guère convaincante.

190 Les aptitudes ◊ Facteurs innés de la personnalité, elles se traduisent et


s'extériorisent dans une activité. Elles font partie de la personnalité sans
l'exprimer tout entière. Elles s'étudient en psychologie générale, mais sur-
tout en psychologie apppliquée et en psychotechnique. Le psychologue
H. Piéron (1949) en donne la définition suivante: « l'aptitude est la
condition congénitale d'une certaine modalité d'efficience 3 ». C'est une
virtualité qui peut être mesurée par des tests, aussi bien sur le plan mental
que physique.
190-1 Théories situationnelles ◊ Ellesinsistent sur l'influence des éléments
extérieurs et des facteurs d'adaptation de la personnalité, c'est-à-dire ses
réactions au milieu externe. La définition que G.W. Allport (1968)
donne de la personnalité en est un bon exemple : « La personnalité est
l'organisation dynamique dans l'individu, des systèmes psychologiques
qui déterminent ses adaptations propres vis-à-vis du milieu 4.»
La théorie behavioriste5, portée à l'extrême, tend à nier la structure
durable de la personnalité en tant que telle. Ce qui d'après elle, persiste,
c'est l'habitude qui s'est créée en réponse à une pression sociale.
Le plus éminent représentant des théories situationnelles est Kurt
Lewin6 • La notion originale, empruntée au gestaltisme qu'il introduit en
psychologie, est celle de champpsychologique,qu'il définit: « une totalité
de faits coexistants, conçus comme mutuellement interdépendants». La
notion de champ offre l'avantage de faciliter l'étude objective des indivi-
1. Cf. n° 771 : la personnalité autoritaire.
2. In AH. Maslow (1954, B. 478).
3. (B. 478).
4. G. W. Allport (1968) in Linclzey.Handbookof socialpsychology.
5. Cf. n° 186.
6. Né en Allemagne en 1890, émigré aux États-Unis en 1934, mort en 1947 (1936, 1948, 1951,
B 478).
220 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

dus, en tenant compte de la « puissance de la situation » dans laquelle ils


se trouvent, c'est-à-dire à la fois des facteurs internes et externes.
Lewin cherche par la psycho-dynamique à trouver une représentation
scientifique de l'espace vital et de la fonction qui relie l'espace vital au
comportement.
Sans nier les facteurs innés, Lewin se préoccupe surtout des problèmes
dynamiques de la personnalité, en particulier des phénomènes de ten-
sion, de communication, d'interaction et de changement, enfin de déve-
loppement de la personnalité. Peu de théories en psychologie sociale ont
suscité autant de recherches que celle de Lewin..
Tout en étant un théoricien, il a toujours voulu rester également un chercheur.
Avec ses disciples, il a organisé de nombreuses expériences, en particulier sur les
interactions dans les groupes 1 . Sans doute peut-on critiquer ses théories, sa termi-
nologie, lui reprocher de ne pas tenir compte du passé des êtres, de la continuité
de la structure de la personne, etc. Mais on lui doit la remise à l'honneur des fac-
teurs psychologiques rejetés par les behavioristes. C'est lui qui a réanimé laper-
sonaréduite à un ensemble de mécanismes, et fait passer un souffle de vie dans la
psychologie américaine moderne.
Pour conclure, on peut dire que la personnalité est la notion par
laquelle il nous est possible de rattacher à un centre, une série d'actes, de
comportements, de conduites, ceux-ci formant un ensemble composé
d'une part innée, d'une autre part acquise, le tout organisé et hiérarchisé,
permettant des processus d'adaptation originaux et caractéristiques de cet
ensemble.
191 Les principaux secteursde la psychologiesociale: 1° Le pro-
blèmedes rapports de l'individu et de la culture ◊ Il s'agit là de
l'étude des facteurs qui jouent dans cette intégration de l'individu à la
société dans laquelle il vit.
On retrouve le thème des influences de l'héréditéet du milieu. Les recherches
pour mesurer l'influence de l'un et de l'autre facteurs ont été faites, en particulier,
sur de vrais jumeaux (monozygotes) représentant l'élément héréditaire le plus
comparable possible, alors que milieu et éducation peuvent varier dans les cas de
séparation des enfants dès la naissance.
La sodalisationde l'individu. - Le problème précédent se posait en termes sur-
tout psycho-physiologiques. Il s'agit d'étudier ici comment se produit l'accultura-
tion de l'individu et comment jouent les divers facteurs dans le processus:
contrainte de Durkheim, imitation de Tarde, réflexes conditionnés de l'apprentis-
sage, qui commencent avec le dressage physiolopque de l'enfant (régularité de la
nourriture, propreté, etc.), avec toutes les consequences particulières, suivant les
individus, que peuvent produire le refoulement, la contrainte ou la persuasion.
M. Mead 2 (1952) insiste sur la nécessité de replacer l'apprentissage individuel
dans le contexte culturel global qui le renforce et cite l'exemple de l'éducation à
Bali, où les enfants sont habitués à supporter sans transition actes de tendresse et
d'abandon, où la frustration avec sa conséquence l'agressivité, devient inconce-
vable car le temps n'existe pas à Bali. L'on ne conçoit que le présent, lequel ne
produit rien, ne mène à rien et par là supprime l'attente.
1. Cf. 882 bis.
2. (B. 181).
LA PSYCHOLOGIE SOCIALE 221

192 L'influence des conditions sociales. a) La perception o Même


les réactions qui semblent universelles parce que physiologiques subissent
l'influence de la culture.
L'expérience ethnologique a permis de constater que les stimuli, qui « phy-
siquement » semblent identiques, sont perçus différemment par les individus
appartenant à divers groupes culturels. Chaque culture a, par exemple, divisé sui-
vant un système différent le contenu des couleurs du spectre.
Les sociologues de l'Ecole de l'Année Sociologique, ont été les premiers à
découvrir que l'espaceet le temps sont en réalité des constructions sociales.
192-1 b) La mémoire ◊ W. James remarquait déjà que« le marchand rete-
nait les listes de prix et l'homme politique les votes et les discours de ses
collègues1 ». La plupart des individus oublient les situations qui leur ont
été pénibles mais quelques-uns au contraire, les sélectionnent. Il paraî-
trait assez fondé de dire: « Dis-moi de quoi tu te souviens, je te dirai qui
tu es.»
193 c) Les comportements d'intelligence ◊ Les conduites intelligentes,
dit J. Stoetzel2, sont évidemment sociales dans leur intention et leurs
effets. L'intelligence ne peut se définir que par rapport à une certaine
définition sociale de cette valeur. De nombreuses expériences ont montré
l'influence des facteurs sociaux sur les opinions.
Le test de A Binet 3 a permis à ses élèves et successeurs, d'étudier les variations
des niveaux d'intelligence, en fonction des conditions socioculturelles.
19 3-1 d) La vie affective et les attitudes ◊ L'expression de la vie affective
est le facteur qui semble à beaucoup le plus spontané et d'après l'opinion
populaire, le plus universel. Pourtant, l'influence de la culture en ce
domaine est importante.
O. Klineberg (1957) note que les Chinois en colère ont les yeux ronds, c'est
pourquoi ils s'imaginent que les Européens, n'ayant pas les yeux bridés, sont
constamment mécontents. C'est dans et par l'affectivité que les individus
prennent contact avec les valeurs sociales, car aimer, souffrir, avoir peur, c'est
avoir une attitude, une conduite vis-à-vis d'une situation, d'un objet, d'une per-
sonne. Les comportements affectifs s'imposent le plus souvent avec une grande
force, c'est pourquoi la société est intervenue pour définir les situations et régler
les émotions susceptibles de comportements efficaces, mais aussi de subversion.
L'institutionalisation de l'affectivité, sa réglementation, se manifestent dans
toutes les cultures. La psychologie populaire, admise par le plus grand nombre, en
représente sans doute la forme la plus contraignante, car elle impose et n'explique
pas, tout en se croyant universelle. J.Stoetzel donne en exemple les traditions
occidentales concernant le deuil, qui sont si peu aptes à résoudre les problèmes de
ceux qui doivent en jouer les rôles.
194 2° Les niveaux ◊ On peut également regrouper les différents thèmes
de réflexion et les expériences des psychologues sociaux en fonction de
leurs niveaux.
1. In J. Stoetzel (1963), p. 111.
2. In op. dt.
3. Cf. LivreIII. N° 730.
222 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Le premier rassemble les études portant sur les réactions intra-


individuelles.On n'étudie pas l'individu coupé du monde, mais on
cherche comment il organise ses réactions face au monde (équilibre
cognitif).
Le niveau « interindividuelet situationnel» étudie la dynamique des
relations qui peuvent s'instaurer à un moment donné entre individus
donnés, dans une situation donnée, étude de groupes le plus souvent.
Au niveau positionnel: sont étudiés les degrés d'influence variant avec
les statuts sociaux : pouvoir, emprise, influence minoritaire.
Enfin au niveau idéologique,l'on mesure l'influence des normes main-
tenant un ordre établi dans les rapports sociaux: soumission, confor-
misme etc. 1
194-1 Les liens entre la psychologie sociale et les autres sciences
sociales ◊ Toutes les sciences sociales sont en relation les unes avec les
autres, mais celles dont on vient de tracer rapidement l'évolution : socio-
logie, ethnologie, psychologie sociale, sont issues d'un fond de réflexions
communes sur l'homme et la société. Elles ont maintenant conquis leur
indépendance, mais après une période de défense assez jalouse de leurs
frontières, elles reconnaissent aujourd'hui ce qui les unit et la nécessité
d'une collaboration.
19 5 1 ° Psychologie sociale et sociologie ◊ La psychologie sociale et la
sociologie sont les deux sciences humaines les plus proches l'une de
l'autre.
Toutes deux s'intéressent à des situations sociales : les gens âgés, la
famille, ou à des comportements sociaux : les préjugés racistes, ou à des
processus tels que la concurrence. Cependant si le sujet peut être le
même, les points de vue adoptés sont différents. La psychologie sociale
étudie des comportements individuels, alors que la sociologie ne s'in-
téresse aux comportements qu'à partir de la possibilité d'atteindre un cer-
tain niveau de généralisation.
Il est rare que le même objet soit rigoureusement commun au psychologue et
au sociologue, cependant cela peut se produire. J.Stoetzel (1963) cite le cas de
l'étude de la compétition. Lepsychosociologue étudiera la compétition au sein de
la famille entre frères et sœurs, en classe ou dans un parti politique, les types
d'éducation: le système des notes, des examens et des concours et leurs effets, etc.
Il observera les types d'individus stimulés ou découragés par la compétition : le
sentiment d'infériorité par exemple, incite souvent par compensation à recher-
cher les situations de ce genre. Le sociologue, lui, analysera le rôle que joue la
compétition dans la société, les phénomènes institutionnalisés : examens,
concours, marché, bourses, jeux de la télévision, concours de beauté.
La psychologie sociale a apporté à la sociologie un point de vue que
celle-ci n'avait pu emprunter à une psychologie trop individualisée. A
l'intérieur même de la sociologie, une perspective psycho-sociale est
1. On retrouvera certaines expériences concernant ces divers niveaux aux chapitres des tech-
niques.
LA PSYCHOLOGIE SOCIALE 223

souvent présente, tenant compte des attitudes, des relations inter-


individuelles, des tensions, etc.
D'un autre côté, la psychologie sociale a besoin des cadres de la socio-
logie, surtout lorsqu'elle se spécialise et s'applique à certaines branches:
psychologies industrielle, religieuse, militaire, etc. Elle tient compte de
plus en plus de notions proprement sociologiques,telle la notion d'insti-
tution.
Il ne s'agit pas seulement de querelle d'étiquettes mais bien de la
reconnaissance d'une discipline comprenant théorie et pratique. Or pour
de nombreux sociologues, la psychologie sociale n'existe pas en tant que
telle.
Il est certain que sa double origine la gêne et aussi l'incite en progres-
sant à se diviser entre d'une part l'orientation psychologique avec les ten-
dances cognitivistes, comportementalistes et les expériences de labora-
toire. D'autre part la tendance pratique, interventionniste, clinique
comportant elle-même sur un continuum deux attitudes, une attitude
attachée à maintenir la liaison scientifique, universitaire théorique et pra-
tique (cf. Dubost n° 881) et une dérive plus ou moins prononcée vers les
consultations rentables... celle des conseillers considérés comme les
« valets du patronat». Pour réagir et trouver un lien d'appartenance, les
psychologues sociaux ont tenté ces dernières années un rapprochement
avec les sociologues sous l'étiquette de sociologie clinique. La société
internationale de sociologie accepte l'intégration de ces « réfugiés » 1.
Dans quelle mesure les esprits suivronts-ils? Ce ralliement paraît
contraire au mouvement d'autonornisation et de spécialisation crois-
santes accompagnant les progrès scientifiques2 .
196 2° Psychologie, psychologie sociale et psychologie collec-
tive ◊ La psychologie s'intéresse aux problèmes ae comportement soit
au plan individuel et surtout psychophysiologique,soit dans une perspec-
tive abstraite et générale. Elle étudie la mémoire, la volonté, etc. La psy-
chologie sociale observe les processus d'interaction individuelle, les
comportements de groupe, mais dans une optique très concrète. Les
méthodes également sont dissemblables, le psychologue travaille surtout
en laboratoire, le psychologue social également sur le terrain. Cependant,
malgré les différences, il existe un domaine commun que chacune de ces
sciences aborde avec son point de vue propre.
Par exemple les tests serviront au psychologue pour étudier l'intelligence ou la
mémoire, alors que le psychologue social étudiera les variables modifiant les
résultats : habitat rural, niveau de vie, présence de la mère au foyer, etc. Pour
J.Stoetzel3, la psychologie sociale s'est développée après la psychologie et lui
emprunte quantité de notions : apprentissage, motivation, forme, etc. La réci-
proque est moins vraie et c'est plutôt par l'intermédiaire de la psychologie appli-
1. Modification déjà intervenue au Québec.
2. L'exemple du sommeil et de ses pathologies qui encore partagé entre divers spécialistes (pneu-
mologie, O.R.L., etc.) tend à devenir une discipline à part entière. Enfin la sociologie elle-même a
donné l'exemple en se séparant de la philosophie.
3. Op. dt.
224 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

quée: psycho-technique, psychologie du travail, que s'est fait sentir l'influence de


la psychologie sociale sur la psychologie.
Les processus de socialisation, d'interaction sociale, de changements culturels,
sont des processus psychologiques qui s'expriment dans la perception, l'appren-
tissage et le développement de la personnalité, mais s'effectuent dans des condi-
tions sociales données. Les psychologues étudient l'aspect individuel et générali-
sable du phénomène, ethnologues et psychologues sociaux, l'aspect culturel.
Chacun, sans traiter ce qui relève de l'autre, cependant ne l'ignore pas. Les psy-
chologues en particulier ne peuvent méconnaître l'influence de la culture.
S'il est difficile de distinguer la psychologie de la psychologie sociale, il devient
encore plus délicat de les séparer de la psychologiecollective.On date en France
l'intérêt pour celle-ci de l'ouvrage de G. Le Bon (1895) La psychologiedesfoules1.
En fait il ne fut que l'un des auteurs parmi d'autres à s'intéresser au sujet, répon-
dant ainsi aux préoccupations de ses contemporains. Au xIX'siècle les révolutions
de 1789, 1830, 1848 et surtout la Commune sont proches. Romanciers et histo-
riens les font revivre2 • La chance de Le Bon fut de fournir des explication claires
sinon justes des comportements collectifs. « L'individu en foule descend plusieurs
degrés sur l'échelle de la civilisation.» Conduit par l'inconscient, sa rationalité
mise en veilleuse, il est soumis à son impulsivité, à l'exagération des sentiments, à
ces caractéristiques« que l'on observe également chez les êtres appartenant à des
formes inférieures d'évolution comme la femme, le sauvage et l'enfant». Pour-
quoi ? parce que le nombrerend irresponsable tout en donnant un sentiment de
puissance. Intervient également une sorte de contagionqui suscite au-delà des
intérêts personnels, un intérêt collectif. Cont.agion renforcée par la suggestionqui
plonge les individus dans un ét.at quasi hypnotique.
Le Bon complète ses explications sur les risques et dangers présentés par les
foules en fournissant un remède : le meneur. Ses conseils constituent avant la
lettre un vérit.ablepetit manuel de propagande 3 •
Freud reprend l'idée de Le Bon sur l'inconscient collectif et la complète par une
explication psychanalytique 4 : «Unetelle foule primaire est une somme d'indivi-
dus qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en
conséquence dans leur moi, identifiés les uns aux autres. »
Cette intervention de Freud explique en partie l'orientation psychanalytique
donnée à l'étude des réactions collectives ces dernières années 5.
S. Moscovici (1981) tente de remettre à l'honneur les études de psychologie
collective. Reprenant les hypothèses de Le Bon, Tarde et surtout Freud, il se voit, à
juste titre reprocher son manque d'esprit critique 6 . Quelques sociologues améri-
cains 7 analysent les caractéristiques des situations dans lesquelles les foules
risquent de réagir.
Le plus frappant dans l'ensemble de ces travaux, c'est la confusion des
termes 8 : foule, masse, collectivité, groupe. Alors que la foule ne repré-
1. G. Le Bon (1895, 1910), Y.J. Thiec (1981).
2. E. Zola et surtout H. Taine (1887). Voir sur cette période l'excellent ouvrage de Suzanna Bar-
rows (1981). Elle indique que Lesoriginesde laFrancecontemporaine peuvent être considérées comme
« la bible de tous les penseurs réactionnaires et le plus cité des psychologues des foules».
3. Hitler et Mussolini s'en seraient, dit-on, inspirés.
4. S. Freud (1921, B. 202).
5. Cf. W. Reich (1952, B. 910), G. Mendel (1968, 1980, B. 910 ter).
6. Y.J. Thiec (1981).
7. K. Lang et G. Lang (1968).
8. « On a vraisemblablement réuni sous le terme de foule des formations très différentes qui ont
besoin d'être distinguées», Freud (1923, B. 202), p. 141.
LA PSYCHOLOGIESOCIALE 225

sente qu'un rassemblement momentané, la masse correspond à un


agglomérat de population dont les individus sans être réunis physique-
ment sont liés entre eux par une idéologie, une nationalité, un rapport à
quelque chose ou quelqu'un. C'est sous cette forme que le terme a inté-
ressé sociologues et politologues 1. Enfin on doit signaler l'attention des
historiens pour la psychologie collective des sociétés : l'histoire des men-
talités. 2 •
197 3° Psychologie sociale et ethnologi.e ◊ C'est d'abord sous une
forme psychologique que les ethnologues ont eu à poser certains de leurs
problèmes, tel celui de l'intégration culturelle. L'absence de troubles psy-
chologiques, soi-disant caractéristiques de l'adolescence, chez les jeunes
filles des îles Samoa, oblige à se référer à des notions de psychologie
sociale et à tenir compte de facteurs sociaux. De leur côté, les ethnologues
fournissent des exemples et parfois des explications aux psychologues
sociaux. En effet la psychologie sociale est à l'étroit dans le cadre culturel
occidental. Pour savoir ce que valent les explications qu'elle fournit, il lui
est indispensable de comparer ses données avec celles obtenues dans des
cultures différentes. L'ethnologie permet à la psychologie sociale de deve-
nir comparative.
J.G. Whiting indique que dans les études psychologiques limitées à une
société, la nonne sociale étant constante, on étudie les variations individuelles. II
est donc très précieux de pouvoir, par la méthode comparative, faire varier la
norme sociale en tâchant de maintenir les variations individuelles constantes.
Whiting cite le cas des expériences sur le sevrage de l'enfant, faites à Kansas City.
Elles montrent que les troubles émotionnels sont d'autant plus fréquents que le
sevrage a lieu à un âge plus élevé. L'observation s'arrête à l'âge d'un an. Reprise
dans des sociétés non occidentales, l'expérience a prouvé que les troubles dimi-
nuaient au contraire en fonction d'un sevrage retardé. L'expérience occidentale
avait été arrêtée trop tôt
De son côté, l'ethnologie, sous l'influence de la psychologie sociale, a
élargi son domaine et sa réflexion. Au lieu de se borner à des descriptions
de rites ou d'objets, elle cherche elle aussi, de plus en plus, à replacer
l'homme dans un contexte général.
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SECTION5. LA PSYCHANALYSE
199 Définition ◊ La psychanalyse n'est pas une science sociale car ce n'est
pas une science. Mais elle exerce une telle influence sur chacune d'elles
qu'il est nécessaire d'en donner ici un bref aperçu.
La psychanalyse est à la fois :
1° Une méthoded'investigationqui permet d'atteindre des processus
inconscients, à peu près inaccessibles à toute autre méthode;
2° Une méthode de psychothérapiequi utilise la relation personnelle
entre le thérapeute et le patient.
230 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

3° Un ensemble de théoriespsychologiques:théorie des névroses, ten-


tative de description et d'explication des conduites humaines indivi-
duelles, concrètes, de l'organisme aux prises avec son entourage.
Plus encore que dans le cas de Weber, de Durkheim et même de Marx
on ne peut parler de l' œuvre de Freud sans évoquer sa personnalité et
son époque (Vienne 1860). Bien qu'il s'en soit parfois défendu, il a
cependant reconnu « l'influence des circonstances sur ses travaux».
Freud est né le 6 mai 1856 dans la petite ville morave de Freeberg. Son père
était un marchand juif de tissus. Sa troisième épouse, mère de Freud, était une
ravissante femme beaucoup plus jeune que son mari. Après des revers de for-
tune, la famille (4 filles et 3 ~arçons) s'installe à Vienne qui jouit depuis 1860
d'un régime politique libéral . Le krach boursier de 1873 suscite une vague
d'antisémitisme 2 . Freud abandonne le droit pour la médecine. De 1876 à 1882
il travaille dans le laboratoire du grand physiologiste Brucke puis à l'hôpital,
enfin auprès de Breuer avec lequel il soigne la malade hystérique Bertha Pappen-
haim, immortalisée sous le nom d'Anna O. Son traitement contient en germe la
psychanalyse future, ce que la malade appela « cure par la parole » ou « ramo-
nage de cheminée». Il obtient une bourse pour se rendre à Paris auprès de Char-
cot.
De retour à Vienne après six mois à la Salpètrière, Freud ouvre un cabinet de
consultation et épouse Marthe Bemays. Ils auront sept enfants en dix ans.
Les théories de Freud furent très contestées et le rôle de la sexualité
surtout infantile ainsi que l'hystérie masculine considérées choquantes.
Néanmoins, il put créer la Sociétépsychanalytiquede Vienne (1900). Il
suscitera un intérêt grandissant pour finalement acquérir une célebrité
intemationale 3 • Atteint d'un cancer du palais, il ne se résolut qu~ tar-
divement à quitter l'Autriche après l' Auschluss4 et mourut aux Etats-
Unis (1939), où la psychanalyse connut le succès que l'on sait.
A noter deux caractéristiques de ces débuts de la psychanalyse.
D'abord, la volonté de Freud de la soustraire au monopole des méde-
cins 5 d'où l'admission de deux d'entre eux à titre de caution: Adler6 et
Jung 7 et la participation de nombreux profanes.
Enfin et surtout l'histoire des premiers disciples de Freud est caractéri-
sée par des scissions8, des séparations succédant à des périodes de
confiance et d'attachement intense 9. Fliess le disciple chéri, Jung le suc-
cesseur prévu, Adler, Rank, représentent les ruptures les plus specta-
culaires et les plus douloureuses.
1. Freud demeurera toute sa vie une libéral.
2. Vers 1870 près de la moitié des journalistes, médecins et avocats sont juifs, sans parler de leur
contribution à l'extraordinaire richesse de la vie intellectuelle (Kafka, Malher, etc.).
3. Proposé pour le Prix Nobel.
4. li y parvint grâce à l'intervention de deux de ses disciples, Jones en Grande-Bretagne et Marie
Bonaparte en France.
5. Son expérience du milieu lui ayant appris à quel point ses collègues s'opposaient aux idées
nouvelles.
6. Sur le rôle d'Adler, cf. Stepansky (1983).
7. Jung comme non juif et suisse servait aussi de caution. Il était déjà l'auteur d'une c:cuvre
importante quand il rencontra Freud. Ce n'était donc pas un disciple comme d'autres.
8. Les scissions (cf., n° 200-1) continuent à être une des caractéristiques de la psychanalyse.
9. Dans quelle mesure la personnalité de Freud favorisait-elle ce climat passionnel ou ses dis-
ciples intéressés par la psychanalyse souffraient-ils de sensibilités particulières ? Ne venaient-ils pas à
LA PSYCHANALYSE 2 31

200 Origine et évolutiçn ◊ Vers 1880, la médecine s'intéressait aux névroses et à


l'hystérie (Charcot, Ecole _çiela Salpétrière), utilisait souvent les interrogatoires
sous hypnose (Bemheim, Ecole de Nancy) et avait déjà découvert leur vertu thé-
rapeutique, en particulier dans le cas de malades sous l'influence de souvenirs
inconscients et de leurs conséquences pathogènes (P. Janet).
Freudavec Breuerconstate l'effet thérapeutique de la « catharsis » 1 sous hyp-
nose, mais aussi ses limites. La suggestion à l'état de veille rencontre les résis-
tances du malade, d'où la règle fondamentale de la libre association d'idées,
dans laquelle le malade doit tout exprimer. L'interprétation de ce matériel, de sa
signification, est à la fois procédé et traitement et constitue la psychanalyse. A
cette époque, Freud développe sa conception d'ensemble de la vie mentale : La
SdencedesRêves(1899), Psychopathologie de la vie quotidienne(1901).
Au cours de cette période, la psychanalyse est centrée sur l'exploration de l'in-
conscient et des pulsions refoulées de l'instinct. C'est la périodepansexualiste
(1900-1920):
- La théoriedesinstincts : les instincts du Moi, tendant à la conservation de
l'individu, s'opposent aux instincts sexuels tendant à conserver l'espèce. Les ten-
dances instinctuelles désagréables ou désapprouvées sont réduites soit par leur
décharge, soit par refoulementLes tendances refoulées s'expriment dans les actes
manqués, les rêves ou des symptômes névrotiques.
- La théoriedesnévroses: leur cause se situe dès le développement de la sexua-
lité enfantine.
- La théoriede la curepsychanalytique:elle porte sur l'analyse des phantasmes
inconscients. Le but du traitement consiste à les amener à la conscience. La psy-
chanalyse implique une expérience vécue par l'analyste et l'analysé, elle pose un
transfert du patient à l'analyste. Dans le transfert, le patient au lieu de se souve-
nir, se conduit envers le psychanalyste comme il s'est conduit dans son enfance
avec les personnes de son entourage. L'observateur comprend ainsi ce qui a pu se
produire dans le passé, en même temps que le patient, devenu adulte, prend
conscience de ces éléments de sa vie qui le gênaient et qu'il avait refoulés.
La périodeégologiquese caractérise par une modification de la théorie des ins-
tincts. A partir de 1920, Freud découvre)es pulsions de mort et d'agression (Tha-
natos), opposées aux pulsions de vie (Eros). L'explication en psychanalyse ne se
donne plus seulement en termes de conflits de pulsions et les seules pulsions
sexuelles ne sont plus en cause, mais en termes de défense du moi contre les
pulsions. L'agressivitédevient l'élément essentiel. Notion complexe, difficile à
cerner et en tout cas bien différente de l'idée un peu sommaire, sous laquelle la
théorie de Freud a été vulgarisée dans le public. Durant cette période se situe la
modification de la théorie de l'appareil psychique: Freud substitue à la division :
conscient, préconscient, inconscient, le « çà» où siègent les pulsions et désirs
refoulés ; le Moi, différenciation du «çà» au contact de la réalité ; le surmoi, dif-
férenciation du Moi par l'intériorisation des images idéalisées des parents à la
suite du conflit œdipien. Ces trois systèmes traduisent la façon dont les motiva-
tions se groupent dans leur conflit.
A partir de 1935, on tente de tenir compte de l'entourage et des relations
interpersonnelles. C'est la périodemétapsychologique.
La première tendance est celle de Mélanie Klein qui insiste sur les conflits de
la petite enfance. La deuxième est représentée par Karen Horney. Ble vise les
Vienne pour soigner leurs névroses 7 Le recrutement des analystes ne se1ectionne pas sur des critères
de tolérance et d'équilibre.
1. Au sens propre signifie purge; au sens figuré, se libérer.
232 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

conflits actuels de l'individu avec son entourage. Enfin, Anna Freud souligne la
fonction intégrative du Moi dans sa relation avec le monde extérieur.
Jung et Adler se sont séparés de Freud, le premier plus attaché aux valeurs
symboliques et collectives persistant dans l'inconscient, le deuxième insistant sur
l'agressivité et le complexe d'infériorité.
A signaler une personnalité originale: l'Anglais D. W. Winnicot (1971) qui
crée le concept d'objet transitionnel1, important dans la formation intellectuelle
et affective de l'enfant, sa distinction entre le moi et l'extérieur mais applicable
aussi en art et en littérature.
200-1 Les dissidences et les scissions◊ Après la ze guerre mondiale, 1° est
créée la Stépsychanalytiquede Paris animée par J.Lacan. Elle publie la
RevueFrançaisede psychanalyseet fonde au debut de 1953, un Institut de
psychanalysedirigé par S. Nacht 2° A la suite de conflits de tendances et
de personnes se crée en juin 1953, la Sté Françaisede psychanalysequi
publie une revue : La Psychanalyse.La reconnaissance de la société par la
Sté Internationalede psychanalysesoulève des difficultés. 3° En juillet
1964, l'Associationpsychanalytiquede France {Pr. Lagache) se trouve
reconnue. J.Lacan exclu fonde de son côté l'Ecolefreudiennede Paris,
non reconnue sur le plan international.
Un Centreinternationaldepsychanalyse,psychiatrieet scienceshumaines
créé en 1975, tente de briser le cercle étroit des sociétés de psychanalyse,
en recherchant une plus grande pluridisciplinarité, mais il ne peut sur-
monter les oppositions de personnes et de points de vue.
4° Enfin apparaît le Quatrièmegroupe qui édite la revue Topiques.Les
querelles2 portent sur les problèmes essentiels d'interprétation de Freud,
les objectifs scientifiques ou thérapeutiques de la psychanalyse, mais
aussi sur des questions concrètes telles que la durée des séances 3 ou la
présence de l'analyste dans le jury permettant à l'analysé d'exercer. Plus
inquiétantes que ces oppositions, aggravéespar les personnalités des psy-
chanalystes, se posent les problèmes de fond et les doutes sur l'intérêt de
la psychanalyse. Sa valeur scientifique 4 et son efficacité thérapeutique
sont contestées par de nombreux psychanalystes 5• Ils constatent le psit-
tacisme, le repli sur soi ou autre écueil, la fuite dans d'autres domaines:
biologie, psychologie. Enfin, par rapport à l'élan créateur de ses débuts,
la psychanalyse paraît non seulement incapable d'innover mais refuse
toute tentative de sortir du conformisme le plus étroit et impose un dog-
matisme bien éloigné de son esprit initial.
201 Les liens de la psychanalyse avec les autres sciences
sociales ◊
La « dilution » de la psychanalyse dans les sciences sociales,
particulièrement aux États-Unis, est le meilleur signe de son succès. Il
1. Le« nounours» par exemple.
2. Pour des précisions cf. Ornicar, 1976, 1977.
3. Plaisanterie classique rappelée par R. Jaccard (cf. Le Monde; dimanche 2 août 1981, p. XI)
« Le névrosé bâtit des châteaux en Espagne, le psychotique croit y habiter, le psychanalyste récolte les
loyers».
4. Cf. pour K. Popper, la psychanalyse pas plus que le marxisme n'étant réfutable ne peut être
considérée comme une science.
5. Cf. Luce Irigaray ( 1977), S. Viderman, J. van Rillaer.
LA PSYCHANALYSE 233

s'agit, évidemment, non de la thérapeutique mais des concepts, d'une


manière de tenir compte de certains éléments que le langage nous révèle.
L'utilisation des termes de : « résistance », « conflit mental », « rationa-
lisation », « refoulement» ... sans parler du terme « complexe » devenu
courant avec un contenu bien différent de son sens original, est sympto-
matique. Enfin, comme le dit R. Bastide (1950) : Freud a fait à la socio-
logie fonctionnaliste le cadeau royal de la « fonction latente».
R. Bastide (1950) reconnaît l'influence de la psychanalyse sur les
sciences sociales. Il serait plus exact de parler du caractère dialectique de
leurs rapports, marqués par des conflits ou des oppositions, surmontés
dans une intégration plus complète. La psychanalyse insistait d'abord
sur l'importance des premières années, la sociologie, au contraire, sur la
plasticité de la nature humaine et l'importance de l'expérience vécue.
On retrouve ces éléments dans la place tenue, dans l'actuelle psychana-
lyse, par les mécanismes de défense.
L'ethnologie pose le problème du relativisme du complexe d'Œdipe,
absent dans les sociétés matrilinéaires. Ceci oblige à reconsidérer l'uni-
versalité que comporte l'élément biologique : la symbiose de l'enfant
avec la mère et la forme qu'il adopte dans des cultures différentes.
La psychanalyse trouve des domaines où elle sera plus immédiatement utili-
sable: c'est d'abord le cadre de la pathologie sociale pour expliquer les personna-
lités désadaptées et les situations de crise. La sociologie de la famille profite éga-
lement des conceptions de Freud.
A partir de là, tous les domaines empruntent plus ou moins à la psychanalyse
certaines notions: H. O. Lasswell (1950) 1 et E. Fromm (1941) 2 en science poli-
tique (études sur les personnalités politiques et recherches sur les criminels de
guerre nazis, les causes profondes de l'hitlérisme, la propagande), H. Parker et
G. Katona en économie politique sur les motivations et attitudes des consomma-
teurs. En sociologie, les problèmes de relations interraciales et de désorganisation
sociale, en ethnologie l'étude des mythologies et de l'acculturation, enfin en psy-
chologie sociale, les notions d'attitude, de rôle, et en particulier l'interprétation
des processus de groupe, font plus ou moins appel à des notions psychanaly-
tiques.
Mais, comme le remarque R. Bastide, à part chez A Kardiner (1946) 3 et
R. Linton ( 1944) 4, on se trouve presque toujours en présence de contributions
juxtaposées plus que synthétisées. Il semble que le plus souvent, les sociologues
étudiant la criminalité ou l'antisémitisme, se contentent d'ajouter à leurs expli-
cations habituelles : crise économique, facteurs sociaux, des causes psychanaly-
tiques. Or, celles-ci paraissent aussitôt prendre la première place. Ceci oblige la
sociologie à progresser dans le sens d'une grande connaissance des relations
entre les niveaux de la réalité et les poids respectifs des divers facteurs en cause.
Un exemple en est donné par les problèmes d'éducation. La psychanalyse a attiré
l'attention sur l'importance du développement de l'enfant dans les première
années et les ethnologues avec M. Mead et A Kardiner, ont depuis orienté leurs
recherches dans cette direction. L'importance donnée par Gorer aux diverses

1. In Lasswell (1930, B. 239) et in L. D. White (1956, B. 170).


2. E. Fromm (1941, B. 5 54).
3. A. Kardiner (1946, B. 181).
4. R. Linton (1947, B. 181).
234 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

façons d'emmailloter les enfants, comme facteur d'explication de la psychologie


russe, est l'exemple, souvent cité, d'exagération de l'interprétation psychanaly-
tique.
Retenir la seule manière d'emmailloter sous prétexte de faire une place à la
psychanalyse, c'est négliger ce qui est au moins aussi important: la façon d'utili-
ser la technique, car on peut emmailloter gaiement, tendrement, en parlant à
l'enfant, en jouant avec lui, ou en le traitant comme un objet. Ce qui importe
c'est la situation totale socio-personnelle dans laquelle les pratiques trouvent
leur expression.
Pour l'instant on peut dire que l'apport de la psychanalyse est difficile
à préciser tant il est important. La découverte de l'inconscient et des
mécanismes de refoulement et de défense, représente une possibilité
d'explication des processus individuels et collectifs que l'on est encore
loin d'avoir épuisée et que chacune des sciences sociales intégrera, sans
aucun doute, progressivement en écartant, espérons-le, les interpréta-
tions abusives.
On peut se demander quel est l'avenir de la théorie psychanalytique
dans un monde futur de procréation assistée, de clonage, de techniques
qui suppriment les liens réels et symboliques de la filiation, la fonction
paternelle de médiateur entre la mère et l'enfant, enfin celle de représen-
tant de la société dans la communauté familiale.
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SECTION6. L'HISTOIRE

203 Le problème des origi.nes ◊ L'histoire a longtemps été conçue


comme la connaissance du passé et d'un passé que hantait le problème
des origines ... Ce « démon des origines» fut peut-être seulement « un
avatar de cet autre satanique ennemi de la véritable histoire, la manie du
jugement» écrit M. Bloch. On retrouve ici comme en chacune des
L'HISTOIRE 237

sciences humaines, la confusion entre les valeurs et les faits, ralentissant


le développement scientifique. L'histoire va perpétuellement chercher
dans le passé, sous couvert d'explication, des justifications, s'éloignant
ainsi de ce qui est sa raison d'être : comprendre. A cette cause de non
développement, commune aux sciences humaines, l'histoire ajoutera les
siennes propres.
204 L'histoire Jusq_u'en 1850. Le romantisme o Les exigences de l'expéri-
mentation, la notion de rigueur scientifique, la volonté et l'espoir d'y soumettre
les sciences humaines, se heurtaient dans le domaine historique à des difficultés
particulières. Selon G. Gusdorf (1960) : « par rapport à l'interprétation explica-
tive de la réalité humaine selon l'idéologie scientiste, [...] les historiens plaident
coupables, reconnaissant que l'histoire n'est pas une science à part entière 1.»
L'histoire exerce sur les hommes une indiscutable fascination, sem-
blable à celle de leur enfance, qui suscite tant d'autobiographies. Il
semble qu'à travers l'une et l'autre, l'individu cherche à la fois la justifi-
cation et l'explication de son être et de son destin. C'est ainsi que l'his-
toire relève de la philosophie, mais rêve d'être une science.
L'influence du scientisme a orienté l'histoire dans deux directions dif-
férentes : l'une technique : la critique des documents, l'autre philo-
sophique: la recherche de grandes lois. L'histoire elle-même va se char-
ger d'influencer directement la réflexion historique. Les bouleversements
qu'amènent en Europe la Révolution et l'Empire donnent à la période
romantique, un caractère particulier, celui de la nostalgie du passé.
Comme le dit fort justement G. Gusdorf: « L'historiographie moderne à ses
débuts, [ ...] sert d'instrument à une subjectivité qui se cherche, subjectivité des
individus et des peuples en quête de leur propre authenticité 2 • » Depuis la Révo-
lution française, l'histoire n'est plus celle des rois, des cours et des seules
batailles, elle est devenue celle des peuples. Nationalismes trouvant dans le passé
des raisons d'être; exaltation de ceux qui n'ayant pas vécu les périodes histo-
riques, veulent les faire revivre : Thiers, Mignet, Michelet, Lamartine écrivent
l'histoire de la Révolution; nostalgie de ceux qui idéalisent l'Ancien Régime:
Vigny, Lamartine. L'histoire est à la mode. Walter Scott remet le Moyen Age à
l'honneur, tandis que Chateaubriand et les grands dramaturges allemands et
français : Gœthe, Schiller, Hugo, empruntent, eux aussi, leurs sujets à l'histoire.
Alexandre Dumas admire Lamartine pour avoir, dans !'Histoire des Girondins,
« élevé l'histoire à la hauteur du roman». C'est pourquoi Langloiset Seignobos,
soucieux d'un retour à la rigueur, notent que jusque vers 1850, l'histoire est res-
tée pour les historiens et pour le public, un genre littéraire.
A côté de la sensibilité historique et de la littérature, l'historiographie ne perd
pas ses droits, bien au contraire. Du fait de la Révolution, un grand nombre
d'archives sont à la disposition de l'historien. Les gouvernements favorisent la
publication de documents par l'intermédiaire de Soc!étés savantes : la Société de
!'Histoire de France est fondée en 1835 à Paris, l'Ecole des Chartes en 1821,
l'École d'Athènes en 1846. Cependant, la recherche rigoureuse se développe en
Allemagne. L'histoire y devient une science autonome plus rapidement qu'en
France, où l'opinion est encore trop sensibilisée par les querelles politiques et
1. G. Gusdorf (1960), p. 409.
2. Op. dt., p. 410.
238 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

religieuses. G. Halphen dans: L'histoireen Francedepuiscent ans (1914) écrit:


« Nulle part en France avant ces dernières années dy. ne Empire, on ne se préoc-
cupait d'apprendre aux historiens leur métier. A l'Ecole Normale, pépinière de
toute l'Université, le document n'avait pas droit d'asile et dans les Facultés des
Lettres, les généralisations vagues et brillantes semblaient seules convenir à un
public composé exclusivement de désceuvrés1. »

205 Historicisme et méthodologie ◊ Augustin Thierry notait déjà en


1820: « Peut-être est-il dans l'ordre de la civilisation qu'après un siècle
qui a remué fortement les idées, il en vienne un qui remue des faits. » La
tendance se manifeste franchement aux environs de 1860. Le goût du
document donne celui de l'exactitude, qui est l'aspect technique du
métier d'historien.
Michelet meurt en 1874 et en 1888 paraît l'HistoiredesInstitutions Politiques
de !'AncienneFrance,où N.D. Fustel de Coulanges expose la nouvelle conception
du rôle de l'historien. « Plusieurs pensent qu'il est utile et bon pour l'historien
d'avoir des préférences, des « idées maîtresses», des conceptions supérieures.
Penser ainsi, c'est se tromper beaucoup sur la nature de l'histoire. Elle n'est pas
un art, elle est une science pure, elle consiste comme toute science à constater
des faits, à les analyser, à les rapprocher, à en marquer le lien 2 • »
L'histoire ainsi conçue, s'oppose à la littérature d'imagination, à la
philosophie et s'appuie uniquement sur la documentation.Sans doute la
réaction était-elle salutaire, mais on aurait aimé que les historiens eux-
mêmes aient posé, comme les psychosociologues aujourd'hui, le pro-
blème des limites de cette objectivité. Le document même authentique
n'est qu'un aspect du fait, il ne coïncide pas exactement avec lui. De
plus, il est souvent lui-même subjectif. Enfin, le choix des documents et
leur interprétation mettent en cause la personnalité même de l'historien.
Ceci ne semble pas préoccuper les disciples de Fustel de Coulanges. Plus
graves leur paraissent les difficultés méthodologiques auxquelles ils se heurtent
C'est ainsi que C. Seignobos (1901), le plus scientiste des historiens, se laisse
aller à confier : « Il n'y a pas de science qui soit dans des conditions aussi défec-
tueuses que l'histoire. Jamais d'observation directe, toujours des faits disparus, et
même jamais des faits complets, toujours des fragments dispersés, conservés au
hasard, des détritus du passe, l'historien fait un métier de chiffonnier. [ ...] L'his-
toire est au plus bas degré de l'échelle des sciences, elle est la forme la plus
imparfaite de la connaissance 3 • »
Il s'agit d'accumuler les matériaux et à travers eux de laisser parler les
faits. Qu'est-ceque le fait historique? Faute de pouvoir le définir, les his-
toriens français vont poser en principe que « le caractère historique n'est
pas dans les faits; il n'est que dans le mode de connaissance ... Il n'y a
pas de faits historiques comme il y a des faits chimiques. Le même fait
est ou n'est pas historique suivant la façon dont on le connaît Il n'y a

1. G. Halphen, L'histoireen Francedepuiscentans, in G. Gusclorf,op. cit, p. 415.


2. N.D. Fustel de Coulanges (1888), p. 32-33.
3. In G. Gusdorf, p. 421.
L'HISTOIRE 2 39

que des procédés de connaissance historique 1 ». Ainsi l'histoire n'est


plus qu'une méthode, elle perd tout contenu et comme l'écrivait L. Feb-
vre (1953), ceci «dispense» les historiens de se poser la question, la
redoutable question: « Qu'est-ce que !'Histoire?» Le ~ siècle se la
posera, cette question, sous une forme indirecte. Ce n'est plus de
méthode qu'il s'agit cette fois, mais de situer le domaine de l'histoire.
« La tâche de l'histoire est de commémorer le passé, tout le passé » écri-
vait en 1903 Paul Mantoux dans la Revue de Synthèse Historiqueet il
ajoutait : « ce qui est particulier, ce qui n'arrive qu'une fois est du
domaine de l'histoire». Mais cette affirmation devait paraître à certains
comme une double et arbitraire limitation. Comment isoler l'inédit, le
particulier, de ce qui est évolution, constance, répétition ? La protesta-
tion s'élève contre cette histoire «linéaire», «éventuelle», « événe-
mentielle», finira par dire Paul Lacombe.
Protestation que l'on suit dans les articles et prises de position de la Revuede
Synthèse historiqueanimée par H. Berr, puis à partir de 1930, dans les Annales
que dirigent Marc Bloch et Lucien Febvre. Cette recherche d'une histoire non
événementielle sera rendue plus impérieuse encore par les contacts, qui, dès cette
époque, s'organisent entre l'histoire et les autres sciences, en particulier la socio-
logie. On constate assez paradoxalement, qu'au moment où les sciences sociales
échappent à une forme d'histoire qui les avait trop longtemps dominées et frei-
nées, celle-ci loin de paraître affaiblie par cette séparation, semble au contraire
rajeunie par la taille subie. Sans doute doit-elle cet épanouissement à la qualité
exceptionnelle de ses représentants, qui semblent avoir véritablement équilibré
toutes les tendances : objectivité et passion de comprendre, imagination et
rigueur, ouverture et compréhension des sciences de l'homme, sans impéria-
lisme.
Il faut lire le testament de Marc Bloch: Apologiepour l'histoire ou
métier d'historien (1952), pour en être pleinement convaincu. Il n'y a
plus de mauvaise conscience de l'historien, plus de limitation de son
étude au passé. « Histoire science du passé, science du présent» comme
l'aura répété Lucien Febvre (1953) pendant les dix dernières années de
sa vie. Seulement, dans la mesure où l'historien s'évade d'une spécialité
étroitement conçue, où il aborde le présent et veut travailler avec les
représentants des autres sciences de l'homme, se pose alors le problème
de la spécificité de l'histoire, de sa possibilité d'explication, de la nature
de cette explication et de ce qui la distingue en particulier de la sociolo-
gie (cf. n°5 360 et s.).
205-1 Les tendances. a) Le quantitatif ◊ Comme les autres sciences
sociales, l'histoire moderne se tourne à la fois vers le quantitatif et vers
une plus grande coopération avec les autres sciences sociales.
En ce qui concerne le premier point, les possibilités sont certes
presque illimitées. Toute histoire comporte des faits chiffrables. Les faits
étaient là, mais les techniques et surtout l'état d'esprit pour les utiliser,
manquaient encore. Les fondateurs de l'école des Annales: L. Febvre
1. C. Langlois (1897), p. 44.
240 LESDIFFÉRENTESSCIENCESSOCIALES

(1953) et M. Bloch (1952) furent, avec quelle passion, les hommes du


qualitatif! C'est à E. Labrousse (1951) que l'on doit l'intérêt porté aux
éléments chiffrés et à travers eux à la recherche d'éléments d'explication.
L'histoire économique moderne est née entre 1929 et 1932.
Histoire des prix au XVIIIe siècle, crise de l'économie à la veille de la
Révolution, l'orientation est donnée. Il ne s'agit plus seulement de rele-
ver ce qui est déjà quantifié : les prix, mais aussi de retrouver d'autres
aspects du passé. La famille populaire de l'Ancien Régime à travers les
registres f rovinciaux 1, la navigation espagnole dans l'Atlantique et le
Pacifique , la démographie provençale, la demande de logements, les
hausses de loyers, tout ce qui aujourd'hui donne lieu à statistiques peut,
malgré les lacunes des textes, s'étudier pour les siècles précédents, par
des combinaisons de documents.
« Le quantitatif est devenu l'obsession dominante du Centre de
Recherches historiques de la VIe section» écrit E. Le Roy Ladurie3 •
L'utilisation d'ordinateurs s'imposait Encore fallait-il pour traiter
cette masse de documents les adapter. Ceci impliquait le stockage des
données. La vie section, le C.N.R.S. et l'inter University Consortium
d'Ann Arbor ont commencé par le codage des volumes de la statistique
générale de la France (1800-1950).
206 b) Le qualitatif et l'apport des autres sciences sociales ◊ Peut-
être pourrait-on s'inquieter de « cette obsession du quantitatif» si en
même temps, l'histoire qualitative ne s'enrichissait de l'apport d'autres
sciences sociales : cette « nouvelle histoire » fait largement appel à la
sociologie. En étudiant les mutations de la sociabilité, concept encore
imprécis, M. Agulhon (1977) en recherche les manifestations, dans les
fratries de l' Antiquité comme dans les Associations d'anciens élèves. Au-
delà des études de groupe de la psychologie sociale, l'historien étudie
l'institutionnalisation du phénomène et les lieux où il se manifeste. F.
Braudel (1976) 4, G. Duby (1980) 5 intègrent l'économie et la sociolo-
gie6 à leur histoire. Psychologie, psychologie sociale 7, anthropologie 8,
psychanalyse9 et linguistique 10 sont mises à contribution dans le champ
nouveau de l'histoire des mentalités 11 . L'histoire des mentalités indique
J.Le Goff se trouve « liée aux gestes, aux comportements, aux attitudes
par quoi elle s'articule sur la psychologie, sur une frontière où historiens
et psychologues devront bien un jour se rencontrer» 12 . Psy-
1. Cf. P. Goubert.
2. F. Chaunu (1975, 1978).
3. Cf. M. Couturier (1966), N. Rashewsky(1968), F. Furet (1974).
4. F. Braudel (1960, 1976), G. Duby (1980).
5. F. Braudel (1960), W. S. Cahnman (1964), J.Kon (1970).
6. W. S. Cahnman (1964).
7. J. Strayer(1957), N. Rostow (1959), A. Dupront (1961), M. Grawitz (1985).
8. J.M. Lewis(1968).
9. N.D. Brown (1959), B. B. Wolman (1971), S. Friedlânder (1975).
10. R. Robin (1973).
11. G. Duby (1961), R. Mandrou (1968).
12. J. Le Goff (1961).
L'HISTOIRE 241

chologie collective nécessaire pour comprendre les mouvements plus ou


moins importants qui agitent une société, psychologie individuelle pour
analyser les hommes qui ont marqué leur époque. Les biographies histo-
riques replacent naturellement les individus dans leur cadre mais
doivent aussi s'intéresser à ce qu'ils sont, tenter de fournir un explica-
tion de leur influence, de leur action, de leur réussite ou de leur échec. A
la rigueur et la précision des sources, l'historien doit ajouter des connais-
sances de psychologie pour mieux interpréter ses documents. Comme
toujours une nouvelle orientation suscite des enthousiasmes excessifs
dont il faut se méfier.
C'est à juste titre que A. Corbin écrit: « Tout compte fait, le plus
grave à mes yeux n'en demeure pas moins l'anachronisme psycho-
logique. Le pire, c'est la tranquille abusive et aveugle certitude de la
compréhension du passé. Délimiter les contours du pensable, repérer les
mécanismes de l'émotion nouvelle, la genèse des désirs, la manière dont
en un temps donné s'éprouvent les souffrances et les plaisirs, décrire
l'habitus, retrouver la cohérence des systèmes de représentation et d'ap-
préciation, constitue l'indispensable» 1.
Sur le plan plus modeste des techniques, l'historien bénéficie de l'ap-
port de la psychologie sociale. C'est d'abord l'analyse de contenu de
documents, qui permet de substituer à une simple impression subjective,
une plus grande rigueur. Ensuite les études d'opinions et d'attitudes.
Celles-ci d'une part son précieuses, car elles préparent dès à présent une
documentation pour l'historien de l'avenir, mais elles permettent égale-
ment une meilleure compréhension du passé.
C'est ainsi que P. Lazarsfeld (1957) 2 réinterprète la tentative de réhabilitation
de Machiavel par l'historien anglais Macaulay. Celui-ci suggère que les qualités
de ruse storien anglais Macaulay. Celui-ci suggère que les qualités de ruse étaient
plus appréciées en Italie qu'en Grande-Bretagne et qu'il aurait été intéressant de
comparer les réactions des Londoniens et Florentins du ,w siècle, à l'Othello de
Shakespeare. Les premiers approuvant sans doute Othello et les deuxièmes Iago.
Lazarsfeld propose l'étude du problème tel que le résoudrait aujourd'hui un Ins-
titut d'opinion publique.
Ce que la psychologie sociale3 apporte de plus précieux à l'historien,
dans le cas des documents comme des attitudes, ce sont surtout des
concepts, des types de catégories et de problèmes avec lesquels l'historien
n'est pas familiarisé, bien qu'il les aborde en tant que réalité sociale et
humaine, qu'il s'agisse d'attitudes politiques, ou de réactions sociales, de
groupes ou de personnalités historiques. Cette richesse, ces développe-
ments nouveaux ont suscité l'impression d'une « crise» de l'histoire 4 •
Cette crise comme dans les autres sciences sociales s'accompagne à la
fois d'une recherche d'identité mais en même temps, pour se rassurer,
d'une tendance à l'impérialisme. C'est ainsi que G. Mallaurie (1981)
1. A. Corbin (1988).
2. P. Lazarsfeld (1957, B. 170).
3. Cf. R. Mandrou (1968), M. Grawitz (1985).
4. P. Veyne (1971, 1976).
242 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

souhaite une approche pluridisciplinaire de l'histoire mais la qualifie de


«totalisante» ..
Le problème devient alors : faut-il confier aux historiens le soin de
retracer l'histoire des faits économiques et sociaux ou aux économistes
l'évolution de leur propre domaine ? Peu importe la solution, pourvu
qu'existe la communication entre l'histoire et les autres sciences
sociales. Les villes offrent aujourd'hui un champ où toutes devraient se
retrouver (Lepetit, 1988, 1996).
Dans la mesure où l'histoire n'est plus l'étude du passé, mais comme
l'écrivait Marc Bloch « la science des hommes dans le temps», dans la
mesure où, comme le dit C. Levi-Strauss,« tout est histoire, ce qui a été
dit hier est histoire, ce qui a été dit il y a une minute est histoire », dans
la mesure où l'histoire est en quelque sorte l'ombre de l'humanité, insé-
parable d'elle, absorbant les multiples rythmes particuliers et collectifs,
physiologiques, sentimentaux, économiques, artistiques, pour les conser-
ver en les desséchant, sous cette forme simplifiée, épurée, arbitraire,
qu'impose le temps du calendrier, dans cette mesure, nous ne pouvons
pas nous passer de l'histoire. C'est elle qui contient la plus grande part
de l'explication, de la genèse des faits humains ..Elle est, avec la sociolo-
gie, comme le note Gurvitch, la seule science humaine à considérer
d'emblée par sa vocation même, l'homme dans sa réalité et dans son
contexte d'institutions et d'organisations économiques et sociales.
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SECTION7. LA GÉOGRAPHIE
208 Définition et nature de la géographie ◊ La géographie fait naturel-
lement l'objet de nombreuses aéfinitions, dont aucune ne paraît exhaus-
246 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

tive. On peut retenir celle qu'en donne H. Baulig (1948), bon point de
départ pour les propos qui vont suivre : « La géographie est une manière
de considérer les choses, les êtres, les phénomènes dans leurs rapports
avec la terre ».
Les choses, êtres, phénomènes, sont nombreux, les rapports avec la
terre forcément très complexes. La géographie ne s'y trouve pas seule, ni à
l'état pur. Elle devra donc constamment tenir compte de l'apport des
autres disciplines, pour en rapprocher les données et aboutir à une syn-
thèse. Le géographe est établi à une charnière. Sciences de la nature et
sciences de l'homme divergent autour de lui.
P. George a dit fort justement que « l'autorité du géographe procède de son
ouverture simultanée sur des domaines de connaissance, qui constituent chacun
l'objet exclusif des préoccupations de chacun de ses interlocuteurs 1 », ce que Jean
Labasse résumait en parlant de sa« vocation d'ensemblier». On sait, ajoutait-il,
« que les professionnels de cette nature ont une activité difficile car ils se trouvent
coincés entre les désirs de la clientèle et les sujétions propres aux divers corps de
métiers».
En définitive, la géographie est la discipline du milieu global, l'étude de
la terre et des hommes, identifiés dans une recherche régionale.
209 Évolution de la çéographie : Les débuts ◊ Ce qui nous intéresse
ici, ce n'est ni la geographie comme connaissance du globe, issue de la
description de paysages familiers ou de récits de voyages, ni la carto-
graphie, mais un troisième aspect : l'évolution de la pensée géographique
liée aux problèmes de méthode.
Le xvuesiècle, outre le développement de la cartographie, cherche un système
universel de classification régionale, ne laissant rien en dehors des catégories pro-
posées. On peut voir là l'origine du souci de description complète propre aux géo-
graphes.
Le premier géographe au sens moderne du terme, fut sans doute Varenius
(1622-1650), mais la nouveauté de ses idées ne pouvait au XVII" siècle être perçue.
Au XVIIIe,
parallèlement à l'idée de la diversité des cultures et des mœurs se fait
jour celle de la variété des sols et du milieu naturel. La vraie question, celle des
rapports entre les uns et l'autre n'est pas encore posée.
La géographie intéresse aussi ces «touche-à-tout» : les savants philo-
sophes. Newton et Kant l'ont enseignée. On doit à ce dernier la première
définition de la géographie comme science de la différenciation régionale
de la surface terrestre. Curieusement, c'est un juriste, Montesquieu, qui
insistera sur l'influence du climat sur les faits sociaux, alors que Buffon,
le naturaliste, montre au contraire comment le milieu extérieur est sou-
mis aux interventions de l'homme.
Les grands précurseurs de la géographie moderne apparaissent au XIX'.
Humbolt (1769-1859), physicien et botaniste allemand, se tourne vers
une géographie encore encyclopédique, où la part de géographie physique
demeure essentielle. Son influence se fit sentir moins dans le progrès des
idées que dans l'organisation d'un milieu scientifique intéressé par la
1. P. George (1961, 1970).
LA GÉOGRAPHIE 247

géographie (congrès de géographie, création de la Société de géographie


de Paris).
K Ritter (1779-1859). On créa pour lui la première chaire de géo-
graphie à l'Université de Berlin. Particulièrement préoccupé de la doc-
trine, il appartient à la nouvelle génération allemande du debut du XD(
siècle qui abandonne la philosophie rationaliste du XVIIIesiècle et se
tourne vers l'histoire.
Il faut attendre la deuxième moitié du~ siècle pour voir se constituer
la géographie moderne. Elle doit peu à sa tradition antérieure car la plu-
part des géographes proviennent d'horizons différents: zoologues comme
F. Ratzel, historiens comme P. Vidal de la Blache, (1843-1918).
A partir du moment où l'on ne se contente plus de décrire le sol, mais
où l'on cherche un lien entre l'homme et son milieu, se pose la question
du poids respectif des facteurs naturels et des facteurs humains : le pro-
blème du déterminisme.
Alors que le XVIesiècle avait montré que la terre n'est pas le centre du
monde, Darwin déclare que l'homme n'est plus le maître de la terre. Le
milieu naturel, par le rôle qu'il joue dans la selection, devient le moteur
de l'évolution. L'évolutionnisme qui aurait pu marquer l'éclatement de la
géographie, lui donne sa véritable orientation.
210 Déterminisme et environnementalisme ◊ Les thèses privilégiant le
milieu naturel se trouvent coordonnées et exprimées avec vigueur pour la
première fois chez le géographe allemand F. Ratzel.
Naturaliste et grand voyageur il montre l'importance du rôle de l'insularité, de
la coptinentalité et de l'espace sur le destin des peuples. Son influence fut grande
aux Etats-Unis grâce à son élève : Miss Ellen Churchill Semple, dont les outrances
peu scientifiques correspondent au goût du public 1 .
Les conceptions d'anthropogéographie de Ratzel, ont contribué indi-
rectement à créer la coupure qui sépare la géographie du début du ~
siècle en deux branches : la géographie physique et la géographie
humaine. Cette dernière, comme nous l'avons vu, a pour objet d'étudier
l'interaction entre les deux types de facteurs. Toute la complexité des
sciences humaines pèse alors sur l'évolution de la géographie ainsi orien-
tée, dont les nombreuses directions portent témoignage de ses richesses...
et de ses hésitations.
210-1 La géographie classique: le possibilisme ◊ Né de la critique de
l'environnementalisme, le « possibilisme » peut se résumer dans l'affir-
mation suivante du grand maître de la géographie française Vidal de la
Blache : « Il ne peut être question d'un déterminisme géographique, la
géographie n'en est pas moins la clef dont on ne peut se passer... En fait
tout ce qui touche l'homme est frappé de contingence 2 . »
1. La petite histoire raconte que les jeunes filles n'ayant pas le droit d'assister aux cours de l'Uni-
versité, elle les suivait dans une petite salle attenante, dont la porte demeurait ouverte (cité in P. Cla-
vai (1964) p. 39).
2. Cité in op. dt., p. 51.
248 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Ayant échappé aux risques du déterminisme scientiste et à son dog-


matisme, la géographie perdra-t-elle son unité dans les incertitudes des
sciences humaines ? Vidal de la Blache n'est pas un philosophe mais un
savant Il affirme : « la géographie est la science des lieux, non des
hommes». Pour lui, écrit P. Claval: « l'espace géographique est un
espace concret, un espace de naturaliste 1 ».
En France, la géographie humaine se développe « en vase clos » dira
P. Claval. Pour Jean Brunhes (1910), ultérieurement pour M. Sorre2 ,
l'homme occupant de la surface de la terre doit être considéré comme un
élément dans un ensemble. Les rapports de l'homme « habitant», avec
son milieu, constituent l'un des aspects essentiels de l'étude géo-
graphique. Le succès des études régionales correspond à la croyance :
« qu'il n'est nécessaire d'élaborer aucune proposition universelle, sinon
cette loi générale de la géographie que chaque région est unique 3 ».
L'analyse géographique a pour rôle de différencier la surface de la terre,
elle s'attache à ce qui est particulier. Peter Haggett cite M. Twain : « Nous
sommes juste au-dessus de l'Illinois... L'Illinois est vert, l'Indiana est
rose... c'est vrai, je l'ai vu sur la carte: il est rose 4.»
Ce point de vue incitait à privilégier et rechercher les différences au
détriment de l'analyse comparative, de l'intégration spatiale et de la
recherche de généralités.
Tandis qu'inspirée par cette vision particulariste, l'école française s'il-
lustre par d'admirables monographies régionales, les géographes alle-
mands et anglo-saxons s'intéressent aux problèmes de la méthode. L'ou-
vrage de R. Hartshome sur La nature de la géographie(1939) en est un
bon exemple. Une tendance se fait jour : faire de la géographie une
science-méthode, à défaut de pouvoir délimiter son objet. La géographie
devient alors un point de vue, c'est-à-dire qu'elle n'étudie pas les objets
pour eux-mêmes, mais qu'elle les replace dans une certaine perspective.
Elle tente de résoudre ainsi l'opposition entre idiographique : l'étude des
particularités, climat, région, et nomothétique: la recherche de générali-
sations voire de modèles, de lois (cf. n° 271).
R. Hartshome (1959) définit la géographie humaine comme« l'étude
de la différenciation de l'espace». Mais ce point de vue implique un cer-
tain nombre de « déviations » suivant les facteurs privilégiés. La géo-
graphie, science de la surface de la terre, peut-elle continuer à inspirer la
géographie de l'avenir ?
L'école du paysage5, est animée par les Allemands, l'école écologique
comprend les tendances françaises de la géographie humaine 6 et le
groupe de Chicago (H. H. Barrows, 1923), proche de la sociologie.Enfin
l'école de la localisationconsidère la géographie comme une science de la
1. Op. dt., p. 52.
2. M. Sorre (1943, 1954, 1957).
3. P. Haggett (1965), p. 468.
4. M. Twain. Tom Sawyerabroad(1896) cité in Haggett, p. 13.
5. A noter la confusion qu'entraîne le terme anglais landscape: paysage, alors que le terme alle-
mand correspondant : Landschaft, signifie à la fois paysage et région.
6. Vidal de la Blache (1922), Jean Brunhes (1925), Max Sorre (1943).
LA GÉOGRAPHIE 249

répartition. Les économistes plus encore que les géographes ont adopté ce
point de vue 1 pour construire des modèles d'habitat.
L'évolution de la géographie se poursuit dans deux directions. D'une
part une utilisation plus grande des sciences humaines et une prise en
considération des facteurs sociologiques, d'autre part un recours aux
mathématiques et une recherche de quantification.
211 La crise de la géo$Taphie. La mathématisation ◊ On peut situer
vers 1936 les premieres tendances à assouplir le cadre de la géographie
traditionnelle au profit d'une géographie sociale. On s'écarte de l'aspect
impressionniste des descriptions pour tenter d'atteindre« la structure du
corps social».
Ces études sont menées souvent avec des historiens (J.M. Bloch, G.
Roupnel, R. Dion) préoccupés au même moment par la genèse et la stabi-
lité des structures agraires.
Que ce soit en Allemagne (Hartke) ou en France, l'intérêt, comme
l'écrit P. Clava!, est de « montrer le poids de faits sociaux dans l'ordon-
nance d'un paysage et de souligner surtout que ces faits sont structurés,
qu'ils ont un rythme d'évolution propre avec de longues périodes d'im-
mobilité et des phases de crise où les réadaptations sont beaucoup plus
nombreuses et beaucoup plus rapides 2 ».
Mais c'est depuis 1960 que la géographie présente un nouveau visage
qui diffère suivant les pays. Un seul point commun, toutes se définissent
à partir d'une critique de la géographie classique.
Ce que l'on considère comme la nouvelle géographie, se développe sui-
vant une orientation mathématiqueet quantitativepropre à toutes les
sciences humaines et naturelles, facilitée par la révolution de l'informa-
tique (cartographie assistée par ordinateur) qui apporte à la géographie,
discipline littéraire, une respectabilité scientifique.
Cette évolution comporte à la fois la recherche d'une plus grande pré-
cision: substitution de chiffres (distance, différence) à des descriptions,
utilisation de techniques statistiques rigoureuses, visant à obtenir des cor-
rélations et surtout emploi de mathématiques permettant dans certains
secteurs une formalisation ( modèles, graphes).
On reproche à la géographie classique son particularisme et aux tradi-
tionnalistes de concevoir la géographie comme une science statique.
L'homme« habitant» devient l'homo dormiensde la «cité-dortoir».
La géographie moderne, celle des différences et des mouvements utilise
la théorie des ensembles, le dynamisme des notions de système, de
réseaux, de graphes, d'interaction, de champ.
Comme l'économiste, le géographe a de plus en plus recours aux
modèles, à la simulation 3 . L'étude de H. J. Kansky (1953) sur les réseaux
de transport ouvre la voie à un système semi-axiomatique 4.
1. W. Isard (1956), R. Ponsard (1955).
2. P. Clavai (1973, 1984), A. Fremont (1984).
3. Cf. n° 869.
4. L'axiomatique a pour objet la déduction rigoureuse d'une série de résultats à partir de quelques
axiomes ( ou hypothèses de travail) en nombre minimal. Elle relie logique et mathématique.
250 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

P. Haggett écrit: « Certes nous pouvons intuitivement nous défier


d'un système qui menace de réduire la phrase: « Ophélie aime Hamlet »
à H ~ 0; mais la rigueur de la méthode axiomatique a beaucoup d'at-
trait A une époque où la géographie humaine accorde plus d'attention à
la mesure et à la quantification, la logique symbolique lui offre l'occasion
d'unir cette tendance aux modes de pensée traditionnels fondés sur le
sens commun. A long terme, c'est moins sur la complexité des tech-
niques ou la minutie de l'observation que sur la force du raisonnement
logique que sera jugée la géographie de notre époque 1 . »
Devant le massacre des paysages, les problèmes de qualité de la vie,
peut-on vraimeIJ.tpenser que c'est sur la logique que seront jugés les géo-
graphes? Aux Etats-Unis certains d'entre eux s'interrogent sur la pri-
mauté de la rentabilité économique et se demandent si ce ne sont pas les
valeurs humaines (mais lesquelles?) qui devraient orienter les choix 2 .
211-1 Les nouvelles géographies. La quête d'une identité ◊ Le change-
ment d'orientation de la géographie coïncidait avec l'arrivée d'une nou-
velle génération de géographes et l'augmentation de leur nombre 3 . Elle
s'est de plus développée, comme le remarque P. Pinchemel 4, dans un
contexte historique très particulier: guerre froide, décolonisation, urbani-
sation, enfin courants idéologiques. Les géographes réagissent de façon
différente, mais tous refusent l'attitude jugée indifférente de leur disci-
pline.
La nouvelle géographie se caractérise par la multiplicité de ses ten-
dances:
- Géographie radicale.Elle considère que cette discipline doit aider la
transformation du monde vers plus de justice 5. Elle n'est pas toujours
marxiste, cependant le courant domine. En France, on remarque l'in-
fluence du marxisme sur P. George 6 et ses élèves. Avec l'utilisation du
concept de classe sociale, on se trouve aux confins de la sociologie, de
l'économie et de la géographie humaine. Cette même orientation inspire
de nombreux géographes italiens, espagnols, portugais, brésiliens et, de
façon moins apparente, quelques britanniques et quelques allemands. La
caractéristique de la géographie sociale est l'ouverture plutôt que la préci-
sion des frontières.
- Géographie phénoménologique. Celle des « espaces vécus » accordant
la priorité aux attitudes des groupes humains vis-à-vis de leur environne-
ment en fonction de leurs perceptions et de leurs représentations. Cett.e
géographie crée l'objectivité de l'observateur, et insiste sur la relativité du
savoir, d'où l'intérêt de n'en négliger aucun.
Enfin la plus récente, la géographie humaniste développée surtout
depuis 1975, en réaction contre les tendances marxistes et mathéma-
1. P. Haggett (1973), p. 344.
2. W. Zelinsky (1970) et le n° 238.
3. Aux États-Unis on comptait 1 300 géographes en 1949, 2 700 en 1963 et 6 994 en 1975. La
soixantaine de géographes français de 1957 passe à 330 en 1960 et à plus de 600 en 1987.
4. Auquel nous empruntons l'essentiel des informations concernant les nouvelles géographies.
5. La géographie féministe, la géographie du bien-être sont issues de ce courant.
6. P. George (1961, 1966, 1970).
LA GÉOGRAPHIE 251

tiques, l'homo economicuset l'homo rationalis.Elle met l'accent sur les


valeurs humaines, les croyances et se rattache à des traditions plus
anciennes.
En dehors de ces grands courants facilement discernables, la géo-
graphie cherche des réponses inspirées des autres sciences sociales. Elles
vont l'orienter vers une réflexion théorique sur l'élaboration de la
connaissance : sciences cognitives, épistémologie. La géographie sera tour
à tour et plus ou moins tentée par le structuralisme, le marxisme, le néo-
positivisme, le systémisme, etc. Enfin devenue humanisteet sodale,quit-
tant son lieu d'étude : la terre, elle s'intéressera à ses habitants, à leurs
comportements suivant les groupes sociaux. Ces études de vécu « socios-
patial » paraîtront d'autant plus intéressantes qu'il s'agit « non plus de
décrire, mais d'expliquer,de comprendre les processus, les informations et
cheminements à travers lesquels les décisions s'élaboraient et se formali-
saient» 1.
Il s'agit finalement de géographiesnouvellesplus que d'une nouvelle
géographie. Ceci d'autant plus qu'en dehors de courants théoriques dif-
férents on assiste dans la pratique à une multiplicité de points de vue et
de sujets d'études : géographie culturelle, de l'inégalité, etc.
La caractéristique principale de cette évolution peut se résumer dans le
passage du domaine des sciences de la nature à celui des sciences de
l'homme. La conséquence : un intérêt moins grand porté à l'interface ter-
restre: régions, lieux, et de plus en plus aux hommes et aux sociétés
humaines.
Cette ouverture de la géographie, développement pour les uns, éclate-
ment pour les autres, a pour conséquence l'abolition des frontières avec
les autres sciences et finalement la perte d'identité.
Ce développement de la géographie pouvait être jugé signe de vitalité
pour une discipline si ancienne, mais en s'évadant de ses frontières ori-
ginelles, elle a aussi perdu ses repères et s'interroge aujourd'hui sur son
existence et sa signification. Répondre à cette question, se définir, serait
se limiter. La plupart des géographes refusent d'abandonner cette ouver-
ture récemment acquise.
Lemeilleur moyen de neutraliser les dangers de cette échappée hors du
cadre classique serait de rechercher les concepts historiques fondateurs,
les racines de la géographie. P. Pinchemel 2 retient quatre concepts dési-
gnant un certain aspect de la réalité géographique : milieu, paysage,
région, espace. Les trois premiers ont suscité des études, des écoles, mais
aussi bien des discussions. En revanche, le terme espace est, lui, de plus
en plus employé. P. Pinchemel justifie ce succès par de nombreuses-
raisons. Je n'oserais y ajouter : la mode, car s'il y a un domaine dans
lequel l'utilisation du terme espace paraît exacte c'est bien en géographie.
L'expression « organisation de l'espace » très utilisée après la guerre
jusqu'aux années 1970 n'a pu recentrer la géographie du fait de l'abus de
l'utilisation du terme espace et de l'ambiguïté de celui d'organisation.
1. P. Pinchemel (1982), p. 362.
2. Op. dt., p. 363.
252 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Laissant de côté le problème terminologique, conserver le terme espace


implique de le renforcer. L'analyse de l'espace humain ne saurait être
conçue comme une juxtaposition. Elle implique la prise en compte de
nombreux processus qui n'ont de valeur qu'intégrés.D'une part le sys-
tème spatial se révèle très complexe, d'autre part la géographie n'est pas
réductible à ce seul espace humain que produisent les sociétés.
Le plus intéressant pour le géographe, c'est justement que tout point à
la surface de la terre relève à la fois du milieu et de l'espace et suivant le
cas c'est la part de l'un ou de l'autre qui domine. Le déterminisme spatial
de nos sociétés complexes finit presque toujours par l'emporter. Des
cultures maraîchères sur des sols très fertiles mais proches d'une ville dis-
paraîtront fatalement au profit de l'urbanisation. Mais cette suprématie
si souvent regrettable n'est pas obligatoire et des résistances peuvent
s'organiser 1.
Dans ce cas le géographe impartial mais capable de prendre en compte
toutes les données de la situation se révèle indispensable. Lui seul connaît
la complexité du milieu et de l'espace, mais sera-t-il écouté? L'absence de
définition de la géographie entraîne le manque de définition profes-
sionnelle du géographe en dehors de l'enseignement Après les difficultés
de la géographie, il faut aborder celles des géographes.
211-2 L'état d'esprit et les difficultés actuelles des géographes ◊ Les
géographes éprouvent avec leurs utilisateurs, le même genre de difficultés
que rencontrent les sociologues avec les patrons qui désirent les
employer. Ils ne parlent pas la même langue.
1° Legéographeest un rural. Sociologiquement, le géographe n'est pas un cita-
din, mais un rural. Le monde rural s'étudie à partir d'un cadastre, de données
scientifiques, alors que le monde industriel urbain se pénètre davantage par le
truchement des hommes. Or le géographe moyen n'a reçu aucune formation le
préparant à entrer en relation avec les autres, surtout lorsque ceux-ci sont ban-
quiers, industriels, politiques ou même ingénieurs. En fait, le géographe a peu
d'occasions de contact avec les élites économiques et politiques qui auraient
besoin de lui. Rien dans sa formation ne l'a habitué à se mouvoir dans des
milieux sociaux variés, surtout dans le milieu des affaires. On peut dire égale-
ment, que rien ne prépare les milieux d'affaires à savoir utiliser le géographe. Plus
grave que la difficulté de langage, se trouve la différence de points de vue.
2° Différencesdepoint de vue. Fondamentalement, le géographe ne donne pas
de certitudes et travaille sur des données, qui, même chiffrées, n'en demeurent
pas moins en partie qualitatives dans leur interprétation 2 •
Sans doute les kilomètres sont-ils chiffrables, mais c'est une donnée à inter-
préter en fonction de beaucoup d'autres: dénivellation, qualité du sol, routes,
densités de population, climat, etc. Il est certain que les hommes, dits d'action,
lorsqu'ils font appel à des intellectuels, cherchent des informations pour mieux
s'orienter (gestion opérationnelle, etc.), aspirent à des certitudes, non à des élé-
ments supplémentaires d'hésitation. Legéographe est prudent, un peu par nature,
mais surtout par scrupule scientifique. Au nom de la contingence et de la

1. Cf. l'écologie.
2. L'écologie soulève le même problème.
LA GÉOGRAPHIE 253

complexité des éléments qu'il considère, il répugne à faire des prévisions. Le fait
que dans son domaine, tout problème concret est un problème à double entrée,
ou interfèrent l'homme et la nature, est la raison noble de son incertitude et aussi
ce qu'il peut apporter de plus précieux à ceux qui le consultent. Mais comment le
leur faire comprendre ?
« La nature offre toujours des choix» disait Vidal de la Blache. C'est
dire qu'il y a plusieurs solutions possibles au développement d'une région
agricole ou urbaine. L'utilité du géographe sera d'exposer ces possibilités,
en se servant des éléments présents, mais aussi de points de comparaison
réels.
L'étude du ~rojet Rhône-Rhin signale une région désertique de Dijon à Nancy.
Géographe et economiste seront d'accord pour ne pas comparer la liaison Rhône-
Rhin à la Tennessee ValleyAuthority américaine. En revanche les similitudes avec
la jonction Rhin-Danube (en particulier le désert économique d'une partie de la
canalisation de la région du Neckar) sont beaucoup plus grandes. Au lieu d'une
spéculation économétrique ou d'un modèle théorique, le géographe tentera de
découvrir les éléments significatifs de similitude ou de différence : industrie,
main-d'œuvre, etc., entre ce qui est connu, ce qui vit déjà et ce qui est à faire. De
la même façon, un urbaniste connaîtra mieux les types de sol, mais un géographe
saura quel type de ville est concevable, parce qu'il sait lire dans un paysage. Cette
vue globale lui permet de connaître les possibilités qu'offre la nature, mais surtout
la façon dont l'homme peut les utiliser, en se référant à ce qu'il a déjà pu ou vu
faire dans des situations analogues. Capacité d'un aéroport, influence des voies de
communication, interprétation des isochrones, tout cela relève du géographe,
l'homme de l'espace, l'homme de la distance, c'est-à-dire de la relation espace-
temps.
Cette relation espace-temps a subi de tels changements, que le géo-
graphe doit lui aussi bouleverser ses méthodes de travail et de pensée,
pour saisir les problèmes sous leur forme nouvelle. Tandis que l'espace
s'évacue constamment grâce au progrès de certaines techniques, il se
réintroduit par d'autres voies. L'avion abolit temps et distance ... l'en-
combrement urbain les multiplie.
Ajoutons enfin que l'inconfort de cette situation du géopaphe, est accentué
par le développement des sciences auxiliaires issues de la geographie, qui mani-
pulent une instrumentation scientifique considérable, les rendant aujourd'hui
parfaitement autonomes. La géomorphologie par exemple, suppose une forma-
tion technique approfondie, et l'usage d'instruments d'expérimentation des sols,
etc., qu'un géographe non spécialisé ne sait pas utiliser. L'étude des phénomènes
de population est totalement absorbée par la démographie. Il y a quarante ans, un
homme comme Demangeont découvrait la Picardie 1,Blanchard, la Flandre. L'un
et l'autre ont donné de ces paysages une explication, à leur époque entièrement
satisfaisante pour leurs contemporains. A l'heure actuelle, on n'imagine pas que
l'on puisse rendre compte des problèmes de la Flandre ou de la Picardie à travers
les travaux d'un seul individu et d'un point de vue purement géographique.
212 La situation de la géographie à l'étranger ◊ On conçoit l'irrita-
tion des géographes en se voyant dépossédés, ignorés, au moment où se
développent des domaines tels l'environnement et l'écologie où leur
1. Les Français ont été des pionniers en matière d'études régionales.
254 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

contribution paraît s'imposer. Cette situation est-elle propre à la France?


quelle réaction a-t-elle suscité ?
1° L'écolede Chicngo.Elle a, peut-on dire, traité le corps urbain comme un
médecin américain traite sur fiches tous ses patients, en intégrant un appareil
mathématique et statistique impressionnant. Documentation considérable, mais
purement analytique et peu de recherches prospectives.
2° Plus intéressant est l'exempleanglais.Le grand géographe Dudley Stamp a
bâti la théorie du « land use » ou étude des sols, et conçu son utilisation pratique.
C'est là une œuvre gigantesque, qui a consisté à découper l'Angleterre morceau
par morceau au niveau de la parcelle, au prix de dix-sept ans d'un travail, auquel
ont collaboré instituteurs, maires, animés par la volonté et la foi d'un seul
homme. Tout ce «zonage» du sol anglais a été depuis utilisé, soit pendant la
guerre pour protéger les bons sols, faire redémarrer une agriculture moribonde et
contribuer au ravitaillement du pays, soit depuis, pour décider des implantations
industrielles. Sans doute, à l'heure actuelle, ce zoning est-il dépassé mais le géo-
graphe en Angleterre, est fort considéré sur le plan scientifique !
A part cette exception, on peut dire que les géographes des autres pays euro-
péens rencontrent les mêmes difficultés que les Français. Les géographes italiens
n'ont pratiquement pas contribué à l'amélioration du Mezzogiorno et les Alle-
mands se plaignent aussi de n'être pas consultés.
Le fait que les exemples réussis de géographie appliquée soient améri-
cains et anglais n'est pas une simple coïncidence et peut aider à découvrir
quelques aspects particuliers de difficultés des géographes français.
La grande différence avec les États-Unis ne provient pas tellement,
comme on pourrait le croire, d'une différence dans les dimensions et l'es-
pace, bien qu'elle ne soit pas négligeable, mais d'une dimension dans le
temps. C'est l'histoire, histoire des hommes autant que celle des lieux,
qui complique la tâche du géographe européen. La mosaïque du sol fran-
çais est plus difficile à interpréter qu'un cadre naturel vierge. On ne peut
évaluer les chances d'évolution d'une industrie, sans connaître la tradi-
tion de la main-d'œuvre locale, ses coutumes, etc. La formation des géo-
graphes est donc historique, parce qu'en Europe l'explication historique
tient une plus grande place qu'aux Etats-Unis .
La Grande-Bretagne, est le pays ayant le taux d'habitat urbain le plus
élevé. Aussi la détermination des zones vertes, l'usage du sol, le respect de
la nature, sont-ils, pour l' Anglais, questions fondamentales. De plus,
pour des raisons de fait et d'histoire, les Anglais ont un siècle d'avance
sur nous dans l'expérimentation pratique du milieu industriel et urbain.
Enfin la planification, du fait de la guerre et du gouvernement travailliste,
y a été appliquée avec énergie. Parallèlement aux faits, ces divergences
s'expliquent encore par des formes d'esprit différentes. Ce n'est pas par
hasard que l'Angleterre a été le premier pays à faire de la planification
géographique et spatiale, alors que la France, la dernière sur ce point, était
la première pour le planning sectoriel. Attitudes d'esprit, mais aussi
1. Seulement, le drame des formations historiques données dans un cadre universitaire, dans
une optique d'enseignement plus que de recherche, c'est de produire des individus tournés vers le
passé et craintifs devant tout engagement d'avenir, sanctionné par les faits. Pourtant la dimension
historique est indispensable sinon l'on a affaire à des techniciens à formation limitée.
LA GÉOGRAPHIE 255

méthodes de gouvernement différentes. Dans le premier cas, l'empirisme


réserve sa chance au géographe, dans le deuxième, la centralisation et le
goût de l'ordre, le juridisme français, cherchent une planification plus
abstraite, a priori générale. Le géographe choque l'administrateur en
réclamant des régimes différenciés, alors que l'on médite une législation
nationale sur le développement des zones critiques. Cependant, en Bre-
tagne le problème est ferroviaire, c'est celui des longues distances. En
Alsace, mieux placée, c'est le bas niveau de l'enseignement professionnel
qui mérite attention, alors que le Sud-Ouest réclame une politique d'hy-
draulique agricole. Mais, parler en France de régimes diversifiés en fonc-
tion d'éléments concrets, c'est se voir aussitôt opposer le spectre de l'arbi-
traire. Pour utiliser les géographes, il ne suffit donc pas de les modifier
dans le sens souhaité, il faut au moins autant transformer les habitudes
de leurs utilisateurs.
3° L'U.R.S.S. - Un dernier exemple, très différent, fera encore mieux
comprendre les difficultés européennes, c'est celui des géographes des pays de
l'Est. La géographie soviétique est l'héritière directe des meilleures traditions de la
science géographique russe 1.Depuis la révolution d'octobre, les géographes ont
été eux aussi mobilisés pour une tâche nationale de mise en valeur du territoire.
Pour I. P. Guerassimov , ce sont justement les résultats pratiques que l'on exi~e
des travaux scientifiques, qui favorisent tout particulièrement l'essor et les progres
de la géographie... « A l'étape contemporaine [ ...] celle-ci s'est transformée en
tout un système de sciences, où est devenu indispensable le travail collectif, exé-
cuté suivant un plan unique, de toute une équipe de géographes de différentes
spécialités. »
Le géographe, en Russie, est considéré comme un scientifique. Les questions
qui lui sont posées proviennent de techniciens, d'hommes avec lesquels il s'en-
tend facilement. Lesbuts qu'il poursuit sont pour lui clairs. Lecadre dans lequel il
travaillait ne comportait ni hommes d'affaires, ni banquiers, ni intérêts privés.
Les meilleurs étudiants étaient dirigés vers la recherche et la planification, l'en-
seignement conservait les autres, ce qui à long terme paraît dangereux, de même
que l'accent porté sur l'application exclusivement soviétique. Entre une concep-
tion russe trop orientée vers les besoins immédiats et une conception européenne
de culture générale, une voie raisonnable ne pourrait-elle pas être trouvée ?
213 La géographie appliquée en France ◊ La France est, sans aucun
doute, le pays où la géographie fut le plus rapidement conçue sous une
forme à la fois très large et très concrète. D'abord du fait des explorateurs
et ensuite plus récemment, des possibilités d'aménagement du territoire.
Mais déjà aux xvf et xvrresiècles, ce sont les hommes d'action qui réu-
nissent les données géographiques, les géographes, eux, demeurent des
hommes de cabinet Vauban apparaît comme le père de la géographie
appliquée, de la planification régionale, parce qu'il est le premier, non à
organiser la collecte des matériaux, mais bien à préconiser leur emploi
systématique.
Quand on étudie l'état des régions françaises au XVIIIesiècle, écrit M. Phlippon-
neau (1956), on est frappé de constater le nombre et la richesse d'études, qui,
1. La société de géographie a plus d'un siècle.
2. Académie des Sciences, XVII' Congrès International de Géographie, Leningrad (1956).
256 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

sans avoir été réalisées par des géographes, témoignent d'un véritable esprit géo-
graphique. Il n'est pas etonnant que Napoléon I", stratège et administrateur, ait
compris l'utilité de la géographie. Peut-être, après lui, au XIx"siècle, la géographie
aurait-elle pu s'orienter vers des applications pratiques, mais deux considérations
expliquent pourquoi il en fut autrement. D'une part, la nécessité pour les géo-
graphes de transformer leur discipline purement descriptive, en science véritable.
Ceci, sous l'influence de Vidal de la Blache (1913), va les occuper plus que
d'éventuelles applications. D'autre part, ces dernières ne présentent aucun carac-
tère impératif. En effet le contexte libéral de l'époque permet à chacun d'aména-
ger au gré de son intérêt : implantation d'usines, construction d'immeubles ne
supportent d'autres considérations qu'économiques, au sens du profit le plus
individuel. Le géographe, homme de synthèse, peut seulement intervenir comme
élément d'information, au niveau d'une décision d'intérêt général. Son heure
n'est pas encore venue. Ajoutons enfin que le caractère synthétique de la géo-
graphie lie ses progrès à ceux d'autres sciences, qui ne se développent que tardive-
ment : comptabilité agricole, statistique, pédologie, géobotanique, etc.
La nécessité d'une nouvelle orientation a été fortement ressentie par
les géographes français, mais tous ne sont pas d'accord sur celle qu'il
convient d'adopter.
Parmi ceux qui misent sur le développement de la géographie appli-
quée, on trouve deux tendances :
1° La première considère que toute spécialisation d'une science auxi-
liaire de la géographie, substituée à des études techniques, devient géo-
graphie appliquée.
C'est le cas de l'équipe de géographes physiciens, réunis à Strasbourg autour du
professeur Tricart, qui se sont spécialisés dans la géomorphologie a:i;>pliquée
( amé-
nagement de certains bassins hydrauliques). Ces tentatives ont eté vigoureuse-
ment critiquées. En effet, comme le déclare avec force P. George : « Constater que
la formation géographique prépare correctement à une carrière de pédologue, de
climatologue ou d'hydrologue, ne saurait impliquer qu'il suffit d'être géographe
pour remplacer avantageusement le pédologue, le climatologue ou l'hydrologue
de métier. » 1 Dans le concret, un hydraulicien, un ingénieur de la SOGREAH,du
génie rural ou un agronome, seront toujours plus qualifiés qu'un géographe, pour
un genre de travail nécessitant une technique spécialisée.
2° La deuxième tendance cherche à annexer un domaine qui n'est pas
le sien. C'est ainsi que sous l'étiquette de géographie humaine, quelques
géographes français ont tenté, comme l'ont fait les Canadiens, de se lan-
cer dans des études de marché : localisation d'industries, équipement
urbain, etc., travail pour lequel ils n'étaient manifestement pas préparés
et qui suscite, à juste titre, le mépris indigné des économistes, jaloux de
défendre leur domaine. L'économie régionale où les uns et les autres se
rencontrent ne facilite pas toujours leur compréhension réciproque.
Le géographe en quête de débouchés rêve de recueillir des commandes qu'il
traitera dans son laboratoire, avec ses assistants, comme un ingénieur-conseil ou
un avocat. Il cherche à se présenter comme un technicien, sous-traitant à façon
certains travaux, pour les entreprises publiques ou privées. Cette façon d'agir utili-
taire, mais étroite, est la négation meme de la vocation du géographe et il risque
fort d'y perdre ce qui fait sa valeur.
1. P. George (1961), p. 340.
LA GÉOGRAPHIE 257

L'erreur que commettent les défenseurs d'une certaine forme de géographie


appliquée, c'est de vouloir s'emparer d'une question pour la traiter entièrement,
alors que le géographe est plus utile, seul, dans une équipe polyvalente qu'en
masse spécialisée et isolée.
Ce n'est pas la responsabilité de l'action, qui est application, que le géographe
doit revendiquer, c'est la reconnaissance de la nécessité de sa présence, partout où
est mis en cause le complexe géographique, fait de ces rapports multiples entre les
groupes humains et le milieu où ils ont été engendrés et qu'ils ont à leur tour
engendré 1.
Complexe géographique, si menacé aujourd'hui I L'environnement, la protec-
tion des ressources de la planète nécessitent un travail en équipe : chimiste,
économiste, géologue, politologue et géoV<lphesont intéressés par la sauvegarde
de l'Antarctique, comme de celle des forets. Sur le plan de la vie quotidienne, le
géographe a son mot à dire à côté de l'urbaniste, de l'architecte, de l'ingénieur, de
l'économiste et du médecin.
A l'heure actuelle, le problème de la géographie et de ses applications,
est un problème de formation humaine plus que de découvertes scienti-
fiques. L'enseignement doit préparer les géographes à poser les problèmes
de leur discipline, mais aussi à comprendre ceux des utilisateurs. Paral-
lèlement, il s'agit de réintroduire une géographie active, vivante, dans la
formation des cadres supérieurs pour qu'ils sachent en quoi le géographe
peut leur être utile.
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SECTION8. LA DÉMOGRAPHIE
215 Définition et objet ◊ La démographie a pour objet l'étude de l'état et
des mouvements des populations humaines. Le nom de démographie
proposé en 1855 par A. Guillard, n'a pas été universellement accepté. Les
Anglo-saxons reprochent à ce terme d'impliquer une étude descriptive,
alors que cette science est très analytique. Ils préfèrent utiliser le nom de
« population study », tout en notant la particularité qui consiste à dési-
gner une science par son objet
Le mot population peut s'appliquer à tout ensemble d'êtres vivants, ani-
maux ou végétaux, envisagés sous l'angle d'une caractéristique
commune. S'il s'agit de populations humaines, le mot est employé pour
désigner un groupe d'hommes ayant un habitat commun et aussi pour
désigner tout groupe ayant en commun des caractères biologiques ou
sociologiques. On parle de la population de la France ou de la ville de
Paris, mais on parle aussi des populations masculines ou féminines,
actives ou non actives, protestantes ou catholiques.
Par état de la population, on entend outre l'importance numérique de
cette population, la répartition de ses membres dans l'espace, sa composi-
1. Importante bibliographie.
LA DÉMOGRAPHIE 261

tion par sexe et par âge, par profession et même son niveau d'instruction
et son état de santé.
Par mouvementsde la population,on entend ces événements démo-
graphiques que sont les naissances et les décès. Dans le monde moderne,
les populations fermées, où comptent seuls ces mouvementsnaturels,sont
exceptionnelles. Le plus souvent, la circulation des individus entre les
divers groupes sociaux provoque des mouvementsmigratoires,qui s'ajou-
tant aux naturels, constituent le mouvementgénéralde la population. On
englobe parfois, également, dans les mouvements de la population, la cir-
culation des individus entre les divers secteurs de l'activité économique,
ou les divers niveaux de la structure sociale. Bien que ces formes de mobi-
lité, migrations professionnelles et capillarité sociale, aient de nombreux
liens avec la démographie, leur étude relève plus directement d'autres dis-
ciplines : économie politique, sociologie, etc.
215-1 Évolution et institutionnalisation ◊ La France a toujot.gs marqué
un intérêt particulier pour la démographie. L'importance de l'Etat nation
explique, au départ, l'intérêt pour la dimension de la population. A noter
l'originalité de la trajectoire démographique de la France dont les cam-
pagnes sont surpeuplées sous Napoléon et deviennent malthusiennes
lorsque les autres pays demeurent féconds, et enfin natalistes quand l'Eu-
rope est malthusienne.
L'essor de la démographie supposait d'une part une vie administrative
assez organisée pour que soient tenues à jour des statistiques complètes,
d'autre part le développement des mathématiques et plus particulière-
ment du calcul des probabilités. Mais à côté de ces facteurs techniques, il
fallait, comme toujours en sciences sociales, un état d'esprit favorable,
dans le cas présent, le désir de mieux comprendre les phénomènes
humains et l'impression que cette connaissance permettrait une action
utile.
La démographie, ne s'est pas développée comme une spécialité à l'inté-
rieur de la sociologie. Plus ancienne en tant que science, elle s'est consti-
tuée à partir de l'économie, de la biologie, de la médecine, de la statis-
tique.
Aux XVIIeet xvnr siècles, Fermat, Pascal, Bernoulli, Huyghens appliquent
le calcul des probabilités à la survie et créent l'expression : « espérance de
vie». Ensuite des politiques et philosophes mathématiciens, Vauban,
Condorcet s'intéressent à ces problèmes, enfin on trouve déjà dans le
passé, comme aujourd'hui, le poids de la religion en France de l'Église
catholique, présente non seulement par les interdits, mais également sur
le plan administratif puisque les paroisses détiennent les registres de bap-
tême et de décès.
Le X!x",scientiste, marque l'évolution de la démographie française vers des
objectifs concrets. La famille Bertillon jouera un rôle important. Le docteur Louis
Adolphe Bertillon (1821-1883) étudie les causes de mortalité, son père Alphonse
(1853-1914) est le créateur du service de l'identité judiciaire à la préfecture de
police de Paris et l'inventeur de l'anthropométrie et de l'utilisation des empreintes
digitales. Son frère Jacques (1851-1922) nataliste convaincu fonde «l'Alliance
nationale pour l'accroissement de la population française».
262 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

De cette époque date le lien étroit entre démo~aphie et nat:alisme. Après la


défaite de 1870, la volonté de disposer d'une armee nombreuse va susciter dans
les milieux natiçnalistes, catholiques et conservateurs, un mouvement en faveur
d'une aide de l'Etat aux familles nombreuses.
L'hécatombe de la guerre de 1914 provoque une même réaction nataliste (loi
de 1920 contre l'avorteme!}t). Adolphe Landry (1874-1956), homme politique,
est en faveur de l'aide de l'Etat (1932 création des allocations familiales). Malgré
son orientation nataliste (il est membre du Haut Comité qui en 1939 prépare le
Code de la famille), il garde un point de vue scientifique et préside l'Union inter-
nationale pour l'étude de la population (UIESP). René Carmille (1886-1945),
contrôleur général de l' Armée, passionné de fichiers et machines mécano-
graphiques transforma en 1940 ses documents militaires en « Service de démo-
graphie » devenu « Servicenational des statistiques » (SNS 1941), auquel on doit
aujourd'hui les numéros de sécurité sociale. Enfin Alfred Sauvy (1898-1988) 1,
élève de Landry, devient directeur de l'Institut national démographique (INED).
Le grand mérite de Sauvy fut d'avoir constitué une équipe véritablement pluridis-
ciplinaire en réunissant les courants « planificateur » et « néo-scientiste », où se
rencontrent philosophes, démographes, mathématiciens (Paul Vincent et Jean
Bourgeois-Pichat), polytechniciens, sociologues tels que Jean Stoetzel fondateur
de l'IFOP et Alain Girard (INED), des anthropologues, des médecins R. Gessain
(au Musée de l'homme) et Sutter (qui assure la liaison avec la génétique), un his-
torien des populations : Louis Chevalier.
Venant d'horizons divers, tous enrichissent la démographie. Louis Henry 2 s'at-
tacha à préciser les concepts de fécondabilité, de stérilité, d'infécondité, et à assu-
rer aux indicateurs longitudinaux (diachroniques ou par cohortes) un statut égal
à celui des indicateurs transversaux, permettant un progrès des recherches et
réflexions démographiques. Il eut également l'idée de reconstituer, à travers les
registres de baptême et décès (édit de Villers-Cotteret), l'ancien régime démo-
graphique, rectifiant les idées concernant le comportement des paysans avant la
Révolution.
Il faut noter car le fait est rare, que les pionniers de la démographie ont su
trouver des successeurs dignes d'eux. Ils se sont spécialisés en fonction des
besoins sociaux: P. Paillot sur le vieillissement, G. Calot (1984) sur la fécondité,
H. Le Bras rédacteur en chef de la revue Population,R Pressat 3 précise les notions
de taux, de quotients, de table d'événements, enfin L Tabah (1966 ), dirige la
Division de la population à l'ONU.
Un Laboratoirede Démographiehistoriquea vu le jour à la Maison des sciences
de l'homme.
A signaler la problématique sur l'utilisation des « données ethniques »
qui divise les démographes 4.
Le domaine de la démographie, même entendu dans le sens strict
d'étude directe des mouvements et de l'état de la population, est déjà très
étendu. Certains l' elargissent encore, en poursuivant l'étude des causes et
conséquences de ces mouvements. Dans ce cas, ce sont tous les facteurs
physiologiques, climatiques, sociologiques, psychologiques les plus divers,

1. A. Sauvy (1956).
2. L. Hemy (1966, 1980, 1981).
3. R. Pressat (1967, 1971, 1973, 1977, 1979, 1985}.
4. H. Le Bras accuse l'INED de faire le jeu du Front National alors que pour Michèle Tribalat,
seules ces données permettent de lutter contre les discriminations, ( cf. Le Monde 6 novembre 1998).
LA DÉMOGRAPHIE 263

susceptibles d'influencer la population, qui devront être pris en considé-


ration.
Lespoints de vue restrictifs et les aspects extensifs s'expriment dans des défini-
tions différentes: études statistiques de la population pour les uns (Huber, Will-
cox, Wolfe), elle devient pour les autres: étude des collectivités humaines. Achille
Guillard, reconnaissant la légitimité des deux points de vue, avait proposé une
première définition si étroite, qu'elle réduisait la démographie à une application
de la statistique : « connaissance mathématique des populations, de leurs mouve-
ments et de leur état», l'autre si large: « histoire naturelle et sociale de l'espèce
humaine», qu'elle recouvrait le domaine des sciences sociales et même toutes les
sciences de l'homme.
Il est sage de considérer d'abord la démographie comme l'étude des
mouvements et de l'état des populations, à partir de là on distingue plu-
sieurs tendances.
216 Définitions et conceptions de la démographie. a) lA démo-
graphie pure ◊ La démographie serait une science exacte, si elle pou-
vait n'étudier que les faits démographiques proprement dits, sans tenir
compte des contingences qui en troublent le déroulement. Nombre de
naissances, de décès, longévité, sexe, sont des faits enregistrés et liés entre
eux d'où la possibilité de tirer, par déduction, des vérités générales qui
font de cette partie de la démographie « une suite de théorèmes ana-
logues à ce qu'on voit en géométrie», suivant l'expression de A. Landry
(1949). C'est la démographie pure ou démographie rationnelle.
Pour écarter les perturbations résultant de l'action du milieu culturel ou social,
les spécialistes construisent des modèlesthéoriques, dont ils fixent eux-mêmes les
données 1.Il est possible, en ne tenant pas compte de modifications à venir, d'éta-
blir des tables de mortalité, et de survie et de démontrer qu'une population où
joueraient seulement la loi de fécondité et la loi de mortalité, (si elles étaient sta-
bilisées en dehors d'influences extérieures) atteindrait une composition par âge
théorique, dite coml'osition par âge limite. A partir de cette composition et de lois
gouvernant le modele de population, on a pu calculer les décès et naissances à
venir. Les tables de mortalité sont utilisées pour établir des assurances vies. Le
modèle a permis à Kuczynski de construire des taux de reproduction et des taux
de remplacement, rectifiant l'image trompeuse donnée par la reproduction des
populations occidentales, où les erreurs provenaient des perturbations de la
composition par âges. De même, Lotka a pu, à partir du modèle de population
stable, calculer des taux de natalité, de mortalité et d'accroissement naturel, qu'il
appelle taux intrinsèques. Ce modèle a été complété par une hypothèse portant
sur l'égalité du nombre des décès et naissances, rendant la population station-
naire. Il a trouvé de nombreuses applications dans l'analyse démographique, soit
pour démontrer le caractère anormal d'une situation (cf. the Royalcommisionon
populationen Grande-Bretagne en 1946), soit surtout, pour suppléer aux lacunes
de la documentation démographique dans les pays sous-développés.
217 bl La démographie étude des comportements démogra-
phiques ◊ L'histoire fournit des exemples de longues périodes pendant
lesquelles les caractères démographiques réels des populations ont été très
1. La démographie a déjà bénéficié des possibilités offertes par les machines : prévision, simula-
tion, etc. Cf. P. Vincent (1964).
264 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

proches du modèle d'une population stable et même, en longue durée, à


celui de la population stationnaire stable.
Ce fut le cas du Japon pendant deux siècles et demi ( 20 millions d'habitants
au xvin• siècle et au milieu du XIX'siècle). Mais cette stabilité est due à des groupes,
eux-mêmes équilibrés, ne présentant aucun phénomène d'expansion. Dans le
monde contemporain une telle éventualité est exclue. Sans doute existe-t-il des
caractères physiologiques communs à toute l'espèce, imposant des maxima au-
dessus desquels il n'est pas possible que s'élève la fréquence des naissances
(limites naturelles de la fertilité des femmes) et des minima, au-dessous desquels
ne peut descendre la fréquence des décès (limites de longévité), mais à l'intérieur
de ces limites extrêmes, on observe la plus grande diversité dans le rythme de
reproduction des divers groupes humains et par suite dans l'état démographique
de ces groupes. En 1960, il n'y avait que 13,8 naissances annuelles pour 1 000
Suédois et 49,5 au Guatémala. L'espérance de vie des femmes suédoises atteignait
74,9 ans, elle ne dépassait pas 43 ans au Cambodge.
Il est possible que des facteurs d'ordre physiologique, provenant des composi-
tions ethniques différentes de ces populations, exercent une influence, mais
celle-ci est très faible en comparaison des facteurs culturels et sociaux. Lorsque le
taux de mortalité du Mexique passe de 24 pour 1000 en 1937, à 11,4 en 1960,
ou que le taux de natalité du Japon diminue de moitié entre 1946 et 1961, ce
n'est pas le milieu naturel, ou la composition ethnique, qui ont changé, mais le
milieu social : modes de production influençant les niveaux de vie, niveau d'ins-
truction et des mœurs, politique sociale tendant à restreindre le nombre des nais-
sances ou à les multiplier. Bien que la fréquence des naissances dépende de déci-
sions individuelles, dont les motivations sont infiniment complexes, ce sont des
décisions sur lesquelles les contrôles sociaux diffus ou organisés ne sont jamais
sans effets.
Chaque population nationale a ainsi un comportement démo-
graphique propre, variable dans le temps. Mais à l'intérieur d'une même
population, des groupes sociaux soumis à des influences culturelles
variées, peuvent avoir des comportements différents qu'il appartient au
démographe d'analyser en cherchant des corrélations avec les autres faits
sociaux.
218 c) La. démographie, science sociale ◊ La démographie est une
science sociale qui ne peut isoler les faits qu'elle étudie, des faits sociaux
des disciplines voisines. Il n'est pas de phénomène purement démo-
graphique et il n'est guère de phénomènes sociaux qui n'aient un aspect
démographique. Durkheim accordait une telle importance aux phéno-
mènes démographiques qu'il leur a attribué le statut d'infrastructure de la
vie sociale. La divisiondu travailsocialreconnaît l'importance de la répar-
tition et des mouvements de population. L'année sociologiqueconsacre
une grande place à la démographie. M. Halbwachs (1938), après avoir
reconnu l'autonomie de la démographie « ensemble homogène », ajoute
aussitôt que c'est bien « une partie essentielle de la science sociale ( ...)
Nous avons tenté ( ...) de mettre en lumière, derrière les faits de popula-
tion, des facteurs sociaux qui sont en réalité des facteurs de psychologie
collective, mal aperçus jusqu'ici et sans lesquels cependant la plupart de
ces faits demeurent pour nous inexpliqués».
LA DÉMOGRAPHIE 265

Comme le dit A Girard 1 : « En intitulant Biologiesodale la deuxième partie de


sa théorie de la population, Sauvy a voulu montrer que les faits démographiques
ne sauraient être saisis indépendamment des facteurs sociaux et culturels, qui les
déterminent dans une large mesure. »
Deux facteurs démographiques importants de la période contemporaine sont,
le premier d'ordre psycho-physiologique : la possibilité de contrôler la fécondité 2 ;
le deuxième d'ordre médico-sociologique: l'allongement de la durée moyenne de
la vie.
Le démographe se préoccupe des événements : naissances, décès, migrations,
qui sont l'objet de sa réflexion, mais comme les autres sciences sociales, la démo-
graphie se caractérise par un point de vue sur l'objet, sur la réalité complexe d'où
elle sélectionne ce qu'elle doit étudier, non par un objet propre, séparé des autres
facteurs sociaux. Pour rapprocher la démographie de la sociologie3, il faut aug-
menter le nombre de sujets particuliers dans lesquels peuvent travailler ensemble
des chercheurs des deux disciplines. La spécialisation a éviter est celle qui oppose
recherche et théorie. Or, souvent le démographe s'imagine voué à la collecte de
matériaux, sans vocation à les interpréter, tandis que le sociologue à la recherche
d'explications, n'acquiert pas les techniques qui lui seraient indispensables t'our
valider ses hypothèses. A l'heure actuelle, de nombreux sujets de recherche neces-
sitent la réflexion conjointe des sociologues et des démographes. La baisse de la
natalité dans les pays industrialisés, la forte immigration exigent des décisions
politiques en fonction de données chiffrées. Le vieillissement de la population,
au-delà des problèmes humains et sociaux oblige à trouver des solutions
concrètes : sécurité sociale, retraite, répartition des charges dans la population en
fonction des groupes d'âge.

218-1 d) La démowaphie globale ou planétaire ◊ L'ampleur etla variété


des dégâts déja causés par l'industrialisation et les rtsques qu'elle présente
pour l'avenir, les progrès des techniques permettant de les mesurer et de
les prévoir, enfin déséquilibre grandissant entre le développement des dif-
férentes régions du monde et les problèmes qui en découlent ( sida en
Afrique, pollution urbaine en Occident) exigent une sérieuse réflexion
sur les conséquences de cette évolution sur la démographie et de celle-ci
sur celle-là.
1798 marque une rupture. La parution de l'Essai sur leprincipedepopu-
lation de Malthus fit un scandale. D'après cet auteur, la production de
subsistance croît de façon arithmétique alors que la démographie suit une
progression géométrique d'où une prévisible pénurte catastrophique. Sans
doute la formulation mathématique était-elle inexacte. Dépendant de
l'état des connaissances ou des ignorances de son temps, Malthus pas
plus que ses contemporains n'avait tenu compte des richesses que pro-
duirait l'industrialisation. Il faut cependant lui reconnaître le mértte
d'avoir, le premier parmi les économistes classiques, prévu des limites à la
croissance ainsi que le développement de la concurrence pour la vie entre
les espèces vivantes. Idée reprise avec succès au xir par Ch. Darwin et
1. 1. A. Girard (1960, B. 159 bis, 1984).
2. Il sera intéressant pour les psycho-sociologues d'observer à long terme l'influence, sur le
comportement féminin, de l'élimination du risque de fécondité involontaire, par l'amélioration des
procédés contraceptifs.
3. C.B. Nam (1982).
266 LESDIFFÉRENTESSCIENCESSOCIALES

AR. Wallace. L'actuelle explosion démographique donne aux idées de


Malthus une remarquable actualité 1.
Si les statistiques sont souvent trompeuses, celles qui concernent l' évo-
lution de la population le sont plus que toutes autres et peuvent, suivant
les dates retenues, les populations visées2 confirmer les arguments et les
idéologies les plus opposées 3 .
En 1838, le belge Verhulst, se fiant à l'évolution de certaines espèces
animales, établit la fameuse « loi logistique» suivant laquelle une popu-
lation se développant dans un milieu aux ressources limitées, après une
période de croissance rapide, ralentit d'elle-même son rythme pour
atteindre un état d'équilibre. Cette rassurante affirmation semblait réfu-
ter le pessimisme de Malthus. Seulement cette soi-disant loi 4 ne vaut que
pour des groupes réduits évoluant dans des espaces limités. Groupes et
espaces auxquels les démographes classiques ont eu le tort de borner leur
réflexion. Or ce qui peut seul donner des indications fiables sur l'ampleur
du phénomène qui nous menace, ce sont les données recueillies sur l'en-
semble de la planète depuis ses origines.
C'est à un chercheur français peu connu A. Cailleux (1951), que l'on
doit la première courbe de la population depuis la préhistoire. Suivant des
procédés mathématiques rigoureux, la courbe établie démontre que la loi
d'accélération est la loi dominante qui traduit non l'expansion mais la
« surexpansion » de l'espèce humaine.
Deux faits sont frappants. D'abord ce n'est pas seulement le taux
d'augmentation de la population, mais surtout la croissance du taux de
croissance qui donne la vraie mesure du phénomène. En 1960,
H. von Forster 5 reprend les conclusions de Cailleux. La croissance de la
population mondiale est hyperbolique, ce qui à brève échéance aboutit à
l'absurde. Si le taux de croissance tend à décroître depuis 1970, cela ne
suffit certainement pas pour résoudre le problème de la surpopulation.
Deuxième constatation intéressante: l'évolution de certaines données
chiffrées montre un parallélisme régulier entre la courbe du progrès des
techniques de subsistance et la courbe démographique. La surface néces-
saire à la subsistance d'un seul individu au stade de la cueillette, suffit à
en nourrir 5, au stade suivant de l'agriculture pastorale, puis 500 avec
l'utilisation de la roue, 2 500 grâce à la charrue enfin 15 000 avec les
moyens techniques actuels permettant une culture intensive.
1. li est surprenant de constater le peu d'intérêt des économistespour ces problèmes.En France,
seul René Passet (1979, 1995) en voit l'importance.
2. Les graphiques de 1993 des Nations unies sont rassurants parce qu'ils fixent leur point de
départ en 1950, alors que c'est la longue durée qui révèle le danger. Les projections faites par
l'O.N.U. se sont révéléesinexactes. Malgré les moyens sophistiqués utilisés, les chiffres annoncés
pour l'avenir sont toujours en dessousde la réalité. En 1951 la prévisionest de 3 500 millions d'habi-
tants en 1980. Or le chiffre est atteint en 1965. Pour éviterde continuelles rectifications,on a modi-
fié à la hausse les résultats prévus... au moment où justement s'amorce la baisse (1974) 111
3. On peut releverdes affirmations opposéeschez des hommes supposésinformés. A. Peyrefitte
considérant la seule population française déclare qu'elle est trois fois moins dense qu'elle ne devrait
l'être, tandis que C. Levi-Strauss(1992) dans une vision planétaire écrit:« Depuis que l'homme est
sur cette terre nous n'avons jamais atteint ce degré de folie.»
4. Reprisepar Pearl (1930} et Lotka (1956) elle a connu un grand succès.
5. Dans un article intitulé Doonsday Friday (Le jour du jugement dernier).
LA DÉMOGRAPHIE 267

Aussi les démographes les plus pessimistes, ne retiennent-ils pas les


prévisions de Malthus concernant les risques de famine mais seulement
son point de vue sur l'augmentation de la population, et y voient les dan-
gers qu'elle constitue aujourd'hui: problèmes d'environnement, d'es-
pace, de conditions de vie. « Les hommes ne risquent pas de mourir de
faim mais d'être écrasés à mort» écrit Von Forster.
Comme il existe une macro et une micro-économie, il paraitrait rai-
sonnable de concevoir une macrodémographie ouverte sur le long terme
de la planète et une microdémographie posant les problèmes à un niveau
plus restreint. Deux orientations non pas opposées, mais complémen-
taires. Malheureusement si cette double orientation paraît scientifique-
ment juste et permet une vue plus exacte de la réalité, ni l'une, ni l'autre
n'est capable de trouver les moyens de ralentir le rythme d'accroissement
de la population. La macrodémographie a au moins le mérite de pousser
un cri d'alarme. S'il est établi que seul l'accès à la modernisation et au
confort amène les couples à limiter leur descendance, c'est mal-
heureusement dans les pays pauvres que le taux de croissance de la popu-
lation est le plus élevé et le plus difficile à maîtriser, alors qu'il constitue
un frein au développement. Véritable cercle vicieux, ces pays n'ont plus le
choix qu'entre une limitation des naissances par les catastrophes
(nucléaire, le sida) ou l'entassement dans les bidonvilles, la sous-
nutrition, etc. ,
Peut-on parler de progrès dans la prise de conscience des Etats et de
l'opinion? Les conférences mondiales tenues sur ce sujet pourraient le
laisser espérer. Du moins permettent-elles de situer les blocages et de
mesurer l'ampleur de la méconnaissance du danger.
A Mexico (1984), la première conférence internationale dans laquelle
156 pays examinent les effets de la croissance de la population mondiale
sur l économie a permis de constater des différences considérables entre
les différents pays. Conférence du Caire, conférence de Rio enfin la plus
spectaculaire, la conférence de Pékin (1995) sur les femmes. Sans avoir
pour thème la démographie, elle l'aborde naturellement par le biais de la
procréation, domaine qui intéresse particulièrement les femmes. On
retrouve avec plus de netteté que dans les conférences précédentes les
oppositions religieuses, car c'est la première fois qu'un texte de portée
internationale évoque le droit de la femme à la sexualité en dehors de la
reproduction. Droit que n'acceptent pas les pays musulmans et certains
pays catholiques à la suite du Vatican. Les religions évoluent à un rythme
lent par rapport à la science et aux individus.
Il semble bien que la démographie soit de toutes les sciences sociales
celle qui exige la plus complète pluridisciplinarité. Elle est probablement
aussi la plus complexe (avec l'économie) dont les erreurs sont à la fois les
plus graves, les plus visibles et les conséquences les plus irréversibles.
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SECTION9. L'ÉCONOMIE POLITIQUE

220 Définitions ◊ Quatre orientations distinctes, relatives à l'objet de la


connaissance économique et à ses méthodes, ont prévalu depuis l'avène-
ment de l'Économie politique en tant que discipline scientifique auto-
nome, au milieu du xvrrfsiècle en France, sous l'impulsion de l'école phy-
siocratique. La première, qui trouve sa source dans les œuvres des
économistes classiques anglais, notamment d'Adam Smith et de David
Ricardo, lie l'analyse de la formation d'un excédent net de richesses au
cours d'une période donnée, à des hypothèses théoriques fondamentales
sur la place et le rôle des différentes catégories d'agents économiques
dans la production, places et rôles qui fondent leur droit à une part déter-
minée du surplus. Cette orientation théorique se perpétue aujourd'hui
dans l'œuvre de Piero Sraffa (1960) et de ses adeptes 1.La seconde orien-
tation théorique, plus attentive aux formes historiques et aux singularités
nationales qui président à l'exercice des activités économiques, s'intéresse
aux faits d'échange, onéreux ou non, qui accompagnent les trans-
formations de la division sociale du travail. Illustrée au ~ siècle par les
travaux de l'école historique allemande 2, cette orientation se perpétue
avec une inflexion significative de la réflexion vers l'analyse des cadres
sociaux, notamment institutionnels, dans les travaux de l'école institu-
tionnaliste aux États-Unis. En France, l'œuvre de S.C. Kolm (1984), en
dépit de son apparent syncrétisme, porte la marque d'interrogations qui
l'inscrivent nettement dans ce courant. La troisième orientation théo-
rique, dominante aujourd'hui dans la littérature économique anglo-
saxonne, tend à se confondre avec l'apparition et le développement de
l'école néo-classique 3 : la préoccupation fondamentale de ce courant
consiste, en effet, dans l'analyse des comportements individuels, suppo-
sée réductible à la mise en œuvre d'une axiomatique des choix. En outre,
prenant principalement appui sur les préceptes de l'individualisme
méthodologique, entrevus par Carl Menger (1883) et codifiés par J.
Schumpeter4, ce courant postule qu'on ne peut rendre compte de la
genèse des phénomènes sociaux et de leur signification qu'en référence
aux expériences mentales des individus. La quatrième orientation a tou-
jours exprimé les exigences d'une réflexion critique sur les conditions
sociales dans lesquelles se constitue et se développe la connaissance

1. Cf. 1. Steedman (1989).


2. H. K. Betz (1988).
3. M. Ricketts (1989).
4. J. Schumpeter (1908, 1914, 1963).
272 LESDIFFÉRENTESSCIENCESSOCIALES

économique. Inspirée de l' œuvre de Karl Marx 1,cette orientation fonde


sa critique de la prétention à l'objectivité du savoir économique sur l'ana-
lyse des conditionnements idéologiques et des facteurs historiques qui
gouvernent la mise en place des rapports sociaux de production et
d'échange. Outre les courants d'inspiration marxiste, cette orientation se
manifeste aux États-Unis sous la forme d'une école radicale 2 et, en
France, dans un regroupement intitulé Mouvement anti-utilitariste dans
les sciences sociales (M.A.U.S.S.)3 . Ainsi richesse, échange, choix et rap-
ports sociaux constituent les thèmes fondateurs de l'économie politique
dans sa dimension tant positive que critique 4 .
220-1 L'école classique ou l'intemporalité des structures ◊ Parce qu'ils
lient la compréhension des phénomènes de production à des hypothèses
déterminées sur la répartition, les économistes classiques parviennent a
montrer l'existence d'une causalité structurelle gouvernant aussi bien les
évolutions à long terme du système économique que ses formes d'ex-
tension dans l'espace. Mais cette causalité structurelle reste historique-
ment indéterminée. Si Adam Smith montre que la structure des qualifica-
tions de la main-d'œuvre est un élément décisif du processus
d'accumulation des richesses et dépend fondamentalement de la division
du travail, il ne parvient pas à rendre compte de la genèse historique des
catégories de travail productif et de travail improductif. Elles constituent
pourtant la base logique du processus d'accumulation du capital, objet de
l'analyse. Dès lors, des lois économiques réputées universelles et imma-
nentes voient en réalité leur validité suspendue aux conditions dans les-
quelles le capital a été historiquement accumulé.
220-2 De l'école historique allemande aux çourants institutionna-
listes américains ◊ Les fondateurs de l'Ecole historique allemande,
Knies, Roscher, Hildebrandt et les chefs de file du courant institutionna-
liste aux États-Unis tels T. Veblen, W.C. Mitchell, R.C. Commons,
C. Ayres partagent la même critique fondamentale del' école classique : la
remise en cause du postulat d'homogénéité du comportement des sujets
économiques, l'homo œconomicus.Alors que ces deux écoles se donnent
pour objectif l'étude de l'évolution des économies nationales, en tant que
processus historique, leurs instruments d'analyse diffèrent. La compré-
hension de la genèse et du rôle des institutions occupent une place privi-
légiée dans l'explication chez les institutionnalistes, alors que l'école his-
torique allemande se borne à une interprétation ne suggérant aucune
causalité particulière. Car C. Menger (1883) le souligne: « Nous obte-
nons l'intelligence historiqued'un phénomène en recherchant sa genèse
individuelle, c'est-à-dire en nous représentant les circonstances concrètes
au milieu desquelles il a pris naissance avec ses caractères propres[ ...]
1. J. E. King(1989).
2. S. Bowles,R. Edwards(1989).
3. Le Mouvement antiutilitariste dans les sciences sociales a publié le bulletin du M.A.U.S.S.
devenu en 1989 la Revuedu M.A.U.S.S.,éditions La Découverte,Paris.
4. J. Wolff (1975).
L'ÉCONOMIE POLITIQUE 2 73

Nous obtenons l'intelligence théorique d'un phénomène concret[ ...]


lorsque nous l'envisageons comme le cas particulier d'une certaine loi de
succession ou de coexistence des phénomènes ... » 1.
En France, de E. Simiand à F. Perroux, en passant par L Brocard,
J.Marchal, G. Pirou, une lignée d'économistes hétérodoxes constitue une
réplique continentale de l'institutionnalisme américain.
221 L'école néoclassique: une genèse économique des phénomènes
sociaux dépourvue d'ancrages structurels ◊ Si l'interprétation des
fondements épistémologiques de l' œuvre du fondateur du marginalisme
autrichien, Carl Menger, fait actuellement l'objet de discussions passion-
nées 2 , il n'en reste pas moins que la théorie néoclassique conserve
aujourd'hui deux caractéristiques fondamentales léguées par le margina-
lisme autrichien. A un principe de rationalité, sorte de principe synthé-
tique a priori, s'ajoute, une construction génétique des phénomènes
sociaux fondée sur les préceptes de l'individualisme méthodologique. Le
principe de rationalité permet cette rupture épistémologique suivant
laquelle von Mises déclare que la théorie subjectivede la valeur « a trans-
formé la théorie des prix de marché en une théorie générale du choix
humain » 3 • Quant à l'individualisme méthodologique, il permet selon F.
von Hayek (1953), de mettre au jour le processus de constitution des
phénomènes sociaux : « De ce que sont les conceptions et les opinions
des individus qui nous sont directement connues et forment les éléments
à partir desquels nous devons construire, pour ainsi dire, les phénomènes
plus complexes, découle une autre différence importante entre la
méthode des disciplines sociales et celle des sciences de la nature. Dans
les premières, les attitudes individuelles sont des éléments familiers et
nous essayons par leur combinaison de reproduire des phénomènes
complexes, les résultats des actions individuelles, qui nous sont beaucoup
moins connus. Cette démarche conduit souvent à découvrir dans des
phénomènes complexes des principes de cohérence structurelle qui
n'avaient pas été, et sans doute, ne pouvaient être établis par l'observa-
tion directe 4. » Ce qu'omet de dire F. von Hayek, c'est précisément l'inca-
pacité de la théorie néoclassique à faire émerger une signification quel-
conque, susceptible de rendre intelligible les principes de cohérence
structurelle qu'elle découvre. Faute d'une théorie des relations entre
niveaux hiérarchisés de la réalité, la théorie néoclassique produit des
résultats souvent ingénieux, mais inintelligibles, sa méthode même
excluant toute démarche théorique susceptible de générer un sens, au-
delà de l'expérience individuelle.
221-1 Les tendances critiques: marxistes, radicales et anti-utilita-
ristes ◊ La spécificité de la critique marxiste de l'économie politique
réside dans ses fondements matérialistes et dialectiques. C'est, en effet, le
1. C. Menger (1883), pp. 15-17.
2. R. Cubeddu (1985).
3. L. von Mises (1949), p. 3.
4. F. von Hayek (1953), p. 53.
27 4 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

matérialisme dialectique qui permit à la critique marxiste, seule d'abord,


en concurrence avec d'autres théories de la société aujourd'hui, de rendre
compte de l'intelligibilité des phénomènes sociaux et d'en livrer la signifi-
cation au regard du processus historique d'évolution des sociétés. Joseph
Schumpeter a fortement souligné cette originalité de l'œuvre de Marx.
Pour lui: « Marx fut le premier économiste de grande classe à recon-
naître et à enseigner systématiquement comment la théorie économique
peut être convertie en analyse historique et comment l'exposé historique
peut être converti en histoireraisonnée» 1. Cette perlormance est directe-
ment liée à la théorie marxiste des classes sociales « l'instrument analy-
tique qui, en reliant l'interprétation économique de l'histoire aux
concepts de l'économie de profit, regroupe toutes les données sociales et
fait converger tous les phénomènes» 2 .
Néanmoins, les deux autres tendances critiques qui partagent avec
l'analyse marxiste la préoccupation fondamentale d'élucider l'influence
des rapports sociaux sur les formes et le contenu de l'activité écono-
mique, se séparent de celle-ci à d'autres égards. Ainsi le mouvement anti-
utilitariste dans les sciences sociales souscrit-il vraisemblablement à cette
affirmation de Marc Guillaume (1989) selon laquelle« en dépit de son
ambition d'être une explication globale de l'histoire, le marxisme en
substituant à la rationalité d'un sujet individuel celle d'une classe sociale,
n'a produit qu'un simple déplacement à l'intérieur du champ utilita-
riste» 3 • Le courant radical aux États-Unis, initialement regroupement
hétérogène inspiré de l'anarchisme libertaire et de divers courants mar-
xistes, bénéfice aujourd'hui d'une reconnaissance académique qu'il doit à
la manière dont il réintègre la dimension politique des problèmes écono-
miques et dont il promet des réponses appropriées à des questions
sociales controversées 4 •
222 Les principaux de'"batsde méthode depuis la Deuxième Guerre
mondiale ◊ Il est frappant de constater le retour cyclique d'un diagnos-
tic de crise de la pensée économique. Formulé au seuil des années 50, par
Henri Denis (1951) et Jean Marchal (1951), ce diagnostic renvoyait
alors à la crise d'un modèle de la connaissance scientifique emprunté aux
sciences de la nature, l'affirmation de l'économie politique modèle
opposé à science sociale. A la fin des années 70, les fondements de la
connaissance économique font à nouveau l'objet d'une remise en cause
sous la double pression du constat de l'incapacité des théories écono-
miques à fournir une explication de la crise économique, et de la dégé-
nérescence des programmes de recherche, prenant appui sur les principes
de l'individualisme méthodologique. Au milieu des années 80, enfin,
dans un contexte où s'affirment en philosophie des sciences des concep-
tions nouvelles des critères et des formes de développement de la
1. J. Schumpeter (1963), p. 72.
2. Op. dt., p. 40.
3. Marc Guillaume et al., Le sommeilparadoxalde l'ÉwnomiePolitique1989, p. 8.
4. S. Bowles, R. Edwards (1989).
L'ÉCONOMIE POLITIQUE 275

connaissance, on reproche à l'économie politique sa tendance marquée


au syncrétisme. Celui-ci tendrait à masquer la crise de l'exigence d'unifi-
cation d'un savoir désormais morcelé et à éluder la réflexion critique
nécessaire pour surmonter le net appauvrissement sémantique de la dis-
cipline depuis la révolution keynésienne.
a) L'économiepolitique,sciencede l'homme et dela société.- Henri Guit-
ton (1951) a bien circonscrit les enjeux des débats que suscite l'abandon
du modèle des sciences physiques sur lequel l'économie politique s'était
constitue, au profit de « cette ambition contemporaine qui veut faire de
l'économie politique [...] une science dont il n'existe encore aucun
modèle, une science originale[ ...] Le sens de l'action humaine conduit à
une nouvelle conception de la science[ ...] C'est à une nouvelle union,
que l'on est amené, celle qui doit rapprocher dans une discipline
commune la connaissance et l'action, la science et la conscience» 1.
Cette recherche des fondements de l'économie politique comme science
sociale, conduit à deux interrogations, l'une relative à la spécificité des
études du comportement humain et des faits de société propres à l'écono-
mie politique, par rapport aux connaissances et aux méthodes de l'his-
toire et de la sociologie; l'autre relative au statut des mathématiques dans
l'élaboration d'une discipline économique, envisagée comme savoir opé-
rationnel en vue de l'action. Sur le premier point, les économistes fran-
çais acceptent l'opinion exprimée par Jean Marchal selon laquelle
l'économie est politique. Il convient d'ajouter à la définition classique de
l'économie comme science de l'administration des ressources rares, en
vue de la satisfaction des besoins humains, que « les hommes sont ame-
nés:
- à coordonner les moyens dont ils disposent d'une certaine façon au
sein des institutions existantes;
- à modifier ces institutions elles-mêmes, soit en agissant isolément,
soit en se regroupant, soit en réclamant l'intervention de cet organisme
politique qu'est l'État;
- à transformer, dans une certaine mesure, les besoins sous la pression
des résistances que peut opposer le milieu naturel ou social à leurs efforts
d'aménagement » 2 .
L'évolution des mathématiques elles-mêmes permettra à l'économie
politique de concilier les exigences de la connaissance et de l'action. En
effet, grâce aux mathématiques nouvelles, il est désormais possible de
s'affranchir du seul recours à la statistique et à l'analyse fonctionnelle, et
de découvrir que le règne de la nécessité ne se confond pas inévitable-
ment avec celui de la quantité. La théorie des jeux constitue à cet égard
un exemple des changements que suscite dans la réflexion économique
l'emploi des « mathématiques de l'homme». Cette théorie, ainsi que le
rappelle C. Lévi-Strauss « participe simultanément de deux grands cou-
rants de pensée [ ...]: d'une part, l'économie pure ou qui se veut telle,
1. H. Guitton (1951), p. 26.
2. J. Marchal (1955), p. 325.
27 6 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

portée à identifier l'homo œconomicus avec un individu parfaitement


rationnel; de l'autre, l'économie sociologique et historique telle que l'a
créée Karl Marx, qui veut être d'abord la dialectique d'un combat Or les
deux aspects sont également présents dans la théorie de von Neurnan.
Pour la première fois, par conséquent, un langage commun est mis à la
disposition de l'économie dite bourgeoise et capitaliste, et de l'économie
marxiste » 1.
b) L'impuissanceface d la criseet la recherchede méthodesdifférentesde
cellesde l'individuafismeméthodologique.- Magistralement analysée par
J.Robinson, l'impuissance de l'économie politique à traiter « les grands
problèmes que chacun sent être urgents et menaçants » 2 , a été confirmée
par le désarroi de la théorie face à la crise économique contemporaine,
imputable à des questions de technique économétrique et aux limites
inhérentes aux principes de l'individualisme méthodologique.
Sur le plan de la technique économétrique, on reproche aux restric-
tions imposées aux paramètres structurels des modèles d'inspiration key-
nésienne, de reposer sur des conventions arbitraires dont l'opportunité
n'est plus certaine 3 • Faute de fondements théoriques justifiant les procé-
dures d'identification de ces paramètres, les modèles utilisés pour l' élabo-
ration des politiques économiques - et la critique dépasse ici évidemment
les seuls modèles d'inspiration keynésienne - perdent tout à la fois per-
tinence et opérationnalité.
Sur le plan des techniques heuristiques, un double effort s'est mani-
festé en vue de parer aux rendements décroissants des programmes de
recherche appliquant les principes de l'individualisme méthodologique.
D'une part, l'étude des comportements individuels s'est désormais ins-
crite dans un « individualisme institutionnaliste » dont J.Agassi (1975)
avait formulé les traits fondamentaux. Ces nouveaux principes semblent
aujourd'hui inspirer des œuvres très différentes d'inspiration sraffienne
ou néokeynesienne. Ils sont également présents, souvent de façon impli-
cite, dans les analyses qui relèvent de l'économie appliquée, et de disci-
plines telles que l'économie du travail, de la santé, l'écon9mie urbaine,
régionale et rurale. D'autre part, la remise en cause aux Etats-Unis par
l'école behavioriste du comportement de maximisation tel que l'envisage
la théorie néoclassique, a permis le développement d'un courant de pen-
sée évolutionniste où les institutions occupent une part privilégiée dans
l'analyse et l'explication. En ne confondant plus l'acteur et l'action, les
résultats et la logique de comportement, l'école behavioriste 4 a ouvert la
brèche aux seules tentatives crédibles d'alternatives à l'individualisme
méthodologique.
c) Le pluralismeméthodologique : un consensusmou devant le morcelle-
ment d'une connaissanceéclatée? - Beaucoup d'observateurs partagent
1. C. Lévi-Strauss(1954), p. 650.
2. J. Robinson (1972).
3. R. Lucas, T. Sargent (1983).
4. P.E. Earl (1989), H. Simon (1982).
L'ÉCONOMIE POLITIQUE 2 77

sans doute le diagnostic de A Caille (1989) qui interprète les penchants


actuels des économistes théoriciens au syncrétisme, comme le crépuscule
de l'économie politique. En réalité, ce syncrétisme constituerait une issue,
la seule accessible d'ailleurs, à l'impasse qui vient« de ce qu'elle [l'écono-
mie politique] a cru pouvoir s'édifier sur l'hypothèse de la séparabilité du
système économique par rapport au système social et sur l'oubli du fait
que les grandeurs économiques ne sont jamais que des expressions duales
des rapports sociaux». Hormis le syncrétisme, deux autres voies restent
ouvertes : l'une qui ne rétablirait les liens de l'économique et du social,
qu'en situant socialement le discours de l'économiste afin de mieux
connaître la genèse des arguments qui font autorité et les procédures qui
leur assurent cette consécration. Cette forme de « rhétorique écono-
mique» a été illustrée par D. Mc Closkey (1985). L'autre voie consiste à
réactiver l'analyse de la sémantique économique, et à prôner donc l'avè-
nement d'une méthodologie de l'interprétation. Pour C. Schmidt (1987),
la sauvegarde de l'unité de l'économie théorique passe par un contrôle
rigoureux des rapports entre domaines d'interprétations des énoncés et
formalisation axiomatique de ceux-ci. Ce contrôle est sans doute justi-
ciable d'une métathéorie de l'économie, c'est-à-dire d'une réflexion épis-
témologique sur l'acte de connaissance en économie, dont nous ne
voyons pour l'instant que les premiers balbutiements.
222-1 Deux ruptures théoriques majeures ◊ La figure d'un nouveau syn-
crétisme, unificateur et uniformisant, paraît au demeurant ne pouvoir
être aisément conciliée avec l'avènement de deux courants théoriques
totalement originaux, c'est-à-dire sans prédécesseurs, à savoir la nouvelle
école classique aux U.S.A 1 et l'économie des conventions en France 2 .
La nouvelle école classique présente trois caractéristiques : elle montre
que les marchés atteignent l'état d'équilibre; elle postule que les agents
agissent au mieux de leurs intérêts; elle suppose un comportement d'an-
ticipation rationnelle qui consiste en connaissant les lois de probabilité
objectives à tirer le meilleur parti d'informations limitées. De ce fait, c'est
en référence aux propriétés de l'état d'équilibre que les fluctuations
économiques peuvent être comprises. Celles-ci sont alors suscitées par les
réactions des agents à des changements non anticipés des variables qui
influent sur leurs décisions. La grande nouveauté de cette théorie réside
dans la conception inédite de la politique économique qu'elle développe.
Comme l'écrivent R.E. Lucas et T.J. Sargent (1989), il s'agit fonda-
mentalement« de penser la politique économique comme un choix de
règles du jeu stables, bien comprises par les agents économiques. C'est
seulement dans un tel cadre que la théorie économique servira à prédire
les décisions des agents » 3 •
Le choix de ces règles du jeu relève-t-il pour autant d'une réflexion
purement économique ? Si oui, comment en expliciter les enjeux ? D'une
1. R. Lucas (1989).
2. L'Économie des conventions, avec les contributions de J.P. Dupuy, F. Eymard-Duvernay,
O. Favereau, A. Orléan, R. Salais, L. Thévenot, cf. RevueÉconomique,
vol. 40, n° 2, mars 1989.
3. R. E. Lucas (1989), p. 188.
278 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

certaine manière l'école française de l'économiedes conventions,apporte


une réponse non ambiguë à ces questions. En effet, pour A. Orléan
(1989) il est impossible de construire sur les marchés fmanciers la repré-
sentation régulatrice des anticipations individuelles, puisque par hypo-
thèse celle-ci ne naît pas de l'interaction des comportements individuels 1 .
Il faut donc à l'aide des démarches des sciences cognitives construire une
telle représentation. Il s'agit d'analyser « les règles, comme dispositifs
cognitifs collectifs » 2 et de montrer comment la production de ces règles
permet aux interactions interindividuelles de prendre la forme d'un
contrat ou d'une organisation (fait matériel) ou d'une représentation
sanctionnant la coopération volontaire des individus au sein d'un
ensemble. Ainsi, ce qui apparaissait comme une unité élémentaire de
l'analyse, l'entreprise en tant qu'organisation, devient le résultat d'une
démarche heuristique centrée sur les processus cognitifs grâce auxquels
les institutions économiques fonctionnent.
222-2 Les tendances récentes en méthodologie économique ◊ Les
debats qui scandent l'évolution de la philosophie des sciences ont de
nombreux échos chez les économistes et il n'est guère étonnant de les
voir s'inspirer des nouvelles tendances de l'épistémologie pour procéder à
intervalles réguliers à une évaluation critique de leurs programmes de
recherche. Ainsi à la critique des fondements de la connaissance écono-
mique inspirée du positivisme logique à laquelle avait procédé dans
l'entre-deux guerres l'américain T.W. Hutchison (1938), ont succédé les
réponses opérationnaliste de P.A.Samuelson (1947), instrumentaliste de
M. Friedman (1953) et conventionnaliste de F. Machlup (1978). Alors
qu'en France trois ouvrages majeurs s'essayaient à une évaluation bache-
lardienne (G.G. Granger, 1955), néo-poppérienne (P. Mingat, A. Sal-
mon et A. Wolfelsperger, 1985) et d'inspiration systémique liées aux
théories de l'autoorganisation (C. Prou et C. Walliser, 1988) des déve-
loppements de la connaissance économique au xx-siècle, les travaux
anglo-saxons suivaient d'assez près les tendances de la philosophie analy-
tique. Ainsi aux standards néopoppériens magistralement illustrés par
M. Blaug (1980), répondaient des mises en perspective plus originales
avec les ouvrages inspirés de la méthodologie des programmes de
recherche de Imre Lakatos, dus à Spiro Latsis (1976) et à Sidney Wein-
traub (1985). La philosophie anarchiste de la connaissance de P. Feyera-
bend n'est pas non plus étrangère au pluralisme méthodologique de
B. Caldwell (1982, 1984). Un certain éclectisme inspire les recherches
conduites par L. Boland (1982), A. Rosenberg (1976) et D. Hausman
(1988), contributions les plus vigoureuses et les plus originales de ces
dernières années.
Ballottée entre la tentation du syncrétisme et celle du pluralisme
méthodologique, l'économie politique peut seulement surmonter les
conséquences d'une tendance au morcellement du savoir par un retour
1. Cf. n° 187.
2. O. Favereau (1989), p. 89.
L'ÉCONOMIE POLITIQUE 2 79

aux sources. Celui-ci permettrait de répondre aux exigences épistémolo-


giques contemporaines en considérant cette discipline comme ancrée
dans une philosophie politique et tributaire des méthodes des sciences
sociales. Un tel retour aux sources implique de substituer une économie
politique des acteurs à une économie politique des actes.
222-3 Des orientations actuelles prometteuses o Si l'on met à part les
renouvellements attendus des progrès enregistrés aux frontières de la dis-
cipline, qui concernent la socio-économie 1 et la psychologie écono-
mique 2 les développements récents les plus féconds de l'économie poli-
tique concernent sur le plan théorique la macroéconomie et la
microéconomie, et sur le plan méthodologique, la théorie des jeux et
l'économie expérimentale.
Dans le domaine de la recherche macroéconomique, une nouvelle
génération de théoriciens néokeynésiens prend en compte les acquis de la
microéconomie et intègre à côté de causes proprement keynésiennes des
phénomènes de rigidités des prix 3 et des effets d'hl5térésis 4,et s'intéresse
dans le prolongement de modèles de déséquilibre au comportement des
entreprises en situation de concurrence monopolistique : on retiendra
particulièrement les travaux de Gregory Mankiw (1985) et ceux de Julio
Rotemberg et Garth Saloner (1987). Par ailleurs, la théorie des cycles
réels inventée par Edward Prescott (1986), John Long (1983) et Charles
Plosser (1989) conduit à un renouvellement profond de la conduite des
politiques de stabilisation en prescrivant la réduction des variations de la
productivité totale des facteurs, cause majeure de l'existence des cycles
économiques 6•
Le foisonnement des recherches en microéconomie conduit à des
avancées majeures dans certains domaines : calcul du prix d'une option
sur action par Merton, Black et Scholes (prix Nobel 1997), réalisé en
contournant le problème posé par l'évaluation de la prime de risque, à
l'origine du développement des marchés d'options ; Nouvelle compré-
hension des mécanismes du chômage avec les théories des contrats impli-
cites et du salaire d'efficience 7 ; renouvellement de l'économie de l'incer-
tain 8 avec la théorie des équilibres de tâches solaires 9 •
Abandonnant sa prétention à fournir un cadre unifié à l'analyse
économique, la théorie des jeux connaît des développements décisifs avec
les travaux des récipiendaires du prix Nobel 1994, John Harsanyi ( 1967/
1968), John Nash (1953) et Richard Selten (1975), consacrés à l'analyse
des équilibres dans les jeux non coopératifs et en information
incomplète.
1. Neil Smelser et Richard Swedberg (1994).
2. C. Roland-Lévyet P. Adair (1998).
3. Joseph Stiglitz (1986).
4. Olivier Blanchard et Jeffrey Sachs (1982).
5. J.-P. Bénassy (1982), E. Malinvaud (1983).
6. G. Mankiw (1985).
7. Pour un panorama d'ensemble, voir A. Perrot (1995).
8. J.-J. Laffont (1991).
9. M. Woodford (1986); R. Guesnerie et J.-J. Laffont (1988).
280 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

L'économie expérimentale, illustrée par les travaux de Charles A. Holt


(1993), utilise ne grande partie ces progrès de la théorie des jeux pour
l'analyse de problèmes de coordination 1 et l'élaboration de modèles
d'apprentissage2 • L'économie expérimentale offre ainsi aujourd'hui des
perspectivesde solution à des problèmes restés réfractaires à toute autre
approche.
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SECTION1O. LA SCIENCEPOLITIQUE
224 Le retard de la science politique ◊ La science politique fut, parmi les
sciences sociales, la première à retenir l'attention. L'intérêt de Platon
286 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

pour la nature humaine ou les problèmes d'éducation est issu de son


intérêt pour la polis dans son ensemble.
On aurait pu supposer que du fait de cette avance, la science politique
aurait été la première à se séparer de la morale et de la philosophie pour
former une science autonome et pourtant ce fut la dernière.
La responsabilité de ce retard doit être attribuée à ses parents abusifs et
par trop possessifs: le droit, la philosophie et l'histoire.
Alors qu'il existait de nombreux ouvrages analysant les textes des institutions
françaises de 1789 à 1945, on ne trouve aucune enquête systématique sur les
relations entre ces constitutions et les classes sociales, le recrutement et la compo-
sition des assemblées.
Les premiers grands écrivains politiques en France: Montesquieu, Renan, Toc-
queville, sont des historiens ou des essayistes. Leur œuvre est composée de
réflexions personnelles, mais au moins est-elle pour eux une façon de confronter
leur pensée aux grands problèmes de l'époque. L'histoire des idées politiques,
introduite la première à l'Université, grâce aux juristes 1, présente l'inconvénient
de se limiter au passé. On cherche rarement même aujourd'hui ce que sont la
liberté ou la Révolution, mais on étudie ce qu'Aristote, Montesquieu ou Marx en
ont dit.
C'est ainsi que la science politique en se limitant à une sorte de recherche his-
torique, se privait du rôle constructif qui devait être le sien.
225 L'objet de la science politique ◊ Définir l'objet de la science poli-
tique 2 c'est découvrir le cfénominateur commun du politique, un élément
spécifique qui permette de distinguer la science politique des autres
sciences sociales. De même que l'économie politique sélectionne les prix,
la demande, les choix, etc. la science politique est amenée à abstraire dans
l'ensemble du système social, des variables, des phènomènes liés entre
eux, formant un système particulier d'interactions susceptibles d'être étu-
diées séparément 3 •
La variété et l'hétérogénéité des sujets dont traite la science politique a
longtemps fait douter de cette possibilité, d'où l'affirmation que la
science politique n'existant pas, il y aurait seulement des sciences poli-
tiques. Dans ce cas on vide la science politique de son contenu, au profit
de la science plus organisée qui l'aborde : géographie politique, économie
politique, histoire politique. Certains auteurs ont admis l'existence non
d'une science politique, mais d'un point de vue de science politique,
complémentaire du droit constitutionnel. Si les sujets qui les intéressent
semblent très variés, du moins les politologues ne s'occupent-ils pas de
tous les secteurs des sciences sociales. Une sélection s'opère. La science
politique, comme les autres sciences sociales, va naître autour d'une
question clef, ce que O. Easton appelle motivatingquestion4.Mais tout le
1. Les premiers cours sont assurés par les professeurs Prelot à Clermont-Ferrand et J.-J.Cheval-
lier à Paris.
2. Les Américains ont, avant nous, perdu beaucoup de temps à discuter des limites de la science
politique. Elle est devenue « ce que font les politicalscientists».
3. Sur l'évolution en France de la science politique, cf. les excellents articles de P. Favre (1983,
1985}.
4. D. Easton (1965).
LA SCIENCE POLITIQUE 287

monde n'est pas d'accord sur cette question clef, qui doit permettre de
reconnajtre et caractériser le domaine de la science politique, son~objet.
1° L'Etat. - Pour les uns, l'objet de la science politique c'est l'Etat. Le
problème de l'État peut être abordé sous divers aspects: historique et phi-
lo~ophique (nature) mais aussi type de légitimité, rôle, etc. Mais, l'idée
d'Etat peut difficilement servir à une analyse inspirant des recherches
concrètes. Le concept étatique est inadéquat, parce qu'il implique l'étude
d'une espèce d'institution particulière ou une forme d'organisation et
non pas une activité, qui peut s'exprimer à travers des institutions variées.
La notion d'État ne peut servir à identifier dans les phénomènes ce qui
leur donne leurs propriétés, leurs qualités politiques. Or on cherche un
concept qui fasse ressortir les caractéristiques des systèmes politiques
concrets. Le pouvoir peut-il remplir cet office ?
2° Le Pouvoir. - Cette conception de l'élément de domination qui
caractérise, pour certains auteurs, l'objet essentiel de la science politique,
n'est pas une découverte récente. Platon insistait déjà sur ce point et plus
près de nous, Machiavel assimilait la politique à la contrainte.
L'intérêt de la théorie du pouvoir, c'est qu'elle s'attache à l'élément
dynamique : une activité, un effort pour contraindre, influencer, alors
que la description d'une institution demeure statique.
On trouve, adoptant cette position avec des nuances particulières : aux États-
Unis, G. Catlin, H. Lasswell; en France: R. Aron (1961), G. Burdeau (1942), B.
de Jouvenel (1945), G. Vedel.
Pour importante que soit la notion du pouvoir, ne considérer que cet
aspect, c'est négliger d'autres facteurs également essentiels de la vie poli-
tique. Celle-ci ne consiste pas seulement et exclusivement dans une lutte
pour le pouvoir, qui n'est jamais qu'un moyen de régler des conflits plus
profonds, ceux des idéologies, elles-mêmes issues de réactions sociales,
d'aspirations, de buts variés. De plus, tout pouvoir n'est pas forcément
politique et l'extension suivant laquelle toute activité influençant les
autres relève de la politique, paraît injustifiable.
3° Du sodal au politique. - Les auteurs à la recherche de la défmition
du politique, ont commis l'erreur de vouloir identifier certains faits par
leur «essence» ou par leurs caractéristiques. Or tous les faits sociaux
sont plus ou moins chargés de politique ou susceptibles de le devenir 1.
Comme l'écrit]. Leca (1973): « L'univers politique relève d'un type de
relations et non de faits. Le problème fondamental est alors d'apprécier la
densité de politique dont se charge une relation sociale pour devenir une
relation politique». Comment apprécier cette densité?
Pour certains, il s'agit de jugements subjectifs, idéologiques. Sur le plan
scientifique, il est inacceptable de laisser chacun décider de ce qui est
politique ou de ce qui est social.
Peut-on concevoir une définition objective ? Le marxisme « histori-
ciste » appréhende la science de la politique comme la science de l'his-
toire et de la Révolution. Le politique est alors dilué dans l'histoire au lieu
1. P. Favre (1980, 1983), M. Abeles (1983), P. Braud (1985).
288 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

de l'être dans le social. A l'opposé, pour d'autres auteurs, devient poli-


tique, le fait saisi par le pouvoir, mais alors deviennent juges des limites
du politique, les bénéficiaires du système.
Cependant il faut constater la part de vérité contenue dans cette
approche du politique. En effet: « il n'y a pas d'activité politique, si
celle-ci n'est pas portée par des groupes sociaux suffisamment puissants
pour l'intégrer dans le jeu politique 1 ». Nous ajouterons: ou de faits assez
importants pour que le pouvoir s'en saisisse.
Le politique apparaît lorsqu'un conflit dans la société est pris en charge
par le pouvoir. Une grève dans une entreprise à propos d'un licenciement
est un fait social qui peut devenir politique. Une opposition religieuse à
une certaine modernisation peut devenir elle aussi politique 2 . Les heurts
d'intérêt, les conflits de groupes, les contestations sur les valeurs ou
orientations d'une société sont médiatisés, arbitrés, organisés ou intério-
risés. « Le politique se repère donc essentiellement par sa fonction qui est
la régulation sociale, fonction elle-même née de la tension entre le conflit
et l'intégration dans une société 3 ». La politisation dépend donc des cir-
constances et le politique peut envahir tel ou tel lieu du champ social ou
au contraire s'en retirer, suivant les époques. Si l'on ne discute plus de
l'objet de la science politique, signe de son progrès, il est utile de préciser
les grandes lignes de son domaine.
226 Le domaine de la science politique: a) Le pouvoir 4 ◊ Le pouvoir
s'il n'est pas le seul objet de la science politique en est une partie essen-
tielle. A défaut de le définir de façon incontestée, on peut du moins indi-
quer ses caractéristiques. D'abord sa fonction de régulation sociale. Le
pouvoir est indispensable et se renforce grâce aux inégalités qu'il a pour le
but de combattre et qui le justifient, d'où son ambiguïté.Dans une société
sans conflits, le pouvoir serait inutile. G. Balandier (1967) ajoute une
seconde caractéristique importante : la sacralité,toujours présente, bien
que plus ou moins manifeste suivant les sociétés.
Deux autres critères classiques en droit public distinguent le pouvoir
politique d'autres formes de pouvoir: la spatialisationc'est-à-dire l'orga-
nisation territoriale, enfin les moyens d'action, l'utilisation légitimede la
forceet ce que l'on appelle l'allocation autoritaire du pouvoir.
L'étude du pouvoir implique l'observation des mécanismes politiques
par lesquels il se conquiert et s'exerce, la sphère d'action ou d'interven-
tion des gouvernants, telle qu'elle peut être déterminée par les institu-
tions existantes et par les positions ou réactions du corps social, c'est-à-
dire les formes, l'étendue et les limites du pouvoir, ainsi que les tech-
niques de gouvernement ou moyens d'exercer le pouvoir.
Le pouvoir dans les sociétés démocratiques, est supposé être l' émana-
tion de la volonté générale. Il l'exprime et l'oriente à la fois, tout en ayant
1. Nous adoptons ici le point de vue développé par J. Leca (1973).
2. Cf. les débats sur l'interruption de grossesse ou en France le statut de l'école.
3. Op. cit.
4. P. Birnbaum (1975), P. Bourdieu (1977), P. Braud (1985), J. Lagroye (1985).
LA SCIENCE POLITIQUE 289

à remplir une fonction d'arbitrage général entre intérêts divergents. Les


options, les choix opérés, résultent d'une confrontation permanente avec
les réalités économiques et les exigences sociales. Les choix sont en réalité
fonction d'une notion d'intérêt général, telle qu'elle est conçue à une
époque déterminée.
L'action gouvernementalea pour but la mise en œuvre des solutions
choisies, en réponse aux problèmes posés au gouvernement.
Elle se traduit par un ensemble de décisions qu'il importe d'étudier
sous l'angle de leur motivation, des conditions de leur formation et de
leur exécution, en vue de dégager :
- les moyens d'action dont dispose le pouvoir : armée, police, lois,
décrets, lettres de cachet, propagande ...
- les sanctionsou réactions auxquelles il s'expose : veto du Président,
vote de défiance, grèves...
- le but qu'il s'est assigné: produire, envoyer des hommes dans la
lune, augmenter le revenu national, se maintenir au pouvoir, élever le
niveau d'éducation, améliorer le logement, etc ...
- les influencesqu'il subit : partis, églises, syndicats, groupes finan-
ciers...
- enfin la mesuredu pouvoir exercé: le rapport entre ce que le gouver-
nement a décidé de faire et le résultat obtenu, les contraintes et obstacles,
bref, la sphère d'action du pouvoir.
La seule analyse du pouvoir et des moyens du gouvernement ne saurait
fournir une vue complète de la vie politique, de la réalité sociale, du fonc-
tionnement des institutions et des mécanismes politiques, qui sont le
produit de l'action et de l'interaction des hommes.
227 b) Les structures ◊ L'action du pouvoir ne s'exerce pas dans un vide,
la science politique implique également l'étude des structuresexistantes,
structures économiques et sociales, classes, groupements, etc., mais aussi
institutions politiques proprement dites : parlement, conseils, leur évolu-
tion historique, géographique et leur rôle.
228 c) Les forces et les intérêts ◊ Ces structures ne sont pas seules en
cause, elles sont animées par des groupes, des forcesen présence,aussi bien
des forces officiellesou légalisées: partis ou groupements institutionalisés
(syndicats), que des forces plus ou moins occultes (groupes de pression,
ligues, lobbies, etc.).
229 d) Les idées et les aspirations ◊ Ces groupements ou ces forces plus
ou moins organisées, expriment les idéeset les aspirationsdes gouvernés,
c'est-à-dire le patrimoine intellectuel ou spirituel, les traditions, les doc-
trines et idéologies d'une époque donnée mais aussi de ce qui l'a précédé.
L'histoire des idées est un secteur important de la science politique.
Les interactions qui se produisent au sein de la société, traduisent tour
à tour le fonds commun d'idéaux ou de valeurs qui donne sa cohésion à
une société, mais aussi les oppositions d'intérêts, d'aspirations, d'idéolo-
gies, qui entraînent des états de tension, modifient l'équilibre des rap-
290 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

ports sociaux et déterminent les changements politiques ou le rythme du


progrès social.
La notion d'aspiration ne s'exprime pas exhaustivement dans la repré-
sentation politique. Il existe quelque chose de plus profond et plus
complexe qui rejoint la finalité du pouvoir et sa légitimité. Le pouvoir le
plus solide est celui qui exprime vraiment les aspirations de la collectivité.
Il apparaît d'après ces constatations, qu'on ne peut étudier les deux
aspects de la vie politique, du côté des gouvernants et du côté des gouver-
nés de façon indépendante, car il y a interaction entre la façon dont le
pouvoir perçoit les besoins des gouvernés et y répond et la façon dont les
gouvernés réagissent.

230 e) Les rapports politiques ◊ Un élément essentiel de la connaissance


cfesphénomènes politiques, considéré parfois comme l'objet même de la
science politique, c'est justement l'étudedes rapportspolitiques,ceux qui
naissent de l'existence du pouvoir, mais en même temps de toutes les
forces qui tendent à infléchir l'action des gouvernants, à la transformer
ou à s'y opposer, c'est-à-dire les rapports entre gouvernants et gouvernés.
Il s'agit là d'une partie éminemment mouvementée et dynamique, diffi-
cile à saisir, mais essentielle de la science politique. Les rapports politiques
forment un réseau d'interactions à différents niveaux entre des circuits
divers.
Gouvernantsentreeux. - Accession au pouvoir, types de nomination ou
élection, solidarité ministérielle formelle et réelle.
Gouvernésentreeux. - Partis, groupes, états-majors et militants.
Enfin les rapportsgouvernants-gouvernés qui sont à double sens. D'une
part le pouvoiragit sur l'opinion soit par ses décisionssoit par la persua-
sion, la propagande,qui le plus souvent renforce et utilise des attitudes
collectives préexistantes ou virtuelles. D'autre part, l'opiniondesgouvernés
à son tour agit sur le pouvoir, soit dans le cadre de systèmes institution-
nels comme celui des élections, soit par la pression directe qu'elle exerce
sur lui. Mais l'opinion elle-même ne procède pas d'une connaissance
scientifique et objective des problèmes, elle obéit à des impulsions, des
passions ou à des intérêts souvent divergents. L'étude de l'opinion a pro-
gressé à un niveau superficiel grâce à la technique des sondages 1.
Les rapports entre gouvernants et gouvernés, s'ils doivent être étudiés
dans le cadre des institutions qui les régissent, ne peuvent donc être plei-
nement perçus et appréciés, qu'à la lumière des motivations qui les ins-
pirent et des explications fournies par des études de psychologie politique.

231 f) Les comportements ◊ Il s'agit au-delà des opinions, aspirations, de


leurs manifestations en acte. Participation sous diverses formes : votes
suivant l'âge, le sexe, la religion, la région, la profession, les cir-
constances ; militantisme, manifestations etc. Le comportement électoral
est un secteur très développé de la science politique en France.
1. Cf. n° 500 sur les limites des sondages de ce qu'ils recueillent et de ce qu'ils fabriquent.
LA SCIENCE POLITIQUE 291

232 Définition proposée o On peut conclure de ce survol de la science


politique que celle-ci s'intéresse : au fonctionnementeffectif des institu-
tions plus qu'à leur structure théorique, à l'usagequi est fait du pouvoir
plus qu'aux formes juridiques qui le déterminent ou aux problèmes phi-
losophiques qu'il pose (nature, essence).
Il semble que l'on puisse définir la science politique comme l'étudede la
façon dont leshommesconçoiventet utilisent lesinstitutions qui régissentleur
vie en commun,les idéeset la volontéqui les animent,pour assurerla régula-
tion sociale.
233 Science politique, sociologie de la politique et sociologie poli-
tique ◊ On use assez indifféremment des termes de sociologie politique
et de science politique. La division correspond avant tout à des traditions
universitaires mais les termes ne se recoupent pourtant pas entièrement.
La sodologiede la politique aborde le domaine politique sous un angle
nettement sociologique : classes sociales, représentations collectives, lais-
sant peu de place à la politique en tant que telle.
La sciencepolitique sans nier l'importance des facteurs historiques et
sociologiques, économiques ou démographiques, retient les éléments plus
directement politiques. Par exemple sur le plan technique : l'influence des
scrutins, ou, d'un point de vue plus large, les rapports des gouvernants
entre eux, les modes de pouvoir, les mécanismes de décisions 1 .
Quant à la sociologiepolitique, nous pensons comme G. Sartori (1973)
qu'elle est à créer. Ce sera le produit d'une hybridation lorsque la sociolo-
gie et la science politique seront à égalité. A l'heure actuelle, la science
politique doit d'abord se développer, avant de songer à une intégration
complète. Elle n'a pas de méthodes ni de techniques propres et utilise
celles des sciences sociales suivant l'objet à étudier : méthode sociologique,
méthode historique et analyse de contenu pour l'étude de documents,
juridiques pour les constitutions et textes administratifs, etc., analyse
comparativedes divers types de constitutions, gouvernements et rapports
politiques, enfin toutes les méthodes d'enquête et techniquesde la psycho-
logiesocialeet de la sociologie que l'on trouvera décrites au cours de cet
ouvrage.
234 ~volution de la science politique dans les divers pays: Aux
Etats-Unis o On observe deux tendances: la grande tradition histo-
rique et juridique, puis dès 1890, une tendance empirique qui trouvera
son plein épanouissement et même son exagération en 1920. Ces dates
sont parallèles aux périodes charnières de la sociologie et de l'anthropolo-
gie.
L'essor de l'industrialisation après la guerre civile, rend plus sensible la néces-
sité de trouver des explications aux mouvements politiques et sociaux. La philo-
sophie recherchait quel était le bien commun, mais ne donnait aucune recette
pour l'atteindre. Il apparut très vite qu'il fallait observer les faits, non les formes

1. Influence du suffrage universel sur le comportement de l'homme au pouvoir et les luttes et


stratégies qui accaparent l'énergie des présidentiables et de leurs partisans.
292 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

légales de l'activité politique, mais la réalité elle-même. Dès 1880 on commence à


lire des exhortations sur la nécessité de se préoccuper de ce qui est, plutôt que de
prêcher ce qui devrait être. L'ouvrage de Burgess: La sciencepolitiqueet le Droit
constitutionnel(1890) marque la fin de la grande époque du droit. L'ouvrage de
Bryce,un écossais: TheAmericanCommonwealth (1893) « peint les institutions et
le peuple américain tels qu'ils sont». Il exerce une influence considérable sur le
développement de la science politique américaine et l'oriente dans un sens plus
concret.
De 1890 à 1914, les politicalsdentistssont mus ~ar le désir de perfectionner les
institutions existantes. Leur empirisme est plus reformiste que scientifique. Les
traditionnalistes, ou institutionnalistes, tentent de découvrir le contenu réel des
relations politiques. Ainsi apparaît la notion de « processus politique», inter-
action des institutions gouvernementales et des groupes sociaux.
Les behaviorist.es cherchent des schémas de comportements par des méthodes
empiriques, conduites de manière systématique. On leur a reproché de diriger
leurs recherches vers les secteurs où leur méthode scientifique était applicable,
plutôt que suivant l'importance de ces sujets pour la science politique, mais sur-
tout d'être inspirés par une idéologie sous-jacente qui nuit à la valeur scientifique
des résultats. Moralisme missionnaire mâtiné d'utilitarisme, vieux mythe du bon
gouvernement, modernisé en rechercqe opérationnelle ; a priori- la démocratie
~st le meilleur régime politique, les Etats-Unis sont une démocratie, donc les
Etats-Unis ont le meilleur ré9ime - ne tenant pas compte des conditions sociales
et culturelles différentes ; ideologie libérale plus ou moins camouflée, ins~irant,
malgré un désir exprimé d'objectivité, un grand nombre d'observations . Tels
sont les défauts majeurs de la science politique américaine. On lui doit cependant
les contributions les plus intéressantes et le développement considérable de la
recherche ces dernières années 2 •
235 En Grande-Bretagne ◊ Persuadés de l'excellence de leurs institu-
tions, les Anglais ont été moins portés à les étudier et à les soumettre à
une analyse critique.
Ceci explique pourquoi, contrairement aux Américains, ils ont étudié
l'exercice du pouvoir, ce qui émane du gouvernement, plutôt que ce qui
l'influence. Cependant, de nombreuses études sont consacrées aux pro-
cessus e1ectorauxet représentatifs, aux partis et groupes de pression.
236 En France ◊ Pierre Favre (1985) retrace avec intelligence et minutie
l'évolution des termes et acceptions variées concernant la science poli-
tique depuis le XI~ siècle et son histoire. L'histoire et la réflexion poli-
tiques (Montesquieu, Voltaire, Tocqueville) ont toujours intéressé les
Français.
R Aron (1961) note leur goût de l'idéologie de préférence à l'enquête, le secret
auquel on se heurte dès qu'il s'agit de la politique. [...] Trop scientifique pour
l'ambition des jeunes, la science politique est trop soumise aux passions
humaines, trop actuelle pour les universitaires; c'est pourquoi ce sont les journa-
listes q,ui s'y intéressent. Ajoutons enfin l'indifférence et le scepticisme, à l'égard
des methodes et de l'esprit scientifique appliqués à la réalité politique 3 •
1. Cf. critique par M. Duverger (1973) de l'ouvrage d'Almond (1965).
2. Nous renvoyons à la science politique moderne pour la suite.
3. On s'est rattrapé depuis 1
LA SCIENCE POLITIQUE 293

Il y a cinquante ans on ne trouvait aucune étude approfondie sur le mar-


xisme 1, alors que le parti communiste recueillait aux élections 2 5 % des voix,
aucune étude autre que juridique ou historique sur le fonctionnement réel des
municipalités, des conseils généraux ou de l'administration et des rapports avec le
gouvernement.
L'action conjuguée de la Fondation des Sciences Politiques, de la Revuefran-
çaisede SdencePolitique2 et des universités a été déterminante. Grâce à l'action du
doyen Vedel, des professeurs Burdeau, Chevallier, Duverger, Lavau, Prelot, la place
faite à la science politique est officiellement reconnue dans les programmes de la
licence en droit, puis c'est en 1970 la création d'une U.E.R.de Science Politique à
Paris l. Enfin le fait essentiel: la création en 1972 de l'agrégation de Science Poli-
tique signe de la reconnaissance de son autonomie et de sa place comme disci-
pline à part entière.
Malgré des programmes relativement unifiés, les enseignements, en
dehors d'un noyau commun, diffèrent d'une université à l'autre.
Un pré-rapport sur l'enseignement de la science politique en France en
1978 (P. Favre) conclut que les enseignants demeurant pour la plupart
des juristes « l'action que l'on peut espérer mener quant à la discipline
elle-même ne peut être qu'à très long terme». Grâce à l'agrégation de
science politique la jeune génération de politologues a généralement reçu
une formation juridique, mais souvent aussi historique, philosophique ou
sociologique.
La liste des cours à l'Université de Paris-l, les tables de la Revuefrançaisede
SdencePolitiqueet ses précieuses notes bibliographiques donnent une idee de la
variété des sujets abordés et de la tendance de moins en moins juridique et eth-
nocentriste de la science politique.
237 Tendances récentes de la science politique: a) La théorie o La science
politique sur le plan de la méthode, subit de façon aiguë les tensions que connaît
la sociologie (cf. n° 160): Tension entre la recherche empirique: utilisation de
statistiques, enquêtes, avec parfois une sophistication excessivedes appareils tech-
niques ou des mathématiques et - les mathématiques rebutant certains - le refuge
dans une soi-disant réflexion théorique 3 •
Les difficultés sont nombreuses : complexité de la notion de théorie sur
laquelle les conceptions diffèrent, domaine mal défini de la science politique.
Comment distinguer la théorie politique de la philosophie politique, de la théorie
sociologique ?
Faute de distinctions évidentes et acceptées par tous (sans doute faut-il s'en
réjouir) les batailles se livrent aux frontières. Les politologues se mobilisent contre
ceux qui osent nier la spécificité du politique 4 ou qui, sans la nier la diluent et
finalement la détruisent aussi 5• Bref, les politologues construisent leur autonomie
en s'opposant à ceux qui avec un impérialisme tranquille, s'imaginent doués
d'une vocation universelle. On peut considérer ces querelles comme un signe de
jeunesse mais aussi de vitalité.
1. A rappeler le rôle de pionnier joué par A. Siegfried en sociologie e1ectorale. Dès 1913 son
Tableaupolitiquede la Francede l'Ouestsousla III' Républiqueindiquait une orientation à suivre et une
méthode à perfectionner.
2. Sous la direction de P. Touchard, puis G. Lavau, S. Hurtig et A Lancelot.
3. Cf. l'excellent article de Jean Leca (1985).
4. P. Bourdieu (1977) (critique par F. Bon) (1980), P. Champagne (1988)
5. M. Crozier (1971) (critique par J. Leca) (1980).
294 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Comme en sociologie,à une période d'empirisme succède aussi d'une part une
tendance vers un perfectionnement de l'outil mathématique, d'autre part et sur-
tout, une orientation théorique. T. Parsons qui régnait sur le fonctionnalisme,s' in-
téresse également à la science politique et l'engage dans la voie de l'analysesysté-
mique1,ainsi que O. Easton, G. A. Almond et de nombreux politistes français. La
réflexion théori<Jues'oriente aussi vers des problèmes fondamentaux: démocratie
et totalitarisme , justice 3 •
A noter également le développement des études comparatives qui jusque-là se
limitaient trop souvent à une description foil!laliste des institutions et
deviennent beaucoup plus rigoureuses4. Enfin, l'Etat suscite de nombreuses
réflexions. Comme l'économie et après la sociologie, la science politique aux E.-U.
est à la recherche de théories explicatives, de généralisations mais aussi de
modèles. L'inspiration libérale, la notion de stratégie l'incitent à supposer des
choix rationnels.
La théoriedes choixrationnelsapparaît en 1950 avec l'ouvrage de Ken-
neth Arrow, suivi en 196 5 par celui de March et Simon qui en fait le fon-
dement de la théorie des organisations (cf. n° 238). Inspiré du modèle
économique, elle n'intéresse au départ qu'un petit nombre de polito-
logues et il est surprenant de constater depuis cette date son succès gran-
dissant 5. D'après les tenants de cette théorie, les acteurs du champ poli-
tique (élus et électeurs) agissent rationnellement et leurs décisions visent
à maximiser leur intérêt et leur utilité d'où leurs comportements théo-
riquement prévisibles. Que de nombreuses options économiques soient
dictées par un calcul de ce type semble probable, sans être vraiment
démontré, mais on est stupéfait de le voir appliqué à la politique. S'il est
un domaine où les décisions échappent aux motifs rationnels c'est bien
celui-là reconnu comme celui de la passion 6 .
Pourtant de nombreux ~olitologues américains prônent les résultats de
cette théorie. R. N. Riker (1990) déclare que « la théorie des choix
rationnels est à l'origine des seuls progrès véritables jamais réalisés en
science politique ».
Aussi est-ce rassurant de voir D. Green et J. Shapiro (1994, 1995)
remettre les choses au point. Ils déclarent fort justement que la valeur
scientifique d'une théorie dépend de sa capacité à expliquer les données
pertinentes après quoi ils posent la question fondamentale : « En quoi
cette littérature 8 a-t-elle fait progresser notre compréhension de la poli-
tique?»
Les auteurs ne trouvent pas de réponse satisfaisante à donner à cette
question qui suscite au contraire un lot important de critiques méthodo-
1. Cf. 382 et S.
2. H. Arendt (1951), R. Aron (1980), P. Ansart (1989).
3. J. Rawls (1972).
4. Cf. n.. 3 56 et s.
5. Cette théorie «invisible» en 1952 inspire 40ans plus tard, 15 des 41 articles publiés par
l'AmericanPoliticalScienceReview.
6. Cf. Ansart (1983).
7. li serait intéressant d'étudier le profil des politologues adeptes de la théorie des choix ration-
nels.
8. Ils n'emploient plus le terme de théorie.
LA SCIENCE POLITIQUE 295

logiques. Ils admettent que certaines applications de la théorie peuvent


être défendables mais reprochent à celle-ci son ambition d'universalité,
source de la plupart de ses erreurs. Sans être « fidèles à une conception
positiviste de la science qui n'a plus cours aujourd'hui » déclarent
D. Green et J. Shapiro, il faut respecter les impératifs de la méthode et les
règles de la recherche. Il n'est pas toujours possible de recourir à des tests,
mais c'est indispensable lorsque l'on prétend confirmer grâce à eux ce
que l'on affirme. Or les adeptes des choix rationnels ne respectent pas les
conditions assurant la validité des tests qu'ils effectuent. Ceux-ci pré-
sélectionnent les faits en fonction de la théorie et l'interprétation qu'ils
en donnent est également biaisée.
La construction de modèles, objectif de la théorie, n'est pas non plus
convaincante. Ceux qui sont proposés pour étayer la théorie recouvrent
de façon prétentieuse des banalités ou sont plus souvent infirmés que
confirmés par des travaux empiriques. De plus, la multiplication des
termes qui échappent à l'observation entraîne la complexité de la théorie
qui « dépasse la capacité des données à permettre une vérification empi-
rique pertinente».
Il est frappant et regrettable qu'après avoir fustigé les tendances psy-
chologiques de certains, les politologues adeptes du choix rationnel,
recourent à des processus de cet ordre ne reposant sur aucune donnée.
Comment échapper à l'ambiguïté de la notion de rationalité lorsqu'il
s'agit d'individus différents dans des situations diverses, dont les motiva-
tions sont forcément elles aussi dissemblables ? Est-ce rationnel de préfé-
rer faire plaisir à quelqu'un plutôt que de gagner des voix dans une cam-
pagne électorale ?
Les théories des choix rationnels se retrouvent sous des étiquettes dif-
férentes : théorie des décisions publiques, approche économique de la
politique, théorie de prêt, de la décision, avec des degrés d'exigence diffé-
rents (version rationnelle restreinte ou étendue) mais l'inspiration est la
même et les critiques plus ou moins nuancées à leur adresse du même
ordre.
La théorie des choix rationnels dans le domaine de la science politique
obéit à deux impulsions contradictoires. D'une part elle prône une pluri-
disciplinarité assurant l'unité des sciences sociales, d'autre part elle
détruit les bienfaits de cet objectif en écartant les théories concurrentes
pour expliquer tous les phénomènes sociaux par la théorie des choix
rationnels.
On ne peut qu'approuver la conclusion raisonnable 1 de Green et Sha-
piro d'où nous tirons nos remarques et informations et que nous repro-
duisons ici : « Si au lieu de considérer les sciences sociales comme une
compétition entre des perspectives théoriques concurrentes dont une
seule doit l'emporter, on y voyait plutôt une entreprise commune où les
explications [ ...] se renforcent mutuellement l'esprit partisan qui donne
lieu à des recherches déficientes du point de vue méthodologique pourrait
être mis en échec. »
1. 1995, p. 127.
296 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

238 b) La spécialisation ◊ En même temps que s'affirme un impératif de


coopération, on assiste à l'intérieur de la science politique, nécessitées par
son développement, à des séparations en branches spécialisées telles que
les relationsinternationalesétudiées surtout en France dans le cadre des
relations diplomatiques, mais qui intéressent les politologues et l'étude
des organisations.Elles relèvent à la fois de la sociologie du travail, de la
sociologie, de la science administrative et de la science politique.
Le fonctionnement des organisations a depuis longtemps intéressé les
divers spécialistes des sciences sociales. Dans la mesure où certains
groupes (syndicats, groupes de pression) mais surtout les partis consti-
tuent des organisations, la science politique ne peut se désintéresser du
sujet qui relève avant tout de la sociologie (cf. M. Crozier, n° 166). Il
semble que l'on puisse historiquement, distinguer deux tendances en
dehors du droit et de la science administrative (Chevalier, Loschak
1978). La première, proche de la psychologie sociale, s'attache aux rela-
tions interpersonnelles et inter-groupes, aux motivations individuelles,
etc.
La deuxième tendance, qualifiée de néo-rationalisteest celle de March
et Simon (1965). Elle tend à redéfinir une« rationalité limitée en fonc-
tion de théories de la connaissance et de la communication». Partant de
la notion d'administration: l'art d'obtenir que les choses soient faites,
Simon souligne qu'elle implique des processus de décision aussi bien que
d'action. Il s'appuie partiellement, en l'élargissant, sur la notion d'ana-
lyse stratégique, ce que les Américains appellent decisîonmakîng. Reste à
intégrer les deux approches, c'est-à-dire à montrer comment les facteurs
psychologiques, humains, influencent le jeu de chaque agent.
Comme le remarque G. Friedman (1950) « un organigramme d'entreprise
n'est pas suspendu dans un vacuum social et humain... Les attitudes des
membres d'une organisation à l' éeard de celle-ci sont un important facteur qui
conditionne son fonctionnement 1 ».
La sociologie des organisatiqns déborde la sociologie du travail car cer-
taines organisations (armée, Eglise) ne poursuivent pas des buts écono-
miques et les travaux qu'elles dirigent sont de nature particulière. D'un
autre côté, toute collectivité de travail ne constitue pas une organisation.
Pour que celle-ci existe, il faut une structure qui définisse de façon plus
ou moins stable, un système de relations entre les diverses fonctions. Les
individus peuvent changer, mais les nécessités de l'organisation
impliquent que les fonctions demeurent.
Les problèmes d'organisation sont en partie ceux que pose l'administration,
mais l'administration n'est pas une catégorie de travail isolée, c'est une manière
de le préparer, de le contrôler aussi bien dans un ministère que dans une bou-
tique. Cependant, le développement des activités dites tertiaires, a fait surgir des
ensembles de bureaux méritant des études particulières. Ici encore il s'agit d'un
changement de nature, lorsqu'une certaine dimension est atteinte. Ceci nous
amène au problème extrêmement important, de la bureaucratie. A cette notion est

1. G. F. Friedman (1950, B. 170), p. 32.


LA SCIENCE POLITIQUE 297

attaché le nom de Max Weber qui la définit comme un type d'organisation. L'am-
biguïté du terme en fait tour à tour le signe d'une rationalisation utile ou l'expres-
sion d'un parasitisme social. En France c'est un domaine qu'étudie Michel Cro-
zier. 1
238-1 c) Psychologi_!et politique 2 ◊ Un domaine qui s'est rapidement
cféveloppéaux Etats-Unis ces vingt dernières années est celui de la psy-
chologie de la politique. Après les ouvrages de Ch. Merriam et surtout de
H. B. Lasswell (1930), les politologues, emportés à la suite des socio-
logues par le courant quantitatif abandonnaient ce domaine de
recherche. Depuis 1970, de nombreuses publications, la création d'une
Association internationale de psychologiepolitique et d'une revue 3 tra-
duisent la vitalité de ce secteur.
Les difficult~s rencontrées en France pour suivre, comme d'habitude,
l'exemple des Etats-Unis, sont d'une part qu'il existe peu de politologues
possédant une formation de psychologie, d'autre part et surtout un obs-
tacle idéologique. Il s'agit du triple héritage 9ui pèse sur les sciences
sociales: un marxisme dénaturé privilégiant l'economie, un capitalisme
intéressé par le seul profit, enfin et surtout un positivisme scientiste valo-
risant le rationnel, incite peu à étudier l'aspect aléatoire et passionnel du
politique. Quelques historiens et politologues ont retenu l'importance des
facteurs psychologiques sur les plans individuels et collectifs, mais ont
cédé à l'attrait... ou la facilité, du recours à la psychanalyse qui n'exige pas
les mêmes qualités de rigueur scientifique.
Cependant, les nombreuses activités politiques méritent d'être étudiées
sous l'éclairage de la psychologie : façons de choisir son entourage, de
commander, de concevoir les rapports avec l'administration, de recevoir
les informations et de prendre les décisions, les facteurs objectifs (traités,
constitutions) limitant les possibilités du pouvoir et les marges de liberté
où peuvent se manifester des personnalités différentes. En sens inverse,
l'influence de la politique sur les individus permet de s'interroger sur les
types de personnalités ou les facteurs personnels qui orientent vers ce
type d'activité. Qui fait de la politique ? Faut-il croire avec Lasswellque le
besoin de compenser une certaine forme de faiblesse ou de frustration
soit le facteur le plus déterminant d'une ambition politique ? Qui réussit
en politique et pourquoi ? Enfin l'influence du pouvoir sur la personna-
lité. Les réflexions sur ces sujets se trouvent malheureusement presque
uniquement dans des ouvrages anglo-saxons. Le Traité de Science poli-
tique 4 donne un compte rendu de ces travaux et quelques indications sur
la France et d'autres pays.
283-2 d) Les politiques publiques 5 ◊ Autre secteur d'étude en voie de
développement en France et dans les pays industrialisés : celaj des poli-
tiques publiques. Quel que soit le degré d'intervention de l'Etat, il est
1. Cf. M. Crozier (1971 et s., B. 170).
2. Madeleine Grawitz (1958 et s., 1985}, F. 1.Greenstein (1969, 1971}, E. V. Wolfenstein
(1969}, Jeanne Knutson (1972, 1973).
3. Journal of the International Society of Political psychology. Los Angeles.
4. In M. Grawitz (1985), Traité, tome III, chap. l.
5. C. Thoenig (1985) in Traité, tome IV.
298 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

indispensable d'étudier les objectifs visés, les moyens mis en œuvre pour
les atteindre et les résultats de l'action entreprise. Ce qui explique le déve-
loppement parallèle et même la prolifération aux États-Unis des études
d'évaluation.Politiques de la santé, de la culture, de l'éducation, etc. Cette
orientation récente de la science politique correspond à un besoin de
rigueur, de bilans plus précis, plus systématisés que de simples impres-
sions mais sans doute aussi plus nuancés, plus coordonnés que des rap-
ports d'experts ou des statistiques trop générales ou trop ponctuelles.
238-3 e) L'écologie, l'environnement et la politique ◊ Le terme écologie
apparaît pour la première fois en 1866 dans la littérature scientifique
sous la plume d'un biologiste allemand, Ernst Haeckel, vulgarisateur des
idées de Darwin. Il est le premier à donner ses fondements théoriques à
l'écologie et sa définition : « Science des mœurs des organismes, de leurs
besoins vitaux et de leurs relations avec les autres organismes».
Comme la géographie (cf. n°5 208 et s.), l'écologie est une science de la
terre, mais aussi de l'air, de l'eau enfin également des conditions de vie de
tout ce qui s'y trouve et y vit : animaux, plantes, êtres humains.
P. Deleage (1992) remarque qu'en recherchant les sources scienti-
fiques de l'écologie, les historiens se limitent le plus souvent à la tradition
naturaliste réduite à ses dimensions geobotaniques et phytosociologiques.
Ils ignorent le courant de chimie du vivant (au~ de Lavoisierà Pasteur)
à l'origine de la plupart des travaux sur le fonctionnement complexe des
cycles. Certains les appelleront biogeochimique, et ils apparaîtront à
d'autres, de façon plus poétique comme« le cycle mystérieux de la vie».
L'écologieest de toutes les sciences naturelles celle qui est la plus liée aux
sciences sociales. De plus comme la plupart des sciences mais peut-être
plus encore, l'écologie est née de la tension entre objectifs pratiques et
interrogations fondamentales.
Il faut tenir compte de la confusion née dans les termes et les esprits
par l'intérêt que suscitent aujourd'hui les problèmes écolo?iques. D'abord
l'absence de distinction entre écologie et environnement . L'écologie est
une discipline scientifique qui étudie les écosystèmes, milieux où vivent et
se reproduisent les êtres vivants 2. La notion d'environnement est beau-
coup moins précise, plus large puisqu'elle intègre la notion de ressources,
l'étude des interventions de l'homme et de ses conséquences pour les
maîtriser et protéger l'avenir. Pluridisciplinaire, cette protection implique
une démarche faisant appel aux géographes, économistes, sociologues,
climatologues, mathématiciens et informaticiens, indispensables à l' éla-
boration des modèles. La coordination en vue des résultats communs est
déjà difficile à obtenir mais l'obstacle majeur survient au stade suivant
celui de leur utilisation pour prendre des décisions, c'est-à-dire au stade
politique.
« Les aménageurs réclament des recettes, les scientifiques répondent
en fournissant des connaissances » se plaignent les scientifiques. Or ces
1. J.-P. Dufour, L'environnemententrescienceet politique.Le Monde,20 janvier 1993.
2. Cette confusion amène à intituler écologistes à la fois les scientifiques étudiant l'écologie et à
tort les militants ou même sympathisants des partis se réclamant de l'écologie.
LA SCIENCE POLITIQUE 299

connaissances sont souvent incertaines. Au stade actuel il s'agit surtout


d'hypothèses de travail et de techniques compliquées 1.
S'il appartient aux scientifiques de découvrir les facteurs en cause, c'est
aux politiques, à partir des informations recueillies (même peu sûres) de
prendre les décisions. Celles-ci dépendent des buts fixés, de ce qui peut
être considéré la meilleure solution technique, économique, éthique mais
aussi électorale. En démocratie, l'adhésion de la population est indispen-
sable. Même au-delà de l'élection, l'écologie scientifique devient avec les
problèmes d'environnement essentiellement politique à tous les niveaux.
Dans les grandes orientations internationales et nationales, il s'agit de ce
que l'on considère aujourd'hui des choix de société : abandonner la
société de consommation et la course à la productivité, modifier la poli-
tique agricole et son incitation au rendement 2, abandonner l'énergie
nucléaire. L'écologie encore inspire les décisions politiques au niveau
local : limiter la circulation automobile en ville, renoncer à une auto-
route, obliger une entreprise polluante à modifier ses installations malgré
les menaces de licenciement ou de fermeture. Les cris d'alarme se multi-
plient depuis quelques années et l'on peut déplorer le retard de la France
pour la protection de l'environnement 3. Il a fallu la secousse de 1968, les
prises de position des contestataires, mais surtout l'ampleur des dégâts:
marée noire, pluies acides, affaire Greenpeace, Tchernobyl, disparition
d'espèces animales, stress de la vie urbaine, pollution, diminution de la
couche d'ozone, pour que les avertissements des scientifiques trouvent un
écho dans la population et combien faiblement et avec quel retard chez
les gouvernants .
Il est important que les scientifiques, à défaut de pouvoir réparer le mal
fait, découvrent les moyens de l'enrayer. Mais le rôle du sociologue, du
politologue et de l'historien consiste à rechercher les causes de cet aveu-
glement et à trouver les moyens d'alerter et de modifier l'opinion. Parmi
les facteurs importants on trouve évidemment le développement indus-
triel, sur un fond idéologique où se mêlent curieusement des points de
vue pourtant habituellement opposés: le marxisme et le capitalisme,
mais aussi le scientisme laïque dt! XQé! siècle, la croyance au progrès
s'ajoutant à l'attitude ambiguë de l'Eglise respectueuse de la nature œuvre
de Dieu ( cf. le xv1f, n° 55 -1) nature considérée abstraitement 5 sinon
avec mépris du moins en ignorant son aspect concret 6 .
1. Les géographes se plaignent également pour les mêmes raisons (cf. n° 211-212).
2. De 1950 à 1985, la quantité de pesticides a été multipliée par un facteur 20, celle des engrais
chimiques est passée de 14 millions de tonnes à près de 140 millions. Depuis le début des années
soixante, en France comme en Grande-Bretagne, les taux de nitrate ont augmenté en moyenne de
0, 15 mg/1/an. Mais le coût de l'élimination du nitrate serait moindre que la baisse de production ...
alors? in Deleage (1992), p. 272. Dès 1930,]. Ellul, professeur de Droit et B. Charbonneau, profes-
seur de Géographie à Bordeaux avaient commencé une croisade qui n'a pas eu de succès face au mar-
xisme à la mode.
3. Pourtant bien des voix s'étaient élevées contre les dangers de la technique.
4. La proportion des technocrates y est trop importante.
5. Cf. l'attitude vis-à-vis de la sexualité.
6. L'Églisen'a jamais évoqué le respect des animaux, des paysages. Saint François d'Assise et saint
Roch, moins connu, sont des exceptions. Les lions qui ont épargné sainte Blandine méritaient tout de
même un satisfacit. Cf. L. Jr. Whyte ( 1967) selon lequel la victoire du christianisme sur le paganisme
300 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Après avoir évoqué l'impact de l'écologie sur les décisions politiques, il


faut considérer l'influence des écologistes eux-mêmes sur la politique.
Quelle forme doit-elle prendre? Doivent-ils se limiter à un rôle de groupe
de pression : propagande, campagnes auprès de l'opinion, promettre leurs
voix en échange de certaines dispositions (abandon d'un tracé d'auto-
route) ou doivent-ils eux-mêmes accéder aux diverses institutions:
municipalité, Parlement, gouvernement 1.
Deux facteurs vont jouer dans l'avenir de l'écologie: l'opinion 2 . Mais
celle-ci ne peut prendre parti que si elle est informée. Or les sujets sont
très techniques et les autorités souvent peu soucieuses de mises au point
(cas d'E.D.F. pour le nucléaire). De plus comme toujours elle se mobilise
dans la mesure où elle est en cause. On s'insurge contre le nucléaire près
de chez soi mais on ne prend pas parti sur l'ensemble.
L'autre facteur important est économique.Comment évaluer le coût
d'une politique économique? D'après une enquête 3 les patrons s'at-
tendent à une augmentation des préoccupations écologiques et pensent
que le marché unique européen renforcera les mesures en faveur de l'en-
vironnement.
Si une partie des entreprises peut s'adapter, d'autres se sentent mena-
cées. Le projet d'« écotaxe » sur la consommation d'énergie frapperait le
secteur des métaux non ferreux et renchérirait les produits de 3 5 à 50 %.
Que dire des P.M.E. si nombreuses en France? Les États-Unis ont atténué
les exigences du CleanAir Act pour ne pas nuire à la reprise économique.
Enfin à cette discrimination entre types d'industries 4 s'ajoute la dif-
férence plus grave encore entre pays industrialisés et tiers monde. D'après
le Secrétaire général de la conférence de Rio, les mesures écologiques à
prendre devraient coûter 62 5 milliards de dollars par an dont 80 % à la
charge du tiers monde 5• La Banque mondiale a introduit dans ses prêts,
une clause de « conditionnalité écologique » considérée par le Sud
comme du« colonialisme environnemental».
238-4 La conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques s'est
achevée le 4 novembre 1998 sur un constat d'échec; aucune mesure pra-
tique de réduction des émissions de gaz polluants responsables de l'effet
a rompu le pacte des hommes avec la nature. Peut-être... mais la technocratie capitaliste et matéria-
liste a probablement joué un rôle encore plus important.
1. C'est ce qui oppose en France les Verts qui refusent la participation au gouvernement aux
membres de génération écologie qui l'acceptent. Les contraintes du type de scrutin les obligent à
s'unir aux élections législatives de mars 1993 pour entrer au Parlement. Les Allemands ont depuis
longtempspris la décision de constituer un parti.
2. La conférence de Rio (1992) ne semble pas avoir eu beaucoup d'influence ni sur l'opinion, ni
sur les décisions.
3. Cf. Nick Robins (1992).
4. On note aux États-Unis l'apparition« de permis de pollution» cessibles,vendus par les indus-
tries polluant en dessous des normes autorisées aux entreprises plus polluantes. Ce marché scanda-
leux, négation de l'attitude souhaitable est sur le point d'être accepté en France. Le refus des produits
industrialisés fabriqués sans respecter les normes pourrait servir de prétexte à un protectionnisme
camouflé.
5. Cf. Le Monde, 10, 11, 12 et 13 juin 1992, « La France écolo».
LA SCIENCE POLITIQUE 301

de serre et du réchauffement de lat.erre n'a pu être adoptée, les États-Unis


refusant toute concession susceptible de gêner leur industrie.
La nature attaquée s'est défendue. Il faut à la fois diminuer les attaques
pour réduire les défenses, mais la complexité des problèmes posés exige
une coordination internationale qui est loin d'être réalisée , entre les
diverses organisations qui se sont créées. Seule Greenpeace semble avoir
des moyens considérables qui laissent planer un doute sur la pureté de ses
intentions 2 .
Pour conclure, si l'on constate les progrès de la science politique dans
l'analyse des événements passés et même présents, au point de vue de la
prévision (Mai 68, chut.e du communisme à l'Est) elle est encore aveugle.
Mais ne peut-on le dire également de la sociologie et de l'économie?
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1. Et une formation de la jeunesse. Or à Rio les tables rondes chargées d'étudier« le rôle de l'édu-
cation dans la prise de conscience des questions d'environnement auraient été constituées« in extre-
mis et en dépit du bon sens» selon plusieurs observateurs. Cf. Le Monde, 4 juin 1992, p. 13, J. M.
Dumay.
2. Cf. Le Monde,29 décembre 1992, R. Cans « Greenpeace multinationale verte».
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- 1989. - Les partis politiques sous la V République, Domat-Mont-
chrestien.
ZoLBERG (A. R.) 1985. - « L'influence des facteurs externes sur l'ordre
politique interne» in Traité(I).

SECTION11. LA LINGUISTIQUE

§ 1. Une science ancienne


240 La linguistique comme science sociale ◊ La linguistique possède
une situation singulière parmi les sciences sociales. Elle apparaît en effet à
la fois comme la plus et la moins sociale d'entre elles. La plus sociale
parce que sujet social et sujet linguistique sont rigoureusement coex-
tensifs, parce que la langue constitue à la fois une institution exemplaire
et la condition de toute institution. Mais la moins sociale aussi parce que
sa démarche se rapproche par bien des côtés de celles des sciences de la
nature et qu'à un certain niveau elle traite son objet comme un agence-
ment arbitraire d'éléments dénués de toute signification. Le chercheur en
sciences sociales baigne constamment dans le langage mais quand il
tourne son regard vers celui-ci les relations formelles qu'il dégage sont
bien difficiles à interpréter en termes de fonctionnement social. Cette
combinaison paradoxale rend profondément problématique la relation
entre langage et société, linguistique et sciences sociales, mais elle est sans
nul doute la conditions même de leur union: c'est parce que d'une cer-
taine manière le langage se retire dans son abstraction qu'il peut être le
milieu fluent dans lequel est pris l'ensemble de la vie sociale.
241 L'antiquité ◊ Il est très difficile d'assigner un commencement à la lin-
guistique car tout dépend du critère que l'on choisit. En général, on
retient trois grands moments : la grammaire grecque, la grammaire
comparée du de'but du XITsiècle et la linguistique structurale du de'but du
XX:.
La réflexion linguistique rigoureuse la plus ancienne est sans conteste
celle des grammairiens hindous, qui ont analysé le sanskrit (cf. Panini).
316 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Mais dans notre culture la réflexion sur le langage est solidaire du régime
de la pensée définie par la civilisation grecque classique. A côté des inévi-
tables préoccupations normatives nées du souci de préserver une certaine
« pureté » de la langue contre l'érosion du temps et la variation sociale,
s'est développée une appréhension rationnelle du langage qui, hors de
tout cadre mythique ou religieux, vise à l'analyser comme une organisa-
tion spécifique. Ici, on distinguera deux approches très différentes : le
point de vue rhétorique,lié à l'émergence de la sophistique, et le point de
vue logique.
La constitution de la démocratie grecque a fait passer au premier plan
le souci de la persuasion politique, rendant nécessaire l'apparition de
techniciens de la parole, les sophistes. Dans leur volonté de fournir à
leurs élèves les moyens de maîtriser le verbe, ils ont été conduits à envisa-
ger le langage comme un instrument dont il était possible d'analyser et de
codifier les ressources. Tout ce courant du parler efficace aboutit à la Rhé-
toriqued'Aristote (384-322 av. J.-C.) et exerça une influence décisive sur
toute la culture occidentale. Cette approche voit dans le langage un
moyen d'agir sur autrui, parallèlement se développe dans l'ombre de la
philosophie une réflexion qui tente d'articuler langage et vérité. Cette fois
il s'agit de mettre en relation la structure du langage et celle des proposi-
tions par lesquelles l'esprit énonce des jugements vrais ou faux sur le
monde. Là encore il faut citer l'œuvre d'Aristote, et son insistance sur la
complémentarité fondamentale entre« sujet» et« prédicat».
Mais peu à peu va se dégager une réflexion plus proprement grammati-
cale,plus soucieuse de l'articulation effective des langues naturelles, en
particulier avec les grammairiens d'Alexandrie. Ainsi Denys de Thrace
(170-90 av. J.-C.) écrit-il la première grammaire systématique de la
culture occidentale, où il distingue huit parties du discours (article, nom,
pronom, verbe, participe, adverbe, préposition, conjonction), encore
valides aujourd'hui. Mais chez ces Alexandrins, l'intérêt pour la langue
est lui-même souvent subordonné à un intérêt philologique: rendre
lisibles les textes littéraires prestigieux, les œuvres d'Homère surtout, dont
la langue était de plus en plus éloignée du grec couramment pratiqué aux
nf et rf siècles. Avec l'avènement du christianisme, l'interprétation de
!'Écriture va devenir le centre de l'analyse textuelle. Se développe une
théorie herméneutique,destinée à expliquer de quelle façon il convient
d'interpréter la parole de Dieu: a-t-elle plusieurs sens ? combien? com-
ment les dégager? Ici la préoccupation philologique (restituer le texte à
son contexte historique originel) cède évidemment le pas à un intérêt
proprement théologique.
Les Grecs ont également légué deux des grands debats de philosophie
du langage qui ont traversé toute la culture occidentale. Le premier débat
oppose les « analogistes » et les « anomalistes ». Les analogistes pensent
que la structure de la langue est cohérente, régulière et peut donc faire
l'objet d'une science. Les anomalistes y voient seulement le résultat de la
fixation d'un ensemble d'usages arbitraires. Le second débat oppose les
tenants d'une relation naturelle entre les mots et la réalité (tel mot par
exemple a tel sens parce qu'il est composé de tels sons) à ceux qui,
LA LINGUISTIQUE 317

comme Aristote, pensent que le rapport entre les signes et ce qu'ils


désignent (leur « référent») est conventionnel, immotivé 1.
242 Les temps modernes ◊ Avec l'humanisme de la Renaissance et le
rationalisme classique on assiste à un double mouvement d'enri-
chissement des connaissances linguistiques et de rationalisation de la
grammaire. D'un côté, en effet, on étend de manière considérable le
champ d'investigation puisqu'au latin et au grec vont s'ajouter les
langues des peuples européens et celles des pays plus lointains ; de l'autre,
l'exigence rationaliste amène à renforcer le lien entre l'analyse de la pen-
sée et celle du langage, considéré comme représentation de cette pensée.
Ce dernier effort culmine dans la Grammairegénéraleet raisonnéede Port-
Royal (1660) 2 .
Les dernières années du XVIIfsiècle et les premières du~ constituent
un tournant décisif. On découvre une parenté entre le latin, le grec, le
sanskrit (langue sacrée de l'Inde) et les langues germaniques et l'on fait
l'hypothèse qu'elles dérivent toutes d'une langue-mère, l'« indo-euro-
péen » 3 • Deux grands noms se détachent dans cette entreprise de compa-
raisonentre les langues: R. Rask (1787-1832) et F. Bopp (1791-1867).
Plutôt qu'aux détails des recherches en grammaire comparée, il faut
être sensible à leurs conséquences sur la démarche du linguiste. Compa-
rer des langues dont les formes semblent, d'un point de vue phonétique,
très différentes pour faire apparaître des invariants cachés, des similitudes
structurelles, c'est privilégier l'abstraction par rapport aux données lin-
guistiques immédiates. C'est aussi introduire une notion capitale, celle de
loi. En effet, rendre raison d'une parenté entre langues, ce n'est pas seule-
ment mettre en évidence des similitudes, c'est aussi et surtout construire
la règle qui permet de passer de l'une à l'autre. Par exemple, constatant
que les langues germaniques avaient un f là où le grec, le sanskrit ou le
latin avaient un p (ex. vater ou father opposés au pater latin), ou un t là
où les autres avaient un d (ex. le gothique taïhun, «dix», s'oppose au
latin deœmou au grec déka)Jacob Grimm a formulé pour ces phéno-
mènes et pour d'autres, une loi qui postule une mutation phonétique
généralisée à l'époque préhistorique du germanique.
Le but vers lequel tendent ces recherches est double : reconstituer la
langue-mère hypothétique, l'indo-européen, et expliquer par des lois pho-
nétiques toutes les transformations qu'elle a subies et qui ont provoqué la
diversification des langues de cette famille. Mais en traitant la langue
comme un objet physique, soumis à des lois d'évolution naturelles, cette
démarche tend à éliminer la dimension psychologique et sociale du lan-
gage. Avec l'avènement à la fin du XDf siècle de la psychologie et de la
sociologie, se produit une remise en cause qui va mener à la linguistique
moderne. Celle-ci trouve dans le Cours de linguistiquegénéraledu Gene-
vois Ferdinand de Saussure (1916) sa formulation la plus achevée.
1. J. Lyons (1968) 1. 2.
2. G. Mounin (1970), III.
3. A. Martinet (1986).
318 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

243 La linguistique structurale ◊ Contre la réduction de la langue à un


matériau phonétique, Saussure commence par affirmer le caractère insti-
tutionnel des langues : ce sont des réalités sociales partagées par une
communauté, un« trésor» commun qui permet la compréhension réci-
proque. Les échanges verbaux incessants assurent sa stabilité. Au lieu de
se tourner exclusivement vers l'étude historique, que Saussure appelle une
étude diachronique,il propose de considérer avant tout la langue en syn-
chronie,c'est-à-dire dans le présent de son usage effectif. Ceci va de pair
avec l'affirmation de la primauté de la langue parlée: prenant le contre-
pied des grammairiens attachés essentiellement aux textes littéraires et
plus largement aux documents écrits, la linguistique moderne considère
la langue parlée comme seule pertinente, à elle de lui fournir ses données.
Pour Saussure, le véritable objet de la linguistique, loin d'être offert à
l'observation immédiate, est le produit d'une construction. Il met ainsi
en place trois concepts : langage,langue,parole. L'étude du « langage »
n'est pas propre à la linguistique, elle concerne tout aussi bien les socio-
logues, les physiologistes, les psychologues, etc. C'est la « langue » qui
constitue l'objet du linguiste, le système envisagé en lui-même et pour
lui-même. Ici intervient la thèse de l'arbitrairede la langue: le système
linguistique a son ordre propre, qui ne s'explique que par lui-même. On
le voit, Saussure revendique par là l'autonomie relative de la linguistique,
opérant en cela un geste comparable à celui de Durkheim pour la sociolo-
gie. Complémentaire de la« langue», la« parole», au-delà de l'opposi-
tion entre écrit et oral, correspond à l'ensemble virtuellement infini des
énoncés conformes au système. La « parole » est à la fois le point de
départ et d'aboutissement de la« langue». En effet, le linguiste part de la
« parole », des énoncés effectifs et en les étudiant construit le système, la
«langue». Mais cette« langue» est également la condition de possibilité
de la « parole» pour la communauté des sujets parlants, des locuteurs.
Le courant auquel appartient Saussure, le structuralisme,a une concep-
tion très particulière du système linguistique : ce dernier est considéré
essentiellement comme un système de signes.Le signe linguistique y est
défini comme une entité à deux faces indissociables, le signifiant (un cer-
tain segment de matière phonique) et le signifié (un sens). Le système
apparaît comme un réseau de différences entre signes : « un signe est
d'abord ce que les autres signes ne sont pas». Même si les locuteurs ont
l'illusion que chaque signe constitue une entité autonome, en réalité c'est
le système qui articule, découpe les unités de manière parfaitement arbi-
traire. Le sens est dès lors subordonné à ce que Saussure, usant d'une
métaphore économique, appelle la valeur, définie comme l'ensemble des
relations qu'entretient un signe avec les autres signes du système. La
recherche linguistique apparaît dès lors avant tout, comme la définition
d'unités minimales, dégagées par une opération de commutation: est
considérée comme unité pertinente toute unité dont la substitution par
une autre provoque une différence de sens.
Ce structuralisme linguistique est inséparable de la constitution de la
phonologie,qui lui donne son assise et sa crédibilité. C'est N.S. Troubetz-
LA LINGUISTIQUE 319

koy qui en 1926 1 l'a formulée de la manière la plus rigoureuse. Le lin-


guiste doit distinguer entre la phonétiquequi étudie les sons dans leur
substance matérielle, comme objets physiques, et la phonologiequi prend
pour objet les phonèmes,c'est-à-dire des unités abstraites ayant une fonc-
tion distinctive dans la langue. Ainsi, des sons phonétiquement très dif-
férents (par exemple un l et un r dit roulé) peuvent dans une langue
déterminée constituer un seul et même phonème si la substitution de
l'un par l'autre n'altère aucunement l'identité des signes; réciproque-
ment, des sons très voisins peuvent constituer des phonèmes absolument
distincts si leur substitution provoque une confusion entre les signes. En
d'autres termes c'est la valeur différentielle qui prime le pur jeu des rela-
tions dans un système d'oppositions 2 •
On peut énoncer ici la fameuse thèse de la doublearticulationdu lan-
gage défendue par le linguiste français A Martinet : le langage est consti-
tué de deux types d'unités placées à des niveaux distincts, unités de « pre-
mière» et de« seconde articulation». Les unités de première articulation
(noms, préfixes, prépositions, etc.) possèdent un signifiant et un signifié
alors que les unités de seconde articulation (les phonèmes) n'ont qu'un
signifiant (t, mous, par exemple, qui n'existent que par leurs différences
avec les autres phonèmes et n'ont aucun sens par eux-mêmes). Cette dis-
symétrie entre les deux types d'unités est un grand facteur d'économie
dans la communication puisqu'avec un nombre très limité d'unités de
seconde articulation (quelques dizaines), on peut construire un nombre
illimité d'unités douées d'un signifiant et d'un signifié.
La linguistique structurale appartient maintenant à l'histoire de la lin-
guistique. Son rôle a été déterminant dans la mesure où elle a défini pour
la linguistique un cadre épistémologique explicite et cohérent et l'a fait
accéder pleinement aux canons modernes de la scientificité, c'est-à-dire
au formalisme. En Amérique du Nord avec des chercheurs comme
L. Bloomfield (1933) ou Z. Harris (1951), le structuralisme s'est fait dis-
tributionnalisme,cherchant à définir les unités pertinentes sur la seule
base de leurs environnements linguistiques.

§ 2. La linguistique contemporaine
244 La. grammaire générative ◊ La linguistique est une activité méta-
linguistique,c'est-à-dire une activité langagière qui prend pour objet des
activités langagières. Son but ultime est de construire une théorie du lan-
gage appréhendé à travers la multiplicité des languesnaturelles.Il s'agit
donc, à partir de l'étude des divers idiomes, de définir les propriétés de
toute langue humaine possible. Dans ces conditions, la linguistiquegéné-
rale (étude du langage) et la linguistique des langues particulières sont
inséparables. Une grammaire est le modèle du fonctionnement d'une
langue.
1. N. S. Troubetzkoy(1949).
2. A. Martinet (1960, 1969, 1986).
320 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Le structuralisme linguistique a été critiqué sur de nombreux points. Sa


définition de la langue comme système de signes l'a rendu incapable
d'élaborer une véritable syntaxe,une théorie de la combinaisons des caté-
gories. En outre, en se polarisant sur les valeurs purement différentielles
des unités, en ramenant toutes leurs propriétés à des problèmes de posi-
tion sur la linéarité de la chaîne parlée, il a considérablement appauvri le
domaine des propriétés linguistiques.
C'est au premier chef le linguiste américain Noam Chomsky à la fin
des années 1950 qui a critiqué la démarche structurale 1.Même si tous les
chercheurs ne partagent pas toutes ses options philosophiques et épisté-
mologiques, ses idées ont provoqué un bouleversement considérable. Au
couple «langue»/« parole» il substitue le couple «compétence»/
«performance». La «compétence» n'est pas comme la «langue» un
système de signes stockés dans la mémoire d'une communauté linguis-
tique mais un système de règles, permettant à un locuteur de produire et
d'interpréter un nombre infini de phrases inédites de sa langue. Ce dont
le linguiste doit rendre compte, c'est en effet de l'intuition linguistiquedes
sujets parlants, de leur capacité à dire d'une phrase si elle est ou non
grammaticale, c'est-à-dire si elle est ou non conforme au système de la
langue qu'ils parlent. La compétence chomskyenne a donc un versant
psychologique clair; il existerait, innée, une faculté de langage dans le
cerveau, un système inconscient mobilisé quand le petit enfant apprend
une langue particulière. Grâce à cette compétence il est capable de
construire très vite sa grammaire et de produire et de comprendre des
phrases qui ne ressemblent pas nécessairement en tous points à celles
qu'il lui a été donné d'entendre effectivement : c'est ce pouvoir d' outre-
passer le donné que Chomsky appelle la créativitélinguistique.
Sur l'organisation de la grammaire et de la recherche ces prises de posi-
tion ont des répercussions importantes. La linguistique a pour but de
décrire et d'expliquer le fonctionnement de la compétence. Pour ce faire,
la grammaire doit devenir générative,elle doit constituer un modèle
capable d' « engendrer», c'est-à-dire d'énumérer explicitement, toutes les
phrases grammaticales et rien que les phrases grammaticales d'une
langue donnée. Là où le structuralisme s'appuyait essentiellement sur la
phonologie pour caractériser les relations entre signes, la grammaire
générative place au centre de son dispositif la syntaxe et fait de la phrase
l'unité fondamentale de l'activité langagière. Alors que dans le structura-
lisme la formalisation demeurait assez élémentaire, la théorie générati-
viste donne une place fondamentale à l'évaluationdes formalismes de la
grammaire : quels sont les plus appropriés pour décire et expliquer les
propriétés des langues naturelles ?
Enfin, la grammaire générative définit la recherche sur le modèle des
sciences empiriques, comme l'élaboration d'hypothèses «falsifiables»
(K. Popper), c'est-à-dire dont on peut démontrer la fausseté. Le linguiste
commence par délimiter un certain nombre de données, autour d'un
problème, défini à partir du cadre théorique dans lequel il travaille: pour-
1. Noam Chomsky (1957, 1975, 1980, 1982).
LA LINGUISTIQUE 321

quoi telles phrases sont-elles grammaticales et telles autres ne le sont-


elles pas ? Il construit, pour en rendre compte, une hypothèse qu'il lui
faut alors tester. Pour cela il prédit un certain nombre de conséquences
sur des faits linguistiques indépendants de son hypothèse. Si ces prédic-
tions sont exactes, l'hypothèse peut être considérée comme vérifiée :
sinon il faut la reformuler.
Mais derrière ce cadre épistémologique constant, la grammaire généra-
tive a considérablement évolué. Au début il s'agissait d'une théorie trans-
formationaliste, qui recourait au maximum aux transformations d'une
phrase en une autre phrase (par exemple d'une phrase active à une
phrase passive) mais à partir des années 1980, le modèle a supprimé les
transformations et recouru à des représentations de plus en plus abs-
traites, qui font appel à des catégories vides, c'est-à-dire des unités qui
jouent un rôle syntaxique sans avoir d'existence phonétique, sans être
immédiatement perceptibles 1.
244-1 Les autres théories ◊ La recherche linguistique ne se limite cepen-
dant pas aux travaux de Chomsky, même si ce sont eux qui dominent la
scène. Il existe des théories plus ou moins dissidentes de la grammaire
générative (par exemple celle de J.-C. Milner en France 2 ) et des théories
qui se définissent sur des bases très différentes.
C'est en particulier le cas de l'école d' A. Culioli 3 à Paris. Il définit un
modèle de grammaire fondé sur l'énonciation,c'est-à-dire sur l'inscription
du sujet parlant et de son interlocuteur dans le système linguistique. C'est
le dialogue qui est donc mis au centre de la réflexion mais pour insister
sur la dissymétrie entre production et réception; en particulier l'interpré-
tation de l'énoncé par le destinataire est par essence incertaine, l'ambi-
guïté étant constitutive du langage. Cette théorie associe étroitement syn-
taxe et sémantique dans l'activité énonciative: il devient impossible de
séparer les opérations de référenciation (grâce auxquelles les énoncés ren-
voient à la réalité extralinguistique) et les opérations de modalisation
(c'est-à-dire la manière dont le sujet se situe par rapport à ce qu'il est en
train de dire). Reprenant une tradition illustrée par G. Guillaume dans
les années 1930 à 1950, Culioli entend voir les énoncés comme la trace
d'opérations mentales très abstraites plutôt que comme la combinaison
d'unités discrètes : par exemple le terme « bien » dans Bien qu'il parte je
resteou Il peut bienfaire ce qu'il veut est le marqueur d'une même opéra-
tion dont le linguiste doit restituer l'incidence.
245 La pragmatique ◊ Comme nous l'avons dit, le champ des études sur
le langage est partagé entre deux grands domaines, l'un prenant en
charge le système de la« langue» au sens saussurien, l'autre considérant
plutôt le langage comme discours,c'est-à-dire dans son efficace sociale.
C'est évidemment le second aspect qui intéresse le plus directement les
1. N. Chomsky {1982).
2. J.-C. Milner (1978, 1982).
3. A. Culioli (1973, 1981).
322 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

sciences sociales. Ce partage, qui prolonge la distinction inaugurale entre


grammaire et rhétorique, laisse néanmoins subsister de vastes zones indé-
cises. Perpétuellement, en effet, renaît le désir d'articuler la structure de la
«langue» sur son usage social. C'est en particulier l'effort de la prag-
matique, qui reproche au structuralisme d'avoir presque totalement
évincé le sujet parlant du système de la langue et d'avoir séparé le langage
de son contexte d'énonciation, alors même qu'une analyse adéquate des
structures linguistiques montre que leur présence est déterminante.
Cet ensemble encore très disparate de recherches se place à la
confluence de deux traditions, l'une, plutôt européenne, illustrée dans les
années 1960 par les noms d'E. Benveniste 1 et de R. Jakobson 2 s'intéresse
à la modalisation, aux temps verbaux, aux personnes linguistiques, etc.
pour montrer comment le sujet parlant mobilise à son profit le système
de la langue quand il profère une énonciation ; l'autre, plus anglo-
saxonne, développe la problématique des actesde langage.
Cette dernière est issue des travaux du philosophe anglais J. L. Austin 3
qui a mis en évidence l'existence d'énoncés «performatifs», qui pré-
sentent la singularité d'accomplir ce qu'ils disent par le seul fait de le dire
( ainsi Je lejure ou Je déclarela séanceouverte,que l'on peut opposer à des
énoncés non performatifs comme La terreest rondeou Paula juré d'épou-
serMarie).Progressivement Austin sera amené à considérer que toutes les
énonciations constituent des actes de langage (affirmer, ordonner, suggé-
rer, etc.), ce qui élargit considérablement le champ de la sémantique en
ouvrant l'énoncé sur l'ensemble de sa situation d'énonciation.
De manière générale, la perspective pragmatique a pour effet d'arti-
culer étroitement le juridique et le linguistique. Les actes de langage sup-
posent un cadre juridique spécifique qui fait appel à des concepts comme
ceux de statut, de légitimité ou de contrat; accomplir tel ou tel acte de
langage, c'est se conférer un certain statut, conférer le statut corrélatif au
destinataire, poser son énonciation comme légitime dans le contexte,
etc. 4.Certes, pour promettre, par exemple, il n'est pas nécessaire de véri-
fier que toutes les conditions qui rendent légitime cet acte sont effective-
ment réunies, mais le seul fait de promettre présuppose, implique que ces
conditions sont réunies. Parler, c'est non seulement transmettre un cer-
tain contenu mais encore « montrer» qu'on a le droit de parler comme
on le fait.
L'une des applications les plus fécondes de la perspective pragmatique
est la théorie de l'argumentationlinguistiquetelle qu'elle est développée en
particulier par O. Ducrot 5 et J.-C. Anscombre (1983). Pour une part
essentielle, en effet, les locuteurs produisent leurs énoncés pour en faire
admettre d'autres par leurs interlocuteurs. Or les langues naturelles dis-
posent de ressources spécifiques à cet effet. Dire, par exemple, Paul n'a
pas lu tous les livresde Platon,c'est aller dans le sens d'une conclusion
1. E. Benveniste (1966, 1974).
2. R. Jakobson (1949).
3. J.L. Austin (1962), F. Recanati (1981).
4. F. Recanati, op. cit.
5. O. Ducrot (1972, 1984), J. Moeschler (1985).
LA LINGUISTIQUE 323

négative (« il n'est pas compétent... ») alors que dire Paula lu beaucoupde


livresdePlaton,c'est aller dans le sens contraire, et ceci indépendamment
du nombre effectif de livres que Paul a lus. Ce sont donc les éléments lin-
guistiques, ne. pas ou beaucoup,qui décident de l'orientation argu-
mentative. Dans cette optique on peut aussi étudier tout un ensemble de
« connecteurs » qui ont un rôle argumentatif aussi efficace que discret :
mais, eh bien,d'ailleurs,finalement,pourtant...
Les travaux inspirés par la pragmatique accordent également une
importance très grande à l'implicite,qui enveloppe toute l'activité langa-
gière et oriente subrepticement l'interprétation de l'énoncé 1.On signa-
lera deux domaines particulièrement importants, celui des présupposés et
celui des sous-entendus.Dans une phrase comme « Nous refusons la
décadence de notre pays» il y a deux registres bien distincts: d'une part
quelque chose qui est affirmé explicitement (le refus) et soumis à une
éventuelle discussion, d'autre part un contenu qui passe presque inaperçu
car présenté de telle façon qu'il semble soustrait à la discussion («le pays
est décadent»). Le premier type de contenu est dit « posé» et le second
«présupposé». En répartissant comme il l'entend posés et présupposés le
locuteur peut« piéger» son destinataire. Quant au sous-entendu, il per-
met aussi de dire sans dire mais en laissant à l'interlocuteur le soin de
faire lui-même l'inférence, en fonction de certaines règles: dans certaines
circonstances « les entretiens ont été francs » peut sous-entendre qu'on
n'est parvenu à aucun accord. Ce sont ces mécanismes que le prag-
maticien tente de mettre à jour.
Le champ de la pragmatique est pour le moment extrêmement mou-
vant mais ses préoccupations vont dans le sens d'une meilleure compré-
hension de l'efficacité sociale du langage. Il est d'ailleurs significatif que
nombre de passerelles se soient établies entre pragmatique et eth-
nométhodologie : la « mise en scène de la vie quotidienne » de Goff-
2
mann trouve un terrain de prédilection dans l'analyseconversationnelle ,
qui permet d'étudier les rituels de l'échange linguistique et leurs effets
sociaux.
246 Les disciplines connexes de la linguistique ◊ La linguistique inter-
vient de manière cruciale dans d'autres disciplines. Ici on se gardera de
confondre les applicationsde la linguistique et les disciplines connexesde
la linguistique. Les premières se contentent d'utiliser certains acquis de la
linguistique à des fins pratiques : rééducation de la parole ou de l'ouïe,
pédagogie de la langue, réalisation de dictionnaires, etc. L'efficacité des
techniques ainsi mises au point décide de la pertinence de ces emprunts.
Ces applications n'ont en règle générale qu'une incidence très faible sur
le développement de la réflexion sur le langage.
En revanche, les disciplines connexes ont leur destin étroitement lié à
3
celui de la linguistique. On citera en particulier la psycholinguistique et
1. C. Kerbrat-Orecchioni (1986).
2. J.J. Gumperz (1972, 1989).
3. E. Goffmann (1981), J.M. Peterfalvi (1970), H. Hormann (1971).
324 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

la sodolinguistique 1.la. première, à la jonction de la psychologie et de la


linguistique, étudie l'activité linguistique comme une fonction du psy-
chisme, tant d'un point de vue de psychologieindividuelle que de psycho-
logie sociale. C'est surtout le problème de l'apprentissage linguistique qui
a retenu l'attention, suscitant un vaste controverse entre les tenants du
caractère largement inné des structures linguistiques (cf. Chomsky) et
ceux qui accordent une place prépondérante au processus d'acquisition
lui-même dans le montage de ces structures (cf. Piaget) 2 . Mais bien
d'autres aspects sont étudiés: le processus de production et de compré-
hension des énoncés, les mécanismes associatifs, les relations entre la
catégorisation grammaticale et la catégorisation psychique, etc. De toute
manière, implicitement ou explicitement, toute théorie linguistique s'ap-
puie sur une certaine conception de la psyché.
La sociolinguistique a un statut très instable. Elle oscille en effet entre
deux attitudes : une attitude critique et une attitude de compromis. Dans
le premier cas la sociolinguistique s'oppose à une linguistique considérée
comme réductrice (travaillant sur des données appauvries et avec des pré-
supposés inadéquats sur la nature des langues et de la société) : dans le
second cas, le sociolinguiste se contente d'étudier un certain nombre de
phénomènes qui ne sont pas pris en compte par le « pur » grammairien,
car ils ne concernent pas directement la question de la grammaticalité. La
première attitude, très contestatrice, est bien illustrée par P. Bourdieu
(1982) qui critique radicalement la conception que se font habituelle-
ment les linguistes de leur objet : pour lui le langage est pris dans une
lutte généralisée pour le pouvoir et il convient de l'appréhender comme
tel.
Quant aux domaines traditionnellement réservés à la sociolinguis-
tique, ils sont très variés : problèmes de dialectologie(patois, dialectes,
langues de minorités [en France le basque par exemple]), langues régio-
nales (occitan) mais aussi variation du parler en fonction des classes
sociales, de l'âge, de l'origine ethnique, des groupes (argots) ; problèmes
de niveaux de langues(variation en fonction de la situation d'énoncia-
tion: situations formelles, familières, code écrit, code oral...) : problèmes
de norme (comment se constitue la norme dans une société déterminée ?
quelle est sa fonction ?...) ; problèmes de contactsde langues( situations de
bilinguisme de divers types, de plurilinguisme, création de langues inter-
médiaires...); problèmes de politiquelinguistique ... Ce champ d'étude est
extrêmement vaste puisqu'il intègre tout ce qui dans le langage est sus-
ceptible, de quelque manière que ce soit, de marquer une identité sociale.
Entre sociologie et linguistique, les échanges ne peuvent donc qu'être
constants (la définition d'une langue, par exemple, fait appel à des cri-
tères linguistiques ainsi qu'à des critères sociaux) mais comme leurs
points de vue sont distincts leurs domaines ne sauraient être confondus.
Face à une phrase de français populaire comme « Le mec que j'te dis est
vachement sympa», le linguiste et le sociolinguiste ne se poseront pas le
1. J. Moeschler (1985), B. Cardin (1974), J.J. Gumpm (1972, 1982), Langagesn• 11.
2. Théoriesdu langage(1979).
LA LINGUISTIQUE 325

même genre de questions. Le premier étudiera en particulier le type de


phrase relative dont il s'agit, l'élision du e de je, l'emploi particulier du
verbe dire,considérant que cette phrase, bien que rejetée par la norme, est
grammaticalement cohérente. Le sociolinguiste, en revanche, tout en
s'appuyant sur l'analyse linguistique sera sensible avant tout au caractère
déviant de cet énoncé et à ses effets sociaux.
La sociolinguistique, partagée entre linguistique et sociologie, ne peut
qu'évoluer avec ces deux disciplines. Elle a donc pris un tour très différent
selon les pays et les conjonctures. C'est ainsi que dans les années 60 aux
États-Unis, la recherche la plus importante, celle de W. Labov (1973), a
été menée sur le parler des Noirs américains, permettant de développer
une méthodologie originale d'analyse de terrain. En Angleterre B. Berns-
tein (1975) a travaillé sur la manière dont les diverses classes sociales
usent du langage : pour lui la situation de classe d'un sujet déterminerait
une sorte de structure profonde de la communication, « restreinte » ou
«élaborée». En France dans les années 80 après une domination de la
problématique marxiste classique, c'est l'influence de l'ethnométhodolo-
gie et de la sociologie de Bourdieu qui se font le plus sentir, associées à
l'extension du courant de la pragmatique linguistique. Globalement, on
assiste à un renforcement des liens entre sociolinguistique et anthropolo-
gie 1,au développement d'une microsociologie des interactions verbales.
247 L'analyse du discours ◊ Ce champ d'études qui s'est développé
depuis la fin des années 1960 relève de la sociolinguistique mais la spéci-
ficité de ses préoccupations lui confère une certaine autonomie. Ce qu'on
appelle « analyse du discours » recouvre des recherches très diverses,
menées avec des présupposés théoriques et des objectifs eux-mêmes très
variés. Toutes partent néanmoins du principe que les énoncés ne se pré-
sentent pas comme des phrases ou des suites de phrases mais comme des
textes.Or le texte est un mode d'organisation linguistique spécifique qu'il
faut étudier comme tel en le rapportant aux conditions dans lesquelles il
est produit. Considérer la structuration d'un texte en le rapportant à ses
conditions de production, c'est l'envisager comme discours2 .
Dès lors le champ d'investigation est immense. Un certain nombre de
recherches se tournent vers une typologiedes discours: caractériser et
expliquer les règles de la narration, du dialogue, de la description ... ; de
l'article scientifique, de la conférence de presse, du journal télévisé... On
se tourne aussi vers l'étude d'ensembles vastes comme le discours journa-
listique, le discours juridique, le discours politique, le discours publici-
taire ... Certains comme le discours littéraire ou les mythes ont bénéficié
depuis longtemps d'un intérêt soutenu (il suffit de songer à toute la
réflexion qui s'est développée autour des « genres » littéraires depuis plus
de deux mille ans). A côté de ces recherches typologiques il existe des
recherches qui tentent d'étudier les fonctionnements discursifs à partir
d'une certaine position idéologique. Cette fois, il s'agit d'étudier com-
1. J.J. Gumperz (1972 1 1982).
2. P. Charaudeau (1983).
326 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

ment s'inscrit dans la société une identité énonciative (le discours du


parti socialiste tenu en tel lieu et à telle époque, les manuels d'histoire de
l'école laïque de telle année à telle année ...), comment le discours s'arti-
cule sur des institutions non verbales. C'est dans ce domaine que s'est
constituée à la fin des années 60 ce qu'on appelle « l'école française
d'analyse du discours». Elle tente d'intégrer les recherches linguistiques
dans une problématique qui s'inspire de la pensée d' Althusser, de Fou-
cault et de la psychanalyse. Ces travaux, d'abord tournés presque exclu-
sivement vers des corpus politiques, se sont élargis à des types de discours
plus variés 1.
Comme la sociolinguistique, les diverses analyses du discours évoluent
avec les conjonctures des sciences humaines. Depuis les années 80, ce
sont les théories de l'énonciation et la pragmatique qui lui fournissent la
plus grande partie de son armature conceptuelle.
248 LA.linguistique dans les sciencessociales ◊ Dans les années 60, au
moment où le structuralisme était à son apogée, la linguistique était
souvent présentée comme la « science pilote» des sciences sociales, ten-
tées de trouver leur unité dans une sorte de sémiologiegénérale, une théo-
rie des systèmes de signes. Ce projet s'est peu à peu défait La disparition
de la linguistique structurale a eu pour conséquence de replier la science
du langage sur le singularité de son objet. Le structuralisme linguistique
reposait sur des concepts et des procédures d'une très grande généralité
(substitutions, combinaisons, niveaux d'analyse...) ; c'est cela qui le ren-
dait aussi aisément exportable. A partir du moment où la grammaire se
construit sur des propriétés strictement linguistiques les rapports avec les
autres sciences sociales sont inévitablement devenus beaucoup moins
simples.
Mais cela ne signifie pas que les ponts puissent être coupés. Étant
donné le rôle crucial que joue le langage dans la société, et son impor-
tance pour la pensée philosophique du .XXC siècle, les sciences sociales le
rencontrent sans cesse sur leur chemin. Nous avons déjà évoqué la psy-
cho- et la sociolinguistique ; on peut évoquer aussi un domaine où les
échanges avec la linguistique ont toujours été denses, la théoriede la litté-
rature qui s'appuie sur la stylistique,à la jointure de la grammaire et de
l'expression littéraire ; la créationpublicitairea beaucoup bénéficié du
savoir acquis dans ce domaine. Mais nous insisterons surtout sur des
domaines en pleine expansion, liés à l'informatisation de la société : par
exemple l'enseignementassistépar ordinateurou la traductionautomatique,
c'est-à-dire la mise au point de machines capables de traduire des énon-
cés d'une langue en une autre (ainsi pour la Communauté européenne le
projet « Eurotra »). Mais l'informatique est concernée de manière plus
directe par la recherche linguistique quand il lui faut travailler à rappro-
cher les langages des machines et les langues naturelles. Pour finir on
évoquera l'expansion considérable des sciencescognitives,qui, à la jointure
de la psychologie,de la neurologie, de l'informatique permettent de déve-
1. D. Maingueneau (1976, 1987), Langagesn" 62, 71, 81.
LA LINGUISTIQUE 327

lopper des « systèmes experts» en faisant largement appel à la linguis-


tique.
De manière générale, par son statut à la fois « formel » et « social » la
linguistique est vouée à jouer un rôle charnière dans le mouvement de
décloisonnement des disciplines auquel on assiste aujourd'hui, en parti-
culier sous l'impulsion de l'informatique.
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PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES 329

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SECTION12. PROBLÈMESACTUELS
DES SCIENCESSOCIALES
« Dans notre mondefaire de la sociologie,
c'estfaire la politique dela vérité. »
C. W. Mills,
L'imagination sociologique.

1. Le développement des sciences sociales


§
2 50 1 ° Les causes de développement. a) Raisons scientifiques ◊ Le
à 252 développement des sciences sociales à pris une grande ampleur depuis la
Première Guerre mondiale. A la différence des sciences naturelles, c'est
souvent la nécessité et non la curiosité scientifique, qui a suscité les ques-
tions. L'ampleur du phénomène fasciste et de l'hitlérisme a conduit à
s'interroger sur le rôle des partis, des facteurs économiques, de la propa-
gande, de l'antisémitisme et du racisme. Le fait que les fours crématoires
aient été édifiés dans un continent chrétien depuis des siècles, inspire
quelques réflexions sur le rôle des croyances collectives, des idéologies,
etc. La guerre a amené la mobilisation d'un grand nombre d'hommes et
demandé des réponses urgentes aux difficultés que soulèvent toute vie et
organisation collectives : moral des soldats, hiérarchie, commandement,
résistance des prisonniers au lavage de cerveau, etc. La démobilisation
mettait en cause les possibilités de réintégration à la vie civile. Les diffi-
cultés de ravitaillement ont suscité des expériences sur la modification
des habitudes alimentaires. On a également cherché pendant et depuis la
première guerre à augmenter la productivité et le rendement humain,
d'où les fameuses expériences de la Western Electric1.Après la guerre, les
1. Cf. n° 167.
330 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

destructions opérées par les bombardements, la poussée démographique,


obligent à reconstruire. Les grands ensembles se multiplient en même
temps qu'apparaissent en Europe et en Amérique diverses formes de
contestation et de violence. Les progrès techniques amènent à recon-
sidérer la structure familiale, les loisirs, aussi bien que l'évolution de la vie
politique. La psychologie sociale et la sociologie, sollicitées de façon plus
spectaculaire par tous ces problèmes, ne sont pas les seules sciences
sociales en cause. L'économie politique doit tenir compte des bouleverse-
ments qu'entraînent non seulement les facteurs techniques, mais psy-
chologiques et la coexistence de deux systèmes économiques différents.
Enfin le développement des pays du Tiers Monde pose à l'ethnologie, le
problème de contacts entre cultures différentes, mais surtout celui de la
signification et de la valeur de la civilisation occidentale, valeur que la
jeunesse à travers le monde remet en question
Les biologistes ont posé le problème en termes scientifiques : l'hérédité ou
ensemble de caractères biologiques innés, est déterminée pour chaque organisme
par les gènes ou particules héréditaires des chromosomes. C'est ce que les généti-
ciens désignent du nom de génotype.La manifestation extérieure visible du géno-
type est appelée phénotype.Mais le génotype lui-même se développe dans un
milieu complexe qui influe sur le phénotype. Il est donc très difficile de distinguer
la part du génotype et celle du milieu, car l'hérédité est la résultante d'une inter-
action dynamique entre les deux. On pense, à l'heure actuelle, que l'hérédité au
sens génotypique, détermine ce que nous pouvons faire, mais que c'est le milieu
qui détermine ce que nous faisons. Le jeune X a peut-être des dispositions spor-
tives réelles, mais il ne deviendra champion que s'il a l'occasion de faire travailler
ses muscles.
L'on pense, à l'heure actuelle, que la condition d'homo sapiensn'est pas
un état dans lequel on naît, mais un état auquel la naissance donne seu-
lement accès. L'homme naît avec les caractéristiques physiques de l'homo-
sapienset les possibilités mentales de le devenir. Il faut apprendre à être
humain.
Tandis que les animaux sont des êtres d'instinct, l'homme est un être d'habi-
tudes, or, celles-ci, il les acquiert. Comment distinguer dans l'homme ce qui est
acquis, des éléments innés, indispensables, quel que soit le milieu où il va vivre ?
Malinowski est le premier anthropologue à avoir tenté d'établir une liste
complète des besoins, ce qu'il a appelé des séries vitales permanentes. Il est diffi-
cile de se mettre d'accord en dehors des besoins physiologiques de nourriture,
sommeil, etc. L'ethnologie, ici encore, réserve bien des surprises.
Freud et Jung ont, par exemple, déclaré que l'agressivité est innée et que la civi-
lisation représente un effort pour dominer cette tendance l Mais certains psy-
chiatres modernes prétendent, au contraire, que l'hostilité n'est chez l'enfant, que
le résultat d'une privation ... « La haine, la jalousie, les impulsions qui, au cours de
notre histoire, paraissent avoir été les plus instinctives : l'hostilité, etc., appa-
raissent aujourd'hui avec une évidence croissante comme acquises et non instinc-
tives. Il s'agit là à peu près certainement de réactions neuropathologiques, déclen-
chées par la frustration d'impulsions et de besoins qui sont chez nous vraiment
fondamentaux et de caractère quasi instinctif 1 . »
1. A. H. Maslow (1949), pp. 273-278.
PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES 3 31

Si tel est le cas, se pose pour tous un grave problème de responsabilité.


« Le meilleur moyen d'améliorer la nature humaine est de modifier non
l'héritagebiologiquede l'homme, mais son héritagesocial, c'est-à-dire de
modifier les conditions qui provoquent des déséquilibres à l'intérieur de
la personne humaine, et des déséquilibres correspondants à l'intérieur de
la société 1. » Les sciences humaines prennent alors une importance capi-
tale, car elles doivent nous indiquer les voies à suivre pour éviter ce qui
provoque des déséquilibres.
Les connaissances les plus récentes sont donc en contradiction avec
l'héritage de théories scientifiques dépassées : doctrine évolutionniste
représentant la nature comme un lieu de concurrence effrénée et non de
collaboration, doctrine de l'hérédité considérant la physiologie comme le
facteur déterminant du destin de l'homme.
253 b) Réticences psychologiques ◊ On trouve d'abord ceux qui décla-
rent que la connaissance aes actions humaines est une questionde bon
sens, d'expérience.
Pour eux, nos parents n'avaient pas eu besoin d'économie politique pour bien
mener leurs affaires, de science politique pour diriger le pays, ou de psycho-
sociologie pour commander leurs ouvriers... ou leurs enfants. Ces amateurs de
bon sens, parleront du « flair » du patron ou de l'homme politique et demande-
ront en quoi les sciences dites sociales ont amené la moindre amélioration au sort
du genre humain.
Ce genre de réflexion permet d'envier les physiciens, car, dans leur domaine au
moins, l'homme de la rue ne s'imagine pas tout savoir. Malheureusement, en
sciences sociales (en science politique en particulier) ceux qui en parlent ne se
doutent pas des vrais problèmes, s'imaginent pouvoir les résoudre, ou encore les
jugent insolubles. Cette attitude provient d'une réticence, quelquefois qualifiée à
tort d'humaniste, devant l'emploidu raisonnementscientifiquedans les sciences
soda/es.
On trouve aussi ceux qui sont convaincus de l'utilité des sciences
sociales, mais estiment qu'elles n'en saventpas assez et surtout, qu'elles ne
donnent pas de réponses aux problèmes urgents qui intéressent chacun.
Les parents déclareront par exemple, que l'on n'a pas trouvé le moyen de
réduire le désir d'indépendance des adolescents et les patrons, l'esprit revendicatif
des ouvriers, etc.
Les sciences sociales souvent ne peuvent accéder à la documentation dont elles
ont besoin pour progresser; c'est le cas, par exemple, en sociologie industrielle et
en science politique ...
Une autre catégorie d'opposants déclare que les sciences sociales en
savent trop, et que l'objet même de leur étude les obligent à des indiscré-
tions fort gênantes.
La science économique demande des bilans, la psychologie sociale cherche des
motivations, ce qui pousse les individus à agir. Cela n'est pas toujours apprécié.
De la même façon, l'anthropologie, la sociologie, sont amenées à découvrir, sous

1. Ashley Montagu (1952), p. 238.


332 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

des attitudes respectées et soi-disant universelles, de simples préjugésou des inté-


rêts dissimulés. Nous aimons tous le confort intellectuel et les sciences sociales le
perturbent.
Il y a encore ceux qui redout.ent que les sciences sociales ne minimisent
les aspectsesthétiques,moraux,émotifs, de la vie et ne substituent à l'ap-
préciation des valeurs intellectuelles et morales, une analyse scientifique
fatale à ces dernières.
Enfin, certains prévoient que les sciences sociales seront utilisées pour
manipuleret conditionnerl'humanité.La propagande, surtout lorsque l'État
détient la radio et la presse, la publicité, surtout si elle devient
inconsciente, les relations humaines, lorsqu'elles veulent se substituer
aux conventions collectives, les services psychologiques de l'armée, etc.,
toutes ces techniques issues des progrès des sciences humaines, sont
inquiétantes.
254 Que peut-on répondre à ces critiques? ◊ D'abord, que l'intuition,
l'expérience, ne peuvent remplacer un ensemble de connaissances orga-
nisées. Le fait que les sciences sociales n'aient pas tout résolu, ne signifie
pas qu'elles soient inutiles et pour répondre dans leur propre langage à
ceux qui prônent le bon sens, nous dirons« qu'il faut un commence-
ment à tout». Malgré leurs particularités, on ne doute plus, à l'heure
actuelle, des possibilités d'investigation scientifique des sciences sociales ;
il s'agit d'une question de dosage, de limites dans le domaine d'applica-
tion.
Plus grave est le problème des conséquences des découvertes sur le plan
humain 1 . Il est le même pour les sciences physiques, c'est celui de la res-
ponsabilité du savant, mais aussi de la nôtre. Le savant en sciences
sociales cherche ce qui est; le problème de ce qui doit être ne lui échappe
pas entièrement, mais il se situe sur un autre plan, qui ne doit intervenir
qu'ultérieurement et demeure notre problème à tous. L'idée que l'homme
doit apprendre à être humain reprend toute sa valeur, ainsi que la pensée
de K. Marx sur l'interaction entre le monde et l'homme.

§ 2. L'objectivité
254-1 1° Points de vue sur l'objectivité ◊ Revendiquer pour les sciences
sociales le statut de science, c est leur imposer d'être objectives au même
titre que les sciences de la nature. A. Comte et les positivistes se sont
efforcés d'assimiler la société à la nature, donc de la reconnaître soumise
à des lois, qu'il appartient au sociologue de découvrir par une observation
neutre : « sans admirer ni maudire les faits politiques et en y voyant
essentiellement comme en toute autre science, de simples sujets d'obser-
vation 2 ».
1. Barbara Wooton (1950), E. R. Hilgard and D. Lerner in Lasswell and Lerner (1951, B. 239), P.
H. Furly in Gross. Symposium (1959, B. 25), R. S. Lynd (1968).
2. A. Comte (1907, B. 159 bis) p. 214 tome N.
PROBLÈMESACTUELSDES SCIENCESSOCIALES 333

Durkheim, à son tour, proclame qu'il faut« considérer les faits sociaux
comme des choses ». La sociologie, par principe, « ignorera les théories
auxquelles elle ne saurait reconnaître de valeur scientifique puisqu'elles
tendent directement non à exprimer les faits mais à les réformer » !
Les sciences humaines demeurant proches de notions morales et
culturelles, la solution consistera à séparer jugements de valeur et faits.
Malgré des critères de distinction délicats, ce point de vue sera accepté
dans un cercle beaucoup plus étendu que celui des positivistes1.
Le marxisme en insistant sur les déterminismes économiques et
sociaux remet en question cette rassurante division. Karl Mannheim
( 19 52), fondateur de la sociologie de la connaissance reconnaît, avec les
marxistes, l'influence de l'origine sociale du savant sur sa manière de
choisir et d'interpréter son objet, mais ceci ne lui semble pas inconciliable
avec la recherche de la vérité. Il appartient à « l'intellectuel sans
attaches» d'effectuer« la synthèse des perspectives».
Plus récemment, Adam Schaff (1971) reprendra cette idée de complé-
mentarité des points de vue, mais sans admettre le rôle assigné par
Mannheim aux intellectuels. En effet, la classe ouvrière n'a-t-elle pas plus
qu'une autre, vocation à découvrir la vérité ?
La science est objective, le marxisme est scientifique, donc... Seule-
ment, il ne faut pas oublier que Marx ne s'est pas embarrassé de la
conclusion d'un tel syllogisme. Il a proclamé dans le Capital que son
œuvre était critique et révolutionnaire. Après lui, Lénine, Rosa Luxem-
bourg estiment naïf, dans une société « fondée sur l'esclavage », où règne
la lutte des classes, de vouloir pratiquer une science impartiale. G. Trot-
ski, K. Korsch2 , A. Gramsci, pensent aussi que le marxisme est avant tout
révolutionnaire et prolétarien.
Bernstein et Kautsky pour une fois d'accord s'opposent à cette concep-
tion : « le matérialisme historique est une théorie purement scientifique,
qui, en tant que telle, n'est nullement liée au prolétariat» déclare Kaut-
sky3.
Le stalinisme marque une nouvelle étape, celle d'une vérité soi-disant
scientifique, dogmatique et cléricalisée. Elle va opposer même dans les
sciences naturelles, la science prolétarienne de Lyssenko à la biologie
réactionnaire et bourgeoise de G. Mendel et Wasserman. Mauvais souve-
nir pour les intellectuels communistes. Althusser insiste avec raison sur la
spécificité de la pratique scientifique, « son erreur est d'absolutiser cette
autonomie en la transformant en une indépendance, une séparation,
une rupture à peu près totale 4 ». La réalité présente plus de souplesse et
de complexité. L'objectivité n'est pas donnée une fois pour toutes. Elle
dépend des domaines, des circonstances ... et d'efforts constants.

1. Cf. M. Weber,n°' 142-143.


2. V. Kelle(1970).
3. K.l<AurSKY, La conceptionmatérialistede l'histoire,cité in E. Lowy (1972) p. 14 auquel est
empruntéeune partde ces réflexions.
4. Op. dt., E. Lowy,p. 20, suggèreque revendiquerl'indépendance du travail scientifique est un
moyen d'échapperaux« impératifs politiques changeantsdu parti».
334 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

255 2° Difficultés de l'objectivité ◊ L'objectivité parfaite est impossible


à concevoir, elle signifierait une absence d'intérêt regrettable. Mais l'ab-
sence d'objectivité implique quantité de nuances, depuis la description
erronée, le parti pris, jusqu'au simple fait de la préférence pour tel genre
de domaine et l'emploi de telle technique. Il faut distinguer la description
des faits, qui doit toujours être objective, de l'interprétation, qui peut être
plus personnelle, à condition que les deux ne soient pas confondus. Il
existe des domaines dans lesquels elle est imposée par l'objet même.
C'est ainsi qu'à propos d'une remarque de M. Borelly, écrivant: « lorsqu'une
femme fait des mathématiques, elle cherche encore à se faire aimer », R Bastide
note avec humour:« du moins cette libido ne laissera-t-elle aucune trace pertur-
bante sur les démonstrations, parce que celles-ci obéissent à un ensemble logique
de règles déterminées. [ ...] les concepts sociaux, eux, ont un pouvoir de
récurrence tel, que la définition crée le défini, oriente le réel dans telle ou telle
direction, le plie aux images que le social a jetées, du fond de son inconscient, sur
l'objet qu'il croit contempler 1 ». Mais cette subjectivité, dangereuse d'une cer-
taine façon, est aussi une nécessité, car elle seule permet la compréhension des
faits humains.
L'application de méthodes empiriques a constitué un précieux antidote
à la tendance autrefois littéraire et réformiste des sciences sociales. Le
problème des valeurs n'en reste pas moins entier, car ce sont toujours
elles qui orientent le chercheur, l'animent ou l'opposent aux idées
régnantes et apportent les éléments d'une prise de conscience de la réa-
lité.
La liberté de penser est, nous l'avons vu, nécessaire au développement
scientifique, mais comme toute liberté, elle implique que soient égale-
ment assurées ses conditions d'exercice : conditions politiques, écono-
miques et sociales, mais aussi psychologiques.
256 a) Facteurs politiques et objectivité ◊ Après avoir répudié la socio-
logie bourgeoise, le marxisme-léninisme devant en tenir lieu, les pays
communistes se sont intéressés à la recherche empirique et aux applica-
tions de la sociologie. Mais sur le fond, la doctrine n'avait pas changé.
Pour les Soviétiques, l'opposition entre sociologie scientifique et idéo-
logie politique, la soi-disant fin des idéologies, étaient une des formes
revêtue par la pensée capitaliste dans sa lutte contre la sociologie mar-
xiste. Après avoir reconnu la difficulté d'atteindre l'objectivité, les rappor-
teurs soviétiques, citant des auteurs américains, insistaient sur les méfaits
de l'idéologie. Le de'bat reposait sur la notion même d'idéologie et ses
liens avec la politique. Il s'agissait non pas de renoncer à l'idéologie en
général, mais seulement à une idéologie pseudo ou anti-scientifique.
« Rien ne peut sauver une étude sociale du subjectivisme, sinon une idéo-
logie strictement objective, monistique et totalement scientifique : telle
est l'idéologie du matérialiste dialectique 2 . »
Se servir des critiques que les auteurs américains s'adressent à eux-
mêmes et à leur propre société, n'est-ce pas reconnaître la liberté dont ils
1. R. Bastide (1950, B. 202).
2. Op. cit. (B. 170), p. 6.
PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES 335

jouissent? Car c'est là qu'apparaît le point faible de la démonstration


soviétique. Non dans l'affirmation de la vérité de l'idéologie marxiste,
mais, bien qu'ils s'en défendent, dans la transformation de la croyance en
dogme, c'est-à-dire l'interdiction, sanctionnée par le pouvoir politique, de
penser autrement Tout ceci devrait maintenant appartenir au passé mais
combien de temps faut-il pour transformer une façon de penser?
2 5 7 b) Facteurs socio-économiques et objectivité ◊ Une pression plus
ou moins directe peut aussi être exercée sur le savant ou le chercheur par
le régime économique.Aux États-Unis, un grand nombre d'universités
dépendent de fonds privés; cela exclut des recherches un certain nombre
de problèmes. Être financés par l'armée ou la C.I.A. soulève également
des difficultés1 . Autre point important, c'est le conditionnementculturelet
sodal du chercheur.Celui-ci fait partie du monde qu'il doit observer. Il est
soumis à des préjugés, des manières de sentir, des valeurs, des orienta-
tions intellectuelles, contre lesquelles il aura beaucoup de peine à réagir,
car il les subit inconsciemment. Il risque de reproduire les normes
sociales qu'il a assimilées. Son moi contient du « social intériorisé» et,
comme le remarque le sociologue G. Gurvitch:« Plus le social est intense
et fort, moins il paréllt oppressif et extérieur. » Plus la société est homo-
gène psychologiquement, plus elle déterminera un conformisme intense
et inconsciemment assimilé.
Ce que A Gouldner (1970) appelle les« partenaires silencieux» pèse
non seulement sur les postulats de la recherche et la recherche elle-
même, mais aussi sur les chances de succès d'une théorie. Celle-ci est
d'autant plus assurée de réussir qu'elle rejoint l'inconscient de ceux aux-
quels elle s'adresse. En sociologie, l'adhésion ne passe pas seulement par
l'argumentation rationnelle. L'accord tacite entre les présupposés de
l'émetteur et ceux du récepteur est un élément important
Il est intéressant, sur ce point, de comparer la sociologie américaine à la socio-
logie française, toutes deux ayant grandi dans des pays démocratiques où règnent,
en principe, les libertés de pensée, d'opinion, de culture.
Les sociologues américains sont à la fois conservateurset réformistes2 • Réfor-
mistes, parce que leur moralismeles incite à souhaiter transformer le monde et
leur utilitarisme,à maîtriser les forces sociales, comme les forces de la nature.
Conservateursils le sont aussi parce que foncièrement adaptés à l' « american way
of life ». Leur désir de changement respecte l'essentiel. LesAméricains sont prêts a
changer les meubles de place ou les papiers sur les murs, mais pas à démolir la
maison. Ne remettant pas en cause les fondements de la societé, les cadres et
valeurs sociales, les Américains considèrent que chaque individu doit se sentir
intégré, en conformité avec le groupe. Toute insatisfaction, toute révolte contre le
milieu, est dès lors considérée comme pathologique.
Cette tendance américaine s'explique peut-être par le fait qu'il s'agit d'un
peuple d'immigrants et qu'ils forment un Etat fédéral. Ce conformisme actif leur
est probablement nécessaire, en tant que moyen d'unification.
En Europe, au contraire, on a soutenu que laisser discuter l'essentiel, était une
façon de maintenir la stabilité.
1. R.J. Samuelson (1967).
2. Ceci demeure vrai pour l'ensemble de la sociologie américaine.
336 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

258 c) Facteurs personnels et objectivité◊ Tout chercheur se trouve


affecté d'un coefficient de déformation inconsciente, d'origine psycho-
sociologique, qui dépend du milieu dans lequel il a vécu, de son éduca-
tion, mais aussi de son hérédité, de sa personnalité et de son histoire.
C'est l'équationpersonnelledu chercheuren cause dans toutes les sciences
humaines.
Le travail en équipe représente pour le chercheur une façon de corriger
ses propres observations en les confrontant avec celles des autres. Mais
contre le subjectivisme, il n'existe pas de meilleur moyen de lutte que
l'application de la méthode scientifique. Celle-ci« relativise» les présup-
posés du chercheur. Comme le note Gouldner : « Il serait temps que les
sociologues [ ...] cessent de s'imaginer que tous les individus ont des opi-
nions en fonction de leurs propres besoins, alors qu'eux-mêmes croient
pour des raisons scientifiques 1.» Les sciences humaines ont toujours
attiré2 ceux que préoccupait le destin de l'homme c'est-à-dire les valeurs,
d'où leur difficulté à se détacher d'une tendance parfois moralisante ou
idéologique. Le rêve d' A. Comte et d'Enfantin: établir une nouvelle reli-
gion dont ils seraient les grands prêtres, hante le subconscient des socio-
logues et le réformisme des grands ancêtres n'est pas un trait spécifique-
ment américain. Cependant cette tendance générale a pris aux Etats-Unis
un aspect particulier en sélectionnant ceux qu'attirait l'aspect mission-
naire de la profession : les fils de pasteurs 3 ou futurs pasteurs 4.
259 3° Sciences sociales, responsabilité et révolution. a) La sociolo-
gie ◊ Bien qu'il soit difficile de distinguer la part qui revient à la sociolo-
gie dans les mouvements de contestation il y a vingt-cinq ans, on sait que
le département de sociologie de Columbia, a joué aux États-Unis, le
même rôle que Nanterre en France. Comment expliquer ce fait si la
sociologie est aussi conservatrice que certains le prétendent ? Parmi de
nombreux facteurs, on peut retenir le fait que les sociologues constatant
l'injustice de la société, objet de leur étude, se demandent si la fameuse
neutralité scientifique, ne les rend pas objectivement complices d'un
régime, au servicede la classe dominante, et d'intérêts impérialistes. D'où
interrogation, doute, inquiétude, éléments psychologiques, qui greffés sur
des problèmes économiques, et politiques provoqueront la contestation
collective5 •

1. A. Gouldner (1970), p. 25.


2. Ceci est moins vrai depuis quelques années. L'enseignement de la sociologie a bénéficié du
développement de l'enseignement supérieur et recrute nombre d'étudiants parmi ceux qui n'ont pas
de motivations précises.
3. li est tentant d'ironiser sur ce que le célibat des prêtres catholiques a évité à la sociologie fran-
çaise 1 _
4. Une enquête faite aux Etats-Unis montre que sur les 3 441 réponses reçues des 6 762 socio-
logues américains, 27,6 % soit plus du quart, avaient pensé devenir pasteurs. Les fonctionnalistes
étaient un peu plus nombreux dans cette catégorie.
5. Ces questions ont naturellement suscité une abondante littérature.
PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES 337

Lesœuvres de Marx étant peu connues aux États-Unis1, le mouvement


n'avait pas de véritable doctrine 2. La sociologie était devenue un objet de
consommation culturelle, d'où le rejet des sciences sociales comme pro-
duit de la classe dominante. On ne reprochait plus à la sociologie de
défendre des théories erronnées, mais de ne plus répondre aux vraies
questions, d'être inadéquate 3. Il ne fallait donc pas discuter, mais la ridi-
culiser.
En ce qui concerne !'U.R.S.S., la mainmise du gouvernement sur la
recherche restreignait l'influence et le développement de la sociologie. Les
résultats d'enquêtes découvrant par exemple que la plupart des fautes de
discipline dans les usines ne provenaient pas, comme on le supposait, des
jeunes ouvriers, mais des travailleurs en place depuis un certain temps 4 et
que ceux-ci étaient plus sensibles aux rappels à l'ordre de leurs camarades
dans des meetings, qu'aux injonctions de la hiérarchie, cela signifiait
quelque chose.
L'abandon des clichés du vocabulaire marxiste constituait un autre symptôme.
L'expression « bâtir le communisme » devenait « développement socio-écono-
mique », de même,« l'organisation politique de la société» remplaçait la« dicta-
ture du prolétariat» 5•
Ces modifications de langage traduisaient un fait important : la trans-
formation de l'idée que les savants se faisaient du marxisme-léninisme. Sans
remettre en cause ses fondements, ils le considéraient de plus en plus comme un
cadre général, à l'intérieur duquel les processus sociaux actuels devaient être étu-
diés par d'autres méthodes.
Pouvait-on voir là l'annonce d'un changement ? Qu'il s'agisse du
modèle de l' « american way of life » ou celui de la « société sans classes »
soviétique, le rôle de la sociologie consiste à rendre sensible par des élé-
ments précis, scientifiquement établis, la distorsion entre le modèle et la
réalité. Si, comme le pensaient Lénine et Gramsci, rien n'est plus révolu-
tionnaire que la vérité, la sociologie, dans la mesure où elle permet de
découvrir la réalité, devient, même entre les mains d'un gouvernement
défenseur de l'ordre établi, un facteur de changement sinon de révolu-
tion.
260 b) L'anthropologi.e◊ Avec plus d'anxiété encore, car la culpabilité
est d'autant pfus forte que l'exploité est plus faible, les anthropologues se
posaient les mêmes questions que les sociologues. Avec une raison sup-
plémentaire : Claude Lévi-Strauss6 reconnaît que anthropologie et colo-
nialisme sont liés, mais refuse de voir dans leur « dialogue équivoque »
une idéologie honteuse.

1. Il convient de noter la mise en garde sérieuse de S.M. Lipset (1972, B. 170) contre certaines
affirmations concernant l'esprit« conservateur» des sociologues américains les plus connus.
2. Ce qui explique sans doute le succès de Marcuse.
3. Le terme « irrelevant » est plus fort.
4. A comparer avec des résultats identiques en France.
5. Z. Katz (1971, B. 170).
6. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France.
338 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

Une première constatation s'impose : 90 % des recherches effectuées


en Afrique l'étaient par des non-africains 1. Il faut ajouter que les gouver-
nements des pays indépendants depuis peu, ne souhaitent probablement
pas créer chez eux des instituts de recherche, soulevant des questions
gênant.es.
Aux États-Unis, les anthropologues semblaient plus soucieux que les
sociologues d'aboutir à un engagement révolutionnaire. Ceci sans dout.e
du fait que la politique étrangère américaine pose des problèmes que
résume la phrase d'un article de G. D. Berreman (1966): « L'ancienne
solution pour empêcher une révolution était dix soldats pour un gueril-
lero. Maintenant la solution c'est dix anthropologues pour chaque gueril-
lero. »
L'affaire Camelot devait illustrer cette affirmation. Le plan Camelot était une
enquête « universit.aire», menée pour le compte du Département de la Défense
américaine, afin de mesurer le degré d'anti-communisme de l'armée et de l'opi-
nion chilienne. Elle suscita une telle opposition que le projet 2 fut arrêté. Une
table ronde fut organisée par la revue américaine Current Anthropology, en
décembre 1968, sur le thème « les responsabilités sociales et politiques de
l'anthropologue».
Le problème est posé sur deux plans : d'une part, celui de l'élargisse-
ment du domainede l'anthropologie, d'autre part celui de l'engagementrévo-
lutionnairede l'anthropologue. Entre le conservatisme traditionnel qui
limite l'ethnologie à des études parcellaires et la mystique révolution-
naire3, c'est un anthropologue anglais 4 qui expose non la solution, mais
une façon plus raisonnable de voir le problème. Être du côté des opprimés
ne résout pas tout, « car un engagement envers les intérêts et les aspira-
tions de communautés particulières peut être en contradiction complète
avec des problèmes plus vastes, tels que le développement économique,
l'intégration nationale, les relations interétatiques ou, dans ce cas, l'unifi-
cation pan-africaine ».
L'auteur s'oppose ensuite au manichéisme:« Le monde n'est pas simplement
divisé en « bons » régimes révolutionnaires et en « mauvais » régimes contre-
révolutionnaires ; il y a révolution et révolution, et qui doit décider, et au nom de
quoi, qu'enfin la «véritable», la «vraie», la «bonne» révolution s'est produite ?
[ ...] Des anthropologues différents jugeraient de toute façon différemment, non
seulement à cause des éléments de la situation, mais aussi à cause de leurs
propres convictions idéologiques5• »
Les anthropologues américa.i,nssont plus nombreux à manifester leur
insatisfaction et ils le font aux Etats-Unis de manière plus violente que les
sociologues. En France au contraire les ethnologues, à part quelques
1. Le 1" Congrès international des africanistes (Dakar 1967) réclamait une africanisation de la
recherche qui a progressé depuis.
2. 1. L Horowit2 (1968).
3. On distingue trois tendances: ceux que les responsabilités sociales de l'anthropologie n'in-
téressent pas, ceux qui pensent que les contestataires ont raison de soulever le problème, enfin ceux
qui veulent aller plus loin pour des raisons politiques. I Wallerstein (1971), p. 142.
4. J.M. Lewis in Les TempsModernes(1970).
5. Op. cit., p. 1153.
PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES 3 39

exceptions 1 paraissent tranquilles dans leurs spécialités et les territoires


qu'ils se sont partagés, tandis que les sociologues s'interrogent davantage
sur leurs responsabilités.

260-1 c) La sdence politique ◊ Le congrès de l'American Political Science


Association en 1969, a marqué une étape dans la position des politistes.
D'une part un groupe de gauche présenta pour la première fois dans
l'histoire de l'association une liste d'opposition, d'autre part, le président
sortant D. Easton fit un discours sur le thème de la nécessité d'une nou-
velle révolution faisant suite au behaviorisme.Il reconnaissait les insuffi-
sances des sciences sociales, leur incapacité à traiter des vrais problèmes 2,
et proposait la création d'une Fédération des chercheurs en Sciences
humaines, consacrée à la recherche et permettant un engagement poli-
tique. Il fut accusé d'avoir voulu dans son discours de clôture, récupérer
le mouvement
En France, la Science Politique à part quelques exceptions, prône l'ob-
jectivité scientifique. La baisse d'influence du marxisme la facilitera mais
il existe d'autres influences plus camouflées.

261 d) La sdence économique ◊ La crise de la science économique se


traduit par une crise politique chez les économistes. Les conséquences de
la croissance qu'impose le système capitaliste: aggravation de l'écart
entre pays sous-developpés et pays industrialisés, crise monétaire, dégra-
dation de l'environnement physique et de la qualité de la vie, multi-
plication des conflits sociaux, etc., posent aux économistes un problème
de responsabilité. Peuvent-ils continuer à jouer le jeu en acceptant sinon
en justifiant le système, ou doivent-ils le combattre mais comment?
Les sociologues remettent en cause la société, les anthropologues la
civilisation, comment les économistes ne critiqueraient-ils pas le régime
capitaliste ? Il n'est pas surprenant de constater chez eux le même type de
réactions 3 que chez leurs collègues. Les uns se réfugient dans les abstrac-
tions, ce qui éloigne de la réalité et ne l'explique pas. La science écono-
mique a pour but de gérer un système. C'est une conception neutre.
L'idéologie en est absente, même si ce soi-disant réalisme ne tient pas
compte des réalités que sont l'histoire des conflits sociaux, l'exploitation
des pays du Tiers Monde, etc. Pour d'autres, cette soi-disant neutralité
n'est que le reflet de l'idéologie dominante. Nous retrouvons comme chez
les anthropologues et les sociologues, toutes les prises de position, depuis
la simple contestation scientifique, jusqu'à l'engagement révolutionnaire.

1. Sodologieet socialisme(1969), Les TempsModernes(1970), J. Copans (1970), H. Magdoff


(1970), Sociologie et contestation(1970).
2. Entre 1958 et 1968, l'AP.S.R. a publié 3 articles sur les crises urbaines, 4 sur les conflits
raciaux et un sur la pauvreté ID. Easton (1969), 1. Wallerstein (1971).
3. Aux États-Unis, les économistes ont plus que d'autres échappé à cette crise de conscience.
Cependant une Union of radicalpolitical Economy(U.R.P.E.) s'est constituée à la fin de 1968. Elle
s'appuie sur des mouvements de contestation assez hétérogènes.
340 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

§ 3. La recherche de l'unité
261-1 L'interdisciplinarité◊ De ce périple à travers les sciences sociales,
une double impression se dégage. D'une part, on constate que les
sciences sociales ne sont pas encore arrivées à construire une théorie de
l'Homme, leur permettant d'intégrer l'ensemble des phénomènes obser-
vés; d'autre part certains points de rapprochement apparaissent.
Des « concepts nomades» évoqués par Isabelle Stenger (1987) à la
« kleptomanie académique » décrite par Howard Becker, qui consistait à
emprunter des observations aux autres sciences, a succédé le mot d'ordre
de l'« interdisciplinaire» recélant toutes les vertus. Encore faut-il s'en-
tendre sur la conception de l'interdisciplinarité.
D'après Jean Piaget 1, il faut distinguer: la recherche pluridisciplinaire
dans laquelle plusieurs sciences collaborent chacune conservant sa spéci-
ficité; la recherche transdisciplinairequi se situe à un niveau d'abstraction
élevé, utilise des théories et concepts communs à toutes les sciences
sociales ; enfin la recherche interdisdplinaire, qui implique confrontation,
échange de méthodes, concepts et points de vue. C'est elle qui mérite
notre réflexion.
262 1 ° Interdisciplinarité entre sciences sociales et sciences de la
nature ◊ Pour J. Piaget elle doit naître de préoccupations communes,
les unes relatives aux structures, les autres aux mécanismes. Piaget note la
similitude entre les problèmes actuellement les plus importants des
sciences de la nature et ceux des sciences de l'homme, à savoir : la pro-
duction de structures nouvelles, de l'équilibre (dans le sens de régulation)
et de l'échange. Problèmes que l'on trouve en linguistique, en psycho-
logie, en économie et qui s'étudient grâce à des méthodes inspirées des
sciences de l'homme : théorie des jeux, information et cybernétique.
Toutes ces questions relèvent d'un domaine interdisciplinaire où cha-
cun se demande jusqu'à quel point l'homme contemporain dépend de
son histoire.
« Or on sait de plus en plus qu'un développement organique est bien davan-
tage qu'une histoire d'événements ... il est structuration ou organisations progres-
sives, dont les étapes qualitatives sont subordonnées à une intégration croissante.
C'est pourquoi l'histoire de la civilisation est de plus en plus une œuvre inter-
disciplinaire2 . »
Il faut admettre que les frontières entre les diverses disciplines ne sont
pas fixées une fois pour toutes. Le véritable but de la recherche inter-
disciplinaire est donc une « réorganisation des domaines du savoir, par
des échanges consistant en réalité en recombinaisons constructives».
Loin de considérer les « hybrides » comme des impasses biologiques
sans fécondité, il faut voir en eux des « recombinaisons génétiques »
mieux adaptées à un nouvel état de recherches. De bons exemples sont
1. (1965, B. 159 bis).
2. Tendances de la recherche
(1970, B. 170), p. 589.
PROBLÈMESACTUELSDES SCIENCESSOCIALES 341

ceux de la psycholinguistique, de la psychologie sociale, de l'épistémologie


génétique ou étude de la formation et de l'accroissement des connais-
sances, à laquelle collaborent psychologues, logiciens, mathématiciens,
physiciens, cybernéticiens.
263 2° Interdisciplinarité entre les diverses sciences sociales ◊ On
aurait pu penser qu'entre les sciences sociales, la collaboration serait plus
facile. Il n'en est rien. L'interdisciplinarité a certainement été gênée par
les cloisonnements universitaires, mais une autre raison explique ses dif-
ficultés. Alors que les sciences de la nature comportent une hiérarchie des
notions et des problèmes : un physicien utilise constamment les mathé-
matiques, un chimiste, la physique, rien de semblable n'existe entre les
différentes sciences sociales qui ne comportent pas d'ordre hiérarchique,
donc de soumission de l'inférieur au supérieur. Elles se sont de ce fait,
longtemps opposées au lieu de s'unir pour progresser.
La difficulté majeure des sciences sociales provient de ce que la plupart
dépendent de systèmes théoriques incompatibles entre eux et qui pour-
tant contiennent chacun une part de vérité 1.A cette opposition s'ajoute
l'absence de durée, caractéristique des «modes». M. Pagès2 (1990)
évoque les système théoriques « jetables » de plus en plus rapidement et
refuse une« modernité» comportant« l'éparpillement de centres de pro-
duction intellectuelle». La science a progressé grâce à des « erreurs recti-
fiées » en réinterprétant les théories antérieures pour les intégrer dans
une explication plus satisfaisante. Les sciences sociales doivent utiliser le
même processus d'accumulation non de modes mais de théories et d'hy-
pothèses. Pour incorporer des éléments différents, il faut commencer par
les connaître et les comprendre. Lorsqu'une discipline tend à s'identifier à
un système théorique, l'obstacle devient insurmontable. C'est le cas du
marxisme en sociologie, de la psychanalyse non seulement en psycho-
logie, mais dans la plupart des sciences sociales.
Cette attitude de domination impliquant le refus et souvent même le
mépris de l'autre est particulièrement gênante car elle ne s'exerce pas seu-
lement au niveau des grands principes théoriques opposés, mais égale-
ment à l'échelon plus pratique des théories intermédiaires 3, les plus aptes
à cerner les problèmes et à susciter des recherches 4. Le plus souvent, cette
attitude hégémonique se combine avec une pratique réductrice. On
accepte la discipline voisine mais de façon simplifiée. Pagès cite le cas de
l'homo economicus, emprunt caricatural à une psychologie primaire,
effectué par les économistes pour illustrer leur théorie de l'utilité5. Pour-
tant à l'heure actuelle on ne peut envisager une psychologie sociale, une
science politique ou une anthropologie sans recourir à la
1. Cognitivisme, psychanalyse, marxisme, fonctionnalisme, structuralisme, etc., etc.
2. Auquel nous empruntons une part de ces réflexions.
3. Théories moyennes de Merton, cf. n° 353.
4. L'expérimentation ou l'argumentation n'ont alors plus pour but de contrôler (cf. C. Bernard)
mais de démontrer.
5. J. Attali, M. Guillaume (1974) et surtout M. Bartoli (1992) qui dénonce le caractère délibéré-
ment réducteur de la science économique qu'il veut ouvrir à la multidimensionnalité.
342 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

sociologie et même à la biologie. Mais la discipline dominante utilise


l'autre soit en lui empruntant des données empiriques faciles à intégrer,
soit en tant que constante abstraite et incontestée (ex.: le besoin sexuel),
mais jamais à égalité qualitative sinon quantitative comme lieu de « pro-
cessus dynamiques». Ces disciplines périphériques 1 sont considérées
immuables, soumises au déterminisme et c'est à la discipline centrale
seule, qu'appartient le dynamisme, la capacité d'induire les changements.
C'est ainsi que les médecins construiront à leur usage une psychologie
médicale, et les sociologues et géographes une géographie et une sociolo-
gie économiques. La dilution de la psychanalyse dans les diverses sciences
sociales est l'exemple d'une mauvaise conception de l'interdisciplinarité.
Enfin cette attitude de supériorité exclut toute possibilité de critique ou
seulement d'interrogation provenant de l'extérieur. L'effet multiplicateur
de ce sectarisme gagne tous les réseaux de communication 2 des idées, et
constitue ce que R. Pagès (1986) appelle« les nœuds d'emprise » 3 • Pour
assouplir ce système bloqué, M. Pagès suggère qu'un même phénomène
soit mis en perspective de plusieurs façons (problématique multiple) afin
qu'il devienne un lieu d'observation de processus dynamiques hétéro-
gènes en interaction 4.Il propose ensuite de recourir à une notion liée à la
précédente: l'autonomierelative5, pour caractériser les phénomènes qui,
soumis à leurs propres processus, ne sont tout de même pas autonomes,
puisque en partie influencés par d'autres. C'est reconnaître à la fois la
spécificité de certains processus et leurs liens avec des domaines voisins.
Cette reconnaissance implique que la situation de l'objet observé soit
6
qualifiée de complexe , c'est-à-dire lieu où cohabitent des problématiques
différentes.
Ceci est intéressant seulement si l'on admet que deux propositions dia-
lectiquement opposées ne sont pas forcément contradictoires.
La première étape d'une collaboration utile consiste, pour chaque
science, à connaître le service que les autres peuvent lui rendre, c'est-à-
dire pour les représentants de chacune, à savoir poser leurs problèmes
dans des termes accessibles aux autres. C'est une question de connais-
sances et de langage 7•
Les contacts interdisciplinaires seront enrichissants dans la mesure où
chacune des sciences pourra faire profiter les autres de certains concepts,
de dimensions, qui, utilisées dans un cadre nouveau, permettront de
poser de nouvelles questions. Il faut chercher à obtenir, comme le dit
G. Palmade (1961), des « concepts transpécifiques 8 » utilisables sans
1. M. Pagès parle de« disciplines.-moignons ».
2. Éditeurs, média et même l'université.
3. Robert Pagès, psychosociologue homonyme de Max Pagès.
4. M. Pagès prône« l'analyse dialectique» (1990), cf. sur la dialectique n°' 393 et 394.
5. Sur les notions d'autonomie relative, de problématique multiple, cf. M. Pagès (1986).
6. Cf. E. Morin (1990).
7. Mais il faut aussi se méfier des emprunts au niveau du langage. Ex.: la regrettable invasion de
termes économiques en sciencepolitique.
8. Le terme conduitepar exemple.
PROBLÈMES ACTUELS DES SCIENCES SOCIALES 343

qu'ils perdent leur signification en passant d'une science à l'autre et en


atteignant un niveau d'abstraction plus élevé.
Mais il faut reconnaître la difficulté d'un tel projet. « Extraire un
concept du contexte dans lequel il a pris naissance, l'articuler à d'autres
provenant d'autres terrains n'est pas une opération innocente» 1.L'inter-
disciplinaire devra progresser avant que les sciences sociales n'atteignent
le transdisciplinaire.
Sur le plan pratique, la meilleure façon d'atteindre la première étape,
consiste d'abord à travailler en commun le plus souvent possible. L'inter-
disciplinaire, sur le terrain, ne présente pas les mêmes inconvénients que
dans l'abstrait Car sur le terrain, on ne se contente pas de juxtaposer les
points de vue, l'on est bien obligé de les intégrer. En dehors de cette
confrontation, l'échange peut être utile sur le plan des techniques, car les
sciences sociales ne les ont pas également toutes perfectionnées. Ici
encore, il faut se tourner vers les spécialistes.
Lazarsfeld notait que sociologues et psychologues pratiquaient interviews et
enquêtes par questionnaires, alors que les économistes les employaient souvent
avec maladresse. Les historiens connaissent mal les avantages de l'analyse du
contenu. En revanche, les économistes, depuis cinquante ans, ont mis au point la
construction d'indices, alors que les sociologues, trop souvent en ce domaine, se
contentent d'approximations. On peut donc souhaiter, que chaque discipline
profite des progrès rendus possible, par une technique perfectionnée dans un
autre domaine.
Ceci est important, car on verra l'influence des techniques et de la
façon de recueillir les données, sur la nature des données elles-mêmes.
L'utilisation de nouvelles techniques signifie donc l'accès à de nouveaux
matériaux, la construction de variables supplémentaires, c'est-à-dire,
finalement, la découverte de nouveaux problèmes.
La constatation que les sciences humaines ne sont pas encore inté-
grées, mais demeurent à un stade de collaboration élémentaire, ne doit
pas faire négliger la seconde impression qui se dégage de leur étude : une
certaine convergence, non seulement due à leur objet, l'homme en
société, mais à leur orientation actuelle.
Toutes les sciences sociales cherchent finalement des réponses au même
genre de problèmes. Si leur formulation est différente, du fait de leurs
objectifs particuliers et de leurs degrés de maturation inégaux, on peut
considérer qu'une même orientation les inspire. Devant la complexité des
problèmes, les politiques ont de plus en plus tendance à recourir aux
experts. Les résultats des évaluationsque l'on multiplie offrent un moyen
commode d'échapper à la responsabilité des décisions. Cette tendance
satisfait le désir des chercheurs de jouer un rôle actif de conseillers. Mais
s'il appartient aux experts d'étudier la situation, d'indiquer les diverses
solutions possibles, ils ne devraient en aucun cas se substituer aux poli-
tiques, seuls responsables des objectifs et du choix des moyens.
Ceux-ci ne peuvent être déterminés qu'en fonction d'un système de
valeurs ne relevant pas du domaine de la science, mais pour lequel les tech-
niques demeurent un précieux instrument de connaissance scientifique.
1. M. Pagès, op. dt. (1990).
344 LES DIFFÉRENTESSCIENCES SOCIALES

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LIVRE2

LA LOGIQUE
DE LA RECHERCHE
DANS LES
SCIENCESSOCIALES
LES CONFLITS DE MÉTHODES 3 51

CHAPITRE1
LESCONFLITSDE MÉTHODES
« Ainsi la tâche n'est point de contemplerce que
nul n'a encorecontemplémais de méditer comme
personne n'a encore médité sur ce que tout le
mondea devant lesyeux.»
Schopenhauer.
265 Définitions. 1° La méthode et les méthodes ◊ L'on ne peut qu'être
frappé de l'extrême désordre régnant en ce domaine. La plupart des
auteurs distinguent la méthode, des méthodes 1.On trouve cependant ce
terme utilisé pour caractériser des procédés qui se situent à des niveaux
très différents, quant à leur inspiration plus ou moins philosophique, à
leur degré d'abstraction, leur but plus ou moins explicatif, leur action sur
des étapes plus ou moins concrètes de la recherche et le moment où elles
se situent. Nous proposons ici une classification sans doute très impar-
faite, mais qui aura au moins l'avantage, du point de vue pédagogique, de
permettre aux étudiants de situer les méthodes à leur niveau lorsqu'ils
rencontreront l'une ou l'autre, à propos des nombreux problèmes qui les
mettent en cause (cf. tableau p. 310).
a) La méthode au sens philosophique2. Au sens le plus élevé et le plus
général du terme, la méthode (au singulier) est constituée de l'ensemble
des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à
atteindre les vérités qu'elle poursuit, les démontre, les vérifie. Cette
conception de la méthode dans le sens général de procédure logique, inhé-
rente à toute démarche scientifique, permet de la considérer comme un
ensemble de règles indépendantes de toute recherche et contenu parti-
culier, visant surtout des processus et formes de raisonnement et de per-
ception, rendant accessiblela réalité à saisir. Il s'agit de points de vue phi-
losophiques définissant la position de l'esprit humain devant l'objet.
b) La méthode, attitude concrètevis-à-vis de l'objet. - La position philo-
sophique est alors plus ou moins sous-entendue. Dans ce cas, la méthode
dicte surtout des façons concrètes d'envisager ou d'organiser la recherche,
mais ceci de façon plus ou moins impérative, plus ou moins précise,
complète et systématisée. Toutes les méthodes n'influencent pas de la
même manière, les mêmes étapes de la recherche. La méthode expéri-
1. Les Américains utilisent le terme de procédures là où nous employons méthodes (au pluriel),
mais cette substitution n'ajoute aucune clarté. C'est ainsi que John C. Mc. Kinney in H. Becker and
A. Boskoff (1957, B. 170) distingue cinq procédures faisant partie de la méthodologie des sciences:
les procédures statistique, expérimentale, typologique, historique et l'étude des cas. Cette liste n'est ni
complète ni homogène. Comment situer sur le même plan la statistique, la méthode expérimentale
et la méthode des cas ?
2. Sur cette notion de méthode liée à la logique et à l'épistémologie, cf. n• 377, Livre 1.
352 LESCONFLITSDE MÉTHODES

mentale, par exemple, suppose la croyance en l'empirisme et dicte ses


impératifs au stade de l'observation, comme du traitement des données.
En revanche, la méthode clinique, en tant qu'elle vise un diagnostic et une
thérapeutique, s'intéresse aux résultats, mais correspond surtout à une
attitude mentale; elle ne dicte par elle-même aucune manipulation parti-
culière.
c) La méthode liée à une tentatived'explication. Elle se rattache plus ou
moins à une position philosophique et peut influencer telle ou telle étape
de la recherche : la méthode dialectique est empirique et implique des
observations concrètes.
Ces méthodes ont ceci de commun : elles visent avant tout un schéma
explicatif, qui peut être plus ou moins étendu et se situer à un niveau de
profondeur très différent. C'est le cas par exemvle des méthodes dialec-
tique, fonctionnelle et de la méthode historique .
d) La méthode liée à un domaineparticulier.- Le terme de méthode est
justifié, lorsqu'il est attaché à un domaine spécifique et comporte une
manière de procéder qui lui est propre : la méthode historique, la méthode
psychanalytique. On est parfois tenté d'élargir cette notion ainsi restreinte
de méthode et de la confondre avec celle de théorie. Ceci s'explique par le
fait que les méthodes psychanalytiques et d'autres encore, se rattachent
également à une conception théorique d'ensemble de la psychologie ou de
la société. Il faut cependant éviter de confondre ces deux aspects. Toute
théorie implique des problèmes liés au contenu spécifique qu'elle ordonne
et possède un caractère substantif. La théorie définit plutôt le «quoi?»,
alors que, sans doute liés au contenu, mais d'une autre façon, les pro-
blèmes de méthode donnent une réponse à la question « comment ? ».
Dans un sens restreint, pour dégager un élément commun à toutes ces
méthodes, on dira que l'on peut considérer la plupart d'entre elles comme
un ensemble concerté d'opérations, mises en œuvre pour atteindre un ou
plusieurs objectifs, un corps de principes présidant à toute recherche orga-
nisée, un ensemble de normes permettant de sélectionner et coordonner
les techniques. Elles constituent de façon plus ou moins abstraite ou
concrète, précise ou vague, un plan de travail en fonction d'un but.
266 2° Les techniques ◊ Toute recherche ou application de caractère scien-
tifique en sciences sociales comme dans les sciences en général, doit
comporter l'utilisation de procédés opératoires rigoureux, bien définis,
transmissibles, susceptibles d'être appliqués à nouveau dans les mêmes
conditions, adaptés au genre de problèmes et de phénomènes en cause. Ce
sont là des techniques. Le choix de ces techniques dépend de l'objectif
poursuivi, lequel est lié lui-même à la méthode de travail. De cette inter-
dépendance naît souvent une confusion entre les termes technique et
méthode, qu'il convient de distinguer, or le langage courant tend à
employer indifféremment l'un ou l'autre. On vantera telle méthode pour
apprendre le russe, le ski en cinq leçons, etc.
La technique est, comme la méthode, une réponse à un« comment?».
C'est un moyen d'atteindre un but, mais qui se situe au niveau des faits
1. Cf. n°' 356 et s.
LESCONFLITSDE MÉTHODES 3 53

ou des étapes pratiques. Au départ elle est gestuelle : technique du boulan-


ger, du pianiste. Elle peut aussi marquer des étapes intellectuelles : tech-
nique du théâtre, de l'interview. La frontière devient alors difficile à tracer.
Ce que l'on peut dire, c'est que la techniquereprésenteles étapesd'opérations
limitées,liées à des éléments pratiques, concrets, adaptés à un but défini,
alors que la méthode est une conceptionintellectuellecoordonnant un
ensemble d'opérations, en général plusieurs techniques.
Chaque joueur de tennis possède une technique ou des techniques : revers,
drive, service, façon de poser ses pieds, de tenir sa raquette, de faire tel geste. Cha-
cun utilise sa technique en fonction d'une méthode: fatiguer l'adversaire dès le
début, jouer du fond du court ou au filet, etc. La méthode est avant tout réflexion,
elle utilise et organise les techniques qui sont concrètes, en fonction du but :
gagner 1.
Les techniques ne sont donc que des outils, mis à la disposition de la
recherche et organisés par la méthode dans ce but. Elles sont limitées en
nombre et communes à la plupart des sciences sociales.
267 L'approche o L'approche, au sens figuré, concerne une démarche intellec-
tuelle. Elle n'implique pas les étapes systématisées, visibles, de la technique, ni la
même rigueur intellectuelle que la notion de méthode. Elle est surtout une atti-
tude, comportant souplesse, prudence, et caractérisée par un état à la fois de
grande vigilance et de grand respect pour l'événement ou l'objet. On ne songerait
pas à faire état de la technique de l'indien ou de la méthode du chien de chasse.
L'approche c'est cela et c'est pour~uoi on parlera facilement d'approche clinique,
parce qu'il s'agit là d'une façon d'etre et d'observer, caractérisée par un état d'es-
prit ylus que par des étapes rigides, comme c'est souvent le cas dans la méthode
experimentale.
L'approche, c'est la méthode et la technique en pointillé, non pas asse-
nées en bloc, mais utilisées à doses homéopathiques, pour l'étude d'objets
fragiles, aux réactions imprévisibles.
268 Limites des méthodes et techniques ◊ Les techniques sont des
moyens d'aborder les problèmes, lorsque ceux-ci sont précisés. Leplus dif-
ficile et l'essentiel c'est, comme on ne le répétera jamais assez, de poser les
bonnes questions. On ne peut, dans un ouvrage intitulé Méthodes, se
contenter de passer en revue des techniques, car la technique sans
méthode ne suffit pas. Il y a plus, pour mener à bien une recherche, la
méthode elle-même ne suffit encore pas. Ce n'est en effet qu'un« com-
ment», utilisable en fonction d'un but, c'est-à-dire lié au contenu du
domaine à étudier, aux problèmes qui se posent.
Imaginons un chasseur ; sa méthode est efficace dans la mesure où elle lui per-
met de tuer et rapporter le maximum de gibier. S'il n'est qu'un excellent tireur,
possédant seulement une bonne technique acquise dans un stand de tir, il n'at-
teindra pas ce but. Il lui faut encore une bonne méthode, c'est-à-dire une stratégie
adaptée au terrain, au temps qu'il fait, aux habitudes du gibier, à la psychologie de
son chien, etc. La conception même d'une méthode, exige qu'il tienne compte de
tous ces éléments, des problèmes qu'ils posent, donc qu'il les connaisse.
1. La méthode pour gagner est une stratégie.
354 LESCONFLITSDE MÉTHODES

De même, un étudiant possédant seulement la technique de l'interview


ou des échelles d'attitude en laboratoire, risque, lui aussi, d'être peu effi-
cace sur le terrain. Ne connaissant pas les problèmes il ne saura pas que
chercher. Pour se servir efficacement des techniques, il faut connaître les
méthodes qui les utilisent et les coordonnent mais aussi avoir une idée des
buts, des objectifs, c'est-à-dire des sciences dont elles font partie, du
domaine auquel vont s'appliquer ces méthodes.
On ne peut ici étudier les diverses sciences sociales : l'histoire, la socio-
logie, etc., dont on a donné un aperçu (cf. chap. IV). Mais il est possible
de définir les grandes lignes communes aux méthodes, leurs particularités
en fonction de leur nature, de l'objet de ces sciences et du point de vue
auquel elles se placent pour l'étudier. Le même objet vu de près ou de loin
exige une accommodation différente de la vision. La méthode, c'est en
quelque sorte une« accommodation intellectuelle» à l'objet.

269 Bibliographie ◊
BECKER (A) and BosKoFF (A.) 1957. - Modem sodologicaltheory (B. 170).
BouooN (R.) 1969. - Les méthodesen sociologie,P.U.F., 128 p.
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Becker and Boskoff: Modern sociological theory, pp. 186 à 236.
MORIN(E.) 1980. - La méthode,4 tomes, Seuil.

SECTION1. HOLISMEOU INDIVIDUALISME

2 70 Un vieux débat ◊ Sous des formes différentes suivant les époques res-
surgissent les vieux débats : en psychologie celui de l'acquis et de l'inné, en
sociologie, les rapports de l'individu et de la société. Le débat entre
holisme et individualisme méthodologique repris par les anglo-saxons, est
parvenu en France où il a provoqué ces dernières années de nombreuses
discussion. Pour Boudon, on l'a vu (cf. n° 165 bis) il s'agirait sans doute
du principal debat méthodologique de ce temps. L'individualisation béné-
ficierait d'un regain d'intérêt dû aux impasses auxquelles aurait abouti le
holisme. On n'y reviendra pas pour aborder ici d'autres oppositions:
nomothétique ou idiographique, clinique ou expérimental, enfin qualita-
tif ou quantitatif.
NOMOTHÉTIQUE, IDIOGRAPHIQUE 3 55

SECTION2. NOMOTHÉTIQUE,
1
IDIOGRAPHIQUE
271 Comparaison ◊ Les sciences sociales en général et la sociologieen par-
ticulier ont toujours été considérées comme des sciences nomothétiques,
c'est-à-dire étudiant l'aspect général, régulier et récurrent des phéno-
mènes et pouvant à défaut d'énoncer les lois, du moins généraliser et par-
fois prévoir. Cependant toute science revêt également un aspect idio-
graphique, c'est-à-dire comporte l'étude d'un certain nombre de faits
particuliers. A une époque où la recherche concrète venait à l'ordre du
jour, il était normal que la part, jusque-là dominante, de la méthode
nomothétique, fût remise en question.
Le problème fut posé lors de la parution en 1919, d'un important ouvrage sur
le paysan polonais. Les auteurs, F. Thomas et W. Znaniecki 2 (1918) concevaient
leur étude comme une recherche scientifique, tenant compte à la fois des facteurs
objectifs et des comportements subjectifs qui influençaient la vie sociale. Ils vou-
laient, à partir de ceux-ci, vérifier leurs hypothèses, tirer des généralisations appli-
cables à d'autres situations sociales. Ils désiraient avant tout, faire reconnaître la
valeur méthodologique des documents personnels (lettres, biographies) qu'ils uti-
lisaient et considéraient comme« le type parfait du matériau sociologique». Les
historiens avaient certes beaucoup utilisé ce genre de documents, mais d'un point
de vue limité, faute de formation psychologique et sociologique. Les psychologues,
à leur tour, avaient tenté d'interpréter nombre de ces données, alors que les socio-
logues s'étaient abstenus jusqu'à l'ouvrage de Znaniecki. Un certain type de
«behaviorisme», à la recherche de faits objectifs et d'attitudes extériorisées,
détournait les auteurs d'éléments aussi manifestement subjectifs.
Les déclarations de Thomas et Znaniecki, révolutionnaires en 1929, anti-
cipaient simplement sur l'évolution des techniques sociologiques. En particulier la
part faite aux attitudes était une innovation. Les réactions que suscita le rapport de
Blumer au Conseil des sciences sociales, sur les méthodes employées dans l'étude
sur le paysan polonais furent si vives, qu'elles aboutirent à la création d'un tribu-
nal d'experts, com~sé d'un psychologue 3, d'un historien 4,d'un anthropologue 5
et d'un sociologue . Ces auteurs conclurent leurs deux volumes de commentaires,
en déclarant qu'à condition de s'entourer de précautions scientifiques, l'utilisa-
tion de documents personnels n'était pas seulement possible mais indispensable.
272 Conséquences du conflit ◊ Si cette querelle méthodologique eut un
tel retentissement, c'est qu'elle posait tout le problème de la généralisa-
tion à partir des cas particuliers, remettant en cause la technique, si prati-
quée aux États-Unis, des casesstudies.
Sur le plan de la méthode, les casesstudiesdont les documents personnels sont
une variété, tentent une approche à la fois globale et détaillée d'une situation ou
1. Idiographique =individuel; nomothétique = universel. Ces termes ont été empruntés par Ali-
port au philosophe allemand Windelband.
2. Cf. H. Z. Lopata (1976), également la bibliographie du n° 580 bis.
3. G. W. Allport (1951).
4. L. Gottschalk (1954).
5. Clyde Kluckhohn (1954).
6. R. Angell (1954).
356 LESCONFLITS DE MÉTHODES

d'un individu, c'est-à-dire qu'elles veulent tout connaître de ce qui est particulier,
estimant pouvoir ensuite genéraliser et même prévoir.
Si les sociologues ont toujours admis l'intérêt des documents personnels, ou
des faits particuliers, en tant que données utiles à l'étude du passé, ou encore à
titre de matériaux servant à une étude descriptive, ils n'étaient pas d'accord pour
reconnaître leur valeur sur le plan de la méthodologie scientifique, en particulier
en ce qui concerne la prévision et la généralisation.

L'intérêt présenté par ces histoires vécues est rarement « nomothé-


tique », c'est-à-dire que leur but essentiel n'est pas la découverte de lois.
Cependant elles peuvent tout de même y conduire. En permettant une
connaissance approfondie d'un individu particulier, elles peuvent susciter
une hypothèse d'ordre général. G. W. Allport (1951) soutient« que l'on
peut faire de meilleurs pronostics sur le comportement d'un individu en
analysant sa propre histoire, plutôt qu'en lui appliquant des lois générales,
tirées simplement de l'étude de populations appartenant au même milieu
social ».
273 Position des rationalistes ◊ Les rationalistes ne croient pas à une
vérité perçue par nos sens. Opposés aux empiristes, ils sont hostiles aussi
bien à la recherche des données qualitatives, qu'à la quantification. La
plupart pense que la nature qualitative des données des sciences sociales
rend impossible leur assimilation aux sciences naturelles, donc leur valeur
nomothétique.
2 74 Position des empiristes ◊ C'est la rencontre du positivisme, de la sta-
tistique et de la methode idiographique qui va, assez paradoxalement, pré-
parer la quantification des sciences sociales et réconcilier les partisans du
nomothétique et de l'idiographique, du quantitatif et du qualitatif. En
effet, les positivistes virent dans la statistique un moyen d'obtenir des
matériaux objectifs, semblables à ceux des sciences naturelles. Les statisti-
ciens, opposés a priori, à cette méthode des cas particuliers, lui ont finale-
ment apporté leur concours. En effet, à partir du moment où la statis-
tique 1 dépassait le stade de la description, de la simple représentation
quantifiée, elle permettait, grâce aux corrélations entre des données parti-
culières, d'extrapoler scientifiquement du particulier au général, redon-
nant ainsi une possibilité de généralisation à la méthode idiographique.
Quant à celle-ci, tout en continuant à défendre l'intérêt du cas particulier,
sous son aspect qualitatif, elle apportait tout de même des matériaux, qui,
triturés par les techniques diverses, mis sur cartes perforées, devaient un
jour aboutir à des résultats quantifiés.
La reconnaissance du qualitatif, du cas particulier comme source de
quantification, donne certes une plus grande valeur aux recherches de
cette nature, mais tend à détruire la méthode idiographique en tant que
telle, c'est-à-dire comme méthode de généralisation du cas particulier, par
ses qualités essentielles. Autrement dit, elle favorise l'induction énuméra-
1. Y. Lerne! (1984).
NOMOTHÉTIQUE, IDIOGRAPHIQUE 3 57

tive, au détriment de l'induction analytique. On ne généralise pas tel cas


particulier, parce qu'une recherche approfondie permet de découvrir ce
qui est essentiel, mais parce que dans de nombreux cas particuliers on a
découvert le même processus. Par exemple, au lieu de chercher les modifi-
cations qu'entraîne le chômage du mari sur les rapports entre époux, dans
un seul couple étudié de façon complète, on cherchera les variations du
comportement de nombreux couples. La réconciliation du qualitatif de
l'idiographique et du quantitatif, ainsi que nous le verrons, implique leur
complémentarité. Elle permet d'utiliser le cas particulier en étude appro-
fondie, soit pour suggérer des hypothèses, que la recherche quantitative
vérifiera, soit pour donner un sens aux données que propose cette der-
nière.
La question dépasse de beaucoup le simple problème d'une validité des
techniques. Comme le dit G. Granger (1967) « Le statut d'une connais-
sance de l'individuel, est la difficulté majeure d'une épistémologie des
sciences humaines: [ ...] ou il y a connaissance de l'individuel mais elle
n'est pas scientifique - ou bien il y a science du fait humain, mais qui
n'atteint pas l'individu 1.» « En admettant que la pensée scientifique
consiste à construire un objet, un concept détaché de l'intuition immé-
diate, elle ne peut cependant s'abstraire indéfiniment. Elle passe par l'évé-
nement, le contact avec le monde, l'autre, les autres. Pour tenter de
résoudre le problème, les sciences humaines ont inventé une méthode qui
leur est propre : la méthode clinique. »
275 Bibliographie 2 ◊
ALI.PORT(G. W.) 1951. - The use of personal documents in psychological
science,prepared for the Committee on Appraisal of Research, New
York, Social Science Research Council, Bull. n° 49.
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graphic ? », Psychologicalreview,60, pp. 803-810.
BEITTAUX(O.) 1976. - Histoiresde vie ou récitsdepratiques: méthodologiede
l'approchebiographiqueen sociologie,Paris, C.O.R.D.E.S.
- 1977. - « Comment l'approche biographique peut transformer la pra-
tique sociologique », Rechercheséconomiqueset sociales,n° 6.
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potentialités », Cahiersinternationauxde sociologie,vol. LXIX.
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approach to personality theory », Psychological Review63, 53-52.
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GOTTSCHALK
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GARRATYA.) 1957. - The nature of biography,New York, Knopk.
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SocialScienceResearchCouncil,Bull., n° 53.
**GRANGER (G.) 1967. - Penséeformelle et sciencesde l'homme, Aubier
Montaigne, 226 p.
1. G. Granger (1967), p. 185.
2. Cf. également n° 580-1.
358 LESCONFLITS DE MÉTHODES

*GRAWITZ (M.) 1987. - « Un domaine à vocation pluridisciplinaire: les


documents personnels (biographies, autobiographies et récits de vie)»,
Mélangesen hommagede MauriceDuverget,P.U.F., pp. 314-341.
- « Histoires de vie et vie sociale », 1980 - Cahiersinternationauxdesocio-
logie,n° spécial (vol. LXIX).
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PINEAU (G.) 1980. - Vie des histoiresde vie, Univ. de Montréal, 61 p.
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aspects déontologiques», Ethn. franç., 8, n° 4.
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social», Cahiersintem. de sociologie, vol. LXIX.
WILLER (Dand E.) 1973. - SystematicEmpiricism:critiqueof a pseudo-
science,Englewood Cliffs, 14 5 p.

SECTION3. MÉTHODECLINIQUE,
MÉTHODEEXPÉRIMENTALE
276 Notion générale ◊ L'observation clinique est traditionnelle en méde-
cine. Elle signifie littéralement: étude pratiquée au« chevet du malade».
A l'heure actuelle, on assiste, sous le terme« d'approche clinique», à une
extension de la conception et de l'utilisation de ce que l'on considère
moins comme une technique structurée, que comme une façon d'agir, de
sentir, de procéder.
L'objet de la méthode clinique 1 est l'étude approfondie de cas indivi-
duels, c'est-à-dire des déterminants héréditaires, biographiques, géné-
tiques, de la conduite du sujet observé.
La méthode expérimentale en psychologie et à plus forte raison en psy-
chologie sociale, s'applique plutôt à l'étude de l'homme en général, à la
1. L'expression a été utilisée pour la première fois en 1896 par L. Witmer, psychologue améri-
cain.
MÉTHODECLINIQUE, MÉTHODEEXPÉRIMENTALE 3 59

recherche d'interactions entre son comportement et la situation, bref, elle


recherche des généralisations.
Cette différence d'objet implique les différences dans les buts et les
moyens. La méthode clinique, tout en demeurant scientifique, poursuit
un but pratique : elle doit émettre un jugement ou un diagnostic, suivi le
plus souvent d'une prescription thérapeutique, bref guérir ou aider le sujet
à vivre. Le succès ou l'échec constituent la sanction redoutable de la
méthode.
On peut cependant admettre une approche clinique, sans application
véritablement thérapeutique, du moment que l'esprit de la méthode, ses
caractéristiques, sont présentes, comme l'on admet une méthode, expéri-
mentale par sa logique, sans expérimentation concrète.
En sciences sociales, les difficultés de l'expérimentation, la complexité
des facteurs humains, leur interdépendance, orientent souvent les cher-
cheurs vers la méthode clinique. Sa caractéristique est la primauté de l'in-
formation et de l'observation, portant sur la totalité des manifestations
d'un être humain ou d'un groupe humain concret, placé « en situation et
en évolution 1 ».
La méthode clinique utilise d'une part l'anamnèse: connaissance du
passé du sujet, grâce aux documents personnels, aux récits du sujet lui-
même et d'autre part l'observation de ses réactions« en situation» ou en
laboratoire, par des tests et examens complémentaires.
L'investigation clinique, déclare D. Lagache2, suit la loi du travail de la pensée,
formulée par Jaspers, c'est« une oscillation entre l'interprétation d'ensemble et
l'investigation de détail, jusqu'à l'atteinte d'un équilibre».
Mais cet équilibre est difficile à atteindre. L'histoire de la médecine, son
évolution actuelle montrent l'orientation en deux tendances : le déve-
loppement d'une véritable science biologique, et une pratique magique,
qui trouve aujourd'hui son expression dans le développement de la psy-
cho-somatique 3 • La psychanalyse constitue un autre exemple de la diffi-
culté de construire une théorie scientifique à partir de l'individuel.
E. Nagel remarque dans sa critique, que les théories psychanalytiques sont
formulées de telle manière qu'elles ne puissent être réfutées par les faits 4 ;
la sanction du résultat thérapeutique est la seule barrière qui la préserve
encore des divagations et des mythes, pense G. Granger 5.
Le problème épistémologique capital c'est d'expliquer comment cette
situation peut se développer dans un registre d'authentique connaissance,
sans dégénérer en une technique brute d'objectivation mécanique, ni en
une pratique incantatoire.
En effet la communication qu'implique le rapport interindividuel crée
des risques, celui de voir la situation clinique vécue uniquement sur le
1. A. Rey (1964), G. Granger (1967), E. H. Schein (1987).
2. D. Lagache (1949).
3. psyche = âme, soma =corps. Médecine qui concerne les fixations organiques des conflits psy-
chologiques.
4. In G. Granger (1967).
5. Op. dt., p. 190.
360 LESCONFLITS DE MÉTHODES

mode magique. La présence du médecin (ou de l'ethnologue) est parfois


aussi ou plus importante que la thérapeutique prescrite.

277 Limites des deux méthodes ◊ D'après D. Lagache, on reproche à la


méthodecliniquede n'être pas assezthéorique,ni assez générale,du fait que,
par définition, elle se préoccupe de cas particuliers. Cependant le praticien
se réfère toujours plus ou moins implicitement à un lot de connaissances
théoriques et générales, qui font partie de son expérience même. Mais
l'aspect concret, l'urgence des problèmes à résoudre, le détournent des
conceptions théoriques, qui, le plus souvent, ne recouvrent pas les pro-
blèmes posés.
Il ne faut pas ajouter aux limites réelles de la méthode clinique, des reproches
injustifiés d'impressionnisme ou de manque de rigueur. Ce que l'on appelle « le
sens clinique», ce qui permet à tel médecin d'avoir dans les cas douteux un dia-
gnostic plus sûr, n'est pas une simple intuition. Celle-ci dont le rôle est certes
indéniable, est elle-même le fruit d'une expérience, d'une observation constante et
d'une grande rigueur dans l'interprétation des résultats : radiographies, analyses,
etc.
Le clinicien doit être rigoureux, mais cette rigueur s'exerce dans l'observation et
l'interprétation des faits, c'est-à-dire qu'elle est surtout mentale. Il doit rarement
agir, isoler et manipuler des variables. Dans l'expérimentation, au contraire, l'opé-
ration elle-même, l'utilisation des outils, etc. exigent un contrôle systématique et
une précision, appliqués aux diverses étapes concrètes.
En revanche, on reproche à la méthodeexpérimentalede n'étudier les
situations ou individus que par fragments,puisque l'expérimentation vise
à isoler des variables et d'être artificielle,puisqu'elle travaille surtout en
laboratoire. Ces critiques faites aux deux méthodes, nous démontrent leur
complémentarité. Elles sont solidaires en sciences sociales comme en
médecine.
Dans l'importante étude de T. W. Adorno (1950) sur La personnalitéauto-
ritaire1, les auteurs déclarent se servir des deux méthodes, car ils obtiennent par la
méthode clinique, profondeur et clairvoyance, alors que la méthode expérimentale
et la méthode statistique, quantitative, leur apportent la sécurité d'une généralisa-
tion.
Les enquêtes de diagnostic et d'exploration montrent que l'approche clinique
est probablement la plus adéquate pour inspirer les recherches concrètes, non seu-
lement lorsqu'il s'agit de certains cas individuels, mais également dans les
enquêtes sur le terrain et en particulier dans le domaine, aujourd'hui en expan-
sion, de l'intervention psychosociologique.
L'opposition entre nomothétique et idiographique, posait indirectement le
conflit important du qualitatif et du quantitatif. Conflit de méthode, mais pro-
bablement de tempérament, de famille d'esprit, autant que de conception et de
domaine.

1. (B. 478).
1
2 77 -1. - Tentative de présentation des diverses méthodes

Positions philosophiques Conséquences


impliquant une attitude vis-à-vis de la recherche Généralisations Liées
vis-à-vis de la réalité aux divers stades Tentatives Régularités à un
d'explication Prévisions domaine
Nature Traitement Lois particulier
Empirisme Rationalisme Observation
des données des résultats

Inductive ............... + + + - - +
Déductive ............... + - - - - +
Empirique .............. + + - + +
Rationaliste ............. - - - + + m,
==
,-j
Nomothétique ........... + - - - - + :i::
Idiographique ........... + + - particulière discutée 0
Qualitative .............. + + + discutée 0
+ - - m
Quantitative ............ + + + - + n
Expérimentale ........... + + + + particulière +
+ C:
Clinique ................ + - - particulière discutée z
Dialectique ............. + + + ,Ô
- - - c:::
Statistique .............. - + + - +
Comparative ............ type - - + - discutée .!"1
type
Typologique ............. concret idéal type type + discutée discutée m,
==
concret concret ,-j

Fonctionnelle ........... + - + + discutée :i::


Génétique .............. discutée + + + + 0
+ 0
Historique .............. + - + + + discutée m
+ m
Psychanalytique ......... + + + + discutée
Sociométrique ........... + + + discutée ~
m,
e:
1. commentairedu tableau. m
==
Il ne s'agit évidemment pas ici d'un tableau rendant compte de façon exhaustive de toutes les différences caractérisant les diverses méthodes, mais seulement
d'indiquer aux étudiants comment on peut situer leur point de départphilosophiqueou non, leur influencesur la rechercheet leur ambition quant à leur possibilité
d'explication. ~
• a) le point dedépart philosophique. m
La plupart des mél:hodes étant des moyens d'appréhender l'objet, impliquent une prise de position philosophique, mais celle-ci peut être plus ou moins
directe et contraignante. Très schématiquement les méthodes sont issues du rationalisme ou de l'empirisme (position actuellement la plus répandue), c'est w
pourquoi la plupart exercent ou prétendent exercer une certaine influence sur les étapes de la recherche et en particulier sur l'obsetvation. 0,.
b) L'observation. ~

L'influence exercéepeut différer d'une méthode à l'autre, nous indiquons seulement d'une croix le fait que la méthode implique un certain type d'observation.
(Suite pagesuivante)
362 LESCONFLITS DE MÉTHODES

278 Bibliographie ◊
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96 p.

SECTION4. QUALITATIFET QUANTITATIF

Évolution des sciences sociales


§ 1.
et des mathématiques
279 Mathématiques et Sciences Sociales ◊ L'utilisation des mathéma-
tiques dans les sciences sociales, s'est heurtée aux obstacles que nous
avons déjà soulignés : d'une part la difficulté majeure que constitue l'ina-
daptation de l'outil mathématiqueaux sciences humaines; d'autre part,
l'hostilité de ceux qui, ne connaissant pas les mathématiques répugnent à
les utiliser ; enfin, l'excèsdezèlede certains, qui, par souci de modernisme

Note du tableau Page 361


Les méthodes statistiques et historiques ne se préoccupent pas de l'observation, les méthodes
comparative, nomothétique et sans doute rationaliste la permettent, sans y attacher de conditions
particulières. La typologie concrète implique au contraire une observation que la typologie idéaliste et
la génétique revendiquent mais qui est dans ces deux derniers cas discutable.
c) La naturedes donnéesrecueillies peut également dépendre de la méthode. C'est ainsi que la sta-
tistique ne se préoccupe pas d'observation mais exige des données quantifiables. La méthode fonc-
tionnelle observe, mais ne se montre pas exigeante sur la nature des matériaux recueillis.
d) Quant au traitement des donnéesen vue des résultats, il est d'autant plus important que la
méthode est plus concrète, quantitative, ou spécifique, c'est-à-dire dépendant d'un point de vue par-
ticulier, c'est le cas de la psychanalyse (spécifique) et de la sociométrie (quantitative).
e) En ce qui concerne les tentativesd'expücation,elles sont soit larges, cas du rationalisme, de l'em-
pirisme, de la dialectique, de l'histoire, soit limitées à un cas particulier, méthodes cliniques et expé-
rimentales ou à un domaine particulier, psychanalyse, ou encore elles ne visent pas l'explication, cas
de la méthode comparative et surtout de la statistique et des méthodes quantitatives et qualitatives
qui ne se situent pas à ce niveau mais seulement à celui des moyens ou options qu'utilisent d'autres
méthodes plus ambitieuses.
OEnfin en ce qui concerne la prévision,les régularités,les méthodes, au sens le plus philosophique
du terme, sont naturellement portées à les revendiquer et le débat, nous l'avons vu, a été particulière-
ment vif entre le particulier et le général (idiographique, nomothétique).
Nous ne prétendons pas satisfaire les représentants de toutes les théories par ces réflexions qui
sont seulement des indications. Le seul fait d'avoir posé le problème, même imparfaitement, permet-
tra aux étudiants d'en discuter les termes de façon utile.
QUALITATIFET QUANTITATIF 363

prônent les mathématiques, sans se préoccuper de l'importance des pro-


blèmes abordés, ni de la portée des résultats obtenus. Nous laisserons de
côté ici les difficultés purement psychologiques, pour nous préoccuper du
problème essentiel : les sciences sociales peuvent-elles bénéficier del' outil
mathématique ? A cette question, il ne peut être répondu en bloc.
On peut d'abord considérer qu'il existe des contacts entre mathéma-
tiques et sciences sociales à plusieurs niveaux.
1° au niveau des développements. - C'est-à-dire que dans des domaines
déjà évolués et directement quantifiables : échanges interindustriels
(matrice de Leontieff), sociologie électorale, etc., les mathématiques, en
particulier les statistiques, sont déjà utilisées.
2° au niveau des fondements: un certain nombre de sciences sociales se
sont interrogées sur leurs fondements et ont soumis leurs concepts de
base à une remise en question. Les mathématiques aussi. Les sciences
relatives à chaque secteur du réel se sont aperçues qu'il y avait entre elles
et les mathématiques, une identité : une logiquecommune, un art de rai-
sonner. Il faut distinguer d'une part entre les divers types de mathéma-
tiques, d'autre part, entre les diverses sciences sociales, enfin entre les
divers secteurs à l'intérieur de chacune d'elles.
280 Quelles sciences sociales? ◊ Certaines sdences sociales,plus parti-
culièrement certains secteurs techniques de ces sciences, se prêtent mieux
que d'autres à une quantification. Ceci provient de la nature même des
matériaux qu'elles permettent de recueillir. Toute tentative de mesure ou
d'analyse, dépend essentiellement d'une part, de la nature des données
recueillies et des types d'informations qu'elles contiennent: opinions,
faits ; d'autre part, des procédés utilisés pour les obtenir: interviews, tests,
enfin des méthodes permettant de les analyser. Le type d'instrument
mathématique et le type d'information contenu dans les données, sont
deux problèmes en interaction étroite, qui se posent à propos de l'utilisa-
tion des mathématiques en sciences sociales.
L'usage des mathématiques dans les sciences sociales n'est pas une
nouveauté. Pascal, Bernoulli, Condorcet, les utilisaient déjà. La démo-
graphie et les sciences économiques étudient depuis longtemps les
chiffres de population, les courbes de prix, etc. La quantification de ces
sciences est née avec elles, et nul ne contestera que le développement de
l'utilisation des mathématiques a contribué aux progrès récents de la
science économique. Cependant la frontière au-delà de laquelle les
mathématiques deviennent inutiles, est justement atteinte, lorsque l'on
aborde l'aspect humain, psychologique, de la science économique. Les
sciences humaines telles que la sociologie ou la science politique seraient-
elles, de par leur nature même, impropres à utiliser de façon étendue les
mathématiques? Quelques distinctions supplémentaires s'imposent
encore ici.
281 Quelles mathématiques? ◊ On confond trop souvent mathéma-
tiques et quantification. Les mathématiques sont-elles les sciences de la
quantité? G. Guilbaud (1959) écrit: « Les mathématiques, ne sont
364 LESCONFLITS DE MÉTHODES

essentiellement dans leur origine et même dans leur devenir que qualita-
tives. Elles ne sont quantitatives que de surcroît La quantité n'est qu'un
élément mineur, un élément dérivé. L'élément fondamental sur quoi se
construit la mathématique est d'abord qualitatif. Cette opposition qua-
lité-quantité, si vivante dans toutes les sciences de l'homme, est non
moins vivante en mathématique et les mathématiciens ne laisseront
jamais réduire les mathématiques à un examen rationnel de la quantité. »
Les mathématiquessont avant tout un langage,un moyen de communi-
cation. Dans un sens large, il n'existe qu'une seule mathématique, qui a
pour but d'étudier des relations et des correspondances. On peut, suivant
le domaine que l'on étudie, s'attacher à certains aspects mathématiques
plutôt qu'à d'autres. A l'heure actuelle, une première classification géné-
rale paraît importante, c'est celle qui distingue les mathématiques qualita-
tives des mathématiques quantitatives.Les mathématiques qualitatives
comprennent, les mathématiques non numériques et les mathématiques
ordinales. Les mathématiques quantitatives comprennent, elles aussi, les
mathématiques ordinales et de plus, les mathématiques cardinales.
Les mathématiques ne sont qu'un moyen, au service d'hypothèses ren-
dant compte ou expliquant la réalité. Celle-ci n'offre le plus souvent que
des données qualitatives.
Le problème devient alors : comment, sans les appauvrir, ordonner, au
besoin rendre quantifiables les éléments qualitatifs les plus intéressants ?
Pour arriver à ce résultat, une double transformation était nécessaire,
d'une part l'évolution de l'instrument mathématique et de ce qui l'en-
toure, d'autre part, la transformation des données qualitatives.

SECTION5. LA TRANSFORMATION
DE L'OUTILMATHÉMATIQUE
282 L'évolution ◊ Les nombres fascinaient les Anciens. Mais l'on a
reconnu seulement depuis peu de temps que l'intelligibilité suprême
appartenait à des structures, définies à partir d'ensembles(collections
d'objets stables et identifiables), par des axiomes(conditions précisant les
limites de ce que l'on peut faire). Si l'on a conseivé le langage numérique
traditionnel pour certaines de ces structures, le reste, comme le note
G. Kreweras (1968), « c'est-à-dire le plus important, se traite en termes
de relations, de correspondances, de lois de composition. Autrement dit,
la mathématique en est venue fondamentalement à se constituer en une
discipline à peine distincte de la logique ».
La transformation des mathématiques a debuté il y a environ 200 ans,
mais n'a pas abouti tout de suite.
Le plan d'instruction publique préparé par Condorcet (1794) comportait en
seconde et en première, deux professeurs de mathématiques, l'un particulière-
ment chargé des applications des mathématiques aux sciences morales et poli-
tiques. Dans l'enseignement supérieur, il était prévu une chaire spéciale de
mathématiques sociales. L'âge d'or des mathématiques sociales se situe entre
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 365

1654 et 1838, dates entre lesquelles est né le calcul des probabilités et ont paru les
ouvrages de Cournot et de Poisson.
Les progrès récents ont été manifestes dans des domaines aussi divers
que la linguistique, la cristallographie, la science économique, tous les
secteurs où l'on touche à la théorie de l'information, à ses applications
dans les communications, la cybernétique, etc. Cl. Lévi-Strauss (1954)
fait remarquer que les sciences humaines, du fait du caractère essentielle-
ment qualitatif de leur objet étaient moins dépendantes des mathéma-
tiques traditionnelles, et qu'elles ont dû se tourner d'emblée vers « cer-
taines formes audacieuses et novatrices de la réflexion mathématique».
283 Les mathématiques qualitatives ◊ Quelles sont ces mathématiques
nouvelles que l'on appe11equalitatives ?
Ces mathématiques humaines, que ni les mathématiciens, ni les sociologues
ne savent exactement encore où aller chercher et qui sont sans doute largement à
inventer, seront en tout cas bien différentes de celles grâce auxquelles les sciences
sociales essayaient jadis de donner une forme rigoureuse à leurs observations.
« Elles veulent résolument échapper au désespoir des grands nombres» et Lévi-
Strauss (19 54) d'indiquer des différences qualitativement importantes. « L'arri-
vée d'un enfant dans un ménage, cette unité supplémentaire, implique plus de
changements qu'une augmentation de 10 % d'habitants, dans un pays de
100 millions d'habitants. Ici, le qualitatif est plus important que le quantitatif »
Le plus utilisé dans les sciences humaines actuelles, c'est l'algèbre.Une
certaine habitude des structures algébriques permet de comparer des
objets apparemment différents et de les ramener à une expression
commune. G. Guilbaud cite l'exemple d'une recherche ethnologique sur
les liens de parenté, menée dans l'archipel des Nouvelles-He'brides.Cer-
tains points restaient inexplicables par l'ethnologie, en particulier un
petit dessin, sorte de schéma explicatif tracé par un sorcier indigène. Or,
G. Guilbaud (1959) travaillant avec un ethnologue connaissant l'ar-
chipel, a pu recomposer les données du problème, en rattachant celui-ci à
un schéma connu de la théorie mathématique des groupes. Ce schéma
reproduisait à peu près celui du sorcier.
« Le scandale, déclare G. Guilbaud, c'est de constater qu'un ethnologue formé
dans nos universités occidentales et un indigène des Nouvelles-Hébrides,
n'étaient pas à égalité quand ils parlaient de parenté, car l'un savait beaucoup
d'algèbre, c'était le sorcier indigène, mais l'autre l'ignorait totalement.»
Au-delà d'une sorte de codification des données ethnologiques qui ont
fait l'objet des études de Lévi-Strauss, les modèles mathématiques per-
mettent de trouver des analogies que l'on ne percevait pas, de poser de
nouveaux problèmes. L'intérêt des mathématiques, c'est au-delà du
donné, d'explorer le domaine du possible, d'envisager tous les systèmes,
même ceux qui n'existent pas dans la réalité et de permettre alors de se
demander pourquoi.
Il faut cependant remarquer que, dans les exemples ci-dessus, il s'agit
de structures stables. Les mathématiques semblent plus facilement utili-
sables dans la partie mécanique de la vie sociale, ce qui résiste au change-
366 LES CONFLITS DE MÉTHODES

ment, c'est-à-dire dans ce qui relève d'une logique sociale, d'un rituel. Il
n'y a rien d'aussi algébrique qu'un rite. Peut-on également utiliser les
mathématiques dans le domaine du changement propre aux sciences
humaines?
284 Quantification et mesure ◊ Il faut avant de répondre à la question
posée, donner quelques précisions.
Quantifier signifie énumérer,compter des unités, dénombrer les objets
à étudier ou à décrire, relever la fréquence d'apparition d'un phénomène.
On ne peut compter, additionner que des unités rigoureusement sem-
blables, ce qui implique des définitions précises et des catégories homo-
gènes.
La démographie est susceptible de quantification sous la forme la plus
simple : comptabiliser les naissances, le nombre de morts.
Quantifier signifie également mesurer. Au sens strict, la mesure
implique référence à un symbole arbitraire : par exemple le mètre pour la
longueur. En sciences sociales, on appelle souvent mesure, le classement
des éléments dans un certain ordre, par rapport à un critère de plus ou de
moins (plus ou moins autoritaire, plus ou moins de participation, etc.).
Le sociologue américain F. S. Chapin (1955) note: « Si nous
comptons les dents d'une vache, l'opération est différente d'une autre
forme de mesure qui consisterait à donner la hauteur et la largeur de cha-
cune de ces dents. »
Les remarques de Chapin ne sont pas entièrement exactes, car du
moment qu'il s'agit de nombres entiers, il n'y a pas de différence d'un
point de vue purement mathématique et abstrait 1. En revanche sur le
plan de la signification, la différence est réelle. Il faut bien comprendre
que la nature de l'unité de compte, doit correspondre à la nature de ce
que l'on mesure. Tout dépend ici encore du niveau de mesure que l'on
cherche. Il faut donc distinguer lorsque l'on parle de « quantification »
dans les sciences sociales, s'il s'agit d'ordre, c'est-à-dire de mathématique
non numérique, ou de mesure et de quel type de mesure.

§ 1. Qualités requises de l'instrument de mesure


285 1° Erreur et vérité. a) La vérité d'une théorie scientifique ◊ D'après
Karl Popper (1978), une hypothèse scientifique est une proposition
qui peut être démontrée fausse. Sans cela comment distinguer entre
une théorie vraie et une théorie dont on n'a pas pu démontrer qu'elle
était fausse ? Il est moins difficile de prouver la fausseté d'une théorie
que sa justesse et il est donc prudent de substituer la notion de « falsi-
fication» à celle de «vérification», pourtant plus proche de l'idée
naturelle de recherche de la vérité. Sauf dans les sciences formelles
1. Une confusion parallèle se retrouve dans les termes: nombre et numéro. Le numéro n'est pas
tout à fait un nombre, il ne peut s'additionner mais il indique un ordre. li n'existe en espagnol,
qu'un terme : numéro, en anglais number, pour exprimer les deux idées.
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 367

(logique ou mathématique) il n'existe pas de critère fini qui permette


d'affirmer la vérité d'une théorie, c'est-à-dire qu'aucune de ses consé-
quences n'est en contradiction avec les faits. Mais cette notion de
démonstration de fausseté, dans les sciences expérimentales, devient
insuffisante dans le cas de l'économie et surtout de la sociologie qui ne
sont encore que pseudo-expérimentales.
286 b) Erreur de fait ◊ Qu'est-ce qu'une erreur? Disons que c'est une
donnée fausse, qui ne rend pas compte avec exactitude de la réalité obser-
vée. Il est donc important, pour apprécier l'erreur, de préciser de quelle
réalité il s'agit.
Qu'il s'agisse d'opérations complexes (tests) ou d'éléments d'échantil-
lonnage et d'analyse de documents statistiques, l'erreur de fait est pos-
sible comme dans toutes les autres sciences : enquêtés donnant de faux
renseignements sur leur appartenance religieuse, politique, ou leur niveau
d'instruction; observateurs distraits transcrivant mal telle information:
âge, lieu de naissance ou autres.
287 c) Erreur relative ◊ Les sciences sociales connaissent aussi une erreur
dlte relative.Un des facteurs qui dans leur domaine rend, entre autres,
difficile la mesure, c'est le changement.
Nous pouvons mesurer la température d'un gazle matin et le soir, et noter ses
différences. Mais si nous mesurons l'attitude d'un citoyen vis-à-vis d'un référen-
dum, que ses propos soient négatifs à telle date, et qu'il vote pourtant« oui » huit
jours plus tard, pourrons-nous dire qu'une des deux attitudes est vraie, l'autre
fausse?
Toutes les attitudes sont au même titre que les températures, également
vraies, dans le sens qu'elles existent toutes. En sciences sociales, le pro-
blème consiste à décider, non pas seulement du moment où l'on mesure,
mais plutôt du niveau que l'on veut atteindre. C'est donc seulement en
fonction de l'objectif poursuivi que l'on peut évaluer le résultat. L'erreur
dans ce cas et dans beaucoup d'autres, n'existe pas en elle-même, mais
seulement par rapportau but poursuivi.C'est le but qui définit la réalité
par rapport à laquelle on appréciera l'exactitude ou l'erreur.
288 d) Erreur dans le passage du qualitatif au quantitatif◊ Il ne
s'agit plus d'erreurs provenant d'opérations mathématiques, mais des
possibilités de camouflage qu'offre une présentation mathématique.
Celle-ci, sous une apparence rigoureuse, dépendtout de même, comme on
l'oublie trop souvent, des données qualitatives recueillies puis trans-
formées. En effet, les techniques des sciences sociales: interviews, obser-
vations de groupes, analyses de documents, etc., prévoient la quantifica-
tion ultérieure et recueillent les données qualitatives d'une façon qui la
prépare et la facilite. La quantification n'est donc que le deuxième stade
qui dépend forcément du premier. Opposer dans les sciences sociales
l'imprécision et le subjectivisme du qualitatif, à la rigueur et à l'objectivité
du quantitatif, c'est oublier que l'on n'obtientdu quantitatifqu'àpartir du
qualitatif.
368 LESCONFLITS DE MÉTHODES

Un auteur américain, S. Kracauer (1952), citait à titre d'exemple une analyse


de contenu, faite pendant la guerre. Les nouvelles étaient classées en « positives »
(matter of fact), « moyennement émotionnelles», « hautement émotionnelles».
Cette distinction arbitraire correspondait-elle à la réalité ? La brève annonce :
« Stalingrad est tombée», classée comme une information positive, ne pouvait-
elle être cependant très émouvante ? Les catégories sur lesquelles reposait la quan-
tification n'exprimaient donc pas de façon satisfaisante la réalité.
Enfin, les inexactitudes peuvent provenir, non des cadres préparés pour
la quantification, mais des donnéesqualitativeselles-mêmes: ce peut être
un questionnaire comprenant des questions mal libellées, ou ne portant
pas sur les vrals problèmes, enfin l'interprétation inexacte d'observations.
289 2° Notions de fide1ité et de validité ◊ Admettons connues et res-
pectées les précautions à prendre pour éviter les erreurs. Quel jugement
peut-on porter ensuite sur les méthodes, en fonction cette fois de leurs
résultats ? Quelle est la fidélité et la validité de la méthode ? Ces deux
notions sont fondamentaleset ces questions doivent être posées à proposde
chaquetechniqueparticulière.
a) La fidél.ité.- Imaginons un père de famille qui, chaque année, le 1er
janvier, mesure ses enfants à l'aide d'un mètre à mesurer en tissu et fait
une petite marque sur le mur. Si la mère se livre à la même opération en
utilisant le même mètre et obtient pour chacun des enfants le même
nombre de centimètres que le père, on dira que la mesure est fidèle.L'ins-
trument, le mètre, appliqué aux enfants sujets de l' obseivation, par des
observateurs différents, donne le même chiffre. Si la toise confirme les
résultats, le coefficient de fidélité entre la toise et le mètre sera très élevé.
Admettons qu'un esprit de compétition sérieux, incite, inconsciemment,
un des enfants à respirer plus à fond lorsqu'il est mesuré par sa mère.
L'observé va fausser le résultat qui ne sera plus fidèle, parce que non
conforme au précédent. Imaginons que ce soit le père qui, ayant oublié
ses lunettes, voit mal les chiffres et marque un 7 au lieu d'un 5... C'est
l'obseivateur qui, cette fois, sera cause de la non-fidélité de l'observation.
L'erreur du père est aléatoire, il peut une fois marquer plus, une fois
moins, alors que, dans le cas de l'enfant qui se hausse lorsque sa mère le
mesure, l'erreur est toujours dans le même sens. Elle constitue ce que l'on
appelle un biais. La fidél.itérésidedonc dans la concordanced'observations
faites avec les mêmes instruments par des observateursdifférents, sur les
mêmessujets. La fidélité constitue une certaine garantie de la justesse des
résultats.
b) La validité.- Imaginons maintenant que le mètre, manié par le père,
la mère, le frère aîné ou la grand-mère, donne les mêmes résultats, indé-
pendamment de la personne qui l'utilise, mais ce mètre est usé et les deux
premiers centimètres manquent. Dans ce cas, il mesure bien toujours des
centimètres, il est manifestement fidèle, mais les résultats ne seront pas
justes, les enfants mesureront tous 2 centimètres de plus que dans la réa-
lité. L'outil, le mètre n'est pas valide.Enfin, supposons que la grand-mère,
confondant un peu les choses, veuille se servir d'une balance pour mesu-
rer la taille des enfants. L'outil, la balance, juste en tant que telle pour
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 369

mesurer des poids, fidèle sans doute, n'est pas adapté à la donnée, la
taille, que l'on veut recueillir. 11n'est pas valide.La notion de validité se
définit habituellement suivant deux approches complémentaires.
D'un point devue logique,un instrument est valide s'il mesureavecexac-
titude ce qu'il a pour but de mesurer1 . Ceci suppose une définition de la
caractéristique soumise à la mesure. Par exemple, mesurer une attitude
fasciste ou une aptitude à se souvenir, implique que l'on définisse le fas-
cisme et la mémoire.
D'un point de vue empirique,un instrument est valide, dans la mesure
où il permetdeprédireavecexactitude,en fonction du résultat ou« score»,
obtenu par le sujet sur telle caractéristique en cause, quel sera son
comportement ultérieur, dans une situation dans laquelle joue la même
caractéristique.
Les deux points de vue impliquent que l'instrument doit bien mesurer
ce qu'on lui demande de mesurer, des centimètres et non des kilos,
ensuite qu'il les mesure de façon exacte. Cette notion de validité est donc
plus exigeante et plus complète que celle de fidélité. Elle saisit directement
le rapport entre les résultats obtenus et la réalité. La fidélitéimplique la
permanence des qualités de l'outil, la régularité de son emploi. Elle
cherche un indice favorable, un espoir de vérité dans la similitude des
résultats obtenus par diverses personnes. La validité,elle, implique l' exac-
titude du résultat par rapport à l'objectif cherché, la correspondance avec
la réalité choisie.
Une technique valide a toutes les chances d'être fidèle, si l'opération
est recommencée dans les mêmes conditions, alors qu'une technique
fidèle peut n'être pas valide.
2 90 3° La précision ◊ La précisiond'un instrument se définit habituelle-
ment par sa sensibilité aux variations qu'il doit enregistrer. Dans le cas
des sciences sociales, ce sera l'exactitude avec laquelle il situe la position
d'un individu par rapport à la caractéristique que l'on veut mesurer. Une
enquête d'opinion, par exemple, ne donnera qu'une proportion globale
de favorables, non favorables, sans opinion. Une échelle d'attitudes, un
test d'aptitudes, n'indiquent pas seulement des différences entre les opi-
nions et les capacités des individus, mais permettent de distinguer des
sujets favorables ou doués, suivant des degrés et nuances de plus ou de
moins, de les situer les uns par rapport aux autres.
Bien entendu, validité, fidélité et précision, sont en étroite relation. Un
instrument précis, mais faux ou infidèle, ne serait pas utilisable. Indi-
quons aussi qu'il ne faut pas être un maniaque de la précision.
Comme le dit W. Mills (1959) : « Je voudrais savoir dans quelle mesure on ne
confond pas l'exactitude ou la pseudoprécision avec la« vérité» et jus~u'à quel
point on ne prend pas l'empirisme abstrait pour l'empirisme tout court . » Rap-
pelons la plaisanterie citée par Bachelard : « Il est sûr du troisième chiffre après la
virgule, c'est sur le premier qu'il hésite 3 • »
1. Ceci n'est pas toujours aussi simple qu'on le pense.
2. W. Mills (1959, B. 170), p. 77.
3. In P. Bourdieu (1968, B. 170).
370 LES CONFLITS DE MÉTHODES

291 4° Vérification de la fide1ité et de la validité ◊ Chaque technique,


chaque recherche utilisant plusieurs techniques, pose les problèmes de la
fidélité et de la validité. Le coefficient de fidél.ités'obtient en comparant les
résultats des divers enquêteurs ou observateurs, ou encore les divers ins-
truments, questionnaires, tests, etc., entre eux 1.
En ce qui concerne la validité, le problème est plus délicat.
a) La validité logique, le fait que l'instrument mesure bien ce qu'il est
censé mesurer, implique la recherche d'un critère externe. Dans l'exemple
du mètre et de la balance, la validation de l'instrument était établie par
rapport à un étalon (mètre, poids), un critère fixe dont on ne posséde pas
l'équivalent en sciences sociales. Comment alors reconnaître que l'instru-
ment est juste ?
Les auteurs admettent un type de validité interne ou immédiate 2 très
arbitraire et superficiel, puisqu'il dépend du domaine défmi par le cher-
cheur. Lorsque toutes les questions d'un questionnaire concernent le
communisme, on peut penser que celui-ci présente une certaine validité
en tant que mesure de l'attitude vis-à-vis du communisme. Ceci relève
d'une logique assez simpliste et peu satisfaisante. Il convient de se souve-
nir que l'exactitude et la validité n'existent que par rapport à l'objectif
précis de chaque recherche. Chacune va donc établir ses propres condi-
tions de validité.
b) La validité empirique. - Elle consiste dans la confirmation par l'événe-
ment de la prévision établie. Mais l'événement n'est pas toujours aux
ordres des chercheurs pour confirmer leurs prévisions. Faute d'étalon
objectif et fixe, la validité d'un instrument se mesure d'après la corréla-
tion qui existe entre les mesures prises à l'aide de cet instrument et un
certain critère. Lorsque le coefficient de corrélation est élevé, l'instrument
est validé par rapport à ce critère ; il est apte à établir une prévision en ce
qui concerne les comportements liés à ce critère. Par exemple, si la nota-
tion élevée qu'un test attribue aux gestes retenus pour mesurer l'habileté,
est ensuite confirmée par la réussite des sujets dans un métier manuel
nécessitant de l'habileté, on dira que le test est valide.
Une mesure d'attitude signalant un tempérament fasciste (critère:
autoritarisme), sera validée par l'engagement ultérieur du sujet observé
dans un parti d'extrême-droite.
Il n'existe pas de rè&lesûre pour fixer des critères de validation, correspondant
dans la réalité, au critere retenu pour l'instrument Le bon sens, des considéra-
tions d'ordre pratique et théorique dictent le choix. Faute de critère externe, on
peut être amené à apprécier la validité par rapport à d'autres techniques, elles-
mêmes plus ou moins sûres. On compare, par exemple, les données obtenues par
une analyse de documents écrits, à celles qu'apportent des questionnaires d'inter-
views, ou encore on compare un groupe à un autre, semblable, dont les caracté-
ristiques sont connues, ou l'on fait appel à des jugements de personnes qualifiées.
Lorsque la même erreur fausse diverses techniques, ou qu'elles s'appuient sur des
données semblables, la concordance des résultats n'est plus très convaincante. Il
1. li existe aussi des moyens mathématiques pour mesurer la fidélité, nous ne pouvons les déve-
lopper ici.
2. Les Anglo-saxons l'appellent:« face validity ».
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 371

faudrait parfois valider la mesure de validité elle-même. Toutes les techniques ne


se prêtent pas de la même façon à une recherche de validité. Ceci ne signifie pas
que leurs résultats soient inexacts, mais simplement que l'on ne peut toujours
prouver mathématiquement leur exactitude.
292 Relativité de la validité ◊ Lorsque l'on a pu faire la preuve de la vali-
dité ( et également de la fidélité) d'un instrument de recherche, il ne faut
pas dissimuler les conditions bien déterminées dans lesquelles l'instru-
ment sera utilisé. Les résultats sont exacts par rapport au critère choisi,
mais pas forcément dans toutes les situations possibles. Les mêmes
échelles d'attitudes par exemple, ont peu de chances d'être utilisables
pour des populations de niveaux de culture différents.
Il est donc indispensable de pouvoir distinguer les conditions qui
doivent rester constantes et celles qui peuvent varier, sans compromettre
la justesse des prévisions sur lesquelles repose la preuve de la validité. En
dehors même des conditions contrôlées, au sens strict du terme, dans les-
quelles est effectuée la recherche, il convient de la situer dans son
contexte général, comme il est utile de savoir si un individu a couru un
cent mètres avant de prendre sa température. On est de plus en plus
attentif à l'heure actuelle aux inconvénients des études parcellaires et
conscient de la nécessité de tenir compte des facteurs écologiques. Mal-
heureusement, quantité d'éléments échappent à la connaissance du cher-
cheur et la mesure risque de refléter non seulement les caractéristiques
mesurées, mais aussi des facteurs inconnus. Ce problème des interactions
et influences rend la mesure de validité souvent très délicate.
Si l'on veut comparer les méthodes qualitatives aux méthodes quanti-
tatives, on doit le faire, non seulement sur le plan de la sécurité des don-
nées obtenues, mais également de l'intérêt de leurs conclusions.

§ 2. Comparaison entre méthodes qualitatives


et quantitatives
293 Les points de comparaison ◊ Utiliser des méthodes de recherches
comportant la transformation des données qualitatives en données quan-
titatives, c'est leur reconnaître des avantages, dans certains cas une supé-
riorité. Il faut d'abord qu'elles offrent des garanties sur le plan de l'exacti-
tude des résultats. Ensuite, qu'elles permettent de recueillir certaines
informations auxquelles d'autres techniques ne parviennent pas. Enfin,
que leur coût en temps et argent ne soit pas trop élevé. Autrement dit,
choisir une technique quantitative, c'est avoir répondu affirmativement
aux questions suivantes: ce que l'on trouve par les méthodes quantita-
tives est-il exact? intéressant? est-ce un progrès, un moyen de découvrir
ce que l'on ne pourrait trouver autrement?
Ces questions, il est nécessaire de les poser et de les poser honnête-
ment, scientifiquement, sans parti pris. On ne leur donnera ici qu'une
réponse générale, en envisageant le problème dans son ensemble. Par la
suite, à propos de chaque technique, on reposera ces indispensables
372 LESCONFLITS DE MÉTHODES

mêmes questions : quelles sont les causes possibles d'erreur ? Quelle est la
fidélité, la validité de l'instrument? Que permet-il de découvrir? A quoi
convient-il particulièrement? Quelle est sa valeur, son intérêt, les avan-
tages qu'il présente ?
294 1° Comparaison sur le plan de la fide1ité et de la validité◊ Le
contrôle par la fidélité et la validité est une garantie qu'offrent le plus
souvent, nous ne disons pas toujours, les méthodes quantitatives. Sans
doute, l'analyse purement qualitative d'une situation politique peut-elle
être faite par plusieurs journalistes observateurs. Tous peuvent prévoir
une révolution qui, en éclatant ultérieurement, prouvera la fidélité et la
validité des observations faites.
La recherche de la fidélité et de la validité d'observations non systéma-
tiquement recueillies est difficile, vu l'hétérogénéité des éléments et leur
tracé imprécis. De plus, elle n'offre pas grand intérêt. En effet, une
enquête qui ne vise pas elle-même la mesure, n'exige pas d'être jugée de
façon aussi rigoureuse. Validité et fidélité doivent accompagner les tech-
niques quantitatives pour rendre compte de toutes les étapes qu'elles
comportent, de leur normalisation et de l'objectivité des enquêteurs. Elles
constituent donc, avant tout, la garantie des qualités de l'outil, de l'ins-
trument de mesure. On vérifie la :fidélitéet la validité d'une balance, non
celle d'un panier pris au hasard que l'on remplit de fruits variés. Mais si
l'on peut vérifier sur une balance le poids atteint par une corbeille de
fruits normalisés 1 , cette quantification par un instrument fidèle et valide,
ne rend pas compte des fruits véreux, camouflés dans un colis« fardé»,
ni du goût de chacun.
Dans la mesure où la technique vise une quantification, où les cher-
cheurs sont assimilés à des instruments de mesure, où la part de person-
nalité, d'interprétation de l'observateur est réduite, où les résultats sont
normalisés, dans cette mesure seulement, la fidélité et la validité doivent
être appréciées. Mais celles-ci ne peuvent donner de garantie concernant
toutes les qualités des matériaux, pas plus que la balance n'indique la
saveur des fruits, puisqu'elle n'est pas adaptée à cette mesure particulière.
Les garanties supplémentaires qu'offrent les techniques quantitatives
sont normales, étant donné les ambitions de précision et de rigueur qui
sont les leurs. Elles ne doivent pas nous faire oublier ce que nous rappelle
le panier de fruits : les matériaux à quantifier ( sauf ceux qui sont directe-
ment chiffrés) sont recueillis d'abord comme données qualitatives; la
manipulation technique seule permet ensuite de les quantifier. Le pro-
blème ne consiste donc pas à les opposer, mais à savoir si la quantifica-
tion est utile, si elle apporte quelque chose de plus, si elle est adaptée à ce
que l'on cherche et si on ne la paie pas trop cher.
295 2° Comparaison sur le plan de l'intérêt des résultats ◊ Ayant
admis que les méthodes quantitatives peuvent donner des résultats
exacts, encore faut-il, pour les préférer à d'autres, reconnaître l'intérêt
qu'elles présentent.
1. Grâce à une manipulation, un calibrage.
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 373

La question qui se pose ici est fondamentale, nous la retrouverons à


propos de chaque technique et nous l'avons déjà signalée à propos de
l'empirisme: « Vaut-il mieux trouver des éléments intéressants dont on
n'est pas très certain, ou être sûr que ce que l'on trouve est vrai, même si
ce n'est pas très intéressant?» Ces termes, un peu excessifs, qu'em-
ploient certains auteurs pour poser le problème, offrent l'avantage d'atti-
rer l'attention sur lui. Le choix à faire n'oppose pas seulement techniques
qualitatives et quantitatives, il est inhérent à toutes les recherches, car il
tient aux données elles-mêmes. Plus l'information visée est profonde,
plus elle est complexe, difficile à saisir et à exprimer. Les notions de vali-
dité et fidélité dans le sens traditionnel et étroit, se bornent à rendre
compte de la justesse des résultats. Elles ne concernent que la sécurité de
ceux-ci, sans indication sur leur niveau qui peut demeurer très super-
ficiel. C'est pourquoi il est indispensable d'élargir ce point de vue, consi-
dérant que l'idée de validité doit également impliquer une référence à la
valeur et à l'intérêt de la technique considérée, c'est-à-dire au niveau
qu'elle permet d'atteindre et à son coût.
La validité d'une technique de recherche dépend non seulement de la
justesse de ses résultats, de leur conformité avec la réalité observée, c'est-
à-dire de la validité au sens strict, mais encore des objectifs qu'elle permet
d'atteindre et à quel prix, de l'originalité et de la richesse des informa-
tions qu'elle recueille, de leur possibilité de généralisation et d' explica-
tion. C'est justement sur ces points que les détracteurs des méthodes
quantitatives se montrent les plus sévères.
296 3° Que reproche-t-on à la quantification? ◊ Ici, il faut distin-
guer: d'une part, les inconvénients qui proviennent surtout de la façon
dont on utilise les méthodes quantitatives et d'autre part, leurs limites
propres. Ce que l'on peut reprocher à certains adeptes de la quantifica-
tion des sciences sociales, c'est de trop souvent utiliser abusivement le
langage mathématique 1,en principe instrument de clarté, pour compli-
quer ce que la prose exprimait fort bien, et d'avoir de plus contribué à
l'altération de ladite prose, en créant parfois un véritable jargon. Enfin à
l'exemple de certaines religions, d'avoir, par formalismeexcessif,détourné
l'attention des fidèles, du contenu réel de la recherche, pour l'attacher
aux rites et opérations liturgiques. Ce n'est sans doute pas plus la faute de
la quantification que celle de la religion, mais, dans les deux cas, celle de
leurs grands prêtres et néophytes. Leur volonté de quantifier à tout prix a
trop souvent contribué à orienter chaque science sociale vers ce qui se
chiffrait le plus facilement : tests, économétrie, sociologie électorale, à
multiplier les recherches dans lesquelles un grand déploiement de procé-
dés mathématiques cachait mal la pauvreté des résultats, le manque de
valeur et même de rigueur des éléments qualitatifs, hâtivement recueillis
et peu significatifs. Comme le disait J. Stoetzel: « L'accessible, c'est par-
fois l'accessoire. » Tous ces inconvénients ne sont pas inhérents à la
1. Mais une critique de la quantification dans les sciences sociales américaines, telle que celle de
P. Sorokin (1956) perd sa valeur du fait de son exagération.
374 LESCONFLITS DE MÉTHODES

méthode, mais à ses utilisateurs. La méthode elle-même a moins des


défauts que des limites, des indications d'emploi qu'il faut connaître,
c'est là que réside la vraie difficulté.
297 Excès de la quantification ◊ Ceci signifie-t-il que la quantification
soit impossible, regrettable ou inutile ? Certes pas, cela implique simple-
ment qu'il y a des domaines plus ou moins prêts à être quantifiés. Pour
l'instant, il est honnête de reconnaître que les sciences sociales avaient
besoin de se renouveler et que les positions, parfois excessives,de certains
auteurs américains, ont contribué à faire réagir des disciplines qui, trop
littéraires, ne semblaient pas adaptées aux bouleversements et à la menta-
lité de notre époque.
Les Américains après leur crise« d'hyperfactualisme » prônent à nou-
veau l'importance de la théorie. Les Français, comme toujours, suivent les
réactions d'autre-Atlantique, avec retard, mais aussi modération.
Quelles qu'aient été les pointes excessivesd'emballement, de mode, les auteurs
américains sérieux, même ceux qui utilisent largement les mathématiques,
comme Lazarsfeld, Lewin, Thurstone, ont toujours reconnu que tout n'était pas
immédiatement quantifiable et n'ont jamais cessé d'affirmer et de proclamer que
« rien ne vaut une bonne idée», que « rien n'est plus pratique qu'une théorie».
De leur côté, ceux qui se consacraient davantage aux recherches qualitatives ou
même théoriques : Becker, Blumer, Parsons, ne tenaient nullement à être assimi-
lés aux « intuitionnistes », qui nient tout aspect quantifiable des comportements
humains. Certes, une bonne analyse ou même une description juste, claire, pleine
d'intuition, collant au réel, éclairant les processus, les explicitant, est toujours
préférable à deux pages de chiffres démontrant ce que tout le monde savait déjà.
Mais pourquoi vouloir toujours opposer le médiocre sociologue mathématicien,
au génial sociologue littéraire ? A médiocrité égale, on pourrait sans doute utiliser
les travaux du premier, mais pas ceux du second.

298 Complémentarité du qualitatif et du quantitatif◊ Il faut recon-


naître, à l'actif de la quantification, qu'elle implique l'analyse systéma-
tique des données, première étape vers la science, qu'elle permet leur véri-
fication, parfois leur mesure. Sans doute ne sommes-nous pas encore au
stade de la découverte de véritables lois, ceci ne signifie pas que l'on ne
puisse y parvenir.
Comme le déclarait G. A. Lundberg(1946): « Ce n'est pas l'objet qui fait la
science, mais la méthode. » Nous avons derrière nous une assez longue évolution
des progrès scientifiques pour montrer prudence et patience, concernant la possi-
bilité pour tel ou tel domaine de devenir «objet» de science. Vouloir opposer
méthodes qualitatives et quantitatives, alors qu'elles se complètent, c'est renoncer
à trouver la solution efficace des problèmes et risquer de freiner le développement
des sciences sociales, au moment où l'on a plus que jamais besoin d'elles.
En fait, la plupart des savants et chercheurs en sciences sociales
admettent qu'il n'y a pas une seule technique, un seul moyen utilisable
dans toutes les sciences sociales. Ils reconnaissent qu'il n'y a pas opposi-
tion entre qualitatif et quantitatif, mais un continuum allant de la
recherche qualitative systématisée, jusqu'à des formes de mesure plus
LA TRANSFORMATION DE L'OUTIL MATHÉMATIQUE 375

rigoureuses. Tout le monde est maintenant d'accord sur un point: quel


que soit le degré de précision obtenu, ce qui est mesuré demeure dans la
plupart des cas, au départ, qualitatif.On a toujours employé un vocabu-
laire où plus, moins, grandissant, faible, etc., indiquaient déjà une prise
de considération du quantitatif et une notion même vague de mesure. La
technique a simplement substitué des moyens plus rigoureux à des juge-
ments quantitatifs intuitifs.
Les controverses ne portent plus sur le but des sciences sociales, sur les
possibilités de les quantifier, mais sur l'étendue, les avantages et inconvé-
nients de cette quantification. Bref, on ne discute plus le principe de cer-
taines techniques, mais leur intérêt, leur validité respective, la possibilité
d'appliquer l'une ou l'autre à tel ou tel phénomène, dans telle ou telle cir-
constance. A l'intérieur de ce large accord raisonnable, chacun, bien
entendu, suit son tempérament, sa formation, ses goûts et opte pour une
recherche plus ou moins quantifiée.
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378 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

CHAPITRE2
LESEXIGENCES
DE LA RECHERCHE
« Ce qui estfamiliern'estpas pour cela
connu.»
Hegel.

SECTION1. LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE


300 Les étapes classiques ◊ La division classique suivant les étapes bien
connues : observation, hypothèse, expérimentation, a été quelque peu
bousculée dans les sciences. Lesprogrès de la physique théorique, les diffi-
cultés de l'observation et de l'expérimentation ont consacré la préé-
minence logique et chronologique de l'hypothèse et de la théorie. Les
sciences sociales loin d'être aussi avancées dans cette voie essaient de tirer
profit de cette orientation.
Toute recherche implique: 1° des faits à observer, donc des types d'ob-
servation,des règles auxquelles se soumettre, des techniques à appliquer ;
2° des hypothèsesqui doivent elles aussi remplir certaines conditions,
enfin 3° une expérimentationqui obéit également à des impératifs. En
revanche, on peut contester la coupure entre ces divers stades, dans la
mesure où, arbitraire, elle impliquerait un ordre chronologique
immuable. C'est donc surtout pour la commodité de l'exposé que l'on
traite séparément ces trois notions, en rattachant à chacune d'elle ce qui
la concerne plus spécialement 1.
Les étapes classiques, faciles à mémoriser, risquent de se« routiniser ».
Elles présentent surtout le danger de paraître exhaustives, écartant ainsi
d'autres moments de la recherche, peut-être moins systématisés mais
aussi importants sinon plus, car ils assurent la validité et l'intérêt des
trois autres.

§ 1. Les conditions de l'observation


301 1 ° Les prénotions ◊ A la question controversée des étapes de l'enquête
et du« que faire d'abord»? il est intéressant de comparer les réponses de
quelques savants.
1. C. Bernard lui-même, souvent rendu responsable de cette division, reconnaissait l'importance
de l'idée« qui est le mobile de tout raisonnement en science comme ailleurs» et il insistait sur le fait
« qu'il y a un enchevêtrement tel entre ce qui résulte de l'observation et ce qui appartient à l'expé-
rience qu'il serait impossible [ ...] de vouloir analyser dans leur mélange inextricable chacun de ces
termes p. 44 (1923).
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 3 79

Bacon déclare qu'il faut procéder inductivement d'après les faits, Des-
cartes déductivement à partir d'axiomes certains. La fameuse distinction
de C. Bernard précise : observation, hypothèse, expérimentation, tandis
que logiciens et physiciens modernes pensent que l'hypothèse est le vrai
point de départ.
Cependant, et le fait est impressionnant, malgré l'évolution de la pen-
sée scientifique, tous ces savants aux opinions si divergentes sont d'ac-
cord sur un point: il faut d'abordchasserde son espritles idéespréconçues.
Chacun exprime cette idée à sa façon : repousser les idoles dit Bacon,
doute méthodique préconise Descartes.
Si l'idée est devenue banale en sciences naturelles, elle est moins nette
et surtout plus difficile à appliquer dans les sciences sociales.
La lutte contre l'évidence ne se passe pas à l'extérieur comme un doute
sur l'apparence sensible: « Je vois la lune comme un ballon rond dans le
ciel », mais comme une lutte à l'intérieur de chacun, une mise en ques-
tion d'évidences souvent inconscientes et que le langage lui-même véhi-
cule et camoufle. « Le langage ordinaire qui, parce qu'ordinaire, passe
inaperçu, enferme dans son vocabulaire et sa syntaxe toute une philo-
sophie pratiquée du social toujours prête à resurgir 1 . »
Notions confuses, mais aussi classifications ou catégories, limitent la pensée,
l'empêchent de chercher des rapports, les liens qui unissent dans la réalité, ce
qu'un découpage arbitraire sépare. Même les distinctions aussi incontestables que
le sexe peuvent être suivant les cas mal choisies. Lesétudes de sociologie électorale
indiquaient avec la certitude accablante des chiffres, que les femmes s'abstiennent
de voter plus que les hommes. Lesfemmes ? Il semblerait qu'il ne puisse y avoir de
doute sur la définition et pourtant si l'on observe de façon précise le coml><'rte-
ment électoral des femmes, on s'aperçoit que les femmes mariées votent a peu
près autant que les hommes. La différence apparaît chez les célibataires, encore
faut-il distinguer entre les célibataires actives qui, elles, s'abstiennent moins que
les hommes et les inactives, responsables du taux de pourcentage élevé de l'abs-
tentionnisme féminin 2 •
Notre culture nous fait utiliser comme « allant de soi» une catégorie qui n'ex-
plique pas tout, et se révèle inadéquate pour ce que nous recherchons. Ce ne sont
pas les catégories hommes, femmes, qui rendent compte de l'abstentionnisme
mais un facteur« d'insertion sociale» lié au fait de travailler. Il n'est encore venu
à l'idée de personne de distinguer le comportement électoral d'après les groupes
sanguins ou la couleur des cheveux, catégories qui conviendraient sans doute à
des recherches génétiques. Si en revanche l'âge et le sexe se sont imposés à tous
sans hésitation 3, c'est qu'ils paraissent évidents simplement parce que nous y
sommes habitués.
Il est normal que l'on ne puisse passer au crible de la critique toutes les
informations reçues. Mais il est indispensable de le faire en ce qui
concerne les réflexions sociologiques. La difficulté c'est de distinguer la
vie professionnelle de la vie courante. Le savant travaille en laboratoire.
C'est peut-être un lieu artificiel, c'est au moins un lieu différent. Le labo-
1. P. Bourdieu et al. (1968).
2. M. Grawitz (1965).
3. Ce n'est pas un hasard qu'une femme ait la première, mis en doute la valeur de la distinction.
380 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

ratoire du savant en sciences sociales, c'est la société dans laquelle il vit. Il


est de ce fait constamment amené à résoudre, comme tout le monde, des
problèmes pratiques. Comme l'écrit P. Bourdieu: « La familiarité avec
l'univers social, constitue pour le sociologue l'obstacle épistémologique
par excellence, parce qu'elle produit continûment des conceptions ou des
systématisations fictives, en même temps que les conditions de leur crédi-
bilité. Le sociologue n'en a jamais fini avec la sociologie spontanée 1.» Il
faudrait comme le souhaite Durkheim qu'il entre dans le monde social
comme dans un monde inconnu.
« Tandis que le savant qui étudie la nature physique a le sentiment très vif des
résistances qu'elle lui oppose et dont il a t.ant de peine à triompher, il semble en
vérité que le sociologue se mesure au milieu de choses immédiatement trans-
parentes pour l'esprit, tant est grande l'aisance avec laquelle on le voit résoudre
les questions les plus obscures 2 . »
Les sc.iencessociales ex.igent de façon aussi impérative mais avec plus
de clifficultés,la fameuse rupture épistémologique réclamée par Bachelard
dans les sciences de la nature.
P. Lazarsfeld (1970) nous donne une série d'exemples d'affirmations de
fausses évidences. « Les soldats dotés d'un niveau d'instruction élevé présentent
plus de symptômes psycho-névrotiques que ceux qui ont un faible niveau d'ins-
truction.» L'explication est facile à trouver, tout le monde sait que l'intellectuel a
un système nerveux plus fragile. « Les simples soldats de race blanche sont davan-
tage portés à devenir sous-officiers que les soldats de race noire. » Cela va de soi
puisque chacun sait que les noirs sont paresseux et n'ont aucune ambition. Or les
résultats réels de l'enquête sont exactement opposés aux affirmations ci-dessus.
En réalité les soldats les moins instruits étaient les plus sujets aux névroses et ce
sont les soldats noirs qui souhaitaient le plus vivement une promotion. Ces résul-
tats, publiés, paraissent naturellement, eux aussi, évidents.
Après Bacon et Descartes, on pouvait croire définitive la mise au point
de Durkheim, et l'on peut se demander pourquoi un sociologue comme
P. Bourdieu a éprouvé le besoin de reprendre ces textes et de les com-
menter avec tant de conviction dans Le métierdesodologue(1968). L'ex-
plication la plus simple est sans doute que l'essentiel des règles de la
méthode lui paraissait oublié.
Les recherches empiriques qui se réclamaient de Durkheim amputaient
sa méthode de l'essentiel, en se bornant à n'y voir que l'aspect formel des
règles. L'importance prise par les techniques constitue trop souvent, à
l'heure actuelle, un alibi pour l'absence de véritable méthode et semble
d'autant plus dangereuse qu'elle coïncide avec une période d'extension de
la sociologie. Il était nécessaire qu'un coup de barre fût donné3, et
dénoncé le danger du « ritualisme des procédures, qui est peut-être la

1. P. Bourdieu et al. (1968), p. 35.


2. E. Durkheim (1895, B 159 bis).
3. On peut regretter qu'il revête trop souvent l'aspect d'un« coup de bâton» et d'un règlement
de comptes. Une pensée sereine eût été un exemple plus efficace d'une sociologie sans prénotions ...
et sans ressentiments.
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 381

caricature de la rigueur méthodologique mais qui est à coup sûr le


contraire exact de la vigilance épistémologique1 ».
Cette lutte contre les prénotions ne peut être considérée comme une
étape se terminant par une victoire, ouvrant définitivement les portes de
la vraie science. C'est une lutte continuelle.A chaque instant, il faut se
méfier des présupposés, de ce dont on ne se doute pas. Cependant, c'est
tout de même au début, lorsque se bâtit la recherche, que la nécessité de
la « vigilance de la vigilance » c'est-à-dire de la critique de tous les recoins
de son esprit, et de l'attention elle-même, est la plus importante.
Imaginons le savant immunisé contre lui-même,« ramoné». Quelles
vont être ses démarches ?
Étant donné l'importance du concept, sans doute est-il plus prudent
de s'en tenir, au delmt de la recherche, à un stade moins ambitieux : celui
de la définition provisoire.
302 2° La définition provisoire ◊ Durkheim indique que le savant doit
d'abord définir les cnoses dont il traite afin que l'on sache et qu'il sache
bien de quoi il est question ... une théorie ne peut être contrôlée que si
l'on sait reconnaître les faits dont elle doit rendre compte 2. Un véritable
concept, ne peut être établi qu'à la fin de la recherche, lorsque les caracté-
ristiques des phénomènes étudiés sont connues. Au moins faut-il au
début donner une définitionprovisoire(vieillesse,jeunesse) qui permette,
dans les grandes lignes, de limiter le champ de la recherche et de désigner
les phénomènes. Comment établir cette définition ? Durkheim dit qu'il
ne faut prendre pour objet de recherche« qu'un groupe de phénomènes
préalablement définis par certains caractères extérieurs qui leur sont
communs et comprendre dans la même recherche tous ceux qui
répondent à cette définition 3 ». La façon dont M. Mauss étudie la prière
est une excellente illustration des règles de Durkheim.
« Il n'est pas question bien entendu de définir la substance même des faits,
une telle définition ne peut venir qu'au terme de la science, celle que nous avons
à faire au de'but ne peut être que provisoire. Elle est seulement destinée à engager
la recherche, à déterminer les choses à étudier, sans anticiper sur les résultats de
l'étude. [ ...] Il s'agit de savoir quels sont les faits qui méritent d'être appelés
prières [...] Ce qu'il faut trouver, c'est quelques caractères apparents, suffisam-
ment sensibles, qui permettent de reconnaître presque à première vue, tout ce qui
est prière. Mais d'un autre côté, ces mêmes caractères doivent être objectifs. Il ne
faut se fier ni à nos impressions, ni à nos prénotions, ni à celles des milieux
observés4.»
Mais les définitions existent, les dictionnaires en sont remplis. Sans
doute, mais justement les définitions du langage habituel ou de la langue
littéraire corespondent, c'est leur but, à l'usage commun de la langue,
non pas aux phénomènes envisagés sous l'angle des sciences sociales. Le
1. P. Bourdieu et al. (1968), p. 30.
2. E. Durkheim (1895, B, 159 bis), p. 34.
3. Op. dt., p. 35.
4. M. Mauss, rééd (1969, B, 159 bis).
382 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

savant doit, comme dans les sciences de la nature, non pas forcément
créer un mot nouveau mais « mettre à la place de la conception usuelle,
qui est confuse, une conception plus claire et plus distincte. Le physicien
n'a pas défiguré le sens du mot «chaleur» quand il l'a défini par la
« dilatation ».

§ 2. Construction de l'objet
303 L'objet à construire ◊ Pendant que se précise la définition provisoire,
avant d'arriver à établir un concept rigoureux, se prépare la construction
de l'objet. Comme le dit Bachelard : « La science réalise ses objets sans
jamais les trouver tout faits [ ...] elle ne correspond pas à un monde à
décrire, elle correspond à un monde à construire [ ...] Le fait est conquis,
construit, constaté 1.»
La construction de l'objet est un des points essentiels et les plus diffi-
ciles de la recherche, le fondement sur lequel tout repose. Cette étape
importante commence dès l'idée de l'enquête, elle se poursuit pendant la
recherche de la définition provisoire, pour aboutir à la construction du
concept et guider avec lui toute la recherche. Dire cela, c'est décrire une
démarche générale, abstraite, presque extérieure. C'est un impératif sans
mode d'emploi. En fait, si la construction du concept peut, comme nous
le verrons, se diviser en étapes techniques, celle de l'objet échappe a
toutes les recettes et procédures. Chaque thème de recherche comporte
un objet différent et chaque construction doit donc s'adapter à l'objet à
construire. C'est sans doute le moment où s'apprécie le degré de forma-
tion du sociologue, c'est celui surtout où se révèlent l'intelligence et les
qualités contradictoires du chercheur : intuition, rigueur, connaissances
et imagination, sens du réel et de l'abstraction
304 Réalité sociale et réalité sociologique ◊ Certains objets paraissent
construits, prêts à être analysés. C'est le cas de certaines études descrip-
tives. En science politique, souvent l'objet, l'institution, forme un tout Le
progrès a consisté d'abord à passer del' étude des textes, del' objet abstrait,
formel, à l'analyse de la réalité, à ce qui se passe. Mais bien entendu, il
s'agit là encore d'une description de l'objet, non de la recherche d'un
réseau de relations explicatif, au-delà des structures apparentes.
De la même façon en sociologie, il est fréquent de voir pris comme
objet d'étude simplement ce qui est donné dans la réalité : monographie
d'une institution ou d'un village. Comme le remarque P. Bourdieu,
« nombre de sociologues débutants agissent comme s'il suffisait de se
donner un objet doté de réalité sociale, pour détenir du même coup un
objet doté de réalité sociologique2 ». La distinction peut paraître subtile,
quelques exemples faciliteront la compréhension.
E. Goffman (1961) étudiant l'institution asilaire possédait un objet doté d'une
réalité sociale. Il pouvait le décrire et l'analyser. Or il a découvert qu'à côté du
1. G. Bachelard (1968, B, 4), p. 61.
2. P. Bourdieu et al. (1968).
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 383

règlement officiel de l'asile et de son but thérapeutique: soigner les malades,


s'était établie une organisation parallèle interne. Pour assurer le fonctionnement
de l'institution s'était créé (chez les malades et les gardiens) un ensemble de cou-
tumes, de règles, de hiérarchies, plus réelles et efficaces que l'organigramme et le
règlement affichés et qui en fait modifiaient les objectifs apparents de ceux-ci.
Goffman a ainsi construit un objet sociologique : le système de relations à l'inté-
rieur de l'asile. Système qu'il a pu généraliserà l'ensembledesinstitutionsde ce type,
caserne, internat, où interviennent les mêmes facteurs dans des situations
comparables.
De la même façon, P. Bourdieu étudiant l'organisation de l'enseignement
public français, aurait yu la qualifier de démocratique, gratuite, donc ouverte à
tous et décrire les differentes étapes de l'enseignement et leurs diverses orienta-
tions. Or dans Leshéritiers(1964) il démonte ces apparences et montre par une
analyse quantitative du recrutement (corrélation entre les origines sociales et les
differents types d'enseignements) et qualitative des critères de sélection, com-
ment le système fonctionne en fait, en faveur d'une classe sociale déterminée.
C'est en rattachant la monnaie, objet matériel ayant une fonction évidente
pour tous: son utilité économique, à d'autres aspects de la réalité sociale, que M.
Mauss a pu concevoir une théorie générale : l'essaisur le don1.Au départ il posait
la bonne question : « Quelle force y a-t-il dans la chose qu'on donne, qui fait que
le donataire la rend?» Détruisant la thèse du troc dans l'économie naturelle, il
retrouvait, en étudiant les diverses coutumes, un unique principe d'explication :
« Il y a dans les choses échangées une vertu particulière qui les oblige à circuler et
ce qui circule c'est bien autre chose que l'utile 2 . » De ce quelque chose, l'époque
actuelle et la société de consommation gardent de nombreuses traces : cadeaux de
jour de l'an, échanges d'invitations.
Enfin lorsque Marx dit: « le capital n'est pas une chose mais une relation
sociale entre des personnes », il découvre derrière un objet perçu concrètement,
un aspect nouveau. Cette notion de relation sociale orientera toute sa recherche.
305 Objet réel, objet construit ◊ Ces diverses études pourtant bien éloi-
gnées les unes des autres, présentent cependant un caractère commun,
toutes recherchent la réalité sociale, c'est-à-dire une partie de ce qui
anime celle-ci et l'explique. « Il n'y a de science que du caché» disait
Bachelard. Sans utiliser les termes de fonction, de structure ou de système
sous leur forme théorique absolue, mais dans leur sens courant, on peut
dire que cette réalité sociologique correspond à une part d'activité sociale
(la monnaie, le capital), assure la poursuite des objectifs de la société,
souvent différents de ses buts apparents (le système d'enseignement,
l'asile), ou explique un certain nombre de faits sociaux (cf. le suicide, la
délinquance 3).
Finalement, construire l'objet, c'est découvrir derrière le langage
commun et les apparences, à l'intérieur de la société globale, des faits
sociaux liés par un système de relations propre au secteur étudié.
Il était nécessaire d'insister sur ce point essentiel. Cependant il semble
aujourd'hui indispensable de rendre les apprentis chercheurs prudents.
1. M. Mauss (1950, B, 159 bis).
2. « Des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des
danses, des fêtes, des foires. » M. Mauss, op. cit.
3. J.-C. Chamboredon (1971).
384 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

Construire l'objet ne doit pas devenir une simple formule utilisée sans
réflexion, une autre forme de routine. Dans l'état actuel des sciences
sociales, la simple collecte des faits, la description ou la mesure de fac-
teurs constituent des travaux utiles. Toute recherche n'atteint pas obliga-
toirement l'objectif ambitieux de construction de l'objet et de création du
concept. Il faut savoir à quel niveau on peut situer son étude et ce qui est
possible suivant la nature du travail entrepris.
306 L'objet construit et l'objectif◊ « Un objet de recherche si partiel et
si parcellaire soit-il ne peut être défini et construit qu'en fonction d'une
problématique théorique permettant de soumettre à une interrogation
systématique les aspects de la réalité mis en relation par la question qui
leur est posée 1.» Tout va dépendre de cette question qui constitue l'ob-
jectif de la recherche et à travers laquelle se construit l'objet. Comme le
dit F.S. C. Northrop (19 59) : « La science ne commence pas avec des faits
et des hypothèses, mais avec un problème spécifique » : construire l'objet
sociologique,c'est deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser
les bonnes questions.
Mais il y a beaucoup de questions possibles à partir d'une même réalité sociale
et celle que l'on choisit oriente l'enquête et ses résultats. Un exemple frappant est
celui du village de Tepotzlan étudié par R Redfield (1956) qui se demandait:
« quelles sont les joies qu'éprouve cette population?» et vingt ans plus tard, par
O. Lewis (1951) qui, lui, cherchait ce dont elle souffrait. Quoi d'étonnant à ce
que leurs réponses aient été dissemblables. Redfield commentant le contraste
concluait : « Il ne peut y avoir un compte rendu unique, définitif, et complète-
ment objectif d'une totalité humaine. »
Liés à des concepts qui ne sont que des « points de vue» 2 eux-mêmes
attachés à des théories, ces objets construits s'évanouissent, remplacés
par d'autres, en sciences sociales comme en sciences naturelles. L'âme
primitive, l'hystérie, le totem, et d'autres encore ont disparu. « L'esprit
scientifique se constitue comme une série d'erreurs rectifiées3 » a dit
Bachelard.
Ce qui en dernière analyse exprime l'objet construit, synthétise l'acti-
vité des divers facteurs, résume l'explication, c'est le concept. Il doit à son
tour être défini, construit ou plus exactement décomposé, c'est-à-dire
divisé en éléments permettant son étude. Quel est le rôle des concepts et
comment les construire ?

§ 3. Les concepts
307 1° Le rôle des concepts ◊ L'observation peut, à la ligueur, se conce-
voir sans hypothèse de départ, par exemple dans le cadre d'une recherche
exploratrtce. En revanche, un élément indispensable à toute recherche,
1. P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1964).
2. Remarque faite par Saussure.
3. G. Bachelard (1938, B. 4).
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 385

c'est le concept.Le concept n'est pas seulement une aide pour percevoir,
mais une façon de concevoir. Il organisela réalité en retenant les carac-
tères distinctifs, significatifs des phénomènes. Il exerce un premier tri au
milieu du flot d'impressions qui assaillent le chercheur.
Le concept doit ensuite guiderla recherche, en lui procurant au départ,
un point de vue.
Or ce qui retarde les progrès de la science, c'est l'inadéquation de nos
points de vue plutôt que celle de nos techniques.
Un exemple classique est celui de Pasteur détruisant le concept de « génération
spontanée » et découvrant les microbes.
Le plus souvent, la réalité ne révèle au chercheur qu'un seul aspect des
phénomènes, il doit, pour préciser certains éléments, concevoir, imaginer
une hypothèse pour ce qu'il ne voit pas. Le concept en tant qu'outil, four-
nit non seulement un point de départ, mais également un moyen de dési-
gnerpar abstraction,d'imaginer ce qui n'est pas directementperceptible.
Comme le déclare Einstein : « le chercheur est parfois comme un homme qui
voudrait comprendre le mécanisme d'une montre qu'il ne peut ouvrir. A partir
des seuls éléments qu'il voit ou entend (les aiguilles tournent, le tic-tac), il peut
chercher une explication rendant compte de la façon la plus simple, de faits nom-
breux même invisibles. Ce sont les concepts de mouvement, de roue, d'engrenage,
qui permettent de comprendre sans le voir, le mécanisme de la montre. » La
façon de grouper ces objets ou éléments, en fonction d'une propriété commune,
est le propre de l'abstraction et de la généralisation, qui, ainsi que nous l'avons
vu, sont les moyens de constituer les concepts.
Les concepts peuvent, avec les progrès de la science, s'améliorer, se
relier à des théories, aboutir à des applications nouvelles. Un concept issu
d'une série d'observations permet ensuite, par déduction, de prévoir
d'autresproblèmes,d'autres conséquences des faits qu'il généralise.
Par exemple, M. Planck imagine le concept de quanta pour expliquer l'aspect
discontinu de l'énergie. Einstein déduit de ce concept certaines conséquences, qui
aboutissent au radar et à la télévision.
En sciences sociales, le concept remplit également ces fonctions: orga-
niser, guider, désigner, prévoir. Mais alors que, dans les sciences phy-
siques et naturelles, le concept obéit aux nécessités de l'uniformité de la
mesure et de la quantification, en sciences sociales, on se heurte à une
question de vocabulaire. Le concept est une abstraction, ce n'est pas le
phénomène lui-même et il prend sa signification du contexte d'où il est
tiré. Il peut changer de sens, suivant la façon dont il est considéré. L'am-
biguïté des termes, empruntés le plus souvent au langage courant, gêne le
chercheur, qui se croit alors justifié d'utiliser des définitions personnelles.
Chacun ayant les siennes, la nécessité de définir les concepts, pour qu'ils
puissent jouer leur rôle d'agent de communication, devient impérieuse.
Le terme culture pour un anthropologue, n'a pas le même sens que pour
un romancier ou un agriculteur.
Les concepts semblables doivent recouvrir des expériences semblables, mais ils
sont susceptibles d'évoluer. Le concept d'attitude, tel qu'il est défini dans le die-
386 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

tionnaire de Lalande, semble aujourd'hui insuffisant. Des concepts aussi fré-


quemment utilisés que groupes, communautés, classes, ne possèdent pas encore
de définition sur laquelle tout le monde soit d'accord. Un auteur américain,
Eubank, a pu en 1931 établir une liste de concepts principaux, relevés par dix
sociologues américains, dans huit textes généraux. Sur les 146 concepts relevés,
seulement 63 sont utilisés par plus d'un sociologue, un seul apparaît chez 7, 2
chez 6, et 8 chez 5, pas un seul n'est utilisé avec le même sens dans les 8 textes.
Lesprogrès de la sociologie,de la psychologie sociale, de la science poli-
tique, se marquent également par un accord sur les définitions et un
ralentissement dans l'inflation du vocabulaire. De toute façon, le cher-
cheur prudent indiquera la définition adoptée, pour les concepts qu'il uti-
lise. C'est en réaction contre l'imprécision des termes employés et leur
excessivevariété qu'est né l'opérationnisme.
308 L'opérationnisme ◊ Il est né des difficultés que l'on rencontre en physique
moderne pour étendre à d'autres niveaux, des concepts définis à un niveau déter-
miné. En général, les résultats ne sont pas transposables d'une échelle de mesure
à une autre, parce que les méthodes de mesure ne sont pas équivalentes. 11en
résulte que les concepts eux-mêmes ne peuvent être définis que par rapport à un
certain domaine, où s'appliquent les opérations qui servent à les définir. Deux
concepts sont équivalents, si les méthodes de mesure définissant les opérations
qui les constituent le sont.
Le promoteur de l'opérationnisme est le physicien P. Bridgman qui, en 1927, a
posé le principe des définitions opérationnelles. Les sociologues les plus prag-
matistes ont transposé ces règles à la sociologie,ce qui suscita de vives discussions
pendant les années 1930-1940. Bridgman écrivait: « En général, par concept
nous n'entendons rien de plus qu'un ensemble d'opérations. La signification
d'une proposition c'est sa vérificabilité.» Le sociologue G. A Lundberg, luttant
contre les définitions subjectives et multiples des concepts en sociologie, déclare
que la seule façon de définir quelque chose objectivement, c'est de le définir par
les opérations qu'il implique. Nous voyons donc qu'il y a deux aspects dans l'opé-
rationnisme. D'une part une attitude épistémologique : on cherche à créer l'unité
de la science au moyen d'un langage commun appliqué à des manières de faire,
en évitant les définitions littéraires ou subtantialistes. D'autre part franchissant
une étape de plus (position du positivisme logique: cf. n° 76), on assimile signifi-
cation à vérificabilité. Les excès de cette conception faisaient dire à Bridgman que
l'on avait créé« un Frankenstein éloigné de ce que lui-même pensait».
En limitant ainsi l'extension du concept aux ensembles d'événements
qui relèvent effectivement du mode de mesure impliqué par l'opération,
on élimine les faux problèmes, mais on réduit également le rôle des
concepts et des systèmes théoriques. Poussée à l'extrême, l'attitude opéra-
tionnelle ne tient pas compte du fait que le concept est général et anté-
rieur à toute opération particulière. Si nous prenons l'exemple simple de
la mesure d'une longueur, l'opération qui consiste à mesurer ne nous
donne que la mesure de tel objet Le concept de longueur a précédé l' opé-
ration qu'il a inspirée et qui, sans lui, n'aurait pu exister. De plus, la défi-
nition par l'opération particulière rend difficile une synthèse nécessaire à
un système théorique. Si l'intelligence c'est ce que certains tests
mesurent, modèle type de définition opérationnelle, on obtient une
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 387

variété de types d'intelligences en fonction des tests, mais pas un concept


général de l'intelligence 1 .
La critique de méthode que l'on peut adresser à l'opérationnisme c'est
d'escamoter la valeur des concepts en cause. Comme le remarque Hem-
pel, en privilégiant les définitions opérationnelles au détriment des exi-
gences théoriques, « la littérature méthodologique consacrée aux sciences
sociales tend à suggérer que la sociologie n'aurait pour préparer son ave-
nir de discipline scientifique, qu'à se constituer une provision aussi large
que possible de termes « opérationnellement définis» et« d'un emploi
constant et univoque», comme si la formation des concepts scientifiques
pouvait être séparée de l'élaboration théorique.« C'est la formulation de
systèmes conceptuels dotés d'une pertinence théorique qui est à l' œuvre
dans le progrès scientifique 2 . »
309 2° La construction du concept ◊ Pour lutter contre l'emploi de
concepts flous, ambigus, il faut apprendre à les construire de façon rigou-
reuse et pour cela connaître ce que Lazarsfeldconsidère comme les étapes
de cette construction.
On croit trop souvent que ceci n'est indispensable que dans une
recherche visant une quantification. Dans ce cas, il est évident que des
variables mesurables doivent être prévues 3 • Mais dans une recherche qua-
litative, la tentation de se contenter de concepts imprécis étant plus
grande, il est encore plus important de définir ce dont il s'agit Ici encore
la construction du concept conçue comme une technique ne doit pas être
« routinisée », sous peine de courir le risque de laisser échapper l'essen-
tiel. Les étapes de la construction du concept ne sont que la mise en
œuvre, l'application de l'essentiel de la recherche, qui demeure la détenni-
natîon de l'objet, sa construction.
Le but de la recherche, dans une enquête, se présente sous des aspects
différents. On peut vouloir mesurer un stimulus contrôlé. Par exemple
l'influence sur le rendement de l'intensité de l'éclairage dans un atelier. Il
arrive également que l'on explore une situation donnée, sans idée de
quantification, simplement pour comprendre: c'est ainsi que
W. F. Whyte (1943) observait les adolescents d'un quartier populaire.
Dans ce dernier cas, l'observateur se pose d'abord des questions à propos
de ce qu'il voit et imagine des relations, des classifications, facilitant
l'analyse.
Comme le note Lazarsfeld4, il arrive un moment où l'objectif de la
recherche implique le passage de l'idée à l'opération elle-même. Qu'il soit
question d'un concept défini, tel le rendement, dont on veut savoir ce qui
l'influence, ou de concepts à découvrir, dans le cas des observations de
1. L'opérationnisme a tout de même été utile pour rendre la terminologie plus objective, et
apprécier les hypothèses en fonction de leur façon de rendre compte de la réalité.
2. P. Bourdieu et al. (1968), p. 61 note 2.
3. Le mot« variable», issu des mathématiques, est lié à l'idée d'une classification métrique ou
mesure. Dans les sciences sociales le terme est plus large. La classification selon le sexe, l'âge, le sta-
tut économique, correspond à ce que l'on appelle communément des variables.
4. R. Boudon et P. Lazarsfeld (1965).
388 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

Whyte, il s'agit de toute façon de cerner divers aspects d'un concept en


cause, pour cela de chercher comment il s'exprime, se caractérise, se défi-
nit concrètement « Dans le langage de la sociologie, le problème revient
à distinguer un certain nombre de dimensionsspécifiques du concept ori-
ginal et à trouver des indicateurspour chaque dimension 1 . »
310 Indicateurs et dimensions o Lazarsfelddécrit de la façon suivante la
procédure à suivre :
1° D'abord la représentationimagée du concept. Celui-ci, qu'il soit
préexistant ou naisse de l'observation elle-même, n'est jamais très précis.
S'agit-il du moral de l'entreprise, de la notion de gestion ou d'intel-
ligence, un nouveau concept est d'abord perçu intuitivement.
2° La deuxième étape de spécificationconsiste à découvrir les compo-
santes, éléments, aspects du concept. Le vocabulaire est riche pour
dénommer tous ces facteurs que les sciences sociales rassemblent sous le
nom de dimensions.
Prenons le cas d'une étude sur le développement de pays non industrialisés. Le
concept de développement est perçu globalement, intuitivement. Pour entre-
prendre une étude concrète, il faut décomposer le concept, l'analyser sous divers
aspects, diverses dimensions : rythme de développement, secteurs, classes sociales,
etc.
Le terme de dimension,de plus en plus utilisé, comme celui de niveau,
n'est pas mieux défini. Il comporte à la fois un élément quantitatif, car il
recouvre plusieurs variables indépendantes, souvent même pressenties et
non identifiées et un élément qualitatif, du fait même que le nombre de
ces variables implique un choix. Le niveau, malgré la pluralité, n'offre
qu'une seule possibilité linéaire, verticale, correspondant à une profon-
deur. La dimension se réfère au contraire à des possibilités d'orientation,
à une pluralité de voies de recherches dans des directions et à des niveaux
différents. Ainsi la dimension apparaît-elle comme un degré de liberté.
Plus nombreuses sont les variables que recouvre la dimension, plus
grande est la possibilité d'influence ou de choix de l'une ou de l'autre.
3° La troisième démarche consiste à trouver les indicateursdes dimen-
sions retenues. Un indicateur2 est une donnée observable permettant
d'appréhender les dimensions, la présence ou l'absence de tel attribut
dans la réalité étudiée. Ce problème est délicat, car les indicateurs d'une
même notion peuvent varier suivant les milieux.
Lazarsfeldcite le concept de prudence. Il est évident que les signes seront dif-
férents suivant qu'il s'agit d'un agent de change, d'un homme politique, d'un

1. Op. dt., Lazarsfeld reprend ce schéma dans différents articles.


2. L'idée générale consiste, écrit P. Lazarsfeld,à étudier les relations entre indicateurs à l'aide des
mathématiques; à définir ce que l'on pourrait appeler la puissance d'un indicateur, comparative-
ment à un autre, à doser sa contribution, en le pondérant dans le cas particulier de la mesure que
l'on se propose d'effectuer.
La notion d'indicateur s'est étendue, en perdant de sa rigueur, au domaine économique et surtout
social. La bibliographie sur ce thème s'est considérablement accrue mais ne concerne pas directe-
ment notre propos.
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 389

chef d'entreprise ou d'un chirurgien. En disant de l'un d'eux qu'il est prudent, on
ne s'attendra pas à ce qu'il remplisse toute la liste des conditions particulières
caractérisant la prudence de tous les autres. Mais il y aura une probabilité pour
qu'il accomplissecertains actes en respectant certaines caractéristiquesde la pru-
dence.
La relation entre chaque indicateur et le concept fondamental à étudier
étant définie en termes de probabilité et non de certitude, il est indispen-
sable d'avoir à sa disposition un grand nombre d'indicateurs. On ne peut
juger de l'intelligence de l'individu par un seul critère, de la capacité d'un
médecin par le seul nombre de malades guéris, de la valeur d'un auteur
par le nombre de livres vendus. Car l'int.elligenceest complexe, les mala-
dies plus ou moins difficiles à guérir et le chiffre de vente des livres n'in-
dique que le succès commercial. Le choix, le nombre et la hiérarchie des
indicateurs posent naturellement des problèmes.
Lorsqu'il s'agit d'un concept que l'on utilisera dans une recherche à
résultatsquantifiés,la difficulté consiste à trouver des indicateurs à la fois
révélateurs et eux-mêmes quantifiables. Lorsqu'il s'agit d'une enquêtequa-
litative,il faut surtout que les indicateurs soient riches de signification par
rapport à l'objet de la recherche. Dans une étude sur le rôle de l'homme
et de la femme dans le couple, on cherchera qui prend les décisions et
quel type de décision... même qui de'bouche les lavabos 1 ? J. L. Simon
(1969) indique que dans une recherche sur l'écout.e de la publicité
commerciale à la télévision, on avait eu l'idée ingénieuse de retenir la
baisse de pression de l'eau, comme indicateur, après avoir remarqué que
les ménagères retournaient à l'évier lorsque le programme ne les intéres-
sait plus.
4° La quatrième étape est celle de la formation des indices.Il s'agit de
faire la synthèse des données obtenues au cours des étapes précédentes.
L'indiceexprime la combinaison de plusieurs indicateurs. Par exemplel'indice
du coût de la vie est un indicesynthétique,qui combine les prix des divers postes
du budget familial, pondérés suivant leur importance. Une année de référence
reçoit la valeur 100 ce qui permet de suivre les variations de l'indice.
L'indice peut être hiérarchisé,dans ce cas les indicateurs sont placés dans un
ordre qui correspond à la valeur qui leur est reconnue (ex. échelle hiérarchique
d'attitude).
Imaginons un jury de concours de beauté: il n'aurait pas de difficulté
pour décerner le prix si une seule concurrente était la plus belle à tous les
points de vue, mais en fait, l'une a de jolies jambes, l'autre de beaux yeux.
Le jury devra donc dresser une liste, comportant les divers points à noter :
éléments du visage, proportions du corps, etc. 2 ces indicateurs devant
s'unifier pour permettre au jury d'apprécier l'ensembledes données.
Si l'on a décomposé la notion de beauté en quatre dimensions : pro-
portions, charme de l'expression, grâce des gestes, couleur, et choisi des
indicateurs pour chacune, il s'agit de les pondérer et d'en tirer une
1. H. Touzard (1967).
2. L'indicateur est l'élément révélateur quantifiable alors que l'indiceimplique une pondération
et une quantification d'un ensemble.
390 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

mesure unique, d'après laquelle le jury classera les candidates. Chaque


indicateur entretient une relation de probabilité avec la variable que l'on
veut étudier. Mais un indicateur particulier peut varier sans que l'attitude
fondamentale de l'individu change. MlleA. peut rester la plus belle,
même si elle a un peu grossi. Il peut aussi arriver que la position fonda-
mentale évolue sans que ce soit sensible sur un seul indicateur: M11e B.
peut être beaucoup moins belle, tout en conservant un nez charmant
L'avantage d'avoir un grand nombre d'indicateurs, c'est qu'il y a peu de
chance qu'ils restent tous immuables si la position fondamentale étudiée
change : la perte de beauté de MlleB. se traduira par un empâtement mais
aussi un moindre éclat, etc.
Ces problèmes de variations ont donné lieu à des vérifications et à des
expériences en particulier à l'étude de l'interchangeabilité des indicateurs.
311 L'interchangeabilité des indices ◊ Les concepts psychologiques et
sociologiques sont souvent très complexes et le choix des indicateurs est
délicat. Cependant leur corrélation 1 avec des variables extérieures
demeure en général stable quel que soit l'échantillon d'items 2 choisi. Ce
phénomène est celui de « l'interchangeabilité des indices 3 ».
Un exemple fait facilement comprendr~ cette proposition abstraite. Lazars-
feld 4, pendant la période Mac Carthy aux Etats-Unis, étudiait l'attitude des uni-
versitaires, etc. Il fut amené à construire un indice du« conservatisme», établi à
partir d'indicateurs tels que lectures de certains journaux, appartenance à telle
organisation, enfin approbation de tels principes, etc. D'autres indicateurs pou-
vaient être imaginés. Une première question: « Pensez-vous que l'on doive per-
mettre la formation d'un groupe de jeunesse socialiste dans cette université, si
certains étudiants en expriment le désir ? » semblait un bon indicateur ; 14 % des
sujets, soit 355 professeurs ont répondu négativement. Une deuxième question
portait sur un avis, favorable ou pas, au fait d'inviter une personnalité, inculpée à
Washington, à prendre la parole: 14 % de l'échantillon, soit 342 professeurs ont
encore répondu négativement. Ce qui est intéressant c'est que ce sont pas les
mêmes qui ont répondu négativement aux deux questions.
On s'aperçoit que des pourcentages semblables de réponses aux deux questions
sont obtenus, malgré une grande rotation des réponses. En effet, 124 sujets
désapprouvent l'invitation mais approuvent la formation d'un cercle socialiste et
152 désapprouvent cette dernière et acceptent l'invitation.

1. Corrélation cf. annexe statistique.


2. Item signifie question posée.
3. Levocabulaire anglais manque de précision. On trouve« proxy »ou« index» pour indicateur
alors que« index number » correspond à indice. - Ici indicateur est traduit par indice dans l'édition
française. Nous préférons pour éviter toute confusion conserver la distinction indicateur, indice sui-
vant les définitions données. (Cf. n° 310 note 3.)
4. P. Boudon et P. Lazarsfeld (1965).
LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE 391

TABLEAUA

FORMATION
D'UN CERCLE INVITATION
SOCIAllSTI

Approuvent Sans opinion Désapprouvent Total

Approuvent ............................. 1686 95 124 1 905


Sans opinion ............................ 118 27 46 191
Désapprouvent .......................... 152 31 172 355
-- -- -- --
Total ................................. 1 956 153 342 2451

Le problème des relations entre variables étant capital dans les sciences
sociales, la question importante que pose Lazersfeldest celle-ci : « Si nous
remplaçons un indicateur par un autre qui nous paraît aussi valable que
le premier, les relations que l'on cherche à révéler seront-elles modi-
fiées?»
L'expérience suivante permet de donner une indication. La question considérée
comme variable extérieure obligeait les sujets à faire un choix : « Dans le cas où
un membre du corps enseignant serait engagé dans des activités subversives,voire
anti-américaines, pensez-vous qu'il soit plus important pour l'Administration de
l'Université de protégerla réputation de l'Université ou les droits desmembresdu
corpsenseignant? »
TABLEAUB
Proportiondessujetsen faveur d'une protection des droits
du corps enseignant en fonctiondesdeux mesuresprécédentes
du conservatisme

ATTITUDEÀ L'ÉGARD ATTITUDEÀ L'ÉGARD


DE l'autorisation du groupedejeunessesocialiste
Conservateur .......... 46 % Conservateur .......... 43 %
Neutre . . . . . . . . . . . . . . . 50 % Neutre ............... 51 %
Tolérant . . . . . . . . . . . . . . 70 % Tolérant .............. 70 %

Nous pouvons remarquer le parallélisme des chiffres. En ce qui


concerne l'attitude vis-à-vis de la défense des droits du corps enseignant,
les pourcentages des divers groupes sont très proches dans l'une et l'autre
colonne, c'est-à-dire quel que soit l'indicateur que l'on utilise pour les
classer.
Il est important de savoir que dans les sciences sociales les indicateurs
possibles sont très nombreux, mais que l'on ne peut généralement en uti-
liser qu'un petit nombre. Dans ce cas, si l'on choisit des indices expri-
mant la même variable à partir d'indicateurs valables, on constate :
1° Que les deux indicateurs sont statistiquement liés mais ne classent
pas forcément les individus de la même façon (tableau A).
392 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

2° Par rapport à une variable extérieure, ces deux indicateurs donnent


des résultats empiriques semblables (tableau B).
L'interchangeabilité des indicateurs est à la fois rassurante, car elle montre la
réalité du lien entre les indicateurs et l'objet étudié, et attristante, en tant que
signe de l'imperfection de la méthode utilisée qui n'atteint jamais une classifica-
tion pure. Cependant, en multipliant les études, on peut espérer mettre au point
des instruments de mesure comparables à certains tests. Dans les domaines nou-
veaux où les variables sont étudiées pour la première fois, on ne peut utiliser que
des indicateurs relativement sûrs et simples.
Cet exemple d'un processus classique de quantification du qualitatif montre,
non pas la façon de decouvrir une hypothèse générale d'ensemble, mais comment
on peut analyser une situation, même assez générale, et hiérarchiser l'importance
des facteurs qui l'influencent.

312 Bibliographie ◊
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OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 393

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SECTION2. OBSERVATION,HYPOTHÈSE,
EXPÉRIMENTATION
§ 1. Particularités de l'observation
dans les sciences sociales
313 1° L'objet à observer est humain ◊ Dans les sciences de la nature,
on observe des faits grâce à des instruments de mesure.
Quelle que soit l'impression ressentie dans une salle à 20° par Paul qui arrive
d'une chambre froide à 0°, et Pierre qui sort d'une chaufferie à 30°, le thenno-
mètre est là pour les mettre d'accord sur le fait qu'il y a 20° dans la pièce. En
revanche, si Paul trouve un cours ennuyeux, alors que Pierre s'y intéresse, les deux
impressions sont également vraies, comme l'étaient celles de chaud et de froid,
mais on ne possède pas de critère extérieur auquel se référer, pour dire quel est le
degré d'intérêt présenté par un cours.
Durkheim a prescrit de« traiter les faits sociaux comme des choses»,
et l'on a admis après lui, qu'il existait des faits humains comme des faits
physiques, que l'on pouvait également observer d'une manière scienti-
fique, c'est-à-dire objective. On doit cependant reconnaître que les faits
humains présentent certaines particularités dont il faut tenir compte.
Le fait social est à la fois unique et historique: « Tout fait social est un
moment de l'histoire d'un groul': d'hommes, il est fin et commence-
ment d'une ou plusieurs séries . » Alors que les sciences de la nature
observent le plus souvent des phénomènes, qui, sous les mêmes condi-
1. Cf. M. Mauss, Œuvres III, p. 209.
394 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

tians, se répètent de façon identique, les sciences sociales étudient des


faits qui ne se reproduisent jamais exactement de la même manière, d'où
la difficulté de généraliser et la nécessité de tenir compte, à la fois de fac-
teurs historiques, généraux, mais aussi de contextes particuliers.
Enfin, les faits sociaux se traduisent le plus souvent en actessociauxou
pratiques sociales, sentiments et représentations collectives.
Les actes et les conduites peuvent recouvrir des significations dif-
férentes. La simple observation du fait est intéressante, mais elle ne suffit
pas pour éclairer sur les motifs.
En regardant deux individus courir l'un derrière l'autre, on peut penser que le
premier entraîne le second, ou que le second poursuit le premier. On aborde ici la
deuxième caractéristique des sciences sociales. En admettant que les faits sociaux,
malgré les particularités soulignées, soient considérés comme des choses, l'obser-
vateur, comme l' observé, est un être humain.
314 2° L'observateur est aussi un être humain o C'est là une des diffi-
cultés majeures de l'observation en sciences sociales. Il n'existe pas d'ins-
truments de mesure, tels que le thermomètre ou le manomètre. Le plus
souvent, c'est l'observateur qui est lui-même instrument, d'où la possibi-
lité d'interférences de sa propre personnalité sur les résultats de l'observa-
tion, comme de l'interprétation. Le problème essentiel est donc (cf. n°
225), celui de l'objectivitédu chercheur.
315 3° Les instruments d'observation ◊ Les sciences physiques ont pro-
gressé grâce aux découvertes d'instruments adaptés au genre de phéno-
mènes à observer. Microscope en biologie, télescope en astronomie, per-
mettent d'atteindre des données inacessibles à nos sens. Le principe du
microscope est simple: c'est celui de l'agrandissement Il a permis d'aller
au-delà de la surface extérieurement observable, d'atteindre ce qui
jusque-là n'était pas visible à l'œil nu: les bactéries, microbes, virus, etc.
Dans les sciences sociales, bien que l'interprétation soit essentielle et la
recherche de l'explication, d'autant plus intéressante qu'elle est plus pro-
fonde, les instruments utilisés : magnétophone, ou certains outils plus
spécialisés d'enregistrement, représentent une possibilité de reproduction
ou d'extension de l'observation plus qu'un approfondissement.
Le magnétophone permet à l'observateur d'écouter autant de fois qu'il le
désire, une discussion qui s'est déroulée trop rapidement pour qu'il ait pu la noter
entièrement. Le film également, permet de revoir un ensemble de faits, qui n'ont
pu être analysés en même temps, ou qui ont été oubliés. Dans les deux cas, il
s'agit surtout d'une restitution, d'une possibilité artificielle de recommencer l'ex-
périence ( ce à quoi les sciences naturelles se prêtent mieux que les sciences
humaines), mais ce n'est pas un moyen de voir plus loin, ni surtout de voir autre
chose. A la rigueur, peut-on admettre que la caméra camouflée, supprimant la
présence de l'observateur, permet d'observer ce qui ne se produirait pas en sa pré-
sence.
Dans les sciences humaines, les outils matériels peuvent améliorer la
conservation des matériaux : appareils d'enregistrement, ou faciliter leur
manipulation : machines à cartes perforées, mais à la différence des
OBSERVATION,HYPOTHÈSE,EXPÉRIMENTATION 395

sciences physiques, aucun n'apporte de données inaccessibles à nos sens.


Si les progrès des sciences sociales sont donc partiellement dus à l'amélio-
ration des techniques de recherche, celles-ci dépendant avant tout de la
réflexiondes chercheurs et théoriciens.

316 La réflexion, outil de recherche ◊ Si l'observation trouve peu de


possibilités de prolongements par l'outil, elle bénéficie en sciences
humaines d'une source de matériaux que ne possèdent pas les sciences
naturelles : le langage. La nature ne peut mentir, mais elle ne peut non
plus parler. Les hommes, eux, parlent et écrivent, ils rient, haussent les
épaules, etc., tout ceci crée la complexité des sciences humaines, leur dif-
ficulté, mais aussi la richesse des faits obseivés et de leur interprétation.
Les techniques d'observation se sont perfectionnées en fonction de ce
matériel oral ou écrit et des réflexions qu'inspiraient au savant la nature
de ces données, leurs limites, la façon de les recueillir, de les obseiver et
surtout de les interpréter. Le microscope n'existe pas, mais l'entretien
non directif, après la psychanalyse, a amélioré la technique de l'entretien,
lui permettre d'atteindre certaines données sans cela inacessibles. L'ob-
servation sur le terrain se perfectionne, etc. Les progrès des moyens d'en-
quête et de leurs instruments ne sont donc pas identiques à ceux des
sciences naturelles, mais ils existent tout de même et reposent en grande
partie sur l'observateur.

§ 2. Observation plus ou moins systématisée


317 Le degré d'organisation de l'observation ◊ Il est rarement possible
d'expérimenter dans les sciences humaines. C'est pourquoi l'étape de
l'obseivation est si importante. On distingue deux types de classification.
L'une correspond à celle que l'on pratique dans les sciences naturelles et
correspond au degré d'organisation de l'observation.
a) Le premier degré concerne l'observationnon systématisée.Elle
accumule, sinon involontairement, du moins de façon plus ou moins
marginale, des observations qui peuvent cependant susciter une orienta-
tion, une idée de recherche. C'est une attitude générale, qui consiste à se
tenir prêt à saisir les faits significatifs pouvant apparaître dans le champ
d'observation.
b) On trouve ensuite l'observationpréparée.Elle est déjà systématique.
Le chercheur recueille des données dans un domaine déterminé d'avance,
ayant trait à des facteurs précis.
c) Enfin l'observationarmée.C'est le cas de l'emploi de tests ou obser-
vations contrôlées, dans lesquelles l' obseivateur peut parfois même voir
sans être vu. Ces deux derniers types d'observation remplacent souvent,
dans les sciences sociales, la phase de vérification de l'hypothèse ou l'ex-
périmentation.
396 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

§ 3. Observation plus ou moins quantifiée


318 Utilisation ◊ Une recherche qui veut obtenir un résultat quantifié
(comparaison d'ordres de grandeur: résultats d'une propagande, ou
simple mesure d'un phénomène) doit préparer ses instruments de
mesure. Cependant les préalables qui mettent en route la recherche sont
toujours intellectuels et qualitatifs : hypothèse, concept, formulation des
catégories. Une observation peut être qualitative et toute la recherche le
demeurer (Asilesde Goffman 1, Streetcornersocietyde Whyte 2 ) elle n'est
jamais seulement quantitative.
a) L'observationqualitativeest utilisée en général, 1° lorsque l'on veut
se limiter à une description(monographie) ou que l'on vise une analyse
purement qualitative (Asilesde Goffman), 2° pour l'étude du phénomène
complexeà partir duquel on veut construire un concept abstrait (par
exemple L'espritdu capitalismede Weber), dans lequel les indicateurs per-
mettant une quantification risqueraient de ne pas révéler l'essentiel. 3°
Pour préparerune observationquantitative.Lorsqu'il s'agit, avant de for-
muler une hypothèse, de découvrir la présence ou l'absence d'un élément
important par ses caractéristiques plus que par sa fréquence (Cf. l'utilisa-
tion de l' enbtretien non directif).
Pour préparer une généralisation(induction analytique) à partir de
l'analyse approfondie d'une situation plutôt que de la constatation de
régularités dans de nombreux cas (induction énumérative) : étude dans
quelques familles des répercussions du chômage du mari.
b) L'observationquantitativeest utilisée lorsque l'on veut substituerdes
résultatsprécisà des impressions subjectives: comparaison de situations,
ou de concepts faisant allusion à des phénomènes susceptibles de degrés,
mesure d'autoritarisme, ou lorsqu'une généralisationstatistique paraît
possible : sondages.
Les données, les variables à observer peuvent se présenter soit sous une
forme déjà quantifiée et donner lieu à des commentaires qualitatifs (le
suicide) ou à des résultats quantifiés, soit se présenter sous une forme
qualitative et nécessiter un traitement pour être transformées et aboutir à
une présentation quantitative.
319 1 ° Les e1éments sont directement quanti fi ab les. a) Les statis-
tiques ◊ Lorsque les éléments sont directement quantifiables: chiffres
de population, prix des denrées, on peut à partir de cette numération
obtenir des ordres de grandeur, les comparer, tracer des courbes, ou
même extrapoler, prévoir. Statistiques et sondages permettent de traiter
les chiffres recueillis et aident à découvrir leur signification.
La statistique est un auxiliaire précieux des sciences sociales, elle offre
la possibilié de substituer un élément de précision à de simples impres-
sions. Il faut, en effet, se méfier de généralisations hâtives, d'après des
impressions personnelles. Par exemple: on dit que les accidents de voi-
ture augmentent, j'arrive de Genève, je n'en ai pas vu.
1. E. Goffman (1961, B. 312).
2. W. F. Whyte (1943, B. 312).
OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 397

En science politique, c'est sur le matériel fourni par les statistiquesélec-


toralesque se sont multipliées ces dernières années les applications des
méthodes mathématiques.
Levote constitue un indice utile parce que précis, mesurable, de l'attitude poli-
tique de l'électeur. Mais le plus intéressant échappe, car nous ignorons pourquoi
tel groupe d'électeurs vote de telle manière depuis si longtemps. On a pu analyser
certaines influences : régime foncier, pratique religieuse, dans telles ou telles
régions, mais le processus de formation et d'évolution des opinions reste mal
connu.
La statistique, sous la forme la plus simple de compte de certains faits :
nombre de naissances, de décès, etc., donne des résultats exacts, précis.
Lorsque les faits impliquent une opinion, une attitude, tels que le vote ou
l'appartenance à un parti politique, la statistique ne suffit pas, car elle
n'exprime pas la complexité de la réalité. Nous avons dit que les actes
humains devaient s'interpréter. La statistique est trop souvent un alibi.
Grâce à elle, on donne des résultats et l'on évite ainsi de chercher des
explications 1.
320 b) La mesure des opinions ◊ Nous trouvons ici l'utilisation de la
numération la plus simple : on additionne les oui, les non, les pour, les
contre etc. Ensuite grâce à l'application du calcul des probabilités on
étend les résultats obtenus sur l'échantillon, à toute la population inté-
ressée.
C'est le travail auxquels se livrent l'I.F.O.P. 2, la SOFRES3 et d'autres instituts
qui, par des sondages, à partir de questions posées à un certain nombre de per-
sonnes, déduisent la distribution probable de l'opinion générale dans le pays. 11
faut bien noter que les résultats ne proviennent déjà plus de faits bruts : nombre
de naissances, prix..., mais dépendent de la manière dont les questions sont libel-
lées ou posées, donc liés à la façon de recueillir les données. Leprocédé comporte
déjàun élémentqualitatif,qui n'est pas directement mesurable ou plus exactement
qui ne permet pas toujours d'être sûr de ce que l'on mesure.
Enfin si nous voulons mesurer le nationalisme de tel pays ou de tel
parti, le degré d'intégration de tel groupe, nous ne trouvons pas d'élé-
ments déjà quantifiés. Il s'agit pourtant de plus ou de moins. Tel groupe
peut être plus raciste que tel autre, telle minorité d'immigrants s'intégrer
plus rapidement que telle autre, telle minorité, tel gouvernement posséder
plus d'autorité que tel autre, tel quartier participer davantage à la vie poli-
tique ... La question devient : les élémentsqualitatifssusceptiblesdeplus ou
de moins, peuvent-ils bénéficier d'une quantification, ou plus exactement
d'une mesure ?
321 2° Les données qualitatives doivent être quantifiées ◊ Le proces-
sus qui conduit les techniques des sciences sociales à recueillir des don-
nées qualitatives de façon à ce qu'elles puissent ensuite être présentées
1. Sans parler de la façon dont sont établies les statistiques et les catégories. Cf. n° 562 et A. Des-
rosières (1985, 1986, B. 580 bis).
2. Institut français d'opinion publique.
3. Société française d'études par sondages.
398 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

sous forme de résultats quantifiés, n'est pas chez toutes identiques.


Comme on l'a vu 1, quantifier peut signifier dénombrerdes unités sem-
blables (nombre de journaux vendus) ou mesurerce qui, faute d'étalon de
mesure, implique souvent le classement des éléments suivant un certain
ordre (par exemple en général par rapport à un critère : plus ou moins
autoritaire). Lorsque l'on doit transformer les données qualitatives en
éléments quantifiables, on utilise des indicateurs 2 . Ils sont indispensables
pour traduire une caractéristique en chiffres, pour mesurer l'intensité
d'un concept. Sur le plan technique il faut distinguer deux éléments : 1°
la complexité de l'appareil mathématique à utiliser; 2° les impératifs que
fait peser la quantification ultérieure des résultats sur la façon de recueil-
lir des données, donc indirectement, la façon dont ils déterminent ou
limitent l'objectif, le niveau à atteindre. Les données, suivant leur nature
ou le niveau de profondeur où elles se situent, sont plus ou moins diffi-
ciles, parfois même impossibles à quantifier. Le contenu d'un entretien
clinique ne se prête pas à une mise en formule, comme les résultats de
certains tests d'aptitudes. Indirectement ou directement, même au niveau
le moins scientifique, celui de la description dans une enquête d'explora-
tion, l'idéal de la mesure pèse sur le recherche, la conditionne mais aussi
la stimule. La méthode propre à recueillir les données qualitatives, même
si celles-ci ne peuvent être quantifiées, subit la contagion de la rigueur:
systématisation des observations, classification, etc.

§ 4. L'hypothèse
322 1 ° Définition et rôle ◊ L'hypothèse est une proposition de réponse à
la question posée. Elle tend à formuler une relation entre des faits signifi-
catifs. Même plus ou moins précise, elle aide à sélectionnerles faits obser-
vés. Ceux-ci rassemblés, elle permet de les interpréter,de leur donner une
signification qui, vérifiée, constituera un élément possible de début de
théorie 3 • Les conditions de validité de l'hypothèse sont importantes (cf.
n° 325). Elle doit être vérifiable de façon empirique ou logique. La
démarche scientifique implique que l'hypothèse soit formulée en des
termes tels que l'observation et l'analyse, la conception de la recherche
puissent fournir une réponse à la question posée. L'hypothèse suggère
donc les procédures de recherche.
Plutôt que de caractériser les étapes de la méthode expérimentale par
l'observation, l'hypothèse, l'expérimentation, il eût été plus juste de dire:
question, rupture, construction, hypothèse, observation, expérimenta-
tion. Quoiqu'il en soit, nous retrouvons avec l'hypothèse, la difficulté de
poser les bonnes questions.
Il faut se méfier, comme le note Merton, car de pseudo-faits créent de pseudo-
problèmes. En sociologie, le risque est grand car les hommes s'imaginent facile-

1. Cf. n° 284.
2. Cf. n° 310.
3. La théorie est plus large puisque c'est un système d'explication intégrant plusieurs hypothèses.
OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 399

ment connaître la société dans laquelle ils vivent 1. Il est indispensable, avant de
vouloir expliquer les faits par une hypothèse, de s'assurer que les faits existent.
Pour Cl. Bernard, la plupart des erreurs théoriques proviennent d'erreurs de fait.
Descartes expliquait pourquoi la glande pinéale ne pouvait exister que chez
l'homme, peu de temps avant que Niels Stenzen ne la découvre chez des ani-
maux.
L'hypothèse n'est pas toujours d'emblée formulée sous sa forme vérifiable. Le
chercheur se contente parfois d'indiquer simplement des domaines dans lesquels
faire des recherches, ou des classes de variables à observer, parce qu'elles
paraissent offrir des régularités. Ceci signifie que le chercheur espère trouver ulté-
rieurement une hypothèse, sans définir ce qu'elle sera.

323 2° L'origine des hypothèses ◊ Les questions auxquelles les hypo-


thèses tentent de donner une réponse, sont extrêmement variées. Elles
peuvent naître d'observations courantes portant sur des faits de la vie
quotidienne, ou de faits découverts au cours d'une recherche ayant
d'autres objectifs : par exemple la pénicilline, les réflexes de Pavlov, ou
encore de phénomènes attendus, apparaissant dans une recherche systé-
matique. Les hypothèses peuvent également se présenter comme résultat
d'une élaboration purement théorique.
Merton distingue l'hypothèse de travail (empirique) et l'hypothèse théorique
(élaboration conceptuelle). En sciences sociales, les hypothèses peuvent porter sur
des faits à expliquer: l'augmentation de la délinquance; sur des concepts: la
cohésion des groupes; sur des généralisations empiri~ues: l'abstentionnisme
dans tel groupe socio-professionnel ; sur des régularites observées : le taux de
natalité et le niveau socio-économique, ou sur des schémas d'organisation sociale
et leurs conséquences: la cohésion de l'équipe de travail dans un atelier, enfin sur
des contradictions entre des observations nouvelles et des notions antérieures.
Les changements sociaux orientent le plus souvent les recherches et
par là les hypothèses. Il faut pour cela qu'ils soient perçus comme des
domaines particuliers, source de problèmes. Ce n'est pas sans raison que
la sociologie des loisirs est née à notre époque, ainsi que les études sur la
propagande, les conditions de vie dans les grands ensembles ou les inter-
nats.
Les hypothèses dépendent évidemment du niveaucultureldans lequel
se développent les sciences sociales.
Lestypes de recherche dans un pays industrialisé ne seront pas les mêmes que
dans un pays agricole. De plus, les valeurs morales, religieuses, culturelles et le
style de vie, inspireront des recherches et fourniront des concepts particuliers à
chaqye pays. La poursuite de la réussite, du bonheur individuel, ont donné lieu
aux Etats-Unis à des recherches sur ce qui pouvait les faciliter, d'où la multi-
plication de concepts concernant les formes d'adaptation ou« adjustment ».
Puisqu'elles naissent à partir de questions posées, les hypothèses
dépendent aussi du niveaude la scienceelle-même, de la valeur des théo-
ries existantes, de la variété et du raffinement des concepts utilisés. Elles
1. D'où la difficulté pour le chercheur auquel on reproche de trouver ce que tout le monde savait
déjà ou, s'il démontre qu'il s'agit de préjugés, d'être asocial.
400 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

dépendent enfin du chercheur, de ses qualités personnelles, de ses


connaissances, imagination, perspicacité, mais aussi de son expérience
précédente et de la façon dont il a réagi à celle-ci.
Tous les éléments de certaines hypothèses peuvent être réunis, cependant ce
n'est pas tel savant qui les formulera, mais tel autre. Thomas Henry Huxley, lisant
l'Originedesespècesde Darwin, se serait, dit-on, exclamé:« Quel âne je suis de ne
pas y avoir pensé l »
324 3° Types d'hypothèses ◊ Leshypothèses varient en étendue et en spé-
cificité. Certaines ne portent que sur un objectif restreint, mais sont
ensuite généralisables à d'autres domaines: une hypothèse issue de
l'étude du commandement dans un petit groupe, peut s'appliquer à
d'autres groupes ou à d'autres formes de commandement.
Malgré la variété d'hypothèses possibles, il existe en sciences sociales,
des types de recherches qui se retrouvent plus souvent que d'autres, des
hypothèses qui se ressemblent et que l'on peut distinguer suivant leur
niveau d'abstractionen trois classes :
a) Hypothèses supposant l'existence d'uniformités. Il s'agit à peine
d'hypothèses, en tout cas elles se limitent en général à quantifier des dis-
tributions de comportements. Par exemple la constatation que le taux de
divorce augmente dans des classes ayant des revenus élevés. Ce genre
d'hypothèse redresse souvent des préjugés et s'il confirme ce que l'on
savait, il donne du moins des précisions.
b) Hypothèses supposant l'existence de liens logiques à partir de corré-
lations empiriques.C'est le cas, par exemple, de certains comportements
particuliers que l'on retrouve dans un grand nombre de groupes minori-
taires. Il s'agit ici d'épurer les constatations, pour conserver les caractéris-
tiques communes à ces différents groupes, pouvant expliquer leur
comportement semblable. Au niveau des faits, on assiste déjà, pour dis-
tinguer l'essentiel, à un certain travail d'élaboration.
c) Hypothèses concernant des relations entre variablesanalytiques.
Alors que le premier type d'hypothèses permet de constater et parfois
mesurer des différences, le deuxième de marquer des ressemblances, ce
troisième type, beaucoup plus élaboré, implique la formulation de rela-
tions entre certaines variables complexes, par exemple l'influence du
niveau économique, du lieu d'habitation, du nombre d'habitants, de la
religion, etc., sur le taux de la fécondité. Dans le cas où les éléments quali-
tatifs sont seuls considérés l'hypothèse doit justifier la théorie explicative
proposée, soit dans le cadre de la recherche effectuée, soit face à un phé-
nomène inattendu, soit pour remplacer une théorieantérieure.
325 4° Conditions de validité◊ Quelle que soit son origine, l'hypothèse
ne peut être utilisable que sous certaines conditions. Elle doit avant tout
être vérifiable,pour cela utiliser des conceptscommunicables,c'est-à-dire
que les deux termes mis en relation par l'hypothèse doivent être définis, si
possible de façon opératoire, en tout cas, de façon à permettre des obser-
vations précises. K. Popper insiste sur le caractère provisoire des hypo-
thèses qui peuvent être démontrées fausses, mais dont la vérité, elle, n'est
OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 401

pas susceptible d'être démontrée. Pour cet auteur, il n'y a pas de démons-
tration possible du caractère définitivement irréfutable d'une proposition.
il préfère le terme de réfutationà celui de falsification.
Sur le plan pratique, l'hypothèse doit ensuite mettre en causedesfaits
réels et ne pas comporter de jugements de valeur : bon, mauvais,
devraient, etc.
L'hypothèse selon laquelle ce sont les enfants des meilleures mères de familles
qui travaillent le mieux, ne signifie rien, car le critère de la meilleure mère de
famille fait défaut En revanche, on peut supposer que le niveau des revenus exer-
çant une influence sur les conditions de travail des enfants, ceux dont les deux
parents travaillent 1 obtiennent de meilleurs résultats scolaires. Hypothèse véri-
fiable et vérifiée dans les faits.
L'hypothèse doit être spécifique,c'est-à-dire ne pas se perdre dans des
généralités. Si l'on veut pouvoir la tester, il faut, quelle que soit l'idée
générale dont elle est issue, qu'elle aboutisse à mettre en cause des fac-
teurs précis, ce qui implique des indices révélateurs de ces facteurs.
Par exemple, l'hypothèse que la participation politique croît avec le niveau
d'information, suppose que l'on retienne des indices révélateurs du niveau d'in-
formation (degré d'instruction, lecture de journaux, télévision, etc.) et de la parti-
cipation (vote, affiliation à un parti, assistance aux réunions, etc.).
L'hypothèse doit normalement être conçue en termes vérifiables par
une technique particulière. Le problème consistera ensuite à savoir com-
ment on peut passer de la vérification partielle, apportée par l'expérience
dans une situation donnée, à l'ensemble des situations sous-entendues
par l'énoncé de l'hypothèse. Problème fondamental de l'adéquation de la
science elle-même, au contenu des faits dont elle cherche à rendre
compte.
Enfin l'hypothèse doit pouvoir se rattacher à une théorie existante,
c'est-à-dire être en conformitéavec le contenu actuel de la science. Une
hypothèse ne surgit pas indépendamment des connaissances acquises
antérieurement Ellen' est pas une utopie, bien que l'utopie puisse devenir
hypothèse.
326 Élément aléatoire o La conception classique exposée ci-dessus déprécie singu-
lièrement le rôle de l'hypothèse dans les sciences sociales, en la rendant dépen-
dante des théories existantes. Comme le fait remarquer H. Lefebvre(1958), l'hy-
pothèse dans les sciences sociales joue un rôle particulier, qui tient à la
complexité des phénomènes étudiés, mais surtout à leur caractère aléatoire.Alors
que la probabilité statistique induit des prévisions à partir du passé, le concept
d'aléatoire, acquisition récente de la théorie de l'information, implique une
exploration du champ des possibles, dans lequel l'imagination du chercheur
devient un guide précieux. Aux types d'hypothèses classiques, se vérifiant par la
cohérence et la concordance avec une réalité statique, Lefebvreajoute l'hypothèse
stratégiquequi se vérifie, mais au niveau expérimental, dans la pratique et la réa-
lité dynamique.

1. Contrairement au préjugé concernant les avantages de la mère au foyer.


402 LESEXIGENCESDE LA RECHERCHE

32 7 5° Valeur des hypothèses ◊ la science est faite de pourquoi ? mais il est diffi-
cile, à l'avance, de distinguer l'intérêt scientifique d'une hypothèse. Celui-ci est
d'abord subjectif. Tel chercheur peut être passionné par tel domaine particulier
qui paraît mineur à d'autres. Parfois l'hypothèse semble importante du fait de ses
conséquences pratiques : origine du cancer, causes de délinquance. Dans certains
cas, l'hypothèse intéresse à la fois la théorie et la recherche appliquée. Le fait d'ap-
porter une dimension nouvelle à une théorie existante, donne à l'hypothèse un
intérêt immédiatement perceptible.

§ 5. L'expérimentation
ou vérification de l'hypothèse
328 Divers types d'expérimentation ◊ Le contrôle, la manipulation et
l'observation de l'effet produit dans une situation donnée, par la modifi-
cation voulue d'une variable (indépendante) sur une autre variable
(dépendante) constituent l'expérimentationprovoquée,étape fondamen-
tale dans les sciences physiques et naturelles. Ce type d'expérimentation
est rare dans les sciences humaines. Dans les cas où l'expérience est pos-
sible, la situation artificielle risque de modifier les réactions. L'expéri-
mentation n'est heureusement pas indispensable à toute science. L'astro-
nomie a progressé sans elle. En fait, l'expérimentation concerne avant
tout la preuve. Celle-ci n'étant possible que sous certaines conditions de
rigueur, l'expérimentation est devenue en quelque sorte garante de la
méthode.
L'expérimentationinvoquée,plus fréquente, présente au chercheur des
variations naturelles qu'il n'aurait pu organiser lui-même. L'expéri-
mentation se ramène alors pratiquement à une observation systématique
des résultats.
Un exemple d'expérimentation invoquée est constitué par la recherche de cor-
rélations entre le cancer du poumon et le fait de fumer. Leschiffres, très nets, per-
mettent d'envisager une relation de cause à effet. Pourtant, faute de véritable
expérimentation, on ne peut écarter la possibilité d'un autre facteur, expliquant à
la fois le fait de fumer et le cancer du poumon, par exemple le facteur nervosité.
Les auteurs soviétiques distinguent l' eksperimentou expérience véritable et
l' opyt, qui correspondrait à la nuance envisagée par C. Bernard « ou possibilité
d'acquérir de l'expérience sans faire des expériences par cela seul que l'on rai-
sonne convenablement sur des faits bien établis 1 ».
Ce qui importe dans la méthode expérimentale, plus que l'expéri-
mentation elle-même, c'est sa logique, qui peut fort bien s'adapter aux
sciences sociales. Ceci n'a pas toujours été admis, mais les travaux et
réflexions de sociologues tels que Chapin, Greenwood, l'influence des
sociologues européens (en particulier des allemands) et surtout la systé-
matisation de la recherche concrète, ont amené les chercheurs en
sciences sociales à considérer que la logique de la méthode expérimentale

1. C. Bernard (1865, B. 86), p. 593.


OBSERVATION, HYPOTHÈSE, EXPÉRIMENTATION 403

devait inspirer toute réflexion scientifique, dans ce domaine comme les


autres, avec ou sans expérimentation 1 .

329 Bibliographie◊
AMAR(A.) 1948. - « Recherche d'une méthode pour les sciences
humaines», Revuephilosophique,p. 276.
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272 p., t. II, 1961, 360 p.
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Baltimore, Williams and Wilkins C° ( Quaterly).
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A.J.S.,LV, p. 355.
WILLER (D. E.) 1967. - Sdentific sociology.Theory and method, Prentice
Hall, 131 p.

1. Cf. n°' 861 et s. Les exemples d'expérimentation sur le terrain et en laboratoire.


404 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

CHAPITRE3
LESNIVEAUXDE LARECHERCHE

330 Généralités sur la notion de niveau: notion évolution-


niste ◊ Envisageons maintenant les sciences sociales non plus sous
l'angle des étapes logiques de la méthode, mais de l'objet qu'elles pour-
suivent, autrement dit du but scientifique ou du niveau d'explication
qu'elles permettent d'atteindre.
La notion de niveau dans son acception classique et ancienne est évo-
lutionniste. Elle concerne l'apparition de qualités nouvelles dans le déve-
loppement historique.

L'apparition de la vie, puis de la conscience, constituent des niveaux dif-


férents. Ethnologues et sociologues évolutionnistes distinguaient les sociétés les
uns d'après certains critères, par exemple technologiques: la cueillette ou l'agri-
culture ; l'emploi de divers instruments aratoires : houe, araire, charrue ; les
autres d'après un schéma comportant des phases par lesquelles l'humanité
entière aurait passé : promiscuité, matriarcat, patriarcat.

Cette conception évolutionniste du niveau, offre l'avantage de replacer


la notion dans une perspective historique et de retenir l'aspect mobile des
faits sociaux, toujours susceptibles d'apparaître sous des formes nou-
velles.
Le terme de niveau est récemment apparu avec une signification dif-
férente. Son emploi s'est généralisé dans le langage courant, créant un
risque d'ambiguïté sur le plan scientifique.

331 Notion hiérarchique ◊ Pour H. Lefebvre (1958) cette notion, au


sens figuré, a d'abord été utilisée dans le langage courant sous la forme
suivante : « au niveau du préfet, au niveau du ministre ou du chef de
bureau » exprimant ainsi la hiérarchisation et la bureaucratisation de
notre société, sans que sa portée scientifique soit précisée. Quelle que soit
son origine, le terme demeure inspiré par son sens propre, qui comporte
une idée de profondeur: niveau d'essence, niveau d'eau, qu'évoquent
également les termes de paliers, plans, degrés.
L'idée de niveau suggère donc une hiérarchie, disons plutôt, pour évi-
ter tout élément de valeur, une possibilité de découpage. Un niveau
comporte toujours d'autres niveaux. De plus, un niveau ne désigne
qu'un aspect de la réalité. Ce n'est pas une notion statique ou complète.
La réalité n'est pas épuisée par ce qui n'est qu'une prise de vue et une
perspective ou une mise en perspective, c'est-à-dire quelque chose dont
on attend des prolongements.
DESCRIPTION ET CLASSIFICATION 405

332 Notion dynamique ◊ Enfin la notion de niveau appelle implicite-


ment des différences, une pluralité.Elle ne s'oppose pas à la totalité, mais
exclut la continuité dans l'instant, entre tous les niveaux, non la conti-
nuité historique de certains d'entre eux. Elle implique plutôt l'inter-
férence des niveaux, c'est-à-dire qu'elle doit être conçue sous un aspect
mobileet dynamique.Le niveau comporte également un élément stable,
une structure des parties qui le composent, mais également une mobilité
de certains de ces éléments.« L'univers lui-même, écrit Lefebvre,ne peut
se concevoir comme un édifice rigide, ni comme un fleuve mobile, mais
comme une colossale interaction de niveaux 1 ».
Cette notion, malgré son ambiguïté, demeure commode pour rendre compte
de la complexité de l'objet, qu'il s'agisse du niveau d'analyse en macro ou micro-
économie ou en sciences physiques et naturelles : au niveau de la cellule, au
niveau de l'atome. On utilise ce terme souvent à tort au lieu de: à propos de.
En sciences sociales, la notion est fondamentale, indispensable. C'est
la seule qui permette de rendre compte de la complexité de la nature
humaine et concilie les données parfois contradictoires de la recherche.
Celle-ci vise justement des objectifs qui se situent à des niveaux diffé-
rents. Un entretien en profondeur, comme son nom l'indique, diffère
d'un questionnaire d'opinion superficiel. Une enquête de diagnostic dans
un atelier se situe à un niveau différent d'une monographie de petite
ville. On ne peut a priori indiquer tous les niveaux possibles. Certains se
retrouvent plus fréquemment dans les sciences sociales et se différen-
cient d'après la profondeur de l'objectif poursuivi. Ce sont: la descrip-
tion, la classification, parfois appelée identification et l'explication.
Ces trois niveaux se retrouvent non seulement au stade de l'utilisation
des techniques suivant le type de recherches entrepris, mais également
dans le domaine plus global de processus généraux qui intéressent cha-
cune des sciences sociales. C'est ainsi qu'en science politique on peut
décrire une institution ou chercher par une classification à établir une
typologie ou encore trouver une explication de la persistance d'un régime
dans une analyse approfondie. En sociologie, en dehors des descriptions
des institutions ou des secteurs de l'organisation sociale, on trouve une
double orientation : la plus ancienne est dassificatoire.Elle vise à regrou-
per les sociétés suivant quelques grands types (cf. Tônnies n° 135, etc.),
la tendance la plus moderne, analytique, cherche à construire un modèle
théorique pour expliquer le fonctionnement, la permanence et le chan-
gement des éléments faisant partie du système social.

SECTION1. DESCRIPTIONET CLASSIFICATION

§ 1. La description
333 Objectifs ◊ Cette étape peut constituer l'objectif même de la
recherche : par exemple la monographie d'une petite ville, visant une
1. Op. dt., p. 124.
406 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

description de tous ses aspects. Elle peut être aussi considérée comme un
premier stade de l'enquête, celui de la description des symptômes d'une
situation sociale par la méthode clinique. La description représente la
phase la moins élaborée de la science, celle dans laquelle on ne sait pas
toujours ce que l'on cherche, parce que les problèmes ne sont pas bien
précisés et que l'hypothèse n'a pas encore permis de sélectionner les élé-
ments les plus intéressants. Elle correspond au stade de l'observation.
Dans la mesure où celle-ci est plus ou moins sélective, plus ou moins
détaillée, elle sera elle-même plus ou moins orientée vers certains pro-
blèmes.
La description conçue comme un niveau, par rapport à la classifica-
tion et l'explication, comporte elle-même plusieurs niveaux possibles.
On peut tenter de décrire une opinion publique nationale ou des senti-
ments éprouvés par un groupe d'individus. La description peut aussi
explorer plus ou moins profondément.
334 Écueils à éviter ◊ Il faut éviter d'une part l'absencede conceptualisa-
tion. Celle-ci, comme nous l'avons noté pour l'observation, fait partie de
l'investigation. On ne peut tout décrire, sous peine de borner la descrip-
tion à une accumulation de faits sans signification. Le concept, à défaut
d'hypothèse, impose un certain ordre, et permet une généralisation ulté-
rieure des données.
D'autre part, il faut rejeter la conceptualisationinopportuneet lesdécou-
pagesarbitraires.La description doit correspondre à la réalité, il faut donc
que le chercheur soit capable de l'appréhender, de la concevoir.
On a reproché à de nombreuses enquêtes ethnologiques d'utiliser,
pour décrire certaines sociétés archaïques, des concepts, un langage, pro-
venant de la société dont le chercheur était issu et par là, de se montrer
incapables de rendre compte d'une réalité qui leur était étrangère. De
même en histoire, d'employer des termes actuels pour rendre compte de
situations du passé très différentes 1.
Mais une bonne description, une analyse pertinente, malgré leur uti-
lité ne suffisent pas. Le rôle de la science, c'est tout de même d'atteindre
l'explication, en passant souvent par le stade de la classification.

§ 2. La classification
335 lA. notion de typologie ◊ Une des premières étapes en sciences natu-
relles a consisté à classer les animaux, les plantes, en genre ou type, ou
espèces, en fonction de leurs caractéristiques essentielles. Ceci représente
déjà un effort d'abstraction. Les sciences sociales devaient également
atteindre cette étape de mise en ordre, de catégorisation, permettant des
comparaisons. L'ethnologie, l'anthropologie ont caractérisé des types de
société d'après les coutumes ou les objets : âge de bronze, âge de pierre.
1. Le concept de classe, étranger à l'Angleterre du XVlf siècle, cf. P. Lasslett (1969).
DESCRIPTION ET CLASSIFICATION 407

336 îype et catégorie ◊ Puisqu'il s'agit de classer, il est utile de préciser la


différence entre type et catégorie. Toute catégorie implique référence à un
concept, alors que le concept peut ou non inspirer des catégories.
C'est ainsi que la catégorie «passionnée», ne se conçoit qu'en fonction du
concept passion, alors que le concept de désintégration sociale peut n'avoir pas
de catégories, sinon de plus ou de moins, pour s'appliquer à une réalité encore
mal connue.
La catégorie, comme le concept, généralise, mais à des niveaux d'abs-
traction qui peuvent être moins élevés. La catégorie a un but pratique:
elle ordonne, elle classe alors que le concept trie, mais pour sélectionner
hors d'une réalité inorganisée, non pour classer un ensemble. Le concept
de frustration permet de reconnaître certains faits, mais il faut des caté-
gories pour les ordonner. Le concept est plus indépendant, solitaire, la
catégorie implique le plus souvent d'autres catégories, elle se conçoit mal
isolée. Par rapport au type, la catégorie est dès l'origine abstraite, puisque
liée à un concept, donc plus ou moins détachée des faits qu'elle organise.
Le type au contraire n'est devenu abstrait que par un processus parti-
culier et garde de son origine un caractère plus concret. Il s'insère
souvent dans une catégorie qu'il illustre. C'est ainsi que le concept d'in-
troversion peut donner des catégories introverti, extraverti et le type
intraverti caractérise la catégorie.
La grande différence entre type et catégorie, provient du fait que la
catégorie implique un ordre, une classification, basée sans doute sur des
caractéristiques, mais impliquant davantage une moyenne et ne se réfé-
rant en tout cas pas à une notion de modèle ou de prototype. Le rayon
confection d'un grand magasin peut comporter les catégories grand,
moyen, petit, permettant de ranger les patrons semblables dans chaque
division, mais c'est tel mannequin qui représentera le type « grande
femme blonde ». De même lorsqu'il s'agit d'institutions, on peut consi-
dérer les catégories: régime parlementaire, présidentiel, avec ce qu'elles
comportent de distinctif et tracer le schéma du régime présidentiel type.
Ces exemples nous montrent que la catégorie distinguepour rassemblerà
l'horizontale alors que le type sélectionnepour particulariserle plus
souvent dans un mouvement vertical.
337 Évolution de la notion de type ◊ Dans le cas d'éléments concrets:
cheveux bruns, nez aquilin ou pommettes saillantes, l'abstraction suscite
peu de contestations. Dans les sciences sociales, l'abstraction, même
résultant, comme le déclare Durkheim, d'une analyse dûment opérée sur
des faits bien observés, implique le plus souvent le problème de l'inter-
prétation des faits et de la détermination de ce qui est essentiel. Nous
avons vu comment Weber concevait le type idéal, mais celui-ci construit
de façon plus ou moins subjective et intuitive, correspondait à un stade
peu avancé d'analyse de propriétés et d'attributs et n'était pas adapté à
des études quantitatives de relations.
Un auteur américain contemporain, H. Becker (1957), a substitué au type
idéal, le terme de« type construit». Pour lui, la valeur du type ne dépend pas tel-
408 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

lement de sa correspondance avec la réalité, que de sa capacité à l'expliquer. Le


propre du type, c'est d'ordonner les faits observés de façon à ce qu'ils soient
comparables. Leur multitude doit permettre, à partir d'événements survenus dans
un cas précis, malgré leur caractère unique, de prédire avec une certaine probabi-
lité ce qui se produira dans un autre cas. S'écartant de la théorie de Weber, le
type, pour Becker, serait un concept d'une nature particulière, permettant de pré-
dire l'événement.
338 Le type concret ◊ Les progrès de la statistique et des analyses quanti-
tative et qualitative ont déjà modifié la conception de la typologie. Dans
un langage scientifique, les types extrêmes, tels que climat chaud et cli-
mat froid, n'ont plus d'utilité le jour où l'on obtient une classification
précise par degrés de température.
La nécessité de vérifier concrètement la réalité de types conçus abstraitement,
a été d'abord appliquée en psychologie, où la notion de types est fort ancienne.
L'analyse factorielle a permis de préciser les caractéristiques de certains types,
pressentis intuitivement.
En psychologie sociale, un des cas de passage du type idéal à sa définition par
une échelle, est fourni par la classification de Spranger, répartissant les hommes
selon le système de valeurs qui les attire le plus : valeurs théoriques, écono-
miques, religieuses, etc.
Sur le plan de la psychologie sociale, l'utilisation des tests, de l'analyse facto-
rielle et des échelles d'attitude, tend de plus en plus, à l'heure actuelle, à substi-
tuer aux types ébauchés de façon impressionniste, des types définis de façon pré-
cise.
339 La typologie systématique ◊ P. Lazarsfeld indique que l'analyse
d'une série d'observations issues d'une recherche peut impliquer toute
une gamme de classifications, allant de la simple mise en ordre de carac-
téristiques, sans relation les unes avec les autres, au niveau descriptif,
jusqu'à une typologie systématique, dans laquelle chaque type est carac-
térisé par un certain nombre d'attributs. Une classification, même
incomplète, représente déjà une étape importante, car on ne peut décou-
vrir de relations entre des détails non ordonnés. Mais cette classification,
pour être utile, doit au départ retenir les éléments significatifs, distinctifs,
c'est-à-dire orienter les hypothèses dans une bonne direction. Ici se pose
la question que nous retrouverons au stade de toutes les observations
qualitatives : peut-on apprendre à classer? Y a-t-il des règles à observer
pour construire une typologie? En ce qui concerne les types établis à par-
tir d'éléments quantitatifs, cas de la psychologie différentielle, les règles
de la statistique s'appliquent. Lorsque des éléments qualitatifs sont en
cause, il n'existe pas de méthode ni de technique à proprement parler, il
s'agit d'intelligence, d'intuition, de sens des éléments concrets impor-
tants, mais tout de même d'un traitement rigoureux de ces éléments.
C'est ainsi qu'à côté de types descriptifs correspondant à un groupe parti-
culier, tels les divers types de juifs observés par H. Wirth 1,on trouve des études
impliquant des types sociaux, dont la signification est intégrée dans un système

1. In A. H. Barton (1961).
DESCRIPTION ET CLASSIFICATION 409

social plus large. C'est le cas de la galerie de white collartypes dépeints par C.
Wright Mills (1961) ou encore de types beaucoup plus abstraits, correspondant
aux organisations religieuses de Von Wiese, ou aux types d'influence de Merton.
340 La construction du type ◊ La typologie la plus complète à laquelle
on puisse parvenir à partir d'éléments qualitatifs, est celle, déclare P.
Lazarsfeld, dans laquelle « chaque type est explicitement dérivé de la
combinaison logique d'attributs essentiels 1 ».
C'est le cas de l'étude de Riesman sur la participation, dans laquelle il mêle
deux éléments : la connaissance et l'intérêt ou la sensibilisation aux problèmes
politiques, obtenant ainsi quatre types d'engagements politiques possibles. Dans
la mesure où l'on peut systématiser empiriquement le processus de construction
d'un type, il semble qu'il faille d'abord découvrir les catégories essentielles ou les
caractéristiques. C'est ainsi que C. W. Mills (1961) 2 découvre six traits mar-
quants, influençant la situation de travail. Lorsque tous ces caractères se trouvent
réunis nous avons le type de « craftsmanship » (contremaître). Sinon on trouve
soixante-quatre combinaisons possibles de six traits, n'ayant évidemment pas
tous la même importance 3 •
De toutes ces réflexions, nous retirons finalement l'impression dépri-
mante d'écarter les chances de découvrir la femme idéale, vue par Mem-
ling ou Renoir, pour gagner la certitude de nous trouver devant la femme
type, obtenue par portrait-robot. Admettons, avec un dernier effort, qu'il
ne s'agit tout de même pas de cela. D'abord, un grand nombre de pro-
blèmes échapperont toujours à la systématisation. De plus, la notion de
type, perçue globalement telle que l'emploie le langage courant lorsqu'il
déclare que M. X est le type du petit paysan ou M. Y du militant, garde
son utilité et sa justification. A partir du moment où l'on veut comparer,
analyser, prouver, progresser, en tout cas comprendre, c'est-à-dire parler
le langage de la science, on doit procéder de façon systématique, quitte
parfois à faire de petits pas, là où l'intuition ferait un saut. Même dans
les cas de types ainsi construits scientifiquement, on ne peut faire abs-
traction de l'intuition. Elle est de toute façon indispensable pour décou-
vrir les éléments essentiels. Il ne s'agit pas de mettre en relation auto-
matiquement tous les traits ou toutes les catégories, comme l'exige le
portrait-robot, mais, comme le note Lazarsfeld, « l'acte stratégique
consiste à «sentir» les attributs importants qui constitueront le type et
finalement nous aideront à résoudre les problèmes qui nous inté-
ressent 4 ».
Nous insistons sur la conception concrète et rigoureuse du type, car à
l'heure actuelle le terme de typologie connaît une faveur et une ambi-
guïté égales à celles de structure. Or un catalogue, une énumération,
même une classification, ne sauraient constituer une typologie. Becker a
raison d'insister sur le fait que l'on ne peut constituer un type au début
1. P. Lazarsfeld (1961) in Llpset, Sociologytoday,pp. 115-122.
2. C. W. Mills (1959).
3. Ici interviennent des processus de« réduction», permettant de combiner les types en groupes
moins nombreux.
4. In AH. Barton (1961), p. 108.
410 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

d'une recherche. En effet la détermination des caractéristiques du type,


implique déjà une connaissance des éléments d'où sera tiré l'essentiel, le
significatif. Ajoutons que si la typologie est vieille comme la science et
constitue une première étape de classification souvent utilisée, elle peut
difficilement être jugée en elle-même. En fait la typologie, ce qu'elle
recouvre ou implique, ne peut se concevoir qu'en fonction du système
philosophique dont elle fait partie, d'où la difficulté d'en donner une
définition satisfaisante. Le type idéal ne peut se comprendre en dehors
du système individualiste et idéaliste de Weber; le type concret de Lazars-
feld est lié à une conception empiriste de la recherche. Comme l'écrivait
Gyrvitch : « Les types sont élaborés non pas pour établir des images
d'Epinal, mais pour promouvoir l'explicationen sociologie.» 1.Il est donc
normal qu'on ne puisse les détacher de la tendance, sinon de la théorie
générale, à laquelle ils appartiennent.
341 Bibliographie ◊
*BARION (A. H.), LAZARSFELD (P.) 1961. - « Sorne functions of qualitative
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MARTINDALE (D.) 1959. - « Sociological theory and the Ideal type», in
Gross Symposium (B. 25), pp. 55-91.

SECTION2. L'EXPLICATION
342 1° La crise de l'explication et ses causes ◊ Expliquer, c'est
répondre à la question «pourquoi». Stuart Mill dans sa logique écrit:
« Un fait particulier est expliqué, quand on indique une loi ou d'autres
lois dont elle est une conséquence. » Les nombreuses crises traversées par
les sciences humaines, en particulier par la sociologie, ont toujours été
liées au problème de l'explication.
Lorsque Durkheim exige que les faits sociaux soient expliqués par la société, il
condamne l'explication de celle-ci par un élément qui lui serait extérieur. Cette
exigence limite l'explication, mais ne la définit pas.
1. G. Gurvitch (1958, B. 354), tome I, p. 23.
L'EXPLICATION 411

On trouve, parmi les recherches d'explication, diverses tendances: celles qui


débouchent sur une philosophie de l'histoire, la recherche d'une finalité des
sociétés et des explications insuffisantes et partielles : recours aux facteurs prédo-
minants, assimilation de l'explication à une simple constatation, enfin confu-
sion entre l'explication et la compréhension. Celle-ci, indispensable dans les
sciences humaines (nécessité de percevoir le sens vécu par les acteurs sociaux),
ne doit pas se substituer à l'explication : recherche scientifique traduite en termes
objectifs.

343 a) La fragmentation des sciences sociales o Certaines sciences


sociales particulières, du fait de leur domaine limité, peuvent fournir des
explications partielles, mais il n'en va pas de même de la sociologie. La
fragmentation des sciences sociales, qui découpe la réalité, est une des
premières raisons des défaillances de la sociologie. Comme le dit Gur-
vitch, si l'on peut justifier de secteurs: sociologiede la religion, du droit,
de l'éducation, ceux-ci « ne peuvent se distinguer l'un de l'autre qu'au
point de départ et non pas au point d'arrivée1 ».
Comme le note également H. Lefebvre (1956), on décèle deux symp-
tômes contradictoires : d'une part l'impérialisme des sciences humaines
au nom de l'unité de l'homme, en même temps qu'un relativisme, né
d'une division du travail, institutionnalisée dans les cadres de l'Univer-
sité. On trouve des explications dans le cadre du découpage ou du parti-
cularisme de chaque science : une explication historique, une explication
économique, etc. ou des explications par réduction d'un plan à l'autre,
d'une science à une autre.
Les deux attitudes se renforcent mutuellement. Dans les deux cas, l' explica-
tion est amputée, inaccessible, d'où la tentation d'y suppléer par la description:
monographie, ou la compréhension.
Si la division des sciences sociales, incriminée par les auteurs, est bien en
cause, la fuite devant l'explication en sociologie doit tout de même s'expliquer
par des raisons plus profondes. Constater qu'une voiture n'arrive pas au but
parce qu'elle roule dans la mauvaise direction, ne nous dit pas pourquoi elle a été
mal orientée. Or c'est surtout cela que nous voudrions savoir. Toutes les insuffi-
sances relevées sont certes cause de la crise de l'explication, mais il semble bien
que ces insuffisances soient nées, moins de l'incapacité des sociologues, que de la
nature même de la sociologie. C'est donc à cette dernière qu'il faut revenir, pour
comprendre les difficultés rencontrées et nous demander ce que peut avoir de
particulier le domaine de la sociologie pour rendre l'explication si difficile.

344 b) Le décalage chronologi.que o Le problème de l'explication,


abordé sous son aspect évolutif, peut se situer sur deux plans.
Le premier concerne ce que R. Girod (1956) considère comme le
décalage chronologique entre les procédés de description, qui, à l'heure
actuelle, se situent de plus en plus souvent à un niveau scientifique et des
schémas d'explication, qui datent d'une époque antérieure. Ce retard de
la partie explicative peut d'ailleurs provenir, en partie, du fait que la
sociologieelle-même est une pratique sociale. Il ne s'agit pas de l'incapa-
1. G. Gurvitch (1956), p. 10.
412 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

cité des sociologues, mais peut-être bien de la timidité ou de la prudence


que leur impose une société, où le problème du changement volontaire
des situations sociales n'est pas soulevé. Non seulement les possibilités
d'expérimentation sont réduites, mais même l'étude des processus est
limitée, d'où « l'insuffisance de nos conceptions théoriques au sujet de la
dynamique sociale concrète » 1. Nous retenons le niveau de vie comme le
fact.eur d'influence ... mais nous ignorons comment il agit.
Le deuxième aspect de l'évolution de l'explication est plus complexe. Il
consiste dans le renversement des perspectives, qui distingue le ~ et le
xx: siècles, par rapport aux siècles précédents. Explications finalistes et
métaphysiques avant le xvuf siècle, puis théorie de J.-J.Rousseau oppo-
sant aux interactions sociales et à la société, une nature humaine anté-
rieure.
345 c) L'exigence de totalité ◊ La découverte de la sociologie date du~
siècle, son objet est la société dans son ensemble. Comme l'écrit Piaget,
elle considère « l'individu avec ses conduites et son comportement
comme une fonction de cett.e totalité et non comme un élément préexis-
tant, à l'état isolable2 ». Le problème posé par l'explication sociologique
est donc lié à la notion de totalité.
Perçue intuitivement dans son application à la sociologie, la totalité
paraît d'abord évoquer la complexité et l'interdépendance des éléments
dont il faut tenir compte. Tout acte humain est à la fois physique, phy-
siologique, économique, social. De sort.equ'il nous faut nous représenter
la totalité sans confondre et sans séparer. Chacun des termes psycho-
logique, sociologique, historique, économique, physiologique, etc, désigne
une « essentialité », un degré de réalité, une sphère spécifique, dégagée
par des siècles d'analyse.
Pour H. Lefebvre( 1956) : « La sociologie se définit par l'économie plus quel-
que chose de nouveau et de spécifique,par l'histoire plus quelque chose de spéci-
fique : les rapports humains comme tels 3• »

346 La totalité: notion philosophique ◊ Tous les philosophes ont


essayé d'atteindre une représentation de l'Univers comme totalité.
Nous la trouvons déjà dans l'Antiquité chez Héraclite. C'est Hegel qui va lui
donner toute son importance et après lui Karl Marx, sa forme concrète :
« L'homme s'approprie son être universel de façon universelle, donc en tant
qu'homme total» (Manuscrits de 1844).
Le positivisme, fractionnant les divers domaines de la sociologie,
néglige la totalité. Elle va revenir brillamment sur la scène et cett.e fois
sans contamination idéologique, avec l'anthropologue Marcel Mauss.
Celui-ci a défini la sociologie comme une science appliquant la méthode
de la prise de vue d'ensemble à l'étude des phénomènes sociaux totaux.
1. R. Girod (1956), p. 105.
2. J. Piaget (1950), p. 199.
3. H. Lefebvre(1956), p. 34.
L'EXPLICATION 413

« Après avoir forcément un peu trop divisé et abstrait, il faut que les socio-
logues s'efforcent de recomposer le tout [ ...]. L'étude du concret qui est le tout
complet, est possible et plus captivante et plus explicative encore en sociologie
qu'ailleurs. [...] Dans ces phénomènes sociaux totaux s'expriment à la fois et
tout d'un coup toutes sortes d'institutions. Les faits sociaux totaux[ ...] mettent
en branle [ ...] la totalité de la société1.»
Cette conception de Mauss, d'une sociologie, explication des phéno-
mènes sociaux totaux, réagit contre la primauté de la conscience collec-
tive et l'hyper-spiritualisme de Durkheim, même si sa pensée semble par-
fois, elle aussi, comporter des traces d'influence psychologique. Mauss
limite également le point de vue de Weber, distinguant compréhension
et explication et s'oppose à toute séparation de l'histoire et de la sociolo-
gie. Sans doute, faute de reconnaître la valeur de la dialectique, n'a-t-il
pu tirer toutes les conséquences de sa conception, mais on lui doit non
seulement d'avoir dégagé de son contexte politique la notion de totalité,
mais encore de l'avoir intronisée. Succès qui se paie aujourd'hui par une
utilisation souvent abusive du terme.
347 La totalité: notion sociologique ◊ Homme total proclame Marx.
Phénomènes sociaux totaux réclament les sociologues. Comment conce-
voir l'homme total, élément du tout qu'est la société? Comment imagi-
ner une totalité modifiant les éléments dont elle est formée en utilisant
les matériaux empruntés à ces éléments eux-mêmes? Trois types d'expli-
cation ont été avancés.
Le premier, que nul sociologue n'accepte, consisterait à déclarer que le
tout est composé de la somme des propriétés des éléments. La deuxième
solution, celle de Durkheim, considère que le tout ou société, ajoute des
propriétés nouvelles aux éléments structurés par lui. Mais le transfert de
la conscience individuelle à la conscience collective ne transforme pas les
problèmes. De leur origine psychologique, ils conservent un caractère de
causalité spirituelle, inacceptable en sociologie. D'où la troisième solu-
tion, celle du relativisme et de la sociologie concrète.
Le défaut de la plupart des explications sociologiques, c'est de n'avoir
pas tenu compte du fait que la pensée procède de l'action. Comme l'écri-
vait Marx dans Le Capital: « En agissant par ses mouvements sur la
nature extérieure et en la transformant, il (l'homme) transforme en
même temps sa propre nature. » De même pour Piaget : « une société est
essentiellement un système d'activité, dont les interactions élémentaires
consistent, au sens propre, en actions se modifiant les unes les autres
[ ...]. C'est de l'analyse de ces interactions dans le comportement lui-
même, que procède alors l'explication des représentations collectives ou
interactions modifiant la conscience des individus 2 ».
Ayant rapidement vu les obstacles à surmonter et les conditions à
remplir pour atteindre l'explication, on aborde maintenant la recherche
classique de l'explication par la causalité.
1. M. Mauss (1950), p. 147.
2. J. Piaget (1950), p. 201.
414 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

348 2° F.xplication et causalité. a) La causalité dans les


sciences ◊ Il existe plusieurs types de causalité, qui ne s'identifient
d'ailleurs pas à la notion d'explication. Le sauvage qui tue son ennemi
par une flèche empoisonnée, a une idée précise mais limitée de la causa-
lité. Son explication peut être fausse et concerner la valeur des rites en
cause plus que celle du poison. La causalité n'implique donc pas forcé-
ment l'explication, l'explication exige-t-elle la découverte d'une causa-
lité? Nous écartons les causes de caractère métaphysique pour nous atta-
cher à la causalité scientifique.
La notion de causalité dans les sciences physiques et naturelles mettait
en jeu des conceptions assez simples, se ramenant à celle de loi : les
mêmes causes produisent les mêmes effets. La physique quantique, la
physique nucléaire, ont bouleversé ces notions et les physiciens aujour-
d'hui s'en méfient Expliquer le résultat d'une expérience, c'est seule-
ment s'assurer après coup qu'il ne contredit pas une théorie antérieure,
ce n'est même pas généralement être en mesure de prévoir. Dans la plu-
part des cas, seules sont reconnues valables les lois statistiques, fondées
sur le calcul des probabilités. Cependant, sans nier a priori la validité des
lois causales, il semble raisonnable de distinguer les domaines dans les-
quels elles s'appliquent et ceux, tels la vie physique, sociale, politique, où
dans l'état actuel de nos connaissances, elles ne s'appliquent pas.

34 9 b) La causalité dans les sciences sociales ◊ Dans les sciences


sociales, la notion de totalité va donner à la causalité son aspect parti-
culier. Il s'agit moins de trouver un fait générateur que des facteurs inter-
dépendants.
Commentant Hegel, H. Lefebvre (1955) écrit: « Le rapport de cause à effet
n'exprime que d'une façon incomplète, fragmentaire, unilatérale, la réalité et son
mouvement. Le réel s'offre à l'analyse, comme un enchevêtrement de rapports,
de causes et d'effets, chaque cause renvoie à une autre cause, tout effet devient
cause à son tour [ ...]. Enfin et surtout, l'effet réagit sur la cause et inversement.
La cause ne s'éteint pas dans l'effet comme dans la causalité formelle (Aristote).
Le rapport de cause à effet saisit donc, plus ou moins profondément, une
connexion.Cause et effet ne sont que des mouvements de l'interdépendance uni-
verselle et nous passons ainsi de la causalité à la réciprocité d'action ou action
réciproque 1.»
La notion de causalité et d'interaction envahit peu à peu les sciences
sociales. Celles-ci ont proposé des lois d'évolution,mais elles se bornent à
une constatation de succession plus qu'à une explication. De par leur
nature même, elles se révèlent d'application difficile en sociologie puis-
qu'elles ne respectent pas le caractère de discontinuité de cette dernière 2.
1. H. Lefebvre (1955), p. 63.
2. G. Gurvitch écarte la notion de loi en sociologie pour retenir la possibilité de régularitésten-
dancielles,par exemple tels symptômes économiques, politiques et sociaux dans tel type de société, se
terminent en général par une prise de pouvoir par les militaires; de covariations fonctionnelles:l'ac-
croissement des naissances après les guerres; enfin l'intégrationdansdesensembles réels,certains faits
paraissent déterminés sans que l'on sache par quels facteurs: les rapports entre générations varient
L'EXPLICATION 415

A la notion d'évolution, succède celle plus moderne de changement,au


premier rang des préoccupations des sociologues contemporains : théo-
ries du développement, de la modernisation, tentent de répondre aux
nombreuses questions soulevées par les bouleversements techniques,
culturels et politiques dans les pays industrialisés et le Tiers-Monde. Mais
pris entre l'impératif mal compris de la totalité 1 et la fausse image de la
loi dans les sciences naturelles, les sociologues cherchent en vain une
théorie générale rendant compte de la complexité des situations
concrètes.
R. Bourlon (1983) reproche à la sociologie contemporaine de revendi-
quer pour chacune de ses propositions une portée universelle alors
qu'elles ne peuvent atteindre que des significations limitées, bref de man-
quer de modestie. C'est à juste titre qu'il affirme (rejoignant l'opinion de
Merten, « qu'il n'existe de théories scientifiques du changement social
que partielles et locales » 2 . Enfin il insiste sur la nécessité de tenir
compte de deux éléments essentiels qui rendent la recherche des causali-
tés particulièrement difficiles en sciences sociales: le hasard et la sub-
jectivité. Sous l'influence du positivisme et de points de vue déterministes
les sociologues ont tendance à les écarter. Le hasard intéresse pourtant de
plus en plus les physiciens et biologistes, mais la personnalité des acteurs
sociaux relève, elle, des sciences sociales dont elle complique singulière-
ment la tâche. Lorsqu'il s'agit d'un monde complexe où l'intervention
d'êtres vivants rend la répétition imprévisible, plus l'intervalle entre cause
et effet sera accentué, plus les notions de causalité et de loi seront diffi-
ciles à concevoir et appliquer.
350 c) Causalité interne, causalité externe ◊ Adoptant la théorie de la
« causalité singulière» de Gurvitch, R. Bastide (1956) écrit que l'effica-
cité des divers types d'explication oblige à revenir au concept de causalité.
Ce qu'il reproche à l'ancienne conception de la causalité, c'est de se pla-
cer en dehors de l'espace et du temps, en affirmant que les mêmes causes
produisent les mêmes effets. La sociologie serait alors sans histoire, sans
géographie... et sans hommes.
- « En fait, les causes agissent dans certaines structures spatiales ou tem-
porelles et il nous faut réintroduire la dialectique, celle que j'ai appelé de la
simultanéité, comme celle de la durée, dans le schéma des actions causales 3 • »
R. Bastide ajoute ensuite qu'il est possible qu'à un certain niveau, les
mêmes causes tendent à produire les mêmes effets, mais que nous ne
pouvons nous en apercevoir, parce que« dans le réel, ces facteurs inter-
viennent en de multiples synthèses différentes » 4. Dans ce cas, leurs
formes apparentes revêtent des aspects dissemblables et trop particuliers
suivant les différentesclasseset les différentstypesde société.On intègre ces faits dans les ensembles
dont il s'agit.
1. Cf. n° 345.
2. Cf. n° 353.
3. R. Bastide(1956).
4. In R. Bastide,op. dt., p. 95.
416 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

pour être identifiables. Ou encore, la causalité prend la forme de condi-


tions d'apparition des phénomènes, plus que de causalité, il s'agit alors
de corrélationsfonctionnelles.
Dans la notion de causalité singulière, R. Bastide distingue la causalitéinterne,
celle du milieu lui-même et la causalitéexterne,mais l'une et l'autre n'agissent
pas toujours de la même façon. La notion de causalité singulière permet d'expli-
quer pourquoi la civilisation occidentale, cause externe, suscitera des effets dif-
férents, suivant qu'elle agit dans tel ou tel milieu interne: société matrilinéaire,
patrilinéaire, féodale.
M. Mead le constate dans son rapport à l'UNESCO: « Pratiquement une
transformation technique peut entraîner une nouvelle répartition des tâches et
modifier ainsi les rapports entre époux ou entre parents et enfants», etc. De
même la causalité interne représente l'autre face du problème, c'est-à-dire la
sélection particulière que suscite, par exemple, telle religion dans tel pays. La reli-
gion Yorouba a ainsi intégré des éléments de la religion dahoméenne voisine, de
la religion musulmane importée, de la religion catholique, etc. On a dit, fait
remarquer R. Bastide, que la sociologie contemporaine, avait substitué aux
anciennes explications causales, des explications en termes de situation, configu-
ration. Il semble qu'il s'agisse là plutôt d'un complément d'explication, que
d'une opposition à la notion de causalité, car la situation coloniale par exemple,
la configuration de telle civilisation, forment les cadres, « constituent les canaux
par où passe la causalité externe, le milieu à travers lequel agit la causalité interne
( qui à la limite est ce milieu agissant) 1 ».
351 d} La. causalité et le temps ◊ Une des difficultés essentielles de l'ex-
plication causale en sociologie,consiste à tenter de concilier, dans l'étude
des interactions, une explication génétique (c'est-à-dire par les anté-
cédents), diachronique(tenant compte de la succession dans le temps),
avec une explication synchronique,c'est-à-dire ne rendant compte que de
l'actuel, de l'équilibre du moment et des éléments nécessaires qui le
conditionnent, l'impliquent. Si la totalité sociale n'était pas ce tout mou-
vant, participant du «fortuit» et du« désordre», sans doute pourrait-on
par le développement historique expliquer le présent. Mais ce n'est pas le
cas.
Comme le remarque Piaget : « Le problème tient surtout à la structure même
de l'explication sociologique, selon qu'elle oscille entre la causalité et l'implica-
tion. Il est évident qu'une relation de causalité est diachronique, puisque liée à
une succession dans le temps, tandis qu'un lien d'implication est synchronique,
puisque consistant en un rapport nécessaire et extratemporel 2 • »
Cette dualité de tendances nous la retrouvons entre cause et loi. La loi
fait peser le passé sur le présent et l'avenir; elle va dans le sens de la
continuité, de l'homogénéité, de la quantité, alors que la cause ne se
répète pas forcément et implique l'hétérogénéité, le qualitatif. C'est pour-
quoi G. Gurvitch propose le terme de « causalité singulière» pour les
enchaînements qui peuvent survenir dans des conditions données et ne
pas se répéter.
1. Op. cit., p. 99.
2. J. Piaget (1950), p. 217.
L'EXPLICATION 417

352 3° Explication et théorie ◊ Les résultats de l'enquête menée en 1978


par l'Americansodologist1 sur la notion de théorie ont montré que tous
les sociologues américains ne concevaient pas la notion de la même
façon. D'après certains auteurs on peut regrouper les définitions en trois
catégories: 1° une conception fimnelle. Pour R. Aron, une théorie est un
système hypothético-déductif constitué par un ensemble de propositions
dont les termes sont rigoureusement définis [...] élaboré à partir d'une
conceptualisation de la réalité perçue ou observée. 2° La théorie selon
Mannheim constituerait un système de croyances, une idéologie.Variant
avec l'histoire, elle permettrait de comprendre la période qui la suscite. 3°
La théorie explication.Elle aide à comprendre une époque, ex. (Riesman,
Goffman). Pour Gouldner et Nisbet, une bonne théorie est celle qui
donne un sens à la réalité.
Les auteurs rendant compte de l'enquête déplorent qu'à l'heure
actuelle les théories se limitent à des portions de la réalité très réduites et
sans lien entre elles. Toutes les explications dans toutes les sciences sont
fondées sur des théories, déclare Gurvitch. Celles-ci peuvent changer,
même si leur utilité n'est que provisoire ; même considérées comme de
simples hypothèses de travail, elles ont seules une valeur explicative.
D'une part elles suscitent une recherche de ce qui est caché, c'est-à-dire
qu'elles aident à poser des questions, mais de plus elles y répondent,per-
mettent une explicationet parfois une prévision, etc. Seulement la dialec-
tique et la sociologie impliquent, avons-nous dit, une totalité. Une pers-
pective de totalité exige une explication totale. Si l'on prend cette totalité
au sérieux, il n'y a pas d'explication, sinon en se plaçant au cœur de
l'être, ce qui implique une théorie de l'humain et de l'humanité. C'est ce
qu'ont compris Comte, Hegel et Marx. Il s'agit là de tentatives d'explica-
tion qui ont échoué, mais tout de même de théories générales ayant posé
le problème du devenir de l'humanité. Toute crise est signe de carence. Il
faut avoir le courage de dire que la crise de l'explication en sociologie,
trouve aujourd'hui sa cause dans l'absenced'une théoriede l'homme.
L'appel à l'édification et l'emploi d'une théorie générale est un thème fort
connu depuis A. Comte, mais lorsqu'il s'agit de la découvrir ou même de la défi-
nir, les obstacles paraissent insurmontables. Dans l'état actuel de nos connais-
sances, est-il possible d'imaginer une théorie générale? Einstein n'a pas succédé
à Kepler. Des siècles de réflexion, d'expériences, ont été nécessaires aux progrès
des sciences physiques.
3 5 3 Théoriegénérale ou théorie moyenne ? ◊ Pour Merten, la tâche de
la sociologie à l'heure actuelle, consiste à progresser corre1ativement sur
les plans suivants : théories particulières portant sur des séries limitées de
données qu'elles expliquent mais aussi élaboration d'un schéma concep-
tuel plus général, susceptible de consolider ces ensembles théoriques par-
ticuliers. Nous sommes loin d'une théorie de l'homme. Il semble qu'à
défaut de pouvoir actuellement découvrir même un cadre conceptuel
intégré, d'où dériveraient toutes les théories, la position de Merten soit
1. In M. LM. Mattenzi (1977).
418 LES NIVEAUX
DE LA RECHERCHE

prudente. Cette attitude respecte à la fois l'impératif de la recherche


concrète et la nécessité de s'orienter vers une explication, c'est-à-dire une
théorie dont tous perçoivent la nécessité, mais sans la situer au même
niveau, ni en formuler explicitement toutes les exigences.
354 Bibliographie ◊
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MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 419

SECTION3. MÉTHODESPROPOSÉES
POUR ATTEINDREL'EXPLICATION
355 Les différentes méthodes proposées en sociologie pour atteindre
l'explzcation ◊ La méthode, moyen de parvenir à un aspect de la vérité,
de répondre plus particulièrement à la question« comment», est liée au
problème de l'explication. L'exposé des diverses méthodes se heurte à
l'ambiguïté déjà soulignée de la notion, mais également aux différences
des niveaux auxquels elles se situent, à l'ampleur de l'explication qu'elles
visent, enfin aux divers moments du processus de recherche auxquels elles
s'appliquent.
On étudiera ici les démarches intellectuelles les plus importantes qui
présentent des types d'explication plus ou moins complets et de ce fait
sont le plus souvent appelées méthodes.

§ 1. La méthode comparative
356 1 ° Historique ◊ D'après les premiers sociologues organicistes, la
société ne pouvait être soumise à la méthode expérimentale. D'une part du
fait de l'interdépendance de ses éléments, changer quelque chose, c'était
risquer de modifier l'équilibre de l'ensemble; d'autre part, du fait des
dimensions de la société, l'on ne pouvait tout observer. Restait alors la
méthodecomparative1.L'absence de possibilité d'expérimentation fait de la
comparaison l'unique moyen permettant au sociologue d'analyser le
donné concret, d'en dégager les éléments constants, abstraits et généraux,
lorsqu'il abordera l'explication sociologique.
Pour Durkheim, elle constitue une véritable « expérimentation indi-
recte». Pour de nombreux auteurs, la méthode comparative serait effec-
tivement la méthode spécifique de la sociologie. Elle impliquerait, ainsi
que nous l'avons vu, la constitution de types idéaux. Dans ce cas, les cri-
tiques adressées à la typologie concernent également la méthode compara-
tive. C'est pourquoi, certains pensent qu'elle n'est utilisée par la sociologie
que faute de mieux et révèle l'état peu avancé de cette science.

3 5 7 2° Caractéristiques ◊ La méthode comparative tend à systématiser


une tendance naturelle de notre esprit. Le mouvement spontané qui nous
pousse à comparer ce que nous voyons, explique les diverses caractéris-
tiques de la méthode.
Elle ne dispose pas de procédure technique particulière. Elle est utilisée
par touteslessciencessociales.Psychologie,sociologie,science politique, eth-
nologie s'appuient sur des comparaisons aussi bien pour des études vastes
(développement de l'esprit capitaliste) que pour une étude de secteurspar-
ticuliers (comparaison des différents types de scrutins) pour une étude
1. G. A. Almond and G.B. Powell (1966), N. J. Smelser (1976), M. Dogan, D. Pelasy (1982), .
420 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

qualitativeque pour une observation quantitative.En fait dans l'obseiva-


tion quantifiée, la comparaison et la mesure pourraient à la limite être
confondues si ce n'est que la mesure est obtenue par rapport à un étalon
connu, tandis que dans la comparaison, c'est la valeurrelativedes phéno-
mènes qui entre en ligne de compte. La comparaison entre deux moyens
de publicité mesure l'efficacité de l'un par rapport à l'autre.
La méthode comparative est également employée à tous les stadesde la
recherche.Elle fait partie de l' obseivation, mais peut aussi suggérer des
hypothèses et parfois même les vérifier.
Enfin dernière caractéristique de la méthode comparative, elle trouve sa
place à tous les niveauxde la recherche. Une descriptionpeut constater une
analogie superficielle ou analyser les éléments d'une structure (régime
présidentiel américain, et régime français) quant à la classification
elle uti-
lise au maximum la comparaison dans l'établissement de typologies. C'est
au niveau de la troisième étape: l'explicationque surviennent les diffi-
cultés, car la comparaison peut suggérer un lien de causalité entre les fac-
teurs présents ou absents, mais le plus souvent l'explication demeure limi-
tée.
358 3° Limites de la méthode ◊ Ce qui frappe, dans l'usage fait de la
méthode comparative, c'est le peu de rigueur tant de la définition que de la
méthode. L'on évoque souvent la méthode comparative, mais combien de
fois précise-t-on les conditions de l'élaboration des types ou des éléments
de comparaison ?
Liéeà la typologie, la méthode comparative vaut sur le plan scientifique,
ce que valent les types qu'elle compare. Dans la mesure où ceux-ci, systé-
matiquement établis, correspondent à ce que la réalité comporte de plus
significatif, la comparaison aura de l'intérêt.
Les sociologues se sont peu souciés de soulever les problèmes des conditions de
validité : quels sont les critères de comparaison valables, quelles unités de compa-
raison choisir, comment être sûr que l'on compare des éléments semblables?
G. Balandier (1956) note:« La première orientation le conduit (l'ethnologue)
à employer, sans parfois se poser suffisamment de questions à son égard, la
méthode comparative. Mais le plus souvent, cette mise en regard de systèmes
culturels et sociaux différents, réalisée à contretemps et de manière hasardeuse,
conduit à des résultats décevants et contestables 1. »
Les auteurs de droit comparé nous donnent sur ces divers points d'excellents
conseils, mais ne vont pas au-delà du simple bon sens, lorsqu'ils nous incitent à
comparer seulement ce qui se situe à des niveaux semblables et à retenir les carac-
téristiques essentielles de ce que l'on veut comparer, sans oublier de tenir compte
du milieu d'où elles sont tirées.

359 4° Progrès récents ◊ L'extrême extension de la notion de comparaison


est à l'origine de ses imperfections. La variété des techniques propres à
recueillir des données comparatives surmonte mal l'obstacle qu'opposent
les contextes différents dans lesquels elles sont utilisées. Outre les pro-
1. G. Balandier (1956), p. 116.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 421

blèmes de mesure, il reste à dégager la signification des résultats. Par


exemple l'utilisation de questionnaires et la comparaison entre les
réponses obtenues dans différents pays, soulèvent des problèmes quasi
insolubles de signification 1 .
La multiplication des recherches sur le plan international a suscité une
amélioration de la méthode dans le sens de la rigueur. La première étape
dans cette voie a été la création d'indicateurs intemationaux 2 . Un autre
facteur important a joué dans ce sens : l'utilisation de calculatrices électro-
niques qui facilite le traitement d'une masse considérable de renseigne-
ments, mais surtout oblige à normaliser les données recueillies et permet
la constitution d'archives 3, source importante de possibilités d'analyses
secondaires et de comparaisons internationales. Enfin en utilisant la
méthode comparative dans le cadre de l'analyse systémique, comme
commencent à le faire les politologues, on lui impose des règles plus
rigides, les éléments du système devant être précisés pour constituer un
modèle.
Un certain nombre d'enquêtes ont été menées dans ce sens. Les plus connues
sont celles d'Almond et Verba sur)e civisme dans cinq pays 4 (Mexique, Rép. Féd.
Allemande, Italie, Royaume-Uni, Etats-Unis) dans laquelle les auteurs conceptua-
lisèrent des types de relations gouvernants-gouvernés; l'enquête de l'Unesco sur
les tensions raciales; l'enquête de l'O.R.S.C. (Organisme pour la recherche sociale
comparative) auprès des enseignants de sept pays ; les études sur la modernisation
et les facteurs de changement dans les pays en voie de développement 5•
L'unification de l'Europe implique des recherches comparatives. Un centre de
coordination a été créé par l'Unesco à Vienne. Qu'il s'agisse d'échanges universi-
taires, du droit des sociétés, toute décision visant une unification oblige d'abord à
une comparaison.
Pour conclure, on peut dire que la méthode comparative est utile mais
que sa validité dépend de la rigueur avec laquelle on en définit les termes.
Moyen de découvrir des rapports, elle peut susciter des hypothèses, mais
elle ne constitue pas en elle-même une véritable explication, liée à une
théorie.

§ 2. La méthode historique
« Le problèmede l'histoire,
c'est l'histoiredu problème.»
Hegel.
360 Histoire et Sociologie ◊ Le debat entre histoire et sociologie est
ancien. Pour avoir été trop longtemps dominée par l'histoire, la sociologie
1. Les données de la recherche comparative (1964).
2. B. Ruccet and others.
3. Des organisations telles que le Zentral archiv de l'université de Cologne, l'Inter-university
consortium for politicalresearch,s'attachent à faciliter la recherche comparative en stockant une
documentation pouvant permettre des analyses secondaires R. Rose (1974).
4. G. A. Almond and S. Verba (1965).
5. Cf. S. Rokkan (1965, 1966).
422 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

s'est peut-être trop éloignée de celle-ci. On assiste à une réconciliation,


que la notion d'explication rend particulièrement indispensable, car
« l'histoire est la seule concurrente de la sociologie, dans l'étude des phé-
nomènes sociaux totaux en marche».
Si nous comparons l'objet de ces deux sciences et leurs méthodes, nous consta-
terons de curieuses différences et un paradoxe sur lequel G. Gurvitch attire notre
attention. Tout en tenant compte de l'évolution d'une conception événementielle
à une définition plus large, on peut, comparant l'histoire et la sociologie quant à
leur objet, constater que l'histoire présente une succession de phénomènes
sociaux totaux, dans ce qu'ils ont d'unique chacun dans son genre, d'irrempla-
çable. La réalité historique est donc particulièrement discontinuiste. L'objet de la
sociologie est la typolo~e des phénomènes sociaux totaux, typologie qui, comme
nous l'avons vu, tend a saisir une réalité assez indistincte pour en accentuer les
différences. La méthodesociologique atteint donc un résultat discontinuiste sur un
objet relativement continu. La méthodehistorique,au contraire, va combler les
lacunes des faits et événements, en s'appuyant sur un temps, peut-être artificielle-
ment reconstruit, mais assurant une continuité, une trame aux phénomènes.
C'est ainsi que la causalité historique intensifie la singularité du lien
causal, tout en renforçant la continuité de ce lien. G. Gurvitch déclare
que les historiens ont souvent attendu l'explication des sociologues, mais
que finalement ce sont ceux-ci qui doivent chercher dans l'histoire, l'ex-
plication. On peut difficilement imaginer une explication qui ne soit dia-
chronique, c'est-à-dire à la fois génétique et historique. Comme le dit R.
Bastide (1966), nous avons beau chercher à remplacer la causalité par
d'autres notions, nous nous heurtons toujours au même problème, celui
du temps social, révélateur de changements, de métamorphoses, de créa-
tions ou de disparitions, qui résiste à tout autre type d'explication, en
dehors de l'explication causale.
361 Ce qu'est l'histoire ◊ En parlant d'histoire, il faut distinguer l'his-
toire concrète, conçue comme un matériau et l'histoire comme connais-
sance de ce matériau. Cette dernière est en effet liée au temps et les socio-
logues admettront difficilement que l'histoire connaissance, puisse, à elle
seule, par une technique liée au rythme de l'horloge, fournir une explica-
tion de l'histoire en tant que réalité en train de se faire. Là se trouve, sans
doute, non pas l'explication, mais le point d'insertion de ce qui est à
expliquer, de ce qui est explicable. Les données de l'histoire humaine sont
fournies par l'histoire, mais l'histoire chose, qui s'identifie avec la réalité
sociologique elle-même, tandis que la connaissance historique ne consti-
tue qu'une explication partielle, parmi beaucoup d'autres, de cette réalité.
En fait, les deux disciplines doivent se compléter, la sociologie fournit à
l'histoire des cadres conceptuels (types, structures, conjonctures), mais
c'est l'histoire qui, à son tour, fournit à la sociologie les matériaux
concrets les plus indispensables, puisque issus de la réalité. Cette nécessité
pour sociologues et historiens de collaborer, ne doit pas cacher la grande
différence de point de vue qui les sépare et que signale F. Braudel.
« Ce n'est pas à l'histoire qu'en ont finalement et inconsciemment les socio-
logues, mais au temps de l'histoire... cette contrainte à laquelle l'historien
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 423

n'échappe jamais, les sociologues, eux, y échappent presque toujours. Ils


s'évadent, ou dans l'instant, toujours actuel, comme suspendu au-dessus du
temps, ou dans les phénomènes de répétition qui ne sont d'aucun âge, donc par
une démarche opposée de l'esprit, qui les cantonne soit dans l'événementiel le
plus strict, soit dans la durée la plus longue. Cette évasion est-elle licite ? Là est le
vrai débat entre historiens et sociologues1• 2 . »
Il est certain que la sociologie, parce qu'elle s'est récemment dévelop-
pée dans des recherches limitées, concrètes et actuelles, s'est trop souvent
éloignée à la fois de l'histoire et de la théorie. Ses propres progrès, la
nécessité pour elle d'atteindre le niveau de l'explication, la ramènent
aujourd'hui vers l'une et vers l'autre.

§ 3. La méthode génétique
362 Définition ◊ Comme son nom l'indique, la méthode génétique
cherche la genèse des événements, c'est-à-dire les antécédents. La géné-
tique pose les questions : quand ? pourquoi ? comment ? Il s'agit donc
d'un processus se déroulant dans le temps, c'est-à-dire d'une explication
diachronique. Comme l'histoire, la génétique répond à la question
quand... mais ses réponses au pourquoi et au comment ont un autre
sens. Ellesimpliquent une histoire, mais ce n'est pas l'histoire succession.
La notion de temps distingue, ici encore, l'explication historique de l'ex-
plication génétique. Pour la génétique, le temps est secondaire. C'est le
sous-produit d'une genèse qui a son propre rythme et cherche une causa-
lité dans les faits eux-mêmes. Les difficultés de la génétique sont alors
celles de la recherche d'une causalité. C'est la méthode la plus honnête,
puisqu'elle annonce dans son titre même quel est son but: trouver la
cause initiale, le fait générateur. Mais en sciences sociales, ce geme de
reconnaissance est difficile car trop d'événements peuvent avoir conçu
celui que l'on étudie. Il n'y a le plus souvent que des présomptions de
filiation. C'est pourquoi sans doute, la méthode génétique, très utilisée en
psychologie, l'est beaucoup plus rarement en sociologie.

§ 4. La méthode fonctionnelle
363 La.notion de fonction ◊ La difficulté de saisir la cause, a orienté cer-
tains sociologuesvers l'interprétation des faits sociologiquespar la notion
de fonction.
Comme le dit Merton, représentant le plus averti de cette orientation,« l'ana-
lyse fonctionnelle est à la fois la plus féconde et sans doute la moins codifiée des
méthodes d'interprétation sociologique3 ».

1. F. Braudel (1960), p. 97.


2. La distinction entre temps court et longue durée n'apporte pas de réponse.
3. R. K. Merten (1960, p. 67; 1965, p. 65).
424 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

La notion de fonction souffre d'abord d'une ambiguïté de langage


souvent déplorée dans les sciences sociales1 . L'usage populaire retient
l'aspect social de la fonctionet la confond avec la profession. La publicité
emploie constamment le terme fonctionnel dans le sens d'utile, adapté à
son but. Un bureau, une chaise sont qualifiés de fonctionnels. Dans le
langage mathématique, la fonction désigne une variable, étudiée en rela-
tion avec une ou plusieurs autres variables, en fonction desquelles on
peut l'exprimer ou dont sa propre valeur dépend. Lorsqu'un démographe
déclare que « les taux de natalité sont fonction de la situation écono-
mique » il utilise le terme dans son sens mathématique. En sociologie, la
notion de fonction est issue des mathématiques, mais adaptée probable-
ment par l'intermédiaire de la biologie, où elle se rapporte « aux proces-
sus vitaux ou organiques dans la mesure où ils contribuent au maintien
de l'organisme». L'ambiguïté de la notion implique des degrés dans les
conceptions fonctionnalistes.

363-1 B. Malinowski ◊ Il est considéré comme le père du fonctionnalisme


et le représentant de la conception la plus rigide et la plus impérialiste car
elle s'oppose à l'évolutionnisme et à la façon atomistique d'étudier
chaque trait culturel séparément Les postulats sont les suivants: 1° la
fonction est conçue par rapport au système social tout entier ; 2° tous les
éléments sociaux et culturels remplissent des fonctions sociologiques ;
3° ces éléments sont indispensables. A l'actif de Malinowski on doit rete-
nir sa démarche concrète et déjà scientifique: observer, expliquer;
ensuite l'aspect interdépendant des facteurs retenus et leur lien avec la
société globale, enfin une définition de la culture ne se présentant pas
comme une énumération, mais une « réalité instrumentale» qui satisfait
les besoins de l'homme 2 .
Ces disciples tout en retenant l'essentiel vont atténuer et relativiser ces
affirmations.
364 R.K. Merton ◊ Représentant éminent du fonctionnalisme, il démontre
cependant la contradiction des hypothèses avec la réalité :
1° Des usages et des sentiments sociaux peuvent être fonctionnels pour
certains groupes et ne pas l'être pour d'autres dans la même société.
Le cas de l'interprétation du rôle de la religion, est un exemple du danger qu'il
y a à poser en principe l'unité de la société entière avant une observation concrète
« car c'est une question de fait et non d'opinion. Le cadre théorique de l'analyse
fonctionnelle réclame expressément une définition de l'unité organiquepour
laquelle un élément social ou culturel est fonctionnel 3 ».
2° La deuxième affirmation a pour but de justifier le rôle des survi-
vances sociales, de coutumes n'ayant apparemment plus de fonction à
remplir.
1. Merton op. cit., p. 66.
2. B. Malinowski in Encyclopedia.
3. R. K. Merton (1965), p. 78.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 425

L'exemple souvent cité est celui des boutons des manches des costumes mas-
culins européens, qui ne servent à rien, mais remplissent la fonction« de conser-
ver les usages et de maintenir une tradition».
Ici encore, déclare Merton, la constatation d'habitudes conformistes
n'explique rien, et il propose une distinction entre les fonctionsmanifestes,
qui sont voulues par les participants du système et les fonctions latentes,
qui ne sont ni comprises, ni voulues, mais qui n'en existent pas moins.
Ces fonctions latentes sont parfois remplies par des rites anciens qui, ne
jouant plus leur rôle, substituent à leur but initial une autre fonction.
Telle cérémonie avait pour objet d'attirer la pluie, comme la messe avait
pour but la prière. Mais ces deux rites peuvent pour un grand nombre de
participants, ne plus remplir par la suite, qu'une fonction de cohésion
sociale.
3° Enfin le troisième postulat concernant la nécessité de l'interpréta-
tion fonctionnaliste, est le plus ambigu. En effet, si nous nous reportons
aux textes principaux qui l'expriment, tel celui de Malinowski « dans tous
les types de civilisation, chaque coutume, chaque objet matériel, chaque
idée, chaque croyance, remplit une fonction vitale, a une tâche à accom-
plir, représente une partie indispensable d'une totalité organique 1 », nous
pouvons nous demander ce qui doit être reconnu indispensable. Est-ce la
fonction elle-même, ou l'élément remplissant la fonction, ou les deux?
Faut-il admettre que ce sont les fonctions de la religion qui sont néces-
saires, ou certains rites constituant l'accomplissement des fonctions reli-
gieuses ? La réalité ne nous montre-t-elle pas plutôt des besoins humains
et sociaux, qui peuvent être satisfaits de façons différentes« un seul élé-
ment pouvant remplir plusieurs fonctions, de même qu'une seule fonc-
tion peut être remplie par des éléments interchangeables 2 », ce qui nous
permet de découvrir des substituts ou équivalents fonctionnels. Enfin R.K.
Merton (1953) distingue à côté des fonctions: les dysfonctionsqui gênent
l'adaptation au système. Mais on peut se demander comment elles
échapperont aux jugements de valeur 3 •
365 Fonctionnalisme, anthropologie et sociologie ◊ Ajoutons à ces critiques,
que la querelle entre fonctionnalistes et antifonctionnalistes est assez déroutante
et nous apporte peu de lumière sur ce qu'est le fonctionnalisme. Même ses parti-
sans les plus illustres : Merton, Radcliffe-Brown, Malinowski, n'arrivent pas à
définir clairement ce qu'est l'analyse fonctionnelle structurelle. Il semblerait que
celle-ci ne représente pas une méthode particulière, mais se confonde plus ou
moins avec l'analyse sociologique elle-même. Dans ce cas, les diversités de défini-
tions refléteraient les différences de points de vue sur la sociologie.
Si l'on manque d'une définition satisfaisante, on ne voit pas non plus dans la
réalité de leurs travaux, ce qui distingue les fonctionnalistes de leurs opposants
déclare Kingsley Davis ( 19 59). Certains fonctionnalistes sont beaucoup plus
proches d'antifonctionnalistes que d'autres fonctionnalistes. Il semblerait que née
chez les anthropologues d'une réaction contre l'historicisme et l'évolutionnisme,

1. In op. dt., p. 86.


2. R. K Merton (1957), p. 91.
3. Y. Coenen-Huther (1984).
426 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

le fonctionnalisme implique au départ une recherche théorique, une inter-


prétation, ignorant la recherche empirique de données concrètes. C'est la position
de Parsons et Merton. Mais ici encore, il s'agit d'une position méthodologique
générale, concernant la sociologieelle-même, non d'une caractéristique fonction-
naliste, car pour d'autres, elle légitime au contraire les recherches concrètes.
Ces contradictions s'expliquent par le rôle joué par le fonctionnalisme
à l'intérieur de l'évolution de la sociologie et de l'anthropologie.
C'est la première qui se montra sans doute la plus critique à son endroit, la
deuxième où la discussion fut la plus âpre, reflétant la bataille qui se livrait chez
les anthropologues, pour l'admission de l'analyse sociologique elle-même.
Celle-ci fut finalement adoptée sous le couvert du fonctionnalisme, dans un
domaine où il paraissait acceptable, parce que borné à un niveau d'explication
très superficiel, c'est-à-dire dans les monographies restreintes. Dans des sociétés
limitées, isolées, il n'est pas très difficle de montrer les liens de la partie au tout,
l'évolution des fonctions manifestes et latentes, etc. Le développement des
recherches sur le terrain et de l'observation concrète fit donc accepter le fonction-
nalisme.
Les sociologues, au contraire, du fait de la complexité beaucoup plus
grande des sociétés qu'ils étudient, de leurs exigences méthodologiques,
enfin de leur tradition de recherche théorique, examinèrent avec plus de
méfiance les fondements et principes du fonctionnalisme. Les empiristes
y voyaient une théorie supplémentaire à écarter, les réformistes la substi-
tution d'un aspect utilitaire à leurs impératifs moraux. L'idée de fonction
implique tout simplement la constatation de la façon dont une institu-
tion « fonctionne » dans le système social auquel elle appartient Les
économistes et biologistes sont amenés à faire des observations du même
ordre : un poumon ou un rein fonctionnent, une Chambre de
commerce, une coopérative aussi. Ils n'ont jamais éprouvé le besoin
d'échafauder, à partir de ces faits, une soi-disant théorie qui ne les
explique pas, mais les constate.
365-1 Fonctionnalisme et causalité ◊ L'idée de fonction permet d'analyser
certaines situations, de fournir des observations, mais elle demeure à un
niveau d'explication limité.
Comme le dit Durkheim: « Quand on entreprend d'expliquer un phénomène
social, il faut rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonc-
tion qu'il remplit. » Le fait que telle ou telle institution soit utile, dans tel ou tel
sens, ne nous apprend pas forcément la raison qui l'a fait naître. Bien souvent la
fonction consiste, à« maintenir la cause préexistante d'où les faits dérivent». R.
Bastide note : « Le fonctionnalisme explique bien pourquoi les choses subsistent,
mais il n'explique pas pourquoi elles changent 1.» Merten utilise la notion de
«dysfonction». Mais d'où vient la dysfonction?
Nous en revenons toujours à la nécessité d'une recherche de causalité,
d'autant plus indispensable que l'explication fonctionnelle, utilisable
lorsqu'il s'agit de faits sociaux et d'une société en équilibre, ne l'est plus
1. R. Bastide (1956 B 354), p. 87.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 427

dans le cas de discontinuité et de ruptures, où la causalité peut encore


opérer.
Il semble bien que l'utilisation de ce système tienne moins à ses possi-
bilités d'explication, qu'aux difficultés de saisir une causalité sociolo-
gique. La fonction se substitue à la cause efficiente et l'introuvable cause
sociale est parfois remplacée par une causalité de type psychologique et
fonctionnel, se référant aux besoins ressentis par les individus 1.
366 Fonctionnalisme et idéologie ◊ Malgré ses lacunes, ses limites, le
fonctionnalisme a connu une réussite complète même en sociologie.
Modernisé et relativisé par Merton, structuré avec Parsons, il règne
depuis plus de vingt ans sur les sciences sociales américaines. En France,
un certain nombre de thèses et travaux s'en inspirent 2 .
Rien de tout ce que nous venons de voir n'explique ce succès.
Commode, allant de soi dans la mesure où elle n'explique rien, comment
cette forme de sociologie presque spontanée a-t-elle pris une telle
ampleur ? Il faut pour l'expliquer, aller au-delà de l'aspect purement tech-
nique et méthodologique abordé jusqu'ici, trouver ce que recouvre réelle-
ment le fonctionnalisme: une idéologie. Son premier succès est venu de
ce qu'il s'est au départ, opposé (voir Durkheim, Weber) au marxisme
avec ses conflits (notion de lutte des classes) et son avenir révolution-
naire. Théorie de dynamisme ( cela fonctionne), d'utilité (cela sert),
d'équilibre rassurant et d'optimisme (on néglige les dysfonctions), le
fonctionnalisme réunissait vraiment les qualités adaptées à la mentalité
américaine.
Idéologie capitaliste ? non pas. De façon plus exacte, Gouldner consi-
dère le fonctionnalisme comme une théorie de « soutien » du régime
existant, qui conviendrait aussi bien à un régime socialiste. Les faits
semblent lui donner raison, car la sociologie soviétique trouvait à son
tour quelques vertus aux schémas parsoniens. Le marxisme voulait chan-
ger le monde. Le parti communiste souhaite l'améliorer, mais préfère gar-
der le pouvoir là où il le détient. Une théorie de l'équilibre et de l'intégra-
tion, ne peut être qu'accueillie favorablement. Le parsonisme utilisé par
la société contre laquelle on l'a inventé, c'est un appréciable trait d'hu-
mour d'une sociologie qui en est bien dépourvue. Quel Hegelien pouvait
rêver mieux? se demande Gouldner 3 •

4
§ 5. Le structuralisme
367 La notion de structure ◊ L'idée et le mot de structure sont fort
anciens, mais cette notion a connu en France pendant quelques années,
une diffusion et un succès qui ont contribué à l'obscurcir. Associéeà des
1. Y. Coenen-Huther (1984).
2. B. Badie (1976).
3. A. W. Gouldner (1959, 1960).
4. C'est à dessein que nous n'utilisons pas le terme de méthode structurale (cf. n° 369).
428 LES NIVEAUX DE LA RECHERCHE

découvertes scientifiques importantes en anthropologie (Lévi-Strauss1)


ou en linguistique Qakobson 2), elle est aussi trop souvent utilisée (Fou-
cault 3, Barthes4) de façon peu précise.
La définition la plus simple, sur la~uelle les auteurs seraient sans doute
d'accord, paraît être celle de J.Piaget : « En première approximation, une
structure est un système de transformations qui comporte des lois en tant
que système (par opposition aux propriétés des éléments), et qui se
conserve ou s'enrichit, par le jeu même de ses transformations, sans que
celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fasse appel à des élé-
ments extérieurs. En un mot, une structure comprend ainsi les trois
caractères de totalité, de transformation et d'autoréglage. En seconde
approximation, [ ...] la structure doit pouvoir donner lieu à une formali-
sation.»
Mais comme le remarque R. Boudon (1968) 6, la difficulté ne réside
pas tellement dans le fait de trouver une définition entraînant l'assenti-
ment général, mais plutôt, dans la pauvreté et les limites de cette défini-
tion. D'une part elle comporte de nombreux synonymes : organisation,
système de relations, etc., d'autre part elle paraît incapable de rendre
compte des progrès scientifiques accomplis, ni surtout de son utilisation
dans des domaines aussi divers que la psychologie, l'économie, l'anthro-
pologie, etc.
L'emploi du terme structure ne peut pourtant s'expliquer seulement
par la mode mais plutôt par des raisons semblables à celles qui ont
contribué à l'essor de la notion d'hypothèse. Celle-ci comportait aussi des
équivalents (affirmation provisoire), mais elle a finalement prévalu grâce
à l'extension de l'expérimentation. Le succès du structuralisme est égale-
ment lié au développement de diverses disciplines qui, ayant élaboré des
théories fondées sur l'interdépendance des éléments constitutifs de leur
objet, ont de ce fait utilisé cette notion de structure 7• C'est pourquoi
celle-ci traduit une intention scientifique commune à l'ensemble des
sciences, mais avec des particularités suivant le domaine auquel on la rat-
tache.
368 Les définitions ◊ D'après Boudon, les équivoques attachées à la
notion de structure, tiennent pour une grande part à ce que le mot appa-
raît dans deux types de contextes très différents.
- La définitionintentionnelle.- Dans ce cas, en parlant de structure, on
insiste sur le fait qu'il s'agit d'un ensemble de caractères inter-
dépendants : structure du comportement, structure de l'organisme, etc.
On retrouve dans l'objet à étudier ce qu'évoque le terme même de struc-
1. C. Lévi-Strauss (1958, B. 181), F. Merrel {1975).
2. R. Jakobson {1949, B. 249).
3. M. Foucault {1966, 1969).
4. R. Barthes {1966).
5. J. Piaget {1968) p. 8.
6. Auquel nous empruntons le contenu des réflexions qui vont suivre.
7. En même temps que celle de système. Cela est vrai de la théorie freudienne de la personnalité,
de la linguistique et de l'anthropologie modernes, aussi bien que de l'économie mathématique.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 429

ture et qu'un synonyme tel que système pourrait remplacer. Lorsque Gur-
vitch qualifie certains groupes de structurés, il entend par là que ceux-ci
forment une totalité et souligne leur caractère organisé. Le mot structure
qualifie donc l'objet, identifié comme un système. Ce type de définition
intentionnelle comporte en général une énumération des caractères
structurels, le plus souvent apparents et marquant généralement une dis-
tinction par rapport à d'autres (groupes structurés opposés aux groupes
non structurés).
- La définitioneffective.- Il ne s'agit plus ici seulement de qualifierl'ob-
jet de «structurel», mais de détenninersa structure. Lorsque Lévi-Strauss
(en anthropologie) et Spearman (en psychologie) utilisent le terme en
des matières aussi différentes que la parenté et l'analyse factorielle, cela
signifie qu'il existe quelque chose de commun aux deux domaines étudiés
et que dans les deux cas, les auteurs ont découvert une construction
logique, rendant compte des caractéristiques apparentes du système. La
définition de l'objet devient alors de type constructif. Il ne s'agit plus de
dire : « il existe une structure», mais de définir les éléments de celle-ci, le
plus souvent aussi de se référer au-delà de ce qui est observable, à une
structure sous-jacente. « Une structure est toujours la théorie d'un sys-
tème et n'est rien d'autre. Cela dit, ces théories peuvent se situer à des
niveaux de vérification variables, qui dépendent essentiellement des
caractères du système considéré, de la population, des systèmes auxquels
on peut le comparer et d'autres facteurs à propos desquels la liberté d'in-
tervention du chercheur est limitée 1.»
En fait, les deux définitions : intentionnelle et effective peuvent consti-
tuer deux étapes, dont la deuxième représente parfois beaucoup plus tard,
l'approfondissement de l'intention de la première. L'utilisation abusive
du terme structural pourrait alors, comme le suggère Boudon, relever de
l'incantation magique : on espère en invoquant la structure, la découvrir.
369 F.xiste-t-il une méthode structurale? ◊ Pour ceux qui se conten-
tent d'utiliser le terme méthode dans un sens vague et conçoivent la
méthode structurale suivant la première définition, c'est-à-dire comme la
reconnaissance du caractère systématique et total de l'objet, il existe sans
doute une méthode structurale. Mais cette perspective qui tient lieu de
méthode, s'applique à presque tous les domaines, perdant ainsi toute
spécificité et toute efficacité. Tout le monde admet que la linguistique,
l'économie, la sociologie étudient des systèmes, cela ne mène à rien de le
constater.
En revanche, si l'on donne de la méthode une définition plus rigou-
reuse, exigeant un « ensemble de procédures permettant d'obtenir à pro-
pos d'un objet quelconque, une théorie située à un niveau de vérification
aussi élevé que possible et permettant d'expliquer l'interdépendance des
éléments constitutifs de cet objet, alors on peut affirmer qu'une telle
méthode n'existe pas 2 ».
1. In R. Boudon, op. cit. (1968), p. 204.
2. R. Boudon, op. cit., p. 213.
430 LES NIVEAUX DE LA RECHERCHE

Personne n'a encore découvert de règles à suivre pour imaginer des


théories exactes, or la découverte de la structure d'un objet dépend de la
construction d'une théorie.
Il serait absurde de croire comme les « structuralistes magiques », qu'il
suffit d'une attitude philosophique pour provoquer des découvertes ou de
déclarer que l'objet à étudier constitue une« structure», pour que celle-ci
devienne intelligible1.
Lesprogrès accomplis, en anthropologie par Lévi-Strauss,ou en écono-
mie depuis Walras, ne sont pas dus à l'application d'une nouvelle
méthode dite structuraliste, mais d'une part à des recherches patientes
suivant les méthodes scientifiques les plus classiques et d'autre part au
perfectionnement progressif des méthodes d'observation. Il n'y a donc
pas de méthode structurale comme il existe une méthode expérimentale,
mais seulement des recherches structurales particulières, correspondant
au développement de certains domaines.
Ces précisions étant données nous serons maintenant mieux armés
pour nous aventurer dans le domaine ambigu de l'utilisation de la notion
de structure, dans les diverses sciences que nous allons passer en revue.
370 En mathématiques ◊ La plus ancienne structure connue et étudiée comme
telle, a été celle de « groupe » découverte par Galois, qui a peu à peu conquis les
mathématiques du XIX"siècle2• 3 • Fondement de l'algèbre, la structure de groupe
s'est révélée très efficace à la fois par son pouvoir de cohérence et sa puissance de
transformation. LesBourbaki ont tenté de subordonner toutes les mathématiques
à l'idée de structure. Ils ont découvert trois structures mères : les structures algé-
briques, les structures d'ordre, enfin les structures de nature topologique.
G. Guilbaud note qu'en mathématiques le terme structure ne retient pas l'idée
d'opposition, mais de quelque chose de caché, d'intérieur, une sorte de schéma,
de patron.
3 71 En linguistique 4 ◊ Le structuralisme linguistique est né le jour où F. de Saus-
sure a montré que l'histoire d'un mot n'explique pas sa signification qui dépend
du «système» général de la langue, lui-même lié à l'environnement de son
époque (synchronie).
372 En ethnologi.e◊ C. Lévi-Straussdéclare que le terme est utilisé en des
sens différents mais recouvrant un même type d'attitudes; il s'agit d'une
méthode plus que d'une réalité. Il convient donc de relater son histoire
plutôt que de tenter de définir le concept.
Sur le plan pratique,la méthode est née du besoin des ethnologues, submergés
d'informations diverses, de comparer et classer, surtout de trouver un dénomina-
1. Dans le domaine littéraire par exemple, la méthode structurale malgré les intentions scienti-
fiques de ses auteurs se borne à substituer des méthodes déductives à la « compréhension » des tex-
tes. R. Picard ( 1966) a fort bien montré que les « modèles hypothétiques » par lesquels R. Barthes
(1966) prétend expliquer Racine ne sont pas susceptibles de vérification. De même sur un plan plus
philosophique, M. Foucault s'est fié à ses intuitions et a substitué l'improvisation spéculative à toute
méthodologie systématique. Voir sur ces problèmes R. Boudon (1968), J. Piaget (1968).
2. L'idée apparaît en 1847 dans un discours de Rieman, elle est utilisée vers 1875 par Sée dans un
sens proche d'isomorphisme.
3. Un groupe est un ensemble d'éléments, réunis par une opération de composition (addition).
4. Cf. n°' 240 et s.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 431

teur commun. Sur le plan théorique, le terme est utilisé sans son contenu véritable,
chez Spencer, dans la distinction qu'il trace entre structure et fonction dans l'or-
ganisme social. Le contenu est utilisé sous le terme «système» vers 1850, par
LewisMorgan, faisant une analyse structurelle des Iroquois. Actuellement le mot
a été plutôt redécouvert que transmis et recouvre des sens très différents, Rad-
cliffe-Brown l'empruntant à Montesquieu, Durkheim et Spencer, Lévi-Straussau
marxisme et à la Gestalt theorie. Pour Radcliffe-Brown l'ensemble des nom-
breuses relations sociales dans une société, à un moment donné, constitue une
structure, celle-ci se définit par sa cohérence interne et sa permanence dans le
temps.
Pour C. Lévi-Strauss(1958), la structure implique des propriétés finies dont les
combinaisons et transformations permettent de passer d'un système à l'autre et
de comprendre leurs rapports. La notion de structure comporte un élément de
prévision et de transformation. Alors que pour Radcliffe-Brown,la structure est
une partie de l'objet, son noyau résistant et qu'il étudie grâce à elle une même
société à divers moments, elle représente pour Lévi-Straussla « puissance » de
l'objet... ce qui l'aide à se dépasser, un système de relations lui permettant de
comparer plusieurs sociétés entre elles.

373 En psychologie◊ Le terme de psychologie structurale a été introduit à


la fin du ~ siècle par les Américains par opposition à la psychologie
fonctionnelle ou analytique. Ces mouvements ont été éclipsés par la Ges-
talt theorie1 ou théorie de la structure en psychologie. Alors que l'an-
cienne conception essayait de reconstruire la structure à partir des élé-
ments, dans la Gestalt theorie, la structure est considérée comme une
« unité multiplex», irréductible sinon antérieure à ses éléments.
En psychopathologie, le structuralisme constitue aussi une réaction contre
l'atomisme psychologique. On cherche le syndrome, la relation entre les symp-
tômes, plutôt que la somme de ceux-ci. Alors que jusqu'au X)[; siècle on considé-
rait les troubles mentaux comme des variations quantitatives par rapport à la nor-
male, on considère aujourd'hui la spécificité de la formule constitutive de la
maladie : structure paranoïaque ou obsessionnelle.
En psychanalyseegalement, depuis 1920 la recherche s'oriente vers des préoc-
cupations structurales : communications, relations interpersonnelles.

374 En psychologiesociale ◊ La notion de structure devient de moins en


moins claire. D'une part la structure est une notion voisine de celle de
totalité, de l'autre, elle rejoint ( cf. Piaget) une orientation sinon mathé-
maticienne du moins logicienne. C'est le cas de la théorie du champ de
Lewin, de sa tendance à utiliser des notions topologiques.
Chez les disciples de Lewin, la notion est utilisée de façon très différente. A.
Bavelas2 montre l'importance de la structure des réseaux de relations. R. Cattell 3
utilise la notion de structure pour étudier ce que d'autres appellent des facteurs
d'influence, c'est-à-dire la distribution statique d'influence dans un groupe, par-
fois une relation d'ordre.

1. Cf. n° 185 bis.


2. Cf. n° 880.
3. Cf. n° 728-729.
432 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

375 En économie ◊ Du fait qu'il existe des phénomènes de réaction et


même de régulation, le problème de la fonction est, en économie, lié à
celui de la structure. On peut distinguer une notion statique:pour F. Per-
roux « la structure est constituée par les proportions et relations qui
caractérisent un ensemble économique localisé dans le temps » ; une
notion dynamique dans laquelle intervient une idée de rythme de déve-
loppement. La structure représente les éléments d'un ensemble écono-
mique, qui, dans une période donnée, varient plus lentement que les
autres. La structure offrirait une certaine stabilité alors que la conjoncture
représenterait ce qui varie 1.
376 En sociologie ◊ Il semble que Marx ait employé ce terme avant et
presque en même temps que le sociologue Spencer. La notion doit son
succès aux discussions soulevéesà son sujet par les ethnologues et au fait
qu'elle répond à un certain nombre de préoccupations pratiques et théo-
riques communes à toutes les sciences sociales.
C. Gurvitch (1955) résume les raisons de ce succès par: le désir de se
debarrasser des oppositions entre ordre et progrès, statique et dynamique
et des termes institution et organisation, par l'influence des conceptions
de Mauss (phénomènes totaux) et de la gestalttheorie,enfin par la néces-
sité de découvrir un outil conceptuel permettant de faire progresser la
compréhension des phénomènes sociaux.
377 Conceptions principales ◊ De l'ensemble des prises de position
H. Lefebvre (1966) dégage trois conceptions principales. La première
seule correspond à une définition effective, les deux autres malgré leurs
différences relèvent de la définition intentionnelle.
1° La structureest une construction,elle se situe au-dessus des phénomènes et
dégage de leur étude un système de relations cohérentes. La structure c'est le
modèle (cf. Lévi-Strauss),c'est-à-dire la représentation formelle 2 d'un groupe de
relations, construit en vue d'étudier un ensemble de phénomènes et un problème
particulier les concernant.
2° La structurec'est l'essenceou l'intelligible. Dans cette conception, issue plus
ou moins explicitement de la Gestaltthéorie(théorie de la forme), fonction, struc-
ture, s'identifient, ces termes étant considérés comme à peu près équivalents de
celui de «totalité».
3° La structureest une constancerelative.Elle ne se situe au niveau ni d'une réa-
lité, ni d'une abstraction construite. La structure est un équilibre instable entre
des forces opposées, qui la modifient dans un perpétuel mouvement de structura-
tion, restructuration, tandis que d'autres au-dessus d'elles, la contrôlent.

378 Conception de G. Gurvitch ◊ Pour G. Gurvitch (1955): « Toute


structure sociale, qu'elle soit partielle (structure d'un groupe) ou totale
(d'une société globale) est un équilibre précaire, sans cesse à refaire par
un effort renouvelé, entre une multiplicité de hiérarchies au sein d'un
1. Les économistes cherchent ce qui bouge peu ou lentement, les mathématiciens au contraire
un invariant (J. Tinbergen, 1952).
2. Au niveau abstrait il y a parfois confusion entre forme et structure.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 433

phénomène social total de caractère macro-sociologique, dont elle ne


représente qu'un secteur ou aspect[ ...] cet équilibre de hiérarchies multi-
ples est armé et cimenté par des modèles, signes, symboles, rôles
sociaux[ ...], valeurs et idées; en bref par les œuvres culturelles qui sont
propres à ces structures 1... »
G. Gurvitch reproche à Lévi-Strauss l'identification de la structure
sociale avec une structure mathématique et en particulier sa définition de
la structure par la notion de modèle. Pour notre part nous pensons qu'il
s'agit là d'une discussion tenant davantage à ce que chacun des antago-
nistes ajoute à la pensée de l'autre qu'à ce qui s'y trouve réellement Sans
doute au-delà de critiques souvent excessives,la position de G. Gurvitch
est-elle juste. On comprend son irritation de sociologue, convaincu de la
totalité des faits sociaux et de la possibilité pour les groupements d'être
non structurés, devant la soudaine prolifération des structures. Mais les
excès de précaution qu'il oréconise pour utiliser la notion, rendent finale-
ment celle-ci inutilisable~.
379 Critique de H. Lefebvre 3 ◊ Celui-ci constate que le structuralisme
résoucf le problème des rapports que nous sentons complexes entre les
notions de forme, système, totalité, en les supprimant, c'est-à-dire en
confondant toutes ces notions. Il se demande si leurs connexions ne relè-
veraient pas plutôt d'une pensée dialectique. Il propose alors la comparai-
son du coquillage desséché sur la plage, dont les structures, symétrie,
lignes, courbes, lobes, spirales sont très précises, mais ne doivent pas faire
oublier qu'il ne sont que le produit d'un rapport, celui d'un être vivant
avec son environnement C'est cet être vivant, mou, gluant, informe qui
pourtant a sécrété cette coquille morte qui lui survit.
Lefebvreen poète écrit:« Avec sa perfection, et sa beauté éclairant la vie et son
ceuvre éclairant la beauté, la coquille jette sur le monde une cruelle lumière. Pour-
quoi la vie ne peut-elle se passer de cette armature plus« belle» qu'elle et qui per-
siste après elle 4 ? »
Ce que Lefebvrereproche au véritable structuralisme c'est de privilégier
la structure, laissant de côté à la fois une certaine élasticité ou plasticité
des structures, les contradictions internes et « l'action profonde du néga-
tif, c'est-à-dire du temps».
Pour lui, la« réussite et la permanence relative d'une combinaison ne
résultent pas uniquement de son« essence», de sa stabilité et de sa cohé-
rence» et Lefebvred'indiquer tout l'intérêt des structures qui n'ont pas
réussi ou que nous ne percevons pas et le rôle du hasard. Il est significatif
que l'idée de structure ait trouvé des adeptes particulièrement chez les
ethnologues, qui étudient avant tout des survivances, des groupes
archaïques, en somme des coquilles. Le structuralisme pur serait plus mal
placé pour résoudre les problèmes actuels, ceux de la vie, car il vise à
exclure la pensée dialectique et exagère l'importance des stabilités.
1. G. Gurvitch (1955), p. 43.
2. Cf. F. Bourricaud (1954).
3. H. Lefebvre (1966).
4. Op. dt., p. 166.
434 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

380 L'opposition entre les divers structuralismes ◊ Les oppositions


entre les diverses tendances structuralistes sont liées comme on l'a vu (cf.
n° 368) aux définitions proposées qui, elles-mêmes, demeurent ambiguës
car elles dépendent en partie du domaine dans lequelelles sont utilisées. En
effet, si l'outil scientifique est identique, il se révèle d'efficacité variable,
selon les objets auxquels il s'applique.
Les ethnologues s'intéressent à des sociétés globales limitées, qui coïn-
cident souvent en extension avec la langue. Système de langue et système
de société apparaissent homogènes et se correspondent. Enfin, une des-
cription synchronique paraît presque inévitable dans une société en appa-
rence sans histoire. Tout ceci permet de comprendre la tendance de l'eth-
nologue à croire en un parallélisme socio-linguistique, tant dans la
méthode que dans l'interprétation du réel. Une telle conception est la
conséquence du rapport de l'ethnologue avec son objet et de ses condi-
tions de travail.
La conception du sociologue est fort différente parce que ses possibili-
tés sont plus limitées et son objet plus vaste. Lessystèmes de parenté et les
règles de mariage dans une société... s'ils existent et qu'on les découvre, se
prêtent à une description intégrale. Certains systèmes de parenté peuvent
se rapprocher de la linguistique et se prêter plus que d'autres structures
sociales à l'utilisation de modèles, mais un groupe, une société, un sys-
tème économique recouvrent des faits difficiles à cerner, des ensembles
indéfinis. La société ne peut être appréhendée que partiellement, les phé-
nomènes sont discontinus, avec une double dimension spatiale et tem-
porelle, alors qu'une langue pose sensiblement toujours les mêmes pro-
blèmes.
C'est pourquoi la macrosociologie n'a pas fait, de Montesquieu à Par-
sons et malgré le structuralisme, de progrès comparables à ceux de la lin-
guistique pendant les vingt-cinq dernières années. En fait s'il y a eu une
révolution dans la sociologie moderne, c'est plutôt à Durkheim qu'aux
structuralistes qu'on la doit Révolution qui a consisté à observer les faits
sociaux dans une perspective quasi expérimentale et à construire des
théories à un niveau de vérification suffisamment élevé.
On peut, de la même façon, justifier la différence de conception entre
économistes et sociologues par leur différence d'objet. Si les uns et les
autres rencontrent sans doute, en face de la notion de structure, les
mêmes problèmes: choix entre une notion formelle ou matérielle, identi-
fication avec un modèle mécanique ou statistique, option entre micro ou
macro, statique et dynamique, cependant, le point de vue auquel s'at-
tachent sociologues et économistes est différent. L'économiste est sans
doute, comme le sociologue, lui aussi préoccupé de rapports humains,
mais de rapports humains à propos des choses. Les fonctions : produc-
tion, répartition, etc., auxquelles participent les agents humains unissent,
non des agents, mais des facteurs, lesquels sont plus facilement mesu-
rables que des relations humaines. De plus, les attitudes qui intéressent
l'économiste sont plus rationalisées et le plus souvent saisies au niveau
d'une décision exprimant des choix, eux aussi mesurables : comporte-
ment d'achat, etc. D'où la tendance plus quantitative de l'économiste,
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 435

mais aussi sa conception plus statique de la structure, supposée stable, au


milieu de variables changeantes.
Malgré son ambiguïté, malgré la diversité des conceptions qu'elle
recouvre et la variété des tâches pour lesquelles on l'utilise, la notion de
structure représente donc une tendance, une préoccupation commune à
toutes les sciences humaines, un point de rencontre à la fois méthodolo-
gique et épistémologique, que l'on ne peut ignorer.
381 Le structuro-fonctionnalisme ◊ Le point de départ est ici la société.
Quelles sont les fonctions essentielles qui doivent être remplies pour
qu'elle existe? Cette façon de poser la question est évidemment fonc-
tionnelle, l'analyse est aussi structurale, parce que les éléments qui
composent la société sont considérés comme faisant partie d'un système
global où ils tendent à perpétuer l'équilibre nécessaire pour que persiste la
société.
T. Parsons est le plus illustre représentant de cette tendance caractéri-
sée par la recherche des impératifs fonctionnels dont la liste varie : socia-
lisation des membres, régulation de l'expression affective, buts communs,
etc. Le structuro-fonctionnalisme marque une première étape dans l'ana-
lyse systémique.

1
§ 6. L'Analyse systémique
3 82 1 ° Historique ◊ Malgré les critiques adressées au fonctionnalisme, on
doit lui reconnaître le mérite de n'avoir pas seulement insisté sur la
notion de totalité, d'autres l'avaient fait avant lui, mais de l'avoir intégrée
à son explication, car chaque phénomène doit être rapporté à la société
tout entière. Or l'interdépendance des parties par rapport au tout est le
fondement de la notion de système. Celle-ci comme celles de structure ou
de fonction a toujours été utilisée en sociologie. Si l'on a depuis long-
temps comparé la société à l'organisme humain, les cosmogonies les plus
anciennes l'ont également envisagée comme un système. Sorokin dans
ses ouvrages2 passe en revue les différentes religions ou théories faisant
appel à cette notion. A partir du~ siècle (cf. Spencer, Pareto), sous l'in-
fluence des progrès de la biologie, de la théorie de l'information (cf.
n°5 403 et s.), de la théorie générale des systèmes, (cf. n° 411), se pré-
cisent les conditions d'application de l'analyse systémique.
Les sciences sociales à partir des notions de structure et de fonction
qu'elles avaient déjà intégrées, ont progressé dans cette voie.
Le premier à avoir tenté une application rigoureuse de la philosophie
des systèmes aux sciences humaines est Ross Ashby (1956) dans son
Introduction à la cybemétique3 • Après lui, Walter Buckley a surtout

1. N. Luhmann (1983), A. Febrajo (1984), R.F.S. (1970).


2. P. Sorokin (1928, 1986, B. 170).
3. R. Ashby (1956, B. 416).
436 LES NIVEAUX DE LA RECHERCHE

contribué à approfondir la recherche théorique 1. A côté de ces savants,


praticiens ou théoriciens des systèmes, qui essaient de les appliquer en
dehors des sciences naturelles, on trouve, les auteurs des sciences sociales
qui vont emprunter ce nouvel instrument d'analyse, pour tenter de l'ap-
pliquer à la société.
En abordant la théorie des systèmes, on éprouve deux intuitions oppo-
sées: d'une part l'analogie entre l'organisation et le système paraît juste,
donc l'organisation sociale devrait bénéficier d'une étude de cet ordre. En
même temps, même sans préjugé contre la mathématisation des sciences
de l'homme, on sent bien que la complexité de la vie en société ne se
laisse pas décomposer en des mécanismes simples.
383 2° Définitions et orientation ◊ La recherche systémique a pour but
de construire un modèle ou un cadre théorique adapté à l'analyse du sys-
tème socioculturel. Un des objectifs du mouvement appelé generalsystems
researchconsiste à délimiter les ressemblances et les différences entre des
types de systèmes différents.
Il est difficile de donner une définition incontestable et précise du
terme « système », car il est toujours défini suivant les notions auxquelles
il est rattaché. On peut distinguer deux tendances : dans la première, les
définitions sont issues d'une orientation structuro-fonctionnaliste, inspirée
par les écrits de Parsons et de ses élèves. Les plus connus parmi ceux-ci
sont G. A. Almond 2 et D. Apter 3 .
Pour ces auteurs, les relations entre le tout et les parties sont privilé-
giées, au point de devenir le critère qui définit le système. C'est ainsi que
Ludwig Von Bertalanffy écrit: « un système est un ensemble d'objets et
de relations entre ces objets et leurs attributs 4 ». L'inconvénient de cette
définition tient au fait qu'elle est fondée sur des propriétés définies a
priori, ce qui leur confère un caractère tautologique.
Lesanalyses de la deuxième tendance sont inspirées de la théoriede l'in-
formation et de la cybernétique.Les auteurs les plus connus sont :
K. Deutsch O. Easton et un Français L. Melh Ils considèrent avec rai-
5

,
6 7

son l'analyse de système et la cybernétique comme deux aspects d'une


mêmeconstructionthéorique.L'un plus statique (définition des systèmes et
taxinomie) l'autre plus dynamique (étude des comportements et des
changements). Ils s'opposent ainsi aux promoteurs de la théorie des sys-
tèmes généraux (Bertalanffy, E. K. Boulding (1968)) qui eux considèrent
la cybernétique comme une catégorie à part, un système spécialisé au
niveau des mécanismes de contrôle 8 .
1. W. Buckley (1967, 1968).
2. G. A. Almond (1960, 1965, 1966, 1970).
3. D. E. Apter (1958, 1965).
4. Von Bertalanffy (1968, B.416).
5. K. Deutsch (1966).
6. D. Easton (1956 et 1965, B. 239).
7. L. Melh (1966).
8. La cybernétique dépasse largement le seul mécanisme de contrôle et de régulation. Pour l'argu-
mentation cf. la bibliographie.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 437

384 a) La tendance structuro-fonctionnaliste: Talcott Par-


sons ◊ Talcott Parsons est l'un des auteurs amértcains qui a tenté avec
le plus de persévérance sinon de clarté d'élaborer une théorte générale de
la société 1. Celle-ci n'est pas facile à résumer car Parsons exprime en un
style confus une pensée abstraite en évolution 2 •
Le système général de l'action, au sens large de conduite humaine, est le point
de départ de l'analyse parsonienne. Il se subdivise en quatre sous-systèmes: biolo-
gique,psychique,social (interaction entre les acteurs), culturel (normes, valeurs,
idéologies, etc.). L'action concrète résulte toujours de forces provenant de ces
quatre sous-systèmes, chaque science de l'homme n'en étudie qu'un secteur. A
l'image d'un système cybernétique (cf. n° 410) il existe une hiérarchie des sous-
systèmes : le plus richeen information,le système culturel se trouve au sommet
avec le système social ; le plus richeen énergie: le système biologique, en bas de
l'échelle avec le psychisme.
L'organisation sociale comprend le système social et le système culturel
qui sont à la fois distingués et reliés par l'institutionalisation. Celle-ci tra-
duit les éléments culturels généraux: valeurs, symboles, en normes d'ac-
tions qui s'inscrtvent dans des rôles concrets vécus dans l'action sociale:
par exemple l'instruction dans le rôle d'enseignant
3 8 5 lA structure ◊ Parsons distingue quatre groupes d'éléments relativement
stables, composant la structure : les rôles(liés aux activités des individus dans la
société: maire, juge, etc.), les collectivités(familles, partis politiques), les normes,
les valeurs.Ces deux derniers relèvent à la fois du système culturel et du système
social et sont plus riches en information, tandis que rôles et collectivités le sont
en énergie.
386 1A fonction ◊ Cette notion apporte un élément dynamique: tout système
social réagit devant les facteurs de déséquilibre qui le menacent. Quatre fonctions
sont chargées de faire face aux problèmes les plus habituels. Une fonction de sta-
bilité normative,par définition la moins dynamique (Parsons la compare même à
la notion d'inertieen mécanique), la fonction d'intégrationqui coordonne les élé-
ments du système; la fonction de poursuitedes buts, enfin, la fonction d'adapta-
tion qui porte sur l'ensemble des moyens dont dispose le système pour atteindre
ses objectifs.
Ces quatre fonctions sont hiérarchisées parallèlement aux structures. Les deux
premières correspondent aux valeurs et aux normes, les deux dernières plus liées à
la réalité, correspondent aux collectivités et aux rôles.
Comme tous les structuralistes, T. Parsons a été l'objet de crttiques. On
lui reprochait surtout l'importance qu'il attachait au concept d'équilibre,
tendance naturelle à tout système. Il a donc tenté dans ses œuvres plus
récentes d'intégrer le changement à sa théorie, tout en spécifiant que ce
concept « n'a de sens que par rapport à quelque chose qui soit définis-
sable, c'est-à-dire quelque chose qui soit susceptible d'une description en
termes structuraux» (1961).
A côté de l'évolutionà long terme, dans laquelle jouent les processus de seg-
mentation (apparition de nouvelles collectivites) et de spédfication(redéfinition
1. Il s'est intéressé à la politique tardivement.
2. T. Parsons (1949, 1951, B. 159 bis, 1954, B. 170, 1961, 1966, 1975).
438 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

par certains groupes, de valeurs ou de normes) Parsons distingue pour le court


terme deux types de changement: celui qui affecte l'équilibre des sous-parties du
système sans modifier celui-ci, c'est un changementd'équilibrequi correspond à
une série d'adaptations partielles. Ensuite le changementde structurerésultant
d'une accumulation de tensions. Il affecte la nature même du système, entraîne
une transformation au sommet de la hiérarchie dans l'univers culturel des valeurs
et met en cause la fonction de stabilité normative. Malgré ses efforts, Parsons
n'arrive pas à concevoir la structure comme toujours ouverte« perpétuellement
reconstruite par des comportements d'individus ayant à résoudre des problèmes,
face à des situations concrètes. Nous ne pouvons ici discuter l'œuvre de Parsons
ni nous contenter du commentaire cruel de W. Mills 1 qui décomposait ainsi la
pensée de Parsons : « 50 % de verbiage, 40 % traînent dans les manuels de socio-
logie, quant aux 10 % qui restent je les livre comme dirait Parsons à vos propres
investigations empiriques. Les miennes me permettent d'avancer qu'on peut
extraire de ces 10 % une idéologie, mais une idéologie, somme toute assez
vague.» P. Sorokin 2 n'est pas plus indulgent. Von Wiese, Gurvitch, E. Faris
(1953) 3 accumulent également les critiques. Celles-ci sont d'autant plus sévères,
que Parsons prétend apporter une réponse à toutes les questions posees avant lui
et tirer ses théories de l'expérience, alors que ses définitions sont confuses et
contradictoires et que pas un souffle de réalité ne vient illustrer ses longs com-
mentaires. Ses quelques travaux empiriques ( sur les médecins [1949]) sont au
contraire souvent intéressants. Son influence s'explique sans doute par les besoins
qu'il satisfait. Besoin de théorie ressentie par les sociologues et surtout idéologie
d'une société que la notion d'équilibre justifie et rassure 4.
387 G. C. Homans ◊ Le modèle proposé par Homans dans son ouvrage: The
humangrouptout en s'inspirant aussi du concept d'équilibre de Pareto, s'écarte de
la définition qu'en donne Parsons. Il est plus dynamique et l'équilibre n'est pas
obtenu par des fonctions liées à des besoins, mais par des forces qui se mani-
festent. « La vie sociale n'est jamais tout à fait utilitaire, elle s'élabore, se
complique au-delà de la demande de la situation de départ 5 • »
La persistance des structures est une sorte « de miracle », résultat de processus
où sont intégrées aussi bien la déviance que la conformité. Les progrès de la
conception de Homans par rapport à celle de Parsons se marquent d'abord dans
l'ouverture du système, ensuite dans l'idée que la nature organique de la société
im,Plique des conséquences beaucoup plus importantes que le simple modèle
d' equilibre mécanique prévu par les fonctionnalistes. Cependant le vague de ses
définitions (valeurs, etc.), l'arbitraire de ses prémisses (analogie entre l'homme et
l'animal), enfin et surtout sa réduction assez inattendue de la sociologieà la psy-
chologie, limitent la portée de ses réflexions.
388 b) La tendance cybernétique ◊ KarlDeutsch6 assimile le système politique à
un système cybemetique de contrôle par l'erreur. L'identification du système de
décision politique à un servo-mécanisme, sous la forme d'un projectile autoguidé
1. C. W. Mills (1969, B. 170).
2. P. Sorokin (1966, B. 170).
3. 1n P. Selznick (1961).
4. La façon dont le système capitaliste lui paraît un signe de« réalisation grandissante des idéaux
chrétiens », ne rassure pas sur la sûreté de son jugement et explique pourquoi il est apparu aux socio-
logues soviétiques le propagandiste « de la loyauté inconditionnelle des Américains à l'ordre écono-
mique et politique dominant » in Selznick (1961).
5. G. C. Homans (1950, p. 91).
6. K. W. Deutsch (1956, 1966, B. 239).
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 439

se dirigeant vers une cible, permettrait d'après l'auteur de poser les questions fon-
dament~les de la science politique : changements intérieurs ou extérieurs, aux-
quels l'Etat doit faire face (mouvement de la cible), décalage dans la réponse don-
née (amplitude et rapidité de la correction), enfin capacité de précision du
gouvernement (distance entre position prévue et position réelle de la cible). Les
concepts de pilotage et de feedbacknégatif sont ici essentiels.
389 Luden Mehl 1 ◊ Il tente une transposition analogue de la cybernétique à l'ac-
tion administrative. Au moment où les économistes et les chercheurs américains
(R. K. Merton, Chester Barnard), après avoir constaté que la rationalité de l'orga-
nisation ne suffisait plus à orienter l'analyse, essaient de réintégrer les facteurs
psychosociologiquesdans leurs schémas, un modèle aussi mécaniste ne paraît pas
marquer un progrès.

390 D. Easton 2 ◊ L'analyse d'Easton s'inspire formellement de la cyberné-


tique et lui emprunte ses concepts. Dynamique, elle s'oppose à la pensée
de Parsons en ne faisant pas appel à la notion d'équilibre. La question
essentielle est pour Easton, celle de la persistance des systèmes politiques
à travers le changement Pour lui tout système comprend trois compo-
santes essentielles :
1. Une communauté (les membres du système), 2. un régime, (les
règles du jeu, normes, etc.) 3, les autorités (les occupants de rôles d'auto-
rité) ;
Le système comporte également cinq activités essentielles : 1) formulation
d'exigences diverses, 2) choix ou conversion de ces exigences par la législation ou
les coutumes, 3) prise de décision, 4) exécution par des moyens administratifs ou
autres, 5) soutiens du système et moyens de les renforcer.
Il ne faut pas juger Easton sur le plan théorique, qui n'est pas le sien,
mais sur celui de l'utilité de son schéma par rapport aux objectifs qu'il
vise. Easton pensait que l'analyse systémique devait: 1° offrir un schéma
d'exploration et d'explication, 2° permettre l'étude de nouveaux secteurs,
3° rassembler les données existantes en fonction de variables plus géné-
rales, 4° enfin de façon plus large répondre à la question fondamentale:
qu'est-ce qui permet à un système politique de durer?
391 F.xemples d'application du schéma d'Easton ◊ 1° L'étude du parti
communiste 3 soulève des difficultés pour définir et délimiter la notion de sys-
tème 4.Le modèle ne semble pas apporter le schéma global d'explication attendu,
ni, ce qui est regrettable, un moyen de mieux appréhender la réalité. Des analyses
classiques du parti paraissent sur ce point plus satisfaisantes. En revanche, dans
un système plus large où les complexités sont certes multiples mais où l'on se
contente de retenir des phénomenes moins nuancés, tel que l'étude sur La
communautéeuropéenneen tant quesystèmepolitique5 le schéma d'Easton offre une
grille de classement utile des problèmes.

1. L. Melh (1966).
2. D. Easton (1953, 1956, 1965, B. 239, 1969).
3. G. Lavau(1968).
4. Annick Percheron (1970).
5. Lindberg(1966).
440 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

2° L'étude de nouveaux secteurs est illustrée par la recherche d'Easton et Den-


nis sur la socialisation des enfants 1 comme approfondissement de la notion de
soutien au régime. L'étude en elle-même est intéressante, mais le cadre concep-
tuel eastonien ne paraît pas y ajouter grand-chose. Les concepts de soutien, de
barrière, d'exigence sont bien illustrés par l'étude de J.Oliver (1969), sur l'Union
soviétique.
3° Enfin quant à la mise en relation des données existantes, un article d'Eas-
ton (1959) applique à l'anthropologie sa propre classification des systèmes poli-
tiques, suivant la différenciation des rôles sociaux. Il découvre les divers types de
soutien et « d'érosion des supports », qui distinguent les sociétés primitives,
caractérisées par la stabilité du régime, ( normes, règles) face au changement des
individus en place ou encore à la scission de la communauté, tandis que les sys-
tèmes modernes évoluent en se transformant.
4° Quant à la question la plus importante: qu'est-ce qui permet à un
système politique de durer ? il semble que le modèle ne soit pas apte à y
répondre. En effet il permet de classerà l'intérieur du système des élé-
ments de la vie politique, mais pas d'étudier leur évolution à travers les
transformations de variables significatives. Comme le remarque C. Roig
(1970) 2, il s'agit d'une étude de causalité linéaire plus que d'une véritable
analyse de système, car on pourrait aussi bien concevoir l'output, deve-
nant par un feedback input, puis se transformant à nouveau en output
dans un même flux d'information circulaire.
392 3° Extension et limites de l'utilisation de l'analyse systé-
mique ◊ Il est difficile en l'absence de définition précise de savoir à par-
tir de quel moment on peut parler d'analyse systémique. Organisation,
structure, système, sont des notions utilisées souvent sans rigueur, et
dont on abuse. Les économistes s'y sont intéressés avant les politistes.
En France, ceux-ci ont tenté d'utiliser les schémas d'Easton. On peut
citer G. Bergeron (1959), G. Lavau (1968), J.Lapierre (1973).
W. Buckley (1967) résume ainsi ce que l'analyse systémique peut
apporter aux sciences humaines : « un vocabulaire commun, une tech-
nique pour traiter les grandes organisations, une approche synthétique là
où existent de nombreuses interactions, la substitution de la notion
dynamique de relations aux anciennes entités statiques, une possibilité
d'atteindre l'essentiel de la vie sociale en termes de communication et
d'information, enfin un moyen d'étudier de façon opérationnelle les
notions de buts, de besoins, de symboles, de conscience de soi, de proces-
sus socioculturels». Pour l'instant malheureusement, elle apporte sur-
tout un langage. Dans la mesure où l'analyse systémique incite à une
rigueur qui n'est pas celle de la précision quantitative des recherches
empiriques, mais une rigueur conceptuelle et logique, on peut espérer
qu'elle contribuera aux progrès des sciences humaines. Pour l'instant, on
peut surtout lui reprocher de ne pas faciliter la compréhension de la réa-
lité et de ne rien découvrir qu'on ne savait déjà.
1. D. Easton et J.Dennis (1969).
2. Auquel nous empruntons quelques-unes de ces réflexions.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 441

§ 7. La méthode dialectique
393 Dialectique et empirisme ◊ La dialectique est la plus complète, la
plus riche et, semble-t-il, la plus achevée des méthodes conduisant à l'ex-
plication en sociologie.Elle part de la constatation très simple des contra-
dictions qui nous entourent Celles-ci proviennent-elles seulement des
insuffisances de notre pensée? La réalité serait-elle une et nos points de
vue sont-ils en contradiction parce qu'ils ne saisissent l'objet que sous un
de ses aspects? Tout en reconnaissant les limites de notre pensée, les par-
tisans de la méthode dialectique déclarent qu'elles ne suffisent pas à
expliquer la présence de contradictions et que celles-ci existent dans la
réalité elle-même. La pensée de l'homme doit donc franchir un double
écran, celui de ses propres limitations et contradictions, ensuite celui de
l'incohérence des choses. La méthode dialectique nous paraît une
méthode plus complète que les autres, pour ne pas dire LA méthode, car
elle correspond aux exigences fondamentales de la notion même de
méthode. Elle est d'abord une attitude vis-à-vis de l'objet: empirique et
déductive, elle commande par là une certaine façon de recueillir des don-
nées concrètes. Elle représente ensuite une tentative d'explicationdes faits
sociaux, c'est-à-dire qu'elle est directement liée à la notion de totalité.
G. Gurvitch (1953), retraçant l'histoire de l'empirisme et celle de la
dialectique, déclarait que celle-ci a toujours été plus ou moins asservie à
des buts idéologiques, alors qu'elle est par définition un moyen de
recherche de la vérité, une façon de « déblayer la voie ».
La dialectique, d'après J.Wahl, est un chemin.« D'ailleurs dans le mot même
de dialectique, on trouve cette idée de « dia » à travers ; la dialectique est une voie
plutôt qu'elle n'est le point de départ et le point d'arrivée 1.» En fait, toute réalité
est dialectisée par le fait même de l'intervention de l'esprit humain qui est en
train de la saisir.« La dialectique est donc la voie prise par l'humanité en marche
pour saisir les totalités réelles mouvantes qui portent de près ou de loin son
empreinte 2.
Cette indépendance de la dialectique ne risque-t-elle pas d'être limitée
par un lien aussi affirmé avec l'empirisme, qui constitue tout de même
une position philosophique? A cela on peut répondre qu'à l'origine,
l'empirisme est né, comme la dialectique, non d'une position philo-
sophique préconçue, mais d'une volonté de se dégager de tout ce qui voi-
lait la réalité. En déclarant que la dialectique est empirique, ce n'est pas à
un mouvement philosophique, situé historiquement, que l'on veut la rat-
tacher, mais à l'expérience elle-même.
« Ce qui rend l'expérience si proche de la dialectique, c'est qu'elle brise sans
cesse ses propres cadres de référence... elle nous échappe quand nous croyons la
tenir, on en est dupe lorsqu'on croit en avoir pénétré le secret, on en est victime
lorsqu'on croit en être débarrassé 3. »

1. In G. Gurvitch (1953).
2. Op. dt., p. 10.
3. Op. dt., p. 13.
442 LESNIVEAUXDE LA RECHERCHE

De plus, expérience et dialectique sont toutes deux vouées à l'humain,


à tout ce par quoi il se traduit: actes, outils, signes.« L'expérience est tou-
jours humaine. Elle n'est jamais ni infra, ni supra humaine 1. »
394 Dialectique et explication ◊ Marx a fort bien compris qu'il fallait
éviter qu'une analyse abstraite du concret n'aboutisse à le «volatiliser».
Sans doute n'a-t-il pas le monopole de la recherche concrète, de nombreux
économistes et sociologues non marxistes s'étaient engagés dans cette voie. Ayant
observé certains éléments de la réalité, ils les considéraient comme des concepts
abstraits: division du travail, valeur d'échange du produit, sans se douter qu'ils se
bornaient au premier stade de la recherche, qu'il convenait ensuite de refaire le
chemin en sens contraire et retrouver le concret.
Si la première étape, indispensable à toute recherche, n'appartient pas
en propre à la dialectique, en revanche, sur la deuxième étape, celle de la
reconstruction, celle-ci essaye d'éviter l'erreur de la synthèse, commise
par Hegel. La méthode dialectique ne saisit pas abstraitement des élé-
ments abstraits obtenus par l'analyse. Elle veut les considérer en tant
qu'éléments concrets ayant une existence concrète. Comment y parve-
nir ? Chaque phénomène concret observable enveloppe quelque chose
d'essentiel. L'essentiel comme tel, c'est ce qui caractérise, ce qui doit
expliquer et seul expliquer le phénomène.
Mais suivant la formule si expressive de Hegel, « l'essence est désertique» et
« les phénomènes ne se réduisent pas à l'essence». Le phénomène est plus
complexe et plus riche que l'essence, il est plus réel et même, pourrait-on dire, le
seul réel. Comme l'écrit encore Lefebvre:« une fois atteinte l'essence, il faut reve-
nir vers les phénomènes, pour les saisir comme tels dans leur richesse en cher-
chant comment et pourquoi l'essence s'est manifestée en eux, à travers eux. Seuls
les phénomènes sont vivants, peuplés, non désertiques 2. »
Jusqu'ici nous en sommes toujours aux éléments positifs du marxisme,
c'est-à-dire l'accent mis sur la richesse des phénomènes humains, leur
dynamique, ce qui constitue le matérialisme dialectique. « Mais il n'est
pas question de masquer les incertitudes, voire les faiblesses de la pensée
dialectique, par exemple, elle n'est pas« opératoire» au sens devenu cou-
rant de ce terme. Ni ses concepts théoriques, ni ses lois et règles ne per-
mettent de ranger, de classer, de séparer, de découper et d'agencer quoi
que ce soit; encore bien moins d'expliquer, d'opérer la reconstruction
pour ne pas dire la synthèse, par le devenir historique 3 • »
Après avoir reconnu les vertus de la dialectique hyperempiriste, G. Gurvitch
déclare:«[ ...] en elle-même elle n'explique pas[ ...] Elle nous ramène au seuil de
l'explication mais ne franchit pas ce seuil 4.»
Nous savons où chercher les éléments de l'explication: dans les phé-
nomènes sociaux totaux. Nous savons dans quel domaine poser les ques-
1. Op. dt., p. 13.
2. H. Lefebvre(1966), p. 31.
3. H. Lefebvre(1969, B 4) préface zc éd.
4. G. Gurvitch (1956), p. 11.
MÉTHODES PROPOSÉES POUR ATTEINDRE L'EXPLICATION 443

tions et quels types de questions, mais nous n'avons pas les réponses.
« On peut et doit préparer l'explication par la dialectique empiriste, mais
on ne peut pas remplacer la première par la seconde. L'explicationreste
chaquefois de nouveauà trouver1 » et G. Gurvitch donne comme raison
prépondérante de la difficulté à aborder l'explication en sociologie, le
manque de théorie générale.
Il semble qu'en l'état actuel de la sociologiela position de Gurvitch soit
juste, mais il ne suffit pas d'affirmer qu'il manque une théorie, encore
faut-il la trouver.
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L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 451

CHAPITRE
4
L'UTILISATION
DES MATHÉMATIQUES
« Pourquoifaire simple,quandon peut faire
compliqué? »
« Les Shadoks »

396 Caractéristiques des mathématiques ◊ La plupart des incursions


mathématiques dans le domaine des sciences humaines, déclare G. Guil-
baud (1959), sont marquées de deux caractères: l'un l'innovation, c'est
une mathématique nouvelle qui naît, l'autre le caractère de décision de
l'intervention. « Prendre une situation et se poser la question : que faire ?
Voilà du travail pour les mathématiciens. Ces deux caractères sont
presque constamment présents.» Il s'agit seulement ici de donner, par
des exemples, une idée des domaines d'utilisation des mathématiques,
non d'expliquer celles-ci. On indiquera d'abord quelques théories mathé-
matiques et ensuite leurs applications dans les sciences sociales.

§ 1. Théories mathématiques utilisées


dans les sciences sociales
Ces théories mathématiques ont recours aux divers types de mathéma-
tiques suivant le schéma ci-dessous 1 :
THÉORIESMAlHÉMATIQUES
'Jl-ŒORIE
CALcul.OES TutORIE
PROBABilnts
DESRtsEA!JxDES )BJl(
OU GRAPHIS

mathématiques non
+ +
qualltatlves
{ numértques

ordinales + +
mathématiques
quantltatlves { cardinales + +

1. Que le lecteur ne soit pas surpris de ne pas trouver ici la soi-disant théorie des ensembles,
dénomination abusive due à l'habitude de plus en plus répandue d'utiliser des symboles (apparte-
nance-, inclusion z, etc.) se rapportant aux ensembles. Seule mérite le nom de théoriedesensembles
l' ceuvre de Cantor ( et autres) qui a précisé certaines propriétés des ensembles infinis.
452 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

1
3 9 7 1 ° Le calcul des probabilités o
39 8 2° La théorie des graphes ou des réseaux2 o Elle se présente
comme une configuration de points et de lignes orientés, possédant en
elle-même et hors de toute signification concrète attribuée à ses éléments,
des propriétés mathématiques dont l'étude constitue la théorie des
graphes, autrement dit, la figuration concrète ou schéma, correspond à ce
qui est en réalité une abstraction 3 •
Les mathématiques étudient des relations. Parmi celles-ci, les unes permettent
de recourir à l'algèbre, elles comportent une syntaxe, une structure facile à retenir
et opératoire. Par exemple, si nous disons 2 + 5 = 7, nous avons des relations
entre ces trois nombres à l'intérieur des entiers : 2 = 1 + 1 par exemple. On
appelle axiomes les règles présidant à cette syntaxe. Mais il existe d'autres types de
relations qui ne se trouvent pas régis par une véritable syntaxe, dont on cherche
cependant à trouver, malgré leur souplesse, les caractéristiques et régularités. Ces
relations, demeurées au stade en quelque sorte préalgébrique, antérieur à la syn-
taxe, constituent ce que l'on appelle la théorie des graphes.

ABCO
A peut envoyer un message vers D et B
B vers C
C vers A et D
et D vers A

Nous pouvons également figurer ces communications sur un tableau à double


entrée. On inscrit 1 si l'on peut communiquer et O si l'on ne peut pas.
ABCD
A O 1 0 1
B OO 1 0
C 1 0 0 1
D 1 0 0 0
398-1 Terminologie ◊ Une directions'exprimepar unefi.ècheet constitueun arc.
---------►

Un cheminest une succession d'arcs, chaque extrémité terminale étant suivie


d'une autre.
Le circuitest un chemin qui revient à son point de départ cf. fig. 1 de D à D =
DA - AB - BC - CD.

1. Cf. annexe Il.


2. G. Berge (1958), C. Flament (1960), F. Harary, R.Z. Norman, A. Sache (1974), M. Ramer
(1975).
3. 11convient de distinguer ici, sur le plan terminologie, une différence entre le terme graphe, tel
qu'il est entendu par les mathématiciens dans un sens restreint, c'est-à-dire, à partir d'une corres-
pondance et le sens plus large que lui donne M. Berge pour qui le graphe est synonyme de l'ensemble
de la correspondance elle-même.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 453

La théorie des graphes est utilisée dans tous les cas de circuits : électricité, télé-
communications, etc. Ble comporte un langage spécialisé, des termes descriptifs
de types de circuits possibles, à partir desquels un certain nombre de théorèmes
sont applicables. On dit qu'un graphe est fortement connexe(fig. 2) s'il existe un
chemin permettant d'aller d'un point quelconque à un autre point quelconque,
en respectant les sens uniques indiqués par les flèches. Un réseau de communica-
tion doit être fortement connexe pour permettre à chaque point d'être relié à tous
les autres. Lespoints d'articulationsont ceux dont la suppression crée un sous-
graphe connexe (A fig. 3 ).

fig. 3
Graphe fortement
connexe
fig. 2

Il existe plusieurs types de circuits en électricité, mais aussi dans les cir-
cuits de décision et d'information que forment les individus entre eux. La
représentation graphique constitue un organigramme. Une organisation
peut avoir une structure hiérarchique ou collégiale. On doit se demander
s'il existe des types de réseaux mieux adaptés que d'autres à certaines
tâches.
La structure d'un circuit et la place détenue par un individu dans le cir-
cuit sont importantes car, comme l'a démontré Bavelas1, suivant la
structure du groupe et l'organisation des circuits d'information, un indi-
vidu sera plus ou moins renseigné et aura, en fonction de ce facteur, plus
ou moins de chances de devenir celui qui prendra des décisions ou fera
preuve d'autorité sur le groupe.
Nous retrouverons ces notions de réseaux, de communication entre
individus et de centralité relative, à propos des groupes.

399 Utilisation des ordinateurs 2 ◊ Une machine électronique est utile,


lorsque des circuits nombreux impliquent un grand nombre d'opérations.
Par exemple dans une structure de parenté, pour savoir à quel arrière-grand-
père remonter pour trouver l'ancêtre commun le plus proche à deux familles. De
même, si l'on veut étudier les relations et choix d'individus à l'intérieur d'un
groupe relativement important, on trouve rapidement un très grand nombre d'in-
teractions.
La machine ne travaille que sur les éléments qu'on lui donne. 11faut
«programmer» l'ordinateur, c'est-à-dire lui poser les problèmes, forcé-
ment en termes mathématiques, c'est ce que l'on appelle un algorithmede
recherche.
1. A. Bavelas (1951) in R. Lasswell (B. 239).
2. L'utilisation grandissante des ordinateurs a suscité de nombreux ouvrages.
454 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

400 Utilisation des graphes et des réseaux dans les sciences


sociales 1 ◊ Certaines propriétés de certaines structures de graphes de
type électrique, sont applicables à des structures de type psychologique. La
théorie des graphes n'a pas encore permis de résoudre, ni même de poser,
de façon très efficace, des problèmes de science politique ou de psycho-
logie sociale. Tout au plus permet-elle de concevoir certaines expériences.
On sait que lorsque dans un circuit, un sous-graphe s'isole du graphe
complet, on risque un certain nombre d'inconvénients. Ce sont les
mêmes inconvénients que nous retrouvons dans un parti politique, où
s'agite une minorité forte et structurée, ou en sociométrie, lorsque dans
un groupe d'adolescents, se forme ce que l'on appelle « une clique»
terme emprunté par la théorie des graphes à la sociométrie. Si la théorie
des graphes ne donne pas de solution aux problèmes, elle permet peut-
être d'en prendre plus complètement conscience, en présentant une sorte
de figuration quantifiée de relations interpersonnelles ou de circuits d'in-
formation.
En géographieen revanche, la notion abstraite de réseau peut sans diffi-
culté s'appliquer à la réalité concrète. Pour corriger le fait que le graphe
est plus apte à traduire la propriété topologique du réseau, sa connexité
que ses dimensions, Kansky enrichit d'indices complexes l'étude des
réseaux de transport par la théorie des graphes 2 . La même technique
d'analyse a été utilisée pour définir les structures régionales et répondre à
la question : étant donné un ensemble de villes réparties sur une surface
et une mesure de leur association, comment construire une hiérarchie
régionale? Le graphe reproduit de façon simplifiée le flux (nombre de
coups de téléphone, flux commercial, etc.) observé d'une ville à l'autre 3.
La tendance moderne à la formalisation dans les sciences sociales a
suscité la tentation d'utiliser la théorie des graphes et surtout des réseaux.
Un ouvrage d'Alain Degenne et Michel Forse ( 1994) fait le point sur la
question et applique ces principes théoriques à la sociologie des organisa-
tions. Il suscite aujourd'hui l'intérêt des politologues4.
C'est à la fois dans la sphère de l'individu et dans celle du groupe que
se forment les réseaux et leur composition permet d'accéder à une réalité
que cache tr9p souvent la rigidité de l'institution. L'école des réseaux voit
le jour aux Etats-Unis et en Angleterre en 1970 5. Elle s'applique d'abord
en anthropologie 6 où elle représente un essai pour échapper à l'emprise
du structure-fonctionnalisme et privilégier l'individu. Un debat analogue
oppose en sociologie le structuralisme et l'individualisme méthodolo-
gique. David Knoke (1996) présente un tableau de l'utilisation des
1. C. Flament (1965), T. Girard, J.P. Trystram (1978), S. Nora, A Mine (1978).
2. Cité in P. Haggett (1965, B. 214), p. 266.
3. 1n op. dt. (B. 214), p. 281.
4. Cf. A. Colonomos (1995) auxquels nous empruntons informations et références.
5. Pour ne pas attribuer tous les progrès aux Américains, il faut noter que la première édition du
Dalloz de Méthodes des Sciences sociales datant de 1962, contenait deux numéros sur la théorie des
graphes et l'utilisation des réseaux en sciences sociales d'après les chercheurs français. Les éditions
ultérieures signalaient leur application en géographie.
6. Cf. Clyde Mitchell (1974).
L'UTILISATIONDES MATHÉMATIQUES 455

réseaux en science politique et tente sans succès de concilier inspiration


structurelle et interactionnisme.
Le réseau repose sur l'idée d'association mais cette solidarité n'échappe
pas à un objectif utilitariste ... sans recourir aux modèles sophistiqués des
choix rationnels (cf. n° 237). Nos ancêtres disaient déjà« l'union fait la
force».
L'analyse de passerelles entre divers groupes permet de mesurer leur
nombre et l'influence de certains individus chargés de leurs rapports
entre eux 1.
Max Granovetto (1973) distingue les liens faibles plus ou moins
choisis par chacun (amis, clubs, suivant les goûts et objectifs) des liens
forts plus ou moins imposés par les structures traditionnelles (famille,
classe, sexe, etc.) dont ils limitent le poids.
Ceci a été vérifié en science politique dans le domaine du vote. De
même l'étude des liens entre notables en France 2 bénéficie de l'applica-
tion des réseaux 3 •
Il serait intéressant de trouver dans quels cas liens forts et liens faibles
se nuisent, s'équilibrent ou se renforcent mutuellement et les variables
qui interviennent (temps, culture, etc.)
Les sectes dont on soupçonne les ramifications internationales mérite-
raient une analyse par graphes. Enfin le degré d'ouverture ou de ferme-
ture d'un réseau peut permettre une analyse de sa nature et une prévision
sur sa durée et surtout son extension.
Les caractéristiques des réseaux d'après Degenne et Forste seraient leur
faible degré de formalisation, une absence de hiérarchie et de véritable
spécialisation des rôles, enfin l'absence de définition des frontières.
Caractéristiques qui paraissent discutables en tout cas variables suivant
les réseaux.
La théorie des graphes et des réseaux est une théorie mathématique
utilisable dans les sciences sociales mais elle ne fournit pas à celles-ci une
explication suffisante pour en faire une théorie. Si l'on retrouve dans la
multiplication récente des réflexions sur les réseaux un effet de mode, il
faut reconnaître qu'ils sont comme les modèles, mais avec moins de pré-
tention et une plus grande facilité d'utilisation, un moyen de mise en
ordre appréciable. Les réseaux permettent une analyse plus fine et plus
complète, une meilleure compréhension des comportements, des rela-
tions entre individus et organisations.
401 3° La théorie des jeux ◊ Elle traite des problèmes de décision. C'est
une praxéologie dont les fondements étaient connus depuis fort long-
temps.
Au xvif siècle Pascal et son ami Fermat cherchaient dans le calcul des
probabilités à trouver les règles d'une décision juste en réponse à la ques-
1. M. Maison-Rouge assurait les relations entre l.B.M. aux États-Unis et en France.
2. Cf. Lagroye (1991).
3. Application utile pas encore entreprise sous la forme des réseaux (bien que le terme soit utilisé
dans son sens courant) des « intouchables » de la finance et de la haute administration en France.
456 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

tion suivante: si l'on interrompt une partie, en dehors de ce qui est déjà
acquis par chaque joueur, comment attribuer le reste suivant les probabi-
lités de gain? Il s'agit d'une science de l'action fondée sur le calcul des
chances. Pascal parle de « droit d'attente».
Mais la notion de jeu à cette époque ne paraît pas sérieuse. Le hasard
n'est-il pas l'opposé de la Providence... donc inspiré peut-être par Satan?
Un des progrès de la statistique moderne consistera à prendre une atti-
tude opposée : « On refuse de plus en plus la vieille idée suivant laquelle
l'induction statistique est un raisonnement, pour considérer de plus en
plus que l'induction statistique est une conduite, qu'il y a des comporte-
ments inductifs, comme il y a des comportements tout court 1. »
Il fallut attendre la période révolutionnaire avec Laplace, Condorcet puis Pois-
son, pour que l'étude des probabilités soit reprise. Mais la confusion entretenue
par les philosophes Comte et Stuart Mill, entre les notions d'action, de décision et
celle de vérité des jugements, devait encore paralyser la réflexion scientifique dans
ce domaine.
C'est dans l~s énigmes policières avec E. Poe (Histoires extraordinaires) et
Conan Doyle (Etudeen rouge),que des problèmes de probabilité vont être posés
en termes de psychologie et de logique. Sherlock Holmes poursuivi par un adver-
saire, prend à destination de Douvres, un train qui s'arrête auparavant à Canter-
bury. Où doit-il descendre? S'il descend à l'une des deux stations et son adver-
saire aussi, ce dernier l'abattra. S'il descend à Canterbury et l'autre à Douvres, il
est vivant mais n'est pas allé à Douvres comme il l'avait décidé. Ce n'est que dans
le cas où il descend à Douvres et son adversaire à Canterbury qu'il aura vraiment
gagné. Chacun essaie de deviner le choix de l'autre ... seul le hasard est imprévi-
sible.
La stratégie militaire, avec Clausewitz, perfectionnera le modèle non
pas mathématique, mais abstrait, du «duel» entre deux adversaires.
Enfin Von Neuman (mathématicien) et Morgenstern (économiste) dans
la Théoriedesjeux et le comportementéconomique( 1944) vont moderniser
les notions entrevues, en substituant à la notion simple de préférence,
celle de préférence efficace.La hiérarchie des possibles bouscule de façon
réaliste l'ordre des préférences. A l'idée de choix s'ajoute celle de capacité
ou de pouvoir. La théorie des jeux se présente finalement comme une
théorie des préférences efficaces, une rationalisation des décisions, la
suprématie de la logique sur le désir ou la crainte. Dans le cas d'incerti-
tude, quel conseil peut-on donner?
Inspirons-nous d'un exemple proposé dans l'excellent petit livre de
vulgarisation de J.D. Williams (1956).
Pierre et Zazie ont rendez-vous pendant les vacances. Ils doivent pour se
retrouver franchir une région vallonnée, comprenant quatre chemins dans le sens
est-ouest, qui est la direction d'où vient Pierre et quatre dans le sens nord-sud,
route de Zazie. Le rendez-vous est fixé à un carrefour, mais une grève des postes
les empêche de communiquer. Pierre sait que Zazie n'aime pas l'altitude et Zazie
que Pierre n'aime pas les fonds de vallée. Quel chemin doivent-ils emprunter
pour avoir le plus de chances de se rencontrer ? Voici les altitudes des carrefours
des routes de Pierre et Zazie :
1. In R. Daval, p. 48.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 457

ZAZIE(routes nord-sud)
1 2 3 4
1 700m 200m 500m 100m

2 200m 200m 300m 400m


PIERRE
(routes est-ouest)
3 500m 300m 400m 400m

4 300m 200m 100m 600m

Pierre, après avoir pesé les divers risques, doit normalement,prendre la route
n° 3, Zazie aussi; dans ce cas, ils se rencontreront à 400 m. Evidemment, s'ils
sont l'un et l'autre doués d'esprit de sacrifice, Zazie choisissant la route n° 1 en
altitude, pour Pierre et Pierre la route n° 2 en plaine, pour Zazie, ils se manque-
ront. Mais la théorie des jeux est basée sur une psychologieassez simple, un prin-
ciped'économie.Elle part du postulat, que le but du joueur sensé est de retirer du
jeu tout le profit possible, en toute sécurité, en face d'un adversaire habile, qui
poursuit un but analogue mais opposé.
Le problème est resté le même. On demeure au stade du cercle vicieux : « il
pense que je pense ceci... donc je vais agir autrement, mais il peut y penser
aussi...» La seule façon, déclare G. Guilbaud, d'éviter que l'autre ne devine ce que
l'on pense, c'est de ne rien penser, c'est-à-dire d'agir en fonction d'un schéma
probabiliste, de présenter un modèle d'action totalement imprévisible. Mais
l'homme peut-il imiter le hasard ?
Nous indiquerons seulement les possibilités offertes par la théorie des jeux.

402 Conditions d'utilisation ◊ La solution mathématique est possible


lorsque chaque action possible de chaque joueur et le gain de chacun,
dans chaque cas, sont connus, lorsqu'il y a seulement deux joueurs (ou
l'un contre les autres), enfin, quand les gains et pertes des deux adver-
saires s'équilibrent La théorie des jeux n'est pas une théorie servant à
vérifier si les joueurs se comportent comme ils doivent, c'est-à-dire
conformément au schéma idéal, mais plutôt une théorie de ce que serait,
suivant certaines définitions, la stratégie la meilleure. Elle permet ainsi de
classer les comportements.
On distingue les jeux pour lesquels il existe, de par leurs règles mêmes, un
équilibre: dames, échecs, jacquet et ceux pour lesquels il n'existe pas d'équilibre
sans stratégie 1,c'est-à-dire que même le joueur le plus doué pouvant embrasser
toutes les possibilités d'un seul coup d'œil, ne pourrait pas être certain du résul-
tat : poker, bridge, manille. La théorie des jeux s'intéresse surtout aux jeux straté-
giques, c'est-à-dire ceux, par opposition aux purs jeux de hasard, dans lesquels la
maîtrise du joueur constitue un des facteurs du résultat.
Trois éléments dominent la partie : l'informationque détient le joueur
au moment où il doit intervenir dans le jeu, la règledu jeu, qui, en fonc-
tion du déroulement, fait apparaître les mouvements possibles pour
chaque joueur, enfin le gain qui est connu en fm de partie. Nous trou-
vons là une tentative pour formaliser mathématiquement en modèles, les
1. Dans une énumération des actions possibles, la tactiquereprésente le choix d'une de ces
actions ; la stratégie,un mélange ou une alternance de tactiques, selon une proportion de probabilités.
458 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

stratégies. La théorie des jeux trouve son prolongement dans les jeux de
simulation qui permettent une expérimentation abstraite des diverses
hypothèses proposées 1 .
Toutes ces notions ont leur équivalent dans la vie économique et poli-
tique. L'évaluation du risque, le bluff, la ruse, aussi bien que la rationali-
sation, interviennent dans de nombreuses situations. Mais, pour sédui-
sante que soit la théorie des jeux, elle demeure elle-même un jeu de
l'esprit et son application, dans le domaine plus aisé à quantifier de la
science économique, n'a pas donné de résultats tangibles. Jeu d'esprit où
certains ont décelé une inspiration idéologique2.
Cependant, une importante étude de M. Shubik (1954) semble apporter des
éléments nouveaux. Shubik étudie à la General Electric comment se prennent les
décisions à l'intérieur d'une grande entreprise et cherche dans quelle mesure la
théorie des jeux pourrait améliorer ces processus.
En sciences sociales, malgré ses conditions limitatives, la théorie des jeux a ins-
piré quelques expériences contrôlées, en construisant des situations dans les-
quelles les mathématiques de « l'action optimum» inspirent la comparaison
entre les effets de variables sociopsychologiques.En science politique, on n'a pas
dépassé le stade des discussions. Les politicologues n'ont pas, en général, une
culture mathématique suffisante. De plus, la théorie des jeux, comme le dit
G. Guilbaud, « est un monde à part fermé sur soi, isolé dans le temps et dans
l'espace 3 ». Ble suppose un certain nombre de postulats qui ne sont jamais réunis
dans la réalité. L'attitude purement rationnelle des joueurs, le niveau de leur
information, forment des modèles arbitraires qui ont, jusqu'à présent, limité
l'utilisation de la théorie. La théorie des jeux ne serait-elle qu'un jeu ?

§ 2. Les applications mathématiques


Les théories mathématiques que nous venons d'énumérer ont servi de
point de départ à un certain nombre d'applications, telles que la
recherche opérationnelle et la statistique. Ellespeuvent aussi donner lieu
à des généralisations qui permettent de les considérer comme des théo-
ries: c'est le cas de la théorie de l'information.
Nous pouvons ici encore situer les applications mathématiques d'après
les principaux éléments d'où elles sont tirées.
APPLICATIONS
MATHÉMATIQUES
DES MORIES

ÎfcŒORŒ REc!-ŒRCI-Œ
STATlSTIQUE
DE L'INFORMATION O~RATIONNELLE

Calcul des probabilités ...... + + +

Théorie des jeux ............ + +

Théorie des réseaux ou


graphes ................... + +

1. Cf. n° 869.
2. M. Pion (1976).
3. G. T. Guilbaud (1959).
L'UTILISATIONDES MATHÉMATIQUES 459

Nous voyons que la statistique utilise à la fois le calcul des probabilités


et la théorie des jeux, que la théorie de l'information s'appuie sur le calcul
des probabilités et la théorie des réseaux, alors que la recherche opéra-
tionnelle fait appel aux trois.
403 1 ° La théorie de l'information 1 ◊ A l'époque de la radio, de la télé-
vision, de la presse, du téléphone, l'idée que l'organisation de la société
humaine repose sur la circulation et l'échange des informations est
presque devenue un lieu commun. Il y a cinquante ans, celui qui aurait
proposé de mesurer scientifiquement l'information n'aurait pas été pris
au sérieux. Aujourd'hui, grâce aux physiciens et ingénieurs des télé-
communications, une nouvelle science issue de la théorie de l'informa-
tion a été créée : réseaux de télécommunications, thermodynamique, sys-
tèmes de régulation automatique, circuits économiques, tous ces
systèmes forment son domaine et peuvent être analysés, car tous repro-
duisent les mêmes principes fondamentaux 2 .
Comme l'écrit A. Moles (1959) : « A côté de la dialectique matière-énergie, qui
résumait la fin de l'époque scientiste, les récentes sciences des communications
ont donc fait apparaître un nouveau dipôle action-communication, qui fait l'ob-
jet de la théorie de« l'information » ou étude des propriétés intrinsèques et quan-
titatives des messages. »
Son axiome fondamental consiste à considérer les organismes du point
de vue fonctionnel, sans se soucier de leur contenu structurel, objet de
sciences distinctes (biologie, physico-chimie).
404 a) La quantité d'information ou la mesure de l'informa-
tion ◊ Les théories des communications reposent sur le concept de
mesure d'une quantité caractéristique: l'information, commune à tous
les messages. La théorie de l'information nous propose donc un portrait
métrique de l'univers des messages, une métrologie. Dans un domaine
qui fut jusqu'ici uniquement qualitatif, elle apporte avec elle toutes les
ressources de la mesure. Cette information doit en réalité être prise au
sens étymologique de « informare » : fournir chez le récepteur les élé-
ments nécessaires pour constituer une forme, une gestalt, au sens de la
psychologie de la perception, comme l'écrit Moles. Dans ces conditions,
il apparaît que cette grandeur, l'information, est une mesure de la classi-
fication des formes, plus exactement de la complexité de celles-ci. Un
exemple nous aidera à comprendre ces propositions abstraites.
Imaginons que nous cherchions dans un amas de livres, un volume déterminé.
Si nous ne nous souvenons pas des caractéristiques extérieures du livre, nous
devrons, au hasard de la pile, regarder tous les livres, les uns après les autres. Avec
un peu de chance, nous le trouverons rapidement, mais notre recherche peut
aussi durer longtemps. Nous essaierons alors de nous souvenir comment était ce
livre. Il était petit. Puis nous procéderons à une observation dichotomique, c'est-
à-dire que nous mettrons de côté les gros ouvrages et chercherons seulement

1. J. D. Williams (1956), P. M. Mc Kay (1957), B. Mandelbrot, A. Morf (1957).


2. H. Lefebvre (1958), S. Kotz (1968), J.-L.Peaucelle (1982).
460 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

parmi les petits. Si nous nous souvenons tout à coup que le livre est blanc, notre
chance de le trouver plus rapidement augmente encore. En fait, chaque ren-
seignement: petit, blanc, nous apporte une certaine quantité d'information qui
implique pour nous une plus ou moins grande économie de temps et de gestes.
Bien entendu, si nous devions, pour obtenir l'information : le livre est blanc, télé-
phoner à un ami et auparavant rechercher son numéro, etc., le coût de l'informa-
tion serait peut-être trop élevé. Mais si notre information est obtenue facilement,
elle nous permet une économie. Cette économie, nous ne pouvons pas la chiffrer
exactement, mais nous l'apprécierons globalement, suivant que le tas de livres,
parmi lequel nous devons retrouver le nôtre, est composé de beaucoup de livres
semblables ou pas. Si nous cherchons un livre blanc et broché, parmi des livres
reliés en couleur, nous le trouverons plus vite que si l'ensemble des livres est bro-
ché comme le nôtre.

405 L'unité d'information ◊ Dans le cas de beaucoup de petits livres et


de peu de grands, l'indice« le livre est petit», apporte une information
différente de celle qu'apporterait le renseignement « il est grand ». On
conçoit donc la notion de différence entre des quantités d'informations
et le fait que ces quantités se définissent objectivement, en fonction de la
structurede l'ensemble. Un mathématicien connaissant cette structure de
l'ensemble, c'est-à-dire tant de livres grands ou petits, blancs ou colorés,
épais ou minces, pourra calculer la quantité d'information apportée par
chaque renseignement: il est blanc ou petit, etc., grâce à l'unité d'infor-
mation H 1, on dira que l'unité d'informationest la quantitéd'information
qui pennet de faire un choix entre deux termes égalementprobablesd'une
alternative,par exemple, le choix entre deux routes à un croisement 2 •
Cette définition est évidemment arbitraire. L'information se mesure
d'après le rétrécissement de la gamme des possibilités qui suit sa récep-
tion.
Le nombre des unités d'information n'est donc pas proportionnel à la réduc-
tion du nombre des possibilités ; au contraire, il augmente d'une unité chaque
fois que l'on réduit les choix de moitié. Ce qui importe, comme nous l'avons vu à
propos des livres, c'est la valeur« d'originalité de l'information», c'est-à-dire le
degré d'imprévisibilité antérieur à sa venue.

406 b) La circulation de l'information ◊ Si l'on sonne à l'entrée et que


le timbre retentisse dans la cuisine, cela signifie que l'information circule
de la porte à la cuisine. On peut établir un graphique qui s'appliquera à
une multitude de cas: réseau de communications entre les unités de l'ar-
mée, ou les différents ministères. Le graphique montre comment drcule
non pas l'énergie,mais l'information.
1. Signifie Hartley du nom du savant anglais qui découvrit en 1923 les éléments de la théorie à
laquelle Shannon et Wiener ont depuis contribué. On utilise également le terme bit abréviation de
binary digit : nombre exprimé en système binaire.
2. Une unité d'information s'il existe deux éventualités. Deux unités s'il existe 4 éventualités
(par exemple deux lancées de pile ou face) 4 unités pour seize éventualités. Dans le cas de 2 éventua-
lités le nombre de bits d'informations nécessaires pour une décision est donnée par la formule de
Newman:
H = - p1 log p1 - p2 log 2 p2.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 461

Schéma/ s
I
7 •
7
/ C
l
débiJ
...
1
1
1
1
1
1
1
I 7
/
M
I /
/ I
/
lndicat~ur

La commande C permet d'ajuster le débit provenant de la source S; un indica-


teur, 1, indique l'écart entre le débit effectif et le deôit voulu. Dans une cuisinière
à gaz : S = la bouteille de gaz, C = le robinet, I = le thermomètre.

407 Le feedback ◊ Lefeedbackest la commanded'un systèmeau moyende la


réintroduction danscesystème,desrésultatsdeson action. Un système peut
être autorégulateur. L'indicateur I fournit à M l'information, et celui-ci
corrige l'écart entre le débit effectif et la norme. L'information fournie
par I est transmise à M, puis à C en retour : c'est le feedback (cas du ther-
mostat) qui régularise la commande C, pour la fixer au niveau voulu. Si
ce mouvement réduit le de'bit qui l'a causé, on dit que le feedback est
négatif. On peut admettre qu'il l'augmente dans un feedback positif, qui
crée un système instable.
Dans un système humain, M est un individu, ménagère réglant son four,
ministre prenant des décisions, etc. On peut appliquer à la plupart des systèmes
humains ces mêmes principes, mais avec beaucoup de prudence, vu leur
complexité 1 . Nous avons dit que le régulateur amenait un état de stabilité, mais la
transmission de l'information peut être plus ou moins rapide. Dans ce cas, avant
g_uela régulation ne joue, il y aura des pointes. Les techniciens diront que le sxs-
teme s'emballe, cette instabilité est due en général à la « paresse» d'un des elé-
ments du circuit d'information. On peut remédier à cette instabilité soit en cas de
paresse, en réduisant le délai de transmission et en accroissant la sensibilité aux
taux de variation, soit au contraire, si l'instabilité est due à un excès de sensibilité,
en la diminuant. Le feedback doit avoir presque un caractère d'anticipation, en
commençant à se déclencher avant que la pointe ne soit atteinte. Dans quelques
cas, il faut réduire la sensibilité du système tout entier.
Ceci peut s'appliquer, avec beaucoup d'aménagements, aux systèmes
humains d'information. En économie appliquée par exemple, certaines
initiatives préconisées par Keynespour éviter les crises, ressemblent à des
feedbacks par anticipation. En politique, la presse et la propagande
peuvent, elles aussi, constituer de véritables feedbacks d'anticipation en
1. Il convient en particulier de mettre en garde, contre des analogies hâtives avec le cerveau et le
système nerveux.
462 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

sensibilisant la foule 1.Le seul fait d'interroger les individus, nous l'avons
dit, modifie leur comportement On peut dire que plus l'étude d'un sys-
tème d'information devient approfondie, plus elle contribue à déterminer
le fonctionnement du système, au lieu de se borner à le prévoir. Ceci est
encore plus grave lorsque l'observateur fait partie du système.
L'on peut arriver alors à un véritable cercle vicieux, qui relève cette fois
de la théorie des jeux. C'est le cas, par exemple, de Mme Dupont. Elle sait
que lorsqu'elle fait cuire un pudding pour le repas du soir, son mari, le
plus souvent, réclame une tarte et vice versa. Si elle avait assez d'informa-
tions, elle pourrait savoir ce que son mari demandera, à condition qu'il
ne la voie pas mettre les raisins secs à tremper, sans cela, elle fait partie
du système, elle ne peut plus prévoir.
En transposant cet exemple en science politique, on peut admettre
qu'un observateur, jouant un rôle suffisamment actif dans un système
d'information, le perturbe. De ce fait il ne peut plus prévoir ce qui se pas-
sera. C'était le cas, par exemple, sous la IV' République, d'un Président du
Conseil en face d'une opposition difficile. Il risquait fort lui aussi de se
voir demander une tarte, du seul fait qu'il préparait un pudding.

408 c) Applications de la théorie ◊ La théorie de l'information a trouvé


son terrain d'application, en même temps que son point de départ, dans
le domainedescommunications.
En télégraphie, la langue courante se traduit en un système de code binaire :
trait, point, qu'il faut ensuite reconvertir en langage courant; c'est ce que l'on
appelle« décoder». Coder consiste à passer d'un alphabet à un autre, avec la plus
grande économie de temps et le moins grand «brouillage» possible. Le codage
doit tenir compte de la fréquence des lettres et de leur distribution dans la langue
considérée. En vertu d'une théorie fondamentale, pour qu'un système donné ait
un rendement informationnel maximum, il faut que tous les e1éments soient
employés avec la même fréquence (en supposant que leur coût soit le même). Ce
n'est pas le cas de l'anglais par exemple, dans lequel les lettres Cet E sont utilisées
plus que l'X et le Z. La langue anglaise ne tire pas le maximum de son alphabet,
elle souffre de ce que l'on appelle« redondance».
La redondanceest la grandeur opposée à l'information. Elle exprime
l'excès relatif des symboles du message, sur le nombre qui eût été stricte-
ment nécessaire (codification optimum) 2 • Le gaspillage des symboles
augmentant la prévisibilité du message, diminue la densité d'informa-
tion.
Le taux de redondance de l'anglais est de plus de 50 %, c'est le taux le plus
élevé des langues occidentales. Si l'on pouvait supprimer ce gaspillage, les télé-
grammes coûteraient moins cher. Mais il y a un avantage à cette prodigalité, c'est
qu'en cas de bruitage, lorsque les émissions sont imparfaites, le texte reste en
moyenne intelligible ou a plus de possibilités de le rester. La redondance, qui

1. C'est le cas de la Bourse où joue l'instabilité lorsque les bruits de baisse la renforcent.
2. Considérations importantes pour le choix d'une langue internationale.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 463

accroît la «banalité», protège le message contre les parasites, permet sa recon-


stitution à partir de fragments 1 .
Dans une langue idéale, exempte de redondance, chaque signe aurait la même
importance que les autres et serait entièrement indépendant de son contexte. La
transmission parfaite de la langue idéale, représente une abstraction logique et
formelle. A partir de ce modèle idéal, la théorie de l'information se heurte dans la
réalité à des obstacles : la redondance de la langue, le bruitage, etc., qu'elle doit
réduire. « Le bruit correspond au désordre de la nature, il est la toile de fond sur
laquelle se dessinent les phénomènes qui sont définis par un ordre, c'est-à-dire
une intention commune au récepteur et au transmetteur, créée à l'avance par
l'établissement d'un répertoire commun de symboles2. »
On peut encore citer de nombreuses applications pratiques des théo-
ries de l'information : classementsd'archiveset surtout traductions.
L'utilisation de machines électroniques dotées d'une« mémoire» (c'est-à-dire
d'une capacité d'enregistrement de signes ou mots) suffisante, permet de tra-
duire, sinon des œuvres littéraires, du moins des documents techniques. Enfin,
les découvertes récentes en biologie: la composition de l'acide désoxyribonu-
cléique (ad n) et son influence sur l'hérédite, permettent de décrypter le code
héréditaire et ses multiples combinaisons, comme un véritable message compor-
tant un grand nombre d'informations.
409 d) Nature de l'information ◊ Cette notion de quantité d'informa-
tion correspond à un quelque chose que nous ne savons pas très bien
classer sur le plan de la connaissance. Est-ce uniquement un gain de
temps? Non, nous avons vu que c'était lié à une notion de structure d'un
ensemble, en même temps que d'un ordre croissant. Mais quand nous
parlons de rangement, il s'agit, nous le sentons bien, de quelque chose de
beaucoup moins subjectif et terre à terre que le simple classement d'une
bibliothèque. Nous sentons bien aussi que la théorie de l'information a
une relation certaine avec la logique. D'abord, elle est formelle, elle ne se
préoccupe pas du contenu. Au lieu de livres, nous aurions pu prendre
comme exemple des chaussettes dans un tiroir, ou des chiots dans un
chenil, à condition qu'ils puissent être classés suivant certains critères.
« Nous avons bien affaire avec la théorie de l'information à un quelque chose
de très vaste dans son formalisme abstrait et de très objectif dans son extension
croissante. Il s'agit bien d'une quantification de l'ordre, d'une sorte de mathéma-
tique de la qualité», écrit H. Lefebvre(1958). « La science du hasard, les probabi-
lités, auraient paradoxalement donné une science de l'ordre et la théorie de l'in-
formation deviendrait la partie la plus puissante et la plus profonde de la théorie
des probabilités.. »
La tentation d'extrapoler au-delà des premières constatations scientifiques
parut justifiée le jour où l'on s'aperçut que l'expression mathématique de l'infor-
mation coïncidait avec l'expression mathématique de l'entropie ou dé~dation
de l'énergie. Puisque l'entropiemesure le degré de désordre dans un systeme phy-
sique donné, doté d'une quantité constante d'énergie, la quantité d'information

1. La redondance se calcule à partir de la quantité maximale d'information qu'il est théo-


riquement possible d'émettre (H.,.,.) et la quantitéréellementémise(H9. R = 1 - Ji..).
H-
2. A. Moles (1959).
464 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

serait-elle donc le contraire de l'entropie? une négentropie, se demande H. Lefeb-


vre et en rangeant nos livres, aurions-nous découvert une loi de la nature ? A cette
question, déclare-t-il, il faut répondre qu'à l'heure actuelle, nous pressentons que
la théorie de l'information a une signification physique en liaison avec la théorie
des agitations moléculaires et la thermo-dynamique, mais que nous ne pouvons
pas encore déterminer exactement cette connexion, cette signification.

410 La cybernétique ◊ En complétant la théorie de l'information par la


cybernétique,étude des processus de réactions aux messages, ou technique
des commandes, nous arrivons à un système complet dans lequel grâce
au feedback,une machine à information contrôle et rectifie son propre
fonctionnement. Une finalité se réintroduit ainsi dans la causalité, sans
lui être imposée du dehors. Elle supposerait que tout organisme physique
ou social détienne en lui-même, avec le principe de son fonctionnement,
une autorégulation maintenant sa structure. Structure, régulation, orga-
nisation, système, nous avons là les notions essentielles de la récente
théorie générale des systèmes.
411 2° La théorie générale des systèmes ◊ Comme l'indique W. R.
Ashby1, la biologie, la physique et la chimie ont d'abord tenté de réduire
la complexité de leur objet en cherchant des unités les composant :
atome, réflexe, cellule, gène. La réflexion scientifique était surtout analy-
tique. Il fallut cependant bien admettre que les propriétés de l'ensemble
n'étaient pas l'équivalent de la somme des propriétés des parties, mais
qu'au contraire, à chaque niveau, des lois et des propriétés nouvelles
apparaissaient Toute science constate empiriquement qu'atomes, molé-
cules, cristaux, groupes, sociétés forment des ensembles organisés
comportant des structures plus ou moins stables et des processus plus ou
moins actifs. Un des problèmes de la vie paraît être celui de l'organisa-
tion.
L von Bertalanffy2 distingue les systèmes fermés et les systèmes ouverts,
propres au vivant, caractérisés par des échanges perpétuels avec l'extérieur, ren-
dant leur comportement plus riche de possibilités mais aussi plus difficile à étu-
dier. Le produit de l'activité (out put) d'un système, n'est plus considéré de l'inté-
rieur comme la somme des produit des parties, mais en totalité,de l'extérieur, le
système étant considéré dans son environnement.
L'interaction dynamique, ou l'étude de la complexité organisée, est le
problème clef de toutes les branches de la science moderne et la théorie
générale des systèmes 3, discipline logico-mathématique, doit nous per-
mettre de formuler et de déduire des principes généraux valables pour les
systèmes en général. Il ne s'agit plus de fausses analogies (corps social
comparé au corps humain) mais de ce que Bertalanffy appelle : homolo-
gies logiques. L'écoulement des fluides et la conduction de la chaleur s'ex-
priment mathématiquement par la même loi. L'application aux sciences
1. W. R. Ashby (1956, 1960)
2. L. von Bertalanffy(1950, 1961, 1966, 1968), E. Laszlo(1975), J.-G. Miller (1976).
3. LesAnglo-saxonsdisent generalsystem theory.
L'UTILISATIONDES MATHÉMATIQUES 465

humaines est à l'étude, en particulier dans les groupes. La notion de


structure, liée à l'information et à la théorie générale des systèmes, per-
mettrait-elle de trouver un élément de jonction entre la nature et
l'homme, un point d'unification dans les diverses sciences humaines?
Certaines structures, comme la structure d'arbre, se retrouvent en séman-
tique comme en thermodynamique, en mathématique, en physiologie,en
économie, en sociologie et en science politique.
« On constatera qu'aujourd'hui, dit Lévi-Strauss,des spécialistes aussi éloignés
les uns des autres que des biologistes, des linguistes, des économistes, des socio-
logues, des psychologues, des ingénieurs des communications et des mathémati-
ciens, se retrouvent subitement au coude à coude et en possession d'un formi-
dable appareil conceptuel dont ils découvrent progressivement qu'il constitue
pour eux un langage commun 1.»
Que la théorie générale des systèmes joue un rôle comparable à celui
de la théorie probabiliste ou de la logique aristotélicienne, ou encore
qu'elle apparaisse comme une seconde révolution copernicienne, il est
trop tôt pour en juger. Mais après avoir reconnu l'importance de la biolo-
gie en ce domaine, il faut être attentif aux développements de ce mouve-
ment de pensée, car les transformations des structures conceptuelles
exercent une influence déterminante sur l'évolution de la civilisation.
412 3° La recherche opérationnelle ◊ La recherche opérationnelle
consiste à obtenir par des méthodes de logique mathématique, un opti-
mum d'organisation et de gestion d'ensembles très complexes. On
cherche à obtenir le rendement le plus élevé ou le bénéfice le plus impor-
tant, à minimiser une perte ou un risque. La recherche opérationnelle se
veut une méthode scientifique, fournissant aux organes de décision des
bases quantitatives, pour les décisions relatives aux opérations sous leur
contrôle.
Lepremier ouvrage de recherche opérationnelle remonte à 1880. Il s'agissait de
jeux. Les premiers travaux importants sur le plan pratique ont été conduits en
Grande:;Bretagne durant la période 1938-1939, à propos du radar.
Les Etats-Unis, en 1942, s'intéressent à l'action aérienne contre les sous-
marins allemands, puis les Anglais étudient la composition des convois de car-
gos; la protection se révélant meilleure avec des convois importants. De même, le
nombre des bombardiers détruits se révèle inversement proportionnel au nombre
de ceux qui prennent le départ, d'où les raids massifs sur les villes allemandes.
Enfin, après la guerre le pont aérien de Berlin marque le triomphe de la recherche
opérationnelle. Les progrès effectués sur le plan militaire permirent d'appliquer
cette méthode à d'autres domaines de décision, en particulier à ceux des firmes
industrielles dans lesquelles se posaient des problèmes assez semblables : pro-
blèmes de stocks, de fües d'attente, de transports ...

413 Étapes d'utilisation ◊ Pour exprimer en un langage de bon sens cou-


rant, ce qu'est la recherche opérationnelle, nous dirons que lorsque l'on
veut prendre une décision raisonnable, il convient de suivre les étapes
1. C. Lévi-Strauss (1954).
466 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

suivantes: 1° énumérer les moyens dont on dispose; 2° énumérer ceux


des adversaires (humains, physiques, ou techniques) ou concurrents,
leurs actions possibles... ce qu'ils peuvent faire, bref, tous les obstacles
que l'on peut rencontrer, 3° énumérer les conséquences de ces actions
(du 1 et du 2) et les évaluer par rapport à un critère de préférence que
l'on a choisi. Par exemple, avoir le maximum de profit ou prendre le
minimum de risques. En langage plus technique, cela signifie que dans
tous les cas dans lesquels des facteurs multiples interviennent et pèsent
sur la décision, la recherche opérationnelle est utilisable. On pose d'abord
le problème de la façon la plus précise possible. Ensuite on construit un
modèle, c'est-à-dire que l'on essaie de représenter l'ensemble des rela-
tions entre des facteurs d'influence, sous la forme de relations mathéma-
tiques, sur lesquelles on pourra exécuter les opérations nécessaires à la
détermination de la solution, c'est-à-dire de l'optimum cherché.
Prenons le cas d'un programme de prévision de vente de savonnettes. Le
conseiller de la firme essaie d'établir un modèle, c'est-à-dire une formule retenant
les éléments qui vont exercer une influence : augmentation des revenus des
consommateurs, besoins d'hygiène, publicité, état des stocks dans les points de
vente. Il existe, bien entendu, des e1éments imprévisibles, mais après étude, l'er-
reur dans la prévision passe de 25 à 15 % et quelquefois moins, ce qui est déjà
intéressant.
Très utilisée dans le domaine économique, la recherche opérationnelle
rationalise, par l'information, la décision du chef d'entreprise. En science
politique, par définition domaine des décisions, la recherche opéra-
tionnelle devrait trouver des applications nombreuses. La difficulté
consiste à préciser les facteurs d'influence, les relations qui les unissent,
enfin surtout à les pondérer.
414 4° La notion de modèle 1 ◊ Un modèle consiste en la représentation
formelle d'idées ou de connaissances, relatives à un phénomène. Ces
idées, souvent appelées « théories du phénomène » s'expriment par un
ensemble d'hypothèses sur les éléments essentiels du phénomène et des
lois qui le régissent Elles sont généralement traduites sous la forme d'un
système mathématique dénommé lui-même « modèle » 2 . Le modèle
strictement défini implique un langage et un mode de calcul, mais bien
souvent on l'utilise à propos d'un schéma simplifié et symbolique, des-
tiné à fournir un cadre de raisonnement rigoureux pour expliquer une
réalité quelconque.
En sciences sociales, ce sont les économistes qui ont le plus largement
utilisé cette notion empruntée aux mathématiques. Tout modèle est un
compromis entre une simplicité incomplète et un réalisme reflétant la
complexité de la vie. De toute manière, le modèle implique la mise en
formule de relations entre certains facteurs, c'est-à-dire la sélection des
variables et leur mise en place respective.
1. H. A. Simon (1956), R. Carpentier (1967), A. Badiou (1969), R. Boudon (1967, 1970,
1977), G. Leresche (1972).
2. J.G. Padioleau (1971).
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 467

Imaginons par exemple dans un quartier neuf la recherche du nombre de


commerces d'alimentation nécessaires pour une population donnée. Les facteurs
peuvent être le niveau des revenus, la moyenne d'âge, le genre de travail ou l'éloi-
gnement des lieux de travail, etc. L'essentiel consiste à percevoir les facteurs
importants. Ceux qui exercent une influence et doivent être compris dans le
modèle 1 .
Nous pouvons employer les mathématiques en économie, grâce à un
langage symbolique et chiffré : la monnaie. En sciences sociales, la sym-
bolisation quantitative est évidemment beaucoup plus difficile. Cepen-
dant le modèle, même moins rigoureux, offre un avantage : il oblige à
préciser, à rechercher sinon à pondérer, tous les facteurs et à indiquer
leurs relations.
En géo~aphie,l'utilisation de modèles est de plus en plus fréquente. Le modèle
est d'apres P. Haggett, économique, car il permet de transmettre ce qu'il y a de
général dans l'information sous une forme très condensée 2. Il est aussi stimulant,
car l'application permet d'en voir les lacunes qui conduisent à de nouvelles
recherches. Certains modèles sont mathématiques 3 d'autres expérimentaux, ils
peuvent enfin être naturels 4.
« Dans chaque cas, le problème consiste à donner aux faits étudiés une forme
analogique sous laquelle ils sont plus simples, plus accessibles, ou plus faciles à
maîtriser et à mesurer ; à étudier le problème sous la forme de cette analogie ou
modèle ; et à réappliquer les résultats de l'étude au système initial. Les modèles
constituent donc des fragments de systèmes conceptualisés, tout comme les sys-
tèmes représentent des fragments du monde réel arbitrairement isolés 5• »
En ethnologie,Lévi-Strauss 6
, frappé de la complexité des relations familiales, a
tenté d'en établir un modèle mathématique. Son mérite a été de démêler cet éche-
veau embrouillé et de présenter un modèle, une formulation, qui non seulement
rendent compte de la réalité mais permettent aussi de prévoir les possibilités de
mariage, entre tel et tel clan, etc.
En sodologiepolitique,le modèle de Rashevsky7 sur l'interaction dans les classes
sociales, formule à ce sujet un certain nombre d'hypothèses sur la nature de ces
interactions qu'il traduit en schémas, distinguant les individus passifs et les indi-
vidus actifs, les deuxièmes tentant d'affirmer leur influence sur les premiers.
K.W. Deutsch (1963 ), essaie de formuler une théorie quantitative de l'inté-
gration nationale. L'auteur part de la constatation qu'en dépit d'une masse consi-
dérable d'études consacrées au nationalisme, la détermination des causes du
développement de l'idée nationale demeure vague. La solution d'un tel problème
lui paraît exiger la collaboration de plusieurs disciplines et en particulier des
mathématiques. La partie la plus originale de l'ouvrage consiste en l'élaboration
de concepts quantitatifs, obligeant à utiliser des statistiques sociales, culturelles,
politiques, économiques ( densité des réseaux de communications, etc.). K.
1. Les modèles sont utilisés pour des expériences de simulation, Ide S. Pool, R. Abelson (1961),
Simulation (1962, 1969), I de Sola Pool, R. Abelson, S. Popkin (1965), J.C. Padioleau (1969),
E. Preteceille (1975) et n° 869.
2. P. Haggett (1965 B. 214) p. 34. Cet ouvrage donne de nombreux exemples de modèles.
3. Équations prenant en compte la distance.
4. Emploi dans la théorie des migrations d'une analogie avec les flux de chaleur. Analogie entre
l'expansion d'une calotte glaciaire et la croissance urbaine.
5. P. Haggett (1965 B. 214) p. 32.
6. C. Lévi-Strauss (1949).
7. In H. D. Lasswellet D. Lemer (1961).
468 L'UTILISATIONms MATHÉMATIQUES

Deutsch pense que son modèle pourrait amener à des conclusions pratiques,
telles que la prévision du temps d'assimilation de populations minoritaires, vivant
sur un territoire donné.

415 Limite de l'emploi des modèles ◊ Enfin, il faut signaler les tentatives
de construction de modèles qui se sont multipliées ces dernières années
avec les progrès de l'application des mathématiques aux sciences sociales
et le domaine particulièrement favorable (certains effets y sont sans
doute plus accessibles) que représente l'analyse comparée, en particulier
dans les pays en voie de développement.
Pour l'instant, il est à craindre que l'utilisation de la méthode des
modèles ne soit réduite à des questions très particulières ou au contraire à
des schémas si généraux qu'ils n'expliquent plus rien. Car en fait, ce qui
n'est pas mesurable semble bien l'emporter, en importance et variété, sur
ce qui est mesurable. Deutsch lui-même remarque que ses calculs font
abstraction du rôle des personnalités dominantes et des décisions histo-
riques, qui ne sont pas réductibles à l'analyse quantitative et semblent
pourtant l'un et l'autre essentiels.
De façon laxiste, modèle est utilisé dans le sens de groupe ou catégorie.
C'est ainsi que F.L. Wilson (1983) propose trois modèles théoriques des
groupes d'intérêt: pluraliste, néocorporatiste et protestataire. En fait, il
s'agit de distinguer ou rassembler les divers groupes suivant certaines acti-
vités choisies comme critères. Nous sommes loin de la définition stricte
du modèle. Les progrès de l'analyse de la vie politique et sociale
conduisent plutôt à compliquer le tableau de ses éléments, qu'à le simpli-
fier et le chercheur demeure toujours devant un grand nombre de
variables. Une omission même partielle, fausse la portée des explications.
Pour que les mathématiques soient vraiment utiles, il faudrait non seule-
ment que chacune de ces variables puisse être chiffrée, mais aussi que la
synthèse finale implique la possibilité de les réduire à un dénominateur
commun. Malgré ses imperfections, ses difficultés actuelles d'application,
le modèle est un instrument de travail utile dans la mesure où l'on
observe les règles de rigueur qu'implique sa construction.

415-1 5° La notion de paradigme ◊ On pourrait, sans indulgence, déclarer


que faute de parvenir à des explications et des théories, les politologues et
sociologues inventent des mots, ou au contraire, faisant preuve de
compréhension pour leurs difficultés, déclarer que par prudence, ils
emploient des termes marquant les étapes de leurs efforts : modèles,
cadres de référence, enfin paradigme 1 . Le choix de ce terme polysémique
n'est pas heureux.
En grec, paradigme signifie exemple. Platon l'emploie comme syno-
nyme de «modèle». Les linguistes y voient un cas de substitution 2 •
1. N. Perry {1977)
2. « Classe de concepts d'un ensemble abstrait de virtualités dont on dérive en les permutant des
cas concrets et actuels», cf. Y. Schemeil {1978) auquel nous empruntons l'essentiel de ces éclair-
cissements.
L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES 469

Pour les sociologues et politologues, le paradigme n'atteindrait pas le


degré de rigueur de la théorie mais, cause de confusion, serait susceptible
de degrés.
« Ce pourrait être comme » (paradigme analogique).
« Ce pourrait être parce que» (paradigme parsonien).
« C'est parce que et ça ne peut pas être autrement (théorie durk-
heimienne).
Thomas Kuhn, sans doute responsable de la vogue de ce terme, l'em-
ploie dans le sens de théorie, de modèle enfin dans une acception souple
et mal définie. Pour J. Leca1,le paradigme n'est pas une théorie, mais un
ensemble de propositions partagées par un groupe de chercheurs, organi-
sant la façon d'aborder un fait concret, de découper un certain nombre
de questions à propos de cet objet, d'élaborer des méthodes d' établisse-
ment et d'évaluation des preuves, de formuler des généralisations décou-
lant de ces preuves. Ces conditions impliquent une rigueur loin d'être
toujours observée. On peut se demander ce que le terme de paradigme
ajoute aux nombreuses études abordant les problèmes des rapports entre
le centre et la périphérie.
L'avantage, parmi tant d'inconvénients, de l'emploi (ou de l'abus)
d'un terme si ambigu, c'est que son caractère mal défini, moins tranché
qu'une théorie, suscite moins d'oppositions. Absence de consensus mais
absence de querelles. A charge de revanche, on supporte la part de vérité
proposée par l'autre !
Il est cependant regrettable que politologues et sociologues aient besoin
du réconfort d'un langage peu rigoureux pour imaginer faire œuvre
scientifique.
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476 THÉORIEET RECHERCHEDANS LESSCIENCESSOCIALES

CHAPITRE5
THÉORIEET RECHERCHE
DANS LESSCIENCESSOCIALES
L'opposition entre théorie et recherche revêt deux aspects. Le premier
oppose la réflexion théorique et abstraite aux recherches concrètes sur le
terrain, celles-ci pouvant déboucher soit sur la découverte d'une théorie,
soit au contraire sur des applications pratiques. Le deuxième aspect
oppose la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Alors que la
recherche appliquée tente le plus souvent de surmonter, à l'aide de prin-
cipes connus, les obstacles auxquels se heurtent les utilisateurs, la
recherche fondamentale réclame pour le savant la liberté de travailler
sans objectif pratique. En science, la liaison entre recherche théorique et
recherche concrète a toujours été admise, le laboratoire s'identifiant au
cabinet de travail. En revanche, l'option recherche fondamentale ou
recherche appliquée s'est posée, ces dernières années surtout, avec une
grande acuité. Dans les sciences sociales, le premier de'bat est encore
ouvert mais semble se conclure, l'apport de la recherche concrète à la
théorie paraissant de moins en moins discuté. En revanche, le problème
du choix entre recherche fondamentale ou appliquée se pose.

SECTION1. RECHERCHETHÉORIQUE
ET RECHERCHECONCRÈTE
417 Le problème ◊ Nul n'imagine la science séparée de l'expérimentation.
Les discussions mettent en cause l'organisation, ou les moyens, par
exemple le rôle de l'Université, mais pas le principe lui-même.
En science sociale, que ce soit en géographie humaine, science poli-
tique ou sociologie, nous vivions encore, il n'y a pas longtemps, presque 1
entièrement sur l'ancien mode de réflexion théorique, issu d'un ensei-
gnement abstrait, fort éloigné de la recherche concrète.
Voulant comparer les mérites respectifs des deux méthodes, on oppose
régulièrement le grand esprit intuitif, perspicace, élaborant une vaste
théorie dans la sérénité de son bureau, au chercheur de petite envergure,
accumulant méthodiquement sur le terrain des observations inutiles et
sans lien entre elles. L'on cite souvent à l'appui de cette comparaison, le
cas du grand anthropologue Marcel Mauss qui, sans sortir de son cabinet
de travail, a rénové l'anthropologie et la sociologie. Pour que l'exemple de
Mauss soit probant, il faudrait d'abord pouvoir démontrer que s'il avait
1. Nous disons presque,pour ne pas omettre la lignée des rares observateurssoucieuxde la réa-
lité.
RECHERCHE THÉORIQUE ET RECHERCHE CONCRÈTE 477

été lui-même sur le terrain, il n'aurait pas trouvé mieux. Enfin, si Mauss
a pu élaborer ses théories, c'est à partir des nombreux travaux très
concrets et détaillés, des ethnologues américains et anglais, qui, eux,
avaient été sur le terrain. L'anthropologie n'existerait pas sans observa-
tions concrètes. Mauss lui-même était partisan des recherches sur le ter-
rain et ses élèves, C. Lévi-Strauss, M. Griaule, ont travaillé de cette
façon. Le débat est aujourd'hui clos. Théorie et recherche sont indispen-
sables aux sciences sociales comme à toutes les sciences.
Nous emprunterons au sociologue américain Merton 1 quelques réflexions
rapides sur les rapports entre théorie et recherche.
418 1° Ce que la théorie apporte à la recherche ◊ Nous avons déjà
abordé ce sujet; nous rappelons ici seulement la nécessité de théories
même inexactes, même provisoires et limitées, pour ordonner la réalité,
tracer un schéma d'observation, émettre des hypothèses, parvenir à des
explications.
419 2° Ce que la recherche apporte à la théorie ◊ Les théoriciens
veulent trop souvent limiter le rôle de la recherche à une sorte d' expéri-
mentation, permettant de contrôler la valeur de la théorie. Or la
recherche empirique ne se borne pas, loin de là, à un rôle passif de vérifi-
cation ; d'après Merton, la recherche remplit quatre fonctions majeures :
elle suscite, refond, réoriente et clarifie la théorie.
a) Elle susdte. - Il arrive qu'au cours d'une recherche, prévue dans le
cadre de vérification d'une hypothèse ou théorie, le chercheur rencontre
un fait inattendu, aberrant, dont l'explication va nécessiter la formula-
tion d'une nouvelle hypothèse. Cette aptitude particulière du chercheur à
saisir l'élément important, même inattendu, est connue en science phy-
sique sous le nom de serendipity2, mot redevenu à la mode avec la décou-
verte de la pénicilline, qui en est une parfaite illustration.
La serendipityimplique l'esprit d'observation mais encore autre chose.
Il faut que le chercheur imagine au-delà du fait observé, sa signification,
ses relations possibles avec d'autres eléments, qu'il conserve, même pen-
dant l'observation, une tournure d'esprit théorique.
b) Elle refond. - Alors que la serendipityest centrée sur une contradic-
tion apparente à résoudre, la refonte de la théorie est plutôt commandée
par un fait pertinent, mais négligé jusque-là et qui réclame un élargisse-
ment du schéma conceptuel.
Malinowski, étudiant la magie et son rôle dans les coutumes Trobrian-
daises, s'aperçut que celle-ci était utilisée pour les pêches présentant un
aspect dangereux, d'où l'idée d'introduire dans sa conception de la magie
une nouvelle relation risque-magie.
c) Elle réoriente. - Les techniques modernes : télévision, cinéma,
orientent la recherche vers les domaines où se posent des problèmes nou-
veaux.
1. R. K. Merton (1953, B. 139 bis).
2. Serendipity,mot formé du radical Serendip, ancien nom de l'île de Ceylan, forgé par Horace
Walpole d'après le titre d'un conte de fées; « LesTrois Princes de Serendip », dont les héros faisaient
constamment, grâce à leur sagacité, des découvertes inattendues.
478 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LES SCIENCESSOCIALES

d) Elleclarifieles concepts.- Toute théorie exige une conceptualisation.


Le manque de rigueur dans les définitions est malheureusement fréquent
dans les sciences sociales et sur le plan abstrait, rien ne le sanctionne. La
recherche est au contraire impitoyable. Évoquer sur le terrain la cohésion
sociale ou le moral de l'entreprise, exige que l'on en donne une définition
précise assortie de critères et d'indices.
A l'heure actuelle, la nécessité de la recherche et de la théorie est
admise par tous. Les discussions ne portent plus que sur la proportion et
les zones de partage.

SECTION2. RECHERCHEFONDAMENTALE
ET RECHERCHEAPPLIQUÉE1
420 Difficultés ◊ Ce problème soulève des difficultés pratiques et de prin-
cipe, mais surtout d'ordre psychologique. On se heurte pour résoudre ces
dernières à deux attitudes contradictoires; l'une héritée du passé: la
science est désintéressée; l'autre plus récente: la science est faite pour
servir. Les sciences sociales, traditionnellement humanistes, souffrent
particulièrement de cette ambiguïté.
La science fondamentale et la science appliquée diffèrent par la nature
de l'objet qu'elles étudient L'objet d'une science appliquée est plus précis,
plus limité, plus concret La science appliquée se développe en général
comme un prolongement de la science fondamentale et bénéficie alors de
son apport théorique. Mais la science appliquée précède souvent la
connaissance scientifique. Dans ce cas, comme la recherche concrète,
dont elle représente un des aspects, c'est elle qui apporte à la recherche
fondamentale des éléments. Les notions de moral, de rôle, ont été appli-
quées en psychologie industrielle, avant que la théorie ne les ait précisées.
Les recherches liées à l'intervention psychosociologique, constituent de
nos jours un secteur dans lequel la science appliquée précède la science
fondamentale. A l'heure actuelle, l'opinion est de plus en plus saisie des
buts de la science, à travers ses applications, c'est-à-dire qu'elle juge des
effets sans connaître les théories. La causalité dans les sciences est immé-
diate, spectaculaire à tous les niveaux. « Le prestige du savant, dit J.Stoet-
zel (1963), est dû non pas à ce qu'il sait mais à ce qu'il peut. Il est un
thaumaturge avant d'être un encyclopédiste.» Cette responsabilité
directe et apparente devient l'un des critères de la science.
Dans les sciences humaines, au contraire, la causalité demeure, nous
l'avons vu, singulière, fractionnée et le plus souvent inaccessible. Com-
ment s'est posé le problème des rapports entre science fondamentale et
science appliquée dans les sciences en général ? L'évolution de chacune
d'entre elles diffère par le rythme des étapes, mais leur orientation à
toutes demeure semblable.
1. Certains parlent aussi de « recherche orientée ». Elle correspond à notre recherche sous
contrat, à une action concertée de recherche en vue de résoudre un problème. Cf. Revue!nt. Sc.
Sociales(1968) et P. de Bie in Tendancesde la recherche(1970, B. 170).
RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 479

§ 1. L'évolution des rapports


entre recherche fondamentale
et recherche appliquée dans les sciences
421 1° Avant la guerre de 1940 ◊ Jusqu'à la Première Guerre mondiale,
on peut presque dire jusqu'à la Deuxième, on distinguait les savants
d'une part, et d'autre part, ceux que les Angle-Saxons appellent les
« scientists » ; nous disons les ingénieurs.
Les savants poursuivaient une tâche noble : découvrir les lois de la nature dont
les autres ensuite trouvaient l'application. Le professeur Rowland déclarait en
1879 : « Celui qui fait pousser deux brins d'herbe là où il n'y en avait qu'un est
peut-être un bienfaiteur de l'humanité, mais celui qui par son labeur obscur
découvre les lois de la poussée de l'herbe, est intellectuellement supérieur et le
plus grand bienfaiteur des deux.» Jusqu'au xIX'siècle, on considérait l'invention
comme le fruit du génie, conçu surtout comme une inspiration. On représentait
volontiers Watt enfant, rêvant devant sa bouilloire et plus tard inventant la
machine à vapeur. Mais l'on omettait de signaler qu'entre-temps, il s'était lié à
un groupe de spécialistes des sciences appliquées et qu'il travaillait beaucoup. En
fait, on savait que le génie n'est qu'une longue patience, mais le goût de l'ex-
traordinaire faisait volontiers admettre au public, la conjonction d'un être prédes-
tiné et d'un hasard miraculeux. Jusqu'au xIX'siècle, professeurs des universités,
savants, amateurs, artisans, étaient liés et informés de leurs travaux, grâce à de
petites sociétés provinciales. Le hasard et les relations personnelles présidaient au
développement des sciences. Au XIx"siècle, l'essor technologique est si rapide, que
l'on cherche à institutionnaliser ces groupements. Entre 1825 et 1875, l'informa-
tion personnelle est progressivement remplacée par une information plus géné-
rale, les travaux sont publiés, etc.
La fonction sociale que nous appelons aujourd'hui technologie,c'est-à-
dire le lien entre connaissances scientifiques, opérations et besoins de
production, s'exerce au hasard dans un assez vaste secteur de la popula-
tion instruite. Rien n'est véritablement organisé, du moins en Grande-
Bretagne et en France. Les capitaux sont abondants, les entreprises de
petites dimensions. Elles essaient des procédés nouveaux, réussissent ou
disparaissent Seule, l'Allemagne organise la liaison entre la recherche et
l'industrie, grâce au réalisme des universitaires allemands, qui ont, dès le
départ, compris l'intérêt de la technique. En 1900 (sauf en Allemagne),
on peut encore dire que la science et l'industrie sont des systèmes sociaux
distincts, sans communication. La circulation des personnes et même des
idées se fait difficilement de l'un à l'autre.
Pendant la première guerre, le Président Wilson nomma le grand Thomas Edi-
son, à la tête d'une commission de conseillers de la marine et lui demanda de
désigner quelques personnes. Edison déclara : « On pourrait prendre aussi un
mathématicien, pour le cas où il y aurait quelque chose à calculer.» Réflexion
symétrique de celle du ministre de la guerre, auquel une grande société de chimie
proposait ses services et qui la remercia en disant que c'était inutile, car ils avaient
déjà un chimiste au ministère.
422 2° Pendant la seconde guerre mondiale ◊ En 1940, la scène est
totalement changée. Les savants ont envahi ministères et commissions.
La première raison est évidemment la puissance virtuelle qu'ils
480 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LES SCIENCESSOCIALES

détiennent en tant que facteurs de la victoire, mais aussi parce que pour
vérifier et appliquer leurs théories scientifiques, ils ont besoin de labora-
toires importants et de sommes énormes que l'État seul peut leur fournir.
Il faut également constater que le savant adopte un point de vue plus
empirique et souvent utilitaire. L'application le laisse moins indifférent,
car les résultats obtenus conditionnent la poursuite d'autres expériences.
De son côté, l'ingénieur apprend à penser en fonction de théories, il
rationalise son expérience. Chacun fait un pas vers l'autre et c'est à cette
rencontre que l'on doit les progrès récents de la science atomique.
L'histoire du radar illustre comment la souplesse et le sens pratique des Anglais
leur permit de rattraper leur retard vis-à-vis des Allemands et montre bien aussi
l'intérêt de la liaison vécue et concrète, entre la théorie et la recherche appliquée.
En Grande-Bretagne,les savants s'intéressaient au problème des échos des ondes
hertziennes. Le ministère de l'air demande au laboratoire national de physique s'il
serait possible d'arrêter les avions, au moyen de rayons hertziens émis au sol (le
fameux rayon de la mort). Les physiciens répondent négativement, mais pro-
posent des travaux sur le repérage d'avions par T.S.F.A partir de 1935, les travaux
relatifs au radar sont centralisés à la station de recherche gouvernementale et
deux entreprises privées sont chargées de la fabrication de l'outillage. En 193 9, les
universitaires physiciens sont mobilisés au centre gouvernemental. Celui-ci ras-
semble savants, techniciens, représentants de l'industrie, administrateurs et fonc-
tionnaires du ministère de l'air, mais aussi les utilisateurs : les officiers de la Royal
Air Force. Le directeur eut l'idée d'organiser dans son bureau ce qu'il appelait les
« soviets du dimanche», réunion rassemblant tous ceux que ces problèmes
concernaient. Il y avait donc échange de vues entre les officiers responsables des
pilotes, qui eux risquaient leur vie, les ingénieurs chargés des problèmes tech-
utilisateurs
ministère et services
officiers et administratifs
pilotes de la R.A.F.

savanu, chercheurs
techniciens, ingénieurs,
responsables de la
fabrication
1• Organisation anglaise

î
0
utilisateurs

ministère
aviateurs

de l'air

t commissaire aux
fabricants
;--~--~===-~\~ ooo 000
techniques de haute
fréquence
laboratoires

2• Organisation allemande
RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 481

niques de fabrication et enfin les savants qui devaient résoudre les problèmes au
niveau théorique de la conception. C'est tous ensemble qu'ils mettent au point en
1940 le radar centimétrique.
Jamais des rapports administratifs impersonnels n'auraient pu donner cette
compréhension directe, affectiveautant qu'intellectueUe, des besoins et des pro-
blèmes différents, auxquels se heurtait chacun à son niveau.
Une toute autre organisation avait vu le jour en Allemagne.Le radar avait fait
l'objet, avant 1939, de travaux très poussés, interrompus, puis repris durant la
guerre, lorsque fut nommé un commissaire aux techniques de haute fréquence.
Ce commissaire était chargé, d'une part, de recevoir du ministre de l'air des rap-
ports détaillés sur ses besoins, d'autre part de répartir les commandes entre les
laboratoires, en même temps que d'organiser entre ceux-ci un système d'informa-
tion. Les laboratoires ne communiquaient donc pas directement avec les utilisa-
teurs. Ne connaissant leurs besoins qu'à travers le double écran bureaucratique
du commissariat et du ministère de l'air, ils n'y répondaient qu'imparfaitement.
De leur côté, les responsables des opérations militaires n'étaient pas au courant
des nouveautés techniques, qu'il eût été parfois possible d'adapter à leurs besoins.
C'est ainsi que les Allemands, au debut supérieurs techniquement aux Anglais,
perdirent leur avance à cause d'une organisation formaliste, négligeant le contact
entre théoriciens, techniciens, fabricants et utilisateurs. On peut figurer par des
sociogrammes (cf. p. 545) les deux conceptions britanniques et germaniques.
423 3° Depuis la pterre: les avantages et inconvénients de la
recherche appliquée ◊ Les industriels et les gouvernants reprochent
aux universitaires a•être trop individualistes, d'où l'éparpillement de leurs
efforts. Or actuellement les travaux de laboratoire ne peuvent être le fruit
d'un travail solitaire. Cependant, l'Amérique nous a précédée dans la voie
du travail en équipe et de la recherche appliquée et un auteur américain,
W. H. Whyte, dans un livre qui eut un grand retentissement, L'hommede
l'organisation(1958) 1, indique combien les habitudes de travail améri-
caines se sont révélées dangereuses. Dans l'esprit du peuple américain,
déclare-t-il, la science signifie l'utilisation des idées... savoir comment et
non pas se demanderpourquoi. Or le véritable savant est passionné de
pourquoi et c'est la raison pour laquelle il n'a pas envie d'entrer dans l'in-
dustrie privée, où on lui soumettra des problèmes limités, pratiques, alors
qu'il est tourmenté par tout autre chose. Les patrons n'ont pas toujours
envie de payer des ingénieurs à poursuivre des travaux qui ne débouchent
sur rien. Pourtant les applications les plus rentables financièrement sont
toutes issues de recherches fondamentales.
L'inventeur du fil de nylon, Wallace Carruthers, se trouvait à Harvard
où il étudiait la structure moléculaire. Sa découverte n'a été qu'un sous-
produit, un aspect de sa recherche fondamentale. Une littérature améri-
caine abondante réclame que les savants soient rendus conscients de
l'utilité de travailler d'abord pour la firme, mais déclare encore Whyte,
« le vrai savant ne saurait être l'homme d'une firme, sa seule firme c'est
la science ».
Travail en équipe ou travail solitaire, recherche fondamentale ou
recherche appliquée ? On ne peut les opposer abstraitement, chacun doit
1. Cf. M. Grawitz (1958).
482 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LES SCIENCESSOCIALES

intervenir à son niveau, chacune a son rôle à jouer. Le groupe en soi n'est
pas créateur. Les hommes peuvent discuter, échanger des informations,
se stimuler, se critiquer, ils ne pensent pas en groupe. Le travail en équipe
est précieux pour certaines tâches d'observation, de confrontation, d'exé-
cution, mais la réflexion demeure le fait d'individus isolés. Le tube Koda-
chrome a été mis au point dans les laboratoires, mais inventé dans une
salle de bains ! En France nous sommes encore loin du seuil critique et
l'effort peut encore se poursuivre dans le sens d'une coordination et du
travail en équipe.

§ 2. L'évolution des rapports


entre recherche fondamentale
et recherche appliquée dans les sciences sociales 1
424 La tradition humaniste des sciences sociales ◊ La double attitude
concernant la conception de la science, à la fois désintéressée et utilitaire,
pèse lourdement sur les sciences sociales dans leurs rapports entre
recherche fondamentale et recherche appliquée. Leur tradition huma-
niste, l'objet même de leurs travaux, les rendent timides devant les
recherches d'application et réfractaires à ce qui dégénère facilement en
t.entatives de manipulation et de recettes. Cependant leur brusque exten-
sion dans une atmosphère de science appliquée, la volonté de se voir
reconnaître un statut scientifique, enfin la multiplicité des problèmes que
pose la vie réelle, obligent les sciences sociales à prendre position.
425 1° Historique ◊ A l'origine, il n'y a pas entre recherche et application d'inter-
médiaires analogues aux ingénieurs artisans, rendant utilisables dans l'industrie
les progrès scientifiques. En sciences sociales, les problèmes théoriques et leurs
applications sont d'abord résolus par le sociologue lui-même. Le brusque déve-
loppement des sciences humaines et le nombre de problèmes politiques posés aux
patrons, éducateurs, etc., ont fait apparaître et multiplié depuis quelques années
des intermédiaires : conseillers, psychologues issus de cabinets d'organisation et
avec eux sont apparues les premières difficultés. En effet, sociologues et psycho-
logues se montrent soucieux de l'utilisation qui pourrait être faite de leurs
recherches et surtout de la déformation qu'elles pourraient subir. Cette inquié-
tude est d'autant plus légitime, qu'en dehors des risques de totalitarisme poli-
tique, la concentration des pouvoirs : P,?litiques, économiques, industriels, est
suffisante pour que le probleme soit dejà posé. Mais surtout, dans les sciences
sociales, le lien entre la recherche fondamentale et son utilisation revêt un aspect
particulier, du fait de l'objet de ces sciences et des différences de points de vue qui
séparent le chercheur de l'utilisateur.

426 2° Difficultés psychologiques ◊ Si les communications entre


savants et utilisateurs sont toujours indispensables, elles offrent beau-
coup plus de difficultés dans les sciences sociales. L'invention, au niveau
de l'industrie, consiste à trouver une solution à des problèmes physiques
1. Nous n'abordons pas dans cet ouvrage les problèmes de financement.
RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE 483

ou chimiques. Si ingénieurs et industriels n'ont pas au même degré la


connaissance des lois physiques, ils en ont du moins la même concep-
tion. Dans les sciences humaines au contraire, la nature des problèmes
implique dans la façon même de les poser, un choix, une orientation
d'esprit. Or tout distingue le point de vue et même le langage du savant,
chercheur ou universitaire, de celui du chef d'entreprise ou même du
gouvernant Les impératifsde leur existence ne sont pas du même ordre.
Le tempsn'a pas pour les uns et les autres la même signification, enfin et
surtout, ce qui est important,ne relève pas de la même échelle.
Nous retrouvons ici cette notion de responsabilité déjà évoquée. A la différence
des sciences physiques, ce n'est pas le savant en sciences sociales qui paraît le res-
ponsable. S'il sait beaucoup, on a l'impression qu'il ne peut pas grand-chose. Le
patron, au contraire, est un homme qui prend des décisions ayant des consé-
quences plus ou moins graves, mais s'inscrivant dans la réalité, se répercutant sur
l'économie et le plus souvent modifiant la vie des autres: licenciements,
embauche, modifications d'atelier, hausse des prix, etc., constituent des mesures
importantes directement et objectivement, quelle que soit la valeur du patron.
L'universitaire, le savant, peuvent imaginer des hypothèses, même des théories,
les effets en sont rarement immédiatement visibles. L'apport de M. X... à la théo-
rie des communications peut être important au niveau de l'explication scienti-
fique, mais tant qu'il ne sera pas applicable à des solutions concrètes, il n'intéres-
sera pas le patron. Le mot importantn'a pas pour l'un et pour l'autre le même
sens. Ils n'ont pas le même cadrede référence.
On peut dire que dans l'état actuel des sciences sociales, les connaissances les
plus utiles ne sont pas les ylus intéressantes et que le plus intéressant pour les
théoriciens, n'est pas forcement immédiatement le plus profitable aux utilisa-
teurs. D'où la déception de ceux-ci lorsqu'ils s'adressent aux sociologues pour
résoudre leurs problèmes.
427 3° Les communicationsentre chercheurset utilisateurs 1 ◊ L'uti-
lisateurqui s'adresse à un psychosociologueremplit en général les condi-
tions suivantes :
1° Il a pris consdencedu problèmequi se pose mais il ignore sa nature. Imagi-
nons qu'un patron sente que l'atmosphère de certains ateliers se détériore et attri-
bue ce fait à un désir des ouvriers d'obtenir une augmentation de salaire, qu'il ne
veut ou ne peut leur donner, alors que le mécontentement provient d'un atelier
où sévit un contremaître trop autoritaire. L'erreur de diagnostic peut être due à
l'ignorance, elle peut aussi servir à camoufler le problème, si le patron se doute de
la vraie raison du malaise, mais préfère penser qu'il n'y peut rien.
2° Il croitune solutionpossible.Un patron qui, malgré son expérience, n'a pas
trouvé de solution, risque de penser qu'il n'y en a pas. De même, les parents dont
le fils ne travaille pas pourront dire : « Il n'y a rien à faire, nous avons tout
essayé... » Peut-être ont-ils tout essayé, sauf justement ce qui conviendrait à l'en-
fant et qu'un psychothérapeute leur conseillera: l'éloigner de sa famille quelque
temps, parce que les conflits entre son père et sa mère le perturbent.
3° II adopteune attitudeexpérimentale à l'égard de l'innovation. Si les parents se
butent, en pensant que leur fils ne peut être nulle part aussi bien que chez lui,
même avec des disputes tous les soirs ; si le patron pense qu'un psychologue

1. Cf. R. Llkert et R. Lippitt (1959), H. Nowotny (1985).


484 THÉORIE ET RECHERCHEDANS LES SCIENCESSOCIALES

conseil coûte cher et ne sert à rien, l'utilisation des données psychologiques et


économiques sera impossible. Il faut lutter ici contre ce que l'on a appelé le
complexede suffisance,qui incite les individus à ne pas accepter l'idée que les
conditions de leur activité peuvent être améliorées.
Pour que des services publics ou des particuliers fassent appel à des spécialistes
des sciences sociales, il faut qu'ils soient déjà informés de ce qui existe, de ce qui
est possible. Le chercheur, de son côté, est toujours porté à sous-estimerou à sures-
timerl'homme politique ou l'industriel qui font appel à lui, il est déçu de voir que
l'un et l'autre n'ont pas souvent une idee claire du but de la recherche, qu'ils ne
posent pas les problèmes en termes adéquats. Il est donc indispensable de trouver
un terrain d'entente entre l'attitude et le langage du chercheur et celui de l'indus-
triel. On peut reprocher aux utilisateursd'essayer de n'obtenir des sociologues que
des« recettes», ce à quoi ceux-ci répugnent à juste titre et de ne pas accepter le
fait psychologique et le temps psychologique, comme des données aussi réelles
que le fait physique ou le temps chronométré. On peut d'autre part reprocher aux
chercheurs en sciencessocialesleur manque de sens pratique, leur tendance à rester
dans leur tour d'ivoire mentale (sur le plan du choix des problèmes à résoudre et
sur celui de l'expression, car leur jargon paraît souvent incompréhensible), enfin
ce qui est plus grave, de manquer parfois de bon sens.

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LIVRE3

LESTECHNIQUES
AU SERVICEDES
SCIENCESSOCIALES
Malgré les difficultés que comporte le fait que les sciences sociales
appliquent à un objet humain des outils humains, une attitude scienti-
fique est possible. Elle implique une démarche intellectuelle, une
méthode au sens élevé du terme, mais également des méthodes, c'est-à-
dire des étapes dans le travail et surtout des manières de fa.ire,qui pour
n'être pas manuelles n'en représentent pas moins des techniques, par la
rigueur des attitudes qu'elles impliquent
Ces techniques sont diverses suivant l'objet auquel elles s'appliquent et
elles ne s'excluent pas. Encore faut-il d'une part savoir choisir la plus adé-
quate et d'autre part l'utiliser convenablement L'histoire s'attache sur-
tout à l'étude des documents publics ou privés, l'ethnologie ajoute l'étude
des objets. L'économie politique utilise des documents statistiques et des
monographies. La science politique travaille à la fois sur des statistiques :
élections, des documents officiels: compte rendu des séances d'assem-
blées, ou juridiques: constitutions, mais également sur des documents
d'origines diverses : statuts de syndicats, de partis politiques, journaux,
courriers d'électeurs, d'auditeurs à la radio, etc., ou des documents pri-
vés: correspondance, etc. Elle prépare elle-même certains matériaux:
sondages pour connaître l'état de l'opinion publique, interviews
d'hommes politiques ou d'électeurs, études sur le terrain, etc. La psycho-
logie sociale utilise de préférence les techniques que nous appelons
vivantes et dans ses recherches, la part des enquêtes sur le terrain, des
488 LES TECHNIQUES AU SERVICE DES SCIENCES SOCIALES

interviews, est prépondérante; elle y ajoute des possibilités plus grandes


d'expérimentation, surtout en laboratoire et parfois même sur le terrain.
La sociologie utilise les unes et les autres mais ses possibilités d'expéri-
mentation sont réduites.
LA FIN DES ILLUSIONS 489

CHAPITRE1
MISESEN GARDE, PRÉCISIONS,
CLASSIFICATIONS

§ 1. La ïm des illusions
429 1 ° L'illusion de la facilité ◊ Nous avons quitté les sphères abstraites
de l'épistémologie et de la logique, nous voici parvenus au niveau plus
concret des techniques. Sans doute, sont-elles plus accessibles à certains
esprits, mais il ne faut pas se faire d'illusion, leur application n'est pas
facile.
Sur le plan de la préparation et de l'exécution, elles exigent d'abord de
la patience: l'analysedu contenuimplique la lecture de nombreux docu-
ments, un travail fastidieux pour compter les unités choisies (cf. n°5 615
et s.). Faire une enquête par interviewssignifie le plus souvent perdre
beaucoup de temps pour trouver les enquêtés.
En plus de la réflexion et de la rigueur nécessaires à l'application de
toutes les techniques, celles-ci exigent aussi le plus difficile : la maitriseet
même la modificationde soi. Dans une enquête, l'instrument d'observa-
tion est un homme, qui doit perturber le moins possible l'objet humain
observé. Il faut apprendre à écouter, nepasjuger,ce qui implique une véri-
table contre-éducation opposée au manichéisme implicite dans toute
socialisation: le bien, le mal, ce qu'il faut faire, ne pas faire, les tabous à
ne pas transgresser, tous les réflexes conditionnés, buts d'une bonne édu-
cation morale et sociale.
Ces conditions peuvent être remplies par des exécutants consciencieux,
après un apprentissage sérieux. Mais si l'on veut mener de bout en bout
une recherche (mémoire, thèse, enquête), il faut savoir ce que l'on fait et
pourquoi on le fait Ceci implique la mise en œuvre de tout ce que nous
avons vu concernant la nécessité d'une remise en question de ses propres
présupposés, la rupture épistémologique, etc., mais aussi la mise en ques-
tion des techniques.
430 2° L'illusion de la neutralité ◊ On a tant insisté sur le fait que les
sciences sociales impliquent une « compréhension », une nécessaire sub-
jectivité, sur les difficultés pour l'observateur humain d'interroger des
faits humains, enfin sur le besoin de « neutralité » éthique, que l'on a
longtemps négligé le reste.
Il était certes utile que Weber oppose, au réformisme social de son
époque, la neutralité axiologique, mais aujourd'hui, le développement des
techniques implique qu'elles deviennent à leur tour l'objet de la vigilance
épistémologique.
Au lieu de cela, il semble que l'on continue trop souvent à s'interroger
sur l'idéologie implicite du chercheur, sans se douter que sous une forme
490 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSifICATIONS

moins apparente, l'ennemi s'est infiltré dans les rangs de ceux qui
devaient le combattre : les instruments supposés objectifs de la connais-
sance scientifique. Il faut donc prendre conscience du danger : les tech-
niques, symboles de l'esprit scientifique par leur rigueur, sont non seule-
ment susceptibles de camoufler des idéologies, mais plus innocemment
encore, de traduire des présupposés, de découper à l'avance la réalité,
donc, d'être inspirées par les a priori qu'elles sont chargées de combattre.
Pour ceux qui luttent pour atteindre l'objectivité scientifique, l'usage
sérieux d'instruments techniques représente une garantie. Troubler cette
quiétude en montrant que l'antidote peut être un alibi, est une tâche utile
et urgente à laquelle quelques auteurs: P. Sorokin (1938), C. Wright
Mills (1959), et surtout en France P. Bourdieu (1968) 1, se sont
employés.
« En nommant méthodologique, comme on le fait souvent, ce qui
n'est jamais que le décalogue des préceptes technologiques, on escamote
la question méthodologique proprement dite, celle du choix entre les
techniques (métriques ou non), par référence à la signification épistémo-
logique du traitement que les techniques choisies font subir à l'objet et à
la signification théorique des questions que l'on entend poser à l'objet
auquel on les applique 2 . »
Par neutralité, nous n'entendons donc pas seulement la suppression
des présupposés idéologiques ou affectifs du sociologue, mais dans un
sens plus large, le fait que la technique n'influence pas la recherche, ceci
plus particulièrement aux stades du choix et de l'utilisation.
431 a) Le choix de la technique ◊ Choisir des techniques, étant donné
les particularités et les limites de chacune, c'est sélectionner à l'avance les
matériaux qu'elles recueilleront Comme le dit P. Bourdieu à propos des
méthodes, « c'est se demander ce qu'elles font aux objets et les objets
qu'elles font». Mais « autant les règles techniques de l'usage des tech-
niques se prêtent aisément à la codification, autant les principes capables
de définir une utilisation de chaque technique, qui prendrait en compte
les présupposés logiques ou sociologiques de ses opérations, sont malaisés
à définir et plus encore à incarner dans la pratique 3 ».
Lestechniques de psychologie sociale recueillent surtout les représenta-
tions des individus, ce qu'ils croient ou veulent faire croire plus que les
facteurs objectifs qui les conditionnent
Dans une enquête sur les députés 4, il était intéressant de connaître l'image
qu'ils voulaient donner d'eux-mêmes. La technique de l'interview était adaptée à
l'objet
Dans une recherche sur les professeurs de l'enseignement supérieur, laques-
tion « Pourquoi avez-vous choisi le métier d'enseignant?» pouvait impliquer
outre la croyance en la valeur de l'introspection rétrospective, la conviction que

1. Auquel nous empruntons un grand nombre des réflexions qui suivent.


2. P. Bourdieu et al. (1968), p. 56.
3. Op. cit., p. 75.
4. M. Grawitz (1958, 1971).
LA FIN DES ILLUSIONS 491

chaque individu choisit consciemment et en toute liberté son métier. Lesenquê-


teurs ont corrigé ces inconvénients par des questions objectives: origine sociale,
curriculum vitae, etc.
Un exemple connu d'inadéquation d'une technique à l'objet est la recherche
de E. Katz (1957) sur la circulation des informations. L'enquête par sondages,
partant de l'idée d'une massecomposée d'individus atomisés, ne pouvait révéler
l'importance des relations interpersonnelles, des structuresde communications,
des relais conçus par la suite comme the two stepflowof communication,structures
que l'échantillon au hasard a justement pour but de neutraliser.
La maîtrise d'une technique, après un apprentissage plus ou moins
long, conduit à la croyance en ses possibilités, d'où le risque d'en exagérer
les vertus. « Donnez un marteau à un enfant dit A. Kaplan, et vous verrez
que tout lui paraîtra mériter le coup de marteau 1. » On pourrait ajouter,
donnez des ciseaux à un coiffeur, ou plus grave encore, un bistouri à un
chirurgien. Ce n'est donc pas une tendance particulière des chercheurs en
sciences sociales, mais un penchant naturel à l'homo faber.
432 b) L'utilisation des techniques ◊ L'influence de la façon d'utiliser
les techniques, sur leur résultat, est plus connue, en particulier dans le
domaine des questionnaires. On retrouvera les problèmes de libellé des
questions (cf. n° 695) mais insistons dès maintenant sur la nécessité de
connaître, dans chaque cas particulier, les limites de la technique
employée et surtout ce qu'elle suppose. Comme le dit P. Bourdieu:
« Toutes les fois que le sociologue est inconscient de la problématique
qu'il engage dans ses questions, il s'interdit de comprendre celle que les
sujets engagent dans leurs réponses 2 . »
On a cité (cf. n° 301) l'exemple des catégories: sexe, âge, utilisées en
sociologie électorale. Il existe d'autres découpages aussi arbitraires sous
une apparence neutre. Celui de la population en fonction des revenus, est
un exemple emprunté par Bourdieu à Pareto. Certains auteurs, devant
l'impossibilité de tracer une ligne de démarcation entre riches et pauvres
en concluent qu'il n'y a pas de classes opposées. « Autant dire, ajoute
Pareto, qu'il n'existe pas de vieillards, parce qu'on ne sait pas à quel âge, à
quel moment de la vie, commence la vieillesse3 . »
Tout découpage implique l'application d'un schéma habituel non véri-
fié (présupposé), ou d'un choix, donc d'une théorie plus ou moins
consciente. Rien n'est gratuit ni neutre dans ces découpages tradition-
nels, résultats de circonstances historiques, utilitaires (nécessités fiscales
et administratives), produits culturels qui, de ce fait, véhiculent sans que
l'on s'en doute des idéologies. Nous ignorons encore la portée de l'in-
fluence des ordinateurs. Elle risque d'atteindre non seulement les objets
sociologiques, mais ce qui semble plus grave, la façon même de poser les
problèmes et même de raisonner.
Enfin, exemple frappant, il s'agit cette fois de l'influence des critères
utilisés pour découvrir les « leaders» dans des collectivités locales4, lea-
1. A. Kaplan (1964, B. 13), p. 112.
2. P. Bourdieu (1968), p. 70.
3. Op. dt., p. 75.
4. L. Freeman et al. (1963) in P. Birnbaum, pp. 234-247.
492 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSifICATIONS

der étant pris au sens précis de détenteur d'un pouvoir de décision. Sui-
vant le critère de sélection retenu : activité sociale, réputation ou position
sociale, on obtient des résultats différents.
Les prénotions écartées, les préjugés pulvérisés et les illusions détruites,
ne risque-t-on pas de se trouver« désenchanté» comme dirait Weber,
devant un travail aride et peu stimulant. Certes pas si l'on a le goût de la
recherche, ou plus exactement la passion. Il est un moment caractéris-
tique de celle-ci, c'est celui où, conscient d'avoir mené à bien le« ramo-
nage 1 » de son esprit, on éprouve non un sentiment de découragement,
mais au contraire d'exaltation et presque de sécurité. Tout en restant vigi-
lant, on se sent sur la bonne voie, délivré des fausses évidences, prêt à une
autre forme de vision, prêt à trouver, à comprendre.

§ 2. Précisions de terminologie
433 1 ° Recherches et enquêtes ◊ Toutes les recherches ont ceci de
commun : elles obligent à poser des questions, à émettre des hypothèses,
à recueillir des informations et des réponses. On peut dire que toutes les
techniques des sciences sociales sont en quelque sorte des techniques de
question.
Le mot de recherche est employé dans un sens très général et peut s'ap-
pliquer à tous les types de problèmes, en sciences sociales comme en
sciences naturelles ou physiques. Bien que le qualificatif « scientifique »
ne soit pas toujours spécifié, il n'en demeure pas moins implicite. De ce
fait, la recherche implique une exigence générale de rigueur, mais dégagée
de toute indication technique, de toute notion de moyens. Elle recouvre
la notion d'expérimentation aussi bien que celle d'observation et on l'uti-
lise parfois comme synonyme d'enquête.
L'enquête,elle, revêt un sens plus restreint, plus technique et limité aux
sciences humaines, car par son étymologie même, elle comporte la quête
d'informationsorales.Elle implique la corrélation d'éléments contrôlés et
s'applique plutôt à l'observation, l'analyse, l'explication qu'à l'expéri-
mentation. On pourrait considérer la recherche comme plus orientée
vers la théorie ou recherche fondamentale, alors que l'enquête concerne-
rait davantage la collecte des faits. L'enquête au sens scientifique,
implique un effort pour quantifier les informations recueillies. Créant en
général ses propres documents, elle doit donc prévoir comment elle les
obtiendra. En dehors de l'objectif même de la recherche, de l'hypothèse
émise, elle suppose un problème de conception: comment transcrire l'idée
de départ en termes susceptibles de quantification ? L'enquête, le plus
souvent, cherche à découvrir la distribution ou la répartitionde ce que
l'on appelle desvariables,c'est-à-dire les facteurs qui influencent les résul-
tats, par exemple en ce qui concerne le vote: l'âge, le sexe, la profession;
ou les variablesindépendantesen relation avec une variable déterminée,
dite dépendante(dans une enquête sur l'attitude des Français vis-à-vis du
1. Expression utilisée par Anna O; la malade à l'origine de la psychanalyse.
PRÉCISIONSDE TERMINOLOGIE 493

contrôle des naissances, on cherchera quels sont les facteurs d'influence :


religion, instruction, etc.) ou enfin, les relationsentre deux variables.Le
terme enquête s'utilise aussi dans un sens large, même lorsqu'il s'agit
d'une analyse ou d'une description dont les résultats ne sont pas quanti-
fiés : un gouvernement recueille des informations, pour savoir si les
citoyens sont d'accord avec sa politique ; une entreprise veut connaître les
réactions de sa clientèle à tel nouveau produit.
Faute d'autres termes (nous n'avons pas l'équivalent du « socialsur-
vey» anglo-saxon), on a tendance à employer parfois indifféremment
étude ou enquête. L'enquête conserve de son origine un élémentoral: « la
question», qui lui est propre et que l'étude ne comporte pas obligatoire-
ment. Dans le domaine du vocabulaire, il faut aussi tenir compte du fait
que le langage courant et surtout journalistique, utilise facilement les
termes d'enquête et d'interview à propos de procédés qui n'ont rien de
scientifique, alors que dans le vocabulaire des sciences sociales, l'enquête
et l'interview correspondent à des techniques rigoureuses.
434 2° La notion d'observation directe ◊ Certains auteurs considèrent
l'observation directe comme une catégorie majeure regroupant, à l'excep-
tion des études de documents, la plupart des techniques des sciences
sociales1.D'autres, sans lui donner cette importance, utilisent ce terme à
propos des interviews. La juxtaposition des termes « observation » et
«directe» nous paraît contenir le maximum d'ambiguïtés. En effet,
toutes les techniques des rapports individuels permettent d'observer
directement l'individu que l'on a pour mission d'interroger ou de tester.
Ceci ne signifie pas que ces techniques permettent une observation
directe de l'objectifqu'elles visent, de l'information qu'elles cherchent. Les
tests projectifs permettent une observation directe de la personne, mais la
technique elle-même, par définition, est indirecte puisqu'elle interprète
les réponses du sujet Il faut bien tenir compte de cette distinction capi-
tale entre le fait d'avoir sous les yeux l'individu dont on attend des infor-
mations, et la possibilité pour une technique de saisir directement les
faits à interpréter.
L'interview constitue certes plus qu'un document écrit, une approche
directede la personne, mais ne constitue généralement pas une approche
plus directe du problème.Dans les interviews thérapeutiques, l'individu, sa
personnalité, constituent l'objectif, LE sujet même de l'enquête. Dans ce
cas, l'observation de l'individu durant l'entretien constitue bien, comme
nous l'avons dit, une observation directe. Hormis ces cas particuliers, le
plus souvent l'objectif de l'enquête ne porte pas sur le comportement de
l'individu pendant l'entretien, mais vise à obtenir des enquêtés, par le
moyen de l'interview, des informations concernant des événements pré-
sents ou passés ou des opinions. Il s'agit dans la plupart des cas, de récits
ou de renseignements saisis au niveau verbal, racontés au lieu d'être
écrits, mais qui n'en demeurent pas moins indirects, puisqu'on ne peut
observer directement les faits. L'interview, contrairement à ce que l'on
1. G. Granai (1960, B.159bis).
494 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSifICATIONS

répète généralement, nous paraît un instrument adapté à la quête de


matériaux ne relevant justement pas de l'observation directe.
En revanche l'observation d'un groupe en train de travailler, de
prendre une décision ou de se disputer, nous paraît le type même de l' ob-
servation directe.
La notion d'observation directe ou indirecte ne paraît pas une caracté-
ristique apte à classer les techniques de façon satisfaisante, d'après le type
d'observations qu'elles permettent. Elle convient au contraire fort bien
pour qualifier, non une façon d'observer, mais une façon de procéder
pour obtenir des informations, c'est-à-dire une méthode que chaque
technique peut adopter. Ceci s'applique à l'interview, car il existe, nous le
verrons, une façon directe et une façon indirecte de procéder à l'entre-
tien, de poser les questions et d'interpréter les réponses. De la même
façon, un test projectif représente une façon indirecte d'obtenir une
information sur la personnalité du sujet, alors qu'un test de réussite
donne directement l'information sur l'aptitude du sujet, sans recourir à
une interprétation.
435 3° Les notions d'intensif et d'extensif◊ Le terme extensif est uti-
lisé couramment dans les techniques des sciences sociales, en particulier
lorsqu'il s'agit d'entretiens conduits dans le cadre d'un sondage d'opi-
nion.
M. Duverger (1961) utilise ces deux qualificatifs pour classer les différentes
techniques. Il distingue l'observation directe extensive comprenant les interviews
et l'observation directe intensive, groupant également les interviews, puis les tests,
les mesures d'attitude et l'observation-participation. Cette classification nous
paraît peu satisfaisante et l'usage des deux termes mériter quelques com-
mentaires.
Si nous nous reportons à la définition des mots extensif et intensif, nous trou-
vons : culture intensive,qui accumule le travail et le capital sur un terrain relative-
ment restreint ; culture extensivequi exige peu de frais pour un terrain étendu.
Les deux termes ne s'appliquent pas à des éléments isolés : une ques-
tion ou un test, pas plus qu'un coup de bêche, ne sont en eux-mêmes
intensifs ou extensifs. Ensuite ils ne s'appliquent pas à certaines tech-
niques seulement, car toutes peuvent être utilisées de façon intensive ou
extensive. En effet ces termes caractérisent avant tout un ensemblede
démarches,une somme de moyens mis en œuvre en fonction d'objectifs à
atteindre, bref, ici encore, une méthode générale et non pas telle tech-
nique particulière. Dans ce sens on dira qu'une enquête est extensive, si
on la mène par des procédés couvrant une vaste population dans un large
secteur, ou intensive, si des moyens répétés et divers s'accumulent sur un
domaine restreint et une population réduite.
Ces deux termes qualifient donc un rapportinversementproportionnel
entre la quantitéde moyensmis en œuvreet l'étenduede la surfaceétudiée.
Dans la mesure où une batterie de tests, ou de questions, s'eparpille sur
un grand nombre d'individus, sur un grand nombre de problèmes, ou au
contraire vise peu d'individus, cerne un domaine délimité mais que l'on
veut approfondir, la technique sera extensive ou intensive.
PRÉCISIONS DE TERMINOLOGIE 495

436 Intensif ou profond? ◊ La notion d'intensif conceme-t-elle le


niveau du domaine à explorer, la quantité des questions posées, ou le
nombre d'individus sur lesquels porte l'exploration? Implique-t-elle
l'idée de profondeur ou d'exhaustivité? Il semble bien que l'emploi du
terme intensif prête ici à confusion.
M. Duverger remarque à propos de l'observation intensive:« Ble est beaucoup
moins étendue, mais elle est en général plus poussée et plus profonde, d'où son
nom 1.»
En fait, on a dans la pratique, insensiblement glissé d'intensif à
intense, puis à profond.
Sans doute n'utilise-t-on pas les techniques de façon extensive pour
atteindre des informations en profondeur, mais la méthode intensive,
bien que mieux adaptée à ce type d'objectif, ne détermine pas obligatoire-
ment un niveau déterminé. Il est donc préférable, pour éviter toute ambi-
guïté, de s'en tenir le plus possible au sens propre du terme intensif, c'est-
à-dire le rapport entre la multiplicité des moyens employés et le domaine
à étudier. La notion d'intensif ainsi conçue s'applique à la méthode de
recherche. Elle est liée au but poursuivi, qui paraît bien l'exhaustivitéde
l'information concernant un nombre réduit d'individus et un secteur
déterminé de recherches.
La notion de profondeur peut ou non intervenir. Elle ne caractérise pas
la méthode, elle qualifie le résultat: un objectif qui peut ou non être
poursuivi. Intensif qualifie les moyens employés,profondsitue le niveau de
l'information obtenue ou cherchée.
Un entretien en profondeur, conduit suivant la méthode non directive, dans
lequel on ne met pas en œuvre de nombreux moyens, n'est a priorini extensif ni
intensif. Ces qualificatifs ne le concernent pas. Il deviendra intensif si les entre-
tiens se multiplient, car le facteur temps implique une augmentation des moyens
utilisés. La notion de profondeur, est beaucoup trop fluide pour être abordée
autrement que par référence à la notion très imprécise de niveau. Ble se conçoit
seulement sur un continuum de plus ou de moins, sur lequel il est difficile de
situer les techniques.
Ici encore, il s'agit d'une dimension qui ne caractérise pas certaines
techniques par rapport à d'autres car interviews, tests, enquêtes sur le ter-
rain, toutes les techniques peuvent opérer de façon plus ou moins pro-
fonde, et plus ou moins intensive. C'est à l'intérieur de chacune d'elles
que la notion présente le plus d'intérêt: un entretien en profondeur n'est
pas mené comme un entretien superficiel2 .
437 Extensif ou extensible? ◊ Si le terme intensif a évolué, le terme
extensif a, de son côté, subi une déviation analogue. Appliqué à la tech-
nique de l'interview en vue de sondages, il semble souvent employé dans
le sens d'extensible.Dans ce cas, non seulement il n'est plus opposé à
intensif, profond, exhaustif, mais, fait plus grave, il ne s'applique plus ni
1. Op. dt., p. 250.
2. Cf. n°' 635 et s.
496 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSifICATIONS

à la méthode, ni à l'observation elle-même, mais bien aux résultats de


celle-ci. La méthode soi-disant extensive devient celle dont les résultats
obtenus sur l'échantillon sont extensibles à toute la population représen-
tée. Dans ce cas, c'est l'échantillonnage, le calcul des probabilités, qui
permettent l'extension, la généralisation, ce n'est pas la méthode ou la
technique d'observation elle-même. En nous éloignant du sens propre de
la notion d'extensif: moyens nombreux mis en œuvre sur un large sec-
teur, nous risquons la plus grande confusion. Sil' on ne se méfie pas de la
façon dont les termes extensif et intensif sont utilisés, on s'aperçoit que
finalement, ils ne représentent plus des qualificatifs opposés sur une
même dimension concernant un même sujet, mais qu'ils s'appliquent
chacun de leur côté, tantôt à la méthode, tantôt à la technique, à tel
moyen ou à tel autre, enfin aux résultats obtenus.
En conclusion, nous insistons sur le fait que les notions que nous
venons de voir peuvent s'appliquer à chaque technique. Chacune peut,
plus ou moins facilement, être utilisée de façon directe ou indirecte,
extensive ou intensive, viser des informations profondes ou superficielles.
Dans tous les cas, il ne s'agit jamais de caractéristiques propres à cer-
taines techniques, permettant de les classer, mais d'une façon d'utiliser
l'instrument de recherche, c'est-à-dire d'une méthode, d'une stratégie,
d'un état d'esprit inspirant, adaptant, suivant les cas, telle ou telle tech-
nique au but poursuivi.

§ 3. Tentatives de classification
des techniques des sciences sociales
438 1 ° Classification d'après les domaines de recherche ◊ La réalité
complexe et mouvante des sciences humaines exige des classifications
souples. Classer consiste à séparer et assembler des éléments suivant leurs
caractéristiques différentes ou communes. I.e critère de distinction est
d'autant moins contestable qu'il correspond à une qualité essentielle, une
différence ou une similitude réelle et profonde. Il est d'autant plus diffi-
cile à découvrir que les éléments à classer offrent un plus grand nombre
de différences ou de similitudes qui se chevauchent.
Si nous essayons de classer les sujets de recherche,nous pouvons dire
que la liste en est infinie, les problèmes soulevés par la vie en société étant
innombrables : santé, jeunesse, industrie, etc. On aboutit ainsi à un cata-
logue de matières non exhaustif et qui ne correspond pas à des dif-
férences dans les techniques utilisées.
439 2° Classification d'après la nature des problèmes étudiés ◊ On
peut essayer de classer les enquêtes d'après la nature de leur objectif, le
proce§SUSqu'elles étudient :
- Etudesd'opinion: opinion des Français vis-à-vis de l'O.N.U., opinion
des parents d'élèves de tel lycée sur les méthodes actives, opinion d'un
maire de telle commune sur le projet de disparition de son village sous les
eaux.
TENTATIVES DE CLASSIFICATION DES TECHNIQUES DES SCIENCES SOCIALES 497

- Étudesd'attitudes:celle des militants communistes vis-à-vis de l'Eu-


rope, ~descatholiques de telle paroisse, vis-à-vis de l'enseignement privé.
- Etudes d'aptitudes: reconversion de ruraux à l'industrie dans tel
département, aptitude des enfants de tel groupe sportif pour le judo.
- Etudesde processusou de comportements:évolution des revenus de
1900 à 1960 dans tel pays, évolution du parti socialiste, évolution de tel
village récemment industrialisé, comportement du gang de jeunes de tel
quartter.
- Etudesd'influence: moral de tel atelier suivant le type de commande-
menti, influence du cinéma sur les jeunes.
- Etudesde structuressodales:La sélection dans tel système d'enseigne-
ment, la mobilité sociale, ou l'évolution du capitalisme.
Cette classification, malgré les distinctions utiles qu'elle permet et le
début de conceptualisation qu'elle implique, n'est pas encore satis-
faisante, car les catégories : opinions, attitudes, etc., regroupent en fait
des problèmes qui ne se situent pas aux mêmes niveaux et utilisent donc
des techniques différentes. L'opinion des Français vis-à-vis de l'O.N.U. et
celle d'un maire, ne représentent pas des« univers» comparables.
Cette dernière critique nous amène cependant à remarquer dans notre
liste certaines caractéristiques, qui semblent s'opposer à l'intérieur des
catégories et pourraient nous mettre sur la voie de divisions plus satis-
faisantes. Ce sont:
- Le degréd'extensionde l'enquête: opinion générale des Français ou
opinion individuelle du maire, opinion des militants communistes ou des
parents d'élèves de tel lycée.
- Le degrédeprofondeur: analyse superficielle de l'opinion des Français
devant l'O.N.U. ou approfondie, du moral de tel atelier.
- Le degréde précision: l'évolution du parti socialiste donnera des
résultats moins faciles à chiffrer que celle des revenus de tel groupe.
- L'aspectplus ou moins direct:certains événements sont racontés, tan-
dis que l'observation d'un atelier, ou la monographie d'un village,
peuvent faire saisir les problèmes sur le vif.
Il s'agit bien ici de différences réelles entre les enquêtes, mais précision,
étendue ou profondeur ne sont pas des caractéristiques propres à l'une ou
l'autre technique. Ce sont des qualités liées au but même de chaque
recherche, à son objectif, lequel les imposent à l'une ou l'autre technique
utilisée.
Il semble difficile de distinguer les recherches, suivant les thèmes et
objectifs. On peut alors se demander si une classification ne serait pas
plus efficace au niveau des techniques employées.
440 3° Essai de classi1zcation par les techniques ◊ On ne peut utiliser
les mêmes techniques, pour atteindre des objectifs différents. Une
réflexion sur des processus sociaux, Ia recherche d'un facteur explicatif,
amenant la découverte d'un nouveau concept comme l'anomie (cf.
Durkheim) n'ont que partiellement recours à des techniques par ques-
tions orales, et s'appuient avant tout sur des documents. Ce sont donc les
techniques d'analyse de documents qui seront employées et l'instrument
le plus indispensable sera la réflexion.
498 MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CLASSifICATIONS

En revanche une enquête sur l'opinion d'un grand nombre d'individus


procédera par interviews sur un échantillon obtenu par sondage dont les
résultats seront étendus à la population. Les techniques s'adaptent aux
objectifs à atteindre et aux données à recueillir. Une première distinction
apparaît, c'est celle qui distingue les techniquesdocumentaireset les tech-
niquesque nous appellerons vivantes.
Les techniquesdocumentairessont utilisées comme leur nom l'indique,
pour l'analyse de documents : statistiques générales ( cf. l'étude sur la
mobilité sociale ou le suicide), journaux et documents personnels (presse
syndicale, correspondance, enregistrements, etc.). Les techniquesvivantes,
comprennent deux grands moyens de recherche : l'interrogation et l' ob-
servation.
441 Techniques de rapports individuels et techniques de
groupe ◊ En fonction de cette constatation, nous pouvons distinguer
deux grands groupes de techniques vivantes mis au service de la
recherche:
- les techniques individuelles,celles qui sont appliquées à des individus
dans un rapport enquêteur-enquêté plus ou moins complexe et qui
consistent d'une façon ou d'une autre, au sens large, à interroger;
- les techniques de groupes,qui ont pour but d'observerles individus
agissant et réagissant les uns avec les autres dans un groupe.
Avant d'aborder l'étude des diverses techniques de rapports individuels
et d'observation de groupes, notons que :
1° Les techniquesde rapportsindividuelspeuvent s'appliquer:
- soit à des individus en tant que tels : interview du premier homme
dans l'espace;
- soit à des individus en tant que membresd'un groupe: interview du
leader d'un gang de jeunes;
- soit à des individus désignéspar sondages,en tant que représentants
d'une population plus étendue: opinion des Français sur la régle-
mentation de la vitesse sur les autoroutes.
2° Les recherchesvisant un groupe étudient ses comportements, elles
peuvent aussi, le groupe étant formé d'individus les étudier à part, grâce à
des techniques individuelles. En revanche l'individu isolé n'étant pas
dans une situation de groupe, ne peut être appréhendé par des techniques
de groupe.
Les problèmes individuels peuvent s'exprimer dans le groupe et l'in-
fluencer alors que les problèmes de groupe peuvent sans doute être
racontés par un individu mais non s'observer directement autrement que
face au groupe.

442 Bibliographie ◊

*BouRDrrn(P.) et al. 1968. - Le métier de sociologue(B. 159 bis).


DUVERGER (M.) 1961. - Méthodesdes SciencesSociales,P.U.F.coll. Themis,
503 p.
TENTATIVES DE CLASSIFICATION DES TECHNIQUES DES SCIENCES SOCIALES 499

*FREEMAN (L.), FERERO (T.), BLOOMBERG(W.), SuNSHINE (M.) 1963. - Trad.


19 75, Recherche desleadersdansdescollectivitéslocales: comparaisondes
différentesapprochestrad. in P. Birnbaum et F. Chazel, Sociologiepoli-
tique, Seuil, pp. 234-247.
GRANAI (G.) 1960. - Lestechniquesde l'enquêtesodologique,in Gurvitch, in
Traité, tome I, pp. 134-151.
GRAwrrz(Madeleine) 1960. - « La psychologie des candidats», in: Le
référendum de septembre et les élections de novembre 1958, Cahiersde
la Fond.Nat. de Sc.Pol., n° 109, pp. 195-217.
- 1971. - « La psychologie des candidats aux élections de 1967 », in
Annalesde la Facultéde Droit de Lyon, pp. 9-66.
*KAPLAN (A.) 1964. - Theconductof inquiry (B. 13).
*KArz(E.) 19 57. - « The two-step f1owof communication : an up-to-date
report on an hypothesis », P.O.Q., vol. XXI,pp. 61-78.
**MII1.s(C. W.) 1959. - Trad. 1967, L'imagination sociologique, Maspero,
240 p.
SOROKIN (P.) 1928. - Trad. 1938, Théoriessociologiquescontemporaines,
Payot, 552 p.
500 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

CHAPITRE2
QUE CHERCHE-T-ON
ET COMMENT?

SECTION1. QUE CHERCHE-T-ON


OU LE CHOIX DE L'OBJET D'ÉTUDE
443 Différents domaines de recherche ◊ Dans une recherche, la nature
même des informations qu'il convient de recueillir pour atteindre l'ob-
jectif, commande les moyens employés pour le faire. On ne chasse pas les
papillons avec des hameçons, en admettant que l'on puisse attraper, par-
fois, des poissons avec un filet à papillons. Il est donc indispensable d'ap-
proprier l'outil à la recherche. L'objectif à atteindre détermine, avons-
nous dit, le choix de la technique et en même temps décide de la popula-
tion à observer. Il s'agit maintenant de savoir ce que l'on peut atteindre
grâce aux techniques : techniques individuelles et techniques de groupe et
dans quel cas il vaut mieux employer les unes ou les autres ?
Les recherches en sciences sociales sont orientées vers ce que l'homme
pense, éprouve, croit, redoute, espère, ce à quoi il aspire, comment il se
considère, agit et réagit, ce dont il se croit capable, c'est-à-dire en bref ses
opinions et ses attitudes, ses motivations, ses aptitudes et sa personnalité.
Comment peut-on les découvrir? L'individu peut être interrogé, il peut
aussi être observé. Les techniques de rapports individuels sont à base de
communications verbales le plus souvent orales. Mais l'individu qui
pense, redoute, croit, espère, ne vit pas en vase clos. On peut certes l'in-
terroger et comprendre ce qu'il est, à travers ce qu'il dit, mais ceci ne sau-
rait suffire. Il faut, pour compléter ce que l'on apprend des individus par
ce qu'ils expriment en paroles, non seulement en observer quelques-uns,
mais surtout les regardervivre. Cela signifie les saisir, non en tant qu'indi-
vidus isolés, mais comme membres de groupes, afin de voir jouer les
mécanismes d'interaction entre eux et leurs semblables. C'est ce que font
les techniques d'observation de groupe.
Enfin ces hommes appartiennent à une époque, à une culture, à une
nationalité, à une classe sociale. Ils travaillent, produisent, votent. Tous
ces facteurs les influencent Mais par un jeu d'interactions complexes, ce
que chacun subit, redoute, espère, donne un total différent, autre chose
que la somme des réactions individuelles. Lejeu de ces facteurs, leur orga-
nisation et leur pondération relèvent de l'étude des groupements larges.
Les techniques doivent donc s'adapter aux niveaux différents de la
recherche; celui de l'individu, celui des divers groupesauxquels il appar-
tient, enfin celui des faits sodaux, produit de l'action des hommes, qui à
leur tour les déterminent
LESINDIVIDUS 501

Nous présentons maintenant les questions qui peuvent se poser, ce


que l'on cherche (section 1), quelles techniques permettent de trouver
des réponses: comment on cherche (section 2), auprès de qui l'on
cherche ou la détermination de la population (section 3). Il s'agit là d'un
cadre général, nous aborderons dans les chapitres suivants l'étude des
diverses techniques citées.

1. Les individus
SOUS-SECTION
1
§ 1. La personnalité
444 Intérêt des problèmes de personnalité ◊ L'étude de la personnalité
à 451 relève d'abord de la psychologie générale, mais s'il est nécessaire de lui
consacrer ici quelques pages, c'est parce que toute personnalité est en
interaction avec son milieu. A ce double point de vue, la notion de per-
sonnalité n'intéresse pas seulement la psychologie sociale mais les autres
sciences sociales telles que l'histoire, les sciences criminelles, l'anthropo-
logie, la géographie humaine, la science économique, la science politique,
le droit, etc.
En dehors de l'intérêt de l'étude individuelle et psychologiquede personnalités
ayant joué un rôle historique et politique : Bakounine, Hitler ou de Gaulle, l'on
peut s'interroger sur l'importance de types de personnalités, plus ou moins répan-
dus, prédisposant à des réactions particulières, qui sous certaines conditions
pèsent lourdement sur le destin collectif. On a découvert que certains traits parti-
culiers prédisposaient les individus qui les possédaient à devenir, dans des cir-
constances déterminées, plus facilement fascistes que d'autres 2 •
L'anthropologie et l'ethnologie ont fait prendre conscience de la part
d'adaptation que les cultures imposent à tous et de la façon dont elles
sélectionnent les plus aptes à s'incorporer à leur système. C'est ainsi que
dans certaines tribus, les individus névrotiques s'intègrent à la société,
grâce à la tolérance de celle-ci pour l'originalité de leur comportement,
alors que dans notre civilisation technique et rationnelle, ils deviennent
des inadaptés avec toutes les conséquences que cela implique. La notion
de personnalité est donc liée à chaque individu et à chaque culture, mais
elle apparaît spécifiquement occidentale dans sa conception, dans l'inté-
rêt porté à la personne en tant que telle et à l'ensemble de son équilibre
psychosomatique.
L'Orient ne s'intéresse pas à ce problème et les primitifs ne voient pas de lien
entre le corps et l'âme. Un vieux Canaque disait à un Occidental:« Ce que vous
nous avez apporté c'est le corps... » Qui l'eût cru de l'Occident chrétien 1
Parmi tous les aspects que comportent les théories de la personnalité,
ceux qui nous intéressent le plus ici ont trait aux attitudes et opinions. Si
l'on veut atteindre, au-delà du simple problème des sondages d'opinions,
1. Cf. n° 190 supra.
2. Cf. Adorno et al. (1950).
502 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

le niveau de l'explication des attitudes, on doit faire appel à la notion de


personnalité,représentant la part de l'individu dans cette interaction avec
son milieu.
Un certain nombre de problèmes étudiés par la psychologie moderne
intéressent indirectement toutes les sciences sociales. Ce sont en parti-
culier ceux qui ont trait au rôle des besoinsde l'individu comme explica-
tion des attitudes et opinions, au rôle des motivationsconsdenteset
inconscientes,aux facteurs d'apprentissage dans la formation des atti-
tudes, enfin aux problèmes de structure de la personnalité, de son carac-
tère total, organisé et hiérarchisé, de la façon dont elle s'intègre dans la
société, en adoptant un statut et en jouant des rôles.

§ 2. Opinions et attitudes
452 Importance de la notion ◊ La psychologie sociale considère l'étude
des opinions et des attitudes comme relevant plus particulièrement de
son domaine. Mais toutes les sciences sociales sont amenées à les étudier.
Les économistes font souvent état de l'attitude du consommateur et ne
peuvent ignorer la propension à consommer, les ethnologues observent la
variété des attitudes possibles devant les mêmes événements de la vie des
hommes : naissance, mort, etc. La science politique étudie, après les opi-
nions politiques 1, les attitudes politiques et le secteur encore si mal
connu de la psychologie politique 3 .
L'intérêt porté aux études d'attitudes depuis trente ans, aux États-Unis, peut
s'expliquer, en dehors de leur importance réelle, par le fait qu'elles flattent les ten-
dances des sciences sociales américaines. D'abord le goût de la mesure et de la
quantification, ensuite la possibilité d'aboutir à des explications d'où découleront
des conseils, concernant le mécanisme des changements d'attitude et d'opinion,
ou en tout cas la possibilité de les prévoir, peut-être de les orienter. Enfin, ces
études sont liées à la philosophie americaine de la libre concurrence. Au milieu du
champ de forces de la vie, les tendances des individus, leurs opinions, l'énergie
qu'ils sont prêts à déployer pour telle ou telle cause, représentent des éléments
importants. C'est la part psychologique dans le bilan de la situation. Elle corres-
pond au souci de notre époque, de faire le point pour organiser l'avenir.
453 1° Définition de l'attitude ◊ Le terme attitude recouvre des notions
très diverses.
W.I. Thomas et F. Znaniecki (1918) qui ont contribué à renouveler l'intérêt
pour cette notion, considéraient comme attitude toute manifestation de la vie
consciente, simple ou complexe, générale ou particulière. Celle-ci pouvait alors
recouvrir les jugements, idées, sentiments, tout et n'importe quoi. D'où la néces-
sité de définir le concept d'attitude.
Toutes les définitions insistent sur un point: l'attitude implique un
état dans lequel l'individuest prêt à répondred'une certainemanièreà une
certainestimulation.
1. A. Sauvy (1956), L'opinion publique (1957).
2. J. Meynaud, A. Lancelot (1962, B.239).
3. M. Grawitz (1985).
LESINDIVIDUS 503

Celui qui a une attitude hostile envers les chats rejettera d'un coup de pied
l'animal qui se frottera contre sa jambe pendant qu'il lit le journal et renversera la
chaise sur laquelle il le trouvera installé. Autrement dit, dès qu'interviendra le sti-
mulus chat... la réaction agressive sera déclenchée. G. Allport donne de l'attitude
la définition suivante : « C'est un état mental et neurophysiologique constitué par
l'expérience, qui exerce une influence dynamique sur l'individu, le préparant à
réagir d'une manière particulière à un certain nombre d'objets et de situations 1.»

454 2° Caractéristiques de l'attitude 2 ◊ L'attitude ne constituepas une


réactionisolée,mais un type de réactions qui se déclenchera dans un cer-
tain nombre d'occasions semblables. L'attitude implique la virtualité, la
possibilité de réponses du même ordre vis-à-vis d'un même genre d'ob-
jets.
Lorsque dans le langage courant on dit de quelqu'un qui a quitté la pièce en
claquant la porte: « il a eu une attitude inqualifiable... », on n'utilise pas le
concept d'attitude de façon rigoureuse. Pour qu'il y ait attitude, au sens propre du
terme, il faut qu'en d'autres occasions le même individu rencontrant le même
genre d'obstacles, se livre au même type de manifestation: casser la vaisselle, cla-
quer la porte, etc.
Ensuite l'attitude implique un pôle conduite,puisqu'elle se traduit par
des comportements et un pôle caractérisation, ou prise de position vis-à-
vis de l'objet Avoir une attitude vis-à-vis de quelque chose, c'est donner
un sens à ce quelque chose, le percevoir plus ou moins hostile ou sympa-
thique. L'attitude suppose donc toujours une relationavecun objet: objet
matériel, institution, valeur, peu importe. Une attitude ne peut exister
que par rapport à quelque chose ou à quelqu'un : ami ou ennemi, pein-
ture moderne, démocratie, alcoolisme. Elle n'existe pas en elle-même.
Cette relation comporte à la fois un aspect individuel,psychologique et un
aspect social ou sociologique, dans lequel interviennent les influences
extérieures. Enfin l'attitude n'estpas innée,elleest construiteà partir de la
perceptionde l'objeten cause.Cette perception peut être directe: le mon-
sieur qui n'aime pas les chats, ou mentale: attitude d'hostilité vis-à-vis
du fascisme.
4 5 5 3° Distinctions. a) Attitude et personnalité ◊ Deux caractéris-
tiques de l'attitude : pôle individuel ou sociologique, élément construit,
distinguent l'attitude de la personnalité. Celle-ci ne comporte qu'un pôle
individuel, psychologique et elle existe en elle-même. Quelle que soit la
vie d'un individu, la façon dont il a réagi à l'expérience, les facteurs, les
traits qui composent sa personnalité lui ont été donnés au départ L'atti-
tude, au contraire, ne se construit qu'en face de quelque chose et à travers
l'expérience. Ceci implique dans l'attitude un pôle plastique, évolutif,
susceptible de changement, mais aussi une possibilité d'éléments figés,
stabilisés, qui constituent les préjugés ou stéréotypes. La formation des
1. G. W. Allport (1937 et 1968).
2. G. Festinger, D. Katz (1959, B.198), Les attitudes (1961), S. Moscovici (1962), J. Stoetzel
(1963), R. Daval et al. (1963), R.Thomas, D. Alaphilippe (1983).
504 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

attitudes soulève naturellement des problèmes concernant leur fonction,


ensuite le milieu et les influences qui les favorisent, leur possibilité de
modification, ce que l'on appelle l'apprentissageet le conditionnement.
4 5 6 b) Opinion et attitude ◊ Diverses caractéristiques permettent de dis-
tinguer l'attitude de l'opinion:
L'opinion peut être isolée, accidentelle, alors que l'attitude est reliée à
quelque chose de stable dans l'individu. L'opinion s'exprime verbalement,
alors que l'attitude implique un élément plus intérieur et en même temps
une possibilité d'expression plus variée que la parole: gestes, mimiques.
Enfin, l'opinion vise un sujet controversé, elle se situe à un niveau plus
rationnel. Cependant de nombreux auteurs emploient parfois indif-
féremment opinion et attitude, car en fait, c'est le plus souvent au niveau
verbal, par le truchement de l'opinion, que l'on atteint l'attitude.
457 Le schéma d'Eysenck 1 ◊ Le professeur H.J.Eysenck (1954) propose
le schéma suivant pour symboliser la structure des attitudes et des opi-
nions. D'abord les opinions isolées, accidentelles, qui ne sont nullement
caractéristiques de l'individu (niveau I). Untel s'exprime aujourd'hui de
cette façon, mais au fond, dans d'autres circonstances, il est susceptible
de soutenir un point de vue différent Au stade suivant, nous trouvons
des opinions relativement constantes chez un individu, ce sont ses opi-
nions stables (niveau II). Ensuite, à un niveau plus profond, nous décou-
vrons les attitudes (niveau III), par exemple l'attitude raciste. Il ne s'agit
pas ici de l'expression d'une opinion isolée, particulière, mais d'un
ensemble d'opinions non seulement stables, mais encore liées entre elles
et dont l'ensemble compose l'attitude raciste.
Enfin, nous pouvons ajouter, en franchissant encore une étape en pro-
fondeur, que les attitudes elles-mêmes sont interdépendantes. Ceux qui
adoptent une attitude antisémite ou raciste, ont de grandes chances
d'adopter aussi une attitude intransigeante en ce qui concerne la néces-
sité de la discipline, le respect de l'autorité dans l'éducation des enfants et
les conceptions politiques, sociales et religieuses. Ces diverses attitudes
forment alors un ensemble plus ou moins coordonné et correspondent à
ce que Eysenck appelle une idéologie, on pourrait aussi bien dire à un
type, en l'occurrence : au type conservateur.
Pour obtenir des données relevant de chacun de ces trois niveaux, le
chercheur utilise des techniques d'observation différentes.
458 4° A quoi servent les attitudes? ◊ L'énergie intérieure qui inspire et
déclenche l'attitude, est provoquée par un but, un besoin de l'individu.
Nous pouvons dire que les attitudes se forment en réponse à des pro-
blèmes. Au cours de notre vie, nous rencontrons quantité d'objets et de
situations différentes, or, nous ne disposons, à l'origine, que d'un
nombre limité de réponses. Celles-ci se classent le plus souvent en appro-
bation, fuite ou désapprobation ... Les attitudes constituent les cadres per-
1. Cf. p. 575.
LESINDIVIDUS 505

mettant de répondre à des problèmes nombreux par des conduites peu


nombreuses. Dans l'apprentissage de la vie, l'enfant apprend à différender
et à assimiler.L'un et l'autre représentent une économie, mais alors que
l'un suppose une analyse des différences, le deuxième implique surtout la
négation de la découverte. Ce qui est inconnu nous inquiète, risque de
remettre en cause nos classifications. Il est plus simple de l'assimiler au
déjà connu, pour pouvoir le ranger dans une catégorie habituelle. Donc,
nos attitudes nous permettent d'organiser nos connaissances et nos
besoins, car elles sont à la fois de nature affective: on aime ou pas et
cognitive: elles nous permettent d'apprécier les objets. Les fonctions
essentielles que remplissent les attitudes sont, d'après D. Katz (1960), les
suivantes.
459 a) Fonction d'ajustement ◊ L'individu tend à rechercher ce qui lui
est agréable ou le valorise et à fuir ce qui le diminue ou lui est désagréable.
Les attitudes se constitueront en tant que résultat d'expériences réussies,
comme moyens déjà employés de réponses à des situations.
L'attitude, comme l'opinion, ne relève pas seulement d'un processus
d'intégration personnelle, mais aussi de la prise en considération de l'opi-
nion des autres. La notion de « groupe de référence» 1, c'est-à-dire non
pas le groupe auquel appartient l'individu, mais celui auquel il voudrait
appartenir ou s'opposer, prend ici toute son importance. Ce n'est pas
l'influence du groupe qui nous intéresse ici, mais la fonction d'intégra-
tion au groupe que remplit l'attitude.
460 b) Fonction de défense ◊ Il s'agit de mécanismes de protection, que
l'individu a élaborés pour éviter de prendre conscience de ses propres fai-
blesses ou de la réalité extérieure, dans la mesure où elle le menace. Il
peut, soit ignorer ces deux réalités, soit les déformer. Les attitudes issues
de ce type de réaction naissent moins de l'objet ou stimulus lui-même,
que des conflits émotionnels de l'individu. On peut même dire que, faute
d'objet sur lequel projeter son attitude, l'individu s'en forgera un. C'est le
mécanisme de la « tête de turc» ou du « bouc émissaire». Le degré de
conscience des mécanismes de défense est très varié chez les individus et
peut aller d'une certaine lucidité à une inconscience totale.
461 c) Fonction d'expression ◊ Contrairement à ce qui précède, la fonc-
tion de certaines attitudes consiste à donner à l'individu un moyen d'ex-
primer, d'indiquer quelles sont ses valeurs, d'extérioriser le type de per-
sonnage qu'il souhaite représenter. Cette image de soi peut être une
source de satisfaction. Bien souvent, l'appartenance à un groupe permet
justement à l'individu de renforcer l'idée qu'il a de lui-même, à travers les
idéaux du groupe et l'idée que les autres membres peuvent avoir de lui.
462 d) Fonction de connaissance ou caractérisation ◊ Les attitudes
jouent en ce domaine un rôle d'économie. Elles préparent des cadres de
références pour comprendre le monde. Comprendre, signifie introduire
1. Cf. T. Newcomb (1947).
V1
niveau nr 0
0,.

Idéologie .0
~
type conservateur (')
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Respect de la discipli- 0
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la__hiérarchie
1
2
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n,·veau n.
opinions
habituelles

niveau I

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op1n1ons acci
dentelles
D'après Eysenck. - c Psychology of politics. ,
LESINDIVIDUS 507

des distinctions, des précisions, en même temps qu'une certaine forme


stable d'organisation. Elles permettent donc un classement, un tri, ou un
jugement, de nouvelles informations, en fonction d'attitudes ou opinions
anciennes.
Il est certes intéressant de se demander à quoi servent les attitudes et de
tenter de comprendre un mécanisme psycho-social aussi important, mais
cette recherche fondamentale n'est pas totalement désintéressée. En effet,
la compréhension des attitudes, de leur rôle, peut seule permettre d'abor-
der avec quelque chance de succès, les problèmes beaucoup plus pratiques
de la prévision des attitudes et de leurs possibilités de changement.
Si les attitudes, produits de la personnalité, supposent une certaine
organisation à l'intérieur de l'individu, une sorte de circuit à plusieurs
voyants, on peut se demander s'il existe des liaisons entre les circuits et
surtout des liaisons typiques, que l'on retrouverait fréquemment, assem-
blant les mêmes éléments. Si tel était le cas, la connaissance d'un élément
particulier, facteur ou trait, d'un type de réaction, d'une attitude, permet-
trait, au cas où il se manifesterait, de prévoir d'autres manifestations
semblables. L'élément de prédiction est l'un de ceux qui ont le plus
retenu l'attention des psychologues et sociologues. Cet élément suppose,
en plus de la connaissance des corrélations, une technique de mesure des
éléments dynamiques, c'est à cette recherche que s'appliquent les
mesures d'attitudes, les tests et l'analyse factorielle1.
463 5° L'expression des attitudes. Rôle et status o Les attitudes
comportent un pôle conduite (comportement), et un pôle caractérisation
(l'objet apparaît ceci ou cela), un pôle individuel, mais aussi un pôle
social.
Du fait de cette interaction entre l'individu et le milieu, les attitudes
s'organiseront en fonction de la personnalité de l'individu, de ses besoins,
de ses aspirations, de ce qu'il sent, de ce qu'il voudrait être 2 et à défaut
paraître, mais aussi de son expérience et de la façon dont le milieu social
le perçoit ou l'accepte. C'est ici qu'interviennent des notions qui, à
l'heure actuelle prennent de plus en plus d'importance et que les psycho-
logues ont empruntées récemment aux ethnologues : les notions de sta-
tus et de rôle.
464 Le status 3 o En psychologie sociale, le status désigne la situation ini-
tiale de l'individu telle qu'elle est fixée par la culture. Il est le résultat de
conditions sociales, géographiques, sur lesquelles il n'a pas de prise. Le
« status » selon R Linton (1947), est l'ensemble des droits et devoirs
d'un individu. Comme tel il détermine le rôle qui lui incombe, la fonc-
tion sociale qui lui est dévolue. Cette conception souligne l'aspect fonc-
tionnel et normatif du status. Linton distingue entre les status imposés,la
situation que l'individu trouve en naissant (sexe, caste, etc.), et les status
1. Cf. n° 743.
2. Notion de niveau d'aspiration.
3. On utilise le terme status pour éviter la confusion avec le statut au sens juridique.
508 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

acquis, dépendant au moins partiellement de l'initiative des individus


(profession, choix de groupes sociaux, etc.).
465 Le rôle ◊ La notion de rôle présente dans le langage courant un double
aspect:
- un aspect imaginaire qui indique une possibilité de s'identifier à un
personnage idéal ou au contraire de dissimuler sa personnalité ;
- un aspect fonctionnel,actif, en rapport avec une situation sociale : le
rôle de père, celui de professeur. Cet aspect se réfère à des normes sociales
et culturelles.
Le rôle est constitué par l'ensemble des conduites et attitudes considé-
rées comme normales par la société, ce qu'elle attend d'un sujet possé-
dant tel status, défini par l'âge, le sexe, la situation professionnelle, fami-
liale, politique. C'est en quelque sorte l'aspect actif, dynamique du status.
F.L.Bates (1956) propose de définir le rôle, non plus comme le corrélatif
dynamique du status, mais comme une part de celui-ci comportant elle-
même ses normes spécifiques de conduite. Ainsi le status de père de
famille comporte plusieurs rôles. Les sociologues ont reconnu que la mise
en présence de deux ou plusieurs individus déclenchait des mécanismes
de conduite en rapport avec leurs status et leurs rôles. J.-L.Moreno
(1953) a particulièrement étudié ces problèmes, et l'on a pu, à partir de
ses expériences, considérer cette notion sous trois aspects correspondant
à trois niveaux différents.
466 a) Niveau des rôles: niveau sociologique et collectif◊ La multi-
plicité des rôles que peut assumer un individu, au sein d'une culture,
témoigne de la complexité et du degré d'évolution de cette culture. Le
rôle, étant lié au status, est plus ou moins soumis aux modèles sociaux
qui régissent la société. Cet élément culturel et social est important car il
crée l'interdépendance des rôles.
467 Niveau interpersonnel ◊ Nous trouvons ici un deuxième niveau,
interpersonnel.Les rôles ne se conçoivent pas isolés, mais sont en général
fonction les uns des autres.
Au rôle du père ou du professeur, correspond le rôle du fils ou de l'étudiant.
Bates fait remarquer la réciprocité dyadique des rôles familiaux : Mr. Smith père
et mari, Mme Smith mère et épouse, Tom fils et frère, Mary fille et sœur. Tout
rôle met en contact avec des partenaires, ce qui soulève des problèmes d'ajuste-
ment mutuel et éventuellement des conflits et ceci nous amène au niveau indivi-
duel.

468 Niveau individuel ◊ Il exprime le rapport des rôles à chaque person-


nalité singulière. Sur ce plan s'imposent ici quelques remarques essen-
tielles. D'abord l'individu accepte ou non son rôle. Il s'y sent plus ou
moins à l'aise, il l'assume ou le fuit 1. Il peut aussi le jouer avec plus ou
1. C'est à travers le jeu, créateur d'une multitude de rôles, nous dit G. Mead, que l'enfant élabore
son «moi».
LESINDIVIDUS 509

moins de conviction ou de liberté, plus ou moins d'originalité par rapport


au modèle. Cette marge de liberté, de souplesse vis-à-vis du rôle choisi,
dépend des attitudes personnelles en fonction desquelles l'individu per-
çoit, subit et sélectionne ses modèles, c'est-à-dire en fonction de son his-
toire et des facteurs sociaux et biologiques qui le conditionnent.
La façon plus ou moins rigide de jouer le même rôle, d'apparaître tou-
jours comme le même personnage, peut provenir d'une cristallisation
d'un modèlesocial; par exemple, la garde de Buckingham joue un rôle
comportant le maximum de rigidité. Elle peut aussi provenir d'une ten-
dancepersonnellede l'individu à l'automatisme, ou encore d'une inapti-
tude à percevoir autrui et les exigences de la situation. Elle peut aussi
constituer une sorte de fuite. Tel individu veut éviter l'imprévu et l'insé-
curité, il redoute de s'adapter à des situations différentes, de chercher une
solution à chaque problème, il préfère des principes, une règle et des atti-
tudes cristallisées dans un rôle toujours semblable. Tel autre peut au
contraire trouver sa fuite dans une variété de rôles, lui donnant l'illusion
de la liberté.
469 b) Le rôle comme moyen d'intégration et d'adaptation o Nous
possédons plusieurs status: professionnel, familial, etc., aussi notre per-
sonnalité s'exprime-t-elle à travers une pluralité de rôles. Si l'on peut dire
que la façon dont un individu s'acquitte de ses divers rôles, mesure sa
capacité d'adaptation au milieu social, le degré d'intégration de ces rôles
est également le signe de la cohésion de sa personnalité 1.
L'individu peut être inapte à assumer certains rôles sociaux (névrose) ou s'ab-
sorber dans un rôle imaginaire (psychose). De la simple inadaptation à un milieu
familial ou professionnel, à la psychose, tous les degrés d'ajustements défectueux
sont possibles : difficultés à s'adapter à des situations ou à des personnes nou-
velles, inaptitude à percevoir le rôle d'autrui et à y répondre, difficulté d'intégrer
des rôles différents. Par exemple pendant la période de l'adolescence, les sujets
jouent tantôt des rôles d'adultes, tantôt d'enfants, suivant les moments et les per-
sonnes avec lesquelles ils se trouvent (camarades, parents, etc.).
R. Linton (1947) souligne que sous la pression des modèles, le sujet
qui accède à un statut nouveau est conduit à adopter le système de
valeurs correspondant C'est le cas de l'adolescent, mais aussi du céliba-
taire qui se marie, de l'individu qui s'élève socialement, ou simplement de
celui qui fait, même provisoirement, partie d'un groupe. Ces change-
ments, du fait de la multiplicité des statuts et de leur ambiguïté, sont par-
fois difficiles et exigent des individus de plus ou moins grands efforts
d'adaptation.
Les sociétés archaïques, au contraire, suppriment l'ambiguïté de ces problèmes
de passage, en précisant et délimitant rôles et statuts. « Les sociétés archaïques

1. <( On exige de chacun de nous qu'il vive selon son rôle officiel; un professeur doit agir en pro-
fesseur, un élève agir en élève. [ ...] Au cours de son développement, chaque individu est sollicité par
plusieurs rôles qu'il voudrait traduire en actes. Et c'est la pression active qu'exerce cette pluralité de
rôles sur le rôle manifeste et officiel de l'individu qui donne souvent naissance à un sentiment
d'anxiété.» J.L. Moreno (1953), p. 309.
510 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

opéraient par les rites d'initiation le passage brutal de l'enfance à l'âge


d'homme 1. »
470 Importance des notions de rôle et de status ◊ Ces notions de rôle
et status sont importantes car elles impliquent une prise de conscience de
soi par l'individu et de soi en face des autres, c'est-à-dire qu'elles déter-
minent une part des attitudes. Elles forment un cadre, un soutien pour
l'individu et expliquent à la fois de nombreux besoins psychologiques ou
culturels et de nombreux déséquilibres. Peu de personnalités sont assez
fortes pour créer le rôle qu'elles souhaitent vivre. C'est le problème posé
aux femmes dans une culture où leurs aspirations ne correspondent pas
toujours à ce qu'une société dominée par les hommes attend d'elles 2 .
De nombreuses difficultés dans les relations professionnelles, sociales,
politiques, etc., mettent en cause cette notion de rôle, dont on n'a pas
encore épuisé les implications et la richesse en particulier dans les
domaines politique et juridique 3 .
Sur le plan des techniques, les rôles sont perceptibles dans les entre-
tiens individuels, les tests projectifs, mais ils se manifestent surtout dans
les relations sociales, on les observera mieux, en action, par les tech-
niques de groupe : enquêtes sur le terrain, observations de groupe, socio-
métrie, enfin dans la technique à laquelle ils ont donné leur nom, le role
playing.

§ 3. La motivation
471 1° Définition et origine ◊ D'après O. Lagache4, la motivation pour-
rait se définir comme « un état de dissociation et de tension qui met en
mouvement l'organisme jusqu'à ce qu'il ait réduit la tension et recouvré
son unité». L'étude de motivation doit donc chercher parmi les multiples
causes d'un acte, celles qui mettent l'organisme en mouvement, c'est-à-
dire pratiquement celles qui sont les plus susceptibles de manipulation.
Cette notion de mise en mouvement caractérise l'élément dynamique
de l'attitude qui est avant tout une virtualité de réponse. La motivation,
elle, représente l'élément qui tend à déclencher cette réponse. C'est pro-
bablement pourquoi elle saisit d'abord l'aspect le plus précis et caractérisé
de l'attitude: la décision, avant d'aborder le côté plus vaste du comporte-
ment.
La notion d'attitude est très large, elle recouvre en fait toute réaction
ou position tendant à se reproduire chez un même individu en face d'un
stimulus semblable. On peut donc parler de l'attitude d'un individu aussi
bien vis-à-vis d'une marque de savons à barbe que vis-à-vis de l'éducation
des enfants, de la torture ou de la mort. Ce domaine illimité de la notion
d'attitude a donné lieu à des travaux spécialisés en ce qui concerne un
1. E. Morin (1962).
2. Pour la Grèce, cf. Silia Nicolaidou (1982).
3. Cf. M. Grawitz (1963, B.170).
4. D. Lagache (1949, B.278}.
LESINDIVIDUS 511

secteur assez particulier, celui de l'étude des consommateurs. L'homo


economirusa d'abord été étudié in abstracto,mais le passage des pro-
blèmes de production, aux problèmes de consommation, devait amener à
prendre en considération le consommateur réel. La complexité et le coût
des techniques modernes sont tels qu'à l'heure actuelle, comme le décla-
rait Hany Herny (1958), « l'industrie doit se préoccuper de fabriquer ce
qui pourra être vendu et non de vendre ce qui a été fabriqué». 11faut
donc savoir ce que les gens veulent acheter, ce qui leur plaît ou les attire.
Le plus sirnP.len'est-ce pas de le leur demander ? C'est le but des études
de marché. Éventuellement de les influencer? c'est l'objet de la publicité.
4 72 Motif réel et motif exprimé ◊ L'expérience devait amener assez rapi-
dement à constater qu'interrogé directement sur ses goûts et son compor-
tement, le consommateur répondait souvent de façon inexacte.
Une firme de bière s'aperçut qu'elle vendait neuf fois moins de bière« légère»
que de bière «ordinaire», alors que d'après les réponses des consommateurs, la
consommation de bière légère aurait dû être la plus forte. Quelle que soit l'expli-
cation de cette différence, désir de faire preuve de raffinement ou autre, il est
indéniable que les consommateurs, volontairement ou inconsciemment,
n'avaient pas dit la vérité.
De nombreux résultats dans le même sens ont amené à penser que
l'on ne pouvait se référer à ce que disaient les consommateurs pour éta-
blir non seulement une prévision de leur attitude future, mais même une
constatation exacte sur leur comportement actuel ou passé. Ils invoquent
pour justifier l'emploi du produit ou la préférence pour telle marque, des
raisons qui généralement n'ont que peu de rapport avec les causes réelles.
Interrogés sur les motifs qui les poussaient à acheter telles graines de fleurs, les
consommateurs ont donné des raisons poétiques : couleur, parfum, mais une fois
dans leur jardin, leurs propos révélaient le côté pratique de leur choix : cette fleur
ne nécessite pas beaucoup de soins, elle est rustique, peu fragile, etc. La firme fit
alors avec succès sa publicité sur la« fleur reconnaissante de ce que l'on fait pour
elle» rassurant ainsi à la fois la conscience de l'acheteur et son souci d'avoir un
bon résultat sans trop de peine 1.
En fait, déclare P. Martineau (1959), les phénomènes déterminants
des comportements d'achat se situent bien souvent «au-dessous» du
niveau de la logique de la conscience et du langage verbal. Ceci est impor-
tant, car comment organiser une publicité efficace, si l'on ne connaît pas
les réactions du consommateur devant le produit?
4 73 2° L'analyse de motivation 2 ◊ A la suite de ces constatations, de
nombreux producteurs ont été amenés à compléter les études de marché
par des études de motivations ayant pour but, au-delà de ce que les gens
disent qu'ils font, ou vont faire et des raisons qu'ils donnent, de recher-
1. Cité in J. Marcus-Steiff {1969).
2. G. Smith, P. D. Horsley {1954), R. G. Tervan, A. H. Maslow (1954), F. I. Schreier {1957),
Motivation {1958-1959), G. Durandin {1959), Theorie of motivation {1964), B. C. Bolles {1967),
H. Zeisel {1968), K. B. Madsen {1968), J. Marcus-Steiff {1969) (77).
512 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

cher ce qu'ils pensent et font réellement, leurs véritables motifs. D'où le


nom d'études de motivation donné à ces travaux. Alors que les études de
marché répondaient à la simple question : qui achète quoi ? l'étude de
motivation a pour but de découvrir le pourquoidu comportement d'achat,
c'est-à-dire de chercher les explications psychologiques dont on s'était
imprudemment débarrassé. Il semble en effet que l'on ait, de façon un
peu simpliste, agi comme s'il existait dans la vie des individus, une dis-
tinction entre les décisions importantes, mettant en jeu leur personnalité
et les choix anodins, sans significations réelle, accomplis dans la vie quo-
tidienne. Or si des éléments tout à fait irrationnels peuvent dicter
inconsciemment des décisions financièrement importantes et utilitaires,
telles l'achat d'une voiture, ces mêmes éléments peuvent également
déterminer des dépenses de faible valeur mais d'une vente plus étendue :
huile à bronzer, cigarettes, etc.
On a finalement découvert ce dont on aurait dû se douter, c'est qu'en
fait, c'est toujours toute la personne, telle que son hérédité, son passé,
son histoire personnelle l'ont construite, qui vit, agit et s'exprime à
chaque instant. On s'est aperçu que l'achat d'une voiture, du fait même
de son importance, était plus souvent rationalisé et par là moins révéla-
teur de la personnalité, que le choix d'une valise ou d'un bouquet de
fleurs. Mais ce dernier met en cause des éléments beaucoup plus difficiles
à déceler parce qu'inconscients et profonds. De même en médecine, de
petites manifestations d'allergie, dont on ne peut découvrir la cause, sont
souvent plus révélatrices d'un tempérament qu'un trouble organique pré-
cis.
474 Besoin et désir ◊ Cette ignorance, concernant la signification des
choix, peut aussi partiellement s'expliquer par une confusion trop
souvent commise en ce domaine entre besoin et désir. Les problèmes de
production semblaient liés d'abord à des problèmes de besoins, or les
véritables besoins physiologiques sont limités. En revanche, très rapide-
ment interviennent des éléments, plus ou moins conscients, liés à la
culture, au niveau de la civilisation et à la personne même de l'individu
en cause, qui constituent les besoins psychologiques. Sur ce plan, la dis-
tinction entre besoin 1 et désir est beaucoup plus nuancée et la barrière
difficile à tracer. Lorsque l'on dit que le capitalisme vit des besoins artifi-
ciels qu'il crée, il s'agit le plus souvent de désirs suscités, plutôt que de
besoins véritables. La différence entre les deux se situe peut-être dans
l'origine physiologique de l'un, plus imaginaire de l'autre et les consé-
quences qu'entraîne leur frustration. La médecine psychosomatique 2
nous a rendus prudents sur ces distinctions, en faisant apparaître les
effets physiologiques (ulcères, etc.), des frustrations psychiques (besoin
de considération, d'affection, etc.). Des besoins réels, mais psycho-
logiques, peuvent se projeter en représentations imaginaires, ou se cristal-
liser en désirs d'objets concrets: désir de telle voiture pour jouer le rôle de
1. Cf. Besoins(1975).
2. Psyché=âme; soma= corps.
LESINDIVIDUS 513

l'homme d'action, obtenir du prestige, etc. Lorsqu'il s'agit de l'achat d'un


produit, c'est surtout le désir qui, en fonction des besoins psychologiques,
va colorer d'éléments imaginatifs et irrationnels la décision à prendre.
D. Anzieu remarquait, au Symposium de Florence1, que la notion de
motivation ne se plaçait pas sur le plan objectif qui est celui du réel, mais
au niveau du désir qui est celui de l'imagination. Nous n'achetons pas
seulement des objets réels, mais des objets imaginaires, c'est-à-dire que
nous avons à l'avance une certaine idée, une attitude vis-à-vis de l'objet.
Les études de motivation sont en fait des études d'attitudes, ayant pour
but d'expliciter le rapport entre la personnalité du consommateur et
l'image du produit. La motivation n'est pas une chose en soi, à observer
directement On peut seulement, en fonction d'un comportement, d'une
attitude, inférer l'existence d'une motivation.

475 Évolution du but de l'analyse de motivation ◊ Les études de


motivation sont donc nées, de façon fort empirique, d'objectifs très pré-
cis. Elles se sont ensuite étendues à d'autres domaines non commer-
ciaux: recherches sur les donneurs de sang, etc., dans lesquels il s'agit
toujours de recherches d'attitudes, susceptibles de se traduire en actes et
faisant apparaître des causes sur lesquelles on peut exercer une influence.
Le premier travail a consisté à rechercher ce que l'on entendait par
motivation. L'idée n'est pas très claire et le vocabulaire utilisé à son pro-
pos demeure peu rigoureux. Cela provient sans aucun doute de l'origine
de la notion, de l'évolution empirique et pratique des recherches.
476 3° Les résultats ◊ Sur le plan psychologique, par rapport à la simple
étude de marché, l'analyse de motivation représente sans aucun doute un
progrès et une orientation plus juste de la recherche. Mais la profondeur
et la complexité des motivations humaines permettent-elles, en dehors
des entretiens à but thérapeutique, d'atteindre ce niveau ? S'il est atteint:
1° peut-on en tirer des indications assez précises pour prendre des déci-
sions fondées : campagne de publicité, choix d'un modèle industriel ; 2°
le temps à consacrer à une analyse de motivation sérieuse et la qualifica-
tion des chercheurs capables de travailler à ce niveau, ne rendent-ils pas
cette technique trop onéreuse ?
Tout dépend évidemment du coût de l'analyse, de ses résultats et des
profits qu'une firme peut ensuite en tirer pour l'amortir. On citera des
cas frappants de réussites publicitaires dues semble-t-il à des analyses de
motivation préalables et l'exemple des grandes entreprises américaines
faisant régulièrement appel à cette technique. En France, ceux qui les uti-
lisent, déclarent les analyses elles-mêmes souvent intéressantes, mais les
conclusions que l'on peut en tirer beaucoup plus sujettes à caution. L'in-
terprétation des réponses des enquêtés dépendant trop souvent des ten-
dances des chercheurs.

1. La Motivation(1959).
514 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

Il est difficile, à l'heure actuelle, de faire un bilan, sur le plan économique de ce


que coûte la publicité et de son efficacité 1,considérée comme moins efficace que
la propagande de « bouche à oreille». Sans doute le succès dépend-il de nom-
breux facteurs. D'une part de l'eng__uête elle-même, c'est-à-dire de la possibilité de
recueillir des données exactes aupres des enquêtés, de la valeur de l'échantillon de
consommateurs interrogés, ensuite de la qualification de l'enquêteur chargé des
interviews, de l'analyse du contenu de ceux-ci, enfin de l'interprétation des résul-
tats. D'autre part de la décisionprise ultérieurementen fonction de tous ces élé-
ments. Son succès dépendra également de la qualité de la campagne de publicité
entreprise et de la façon dont elle s'inspire des données de l'enquête, mais aussi
d'éléments extérieurs tels que les conditions du marché, la nature, la qualité du
produit 2 et son prix par rapport à d'autres, de la conjoncture économique géné-
rale, de la concurrence des autres canaux de diffusion de l'information, mais
aussi du public visé.
477 Influence et limites ◊ Les études de motivation, du fait de la nature
plus ou moins inconsciente des données qu'elles ont pour but de décou-
vrir, ont obligé les chercheurs à mettre au point des techniques parti-
culières. Elles ont ainsi démontré qu'en dehors des entretiens en profon-
deur, visant des objectifs thérapeutiques, des conduites aussi habituelles
que l'achat de savonnettes ou de chocolat mettaient en cause, chez un
individu, des processus très complexes et difficiles à déceler. La validité
des diverses techniques d'interviews, leur utilisation et conditions d'em-
ploi, ont été soumises à révision, précisées, assouplies et complétées par
d'autres techniques plus adaptées à la nature de l'information qu'elles
devaient recueillir, dont la complexité, grâce aux études de motivation,
était mieux perçue. Cependant il faut être conscient du niveau que peut
atteindre l'étude de motivation : le sens vécupar le sujet, plus ou moins
conscient et rationalisé. Nous sommes dans le domaine de la psychologie
individuelle: besoins de la personne, et de la psychologie sociale: laper-
sonne dans son milieu. Mais il s'agit toujours comme explication des
conduites, de besoins et de satisfactions individuelles. On peut trouver les
satisfactions profondes inconscientes, on ne trouve pas les raisons
sociales qui souvent les expliquent. La publicité sur tel produit sera
conçue en fonction de l'idée de virilité, mais l'analyse de motivation n'ex-
plique pas pourquoi les consommateurs de telle époque, tel milieu social,
etc., privilégient telle conception de la virilité.
477-1 Nouveau domaine de recherche: la Chine ◊ Abandonnant le ter-
rain classique des motivations individuelles, des études de marché ou de
la publicité, certains auteurs américains ont abordé un secteur idéolo-
gique, politique et sociologique plus large, en essayant de chercher les
motifs qui incitaient les Chinois à travailler 3. D'après certains auteurs,
l'efficacité des facteurs : idéologie, avantages personnels, etc., varierait
1. G. Durandin (1956), J. B. Haskins (1968), J.Marcus-Steiff (1969-1971). Les agences de
publicité n'ont évidemment pas intérêt à voir réduites les dépenses publicitaires.
2. D'après J. Marcus-Steiff (1971, p. 19) : la publicité est d'autant plus efficace que les dif-
férences entre les produits sont faibles.
3. De G. Riskin, excellent ouvrage comportant une bibliographie.
LESINDIVIDUS 515

suivant les périodes. Lestemps calmes verraient les motifs pratiques l'em-
porter avec la suprématie des techniciens, alors que les facteurs politiques
et idéologiquesreprendraient un rôle déterminant dans les périodes trou-
blées 1.
Dans la comparaison tentée avec les pays capitalistes, les auteurs
reconnaissent à côté des incitations à produire, de type économique, un
facteur indéfinissable nommé le« x efficiency» 2 •
478 Bibliographie◊
AooRNo(T. W.), FRENKEL-BRUNSWIK (Else), LEVINSON (D. J.) 1950. - The
authoritarian personality,New York, Harper and Row, 992 p.
Al.Bou(P.) 1976. - Besoinset motivationséconomiques,P.U.F., 195 p.
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SOUS-SECTION
2. Les collectivités et les groupes
§ 1. Classification
479 1 ° Historique ◊ Ce sont les grands ensembles qui ont retenu les pre-
miers l'attention des sociologues. Ceci s'explique sans doute par le fait
que la sociologie,étant au départ liée à la philosophie et en particulier à la
philosophie de l'histoire, les sociologuesse préoccupaient avant tout de la
société en voie de devenir. Ensuite parce que la sociologieest née et s'est
développée en même temps que l'industrialisation, l'urbanisation, le
développement technique; ce qui est donc apparu d'abord, ce sont les
problèmes liés à ces modifications d'une très grande ampleur.
La sodologieallemande,portée aux réflexions historiques, était trop fortement
marquée par la notion de lutte des classes et d'avenir de la culture bourgeoise,
LES COLLECTIVITÉS ET LES GROUPES 519

pour s'arrêter aux problèmes de communautés plus restreintes et lorsqu'elle s'est


posé la question, ce fut pour considérer ces groupes primaires comme des survi-
vances appelées à disparaître. C'est ainsi que F. Tônnies 1 , étudiant le passage de la
gemeinschaft(communauté) à la gesellschaft (société) ne s'est pas demandé si les
éléments de la gemeinschaft remplissaient une fonction qui pouvait continuer à
être utile à l'individu.
Lessociologues et historiensfrançaisont été, eux, influencés par l'évolution his-
torique et la réaction contre le corporatisme du Moyen Age. Au XIX'siècle, sans
doute, l'apparition de groupements nouveaux, de type économique, a-t-elle attiré
l'attention des socialistes et sociologues. Mais cet intérêt a été compromis par des
jugements de valeur sur les dangers de ces groupements. Cependant les Français
ont toujours été, pour des raisons historiques et peut-être aussi géographiques,
plus que d'autres, sensibles aux problèmes des corps intermédiaires, des cadres de
vie plus proches des individus. C'est ainsi que Frédéric Le Play, puis surtout Durk-
heim, ont montré l'importance du groupe restreint pour servir de support à
l'homme, et l'intégrer à un ensemble social plus vaste.
Il fallut attendre la grande extension de la sociologie américaine,pour que les
études de groupes, d'abord sous forme de monographie de groupements organi-
sés, puis surtout sous l'aspect de groupes réduits, plus ou moins artificiels, se mul-
tiplient jusqu'à devenir presque une mode. Cette mode s'explique par des raisons
pratiques et théoriques. D'abord le petit groupe permet une expérimentation et
une quantification que de vastes ensembles ne permettent pas. Ensuite ces études
s'inscrivent dans le grand courant empirique de la sociologie américaine de 1930
à 1940. Enfin la philosophie politique, démocrate et pluraliste, des Américains,
les porte à s'attacher à l'étude de ces groupes, d'où sont issues les valeurs essen-
tielles de la démocratie des États-Unis.

480 2° Caractéristiques ◊ Toute société se ramifie en un grand nombre


de groupements qui rassemblent les individus et constituent les cadres de
leur existence. Malheureusement, lorsqu'il s'agit de définir et classer les
groupements suivant lesquels la société se divise ou se met en ordre en
quelque sorte, il est très difficile de faire un choix. Quels sont les critères à
retenir?
G. Gurvitch insiste sur la différence entre l'organisation préétablie,
hiérarchisée et le groupement qui peut ne pas être organisé (ex. les classes
sociales), mais demeure toujours d'un contenu plus riche:
« Le groupe est une unité collective réelle, mais partielle, directement obser-
vable et fondée sur des attitudes collectives, continues et actives, ayant une œuve
commune à accomplir, unité d'attitudes, d'œuvres et de conduites, qui constitue
un cadre social structurable, tendant vers une cohésion relative des formes de
sociabilité2. »

La vie collective ne présente pas à l'observateur des types de groupe-


ments définis, mais une gamme complexe, mobile, de types présentant
des caractéristiques variées, qui se mêlent plus ou moins.
1. F. Tônnies (1887, B.159 bis).
2. G. Gurvitch (1958, B.159 bis, tome I, p. 187).
520 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

On compte près d'une cinquantaine d'essais de classification des groupe-


ments, ce qui laisse supposer qu'aucune n'est satisfaisante. La lacune de la socio-
logie sur ce point, surprenante si l'on pense qu'il n'existe pas de société obser-
vable qui ne soit composée d'une multiplicité de groupements, devient excusable
si l'on songe que les groupements soumis aux conditions historiques, géo-
graphiques et à l'ensemble de la société dans laquelle ils sont intégrés, sont trop
variés pour se prêter facilement à une classification. Celle-ci étant tout de même
nécessaire, nous emprunterons ses traits essentiels à G. Gurvitch en rappelant le
caractère pragmatique de cette classification qui tend seulement à offrir des
cadres de références aux recherches empiriques.
On peut différencier les groupements d'après la durée, en groupes
temporaires: un complot, durables: une société commerciale, ou per-
manents : une municipalité; d'après leur formation, en groupements de
fait : minorités raciales, groupements volontaires : syndicats, ou impo-
sés: armée; d'après le mode d'accès,en groupements ouverts, clos ou à
accès conditionnel ; d'après le degré d'organisation : hiérarchisés ou pas,
structurés ou pas; d'après leur rapport avec la société globale, leur
rythme; d'après le contenu de leur fonction, en groupements n'ayant
qu'une activité : un orchestre, ou plusieurs activités dans lesquelles cha-
cun joue son rôle ; usine, hôpital ; groupements à distance: fidèles d'une
religion, ou collectivités dans lesquelles la proximité et non une activité,
crée des liens ou des occasions de liens: cité universitaire, résidence;
certaines collectivités sont à la fois résidentielles et fonctionnelles : le vil-
lage.
Le chercheur étudiant des problèmes de groupe aura toujours intérêt à
considérer toutes les caractéristiques du groupement auquel il s'intéresse
(fonction, mode d'accès), mais il y a un élément qui sera capital, non
seulement sur le plan théorique, mais sur le plan pratique, c'est la
dimension du groupe, le facteur taille, car il détermine les types d'inte-
raction et les techniques d'observation. On ne peut pas mener une
enquête de la même façon sur une collectivité importante et sur un petit
groupe.
481 3° Groupements importants et groupes restreints ◊ Si les pro-
blèmes posés à l'échelon de la nation, de la ville, du village ou de l'atelier
diffèrent entre eux, un certain nombre de questions analogues peuvent
se poser à tous ces niveaux. La complexité des problèmes ne va pas for-
cément de pair avec la taille des groupements. Une collectivité large,
mais très homogène, où l'on peut isoler un seul facteur, posera moins de
problèmes qu'une petite collectivité très complexe. Cependant la taille
du groupement commande les techniques possibles.
Mais où tracer la limite ? De façon restrictive, on prend comme cri-
tère du groupe restreint le nombre à l'intérieur duquel les communica-
tions orales sont possibles. Mais une clinique, un lycée, représentent-ils
un groupe large ou un groupe restreint? Il n'y a pas interaction entre
tous les membres comme dans une équipe de travailleurs, pourtant il
existe des relations interpersonnelles, des circuits de communication
entre les divers niveaux et sous-groupes. En fait, sur le continuum que
LES COLLECTIVITÉS ET LES GROUPES 521

représente la taille des groupes, on peut distinguer les groupements


larges: classe sociale, collectivité nationale ; les groupementsmoyens: vil-
lage, entreprise, susceptibles d'observations directes, enfin les groupesres-
treintsque certains appellent « face à face », où existent des interactions
entre les membres.
Nous distinguerons les petites collectivités et les groupes restreints
d'une part et les groupements larges d'autre part, en soulignant le genre
de questions qu'ils soulèvent et les techniques propres à chacun d'eux
pour y répondre.

§ 2. Les groupes restreints


482
1° Caractéristiques ◊ Le groupe correspond à une dimension
humaine et se maintient sous des formes différentes, et nombreuses, à
travers les modifications de la civilisation. La notion de prochain, de
solidarité, tout un équilibre cognitif et affectif, des zones de sensibilité
changent. A côté de tout ce qui se transforme et souvent perturbe
l'homme, il reste un élément à sa mesure, plus proche de lui, c'est le
petit groupe : famille, équipe de travail ou de football. L'homme s'y inté-
grera d'autant plus qu'il se sent isolé dans une société de masse, dans un
monde mécanisé.
Ces considérations, devenues banales, ont amené à étudier scienti-
fiquement les problèmes des groupes. Il n'existe pas encore de véritable
théorie du comportement en groupe mais les résultats de ces recherches
ont déjà modifié, sans qu'on le sache, bien des conditions de notre vie:
abolition des salles communes, dans les hôpitaux, villages d'enfants,
tentatives de participation accrue des ouvriers, des étudiants, etc. Parmi
les facteurs de libéralisation et de démocratisation de notre époque, les
recherches sur les groupes ont facilité l'évolution des esprits et orienté,
par des arguments plus scientifiques, des choix intuitifs et des options
pratiques.
Mais qu'étudie-t-on dans les groupes?
Le grouperestreintprésente une caractéristique essentielle : la possibilité
d'interactionsentreses membres.Celle-ci est intéressante à la fois sur le
plan théorique, par les problèmes qu'elle pose et sur le plan pratique, par
l'observation qu'elle permet. Sans doute tout groupement, quelle que
soit sa taille, influence plus ou moins les individus qui le composent. La
présence de ceux-ci n'est pourtant pas indispensable pour qu'existe le
sentiment du « nous » caractéristique du groupe. Telle croyance reli-
gieuse dans une secte dispersée, peut être plus déterminante que des pré-
sences réelles dans un petit groupe. Cependant, si nous retenons comme
limite d'un groupe restreint, le nombre à l'intérieur duquel les commu-
nications orales sont possibles (de 12 à 30 suivant la disposition des
lieux et l'activité en cause), ce n'est pas arbitrairement, mais parce que
522 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

cela correspond à une réalité psychosociologique: les interactions entre


les membres, et méthodologique : la possibilité de les étudier 1.
483 2° Domaine de recherches. a) Les individus ◊ L'étude des
groupes restreints comporte d'une part l'étude des individus: personna-
lité, attitudes, opinions, en fonction de leur rôle dans le groupe. Le lea-
der n'est pas étudié pour lui-même, mais par rapport à son influence,
etc.
De plus, la façon de l'étudier n'est pas la même. Il ne s'agit plus d'in-
terroger mais d'observer.
Les techniques de groupe s'intéressent à la personnalité lorsqu'elle
s'exprime à travers des comportements, des attitudes et rôles précis. De
même l'opinion sera interprétée à partir d'une attitude extériorisée.
Les notions d'attitude et de rôle sont fondamentales. Construites en
fonction de l'expérience, en grande partie comme une réponse aux
autres, elles nécessitent la présence de ceux-ci pour se manifester. Il est
certainement plus sûr et convaincant de juger de la nature violente ou
autoritaire d'un individu par l'observation directede son comportement
dans un groupe, sa façon de supporter ou non la contradiction, de
s'adresser à un adversaire, le ton employé, etc., qu'en le priant de
répondre à un questionnaire d'attitude: Êtes-vous patient? Vous met-
tez-vous en colère ? Combien de fois par mois ? etc. Cependant on
retrouve dans les deux cas des difficultés semblables pour retenir les
indicateurs significatifs. Quelles réponses caractéristiques retenir dans le
questionnaire individuel? Quelles catégories de manifestations pour le
comportement dans le groupe? C'est l'éternel problème de la mesure et
de la quantification des données qualitatives, problème dont la solution
dépend à la fois de l'objectif poursuivi et de la nature des données
recueillies.
484 b) Les groupes ◊ La vie même des groupes pose des problèmes spéci-
fiques en fonction de leur nature et de leur dimension. Ces problèmes
nés du groupe, dans le groupe, ne peuvent être étudiés que par des tech-
niques de groupe. Qu'est-ce qui facilite la cohésion d'un groupe, sa désa-
grégation, influe sur son moral, sa productivité, ses façons de réagir, de
travailler? Quels sont les effets des différents types de commandement,
des structures de communication ? Qu'est-ce que les membres d'un
groupe attendent de celui-ci ?
L'avantage du groupe restreint, c'est non seulement de permettre une
observation, mais aussi des expériences contrôlées, impossibles dans les
groupements plus larges. C'est grâce à celles-là qu'ont été obtenues des
réponses aux questions posées. Nous en renvoyons l'étude à l'expéri-
mentation sur le terrain et en laboratoire (cf. n° 861).
1. Pour notre part nous limiterions volontiers le terme groupe au groupe restreint suivant le cri-
tère de la possibilité de communication entre les membres. Nous conserverions le mot groupement
pour des collectivités plus larges: village, hôpital, usine. Mais la distinction n'est pas admise par
tous.
LES COLLECTIVITÉS ET LES GROUPES 523

Les études portant sur les groupes restreints sont intéressantes par les
problèmes théoriques soulevés, leurs résultats, par les progrès techniques
qu'elles ont suscités. On leur doit une amélioration des méthodes de
recherche, des progrès dans la rigueur scientifique, et des liens plus
étroits entre théorie et recherche, hypothèse et expérimentation.

§ 3. Les groupements larges


485 Caractéristiques ◊ Les groupements larges relèvent de la sociologie,
qu'elle soit générale, religieuse, économique ou politique, ou encore de
l'histoire.
Le plus souvent les réponses aux questions posées se trouvent liées à
l'intérieur de la société, à des facteurs qui ne sont pas forcément appa-
rents. Dans cette totalité sociale, il s'agit de percevoir les vrais problèmes
et de poser les bonnes questions. Les changements que provoquent l'in-
dustrialisation ont-ils suscité la naissance d'une nouvelle classe
ouvrière? Comment s'explique la révolte étudiante de Mai 1968?
Quelles sontles causes de l'évolution de l'Église? Quels sont les facteurs
favorables et les freins à la démocratisation de l'enseignement ? Existe-
t-il une élite politique ?
Ces questions mettent en cause la société entière. C'est ici que la
construction de l'objet prend toute son importance, car chaque
recherche exige que soient privilégiés certains facteurs. La sélection, la
pondération de ceux-ci est conditionnée par l'hypothèse proposée et
détermine le type de réponse à obtenir. Le chercheur peut prendre en
considération des facteurs psychologiques : sentiment de frustration ;
historiques : apparition d'un leader; économiques : élévation du niveau
de vie. Il est évident qu'en sociologie, ce sont les facteurs sociologiques
qui seront cherchés. La difficulté pour sélectionner et isoler ceux-ci, par-
fois les mesurer, est évidemment plus grande que dans les recherches sur
les groupes restreints. L'utilisation d'un ensemble de techniques à des
niveaux différents sera nécessaire.
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SPENCER (M. E.) 1975. - « Images of groups », Arch. Europ.Soc., 16, n° 2,
pp. 194-214.

2. COMMENT CHERCHE-T-ON
SECTION
OU LE CHOIX DES TECHNIQUES 1

SOUS-SECTION
1. Les techniques d'étude
des individus
§ 1. Les techniques vivantes
Elles comprennent les différentes formes d'interviews et question-
naires, les tests et les mesuresd'attitudes.
487 1 ° Interviews et questionnaires individuels ◊ L'interview consti-
tue le type même de recherche sur des individus, par une technique de
rapports individuels utilisée à des niveaux différents:
a) étudessur la personnalité.- L'entretien peut être répété, se situer à
un niveau plus ou moins profond (cf. n°5 633 et s.);
b) études d'attitudes.- L'enquêteur cherche dans ce cas, à travers les
réponses, à percevoir les attitudes, éventuellement à les prévoir ;
c) étudesde motivations.- L'entretien a pour but de déceler au-delà du
motif exprimé, le motif réel ;
d) études d'opinions.- Elles recherchent à travers des questionnaires
d'entretien structurés, une information plus ou moins superficielle. Elles
s'adressent en général à des échantillons importants de population, se
contentant de les classer en pourcentage (favorable, défavorable, etc.)
sur un certain nombre de points.
Ces techniques permettent d'étudier un individu soit en tant que tel :
étude de personnalité, soit comme membre d'un groupe, soit pris dans
l'échantillon d'une population plus large.
Dans le dernier cas, l'individu est choisi non pour sa personnalité
propre, mais au contraire pour un certain nombre d'attributs : âge, sexe,
profession, qui en font un élément d'un échantillon représentatif d'une
1. Cette section ne comporte pas de bibliographie. Celle-ci est renvoyée à chacune des tech-
niques.
LES TECHNIQUES D'ÉTUDE DES INDIVIDUS 525

catégorie plus vaste, que l'on se propose d'étudier. L'enquêté est sélec-
tionné par un sondage et éventuellement remplaçable. L'enquête, dans
ce cas, est extensible dans ses généralisations, mais elle nécessite une
quantification avant de pouvoir donner une vue globale de la situation.
Contrairement aux techniques de groupe, cette vision généralen'est
jamais perceptible au niveau de la technique individuelle elle-même.
Lorsque l'on procède à des interviews dans le cadre d'un sondage, on ne
peut généraliser les résultats avant le dépouillement.
Notons que l'échantillonnage est une technique indépendante de la
méthode d'observation que l'on utilise ensuite. Toutes les techniques de
rapports individuels peuvent s'appliquer à des populations, sélectionnées
par un procédé ou un autre. C'est l'objectif de l'enquête qui détermine le
type de population à étudier.
488 2° Les tests ◊ Les aptitudeset la personnalitépeuvent être étudiées les
unes et les autres par les tests de nature différente et par l'analysefacto-
rielle1.Ceux qui cherchent surtout une prévision pratique, se pencheront
sur les tests d'aptitudes, alors que les psychologues, considérant la per-
sonnalité comme un ensemble de facteurs, utiliseront surtout l'analyse
factorielle, enfin ceux qui insistent sur le caractère unique et total de
chaque individu, tenteront de la comprendre par des tests projectifs,ou
par des entretiens cliniques approfondis, conduits, bien entendu, de
façon différente des simples interviews d'opinion.
Les chercheurs utilisant des tests et des analyses factorielles observe-
ront quantité d'individus pour valider leurs affirmations et tirer des pré-
visions. Ceux qui s'intéressent à l'aspect unique, mais global de la per-
sonnalité, préféreront observer plus complètement quelques sujets, dans
des entretiens approfondis.
489 3° Les échelles d'attitudes ◊ Alors que les questionnaires tentent de
déceler ou prévoir les attitudes, les échelles, instruments plus rigoureux,
veulent surtout les mesurer.
490 Caractéristiques 2 ◊ Les techniques individuelles ne saisissent pas les
processus sociaux en train de se produire. La question est posée a poste-
riori par rapport au problème étudié. L'individu peut, sans doute, révéler
par des tests certaines aptitudes, mais il n'est pas perçu en train de s'en
servir dans des rapports sociaux.
On ne peut certes pas dire qu'il ne se passe rien dans un entretien. La
réaction de l' enquêté à la situation, aux questions et à la personne de
l'enquêteur, représente un phénomène directement perceptible. Hormis
le cas d'interview thérapeutique, dans lequel l'action se situe et s'observe
justement dans le rapport enquêteur-enquêté, ce rapport n'est pas, dans
1. Cf. n° 743.
2. Rappelonsque nous signalons ici seulement les caractéristiquesgénérales,ce qui distingue les
techniques de groupe des techniques de rapports individuels.Nous étudierons plus loin les unes et les
autres.
526 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

les autres types d'interview, observé en tant que tel, mais seulement uti-
lisé pour obtenir l'information. En dehors de ce qu'il voit: nervosité,
calme, etc., l'enquêteur saura seulement de l'enquêté ce qu'il veut bien
dire. il ne le verra pas agir dans les situations ayant trait aux questions
posées. Comme nous l'avons vu, l'observation n'est pas directe.
Ajoutons que les techniques individuelles impliquent surtout l'usage
de questions extériorisées, souvent libellées et posées au sujet observé,
parfois à des heures précises et pour une durée plus ou moins limitée, en
tout cas prévue. Les conditions de systématisation et de rigueur peuvent
être grandes quant au cadre de l'enquête, la personne de l' enquêté, la
précision des questions et des problèmes dont on cherche les réponses.
Enfin le plus souvent, la technique s'applique à une personne parti-
culière: l'enquêté, interrogé par un seul enquêteur.
Les divers types d'interviews,les tests et les mesuresd'attitude,consti-
tuent les principales techniques de rapports individuels. On a briève-
ment indiqué dans quels types de recherches : personnalité, opinions,
attitudes, motivations, aptitudes, on pouvait les utiliser. On va étudier
chacune de ces techniques, la façon dont elles appréhendent les pro-
blèmes et leurs données, car chacune comporte une gamme étendue de
possibilités, de façons d'être utilisée. Chacune est adaptée aux phéno-
mènes variés qu'elle a pour mission de recueillir, si possible de mesurer
et parfois d'expliquer.

§ 2. Les techniques documentaires


491 Caractéristiques ◊ Les techniques de rapports individuels présentent
des inconvénients et des limites 1. Il y a des cas où elles sont impossibles
ou insuffisantes. La personne à interroger est décédée ou trop éloignée
ou inaccessible, ou encore on suppose qu'elle ne dira pas la vérité, peut-
être ne la connaJt-elle pas elle-même, enfin il peut être utile de complé-
ter ses réponses par d'autres données.
Les techniques de documents, même si elles n'offrent pas non plus de
certitudes, permettent d'étudier la personnalité, les opinions, sous des
angles variés. Le document, suivant la personne à laquelle il s'adresse,
permet des vues diverses d'un même individu. Tel opposant farouche
avait écrit des lettres de sollicitation d'un ton particulièrement implo-
rant S'en souvient-il ? en parlerait-il ?
Le document offre l'avantage d'être un matériau objectif en ce sens
que s'il soulève des interprétations différentes, il est le même pour tous
et ne change pas. Alors que l'individu interrogé donne une réponse qui
vaut seulement pour le moment où elle est donnée, le document
demeure et permet une étude dans le temps ( évolution, comparaison,
etc.). Documents personnels (lettres, carnet) ou officiels (discours,
articles) sont précieux comme compléments des techniques de ra~ports
individuels. Leur utilisation en sociologie est relativement récente .
1. Cf. n°' 719 et s.
2. Cf. n• 271.
LES TECHNIQUES DE GROUPE 527

SOUS-SECTION
2. Les techniques de groupe
§ 1. L'Étude des groupes restreints
492 1 ° Les techniques vivantes ◊ Les techniques de groupe plus récentes
sont moins institutionnalisées que les techniques de rapports indivi-
duels. On ne trouve, pour l'étude des groupes, rien d'aussi standardisé
que les tests et mesures d'attitude. Aussi distingue-t-on le plus souvent
les techniques de groupes, non en elles-mêmes, mais par le cadre, les
conditions dans lesquelles elles sont utilisées : observationsur le terrain,
observationavecparticipation,expérimentation sur le terrainou en labora-
toire.Cependant, certaines techniques spécialiséessont fort connues : en
particulier, le sociodrame,
les techniques d'observationde Baieset le groupe
1
de discussion .
Il est essentiel de noter dès maintenant que les techniques de groupe
comme les techniques individuelles se situent à des niveaux de profon-
deur différents. Mais alors que les techniques individuelles ne consi-
dèrent jamais que l'individu, même s'il est interrogé en tant que repré-
sentant d'un groupement étendu, les techniques de groupe dépendent
d'un facteur essentiel: la dimension même du groupe observé. Elles per-
mettent l'observation de communautés d'une certaine taille et de
groupes restreints, mais les techniques employées et les problèmes acces-
sibles sont différents dans les deux cas.
493 L'observation est faite dans le cadre du groupe ◊ Le premierélé-
ment caractéristique des études de groupe c'est que, même si l'objectif de
la recherche est particulier, s'il ne vise qu'un problème de la vie du
groupe: le commandement, les réseaux d'amitié, ou le moral, le cher-
cheur replace toujours cet aspect particulier dans le contexte général du
groupe entier, pris dans son ensemble, étudié en tant que groupe. Même
si la recherche comporte également l'utilisation de techniques indivi-
duelles, les individus sont étudiés en tant que membres du groupe, par
rapport à leur rôle, leur importance dans le groupe.
494 L'observation est directe ◊ Le deuxièmeélémentcaractéristique pro-
vient du fait que le chercheur observe le groupe en train devivre; l'action
qui naît, les processus pendant qu'ils se déroulent et non après coup.
11s'agit vraiment d'une observation directeet le plus souvent multi-
dimensionnelle, c'est-à-dire attachée à plusieurs aspects. Si l'on observe
la vie d'un atelier, on ne se contente pas de l'opinion exprimée par tel
ou tel ouvrier, ce n'est pas un récit que l'on recueille, mais l'action elle-
même.
Il s'agit là des deux caractéristiques essentielles, qui différencient les
techniques de groupe des techniques de rapports individuels. On peut
ajouter des différences moins tranchées, mais souvent rencontrées : les
1. Cf., n°' 837, 893 et s.
528 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

techniques de groupes comportent en général, surtout en ce qui


concerne l'enquête sur le terrain, un secteur moins systématisé, plus
souple que dans les techniques individuelles. Le chercheur a plus de
liberté quant au choix des moyens: participation aux jeux, conversa-
tions. Il travaille souvent en équipe ; les observés peuvent être à la fois
soumis à plusieurs observateurs, l'observation dure plus longtemps.
495 2° Les techniques d'étude de documents ◊ Les techniques de
groupes comme les techniques de rapports individuels connaissent des
limites. L'observation est forcément incomplète car le groupe n'aborde
pas toujours au moment voulu les problèmes qui intéressent le cher-
cheur. Ici encore les documents émanant de sources multiples peuvent
apporter des informations complémentaires et objectives,et permettre de
tracer une évolution, d'effectuer des comparaisons. Assister à des
congrès ou à des réunions de groupes de militants syndicaux est certes
important, mais la lecture de la presse syndicale, si l'on sait lire entre les
lignes, permet de mieux saisir une orientation générale, de deviner
l'amorce d'une stratégie. Encore faut-il savoir interpréter. Ici encore,
l'étude des documents et la participation à la vie du groupe sont complé-
mentaires.
De même, des documents statistiques sur la vie d'un village ou d'une
association, peuvent aider à formuler ou vérifier des hypothèses.

§ 2. Les groupements larges


496 1° Les techniques vivantes ◊ Il n'existe pas de technique propre à
l'observation et à la connaissance des groupements larges : nations,
mouvements collectifs. Comment étudier l'éveil du nationalisme, la pro-
pagation d'une idéologie ? Lorsqu'il s'agit d'un mouvement collectif,
atteignant une dimension aussi vaste, on ne peut que le saisir à un
niveau global, en se plaçant à des points de vue différents : économique,
sociologique, historique. L'étude à un niveau microscopique plus
concret, implique un morcellement de cette vue globale. Il ne s'agit plus
seulement de points de vue différents : économique, sociologique, mais
du découpage de la réalité elle-même. On peut alors utiliser: 1° des
techniques de rapportsindividuels:
- interviewsde personnalités dirigeantes ou de personnages représen-
tatifs,
- sondagesd'opinion permettant une image globale de celle-ci ;
2° des techniquesde groupesappliquées à des groupes réduits, de taille
et de composition différentes : villages, organisations professionnelles,
etc.
Pour étudier un mouvement de grève important, on observera des
réunions de représentants des syndicats ou des délégués de telle usine,
on interrogera un échantillon de population ouvrière. Les grévistes inter-
rogés refléteront une part du mouvement collectif auquel ils participent,
mais on n'aura à travers les réponses individuelles qu'une idée très
LES TECHNIQUES DE GROUPE 529

imparfaite du mouvement lui-même, de ses causes, de sa force réelle, de


ses possibilités de durée, d'action. Savoir que les ouvriers font preuve de
détermination, adhèrent plus ou moins au mouvement, permet sans
doute de se livrer à quelques prévisions, mais il est difficile de prévoir le
comportement réel d'un individu à partir de réponses orales, et à plus
forte raison de faire des pronostics sur des comportements collectifs, en
fonction d'une somme d'attitudes particulières.
D'une part ce que l'on obtient c'est le sens vécu subjectivement par les
protagonistes (grévistes et patrons). On peut recueillir leurs points de
vue (état d'esprit, détermination ou réticence) également leurs opinions
sur les causes de la grève, ses résultats, etc., mais ce sont là des éléments
psychologiques et psycho-sociologiques, il faut procéder autrement pour
atteindre les facteurs sociologiques. D'autre part une addition de points
de vue ne restitue pas la vue d'ensemble et pour celle-ci, il n'existe pas
de méthode autre que sociologique.
Si paradoxal que cela paraisse, pour étudier l'opinion publique, c'est
aux techniques de rapports individuels que l'on fait appel. Mais de
même que des observations faites sur divers groupes ne donnent qu'une
idée imparfaite de l'ensemble, l'opinion publique réelle est autre chose
qu'une addition de points de vue individuels. Il y a dans la recon-
struction du global, d'abord démonté pour être observé au niveau de ses
éléments, une perte de substance considérable. L'ensemble du collectif,
par sa nature même, ne se laisse pas appréhender au niveau du parti-
culier. Sans doute pourra-t-on sur des points précis établir des pourcen-
tages d'opinions favorables ou défavorables, mais les motivations pro-
fondes, les courants qui les déterminent, ce qui donne à l'opinion
publique sa richesse et sa complexité ne peut s'appréhender entièrement
par des techniques de rapports individuels destinés à être totalisés.
Ayant accumulé les matériaux qu'il est possible de récolter au niveau
microsociologique, comment atteindre le niveau global ? Il n'existe pas
de techniques vivantes pour appréhender les faits sociaux, mais des
méthodes (comparative, fonctionnelle, dialectique, etc.). A défaut de
génie comme Marx et Weber, d'intuition, d'observation et d'intelligence
comme Tocqueville, ce qui est indispensable, c'est le travail et la
réflexion. Le travail sur quoi, puisque le vivant est trop riche, trop
complexe, pour être appréhendé par des techniques ? Le travail sur docu-
ments.
497 2° Les techniques d'étude de documents ◊ Le niveau global
implique une réflexion au second degré, c'est-à-dire sur des faits sociaux
déjà rassemblés. C'est pourquoi, la documentation est essentielle en his-
toire et en sociologie.
Le sociologue peut réfléchir sur des matériaux déjà quantifiés (statis-
tiques) ou procéder lui-même à une quantification (cf. analyse de
contenu). Il peut dans les deux cas, viser une hypothèse ou un résultat
quantitatif ou qualitatif. Il peut également en fonction de matériaux
qualitatifs, fournir une explication. C'est à partir des travaux de nom-
breux ethnologues que Mauss a écrit son fameux article sur la prière.
530 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

C'est aussi en fonction de sa prodigieuse culture que Weber a écrit


L'éthiqueprotestanteet l'esprit du capitalisme.Il ne s'agit plus alors de
techniques mais de méthode.
Lassés de l'utilisation inconsidérée d'enquêtes superficielles et de la
multiplication de sondages aux résultats contestables, un certain nombre
de sociologues français, sous l'impulsion de P. Bourdieu, s'orientent vers
des études de documents au sens large. C'est ainsi que les Actes de la
Rechercheen Sciencessocialescomportent des articles sur la signification
du marché de la mode 1, celui des bandes dessinées2 .

3. Comparaison entre les diverses techniques


§
498 Similitudes et différences dans les buts et moyens utilisés par
les diverses techniques ◊ Techniques individuelles et techniques de
groupe se distinguent par les moyens qu'elles utilisent, moyens adaptés
au niveau et à la nature des problèmes qu'elles ont a résoudre, aux don-
nées qu'elles sont susceptibles de recueillir, mais leur but est semblable.
En fait, les unes et les autres tentent de systématiser des observations,
sinon de les quantifier et pour cela font subir un traitement, une simpli-
fication aux données qu'elles recueillent
Les techniquesindividuellespeuvent, sans tenir compte de la complexité
et de la variété des motivations différentes qui expliquent les opinions, se
borner à une simple quantification de leur expression superficielle : c'est
le cas des enquêtes d'opinion. Ou encore, elles peuvent sélectionner chez
un certain nombre d'individus, une attitude ou une aptitude, pour en
mesurer le plus exactement possible l'intensité : c'est le cas des échelles
d'attitudes et des tests. Ou enfin, visant moins la quantification que la
recherche de l'explication en profondeur, les techniques de rapports
individuels respectent dans l'interview libre la complexité de l'individu et
tentent une description qualitative ou une exploration, parfois une
explication.
Les techniquesdegroupepoursuivent ces mêmes buts de description, de
systématisation, de quantification, mais par d'autres moyens, du fait que
les problèmes sont posés différemment Il est en effet plus difficile que
dans un sondage, d'extrapoler à partir d'attitudes et comportements
observés dans des groupes restreints. La généralisation, dans le cas d'ob-
servations de ce genre, s'opère non par une simple quantification, mais
grâce à une réflexion approfondie et à une généralisation d'éléments ou
de mécanismes, reconnus comme essentiels. Parce que l'on a observé et
analysé certains processus, dans certaines situations, on peut étendre les
conclusions à d'autres situations, dans lesquelles se retrouvent les
mêmes éléments fondamentaux. C'est le cas par exemple des observa-
tions faites sur les attitudes de résistance au changement. Des études sur
des groupementsétendusaboutissent le plus souvent à des résultats quali-
1. Cf. P. Bourdieu, Y. Delsaut (1975 B. 587).
2. L. Boltanski (1975 B. 587).
Idée de la Recherche

Choix de la Déte:-mination
de la
Technique Population

Techniques de Groupes Techniques de Rapports


Individuels

Mesures
Participat. Observation Expériment Interview Tests d'
attitudes
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- L'expérimentation peut également avoir lieu sur le terrain. \Il
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1-l
532 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

tatifs et la simplification des données, à des typologies ou encore à des


systématisations, à des processus explicatifs.
Cependant, on retrouve dans les techniques de groupe, comme dans
les techniques individuelles, la possibilité de se placerà des niveaux dif-
férents et aussi de sélectionnercertains éléments de la réalité observée.
L'enquête sur le terrain peut, suivant le cas, être plus descriptive ou plus
systématisée, plus superficielle ou approfondie, suivant qu'elle cherche
seulement à décrire la réalité : monographie ; ou à expliquer certains de
ses aspects: enquête de diagnostic dans une entreprise. L'observation de
groupes restreints, sur le terrain ou en laboratoire, permet une quantifi-
cation grâce à une sélectiondesvariableset desobjectifspoursuivis.En effet
la rapidité de déroulement des comportements, la variété des attitudes, le
nombre des individus à observer, rendent impossible de recueillir toutes
les données à la fois.
Les techniques de groupes restreints et de rapports individuels ont aussi par-
fois en commun un but thérapeutique: aider l'individu à prendre conscience des
problèmes qu'il n'arrive pas à résoudre seul. Le moyen ici encore diffère. Alors
que dans la technique individuelle: 'Psychanalyse,entretien non directif, etc., le
sujet prend conscience de ses problemes en les exprimant oralement, dans la
thérapeutique de groupe, ou bien il vit directement ses relations avec les autres,
devant l'observateur, cas de la dynamique de groupe, ou il les vit dans une situa-
tion artificielle sans doute, mais dans laquelle les autres sont tout de même pré-
sents, cas du sociodrame.
On peut donc considérer que toutes les techniques, quelles qu'elles
soient, dans la mesure où elles veulent respecter la complexité de la vie,
donnent des résultats moins épurés, moins faciles à quantifier. Les tech-
niques de groupe, par leur objet même, la complexité des interactions
sociales vécues qu'elles étudient, la difficulté d'isoler leurs éléments, sont
pour l'instant, dans l'ensemble, moins préparées à une quantification
que les techniques de rapports individuels.
L'impératif de la mesure ou de la quantification n'est pas le seul à
prendre en considération. Ce qui dicte le choix de la technique, c'est
avant tout l'objectifde la recherche.Lorsque l'on veut atteindre des phéno-
mènes sociaux dans leur totalité il faut s'appuyer sur des documents et
sur des méthodes sociologiques. Lorsque les comportements vécus, la
présence des autres, les processus dynamiquessont en cause, l'emploi des
techniques de groupe s'impose. Lorsqu'il s'agit d'étudier l'individu
choisi, ou désigné pour un échantillonnage, ce sont les techniques indi-
viduelles qui seront préférées.
Il y a entre les techniques de groupe et les techniques individuelles, la
même différence d'utilisation qu'entre un film de transit intestinal et
l'analyse en laboratoire d'un prélèvement de suc gastrique, la vue d'une
course de chevaux et la visite au gagnant dans son box. C'est dire que
techniques individuelles et techniques de groupe ne s'excluent pas, mais
au contraire se complètent.
On utilise toutes les techniques possibles pour appréhender sous des
formes différentes cette réalité humaine que nos outils techniques, et
surtout nos propres limites, ne nous permettent pas de saisir dans sa
totalité.
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 533

SECTION3. LA TECHNIQUEDES SONDAGES.


LA DÉTERMINATIONDE LA POPULATION
§ 1. Étapes techniques et types de sondages
499 Origine ◊ Le sondage est né d'une impossibilité pratique: interroger
individuellement toute une population 1 à laquelle on s'intéresse 2, et
d'une possibilité statistique : décrire le tout par la partie. Impossibilité
pratique, en effet, un recensement complet entraîne une organisation
matértelle et des frais importants, les résultats sont très longs à exploiter
et à publier. De plus, on ne peut disposer d'un personnel suffisant pour
recueillir autre chose que des informations facilement accessibles: état
civil, signes extérteurs, etc. Le sondage, au contraire, étant plus réduit,
exige des sommes et des délais moindres. On peut l'effectuer avec un per-
sonnel qualifié, ce qui permet d'atteindre une information plus profonde,
dans le cas d'étude de marché par exemple.
On distingue deux objectifs prtncipaux que poursuivent le plus fré-
quemment les sondages :
- avoir une estimation des paramètres d'une population donnée, par
exemple la moyenne d'âge des bacheliers;
- vérifier une hypothèse statistique concernant une population : par
exemple, « 85 % des ménages ont-ils une télévision ? »
Il apparaît évident que dans le cas de sondages, on abandonne la des-
cription et l'observation complète et ses aléas, pour ajouter d'autres rai-
sons d'erreurs possibles.
Lesenquêtes par sondage s'appliquent à de nombreux domaines que l'on peut
distinguer :
- d'après l'objet de l'étude: étude de consommation, d'opinion, audience de
supports publicitaires ;
- d'après la nature de l'unité statistique observée: consommateur, auto-
mobiliste, exploitant agricole, point de vente ;
- d'après la technique d'échantillonnage: aléatoire, empirique;
- d'après la méthode d'observation utilisée: observation directe (audimètre,
étude des stocks), enquête par lettre, enquête par interview;
- d'après le caractère occasionnel ou permanent de l'étude: enquêtes sur le
chômage réalisées périodiquement, parfois auprès du même échantillon, ou en
une seule fois.

500 Limites et avantages ◊ Les enquêtes par sondages sont adaptées à


l'étude de populations nombreuses et suffisamment fractionnées. Elles
sont sans intérêt dans le cas d'une population réduite, et délicateslorsque
les individus composant la population sont de taille très inégale. La popu-
lation étudiée doit être suffisamment bien définieet localisée.Le sondage
aléatoire exige même une liste complète des individus composant la
1. Sur la notion de population, cf. annexe statistique (911 bis).
2. Ou contrôler la totalité d'une production, problèmes que nous n'abordons pas ici.
534 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

population à partir de laquelle établir l'échantillon. Les enquêtes sont évi-


demment étroitement dépendantes des possibilités de réponse des per-
sonnes interrogées. De plus, les sondages étant fondés sur la loi des
grands nombres, les extrapolations doivent être réalisées à partir d'échan-
tillons suffisants. Ajoutons enfin qu'en l'absence d'une expérimentation
véritable, les enquêtes feront sans doute apparaître des corrélations, mais
qu'on ne devra en conclure qu'avec une grande prudence, à l'existence de
relations de causalité.
Malgré ces limites, la méthode des sondages offre de grands avantages.
Elle permet d'étudier des domaines hors d'atteinte des recensements et
statistiques administratives: fidélité des consommateurs à une marque, à
un parti politique. De ce fait, le chercheur est beaucoup plus libre dans la
définition des concepts précisant l'objectif de sa recherche. Les sondages
obéissent à des règles très précises, mais la méthode est assez souple pour
s'adapter à des objectifs différents. Enfin c'est la seule technique permet-
tant de recueillir des informations quantifiées sur des collectivités impor-
tantes.

501 Principes et conditions ◊ Avant même de connaître les règles statis-


tiques à appliquer, il apparaît à la simple réflexion que l'hypothèse sui-
vant laquelle on peut extrapoler de la partie au tout sera d'abord fonction
de la nature de ce tout, des éléments observés et ensuite de la méthode
utilisée pour sélectionner ces éléments.
Nature des éléments observés.- L'échantillon de 50 litres d'essence suffit
pour connaître les particularités de l'ensemble de la cuve. La chance
d'avoir un défaut est normalement faible. De même la cuisinière qui
goûte sa sauce ne se livre pas à un calcul de la représentativité de sa cuil-
lerée-échantillon. Leproblème de l'échantillonnage se trouve lié à l'homo-
généitédu produit. Or ce qu'étudient les sciences humaines présente une
grande variété. Celle-ci se traduit par la présence de particularités plus
nombreuses que celles dues au hasard seul et la difficulté provient de la
constante évolution de ces particularités. On a pu comparer l'ensemble
des caractères de la population à une grande urne, dans laquelle on aurait
versé les boules de plusieurs urnes plus petites, sans les mélanger suffi-
samment. Il faut pourtant, pour donner une idée exacte de l'ensemble,
que les boules de chacune des petites urnes soient représentées dans
l'échantillon.
Sélection. - En ce qui concerne la méthode utilisée pour sélectionner,
c'est-à-dire pour prélever l'échantillon, elle se pose pratiquement dans les
termes suivants: comment désigner les personnes à interroger? De ce
problème capital du sondage, découle la réponse à une autre question
essentielle: comment bâtir à partir des observations individuelles, une
estimation correcte, c'est-à-dire extrapoler judicieusement les résultats de
l'échantillon à la population ? C'est le problème de la représentativité de
l'échantillon.
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 535

§ 2. Le prélèvement de l'échantillon
La méthode utilisée pour constituer un échantillon a suscité un conflit,
aujourd'hui un peu dépassé, entre les organismes statistiques (INSEE) et
les instituts d'opinion. Les premiers estiment que la seule méthode
valable, scientifique, rigoureuse, est celle qui permet l'utilisation du calcul
des probabilités, le prélèvement de l'échantillon s'opérant selon les lois
du hasard. Le sondage est qualifié de probabiliste.Les seconds pratiquent
des sondages par choix raisonné ou par quotas. On peut alors parler de
sondage empirique.L'examen de ces techniques montrera la signification
et les conséquences de l'un et l'autre choix.
502 1 ° Le sondage empirique : a) La méthode des quotas ◊ Le terme
de « choix raisonné » qui semblerait traduire une supériorité méthodolo-
gique, ne doit pas induire en erreur. Le choix dont il s'agit ne met en jeu
qu'un raisonnement empirique, sans aucune rigueur scientifique. Ce
mode de désignation des échantillons, repose sur l'idée que les différentes
variables attachées à l'individu ne sont pas indépendantes entre elles. Par
exemple, lorsqu'un échantillon est identique à la population dans
laquelle il est prélevé, en ce qui concerne la distribution de certaines
variables bien choisies, il est également peu différent de la population en
ce qui concerne la distribution des variables non contrôlées.
503 Catégories et plan d'enquête ◊ Supposons que l'on étudie la fré-
quentation cinématographique de la population adulte résidant à Mar-
seille. On admettra que le mode d'utilisation des loisirs est en liaison avec
le sexe, l'âge et la catégorie socio-professionnelle, variable pour lesquelles
on dispose déjà de bonnes statistiques. On choisira les individus de
l'échantillon de façon à ce que celui-ci reproduise les caractéristiques de
la population totale, c'est-à-dire que la distribution par sexe, âge et caté-
gorie socio-professionnelle soit semblable. L'enquêteur recevra un tableau
indiquant les« quotas» à respecter: c'est-à-dire le nombre de personnes
à interroger présentant les caractéristiques requises. A part cette consigne,
il est libre d'interroger qui il voudra, par exemple:

SEXE ÂGE MILIEU SOCIAL

M. 23 16 à 24 ... 7 Patrons ........................... 7


25 à 44 ... 18 Cadres supérieurs .................. 3
45 à 64 ... 18 Cadres moyens et employés ......... 8
F. 27 65 et plus 7 Ouvriers .......................... 20
Rentiers, Retraités .................. 12
- -- -
50 50 50

(Tableau tiré des résultats du recensement de 1954, établi dans l'hypo-


thèse d'un enquêteur ayant 50 personnes à interroger.)
Les catégories retenues dépendent du problème étudié. Celui-ci devra
536 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

avoir une relation avec le critère permettant de distinguer les catégories.


Pour connaître l'opinion des téléspectateurs sur les programmes, on
n'aurait pas l'idée de les classer suivant le fait qu'ils fument ou non.
D'autres facteurs semblent, a priori, plus importants à déterminer: caté-
gories démographiques (par exemple l'IFOP distingue quatre groupes
d'âges: de 20 à 34 ans, de 35 à 49 ans, de 50 à 64 ans, au-dessus de
65 ans), ou géographiques, correspondant aux régions économiques dis-
tinguées par l'INSEE; ou basées sur l'habitat, la profession, le montant
des revenus, etc.
Ces multiples catégories doivent être connues, car leurs proportions et
relations commandent la structure interne de l'échantillon. Celui-ci doit
constituer un modèle réduit de la population totale.
504 Inconvénients et avantages ◊ Sur le plan scientifique, cette méthode
appelle de sérieuses réserves. Un échantillon peut être sur le papier la
réduction exacte de la population à certains points de vue, mais être
ensuite complètement déformé par le travail de l'enquêteur. Imaginons
que celui-ci arrive à respecter les« quotas» imposés mais, pour économi-
ser sa peine, qu'il interroge les personnes attendant à la porte des ciné-
mas; l'échantillon serait évidemment biaisé. On peut prévoir un certain
nombre de consignes à respecter : dispersion géographique, exclusion de
gens se connaissant, etc. Il n'en reste pas moins que la personne même
de l'enquêteur introduit des facteurs autres que le hasard, s'il a tendance
à interroger seulement les personnes les plus proches, les plus faciles à
joindre, etc.
La méthode des quotas n'autorise pas à se prévaloir de l'autorité du
calcul des probabilités. On ne peut affirmer, par exemple, qu'il y a
95 chances sur 100 pour que le résultat soit approché à moins de 10 %.
Tout ce que l'on peut dire, c'est que sur des sujets qui semblent être voi-
sins, en employant des méthodes identiques, on a constaté, lorsque des
recoupements étaient possibles, que l'on obtenait en général des résultats
approchés à moins de 10 %. Si la méthode des quotas est scientifique-
ment sans grande valeur, l'expérience prouve qu'elle donne des indica-
tions très satisfaisantes et qu'elle est la plus commode. Elle requiert sans
doute l'existence de bonnes statistiques, détaillées et à jour, mais ne
nécessite pas une base de sondage complète. Enfin elle est moins coû-
teuse, l'enquêteur travaillant presque deux fois plus vite que lorsqu'une
liste d'individus lui est imposée.
Il faut connaître le genre d'erreurs à redouter suivant le type d'enquête
et en fonction de l'objectif cherché. Le problème de l'échantillonnage
passe parfois au deuxième plan et dans ce cas la méthode des quotas est
commode
50 5 b) La méthode des itinéraires ◊ La méthode des itinéraires conserve
l'avantage de ne pas nécessiter une base complète de sondages, en suppri-
mant l'inconvénient de laisser trop de liberté aux enquêteurs. Utilisée
souvent pour désigner des échantillons de ménages ou logements, elle
consiste à imposer à chaque enquêteur un itinéraire défini, en lui indi-
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 537

quant en quels points il doit réaliser une inteiview. Dans ce cas, la repré-
sentativité de l'échantillon va dépendre de la personne qui établit le plan
de sondage en jouant le rôle du hasard.
506 2° Le sondage aléatoire ou probabiliste ◊ Pour paradoxale que
paraisse l'association de ces deux termes, le sondage scientifique est celui
qui obéit au hasard. Le terme de hasard ne signifie pas fantaisie ou
improvisation. L'étude des grands nombres montre que le hasard lui-
même présente des régularités. La technique du sondage aléatoire permet
de soustraire l'échantillon à un choix arbitraire ou personnel et de procé-
der à un véritable tirage au sort 1 . Elle se définit par le fait quel' on accorde
à chacune des unités de la population une chance connue, non nulle,
d'appartenir à l'échantillon. On dira que l'on a effectué un sondage pro-
babiliste, si le prélèvement peut être assimilé à un choix au hasard, c'est-
à-dire si l'on peut comparer le choix effectué,« au prélèvement, les yeux
bandés, de boules, dans une urne comprenant des boules parfaitement
mélangées et assurant à chaque boule la même probabilité d'être tirée au
hasard 2 ». En d'autres termes, pour saisir la nature et l'utilisation du son-
dage probabiliste, il est indispensable de se rappeler les rudiments concer-
nant le calcul et les distributions de probabilité.
507 a) Bases de sondage et tirage au sort ◊ Avant de procéder à un
échantillonnage, il faut savoir sur quoi portera le prélèvement à opérer.
La méthode aléatoire exige que l'on dispose d'une basede sondage, énu-
mérant sans omission et sans répétition, la totalité des individus qui
composent la population.
« Le sondage est essentiellement un moyen de découvrir des caractères
inconnus d'une population connue», ajoute A. Piatier 3 •
Il faut donc connaître les caractéristiques de la population totale, qui
constitue la base de sondage, pour pouvoir les retrouver dans l' échantil-
lon. Cette base peut être constituée par des listes, répertoires, registres ou
fichiers complets et tenus à jour.
Le fichier des établissements industriels tenu par l'INSEE, la liste de toutes les
communes de France, constituent de bonnes bases de sondage. Les listes électo-
rales sont également commodes pour tirer un échantillon d'électeurs, mais tous
les habitants n'y sont pas inscrits. Aux Pays-Bas,tous les logements sont numéro-
tés et portés sur un répertoire à la mairie. En France, pendant la dernière guerre et
jusqu'en 1948, existait un fichier de population, pour les besoins du ravitaille-
ment général. Actuellement, dans chaque mairie est dressée une liste des produc-
teurs de céréales, mise à jour à partir des déclarations annuelles de récoltes.
508 La méthode aréolaire ◊ S'il n'existe pas de base de sondage ou qu'elle
soit incomplète, on peut utiliser la méthode aréolaire.Elle est souvent
employée en matière d'enquêtes agricoles. Le point de départ est une carte
1. Les Anglo-saxons utilisent le terme de «randomisation».
2. Cité in A. Piatier (1961), p. 119.
3. In op. dt.
538 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

géographique ou des photos aériennes, sur lesquelles on délimite des aires


qui constitueront autant d'unités. Si la carte est quadrillée, on peut utili-
ser le carreau comme aire-unité. Cette aire peut également être de super-
ficie et de forme variables ; à la campagne, elle sera limitée par des lignes
naturelles, plus faciles à retrouver sur le terrain ; en ville, on retiendra des
pâtés de maisons ou îlots. On peut enfin adopter comme aire-unité, une
circonscription administrative: canton, commune, parcelle du cadastre.
Lorsque la base (liste disponible, superficie divisée en aires) compte des unités
numérotées, il est facile de procéder à un tirage au sort. Pour cela on utilise cou-
ramment des tables de nombres aléatoires 1.Si les unités ne sont pas numérotées,
on peut procéder à un sondage systématique : prélèvement d'une fiche tous les
centimètres, ou tous les décimètres, ou selon une progression arithmétique. Cette
méthode est intéressante quand on n'est pas sûr que les unités de la liste soient
rangées de façon aléatoire, par rapport au caractère que l'on veut étudier.
Quel que soit le procédé employé, il doit assurer un véritable tirage au
sort, c'est-à-dire donnerà touteslesunitésde la populationtotale,une chance
égaled'appartenirà l'échantillon.
509 b) Divers types de sondages probabilistes: Les sondages
complexes ◊ Le prélèvement d'un échantillon définitif, à partir de la
population totale, constitue ce que l'on peut appeler un sondage élé-
mentaire, par opposition à d'autres processus plus complexes, tels que le
sondage par grappes, le sondage à plusieurs degrés et le sondage à plu-
sieurs phases.
510 Le sondage par grappes ◊ Il procède de l'idée toujours présente à l'esprit du
statisticien, qu'il faut sans cesse simplifier le travail et en réduire le coût. Letirage
au sort ne va plus porter sur des unités individuelles, mais sur des ensembles ou
grappes d'unités voisines 9-ui,du fait même de leur proximité, facilitent le travail
d'enquête. Le sondage areolaire examiné plus haut, n'est qu'un cas du sondage
par grappes. Toutes les unités comprises dans l'aire tirée au sort, sont soumises au
questionnaire. De la même façon, on interrogera tous les habitants d'un
immeuble, tous les élèves d'une école, tous les exploitants agricoles d'une
commune, etc. L'inconvénient de cette méthode est la corrélation entre les carac-
tères des unités appartenant à la même grappe. Cette corrélation impose un
échantillon plus important, pour obtenir une précision fixée à l'avance.

511 Le sondage à plusieurs degrés ◊ Lorsque l'on a été contraint de tirer


un échantillon de grappes ( absence de répertoire sur les unités élé-
mentaires), il n'est pas nécessaire de soumettre à l'enquête tous les élé-
ments de chaque grappe tirée au sort. A partir de ce sondage du premier
degré, il est possible de prélever (au sort) un échantillon du deuxième
degré et ainsi de suite, la désagrégation s'arrêtant au stade souhaitable.
Aux États-Unis, on procède couramment à des sondages à trois ou
quatre degrés. En zone rurale, par exemple, le tirage du premier degré per-
met de choisir des counties,au deuxième degré des unités intermédiaires,
1. Cf. A. Piatier, op. dt., p. 945, extrait de la table de Tippet et son mode d'emploi.
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 5 39

au troisième degré, tirage de petites aires comportant de 6 à 10 ménages


et enfin au quatrième degré, choix d'un ménage sur 3.
512 Le sondageà plusieurs phases ◊ Dans ce cas, il y a combinaison de plu-
sieurs sondages, les fractions de sondage variant, mais les unités restant les
mêmes.
En général, on se contente de deux phases. Supposons que l'on doive effectuer
une enquête concernant la consommation auprès d'un échantillon de ménages.
En raison de son coût assez élevé, ce genre d'enquête ne peut se faire qu'auprès
d'un nombre limite de ménages. En outre, un échantillon tiré par sondage élé-
mentaire, contiendrait surtout des ménages des classes moyennes ; les ménages
dont les ressources sont anormalement basses, comme ceux des classes aisées, ne
figureraient qu'en nombre très réduit, constituant des groupes trop peu nom-
breux pour faire l'objet d'analyses valides. C'est pourquoi on sera amené, à procé-
der à un sondage en deux phases, l'unité de sondage restant le ménage. Dans la
première phase, on tire un grand échantillon de ménages que l'on soumet à une
rapide enquête, dans laquelle chaque ménage indique le montant de ses res-
sources. Dans la seconde phase, ce grand échantillon est stratifié selon le mon-
tant indiqué. Dans les strates extrêmes, l'échantillon intégral est soumis au ques-
tionnaire. Dans les strates intermédiaires, on applique des taux variables,
déterminés de manière à interroger des ménages en nombre suffisant pour l'ana-
lyse.

513 Le procédé de l'échantillon-maître (master-sample) ◊ En géné-


ral, il est souhaitable d'obtenir les résultats d'un sondage dans les plus
brefs délais. Or, la mise sur pied d'une base de sondage exige du temps,
elle est donc onéreuse. On a intérêt à utiliser la même base pour plusieurs
enquêtes, d'où l'idée de préparer, à l'avance, les matériaux nécessaires à
d'éventuels sondages et de constituer un échantillon-maître. Un pro-
blème particulièrement important est alors la mise à jour de cette base de
sondage.
L'INSEEa constitué un échantillon-maître destiné aux enquêtes d'opinion.
C'est un échantillon d'électeurs, ce qui restreint la portée des résultats. La mise à
jour est annuelle, comme celle des listes électorales.

514 Le sondage stratifié ◊ Toujours en vue de réduire les frais de sondage,


on organise souvent des échantillonnages complexes, permettant, avec
un minimum d'observations, d'obtenir l'estimation dont l'erreur est la
plus faible. On parle alors de « sondage stratifié».
La population à sonder est divisée en strates, chaque strate constituant un
sous-ensemble, dont on extrait un échantillon. Cette stratification est légitime,
chaque fois que la dispersion du caractère étudié (autour de la valeur moyenne)
est moins grande dans le sens du groupe, que dans la population totale. Autre-
ment dit, les strates, pour le caractère retenu, doivent être plus homogènes que
l'ensemble. Une étude préalable permet de le savoir. En outre, pour chaque strate,
l'échantillon doit être tiré au hasard.
La stratification pose un nouveau problème : faut-il prendre des échantillons
de même importance dans chaque strate ? Il y a deux façons de procéder :
- Fraction sondée constante, par exemple 1/10, à condition évidemment, que
les échantillons restent de taille suffisante.
540 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

- Fraction sondée variable, méthode jugée préférable, car elle entraîne l'erreur
d'échantillonnage la plus faible. Si, par exemple, nous avons distingué deux
strates approximativement égales, mais dont l'une est très homogène et l'autre
très hétérogène. Pour la première, un faible échantillon suffira pour estimer la
caractéristique avec un faible risque d'erreur; tandis que la seconde nécessitera
un échantillon beaucoup plus important pour atteindre la même précision :
« Sauf exception, les résultats d'un échantillon stratifié comporteront moins d'er-
reurs d'échantillonnage que ceux d'un échantillon de même taille, pris au hasard
dans l'ensemble de la population 1 ».

§ 3. La représentativité de l'échantillon
« Combien d'enquêtés faut-il interroger pour que les résultats de l'en-
quête soient justes 2 ? » Il est impossible de répondre à la question posée
sous cette forme, car elle suppose résolues un certain nombre de diffi-
cultés qui mettent en cause des notions différentes. D'abord l'idée de pré-
cision des résultats, ou de justesse, qui comporte un sens large: l'absence
d'erreur et un sens technique plus limité, rejoignant la notion de validité
ou représentativité de l'échantillon.
515 1 ° La précision des résultats et la notion d'erreur ◊ La précision
au sens large, la justesse du sondage, impliquent la conformité de ses
résultats avec la réalité. Elle dépendra de la plus ou moins grande possibi-
lité d'éviter des erreurs, c'est-à-dire d'un certain nombre d'éléments:
Le premier, nous l'avons vu, concerne le domaine étudié, sa plus ou
moins grande homogénéité. Un sondage pour vérifier la qualité d'un pro-
duit industriel: barres de savon ou de chocolat, litres d'essence, pose
moins de problèmes qu'un sondage pour connaître l'opinion des Français
sur l'Europe.
Un deuxième élément intervient : c'est le degréde précision cherché.
Dans le cas de pronostic électoral, l'importance de l'enjeu, la publicité
donnée aux résultats et la confrontation avec la réalité, obligent à prendre
toutes les précautions pour obtenir un résultat précis. L'élément statis-
tique est prépondérant. Dans le cas d'une enquête d'opinion, il s'agit plu-
tôt de chercher une indication, l'essentiel ne se trouve pas du côté de la
statistique mais de la recherche elle-même. Ceci nous amène à un troi-
sième élément important
La nature de l'objectif poursuivi ou de l'information à recueillir. Nous
retrouvons ici la notion d'erreur relative déjà abordée. S'agit-il d'une
question de fait facile à obtenir : « Etes-vous célibataire, veuf, divorcé ? »
ou d'une information plus complexe : « Êtes-vous favorable à un régime
présidentiel?». Suivant l'objet de l'enquête, les risques d'erreurs sont
plus ou moins grands.
Enfin la nature deserreurs.Leserreurs pouvant fausser les résultats d'un
sondage sont de nature différente et se situent à des moments différents.
1. M. Levy-Bruhl cité in A. Piatier, op. cit., p. 127.
2. Question régulièrement posée par les étudiants.
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 541

Elles peuvent jouer indépendamment de toutes les précautions prises


concernant l'échantillon : erreurs dans le libellé des questions, erreurs de
!'enquêté ou de l'enquêteur.
On distingue l'erreur de mesure provenant, de ce que les observations
réalisées auprès des individus-échantillons comportent des erreurs ( systé-
matiques ou accidentelles), et l'erreur d'échantillonnage proprement dit.
L'erreur d'échantillonnage plus l'erreur de mesure, composent l'erreur
totale.
Si l'on porte sur les côtés d'un an_gledroit des longueurs représentant l'erreur
d'echantillonnage E.E. et l'erreur de mesure
E. T • E.M., l'erreur totale E.T. sera représentée par
l'hypothénuse de ce triangle rectangle. Elle est
E •E • donc supérieure à l'erreur d'échantillonnage et
~ l'erreur de mesure.
E.M.
Il résulte de cette constatation deux conséquences importantes :
1° Il est inutile de consacrer de grands efforts à réduire l'erreur
d'échantillonnage, lorsque le risque d'erreur de mesure est important.
L'avantage relatif de la méthode probabiliste sur les méthodes empiriques
d'échantillonnage est d'autant plus faible que la variable étudiée, le
domaine à analyser sont plus difficiles à observer correctement
2° De la même façon, il est inutile de consacrer de grands efforts à
réduire l'erreur de mesure, lorsque le risque d'erreur d'échantillonnage
est important.
On laissera de côté pour l'instant les erreurs provenant du question-
naire, de l'enquêteur et de !'enquêté. On les retrouvera à propos des inter-
views et on se limitera ici à l'étude technique de l'échantillonnage.
516 2° La r~ésentativité de l'échantillon. a) Les causes d'erreur
dues à l échantillon ◊ Elles peuvent provenir: d'abord de la constitu-
tion même de l'échantillon, la méthode empirique étant beaucoup moins
sûre que la méthode probabiliste, ensuite de l'utilisationdu cadre de
population d'où est tiré l'échantillon, si, par exemple, le recensement ser-
vant de base au tirage au sort ne couvre pas toute la population; enfin de
l'observationelle-même, si une partie de l'échantillon s'est révélée inac-
cessible.
Tous ces facteurs vont être cause d'erreurs systématiques qui ne se
compenseront pas, même en augmentant la taille de l'échantillon.
Lefameux exem~le de la prédiction en 1936 par le Literary Digestde l'élection
présidentielle, aux Etats-Unis, l'illustre bien. Malgré l'ampleur du sondage (10
millions d'enquêtés) la prédiction s'est révélée fausse parce que l'échantillon avait
été prélevé sur des annuaires de téléphone, ce qui ne recouvrait pas toutes les
couches de population et ensuite que les non-réponses aux questionnaires écrits
furent très nombreuses.
517 b) L'erreur aléatoire ◊ La question qui se pose à propos de l'échantil-
lon est celle de sa représentativité. Dans quelle mesure les renseigne-
ments qu'il fournit peuvent-ils être extrapolés à la population totale?
542 QUI CHERCHE-T-ON ET COMMENT?

C'est dans cette estimationou passage de la partie au tout, que la distinc-


tion entre méthodes empirique et probabiliste prend toute sa significa-
tion. Le sondage par quotas ne permet pas de connaître la fidélité de
l'échantillon. Au contraire, le sondage probabiliste, par le fait même qu'il
utilise le tirage au sort, permet d'évaluer l'erreur d'échantillonnage de
façon méthodique. Un tirage parfaitement au hasard entraîne l'applica-
tion des lois du calcul des probabilités. il est donc possible de calculer l'er-
reur d'échantillonnage, c'est-à-dire l'erreur aléatoire, due au fait qu'un
échantillon seulement est étudié et non la population totale. Cette erreur,
dite aléatoire, dépend de la disposition du caractère étudié dans la popu-
lation : dispersion autour de la moyenne exprimée par la variance cr1 ou
l'écart type cr. En effet, si la dispersion était nulle, toutes les unités
auraient la même valeur, égale à la moyenne et le prélèvement d'une
seule unité serait un échantillon suffisant et représentatif. Si la dispersion
est faible, c'est-à-dire si les valeurs du caractère étudié sont très groupées
autour de la moyenne, l'ensemble est homogène et un échantillon res-
treint donnera une précision suffisante. Au contraire, si la dispersion est
élevée, si la population est très hétérogène, un échantillon beaucoup plus
important s'impose pour obtenir la même précision.
L'erreur aléatoire dépend donc du caractère plus ou moins homogène
de chaque population, et la dispersion de ce caractère commande la taille
de l'échantillon. Ici interviennent le calcul des probabilités et la courbe en
cloche de Gauss (cf. annexe). A chaque intervalle de confiance 2, exprimé
en cr à partir de la moyenne, cette courbe associe un coefficient de proba-
bilité ou, en déduisant ce coefficient de l'unité, une marge d'erreur expri-
mée en pourcentage. Les tables numériques de la distribution normale
permettent de lire, par exemple, qu'à l'intervalle de confiance
m - 0,67 à m + 0,67 correspond une probabilité de 50 %, à l'intervalle
m - 1,96 à m + 1,96 une probabilité de 95 %, soit une marge d'erreur de
5 %.
La détermination de la taille de l'échantillon revient alors à un pro-
blème de choix, de contraintes et d'objectifs.. Lorsque le coût d'une
enquête par échantillon est fixé d'avance, c'est-à-dire lorsqu'on dispose
d'une certaine somme, on peut jouer sur les éléments suivants: si on ne
veut pas accepter une erreur de plus de 5 %, donc si on fixe l'intervalle de
confiance à 9 5 %, on détermine la taille de l'échantillon par avance, pour
obtenir une précision donnée; au contraire si c'est la taille de l'échantil-
lon qui est imposée, on peut calculer la précision que l'on atteindra.
Lorsque le caractère étudié présente une forte dispersion, on ne peut obte-
nir une estimation précise qu'en accroissant considérablement le nombre
des observations. Par exemple, pour réduire la marge d'erreur dans le rap-
port 1/2, il faut multiplier la taille de l'échantillon par 4 (dans le rapport
1/3 par 9; dans le rapport 1/4 par 16, etc.). En général, on se contente
d'une probabilité de 0,95.
Ainsi l'utilisation de la méthode des sondages, pour connaître une
population, à moindre coût et plus rapidement, implique l'acceptation
1. Cf. H. Guitton (1959), p. 327.
2. Cf. annexe.
LA TECHNIQUE DES SONDAGES 543

d'une incertitude, même lorsque l'on utilise des méthodes scientifiques.


On comprendra, après ces quelques indications, que le nombre d' enquê-
tés ne représente que l'un des facteurs de validité d'un sondage, générale-
ment pas le plus important. Il existe des limites à ce qu'il est raisonnable
de faire pour augmenter la représentativité d'un échantillon. Comme le
dit Moser« l'argent peut être aussi difficile à trouver que la validité et il
faut réfléchir à ce qui est le moins coûteux par rapport au résultat. 11vaut
parfois mieux avoir de bons enquêteurs qu'un échantillon plus vaste 1 ».
Tout dépend comme toujours de l'objectif de l'enquête.
517-1 Mise en garde ◊ Il convient ici de faire deux remarques importantes:
1° Pour procéder à un sondage il faut établir un échantillon, mais ceci
ne représente qu'une étape. L'échantillon constitué, il faut le soumettre à
des techniques qui varient suivant la nature de l'échantillon et l'objectif
de la recherche. L'analyse de contenu 2 peut porter sur un échantillon de
journaux si la recherche vise par exemple à déterminer l'attitude de la
presse de droite vis-à-vis des Etats-Unis. En revanche des interviews ou
questionnaires écrits seront nécessaires pour « interroger » la population
de l'échantillon prévu, afin de procéder à une enquête d'opinion ou de
comportement.
Il ne faut pas confondre sondage: détermination de l'échantillon et
interview 3 ou moyen de recueillir les informations. Il existedes interviews
que ne précèdeaucun sondage(monographied'un village) et des sondages
n'utilisantpas d'interviews(sur documents).
2° A l'heure actuelle, la technique des sondages est au point. En
revanche les limites de leur utilisation et les risques d'erreur sont d'autant
plus graves qu'ils sont moins apparents. Si la technique justifie la
confiance de ses utilisateurs, il faut insister sur le fait que dans les
enquêtes d'opinion, le sondage emploie souvent pour recueillir ses don-
nées des instruments t.els que l'interview qui reposent sur des postulats
dont nous verrons l'extrême fragilité4. Il ne suffit pas seulement de for-
mer de bons enquêteurs mais encore de ne pas se trompersur ceque l'ins-
trument permetde recueillir.
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546 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

CHAPITRE3
ÉTAPESCOMMUNES
A TOUS LESTYPESD'ENQUÊTE
«Pourparlerd'amouraux amoureux,
il ne faut pas avoirfait une enquêtesur l'amour,
il faut avoirété amoureux1 . »
A Malraux, «L'espoir».
Tout processus de recherche comporte un certain nombre de
démarches qui s'enchevêtrent et se commandent, plus qu'elles ne suivent
un ordre strictement hiérarchisé. Les diverses étapes d'une enquête sont
liées entre elles et les premières décisions d'un projet déterminent large-
ment les procédures finales, qui doivent donc être prévues dès le départ. Il
n'est pas rare de se trouver au cours d'une enquête, aux prises avec des
problèmes que l'on ne peut résoudre malgré leur intérêt, parce qu'on ne
les avait pas prévus, que l'on n'a pas relevé ou conservé les données utiles,
ou enfin que l'on est tenu par d'autres dispositions. Malgré cette inter-
dépendance de tous les moments d'une enquête, on peut cependant dis-
tinguer des étapes essentielles : celles où se prennent les décisions.
Celles-ci, pendant le déroulement des enquêtes, varient suivant les buts
poursuivis et les techniques adoptées. Il existe cependant, surtout dans les
phases préliminaires et terminales de toute recherche, des types de déci-
sions, des étapes semblables, que l'on retrouve inévitablement, parce que
des problèmes identiques concernant l'objectif, les autorisations, le
financement, la publication, etc., se posent dans toutes les enquêtes quels
que soient leur objectif et leur technique. Pour éviter des redites à propos
de chaque technique d'enquête, on abordera ici seulement les problèmes
qui leur sont communs.

§ 1. Étapes préliminaires
519 1° La préparation intellectuelle. a) L'idée de l'enquête ◊ Une
enquête peut faire partie d'un plan de recherches d'ensemble,par exemple
une étude sur l'automation dans tel secteur industriel.
Elle peut naître aussi d'un problèmeimmédiatauquel il faut trouver une
solution dans le cadre d'une politique gouvernementale ou sociale : la
situation des travailleurs étrangers ; ou en prévisionde problèmes qui se
poseront dans les années à venir: l'arrivée des jeunes sur le marché du
travail; naître d'un besoind'informationurgent: enquêtes d'opinions pour
le gouvernement ou étude de marché par une firme industrielle.
1. Mais pour parler d'enquête aux étudiants, en avoir fait ne suffit pas, il faut aussi leur en faire
faire.
ÉTAPESPRÉLIMINAIRES 547

En dehors de la contagion, de l'engouement, de la mode pour certains sujets


sur lesquels se multiplient les études, alors que d'autres domaines restent inexplo-
rés, il faut considérer comme un facteur important, la curiosité du chercheur, ses
goûts personnels, son système de valeurs, bref, des éléments très subjectifs.
Ceux-ci sont également à l'origine des recherches en sciences physiques et natu-
relles, mais ils importent moins qu'en sciences sociales, où les valeurs auxquelles
adhèrent le chercheur orientent ses buts et risquent d'influencer ses inter-
prétations. Il est donc nécessaire que le chercheur soit lui-même conscient du
motif qui l'incite à faire une recherche.
De même, sans parler du financement, on peut dire que l'origine de
l'enquête (commande privée ou gouvernementale) influence le déroule-
ment de celle-ci.

520 b) L'objectif de l'en9-uête ◊ Quelles que soient les raisons ayant sus-
cité l'enquête, la prerniere démarche vraiment scientifique consiste à en
préciserl'objectif.Il s'agit là de l'étape essentielle de l'enquête, celle dont
dépendront toutes les démarches ultérieures. En effet, le choix du but à
atteindre détermine à la fois, la populationà étudier : échantillon repré-
sentatif d'un grand ensemble ou au contraire totalité d'un groupe res-
treint et les moyens de recherche,les techniquesà mettre en ŒtNTe:inter-
views, tests, observation de groupe, étude de documents etc. Ces deux
décisions sont liées et dépendantes de l'objectif poursuivi. D'une part, on
ne peut appliquer toutes les techniques à tous les types de population, et
d'autre part, on ne peut recueillir toutes les données, à tous les niveaux,
par n'importe quelle technique.
L'idée de l'enquête suppose qu'il existedes problèmes, l'objectif de l'en-
quête exige qu'ils soient formulés.
On doit d'abord préciser ce que l'on cherche, et se demander:« Quelle
est la question que je pose, à laquelle je cherche une réponse ? Quelle
information dois-je obtenir ? »

521 c) La construction de l'objet ◊ Nous ne reviendrons pas sur les


diverses conditions qu'imposent la construction de l'objet 1.Rappelons la
nécessité de critiquer les habitudes de langage, les fausses évidences. Au
début de la recherche, ces précautions sont indispensables, pour abstraire
du réel ce qui s'y trouve inclus, pour en détacher un ensemble de faits
supposés en relations. Mais l'objectif précisé, l'objet construit gardent
encore tout leur mystère. Ce sont des hypothèses, des questions, des fac-
teurs, dont on ignore la valeur, la réponse, le poids. C'est ici qu'inter-
viennent les techniques qui permettront d'appréhender concrètement
l'objet, de le découper, peut-être de le mesurer. Ces techniques dépendent
du niveau auquel se situe l'enquête. Vise-t-elle une simple description
qualitative ou tente-elle de faire le diagnostic d'une situation ou de cher-
cher une explication, elle-même plus ou moins profonde, plus ou moins
étendue, plus ou moins quantifiable ?
1. Cf. n°' 303 et s.
548 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

522 d) Les critères à retenir et les définitions ◊ La nécessité de préciser


l'objectif est en général mal comprise par les chercheurs inexpérimentés
qui se contentent souvent d'indiquer l'idée de l'enquête alors que la défi-
nition même provisoire est indispensable 1.
Supposons qu'un or~anisme d'aide sociale s'intéresse au problème des condi-
tions de vie des gens âges. On a là une idée d'enquête, mais il est bien évident que
pour établir le plan de celle-ci, il convient de définir le sujet de l'étude et son but
Il faut d'abord préciser ce qu'on entend par« gens âgés». Retiendra-t-on l'âge de
la retraite? Mais il y a des avocats et des femmes de ménage de plus de 65 ans? Il
s'agit ensuite de décider si l'on étudie les zones urbaines, ou rurales, au cas où
l'on chercherait une comparaison entre les deux. Qu'entendra-t-on par« condi-
tions de vie»? S'agit-il seulement de la composition du revenu:retraite, aide de la
famille ? ou des types de dépenses ? gu logement:maison de retraite, chez les
enfants, en location, en propriété ? Etudiera-t-on les types de consommation :
nourriture ? le genrede vie : occupations, loisirs ? les communications sociales :
relation de famille, voisinage? Abordera-t-on les études d'attitudes, d'opinion, les
comportements ? Suivant ce que l'on décidera ou utilisera telle ou telle technique.
L'enquête peut se borner à une description, décrire le niveau de vie des gens âgés,
mais aussi tenter d'établir des corrélations entre certains comportements de rési-
gnation, d'amertume, ou au contraire d'énergie et certains facteurs: logement,
liens familiaux, etc. Ces choix dépendront de ce que l'on cherche à savoir, c'est-à-
dire du but poursuivi par les rromoteurs de l'enquête : visent-ils la possibilité
d'utiliser une main-d'œuvre âgee, ou veulent-ils entreprendre une action d'aide à
la vieillesse ?
Dans le cas d'une enquête à résultats quantifiés, le chercheur, dès qu'il
a précisé son objectif, doit obéir à cet impératif de la mesure, pour prévoir
les facteurs influents et déterminer les variables accessibles et mesurables
en fonction du but à atteindre.
523 e) Limites de l'enquête ◊ La constitution d'un échantillon limite la
population à étudier lorsqu'il s'agit d'opérer un sondage (cf. n°s 499 et
s.). Mais il n'y a pas que cela. Préciser l'objectif de la recherche, c'est
déterminer ce que l'on veut décrire ou mesurer, définir ce que l'on
retient, mais aussi écarter un certain nombre de problèmes, c'est-à-dire
assignerdes limites à l'enquête.
Les décisions qu'impose cette délimitation du domaine de l'enquête, sont rare-
ment prises en raison de considérations purement techniques ou scientifiques. I.e
plus souvent, le chercheur doit également envisager les opérations sous leur
aspect pratique : déterminer ce qui est possible avec les moyens dont il dispose
(temps, ressources financières, nombre d'enquêteurs, qualification, etc.) et
compte tenu des obstacles à prévoir ( difficultés administratives ou psycho-
logiques, documents perdus ou non communicables, etc.). Il existe un équilibre à
établir entre les possibilités matérielles de temps, d'argent, de personnel, de col-
lecte de matériaux, tout ce qui fait la « maniabilité » d'une enquête et la nécessité
de lui donner une envergure suffisante pour que les résultats soient significatifs.
Ce stade des choix exige beaucoup de fermeté. Les enquêteurs sont parfois
entraînés par leur intérêt pour les nombreux problèmes qui apparaissent et se

1. Cf. n° 302.
ÉTAPESPRÉLIMINAIRES 549

résignent mal à les circonscrire. L'animateur de l'enquête devra également se


méfier, en sélectionnant les points à étudier, de ne pas écarter de facteurs impor-
tants. Rien n'est plus décevant dans une recherche que les problèmes sacrifiés au
départ et qui, cependant, réapparaissent constamment sous une forme ou une
autre. Le trouble qu'ils causent prend finalement plus de temps que n'en aurait
requis leur étude.
524 f) Nécessité d'émettre des hypothèses vérifiables en vue d'ob-
tenir des résultats généralisables ◊ Préciser l'objectif de l'enquête
consiste aussi à formuler des hypothèsesvérifiableset à obtenir des résul-
tats généralisables, c'est-à-dire ayant la portée la plus vaste possible. La
possibilité de vérifier les hypothèses émises à partir des faits observés est
caractéristique de toute démarche scientifique. Elle distingue par exemple,
en science politique, la description journalistique ou le reportage, même
sérieux, de la véritable enquête. Quant à la généralisation, elle ne doit pas
avoir lieu après coup, mais dès le début faire partie des préoccupations du
chercheur.
On a pu citer en exemple une recherche effectuée sur l'influence qu'exercent
les bandes dessinées. Il ne s'agissait pas de se borner à étudier l'effet de telle
bande, de noter si tel dessin était compris ou non, mais de poser le problème en
termes plus larges, permettant de tirer des conclusions sur les réactions du lecteur
en géneral, en fonction de l'esprit, et de la composition du dessin. Autrement dit
essayer de savoir quels types de dessins : réalistes, satiriques, etc., provoquaient
quels types de réaction : inhibition, approbation, etc., et ceci dans quelles catégo-
ries de lecteurs.
C'est seulement en formulant les problèmes en termes _généraux,en fonction
des caractéristiques du stimulus, de la situation des enquêtes eux-mêmes, de leurs
réponses, que le chercheur pourra tirer profit des résultats d'une enquête, même
limitée et les appliq_uerà des problèmes semblables, afin d'atteindre progressive-
ment le niveau theorique et scientifique souhaitable. L'enquête de L Coch et
J. French (1949) sur la résistance au changement dans un atelier, ainsi que le
travail de D. Cartwright (1948) sur l'art de persuader les masses poJ.>ulaires,
montrent, à partir des yhénomenes particuliers observés, comment s'elever au
niveau de theories génerales sur la persuasion, ou sur les facteurs humains de
résistance au changement, théories utilisables dans tous les cas pratiques où ces
problèmes sont en cause.
Il est donc, d'une part, indispensable que le chercheur tienne compte
du caractère particulier de la situation, pour ne pas aboutir à des générali-
sations hâtives. Il est d'autre part essentiel qu'il étudie, en même temps,
les facteurs d'ordre général liés à cette situation particulière, pour en tirer
des conclusions plus étendues.
L'enquêteur expérimenté se situe toujours à ce double niveau : étude
du cas particulier, mais replacé dans un contexte général. Ce point
échappe le plus souvent aux chercheurs débutants. L'exemple des nom-
breuses enquêtes américaines, inutilisables parce que limitées à la collecte
de faits non généralisables doit rendre vigilant.
525 g) Le choix et le nombre des variables ◊ Pour que l'hypothèse soit
vérifiable, encore faut-il que lesvariablesétudiéessoienten nombresuffisant
et que les plus importantesaientété retenues,sans confusion possibfé avec
5 50 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

des facteurs cachés mais agissants. Ceci encore doit être prévu au début
de l'enquête, sans cela il sera trop tard pour récupérer les matériaux non
prélevés. Alors que l'enquête descriptive peut ne pas préciser les variables
retenues, le choix de celles-ci est capital dans les autres recherches.
La variable n'est pas seulement un facteur qui agit durant l'enquête,
c'est un facteur qui se modifie en relationavecd'autreset ce sont ces fluc-
tuations qui constituent l'objet de la recherche.
La variable dépendanteest celle dont le chercheur essaie d'expliquer les
variations, par exemple les échecs aux examens. La variable indépendante
est celle dont on essaie de mesurer et de comprendre l'influence sur la
variable dépendante. La difficulté consiste souvent à isoler des facteurs
d'influence (types d'épreuves, de corrections, matières, âge, etc.).
Un bon exemple est fourni par une enquête faite aux États-Unis, sur l'in-
fluence qu'exerce la couleur de la peau sur les sympathies éprouvées par de jeunes
écoliers. Les résultats étaient dans l'ensemble significatifs. Mais, soucieux de ne
pas attribuer à ce seul facteur une importance qu'il partageait peut-être avec
d'autres, les promoteurs de la recherche avaient dès le départ prevu également
l'étude d'une autre variable : le statut socio-économique des enfants, apprécié
d'après leurs vêtements. Il est apparu que ce facteur est finalement important et
renforçait dans bien des cas, la couleur de la peau.
Définir le but d'une enquête, déterminer les faits à récolter et mesurer,
implique déjà une certaine expérience en matière sociale. Il existe des
types de problèmes, des symptômes par lesquels ils se manifestent et sur-
tout des facteurs multiples, souvent peu apparents qui les déterminent Le
flair du chercheur, ses connaissances, son expérience, peuvent seuls ame-
ner à prendre en considération, dès le départ, les facteurs qui se révéle-
ront par la suite les plus importants. Lorsque l'enquête projetée porte sur
un domaine déjà observé, il est certes plus facile d'émettre des hypo-
thèses. Il s'agit alors surtout de vérification. Au contraire, lorsque l'étude
porte sur un secteur entièrement nouveau, il est probable qu'elle sera
avant tout descriptive, elle accumulera des matériaux à partir desquels on
pourra seulement, en fin d'enquête, suggérer des hypothèses ou nouvelles
lignes de recherche. Les types d'enquête diffèrent, en degrés de prévision
et de précision. Mais l'interdépendance des étapes existe toujours dans
l'esprit du chercheur, sinon dans la chronologie des faits.
L'important n'est pas tant d'avoir tout prévu, ce qui est impossible, que
d'avoir tenu comptedel'imprévisible et de pouvoir, en cours d'enquête, res-
treindre ou développer l'étude de certains facteurs. Ceci, le chercheur
pourra d'autant plus facilement se le permettre, qu'il aura mieux précisé
ses objectifs et ne risquera donc pas de se perdre à la poursuite de buts
mouvants, imprécis et toujours remis en question.
526 h) La préenquête ◊ Elle consiste à essayer sur un échantillon réduit
les instruments (questionnaires, analyses de documents) prévus pour
effectuer l'enquête.
Si l'on a des doutes sur telle ou telle variable, ou sur le rendement de
telle technique, on peut explorer de façon limitée le problème à étudier,
avant même de préciser définitivement ses objectifs.
ÉTAPESPRÉLIMINAIRES 5 51

527 i) Le rôle des travaux antérieurs et de la bibliographie ◊ Au stade de


l'idée et de la précision des objectifs, est-il prudent de s'inquiéter de ce que
d'autres ont déjà trouvé ou vaut-il mieux l'ignorer? Certains redoutent la conta-
gion des idées émises. Un esprit non prévenu sera plus libre pour émettre des
hypothèses, mais les risques de recommencer un travail déjà fait, ou de négliger
des sources utiles, paraissent également importants. Il semble qu'au moment où
l'on précise son objectif, il soit prudent de prendre connaissance de la biblio-
graphie, soit sur le même problème traité en d'autres lieux, soit sur des problèmes
différents, mais étudiés au même endroit et pouvant mettre en cause des données
semblables.

528 j) Le rôle des documents ◊ Suivant l'objectif visé, le rôle des docu-
ments sera plus ou moins important, pour compléter, rectifier, appuyer
les hypothèses suggérées par les techniques vivantes, qui souvent, dans les
interviews par exemple, recueillent les idées que les enquêtés se font, plus
que la réalité elle-même. Une réflexion sur les documents peut aider à
expliquer l'interprétation que les individus en cause donnent d'une situa-
tion vécue.
529 2° Questions pratiques. a) Renseignements ◊ Il est indispensable de se
renseigner auprès de ceux qui connaissent le milieu ou la question, pour vérifier
l'existence du problème, son intérêt, mais surtout la possibilité de l'étudier, de
mener à bien l'enquête. Il est recommandé de ne pas se limiter à quelques person-
nalités officielles, d'établir des recoupements, en interrogeant ceux que l'on croit
susceptibles d'émettre des points de vue opposés. Certains ont l'art, ou la chance,
de découvrir« la» personne renseignée, comme d'autres découvrent le document
important. La nature et le statut de la personne renseignée sont d'ailleurs extrê-
mement variés et il ne faut pas avoir, en cette matière, d'idée préconçue 1 . Ceci est
valable en ethnologie, comme en psychologie industrielle ou en science politique.
Un état d'esprit très libre doit guider la quête de renseignements. Au début, il faut
tout accueillir, quitte à établir ensuite un ordre d'importance parmi les conseils,
indications, rumeurs, «on-dit» que l'on peut récolter.

5 30 b) Recommandations ◊ Sur le plan des recommandations il faut être encore


plus circonspect. Certaines personnes ne se doutent pas de l'opposition qu'elles
suscitent, d'autres se croient sûres de leur influence alors qu'elles n'en ont
aucune. Les supérieurs ne sont pas toujours informés des rivalités de leurs ser-
vices. Le chercheur doit surtout veiller à ne pas apparaître comme le représentant
d'une classe sociale ou d'un groupe particulier. Il est, en toute modestie, le repré-
sentant de la science.

531 c) Autorisations et infonnations ◊ On retrouve le même problème. Lefait


d'obtenir une autorisation patronale pour entreprendre une enquête dans un ate-
lier, rendra le chercheur suspect aux ouvriers. Il devra donc egalement obtenir
l'accord et l'appui des cadres syndicaux.
Dans le cas d'une simple enquêted'opinion, sur échantillon de population, on
est en principe libre d'interroger des citoyens, eux-mêmes libres de ne pas
répondre. Il ne faut tout de même pas négliger l'aspect présentation de l'enquête

1. Le personnage occupant le rang le plus élevé dans la hiérarchie n'est pas forcément le mieux
renseigné.
5 52 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

ou information. L'enquêteur doit toujours être conscient du fait que son travail
l'amène souvent à intervenir dans l'intimité des enquêtés. Il est nécessaire qu'il
s'interroge sur les conséquences de cette intervention et cherche à en réduire les
effets traumatisants. Il est parfois utile de préparer le milieu enquêté à la
recherche, car certains individus réagissent davantage au sujet, s'il leur paraît
indiscret, qu'au fait même d'être interrogé.
Ces précautions deviennent encore plus importantes dans le cas d'une enquête
sur le terrain où il s'agit souvent de collaboration plus encore que d'autorisation.
Ce qui est commun à tous les types d'enquête c'est l'état d'esprit de prudence, de
respect des autres, d'information, qui doit dès le départ guider toute recherche.
532 3° Le budget de l'enquête. a) Origine des fonds o Les sommes affectées à
la recherche en sciences sociales sont moins importantes qu'en sciences phy-
siques et naturelles 1 .
Les sources principales de financement en France peuvent se ramener, dans les
grandes lignes, aux suivantes :
- Organismesinternationaux,tel l'UNESCO.
- Organismesétrangers.Certaines fondations américaines.
- Organismespublics.Fonds de la recherche scientifique 2, commande d'un minis-
tère.
- Organismesprivés. Sociétés commerciales ou industrielles demandant à des
bureaux d'étude privés ou à des psycho-sociologues, une enquête sur tel ou tel
problème : étude de marché, possibilité de réorganisation d'un atelier, lancement
d'un produit nouveau.
Ce problème du financement exerce une influence capitale sur l'enquête, puis-
qu'il la conditionne et la limite.
Si le chercheur reçoit une subvention, il doit adapter sa recherche à son budget.
ll peut aussi lui être demandé d'établir un budget prévisionnel à l'appui de son
projet. Dans l'un et surtout dans l'autre cas, puisque la responsabilité du cher-
cheur est alors en partie engagée par les chiffres qu'il établit, nous pouvons avan-
cer cette règle d'or, la première sans doute que doive découvrir un responsable:
une enquêteprend toujoursau moins le doubledu budgetet le tripledu tempsprévus.
Seule l'expérience acquise« sur le tas», permettra au chercheur de se rendre
compte du coût des diverses opérations et de tous les contretemps possibles. Sans
doute, chaque projet diffère-t-il du précédent, mais le chercheur acquiert tout de
même une expérience concernant l'ordre de grandeur des dépenses des divers
postes d'un budget, la connaissance des risques, tentations ou illusions, enfin
toutes les causes psychologiques ou matérielles de dépassement.
533 b) Divers postes du budget ◊ Ce qui influence le budget, c'est d'abord le
genre de recherche que l'on entreprend, mais surtout le typede matériauxà collec-
ter. A l'heure actuelle, il existe des statistiques nombreuses, tant officielles que pri-
vées. Trouver une signification à des chiffres déjà recueillis n'est pas très coûteux,
mais il est cependant rare que ce travail soit suffisant. La plupart des recherches
rassemblent leurs propres matériaux et n'utilisent les statistiques existantes qu'à
titre complémentaire. Le coût d'une recherche de ce type dépend évidemment de
la dimension de la zone à couvrir,du nombrede variablesà étudieret de la technique
employéepour le faire. Une enquête implique plus de frais si elle porte sur deux
départements, que si elle n'en couvre qu'un. Interroger mille personnes coûte
1. E. Trist (1970).
2. Contrats passés après approbation d'un projet par le C.O.R.D.E.S., ou dans le cadre d'une
A.T.P. (action thématique programmée, ou du G.R.E.C.O.). Constituer un dossier est une épreuve 1
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 553

plus que d'en interroger cent. Il faut davantage de temps, des enquêteurs plus
nombreux, des frais de transport plus élevés et des problèmes d'échantillonnage
plus complexes.
Tout ce qui exige une technique Y.lus raffinée coûte plus cher. Un question-
naire écrit, à questions fermées, expedié par poste, est moins onéreux que l'envoi
d'enquêteurs à domicile. S'il s'agit d'interviews libres ou à réponses ouvertes, la
qualification de l'enquêteur et l'analyse des matériaux, augmenteront encore
sérieusement les frais.
534 c) Les causes de dépassement du budget prévu o Les causes de dépasse-
ment du budget proviennent de la difficultéd'établirdesprévisions.La précision de
l'objectif et les limites du plan d'enquête font sentir sur ce point leur utilité. Mais
il est bien difficile de connaître à l'avance les nombreuses démarches que néces-
siteront tel ou tel point de l'enquête.
Il faut obtenir du chercheur qu'il ait constamment à l'esprit le but de l'enquête
pour ne pas s'en écarter, et en même temps assez de souplesse et d'intuition pour
ne pas laisser passer l'élément imprévu, mais significatif. Cet équilibre n'est pas
facile à assurer puisqu'il exige des qualités contradictoires qui, sur le plan scienti-
fique, n'ont pas la même valeur. Comme le dit J. Marcus-Steiff: « Le praticien
doit être un vendeur pour obtenir un contrat, un chercheur pour effectuer l'étude
scientifique, un pédagogue pour en faire comprendre les résultats, enfin un diplo-
mate pour les faire accepter 1.» De plus, certains éléments psychologiques inhé-
rents à la situation du chercheur s'ajoutent aux difficultés techniques de la prévi-
sion d'un budget.
Soumis, sur le plan de la dimension de l'enquête, à ceux qui le financent, le
chercheur en dépend aussi par rapport au temps.
Lepoint de vue du chercheur, centré sur l'aspect scientifique de la recherche et
celui de l'utilisateur, préoccupé d'obtenir au moindre coût une solution rapide à
ses difficultés, diffèrent et posent un problème de coordination et de compromis
délicat. C'est la raison pour laquelle de nombreux chercheurs préfèrent un travail
moins rémunéré, mais libre, à une situation plus lucrative mais plus dépendante
du secteur privé2.

§ 2. Étapes terminales de la recherche


53 5 1° Analyse et interprétation des résultats de l'enquête ◊ Ce
stade est probablement le plus délicat de l'enquête. En tout cas c'est celui
qui exige le plus de compétence. Il requiert lui aussi des qualités contra-
dictoires de rigueur et d'intuition, une technique alliée à une profonde
connaissance du milieu enquêté et de toutes les étapes de l'enquête. Un
chercheur, comme un sourcier, peut sur le terrain réagir aux problèmes ;
au stade final, ce n'est plus sur le terrain qu'il réagit, mais sur plan et ceci
exige beaucoup plus d'expérience. Stade délicat, c'est le plus difficile à
traiter en termes abstraits et généraux, car il n'y a pas deux enquêtes dont
on puisse analyser les résultats de la même manière.
Deux idées sont essentielles :
1° Sur leplan technique: Il faut rappeler l'interdépendance desétapesde la
recherche.La richesse des matériaux et leur possibilité d'interprétation
1. (1969, B. 478).
2. Cf. n°' 426-427.
5 54 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

dépendent des décisions prises au début de l'enquête. C'est la fixation des


objectifs, première étape de la recherche, qui déterminera la collecte des
matériaux et facilitera ou compliquera la tâche du chercheur au niveau de
l'analyse des résultats, dernière étape de l'enquête.
2° Sur le plan méthodologique:Il n'existe pas plus de règle pour trouver
les bonnes réponses cachées qu'il n'en existe pour poser les bonnes ques-
tions. On peut certes apprendre à utiliser la méthode statistique et à res-
pecter ses impératifs. Mais l'analyse et l'interprétation des résultats d'une
enquête relèvent d'abord, en particulier dans le cas d'analyse secondaire,
de l'application rigoureuse de la méthode scientifique, enfin et avant
tout, de l'intelligence, de l'expérience, de l'imagination et de l'intuition
du chercheur.
On se bornera ici à décrire les différentes situations qui peuvent se pré-
senter, en matière d'analyse et d'interprétation de résultats de recherches.
Il faut d'abord distinguer les enquêtes suivant la nature des données et
des résultats, qualitatifs ou quantitatifs, que l'on veut obtenir.

536 a) L'enquête de type qualitatif◊ Les enquêtes qualitatives ne


peuvent donner lieu qu'à des commentaires méthodologiques très limi-
tés. En effet, elles reposent avant tout sur la perspicacité des propositions,
hypothèses, constatations faites, sur la finesse des remarques, le sérieux
des observations recueillies, bref sur la valeur des chercheurs plus que sur
la technique au sens étroit du terme. Cependant, à l'heure actuelle, on
tend à rendre de plus en plus rigoureuses même les enquêtes qui ne
recueillent pas de données quantifiables.
Allen H. Barton et P. F. Lazarsfeld (1961) précisent ainsi le rôle des
données qualitatives.

537 Les données qualitatives soulèvent de nouveaux problèmes o Un


des premiers éléments intéressants dans l'analyse qualitative, c'est ce que
Lazarsfeld nomme « l'observation surprenante», celle qui soulève de
nouveaux problèmes ou révèle des phénomènes intéressants.
C'est le cas de E. Mayo 1 s'apercevant que des modifications de facteurs phy-
siques : éclairage, etc., n'influençaient pas le rendement, ce qui était en opposi-
tion avec l'hypothèse inspirant la recherche et devait amener les enquêteurs à
découvrir l'importance des groupes informels dans les ateliers. De même l'étude
de R. Merton (1946) sur les auditeurs de Kate Smith, montra que, très rétifs à
toute propagande, ceux-ci avaient tout de même été touchés par le marathon de
l'actrice, qui, pendant dix-huit heures parla à la radio, pour faire acheter des bons
de la défense. Tous insistèrent sur sa sincérité, ce qui suscita des recherches
complémentaires sur les facteurs d'efficacité de la propagande radiophonique.

538 Les données qualitatives révèlent des faits o Il ne s'agit plus ici
d'éléments surprenants, mais de faits révélateurs de phénomènes plus
importants, et parfois inaccessibles directement.
1. Cf. n° 820.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 555

Certaines coutumes militaires peuvent révéler un esprit de caste. Le fait que,


dans le quartier observé, les mères de famille envoient leurs enfants acheter du
lait en leur donnant, en plus, de l'argent pour miser sur un numéro, indique l'ac-
ceptation du jeu dans le milieu.
L'analyse qualitative des résultats exige, d'une part que des observa-
tions intéressantes aient été faites, mais d'autre part que l'on réfléchisse
sur leur signification. Ces obsetvations peuvent porter sur des coutumes,
des faits, gestes, comportements ou même des mots.
C'est ainsi que H. et R. Lynd (1937), étudiant la position du mari dans la
famille, découvrent une échelle de vocables parallèle à une échelle sociale
comportant « mon homme », « lui », « John » dans les familles ouvrières, « mon
mari » ou : « Mr. John» parmi les cadres industriels. Il s'agit là le plus souvent
soit de rassembler des faits significatifs dans une classification souple : la galerie
des « white collars » de C. Wright Mills 1, soit de systématiser davantage, lorsque
c'est possible et de dresser une typologie en combinant des attributs essentiels.
539 Les données qualitatives suggèrentdes corre1ationsou des pro-
cessus ◊ A défaut de corrélations statistiques, des concordances
peuvent apparaître entre un petit nombre de variables, ou suggérer des
rapports de cause à effet Il ne s'agit pas là de vérifier des facteurs prévus
au départ, comme c'est souvent le cas dans les analyses quantifiées, mais
d'utiliser intelligemment ce que l'on a trouvé.
Par exemple, comment expliquer le fait que, pendant la guerre, les soldats
américains de l'arrière faisaient preuve de plus d'esprit critique vis-à-vis de leurs
officiers que les soldats sur le front ? Serait-<:eparce que les meilleurs officiers
étaient au front ? On a proposé l'hypothèse suivant laquelle les officiers au front
vivaient dans les mêmes conditions que leurs hommes, alors qu'à l'arrière ils
étaient séparés et paraissaient privilégies.La vérification supposait le choix de cri-
tères quantifiables, mesurant les privilèges des officiers, l'esprit critique des sol-
dats, etc. Déjà au stade descriptif une simple analyse qualitative suggérait une
hypothèse. Parfois c'est un processus plus complexe qui apparaîtra grâce à des
observations pertinentes. Par exemple, W. F. Whyte 2 découvrant les étapes de
l'ascension d'un jeune garçon jusqu'à une situation politique, Mirra Komarovsky,
l'influence du chômage sur le statut du mari dans la famille 3 . Cette étude ne por-
tait que sur 59 cas, mais en cherchant de façon systématique les facteurs et les
conséquences possibles, des relations de cause à effet sont apparues.
540 Les données qualitatives suggèrent une idée centrale ◊ Parfois le
chercheur se trouve devant un grand nombre d'obsetvations qu'il ne peut
traiter de façon statistique. Dans ce cas, il aura recours à une notion
caractérisant l'ensemble des faits.
Ruth Benedict4 décrivant les mœurs et la psychologie des Indiens Zuni, tire de
cet ensemble de faits une notion qui les recouvre tous, à savoir que les Zuni
appartiennent à un type de culture apollinien dont le but essentiel consiste à évi-
ter les excès émotionnels.
1. (1961, B. 341).
2. (1943, B. 312).
3. M. Komarovski (1957, B. 170).
4. R. Benedict (1946, B. 181).
556 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

On peut appliquer ce processus de qualification à des domaines plus


ou moins larges. On peut aussi caractériser des éléments plus ou moins
manifestes, saisis directement, ou nécessitant une interprétation.
Lorsque C. Cantril 1 étudie ce qui pousse certains individus à devenir les
membres de groupements para-politiques ou religieux : réarmement moral, etc., il
interprète les raisons données par les enquêtés, en fonction de ce qui semble se
dégager de l'ensemble des réponses, c'est-à-dire un« besoin d'orientation» dont
ils ne sont pas toujours conscients.
Enfin l'analyse d'observations qualitatives permet, non seulement
d'émettre des hypothèses précises concernant des rapports de cause à
effet, mais aussi de proposer des explications plus générales, sous forme
parfois de théories limitées. C'est ainsi qu'Erich Fromm ( 1941) s'appuie
sur des faits concrets pour justifier sa théorie de l'individu, cherchant
dans le conformisme et l'aliénation une protection contre l'isolement
C. W. Mills 2 explique le comportement des white collarspar la hantise du
statut social. Il ne s'agit pas là de simples illustrations, ni de véritables
preuves, mais de toute une gamme de possibilités qu'offrent les données
qualitatives, depuis la simple incitation à chercher dans une direction,
jusqu'au fait concluant Les possibilités sont loin d'avoir été inventoriées
et mesurées. Les recherches dans ce sens ont à peine commencé et il fau-
dra attendre encore, avant que la technique pour recueillir des observa-
tions qualitatives et analyser leurs résultats, atteigne le degré de systémati-
sation des enquêtes quantifiées.
Signalons enfin, que même dans un rapport d'enquête quantifiée, il est
souvent utile d'indiquer les éléments qualitatifs, non seulement pour
illustrer le compte rendu, mais surtout pour mieux faire comprendre les
démarches du chercheur. Il ne faut pas oublier que l'on quantifie des
données, au départ qualitatives et qu'il peut être utile, par exemple, d'il-
lustrer les catégories choisies pour codifier une interview, par certaines
réponses particulièrement symptomatiques. Parfois le contenu qualitatif
contient des éléments qui ne se sont pas prêtés à la quantification : les
exceptions, les petits faits isolés, les remarques qui n'entrent dans aucune
catégorie. Une enquête à résultats quantifiés doit donc par souci de vérité,
faire place à ces éléments qualitatifs. En effet, la quantification n'a
qu'une valeur limitée à ses propres résultats et aux conditions dans les-
quelles ils ont été établis. Ne faisant pas état de ce qu'elle laisse en dehors,
elle risque d'apparaître trop absolue. Les cas aberrants restituent la
complexité de la réalité et rendent plus apparentes les bornes de l'inter-
prétation des résultats quantifiés. Enfin, ces exceptions peuvent obliger à
chercher de nouvelles hypothèses et servir ainsi de point de départ à des
recherches connexes et plus approfondies.
541 b) Les enquêtes à résultats quantifiés : La présentation statis-
tique ◊ L'analyse des matériaux quantifiés peut se présenter de façons
différentes suivant le type d'enquête.
1. C. Cantril (1941, B. 198).
2. C. W. Mills (1961, B. 341).
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 557

Dans le cas le plus simple, il s'agit d'une présentation quantifiée des


résultats, c'est-à-dire d'une simple description statistique: distribution
des âges, pourcentages de tel type de profession, etc.
Si l'on étudie par exemple le vote des femmes au référendum de 1961, par
urnes séparées, pour le comparer au vote des hommes. On trouvera x milliers de
oui, y non et z abstentionnistes. On établira une distribution de fréquence de
chaque position. On peut transformer ces chiffres absolus en pourcentages : 70 %
de oui, 20 % de non, 10 % d'abstentions, ensuite étudier sur plusieurs consulta-
tions électorales (3 par exemple) combien de fois chaque femme s'est abstenue:
toujours, 3 fois, 2 fois, 1 fois, jamais. Ici encore, on obtient une distribution, mais
on peut chercher à établir une moyenne de comportement, il en existe plusieurs
types : la mesure de dispersion, c'est-à-dire comment sont groupées les attitudes
par rapport à la moyenne. Beaucoup de femmes ne se sont jamais abstenues ou se
sont toujours abstenues, ou bien on trouve des groupes à peu près également
répartis dans les catégories abstenues 1 fois, 2 fois, 3 fois. Ceci peut impliquer la
mesure du coefficient de variation et de l'écart type 1 •
On peut ensuite chercher quelle influence exercent sur l'abstention,
des variables telles que l'âge, la profession, le célibat, le veuvage. Il faut
toujours avoir présente à l'esprit la variable que l'on veut mesurer, l'indi-
quer et calculer le pourcentage en fonction de ce facteur d'influence.
On calcule par exemple, le nombre de femmes qui s'abstiennent de voter, par
rapport au total des femmes inscrites, mais on peut aussi rechercher le nombre de
femmes de 20 à 30 ans qui ne votent pas. Dans ce cas, le pourcentage sera calculé
non par rapport au nombre total de femmes inscrites, mais par rapport au
nombre de femmes de 20 à 30 ans que comprend l'échantillon. Il est toujours
préférable d'indiquer sur quels chiffres absolus sont calculés les pourcentages. Un
bureau de vote dans lequel deux religieuses sont inscrites et n'ont pas voté, donne
100/100 d'abstentions dans cette catégorie. Ceci, exact statistiquement, n'en
donne pas moins une impression fausse de la réalité l Il est également important,
dans la présentation des statistiques, de prévoir des catégories ordonnées et
comparables, par exemple pour les groupes d'âge: 21 à 25 ans, 26 à 30 ans, etc.
Lorsqu'il s'agit d'enquêtes ayant pour but d'étendre à une vaste popu-
lation les résultats obtenus sur un échantillon, les problèmes sont à peu
près exclusivement statistiques. il s'agit de savoir sous quelles conditions
cette extension sera juste et légitime et comment tenir compte des erreurs
de l'échantillon pour les neutraliser, au lieu de les multiplier en les éten-
dant sur une plus vaste échelle. La généralisation doit toujours être fait.e
prudemment, quelles que soient les garanties données par les vérifica-
tions statistiques, car il peut exister des éléments dont on n'a pas tenu
compte.
La notion de « caractère typique» n'est pas suffisamment complète et sûre
pour permettre des généralisations certaines. Tel bureau de vote, déclaré typique
parcequ'il reproduit habituellement les pourcentages nationaux, ne permet tout
de même pas, a priori,de généralisation sur le plan des abstentions féminines.

1. Cf. annexe statistique.


558 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

En ce qui concerne les erreurs, lorsque l'on déclare, en comparant deux


échantillons, que la différence n'est pas« statistiquement significative»,
ceci signifie qu'elle est imputable au seul hasard dans la composition de
l'échantillon. Or ces erreurs dues au hasard sont, avant tout, liées à la
dimension de l'échantillon, puisque leurs chances de se compenser s'ac-
croissent avec la taille de celui-ci; de même, les risques, pour les dif-
férences qui subsistent, d'être statistiquement significatives.
Quand une différence n'est pas statistiquement significative cela ne veut pas
dire qu'il existe une similitude totale et réelle entre les deux échantillons. De
même une différence peut se montrer « statistiquement significative», mais ne
présenter aucun intéret pour le chercheur. Il faut donc se méfier du fait que le
terme « significatif» en statistique, ne recouvre pas forcément le même contenu
que la notion qualitative de ce qui peut être significatif en fonction des objectifs
de l'enquête 1.
C.A. Moser (1958) note que l'on exagère (peut-être parce que c'est plus
facile), l'importance des tests significatifs, au détriment de l'évolution de l'ampli-
tude des effets. Autrement dit, il est plus important de connaître les conséquences
de la différence de taille entre tel ou tel groupement, que de savoir si cette dif-
férence est statistiquement significative.
542 L'analysesecondaireet les corre1ationsmultiples ◊ L'aspect sta-
tistique ou quantifié d'une enquête est naturellement plus ou moins
simple, suivant la précision de l'objectif visé et le nombre de variables que
l'on cherche à mesurer. R. K. Merten et P. Lazarsfeld (1950) distinguent
« l'analyse primaire» et « l'analyse secondaire». Dans la première, du
type le plus simple, les variables chiffrées concernent une seule hypothèse
prévue d'avance. La vérification de celle-ci implique que les matériaux
recueillis indiquent si les variables observées jouent bien dans le sens sup-
posé.
Imaginons une enquête ayant pour but de chercher si la présence de locataires
de couleur dans des groupes d'immeubles neufs, tend à modifier les préjugés vis-
à-vis de la ségrégation raciale. On tentera de sélectionner et quantifier les atti-
tudes significativesdes habitants de deux groupes d'immeubles, l'un de locataires
de races mélangées, l'autre où joue la ségrégation. On comparera ensuite les
matériaux recueillis et l'on essaiera de les interpréter en fonction de l'objectif
poursuivi.
L'analyseprimairerepose sur des règles bien établies et se déroule en fonction
de l'objectif initial de l'enquête. L'analysesecondaire
obéit à des indications moins
bien connues, moins précises et beaucoup plus variées. En effet, dans le cas d'une
enquête d'exploration, on se trouve également devant des données chiffrées mais
souvent recueillies sans hypothèse précise. Comment alors établir des corréla-
tions? Entre quels facteurs, entre quels chiffres? L'analyse secondaire se caracté-
rise par cette recherche de significations, d'interprétations faites après coup, de
matériaux quantifiés recueillis dans une optique plus large.
Les études de S. Stouffer (1949) sur le soldat américain reposent en grande
partie sur des analyses secondaires. C'est ainsi qu'à partir d'interviews recher-
chant les attitudes des soldats vis-à-vis de la démobilisation et de leur retour à la
vie civile, on a pu découvrir des corrélations auxquelles on n'avait pas songé, par
1. C'est-à-dire est révélateur, possède une signification.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 559

exemple entre le niveau d'ajustement, l'expérience au combat et le service outre-


mer, ou l'attitude vis-à-vis des civils en fonction de la proximité du front, ou
encore du rapport entre les grades, l'éducation et le temps passé dans l'armée, etc.
Pour que l'analyse secondaire soit possible, il faut que les données inté-
ressantes aient été recueillies, autrement dit que le chercheur n'ait pas
passé à côté des éléments du problème et ne se soit pas borné à accumuler
les seuls matériaux liés étroitement à une hypothèse prématurée.
C'est cette quantité de données, recueillies davantage en fonction de la
complexité des problèmes, qu'en vue d'une hypothèse particulière, que
l'on doit ensuite interpréter. 11est délicat de recueillir, sans avoir posé le
problème ni construit d'hypothèse, les éléments qui permettront ensuite
de le résoudre et de la vérifier. Cela relève de l'expérience, de l'intel-
ligence, plus que de la statistique ou même de la méthodologie. Mais
celles-ci reprennent leurs droits au niveau de l'analyse. L'accumulation
de données, le stockage et le dépouillement facilités par les techniques
modernes, permettent une utilisation accrue de l'analyse secondaire 1.
543 Les corre1ations 2 ◊ La recherche de corrélations, de régularités ou
parfois même de causalité, au niveau de l'analyse des résultats, ressemble
à ce type d'expérimentation que l'on appelle ex post facto3, c'est-à-dire la
découverte après coup des facteurs explicatifs. Dans la mesure où l'on a
des éléments quantifiés et où l'on veut les interpréter, les tableaux à
double entrée font apparaître les relations entre les facteurs, par exemple,
l'âge et le niveau de participation politique sous ses diverses formes.
L'analyse que l'on appelle multivariée a pour but d'isoler les facteurs.
Durkheim nous en a donné un exemple simplifié dans le suicide,en iso-
lant l'un après l'autre sexe, religion, état civil pour vérifier leur influence.
Ce type d'analyse s'effectue aujourd'hui de manière plus complexe et plus
raffinée 4.
P. Lazarsfeld (1951) propose même des tableaux à triple entrée, per-
mettant de vérifier si un facteur supposé inopérant l'est réellement, ou au
contraire s'il est bien lié à celui que l'on veut mesurer. En cas de corréla-
tions manifestes, par exemple entre l'élévation des revenus et le vote
conservateur, on ne peut pas toujours savoir quelle est la cause et quel est
l'effet: est-ce le fait d'être conservateur qui favorise le développement des
affaires? ... ou la hausse des revenus qui, mettant en rapport certaines
personnes, facilite l'influence des conservateurs ? On ne peut même pas
être sûr qu'il s'agit bien d'une relation de cause à effet, car un troisième
facteur, lié aux deux autres, peut également intervenir. Le vote conserva-
teur et l'élévation des revenus, par exemple, peuvent être en corrélation
simplement parce qu'ils dépendent tous les deux d'un même facteur:
1. H. Hyman (1972), C. Hakim (1982), D. W .. Stewart (1984), K.J. Kiecolt (1985), A Dale
(1988). Ce dernier ouvrage est très complet tant sur le plan de la réflexion que sur les moyens infor-
matiques à utiliser. Enfin une enquête à deux niveaux (individu, ménage) illustre les propos et offre
une typologie de variables.
2. Cf. annexe statistique.
3. Cf. n° 868.
4. Cf. F. Gendre (1975).
560 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

l'âge. De même l'on constate une relation entre la satisfaction au travail


et le niveau de qualification. On peut se demander si un autre facteur, le
salaire, lié au niveau de qualification, n'intervient pas aussi. Un tableau à
triple entrée, maintenant le facteur salaire constant, permet de voir com-
ment se comporte la relation satisfaction-qualification.
Il semble que dans l'analyse secondaire, la découverte de la relation causale se
heurte le plus souvent à deux difficultés. La première consiste à éliminer les
variables extérieures, la deuxième à situer dans le temJ?Sl'apparition des variables,
car la relation cause-effet suppose évidemment l'anteriorite de la cause. C'est ce
que Lazarsfeld1, intitule l'explication, l'interprétation et la spécification.
544 L'explication ou contrôle des variables extérieures ◊ Emprun-
tons à Lazarsfeld un premier exemple sur la relation entre le lieu du
combat et la réponse à la question: « Vous sentez-vous en général bon
moral?» Les hommes stationnés à l'étranger,avaient moins bon moral
que ceux qui n'avaient pas encore quitté les Etats-Unis. On peut repré-
senter le problème de la façon suivante 2 :
variable antécédente
durée du service

variable variable
inépendante dépendante
lieu du service moral
L'explication de ce mauvais moral ne se trouve-t-elle pas dans le temps
passé au service, plus court dans le cas des soldats envoyés outre-mer ?
Un tableau à double entrée permet de vérifier la corrélation entre le
mauvais moral et le stationnement outre-mer, mais n'indique pas si
d'autres facteurs sont en cause. Pour le savoir, il faut décomposer les
groupes en s9us-groupes et comparer des sous-groupes de soldats outre-
mer et aux Etats-Unis, en fonction de la durée. Si la durée est la cause
~ssentielle du mauvais moral, des groupes de soldats outre-mer ou aux
Etats-Unis, ayant la même durée de service, ne devraient pas présenter de
différence. Le facteur suspect étant éliminé par le fait qu'il est tenu
constant dans les deux sous-groupes, la relation de cause à effet apparaît
ou non entre les autres éléments.
La difficulté consiste d'abord à détecter les variables qui peuvent intervenir en
dehors ou à l'intérieur de la corrélation apparente, ensuite à épurer la relation
dans des situations complexes, où quantite de facteurs peuvent etre mêlés. Dans
1. In R. K. Merton and P. Lazarsfeld(1950).
2. Goode et Hatt (1952, B. 198), p. 355.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 561

l'exemple ci-dessus le type de commandement, la nourriture, la régularité du


courrier, etc., peuvent aussi jouer un rôle.
545 L'antériorité des [_acteurs ou l'interprétation. Comment distin-
guer la cause et l effet? ◊ Les hommes mariés semblaient bénéficier
dans l'armée d'une promotion indépendante de leur âge et de la durée du
service. Est-ce la promotion qui les incline à se marier ou le mariage qui
facilite leur promotion ? Ici, les dates de mariage des soldats étant
connues, on a pu conclure que c'était le plus souvent la promotion anté-
rieure au mariage qui facilitait celui-ci, plutôt que le contraire. Certains
cas de recherche du facteur en cause sont plus complexes. Comment
expliquer par exemple l'attitude favorable de certains soldats américains
vis-à-vis des soldats noirs ? Les recherches de corrélations ont porté sur
les attitudes politiques, l'éducation, la religion, la classe sociale, tous
antérieurs dans le temps. Enfin, le fait d'avoir été dans un dortoir mixte
et plus précisément d'avoir eu un ami noir, a semblé prédominant. Le
facteur intervenant : avoir un ami noir, se situe dans le temps, posté-
rieurement au dortoir et antérieurement à l'attitude favorable. Il semble
bien être la cause de l'attitude, puisque les sous-groupes étudiés montrent
que le seul fait d'avoir été dans un dortoir mixte n'agit pas sur l'attitude,
hormis les cas de ceux qui ont eu grâce à cette occasion, un ami noir.
L'analyse a consisté ici encore, à diviser le tableau à double entrée en
sous-groupes, tenant compte d'un troisième facteur appelé test variable
ou variable intervenante, celui-ci apparaissant postérieurement à la
variable indépendante et bien entendu avant la variable dépendante 1.

antécédent 0-
variable
0-
test variable
0
variable
in dépendante intervenante de pendante
dortoir mixte
.
avoir un ami
. attitude vis-à-vis
noir des noirs

546 La spédficatlon o Alors g_uedans les deux cas précédents le problème consiste
à savoir, en tenant un troisieme facteur constant, si la corrélation disparaît ou
pas, on cherche par la spécification, dans quelle mesure varient les effets de la
cause supposée, sous l'influence de variables qui, sans être des causes, exercent
une influence. Autrement dit, alors qu'explication ou interprétation forment la
première étape: celle qui consiste à savoir si l'on a bien saisi la relation de cause à
effet (ce qui suffit à un grand nombre de chercheurs), la spécification représente
un approfondissement et un raffinement de la recherche, elle permet d'indiquer à
quelles conditions une corrélation donnée est plus ou moins active et manifeste.
Par exemple, étant donnée la corrélation entre le rang et l'éducation dans l'ar-
mée, on peut se demander quels facteurs renforcent le lien entre les deux
variables. On a pu observer, grâce à un nouveau tableau à double entrée, compa-
rant non seulement l'éducation, le grade, mais deux sous-groupes, l'un ayant

1. In op. dt., p. 354.


562 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

servi moins de deux ans, l'autre plus de deux ans, que la corrélation entre le rang
et l'éducation était plus élevée pour ceux qui étaient entrés tôt dans l'année.
Ces quelques indications et exemples d'analyse suffisent à montrer
que, la question essentielle de l'analyse secondaire se résume à ceci: que
faut-il chercher et quelles variables isoler ? La réponse dépend, d'une part,
de l'imagination et de la persévérance du chercheur, de sa connaissance
du domaine observé et d'autre part de la richesse des matériaux recueillis.
547 2° Effet des enquêtes ◊ On a indiqué à propos de la phase prélimi-
naire de l'enquête, que le chercheur, quel que soit le type de recherche,
devait toujours se montrer prudent quant au choix du sujet, à la tech-
nique à employer, aux questions à poser, enfin quant aux répercussions
possibles de l'enquête, compte tenu de la situation du milieu enquêté.
L'enquête n'est jamais quelque chose d'indifférent Elle fait toujours plus
ou moins réagir. En général, poser des questions fait réfléchir celui qui
doit répondre. L'enquête peut troubler ou cristalliser l'opinion des enquê-
tés, mais la connaissance des résultats de la recherche peut être encore
plus explosive. Ce danger est d'autant plus grand que le milieu enquêté
est plus réduit et son état de tension plus élevé. Dans un atelier sur le
point de se mettre en grève, la communication aux ouvriers des résultats
de l'enquête que l'on vient de terminer dans l'entreprise, aura des réper-
cussions plus graves que la publication dans un journal des résultats
d'une simple enquête d'opinion 1. On appelle effet de« feedback2 », les
réactions du milieu enquêté, sa prise de conscience des problèmes lorsque
les résultats de l'enquête lui sont communiqués.
Ces réactions sont parfois volontairement utilisées pour obtenir des modifica-
tions d'attitude et constituent (cf. n°' 891 et s.), des éléments actifs de l'interven-
tion psychosociologique. Même en dehors d'une recherche en milieu clos, au
niveau plus vaste et impersonnel d'une enquête d'opinion, le fait pour les tenants
de telle ou telle position politique de pouvoir se compter, n'est pas sans impor-
tance. En cas d'élection, il peut influencer le vote et entraîner ce que les Améri-
cains appellent l'effet de bandwagon3 que traduit l'expression« voler au secours
de la victoire».

548 3° Propriété, publication et présentation des résultats de


l'enquête: a) Propriété des résultats de l'enquête ◊ Le fait
d'avoir finance une enquête donne-t-il tous les droits sur ses résultats?
Un certain nombre de problèmes se posent ici.
La libertéde l'investigation.- D'abord, n'importe qui peut-il chercher
n'importe quoi ?
Les recherches financées par des organismesétrangersne peuvent-elles
parfois revêtir un aspect d'espionnage politique ou sociologique? De
même, n'existe-t-il pas de limites au droitdesfirmes en ce qui concerne le
1. La parution de l'enquête d'O. Lewis (1963, B. 580 bis) suscita au Mexique de très vives réac-
tions.
2. Terme emprunté à la théorie de l'information. Cf. n°' 407 et s.
3. « Wagon de l'orchestre» qui attire le public.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 563

domaine des recherches qu'elles financent et le secret des résultats ? Dans


une étude de marché, où commence l'espionnage d'opinion incompa-
tible avec une démocratie réelle? La déontologie de la recherche n'a pas
encore pris position sur tous ces points.
Lorsqu'il s'agit d'une enquête publique ou privée en milieurestreint,le
maximum d'objectivité de l'enquêteur doit être complété par le maxi-
mum d'information apporté ensuite aux enquêtés. Ils ont contribué à la
recherche par leurs réponses, il est normal que les résultats leur soient
communiqués, ce qui est loin d'être toujours le cas.
Limites au droit d'utilisationdes résultats.- Du financement de l'en-
quête découle la propriété des données recueillies. Elle donne le droit de
conserver les résultats secrets ou de les publier, jamais celui de les utiliser
de manière tendancieuse. Si l'information demeure souhaitable, encore
faut-il qu'elle soit vraie 1.
549 b) La publication de l'enquête ◊ En général le chercheur respon-
sable d'une enquête désire en faire connaître les résultats. Les organismes
tels que la Recherche Scientifique ne publient une enquête que s'ils ont
été consultés sur son sujet, l'ont approuvée et l'ont subventionnée. Si ce
n'est pas le cas, la publication posera un difficile problème financier à
l'universitaire, ou au chercheur isolé, qui a épuisé son budget de
recherche. Il devra alors se résigner à des solutions douloureuses, telles
que la réduction des commentaires à la taille d'un article, ou la suppres-
sion des tableaux statistiques trop onéreux.
Un problème important est celui du laps de temps qui s'écoule entre la
fin de l'enquête et sa parution. Certaines enquêtes impliquent de la part
du chercheur un véritable sens prospectif. Ce qui les rend intéressantes
pour le lecteur, c'est le fait qu'elles explorent un domaine nouveau,
posent des problèmes dont le public commence à prendre conscience.
Mais les données de l'enquête : prix, équilibre des forces, risquent d' évo-
luer aussi.
550 Le compte rendu d'enquête ◊ L'esprit dans lequel doit être conçu le
rapport d'enquête est fonction du type de recherche entrepris, mais sur-
tout du public auquel il s'adresse, de son niveau de connaissance, de l'as-
pect du problème qui l'intéresse.
- Qui va lirele compterendud'enquête?On peut ramener ces lecteurs à
trois groupes :
- Lessdentifiques,c'est-à-dire ceux qui, sans être forcément des spécia-
listes du sujet traité, sont tout de même intéressés par la recherche à un
niveau élevé.
- Le public. Il s'agit de lecteurs qui n'ont pas de connaissances tech-
niques.
- Enfin les utilisateurs.Ceux qui ont commandé la recherche dans un
but pratique, en vue de décisions à prendre: patrons, directeurs de ser-
vices publics ou privés, ou les utilisateurs virtuels. Une recherche menée
1. Cas de l'utilisation tendancieuse d'une enquête en 1954 sur La C.E.D. devant l'opinion.
564 ÉTAPES COMMUNES A TOUS LES TYPES D'ENQUÊTE

sans souci déterminant d'application pratique, peut tout de même


conduire à des conclusions assez impératives. Celles-ci, une fois connues,
influenceront les responsables, qu'intéressent les problèmes en cause.
Il n'existe ni règles, ni recettes particulières pour rédiger un rapport
d'enquête. Il est d'abord indispensable de présenter avec clarté et préci-
sion l'objectifde l'enquête,parce qu'il est essentiel. Il arrive que le cher-
cheur soit tellement habité par son sujet qu'il n'imagine pas les lacunes
de ses lecteurs. Il peut, suivant son public, présenter ses buts de façon
plus ou moins technique ou complète, mais il doit toujours, même en
étant bref, être très explidte, ne pas passer sous silence trop d'éléments
supposés connus. En même temps que les objectifs, il convient de présen-
ter les hypothèses,indiquer également les travaux ayant pu servir de point
de départ à la nouvelle recherche entreprise, signaler leurs limites, mais
sans minimiser leur importance 1.
Quant aux résultats, il vaut mieux être modeste et ne pas les générali-
ser de façon excessive. Il est cependant utile en présentant ses conclu-
sions, d'indiquer quels peuvent être les prolongements de l'enquête sur le
plan pratique et de signaler vers quelles nouvelles recherches elle permet
de s'orienter.
Il est également prudent de bien marquer en même temps que l'ob-
jectif de l'enquête, les limites de son propretravail, sous peine de se voir
reprocher de n'avoir pas traité ou vu ceci ou cela. Limites en ce qui
concerne le but, mais également les moyens dont on disposait, le nombre
d'enquêteurs, leur qualification, etc.
Ceci nous amène à aborder un problème delicat, celui de la part à
réserver à la méthodologie.
551 La méthodologi.e ◊ 11est généralement admis et recommandé de don-
ner dans le compte-rendu d'enquête des indications méthodologiques. En
fait, c'est la nature de l'enquête et surtout l'importanceque le chercheurlui-
même attache à ces problèmes,qui l'amèneront à concevoir son exposé
méthodologique de façon plus ou moins complète.
Deux attitudes sont possibles : la première consiste à ne faire grâce au
lecteur d'aucune démarche, d'aucun détail, sur la façon dont on a pro-
cédé, sur toutes les vérifications auxquelles on s'est livré. L'appareil
mathématique paraît développé pour impressionner le lecteur et recouvrir
parfois la minceur des résultats obtenus 2 . Une deuxième attitude, plus
fréquente en France, où la part faite à la méthode est trop souvent sacri-
fiée, consiste à passer sous silence ou à indiquer de façon très sommaire,
la technique utilisée et sa mise en application.
Il paraît essentiel que le chercheur ne se contente pas d'indiquer les
résultats obtenus, mais rende compte de la démarche qui fut la sienne, de
la façon dont il a obtenu les données qu'il fournit. La part à réserver à ces
explications dépend du type d'enquête, du genre de la publication et des
lecteurs auxquels elle s'adresse.
1. L'honnêteté intellectuelle l'exige, la courtoisie le conseille... la susceptibilité des intellectuels le
rend indispensable.
2. Reproche fait à certaines enquêtes américaines.
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 565

Une enquête d'exploration sur le terrain ne soulève pas les mêmes pro-
blèmes techniques qu'une recherche de diagnostic, proche de l'expéri-
mentation. Dans cette dernière, la rigueur des étapes, les conditions dans
lesquelles s'est déroulée l'expérience, les éléments de preuve concernant
les résultats, leur vérification, déterminent la valeur de l'enquête. La part
concernant la méthode doit être très complète. Un ouvrage conçu pour
un public large devra, au contraire, se contenter d'indiquer rapidement la
façon dont les matériaux ont été recueillis. Une formule commode
consiste à renvoyer en annexe les parties les plus techniques. On n'alour-
dit pas ainsi l'ensemble du texte et le spécialiste peut tout de même trou-
ver les renseignements qui l'intéressent.
Le chercheur ne doit pas, dans sa publication, consacrer à ses diffi-
cultés méthodologiques une part proportionnelle à la peine qu'elles lui
ont causé, mais seulement une part en rapport avec l'intérêt qu'elles pré-
sentent pour l'enquête et les lecteurs. De toute façon, un bon compte-
rendu doit demeurer très proche de la réalité de l'enquête et des
démarches qui l'ont inspirée, non pas de toutes ses vicissitudes mais du
moins de son esprit Le travail sur le texte est en quelque sorte l'alambic
d'où sortira le meilleur, l'essence du travail accompli.
Il est un reproche très général que l'on peut adresser même à ceux qui
donnent des indications méthodologiques suffisantes, c'est leur tendance
à camoufler les difficultés rencontrées. Les comptes-rendus d'enquête
gardent trop souvent une allure académique, dissimulant soigneusement
tous les faux pas pour qu'apparaissent seuls les résultats élaborés, figno-
lés. Le travail terminé, on se refuse à laisser voir les échafaudages grâce
auxquels on l'a accompli. Or ce qui intéresse les lecteurs à l'esprit scienti-
fique, ce sont justement les difficultés rencontrées. Telle question s'est
révélée ambiguë, telle démarche eût été plus rentable si elle avait été faite
plus tard, etc. Autrement dit, si les renseignements méthodologiques sont
utiles sur le plan scientifique, comme garantie de validité de l'enquête et
pour situer le niveau des résultats obtenus, ils sont encore plus intéres-
sants et même indispensables, en tant qu' expérience méthodologique. Les
récits honnêtes et complets sont les plus instructifs 1. Le rapport Kinsey,
par exemple, est souvent cité non pour la nouveauté du sujet qu'il aborde,
mais pour la très large place qu'il accorde à la méthodologie.
Il est d'autant plus difficile de mener à bien cette lutte pour la vérité
concrète, que la tendance à camoufler ne provient pas seulement des
mauvaises habitudes prises, mais aussi de raisons matérielles: dimen-
sions des publications et prix de revient. On ne publie que l'essentiel, et la
méthodologie, n'étant pas le souci majeur, est sacrifiée.
552 Le langage ◊ Un probl~me important: celui du langage et non pas
seulement celui du style. Economistes et surtout sociologues, du fait des
nouveaux domaines qu'ils ont abordés depuis l'après-guerre, n'ont pas
1. Nous nous sommes réjouis, ayant lutté dans ce sens, de découvrir que Lazarsfeld note aussi
combien l'enseignement de la méthode est handicapé par le manque de matériel approprié. Les
« produits finis» cachent les étapes de la recherche dont les étudiants ne peuvent alors plus profiter.
Cf. Lazarsfeld,Actesdu IV"Congrèsinternationalde sociologie,19 59, p. 78.
566 ÉTAPESCOMMUNES A TOUS LESTYPES D'ENQUÊTE

résisté à la tentation de créer des mots. Le manque de précision des


concepts, l'invasion des termes anglo-saxons, véhicules des expériences
récentes, sont certes des circonstances atténuantes. Mais ce langage par-
fois inutilement obscur, présente de graves inconvénients. De nombreux
étudiants s'imaginent avoir acquis des connaissances alors qu'ils ont seu-
lement appris le plus facile : des mots.
Certes, il est parfois indispensable, pour recouvrir des concepts nou-
veaux, de créer des néologismes ou d'utiliser le « prêt à porter » d'un mot
étranger. Il est plus inquiétant, sous prétexte de technicité, de créer la
confusion. Comme le notent Goode et Hatt : « L'échec du sociologue à
communiquer facilement n'est pas dû à l'emploi de termes abstraits ou
techniques mais à son incapacité à maîtriser le langage non technique 1. »
Le premier impératif, c'est d'abord d'écrire en français. Bien entendu tous
les chercheurs et spécialistes en sciences humaines ne sont pas également
doués sur le plan des moyens d'expression, mais on peut demander à tous
d'écrire de façon simple et claire. C'est le meilleur moyen de rendre les
résultats obtenus accessibles et convaincants.
Ces conseils valables pour tous étant respectés, le langage et le style
dépendent ensuite du type d'enquête et du public auquel on s'adresse. Si
l'enquête, très technique, doit donner avant tout les preuves et garanties
de sa rigueur, l'enquête plus intuitive, même systématiquement conduite,
nécessite davantage de qualités d'expression. Il ne s'agit pas seulement de
communiquer des éléments précis ou des chiffres, mais aussi de trans-
mettre une atmosphère, des hypothèses qui sont au départ des impres-
sions. L'ensemble ne sera convaincant, n'intéressera le lecteur, que dans
la mesure où il participera à cette expérience vécue par le chercheur. Des
livres comme Street Corner Society2 ou Villagein the Vaucluse3 doivent une
part de leur succès à la façon simple et vivante avec laquelle ils sont rédi-
gés et à l'ambiance qu'ils évoquent.
553 Les utilisateurs ◊ Enfin les rapports écrits pour les utilisateurs: étude
de motivation, enquête industrielle, posent le problème de la dimension
et des limites du compte-rendu d'enquête. Dans le cas de publication,
cette question est souvent réglée en fonction de considérations finan-
cières. Dans le cas d'utilisation sans publication, le problème est d'abord
psychologique : de quel temps et de quel niveau d'attention celui qui a
commandé l'enquête dispose-t-il? Il s'agit avant tout pour le chercheur,
de présenter un rapport suffisamment clair, dégageant des conclusions en
fonction des problèmes qui ont suscité l'étude. Mais il faut se souvenir
des différences de points de vue qui peuvent opposer l'utilisateur et le
chercheur. Ce dernier doit le plus souvent épargner à son lecteur les déve-
loppements techniques et surtout, quel que soit leur intérêt, les implica-
tions trop théoriques de sa recherche. Il peut les indiquer, dans la mesure
où elles servent de fondement à ses résultats, mais s'y référer de façon
1. (1952, B. 198), p. 366.
2. W. F. Whyte (1943, B. 312).
3. L. Wilye (1957, B. 860).
ÉTAPESTERMINALESDE LA RECHERCHE 567

simple et explicite sans s'appesantir. Une bonne formule consiste pour le


chercheur, à faire un rapport complet de sa recherche, pouvant être écrit
comme une sorte de mise au point et d'y joindre à l'usage des utilisateurs
pressés, un deuxième texte, plus concis, rédigé dans une optique plus pra-
tique, plus proche des objectifs de l'enquête.
Il faut enfin citer à part, les résumés et les comptes-rendus de véritable
vulgarisation, que les journaux tirent parfois des résultats d'enquêtes
publiées. Il serait souhaitable que le responsable de l'enquête puisse les
contrôler. Cela est malheureusement rarement possible, de même que
l'on ne peut empêcher l'utilisation plus ou moins partisane des résultats,
une fois que ceux-ci sont connus et publiés.

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TITRE1

LESTECHNIQUES
DOCUMENTAIRES
On examinera les diverses sources documentaires : documentation
écrite, documentation visuelle ou audiovisuelle, ensuite les techniques
d'étude de documents 1.

1. Il ne s'agit pas ici bien entendu de dresser une liste exhaustive, mais d'indiquer quelques
sources essentielles de documentation et le type de problèmes qu'elles soulèvent.
DOCUMENTATION ÉCRITE 573

CHAPITRE1
LESSOURCES
DE DOCUMENTATION

SECTION1. DOCUMENTATION ÉCRITE


5 5 5 Divers types de documents officiels ◊ il existe un grand nombre de
documents de nature et de forme diverses. On peut distinguer les docu-
ments écritset les documents oraux chiffrés ou emegistrés, les documents
officielset les documents privés.
La notion de documents privés recouvre aussi bien le journal intime,
l'autobiographie d'un homme d'État, un acte sous seing-privé, que des
éléments plus importants comme des archives d'organisations.
A côté des documents écrits ou chiffrés privés, existe la documentation
officielle.
Certains documents officiels peuvent concerner des actes individuels : vente
d'une propriété, mariage, dépenses de la favorite de Louis XV, ou concerner des
actes de la vie politique: compte-rendu d'assemblée dans le Journal Officiel,
affiches de la mobilisation générale.
Une civilisation s'exprime dans ses documents. Nous sommes une
civilisation de bureaucratie, de paperasserie et de microfilms. Il serait
important de connaître la tendance de cette bureaucratie, ce qu'elle
classe, ce qu'elle cherche à savoir, son contenu. Quels sont ses facteurs de
développement, mais surtout les facteurs historiques, politiques, etc., qui
l'orientent dans un sens particulier? Comment d'autres pays placés
devant ces mêmes exigences, inhérentes à notre époque, résolvent-ils ces
problèmes : recensement et surveillance des étrangers, organisation des
statistiques, cadastre, etc. ? Il y aurait dans chaque secteur, à dégager une
sorte de sociologie de l'inspiration paperassière, tenter de découvrir des
types de conceptions différentes.
Un exemple, intéressant, est celui du cadastrefranç,ais.Conçu avec des arrière-
pensées fiscales, il date d'une époque de respect pour la propriété foncière. C'est
pourquoi, il n'y a pas si longtemps, hypothéquer sa maison paraissait un déshon-
neur, alors qu'en Suisse, les cédules hypothécaires font l'objet de transactions
comme les obligations. Le cadastre en lui-même contient quantité de renseigne-
ments d'ordre sociologique et historique.

556 Le document n'est pas établi par le chercheur ◊ Une caractéris-


tique importante de cette documentation écrite, c'est que le chercheur
n'exerce aucun contrôle sur la façon dont les documents ont été établis et
doit sélectionner ce qui l'intéresse, interpréter ou comparer des matériaux
pour les rendre utilisables. Il se trouve le plus souvent, devant un
574 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

ensemble de renseignements recueillis sans lui, dans un dessein plus


vaste, parfois national et formant un tout, établi généralement de façon
standardisée. Dans une recherche vivante au contraire, le chercheur choi-
sit, adapte ses instruments techniques : tests, interviews, à sa recherche
particulière.
Les juristes, sous l'impulsion de G. Le Bras (sociologie religieuse) et de J.Car-
bonnier (sociologie juridique), ont étudié de nombreux documents du point de
vue sociologique : testaments, adoptions, etc. Enfin la science politique utilise une
grande variété de documents officiels ou privés, écrits et oraux : discours, corres-
pondance, etc.

§ 1. Documents officiels et documents privés


5 5 7 1 ° Archives publiques ◊ Qu'il s'agisse d'archives centrales ou locales
(départementales, communales), elles constituent une mine de ren-
seignements, mais présentent pour le chercheur un grand nombre de dif-
ficultés.
Beaucoup de documents ne sont pas conservés plus de quelques années. Les
guerres, les incendies, les révolutions, amènent la destruction de très nombreux
dossiers. Enfin, tous les ministères ne se soumettent pas à la loi qui les oblige,
après un certain délai, à verser leurs documents aux archives nationales. De plus,
la plupart des pays et la France, ont adopté la règle de l'interdiction de communi-
quer les documents pendant cinquante ans. Ceci supprime tout ce qui concerne
l'actualité. Des autorisations peuvent être accordées aux chercheurs, par les
ministères intéressés ou le secrétaire général des assemblées parlementaires, pour
les documents concernant celles-ci. Cette facilité dépendra toujours de l'orga-
nisme chargé de l'enquête, du sujet étudié et de la conjoncture politique.
D'autres publications du Journal officielet autres journaux officiels: débats
parlementaires, documents parlementaires, etc., du fait qu'ils reproduisent les
discours, interventions, propositions de lois, permettent de nombreuses recherche
position des partis vis-à-vis de tel projet, etc. Citons enfin les nombreuses publica-
tions administratives : délibérations des conseils généraux, municipaux, bulletins
des ministères, annuaires administratifs, etc. Ces publications sont dépouillées
dans une revue éditée par la Documentation Française, intitulée : Bibliographie
sélectivedespublicationsofficiellesfrançaises.
558 2° Archives privées ◊ On peut grouper sous cette rubrique toute la
gocumentation des organisations : partis, syndicats, groupes de pression,
Eglise, franc-maçonnerie, etc. Les archives des entreprises peuvent égale-
ment retracer des épisodes intéressants: conflits, conventions collectives,
etc., ou des étapes d'extension et d'absorption d'autres firmes. Bien
entendu, cette masse de documents se différencie par son importance et
l'intérêt de son contenu, l'un et l'autre très inégaux, et surtout par les dif-
ficultés plus ou moins grandes d'y accéder.
Comme pour les archives publiques, la guerre, l'occupation, la peur de docu-
ments compromettants, sont cause de nombreuses destructions. De plus, si sur le
plan général, grâce à son administration, la France a toujours eu une importante
documentation écrite, sur le plan privé, l'organisation que nécessitait une grande
DOCUMENTATION ÉCRITE 575

masse d'informations faisait défaut jusqu'à une époque récente. Même le déve-
loppement de la comptabilité, pourtant liée à la fiscalité, est bien postérieur à l'ex-
tension de celle-ci.
Intéressantes ou pas, complètes ou partielles, organisées ou non, les
archives privées, autant sinon plus que les archives publiques, opposent
au chercheur l'obstacle du triple secret : de la politique, des affaires, des
familles. Parfois des autorisations sont obtenues sur le plan local ou per-
sonnel, mais les difficultés demeurent grandes.
559 3° Les statistiques ◊ Ce sont des documents chiffrés ayant pour but
de dénombrer soit les individus eux-mêmes (nombre de naissances ou de
décès), soit des éléments de production, soit des événements ou faits
(nombre de crimes, nombre d'accidents). Le recensement des habitants
est une pratique fort ancienne qui, à l'heure actuelle, ajoute à son carac-
tère initial, fiscal et militaire, un but économique et administratif, d'où
l'extension des renseignements demandés. Les statistiques se sont multi-
pliées à titre d'éléments d'information, pour un État devenu de plus en
plus planificateur et interventionniste. Le caractère plus complexe de l'ad-
ministration a augmenté le nombre de documents statistiques dans les
hôpitaux, la sécurité sociale, etc. 1.
Les États-Unis, pays riche aimant les bilans chiffrés, ont toujours refusé la cen-
tralisation de la statistique, pour éviter la tentation de manipulation qu'elle ins-
pirerait probablement. Chaque ministère, chaque entreprise dresse donc les statis-
tiques qui l'intéressent. Il n'existe pas de lieu où toutes les données chiffrées
soient recueillies. La statistique et la police, pour des raisons politiques, se
conçoivent mal, unifiées 2 •
Cependant par le biais des multinationales, les E.-U. recueillent, ~râce à des
réseaux de communications qui leur appartiennent ( satellites ou cables sous-
marins), des données économiques en provenance de nombreux pays, en parti-
culier de la France, qui eux-mêmes ne possèdent pas ces informations.
560 a) Établissement des statistiques ◊ Les statistiques sont constituées
soit directement,à intervallesréguliers,c'est le cas des recensements géné-
raux de populagon eff~ctués par l'I.N.S.E.E. (Institut National de la Sta-
tistique et des Etudes Economiques), soit de façon continue,(l'évolution
du chômage). Les statistiques peuvent être dressées de façonindirecte,en
relevant des indices considérés comme significatifs et en extrapolant, par
exemple le dénombrement de la population non par individus, mais par
foyers ou ménages.
C'est l'exemple classique de l'évaluation de la fortune nationale par l'annuité
successorale. On part du principe que chaque héritier profite de son héritage envi-
ron trente ans. Le chiffre des successions d'une année représenterait donc (s'il
était exact), 1/30• de la masse des capitaux privés, et il suffirait alors de le multi-
plier par 30 pour obtenir le chiffre total de la fortune nationale. Une autre
méthode consiste à dénombrer suivant la technique du sondage par échantillons.
1. J.-P. Poisson (1974).
2. Les pays totalitaires avec leurs systèmes planificateurs visent au contraire à établir des statis-
tiques permettant des décisions d'ensemble. Les pays démocratiques prennent des mesures pour pré-
server la vie privée et la liberté individuelle.
576 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

561 b) Utilisation des statisti9ues 1 ◊ Les statistiques recueillent à des


époques régulières, des donnees semblables en des lieux différents. La
généralité des facteurs qui sont en cause : sexe, profession, taux de nais-
sances, d'accidents, de suicides, etc., peut permettre au chercheur de
comparer à ces données générales les facteurs plus particuliers qui l'in-
téressent. Par exemple, il peut dans une enquête d'opinion, chercher des
corrélations entre ses propres résultats et les chiffres de revenus, de fré-
quentation scolaire, etc., que lui fourniront les statistiques nationales. Les
enquêtes sur le terrain utilisent les données statistiques locales existantes.
La difficulté consiste en général, pour utiliser les résultats, à faire coïnci-
der les délimitations des secteurs, avec l'espace sur lequel porte l'enquête.
C'est le cas pour les enquêtes électorales où un secteur de recensement
comprend plusieurs bureaux de vote.
On peut également utiliser les données statistiques, pour constituer des échan-
tillons semblables, si l'on veut comparer l'opinion de deux communautés ne dif-
férant que sur un point, par exemple l'attitude de deux échantillons de popula-
tion vis-à-vis de l'avortement. On pourrait concevoir deux échantillons
comparables sur tous les points : revenus, âge, etc., mais l'un composé de catho-
liques, l'autre de protestants et le troisième sans religion. Si l'on veut procéder à
des expérimentations, on peut au contraire utiliser des échantillons semblables,
les uns servant de groupes de contrôle, d'autres de groupes expérimentaux et voir
comment ils réagissent à l'influence de la variable choisie. C'est ainsi que l'on a
procédé pour étudier le soldat américain dans la Deuxième Guerre mondiale 2 .
Les chercheurs sont parfois trop avides de recherches reposant sur leur
propre documentation et n'exploitent pas suffisamment les matériaux
existants. Outre le fait que les enquêtes par questionnaires sont oné-
reuses, elles demeurent le plus souvent très limitées. Les statistiques, plus
étendues dans l'espace et le temps, offrent une grande richesse de maté-
riaux que l'on a tort de ne pas utiliser davantage.
C'est ainsi que J.W. Riley (1962) cite l'exemple d'une enquête par question-
naire sur l'attitude des nouvelles ~énérations de femmes, vis--à-visdu travail de la
femme mariée. Dans une premiere phase d'études statistiques, apparaît l'aug-
mentation du nombre de femmes mariées actives, en particulier en corrélation
avec l'instruction. Une deuxième phase d'enquête par questionnaire montre l'opi-
nion en faveur du travail très également répartie chez les jeunes filles, indépen-
damment du statut économique de leurs parents. Une troisième phase ramena les
enquêteurs aux statistiques, qui confirmèrent à la fois l'élévation du nombre des
femmes actives, en corrélation avec le niveau d'instruction, mais firent découvrir
une baisse de l'emploi des femmes, en fonction du revenu du mari. Ce qui
conduisit à distinguer les deux facteurs agissant contradictoirement (alors que le
plus souvent niveau d'instruction et niveau économique vont dans le même sens)
et à prévoir la lente perte d'influence du deuxième par rapport au premier. Il est
certain que, dans des cas semblables, des statistiques nationales permettent des
vérifications, mais aussi des généralisations, qui augmentent considérablement
l'intérêt d'une enquête limitée. C'est grâce aux statistiques de suicides que Durk-
heim a pu isoler certains facteurs : âge, état civil, religion et proposer des hypo-
thèses.
1. G.-R. Chevry (1962), A. Desrosières (1985).
2. Stouffer (1949).
DOCUMENTATION ÉCRITE 577

Les renseignements statistiques, tant sur le plan historique que pour la


compréhension du présent et la prévision de l'avenir, constituent donc l'in-
dispensable et souvent irritant outil du chercheur. Irritant, car les statistiques
apportent souvent des résultats auxquels manque justement l'élément le plus
utile.
Parfois, grâce aux ordinateurs, les services statistiques peuvent, sur demande,
poser à leurs matériaux des questions SUJ?plémentaires,trier certains quartiers,
certaines professions, ou certaines caracteristiques, dont les résultats n'avaient
pas été comptabilisés à part. Ceci bien entendu est plus ou moins facile, plus ou
moins long, plus ou moins coûteux et implique la coordination entre chercheurs
et informaticiens 1.
562 c) Validité des statistiques ◊ L'attitude vis-à-vis des statistiques est
dans le public, aussi bien que parmi les personnes dites informées, très
ambiguë. Tantôt qualifiées de mensonges et les résultats de «trafiqués»,
les statistiques inspirent aussi un vague respect pour ce qui est écrit, sur-
tout les chiffres officiels qui suscitent une croyance naïve en une confor-
mité avec la réalité. Au-delà de ces attitudes contrastées, le problème de la
validité des statistiques, de ce qu'elles sont censés mesurer, de la notion
même de vérité des faits recueillis, soulève un grand nombre d'interroga-
tions.
On laissera de côté les erreurs par négligence : cas des listes électorales
où les morts demeurent inscrits, ce qui augmente le taux des abstention-
nistes parmi les gens âgés, ou le fait que les jeunes gens obligatoirement
recensés pour le service militaire apparaissent plus nombreux parmi les
abstentionnistes par rapport aux jeunes filles qui votent si elles ont pris la
peine de s'inscrire. De même, on n'abordera pas ici le problème des tech-
niques de redressement : cas des hypothèses de signification des non
réponses ou des catégories sous estimées (votes extrémistes) dont les
résultats sont arbitrairement modifiés.
Un grand nombre de décisions politiques, qu'il s'agisse du chômage, de
la sécurité sociale, de la drogue, de la construction, de la fiscalité s'ap-
puient sur des statistiques, il est donc indispensable pour tout citoyen et
plus encore pour le chercheur en sciences sociales de savoir ce que
recouvrent ces données chiffrées.
Première remarque essentielle: ces données ne méritent pas leur nom
car elles résultent le plus souvent d'un travail complexe pour ne pas dire
de manipulations. La première question à poser concerne leur origine.
Que recouvrentcesdonnées? D'où viennent-elles? Parquelprocédéet par qui
sont-ellesrecueillies?
La réponse à la première question doit être résolue par la définition
même des faits à recueillir. Le nombre de voitures immatriculées soulève
peu de difficultés. En revanche, la notion d'accident est déjà plus délicate.
Un accrochage, une éraflure (surtout avec une franchise elevée) peuvent
n'être pas comptabilisés de la même façon dans tous les pays.
L'étude de Durkheim sur le suicide a donné lieu à de nombreux com-
mentaires. La mort d'un individu sera plus ou moins facilement cata-
1. Cf. n° 717.
578 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

loguée suicide suivant les époques.Lorsque la religion, l'opinion sont hos-


tiles, la famille camouffle la cause du décès. Les pénalités frappant le
suicide en Angleterre réduisaient le nombre des déclarations. Les lieux
influent également non seulement en fonction de facteurs sociologiques,
mais également de ceux qui définissentet déclarentou enregistrentles faits.
D'après Durkheim, les facteurs sociologiques (isolement, etc.) favori-
saient les suicides à la campagne. Les statistiques récentes montrent le
contraire, simplement parce que les gendarmes, compétents dans les
campagnes, transmettent plus fidèlement les cas de suicide aux orga-
nismes statistiques, que la police urbaine, responsable dans les villes. De
même l'accroissement de certains chiffres n'implique pas une aug-
mentation réelle mais un meilleur dépistage dans le cas de maladie et
lorsqu'il s'agit de l'alcoolisme au volant, un contrôle plus sévère, plutôt
qu'un nombre croissant de conducteurs ivres.
Il faut également distinguer les données relevant d'appréciations exté-
rieures : médecin, famille, de celles qui font appel aux intéresséseux-
mêmes.Ainsi qu'on le verra pour les réponses à toutes les enquêtes par
questionnaire (cf. n°s 672 et s.), !'enquêté peut comprendre la question
mais ne pas vouloir donner la réponse exacte: c'est le cas de la fraude fis-
cale. Ou parce que le questionnaire est trop détaillé, cas de certaines sta-
tistiques agricoles. Plus souvent c'est le flou de la définition qui est en
cause. Une lingère est-elle une employée travaillant dans un hôtel, un
hôpital ou une travailleuse à domicile? Un chauffeur est-il le préposé à la
chaudière dans un grand établissement ou un « chauffeur de maître »
nourri et logé ? Si l'on veut établir un lien entre les attitudes politiques et
le milieu de travail, ces éléments non précisés mais essentiels feront
défaut
Enfin il est indispensable, pour pouvoir comparer des résultats, qu'ils
correspondent à la même définition. Si, par exemple, on modifie des
tranches de revenus imposabfes, le nombre d'individus soustraits à l'im-
pôt variera. Si l'on modifie la définition de la population active, les per-
sonnes travaillant à mi-temps étant considérées à part, les résultats statis-
tiques ne seront plus comparables. C'est au chercheur de vérifier la
permanence des définitions. Parfois celles-ci sont incertaines ou
comportent une zone d'interprétation qui leur enlève toute rigueur.
Pour que les catégories aient quelque chance de correspondre à la réa-
lité, il faut, d'une part que la définition donnée par l'organisation chargée
de la statistique soit claire et maintenue d'une enquête ou d'un recense-
ment à l'autre, d'autre part, que les gens interrogés aient une définition
semblable, pour que les éléments recueillis soient homogènes.
Les notions de chômage, de travail, de pratiques religieusessont souvent inter-
prétées de façons différentes. L'individu qui n'a pas trouvé d'emploi dans son
métier et travaille occasionnellement comme jardinier à la journée, peut se perce-
voir et se déclarer en chômage. Le baptisé qui ne va jamais à l'église, s'inscrira
comme catholique à côté de ceux qui pratiquent régulièrement.
Les catégories socio-professionnelles sont difficiles à établir. Élaborées
surtout par l'I.N.S.E.E.à partir des conventions collectivesdéterminant le
DOCUMENTATION ÉCRITE 579

hiérarchie des salaires, elles ont été critiquées puis modifiées pour le
recensement de 1982 1. Elles dépendent en partie de l'opinion et de l'état
d'esprit des enquêtés. Les recherches sur la mobilité sociale sont de ce fait
très délicates.
L'importance des définitions exige donc non seulement un travail de
précision dès la conception de l'enquête, mais un travail d'information
des enquêtés sur le terrain.
D. Merllié (1989) donne l'exemple très convaincant d'une enquête sur la
contraception. De nombreuses femmes pour lesquelles seuls le stérilet et la pilule
correspondaient à l'usage de moyens contraceptifs, répondaient honnêtement ne
pas utiliser de méthode contraceptive. Afin de réduire l'écart entre la définition du
code de l'enquêteur et le flou de la notion des enquêtées, il fallut donner des
informations complémentaires sur les divers modes de contraception, reposer des
questions de plus en plus précises. Sans ces précautions, 21 % des femmes inter-
rogées n'auraient pas éte comptabilisées comme prenant des mesures pour
contrôler leur fécondité.
L'écart entre les définitions des enquêteurs et des enquêtés nuit à la
validité des résultats mais il y a plus grave encore, c'est l'écart entre les
définitions des divers organismes chargés des enquêtes statistiques. C'est
le problème soulevé par la pluralitédessourceset des indicateurssur un
même sujet. Ces résultats différents rendent les comparaisons et l'étude
des évolutions impossibles.
Leschiffres de chômage suivant les D.E.F.M. (demandeurs d'emploi en
fin de mois) comptabilisés par l' A.N.P.E. (Agence nationale pour
l'emploi) et ceux recueillis par la P.S.E.R.E.(population sans emploi à la
recherche d'un emploi) et du chômage au sens du B.I.T. (Bureau inter-
national du travail), chiffres retenus par l'I.N.S.E.E. (Institut national de
la statistique et des études économiques) sont différents 2 .
Même dans le cas d'une définition formelle constante, les résultats
varient en fonction des diverses modalitésd'enquête. Une comparaison
entre les résultats du recensement et ceux de l'enquête sur l'emploi, effec-
tués à la même époque en 1975, fait apparaître ces écarts: environ 1/5
des hommes et 1/3 des femmes P.D.R.E. (population disponible à la
recherche d'un emploi) dans l'enquête, sont comptabilisés autrement
dans le recensement de la population, tandis qu'un tiers des hommes et
la moitié des femmes P.D.R.E. au recensement, figurent dans d'autres
catégories dans l'enquête 3• Cette constatation a amené à modifier le
questionnaire du recensement de 1982.
Plus surprenant encore, une même enquête peut recueillir des données
différentes simplement parce qu'elle est répétée, comme si le passage de
l'enquêteur auprès d'un échantillon dont 2/3 des enquêtés sont nou-
veaux, incitait le 1/3 des anciens enquêtés à se déclarer moins souvent
chômeurs que les autres.
1. Les ouvriers agricoles ne sont plus comptés parmi les agriculteurs mais dans la catégorie
ouvriers.
2. J.-L.Besson et al. (1981, 1986), M. Cezard (1981), D. Merllié (1989).
3. Le fait que l'écart soit net surtout chez les femmes, permet de se demander si plutôt que de
«défauts» du recensement ou de l'enquête, il ne s'agit pas de différences de définitions du chômage
et de l'emploi suivant le sexe, cf. D. Merllié (1982, 1987, 1988, 1989).
580 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

Enfin, il est indispensable de savoir par rapport à quoi calculer les


pourcentages. Dans une étude sur les facteurs pouvant influencer l'atti-
tude électorale des femmes, il faut, pour chaque groupe, établir les pour-
centages d'âge, de femmes actives, etc., par rapport au total des femmes et
non par rapport au nombre d'inscrits, où hommes et femmes sont
mélangés. Il faut réfléchir sur les éléments que les statistiques devraient
apporter à la recherche et sur ce qu'elles apportent réellement, vérifier
enfin que les statistiques concernent des périodes assez longues.
Ces remarques rejoignent et complètent les commentaires sur les son-
dages, les questionnaires et leurs limites 1,de nombreuses données statis-
tiques étant recueillies par ces procédés. Elles confirment et illustrent
d'autres commentaires plus généraux sur la recherche 2 à savoir comme
l'écrit J.-C. Chamboredon 3 à propos de la délinquance « que le socio-
logue reçoit son objet au terme d'un processus complexe de sélection et
de traitement ou D. Merllié qui note: « Le sociologue ne ferait pas son
métier s'il analysait comme réalité « naturelle » ce qui est construction,
« produit fabriqué» 4.Allant même plus loin, l'auteur indique que cette
fabrication elle-même possède une signification sociologique qui mérite
d'être étudiée. « Au-delà de la " critique du document " qui implique un
jugement sur sa valeur, on s'efforcera de déboucher sur une véritable
" sociologie du document" qui lui restitue un statut de fait social ». On
ne fait pas n'importe quelle statistique à n'importe quelle époque. Le
choix des sujets, les distorsions sont révélatrices, même les erreurs, ont un
sens qu'un sociologue ne peut ignorer.
562-1 4° Les banques de données 5 ◊ La multiplication et l'extension des
informations, la possibilité de les accumuler et de les utiliser grâce aux
ordinateurs ont contribué à la création de banques de données : ensemble
de renseignements informatisés de façon structurée afin que chaque élé-
ment soit accessible aux utilisateurs intéressés.
Ces banques ont d'abord pour objectif de conserverles informations et
de les classer. La sécurité de celles-ci est leur but essentiel. Elles rem-
plissent une fonction dorumentaireen stockant un même type d'informa-
tions dans un centre de calcul unique ou en les répartissant entre plu-
sieurs centres reliés par des réseaux (S.C.I. de !'INSEE6, SPHIN){7,
LOGOS8, FRANCIS9 ).
Enfin les banques de données ont également pour but d'aider la
recherche.La multiplication des enquêtes économiques, sociales et des
sondages de toute nature, posait des problèmes d'organisation, de conser-
1. (Cf. n° 604, 674-675, 707).
2. {Cf. n° 621).
3. (1971, B. 312).
4. (1989).
5. J.-P. Benzecri (1982).
6. Système informatisé pour la conjoncture de !'INSEE.
7. Données factuelles de !'INSEE.
8. Documentation française.
9. Données bibliographiques du C.N.R.S.
DOCUMENTATION ÉCRITE 581

vation et de coopération que l'extension de l'usage des ordinateurs devait


aider à résoudre.
En 1957, le Roper Public Opinion Research Center1, réunit les résultats de
nombreux sondages pratiqués dans différents pays. S'inspirant de cet exemple,
l'Université de Cologne crée en Allemagne le Zentral Archiv. Enfin, en 1962,
l'Université de Michigan fonde l'inter-University Consortium for Political
Research, étendu par la suite à l'ensemble des sciences sociales, se transformant
en I.C.P.S.R.qui regroupe divers centres à travers le monde et coopère avec des
organismes internationaux (UNESCO, I.F.D.O. 2 et E.C.P.R 3).
L'I.C.P.S.R.ne produit pas de données, son but est d'en recevoir, de les classer,
de les normaliser afin qu'elles soient comparables et accessibles grâce aux princi-
paux logiciels d'exploitation d'enquête, c'est-à-dire utilisables par les chercheurs.
Un catalogue de fichiers disponibles et un code permettant de récupérer les
variables qu'ils utilisent, enfin la publication d'un bulletin d'information signa-
lant les mises à jour successivesapportent les informations nécessaires.
Laplupart des pays d'Europe ont organisé leurs propres banques de données et
toutes sont reliées à l'I.C.P.S.R.4.
En France, si l'INSEE offre des services analogues, ceux-ci sont plus limités du
fait que seules les informations officielles sont stockées. Les données d'en9uêtes
effectuées par les organismes privés ou commerciaux ne sont pas enregistrees. La
documentation très complète dans les domaines de la démographie et de l'écono-
mie, se révèle presque inexistante en sciences sociales et en science politique.
Pour combler cette lacune, des centres de recherche et des universités ont créé
des organismes de banques de données, mais évidemment beaucoup plus res-
treintes soit au plan de la discipline soit au point de vue géographique.
Le centre d'études sociologiques s'est adjoint un département d'analyse
secondaire qui ne compte qu'un nombre restreint de fichiers mais fait circuler
l'information sur les données disponibles 5 •
Comme l'I.C.P.S.R, le B.D.S.P. assure aussi des sessions de formation pour
aider les chercheurs à se familiariser avec ces nouveaux instruments de travail et
également à acquérir un sens de la solidarité dans la recherche scientifique.
Enfin le C.N.RS. a créé en 1981 une banque de données gérant ses propres
informations sociales et politiques (élections au suffrage universel) et des don-
nées socio-démographiques.

§ 2. La presse
On retrouve en ce qui concerne la presse, la distinction signalée à pro-
pos de la documentation. On peut étudier la presse en elle-même en tant
que reflet des tendances des divers secteurs d'une époque et la presse en
tant que source de renseignements.
1. Issu de la création en 1947 de la Sté Elmo Roper and Associates qui stocke les résultats des
enquêtes de la Revue Fortune.
2. International Federation of Data Organisation for the Social Sciences.
3. Consortium européen pour la recherche politique.
4. Sur le plan politique, grâce à l' European
politicaldataNewsletiter.Revue trimestrielle créée en
1971 par S. Rokkan.
5. J. Frisch, B. Gauche (1981).
582 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

563 1 ° La Presse en elle-même : a) L'indépendance de la Presse o En


dehors des pays totalitaires dans lesquels la presse est entièrement sou-
mise aux directives du parti, les pays démocratiques reconnaissent le
principe de la liberté de la presse comme corollaire de la liberté d'expres-
sion. Mais les capitaux nécessaires à la création d'un organisme de presse,
rendent cette liberté formelle. C'est là un exemple classique de la distinc-
tion entre le principe politique et la réalité.
Dans certains pays, les sociétés de presse doivent faire connaître la répartition
du capital, la composition des conseils d'administration, etc. L'équilibre financier
d'un journal dépend aussi d'autres facteurs non contrôlés, en particulier de la
publicité, d'où l'influence des firmes publicitaires et des annonceurs en ce
domaine. N'oublions pas non plus les fonds étrangers, les fonds secrets, les nom-
breuses formes de fonds de roulement dont la source est difficile à connaître. Il
est également important de connaître les formes de censure applicables, tant sur
le plan politique que sur celui des bonnes mœurs, l'usage qui est fait de cette
réglementation et les phénomènes d'autocensure.

564 b) Le contenu de la Presse et son orientation o On peut conce-


voir de nombreux types de recherches: analyse de contenu indiquant la
place que les journaux d'information accordent à la politique interne, à la
politique internationale, aux faits divers, aux nouvelles locales, aux sports
et à la publicité. Une analyse comparative donne des résultats instructifs
et parfois surprenants. Les problèmes politiques ne sont évidemment pas
les seuls. La multiplication des revues et des articles concernant la vulga-
risation des questions médicales ou l'éducation est à signaler, ainsi que la
prolifération d'une certaine presse du cœur. Le ton de la presse mériterait
également une étude (influence de l'optimisme américain en ce qui
concerne le tonus, la foi en la chance, en particulier dans les journaux
féminins et le Reader's Digest, etc.).

565 c) La diffusion de la Presse et son influence ◊ Mériteraient égale-


ment des études, la zone géographique d'influence des journaux poli-
tiques et la recherche de corrélations avec les résultats électoraux. On
pourrait aller au delà et apprécier l'influence d'un journal sur le plan
politique local (cf. le cas de la Dépêchede Toulouse),ainsi que l'influence
des personnalités animant le journal.
Il serait également intéressant de chercher à savoir ce que les gens
lisent dans le journal et l'influence qu'exerce sur eux cette lecture, d' étu-
dier l'interaction entre les opinions de certains journaux, l'idée qu'ils se
font des goûts de leur public et les besoins réels de celui-ci, ce qu'il attend
des journaux qu'il lit. Cette étude pose des problèmes quasi insolubles
pour monter une expérience isolant les variables. Cependant B. Berelson
(1966) a fait des recherches dans ce sens lors des grèves de journaux aux
E.-U. en 1945.
P. Bourdieu (1966) considère ces moyens d'information de masse comme à
peu près exclusivement déterminés et dominés par la représentation (intuitive ou
DOCUMENTATION ÉCRITE 583

scientifiquement informée) des attentes du public 1.Certains journaux semblent


même créés par leur public parce que trop souvent créés pour leur public. Dans la
mesure où ils dépendent de conditions économiques et sociales, ils seraient justi-
fiables d'une analyse externe. Celle-ci miroir d'un miroir porterait sur ce que le
producteur croit que le lecteur attend de lui.
On peut ajouter à l'orientation de Bourdieu tendant à réduire la structure des
contenus en fonction des positions des individus dans le champ, une autre possi-
bilité: l'étude de la façon« dont le champ d'information ordonne à son tour un
champ de lecteurs qui n'existait pas avant lui 2 ». Les bandes dessinées ont pro-
gressivement constitué dans la masse des lecteurs un public particulier qui, au
départ, n'existait pas.

566 2° La. Presse comme source de documentation ◊ On peut faire


une étude comparative de la façon dont certains faits sont présentés dans
différents journaux, étudier ceux-ci en tant qu'organes d'expression de tel
ou tel parti politique.
Lesgroupesd'intérêtspeuvent s'étudier à travers les journaux professionnels qui
font souvent état des interventions de leurs dirigeants auprès des pouvoirs publics
et précisent parfois les objectifs qu'ils poursuivent.
La référenceà un groupesocialse définit moins nettement que l'appartenance à
une famille politique, cependant les journaux ont une clientèle de lecteurs,
offrant des caractéristiques sociologiques, en fonction desquelles le journal est
conçu. Le ton de Libérationn'est pas celui du Figaro.

§ 3. Documents distribués ou vendus


Il s'agit ici de tout ce qui s'imprime à des titres divers et peut fournir
des informations sur une époque.

567 1 ° La.publicité 3 ◊ Plusieurs niveaux et aspects d'étude sont à considé-


rer. D'une part le fait lui-même et ce qu'il signifie : la liberté de la publi-
cité suppose la confiance dans le développement indéfini des besoins des
individus, dans leur bon sens pour les hiérarchiser et dans la libre entre-
prise pour les satisfaire. On peut ensuite concevoir une étude écono-
mique: le financement publicitaire, la part qu'il représente dans l'entre-
prise et les relations établies entre les journaux et les firmes de publicité.
Puis l'influence de la publicité, les types de production qui lui font le
plus appel, la forme qu'elle revêt et les thèmes qu'elle utilise le plus
souvent, c'est-à-dire l'incarnation des rêves en objets et images. C'est le
but des recherches de motivations, qui, à partir d'inteIViewsapprofondies,
tentent de déterminer ce que le client associe de façon plus ou moins
inconsciente à l'idée du produit. Dans ce cas, la publicité portera non
plus seulement sur le produit lui-même et son utilité : huile à bronzer
1. Cf. M. Mouillaud (1968).
2. L. Boltanski (1975).
3. Il ne s'agit ici que de la forme écrite.
584 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

pour éviter les coups de soleil, etc., mais évoquera ce que peut ima-
giner l'acheteur éventuel: le sable chaud, les vacances, la mer, de jolies
filles, etc.
On peut remarquer que la publicité commerciale et une certaine forme de pro-
pagande politique ont des objectifs très voisins. Il s'agit de faire croire au lieu de
fa.ire acheter, mais dans les deux cas de persuader. La connaissance des méca-
nismes psychologiques est essentielle.
Cependant, les Français tout en méprisant la politique sont encore réticents à
l'idée de traiter les idées politiques comme des savonnettes ou des marques de
cirage.
568 2° Annuaires et bottins ◊ Leur intérêt consiste à permettre de trou-
ver facilement des détails sur la carrière de certaines personnalités :
annuaires des administrations, des membres des cabinets ministériels,
etc., ou étudier la composition et l'origine de certains grands corps de
l'État. Ce sont là des indices utiles pour une étude de la mobilité sociale et
des circuits d'ascension les plus utilisés. Il faut se méfier de la façon dont
les dictionnaires biographiques sont établis. Certains contiennent les
noms de ceux qui souscrivent pour le plaisir d'y figurer et constituent un
échantillon d'individus souhaitant voir reconnue leur réussite, plutôt que
d'individus ayant réussi.
569 3° Les œuvres littéraires ◊ Il s'agit ici de ce qui est édité et qui peut
être étudié à des points de vue très différents.
570 a) La littérature pour enfants et adolescents ◊ Le contenu de
cette littérature est-il poétique, scientifique ? quel pourcentage de bandes
dessinées comporte-t-il ? Les thèmes plus fréquemment utilisés : mythe
du héros, violence ou altruisme, etc., indiquent l'orientation de la jeu-
nesse d'une époque, mais en même temps la formation qu'elle reçoit. A
ce point de vue, les livres d'histoire sont particulièrement révélateurs des
valeurs auxquelles un pays est attaché, de la formation du sens national,
mais aussi du sens international. L'U.N.E.S.C.O. a organisé des commis-
sions d'études des livres de classe pour s'occuper de ces problèmes.
5 71 b) La littérature elle-même ◊ En dehors des récits historiques :
mémoires de guerre, récits de grève, souvenirs de la résistance, l'ouvrage
même le plus romantique ou le plus dépourvu d'arrière-pensées sociales,
reflète toujours, plus ou moins, les problèmes d'une époque ou d'une
classe. Certaines œuvres peuvent même être considérées comme de véri-
tables documents: l'œuvre de Marcel Proust ou les Thibautde Roger Mar-
tin du Gard, pour la période d'avant 1914. Au théâtre, les personnages de
Dumas fils, de Bernstein ou d'André Roussin, sont les représentants
d'une certaine société et d'un certain genre de vie.

§ 4. Les documents personnels


572 Variété de documents personnels ◊ Certains hommes politiques ou
dirigeants d'organisations ont conservé des documents, des correspon-
DOCUMENTATION ÉCRITE 585

dances ou notes de conversation. Elles constituent des archives, souvent


spécialisées, portant sur un événement ou une période, mais elles ras-
semblent sur ce point des renseignements pratiquement introuvables ail-
leurs. La difficulté consiste à pouvoir accéder à ces documents que les
familles, à défaut du propriétaire, parfois décédé, défendent souvent
jalousement.
Il existe une autre sorte de documents, ce sont les documents person-
nels que les Américains appellent « documents expressifs» : journaux
intimes, biographies, lettres, toute la documentation subjective dans
laquelle les individus parlent à la première personne et se mettent en
cause eux-mêmes.

5 73 La mode des documents personnels et des récits de vie 1 ◊ L'inté-


rêt que suscite aujourd'hui les documents personnels oblige à poser la
question de leur valeur scientifique. En réaction contre les excès de la
quantification et la multiplicité des théories, de nombreux chercheurs ont
trouvé sans doute plus gratifiant de revenir à des rapports individuels
sous des formes diverses : biographies et autobiographies spontanée, sus-
citées ou dictées, enfin sous une forme orale, les récits de vie.
Plusieurs raisons à cette mode qui atteint même le grand public : le
rythme rapide des changements sociaux incite à se trouver des racines
dans le passé, mais aussi, surtout pour les chercheurs, à conserver ce qui
est en train de disparaître. Il s'agit moins de recherche que de« sauvetage
d'un patrimoine culturel 2 ». De plus les documents personnels comblent
un vide en permettant d'atteindre ce que les techniques utilisées négligent
trop souvent, ce que Malinowski appelle « les impondérables de la vie
authentique». Les documents expressifs ne restituent pas seulement des
faits, mais aussi la signification qu'ils ont eue pour ceux qui les ont vécus
et les décrivent dans leur propre langage.

5 74 a) Les possibilités d'erreurs ◊ Bien entendu, la première vérification


consiste à rechercher si le document provient bien de l'auteur, si ce n'est
pas un faux. Ici la méthode historique classique retrouve ses droits. En
supposant résolue la question de l'authenticité du document, l'auteur
peut avoir été plus ou moins sincère ou avoir subi des influences.
- Une première possibilité d'erreur provient de l'auteur du document.
Pour rectifier celle-ci, il faut d'abord rechercher quelmotif a poussél'auteur
à écrire?
G.W. Allport 3 (1951) en distingue plusieurs: exhibitionnisme (Confessionsde
Rousseau), plaisir littéraire, besoin de se justifier, etc., il est utile de connaitre ce
but, même inavoué, de l'auteur du document, car le récit sera forcément infléchi
de façon à l'atteindre. Si certains mémoires historiques sont inspirés du désir de
contribuer à l'information du public, ou à la mise au point d'événements, un

1. E. de Dampierre (1957), D. Bertaux (1976), M. Grawitz (1986).


2. E. Morin (1980).
3. G.W. Allport (1951. B 275).
586 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

très grand nombre constituent avant tout, pour leur auteur, un moyen de se justi-
fier ( cf. nombre de mémoires parus après la guerre) ou de se glorifier.
L'oubli conscient ou non, de certains faits, la restructuration après coup, le tri,
la simplification ou l'embellissement des souvenirs, jouent évidemment dans les
documents écrits, mais ils existent également, nous le verrons, comme facteurs de
distorsion dans les réponses aux interviews.
Il semble que les causes d'erreurs tiennent plus encore à l'individu et à
son expérience vécue, qu'à la technique écrite ou orale, par laquelle l'in-
formation est recueillie. Dans quellesconditions le document a-t-il été
composé?S'agit-il de mémoires écrits après coup et pour qui ? pour la
famille ? pour la publication ? du vivant de l'auteur ou après sa mort ?
Y a-t-il eu d'autres mémoires publiés sur les mêmes événements? sur la
même période ? Question capitale : l'auteur a-t-il été le témoin direct des
événements qu'il relate, a-t-il été de ce fait attaqué personnellement ? Les
mémoires destinés à la publication ont a priori plus de chances de traves-
tir la réalité, que des journaux intimes enfouis dans un grenier de cam-
pagne.
L Gottschalk 1 signale quelques éléments qui peuvent être considérés comme
indices de la véracité des informations : quand les faits sont indifférents au
témoin, on peut supposer qu'il dit la vérité à leur sujet. De même quand les évé-
nements relatés sont en contradiction avec ce que le témoin avait prédit, ou
encore quand ils lui sont plutôt défavorables, il y a des chances pour qu'ils soient
vrais. Enfin il est rare que l'on invente à propos de faits très connus.
D'autres erreurs peuvent provenir du chercheur, surtout dans le cas où
il s'agit de documents devant être interprétés en fonction d'un contexte
mal connu. S'il s'agit du passé, le chercheur sans formation historique
sérieuse risque d'expliquer certaines réactions, certains mots, en fonction
de valeurs ou de significations modernes. Le document peut aussi prove-
nir d'une culture ou d'un groupe social différent, trop étranger au cher-
cheur, ou encore l'auteur du texte (c'est souvent le cas) suppose connus
certains événements, ou certaines données qu'il ne précise pas. Ce genre
d'inexactitudes est plus facilement évité dans les interviews où l'on peut
poser des questions.
575 b) Les possibilités de prédiction ◊ Certains auteurs ont voulu véri-
fier la validité de la prédiction émise d'après des documents écrits et
comparer les résultats ainsi obtenus à ceux d'autres techniques. La pre-
mière expérience a été tentée par D. Cartwright et J. French 2 . Ils ont
comparé les performances d'individus, c'est-à-dire leurs réponses à des
questionnaires de personnalité, au diagnostic formulé par des psycho-
logues sociaux, après lecture des journaux intimes de ces mêmes indivi-
dus. Ils ont fait cette constatation curieuse: la validité de l'interprétation
des deux psychologues, c'est-à-dire la justesse de leurs prévisions, était
plus grande que leur fidélité, ou la conformité entre les deux com-
mentaires. Vraisemblablement, chacun avait vu de façon exacte certains
1. L. Gottschalk (1954. B 275).
2. Cit. in L. Festinger (1959), p. 360 et R.C. Angell et D. Friedman (1959).
DOCUMENTATION ÉCRITE 587

aspects de la personnalité de l'auteur du document, mais ces diagnostics


exacts n'étaient pas par les mêmes signes par les deux psychologues. Ils se
complétaient sans coïncider exactement.
La deuxième expérience a été menée par S. Stouffer 1 . Quatre juges2 ont
mesuré les attitudes relatives à la prohibition, chez 238 auteurs de bio-
graphies, et comparé les résultats à ceux obtenus par la technique de
mesure d'attitudes. Le coefficient de corrélation entre les résultats attei-
gnit 0,81 alors que le coefficient de fidélité d'appréciation entre les juges
atteignait 0,95. L'expérience de S. Stouffer porte sur un point beaucoup
plus limité que l'investigation de Cartwright, ce qui permet d'affirmer
qu'un document centré sur un objet restreint, fournit au psychologue
une plus grande densité de données nécessaires pour formuler exacte-
ment ses hypothèses.
En admettant que la validité et la fidélité de la méthode soient satis-
faisantes, on peut avoir des doutes sur l'économie qu'elle présente et les
facilités qu'elle donne. Dans les trois expériences citées, des résultats ana-
logues étaient obtenus avec moins de peine, semble-t-il, par les méthodes
classiques et plus rapides des questionnaires et des mesures d'attitudes.
Obtenir des confessions écrites, puis les analyser, représente un gros tra-
vail qu'il ne faut entreprendre que lorsque c'est le seul moyen d'obtenir
certaines informations.
576 c) Intérêt, avantages et inconvénients de l'étude des documents
expressifs par rapport aux autres techniques ◊ La controverse
concernant la méthode d'analyse de documents personnels portait, non
sur leur utilisation historique concernant le passé, mais surtout sur leur
intérêt pour comprendre le présent et même prévoir l'avenir. Avec l'auto-
biographie (appelée parfois biogramme) écrite à la demande du cher-
cheur, nous abordons une méthode dont l'esprit et la technique diffèrent
profondément du récit historique classique. En ayant l'idée de demander
à un immigrant d'origine polonaise d'écrire l'histoire de sa vie, W.I. Tho-
mas et F. Znaniecki ont apporté aux sciences sociales un moyen d'investi-
gation complémentaire de ceux qui existaient et que beaucoup de socio-
logues ont depuis lors utilisé 3 •
Cliffort R. Shaw 4 a ainsi recueilli des autobiographies écrites de jeunes délin-
quants. E. Abel, (1959) pour son ouvrage PourquoiHitler a-t-il pu s'emparerdu
pouvoir ? 5 a également demandé à quelques personnes ayant vécu les débuts du
nazisme de consigner leurs souvenirs.

577 Les limites de l'information ◊ L'entretien offre l'avantage de per-


mettre de poser de nouvelles questions sur les points demeurés obscurs,
de compléter une information. Une grave lacune du document écrit c'est
1. Cit. in L. Festinger (1959).
2. Il ne s'agit pas de magistrats, mais de spécialistes devant porter un jugement.
3. Cf. n°' 271.272.
4. Cité in L Festinger (1959) (B 486), p. 355.
5. (1977 B 587).
588 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

que l'on ne peut rien y ajouter. Si l'auteur est libre de son expression, il
est aussi limité par sa propre vision des choses. Il peut oublier, ou ne pas
voir l'intérêt de tel fait et l'enquêteur doit se contenter de ce qu'on lui
apporte. Il existe deux moyens de parer à cet inconvénient majeur. D'une
part le chercheur doit savoir que pour obtenir une information complète,
il vaut mieux limiter sa demande quant à la période et au contenu envisa-
gés. « Plus le champ que décrit l'information personnelle est restreint,
plus il y a de chances pour que le document fournisse tout le matériel qui
importe théoriquement à l'enquête 1. »
D'autre part, le chercheur peut indiquer d'avance aux enquêtés quel-
ques points qui l'intéressent, mais cet inconvénient du document écrit:
ne pouvoir être complété, est compensé par un avantage: !'enquêté, s'il
ne dit pas tout ce qu'il sait, ou ce qu'attend de lui le chercheur, ne subit
du moins pas son influence; il écrit plus librement qu'il ne répondrait
aux questions de l'enquêteur. Cependant il ne faut pas exagérer la plus
grande véracité du document écrit, car il demeure soumis à toutes les
causes d'erreur imputables aux systèmes d'auto-notation, d'introspec-
tion, etc.
578 La. gêne de l'écriture ◊ Un élément capital limite l'emploi des bio-
graphies écrites : le fait que le nombre de ceux qui ne savent pas s'expri-
mer par écrit, est plus élevé que celui des enquêtés gênés pour répondre
oralement. Cette inégalité rend impossible la constitution d'échantillons
représentatifs. En supposant même que tous les enquêtés sachent écrire,
on peut admettre que ceux qui acceptent de le faire se recrutent parmi les
types d'individus ayant une plus forte surcharge émotive à défouler. Pour
éviter cette difficulté, un ethnologue O. Lewis (1953) a enregistré des
récits biographiques. Le procédé est à mi-chemin entre l'interview et la
biographie. Le temps passé à gagner la confiance des enquêtés et à les
habituer à parler devant un magnétophone paraît un inconvénient
sérieux, de plus la garantie concernant l'identité de !'enquêté et celle de
l'enquêteur n'est pas toujours assurée.
579 La. difficulté d'analyse ◊ Ajoutons enfin, dernier inconvénient des
biographies écrites, la difficulté d'analyser et de codifier le contenu. Nous
retrouverons cet obstacle à propos des questions ouvertes dans les inter-
views. Elle est accrue ici par le fait que faute de question posée, chaque
individu donnera quantité d'informations intéressantes en elles-mêmes,
mais souvent difficiles à rapprocher de celles des autres. Il faudra un gros
travail pour arriver à classer les informations et surtout pour les totaliser.
Certains auteurs ont essayé d'améliorer le traitement des documents
expressifs écrits en le rendant plus rigoureux et plus quantitatif, par des
notations en catégories. Cependant la différence entre la mesure d'une
attitude obtenue grâce à un document biographique et celle établie à
l'aide d'un questionnaire d'opinion oral, provient moins du contenu que
du stimulus, qui dans le deuxième cas est oral et provoque une réponse
1. L. Festinger (1959), Vol. I, p. 357.
DOCUMENTATION ÉCRITE 589

orale. Mais la variété des réponses, les lacunes, peuvent rendre difficile la
construction d'échelles.
Les documents expressifs sont surtout utiles au stade de la préenquête,
pour découvrir l'univers des enquêtés, éveiller l'imagination du cher-
cheur, le sensibiliser aux problèmes. il convient ensuite, pour vérifier les
hypothèses émises, de compléter ces informations et d'employer des tech-
niques plus maniables.
580 Valeur scientifique des récits de vie 1 ◊ En ce qui concerne la vali-
dité et la fidélité, il faut souligner que les deux notions telles qu'elles sont
habituellement définies (cf. n° 289) ne s'appliquent pas. La validitédu
document ou du récit implique de la précision de la part du chercheur,
mais ce que peut révéler de lui-même l'informateur, même en falsifiant
les faits peut être plus intéressant que les faits eux-mêmes. Quant à la
fidélité elle ne s'impose plus de la même façon au chercheur. Au
contraire, son attitude sera à l'opposé de la neutralité requise de l' enquê-
teur habituel. Des liens de sympathie, de confiance sont nécessaires pour
inciter le narrateur à se raconter. Catani 2 parle même de « love stozy ».
Les enquêteurs ne sauraient être interchangeables suivant le modèle pro-
posé aux autres techniques.
L'intérêt des« récits de vie» est certain. En dehors des matériaux qu'ils
permettent de recueillir, ils présentent une incomparable occasion de tra-
vail pluridisciplinaire, déjà l'histoire 3 , l'anthropologie 4, la sociologie 5, la
science politique 6 les utilisent et n'ont plus qu'à joindre leurs efforts. En
revanche, on peut s'inquiéter : 1°, de cette brusque prolifération de tra-
vaux et surtout d'enthousiasme, comme s'il s'agissait d'une découverte et
d'une nouvelle sociologie7 ; 2°, de l'absence de rigueur des définitions et
des méthodes. Les commentaires sur les récits de vie découvrent des pro-
blèmes déjà connus des techniques habituelles des sciences sociales; 3°,
enfin et surtout, la liberté laissée aux chercheurs rend probable la produc-
tion de travaux non seulement de qualité très inégale quant à leur intérêt,
mais surtout quant à leur valeur scientifique. Combien de chercheurs
passionnés s'interrogeront sur ce qu'ils cherchent... et surtout la nature
de ce qu'ils trouvent?
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SECTION2. DOCUMENTATION
D'UNE AUTRENATURE:
DESSINS, ENREGISTREMENTS,
OBJETS,PHOTOGRAPHIES,FILMS
Lesdocuments écrits expriment les valeurs d'une civilisation. Lesobjets
eux aussi, sont non seulement intéressants par ce qu'ils signifient, mais
également en ce qu'ils révèlent les progrès de la technique.

§ 1. Les objets
581 Aspects de leur étude ◊ Les objets qu'étudient avec tant de soin les
ethnographes sont à considérer sous divers aspects. D'une part pour
situer le niveaud'évolutiond'une civilisation: objets de bronze ou de fer et
plus proche de nous, nombre de voitures, de téléphones, d'appareils de
télévision ou de machines à laver ; mais aussi pour étudier le sensde cette
évolution.La technologieest une des branches des sciences sociales qui étu-
die les outils et instruments dont se servent les hommes et les consé-
quences sociales des progrès techniques. Depuis l'usage de la lunette, en
passant par celui de l'étrier, de la découverte de la roue, jusqu'au progrès
de l'automation, la sociologie et la science politique peuvent tirer des
informations importantes des matériaux apportés par la technologie.
Le marxisme considère comme fondamental le rôle joué par les moyens de
production et l'infrastructure de la société, pour déterminer les superstructures ou
formes que revêtent les rapports sociaux, politiques, etc. Plus près de nous, de
nombreux auteurs se sont penchés sur les distinctions qui se précisent à l'inté-
rieur de la classe ouvrière, en fonction des progrès techniques, en particulier de
l'automation.
Enfin l'étude peut porter sur la signification des objets,soit l'objet-
symbole, lié à un rite, mais ayant une signification propre : l'anneau dans
596 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

le mariage, les drapeaux des associations; soit l'objet indifférent en tant


que tel, prenant une valeur du fait de son contexte, c'est le cas de la signi-
fication du « don » découverte par M. Mauss 1. On doit aussi envisager
l'étude des liens plus subtils et non codifiés qui peuvent unir aujourd'hui
encore l'individu à ce qui l'entoure: voiture, objets personnels, cadre de
vie.
Malgré la fortune du mot « fonctionnel », qui correspond à une
notion éminemment pratique et utilitaire, le besoin de symbolisme des
hommes ne paraît pas se réduire sous l'influence de l'envahissement
technique et scientifique. Tout au plus pourrait-on dire que l'irrationnel
se déplace, se transforme, mais que l'imaginaire conseive ses droits. Les
belles études de G. Bachelard 2 sont sur ce point fort convaincantes.
Il serait intéressant de tenter de mesurer la part de besoin de mystère et d'ex-
traordinaire, qui subsiste à notre époque malgré les progrès scientifiques (part
variable suivant les individus, le climat), et d'étudier son évolution. Lesprogrès de
la science nous amènent toujours à de nouveaux pourquoi, mais au fond, sur ce
qui nous touche le plus, la Mort, l'Amour, nous-même, l'autre, les autres ... le
mystère reste entier. L'animisme, c'est-à-dire le fait de donner une âme aux
objets, n'est-il pas une façon de jouer dans la vie un jeu plus personnel, de nous
exprimer, de nous faire des amis, de créer autour de nous un réseau de protection
qui nous soit propre ? Dans quelle mesure est-ce là une défense contre le côté
implacable de la technique ?

§ 2. L'iconographie
582 Domaine ◊ L'iconographie comprend la documentation par l'image
autre que la photographie, c'est-à-dire dessins, gravures, peintures, etc.
Cette documentation est pour le passé extrêmement précieuse, puis-
qu'elle est le seul témoignage réel de l'aspect humain de la vie. Les musées
possèdent des vêtements d'époques révolues. Seuls les tableaux nous ren-
seignent sur ceux qui les portaient; de même en ce qui concerne les
meubles, c'est grâce aux gravures et tableaux que nous reconstituons le
cadre de vie, l'ambiance d'une époque.
Les dessins des vases antiques, ancêtres des dessins animés, nous ren-
seignent sur la vie quotidienne des individus. A l'époque actuelle, la pein-
ture, ses tendances, sont très significatives3 •
582-1 Tags et graffiti 9 Le tag est une variété particulière de graffiti qui a
pris naissance aux Etats-Unis en 19 70 sous la forme de l'inscription d'un
nom en lettres stylisées,répété à des dizaines d'exemplaires. Ce nom n'est
pas celui du tagueur, mais le surnom qu'il emprunte, le plus souvent à un
univers de légende (bande dessinée, cinéma), suivi du numéro de la rue
où il habite. Le tag ne mentionne aucune revendication. Il est autocentré,
1. Cf. n• 126.
2. (1949, 1950, 1957).
3. Cf. l'importance attachée à la signification idéologique de la peinture abstraite, en U.R.S.S.
sous Staline.
DOCUMENTATION D'UNE AUTRE NATURE 597

sa dimension sociologique provient de son caractère urbain, souvent eth-


nique, propre à la génération des 14-25 ans. Le but du tag est de se faire
connaître ou reconnaître, de marquer symboliquement son territoire. Les
lieux choisis sont les espaces publics, stations de métro, wagons qui
apportent le plaisir supplémentaire de voir passer son nom à travers la
ville. Les tagueurs s'organisent en bandes concurrentes qui se distinguent
par leur graphisme, les lieux où ils opèrent et leur plus ou moins grande
propension à la bagarre. Des associations tentent d'intégrer les tagueurs
dans des circuits artistiques, les municipalités octroient des panneaux. Le
coût du nettoyage devient exorbitant 1. Des études montrent que de nom-
breux tagueurs deviennent des délinquants. La répression devient plus
sévère, les produits antitags s'améliorent, les tageurs alors se profession-
nalisent. A partir de 1975 la mode des tags décroît aux États-Unis. La der-
nière rame de métro est nettoyée le 13 mai 1989.
En France: Le premier article faisant allusion aux graffiti date de
1986 2 • La tentative de canaliser le mouvement est immédiate. A la dif-
férence des E.U. il s'agit en France non de signatures, mais de graffiti. Ils
procurent l'exaltation de la transgression, ajoutée au risque de se faire
prendre. Ils permettent l'anonymat et font la part belle à l'imaginaire. Le
tagueur s'évade de sa triste condition de frisé, de bronzé pour devenir un
héros.
Les Américains ont réussi à éliminer le problème, les Français espèrent
en faire autant Pourtant si les tagueurs des deux pays se ressemblent, la
diffusion s'opère de façon différente. A New York il s'agit d'un phéno-
mène de masse d'où se dégage une élite. En France au contraire la mode
des tags trouve son origine dans des graphistes connus qui souvent
signent leurs œuvres. Enfin en France le tag ne constitue pas une
« marque » de territoire et ne se réfère pas à un quartier d'origine.
Les tags comme tous les graffiti sont illégaux et classés comme dégra-
dations. La répression s'exerce en fonction de deux critères: le lieu d'ins-
cription et le degré d'indélébilité de la peinture employée. Malgré les pro-
grès des t.echniques d'effaçage, la répression se durçit3. Faute de critère de
qualification précis pour distinguer le graffiti, mode d'expression d'une
certaine culture4, du graffiti acte de dégradation, c'est l'aspect financier
qui le plus souvent dicte la sentence 5.
1. Les gestionnaires du métro à New York déclaraient dépenser en nettoyage des graffiti en
1971: 300 000 dollars, 500 000 en 1973 et 2 millions en 1974.
2. On ne tient pas compte des murs de la Sorbonne en 1968.
3. Certaines mairies autour de Palis organisent des concours, proposent des panneaux et tentent
d'intégrer les tagueurs.
4. En tant que délit le tag peut entraîner une peine de prison. Le tagueur a alors la possibilité
d'accomplir un travail d'intérêt général (T.J.G.) par exemple effacer les graffiti. Mais cette humanisa-
tion de la peine se produit au prix d'une aggravation pénale des faits reprochés.
5. En 1967 la mairie de Paris fait nettoyer 35 000 m 2 de graffiti; en 1988, 112 000 m2 . La
S.N.C.F. estime qu'entre 1983 et 1988 le coût des graffiti à Paris Nord atteint près de 4 millions.
Environ 5 hectares de béton seraient tagués. Enfin à la R.A.T.P.la dépense pour Je nettoyage des tags
passe de 8 millions en 1986 à 35 millions en 1989. Les moyens de défense se multiplient. Peinture
anti-tag, surveillance accrue, information-prévention enfin sanctions plus sévères.
598 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

§ 3. L'étude des chansons


583 Leur signification 1 ◊ La chanson, bien avant la presse, a constitué un
moyen d'expression de l'opposition politique et sociale 0 . En dehors du
contenu et des paroles, le type de gestes, de mouvement qui accom-
pagnent ou non la chanson (rock) sont également révélateurs d'un type
doté2 plus ou moins grand succès, dans quel type de public.

§ 4. Cinéma, radio, télévision, enregistrements


Les procédés d'enregistrements auditifs ou visuels: cinéma, magnéto-
phone, permettent de compléter l'observation humaine dans l'espace et
dans le temps, de remédier à ce qu'elle a de trop partiel et surtout de trop
éphémère. Grâce au magnétophone, il n'est plus exact de dire que les
paroles s'envolent. La voix s'imitant moins facilement que l'écriture, les
faux oraux sont plus rares que les faux écrits.
584 1° L'aspect technique◊ Il s'agit bien ici d'un type spécial de docu-
mentation, recueilli grâce à une technique particulière, souvent dirigée
par l'individu même, qui s'en sert pour prolonger, améliorer, compléter
ses propres observations. Alors que l'élément technique n'intervient que
de façon secondaire, en tant qu'agrément ou présentation dans le docu-
ment imprimé, on peut dire que la télévision et la radio, dépendent, pour
leur qualité, de toutes les contingences des appareils d'enregistrement, de
transmission, etc. De plus l'élément d'utilisation de l'outil, qui est le
propre de la technique, est ici la marque de l'artiste, de son style. Les
cinéastes savent bien reconnaître d'après la façon de se servir de la
caméra, un René Clair d'un Truffaut. Rien de semblable dans le docu-
ment écrit Si le style de l' écrivain dépend évidemment de sa personnalité,
de sa manière de penser, la façon dont il tient son stylo demeure sans
influence sur sa façon de s'exprimer.
Il existe bien dans le langage cinématographique un «style». Mais cette
notion est différente de l'idée de forme, telle qu'elle est conçue traditionnelle-
ment dans le domaine littéraire 3 • Par exemple de quoi est composée la notion
même de rythme si importante au cinéma ? quels critères permettent de distin-
guer ses diverses manifestations? qu'est-ce qui rend perceptible la notion de
durée ? suivant quelles catégories classer les images ? le pourcentage d'images
extérieures, paysages ou coins de rue séparant les dialogues, leur succession, la
durée de chacun, les temps non parlés, la recherche d'une sonorisation, d'une
adaptation de celle-ci aux thèmes (la mer et le vent dans l'Awentura), les trucs,
les tics des metteurs en scène, analogues à ceux du langage des écrivains, si sen-
sibles chez Bergman par exemple.

1. Y. Bernard (1964), Communications(1965), B. Hawes (1974), G. Fleouter (1988).


2. Voir préparer au champ de Mars à Paris un chapiteau de 50 000 places pour écouter J. Halliday
laisse rêveur sur les valeurs de notre société.
3. A.M. Thibault-Laulan (1971), H. Agel (1978).
DOCUMENTATION D'UNE AUTRE NATURE 599

L'enregistrement ou la pellicule permettent d'abord de conserverla


documentation, ensuite de la reproduireet de corriger les lacunes de la
mémoire. Cette documentation conservée, offre l'avantage de pouvoir
être soumise à des observateurs différents. Enfin, le cinéma surtout per-
met une observation globale à laquelle des individus isolés ne peuvent
parvenir. Qu'il s'agisse en ethnologie de cérémonies rituelles, en science
politique d'un défilé ou d'un meeting, un seul observateur ne peut tout
voir. En revanche, ayant participé ou observé la réalité, il peut grâce au
film compléter son information. Cependant ces outils précieux ont leurs
limites, ils ne donnent que des matériaux bruts comme la vie. Il faut
comme toujours, poser les bonnes questions.
Si ces documents relèvent des techniques documentaires du fait qu'on
peut les reproduire, les observer plusieurs fois, ils font aussi partie des
techniques vivantes, car si l'on ne peut questionner les gens qui défilent
sur l'écran, du moins les observe-t-on directement comme une réalité en
train d'être vécue et non comme un texte écrit, ou une histoire racontée
après coup.
585 2° Nature de l'influence exercée par ces moyens 1 ◊ La mécanisa-
tion, la reproduction, ne sont pas importantes seulement en tant qu'ins-
truments de propagande, par la plus ou moins grande influence qu'elles
exercent, mais par la nature de cette influence. On a déjà noté la puis-
sance suggestivedu cinéma, l'atmosphère de chambre noire que renforce
la présence collective, l'effet hypnotique du grand écran qui facilite l'éva-
sion et l'identification. il serait intéressant de comparer, suivant les
domaines, l'influence de la télévision chez soi, à celle du film dans la salle
obscure.
Les moyens mécaniques modifient l'expression de certains aspects de
la vie et des relations entre les êtres. C'est ainsi que les haut-parleurs et
écouteurs permettant les traductions simultanées, exercent une influence
indépendante de la personnalité et des qualités de l'orateur. Dans un
congrès international important, la dimension de la salle et le nombre
d'auditeurs, la distance qui les sépare de l'orateur, détruisent tout rapport
direct et l'orateur sera conduit par la technique même, à adopter un style
ennuyeux et impersonnel.
En revanche, la télévision, elle, rapproche l'orateur de l'auditeur, jus-
qu'à le faire pénétrer dans l'intimité du foyer. Ici interviennent alors les
qualités nouvelles requises aujourd'hui de l'homme politique 2 . Le fait
d'être photogénique, d'avoir un style, une mimique, des gestes, qui
conviennent à la télévision devient une condition de réussite aussi impor-
tante que l'éloquence dans le passé.
L'utilisation des techniques audio-visuelles pour l'enseignement, va
également modifier les valeurs pédagogiques requises jusqu'ici. Ces tech-
niques sont appelées à se développer, mais on ne connaît pas encore bien
1. E. Morin (1956), J. Caseneuve (1962, 1970), C. Michelat (1964), W.A. Belson (1967),
J. Halloman (1970), P. Champagne (1971), J.-L Baudry (1978).
2. Television (1961), J. G. Blumler (1968, 1970).
600 LES SOURCES DE DOCUMENTATION

le genre de réactions que ces moyens, utilisés à doses massives, suscite-


ront. L'aspect passif des enfants regardant la télévision a déjà été sou-
ligné. Il nécessite du professeur un rôle actif, pour commenter et discuter
avec les élèves. Le cours audio-visuel atténuerait ainsi les excès des cours
magistraux.
586 3° Le type d'information, le contenu ◊ La variété des informations
possibles est aussi grande qu'en littérature. Films et enregistrements sont
utilisés aussi bien en ethnologie qu'en anthropologie, sociologie et his-
toire. Le contenu s'analyse comme celui des documents écrits: recherche
des mythes, symboles, thèmes, types de héros, de femmes. Mais plus que
le contenu au sens strict, c'est plutôt la nature de l'information, sa por-
tée, qui caractérisent la documentation cinématographique. La puissance
évocatrice d'un film sur Lénine, ou d'un document sur les camps de
concentration tel que Nuit et Brouillard,sont particuliers au cinéma.
Les discours d'hommes politiques conservés à la discothèque de
l'O.R.T.F., permettent non seulement d'analyser les textes, mais surtout
de retrouver le ton. Le cinéma restitue de plus la mimique, le geste et l'ex-
pression. La télévision touche un public très vaste, parce que son contenu
a un support direct, concret Les Américains ont montré qu'en période
électorale, elle rendait accessibles les informations politiques, à des élec-
teurs qui ne les auraient pas lues dans les journaux 1.
Le cinéma restitue donc la vie sous son aspect extérieur matériel, mais
suivant les cas, sa puissance de suggestion dépendra du caractère vivant,
réel, du document, ou parfois d'un élément plus proche de l'art et de la
création, c'est-à-dire de facteurs autres que la simple reproduction de la
réalité. Un bon film comme un bon roman demeure plus évocateur
qu'un mauvais film réaliste.
Enfin, il faut citer certaines possibilités aujourd'hui entrevues, mais
non encore expérimentées de façon très convaincante, de valoriser ou
d'étendre le potentiel émotif du film ; il s'agit ici de manipulations que
subirait inconsciemment le spectateur et dont il serait possible de
connaître et de mesurer les effets 2 .
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604 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

CHAPITRE2
LESMÉTHODES
ET TECHNIQUESD'ÉTUDE
DE DOCUMENTS

SECTION1. L'ANALYSEDES TEXTES

588 Différentes méthodes ◊ Les analyses de documents historiques ou


littéraires soulèvent d'abord un problème d'authenticité, de validité de
l'interprétation,enfin de véracitédesfaits relatés.
Cependant l'explication de textes littéraires a subi sous l'influence de
la linguistique, des modifications qui méritent d'être signalées.

589 Renouveau de la critique littéraire 1 o Pour Bachelard qui est à


l'origine de ce renouveau, il faut isoler l'image comme si elle était un être
vivant et il prône une phénoménologie de l'imagination ou plutôt écrit-il
une« phénoménologie de l'âme». G. Poulet (1959) transforme la cri-
tique en partant non de la matière mais de la forme, reprochant à Bache-
lard d'avoir tenté d'écrire une histoire de l'imagination pour n'aboutir
qu'à une« géographie». Les existentialistes avec Sartre, l'école du regard
(Starobinski), l'école Freudienne (Ch. Mauron), enfin les structuralistes,
vont modifier les conceptions traditionnelles. Pour L. Goldmann (1964),
marxiste, l'essentiel est « le découpage de l'objet», les rapports entre la
forme romanesque et la structure du milieu social. R. Barthes (1965)
estime que l'idée de l'œuvre-produit est de moins en moins soutenable et
fait place à l'idée de «signe». Le critique doit découvrir le terme
« caché », le « signifié » 2 . Mais pour un signe, combien de signifiés !
Enfin J. P. Weber (1964) prône l'analyse thématique. Le thème est défini
comme « un événement ou une situation (au sens large) infantile, sus-
ceptible de se manifester, en général inconsciemment, dans une œuvre
ou un ensemble d'œuvres d'art».
Rompant avec le point de vue historique de leurs prédécesseurs, des auteurs
aussi différents que R. Barthes, G. Poulet, J.P. Weber, G. Picon, J. Rousset
cherchent à travers une lecture globale et totale à saisir avant tout sous des formes
différentes, « les éléments fondamentaux de la pensée et du style, [ ...] L'œuvre
doit être atteinte désormais dans son unité organique, comme structure et non
plus comme événement: [ ...] Il s'agit moins de décrire le contenu d'une pensée

1. Cf. La controverse Picard, Barthes pendant l'année 1965-1966.


2. R. Barthes (1968), p. 157.
L'ANALYSE DE CONTENU 605

que le principe qui l'unifie 1 ». Ceci n'implique pas que la signification concep-
tuelle de l'œuvre soit sans importance, mais l'objet à saisir est une signification
totale, devant laquelle la vieille distinction entre le fond et la forme, entre la pen-
sée et le style est irrecevable. « Pour avoir l'âme de l'œuvre il n'est pas d'autre
fenêtre que sa chair 2 • » D'où la place secondaire où seront reléguées les sources
livresques, les influences, tout ce qui paraissait essentiel à la tradition de Lanson.
Sur le plan technique il ne s'agit plus seulement de rechercher à travers
une œuvre la structure d'une pensée, mais, plus simplement, de ne pas
isoler un texte de ce qui l'entoure.

SECTION2. L'ANALYSE DE CONTENU

§ 1. Notions générales
589-1 La communication ◊ Les techniques des sciences sociales, comme
celles des sciences de la nature, que ce soit par l'observation, l' expéri-
mentation, l'enquête sur le terrain ou l'analyse de documents, pour-
suivent le même but: recueillir des informations, des matériaux, des don-
nées. Mais les matériaux que les sciences sociales offrent à notre réflexion
ont ceci de particulier qu'ils sont en grande partie composés de communi-
cations, qu'il s'agisse de communications orales: textes de discours,
comptes rendus d'entretiens, ou de communications écrites:textes offi-
ciels, articles de journaux, ceci aussi bien dans le domaine historique que
dans celui des lettres ou de la politique.
Il ne faut pas confondre communication et information. Cette der-
nière est seulement un fragment qui peut se cumuler avec d'autres. La
communication est plus globale. Elle prend en compte l'ensemble de ces
fragments, les interprète en fonction de la représentation que s'en font
l'émetteur et le récepteur. Prend en compte comment ? Interprète dans
quel sens? D'après quels points de repère?
L'utilisation de plus en plus répandue d'ordinateurs permet le traite-
ment de données plus nombreuses. Enfin la multiplication des informa-
tions issues des moyens de communication incite à tent.er de mesurer
leur influence. Ce chapitre intéresse particulièrement les hommes poli-
tiques à la recherche du dialogue, du consensus, etc. 3, mais aussi les lin-
guistes, les sociologues et les politologues que le structuralisme et le systé-
misme 4 ont préparé à ce type d'approche.
Tout ceci aboutit à un foisonnement de recherches sur la communica-
tion, bien qu'il n'existe pas plus que dans les autres sciences de définition
acceptée par tous, ni en admettant qu'elle soit possible, une véritable
théorie de la communication.
1. G. Poulet (1959), J. P. Weber (1960, 1964, 1966), R. Barthes (1965, 1968), R. Picard (1965),
S. Doubrovski (1966), R. E. Jones (1968).
2. Cf., Le Monde,27 fév. 1963, p. 9. P.-H. Simon, La vie littéraire.
3. Cf. n° 238-1.
4. Cf. n°' 367 et s., 382 et s.
606 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

Si l'on se reporte aux recueils américains, on mesure sans doute la vita-


lité du domaine, mais aussi la disparité des sujets que tente, en vain, de
regrouper l'I.C.A. 1.
Cependant on peut distinguer à côté de la conception large des socio-
logues celle plus restrictive de certains psychologues et linguistes. La
communication n'est plus « qu'une composante de l'interaction entre
agents, celle qui recourt à l'échange de signes codés 2 ».
Mais à l'intérieur de ces deux tendances prolifèrent les différences et
pourtant toutes ont quelque chose en commun : leur matériau.
En effet quel que soit le niveau à atteindre, les données à rassembler
pour comprendre, expliquer des opinions, des conduites, des actions, ces
données sont presque toujours d'origine verbale.Même l'action lorsque
nous l'appréhendons est enrobée d'un contexte de mots. La démission
d'un ministre ou l'influence de la télévision se traduisent par des paroles,
des écrits, donc des mots.
Le message soumis à l'analyse relève du langage donc de la linguistique
et l'on peut concevoir une classification souple des procédures d'analyse
d'après le recours plus ou moins grand à cette discipline.
Cependant plutôt que de catégories tranchées ou d'étapes chrono-
logiques dans l'évolution du recours à la linguistique, il nous paraît plus
conforme à cette réalité multiforme, d'envisager un continuum progres-
sant de l'analyse de contenu, limitée à une quantification de mots et de
thèmes, jusqu'à une étude sémiotique, en passant par des incursions plus
ou moins réussies, dans le domaine de la linguistique.
590 Évolution et définitions ◊ La nouveauté de l'analyse de contenu, a
consisté à substituer à l'impressionnisme, dépendant des qualités per-
sonnelles de l'observateur, des procédés plus standardisés, tendant parfois
à quantifier, en tout cas à convertir les matériaux bruts en données pou-
vant être traitées scientifiquement. Pour cela, le texte va être découpé,
c'est-à-dire étudié en fonction des idées ou des mots qu'il contient,
ceux-ci étant choisis ou recensés en liaison avec l'objectif cherché. Par
exemple, combien de fois tel parti utilise-t-il le terme « justice sociale »
dans une campagne électorale? Quelle différence existe-t-il entre les dis-
cours de StaliIJeet ceux de Kroutchev en ce qui concerne le genre de griefs
adressés aux Etats-Unis ?
La définition de l'analyse de contenu est, d'après Berelson, la suivante:
« C'est une techniquede recherchepour la descriptionobjective,systématique
et quantitative,du contenu manifestedes communications,ayant pour but de
les interpréter3 • »
Objective. - L'analyse doit procéder selon des règles, obéir à des
consignes suffisamment claires et précises pour que des analystes dif-
férents, travaillant sur le même contenu, obtiennent les mêmes résultats.
Ceci suppose qu'ils se soient mis d'accord sur les aspects à analyser, les
catégories à utiliser et la définition opérationnelle de chaque catégorie.
1. Association internationale de communication.
2. R. Pagès (1970), pp. 765-766.
3. B. Berelson (1952, 1968).
L'ANALYSE DE CONTENU 607

Systématique.- Tout le contenu doit être ordonné et intégré dans les


catégories choisies, en fonction du but poursuivi. Des éléments d'infor-
mation ayant trait à l'objectif ne doivent pas être laissés de côté.
Quantitative.- Le plus souvent, il s'agit de dénombrer des éléments
significatifs, de calculer leur fréquence, etc. Mais cette condition n'est pas
indispensable et certaines analyses de type qualitatif recherchent les
thèmes plus qu'elles ne les mesurent.
Cette définition date de 1955. Avec les progrès de l'analyse, les auteurs
du « General Inquirer 1 » proposent une nouvelle définition: « Toute
technique permettant de faire des inférences en identifiant objectivement
et systématiquement les caractéristiques spécifiées du message». Le terme
inférence marque l'élargissement de la procédure qui permet dorénavant
la mise en rapport des traits littéraux et des traits sociologiques, « l'ana-
lyse de contenu s'oriente vers la formalisation des relations entre thèmes,
permettant de traduire la structure des textes 2 ». Nous voyons ici suppri-
mées les premières exigences : manifeste et quantitative, et apparaître les
notions de forme et de structure.
Née d'une réaction contre l'analyse littéraire ancienne, trop subjective,
et d'un besoin de systématisation imposé par la multiplication des
communications, l'analyse de contenu va d'abord s'efforcer de quantifier.
Sans doute, comme en d'autres domaines des sciences sociales, de nom-
breuses études ont-elles été inspirées par la mode de la quantification
plus que par l'importance du sujet, mais ici encore ce ne sont pas ces iné-
vitables gaspillages qui comptent, mais les progrès réels accomplis et les
résultats obtenus. Sur ce point, les nécessités de la guerre ont été détermi-
nantes. Les progrès de la recherche appliquée ont entraîné ceux de la
recherche théorique.
Un des premiers exemples connu d'analyse de contenu, est une étude publiée
en 1886. L'auteur analyse de façon très moderne le sens des mots par rapport à
l'usage et l'opinion des Anglais. Il remarque que les termes : loi internationale,
intérêts, moralité, sont utilisés en fonction des conceptions régnantes sur le rôle
de la Grande-Bretagne vis-à-vis des autres nations. Cette recherche, malgré son
intérêt et sa nouveauté, souffre d'une lacune fondamentale sur le plan de la
méthode: l'auteur n'indique pas ses sources et nous ignorons en fonction de quel
critère ont été sélectionnées les citations.
Plus près de nous, c'est à Lasswell3 que l'on doit les progrès de la technique de
l'analyse de contenu. L'auteur étudie un certain nombre de thèmes de la propa-
gande des pays belligérants pendant la Prel!lière Guerre mondiale. D'autres tra-
vaux ont été entrepris en Allemagne et aux Etats-Unis aux alentours de 1930, sur
la propagande durant la guerre, mais ils souffrent tous du même manque de
méthode en ce qui concerne les sources.
Un e1èvede Lasswell,Schuyler Forster, a étudié la façon dont, durant la période
antérieure à la déclaration de guerre américaine, le New York Times traitait les
nouvelles du conflit européen. Des tableaux graphiques montrent que la décision
américaine n'est intervenue qu'après une série de crises d'intensité croissante.

1. P. Stone (1966).
2. Op. dt.
3. H. D. Lasswell (1949, 1952).
608 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

Pendant le dernier conflit mondial, l'analyse de contenu faisait partie des moyens
de défense militaire ; des experts de la radio de Londres traitaient systématique-
ment la masse de communications diffusées par la propagande nazie. Ils avaient
si bien pénétré les mécanismes de l'adversaire qu'ils arrivaient à prédire certains
événemep.ts à partir des informations elles-mêmes.
Aux Etats-Unis également, l'analyse de contenu systématique était utilisée
régulièrement, c'est ainsi que l'étude de documents de l'agence Transocean per-
mit d'identifier ses représentants comme étant des agents nazis.
Après une période d'enthousiasme pour la quantification, le décou-
ragement s'était emparé d'un certain nombre de chercheurs, déçus sans
doute, parce qu'ils attendaient de cette méthode plus qu'elle ne pouvait
apporter. On paraît avoir abordé ces dernières années une deuxième
étape. D'une part, les machines offrent à l'heure actuelle d'immenses
possibilités de recherches, d'autre part, les limites de l'analyse quantita-
tive étant mieux connues, on l'utilise à meilleur escient et surtout on
tend à la compléter par des emprunts à la linguistique.
591 Divers types d'analyse de contenu: 1° Analyse d'exploration ou
de vérification. Analyse dirigée ou non dirigee ◊ Insistons
d'abord sur la distinction capitale propre à toutes les recherches de
sciences sociales: la distinction entre l'analyse de documents ayant pour
but la vérificationd'une hypothèse,analyse dont l'objectif est précisé, qui
sait ce qu'elle cherche et quantifie ses résultats et celle dont le but
consiste d'abord à explorer.Il est évident que la première est plus facile-
ment rigoureuse et systématique. Un certain nombre de règles lui sont
déjà applicables et elle bénéficie d'une technique accessible.La recherche
d'hypothèses, en revanche, ne peut jamais être standardisée, car elle fait
avant tout appel à l'intuition et à l'expérience.
Si l'on veut classer, en vue d'une quantification, certains éléments
significatifs dans une documentation, il faut savoir ce que l'on veut
dénombrer. Comme le remarque AL. George (1959), lorsque l'on effec-
tue des analyses de contenu quantitatives sur un grand nombre de don-
nées, sans l'aide d'hypothèses nettes, on gaspille en général son temps et
ses efforts. Sur le plan de la systématisation, il faut admettre l'analyse
dirigée, mais en reconnaissant ses inconvénients : le risque de laisser les
éléments essentiels, mais imprévus, en dehors du champ d'étude.
592 2° Analyse quantitative, analyse qualitative ◊ L'analyse de
contenu née d'une volonté de quantification en réaction contre l'analyse
littéraire, considérait la notion de qualitatif comme exclue de ses préoc-
cupations et opposait le qualitatif et le quantitatif: impressionnisme
contre systématisation, hypothèse au lieu de vérification, souplesse ou
rigidité. A L. George retient comme seule différence essentielle le fait que
l'analyse qualitative repose sur la présenceou l'absenced'une caractéris-
tique donnée, tandis que l'analyse quantitative recherche la fréquencedes
thèmes, mots, symboles retenus.
Sans doute l'analyse quantitative peut-elle se préoccuper également de la pré-
sence ou de l'absence de certains attributs, mais cet élément n'est retenu qu'en
L'ANALYSE DE CONTENU 609

tant que distribution de fréquence, d'où l'on tirera des conclusions. Pendant la
guerre, le commentateur de la radio nazie, traitant des succès des sous-marins
allemands, déclara : « Nous ne sommes pas assez naïfs pour spéculer sur le futur
à partir de cette victoire. » Cette petite phrase isolée dans une propagande eupho-
rique, n'aurait pas été retenue dans une analyse quantitative. Sur le plan qualitatif
elle était extrêmement intéressante, comme début de mise en garde du public
allemand contre des déceptions futures.
Plus que les notions de présence ou fréquence (tout ce qui est présent
n'intéresse pas forcément l'analyse qualitative), nous serions tentés de
voir la différence entre les deux types d'analyses, dans la façon dont elles
conçoivent la notion d'importance.Dans l'analyse quantitative, ce qui est
important, c'est ce qui apparaît souvent, le nombrede fois est le critère,
alors que dans l'analyse qualitative, la notion d'importance implique la
nouveauté, l'intérêt, la valeurd'un thème, ce critère demeurant évidem-
ment subjectif.
Toute analyse se situe ainsi entre deux possibilités, mais aussi deux
écueils : adopter des catégories très fines, rendant compte de la réalité,
mais la reproduisant de trop près, en une liste de thèmes dont chacun
n'aura qu'une fréquence faible, ou regrouper les données en un nombre
limité de catégories, mais en sacrifiant une information, peut-être essen-
tielle, qui se trouvera perdue dans le résultat final.
593 3° Analyse directe ou indirecte, communication représentative
ou instrumentale ◊ L'analyse quantitative emploie le plus souvent la
mesure sous une forme directe. La comparaison entre deux propagandes
comportera la totalisation des thèmes après recensement des symboles,
etc., purement et simplement dénombrés. Ceci représente la forme la
plus répandue et la moins élaborée. Mais on peut, à partir d'une analyse
quantitative, rechercher une interprétation plus subtile, par exemple ce
qui est latent sous le langage manifesté. L'interprétationindirecte,c'est-à-
dire au-delà de ce qui est dit, n'est pas le seul apanage du qualitatif, elle
peut parfaitement s'appuyer sur un contenu quantifié.
Imaginons qu'un malade tente diverses manœuvres pour provoquer une réac-
tion chez le thérapeute qui l'observe. Lecontenu de l'entretien pourra être analysé
de façon quantitative. On trouvera chez le sujet tant de thèmes ou de minutes de
plaisanterie, tant d'agressivité ou de provocation, tant de manifestations d'irrita-
tion, etc. On pourra comparer le comportement et la stratégie de ce malade à
celle d'un autre, mais cette quantification de comportements manifestes nécessi-
tera tout de même une hypothèse, forcément qualitative. Alors que le plus
souvent, la quantification se contente de présenter des résultats chiffrés, ici la
variation des stratégies, l'apparente incohérence du contenu, obligent à chercher
une hypothèse explicative dans ce qui est latent et non quantifié : le désir du sujet
de provoquer une réaction chez le thérapeute.
L'analyse quantitative directe se contente de comptabiliser les réponses
telles qu'elles sont données. L'analyse quantitative indirecte peut parfois,
au-delà de ce qui est manifeste, atteindre par inférence, même ce que
l'auteur a voulu taire. Dans ce domaine, les silences inusités, le debit, le
rythme du discours, le choix des mots dans un texte écrit, bref les caracté-
610 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

ristiques formelles, moins consciemment contrôlées par l'auteur de la


communication, qui en ignore souvent la valeur informative, peuvent
être très révélateurs. Ces caractéristiques constituent de précieux indices
concernant l'auteur du message, surtout lorsqu'il s'agit d'une communi-
cation instrumentale,c'est-à-dire destinée à produire un certain effet sur
le récepteur, par opposition à la communication purement représentative
qui informe sur l'état de l'émetteur.
1. de Sola Pool (1959) donne comme exemple le cri de douleur« aïe»
qui est du type «représentatif» et nous avertit de la douleur de celui qui
l'émet, alors qu'un mensonge est au premier stade instrumental, ayant
pour but d'agir sur le récepteur, de l'inciter à croire, à imaginer ...
Presque toutes les communications ont à la fois des aspects représenta-
tifs et des aspects instrumentaux. Ainsi, déclare Pool, un homme qui a
très chaud et soif pourra se contenter de dire : « Mon Dieu qu'il fait
chaud», c'est l'aspect représentatif de la communication; il nous ren-
seigne sur l'état de cet homme. L'aspect «instrumental» non exprimé,
tente de provoquer chez le récepteur la réponse: « Puis-je vous offrir
quelque chose à boire ? »
Dans la pratique de l'analyse de contenu, il est très important de savoir
si le message est « représentatif » ou « instrumental ». Dans le premier
cas seulement, il pourra être pris dans son sens apparent, sans chercher
au-delà. Au contraire, si le message a pour but de produire un certain
effet chez le récepteur, l'émetteur variera sa stratégie, les messages différe-
ront, mais leur but sera constant. Dans le cas, signalé plus haut, du
patient tentant de provoquer une réaction chez le thérapeute, les mani-
festations d'ironie, de plaisanterie ou de désespoir considérées comme
« représentatives » de l'émetteur étaient incompréhensibles. Interprétées
en tant que message «instrumental», elles suggèrent une hypothèse
plausible concernant, non l'état d'esprit réel de l'émetteur, mais le but
qu'il poursuit. Nous trouvons ici l'importante notion de niveau. Si l'on
admet, ce qui est à la base même de l'analyse de contenu, que les
communications sont révélatrices de la personnalité de leur auteur, il
faut préciser à quel niveau de celle-ci l'on veut se placer: veut-on
atteindre son inconscient ou ce qu'il a conscience d'être, ou seulement
étudier ce qu'il veut paraître, ce qui se manifeste dans le message? Une
des contributions importantes de Freud a consisté à interpréter l'in-
conscient de façon instrumentale. Les symboles représentatifs des rêves
sont considérés comme influencés par les buts de leur auteur et révéla-
teurs de ceux-ci. La difficulté de l'interprétation instrumentale réside
dans les changements possibles des stratégies, en fonction d'un même
but. Celui-ci peut être identifié une fois pour toutes ( cas du patient atti-
rant l'attention du thérapeute). Dans des cas complexes, la sinuosité des
stratégies risque d'obliger à une révision des indices et catégories de l'ana-
lyse. Le contexte servira de guide pour interpréter l'application, ou non,
de la stratégie et ceci nous amène à un autre assouplissement apporté à
l'analyse de contenu purement quantitative.
L'ANALYSE DE CONTENU 611

594 4° Analyse de contingence et analyse évaluatrice o Il s'agit dans le pre-


mier cas de dépasser la simple fréquence pour étudier les associations entre les
items retenus. Dans le second cas le psychologue Osgood 1 propose de retenir les
jugements portés à partir de concepts significatifs, pour obtenir une échelle d'éva-
luation selon les émetteurs.

595 5° Analyse conceptuelle combinatoire o Tentative intéressante d'intégra-


tion à l'analyse de contenu de techniques différentes, il s'agit d'étudier dans un
corpus délimité les combinaisons de concepts pour en découvrir l'organisation
thématique. O. Carré (1973) retient toutes les formes possibles de combinaison
de concept entre les deux pôles : Islam et socialisme, dans les manuels scolaires
arabes. Nous voyons ici à la fois une application de l'analyse de contenu inspirée
de Berelson et une procédure proche des travaux de J.C. Cardin (1963) consacrés
à l'analysedu Coransur cartesperforées.

§ 2. L'Utilisation de l'analyse de contenu


L'analyse de contenu peut servir à traiter :
1° Tout le matériel de communications verbales mis en jeu dans la vie
sociale, qu'il s'agisse de textes écrits: documents officiels, livres, journaux,
documents personnels; ou oraux: radio, télévision, ou d'activités pou-
vant être décomposées, classées: analyse d'une réunion, de l'emploi du
temps d'un contremaître ou d'un préfet
2° Tout le matériel spécialement créé par la recherche sociologique ou
psychologique: comptes rendus d'entretiens, discussions de groupe,
réponse à des questionnaires.
596 1° Étude de la communication dans le cadre du rapport émet-
teur-récepteur 2 ◊ Berelson distingue jusqu'à seize usages de l'analyse
de contenu. Dans le cas de communications quelles qu'elles soient, nous
nous trouvons en présence d'un émetteur qui lance un message ayant un
contenu et une forme, cette information est émise pour atteindre un but,
elle s'adresse à un ou plusieurs récepteurs. Ce qui en résumé donne : qui
parle ? Pour dire quoi ? Comment ? à qui ? Avec quel résultat ? Schéma
que proposait H. D. Lasswell (1949). On peut, suivant les cas, intervertir
l'ordre de ces questions mais elles recouvrent bien l'ensemble des pro-
blèmes. L'analyse de contenu permet donc d'étudier:
597 a) Qui parle? ou étude de l'émetteur ◊ Nous trouvons ici deux
situations possibles. L'émetteur réagit à un stimulus plus ou moins
contrôlé par l'observateur: entretien dirigé par un psychothérapeute. Ou,
1. In I. de Sola Pool (1959), pp. 33-58.
2. Nous ne nous occuperons ici que de l'analyse de contenu des documents à contenu verbal,
soit que la communication ait lieu directement sous cette forme écrite : livres, journaux, etc., soit que
le texte écrit ou l'enregistrement représente la transcription d'une activité orale: discours. Lesmêmes
principes de catégorisation sont également applicables à l'analyse de comportements réels ou d'acti-
vités : étude de contenu d'une journée d'un chef du personnel, d'une réunion de groupe, etc. Nous
verrons ces problèmes à propos des groupes.
612 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

cas le plus fréquent, l'analyste n'a aucun rapport avec l'émetteur et


cherche d'après le contenu des informations émises: lettres, discours, à
déterminer certaines de ses caractéristiques.
L'analyste peut chercher qui est l'auteur du message: personnalité de
tel romancier, ou certaines caractéristiques de l'émetteur.
Pendant la guerre, les Américains analysèrent des lots de lettres de civils alle-
mands, en provenance de villes bombardées, pour mesurer la résistance de leur
moral 1. Des études de White 2 comparant les discours d'Hitler et de Roosevelt,
montrent que le premier évoque le thème de la force dans la proportion de 3 5 %
contre seulement 15 % pour le deuxième.

598 b) Pour dire quoi ? ◊ On cherche à reconnaître les directions succes-


sives que prend le contenu du message: comparaison des thèmes de pro-
pagande pendant la Première et la Deuxième Guerre mondiale, compa-
raison entre les slogans utilisés en U. R. S. S. dans les discours pour le
1er mai, où les symboles révolutionnaires à portée universelle du debut,
ont été remplacés par des symboles« nationaux » 3 • On peut étudier le
courrier d'un homme politique ou l'évolution de la presse du cœur.
Le plus souvent il s'agit de comparer des matériaux issus de sources dif-
férentes.
Leï Américains ont étudié les grands thèmes de drames populaires représentés
aux Etats-Unis et en Allemagne de 1910 à 1927, comparé les idéaux scouts et
nazis d'après leur littérature4.
- Constructionde nonnes d'évaluation5•
L.A. Sussmann (1945) a démontré par une étude de contenu, que la radio ne
respectait pas les normes d'objectivité qu'elle prétendait avoir établies. L'analyse
permet aussi d'étudier la« lisibilité» des textes, de prévoir ainsi les difficultés que
pourront rencontrer les écoliers.
- Contributionaux techniquesde recherche.
L'analyse de contenu rend de grands services dans les techniques d'en-
tretien (codification des réponses ouvertes) et comptes rendus de
comportement de groupes, dont elle a facilité l'étude en rendant possible
la systématisation.
De plus, elle est utilisée dans de nouveaux domaines des sciences
sociales : techniques de propagande, études littéraires ou linguistiques,
solution de problèmes d'authenticité ou de chronologie.
599 c) A qui? ou étude du récepteur ◊ On détermine d'abord qui est le
récepteur, à qui s'adresse le message. Il peut être utile d'interpréter au-
delà du manifeste, ce qui est latent Le message de tel dirigeant s'adresse à
1. D. P. Cartwright in L. Festinger (1959), Il, p. 492.
2. In Cartwright (1959), op. dt., p. 489.
3. L. A. Sussmann (1963).
4. H. S. Lewin (1948).
5. Lasswelldistingue dans la «teneur» du message les symboles qui «signifient» : par exemple,
le mot constitution et les «signes» moyens physiques de les rendre sensibles : les lettres d'implime-
lie. Parmi les symboles il distingue: les« mythes» qui eux-mêmes recouvrent les doctrines, postulats
philosophiques de la communauté, les «formules», prescriptions autoritaires de ceux qui prennent
les décisions, enfin les « miranda » interprétations populaires ou folklore de l'organisme politique.
L'ANALYSE DE CONTENU 613

son pays, mais en fait, il vise la prochaine session de l'O. N. U. et l'opi-


nion internationale (point de vue instrumental). L'étude du message des-
tiné à tel public permet d'étudier celui-ci, de reconstituer les valeurs et
intérêts des groupes sociaux qui le composent: études sur l'évolution de
l'intérêt du public américain entre 1900 et 1930 d'après les magazines
populaires 1 .
600 d) Comment ? ◊ Ce domaine paraît relever davantage du qualitatif,
mais l'analyse de contenu quantitative l'étudie également. Le « com-
ment» comporte l'étude de la forme, c'est-à-dire des moyens par lesquels
un message cherche à produire, ou produit, une impression. C'est quel-
que chose d' éminemment qualitatif et subjectif, mais vu sous un aspect
quantitatif. On étudie les éléments qui concourent à produire cette
impression : choix des mots, répétitions, composition de la phrase, etc.
Les catégories seront toujours qualitatives, mais l'analyste va quantifier
les données qui s'y rapportent, par exemple les termes utilisés et suivant
les totaux obtenus, il pourra prouver en quoi la propagande des alliés
durant la Deuxième Guerre mondiale était moins émotionnelle, moins
moraliste, plus réaliste, sinon plus vraie, que pendant la première, ou que
le ton de la propagande de Roosevelten 1940 était d'un type plus émo-
tionnel que celui de Wilkie. L'on peut analyser en quoi les bandes dessi-
nées actuelles diffèrent des livres pour enfants du XIXesiècle, non seule-
ment par le contenu, les thèmes, mais la présentation et le style, le
« comment » ils sont exprimés.
601 e) Avec quel résultat? ◊ On se propose de connaître l'effet du mes-
sage sur le récepteur. On peut étudier les réponses des lecteurs à un
article, ou étudier l'effet d'un film sur des enfants, ou encore se livrer à
une enquête sur une émission radiophonique, CaJide l'étude faite par
H. Cantril (1947) sur la panique qui suivit aux Etats-Unis la fameuse
émission de Wells sur l'invasion de New York par des Martiens.
Parfois le résultat n'est pas recherché a posterioridans les faits. Il s'agit
d'une prévision, c'est le cas de la préparation d'une campagne électorale
ou d'une publicité commerciale. On veut influencer un public donné
dans un certain sens. On peut également, lorsque les stratégies d'un
émetteur sont connues (cas des études de propagande nazie), prévoir ce
qu'il cherche, ses buts cachés à travers le contenu manifeste de ses infor-
mations.
602 2° Élargissement récent du cadre de l'analyse de contenu ◊ Le
développement de l'analyse de contenu s'est opéré depuis la Deuxième
Guerre mondiale dans le cadre du schéma de Lasswell: qui parle ? à qui ?
pour dire quoi? comment? avec quel résultat? Sans doute recouvre-t-il
bien les diverses directions de recherche en ce domaine 2 . Cependant,
1. N. Hart in D. P. Cartwright (1959), p. 494.
2. D. Lasswell (1952), insiste sur le fait que la réponse du public est fonction de son« envi-
ronnement» et de sa «réceptivité». L'environnement comporte un « milieu immédiat» et un
614 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

parallèlement au raffinement de l'analyse elle-même, on a ces dernières


années tenté, non de modifier le schéma, mais de l'enrichir, en parti-
culier en ce qui concerne qui parle ? à qui ? avec quel résultat ?
Les premières analyses de contenu visaient simplement l'étude de
l'acte de communication lui-même, c'est-à-dire la source du message,
son aspect plus ou moins persuasif et l'auditeur, personnage abstrait, plus
ou moins atteint par le message. Il s'agissait là d'un découpage arbitraire
de la réalité sociale, car celle-ci comporte un grand nombre de messages
et l'émetteur et le récepteur ne sont pas isolés dans un circuit à l'écart des
autres. La multiplication des études sur les communications, ont amené à
prendre en considération l'influence de l'environnement, pour mesurer
l'effet d'une communication particulière aussi bien sur l'émetteur que
sur le récepteur.

603 a) L'auditeur ◊ Sur le plan individuel,les recherches tiennent compte


des divers facteurs qui peuvent influencer la manière de recevoir un mes-
sage. D'abord par la sélection de l'auditoire. Les études de P. Lazarsfeld
(1949) ont rapidement découvert ce que bien d'autres recherches ont
depuis confirmé : « le programme de radio sélectionne son public avant
de l'influencer». Ensuite, une même communication correspond à un
besoin ou à des besoins différents suivant les individus, mais plus le
contenu est proche des préoccupations personnelles du public, plus il a
de succès. Enfin chaque individu sélectionne, trie, perçoit, comprend,
déforme la communication en fonction de ses besoins.
Sur le plan du groupe,nous retrouvons les mêmes problèmes. Dans la
mesure où l'individu fait partie de groupes primaires (famille, amis, etc.)
il approuvera ou refusera la communication, suivant qu'elle est ou non
conforme aux valeurs des groupes auxquels il adhère. C'est ici qu'inter-
vient la notion de groupede référence1, celui auquel on désire adhérer.
Sur le plan général, les expériences et recherches sur des auditoires
beaucoup plus larges, où les facteurs sont nombreux et difficiles à isoler,
sont évidemment plus délicates à organiser. Il s'agit surtout de recherches
effectuées sur la propagande, pendant la guerre ou pendant des cam-
pagnes électorales. Ces études, même portant sur des échantillons impor-
tants, ont très rapidement débouché sur la reconnaissance de l'influence
primordiale des groupes primaires. L'individu touché par le message réa-
git, même sur les grands problèmes (communisme, vote), en fonction
des valeurs sociales, telles qu'il les perçoit à travers une dimension plus
quotidienne, c'est-à-dire ramenées aux besoins de sa personnalité, telle
qu'elle s'est adaptée à son entourage.
Une des études les plus frappantes en ce domaine est celle de E. A. Shils et M.
Janowitz (1948) mesurant l'influence de la propagande alliée sur l'efficacité au

« milieu lointain». Le premier relève de la « sphère d'attention», sur laquelle se centre spontané-
ment l'individu ou le groupe, le second peut être «occasionnel»: tel lieu public ou «propre» : la
presse lue par le public.
1. Cf. n• 607.
L'ANALYSE DE CONTENU 615

combat de l'armée allemande, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Contraire-


ment à ce que certains supposaient, ce n'étaient pas les convictions politiques, ni
même patriotiques, qui soutenaient le moral des combattants et les rendaient
réfractaires à la propagande alliée, mais bien les liens de solidarité qui les unis-
saient à leurs groupes de combat, lesquels étaient eux-mêmes intégrés dans l' orga-
nisation plus vaste de l'armée allemande dont ils avaient adopté les valeurs. Ce
n'est que lorsque ces groupes étaient dissous que la propagande devenait efficace
auprès des individus isolés.
Quantité de faits empiriquement observés s'expliquent par des théories
plus générales, bien que partielles, de psychologie sociale, dans lesquelles
les notions de motivation et de groupe de référence, jouent un rôle
important.

604 b) L'émetteur ◊ L'émetteura été moins étudié. On s'est surtout pen-


ché sur le problème de l'influence des mass mediasur le public.
Cependant certaines études tentent de replacer l'émetteur dans le contexte
social qu'il représente : par exemple les recherches faites sur Hollywood et les
auteurs de filins ; ou encore sur la communication comme moyen de contrôle des
groupes et le conflit, en cas de désastre, entre les moyens de communication per-
sonnels et officiels1 ; l'étude de P. Lazarsfeld (1955) sur les divers types de« per-
sonnes influentes » dans une petite ville ; enfin le processus de « feedback » en
fonction du rôle joué par l'émetteur. S'il est un leader il ne doit pas seulement
émettre des informations mais en recevoir en retour.
Les plus récentes analyses de contenu se sont orientées vers l'étude de
la relation émetteur-récepteur, en la replaçant dans un contexte social
plus vaste, celui des nombreuses interactions dont on ne peut la dissocier.
Ces interactions influencent l'émetteur, le récepteur et au-delà de
celui-ci, ceux auxquels le message sera transmis indirectement. Dans cet
immense ensemble de processus, d'interactions, où certains individus en
influencent d'autres qui à leur tour en influencent, etc., l'analyste se
trouve en quelque sorte devant un immense réseau invisible de commu-
nications, qu'il ne peut observer que par fragments, sans pouvoir encore
le reconstituer entièrement Malgré ces lacunes, les problèmes ne se
situent plus au niveau limité du lien émetteur-récepteur, mais à celui plus
complexe, de l'intégration de ces rapports dans des rapports sociaux plus
larges, soulevant des questions telles que les conflits entre les divers
modes de communications, personnelles, orales, audio-visuelles, locales
ou nationales ; les informations les plus efficaces et dans quelles condi-
tions, sur quels sujets, etc., le rôle joué par les réseaux de communica-
tions suivant les types de sociétés ; la transposition à une échelle plus
large des phénomènes observés dans des groupes restreints. Toutes ces
questions permettent à l'analyse de contenu de n'être plus seulement une
technique étroite, limitée à une quantification ou à une recette d' effica-
cité, mais de poser, sinon de résoudre, de grands problèmes de psycho-
logie sociale et de sociologie.
1. B. Bettelheim (1947).
616 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

§ 3. Étapes techniques de l'analyse de contenu


Comme toute recherche 1, la première étape consiste à avoir l'idée de ce
que l'on cherche et à préciser son objectif. Dans un entretien, c'est le
questionnaire qui permet d'interroger les enquêtés, dans l'analyse de
documents, c'est par le moyen des catégories, que l'analyste va recueillir
les données. L'objectif étant précisé, le choix des catégories constitue la
première étape de la technique propre à l'analyse de contenu.

60 5 1 ° Première étape : le choix des catégories a) Formulation des


catégories ◊ Lescatégories sont les rubriques significatives,en fonction
desquelles le contenu sera classé et éventuellement quantifié. Lorsqu'il
s'agit d'un matériel obtenu par une enquête, ces catégories prévues à
l'avance forment un code.
Deux situations peuvent se présenter. Dans le premier cas on chercheà
vérifierune hypothèse,les catégoriesont étéprévuesà l'avance.Il s'agit d'une
enquête d'opinion par interview ; la préenquête a permis d'établir un
codage suivant les types de réponse: très favorable, peu favorable, etc. Ou
il s'agit de vérifier une hypothèse d'après un document, de mesurer des
variables, bref de cas dans lesquels l'objectif est suffisamment précisé
pour déterminer à l'avance des catégories. C'est alors un véritable ques-
tionnaire que l'on pose au matériel en fonction de ce que l'on cherche.
Dans le deuxième cas il s'agit de dénombrerles élémentsd'un contenu
sans hypothèse préalable, les catégoriesn'ont pas été prévues.On cherche
simplement à établir une sorte d'inventaire des diverses opinions expri-
mées ou des arguments utilisés.
On peut également viser un but plus complexe et plus large (qu'il
s'agisse de documents ou d'entretiens psychologiques). L'analyse de
contenu doit faire apparaitreles variableset facteurs d'influence que l'on
ignore. Thèmes, attitudes décelées, dénombrées, doivent alors fournir une
direction de recherche ou une explication. L'analyse descriptive devient
détectrice d'un contenu latent. Par exemple l'analyse des entretiens dans
le cadre de l'enquête de la Western Electric, devait amener à découvrir les
facteurs d'influence jouant sur le moral des ouvriers.
En l'absence d'hypothèse de départ, le choix des catégories est difficile
et devra naître du contenu. Il faut relire plusieurs fois le texte à analyser,
pour dégager ce qui est essentiel par rapport à l'objectif de la recherche.
Les éléments qui semblent importants par leur répétition, doivent suggé-
rer l'idée de la catégorie sous laquelle ils seront regroupés.
Dans l'enquêted'exploration,les catégories constituent le cadre de l'ana-
lyse. Ellesvont permettre de sélectionner les données. Il est prudent de ne
pas les définir trop rapidement pour ne pas risquer d'écarter les matériaux
qui pourraient, par la suite, se révéler significatifs, grâce à des hypothèses
plus subtiles auxquelles on n'est pas encore parvenu. Il vaut mieux pro-

1. Cf. n°' 519 et s.


L'ANALYSE DE CONTENU 617

longer la période d'essai et établir plusieurs systèmes de catégorisation ou


codage 1 avant d'arrêter son schéma de catégories.
606 b) Caractéristiques des catégories ◊ Le choix des catégories repré-
sente la démarche essentielle de l'analyse de contenu. Celles-ci font le
lien entre l'objectif de la recherche et les résultats, c'est-à-dire, suivant les
cas, la proposition ou la vérification d'une hypothèse explicative, d'un
diagnostic ou d'une prévision. Comme le déclare B. Berelson : « une ana-
lyse de contenu vaut ce que valent ses catégories ».
Il faut distinguer les conditions techniques que doivent remplir les
catégories pour assurer la validité de l'analyse et les qualités de finesse, de
subtilité qui, elles, dépendent de l'expérience du chercheur, de sa
connaissance du milieu, de son intuition. On insistera seulement ici sur
les qualités techniques des catégories.
Elles doivent d'abord être exhaustives,c'est-à-dire que l'ensemble du
contenu que l'on a décidé de classer doit l'être en entier. Il est bien
entendu possible de laisser volontairement de côté certains aspects du
contenu. C'est l'objectif poursuivi qui déterminera ce qui doit être quan-
tifié.
Exclusives: Les mêmes éléments ne doivent pas pouvoir appartenir à
plusieurs catégories.
A la question: où l'enquêté a-t-il été interrogé? une enquête prévoyait les caté-
gories : lieu de travail, domicile, café. Comment classer les paysans pour lesquels
la ferme est à la fois domicile et lieu de travail ?
Il faut J?arfois,en l'indiquant dans les résultats, coder un individu dans plu-
sieurs categories, par exemple : parlez-vous plusieurs langues étrangères ? Un
même individu peut être noté dans la catégorie Anglais, Espagnol et Allemand, s'il
parle les trois langues.
Objectives: Les caractérisques de la catégorie doivent être suffisamment
claires pour que différents codeurs classent les divers éléments du
contenu dans les mêmes catégories.
Pertinentes: En rapport à la fois avec l'objectif poursuivi et le contenu
que l'on traite. C'est la pertinence qui risque d'être sacrifiée lorsque les
catégories sont prévues d'avance. C'est elle que l'on recherche par une
lecture approfondie des textes ou une meilleure connaissance du milieu.
M. Jahoda signale 2 qu'à la question : « quelles sortes de gens avez-vous comme
voisins ? » deux catégories de réponses avaient été prévues : celles mentionnant
les noirs et celles ne les mentionnant pas. La lecture des comptes rendus d'inter-
views l'obligea à refondre ses catégories, en fonction des réponses qu'il n'avait pas
prévues, pour finalement adopter quatre catégories : groupes raciaux mentionnés,
nationalités mentionnées, religion mentionnée, autres ... chacune de ces catégo-
ries comprenant des sous-catégories de race ou de nationalité.
En fait, les catégories doivent provenir de deux sources : du document
lui-même et d'une certaine connaissance générale du domaine dont il
1. Les Américains utilisent une technique intitulée Round Robin qui consiste à soumettre les
documents successivement à plusieurs codeurs.
2. M. Jahoda, M. Deutsch, S. W. Cook (1951, B. 198), p. 260.
618 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

relève, des réponses s'il s'agit d'entretien, ou des buts, intentions, signifi-
cations de l'émetteur s'il s'agit d'un texte, tout en tenant compte, suivant
les cas, des éléments absents qui peuvent être significatifs.
607 Le cadre de référence ◊ La pertinence implique une condition d'ordre
général importante. Lorsqu'il s'agit d'enquête par interview:c'est l'adap-
tation du cadre d'analyse ou des catégories au contenu empirique que
l'on doit classer. Ceci signifie que les catégories, lorsqu'elles sont prévues
d'avance, doivent être adaptées au cadre de référence des sujets interrogés
et à la situationdans laquelle s'effectue l'enquête.
D. P. Cartwright (1959) note, par exemple, à propos d'une enquête sur la crise
économique, que les catégories prévues dans les questions étaient trop savantes et
ne cadraient pas avec les réponses données par l'homme de la rue. Il était impos-
sible de classer ce contenu dans des catégories qui ne les recouvraient pas.
Une étude sur les conditions d'achat de telle marque de lessive par les ména-
gères, doit tenir compte de leur situation de ménagère et d'acheteuse, autant que
de l'objectif de l'enquête qui est d'informer le fabricant.
Lorsqu'il s'agit d'un texte, certains mots ou symboles ne peuvent être purement
et simplement comptabilisés, sans tenir compte non seulement du contexte géné-
ral dans lequel ils se trouvent placés, mais dans un sens plus étroit, de la façon
dont ils sont associés à d'autres termes. Il s'agit là d'un emprunt fait à la linguis-
tique, dont nous savons l'importance qu'elle accorde à la place des unités de lan-
gage.
Pool (1959) déclare que les catégories d'analyse utilisées doivent être en rap-
port avec la structure des données et les unités, liées aux hypothèses constituant
l'objet de la recherche. Ceci signifie qu'un objectif tel que l'étude de la propa-
gande nazie à la radio, ne doit pas se contenter de compter les références critiques
à l'égard de la Grande-Bretagne dans telle ou telle émission, sans situer celles-ci
par rapport à la stratégie d'ensemble élaborée par les Allemands. De même un
roman, une pièce de théâtre, un discours, ont un début, un milieu, une fin,
obéissent à des règles que l'on ne peut ignorer et qui doivent exercer leur
influence sur le type de catégories et de manières de quantifier. Sur un plan plus
limité, cela signifie également que le symbole A doit être interprété différemment
s'il est accompagné du symbole 8 ou du symbole C. Ici il s'agit de leur apparition
dans le texte, mais on peut être encore amené, lorsque c'est possible (cf. le docu-
ment personnel) à rechercher dans le passé du sujet ou dans sa personnalité, l'ex-
plication des associations qui apparaissent dans ses messaies. L'analyse du jour-
nal de Goebbels, fait apparaître un lien entre l'idée de « genéraux allemands» et
celle de « friction » dans le cercle des nazis et plus encore entre le public allemand
et un mauvais moral.
La difficulté de ce type d'interprétation provient de ce que l'on n'a pas
de moyens pour prouver la validité des interprétations admises; or
celles-ci sont nombreuses et peu sont apparemment significatives.
Cependant l'analyse de ce type représente un moyen terme entre l'analyse
purement quantitative et l'analyse qualitative.
608 Difficultés ◊ Cette rapide revue des conditions que doivent remplir les
categories, ne donne évidemment qu'une faible idée des difficultés que
présente la catégorisation. Quatre excès sont à éviter:
1° Imposer un schéma trop rigide, a priori, n'appréhendant pas la
complexité du contenu, ou 2° élaborer ce schéma de façon superficielle,
L'ANALYSE DE CONTENU 619

en ne classant que les éléments manifestes de la communication (phéno-


type) sans se référer au contenu plus ou moins latent (génotype).
3° Choisir des catégories trop détailléeset trop nombreuses, reprodui-
sant presque le texte sous prétexte de ne rien laisser perdre, ou 4° des caté-
gories trop grossières, ne distinguant pas suffisamment entre les éléments
qu'elles regroupent
Il faut enfin choisir le niveau de ce que l'on cherche à mesurer. Ce
choix déterminera en partie le type des catégories.
Un discours politique sera-t-il analysé en fonction du contenu mani-
feste, ce que le député veut que l'on perçoive, ou en fonction de saper-
sonnalité, de ce qu'il est? Ici encore la catégorie doit être soumise à l'ob-
jectif, elle doit avoir une significationpar rapport à l'hypothèse émise, au
but poursuivi.
609 c) Standardisation ◊ Malgré la variété des objectifs et sujets d'ana-
lyses possibles, certains types de catégories se retrouvent assez souvent.
Les auteurs se sont alors demandés si pour normaliser et faciliter les ana-
lyses de contenu et les comparaisons, on ne pourrait prévoir des catégo-
ries applicables dans un grand nombre de cas.
En histoire, par exemple, des grilles seraient utiles. R. Bales1 a prévu la façon de
codifier les relations et attitudes intervenant dans un groupe restreint. R. White a
proposé des catégories de valeur. Mais I. de Sola Pool (1959), à l'issue de la confé-
rence où ce sujet fut discuté, déclare : « Nous ne sommes pas encore au point où
nous pouvons construire un schéma d'analyse de contenu, car deux analystes
devant une même liste de mots risquent fort de les regrouper sous des concepts
différents. »
Il n'existe pas de réponse unique au problème de la standardisation des
catégories de l'analyse de contenu. Pour être satisfaisants, les schémas
d'analyse doivent à la fois convenir à un système conceptuel général
accepté par tous et à un contenu spécifique, qui change avec chaque nou-
velle recherche. Les catégories standardisées présentent, suivant les cas,
des avantages et des inconvénients, des possibilités et des impossibilités.
C'est le problème du sur mesure et du tout fait, qui dépend du physique
de l'individu mais aussi du vêtement dont il s'agit Un tablier convient
plus facilement à toutes les tailles qu'un pantalon.
Le plus souvent, faute d'un système de validation pouvant départager
les points de vue différents, chacun continue à choisir intuitivement les
catégories qui lui paraissent les plus adéquates. Certains analystes pour
comparer les contenus de messages différents (textes de propagande)
reprennent les catégories déjà utilisées.
En dehors de cette standardisation volontaire, 1. de Sola Pool (1959)
pense qu'il existe des domaines dans lesquels une standardisation réelle
est possible. Par exemple lorsqu'il s'agit de l'intensitéde la communica-
tion, de l'évaluationdu message lui-même. Il estime que les catégories
auront d'autant plus de chances d'être objectives et généralisables,
1. Cf. n° 837.
620 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

qu'elles s'attacheront moins aux conditions d'émission et de réception,


caractéristiques de l'émetteur et du récepteur, et davantage à la structure
même du texte du document, c'est-à-dire qu'elles relèveront de la linguis-
tique. Alors se pose le problème non encore résolu : quels sont les liens
existant entre les catégories de langage et les catégories de signification ?
quelles sont les différentes façons d'exprimer une même idée ? Ce pro-
blème montre encore une fois à quel point le développement de la lin-
guistique et de l'analyse de contenu sont déjà liés et le seront de plus en
plus dans l'avenir.
S'il n'existe pas de catégories prévues d'avance, applicables à tous les
cas, on peut citer des types de catégories qui se retrouvent plus fréquem-
ment que d'autres.
610 Types de catéiories ◊ Matière. - Il s'agit ici d'une catégorie d'usage
courant. Elle repend à la question la plus simple : de quoi traite la
communication ? Très souvent employée dans les analyses devant établir
la place accordée à tel ou tel sujet, elle correspond au classement matière
des bibliothèques, aux tables des ouvrages et aux grandes rubriques des
journaux.
La direction de la communication correspond aux catégories si souvent
utilisées dans les enquêtes d'opinion: favorable, défavorable, neutre ...
Les valeurs. - Il s'agit ici de ce que certains (Berelson) appellent valeurs
et d'autres (Lasswell) standards. Ces catégories cherchent à expliciter soit
la direction de la communication : pourquoi elle est favorable ou défavo-
rable ? soit le but qu'elle poursuit, ce qu'elle révèle chez les individus, ou à
quoi elle fait appel, autrement dit ce que les gens désirent, veulent,
cherchent. Parmi les catégories de valeur, nous trouvons celles que l'on a
souvent utilisées pour savoir ce que les enquêtés entendent par réussite:
argent, position sociale, famille, auto, etc., ou quelles valeurs apparaissent
dans les magazines : amour, argent, héroïsme, goût du risque, etc.
Les moyens. - La catégorie peut aussi indiquer les moyens proposés
pour atteindre les valeurs. Les discours comporteront par exemple la
menace, la persuasion, la force, la négociation.
Une étude de 145 discours de campagne présidentielle de 1884 à 1920 (aux E.
U.) indique que 40 % utilisent des appels à une classe particulière (en général les
travailleurs), 25 % à la loyauté au parti et que les orateurs consacrent plus de
tem~s à critiquer le parti adverse, qu'à se feliciter des résultats obtenus par le
leur .
Les acteurs. - On peut s'attacher à découvrir certains traits individuels
des personnages historiques, littéraires, ou simplement des enquêtés.
Nous trouvons ici des catégories classiques: âge, sexe, profession, reli-
gion, nationalité, niveau d'instruction, complétées naturellement en
fonction de l'objectif poursuivi. On peut encore rechercher de quel groupe
il s'agit.
L'origine.- On peut classer une documentation historique en fonction
de sa provenance, une étude de campagne électorale en : discours,
1. B. Berelson in Lindsey (1954), p. 498.
L'ANALYSE DE CONTENU 621

affiches, tracts, journaux; ou encore l'analyse des nouvelles dans un


journal en rubriques locales, nationales, internationales.
On peut également choisir des catégories assez proches, insistant
moins sur la provenance en tant que telle, que sur la référence, ce que
certains auteurs intitulent autorité. C'est le groupe ou la personne au
nom de laquelle est émis le message, qui le cautionne ou qui l'approuve :
le fait que les informations concernant l'éducation des enfants, dans les
journaux féminins, se réfèrent de plus en plus à des autorités scienti-
fiques et de moins en moins aux traditions .
Tout ceci concernait le contenu, il existe également des catégories
visant la forme.
611 Les catégories de f onne ◊ Les programmes de radio peuvent distin-
guer les émissions musicales en : opérettes, musique classique, musique
de jazz, rock etc.
On peut admettre des catégories qualitatives, pouvant quantifier les
diverses façons par lesquelles un personnage s'exprime : ton humoris-
tique, tragique, tendre, etc., on peut compléter par l'étude de l'intensité.
Cette catégorie est souvent utilisée pour distinguer ce qui est émotionnel,
sentimental et mesurer l'efficacité par rapport à des messages plus ration-
nels.
612 d) Exemple concret d'analyse de contenu ◊ Un exposé abstrait
rend mal compte de la variété des difficultés concrètes auxquelles on se
heurte. C'est pourquoi, avant d'aborder la quantification proprement
dite, deuxième étape de l'analyse, nous voudrions, à propos d'un exemple
vécu, préciser les notions vues et préparer les suivantes.
Il s'agissait d'analyser le contenu de la campagne pour le référendum
de janvier 1961 2, dans le journal Le Monde. La précision de l'objectif :
campagne pour le référendum, nous permettait d'écarter toutes les
rubriques étrangères au référendum. Mais nous nous trouvions devant
deux problèmes majeurs correspondant aux deux étapes de l'analyse :
- Quelles catégories choisir ? en fonction de quoi rassembler les don-
nées ? que cherchons-nous ?
- Comment quantifier ces données ?
Quellescatégorieschoisir? - Il apparut assez rapidement que l'intérêt du
référendum reposait sur le nombre de oui et le nombre de non. Nous
pouvions donc sélectionner dans la campagne du journal les arguments
en faveur du oui et en faveur du non. Ces catégories étaient fort rudi-
mentaires, car l'extrême-droite et l'extrême-gauche votaient également
non et le degré de conviction des oui représentait des intensités très
variables. De plus, un certain nombre de formations politiques ne
conseillaient ni oui, ni non, mais l'abstention ou encore le renvoi du
référendum, ou la liberté de vote, enfin certains articles du journal fai-
saient des commentaires sans prendre position.
1. Op. dt. (1954), p. 491.
2. Sur l'Algérie.
622 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

Nous avons donc été amenés, pour tenter de regrouper à peu près
toutes les tendances de la réalité, à distinguer sur notre tableau les catégo-
ries suivantes :

OUI NON
Sans
Olll oui non de non de Absten- Liberté Ajourne- prendre
enthou- résigné gauche droite tian de vote ment position
siaste

La lecture du journal et la réflexion nous avaient donc conduits à choi-


sir des catégories de direction : les émetteurs veulent ceci ou cela ; des
sous-catégories d'intensité : enthousiaste, résigné. Ces catégories nous
ont paru correspondre aux impératifs techniques. Elles étaient objectives
(sur la distinction entre oui enthousiaste et oui résigné les deux équipes
de codeurs ont bien obtenu les mêmes résultats) ; exhaustives ( aucune
position indiquée par le journal vis-à-vis du référendum n'était ignorée);
pertinentes ( elles étaient bien en rapport avec l'objectif visé) ; exclusives,ici
sans doute se posaient quelques problèmes : lorsqu'un article entier de la
Tribune libre présentait des arguments pour le non et terminait en disant
qu'il fallait voter oui, comment l'indiquer et le distinguer d'un article
entier consacré au non? Ceci relevait alors du problème de quantification
qu'il faut maintenant aborder.
613 2° Deuxième étape : La quantification du contenu o Les diffi-
cultés de la quantification peuvent être plus ou moins grandes. Lorsque
l'on quantifie des réponses à des interviews d'opinion précodifiées: favo-
rable, défavorable, indifférent, sans opinion, il s'agit d'un nombre de fois
et le résultat correspond simplement au total de chaque addition.
D'autres cas sont plus complexes. L'analyse du Monde offrait un maxi-
mum de difficultés, du fait de l'ambiguïté du référendum lui-même, qui
suscitait dans les esprits des réactions très confuses, et de la variété des
types d'informations du journal. Cette expérience offre un bon exemple
des problèmes que l'on rencontre, et des diverses solutions possibles.
Le but de l'analyse consistait à quantifier, en fonction de catégories
choisies, les positions vis-à-vis du référendum, contenues dans les
diverses rubriques du journal. Ces contenus étaient divers à plusieurs
titres:
1° La campagne électorale a duré trente jours, il y avait donc 30 numé-
ros à étudier.
2° Chaque numéro de journal comportait des rubriques différentes :
éditorial reflétant la tendance du journal, tribune libre, informations.
3° Chaque position, oui ou non, utilisait des arguments parfois sem-
blables dans des sens différents. La mission de la France pouvait être utili-
sée aussi bien par le non de droite que par le oui enthousiaste.
Fallait-il comptabiliser tous les numéros du journal ou prendre un
échantillon et dans ce cas lequel? Dans quel cadre devions-nous quanti-
fier ? Fallait-il distinguer les articles ? Tant d'articles pour le oui, tant
L'ANALYSE DE CONTENU 623

pour le non ... Quelle unité retenir? compter le nombre de oui ou de non
ou compter le nombre de lignes ou de centimètres consacrés au oui et au
non?
Nous nous trouvions là devant les principaux problèmes de la quanti-
fication de l'analyse de contenu.
614 a) Le problème de l'échantillon ◊ Les premières analyses de
contenu souffraient d'un manque de méthode, quant aux sources des
documents qu'elles étudiaient Parfois ce problème ne se pose pas, on
étudie un texte dans sa totalité ou une série de discours, mais lorsqu'il
s'agit d'éléments aussi nombreux que plusieurs années d'un journal, ou
aussi variés qu'une propagande, on est bien forcé de délimiter sa re-
cherche. On le fait, soit en sélectionnant le contenu à la source : tel type
de journal ou de propagande, soit si ce n'est pas suffisant, en choisissant
alors telle ou telle rubrique. Nous pouvions par exemple n'étudier que les
Tribunes libres du Monde ou seulement les éditoriaux. Enfin on peut pré-
férer ne pas limiter la matière mais sélectionner un échantillon du jour-
nal, représentatif du journal tout entier 1.
Quelles sont les caractéristiques qui peuvent assurer la représentativité
de l'échantillon d'un document? On les connaît mal à l'avance. Le plus
souvent on les définit en fonction des hypothèses que l'on formule, ce
qui est peu scientifique et risque de ne pas tenir compte de tous les fac-
teurs.
Berelson note que ce problème de l'échantillon implique en matière
d'analyse de communications trois décisions : choix de la source, nombre
et date des messages, contenu observé.
615 Choix de la source ◊ Il dépend de l'objectif. Une étude de presse peut
choisir un échantillon géographique, comprenant la représentation des
journaux locaux. S'il s'agit de comparer divers publics de lecteurs, en ana-
lysant les romans publiés dans les magazines lus dans chacun de ces
milieux, l'univers à étudier sera constitué par l'ensemble des romans
publiés dans tous les magazines, parus dans le pays, pendant un certain
temps. Il faudra donc établir un échantillon représentatif des magazines,
aussi bien que des romans de chaque magazine. Ici nous voyons la
complexité du problème de l'échantillonnage représent.atif. Les romans
seront-ils considérés comme représent.atifs, même si le magazine où ils
sont publiés a moins de lecteurs ou moins de pages, ne publie qu'un
roman ou plusieurs, etc. ? Comme le dit O. P. Cartwright (1959), si
l'analyste veut être en mesure de justifier les conclusions générales qu'il a
1. Nous rappelons qu'il faut respecter les règles suivantes pour constituer un échantillon:
1° Délimiter l'univers auquel s'applique la généralisation.
2° S'assurer que chaque unité de cet univers a une probabilité connue d'être comprise dans
l'échantillon.
3° Procéder à un échantillonnage qui soit indépendant de toute corrélation entre les unités de
l'univers.
4° Choisir un échantillonnage assez large pour qu'il ne comporte qu'une erreur probable
d'échantillonnage suffisamment réduite.
624 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

tirées du matériel analysé, il doit être capable de formuler les raisons qui
l'ont amené à circonscrire un univers donné de contenu et à définir cet
univers d'une façon précise.
Le choix de l'échantillon peut être déterminé par les types de public :
féminins, confessionnels, ou par tendances politiques : pour l'Europe,
neutraliste, contre l'Europe, ou par importance suivant le nombre de lec-
teurs.
616 Nombre de messages et période ◊ Il faut fixer ensuite le nombrede
messagesà retenir pour que l'échantillon soit suffisamment représentatif,
et la périodependant laquellepréleverces messages. Le sujet choisi peut
déterminer une période, par exemple l'après-guerre ou les effets de tel dis-
cours pendant trois mois, mais il reste à préciser cette indication. C'est ici
qu'intervient la nécessité, pour l'unité choisie de l'univers à étudier,
d'avoir une probabilité connue d'être comprise dans l'échantillon et
d'être indépendante de toute corrélation entre les unités de cet univers.
Imaginons que l'on décide de prendre comme échantillon d'une étude de
journal, un numéro sur sept Si le hasard d'un tirage au sort fait tirer les
numéros du dimanche, qu'adviendra-t-il si celui-ci diffère justement des
autres? Il est donc indispensable, avant l'échantillonnage, de se ren-
seigner sur les possibilités de cyclesd'évolution, de fluctuations régulières
de certaines sources, qui peuvent modifier la nature des émissions.
Un exemple classique est celui de l'étude des mariages dans les rubriques du
New York Timesdu dimanche 1. Cette étude portant sur le mois de juin, signale
que le journal ne mentionne aucun mariage juif. Peut-on conclure à de l'antisé-
mitisme ou à une mauvaise information ? Il se trouve simplement, que pour des
raisons religieuses, les mariages juifs ont rarement lieu au mois de juin. La pério-
de choisie pour l'analyse du journal n'était donc pas représentative sur ce point 2.
617 Le contenu observé◊ Il reste enfin à déterminer l'échantillon de
l'échantillon, c'est-à-dire dans le journal considéré, de la période considé-
rée, le contenuobservé.Ici encore il doit correspondre aux caractéristiques
du journal qui varient en typographie, en emplacement, etc. La première
page du journal est différente de la dernière.
Le problème de l'échantillonnage, extrêmement important quant à la
validité de l'analyse de contenu, est difficile à codifier, étant donné la
variété des objectifs. On est souvent amené à utiliser des méthodes très
souples, comportant dans une même étude, des types d'échantillons pré-
levés à des sources, périodes et contenus différents.
En ce qui concerne l'étude du Monde, nous avons résolu, pour notre part, le
problème de l'échantillon, en décidant d'étudier pendant la durée de la cam-
pagne, toutes les informations ayant trait au référendum, de tous les numéros du
journal Le Monde.
Restait le problème de la façon de les quantifier. Nous allons proposer les
divers types de quantification et reprendrons ensuite notre exemple.
1. B. Berelson in Lindsey (1954, B. 198), vol. I, p. 515.
2. L'expérience indique que les échantillons de presse pris tous les jours et tous les cinq jours
sont nettement préférables aux autres, par exemple à la semaine entière pour le mois.
L'ANALYSE DE CONTENU 625

618 b) Diverses unités de quantification ◊ Lorsque l'on veut quanti-


fier, il faut choisir les indices à retenir pour catégoriser et décider de la
tailledes éléments suivant lesquels découper le contenu.
619 L'unité d'enregistrement ◊ La première unité d'analyse est l'unité
d'enregistrement, c'est le segment déterminé de contenu que l'on caracté-
rise, en le plaçant dans une catégorie donnée. Lesunités d'enregistrement
sont de taille variable :
- Le mot: unité la plus petite. On pourra compter combien de fois cer-
tains mots ont été utilisés. Par exemple dans une analyse politique
comportant les catégories nationalisme, socialisme, etc., les mots patrie et
nation pourraient être considérés comme unités d'enregistrement à ran-
ger dans la catégorie nationalisme.
- Le thème est le fragment significatif correspondant à l'idée que
recouvre une des catégories. Au lieu de se limiter au mot patrie, dans
l'exemple précédent, on retiendra un thème, par exemple la démocratie.
On peut se contenter de compter le nombre de fois où le thème est
abordé, comme on a compté le nombre de mots. Mais ce ne sera pas très
exact, ni conforme à la réalité, de compter de la même façon, pour une
seule fois, un thème de trois lignes et un autre de trois colonnes. On
comprend ici la nécessité, au-delà de l'unité d'enregistrement, qui repré-
sente l'élément illustrant la catégorie, d'une unité de mesure plus souple
et plus précise que le nombre de fois. Ce sera l'unité dite de numération.
Le thème est une des unités d'enregistrement les plus utilisées, en par-
ticulier pour l'étude des effets des communications sur le public. C'est
aussi une des unités sur lesquelles il est le plus difficile d'obtenir des
résultats offrant une grande fidélité. Cela se conçoit, car les thèmes sont
exprimés de façon plus ou moins manifeste, sont abordés et terminés
plus ou moins brutalement, sont plus ou moins mêlés à d'autres, bref les
différences d'appréciation entre analystes ou codeurs sont difficiles à évi-
ter.
Il est indispensable pour obtenir le maximum d'objectivité, de prévoir
les signes les plus précis possibles, servant d'indicateurs. Mais il est cer-
tain que l'appréciation de l'évocation du thème, de son début ou de sa fin
reste subjective.
- L'item: ce terme, le plus employé sans doute, l'est de différentes
façons. Au sens large, c'est un contenu total: livre, film ou discours. C'est
le cas d'analyses de contenu se reférant à plusieurs sources 1.Utilisé dans
un sens étroit, l'item peut être également synonyme d'unité d' enregistre-
ment, c'est-à-dire de tout ce qui est à mesurer. Le mot, le thème, laques-
tion, utilisés comme unités d'enregistrement, seront considérés comme
des items.
620 L'unité de contexte ◊ Elle est plus souple et ne relève pas d'une quan-
tification rigoureuse. C'est simplement le plus largesegmentde contenu
(l'unité d'enregistrement étant le plus étroit) auquel on se réfère pour
comprendre l'unité d'enregistrement.
1. Lorsqu'il s'agit de catégories matières ou de l'origine des informations.
626 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

Par exemple si l'unité d'enregistrement est le mot, l'unité de contexte pourra


être la phrase. Ceci est le plus souvent laissé à l'appréciation de l'analyste. Dans le
codage des réponses aux interviews, on peut admettre que l'unité de contexte,
pour certaines questions, correspond aux deux questions précédentes. Dans ce cas
on signale en général aux codeurs : avant de coder la question 10, relire les ques-
tions 8, 9...
621 L'unité de numération ◊ Il s'agit non plus de la signification de ce
que l'on veut compter, mais de la façon dont on va compter. Autrement
dit, alors que l'unité d'enregistrement représente, comme son nom l'in-
dique, le découpage de l'élément significatif, l'unité de numération, elle,
concerne la façon de mesurer ces divers morceaux. En découpant un ani-
mal, on peut choisir des unités d'enregistrement physiologiques: les
membres, les organes. On comptera les divers morceaux. L'unité de
numération: nombre de morceaux et l'unité d'enregistrement sont
confondues.
Si l'on veut une mesure précise on aura recours à une unité de numé-
ration : le poids. Le nombre de kilos distinguera chaque morceau dans sa
catégorie.
De même, si l'on veut marquer la différence entre deux thèmes, l'un
traité dix fois en une ligne et l'autre une fois en cinquante, il est néces-
saire d'avoir une unité de numération (nombre de lignes) distincte de
l'unité d'enregistrement (nombre de fois où le thème apparaît).
Les unités de numération concernent l'espace ou le temps : para-
graphe, ligne, centimètre, minutes d'enregistrement. Elles doivent être
susceptibles d'une mesure objective, fidèle et vérifiable, se prêter à des
manipulations mathématiques, la plus simple étant l'addition. - La dis-
tinction entre l'unité d'enregistrementet l'unité de numération est essentielle.
622 Exemple ◊ Illustrons ces commentaires abstraits par l'exemple concret
de l'analyse du Monde et les problèmes auxquels nous nous sommes
heurtés pour la quantification. Nous avons d'abord considéré chaque
numéro isolément; chacun étant analysé de la même façon, nous avons
pu totaliser ensuite les résultats des mêmes rubriques pour obtenir un
total général de tous les numéros. Nous nous sommes ensuite heurtés au
problème des unités et l'avons résolu de la façon suivante :
ÎABLEAUI

CATÉGORIES
ÎHÈMES oui
enthou- oui résigné non de gauche non de droite
siaste

------
------
------
------
L'ANALYSE DE CONTENU 627

Nous avons retenu comme unité d'enregistrementles principaux


thèmes de la campagne, découverts dans chaque numéro, nous en avons
retenu treize 1. Nous avons commencé par compter le nombre de fois où
chaque thème était utilisé et par qui. Unité de numération et unité d'en-
registrement étaient donc confondues. Ceci nous a donné une première
information (cf. tabl. I).
Le résultat était insuffisant, car le tableau ne nous donnait pas l'origine
des arguments, leur place dans le journal, ni leur importance. Nous
avons donc complété notre première analyse par une deuxième, dans
laquelle le journal lui-même était divisé en rubriques, chacune de ces
rubriques étant analysée à part, comme nous l'avions fait pour chaque
numéro. Nous avons en somme dans ce deuxième tableau, conservé les
catégories oui-non, à l'intérieur des rubriques du journal, c'est-à-dire:
Tribune libre, éditorial, informations générales, opinions personnelles.
Par exemple « Le P.C. a décidé de voter non» se plaçait en informations
générales, le compte rendu du discours de Pierre Mendès France, à opi-
nions personnelles. Les catégories oui, non, demeurent les mêmes et les
thèmes sont maintenus en unité d'enregistrement (cf. tableau II).
Restait à déterminer l'unité de numération. Nous avons, après hésita-
tion, choisi le centimètre carré qui permettait en incorporant les titres et
divers types de lettres, de pondérer indirectement l'importance des varié-
tés typographiques, ce que la ligne ou le centimètre ne permettent pas.
Nous avions donc en fin de compte le total de centimètres carrés
consacré à chaque thème et le total par catégorie oui, non, suivant
chaque type de rubrique. Ceci nous donnait une idée plus exacte qu'une
simple impression, à la fois de l'objectivité des informations du journal et
d'autre part de la pondération relative des divers arguments 2 .

Valeur de l'analyse de contenu


§ 4.
comme instrument de recherche
L'analyse de contenu est une technique très délicate qui exige beau-
coup de temps. Elle implique des qualités d'intuition, d'imagination pour
percevoir ce qui est important et choisir les catégories, mais en même
temps des qualités de patience, discipline, persévérance, rigueur pour
découper, comptabiliser et vérifier des unités de contenu.
Ce travail est-il rentable? Nous retrouvons, appliquées ici à une tech-
nique particulière, les questions posées de façon générale à propos de la
quantification. Quand et pourquoi l'analyse de contenu est-elle utile? A
quelles conditions nous apporte-t-elle des données plus sûres et plus inté-
ressantes que l'analyse de texte de type classique?

1. Les négociations, de Gaulle, la Paix, l'abandon, le plébiscite, !'Armée, etc.


2. Le Sahara par exemple, si important dans la suite, n'occupe que 7 cm, les références histo-
riques 71 et l'ambiguïté du référendum 277.
628 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

623 1° Fide1ité et validité de l'analyse de contenu. 1 a) La fidé-


lité ◊ Par définition, l'analyse de contenu doit être objective. Les résul-
tats être indépendants de l'instrument de mesure, c'est-à-dire des
codeurs. Des codeurs différents, analysant le même contenu, doivent
obtenir des résultats identiques. L'épreuve doit pouvoir être recommencée
sans qu'apparaissent des différences.
B. Berelson2 indique que ce problème de la fidélité a été abordé de
façon satisfaisante dans un certain nombre de cas, mais n'a pas été traité
dans son ensemble et n'a pas reçu de solution générale.

A l'heure actuelle, on semble ne pas attacher assez d'importance à ce pro-


blème, 75 à 80 % des analyses n'en font pas état et n'offrent sur ce point aucune
possibilité de vérification. En revanche, les 15 % de celles qui publient des infor-
mations donnent des résultats uniformément très élevés, ce qui laisse planer un
doute sur la valeur des autres. Plus inquiétant est le fait que la plupart des ana-
lyses qui révèlent leurs chiffres, concernent des analyses de contenu très simples,
de données faciles à quantifier.
Nous retrouvons l'éternel problème des sciences sociales: vaut-il
mieux une mesure exacte ou des données très riches ? A cause de cela le
problème de la fidélité ne se pose pas de la même manière dans les ana-
lyses purement quantitatives d'un contenu manifeste et dans les analyses
de type plus qualitatif, où des intentions latentes sont recherchées.
Dans l'analyse qualitative,on l'a vu c'est la présence ou l'absence d'un
élément, l'importance en elle-même et non la fréquence, qui est retenue.
L'erreur de signification sera beaucoup plus grave, c'est pourquoi l'ana-
lyste, n'ayant pas à sa disposition d'élément objectif de mesure, sera
amené à rechercher dans le contexte, au-delà de ce qui est manifeste, des
éléments de jugement ou d'appréciation. Du fait qu'il travaille de façon
plus subjective et le plus souvent seul, l'analyste non quantitatif sera
amené à tort à minimiser l'élément fidélité. Nous disons à tort, car plus
la façon de recueillir les données sur les intentions de l'émetteur dépend
d'une interprétation subjective de l'analyste, plus il est désirable que cette
interprétation présente des caractères de constance, répétition et commu-
nicabilité.
Dans l'analyse quantitative, au contraire, l'analyste traite le plus
souvent des éléments ayant une fréquence assez élevée. De ce fait, il atta-
chera moins d'importance à la validité de telle ou telle donnée isolée,
supposée exprimer l'intention manifeste de l'émetteur, parce que même
si elle est erronée, elle ne modifiera pas sensiblement le total. En
revanche, la façon de coder des analystes, la fidélité des diverses classifica-
tions seront importantes et retiendront son attention, puisqu'elles
servent à obtenir les résultats globaux.

1. Nous rappelons ce que signifient ces deux notions. Fidélité : plusieurs chercheurs obtiennent
le même résultat Validité: l'instrument mesure ce qu'il doit mesurer, appréhende bien la réalité et
permet un pronostic.
2. In B. Berelson, op. dt. (1954).
L'ANALYSE DE CONTENU 629

624 b) La validité logique ◊ L'instrumentmesure-t-il cequ'il doitmesurer?


Une analyse est valide, lorsque la description quantifiée qu'elle donne du
contenu est significative pour le problème posé, et reproduit fidèlement la
réalité des faits qu'elle traduit. Bien entendu, la représentativité de
l'échantillon, dont on a déjà parlé, est indispensable, sous peine de faus-
ser au départ toute l'étude. Ceci acquis, pour assurer la validité de l'en-
semble, il faut d'abord que les conditions techniques propres à chaque
étape soient remplies : choix des catégories, indices de quantification,
classement des contenus. La validité, comme la fidélité, sera d'autant plus
facilement obtenue que l'on aura visé un objectif plus limité et il sera
donc plus aisé de prouver la validité d'une analyse quantitative, que celle
d'une analyse qualitative.
La différence se marquera surtout entre les analyses se bornant à une
description de ce qui est manifeste : commentaire de résultats, évolution
de tel thème dans tel journal, comparaison entre deux journaux, et celles
qui cherchent à interpréter au-delà du manifeste, le contenu latent. Les
résultats de celles-ci sont plus contestables.
On a reproché à l'analyse quantitative d'interpréter le contenu de la
communication en fonction de l'intention supposée de l'émetteur, c'est-
à-dire d'émettre une hypothèse qui détermine à l'avance la signification
du message au lieu du contraire. AL. George (1959) cite l'exemple d'une
personne traitant quelqu'un de« vieux coquin». S'il s'agit d'un enfant
on en déduit que l'expression est affectueuse. L'analyste averti doit prou-
ver les raisons pour lesquelles il choisit telle hypothèse de préférence aux
autres.
L'analyse qualitative est intéressante par sa souplesse. Elle est pour cela,
surtout utilisée dans les cas où le contenu change, par exemple dans une
propagande. Elle ne doit donc pas s'enfermer dans une hypothèse hâtive,
car l'explication émise au départ, en fonction de tel contenu, devra
rendre compte également des nouveaux messages. Ceux-ci peuvent être
fort différents dans leur expression, tout en poursuivant les mêmes objec-
tifs, ou encore en ajouter quelques-uns que l'analyste devra également
détecter.

625 L'inférence ◊ L'interprétation donne lieu à un deuxième type de diffi-


cultés, c'est la direction positive ou négative de ce que les Américains
appellent l'« inference ».
Concluera-t-on de l'analyse de la production littéraire américaine contempo-
raine que les mœurs sexuelles sont très libres, puisque ce sujet est souvent traité,
ou qu'au contraire les auteurs américains écrivent sur ce sujet pour secouer le
joug de l'influence puritaine ?
Étant donné les incertitudes qui pèsent sur la valeur des résultats des
analyses de contenu les plus intéressantes, c'est-à-dire celles qui four-
nissent, au-delà d'une description, une explication ou une prédiction, il
est important de savoir quels sont les moyens de mesurer leur validité.
630 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

TABLEAUII

INFORMATIONS PosmONS
ÉonoRIAI.
TRIBUNE
URJI[
GÉN!RAU:S
=
UNJJtD'EN- Catégories Catégories Catégories Catégories
RfGISIIŒ-
ÎOTAI.
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GÉNÉRAL
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............ a /C
cml
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............ y /C
cml
cml cml

z
z
cml
cml

/C
/C /C
•••••••••••• Xcm2
cml cml
anl

626 c) Validité empirique et mesure de la validité ◊ La prédictionest-


ellejuste? Difficile à mesurer en fonction de ses propres démarches tech-
niques, l'analyse de contenu est également défavorisée par rapport aux
autres instruments des sciences sociales, dans la mesure où ses prédic-
tions portent souvent sur des événements d'ordre général, plus difficiles à
apprécier, même lorsqu'ils surviennent. Le comportement d'un individu
prédit par un interview, ou encore mieux par un test, est évidemment
plus facile à valider par sa conduite ultérieure 1 . Cependant, pendant la
guerre, les spécialistes de la B. B. C. avaient prédit jusqu'à la date approxi-
mative des lancements de V2, alors que certains doutaient encore de leur
existence. De même on a pu, après la guerre, vérifier a posteriori,dans les
documents trouvés en Allemagne, la validité de nombreuses déductions
faites pendant la guerre. L'événement peut donc parfois justifier les
conclusions de l'analyse.
La validité peut enfin se vérifier par des comparaisons entre les résul-
tats des différentes techniques. Les conclusions de l'analyse de contenu
1. Nous tenons à noter ici que la validité de l'analyse de contenu dans l'interview est liée à l'en-
semble des démarches de cette technique dont elle n'est qu'une étape, alors qu'elle est indépendante
dans l'analyse de documents proprement dits.
L'ANALYSE DE CONTENU 631

de documents personnels, comme nous l'avons vu, peuvent être compa-


rées aux diagnostics d'interviews ou l'analyse de contenu d'interviews à
réponses libres, à des tests ou à des mesures d'attitude, ou mieux encore
au comportement ultérieur réel de l'individu.
627 2° Utilité et intérêt de l'analyse qe contenu. a) Conditions d
remplir: Précision, objectivité ◊ Etant donnée la complexité de la
technique de l'analyse de contenu, il paraît indispensable de se demander
dans quels cas elle mérite d'être utilisée. L'abus de la quantification, fai-
sant apparaître après beaucoup de travail ce qui était évident, est en partie
responsable de la mauvaise réputation de cette technique.
Berelson indique que l'analyse de contenu est recommandée dans tous
les cas où un grand degré de précision ou d'objectivitédoit être atteint.
Pour trancher entre deux appréciations différentes : tel document est plus
révolutionnaire que tel autre ; lorsque le matériel est suffisamment signi-
ficatif pour mériter cet effort mais abondant et trop inorganisé pour être
utilisé directement, par exemple dans les interviews à réponses ouvertes,
enfin pour comparer un contenu non quantifié à des résultats statis-
tiques; dans tous ces cas, l'analyse est possible. Si le document ne pré-
sente pas une de ces caractéristiques, la quantification n'est en général
pas à conseiller.
628 b) Résultat généralisable ◊ Comme tout procédé quantitatif, l'ana-
lyse de contenu substitue à l'intuition, des données plus exactes. Elle per-
met, en quantifiant ce matériel symbolique que sont les mots, les expres-
sions, le langage, de comparer des groupes de fait. Au stade de la simple
description, elle propose une mesure plus exacte de ce que l'on percevait
globalement et intuitivement. Enfin elle rend compte de différences jus-
qu'alors inaperçues.
Les comparaisons, les évolutions forment le domaine de prédilection
de l'analyse de contenu. Lorsqu'elles sont suffisamment précisées, elles
permettent de dépasser la description et de viser le but de toute recherche
scientifique : la découverte d'explications et de relations 1. La covariation
d'attributs dans un même ensemble de matériel, permet de considérer
qu'ils sont au moins liés par une « interdépendance fonctionnelle»,
sinon par de véritables liens de causalité. Qu'il s'agisse d'interviews ou de
documents, l'on peut citer de nombreux exemples de tels liens: par
exemple entre sentiments internationaux et idéologie égalitaire (inter-
view), ou entre le moral des civils et le tonnage de bombes larguées
(lettres des civils allemands), etc. Cette possibilité de découvrir des corré-
lations n'a d'intérêt que dans la mesure où elle illustre une hypothèse,
une explicationgénéralisableet significative.
L'analyste n'entreprend sa recherche particulière qu'en espérant
découvrir quelque chose de transposable à un « univers » de données,
plus vaste que celui sur lequel il travaille. Cet univers peut être celui dont
est tiré l'échantillon représentatif étudié, ou encore les conclusionsaux-
1. Cf. E. Woodrum (1984).
632 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

quelles on aboutira auront une portée universelle: lorsque des facteurs


semblables seront en présence, les phénomènes se produiront dans le
sens prévu par l'analyse.
P. Lazarsfeld,B. Berelson et H. Gaudet (1949) dans leur étude sur le comporte-
ment électoral en 1940, ont découvert, grâce a l'analyse de contenu des inter-
views, que des individus soumis simultanément à des facteurs contradictoires,
créant chez eux un conflit (c'est-à-<lirese distinguant des conditions habituelles à
leur groupe), hésitaient davantage à prendre une décision politique. Ce fait a per-
mis de concevoir une généralisation, suivant laquelle des forces opposées, quel
que soit l'endroit ou la façon dont elles s'exercent, freinent l'engagement poli-
tique. Cette explication rend également compte de l'abstentionnisme de certaines
professions, par exemple des employées de maison, typiquement placées en situa-
tion de conflit.
Cette généralisation est parfois découverte a posteriori,au seul vu des
résultats quantifiés, mais ceux-ci dépendent obligatoirement des catégo-
ries qui ont présidé au rassemblement des données, donc en définitive des
hypothèses plus ou moins précises, plus ou moins a priori, en fonction
desquelles elles ont été établies.
62 9 La valeur dépend des catégories ◊ La valeur d'une analyse de
contenu dépend de la qualité de la conceptualisation faite a priori par le
chercheur, de l'exactitude avec laquelle elle se traduira en variables, du
schéma d'analyse ou catégories et en définitive, de la concordance entre
la réalité à analyser et ces catégories. Autrement dit, pour que l'analyse de
contenu mérite d'être entreprise, il faut d'une part que les questions
posées au matériel par les catégories explicitent une hypothèse intéres-
sante et d'autre part qu'elles correspondent à ce matériel.
Nous n'insisterons jamais assez sur ce point: la valeur de l'analyse de
contenu dépend des hypothèses émises dans la recherche et des catégories
qui les expriment Elle est avant tout une réponsequi ne vaut quepar rap-
port à la questionposée,au but poursuivi,à l'objetde la recherche.Elle doit
révéler l'absence ou la présence dans la réalité observée, des variables sup-
posées et donner un ordre de grandeur, un rapport entre ces variables.
Une analyse de contenu pour être intéressante exige d'abord une bonne
idée, qui devine, perçoive les vrais problèmes, ensuite un bon matériel,
significatif, en rapport avec la réalité (qu'il s'agisse du matériel d'inter-
view ou autre) et enfin, mais enfin seulement, condition nécessaire mais
non suffisante, une bonne technique. B. Berelson avait raison de dire :
« rien ne peut remplacer une bonne idée».
O. R. Holsti (1969) note que la remarque est encore aujourd'hui per-
tinente. Le développement des ordinateurs, a considérablement accru les
possibilités de recherches 1 mais encore faut-il s'en servir intelligemment.

1. Cf. B. N. Colby (1966).


NOUVELLESTENDANCES 633

SECTION3. NOUVELLESTENDANCES

629-1 Analyse de contenu et linguistique ◊ Les développements de l'ana-


lyse linguistique, la préoccupation récente d'étudier le rapport entre le
texte et les conditions de sa production, soulèvent la question de la vali-
dité et de l'intérêt de l'analyse de contenu face aux recherches socio-
linguistiques.
La plupart des linguistes ignorent ou méprisent cette expression qui
« recouvre un ensemble si hétéroclite de préoccupations, de méthodes,
qu'on peut lui dénier toute valeur» 1. Aussi est-ce du côté des psycho-
sociologues que viendront les efforts de rapprochement P. Henry et
S. Moscovici (1968) après avoir constaté que l'analyse de contenu suit
une démarche qui n'est pas linguistique, considèrent que celle-ci se pour-
suit sur deux plans : le plan vertical qui regroupe les conditions de pro-
duction 2, le plan horizontal qui couvre le texte lui-même. Or les éléments
pertinents du texte sont sélectionnés en fonction des objectifs, c'est-à-
dire des conditions de production, elles-mêmes caractérisées par les élé-
ments du texte. Cercle vicieux, scandaleux pour les linguistes. « En l'ab-
sence de définition autonome de la structuration de ces deux plans et de
leursrapports,on aboutit à une impasse méthodologique et théorique 3. »
Les auteurs distinguent divers aspects suivant le plan sur lequel se situe
l'analyse de contenu: analyse classique de Berelson, fréquence moyenne
des occurrences des termes dans un texte donné suivant Osgood, traite-
ment par ordinateur suivant le schéma du General Inquirer. Dans tous
ces cas il s'agit du plan vertical, c'est-à-dire de déterminer des indices
significatifs dans le texte. Mots, items, sont retenus dans la mesure où ils
sont pertinents du point de vue de l'opinion ou attitude que l'analyse de
contenu cherche à mesurer.
Sans entrer dans le détail des propositions de Moscovici, indiquons
seulement qu'il voit la possibilité d'améliorer l'analyse de contenu en
passant d'une méthode taxinomique, simple classement d' eléments
observés, à une méthode systématique permettant une expérimentation.
Ceci suppose que soient distingués les phénomènes étudiés et les proces-
sus de production des textes ainsi que les variables liées aux uns et aux
autres jusqu'ici trop souvent confondues.
Nul ne conteste (si ce n'est dans ses exagérations) l'apport de l'analyse
linguistique. Henry et Moscovici tentent de montrer que l'analyse de
contenu pourrait à son tour lui être utile en jouant vis-à-vis d'elle un rôle
analogue à celui de la traduction automatique, en « mettant à l'épreuve
des concepts et des méthodes » et en donnant à la recherche linguistique
une dimension nouvelle.
1. Cité in L Guespin (1975).
2. Non pas les conditions objectives : historiques, sociales, mais ce qui constitue le but de la
recherche: idéologie de l'émetteur, attitudes, opinions.
3. P. Henry, S. Moscovici (1968), p. 38.
634 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

1
§ 1. Les analyses paralinguistiques
Nous trouvons ici une zone intermédiaire dans laquelle analyse de
contenu et linguistique cohabitent sous des formes différentes suivant les
procédures utilisées.
629-2 L'analyse lexicologique. a) quantitative ◊ Si surprenant que cela
paraisse, il existe plus de quatre cents définitions du mot. Il ne suffit pas
comme le faisait l'analyse du contenu à ses débuts de les compter, mais
grâce à l'utilisation des ordinateurs, de comptabiliser les occurrences de
mots mais aussi les fréquences d'association pour repérer les unités don-
nant le plus d'information. P. Guéraud (1963) distingue les « mots
outils», environ la moitié des termes, les mots «pleins», les plus chargés
de signification, eux-mêmes composés des mots de caractérisation (nom-
breux mais variés), des mots de base plus nombreux. Enfin les mots
thèmes, les plus employés. Ceux qui apparaissent avec un taux de fré-
quence relative au-dessus de la moyenne, sont appelés mots clés.
Les applications de l'analyse lexicologique à des textes littéraires et en
science politique sont nombreux 2 .
630 b) La lexicologie structurale ◊ Le principe fondamental de cette
procédure se trouve résumé dans l'affirmation de G. Mounin: « le
lexique n'est pas un tas de mots». Peut-on supposer l'existence d'en-
sembles organisables de signifiés c'est-à-dire de structures sémantiques?
A une première tendance correspond l'analyse componentielleou
sémique.Elle a pour but de rechercher les unités de signification minimale
ou sèmes qui composent un mot Il s'agit d'après A. Trognon (1974)
d'une connaissance extralinguistique, en fait d'une perception, avec ce
que cela comporte de subjectif ou d'arbitraire.
Deuxième tendance: l'analysecontextuelle.Il s'agit d'étudier la distribu-
tion du mot à l'intérieur des corpus d'analyse. C'est un procédé sem-
blable à celui de l'analyse de contingence (cf. n° 594) pour chercher les
relations d'opposition, d'association qui structurent le lexique. Procédé
soumis à la même critique: réintroduire dans l'analyse une décision arbi-
traire et souvent implicite.
630-1 L'analyse du discours ◊ « L'analyse du discours est l'étude visant à
repérer par l'analyse linguistique, les conditions de production d'un
texte 3 . » Interprétée de façon restrictive on peut l'opposer à l'analyse de
contenu, limitée à des résultats quantifiés4. Mais nous l'avons vu (cf.
1. Nous empruntons à l'intéressante thèse de J.Gerstlé (1992), une part des informations des
§ 1 et 2, et renvoyons à sa bibliographie pour les très nombreux travaux qu'il cite.
2. Cf. Bibliographie in J.Gerstlé (1992) et P. Favre (1978).
3. Cf. A. Trognon (1974).
4. Pour P. Favre (1978) dans l'analysede contenu,les critères d'analyse sont exogènes, le discours
est atomisé, le système de référence unique. L'analyse quantitative est le réel supposé contenu dans le
texte. Au contraire, dans l'analysedu discours,les critères sont endogènes, le discours peut être
recomposé, les références sont multiples et liées au concept de performance (cf. n° 248-1), l'étude
NOUVELLESTENDANCES 635

n° 594) l'analyse de contenu peut être utilisée de façon beaucoup plus


large, dans ce cas la frontière entre les deux techniques est loin d'être pré-
cise.
630-2 L'analyse automatique ◊ Les progrès dans cette voie sont dus en
particulier à M. Pêcheux (1973), pour lequel« le but de l'analyse est de
montrer comment le processus de production d'un discours résulte de la
composition des conditions de production avec un système linguistique
donné». Sans doute, mais trop de lacunes dans l'articulation du discours
et ses conditions de production, enfin dans l'inachèvement des procé-
dures d'analyse, limitent singulièrement la portée de cette technique.
Ces analyses s'appuient encore plus ou moins, sur les principes et les
objectifs de l'analyse de contenu, mais en lui donnant à la fois plus de
rigueur et plus d'ambition, grâce à l'apport de la linguistique. Cependant
on peut dans l'ensemble les soumettre à des critiques semblables en ce
sens que les choix des matériaux ou segments retenus demeurent plus ou
moins qualitatifs et subjectifs. D'autres tentatives moins proches du texte
sont qualifiées par J.Gerstlé de supralinguistiques.

§ 2. Les analyses supralinguistiques


631 L'analyse structurale du récit ◊ Il s'agit de rechercher en quoi un
texte constitue une structure propre et devient dans son entier l'unité
d'analyse. « Être un roman, être un document, être une prière, cela signi-
fie réaliser une fonction culturelle déterminée et transmettre une signifi-
cation achevée1. » A partir de là, les approches diffèrent suivant les
auteurs, ethnologues, linguistes, littéraires ou juristes 2 . L'articulation
entre la sémiologie et l'idéologie paraît progresser sur le plan théorique et
donner lieu également à des recherches pratiques intéressantes.
631-1 La linguistique textuelle et l'argumentation ◊ Nous la citons
pour mémoire car cette démarche essentiellement germanique n'a pas
encore recueilli de certitudes suffisantes. Les matériaux utilisés sont sur-
tout des textes littéraires.
En revanche, l'argumentation,forme nouvelle de l'ancienne rhétorique,
incite à rechercher les éléments de persuasion du discours. Il sera alors
défini comme l'ensemble des stratégies d'un orateur s'adressant à un
auditoire sur une situation ou sur un objet C'est dire qu'à côté des lin-
guistes et des psychosociologuesce domaine intéresse les politologues, les
logiciens et sera sans doute, grâce à eux, amené à de nombreux déve-
loppements.
est qualitative, enfin les conditions sociales de production des discours sont essentielles. Ces opposi-
tions nous paraissent discutables et l'analyse du discours est encore loin (comme le reconnaît
P. Favre) d'être constituée comme objet parfait de science. Enfin ce qui n'arrange rien, le mot même
de discours est utilisé dans six acceptions différentes, cf. D. Maingueneau {1976).
1. Cf. J. Lotrnan (1973).
2. Cf. Greimas, Barthes, Lévi-Strauss.
636 LES MÉTHODES ET TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCUMENTS

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TITRE2

LESTECHNIQUES
VIVANTES
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 643

CHAPITRE1
LESTECHNIQUES
DE RAPPORTSINDIVIDUELS
« On étudiele fond de la mer avecune sonde.Si
celle-ciramène de la vase c'est que le fond est
vaseux.Si elleramènede la bouec'est que le fond
est boueux.Si ellene ramènerienc'estquela ficelle
est trop courte.»
Jean Charles, La foire aux cancres.

SECTION1. L'INTERVIEWOU ENTRETIEN


« Oui, si je doisl'avouer,j'imagineque celadevait
se passercommeaveccesserruresfortes et impo-
santes du 1? sièclequi emplissaienttout le cou-
vercled'un bahut de toutes sortesde verrous,de
griffes,de barreset deleviers,alorsqu'uneseuleclef
douceretiraittout cet appareilde défenseet d'em-
pêchement,de son centrele plus centré.»
Lettre de Rainer Maria Rilke.

§ 1. Divers types d'interview


633 Définition ◊ Le terme «entrevue» semble représenter en français la
traduction la plus littérale de l'anglo-saxon interview 1, mals le mot dans
notre langue a un sens différent. Il comporte une nuance utilitaire, un
élément d'arrangement en tout cas d'exception, dont rend compte l'ex-
pression« ménager une entrevue». Le terme entretiencorrespond mieux
à la notion anglaise d'interview. L'interview, dans le langage courant,
revêt un aspect journalistique, souvent spectaculaire, alors que l'entretien
conserve un caractère sérieux et confidentiel. L'élément commun qui
nous intéresse est constitué par le fait qu'il s'agit dans les deux cas d'un
tête-à-tête et d'un rapport oral entre deux personnes, dont l'une transmet
à l'autre des informations. C'est la rigueur de la technique qui distingue
l'entretien du sens du langage courant. On peut observer l'apparition de
cet élément technique dans des occasions différentes.
Un père de famille apprend que son fils veut tenter une carrière ciné-
matographique, il aura un entretien avec lui. Un avocat, ou mieux, un
1. D'où l'obligation de se plier à l'emploi regrettable d'interview au féminin.
644 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

médecin, reçoit un client qui le consulte pour la première fois, nous


sommes déjà dans une situation d'interview ou d'entretien au sens plus
technique. Il s'agit d'une forme de communication établie entre deux
personnes ayant pour but de recueillir certaines informations concernant
un objet précis. Le médecin essaye d'obtenir le plus rapidement possible,
de son patient les symptômes et éléments d'information qui lui seront
utiles pour établir son diagnostic.
Nous avons ici un entretien ou interview, dont le résultat dépendra à
la fois de l'attitude de l'interviewer-médecin 1,de l'idée qu'il se fait de son
rôle, mais aussi de son expérience, de son aptitude à fa.ire parler son
patient, du genre d'information qu'il cherche, et des réactions du répon-
dant.
On donne de l'interview ou de l'entretien, au sens technique, la défini-
tion suivante : c'est un procédéd'investigationscientifique,utilisant un pro-
cessusde communicationverbale,pour recueillirdesinformations,en relation
avecle but fixé.
Journalistes, médecins, avocats, magistrats, même les patrons ou édu-
cateurs, sont plus ou moins amenés à pratiquer des interviews, comme
M. Jourdain faisait de la prose, c'est-à-dire qu'ils déclenchent des réac-
tions, utilisent des procédés dont ils ignorent le plus souvent le méca-
nisme. Le manque de formation et de préparation à la vie sociale est
général, mais particulièrement regrettable lorsqu'il s'agit de ceux qui, par
leur métier, ont des responsabilités vis-à-vis d'autrui et sont fréquem-
ment placés dans des situations d'entretien.
C'est pourquoi, à côté de l'aspect technique de l'interview, instrument
de recherche en sciences sociales, nous voulons insister sur le processus
fondamental d'interaction humaine que constitue la situation d'entre-
tien et les mécanismes variés qu'elle met en cause.
634 Historique ◊ On peut distinguer dans l'évolution de l'entretien, trois
étapes essentielles. La première est marquée par son utilisation en psy-
chothérapie et en psychoteshnique, d'où le nom de counselingsous lequel
on le désigne souvent aux Etats-Unis. Le caractère utilitaire de la psycho-
technique, visant une orientation professionnelle, explique pourquoi les
problèmes de validitéde l'interview retiennent à cette époque plus parti-
culièrement l'attention.
La deuxième étape coïncide avec le développement des recherches
concrètes. C'est la période pendant laquelle se multiplient les enquêtes
d'opinion. Les psychologues sociaux, à leur tour, abordent les problèmes
d'entretien, en particulier sous l'anglede la fidélité.En effet, il ne s'agit pas
seulement pour eux, comme pour les psychotechniciens, de prévoir avec
justesse le comportement d'un seul sujet, mais plus souvent, grâce aux
observations concordantes des enquêteurs, de connaître l'opinion d'un
grand nombre d'individus. Cette concordance, critère de fidélité, repré-
sente donc un facteur essentiel. Ces problèmes seront repris avec plus
d'ampleur après la Seconde Guerre mondiale.
1. Il manque en français deux termes pour désigner les interlocuteurs dans l'entretien.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 64 5

Les expériences accumulées durant cette période, environ de 1920 à


1940, permirent de s'apercevoir des inconvénients et des limites de cer-
tains types d'entretien. Les « assistants sociaux» 1, par exemple, avaient
tendance à utiliser l'entretien d'information-conseil de façon très mani-
pulatrice ou directive, ce qui laissait planer un doute sur la sincérité des
réponses obtenues. Les recherches sur la consommation permirent, d'un
autre côté, de constater combien les réponses des enquêtés aux questions
directes correspondaient peu à la réalité. Bref, les psychologues furent
amenés à s'intéresser enfin, aux problèmes du processus de l'entretien
lui-même, c'est-à-dire à ce qui se passe entre l'enquêteuret l'enquêté.La
possibilité technique d'enregistrer les interviews permit de les analyser et
fut le point de départ d'études sur les méthodes de recherches, menées
parallèlement à leur développement.
L'interaction entre la pratique, la recherche théorique et la méthodolo-
gie, constitue la caractéristique de cette troisième étape, dans laquelle
nous nous trouvons.
635 1) Classification des entretiens ◊ On ne peut considérer la tech-
nique de l'entretien in abstracto,mais en fonction du type de communi-
cation et d'information qu'elle vise et de la recherche dans laquelle elle
s'insère. L'utilisation de tel ou tel type d'entretien dépendra donc :
- Soit du moment de cette recherche: le début d'une enquête, la phase
d'exploration, exigent une technique différente d'une recherche sur des
variables déjà précisées.
- Soit du type de rechercheet de l'objectifpoursuivi: les enquêtes par
sondages sur des faits, opinions, permettant une distribution quantitative
dans une population donnée, nécessitent un type d'entretien différent
des enquêtes de motivations d'achat ou d'attitudes plus approfondies.
Les entretiens visant une rechercheou poursuivant une application
immédiate: sélection ou embauche dans l'entreprise, différent des entre-
tiens d'interventionthérapeutiques et des entretiensd'informationpure et
simple.
Peut-on, parmi ces entretiens situés dans des contextes si variés: usine,
hôpital, rue, domicile, etc., comportant des buts différents (thérapeu-
tique, d'information), qui en fait ne s'excluent pas (tout entretien doit
informer, peut soulager), trouver une classification rendant compte de
différences essentielles, qui permettrait, même arbitrairement, de recon-
naître au moins des types d'entretien ?
636 Degré de liberté. Niveau de profondeur ◊ Ces différences essen-
tielles existent. Elles dépendent de deux facteurs, qui modifient l'élément
fondamental de l'entretien : la communication. Ce sont le degréde liberté
et le niveau de profondeur.Ils donnent à la communication son contenu
particulier et permettent de distinguer les divers types d'interviews.
Le degréde libertélaissé aux interlocuteurs se traduit dans la présence et
la forme des questions. Le niveau d'informationrecueillie s'exprime dans
1. Profession très répandue aux États-Unis.
646 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

la richesse et la cornplexité des réponses. C'est l'objectif à atteindre qui


déterminera la liberté laissée à l'enquêteur et à l' enquêté, la profondeur
des informations à recueillir, c'est-à-dire le type d'interview à préconiser.
Liberté et profondeur entraînent d'autres caractéristiques : durée, nombre
d'interviews, nombre d'enquêtés, éléments à analyser, etc. On ne conduit
pas un entretien psychothérapeutique avec une série de questions brèves
et prévues d'avance, expédiées rapidement, pas plus qu'on ne peut orga-
niser une enquête d'opinion comportant 2 000 interviews, en laissant les
enquêteurs libres de les mener à leur guise, au risque de se trouver devant
des résultats ne pouvant être comparés.
On peut classer les interviews selon un continuum, comportant aux
deux extrémités les types les plus tranchés : pôle maximum de liberté et
profondeur, pôle minimum ; entre ces deux pôles se situent graduelle-
ment les types intermédiaires. Ceci nous donne le schéma suivant 1 :

2 3 4 5 6

1° l'entretien clinique (psychanalyse, psychothérapie);


2° l'entretien en profondeur (étude de motivation);
3° l'entretien à réponses libres;
4° l'entretien centré ou « focused interview» ;
5° l'entretien à questions ouvertes ;
6° l'entretien à questions fermées.
6 3 7 a) L'entretien clinique psychanalytique ou psychiatrique ◊ Il
comporte peu de questions, c'est l' enquêté qui choisit le secteur de souve-
nirs, les sujets qu'il veut aborder. Le plus souvent, il monologue. Tout ce
qu'il dit intéresse l'enquêteur, dans quelque domaine ou ordre d'idée que
ce soit. Une série d'interviews est nécessaire. L'enquêteur, dans ce type
d'interview, s'intéresse non seulement au contenu manifeste, ce que dit
1. Ce schéma représentant la plus ou moins grande liberté et profondeur des entretiens n'a
qu'un but mnémotechnique pour les étudiants et ne saurait constituer une échelle comportant des
degrés et intervalles.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 64 7

le patient: faits, jugements, sentiments, images, vocabulaire, associations


d'idées, mais aussi à la façon dont il le dit: ton, rapidité d'élocution, hési-
tations, arrêts et gestes, etc.
L'objectif est avant tout thérapeutique : amener l'individu à prendre
conscience de ses blocages intérieurs, l'aider à vivre, si possible le guérir.
638 b) L'entretien en profondeur ◊ L'attitude de l'enquêteur peut être
plus ou moins directive, mais de toute manière, c'est lui qui, à la dif-
férence de l'entretien précédent, suggère le domaine à explorer. Il garde
une liberté entière dans la façon de conduire l'entretien, ainsi que l'en-
quêté dans la façon d'y répondre. Une série de séances peut être utile.
Comme dans l'interview clinique, l'enquêteur observera le contenu latent
et analysera les données de façon qualitative. Le but de l'entretien est,
comme le précédent, centré sur l'individu, mais avec deux différences :
d'une part le but n'estpasforcémentthérapeutique,d'autre part l'objectifest
limité. Dans une recherche de motivation, l'enquêteur cherche par
exemple à connaître les raisons de l'hostilité de l' enquêté envers les mai-
sons préfabriquées ou les potages en sachet Tout ce qui, de près ou de
loin: souvenirs d'enfance, phobies, etc. pourrait avoir un lien avec le
sujet sera retenu, mais seulement cela. L'enquêteur de façon plus ou
moins directive ramènera !'enquêté à l'objectif.
639 c) L'entretien à réponses libres ou guidé et l'entretien cen-
tré ◊ Les auteurs ne sont pas d'accord surles nuances qui séparent ces
deux techniques d'interview, quant à leur degré de liberté et de profon-
deur. Dans les grandes lignes, ces entretiens se caractérisent par des ques-
tions nombreuses, non formulées d'avance, dont les thèmes seulement
sont précisés, ce qui donne à l'enquêteur un guide souple, mais lui laisse
une grande liberté. L'entretien centré ou forused interview a été parti-
culièrement étudié par R. K. Merten (1955). Comme son nom l'indique,
il a pour but de centrer l'attention sur une expérience et les effets d'un ou
plusieurs stimuli particuliers. Sa procédure nous semble plus stricte que
celle de l'interview à réponses libres, parce que le choix des enquêtés et
surtout l'objectif, sont plus précis. En effet, les personnes que l'on inter-
roge sont celles qui ont été impliquées dans la situation concrète que l'on
veut analyser. Elles ont vu tel film, lu tel article, elles font partie du
groupe qui a fait l'objet de telle expérience ou qui a subi telle aventure.
Avant d'interroger ces sujets, des hypothèses ont été élaborées. Le cher-
cheur a déterminé les facteurs de la situation dont il veut rechercher l'in-
fluence et établi un cadre de questions ou gu.ided'interview. L'enquêteur
reste libre, quant à la façon de poser les questions, leur libellé, leur ordre,
il peut en ajouter, mais il est tenu de recueillir les informations exigées
par la recherche. Ces informations seront composées des réactions sub-
jectives des enquêtés à la situation que l'on veut analyser. Elles permet-
tront de vérifier les hypothèses prévues concernant les divers facteurs,
d'expliquer les réponses aberrantes de certains par leur histoire per-
sonnelle. Elles constituent une sorte de substitut à une véritable expéri-
mentation.
648 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

La liberté de l'enquêteur et de l'enquêté n'est pas totale, mais limitée


par le cadre de la recherche. L'enquêté peut répondre à sa guise, mais non
parler de n'importe quoi. L'enquêteur le ramène au sujet. Il doit se rendre
compte du niveau de profondeur auquel se situent les réponses de l'en-
quêté et les orienter dans le sens de l'objectif de l'entretien.
L'analyse est encore qualitative, mais les résultats ne sont plus limités à
l'individu. Ce que l'on cherche surtout à établir, ce sont des types de réac-
tions possibles vis-à-vis d'un thème, d'un sujet, une répartition possible
d'attitudes, donc un élément déjà quantifié et statistique, donnant une
indication sur la direction dans laquelle situer des facteurs.
640 d) L'entretien à questions ouvertes ◊ Il est déjà beaucoup plus
contraignant, surtout pour l'enquêteur, qui pose des questions précises,
libellées d'avance, suivant un ordre prévu. L'enquêté, lui, est encore libre
de répondre comme il le désire, mais dans le cadre de la question posée.
641 e) L'entretien à questions fermées ◊ C'est le plus structuré des
types d'entretien. Il comporte un questionnaire standardisé, des questions
libellées d'avance, disposées dans un certain ordre que l'enquêteur doit
respecter et auxquelles l'enquêté ne peut répondre que par un choix
limité : oui ou non ; favorable ou défavorable ; Figaro ou Humanité; mer
ou montagne. La réponse ne pourra être que oui, non ou sans opinion.
Ces deux derniers types d'entretiens, très structurés, se distinguent par le
contenu des réponses, dépendant de la forme des questions, plus que par
la conduite même de l'interview. En effet, dans les deux types d'inter-
views, l'enquêteur est tenu par le questionnaire. L'enquêté, libre dans
l'interview à questions ouvertes, ne l'est plus avec les questions fermées,
d'où de grandes différences dans la richesse du contenu de l'information
et la façon d'analyser les résultats.
De nombreux interviews comportent, dans une proportion variable, les
deux types de questions, ouvertes et fermées. Dans les deux cas, ce que
l'on cherche en général, c'est un résultat statistique, une distribution de
variables. Celles-ci, dans le questionnaire par questions fermées sont pré-
méditées : on additionne les résultats des réponses à la question posée,
question 10 = 50 % oui, 40 % non et 10 % sans opinion. Dans l'inter-
view à questions ouvertes, on découvre les facteurs d'influence et l'on ne
totalise les opinions qu'après une analyse de contenu des réponses.
Pour résumer les caractéristiques des divers types d'entretien, nous
dirons qu'en allant de l'extrême gauche à l'extrême droite sur le conti-
nuum de notre tableau nous trouvons des types d'interview caractérisés :
d gauchepar :
- des questionsrares, à formulation non rigoureuse ni préétablie ;
- des réponsesriches, complexes, à contenu profond ;
- la liberté la plus grande laissée à l'enquêteur et à l'enquêté;
- la duréepratiquement non limitée ;
- la répétition possible des entretiens;
- le but, importance accordée à la personne enquêtée (guérison,
conseil) ;
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 649

- l'entretien centrésur la personne.


à droitepar
- des questionsformulées de façon de plus en plus rigide et préétablie ;
- des réponsescourtes, précises, à contenu plus limité;
- trèspeu de libertélaissé à l'enquêteur et à !'enquêté;
- duréelimitée,le plus souvent entretien rapide ;
- entretien généralement unique;
- le but, importance accordée à l'information concernant l'objectif de
l'enquête;
- l'entretien centrésur le problème.
Cette classification un peu rudimentaire, correspond aux caractéris-
tiques essentielles des principaux types d'interviews. Elle doit être complé-
tée par des distinctions concernant la façon dont l'enquêteur tente de
recueillir les informations, c'est-à-dire les diverses stratégies qu'il peut
employer, à l'intérieur de la classification proposée.
642 Que recueillent les questionnaires ? ◊ La méthode des question-
naires est limitée par la nature même de l'information qu'elle permet
d'obtenir. Elle utilise un processus très direct et simple: elle pose des
questions. Que révèlent les réponses ainsi données, sans réflexion, à des
questions si fractionnées et si précises ? Peuvent-elles être symptoma-
tiques et de quoi? Lespsychologues déclarent que !'enquêté, pris par sur-
prise, obligé de répondre rapidement, n'a pas la possibilité d'organiser sa
réponse, même s'il connaît le sujet. Inévitablement il donnera l'informa-
tion la plus facile à exprimer, c'est-à-dire la plus superficielle.
Dans la mesure où les questions portent sur des faits assez précis,
connus des enquêtés et s'ils n'ont pas de raison de mentir, on peut consi-
dérer l'information recueillie comme juste. En revanche, si l'on veut, au-
delà des faits ou opinions superficielles, reconnaître les raisons plus pro-
fondes des attitudes des personnes interrogées, si l'on désire prévoir leur
comportement à partir d'une analyse de ce qui les pousse à agir, c'est-à-
dire procéder à une étude de motivation, on peut se demander si la
méthode consistant à poser des questions, est susceptible de recueillir une
information de la part d'enquêtés qui ne la possèdent souvent pas eux-
mêmes.
Il ne s'agit pas ici d'aborder le problème sous l'angle de la validité de la
méthode, mais seulement en fonction de l'adaptation des divers types
d'interviews, aux buts poursuivis.
Imaginons avec G. Palmade, auquel nous empruntons les réflexions
qui suivent 1, que nous posions dans une enquête, une question aussi
simple que celle-ci : « Si vous deviez acheter une voiture, laquelle choisi-
riez-vous ? » Le premier enquêté auquel nous nous adressons a reçu le
matin même une Renault. Ce qu'il nous dira correspondra exactement à
ce qu'il a fait: il vient d'acheter une Renault. Le deuxième enquêté a
décidé de commander une Citroën, l'information est pratiquement du
même ordre. Le troisième pense acheter une Peugeot, mais de ses explica-
1. G. Palmade (E.R.P.), vol. VIII (1959).
650 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

tians, nous retirons l'impression qu'il finira par se décider pour une
Simca. Enfin le dernier enquêté hésite devant une pile de catalogues.
En utilisant la même technique d'entretien, en posant la même ques-
tion, de la même manière, nous avons recueilli des informations ayant
une valeur de précision, de certitude, une possibilité de prédiction très
différentes. En fait, si nous cherchions sur un grand échantillon, un
résultat statistique, pour une étude de marché, nous risquerions d'obtenir
des « je ne sais pas » honnêtes, ou des réponses ne correspondant pas à
des renseignements sûrs et ne permettant donc pas de prévoir un
comportement réel. Finalement, les informations les plus intéressantes
que nous recueillons chez les enquêtés, ne concernent pas l'achat de la
voiture, mais l'état d'espritde chaque acheteur et constituent un ensemble
assez imprécis de facteurs psychosociologiques. La valeur symptomatique
de l'information est donc très inégale et nous devons nous poser deux
questions:
1° Quel est l'état d'information du sujet lui-même vis-à-vis du pro-
blème? Est-ce qu'il sait ce qui le fait agir? Est-il conscient d'avoir envie
d'une décapotable deux places pour épater les filles, ou d'une voiture
rapide pour compenser son sentiment de faiblesse ?
2° L'information que nous cherchons, à savoir ce qui pousse les
enquêtés à choisir telle ou telle voiture, est-elle accessiblepar la technique
utilisée, c'est-à-dire par la question?
Celle-ci suppose }'enquêté capable de répondre. Or une partie de la
psychologiecontemporaine, depuis Freud, a montré que la plupart de nos
raisons d'agir nous échappaient, parce qu'inconscientes. Dès lors, le pro-
blème pour l'enquêteur ne consiste plus à recevoir une information
directe, mais seulement à faire livrer par l' enquêté le plus symptomatique,
c'est-à-dire les informations significatives, celles que l'enquêteur pourra
interpréter. C'est la façon de parvenir à rerueillir ces informations signifi-
catives, qui donne leur spédficitéaux diversestechniquesd'interview.
643 L'infonnation significative ◊ En quoi, comment, une information
peut-elleêtre significative? - Les conduites humaines s'accomplissent en
réponse ou en fonction de certaines informations. C'est parce que nous
sommes frileux, que nous percevons le froid et mettons un manteau.
Chaque individu perçoit le monde extérieur à sa façon, il le caractériseà sa
manière. On peut alors dire que les enquêtes psychosociologiquesvisent à
atteindre le domaine des conduites(quelle voiture allez-vous acheter ?) en
partant du domaine des caractérisations(que représente, qu'évoque pour
vous telle voiture?). Il s'agit de prévoir, d'atteindre l'organisation des
actions, en recueillant des données sur l'organisation des informations.
La première étape d'un entretien voulant recueillir autre chose qu'une
information superficielle, consiste à chercher la manière dont les sujets
eux-mêmes perçoivent, appréhendent les données que l'on veut étudier,
quelles sont leurs catégories, leurs cadres de référence, leur mode de
caractérisation. D'après Palmade, l'enquêteur peut alors se trouver dans
une des situations suivantes :
1° L'enquêté sait pourquoi il a a agi ou va agir de telle ou telle manière,
il possède des informations suffisantes sur ses modèles d'action, il
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 6 51

accepte de les communiquer et de répondre à des questions précises sur


ces points. Dans ce cas un entretien par questionnaire suffit à renseigner
l'enquêteur.
2° Le sujet manqued'informationsur les causes de ses actions. Il faut,
par des stratégies adaptées, l'éclairer, rendre ces informations accessibles.
C'est dans la mesure où celles-ci apparaîtront symptomatiques, révéla-
trices à l'enquêté, qu'il prendra conscience de ses motifs et les rendra à
son tour plus accessibles à l'enquêteur. Il y a coopération, l'aide de l'en-
quêteur permet à l'enquêté de découvrir, d'amener de nouveaux maté-
riaux.
3° L'interview doit viser à obtenir des informations symptomatiques,
en dépit du fait qu'elles n'apparaîtront pas telles à l'enquêté. L'enquêté
ignore, demeure fermé au message qu'il communique, ou plutôt à sa
nature réelle.
Les diverses méthodes d'interview doivent s'adapter à ces situations
différentes. Dans le premier cas, il s'agit d'une communication-informa-
tion, le questionnaire structuré suffit ; dans les autres cas, l'interview
impliquera pour obtenir l'information, une technique d'exploration.
Notons bien que celle-ci, pas plus que la profondeur, n'est liée à un
objectif clinique ou thérapeutique. L'information peut se situer à un
niveau profond, même s'il s'agit simplement de chercher l'explication
d'une opinion, ou comme nous l'avons vu, la raison d'un achat. La tech-
nique d'exploration peut être conçue de plusieurs façons. L'enquêteur
peut la diriger lui-même activement, c'est-à-dire poser de nombreuses
questions sur un sujet restreint, de façon intensive, ou couvrir un
domaine plus large, de façon superficielle. Il peut aussi aborder les pro-
blèmes, en posant les questions de façon plus ou moins directe.Il peut
enfin inciter l'enquêté à faire lui-même l'effort de recherche et seulement
lui faciliter cette tâche. Cette dernière méthode est celle des interviews
non directifs.
Directif, non directif; direct, indirect ; intensif, extensif, telles sont les
principales façons de caractériser et conduire les différents types d'inter-
views.
644 2° Dif[érentes façons de conduire un entretien. a) Entretien
directif ou non directif ◊ L'entretien non directif a été mis au point
par Carl Rogers1, dans le cadre de la psychothérapie. On peut, sans
inconvénient, parler en général d'attitude plus ou moins directive, mais
lorsqu'il s'agit del' entretien non directif proprement dit, il faut bien avoir
présent à l'esprit qu'il constitue une techniquequi a ses règles propres et
répond à une perspectivedéfinie.L'entretien non directif vise à dégager le
cadre perceptif du sujet, à le placer dans une dispostion d'esprit dans
laquelle c'est à lui-même qu'il va réagir. Pratiquement, dans ce type d'in-
terviews, la structuration est réduite au minimum. L'enquêteur introduit
plus ou moins rapidement un thème. La nature de celui-ci, les
manœuvres d'approche, sont évidemment extrêmement importantes,
puisqu'elles commandent la suite de l'entretien.
1. C. Rogers (1942, 1951, 1961, 1962).
652 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Deux méthodes sont possibles : l'enquêteur se place au centre de ce qu'il pense


être le domaine à explorer, mais rien n'assure qu'il y parvienne et il risque de
négliger une part des problèmes. Il peut, au contraire, essayer de progresser par
une stratégie périphérique en tâtant, à chaque interview, ou à chaque arrêt de
!'enquêté, un thème supposé rattaché aux précédents.
A partir du moment où l' enquêté commence à parler, l'enquêteur, sans
l'interrompre ou le questionner, demeure dans une attitude de compré-
hension ou empathie.Il peut, si cela est nécessaire ( au cas où l'enquêté
s'arrête de parler par exemple), réexprimer en d'autres termes la pensée
du sujet, mais en respectant son cadre. Il est difficile d'arriver à réexpri-
mer ce que vient de dire l' enquêté, sans répéter et sans ajouter, simple-
ment pour qu'il reconnaisse sa propre pensée en plus clair, comme si on
lui prêtait un instant un meilleur moyen d'observation, des lunettes en
quelque sorte, qui lui laissent sa propre vision, mais améliorée.
Rogers a très rapidement écarté de l'entretien non directif tout essai
d'interprétation des sentiments du sujet par l'enquêteur. Ces pratiques
empêchent le sujet de relâcher ses défenses, d'exprimer ses problèmes et
retardent ou empêchent le but même de l'entretien : le diagnostic du
sujet par lui-même, sa propre acceptation.
Du point de vue thérapeutique peu importe que le conseiller comprenne vrai-
ment ou essaie seulement de comprendre. Pour le sujet, le sentiment de pouvoir
être compris compte plus, l'aide davantage à se comprendre lui-même, qu'une
clarification juste, mais qui risque de lui paraître extérieure à lui-même. Dans le
premier cas, les défenses du sujet se relâchent, dans le deuxième, elles se ren-
forcent.

645 Extension de la méthode ◊ Rogers avait d'abord cru cette thérapeu-


tique réservée aux seuls malades anxieux. Elle se révéla finalement si effi-
cace qu'il l'étendit à tous les sujets, puis à de nombreuses situations d'en-
tretien et finalement à tous les rapports individuels. L'attitude non
directive est fondamentalement une attitude démocratique de respect de
la personne, de fraternité active et de confiance en l'homme. Ajoutons
que sur le plan de l'efficacité, elle est celle qui permet le mieux d'appro-
cher la réalité, la vérité des autres.
Étant donné son but, l'interview non directif se situe obligatoirement à
un certain niveau de profondeur. Un entretien par questions fermées est,
par définition, directif, mais tous les entretiens en profondeur ne sont pas
forcément non directifs. Le terme non directif a parfois été utilisé dans le
cas d'entretiens peu structurés, tendant à évoluer vers un entretien libre.
Il s'agit là d'une extension abusive, car elle réduit à tort l'attitude de l'en-
quêteur non directif à une position passive de laissez faire, en négligeant
le rôle actif qui est le sien, pour atteindre le but de l'entretien : la prise de
conscience du sujet par lui-même.
Cette école rogérienne de psychothérapie, a largement débordé son
domaine et exercé, en France, une grande influence. Reprochant aux
Américains de chercher trop souvent des recettes visant la manipulation,
les psychologues français ont cru trouver chez ce psychologue américain,
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 6 53

des conceptions plus proches des leurs. Comme toujours, ceux qui se pré-
tendent disciples de Rogers sont parfois assez infidèles à ses préceptes 1.
En dehors de l'entretien psychothérapeutique, qui ne nous intéresse
pas ici directement, la technique de Rogers a été appliquée aux études de
motivation, elle a également inspiré l'attitude des enquêteurs dans
d'autres types d'interviews et enfin exercé une profonde influence sur la
conduite des groupes (cf. n° 896).
646 b) Entretien direct ou indirect ◊ Alors que la dimension directif-
non-directif, signifie avant tout que le contenu de l'entretien est ou non
structuré par l'enquêteur, la notion direct-indirect se place à un tout
autre point de vue. Il ne s'agit pas ici, comme le font certains auteurs, de
caractériser un type d'observation, mais de qualifier le moyen utilisé pour
recueillir les données: la question (dans un sens large) et l'interprétation
des réponses. Direct, signifie que questions et réponses ne veulent rien
dire d'autre que ce qu'elles paraissent dire, l'enquêteur ne cherche pas au-
delà. La signification qu'il donne correspond à ce qu'explicite la réponse
de l' enquêté ; le sens de la question et de la réponse est supposé le même
pour l'enquêteur et l' enquêté. La méthode indirecte implique, au
contraire, que le sens réel de la question ou de la réponse, peut être dif-
férent de son sens apparent. Cette signification, supposée réelle, est obte-
nue à partir des renseignements fournis par l'enquêté, sans qu'il se doute
de l'interprétation à laquelle ceux-ci doivent conduire. L'enquêté ne peut
deviner qu'en lui demandant: qu'avez-vous fait dimanche? On cherche
à savoir s'il a voté, s'il est allé à la messe, etc.
La méthode indirecte, comme la méthode non directive se caractérise
par une attitude d'esprit particulière, une technique spéciale. Mais celle-ci
vise la forme de la question, la façon d'obtenir les données, d'interpréter
les réponses. Elle concerne donc l'analyse,alors que dans l'entretien non
directif, c'est la conduitemême de l'enquêteur qui implique une technique
particulière.
Les nogons direct-indirect, directif-non directif ne coïncident par for-
cément. Evidemment, la question directe : « Avez-vous voté ? » est à la
fois directe et directive. Mais un entretien non directif est généralement
direct, du moins au niveau des données, c'est-à-dire que l'enquêteur,
durant l'entretien, s'interdit d'interpréter ce que dit l'enquêté. S'il refor-
mule ses propos, il ne leur attribue pas un sens autre que celui qui leur a
été donné par l'enquêté lui-même. Au cours de l'entretien, seule est prise
en considération la vision et la compréhension que le sujet a du problème
ou celle à laquelle il parvient. Mais une fois les données recueillies, elles
peuvent parfaitement être analysées de façon indirecte, c'est-à-dire que le
chercheur peut les interpréter au-delà de ce qui a été explicité.
Dans l'entretien de style direct, on part de l'idée que pour savoir ce que
les gens pensent ou éprouvent, il suffit de le leur demander. L'hypothèse
1. Les habitudes et attitudes directives sont tellement ancrées que des psychologues croyant être
rogériens, laissent souvent échapper des mots révélateurs de leur attitude profonde, incompatible
avec le véritable rogérisme. En dehors de l'apprentissage de cette méthode, il est certain qu'il existe
des sujets plus ou moins aptes et naturellement orientés vers ce type de comportement, très peu
spontané et habituel.
654 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

de la recherche indirecte est inverse, c'est-à-dire que l'on considère avant


tout qu'il existe un écart entre ce que les gens disent et ce qu'ils sont ou
font et c'est cette différence qui fait l'objet même de la recherche. De ce
fait, l'enquêteur dans l'entretien direct s'appuie sur le matériel recueilli,
alors que dans l'entretien indirect, il considère les réponses qui lui sont
faites, seulement comme des indications, non une preuve, mais une illus-
tration. La vérité cherchée ou supposée se situe non pas au niveau des
réponses, mais dans l'interprétation de l'ensemble des données.
La méthode indirecte, comme le note très justement J.Marcus-Steiff (1964),
du fait même qu'elle interprète, se préoccupe davantage de tous les éléments en
cause et du contexte. Elle recherche l'ensemble du tableau, non pas rien que la
vérité, mais toute la vérité. Elle est donc moins dépendante de telle ou telle tech-
nique particulière.
Alors que dans la méthode directe, la phase de l'établissement du ques-
tionnaire et la recherche de la bonne question sont essentiels, dans la
méthode indirecte, en dehors de la question, on utilise des techniques
variées (projectives, parfois non verbales, etc.) pour tenter de découvrir
une certaine vérité non formulée et dont l'enquêté n'a le plus souvent
même pas conscience.
De même qu'un questionnaire peut comporter des questions ouvertes
et des questions fermées, un entretien direct et structuré peut comporter
quelques questions indirectes. Il s'agit moins ici de ces questions elles-
mêmes 1, que de la méthode indirecte dans son ensemble, envisagée
comme une stratégie particulière.
L'entretien de type indirect se caractérise par la façon de recueillir les données,
au niveau de la question et de l'analyse de la réponse. Ceci nous donne un certain
nombre de possibilités :
1° question directe interprétée de façon indirecte ;
2° question indirecte interprétée de façon indirecte ;
3° question indirecte interprétée de façon directe.
64 7 Question directe interprétée de façon indirecte ◊ Interrogeant
des candidats aux élections législatives et leur posant des questions
directes, nous pensions bien que les réponses révéleraient, non ce que
pensait vraiment chaque candidat, mais l'image qu'il voulait nous don-
ner 2 . Nous étions amenés à interpréter indirectement une réponse
directe 3 •
648 Question indirecte interprétée de façon directe ◊ Dans ce cas, la
question est posée de façon indirecte, parce que l'on imagine que c'est le
meilleur moyen d'obtenir une réponse que l'on pourra traiter directe-
ment, c'est-à-dire sans l'interpréter.
On a suggéré de remplacer la question « Avez-vous lu Autant en emportele
vent ? » qui suscite des oui sans rapport avec la réalité, par « Avez-vousl'intention
1. Nous les retrouverons à propos du questionnaire, n° 694.
2. M. Grawitz (1961).
3. On rencontre souvent cette façon de faire, dans la vie courante, lorsque la politesse ne permet
pas de poser une question trop abrupte.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 6 55

de lire Autant en emportele vent ? » Dans ce cas, la réponse « non, je l'ai déjà lu »
donne l'information directe que l'on cherchait à obtenir par la question indirecte.
649 Question indirecte interprétée de façon indirecte ◊ C'est le cas le
plus général des techniques indirectes, elles ont pour but de tourner en
quelque sorte les défenses de l'enquêté. Il existe un certain nombre de
techniques indirectes :
- soit les techniquesassociatives
: on conduit l'interview par des questions du
type « à quoi ceci vous fait-il penser?» ou l'on donne une liste de phrases à
compléter, par exemple : « Le moment le plus agréable de la journée c'est... » Ces
procédures empruntent la plus grande part de leur interprétation à l'expérience
psychanalytique, mais celle-ci n'offre pas un grand choix de techniques propre-
ment dites.
On peut également demander de désigner sur des images les individus corres-
pondant à telle ou telle voiture: quel est d'après vous le conducteur du camion,
celui de la 4 01, etc. ?
- soit les techniques projectives,
cf. n 06 726 et s.

650 c) Entretien extensif ou intensif ◊ Alors que la dimension directif,


non-directif caractérise l'entretien par l'attitude de l'enquêteur,la notion
extensif-intensif est plus générale; elle qualifie de façon impersonnelle
l'ensemble des moyens mis en œuvre et plus directement soumis à l' ob-
jectif qui conditionne le niveau de l'enquête. L'étude intensivea pour but
la recherche des structures, ou des types de réponses individuelles. Elle est
réservée à l'étude compréhensive et clinique. L'étude extensivea pour but
la mesure des taux de fréquence, elle permet une quantification statis-
tique. Sera intensif l'entretien comprenant une batterie de questions sur
le même sujet, ou l'entretien visant à connaître en profondeur, les réac-
tions de tel individu dans tel domaine. Sera de type extensif, l'entretien
répété sur un grand nombre d'individus permettant, à propos de quelques
questions, de quantifier les types de réponse. Cette différence se retrouve
au niveau de l'analyse des résultats. L'analyse extensive, dans une enquête
d'opinion, permet de totaliser chaque question en faisant pour ainsi dire
disparaître la personne même des enquêtés, derrière le total obtenu. L'in-
formation recueillie ne permet pas de comparer plusieurs sujets. Dans la
méthode intensive, au contraire, en étudiant toutes les réponses d'un seul
enquêté, on peut établir son profù, avoir une image de ce qu'il est, c'est-à-
dire interpréter chacune de ses réponses en fonction de l'ensemble de
l'information recueillie auprès de lui.
La distinction intensif-extensif ne recoupe pas les deux autres: direct-indirect,
directif-non directif. Mais les objectifs poursuivis et les niveaux où elles se situent,
amènent certaines de ces dimensions a se rencontrer plus souvent entre elles. La
méthode extensive vise la rapidité et la totalisation, l'information est structurée
par l'interviewer à l'avance et de la même façon pour tous les enquêtés. L'entre-
tien de type extensif est le plus souvent direct et directif. L'interview intensif peut
être directif ou non, direct ou pas. En général, visant plus de profondeur et des
éléments plus complexes, il accorde plus de liberté à l'enquêteur et à !'enquêté.
Lepassage de l'intensif à l'extensif est mal connu et ne coïncide pas forcément
avec le qualitatif et le quantitatif. Correspond-t-il à des moments différents de
656 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

l'enquête? Lazarsfeld note que l'on devrait rechercher la possibilité de convertir


les resultats d'interviews libres en questions pouvant être utilisées de façon exten-
sive. Mais une phrase prononcée par un enquêté dans l'élan d'une interview non
directive, ne sera peut-être ni reconnue, ni approuvée par lui, présentée dans un
questionnaire plus direct.
En fait, l'information mise à jour par les deux instruments d'investiga-
tion n'est pas de même nature. La réponse à la question directe paraît
plus rationnelle, plus superficielle, en tout cas plus proche surtout de ce
que l'on veut paraître.
651 3° Utilisation successive et combinée des divers types d'entre-
tien ◊ Les divers types d'entretien, si différents dans leurs formes
extrêmes, ne s'opposent pourtant pas. il faut bien comprendre que
chaque technique particulière s'adapte à la nature de l'information
qu'elle a pour but de rechercher et que chacune n'appréhende qu'un des
aspects de la réalité, faute de pouvoir la saisir directement dans sa totalité.
Parce que chacune de ces techniques demeure fragmentaire, on peut
envisager de les utiliser successivement, comme on prend des photo-
graphies sous des angles ou plutôt à des niveaux différents. Photographies
d'ensemble d'un individu, clichés agrandis plus détaillés de son visage et
de son expression, radiographies limitées d'organes cachés et enfin scan-
ner en profondeur. Sans doute, si l'on est fixé à l'avance sur la nature de
l'information cherchée, peut-on directement utiliser la forme d'entretien
la plus adéquate. Mais dans le cas fréquent, où l'on ne sait pas quel type
de problème on va rencontrer, il est préférable de procéder par étapes,
chacune définissant les zones à explorer et préparant la suivante.
Comme l'écrit G. Palrnade (1954) « le problème de départ est toujours de
déterminer la manière vraie dont les sujets perçoivent, appréhendent les données
que l'on étudie. Il s'agit de déterminer les unités de perception 9,u'ils utilisent,
leurs modes d'appréhension et de catégorisation, le cadre de réference de leur
caractérisation ».
Au niveau de l'exploration individuelle, on peut utiliser suivant le cas,
l'interview non directif, parfois des techniques projectives. Lorsqu'il s'agit
d'ensembles plus importants, d'enquêtes sur échantillons, ou d'enquêtes
sur le terrain, les questionnaires seront en général précédés de quelques
interviews individuels non directifs, permettant de déceler les problèmes.
C'est seulement lorsque le contenu de l'information est précisé, que l'on
sait à quel niveau elle se situe, dans quelle mesure !'enquêté lui-même y
accède et les déformations possibles de cette information, que l'on peut se
proposer de recueillir, par des questionnaires plus structurés, des données
presque standardisées et comparables.
On peut schématiser ainsi les étapes :
1° Phase d'exploration.Dans le cas de domaines mal connus: entretien
non directif. L'analyse permet d'énoncer des hypothèses provisoires et de
retenir les facteurs paraissant importants. On passe alors à 2° l'élaboration
d'un guided'entretienpermettant de vérifier et préciser les hypothèses et de
constituer un questionnaire, enfin 3°, phase de l'étude quantitative par
questionnaire, représentatif de la population sur échantillon.
L'INTERVIEWOU ENTRETIEN 6 57

P. Lazarsfeldet R. K. Merton (1950) préconisent une autre technique:


1° Phase d'exploration, entretien centré ou à réponses libres d'un échantillon
restreint, permettant de découvrir les aspects des problèmes et d'élaborer un ques-
tionnaire. 2° Application du questionnaire à l'échantillontout entier (3° phase
dans le système précédent), 3° retourà l'échantillon restreint,avec entretien centré,
pour approfondir les points les plus significatifs révélés par l'analyse des résultats
du questionnaire. Cette formule obtiendra l'adhésion de tous ceux qui, ayant
effectué une enquête de type extensif, ont éprouvé le besoin de revenir à des
entretiens plus limités et approfondis, afin de vérifier leurs hypothèses.
Si nous insistons sur la technique de l'interview, plus que sur aucune
autre, c'est parce que malgré ses exigences particulières et le fait que les
étudiants n'auront pas à l'utiliser de façon spécialisée, l'entretien est au
centre même de la psychologie sociale. Il soulève les problèmes de rela-
tions interpersonnelles, auxquels se heurtent plus ou moins tous les
humains dans leur vie journalière.
On ne peut se borner à étudier les interviews d'opinions par question-
naires, sous prétexte que les autres sont réservés aux psychologues. Toutes
les techniques d'entretien, par définition, posent des problèmes psycho-
logiques et l'on ne peut choisir arbitrairement ceux que l'on veut écarter
sous peine de les ignorer tous.
Comme le dit J. Marcus-Steiff 1 : « Le choix n'est plus entre « faire de la psy-
chologie ou ne pas en [faire... ». »] Il y a des comportements, qui peuvent être sai-
sis et expliqués à l'aide des connaissances que chacun possède sans culture ou
information spéciale et des comportements qui ne sont accessibleset compréhen-
sibles, qu'à l'aide de la psychologie et de la sociologie contemporaines.»
Ce passage du premier type d'approche au deuxième marque les pro-
grès accomplis ces dernières années en psychologie sociale, progrès qu'il-
lustrent les études de motivation et les entretiens non directifs, tendant à
compléter les études de marché et les questionnaires d'opinion.

§ 2. Le rapport enquêteur-enquêté
et les difficultés de l'interview
652 Les difficultés de l'entretien ◊ L'entretien présente un type de
communication assez particulier. Il est suscité, voulu, d'un côté, plus ou
moins accepté ou subi de l'autre. Il a un but précis et met en présence des
individus qui en général ne se connaissent pas. Il repose sur l'idée que
pour savoir ce que pensent les gens, il suffit de le leur demander.
Mais la communication est un élément banal de notre vie. Notre exis-
tence est tissée de communications plus ou moins fragmentaires, plus ou
moins réussies. Aussi, chacun a-t-il déjà ses habitudes, ses attitudes face à
ses semblables : circuits de fuite ou de repli, suivant qu'il se sent plus ou
moins vulnérable, ou croit le voisin plus ou moins redoutable. Chacun
élabore ainsi, pour vivre, un système plus ou moins conscient de protec-
1. J. Marcus-Steiff (1964), p. 126.
658 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

tion contre ce qui vient des autres, les risques d'influence, de curiosité ou
d'attachement.
Nous avons aussi nos habitudes de «tri», nous interprétons ce que
nous entendons par rapport à nos cadres de pensée, nous évaluons les
paroles prononcées, en fonction de l'image que nous nous faisons de
celui qui les prononce 1.Rogers prétend que c'est notre tendance à juger,
évaluer, notre habitude d'approuver ou désapprouver l'interlocuteur, qui
constituent la barrière la plus forte à la communication. Plus un individu
est impliqué dans ses croyances et sentiments, plus ses communications
sont difficiles avec les autres; on aboutit le plus souvent à deux idées,
deux sentiments, deux jugements qui se croisent sans jamais se ren-
contrer dans l'espace psychologique.
Ces blocages, habituels dans l'existence quotidienne, doivent dispa-
raître le plus possible pendant le temps privilégié de l'entretien. Autre-
ment dit, il doit s'établir un processus de communication, dans lequel les
éléments qui habituellement tendent à le freiner ou le dévier, sont élimi-
nés ou réduits. C'est à l'enquêteur d'y parvenir.
On imagine le plus souvent l'interview, soit sous un aspect purement
technique: moyen d'obtenir des informations, soit sous un aspect banal
et journalistique : habileté à faire parler un personnage. Or l'entretien,
même le plus superficiel, est infiniment complexe. Sans doute existe-t-il
une technique de l'entretien, mais beaucoup pfus qu'une technique,c'est
un art. C'est pourquoi on ne saurait définir l'interview, en disant simple-
ment que c'est un moyen par lequel M. X., enquêteur, va obtenir des ren-
seignements de M. Y., enquêté. L'interview constitue un processus d'inte-
ractions entre X et Y et si les informations vont de Y vers X, la valeur de la
communication, elle, dépendra de X autant, sinon plus que d'Y2 .
Puisqu'il s'agit d'une interaction, il convient d'en étudier les deux
termes: l'enquêté et ce qui le pousse à parler, l'enquêteur et l'attitude
qu'il doit prendre pour aider l' enquêté à parler et dire la vérité.
653 1° Motivation de l'enquêté. a) Les facteurs négatifs. Les
défenses de l'enquêté ◊ L'entretien déclenche une série d'interactions
entre l'enquêteur et }'enquêté. Non seulement l'idée que chacun a de
l'autre intervient, mais aussi ce que chacun pense que l'autre va penser de
lui. Dans cette relation, ce sont surtout les mécanismes de défense de
}'enquêté qui vont jouer. Il devra d'abord faire face à la tension plus ou
moins forte que créera chez lui ce premier problème : accepter ou non
l'interview.
Qui a demandél'entretien? - Les raisons qu'a !'enquêté de répondre ou
non, dépendent d'abord du type d'entretien dont il s'agit et de la façon
dont il est proposé. L'enquêté aura spontanément une attitude générale
d'acceptation s'il est demandeuret que l'entretien représente pour lui le
1. R. C. Kahu et C. F. Canne! (1957) p. 7.
2. Cette découverte d'une interaction et de l'importance du rôle de l'enquêteur sont très forte-
ment ressenties par les étudiants dans leurs premières enquêtes, même dans des enquêtes d'opinions
très superficielles et prévenus pendant le cours, le choc de la réalité les impressionne presque tous.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 659

moyen d'obtenir un secours (demande d'assistance à un bureau d'aide


sociale, visite médicale, etc.). Cependant, certaines questions peuvent le
gêner.
Imaginons M. Durand allant demander un secours au centre médico-
social. Il va tenter de concilier la poursuite de son but, qui l'oblige à parler
de sa situation et les exigences de son amour-propre, qui le porte à taire
ce qui lui est pénible, par exemple que sa femme est alcoolique. Autre-
ment dit il ne réagit pas en termes objectifs: l'assistance sociale est là
pour rendre service, mais en termes subjectifs plus ou moins
inconscients: donner à l'assistance sociale une certaine image de lui et de
sa famille.
Lorsque l'enquêté n'a pas suscité l'entretien,ses réactions d'opposition
risquent d'être beaucoup plus nettes. Ce sera le cas lorsqu'il se trouvera
par exemple en face d'un étudiant venu lui demander à domicile, ce qu'il
pense de la Constitution de la ve République. En fait il est assez surpre-
nant que l'enquête à domicile soit possible.
On étudiera ici l'interview d'opinion et ses difficultés, en laissant de côté l'en-
tretien thérapeutique, beaucoup plus spécialisé et nécessitant des connaissances
et une formation particulière. La perception de la situation par !'enquêté est tou-
jours individuelle et l'enquêteur peut produire une impression différente sur cha-
cun. L'attitude et l'accueil varieront en fonction de l'apparence, de la personnalité
de l'enquêteur, mais aussi du caractère de !'enquêté et de ses problèmes. Celui qui
n'a pas payé sa redevance à l'O.R T.F., ou qui a des difficultés avec le fisc, ouvrira
sa porte avecplus de méfiance.
654 Les mécanismes de défense ◊ Quelles que soient les causes parti-
culières de gêne, de non- réponse, ou de modification de la vérité, même
si chacun possède ses propres recettes de protection, il existe quelques
grands types de mécanismes de défense, particulièrement étudiés par
Freud, qu'un enquêteur doit connaître.
D'abord la fuite. Le refus de répondre brutal, la porte claquée au nez de
l'enquêteur ou l'excuse polie, ou encore la fuite, moins apparente, dans le
mensonge. La rationalisation. L'enquêté, pour justifier son attitude,
donne une explication à laquelle il croit, mais qui ne correspond pas à la
réalité. Par exemple il déclarera s'être inscrit à un parti parce que c'est un
groupement national... au lieu de dire que le niveau social des membres
de ce parti coïncide avec son propre désir d'élévation sociale. Il existe
encore des mécanismes de projection1, d'introjectionet d'identificationqui
peuvent jouer plus ou moins successivement ou simultanément dans le
rapport enquêteur-enquêté. Enfm le refoulement,le plus connu des méca-
nismes de défense, a pour but de rejeter hors de la conscience, les désirs
ressentis comme coupables. L'importance de l'apport de Freud ne
consiste pas tellement à avoir découvert que nous repoussions, au point
1. La projection consiste à attribuer aux autres ses propres attitudes; l'introjection à obéir en
pensant que l'on a soi-même choisi l'ordre imposé; l'identification est plus dangereuse dans l'inter-
view, car elle incite !'enquêté à se conformer à l'idée qu'il imagine être celle que l'enquêteur a de lui,
il s'identifie à une image qu'il projette.
660 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

de les ignorer, certains désirs, mais d'avoir tenté de démontrer que


ceux-ci conservaient leur énergie. Cette énergie s'extériorise sous une
autre forme, consciente et cette fois acceptable. La difficulté consiste à
découvrir la véritable motivation de l'enquêté, lorsque par défmition il
l'ignore, puisqu'elle est inconsciente.
Il existe encore des formations réactionnelles, soit le renversement:!'enquêté
qui aimerait se de'barrasser de l'enquêteur sera encore plus poli. Il s'agit là d'un
mécanisme qui, en général, permet de résoudre les conflits selon la norme du
milieu. Le retournement: le désir coupable est retourné par le sujet contre lui-
même; !'enquêté aura une conduite masochiste et une tendance dans ses
réponses à se dénigrer. L'oubli est proche du refoulement, mais il peut porter sur
des faits et non sur des désirs. La nature des oublis est symptomatique, car chacun
réorganise ses souvenirs et suivant les cas, oublie de préférence ce qui lui a été
désagréable.
Comment les enquêtés acceptent-ils de répondre à des entretiens qu'ils
n'ont pas suscités ? Même s'ils supposent que les questions ne seront pas
gênantes ou que leurs systèmes de défense les protègent assez, pourquoi
se laissent-ils déranger par des inconnus? Étant donnée la solidité des
systèmes de défense de la plupart des individus, comment des enquêteurs
peuvent-ils espérer les vaincre et accorder le moindre crédit aux réponses
qu'ils obtiennent ?
655 b) Les facteurs positifs. Ce qui incite l'enquêté à répondre ◊ S'il
existe des mécanismes de défense, il existe aussi des raisons qui vont inci-
ter l' enquêté à répondre.
1° La première est un réflexede politesse.
Normalement, il est difficile d'éconduire brutalement quelqu'un qui
s'adresse à vous poliment. L'enquêteur devra mettre à profit ce premier
instant, neutre, pendant lequel les moyens de défense de l'enquêté, sur-
pris, ne sont pas encore entrés en action, pour agir et susciter des forces
positives. Quelles peuvent être ces forces positives ?
2° Un des mobiles qui poussera l'enquêté à parler, c'est le désird'in-
fluencer.Il parlera, dans la mesure où il pensera que l'enquête peut, même
indirectement, amener un changement heureux et qu'elle a trait à des
problèmes qui l'intéressent. L'enquête et l'enquêteur sont confusément
perçus comme un moyen d'obtenir un changement. L'enquêteur devra
utiliser cet état d'esprit
3° Il est enfin une troisième raison qui peut expliquer que l'enquêté
réponde : c'est tout simplement le besoinde parler,non pas dans le sens
vain de bavardage, mais dans un sens plus psychologique, un besoin de
communiquer, parfois, plus ou moins consciemment, d'être compris.
Le besoin de communication est si fondamental, qu'il explique en partie, que
les gens racontent leur vie à un inconnu dans le train et ce fait, encore plus sur-
prenant, qu'ils répondent à ceux qui s'introduisent dans leur propre domicile,
pour les interroger.
L'enquêté sera d'autant plus incité à parler qu'il trouvera une satis-
faction à ce contact personnel. Ceci dépendra bien entendu en grande
partie de l'attitude de l'enquêteur.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 661

656 2° L'attitude de l'enquêteur ◊ Si l'on considère quelle doit être l'at-


titude de l'enquêteur, on dira que sa stratégie doit en même temps sup-
primer les facteurs négatifs et renforcer les forces positives de !'enquêté. Il
doit être poli, rassurant, sympathique, pour donner une impression favo-
rable dès le premier instant et ensuite à la fois stimuler, susciter l'intérêt
de !'enquêté et le rassurer.
L'enquêteur doit donc éveillerl'intérêtde !'enquêtéen lui indiquant l'ob-
jectif de l'enquête. Il indiquera l'organisme responsable 1, l'intérêt scienti-
fique, national de l'enquête et son incidence sur la vie de chaque citoyen.
Pour cela, il fera apparaitre un lien entre le sujet de l'enquête et un chan-
gement qui peut intéresser !'enquêté, que ce soit la baisse des prix, la
sécurité, le chômage, etc. Il importe de ne pas laisser s'installer la
méfiance, l'ambiguïté, concernant la personne de l'enquêteur, mais de
dire tout de suite et nettement de quoi il s'agit et pour cela de présenter
l'enquête et l'enquêteur sous un aspect scientifi~ue, sérieux.
L'enquêteur doit avant tout rassurer!'enquêté.
Il doit tout de suite indiquer de la façon la plus nette, que l'entretien
demeurera anonyme. Éventuellement indiquer comment !'enquêté a été
déterminé par échantillonnage, sans toutefois que le tirage au sort dimi-
nue à ses yeux le prestige, que pourrait lui conférer l'illusion d'avoir été
personnellement choisi. De même, il importe d'éclairer !'enquêté sur ce
que l'on attend de lui; insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un examen,
comportant de bonnes ou de mauvaises réponses, mais que tout ce que
pense !'enquêté est intéressant Il faut le rassurer sur la portée de ce qu'il
va dire, sans en minimiser l'importance.
Il peut être utile d'indiquer brièvement comment on totalisera les
résultats. Certains enquêtés s'inquiètent de la durée possible de l'entre-
tien, il convient de la leur indiquer approximativement.
Enfin il faut exploiter le besoindeparler.Il dépend en partie de l'impres-
sion que l'enquêteur produit sur !'enquêté 3.
657 Qualités de l'enquêteur ◊ D'après C. Rogers4, l'enquêteur doit mani-
fester: chaleuret sympathie, de l'intérêt pour la personne de !'enquêté,
compréhension,c'est-à-dire que !'enquêté doit avoir l'impression de pou-
voir tout dire, sans se heurter à une attitude moralisatrice ou de juge-
ment Ceci est surtout important en psychothérapie, mais reste utile dans
un entretien d'opinion, même superficiel. En effet, le besoin d'approba-
tion de !'enquêté est tel, qu'il peut inconsciemment déformer la vérité,
suivant ce qu'il imagine être le point de vue de l'enquêteur. Celui-ci doit
1. Il est prudent que !'enquêté ait une carte à en-tête de l'organisme responsable de l'enquête:
Institut, Université, etc.
2. En science politique particulièrement, cet élément de crainte peut jouer davantage pendant
certaines périodes troublées.
3. Nous avons pu observer nous-même ce fait signalé par des auteurs américains. Les enquêtés
interrogés sur l'impression qu'ils gardent de l'entretien, répondent le plus souvent en énonçant un
jugement sur l'enquêteur: « elle était charmante, il était très sympathique», plutôt qu'en fonction
du questionnaire ou du sujet de l'enquête.
4. C. Rogers 1959, Hommeset techniquesn° 169, pp. 87-89.
662 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

donc donner le moins possible d'éléments d'appréciation, paraître tout à


fait neutre, pour ne pas influencer l'enquêté. La meilleure communica-
tion s'établit lorsque le sujet considère l'enquêteur comme un homme
capable de le comprendre et de l'accepter tel qu'il est réellement. 11n'est
pas utile qu'il le perçoive comme semblable à lui.
En dehors des éléments physiques qui correspondent aux sentiments
intérieurs de l'enquêteur: regard, expression, attention, il existe des
moyens de traduire une attitude de compréhension. L'un de ceux-ci
consiste à reprendre, dans une optique non directive, l'opinion exprimée
par l'enquêté, en l'explicitant sans la déformer: « Vous voulez dire
que... » Ce rôle de facilitation, d'aide à !'enquêté, contribue à lui donner
l'impression d'être compris. Dans les entretiens d'information ou d'opi-
nion assez structurés, l'enquêteur contrôle davantage l'interview, car il
cherche des informations précises. Il s'agit non seulement d'inciter l'en-
quêté à parler, mais à parler du sujet Donc, sans le brimer, il faut le gui-
der dans son rôle d'enquêté, l'aider à répondre le mieux possible.
L'atmosphère de l'enquête dépendra en grande partie de l'attitude de
l'enquêteur, de l'idée qu'il se fait de son rôle, mais aussi de ses préjugés
ou de ses craintes, qui sont plus ou moins perçus par l'enquêté. Enfin, les
défenses de l' enquêté ne sont pas supprimées une fois pour toutes par
une ambiance détendue. Elles peuvent surgir à propos d'une question
traumatisante ou dont l'enquêté ne voit pas le rapport avec l'enquête,
d'où la nécessité de compléter les effets rassurants de l'attitude de l'en-
quêteur par un questionnaire adroit.
Les Américains estiment que le plus grand nombre d'erreurs se situe dans le
rapport enquêteur-enquêté et sont le fait de l'enquêteur. Le meilleur moyen de les
éviter, c'est d'en être conscient, de respecter les conseils précédents et ceux qui
vont suivre. Quelles que soient les différences entre les divers types d'intervievvs,
ces mêmes conseils, ces mêmes principes s'appliquent avec plus ou moins de
rigueur, mais s'appliquent toujours.
658 3° Le rapport enquêteur-enquêté comme source d'erreurs.
a) Erreurs provenant de l'enquêté ◊ Certaines réactions de l'en-
quêté sont indépendantes des caractéristiques particulières de l'enquê-
teur, elles naissent simplement de la situation. Ce qui paraît important
en tant que facteur de biais, c'est moins le degréd'engagement dans la
situation d'entretien, que la nature de cet engagement. H. H. Hyman
(1954) distingue deux types de situation d'entretien: celle dans laquelle
l'enquêté a surtout le souci d'accomplir sa tâche, c'est-à-dire de répondre
à des questions et celle où c'est le rapport avec l'enquêteur qui compte le
plus pour lui. Alors que la quantité de matériaux dépendra du degré d'en-
gagement plus ou moins complet, la validitétendra à s'accroître en fonc-
tion du souci des réponses et baissera, si le rapport social, l'impression à
produire sur l'enquêteur, l'emportent. Dans ce cas en effet, la présence de
l'enquêteur et ses réactions ou l'idée que l'enquêté en a, sont amplifiées et
la personnalité de l'enquêteur, ses prévisions ou stéréotypes peuvent
influencer l'enquêté. Celui-ci risque d'être tenté, pour se faire valoir, ou
seulement se sentir plus proche de quelqu'un qui lui est sympathique, de
modifier ses réponses.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 663

Nous aborderons les causes d'erreurs provenant de l'ignorance de l'enquêté ou


relevant du contenu et de la forme de la question à propos du questionnaire.
Nous verrons seulement ici les déformations issues du rapport enquêteur-enquêté
et qui tiennent surtout, puisqu'il a le rôle le plus actif, à l'enquêteur.

659 b) Erreurs provenant de l'enquêteur ◊ Il s'agit souvent, à l'ori-


gine, de disparités existant entre enquêteurs et enquêtés.
D'après H. H. Hyman (1954), on peut considérer que la plupart des enquêtes
sont, aux U.S.A.,conduites par des femmes jeunes citadines, blanches instruites,
issues de la classe moyenne supérieure, s'adressant à des enquêtés qui sont des
hommes non instruits, de statut économique inférieur souvent Noirs ou ruraux.
Ceci exerce une influence dont certains effets ont pu être mesurés.

660 La réaction de l'enquêté à l'apparence de l'enquêteur ◊ L'on a


comparé les impressions que les enquêtés retiraient de r entretien, suivant
qu'il s'agissait d'enquêteurs hommes ou femmes, jeunes ou vieux, et
d'autre part l'impression de sincérité que ressentaient les enquêteurs, en
écoutant les réponses des enquêtés. En général les corrélations ne per-
mettent pas de constater une augmentation directe de la validité, en
revanche la quantité de données recueillies est plus grande, l'atmosphère
plus confiante, lorsque l'apparence de l'enquêteur le rapproche de !'en-
quêté.
Sur des sujets J?articuliers,des enquêteurs noirs obtiennent des réponses dif-
férentes des enqueteurs blancs. A la question: « Les Noi~s seraient-ils mieux ou
plus mal traités si les Japonais faisaient la conquête des Etats-Unis?» on trouve
les résultats suivants 1 :

Enquêteurs noirs Enquêteurs blancs


mieux .............. . 9% 2%
de la même façon ... . 32 % 20 %
plus mal ............ . 25 % 45 %
sans opinion ........ . 34 % 33 %
A la question : « les Juifs exercent-ils trop d'influence aux États-
Unis? », 50 % des enquêtés non-juifs ont répondu par l'affirmative à des
enquêteurs d'apparence non juive et seulement 20 % à des enquêteurs de
type sémite. D'autres expériences indiquent que des enquêteurs apparem-
ment d'un statut socio-économique peu élevé obtiennent des réponses
plus marquées à gauche 2 .
Ces différences sont évidemment plus ou moins perceptibles suivant le
contexte. La majorité des enquêtés aux États-Unis, pendant la période de
« chasse aux sorcières », étaient gênés pour répondre, du fait de l'am-
biance générale de suspicion régnant alors. En France, pendant la période
1960-1962, les enquêtes de science politique se heurtaient à beaucoup de
réticence au sujet de l'Algérie.
1. Cité in H. H. Hyman (1954).
2. Cité in R. C. Kahn, C. F. Canne! (1957), p. 181.
664 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

661 Les o_einions de l'enquêteur et la façon dont il perçoit


l'enquêté ◊ On s'est toujours méfié de l'influence que pouvaient exer-
cer les opinions de l'enquêteur sur le plan idéologique. En fait, toute opi-
nion de l'enquêteur, quel que soit le sujet, peut exercer une influence.
C'est ainsi que les enquêteurs favorables aux maisons préfabriquées, obte-
naient plus de réponses favorables à ce mode de construction que les
autres. C'est pourquoi la formation des enquêteurs a pour but de les
rendre conscients de leurs propres opinions, afin de les neutraliser.
Depuis les études de la N.0.R.C. 1 l'on s'est aperçu que ce n'étaient pas
tellement les opinions mêmes de l'enquêteur qui exerçaient une
influence, mais plutôt l'idée qu'il se faisait de }'enquêté, de ce que celui-ci
pouvait penser, autrement dit les prévisionsde l'enquêteur 2 .
Il s'agit soit de prévisions tiréesd'une impressiongénérale:étant donné
que }'enquêté présente telles et telles caractéristiques sociales ou écono-
miques, il est probable qu'il pense de telle manière, lit tel journal, ignore
ceci ou cela. C'est surtout dans le cas de réponses à des questions
ouvertes, que l'interprétation et la notation risquent d'être faites en fonc-
tion de cette prévision et non de la réalité du contenu de la réponse. Soit
de prévisions à partir d'élémentsplus précis, contenus dans les réponses
mêmes de l'enquêté. D'après les premières réponses, l'enquêteur s'est fait
une certaine idée de l' enquêté, il le structure, l'imagine plus rationnel
qu'il n'est Il notera, par exemple, la réponse à la vingtième question, en
fonction de celles qui précèdent, sans remarquer justement la particula-
rité de cette réponse, en contradiction avec les autres. Ce genre de prévi-
sion tend à normaliser les réponses, en risquant d'omettre les plus inté-
ressantes ou originales.
L'expérience suivante a été effectuée en laboratoire 3 : deux entretiens enregis-
trés, ont été soumis à un groupe d'enquêteurs. Dans le premier entretien, l'en-
quêté répond à toutes les questions precédant « la question test » en exprimant
des opinions en faveur de l'isolationnisme. Dans le deuxième, au contraire, les
réponses sont en faveur de l'internationalisme. Les deux réponses tests sont iden-
tiques dans les deux entretiens et assez ambiguës. 75 % des enquêteurs notèrent la
réponse comme isolationniste dans le premier entretien et seulement 20 % dans
le deuxième. On ne saurait sur ce point blâmer entièrement les enquêteurs. 11est
normal qu'ils soient influencés par l'ensemble des réponses, mais il est bon que
soit souligné le danger de les voir s'endormir dans la perspective de réponses
cohérentes et à cause de cela manquer la réponse déviante, clef de beaucoup d'ex-
plications.
On a cité des occasions de biais, mais ceux-ci ne se produisent pas for-
cément. Ce sont des virtualités qui ne se matérialiseront qu'à partir du
moment où certaines attitudes se manifestent. De nombreux facteurs de
la personnalité de l'enquêteur et de }'enquêté peuvent jouer: stéréotypes,
expériences personnelles, etc., attitudes qui ne se manifesteront qu'en
face de certains stimuli. Chaque entretien ne présentera pas tous ces sti-
1. National Opinion Research Center.
2. Cf. R. C. Kalm, op. cit., et H. H. Hyman (1954), p. 164.
3. Cité in Marie Jahoda et al. (1951), p. 475.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 66 5

muli en même temps, on peut donc supposer que certaines attitudes ou


croyances de l'enquêteur affecteront le résultat de l'interview, seulement
dans la mesure où elles coïncideront avec une part du domaine abordé
dans l'interview. Les moments de plus grande liberté dans l'entretien,
sont les plus dangereux parce que la personnalité de l'enquêteur s'y
exprime davantage. Les intetviews libres en comportent naturellement
plus que les interviews à questionnaires structurés.
662 Les moments dangereux de l'entretien ◊ Ils se situent d'abord au
début, lorsqu'il s'agit de motiver !'enquêté.
Diverses manières de motiver. - L'enquêteur inexpérimenté peut
commettre les erreurs suivantes : ne pas se montrer assez convaincant ;
dans ce cas, !'enquêté se désintéresse de l'interview et répond pour s'en
débarrasser, ou bien le motiver dans le sens d'un rapport trop affectif et
social, non dans le sens d'un travail à effectuer. Cette erreur est fréquente
chez les jeunes enquêteurs, hypnotisés par le désir d'obtenir une « bonne
atmosphère». L'inconvénient de ces relations trop affectives, c'est que
!'interviewé inconsciemment n'ose pas dire ce qu'il pense, pour ne pas
risquer de décevoir l'enquêteur. Enfin, une autre erreur consiste pour
l'enquêteur à trop insister sur la nécessité pour l' enquêté de coopérer, ou
au contraire sur sa propre compétence à le conseiller, ce qui peut irriter
!'enquêté.
Diversesmanièresde poserles questionset d'ajouter.- 11peut s'agir de
modifications spontanées au questionnaire, de paroles qui échappent à
l'enquêteur et manifestent le plus souvent l'idée qu'il se fait de l' enquêté :
« Vous n'avez pas lu ceci, je suppose», « ou vous n'irez pas à tel endroit
probablement». Ou si !'enquêté n'a pas compris et que la question soit
répétée, l'enquêteur, inconsciemment, la reformule en suggérant invo-
lontairement la réponse.
Probequestions.- Dans les interviews à réponses libres, l'enquêteur
n'est pas tenu par le libellé d'un questionnaire. Il peut utiliser ce que les
Américains appellent des« probe questions». Elles ont pour but d'ame-
ner l' enquêté à compléter, achever, même éclairer sa pensée. Ces ques-
tions complémentaires visent sans influencer !'enquêté, à augmenter la
validité du questionnaire, sur le plan du contenu de l'information, de sa
précision, de sa richesse ou profondeur.
Par exemple 1 admettons qu'à la question suivante : « Quels achats importants
pour votre ménage comptez-vous effectuer cette année?» !'enquêté ait répondu:
« Nous devons acheter une machine à laver» l'enquêteur peut vouloir en savoir
davantage et demander :
soit « Pensez-vous acheter aussi une machine à laver la vaisselle ? »
ou « Voulez-vous dire que vous n'achèterez rien d'autre cette année qu'une
machine à laver ? »
ou encore« Pensez-vous acheter autre chose?».
Ces différentes questions ont des orientations différentes ; alors que la pre-
mière limite la gamme des possibilités à un seul nouvel achat, la deuxième semble

1. Cf. R. C. Kahn, C. F. Canne! (1957), p. 213.


666 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

marquer le scepticisme de l'enquêteur et indirectement inciter l' enquêté à


répondre qu'il achètera aussi autre chose. La troisième est la moins directive, la
plus neutre et la plus efficace.
Ces questions complémentaires et spontanées doivent être jugées en fonction
de trois critères : validité de la réponse, maintien du rapport enquêteur-enquêté,
lien de l'information obtenue avec l'objectif poursuivi.
La manièrede transcrireet parfois de compléterla réponse.- Il est frap-
pant de comparer les notes sans lacunes prises par l'enquêteur, à l' enre-
gistrement d'un entretien comportant des réponses non terminées, des
opinions contradictoires ou ambiguës. Il semble que les facteurs prévi-
sion, rationalisation de l'enquêteur, soulignés plus haut, soient respon-
sables de ces ajouts involontaires.
Leserreurs proviennent moins des attitudes et opinions des enquêteurs
que de leurs fautes techniques. Plus exactement, le respect de la technique
permet d'éviter un grand nombre de biais, causés par les prévisions ou
présupposés des enquêteurs.
Guest1, fit l'expérience suivante: 15 enquêteurs interrogèrent un enquêté qui
répondait de la même façon dans les 15 entretiens. Lesréponses enregistrées, l'on
compara les résultats avec les notes prises par les 15 enquêteurs. Le nombre d'er-
reurs par individu variait de 12 à 36 et l'on put compter 66 réponses inadéquates,
que les enquêteurs laissèrent passer sans chercher à compléter leur information,
enfin de nombreuses informations intéressantes ne furent pas relevées.
Il semble bien que la formation des enquêteurs soit effectivement le
moyen le plus sûr de réduire les erreurs, non seulement les fautes tech-
niques, mais aussi celles qui proviennent de leur personnalité ou de leurs
opinions.

663 4° Se1ection, formation et motivation de l'enquêteur o On


pourrait sans doute appliquer à l'interview le mot de Bourdet concernant
l'art dramatique: « Le théâtre obéit à des règles précises, l'ennui c'est
qu'on ne sait pas lesquelles. » C'est dire que la sélection et la formation
des enquêteurs ne sont pas faciles. Cependant s'il n'existe pas de règles
précises assurant la réussite de l'interview, on peut indiquer les buts à
atteindre et donner sinon les moyens d'y parvenir, du moins des conseils
concernant surtout ce qu'il ne faut pas faire. Il importe que l'enquêteur
soit sympathique, mais il faut aussi qu'il connaisse les conditions tech-
niques qui assurent le succès de l'interview. Pour cela comme dans tout
métier il faut des aptitudes et un apprentissage, des dons, de l'expérience
et du travail.

664 a) Se1ection ◊ Il n'existe pas de méthode infaillible de sélection, étant


donnée la variété des types d'enquête, de situations et d'enquêtés. Il y a
cependant des aptitudes générales et des défauts rédhibitoires.

1. In op. cit., p. 288.


L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 667

Parmi ces qualités nous trouvons :


1° Une apparencesympathique.Sans avoir une notion trop précise et per-
sonnelle de cette caractéristique, on doit tenir compte de l'impression que produit
en général l'enquêteur. 2° Une grandepossibilitéd'adaptation.L'enquêteur doit
être partout à son aise. 3° Une bonne santé. Certaines enquêtes impliquent des
entretiens dans des quartiers éloignés, de nombreux escaliers à monter et parfois
un grand nombre de refus ou d'individus absents. 4° Beaucoup de persévéranœ
pour supporter tous les contre-temps. 5° Une grande honnêt.etéet le respect de la
disciplinepour appliquer les consignes 1 données et savoir résister parfois à la ten-
tation d'une investigation personnelle supplémentaire, ou d'une omission non
avouée. 6° De l'ordreet de la méthodepour tenir toute sa documentation à jour et
recueillir les données suivant les indications prévues. 7° Un certain niveau de
culture,non pas une culture spécialisée, mais une aptitude à percevoir les pro-
blèmes à travers les propos de !'enquêté. 8° Enfin un bon morai ce qui implique
l'amour de son métier, une intelligence souple.
A côté de ces facteurs positifs, d'autres éléments peuvent constituer des contre-
indicationsau métier d'enquêteur: une timidité excessive ou une particularité
physique marquée (bégaiement). Suivant les milieux et les cas, la racepeut être
une gêne, l'âge également 2 • Quant au sexe, le nombre des enquêteuses est en
général très supérieur à celui des enquêteurs. Ce travail convient bien aux femmes
du fait de ses horaires souples. Les enquêteuses offrent l'avantage de ne pas être
confondues avec la police ou les agents du fisc. De plus elles donnent souvent un
aspect plus amical, moins professionnel à l'entretien. Le fanatisme ou même des
opinions très marquées, sont incompatibles avec le rôle de l'enquêteur. On a
considéré que certains métiers, tels que représentant de commerce, donnaient des
habitudes, une formation si opposées aux qualités de contrôle de soi et de non-
directivité, requises de l'enquêteur, qu'ils constituaient également une contre-
indication. En bref, l'enquêteur ne doit pas paraître trop timide ou trop sûr de lui,
trop impatient ni trop directif. La sélection des enquêteurs, en dehors des tests, se
fait surtout par des expériences d'interviews sous contrôle.

665 b) La formation ◊ Elle implique d'abord la prise de conscience, par


l'enquêteur, de sa propre attitude et des interactions qui se produisent
dans un entretien.
Les entretiens enregistrés, contrôlés, suivis de critique, parfois sous forme de
discussion de groupe, la comparaison des résultats entre divers enquêteurs, des
exemples de conduite d'interviews menées par des enquêteurs expérimentés, sont
les méthodes de formation les plus utilisées. C'est un domaine dans lequel la
conférence ou le cours sont absolument insuffisants. Comme le dit Kahn « les
gens apprennent ce qu'est l'interaction avec d'autres, en entrant eux-mêmes en
interaction, plutôt qu'en lisant des propos sur l'interaction 3 ».
Les Américains ont également étudié ces problèmes à propos de la formation
accélérée d'enquêteurs de race et de culture différentes 4 .

1. On constate par exemple la peine que l'on a à faire indiquer par les étudiants enquêteurs les
raisons de non-réponses : question pas posée et pourquoi ? !'enquêté avait-il déjà répondu dans une
question précédente ?
2. Les Américains ont comparé les résultats des enquêteurs suivant l'âge et le sexe. La réticence
des adolescentes à se confier à des femmes de plus de 50 ans pose le problème de l'efficacité de
celles-ci dans les collèges de jeunes filles. Cf. J. S. Ehrlich, D. Riesman (1961).
3. R. C. Kahn, C. F. Canne! (1957), p. 235.
4. J. M. Stycos (1952, 1955).
668 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

666 c) Motivation des enquêteurs. Intérêt pour l'enquête elle-


même ◊ Parmi toutes les aptitudes et qualités de l'enquêteur, la plus
indispensable est l'amour de son travail. Un enquêteur qui ne croit pas à
ce qu'il fait ne sera pas un bon enquêteur, quelles que soient ses autres
qualités. Certains considèrent que cet intérêt risque de nuire à l' ob-
jectivité du chercheur. Il semble pourtant possible de concevoir un intérêt
qui s'adressant non à telle ou telle hypothèse, mais à l'enquête elle-
même, ne fausse pas les résultats. L'attitude du responsable de l'enquête
est capitale. C'est à lui qu'il incombe de faire partager son intérêt à ses
enquêteurs. D'une part, en leur expliquant le but de l'enquête, d'autre
part, en les faisant participer à toutes les étapes de celle-ci : précision des
objectifs, questionnaire, dépouillement Enfin, en gardant le contact avec
les enquêteurs, pour les aider dans leurs difficultés et les stimuler lorsque
trop d'absences ou de non-réponses les découragent. Le moral de l'enquê-
teur dépend, en dehors de sa personnalité, en partie du but plus ou moins
intéressant de l'enquête, de la façon dont elle est dirigée, mais également
du fait qu'il ne lui est pas demandé de performances excessives.
667 Intérêt pour la recherche ◊ S'il est utile que le sujet même de l'en-
quête intéresse les enquêteurs, ce qui doit de toute façon les passionner,
c'est la recherche en tant que telle, c'est-à-dire la volonté de mieux
comprendre les mécanismes psycho-sociaux, de découvrir quelque chose
à travers ce que pensent les autres.
Cette nécessité d'une attirance pour la psychologie sociale ou la socio-
logie pose encore le problème de l'objectivité du chercheur. Ceux qui sont
attirés par ces questions sont en général ceux qui y sont plus sensibles :
introvertis, que leurs propres difficultés ont amenés à s'analyser, à se
poser des questions, individus qui supportent moins bien l'injustice
sociale, ou certaines contraintes. Si les enquêteurs ne se recrutent pas
parmi les conformistes satisfaits, il faut toutefois éviterde leschoisirparmi
les individus trop marquéspar leurs propresconflits, car ils les projettent
dans leurs enquêtes. Les bons enquêteurs sont souvent introvertis, mais
ils ne doivent pas être trop égocentristes. Le souci des autres, l'intérêt
pour ce qu'ils sont, ce qu'ils pensent, est indissolublement lié à l'attrait
pour la recherche. L'intellectuel qu'intéressent seulement les idéologies
ou la pensée abstraite, qui n'est pas sensible aux êtres humains, ne sera
jamais un bon enquêteur. Celui-ci doit avoir assimilé toutes les tech-
niques qu'une formation, une expérience, lui ont enseignées, mais sur le
plan de l'attitude, il n'existe pas une technique ou des recettes qu'il puisse
apprendre et appliquer. Le secret de sa réussite ne peut venir que de la
vérité, de la réalité des sentiments qu'il éprouve, de son intérêt pour la
recherche et de la sympathie ou empathie que lui inspire l' enquêté.
Jean Rostand, à propos de l'émotion biologique, écrivait : « On ne
s'habitue pas à assister à une segmentation d'œuf. » Que dire de l'émo-
tion humaine devant la découverte de l'autre ! Ceci implique un véritable
dédoublement de l'enquêteur. D'une part il observe avec objectivité les
enquêtés, comme un entomologiste examine ses petits insectes, d'autre
part il considère avec respect et sympathie, au-delà des mécanismes psy-
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 669

chologiques, cette parcelle irremplaçable que contient chaque être


humain, ce lot de souffrances et de joies qui compose chaque destin par-
ticulier, même chez le plus borné des enquêtés.
668 5° Les divers types d' enquêtés ◊ Alors que les enquêteurs tentent de
s'aligner sur un modèle idéal de parfait enquêteur et de diminuer, au
moins sur le plan professionnel, leurs particularités, les enquêtés, même
si leurs réactions de défense se ressemblent, présentent des comporte-
ments très différents. On peut les ramener à quelques types que l'on ren-
contre plus fréquemment
- Le timide qui craint de ne pas en savoir assez, de mal répondre.
- Le timoré qui, surtout en matière politique, redoute de répondre. Enquêtés
assez décourageants pour des enquêteurs débutants qui préfèrent les individus
plus loquaces.
- Le bavard.Avec lui d'autres problèmes se posent: comment le ramener au
sujet, l'empêcher d'anticiper ou de traiter tout à la fois? Ce type paraît parti-
culièrement répandu dans la classe politique 1.
- Le discuteur.Il cherche à engager le dialogue... ou à convaincre l'enquêteur.
Ce type d'enquêté se rencontre également souvent chez ceux qui sont très engagés
politiquement.
- Le plaisantin.Se rencontre rarement. On est au contraire frappé du sérieux
et de la bonne volonté des enquêtés en général.
- L'enquêtésûr de lui. C'est le plus facile à interroger. Il parle en général sans
difficultés, s'exprime de façon facile à noter, mais on peut se demander ce que
valent les informations recueillies.
669 6° Conseils techniques et pratiques. a) Façon d'obtenir
l'entretien ◊ Il dépend évidemment du type d'enquête et de l'échantil-
lon prévu.
Lorsqu'il s'agit d'interviewer des individus précis ou des notabilités, il est à la
fois prudent et correct de prendre un rendez-vous. Certaines personnes sont très
difficiles à joindre. Le nombre de rendez-vous obtenus avec peine, puis
décommandés, les déplacements inutiles, représentent beaucoup de temps perdu
dans certaines enquêtes.
On doit déconseiller de téléphoner directement à l'enquêté pour prendre ren-
dez-vous. Il risque de poser des questions sur le sujet de l'enquête, qui peut lui
déplaire 2 et il est trop facile d'évincer l'enquêteur par téléphone. Dans le cas où
l'on suppose que l'enquêté ne répondra pas lui-même, la classique demande de
rendez-vous à une secrétaire est un moyen facile, sinon toujours efficace. Une
recommandation est souvent utile.
De toute façon, il ne faut jamais exposer le sujet de l'enquête avant de procéder
à l'entretien et naturellement ne jamais communiquer le questionnaire.
670 b) Le déroulement de l'entretien ◊ Le choix du lieu de l'entretien
présente des difficultés.
Il est difficile de trouver, surtout pour les hommes, l'heure et le lieu favorables
1. Aimer parler semble la caractéristique que l'on retrouve le plus souvent chez l'homo politicus,le
dénominateur commun des candidats aux e1ections législatives - cf. Madeleine Grawit2 (1961).
2. Dans une enquête auprès des patrons lyonnais sur les réactions suscitées par P. Mendès
France, indiquer au téléphone ce sujet nous eût sûrement valu des refus, que les enquêtés pouvaient
plus difficilement opposer, lorsque les enquêteurs se trouvaient assis en face d'eux dans leur bureau.
670 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

à l'entretien. Sur les lieux du travail, la pression du groupe, le conditionnement


peuvent jouer et les problèmes d'autorisation patronale, syndicale, etc., se poser.
A la sortie du travail, ils sont pressés. Chez eux, ils n'aiment pas être dérangés le
soir. Dans la journée, on trouve presque uniquement des femmes. En fait, la plu-
part des entretiens un peu longs ne peuvent avoir lieu que le soir à domicile, ou
quelquefois dans un café. Suivant le sujet de l'enquête et le type d'enquêté, le lieu
de rendez-vous a plus ou moins d'importance. Une enquête sur des sujets délicats
demande un cadre familier à !'enquêté pour qu'il se sente en confiance. Ceci
allonge considérablement la durée des enquêtes, car les enquêteurs ne peuvent
procéder à plusieurs entretiens dans la même soirée.
Il est plus ou moins nécessaire, mais toujours souhaitable, d'obtenir
que !'enquêté soit seul.
Une enquête à domicile, le soir, ne peut quelquefois faire abstraction de pré-
sences familiales. Il faut alors noter les interventions de la femme, du mari ou des
enfants. Tout ceci, intéressant en soi, modifie souvent le contenu de l'informa-
tion cherchée et sa signification. Dans le cas d'hommes politiques, il faut éviter
d'être reçu à la permanence du parti, !'enquêté risquant de parler pour la galerie
ou pour ses troupes, mais on ne peut parfois faire autrement. De nombreux syn-
dicalistes souhaitent répondre avec leurs camarades, ce qui est évidemment à
déconseiller.
Certains enquêtés demandent à voir le questionnaire avant de répondre ou
parfois de mener eux-mêmes l'entretien. Ceci bien entendu ne doit pas être
accepté.
Il est préférable que les enquêteurs débutants soient deux pour procéder à l'en-
tretien. L'un pose les questions, l'autre note ... ou vient au secours de son cama-
rade en cas de difficultés. Il est plus facile de noter lorsque l'on n'a pas le souci
des questions à poser. A deux, les enquêteurs peuvent s'encourager et aussi criti-
quer ensuite la façon dont ils ont procédé.
- L'enquêteur doit poser toutesles questions, dans les termes mêmes dans les-
quels elles ont été libellées et dans l'ordre prévu par le questionnaire. Si !'enquêté
répond à l'avance à une question, on notera par exemple: question 10, réponse
dans la question 7.
- Lorsque !'enquêté dit: «Je vous dis ceci mais ne l'écrivez pas ... » Il faut res-
pecter son désir, mais on peut le signaler de façon succincte, dans le résumé des
impressions que l'on note chez soi le soir.
- On peut répéter la question, ou faire préciser la réponse si l'une ou l'autre
n'ont pas été comprises, mais il faut l'indiquer dans le compte rendu d'interview.
- Il est recommandé de ne pas interrompre l' enquêté, mais on }?eutramener
au sujet, le bavard qui se lance dans un discours de propagande electorale. En
revanche, si dans un questionnaire un peu long, !'enquêté donne des signes de
fatigue, une petite digression sur les enfants, dont la photo se trouve sur la chemi-
née, peut constituer une détente utile.
Il arrive très souvent que !'enquêté demande à l'enquêteur son avis. Celui-ci
doit répondre de façon évasive,en disant par exemple : « Si vous voulez bien nous
terminons d'abord le questionnaire et nous en discuterons ensuite. » Il y a de
fortes chances pour 9ue la question ne soit pas posée à nouveau.
Il est recommande de recopier ses notes le soir même, sous peine de les défor-
mer ou d'oublier certaines réponses.
671 c) La fin de l'entretien ◊ Nous terminons souvent nos questionnaires par
une question demandant à l' enquêté ce qu'il en pense, s'il aurait ajouté ou sup-
prime certaines questions. Ceci offre un double avantage, d'une part recueillir
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 671

l'avis de !'enquêté, d'autre part, de le faire en quelque sorte participer. Il est rare
qu'il soit vraiment hostile, le fait de donner son point de vue et son approbation
le rend en quelque sorte plus solidaire encore de l'enquête et permet de terminer
l'entretien sur une note favorable 1.Ceci est important pour l'avenir des enquêtes.
L'enquêteur doit remercier !'enquêté de s'être prêté au rendez-vous. Surtout s'il
s'agit d'étudiants, ils ne doivent pas donner une impression de désinvolture, mais
du sérieux qu'ils apportent à ce qu'ils font. Si !'enquêté a manifesté de l'inquié-
tude, il est possible de lui affirmer une fois encore que l'entretien est anonyme.
Il est nécessaire d'insister auprès des enquêteurs pour qu'ils soient discrets sur
les personnes qu'ils ont interrogées et le contenu de l'entretien. En l'absence de
véritable secret professionnel, il est important de respecter la confiance qu'a
témoignée !'enquêté. Tout ce qui est recueilli dans les entretiens, ne doit pas sortir
du cercle des responsables de l'enquête et doit être utilisé uniquement en fonction
de ses objectifs.
Parfois, le questionnaire terminé, l'enquêteur et !'enquêté bavardent ensemble.
Les enquêteurs inexpérimentés sont tentés de voir là un signe de réussite de l'in-
terview. Il est certes heureux que l'entretien provoque la sympathie et le besoin de
communiquer davantage, mais il ne faut pas oublier que le but de l'entretien
consiste avant tout à recueillir certaines informations et que la sympathie ne sau-
rait constituer un critère de fidélité, ni de validité.
Ajoutons enfin qu'il est recommandé d'envoyer aux enquêtés les résultats de
l'enquête lorsque celle-ci paraît 2 .

§ 3. Le questionnaire
672 1° Questionnaires écrits et questionnaires d'interviews ◊ Le
questionnaire écrit, envoyé par la poste, représente dans les rapports indi-
viduels un cas bien différent de l'interview libre dans lequel enquêteur et
enquêté sont face à face. De ce fait, les informations recueillies par les
interviews et les questionnaires écrits diffèrent, ainsi que les indications
pour utiliser l'un ou l'autre.
Les problèmes soulevés par la technique même du questionnaire sont
semblables qu'il s'agisse du questionnaire écrit ou du questionnaire oral.
Les Anglo-Saxons distinguent en principe : le questionnaire proprement dit
envoyé par poste, l'interviewschedule,ou questionnaire d'interview et enfin l'inter-
view guidé,moins structuré qu'un questionnaire.
Nous limiterons l'emploi du terme de questionnaire, à son sens exact
de liste de questions. Nous préciserons d'abord les cas dans lesquels on
peut utiliser le questionnaire par poste 3, ses particularités, avantages et
inconvénients par rapport à l'interview, pour traiter ensuite le problème
de la confection du questionnaire, dans le seul cadre de l'interview, étant
entendu que la partie purement technique du libellé des questions est
applicable à tous les types de questionnaires par poste, par téléphone, etc.
1. Cette influence ne fausse pas les résultats.
2. Et de ne pas leur en vouloir s'ils n'accusent pas réception, ce qui est souvent le cas.
3. D. C. Lockhart (1984).
672 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

673 a) Les critères de choix. La précision de l'hypothèse ◊ Un facteur


dont il faut tenir compte avant d'opter pour le questionnaire écrit ou l'in-
terview, c'est le degrédeprécisionde l'hypothèse.On ne peut envisager, dans
un questionnaire par poste, de poser un aussi grand nombre de questions
que dans un questionnaire oral. Il faut donc réserver le questionnaire
écrit à des domaines circonscrits, concernant des faits ou des réponses
n'impliquant pas de problèmes d'attitudes, ou d'opinions, trop ambiguës
ou complexes. Lorsque le problème est déjà précisé, les questions bien
libellées, le questionnaire écrit peut suffire. Au contraire, lorsqu'il s'agit
d'explorer à un certain niveau, c'est l'entretien oral, à questions ouvertes
de préférence, qui, ainsi qu'on le verra, recueille le plus d'informations et
donne le plus de chances de ne pas passer à côté des points importants.
674 La sincérité des réponses ◊ Le questionnaire écrit ne donne aucune
garantie sur le fait que c'est bien la personne visée qui l'a rempli. Elle a pu
répondre aidée par quelqu'un, ou en famille. De même, sur le plan de la
spontanéité, l'interview est préférable, car le questionnaire écrit permet
non seulement la réflexion, mais surtout la lecture de tout le question-
naire, avant la réponse à chaque question.
En revanche, le questionnaire écrit, distribué de façon standardisée, éli-
mine le facteur de perburbation constitué par l'enquêteur: sa présence, sa
façon de poser les questions, d'interpréter et noter les réponses, etc. Les
chercheurs ont souvent discuté sur le point de savoir si !'enquêté répon-
dait plus franchement à un interview qu'à un questionnaire écrit. Est-il
gêné par la présence de l'enquêteur ? Plus libre devant une feuille de
papier? Dans ce cas, ne pourrait-on considérer le questionnaire écrit,
anonyme, comme plus adéquat dans le cas de questions délicates ? Il
semble que sur le plan de la sincérité, il soit difficile de donner la pré-
férence à l'un ou à l'autre. Pour certains enquêtés, la présence de l'eniuê-
teur peut sembler gênante, alors qu'elle incitera d'autres à répondre .
Les Américains ont comparé les résultats obtenus par chacune des deux
méthodes dans une enquête auprès de jeunes füles d'un collège. Le questionnaire
abordait le domaine sentimental et comportait quelques questions délicates.
L'une d'elles demandait si !'enquêtée avait été amoureuse de deux jeunes gens à la
fois. On a trouvé plus de oui dans les interviews que dans les questionn~aires.Ceci
s'explique par le fait que les conceptions sentimentales régnant aux Etats-Unis,
s'opposent aux attachements simultanés. Les jeunes filles répondent auto-
matiquement et rapidement« non», parce qu'elles refoulent dans leurs souvenirs
ce qui n'est pas conforme à la morale courante. L'interview permet d'insister,
d'ajouter dans le questionnaire des petites phrases telles que « vraiment
jamais ? », etc., qui n'auraient pas de sens, écrites, mais qui lorsqu'elles sont
entendues, incitent à réfléchir au-delà de la réaction spontanément conformiste.

675 Le niveau d'infonnation ◊ Sur le plan de la sincérité, aucune des


deux formules ne paraît l'emporter sur l'autre .. En revanche, en ce qui
concerne le niveaud'informationque l'on veut atteindre, il est certain que
1. A. Ellis (1947), C. F. Canne!, J.F. Floyd (1963).
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 673

l'intetview permet d'aller plus loin. L'enquêteur obtient souvent une


information plus complète, à un niveau plus profond, plus riche. Lors-
qu'à une question complexe ou gênante, !'enquêté répond de façon
vague, contradictoire, l'enquêteur peut l'aider à reformuler sa réponse, la
fonction de « facilitation » joue.
De plus, l'enquêteur voit l' enquêté en train de répondre. Il peut donc
percevoir ses hésitations, sa façon de s'exprimer. Dans l'interview, le
contexte: lieu d'habitation, apparence, est plus large qu'une simple
réponse griffonnée sur un papier.
676 Le genre d'enquêté à atteindre ◊ Il faut ensuite considérer le genre
d' enquêté à atteindre. Le questionnaire écrit n'implique pas seulement
que l'on sache lire et écrire, mais aussi que l'on ait l'habitude de s'expri-
mer par écrit. Cette exigence limite la possibilité d'user de cette tech-
nique, qui ne permet pas de constituer un échantillon représentatif de
toute la population et reste limitée aux cas où il s'agit de groupes sociaux
ayant atteint un niveau d'instruction suffisant.
L'expérienceprouve que le questionnaire écrit, envoyé à des échantillons nor-
maux de population, n'amène en général que 10 à 25 % de réponses, alors que
dans le cas d'un groupe particulier d'enquêtés, sélectionnés à titre professionnel,
le pourcentage de réponses à un questionnaire, ayant trait à un domaine qui les
intéresse, peut atteindre un chiffre beaucoup plus élevé : 70 à 80 %.
677 Le prix de revient ◊ L'avantage du questionnaire écrit serait son prix
de revientmoins élevé.
Il paraît plus économique d'envoyer un questionnaire dans une enve-
loppe que de déplacer un enquêteur, à plus forte raison quand les enquê-
tés sont répartis géographiquement à de grandes distances les uns des
autres. Mais on ne peut établir de véritable prix de revient en comparant
simplement le coût d'un entretien, à celui d'un questionnaire ronéotypé.
Ce dont il faut tenir compte, c'est du prix de l'un et de l'autre, par rap-
port aux résultats obtenus, c'est-à-dire en fonctionde l'informationrecueil-
lie. Or, le faible pourcentage des questionnaires écrits remplis et renvoyés,
dans le cas d'enquête sur une population non sélectionnée suivant un
intérêt particulier, diminue le rendement et l'intérêt de cette méthode.
678 b) Le problème des non-réponses ◊ A côté des enquêtés qui ne
peuvent pas répondre soit parce qu'ils ne savent pas écrire ou s'exprimer,
soit parce qu'ils ne sont pas en état de donner une information qui leur
échappe, se trouvent ceux qui ne veulent pas répondre ou oublient. Que
représentent ces non-réponses? Peut-on penser que ceux qui ont
répondu sont les mieux informés, les plus intéressés, les plus habitués à
écrire, les moins négligents ou les plus coopératifs ?
Admettons que dans une enquête nous n'ayons que 50 % de réponses. Quelle
part de l'échantillon représentent les 50 %, qui n'ont pas répondu? Ce sont peut-
être les plus jeunes, ou les plus pauvres. Si ceux qui n'ont pas répondu diffèrent de
ceux qui ont répondu, les résultats établis en fonction de ces derniers ne seront
pas statistiquement exacts.
67 4 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Une enquête par questionnaire écrit, soulève donc le problème du taux


de non-réponses. Sur le plan pratique, comment augmenter les
réponses? ensuite comment évaluer la signification des non-réponses?
679 Comment augmenter le taux des réponses aux questionnaires
écrits? ◊ Il s'agit d'abord de surmonter des obstacles du même ordre
que ceux que nous avons vus dans l'interview. Il faut inciter l'enquêté à
répondre, l'intéresser à l'enquête, le rassurer sur l'anonymat, etc. Mais
tout ceci doit se faire par écrit, or un texte est moins persuasif qu'un
enquêteur, déterminé à obtenir son interview. Non seulement le réflexe
de politesse ne joue pas devant un texte, mais encore existe un obstacle
contre lequel l'enquêteur se trouve pratiquement désarmé: la paresse, la
négligence de l'enquêté ... Il est déjà submergé de papiers, ou au contraire
il n'est pas installé pour écrire chez lui, etc. On peut à la rigueur expliquer
comment l'enquêté ne met pas l'enquêteur à la porte et accepte de lui
répondre, mais par quel prodige un questionnaire échappera-t-il à la cor-
beille à papier ... ?
Il est donc conseillé, d'abord de n'utiliser les questionnaires écrits que
dans les cas où l'on suppose que les gens seront intéressés. Lorsque le
questionnaire, conçu en fonction d'un groupe d'enquêtés, porte sur leurs
problèmes,on peut penser que l'espoir de contribuer à amener un change-
ment dans le sens qu'ils souhaitent, incitera les gens à répondre.
Ces questionnaires limités, adaptés au milieu, évitent les réactions que peuvent
susciter des questions plus générales, conçues pour un échantillon tout-venant
telles que : « Avez-vousune maison de campagne ? » adressée à une famille vivant
dans un taudis ou « Faites-vous du ski le dimanche ? » envoyée à un infirme.
Ceci mis à part, on peut adapter au questionnaire écrit les conseils donnés
pour l'entretien oral.
Efficacitédu texte. - Il faut indiquer quelle est l'organisation respon-
sable. Une recommandation scientifique sérieuse incite à répondre. Il est
important d'expliquer le but de façon claire, vivante et surtout concise.
Chacun des termes doit être soigneusement pesé, pour que le texte ait le
maximum d'efficacité. Tous ne liront pas cette lettre d'envoi, mais il faut
que ceux qui jetteront un coup d'œil, soient tout de suite accrochés et
renseignés sans confusion possible.
Si l'on stimule l'intérêt de l'enquêté, encore faut-il matériellement
faciliter son effort et lui présenter les questions sous une forme claire et
agréable. Sont à proscrire les explications du type : si non à section n de
Q 2 (c) répondre à Q 10 mais pas à Q 11.
Longueurdu questionnaire.- On peut supposer que les gens répondent
plus volontiers à un questionnaire court qu'à un grand nombre de ques-
tions, mais que signifie court ? à partir de combien de question un ques-
tionnaire devient-il trop long? On ne peut donner de réponse vraiment
scientifique, tout au plus envoyer plusieurs questionnaires et comparer
les résultats.
En tout cas on a toujours tendance, comme dans les interviews, à
surestimerles capacitésde compréhensionde l'enquêté,son aptitude à être
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 675

intéressé et à faire attention à ce qu'on lui demande 1. Enfin, suivant le


type d' enquêtés, il peut être utile, comme dans l'intetview, de spécifier
que les réponses sont anonymes et de ne pas poser de questions permet-
tant d'identifier le répondant (combinaison profession adresse, par
exemple).
Lequestionnaire rempli, encore faut-il qu'il soit renvoyé. Une des façons d'in-
citer à répondre, consiste à joindre au questionnaire une enveloppe timbrée et
adressée pour faciliter le retour. L'enquêté est sensible à la peine que l'on a prise,
il se sent, du fait du timbre, partiellement obligé de renvoyer l'enveloppe.
Ayant utilisé tous les moyens permettant de faciliter la réponse au question-
naire, reste le deuxième problème.
680 L'interprétation des non-réponses ◊ Ceci revient à se demander
dans quelle mesure les non-réponses faussent la représentativité de
l'échantillon, autrement dit qui sont les non-répondants,en quoi different-
ils des répondants?
Ce problème est d'autant plus sérieux que le taux des non-réponses est
souvent élevé. Décès, maladie, changements d'adresse représentent une
part importante des causes de non-réponses. Dans quelle partie de
l'échantillon se recrutent ces enquêtés ? On peut utiliser plusieurs sys-
tèmes pour tenter de le savoir2 •
Le premier consiste à grouper les réponses reçues suivant leur date d'arrivée:
répondu dans la semaine, 15 jours ou 3 semaines après. On envoie ensuite des
lettres de rappel ou des cartes postales comportant un minimum de questions fer-
mées, aidant à caractériser les retardataires. Ce procédé permet de déceler par-
tiellement ceux qui sont les plus proches des non-répondants. Imaginons 40 % de
réponses immédiates. A la suite d'une lettre de rappel 15 % des 60 % non-
répondants renvoient leur questionnaire. On peut supposer que ces 15 % sont
plus représentatifs des 60 % non-répondants que les premiers 40 %. En totalisant
les résultats, il paraît plus exact de pondérer les réponses des 15 % plutôt que
d'étendre à tout l'échantillon, les résultats des 40 %, sans tenir compte des autres,
ou de mêler les réponses des 40 et des 15 %.
On peut enfin envoyer des enquêteurs au domicile d'un certain nombre de
ceux qui n'ont pas répondu. Cette méthode a permis à M. H. Hansen et W. N.
Hurwitz (1946) d'établir des règles assez précises, concernant le nombre de ques-
tionnaires à envoyer par la poste, comparé aux enquêtés n'ayant pas répondu à
l'interview, pour obtenir les indications statistiquement les plus exactes. On peut
ainsi déterminer, non seulement la direction de l'erreur introduite par les non-
répondants, dans les résultats de l'échantillonnage, mais encore mesurer le degré
ou l'influence de l'erreur.
On doit, pour être complet, indiquer aussi lesquestionnairescollectifset les ques-
tionnairespar téléphone.
Lesquestionnairesécritscollectifsconstituent un cas limite. Il s'agit bien de rap-
ports individuels. Chaque enquêté répond pour lui, mais d'une part le rapport
enquêteur-enquêté n'a plus grande signification puisqu'ils ne sont pas seuls l'un
en face de l'autre, d'autre part le sujet demeure plongé dans son groupe et l'am-

1. On est étonné, du nombre de gens qui, même parmi les intellectuels, ne savent pas lire un
texte.
2. C. F. Reuss, T. W. Smith (1983).
67 6 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

biance joue forcément plus ou moins. Ce procédé offre l'avantage de permettre de


récupérer tous les questionnaires remplis. On l'emploie dans le cas de groupes
constitués: écoliers, étudiants, soldats; lorsque l'on veut gagner du temps; par-
fois aussi sauvegarder l'anonymat des enquêtés. Le niveau d'information demeure
assez superficiel et ce procédé est utile avant tout pour recueillir des faits : lieu de
naissance, etc., des opinions, ou un état d'esprit sur des problèmes qui intéressent
le groupe et sur lequel il est suffisamment informé : choix d'horaires, de pro-
grammes, etc.
Le questionnaire par téléphone,offre l'inconvénient de limiter l'échantillon aux
abonnés. Il est en France utilisé pour des enquêtes et vérifications auprès des télé-
spectateurs. Mais le téléphone est l'occasion de trop de plaisanteries, parfois de
mauvais goût, pour pouvoir être utilisé sérieusement pour des enquêtes 1 .

681 2° Rôle et importance des questionnaires ◊ Le questionnaire est le


moyen de communication essentiel entre l'enquêteur et !'enquêté. Il est
l'outil par lequel le double but de l'interview doit être atteint: d'une part
motiver, inciter l'enquêté à parler, d'autre part obtenir les informations
adéquates pour l'enquêteur. Le questionnaire doit traduire l'objectif de la
recherche en questions et susciter chez les sujets interrogés des réponses
sincères et susceptibles d'être analysées en fonction de l'objet de l'en-
quête. En d'autres termes: la question posée en fonction d'un but donné,
doit susciter une réponse en relation avec le but poursuivi et traduisant
fidèlement l'attitude de !'enquêté. On attend de celui-ci qu'il puisse et
veuillerépondre et qu'il le fasse clairement Comment obtenir ce résul-
tat ? Le contenuet la forme des questions soulèvent ici des problèmes
importants.
682 Contenu et forme ◊ A la différence des entretiens pslchothérapeu-
tiques, dans lesquels l'intérêt est centré sur l'individu interrogé, le
contenud'un questionnaire est déterminé par l'objectif de la recherche,
plus que par les besoins de l'enquête. Cependant, on attend de lui des
réponses qui dépendent non seulement du climat créé par l'enquêteur,
mais aussi des questions posées et c'est ici qu'intervient la forme de la
question. Un bon questionnaire aide l'enquêteur et l' enquêté, alors
qu'une question maladroite peut les gêner l'un et l'autre et fausser un
certain nombre de réponses. Donc, tout en poursuivant l'objectif de la
recherche, le questionnaire doit tenir compte, à l'avance, des besoins et
réactions des sujets interrogés. Il doit être à leur niveau, les intéresser sans
les heurter, créer un climat favorable. Comme l'indique C.A. Moser 3,
aucune enquête ne peut être meilleure que son questionnaire, car des
questions imprécises obtiendront des réponses vagues, des questions ten-
dancieuses des réponses biaisées, etc.
Le questionnaire représente donc un outil de travail aussi important
que l'enquêteur chargé de l'utiliser. Il constitue dans la technique de l'in-
terview un élément essentiel, la préoccupation majeure et continue du
1. R. M. Groves, R. L. Kahn (1979), J.H. Frey (1983).
2. Se méfier du terme sujet qui prête à confusion. S'agit-il de !'enquêté ou du sujet de l'enquête?
3. C.A. Moser (1958, B. 198).
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 677

responsable de la recherche. On peut dire qu'avec la multiplication des


enquêtes et le coût des enquêteurs qualifiés, aptes aux interviews libres,
on a de plus en plus tendance à employer des enquêteurs formés rapide-
ment, pour un travail plus simple, plus automatique. Dans ce but, on
structure de plus en plus le questionnaire, pour diminuer la marge de
liberté, donc d'erreur de l'enquêteur. Le questionnaire voit son impor-
tance croître, tandis que diminue celle de l'enquêteur. Malheureusement,
il n'existe pas de règles absolues permettant de composer de bons ques-
tionnaires, mais seulement des conseils pour atteindre le niveau du
moins mauvais des questionnaires possibles. Pourquoi ce pessimisme ?
683 Le questionnaire est un compromis ◊ Dès le départ le question-
naire est à plusieurs titres un compromis. Compromis sur l'étendue et la
profondeur du domaineétudié, qui implique un choix entre les questions
essentielles possibles et celles que l'on sacrifie pour assurer la sécurité de
l'ensemble. On prévoit par exemple que certains enquêtés ne voudront
pas répondre ou ne diront pas la vérité sur tel ou tel point, dans ce cas
mieux vaut ne pas poser la question. Compromis sur le temps. On ne
peut pas retenir les enquêtés indéfiniment. Il faut ici encore ne conserver
que les questions les plus importantes. Ceci compose le lot des décisions
réfléchies, des sacrifices consentis, mais il y a ensuite tout l'imprévu : les
questions auxquelles on n'a pas pensé, qui auraient pourtant été intéres-
santes, celles qui ont été posées et mal comprises, etc.
684 Le questionnaire doit être une œuvre collective ◊ Le questionnaire
est un travailà ne pas exécuterseul. Si par rapport à l'objectif,sur le plan de
la conception de l'enquête, des problèmes soulevés, du choix des ques-
tions, l'expérience du chercheur, sa perspicacité, sa documentation, lui
permettent de mieux déceler les problèmes à étudier, en ce qui concerne
le libellé des questions, leur acceptation ou compréhension, bref les pos-
sibles réactionsdes enquêtés,la collaboration des enquêteurs assure une
variété de points de vue, une sorte de dénominateur commun, utile pour
que le questionnaire joue son rôle : convenir à un grand nombre cl'en-
quêtés.
L'élaboration d'un questionnaire constitue un travail d'équipe extrê-
mement formateur. La participation des enquêteurs donne l'occasion de
connaître et d'éliminer les questions qui les gênent, celles dont l'utilité
leur paraît douteuse et qu'inconsciemment ils seraient par la suite tentés
d'omettre ou de mal poser. Elle permet aussi de les persuader de l'utilité
de certaines questions et de la nécessité d'en éliminer d'autres. Elle unifie
leurs points de vue, évitant ainsi les divergences d'interprétation. Elle
approfondit leur compréhension des problèmes et ne peut manquer de
susciter chez eux une conviction et une ardeur dont toute la recherche
bénéficiera.
685 3° Établissement du questionnaire. a) Première étape: le
contenu ◊ L'objectif de l'enquête étant fixé, la première étape de la
confection du questionnaire vise à définir son contenu, c'est-à-dire d'une
678 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

part à évoquer tous les problèmes qu'il doit aborder, les variables en
cause, d'autre part à préciser la nature des données que l'on cherche à
recueillir, c'est-à-dire l'information que les réponsesaux questionsposées
doiventcontenir.
En général, les chercheurs notent toutes les questions qui leur viennent
à l'esprit et semblent en relation avec les divers points que l'enquête doit
élucider. Suivant le genre d'enquête, la plus ou moins grande extension
du sujet, le type de problèmes posés, le fait qu'ils ont été déjà ou non
explorés, que l'objectif est plus ou moins précisé, l'établissement du ques-
tionnaire sera plus ou moins délicat. Lorsqu'il s'agit d'un domaine peu
connu, que l'on manque de renseignements sur les problèmes en cause, il
est utile de commencer par effectuer quelques interviews libres dans le
milieu intéressé. Les enquêtés dans ce cas peuvent évoquer spontanément
leurs difficultés et susciter chez le chercheur les questions utiles.
En face de la variété infinie de facteurs à étudier, l'interview par ques-
tionnaire est une technique qui a ses limites. Elle n'aborde que certains
problèmes, d'une certaine manière et ne peut obtenir que certains types
d'information. En fait, questionner un individu c'est chercher à obtenir
des renseignements sur ce qu'il sait, sur ce qu'il a fait ou compte faire, ce
qu'il pense ou ressent,c'est-à-dire croit, espère, admire, redoute ou blâme,
et avec quelle intensité et enfin quelle explication il donne lui-même de
son comportement. Mais pour recueillir tous ces renseignements, il faut
d'abord que l'enquêté lui-même les possèdeet ensuite qu'il acceptede les
donner.
A ce premier stade de conception du questionnaire, décider du genre de
renseignements que l'on veut obtenir, c'est décider du type de questions à
poser.
686 Questions de fait ◊ Ces questions paraissent faciles à concevoir et à
poser. Elles semblent devoir attirer des réponses ayant le plus de chances
d'être vraies : questions d'état civil : célibataire, marié, date et lieu de
naissance. Même au niveau des faits, il existe dans le domaine politique,
religieux, économique, sexuel, des questions sur lesquelles on sait à
l'avance que l'on obtiendra difficilement une information.
Combien de Français avoueront volontiers être catholiques pratiquants, mais
n'avoir pas voté, aller à la messe, mais tromper leur femme, gagner X F par mois
et frauder le fisc ? Quelle actrice avouera volontiers son âge ?
En dehors de ces zones dangereuses, il peut y avoir des questions de fait qui
gênent tel individu et non tel autre. Tel enquêté n'aimera pas dire qu'il n'est pas
bachelier, alors que tel autre déclarera sans peine ne pas avoir son certificat
d'études primaires. Donc, malgré la précision et l'apparente simplicité des ques-
tions de fait, comparées aux autres, il faut déjà tenir compte de ce que le sujet
peut savoir, avoir oublié, déformé, des raisons pour lesquelles il en parle : se faire
valoir, etc.
Les questions de fait donnent le renseignement lui-même, par exemple
la date de naissance, ou indiquent le niveau d'information du sujet: il
sait ou non ce qu'est l'O.N.U ... Ce fait peut également avoir une signifi-
cation indirecte par rapport à un problème moins apparent, par exemple
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 679

dans le cas de l'O.N.U., le manque d'intérêt pour la politique inter-


nationale.
Le fait peut encore être révélateur et servir de substitut à une question indis-
crète : c'est la méthode des signes extérieurs de richesse, utilisée par le fisc pour
contrôler les déclarations de revenus. Elle peut être utilisée dans le même esprit
dans une recherche concernant le standing de vie. On peut par exemple deman-
der aux enquêtés : avez-vous une voiture ? une employée ? une maison de cam-
pagne ? un magnétoscope ? etc., plutôt que le chiffre de leurs revenus.
687 Questions d'opinion ou de croyance ◊ Il ne s'agit plus de ce que les
gens savent, mais de ce qu'ils pensent au sujet de ce qu'ils savent ou
croient savoir. Il est donc souvent nécessaire, dans une recherche d' opi-
nion, de connaître parallèlement le niveau d'information du sujet sur la
question. On s'est aperçu par exemple que les personnes parmi les plus
antisémites ne connaissaient pas de Juifs.
Le chercheur doit tenir compte de l'objectif de l'enquête et toujours
distinguer nettement la recherche des faits, de celle des opinions.
S'il veut connaître la réalité du comportement des jeunes il devra se renseigner
sur les faits : sexualité, délinquance, travail, loisirs, valeurs et interroger les res-
ponsables s'occupant de la jeunesse, avant d'enquêter auprès des jeunes eux-
mêmes. Au contraire, s'il veut connaître l'opinion de tel secteur de population sur
la jeunesse, il interrogera un échantillon représentatif de cette population et
comparera l'opinion des jeunes, des vieux, des célibataires, des gens mariés, de
ceux qui vivent avec des jeunes, de ceux qui lisent, vont au cinéma, etc., pour ten-
ter de dégager l'influence des diverses sources d'information, celle du genre de vie,
de l'éducation, des opinions politiques, religieuses, du comportement général, etc.
Les questions d'opinion, comme celles de faits, peuvent donner une
information directe, sur l'opinion elle-même que l'on cherche à
connaître: opinion des Français sur la sécurité sociale, ou indirecteen
donnant des indications sur la personnalité du sujet : individu prévoyant,
préoccupé de l'avenir, etc.
Il est à remarquer que les questions d' orinion peuvent susciter des réponses de
nature très différente à cause de la variéte de points de vue possibles. Un même
problème, la limitation des naissances, présente plusieurs aspects : médical,
social, religieux, moral. On peut vouloir n'en évoquer qu'un seul.
Bien souvent les opinions exprimées sont la manifestation
inconsciente de sentiments et attitudes plus profonds. Il est important
d'atteindre ce niveau pour comprendre ou prévoir le comportement des
enquêtés. Parfois, ceux-ci éprouvent des sentiments ou des réactions
qu'ils ne savent pas exprimer en une opinion rationnelle, il faut tenter
alors d'en mesurer l'intensité. Au lieu de questions directes, on soumet au
sujet des propositions qu'il doit approuver ou pas 1. Un enquêté peut ne
pas être capable d'exprimer une opinion sur l'homosexualité, mais éprou-
ver tout de même un sentiment d'opposition devant une affirmation telle
que « l'homosexualité devrait être considérée comme un délit pouvant
entraîner une peine d'emprisonnement».
1. Procédé étudié à propos des échelles d'attitudes, cf. n"' 775 et s.
680 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Opinions ou réactions, impliquent parfois la recherche des valeurs que


reconnaissent les enquêtés, de leurs normes de jugement ou de conduite.
688 La question. Le pourquoi ? ◊ Restent enfin les questions visant à
obtenir des explications des enquêtés eux-mêmes, sur leur conduite ou
leurs opinions. Mais ici, il faut tenir compte des différentes acceptions de
la question du type « pourquoi » qui peut attirer des réponses contenant
des informations très variées.
Le« pourquoi», qui paraît au chercheur novice un moyen très simple
d'obtenir une explication de la part de l'enquêté, est un bon exemple de
la nécessité d'une conceptualisation poussée des objectifs de l'enquête et
de l'adaptation des questions à ceux-ci.
P. Lazarsfeld (1960) cite le cas d'un questionnaire dans lequel on demandait
aux sujets pourquoi ils étaient allés voir tel film. L'un pouvait répondre en termes
de disposition genérale 9.u'il allait tous les soirs au cinema, un autre, au contraire,
indiquer pourquoi il y etait allé ce soir-là: il n'avait rien à faire, ou l'événement
fortuit, un ami l'avait emmené. D'autres enfin déclarer avoir lu un article élo-
gieux sur ce film, etc.
Le pourquoi amène chaque enquêté à évoquer dans sa réponse, l'aspect de la
décision qui lui est d'abord venu à l'esprit. Lui-même n'est peut-être pas
conscient du vrai motif qui l'a déterminé à agir.
Le« pourquoi» n'est donc pas une bonne question, car il amène des
réponses ayant un contenu trop varié, mettant en cause des raisons dif-
férentes, qu'il sera difficile à l'enquêteur de classer. En demandant sim-
plement « pourquoi ? », on risque trop souvent d'obtenir une sorte de
justification de la décision ou de l'opinion, plutôt qu'une analyse. Si l'on
veut rester à un niveau d'explication plus superficiel que la véritable étude
de motivation, il est plus prudent de demander: « Comment avez-vous
été amené à... » qui aligne les réponses sur une cause plus extérieure et
anecdotique.
Si la recherche porte sur les motifs qui ont poussé les enquêtés à aller
voir tel film, l'enquêteur devra creuser davantage les divers ressorts de la
décision et pour cela envisager des sous-questions, qui ordonneront systé-
matiquement les divers types de raisons possibles.
689 Les exigences majeures du questionnaire ◊ Un questionnaire
impose deux exigences majeures et contradictoires : obtenir un contenu
vrai par rapport à l'enquêté et significatifpar rapport au problème. Les
questions simples auront plus de chance de susciter des réponses vraies,
mais demeureront souvent à un niveau superficiel et sans valeur. Les
questions complexes atteindront les éléments réels du problème, mais ne
seront pas comprises par tous. Précis, mais évocateur, clair, vrai, mais tra-
duisant les complexités de la réalité, nous retrouvons là les impératifs
dont nous avons dit qu'ils faisaient de la constitution d'un questionnaire
une œuvre de compromis, jamais entièrement satisfaisante.
Imaginons maintenant le contenu du questionnaire délimité. On sait
ce que l'on cherche et le moyen choisi pour le trouver. Lesproblèmes sont
cernés par une série de propositions, parfois déjà rédigées sous forme
interrogative.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 681

Avant d'aborder l'étape suivante: la formulation du questionnaire, il


est indispensable d'une part de vérifier si tous les aspects du problème ont
été bien abordés, d'autre part de s'assurer que certaines propositions ne
s'éloignent pas du sujet traité. Nous avons déjà vu que cette réflexion
était nécessaire, au stade de la précision de l'objectif; elle s'impose égale-
ment, au moment de la délimitation du contenu du questionnaire et elle
devra être renouvelée lors de sa formulation, ainsi qu'après la pré-
enquête. Lorsque la recherche est commandée par un organisme dans un
but précis, l'objectif et le budget limitent l'enquête, mais dans le cas de
recherche libre, la tentation devant tous les problèmes rencontrés est
beaucoup plus grande et il faut insister sur la nécessité, pour les cher-
cheurs, de ramener constamment leur pensée sur l'objectif.
Ceci étant accompli, on aborde alors la deuxième étape, celle de la
forme des questions. Elle consiste à les formuler, à soigner leur libellé, à
décider de leur succession dans le questionnaire, à adapter l'outil, la ques-
tion, à son but : la réponse.
690 b) Deuxième étape : le choix d'un type de questions ou comment
obtenir la réponse ◊ Le contenu visé par la question concerne l'infor-
mation et intéresse surtout l'enquêteur. La forme, elle, touche avant tout
l'enquêté, elle est le moyen de l'atteindre. Au stade du contenu, on se
préoccupe déjà de la réaction de l'enquêté, de ses oublis, de son niveau
d'information, de ses réticences devant tel ou tel sujet, on sait qu'il faut
d'abord qu'il connaisse la vérité, qu'il puisse et veuille la communiquer
dans sa réponse. Mais si l'on veut maintenir certains objectifs on ne peut
entièrement supprimer les difficultés. Certains sujets demeurent délicats,
certaines informations requerront de l' enquêté un effort ou un aveu
d'ignorance. C'est ici que la formulation de la question va prendre toute
son importance, pour réduire les obstacles, les contourner, les dissimuler,
bref faciliter chez l'enquêté une réponse vraie.
Évidemment, la forme d'une question ne modifie pas les connais-
sances de l'enquêté, mais elle peut exercer une influence déterminante
sur sa réponse. On peut présenter la question gênante de façon à la
rendre acceptable. En admettant que l' enquêté puisse et veuille répondre,
encore faut-il que ses réponses soient claires, précises, significatives par
rapport aux objectifs, vraies, conformes à la réalité des faits et ses opi-
nions. Ici encore, la façon dont la question est formulée exerce une
grande influence sur la réponse.
Il n'existe malheureusement pas de véritables règles auxquelles se réfé-
rer, pour rédiger un questionnaire. On ne dispose pas d'une expéri-
mentation assez systématique, pour connaître avec certitude les résultats
précis de tel ou tel type de question. Choisir, rédiger une question, est un
art fait d'intuition, de bon sens, de réflexion, d'expérience 1. On peut
cependant ramener l'ensemble des problèmes soulevés, d'une part à un
choix entre un certain nombre de types de questions,plus ou moins aptes
à recueillir tel ou tel genre d'information, d'autre part au respect d'un
1. Elle est aussi fonction de la population à interroger.
682 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

certain nombre, sinon de règles,du moins de précautions et conseils qui


s'appliquent à tous les questionnaires.
691 Les types de questions. Questions ouvertes et questions fer-
mées ◊ Il existe en ce domaine une distinction majeure, c'est celle qui
distingue les questionsouvertesdes questionsfennées. La questionferméeest
celle dans laquelle le choix et la liberté d'expression de l' enquêté sont
réduits au minimum.
Letype de réponse peut être fixé à l'avance par le questionnaire:« Habituelle-
ment lisez-vous Libérationou le Figaro? » ou le plus souvent !'enquêté doit
répondre simplement par oui ou non : « Avez-vouslu un journal ce matin ? »
La question ouverte, au contraire, laisse }'enquêté libre d'organiser sa
réponse comme il l'entend, tant au point de vue du contep.u que de la
forme de sa réponse.« Que pensez-vous de la politique des Etats-Unis en
Amérique latine ? » « Comment occupez-vous vos soirées ? » etc.
Il est important de connaître les possibilités et les limites de chacun de
ces types de question, pour les utiliser de la façon la plus adéquate. Le
choix dépend surtout de certains facteurs liés à la situation. D'abord de
l'objectifdu questionnaire, du groupe de questions ou de la question elle-
même. Les questions fermées conviennent parfaitement lorsqu'il s'agit
d'obtenir des réponses simples, tendant à classer l' enquêté dans une caté-
gorie au critère précis : marié, divorcé, ou boit de la bière, ou du vin, etc.
Si l'on cherche à en savoir davantage, à obtenir de l'enquêté des ren-
seignements plus particuliers, on doit lui laisser expliciter son opinion et
il est bien évident qu'une question ouverte s'impose.
A la question fermée : « Avez-vousaimé tel film ? » posée à 100 personnes on
peut obtenir 65 réponses «oui» et 35 «non». Avec la question ouverte, on
obtient des réponses beaucoup plus riches. Certains auront aimé le jeu de telle
actrice; d'autres, avant tout la beauté des images, ou l'ambiance. L'un sera
enthousiaste et l'autre simplement satisfait. Les 65 oui, comptés ensemble, pré-
sentent donc des différences importantes, en ce qui concerne les raisons de leur
opinion, leur intensité, le niveau de leur information et celles-ci n'apparaissent
pas dans les réponses à une question fermée.
Le niveaud'informationde l'enquêtésur lesujet et sa possibilitédeformuler
une opinion constituent des facteurs importants à prendre en considéra-
tion. Si l'on pose à des syndicalistes des questions fermées, concernant un
problème professionnel qu'ils connaissent bien, le oui ou non a des
chances de correspondre à leur opinion, qui est déjà structurée et s'ex-
prime sans hésitation. En revanche, la question ouverte est préférable,
lorsque l'on ignore le niveau d'information des sujets, ou lorsqu'il risque
d'être insuffisant ou inégal. De même, lorsque !'enquêté a une idée sur le
problème, mais n'est pas capable de l'exprimer clairement, il risque de
donner au hasard un oui ou non hâtif, alors qu'une réponse plus longue,
lui permettant d'indiquer ses hésitations, de raisonner tout haut, donne-
rait une vue plus juste de son opinion.
Questions ouvertes et questions fermées, diffèrent également quant au
stimulant qu'elles exercent sur }'enquêté, pour l'inciter à répondre.La
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 683

question fermée demande moins d'effort. On a vite dit oui ou non. De


plus elle paraît moins personnelle, on se livre moins dans un choix
rapide. La question fermée recueillera parfois moins de non-réponses,
mais cet avantage est compensé par l'incertitude sur leur sincérité. L'en-
quêté embarrassé camoufle plus facilement sa gêne dans une question
fermée, que dans une question ouverte. Dans ce cas, il est donc préférable
de prévoir des questions ouvertes.
Enfin le choix de la question ouverte ou fermée dépendra aussi de la
connaissance qu'al'enquêteur delasituation.Si l'on n'a pas une idée précise
des problèmes avant de composer le questionnaire, il est utile de faire des
interviews à réponses libres, donc ouvertes, pour recueillir des données.
Le plus dangereux n'est pas d'ignorer le problème, mais de s'imaginer
le connaître et de préparer des questions fermées qui ne le concerneront
pas.
Un exemple connu des inconvénients des questions fermées, est celui que
donnent Crutchfield et Gordon 1.Un questionnaire comp~enait la question sui-
vante: « Après la guerre, aimeriez-vous que l'on fasse aux Etats-Unis des change-
ments et des réformes ou préféreriez-vous que le pays reste à peu près ce qu'il était
avant la guerre ? » La plupart des réponses optaient pour le statuquo.L'expérience
recommencée avec la meme question, suivie de sous-questions ouvertes, révéla
que les enquêtés avaient répondu à cette question en la comprenant de façons
très différentes. Totaliser les oui faussait donc la réalité, chacun des enquêtés vou-
lant le statuquosur un point, celui qu'il avait envisagé, mais acceptant des chan-
gements sur les autres, qu'il ne mentionnait pas.
692 Avantages et inconvénients ◊ Alors que la question fermée risque de
susciter ae la part de l' enquêté une réponse fausse, la question ouverte
offre surtout des possibilités d'erreur d'interprétation par l'enquêteur, des
difficultés pour noter exactement la réponse, et surtout la classer. La
question fermée permet d'additionner simplement et donc de classer faci-
lement les réponses positives et négatives, tandis que la question ouverte
oblige à classer en catégories des réponses variées et complexes, à procéder
à une analyse de contenu délicate et coûteuse. L'entretien à réponses
ouvertes, tant par la qualification requise des enquêteurs, que par les dif-
ficultés du dépouillement, est infiniment plus onéreux et plus compliqué
que le questionnaire à réponses fermées. C'est pourquoi il est à conseiller,
autant que le sujet le permet, de poser le plus de questions fermées pos-
sibles, quitte à poser quelques questions complémentaires pour obtenir
des précisions.
Les questions fermées offrent encore quelques avantages, elles per-
mettent parfois de« filtrer» les enquêtés à partir de certaines réponses et
ainsi de gagner du temps, en évitant de nombreuses sous-questions. La
question fermée: « Avez-vous des enfants?» permet d'éviter de poser
aux enquêtés répondant non, d'autres questions concernant les rapports
entre parents et enfants.
Enfin les questions fermées servent parfois d'introduction facile pour
mettre !'enquêté en confiance. Leur inconvénient majeur, c'est la façon
1. Cité in C. F. Canne!, R. L. Kahn (1959), p. 412.
684 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

dont elles limitent les réponses. Elles conviennent particulièrement aux


situations dans lesquelles les cadres de référence sont restreints et le
nombre de réponses possibles également. Le cas type est représenté par la
question d'état civil.
693 Les questions préfonnées 1 ◊ Pour tenter de corriger les avantages et
les inconvénients des questions ouvertes et fermées, on a été amené à
proposer un moyen terme: les questionspréformées.Les réponses n'y sont
ni fermées, ni libres, mais en quelque sorte préparées.
Elles offrent plus de choix que les questions fermées, donc permettent
de rassembler des réponses plus complètes, tout en demeurant plus
faciles à classer que les réponses aux questions ouvertes.
Exemples2 :
Questionfermée: D'après vous « être français» est-il ce qui vous défi.nit le
mieux?
oui
non
ne sait pas
sans réponse
Les réponses sont limitées par la question qui ne prévoit« qu'être français».
Questionouverte: Quelles sont les caractéristiques qui vous définissent le
mieux?
Cette question ouverte risque d'attirer des réponses très hétérogènes, difficiles à
classer.
Questionpréformée: Parmi les caractéristiques suivantes quelles sont d'après
vous celles qui vous définissent le mieux ?
l'idéal ?
les convictions politiques ?
être français ?
être européen ?
la classe sociale ?
les convictions religieuses ?
être occidental ?
autres?
Cette forme de question aide l' enquêté à compléter ses souvenirs dans
le cas de faits précis, mais elle offre l'inconvénient de lui donner un
moyen d'éviter de dire « je ne sais pas » en lui suggérant une réponse, ce
qui est regrettable, surtout dans les questionnaires d'opinion.
La question préformée comporte toujours un « ou autres ... » 3 laissant
à l' enquêté une possibilité de réponse hors des choix prévus. Si l'on
obtient une grande variété de réponses autres, c'est que la préenquête a
été mal faite. Le questionnaire n'a pas prévu toutes les réponses possibles.
En résumé, on peut dire qu'au stade de la préenquête, dès que l'on veut
explorer des domaines complexes, comprenant une grande variété de
1. Parfois surnommées« cafeteria» ... parce que l'on a un certain choix.
2. In M. Grawitz (1971}.
3. Il est important de ne pas l'oublier.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 685

réponses, la question ouverte est la plus indiquée. Dans les autres cas, on
a intérêt à utiliser des questions préformées ou fermées, plus précises,
comparables et moins difficiles et onéreuses à totaliser.
694 Questions directes, questions indirectes ◊ Nous avons vu qu'il
existait une méthode directe ou indirecte pour conduire un entretien.
Mais, même dans une interview de style direct, on peut utiliser un certain
nombre de questions indirectes.
Certains sujets peuvent être considérés comme délicats : problèmes sexuels,
religieux, politiques, questions raciales. Une question posée directement : « ttes-
vous pratiquant ? » « A quel âge avez-vous eu votre première expérience
sexuelle ? » « A quel parti appartenez-vous ? », risque non seulement de provo-
quer une réponse fausse, mais encore de gêner !'enquêté ou même l'enquêteur et
de perturber la suite de l'interview.
Si l'on ne veut pas sacrifier une question délicate, du moins faut-il
essayer, par sa forme, de faciliterla réponse. Une question ne doit jamais
mettre le sujet dans la nécessité de donner une réponse socialementinac-
ceptable,c'est-à-dire de l'obliger à révéler sur lui-même un fait ou une
opinion, lui paraissant peu conforme à sa situation sociale, familiale, ou
capable de susciter la désapprobation de l'enquêteur. Celui-ci doit mon-
trer par son attitude que toutes les réponses l'intéressent et qu'il s'abs-
tient de juger. Mais il ne doit pas risquer de heurter l'enquêté par une
question.
La question délicate doit être libellée de façon à rendre normale n'importe
quelle réponse. C'est ainsi que A. C. Kinsey (1943) déclare qu'il vaut mieux
demander : « A quel âge avez-vous embrassé un jeune homme ou une jeune fille
pour la première fois?» laissant par là supposer que c'est normal de l'avoir fait,
plutôt que: « Avez-vousdéjà embrassé un jeune homme ou une jeune fille?»
Parfois la question indirecte consiste à prendre un détour et à demander à l'en-
quêté de répondre à la place d'une tierce personne imaginaire : « Que pensez-
vous que M. X éprouve dans telle situation? ... » Enfin l'approche peut être encore
plus indirecte, c'est le cas des tests projectifs (cf. n° 755).

695 c) Troisième étape. Le libellé de la question: le choix des


mots ◊ Il s'agit ici d'une étape difficile et importante du questionnaire.
Sur ce point les témoignages concordent.
Samuel Stouffer (1950) affirme que les erreurs d'échantillonnage ou de distri-
bution sont peu importantes, comparées aux variations dues au libellé des ques-
tions. Les causes d'erreurs suivantes sont le plus souvent mentionnées 1 :
choix des mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 %
mauvaises interprétations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 %
erreurs d'échantillonnage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 %
insuffisance des méthodes statistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 %
Tous ceux qui ont une certaine expérience des enquêtes se souviennent
de leurs déceptions devant l'incompréhension d'une question qui leur
1. Cité in S. L. Payne (1951), p. 5 (chaque expert a cité plusieurs causes d'erreurs).
686 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

semblait claire. Le libellé des questions demeure un point névralgique, sur


lequel on fait peu de progrès. Il y a à cela deux raisons : la première est
qu'il n'y a pas de spécialiste du choix des mots et de la rédaction. Alors
que les statisticiens ont pu faire progresser les problèmes de sondages, en
s'y attachant exclusivement, tout le reste de l'enquête est du ressort d'un
même individu. Pour l'animateur de la recherche, la formulation du
questionnaire, même s'il en reconnaît l'importance, n'est qu'un des mul-
tiples problèmes qu'il doit résoudre. La spécialisation est difficile à envisa-
ger, car le questionnaire n'est pas seulement lié en bloc à l'objectif de
l'enquête, comme l'échantillonnage, il l'est encore plus intimement par
les fibres de chaque question.
Il existe une deuxième raison, d'ordre psychologique, c'est qu'il est dif-
ficile, pour un chercheur, d'imaginer à quel point les enquêtés peuvent
être étrangers à son propre univers et souvent même à son langage. Ce
n'est pas seulement une question d'ignorance du public, mais surtout de
différence de réactions. L'enquêteur a tendance à méconnaître les dif-
férentes façons dont la question peut être comprise 1.
Pour avoir une idée des erreurs et les dépister, il faut penser au but que
poursuit la question et imaginer tout ce qui menace son caractère essen-
tiel, qui est de constituer un moyende communicationréel.C'est dire que
les mots employés par l'enquêteur doivent évoquer une idée semblable
chez }'enquêté et l'inciter à répondre sur ce point.
La compréhension du message, soit de la question à l'aller, soit de l'in-
formation au retour, peut être compromise par un certain nombre de fac-
teurs, que l'enquêteur doit neutraliser ou du moins surveiller.
696 Ce qu'est une bonne question ◊ Sur le plan du seul libellé, une
bonne question est d'abord une question qui suscite une réponse conte-
nant l'information cherchée.
Par exemple les questions suivantes : « Quelle est la marque de chocolat que
vous consommez ? » ou : « Quelle est votre marque préférée ? » provoquent des
réponses contenant des renseignements d'ordre différent, car on peut aimer la
marque A et consommer la marque B, parce qu'elle est moins chère.
Ensuite, une bonne question n'exerce pas d'influence sur le sens de la
réponse. La mauvaise question est celle qui, par sa formulation, incite à
une réponse, soit ne correspondant pas à l'information cherchée, soit
inexacte. Les mots et tournures de phrases employés modifient l' expres-
sion de la réponse, donc faussent les résultats.
L'influence exercée par la question peut aller de l'erreur, si la question,
rédigée en termes ambigus, est mal comprise, à l'orientation plus ou
moins énergique de l' enquêté dans tel ou tel sens. C'est ce qu'on appelle
le biais,c'est-à-dire une influence non prévue de la question. Cette possi-
bilité d'influence sera plus ou moins forte, plus ou moins apparente et
s'exercera sur un nombre variable d'enquêtés.
1. C'est pourquoi, nous l'avons vu, au stade du libellé des questions, des étudiants, même sans
connaissances spéciales, sont utiles.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 687

Il faut noter au départ, que le seul fait de poser une question attire l'at-
tention sur le problème, comme le rayon lumineux modifie le comporte-
ment de l'atome observé. Toute question, si neutre ou objective soit-elle,
exerce par elle-même une influence, à laquelle les enquêtés seront plus ou
moins sensibles.
Pour être rigoureux, il faut donc bien noter que tout échantillonnage,
du seul fait qu'il représente le lot des gens questionnés, ne peut être par-
faitement représentatif de ceux qui ne le sont pas. C'est-à-dire qu'un son-
dage d'opinion n'indique pas ce que les gens pensent, mais seulement ce
qu'ils disent qu'ils pensent quand ils sont interrogés.La plupart des gens
ont des opinions tranchées sur les problèmes qui les touchent de près.
Dans ce cas, la manière dont la question leur est posée importe moins,
car elle ne modifie pas la réponse, mais un grand nombre d'enquêtés
expriment une opinion, seulement parce qu'on le leur demande. En fait,
ils n'en ont pas sur tous les sujets abordés et sont prêts à répondre n'im-
porte quoi aux questions se référant à des problèmes auxquels ils n'ont
pas réfléchi. Dans ce cas, la moindre incitation cont.enue dans la ques-
tion fixera la réponse. Autrement dit, le libellé de la question prend tout.e
son importance, lorsqu'il s'agit d'individus plus ou moins influençables,
ayant des opinions peu affirmées. Cela représente un nombre indéter-
miné d' enquêtés sans opinion, qui risquent de basculer dans le camp des
oui ou des non, sous la simple influence de certaines questions.
Il est donc important, pour éviter de telles erreurs, de savoir qu'une
question, par son seul libellé, peut influencer la réponse.
697 d) Quatrième étape. Nombre et place des questions ◊ A cette
étape du travail, les questions étant libellées, il est bon de vérifier leur
contenu, pour le cas où certaines feraient double emploi. D'autres, au
contraire, pourraient être trop générales, correspondre à deux idées et
mériteraient dans ce cas, pour la clarté de la réponse, d'être décomposées.
Nombre des questions.- En admettant que toutes les questions soient
utiles et correctement libellées, se pose le problème du nombre des ques-
tions. Il n'y a pas de critère sûr. La longueur du questionnaire doit être le
résultat d'un compromis, entre le domaine à parcourir et le temps que
l'on suppose pouvoir obtenir de l' enquêté.
Pour des interviews d'opinion, auprès d'un échantillon non caracté-
risé, il convient de ne pas dépasser 3 5 à 40 questions. Ceci donne la pos-
sibilité aux gens pressés de répondre rapidement, en vingt minutes, et aux
autres de ne pas dépasser une heure.
L'ordre des questions,la façon dont elles se suivent, est également
importante. D'abord la place des renseignements signalétiques : état civil,
profession, etc. Ici encore tout dépend du sujet de l'enquête. Des candi-
dats aux élections législativessont habitués à décliner leur nom et qualité
et cette entrée en matière permet de faire connaissance. Au contraire,
dans une enquête d'opinion faite à domicile, commencer par des ques-
tions de ce genre aurait une allure policière et inquisitoriale gênante. Ces
renseignements rejetés à la fin de l'entretien, lorsque le contact a été éta-
bli, passent au contraire fort bien.
688 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

Le questionnaire doit, autant que possible, suivre un ordre logique,


plus facile à retenir pour l'enquêteur et moins traumatisant pour !'en-
quêté, c'est-à-dire que les questions doivent paraître se suivre naturelle-
ment, chacune étant issue de la précédente sans rupture brusque 1. Il est
parfois utile de faire précéder une question d'opinion, d'un certain
nombre de questions de faits qui s'y attachent.
Par exemple, interrogeant des jeunes sur leur attitude envers leur travail, on
peut leur demander comment ils ont été amenés à travailler dans cette entreprise,
s'ils ont leur C.A.P., etc. 2 .
Un lien, souvent non apparent, existe entre la réponse à une question
et celles qui suivent. L'enquêté est plus ou moins consciemment
influencé par l'opinion déjà émise. C'est l'effet de « halo » ou de « conta-
gion». Par exemple 3 :
A. Pensez-vous que les États-Unis doivent autoriser les citoyens américains à
s'engager dans l'armée allegiande?
B. Pensez-vous que les Etats-Unis doivent autoriser les citoyens américains à
s'engager dans l'armée britannique ou française?
A. B. B.A.
QuestionA
oui................................................. 22 31
non................................................ 74 61
sans opinion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 8
QuestionB
oui................................................. 40 54
non................................................ 54 46
sans opinion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 9
L'enquêté, inconsciemment, est influencé par la réJ?onsequ'il a faite à la pre-
mière question. Dans des cas semblables on a intérêt a éloigner les questions les
unes des autres.

698 4° Les causes d'erreurs. a) Erreurs propres à tous les types de


question o Les premières mesures à prendre concernent la clarté, la
compréhensiongénéraleet le sens de la question.
La question, pour être bonne objectivement, doit l'être à l'égard de tous
les enquêtés.
Il faut éviter les questions trop larges, les termes vagues, par exemple : « Est-ce
que notre pays devrait être plus actif sur la scène internationale ? » Qui est le
pays : est-ce le gouvernement ? le Président de la République ? le ministre des
Affaires étrangères ? Que signifie plus actif : des traités, des motions ? La scène
internationale : l'O.N.U ..., la diplomatie ? Les défauts de cette question pro-

1. Tout le monde n'est pas d'accord sur ce point. Avec des enquêteurs inexpérimentés cela vaut
tout de même mieux. Mais il faut éviter que l'individu ne soit entraîné à un certain type de réponses
par l'enchaînement logique des questions. Cf. l'effet de halo.
2. Parfois aussi une question ouverte, concernant le passé récent, est utilisée pour aider !'enquêté
à reconstituer ses souvenirs et à donner une réponse exacte à une question d'opinion.
3. Cité in C. F. Cannell, R. L. Kahn (1953).
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 689

viennent d'un manque de précision dans l'objectif poursuivi. Que peut-on espé-
rer d'une demande libellée de façon aussi lâche? La première condition, pour
obtenir une bonne formulation de la question, c'est d'avoir bien présent à l'esprit
ce que l'on cherche à savoir.
Sont à écarter, pour les mêmes raisons, les questions concernant un
avenir ou un passé trop lointains, qui ne peuvent rien viser de précis.
Il est recommandé de poser des questionscourtes,pour ne pas exiger de
l'enquêté un effort d'attention ou de mémoire trop intense. Une rédac-
tion confuse, trop longue, trop complexe, multiplie les risques d'erreurs.
De même il ne faut pas poser plusieurs questions dans la même, sous
peine de ne pas savoir à quoi il est répondu.
Exemple : « Avez-vousvoyagé en Afrique et en Amérique ? Avez-vousdes amis
à l'usine et en dehors ? » Il vaut mieux dans ce cas poser deux questions.
Les conseils que l'on peut donner à ce niveau sont ceux qui relèvent
surtout du bon sens et du bon usage de la langue française. Lorsque les
questions s'adressent à une population tout-venant, le plus sûr est de
s'exprimer dans un langagehabituel,d'employer des termes simples, mais
précis, ne laissant pas de marge d'appréciation. Car cette marge dépend
de l'expérience vécue par l' enquêté, de son genre de vie, etc. Elle est donc
éminemment subjective. La notion de niveau objectif de clarté d'une
question demeure, en effet, très théorique. Dans le concret, le question-
naire vise certains problèmes et s'adresse à des individus qui peuvent pré-
senter certaines caractéristiques: groupes d'ingénieurs, d'ouvriers, d'étu-
diants, ou au contraire composer un échantillon de population sans traits
particuliers.
Une grande part des problèmes du libellé des questions se pose surtout
en fonction des enquêtés. Il ne s'agit plus ici seulement de grammaire.
L'expérience du chercheur apparaît nécessaire, pour résoudre ces pro-
blèmes d'adaptation de la formulation desquestionsau niveaudes enquêtés.
699 Le niveau d'information ◊ Le chercheur doit d'abord évaluer le
niveau d'informationdes enquêtés sur le sujet en question. C'est cela qui
déterminera leur compréhension et la richesse de leur vocabulaire. Il est
donc prudent de considérer les termes techniques en fonction du milieu
enquêté.
Leterme O.S., par exemple, sera plus stlrement compris par un ouvrier que par
un étudiant Si un mot est indispensable, mais risque d'être incompris, on peut
en donner une rapide définition. Exemple : « Avez-vous entendu parler de
l'O.N.U. ou Organisation des Nations Unies ? »
Cette mise au niveau de l'enquêté ne signifie pas qu'il faille parler
argot L'important n'est pas que ce dernier perçoive l'enquêteur comme
quelqu'un de tout à fait comme lui, mais comme quelqu'un qui peut le
comprendre.Le libellé de la question ne doit pas rompre cette impression
et éviter ainsi que l'enquêté ne réponde n'importe quoi, soit parce qu'il
n'a pas compris, soit parce qu'il redoute de n'être pas lui-même compris.
690 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

Il est parfois utile d'adapter les enquêteurs au niveau de leur enquête 1.


En règle générale, quel qu'il soit et quel que soit le sujet de l'enquête,
qu'ils s'agisse d'élevage, de crédit ou de science atomique, le langage
employé dans le questionnaire doit le plus possible correspondre à celui
qu'emploient les enquêtés eux-mêmes.
700 Le cadre de référence ◊ Une question peut être mal comprise du fait
du cadrede référencedu sujet, c'est un deuxième point important à surveil-
ler.
Jeune ne signifie pas la même chose à vingt ans et à cinquante. Pour l'habitant
d'un village, la petite ville la plus proche paraîtra une grande ville. Parfois la ~r-
sonne qui pose la question, ou le cadre dans lequel elle se situe, suffisent a la
compréhension. I.e « comment ça va ? » du contremaître à l'ouvrier, sur les lieux
de travail, n'attire pas le même genre de réponse que la même question posée par
le médecin dans son cabinet ou un ami dans la rue. Il y a parfois intérêt à speci-
fier le contexte, dans la question même : « Comment cela va-t-il sur le plan
financier ? » Parfois, les soucis de l'individu interrogé sont tels, que toute ques-
tion amènera une ré~onse en fonction de ses difficultés. On a donc intérêt à les
connaître. Un enqueté, interrogé sur son travail, insistera beaucoup sur son
aspect fatigant, si le médecin vu la veille, lui a conseillé le repos.
Le cadre de référence n'est pas toujours aussi personnel, mais de toute
manière, il déterminera le sens de la communication, donc la réponse de
l' enquêté. Suivant le type d' enquêté, en tout cas au stade de la préen-
quête, le chercheur peut être intéressé par le découverte des facteurs qui
déterminent le sens des réponses, plus que par les réponses elles-mêmes.
Il est donc utile de prévoir des questions, donnant des indications sur un
cadre de référence implicite. A propos de la circulation, ou du prix de l'es-
sence, il est bon de savoir si l' enquêté a ou non une voiture.
Le libellé de la question doit permettre à tous les enquêtés, de la
comprendre de la mêmefaçon, quel que soit leur niveau d'information ou
leur cadre de référence et d'y répondre en fonction de l'objectif de la
recherche!
Un exempJe souvent cité est celui d'un recensement de population active,
effectué aux Etats-Unis2 • A la question : « Avez-vousaccompli un travail payé ou
pour un profit la semaine dernière ? » un grand nombre d' enquêtés avaient
répondu en fonction de leur activité principale seulement, d'où une sous-
estimation du nombre des travailleurs. Le questionnaire suivant fut alors
décomposé en spécifiant, à côté du travail principal, les activités secondaires
rémunérées.
Il faut enfin, pour unifier l'état d'esprit et les réponses des enquêtés,
que l'objectif poursuivi et le lien de chaque question avec le but de l'en-
quête, leur apparaissent à tous, quelle que soit leur propre expérience,
sinon dans toutes leurs implications,du moins dans leurs grandes lignes.
L'enquêté doit percevoir la question comme relevant du domaine à explo-
1. A. C. Kinsey(1943) indique que c'est grâce à une bonne connaissance du milieu qu'un enquê-
teur, interrogeant un souteneur, a pu lui poser des questions intéressantes.
2. In R. C. Kahn, C. F. Canne! (1957), p. 120.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 691

rer. Bien entendu, ceci ne dépendra pas seulement des questions elles-
mêmes, mais aussi de la façon dont l'enquêteur aura expliqué ses objec-
tifs et su créer un climat de coopération.
Les candidats aux élections législatives répondaient volontiers aux questions
concernant leurs idées politiques, parce que cela leur paraissait naturel, mais se
montraient beaucoup plus réticents sur les questions plus personnelles telles que :
« Aimez-vous commander ? » dont ils voyaient moins bien l'utilité 1. Les ques-
tions de revenus, de salaires, suscitent souvent des difficultés et nécessitent plus
que d'autres d'être justifiées par des explications.
Il ne faut pas avoir, comme certains enquêteurs, la phobie des réponses
« je ne sais pas» ou « je n'ai pas d'opinion». Au contraire, on a parfois
remarqué que des enquêteurs expérimentés recueillaient, plus que
d'autres, des « je ne sais pas» correspondant mieux à la réalité. Sans
doute, lorsque de telles réponses sont nombreuses, peuvent-elles indiquer
que le problème n'intéressait pas la population interrogée ou qu'il était
mal formulé. Il n'est pas sans intérêt de le savoir et, de toute façon, un
renseignement vrai vaut toujours mieux que des réponses erronées et des
statistiques fausses.
701 Les mots ambigus ◊ On doit, avons-nous dit, sauf exception, éviter
les mots techniques ou trop abstraits et utiliser des mots d'un usage cou-
rant Le langage habituel se contente d'à peu près et les mots usuels, le
plus souvent, prennent leur sens dans le contexte où ils sont placés.
S. L Payne (1951) conseille de se demander, à propos de chaque mot: 1° s'il
signifie bien ce que l'on veut dire; 2° s'il n'a pas d'autre sens et dans ce cas, si le
contexte le précise suffisamment ; 3° s'il ne peut être confondu (par oral ou écrit)
avec un autre mot; 4° si l'on ne peut trouver un autre mot ou une autre tournure
plus usuels, plus clairs.
Une simple expérience de chercheur permet de repérer un certain nombre de
questions telles que : « Allez-vous souvent au cinéma ? » « Lisez-vous beau-
coup?» qui ne signifient rien, car un enquêté répondra: « oui beaucoup», pour
deux livres par mois et l'autre:« non», pour deux livres par semaine. La question
doit être précisée, par exemple : « Allez-vous au cinéma plus d'une fois par
semaine, plus d'une fois par mois ? »
« Que faites-vous maintenant? » L'ambiguïté combinée du verbe faire et de
l'adverbe maintenant, pourrait inciter un enquêté facétieux à déclarer: « Je
réponds à des questions idiotes... » Il vaut mieux dire : « Quelle est votre profes-
sion actuelle ? »
Actuellement est aussi un mot qui peut être ambigu. « D'après vous, la situation
économique de la France, actuellement, est-elle satisfaisante ? » ceci signifie-t-il
cette année, depuis trois mois ... ?
Leterme combien,s'il n'indique pas les termes de la mesure, peut parfois attirer
des réponses trop variées : soit un pourcentage ou des chiffres absolus, des poids,
des quantités, etc.
Le mot connaftreprête à des interprétations différentes, l'un répondra qu'il
connaît M. X parce qu'il sait qui c'est, qu'il l'a vu à la télévision, un autre plus
exigeant dira qu'il ne le connaît pas, alors qu'il l'a salué quelques minutes aupara-
vant, mais il voulait indiquer par là qu'il ne le connaissait pas bien.
1. Cf. M. Grawitz (1961).
692 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Le terme où : « Où avez-vous lu cette nouvelle ? » - dans le journal, dans la


rue, dans une chambre, au coin du feu ?
Le mot vous, qui paraît simple et clair, peut également prêter à confusion.
« Combien avez-vous de chômeurs?» indique qu'il s'agit de la firme, mais:
« Combien avez-vous vendu de livres ce mois-ci ? » peut viser spécialement tel
vendeur, ou tel rayon, ou la librairie tout entière.

702 Mots et tournures de phrases empêchant la question d'être


neutre ou objective ◊ En dehors des mots prêtant à confusion, il faut
se méfier également des mots chargés émotivement,
car ils risquent d'in-
fluencer la réponse.
Aux États-Unis, la dernière semaine d'octobre 1941, avaient été posées les
questions ~uivantes :
A. Les stats-Unis doivent-ils maintenant entreren guerre? 24 % Oui.
B. Les Etats-Unis doivent-ils maintenant déclarerla guerre à l'Allemagne?
17 % Oui.
L'_~xpression« déclarer la guerre » évoquait un acte engageant la responsabilité
des Etats-Unis de façon plus redoutable.
De même le mot famine: « Faut-il envoyer des vivres pour vaincre la
famine?» attire plus de oui que « Faut-il envoyer des vivres?»

703 Utilisation des tendances psychologiques ◊ Certaines tendances


sont assez généralement répandues et connues pour que les question-
naires tendancieux les utilisent
C'est d'abord la tendance à dire oui plutôt que non, qui semble assez
universelle. Or, suivant comment est libellée une proposition, la même
opinion peut s'exprimer par un oui ou un non. Les questions posées aux
référendums tiennent compte de ce fait
C'est ensuite la résistance
au changement. On a constaté aux États-Unis
que les propositions évoquant dans leur libellé un changement, provo-
quaient un sentiment d'opposition.
En septembre 1939 furent posées les deux questions suivantes:
A. Pensez-vous que le Congrès devrait modifierla loi de neutralité, pour que la
France et la Grande-Bretagne puissent acheter du matériel de guerre ?
B. Pensez-vous que la France et la Grande-Bretagne devraient pouvoir acheter
du matériel de guerre dans notre pays ?
A B
oui................................................... 53 % 61 %
non . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 % 31 %
sans opinion ................................. .,........ 14 % 8%
A. Seriez-vous favorablç à l'addition d'une loi à la Constitution, pour empê-
cher que le Président des Etats-Unis puisse se présenter à un troisième mandat?
B. Seriez-vq_usfavorable à un changementde la Constitution,pour empêcher un
Président des Etats-Unis de se présenter à un troisième mandat?
A B
oui ........................................... , ........ 36% 26%
non .................................................. 50% 65%
sans opinion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 % 9%
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 693

On a également constaté une certaine différence, entre ce que les gens


disent lorsqu'il s'agit d'eux-mêmes ou des autres. Une certaine forme de
personnalisationde la questionsemble influencer la réponse.
« Êtes-vous d'accord pour penser que certaines mesures devraient être prises,
même si cela signifie davantage d'impôts ? » a obtenu un pourcentage plus élevé
de oui, que le libellé indiquant : « même si vous avez à payer des impôts supplé-
mentaires. »

704 Les références ou influences extérieures ◊ Dans certains cas, le fait


de rappeler dans la question la position prise sur le problème par une per-
sonnalité modifie le résultat 1.
A Il a été dit récemment qu'en vue d'éloigner les Allemands du Nord et du
Sud de l'Amérique, nous devrions les empêcher de capturer les îles de la côte ouest
de l'Afrique. Pensez-vous que nous devrions tenir les Allemands éloignés de ces
îles ?
B. Le deuxième libellé commençait par : « Le Président Roosevelt a dit, etc. »
avec le nom sans le nom
de Roosevelt de Roosevelt
oui........................................ 56% 50%
non........................................ 24% 21 %
sans opinion................................ 20 % 29%
Nous voyons ici, d'une part, décroître le nombre des sans opinion lorsque joue
la référence à Roosevelt et, d'autre part, augmenter le nombre des oui, ce qui
confirme ce que nous avons déjà dit: l'influence du libellé de la question est sur-
tout sensible sur les enquêtés n'ayant pas d'opinion, donc le plus souvent sur les
problèmes qui les touchent moins.
La référence joue aussi dans le sens négatif. La mise en cause d'un personnage
connu, mais peu populaire, augmentera le pourcentage des opinions opposées à
la sienne 2 .
A Lindbergh dit que si les Allemands gagnent la guerre, les États-Unis doivent
essayer d'avoir avec l'Allemagne des relations commerciales et diplomatiques
amicales. Êtes-vous d'accord avec cette opinion ou non?
La réputation de Lindbergh d'être favorable aux Allemands suffit pour aug-
menter l'opposition à l'opinion qu'il soutient.

705 b) Causes d'erreurs particulières à certains types de questions:


Les questions ouvertes ◊ Si !'enquêté n'a pas compris une question
ouverte, sa réponse le révélera. Le danger est donc moins grand qu'avec
les questions fermées. La difficulté du libellé se situe plutôt sur le plan de
l'efficacité de la question. Dans quelle mesure peut-on« ouvrir» laques-
tion, pour obtenir tout de même des réponses comparables et en relations
avec le sujet ? Il est recommandé d'aller du plus général au particulier. Les
premières questions abordant un problème nouveau peuvent être larges.
elles sont ensuite complétées par des questions aidant à préciser davan-
tage.
1. In C. P. Canne!, op. dt.
2. Cité in C. P. Canne!, op. dt.
694 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

706 Les questions fennées et préformées ◊ Les questions fermées et


préformées, du fait de leur precision, nécessitent un certain nombre de
précautions, pour ne pas sembler ambiguës ou susciter des réponses
fausses.
La formule consistant à remplacer l'énoncé du deuxième choix par un « ou
pas», est dangereuse, car on peut parfois se demander à quel terme s'applique le
oui ou le non de la réponse. Toute alternative peut prêter à confusion: « Votre
chiffre d'affaires est-il meilleur ou pire qu'il n'était il y a un an?» Si !'enquêté
répond« il était meilleur», on peut penser qu'il s'agit du passé, mais s'il répond
seulement « meilleur » cela peut aussi se rapporter au présent.
La position de deux propositions à l'intérieur de la question, peut aussi exercer
une influence sur la réponse. Par exemple :
A. Pensez-vous que les États-Unis entreront en guerre en Europe, ou pensez-
vous qu'ils resteront en dehors ?
B. Pensez-vous que les États-Unis resteront en dehors de la guerre en Europe
ou pensez-vous qu'ils y entreront ?
La proposition venant en dernier reçoit quelques oui de plus. Si la question est
un peu complexe, ou longue à écouter, à comprendre, ou à retenir, l' enquêté a
tendance à ne retenir que la fin et à approuver.
La question dichotomisée a l'avantage de la clarté, mais elle oppose
deux extrêmes, qui peuvent ne pas correspondre à l'opinion de l' enquêté.
Les deux positions proposées doivent en tout cas être de force égale, c'est-
à-dire présenter le même écart, par rapport à la moyenne, sans cela les
enquêtés sans opinion prendront la position la plus proche de la
moyenne. Mais ces opinions moyennes ou diversifiées existent, c'est
pourquoi on utilise les questionspréforméespour éviter ces possibilités
d'erreur.
Celui à qui l'on demande : « Allez-vous acheter une nouvelle voiture ? » peut
avoir envie de répondre : « Oui si je gagne davantage... si je vends mon bateau»,
etc.
Une autre série de dangers guette alors le chercheur. Nous avons vu, à
propos des inconvénients des questions « cafeteria », le cas où, la liste des
choix n'étant pas exhaustive, on omettait justement une des positions qui
aurait recueilli des adhésions, ou encore on risquait de suggérer à l'en-
quêté une idée qu'il n'avait pas. Il existe d'autres sources d'erreurs. Les
choix sont trop nombreux...l' enquêté ne peut pas les retenir tous et il
répond sans tenir compte de certaines possibilités. Pour éviter cet
inconvénient, il est conseillé d'avoir une carte à présenter aux enquêtés,
où sont inscrits à l'avance tous les choix possibles. Alors se pose à nou-
veau le problème des places privilégiées sur la liste.
On a remarqué, qu'invités à choisir des chiffres ou des pourcentages, les
enquêtés ont tendance à opterpour ceux du milieu. Raisonnement, ou prudence
instinctive? En revanche, s'il s'agit de points de vue énoncés sur une liste, c'est la
position de tête qui est la plus favorisee : 6 % par rapport au milieu de la liste, et
4 % par rapport à la fin. Sachant cela, il est utile de prévoir des cartes différentes,
sur lesquelles les listes seront modifiées, pour qu'une proposition ne soit pas pri-
vilégiée. Il est tout de même recommandé de ne pas prévoir trop d'options.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 695

Les questions préformées ont pour but de faciliter la répartition des


opinions, de la façon la plus proche possible de la réalité, c'est-à-dire en
permettant aux opinions moyennes de s'exprimer. Or chaque position
enlève un certain pourcentage d'adhésion aux autres. Il ne faut donc pas
que plusieurs positions soient trop voisines, ce qui diminuerait leurs voix,
en les partageant par rapport à d'autres opinions plus tranchées.
707 c) Le cas des sondages d'opinion politique 1 ◊ Un sondage d'opi-
nion par interview exige que soient totalisées des réponses semblables.
Ceci exige que tous les enquêtés comprennent la question en lui donnant
le même sens. Or la notion même de politique n'est pas perçue par tous
de la même façon. P. Bourdieu note 2 que de nombreuses questions
concernant un certain type de rapports sociaux ne sont pas perçues
comme politiques dans certains milieux populaires. Elles relèvent,
semble-t-il plutôt, d'une morale de type« petit-bourgeois» même si elles
mettent en cause la transformation de l'ordre social.

§ 4. Analyse et interprétation des interviews


Jusqu'à présent, nous avons insisté sur la nécessité d'établir un plan
d'enquête et un questionnaire, aptes à saisir les matériaux les plus signifi-
catifs par rapport à l'objectif et sur la façon de recueillir ces matériaux,
par des réponses :fidèleset valides. Grâce à ces éléments, le chercheur va
tenter de donner une réponse aux problèmes posés, à l'objectif même de
l'enquête. Nous soulignons une fois de plus l'étroite liaison entre les
diverses étapes de la recherche et, en particulier, la phase préliminaire de
détermination de l'objectif et la phase terminale d'analyse et d'interpréta-
tion des données.
708 1 ° La vérification ◊ Lorsque les entretiens sont terminés, on ras-
semble les comptes rendus pour analyser ce matériel et en tirer des
conclusions. L'ampleur et la difficulté de ce travail dépendent de l'objectif
de l'enquête et de la complexité des variables recherchées.
Vérifier les corrélations prévues par une hypothèse, représente une
tâche plus limitée que d'interpréter les résultats d'une enquête d'explora-
tion. Malgré ces différences, les étapes techniques sont cependant sen-
siblement les mêmes. Il convient d'abord de contrôlerles questionnaires.
Même avec des enquêteurs entraînés, ce travail est indispensable. Lors-
qu'il s'agit d'étudiants ou de néophytes, on est surpris de la difficulté
qu'ils éprouvent à respecter les consignes.
Le rapportd'entretiendoit êtrecomplet.- C'est le premier point à vérifier.
Parfois une réponse est laissée en blanc. Comment savoir si la question
n'a pas été posée, parce qu'elle gênait l'enquêteur, ou qu'il l'a oubliée, ou
si c'est }'enquêté qui n'a pas répondu et pourquoi? Souvent, }'enquêté a
1. Cf. n°' 720 et 720 bis.
2. P. Bourdieu (1971-1972).
696 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

déjà répondu dans une question précédente. Bien que le contexte l'in-
dique, il est préférable de le signaler.
On n'insiste jamais assez auprès des enquêteurs sur la nécessité absolue de ne
jamais laisser un blanc et de consigner le maximum d'indications complémen-
taires sur les silences, les hésitations de l'enquêté, le fait de répéter la question,
etc., ou de la reformuler, bref les incidents ou variations dans le déroulement de
l'enquête, qu'il est important de retrouver au stade de l'analyse des résultats.
Parfois les enquêteurs oublient de noter la durée de l'interview ou d'indiquer le
type de logement ou le lieu de l'interview, bien qu'il soit demandé. Lor~ue l'ana-
lyse a lieu peu de temps après les entretiens, l'enquêteur peut completer, après
coup, les éléments qui lui sont réclamés, dont il peut encore se souvenir, mais ce
n'est pas toujours le cas.
La concordance des réponses.- L'enquêté qui a répondu à la question 10 qu'il ne
prenait jamais de vin, ne devrait pas répondre à la question 20 qu'il supporte
mieux le bordeaux que le bourgogne 1.
Bien entendu, il ne s'agit pas de manipuler le texte des entretiens, mais de le
dégager des erreurs possibles de compréhension ou de transcription, en ne
conservant que les contradictions réelles, comme on le ferait pour un document
historique.
Rappelons aussi la différence entre l'interprétation d'une enquête par question
directe, dans laquelle l'information est prise dans son sens immédiat, supposé
identique chez l'enquêteur et !'enquêté, cas que nous envisageons ici, et l'inter-
prétation d'une enquête indirecte, dans laquelle le contenu analysé n'est pas celui
que suggère la question. Dans ce dernier cas, les contradictions, parfois laissées de
côté dans l'analyse directe, sont au contraire retenues.
L'uniformitédes réponses.- Tous les enquêteurs doivent avoir utilisé les mêmes
questions et, s'il y a lieu, les mêmes unites de mesure : jours, semaines, an, pré-
vues au moment du libellé des questions ; celles-ci doivent être vérifiées au stade
de l'analyse.
Combien de fois par mois allez-vous au cinéma ? Combien de litres (et non de
bouteilles) d'huile consommez-vous par semaine? Le calcul des heures de travail
des enfants comporte-t-il uniquement les heures de classe ou aussi le travail à la
maison ? etc.
La clarté ou la compréhension. - Si les enquêtés sont souvent confus
dans leurs explications, ce sont parfois les enquêteurs qui prennent mal
leurs notes. Elles doivent être lisibles et le plus proche possible de ce qu'a
dit l' enquêté.
709 2° Le rassemblement des questions ◊ La vérification étant faite, on
peut se demander si l'on doit étudier les interviews par personne, ou ras-
sembler les réponses de tous les enquêtés, question par question.
Cela dépend de ce que l'on cherche, car il est bien évident que ce qui
apparaît dans l'un et l'autre cas est très différent.
Un bon exem:{)lenous est donné par une enquête 2 étudiant l'influence exercée
par Pierre Mendes France sur ceux qui avaient participé à ses entretiens, lors de
ses tournées en province. La lecture des questionnaires un par un, campait fort

1. Cette contradiction a vraisemblablement une signification, il appartient au chercheur, suivant


les cas, de la trouver (cas des analyses de motivation) ou de ne pas s'y arrêter.
2. Non publiée.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 697

bien chaque personnage d'enquêté et son univers politique. Au contraire, la lec-


ture de toutes les réponses rassemblées, question par question, pulvérisait en quel-
que sorte les enquêtés. lls disparaissaient, mais en revanche, c'est le personnage
de P.M.F. qui se dessinait avec précision, tel que le voyaient les enquêtés et c'était
cela le but de l'enquête.
Dans une première étape, les réponses par enquêté doivent toujours
être examinées, car elles seules font apparaître les contradictions ou, au
contraire, le lien entre certaines questions qui se complètent Elles per-
mettent également de mieux juger le travail de l'enquêteur. Ce n'est
qu'ensuite que l'on aborde, s'il y a lieu, l'étude de toutes les réponses,
question par question. Ce tableau reflète mieux l'opinion globale de
l'échantillon sur un point précis, il est indispensable pour pratiquer une
analyse de contenu générale.
710 3° Le codage. a) L'établissement des catégories ◊ Cette opération
consiste à classer en catégories les diverses positions ou attitudes que
reflètent les réponses, pour permettre une présentation quantifiée des
résultats. Ceci comporte deux étapes: l'établissement des catégories et le
classement des réponses en fonction de celles-ci. L'opération de
«codage» consiste à établir les catégories d'une analyse de contenu.
Les questions fermées et préformées sont précodées par les options
qu'elles présentent. L'enquêté répond oui, non. « Que buvez-vous? vin
ou bière ? » - « Quel journal lisez-vous ? Figaro,Libération,Monde ? » Le
codage, prévu d'avance, est le plus souvent pratiqué directement par l'en-
quêteur et une simple addition permet de totaliser les diverses positions
prises par les enquêtés. En revanche, lorsqu'il s'agit de réponses à des
questions ouvertes, une véritable analyse de contenu s'impose. Suivant le
domaine de l'enquête, on peut avoir établi à l'avance un code plus ou
moins précis, des types de réponses que l'on s'attend à trouver et qui
représentent les variables que l'on veut mesurer. Favorable, défavorable,
indifférent, sont souvent utilisés dans les enquêtes d'opinion. Sur cer-
taines questions, qui relèvent davantage de l'exploration, on ne peut éta-
blir de catégories qu'après avoir pris connaissance de toutes les réponses
et de leurs divers contenus. Dans ce cas, il faut lire attentivement et plu-
sieurs fois, toutes les réponses, pour bien s'en imprégner, avant d'établir
les catégories essentielles.
Lorsque l'on a affaire à des étudiants non rémunérés et assez inexpérimentés,
la meilleure formule consiste à faire photocopier toutes les réponses, question par
question (chaque ensuêté apparaissant toujours sous le même numéro) et de dis-
tribuer ces réponses a de petits groupes de trois ou quatre. On confronte ensuite
les catégories établies par les divers groupes et le classement des réponses dans ces
catégories, en rappelant qu'elles doivent s'inspirer le plus possible des problèmes
soulevés par l'objectif de la recherche et écarter ce qui ne le concerne pas.
Comme nous l'avons dit pour l'analyse de contenu, toute la valeur d'un
codage dépend de la finesse et de la justesse de ses catégories. Elles requièrent de
l'intuition, de l'intelligence, la compréhension des problèmes qui se posent 1.
1. On se reportera au chapitre sur l'analyse de contenu pour ce qui concerne la technique d'éla-
boration des catégories et les conditions qu'elles doivent remplir. On indique seulement ici ce qui est
plus particulier au codage des interviews.
698 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

711 b) Analyse de contenu d'interviews ◊ Le codage d'interviews pré-


sente par rapport à l'analyse de contenu de documents, des facilités et des
difficultés. Facilité appréciable, le fait d'avoir en général moins de pro-
blèmes de choix d'unité d'enregistrement et de numération, tels que la
phrase ou la colonne de journal, la ligne ou les centimètres. Dans l'inter-
view, !'enquêté représente le plus souvent l'unité d'enregistrement 1.
En revanche, l'analyse elle-même semble plus complexe dans l'inter-
view. L'analyse de document se borne le plus souvent à la recherche de
thèmes et d'arguments, dont l'inspiration est quelquefois plus simple,
plus uniforme et par là plus facile à quantifier. Au contraire, le matériel
symbolique recueilli par des interviews à réponses ouvertes, est constitué
par des réponses très variées, parfois hétéroclites, à une même question.
Le problème consiste à découvrir, au-delà de ce matériel verbal, certaines
attitudes, certains traits personnels ou une structure cognitive.
712 c) Nombre de catégories ◊ Du fait de la variété des réponses pos-
sibles, se pose avec acuité le problème du nombre de catégories. Le plus
souvent, on trouve certains types d'opinion se regroupant autour de
points précis, avec des nuances que l'on peut retenir dans des sous-
catégories.
A la question : « Quel est d'après vous le rôle des femmes dans la nation ? »,
on trouve assez rapidement des réponses évoquant l'égalité réelle des sexes, alors
que d'autres préconisent l'égalité de principe, mais avec des réserves limitant le
rôle de la femme, au foyer, au domaine social, ou l'écartant de la scène politique ;
enfin d'autres réponses, nettement hostiles à toute égalité, considèrent la femme
comme différente et inférieure à l'homme.
Que faire lorsque certaines réponses regroupent un très petit nombre
d'enquêtés ? En matière d'opinion, le codeur est constamment pris entre
le désir de retenir chaque nuance, chaque position perçue dans une
réponse et la nécessité de réduire ces points de vue, en les regroupant,
d'une part, pour qu'ils indiquent vraiment une attitude, d'autre part, afin
que la carte puisse les contenir toutes. A partir de combien d'individus
peut-on constituer une catégorie et lui consacrer un enregistrement? Ici
tout dépend de l'intérêt de l'attitude que recouvre la catégorie. S'il s'agit
d'opinions aberrantes ou non significatives, on ne les comptabilise pas.
Parfois une attitude, même marginale, est très révélatrice et on ne peut
l'omettre. C'est au chercheur à décider. Il n'y a pas de règle générale, mais
on peut remarquer que l'impératif pratique : l'économie des enregistre-
ments, correspond aux exigences de la théorie : le regroupement néces-
saire des attitudes significatives.
713 d) Le classement des réponses ◊ Ce stade est celui de la vérification
des catégories. On les indique sur un tableau, question par question.
Chaque enquêté ayant un numéro d'ordre, on range ce numéro sous la
catégorie correspondante. En faisant ce classement, on vérifie d'abord
1. L'unité de numération est, dans ce cas, la réponse et il lui est attribué un numéro dans l'enre-
gistrement informatique.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 699

qu'aucune réponse n'a été omise et l'on s'assure ensuite, que les catégo-
ries retenues correspondent bien à toutes les attitudes comprises dans les
réponses.

RÉPONSE À IA QUESTION N° 10
Quel doit être d'aprèsvous le rôle desfemmes
dans la nation ?
Même rôle que ~lité de prtn-
les hommes, clpe mals avec
Rôledifférent
égalité sans
de celui Sans réponse
réserveen des hommes
réserve pratique

Nwnéro des 2 - 5 3 - 10 ............ ............


enquêtés ... 7 - 25 ............. ............ . ...........

Ici encore, il est indispensable de travailler en équipe. On commence par clas-


ser ce qui est indiscutable, en laissant de côté les cas douteux. Lesréponses ambi-
guës obligent parfois à se reporter à l'ensemble de l'interview, pour replacer la
réponse dans son contexte. Lorsque ceci est insuffisant, on décide au mieux, en
sachant qu'un certain nombre de réponses sont toujours marginales, par rapport
aux catégories retenues. A ce stade de vérification, on peut juger utile de créer une
sous-catégorie supplémentaire ou même, parfois, une catégorie nouvelle apparaît
nécessaire.

714 4° Validité et fide1ité du codage ◊ La validité d'un codage est diffi-


cile à apprécier. Il ne s'agit pas ici de celle de l'interview lui-même 1 ou des
réponses recueillies, mais seulement de la validité de la catégorisation et
du classement qu'elle implique. La validité comme dans toute analyse est
fonction, d'une part, du rapport existant entre le contenu à analyser et les
catégories retenues et, d'autre part, entre les catégories et les objectifs de
la recherche. Autrement dit, un codage offrant une quantification de
variables n'ayant pas de rapport avec celles que l'on veut étudier, ne serait
pas plus valide que la balance utilisée pour mesurer la taille. Le problème
ne semble pas avoir retenu particulièrement l'attention des spécialistes.
En revanche, plusieurs études ont été consacrées au problème de la
fidélité. On le conçoit, car l'accord entre les codeurs sur le classement des
réponses, est une garantie de leur pertinence sinon de leur subtilité. La
fidélité peut s'observer à un double point de vue: celui du même codeur
classant les mêmes réponses après un certain temps et celui de codeurs
différents travaillant sur les mêmes matériaux.
M. Durbin et A. Stuart 2 ont fait une expérience, comparant la façon de classer
de quatre professionnels et de quatre étudiants sur quatre questions fermées et

1. Cf. n°' 720 et s.


2. Cité in C.A. Moser (1958).
700 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

précodées et trois questions ouvertes, mais également précodées. Ils n'avaient


donc pas de catégories à établir, mais seulement des réponses à classer. On
compara les classements entre codeurs et les classements du même codeur. Les
questions ouvertes permirent de découvrir des variations assez importantes,
même chez les professionnels. Ceci pose un problème concernant la valeur de la
technique du codage. Il semblerait toutefois que ces différences d'appréciation
relèvent plutôt de la sélection et formation des codeurs que de la technique elle-
même.
715 Les codeurs ◊ Le problème de leur sélection et formation a été beau-
coup moins étudié que celui des enquêteurs. Pour percevoir les nuances
qui séparent telle réponse de telle autre, le codage exige des qualités de
subtilité et d'intuition. Un esprit superficiel ayant tendance à trouver les
choses simples, vite satisfait de ce qu'il entreprend, ne sera pas un bon
codeur. Ajoutons que si le codage ne peut pas être confié à des individus
trop rapides et superficiels, il faut également éviter les sujets lents et sur-
tout les indécis, qui n'arrivent pas à adopter une solution. Le codage
nécessite, en même temps que de la finesse, un jugement sain et le sens
de l'essentiel. Comme un questionnaire, un codage représente un
compromis, une simplification de la réalité, qui laisse le plus souvent un
sentiment d'insatisfaction.
Dans les enquêtesimportantes,il est fait appel à des codeurs spécialisés.
Certains prétendent que cela vaut mieux, car les qualités requises pour les
entretiens et le codage n'étant pas les mêmes, on ne peut exiger des enquêteurs
qu'ils les aient toutes.Les auteurs remarquent que le codage des questions fermées
ou précodées, est assez fastidieux et qu'en revanche l'analyse des questions
ouvertes demande un effort d'attention vite lassant. La capacité de travail des
codeurs baisse au bout de trois à quatre heures et il semble qu'il vaille mieux ne
faire ce travail qu'à mi-temps. Ce n'est en tout cas pas un métier auquel on puisse
envisager de se consacrer de nombreuses années.
Lorsqu'il s'agit d'une enquêtelimitée,ce sont souvent les enquêteurs qui
font aussi le codage des questions ouvertes non codées.
C'est en général le cas dans les enquêtes menées par des étudiants. La prépara-
tion et la mise en forme des résultats les intéressent, ils prennent ainsi une vue de
l'ensemble de l'enquête et peuvent comparer leurs réponses à celles des autres
enquêteurs. De plus le codage est un exercice pédagofiquement si remarquable,
qu'il serait dommage de ne pas les en faire bénéficier .
716 5° Le dépouillement ◊ Les cartes perforées (manipulées à la main)
peuvent conserver un intérêt lorsque le nombre des enquêtés est restreint.
Mais le traitement informatique est désormais le moyen le plus usité, et
l'usage des ordinateurs personnels s'est rapidement répandu.
Il n'est pas question de traiter ici du choix du logiciel dont le marché
est en constante évolution. La programmation particulière que peut
requérir une enquête importante par le nombre d'enquêtés interrogés ou
celui des questions posées doit être confiée à des spécialistes.
1. A notre avis peu de travaux pratiques affinent l'esprit, requièrent autant que l'analyse de
contenu, le sens des nuances et de la précision.
L'INTERVIEWOU ENTRETIEN 701

En revanche, le codage préalable fait partie de la préparation de l'enquête et


exige des précautions qui, faute d'être prises peuvent entraîner des erreurs impos-
sibles à rattraper. 1° Chaque enquêté doit être représenté par un numéro de
code.
2° Chaque question en possède également un.
3° Il en est de même pour chaque type de réponse à chaque question.
Il faut, surtout lorsqu'il s'agit de réponses à des questions ouvertes, se montrer
vigilant : ne pas omettre de mentionner dans le questionnaire : « sans réponse»,
« ne sait pas», « refus de répondre» ou «autres». Rappelons qu'obtenir un
grand nombre de réponses variées à « autres», indique une insuffisante connais-
sance du terrain, justifiée seulement dans une enquête d'exploration. Dans ce cas,
des réponses inattendues sont alors utiles à titre d'information.

717 Erreurs à éviter ◊ Si la banalisation de l'informatique a considérable-


ment simplifié des opérations jadis longues et coûteuses, telles que tris ou
croisements souvent non prévus au départ, elle entraîne en revanche des
risques d'erreurs ou de dérives qu'il faut signaler. Une question non pré-
vue dans le questionnaire peut conduire à une grave lacune de l'informa-
tion. Mais surtout, le danger provient de la tentation de poser trop de
questions - au lieu de réfléchir aux bonnesquestions à formuler - ce qui
allonge et alourdit le questionnaire.
La facilité de multiplier ensuite les tris et croisements, ne compensera
jamais l'absence ou la faiblesse des hypothèses de recherche.
Pour (à peine) caricaturer: demander aux enquêtés tout et n'importe
quoi et, grâce à l'informatique, croiser les réponses ne peut en aucun cas
constituer une enquête sérieuse permettant d'obtenir des résultats inté-
ressants et généralisables.
718 6° L'interprétation des résultats 1
◊ On rappellera seulement ici la variété
de cas que peuvent présenter les résultats de questionnaires. Une enquête d'infor-
mation, aux résultats facilement quantifiés, extensibles et généralisables, offre
moins de difficultés qu'une enquête de diagnostic ou des entretiens en vue d'une
exploration, dans lesquels la complexité des données, la variété des réponses et
l'imprécision des hypothèses, rendent difficilesde discerner les facteurs prépondé-
rants.

§ 5. Validité, fidélité et valeur de l'interview


comme instrument de recherche
La très grande utilisation de l'interview, comme instrument de
recherche, rend indispensable que l'on juge de la valeur de cette tech-
nique. Il faut pour cela tenir compte de divers facteurs : d'abord de la jus-
tesse des résultats obtenus, de l'accord de l'entretien avec la réalité, c'est-
à-dire de sa validité au sens strict, mais aussi des possibilités d'explication
ou de prévision, de l'intérêt des objectifs qu'il poursuit, de la richesse et de
l'originalité des informations qu'il permet de recueillir.
1. N°' 535 et S.
702 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

719 1 ° La fide1ité ◊ Les Américains se sont surtout attachés à la notion de


fidélité, c'est-à-dire à la comparaison des résultats des enquêteurs entre
eux.
La question avait été soulevée, à propos des différences de matériaux succes-
sivement recueillis dans les mêmes régions, par des anthropologues travaillant
isolément. La plupart d'entre eux ne mentionnaient même pas les techniques uti-
lisées pour recueillir les données et Kluckhohn 1 note que les anthropologues
doivent se rendre compte que les contradictions entre les documents issus de la
même tribu, peuvent provenir non de périodes ou degrés d'acculturation diffé-
rents ou de points de vue personnels des informateurs, mais simplement des
moyens d'investigation différents utilisés par les chercheurs.
Le problème se posait pour tous les chercheurs isolés : ethnologues,
anthropologues, psychologues sociaux. Il prit une allure beaucoup plus
spectaculaire, le jour où, pendant la guerre, les enquêtes furent menées
en équipe. Lorsque plusieurs chercheurs trouvent des données différentes,
alors qu'elles devraient être semblables, la contradiction crée naturelle-
ment un doute sur la validité des résultats des uns ... et des autres. Ces
contradictions, souvent voyantes, entre les résultats des divers enquê-
teurs, orientèrent les recherches vers les causes de cette diversité et la
façon d'y remédier. C'est pourquoi les auteurs américains, considérant
que les risques d'erreurs provenaient avant tout des enquêteurs, consa-
crèrent une abondante littérature et de nombreuses expériences à ce pro-
blème de la fidélité.
Peut-on espérer, en accroissant la fidélité, augmenter du même coup la
validité des résultats? Autrement dit, puisque le fait pour les enquêteurs
de recueillir des données contradictoires, laisse dans l'incertitude sur la
validité de ces données, peut-on, en augmentant la concordance ou fidé-
lité des résultats, améliorer la validité de l'outil d'information ? A ceci on
doit répondre, d'abord, que les variations entre enquêteurs n'épuisent pas
les types d'erreurs possibles et que la concordance des résultats est une
indication, mais non une garantie de validité. Il y a plus : à vouloir avant
tout réduire les différences entre enquêtés, en les normalisant au maxi-
mum, on risque d'augmenter la fidélité, mais à la limite de sacrifier la
richesse du contenu, donc une part de validité. En fait, on risque d'ex-
clure les enquêteurs dont la technique est sans doute moins orthodoxe,
mais qui sont peut-être aussi ceux qui peuvent recueillir les matériaux les
plus originaux et les plus rares.
L'aptitude de l'instrument, en tant que tel, à saisir la réalité, paraît plus
importante qu'une normalisation des enquêteurs à un niveau médiocre.
C'est pour cette raison que Kinsey,contrairement à l'attitude générale des
enquêteurs, aux États-Unis, recherchait dans son rapport la validité, plus
que la fidélité. Comme le dit H. H. Hyman (1954), il aurait été impar-
donnable de normaliser l'originalité de Freud... mais évidemment on peut
se demander combien de Freud se trouvent parmi les chercheurs ?
Cette recherche de la fidélité, issue des contradictions assez criantes qui
apparaissaient dans les enquêtes par équipes, a suscité un perfectionne-
1. Cité in H. H. Hyman (1954).
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 703

ment certain des procédures d'entretien. Elle ne doit pas, en devenant


fétichisme, détourner de l'objectif essentiel qu'elle a pour mission de ser-
vir : la validité.
720 2° La validité des entretiens utilisés dans un sondage d'opi-
nion ◊ La notion de validité est, en ce qui concerne l'interview, parti-
culièrement complexe. Elle implique l'absence d'erreur, mais aussi l'adé-
quation à la réalité, dont elle doit traduire la richesse. La validité est
susceptible de degrés, en fonction non seulement de la justesse des don-
nées, mais aussi des divers aspects sous lesquels l'instrument reflète les
phénomènes, enfin des objectifs qu'il vise. La technique de l'interview
repose sur un postulat: la parole a été donnée à l'homme pour exprimer
la vérité.Certains le trouveront naïf, d'autres estimeront qu'il constitue la
règle de jeu fondamentale de la vie en société. L'interview n'est donc
valide que si l'on suppose et constate qu'en général les enquêtés expri-
ment la vérité, mais quelle vérité ?
L'interview implique un deuxième postulat: pour savoir ce que lesgens
pensent ou ce qu'ils savent, il n'y a qu'à le leur demander.Ceci suppose lors-
qu'il s'agit d'enquêtes d'opinion que chacun en possède une à propos du
sujet sur lequel on l'interroge 1.
Enfin un troisième postulat, sans doute le plus contestable, sur lequel
reposent les enquêtes d'opinion: celui suivant lequel toutes lesopinionsse
valent. Or le sondage, non seulement comme nous l'avons vu 2 risque
d'additionner des réponses différentes à la même question, mais surtout
additionne des opinions qui n'ont ni la même intensité subjective ni la
même valeur objective. La réponse du bout des lèvres d'un abstention-
niste est égale à l'adhésion passionnée d'un militant.
En traitant l'opinion, en particulier l'opinion politique, comme une
simple somme d'opinions individuelles, le sondage ignore le fait que les
opinions sont des forces et les rapports d'opinion des conflits de force.
Ce n'est sans doute pas une erreur au sens mathématique du terme,
c'en est une certainement sur le plan de la validité telle que nous l'avons
définie : le fait pour un instrument de mesurercequ'il est censémesurer.Si le
sondage comptabilise bien des opinions, il ne les mesure pas.
Cette façon de totaliser ce qui n'est pas égal compromet aussi la vali-
dité empirique: la possibilitéd'une prévision.
La prédiction suppose d'une part la stabilité des opinions, d'autre part
un lien entre opinion et action. Or l'une et l'autre sont le plus générale-
ment liées à cette intensité dont il n'est pas tenu compte. Abstentions,
changements, peuvent être provoqués par des événements postérieurs au
sondage, qui modifieront les opinions les moins assurées.
Enfin et surtout, si le sondage peut refléter la structure de l'opinion à
un moment donné, même prévoir un résultat à un moment proche, il ne
peut, comme le note P. Bourdieu 3,déceler les états virtuels et plus parti-
1. M. Grawitz (1965, 1972), P. Bourdieu (1971, 1972), P. Champagne (1990).
2. Cf. n° 707.
3. Op. dt.
704 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

culièrement les crises possibles, parce qu'il ne saisit pas les opinions dans
la situation réelle dans laquelle elles se constituent Le sondage ne peut
saisir l'opinion avant qu'elle ne soit formée... et il la détruit en quelque
sorte en l'atomisant, en écartant les influences à travers lesquelles elle se
forme. 11ne peut prévoir une crise dont il n'a retenu ni les éléments qui la
suscitent, ni les possibilités de mobilisation brusque de l'opinion. En fait
de prévision, des interviews de représentants efficaces et informés des
groupes intéressés ont certainement plus de validité qu'un sondage
auprès d'un échantillon représentatif d'une population dont l'opinion
n'est pas encore constituée.
720-1 L'influence des sondages d'opinion ◊ De nombreux hommes poli-
tiques se sont préoccupés devant la multiplication d'instituts ... ou d'offi-
cines de sondages, de faire respecter certaines garanties techniques, mais
aussi et peut-être surtout, de neutraliser l'influence de la publication des
résultats des sqndages électoraux sur les électeurs. Pourtant des travaux
effectués aux Etats-Unis et en France montrent que le pourcentage de
ceux qui volent au secours de la victoire (effet de bandwagon)compense à
peu près le nombre de ceux qui veulent limiter le triomphe des gagnants
(effet de underdog).De plus dans une démocratie les citoyens ont droit à
toutes les informations, même contestables, ou alors il faut également
interdire la propagande électorale. Quoiqu'il en soit, une loi du 19 juillet
19771, 2, dans son article 11, interdit que les résultats des sondages poli-
tiques soient publiés la semaine précédant chaque tour de scrutin. Elle
charge également une commission des sondages d'interpréter la loi (la
notion de sondage n'est pas définie) et de veiller à la régularité des
normes techniques imposées (identification de l'origine du sondage,
conditions de réalisation, abus de redressement, etc.).
L'expérience de ces dernières années montre que ce sont les hommes
politiques plus encore que les gouvernés qu'il faudrait protéger de l'in-
fluence des sondages. Plus que les autres citoyens ils sont intéressés et
vulnérables. De combien de décisions les sondages, favorables ou pas,
sont-ils responsables ?
Curieusement, si sur le plan politique l'influence (supposant la validité) des
résultats des sondages est reconnue, et donne lieu à des mesures législatives,cette
influence n'est pas admise dans un autre domaine qui a échappé au législateur ;
celui des opérations boursières. En effet la C.O.B. 3 s'est émue des « fuites »
concernant des sondages confidentiels effectués en août 1992 au sujet du référen-
dum de Maastricht. Certains établissements auraient eu connaissance des résul-
tats avant leur publication et ainsi réalisé des plus-values importantes. La C.O.B.
chargée de la surveillance du marché en vue de la protection des épargnants a
estimé que la loi exigeait, pour constituer le « délit d'initié», une information
certaine, précise, dépourvue d'aléas. Ces caractères ne pouvaient s'appliquer aux
sondages qui ne sauraient « a priori être considérés comme information privilé-
giée » (affaire à suivre).
1. Complétée par un décret du 16 mai 1980.
2. Cf. A. Lazareff (1984) et Ph. Crouzet in Pouvoirs(1985).
3. Commission des opérations de Bourse.
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 705

721 Validité des autres interviews ◊ S'il s'agit d'entretiens dans une
enquête d'exploration, l'important n'est pas de savoir si l'on mesure bien
ce que l'on est censé mesurer, mais seulement de reconnaître ce que l'on
découvre. La richesse de l'information l'emporte sur la précision de la
mesure.
Sous ces réserves, reprenons les aspects classiques de la validité, dans
les divers types d'entretien.
Validitéempirique.L'instrumentpermet-il une prévision? Si les condi-
tions ont été respectées, la réponse est favorable. Mais les cas d'applica-
tion sont limités : interviews pour un sondage avant un vote ou inter-
views en profondeur, pour émettre un diagnostic.
Validitélogique.L'instrumentmesure-t-ilde f<lfonexactece qu'il est censé
mesurer? La réponse est plus difficile. Il n'existe pas d'étalon de mesure,
ni de critèreexternede validité. On peut seulement parfois comparer les
résultats des entretiens à ceux obtenus par d'autres techniques: tests pro-
jectifs, analyses de documents, etc. Le critèreinterne,le fait que les ques-
tions semblent concerner le problème, se révèle particulièrement flou.
Aussi faut-il mettre les chercheurs en garde contre le nombre de critères
implicites et non démontrés, sur lesquels inconsciemment et faute de
mieux, repose une part de la notion, pour ne pas dire impression, de vali-
dité dans l'interview.
On conçoit trop souvent la validité de l'interview, en fonction de l'idée
que l'on se fait de la difficulté de déceler certaines opinions et l'on est
tenté de juger satisfaisant un entretien, où l' enquêté aura semblé parler
facilement. Ceci ne correspond à aucun critère sérieux. En fait, la validité
de l'interview pose des problèmes beaucoup plus fondamentaux que les
questions classiques de critère externe ou interne.
La notion de validité, se référant à une idée de justesse, implique
d'abord l'étude des divers types d'erreurs qui risquent de lui porter
atteinte. Au-delà de la pure technique, la recherche des erreurs réserve, en
matière d'entretien, des difficultés particulières. S'il existe une vérité
objective en ce qui concerne les faits, permettant de se demander si l'in-
terview est un bon instrument pour les appréhender, en matière d' opi-
nion, il n'existe aucun critère pour reconnaître la vérité. Ainsi que nous
l'avons vu, il existe en sciences humaines des erreurs d'une nature parti-
culière, avant tout relative, qui ne se manifestent qu'en fonction d'un
changement de niveau ou d'objectif. Ceci est particulièrement redoutable
en matière d'interview, du fait de la variété même des niveaux que l'on
peut atteindre par cette technique.
721-1 L'erreur relative ◊ Un bon exemple d'erreur de ce type est fourni par
le fait, déjà signalé, qu'une réponse exprimée spontanément, par un
enquêté, dans un entretien non directif peut se transformer en face d'une
question directe et posée un peu plus tard. Au lieu de la petite exagération
à laquelle le portait sa confiance, dans le premier cas, joue probablement,
dans la deuxième situation, une légère inhibition due à la question
directe. Devant une notion de vérité de l'objet, elle-même aussi relative,
comment concevoir un critère de la validité de l'instrument de mesure ?
706 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

On peut concevoir seulement des validités différentes, suivant le type


d'interview en cause et son but
Suffirait-il d'abandonner la notion de validité, au sens strict, lorsqu'il
s'agit d'objectifs trop complexes et invérifiables ? Ce serait mal poser le
problème, car ce n'est pas seulement l'instrument qui est en cause, ni tel
niveau de profondeur, mais la totalité de l'objet, c'est-à-dire l'homme.
On ne peut pas dire que tel résultat, obtenu à un niveau superficiel, sera
valide, tandis que tel autre, obtenu à un niveau plus profond, ne le sera
pas, ou au contraire que seul ce qui est profond est vrai. Il faut simple-
ment s'abstenir de comparer les résultats obtenus à des niveaux différents
et ne pas tirer argument d'une contradiction, pour mettre en cause la
validité de l'un ou de l'autre. La validité n'existe jamais qu'en fonction
d'un seul niveau. Pour le chercheur, ce qui existe est vrai et il existe dans
l'homme des vérités contradictoires qui, en général, n'apparaissent pas en
même temps dans le champ de sa conscience.
La difficulté provient de ce que, malgré la volonté du chercheur, de sai-
sir à un certain palier les données qui s'y trouvent, celles-ci ne sont pas
isolées, ni surtout statiques, mais en perpétuelle évolution et se laissent
difficilement fixer. Nous l'avons vu à propos des enquêtes de motivation,
les éléments venus des profondeurs affleurent constamment à la surface.
722 Les erreurs, d'après l'influence qu'elles exercent sur les résul-
tats de l'enquête ◊ Les erreurs, en dehors de leur origine différente,
peuvent encore se distinguer les unes des autres par leur fréquence,mais
aussi et surtout par leur importance, c'est-à-dire l'influence qu'elles
exercent sur les résultats et par la plus ou moins grande possibilité de les
évaluer, de les neutraliser. C'est ce dernier point, mettant directement en
cause la validité, qui retiendra maintenant notre attention.
723 Erreur nette, erreur totale ◊ On peut considérer qu'il existe une
réponse vraie à la question : « Quel âge avez-vous ? ou : « Combien de
fois avez-vous été au café la semaine dernière ? » C'est cette vérité que
cherche l'enquêteur et la différence entre ce qu'il transcrira et la réponse
vraie représente une erreur individuelle.
Si l'enquêté déclare qu'il a 27 ans et que l'enquêteur note 25 ans par distrac-
tion, ce sera une erreur. Si un peu plus tard cet enquêteur, auprès d'un autre
enquêté, note 24 ans au lieu de 22, les deux erreurs se compenseront. Si l'enquêté
déclare avoir été deux fois au café dans la semaine, alors qu'il y a été six fois, ce
sera encore une erreur et nous ignorons combien d'enquêtés mentiront. Si l'en-
quêteur aux fortes convictions, influence les réponses, nous aurons aussi des
erreurs, mais celles-ci s'exerceront toujours dans le même sens. Il y aura« biais».
Imaginons enfin que l'enquêteur ait posé la question sur la fréquence des
visites au café, à un échantillon d' enquêtés interrogés à leur domicile le soir. Il est
probable que l'enquêteur n'atteindra de cette façon que la population qui ne va
pas au café, l'échantillon sera biaisé et le résultat de l'enquête faussé.
La somme des erreurs possibles est constituée par des erreurs de types
très différents. L'une, irréversible, provient de la constitution de l'échan-
tillon; les autres se situent dans le rapport enquêteur-enquêté, avec des
L'INTERVIEW OU ENTRETIEN 707

conséquences diverses. Certains auront tendance à réduire leur taux de


présence dans les cafés; d'autres, sans doute moins nombreux, à l'aug-
menter. Au total ces différences peuvent se compenser. Mais dans les
recherches de corrélations entre des sous-groupes de population (par âge,
niveau économique), les distorsions peuvent fausser les comparaisons. Le
biais d'un enquêteur peut être compensé par la position contraire d'un
autre enquêteur, ou s'ajouter au précédent. La distraction dans un sens
ou dans l'autre peut se compenser également.
Sur le plan des résultats, de l'estimationdes erreurs, leur provenance est
sans importance. La distinction intéressante se situe entre l'erreur nette
résiduelle, celle qui fausse le résultat et l'erreur totale, qui a des chances
d'être compensée dans un échantillon large 1. La première seule importe
sur le plan des résultats et de la validité globale, statistique, de l'enquête.
En revanche tout espoir, toute volonté d'améliorer la technique de l'inter-
view, d'accroître sa validité, repose sur la recherche des causes d'erreurs et
surtout la distinction entre leurs sources, celles qui sont dues à l'échantil-
lon, celles qui proviennent du déroulement de l'interview, du question-
naire ou de l'interprétation de l'enquêteur. Ce n'est pas en se contentant
d'apprécier les seuls résultats globaux que l'on y parviendra.
724 Estimation et réduction de certaines erreurs ◊ Les études consa-
crées aux erreurs totales sont beaucoup plus rares que celles consacrées
aux erreurs nettes. La méthode d'estimation la plus simple de l'erreur
totale, consiste à comparer les résultats obtenus aux chiffres des statis-
tiques officielles sur le même sujet. Ceci n'est évidemment possible que
pour certaines questions de fait.
On sait, par les statistiques nationales, qu'un échantillon représentatif de tel
groupe de population devrait comp.9rter X accidents d'auto, X demandes d'aide
sociale, etc. Une enquête, faite aux Etats-Unis, indique entre 5 et 10 % d'erreurs,
aux questions portant sur la possession d'une carte de bibliothèque, d'un télé-
phone, etc.
On mesure parfois approximativement les distorsions, en comparant
les résultats globaux des interviews, à des résultats obtenus par une autre
technique: tests, mesures d'attitudes. On peut également comparer des
réponses obtenues par l'interview, à celles que les mêmes enquêtés font à
un questionnaire écrit par exemple. On peut chercher un indice de l'apti-
tude de !'enquêté à dire la vérité en posant des questionspièges. On
demande par exemple à !'enquêté s'il a lu tel ou tel livre, l'un de ces livres
n'existant pas.
On tente aussi de compenser d'avance certaines possibilités d'erreurs,
telles que le biais des opinions politiques des enquêteurs, en répartissant
ceux-ci, ou le biais supposé de certaines questions, en utilisant la forme
du split-ballot(la question est posée sous la forme A à une partie de
l'échantillon, sous la forme B à l'autre partie).
Il existe enfin, nous l'avons vu à propos des sondages, des moyens sta-
tistiques et mathématiques complexes pour réduire et mesurer les erreurs.
1. Cf. n°' 516, 517.
708 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

De toute façon, les mathématiques ne sont qu'un moyen de contrôle, de


mesure et de rectification. Ellesne peuvent compenser le manque de qua-
lité de l'information.
La validité au sens strict ne suffit pas et le chercheur doit, tout en res-
pectant les règles de sécurité, ne pas leur sacrifier l'originalité et la
richesse du contenu. Nous avons vu à chacune de ces étapes les deux
faces du problème : richesse du contenu ou normalisation des procédés et
risque de réduction de l'information. Malgré la complexité des données
mises en cause par l'entretien, même le plus superficiel, malgré le
nombre d'étapes que comporte cette technique et la variété des moments
où peuvent se glisser des erreurs, l'entretien demeure un des instruments
les plus précieux des sciences sociales, car il utilise un besoin essentiel de
l'homme qui est la communication. Si l'on veut savoir ce que les gens
pensent, en tenant compte de toutes les distorsions indiquées, le meilleur
moyen c'est encore de les faire parler et d'apprendre à les écouter.
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712 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

2. LESTESTS
SECTION
« Tesparoles,en effet, me suggèrentcetteréflexion
que tout d'abord,la naturen'a pas fait chacunde
noussemblableà chacun,maisdifférentd'aptitude,
et propreà telleou tellefonction.»
Platon, La République,liv. Il.

§ 1. Évolution
72 6 Définition ◊ Le mot test ou têt, est un mot de vieux français, syno-
nyme de coupelle (latin testum; vase en terre), désignant des petits pots
de terre cuite, dont se servaient les alchimistes pour éprouver leurs
alliages. En anglais il désigne un réactif, un essai. Le mot test est un de
ceux dont notre époque fait un usage abusif. N'importe quelle réponse ou
réaction, à une question ou devinette, devient un test. Or, une réaction,
pour symptomatique ou révélatrice qu'elle apparaisse, ne constitue un
test que si, d'une part, la situation et le stimulus sont standardisés,
d'autre part, si le comportement du sujet peut être évalué quantitative-
ment, par comparaison statistique avec celui d'un groupe de sujets placés
dans la même situation. H. Piéron propose la définition suivante : « Un
test est une épreuve définie, impliquant une tâche à remplir, identique
pour tous les sujets examinés, avec une technique précise pour l'apprécia-
tion du succès ou de l'échec ou pour la notation numérique de la réus-
site 1 . » La tâche peut comporter une mise en œuvre, soit de connais-
sances acquises : test pédagogique, soit de fonctions sensorimotrices ou
mentales : test psychologique.
D'autres définitions sont plus larges; ainsi M. Reuchlin (1960) désigne sous le
nom de «test», « toute technique permettant une description quantitative,
contrôlable, du comportement d'un individu placé dans une situation définie, par
référence au comportement des individus d'un groupe défini placé dans la même
situation».
72 7 Historique ◊ La méthode des tests est née, comme une grande part de
la psychologie sociale moderne, de l'apparition de problèmes pratiques
posés par le développement technique, coïncidant avec l'amélioration des
moyens d'investigation.
Binet écrivait en 1911 : « Il n'est rien de tel que la nécessité pratique, pour faire
surgir des méthodes nouvelles. Nous serions restés longtemps dans le statu quo,si
nous n'avions été obligés, dans un intérêt véritablement social, de faire des
mesures d'intelligence par la méthode psychologique2 • »
On s'est d'abord rendu compte que l'on avait intérêt à mettre « the
right man in the right place». En effet, une personne plus apte qu'une
1. Définition adoptée par l'Association internationale de psychotechnique en 1933. Vocabulaire
psychologique,
zc éd., Paris, P.U.F.
2. Cité in B. Bonnardel (1960).
LES TESTS 713

autre à faire un travail, s'adapte plus vite, le fait mieux, avec un meilleur
rendement, moins de fatigue, moins de risques d'accidents et plus de
satisfaction. Comment arriver à trouver la personne la plus apte ? Il fal-
lait pour cela que progresse la psychologie, c'est-à-dire prendre
conscience des différencesentre individus,tenter de les mesurer,s'aperce-
voir que le comportement d'un sujet, sa réussite ou son échec dans une
situation donnée, ne sont pas dus au seul hasard, mais dépendent de cer-
taines aptitudes,de la continuitéde certains facteurs, dont la stabilitérend
possible une prévision.
728 Les origines ◊ Pour comprendre comment et pourquoi les tests sont
nés, il faut remonter aux origines de la psychologie différentielle. Nous
trouvons trois grandes orientations :
1° L'école allemande de psychophysique, dont le centre est le labora-
toire de Wundt, créateur à Leipzigde la psychologie expérimentale ; elle a
pour idéal la rigueur de la psychophysiologie et de la physique.
2° L'autre courant s'est développé aux Etats-Unis sous l'impulsion de
R. Cattell (1956). Pour cet auteur et ses disciples, l'idéal de la science
c'est d'être efficace et la psychologie ne doit pas y faire exception. D'une
part, l'extension industrielle, le développement des universités, l'immi-
gration (formation), le travail à la chaîne (taylorisme) font apparaître de
nombreux problèmes pratiques. D'autre part, en même temps qu'une
philosophie de l'action, se développent les idées évolutionnistes. La varia-
tion, jusque-là considérée comme sans intérêt pour la généralisation
scientifique, apparaît désormais, même au stade individuel, comme le
principe explicatif du domaine vivant.
La psychologie de Cattell est, avant tout, une psychologie de l'individu.
Dans son fameux article paru en 1890, il utilise l'expression de mental
test et prône l'application de la mesure à un grand nombre de sujets. Pour
la première fois, il est question d'interdépendance, de variabilité, de stan-
dardisation, avec une préoccupation d'utilisation pratique. Cette idée de
mesure, appliquée à l'individu, est capitale, car elle brise une certaine
notion immobiliste de l'homme. Comme le dit R. Zazzo (1961): « La
mesure permettra de situer un individu dans un groupe biologiquement
et socialement défini.»
729 L'apport de la statistique ◊ Les tests impliquent la notion de varia-
tion. Ils exigent également les progrès d'une autre technique: la statis-
tique.Ce n'est pas par hasard que le premier article de Cattell a été publié
sous le patronage de Galton, créateur de la biométrie et des statistiques en
biologie. Les éléments d'où devait naître la psychométrie, sont ainsi réu-
nis : variation individuelle, précision de la mesure, statistique. Pourtant,
pendant quinze ans, les psychologues américains, malgré leur volonté
d'aboutir à des résultats pratiques et de rejeter l'esprit de la psychologie
allemande, conservent ses instruments et ses techniques et n'apportent
rien de nouveau.
Enfin, Binet survint ! Binet, médecin français, travaillant à peu près
seul, va, en 1905, trouver une solution aux problèmes posés par les Amé-
714 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

ricains. Son hypothèse géniale consiste à avoir supposé que ce ne sont pas
les phénomènes élémentaires qui différencient les individus, « ou du
moins, déclare-t-il, nos techniques ne permettent-elles pas de saisir les
différences à ce niveau. C'est dans les processus complexes : personnalité,
intelligence que les différences individuelles sont plus perceptibles». En
découvrant que plus un processus est compliqué et élevé, plus il varie sui-
vant les individus, Binet a sorti la psychologie différentielle de l'ornière de
la psycho-physiologie de laboratoire, limitée à la mesure des sensations.
Binet parle d'abord« d'échelle métrique d'intelligence» et situe la psy-
chologie dans une perspective génétique, en marquant les étapes du déve-
loppement intellectuel par l'âge, critère précis et quantifiable. En 1904, il
est chargé par le Ministère de l'Instruction Publique, d'établir une
épreuve de dépistage, pour distinguer les enfants arriérés mentaux, de
ceux qui étaient seulement en retard du fait d'une scolarité irrégulière.
Binet crée alors la première échelle métrique, connue sous le nom de test
Binet-Simon.
730 Le test de Binet-Simon ◊ L'idée fondamentale consiste à grouper des
séries d'épreuves de difficulté croissante, partant du niveau intellectuel le
plus bas et aboutissant au niveau normal. Les tests ont été étalonnés sur
des élèves normaux des écoles parisiennes. La notion d'âge mental propo-
sée par Binet, permet de définir le retard des enfants par rapport à l'âge
normal, en fonction d'un degré de réussite aux diverses questions 1. C'est
pourquoi R. Zazzo faisait remarquer, avec humour, que ce test constituait
plutôt une mesure de l'inintelligence que de l'intelligence.
En 1917, lorsque les États-Unis durent recruter et classer en quelques mois,
plusieurs millions d'hommes, ils utilisèrent un test collectif: le Binet-Simon, sur
près de 2 millions d'individus. Le mouvement en faveur des tests était lancé et
devait, en 1940, aboutir à une utilisation beaucoup plus complète et efficace de
tests améliorés et adaptés 2.

§ 2. La construction des tests


La méthode des tests suppose une relative stabilité des comportements
rendant possible leur prévision. Elle repose sur des postulats théoriques,
dont on tire, sous certaines conditions, des conséquences pratiques. Ces
postulats se ramènent à ceci : il existedesaptitudes,différentes suivant les
individus, se manifestant dans certaines activités et responsables de réus-
sitesou d'échecs.Ellespeuventêtreisolées,leurs effets mesurés, ainsi que les
différencesentre individus. Ellesprésententune certaineconstance,qui per-
met de prévoirle comportementd'un sujet dans une situation donnée, à
partir de son comportement dans la situation observée et de contrôler et
améliorer cette valeur prédictive.
1. Celles-ci essaient de ne pas faire ap_pelà des connaissances scolaires.
2. Plus de 8 millions d'hommes aux Etats-Unis ont passé le A.G.C.T. (Army General Classified
Test).
LES TESTS 715

La vérification de l'hypothèse et la justesse de la prédiction, dépendent


de la validité des instruments, à partir desquels se fait la prédiction.
Encore faut-il que les manifestations observées le soient de façon objec-
tive. Cette condition pratique relève de la notion de fidélité.
731 1 ° Les postulats. a) Il existe des aptitudes différentes suivant
les individus ◊ Des individus soumis à un même apprentissage,
déployant la même application, n'obtiennent pas les mêmes résultats.
Pourquoi cette différence ?
On a imaginé le concept« d'aptitude», qui est« la condition congéni-
tale d'une certaine modalité d'efficience».
L'élément inné, chez un individu, n'est pas mesurable. L'aptitude ne
peut donc être observée, ni à plus forte raison mesurée, qu'indirectement,
c'est-à-dire à partir du moment où elle se manifeste dans une activité.
Cette mesure indirecte n'est pas opposée à une attitude scientifique, bien
au contraire. Le physicien ne donne pas une définition de l'électricité ; il
la mesure dans les effets qu'elle produit, sur les instruments qui enre-
gistrent les divers aspects du phénomène. Les définitions sont encore
hypothétiques. Si l'on définit d'abord, pour mesurer ensuite, il faut être
certain, que la mesure se rapporte strictement à la grandeur que l'on a
préalablement définie.
L'aptitude va se manifester telle qu'elle a été freinée ou développée,
parfois déformée, par l'expérience, la vie en société. Peut-on (et com-
ment) distinguer l'élément inné, de l'apport de l'éducation? Imaginons
que nous renoncions à évaluer les apports extérieurs et que nous nous
bornions à mesurer les aptitudes telles qu'elles se manifestent. Cela est-il
possible ? Peut-on isoler les aptitudes les unes des autres, les considérer
comme seules responsables de certaines performances ?
Le problème prend toute son importance, lorsqu'il s'agit d'envisager
un pronostic, à partir d'un test. Ceci non seulement pour apprécier cer-
taines aptitudes physiques, telles que l'habileté manuelle, mais encore
dans le cas d'éléments plus complexes. Y a-t-il un facteur intelligence que
l'on peut isoler en tant que tel? Une aptitude à jouer du piano, une autre
à jouer du violon ou une aptitude à comprendre la musique ? Celle-ci ne
comporte-t-elle pas plusieurs facteurs ?
A ces questions, plusieurs réponses ont été données, en fonction de
positions théoriques ou pratiques 1.
732 b) Les aptitudes se manifestant dans certaines activités sont
responsables de réussites ou d'échecs ◊ Certaines aptitudes simples,
ou complexes, se manifestent dans la vie : aptitude à déceler des fausses
notes, à réagir rapidement à un stimulus. Elles peuvent être décelées
dans des épreuves artificielles ou tests qui consistent en tâches prépa-
rées exprès pour mesurer l'aptitude. La conception des items ou questions

1. Cf., n°' 743 et s.


716 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

constituant les épreuves d'un test, repose sur des hypothèses relatives aux
propriétés de l'aptitude à mesurer 1.
La première étape de construction d'un test, consiste à délimiter la
signification de l'aptitude, c'est-à-dire cerner son champ de performance
ou d'application.
Délimiter le champ de l'aptitude, c'est chercher les situations dans les-
quelles se manifestent ses propriétés.
On peut concevoir un certain nombre d'opérations différentes, relevant de
telle ou telle aptitude: appuyer sur un bouton lorsque s'allume un signal, etc., et
admettre qu'un même facteur : rapidité de tel réflexe, joue dans divers cas. On
peut également supposer que ce qui permet à un enfant de réussir en histoire,
géographie, récitation, c'est une aptitude à retenir, nommée mémoire. Lorsque
l'opération à accomplir met en jeu l'aptitude, celle-ci sera responsable de la réus-
site. En revanche, en mathématiques, la mémoire compte peu et les résultats
enregistrés seront moins bons.
On peut aussi envisager des situations concrètes plus complexes, dans les-
quelles les opérations (~estes constituant des réponses à un stimulus) seront
décomposées en divers eléments. Ces éléments peuvent être considérés comme
indices spécifiques et représentatifs des propriétés de la performance, c'est-à-dire
qu'on les suppose homogènes, relevant de la même aptitude et en relation pro-
portionnelle avec la performance totale attribuée à celle-ci. En admettant que
nous sachions quels gestes ou réponses traduisent la présence de l'aptitude,
encore faut-il que nous puissions en mesurer le degré.

733 2° Mesure de l'aptitude ◊ Dans un examen, certaines épreuves sont


plus difficiles que d'autres. Il faut donc découvrir des indices, connaître le
pouvoir sélectif, le degré de difficulté des épreuves ou questions, puis-
qu'elles sélectionnent les sujets plus ou moins doués. On applique des
items ordonnés et pondérés d'après leur valeur d'indice (degré de diffi-
culté et pouvoir sélectif), à un groupe dont les sujets vont se classer sui-
vant leur plus ou moins grande réussite. En simplifiant beaucoup toutes
les étapes de construction d'un test, on peut dire qu'après avoir délimité
le champ de l'aptitude, faute de pouvoir la mesurer, on peut seulement
lui donner une valeur, c'est-à-dire noter l'individupar rapportaux autres;
c'est ce que fait l'étalonnage.

734 a) Les procédés d'étalonnage ◊ « Étalonner un test, écrit G. Palmade


(1948), c'est seulement établir une échelle qui permette de repérer commodé-
ment la réussite d'un sujet par rapport au groupe total des réussites d'une popula-
tion.» Il existe divers procédés 2 • Supposons avoir fait passer à mille sujets une
épreuve comportant cent questions ; une seule bonne réponse étant possible pour
chacune d'elles, nous attribuerons un point à chaque bonne réponse et ferons le
total pour chaque sujet. Nous classerons alors ceux-ci en les regroupant, par
exemple, par intervalles de 5 points.

1. Les hypothèses déterminent la valeur du test, mais leur propre valeur dépend de l'état des
connaissances psychologiques et des théories sur lesquelles elles reposent.
2. Décilage, tétronnage, quotient d'intelligence (QI).
LES TESTS 717

Nbre de bonnes
réponses:
de .................. 1 6 11 16 21 26 31 36 41 46 51 56 61 66 71 76 81 86 91
à ................... 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95

Nbre de cas observés 3 4 7 26 44 67 91 122 132 134 118 99 65 43 24 11 5 4 1

Le graphique de répartition obtenu est d'un type bien connu. On le retrouve


chaque fois qu'un phénomène est perturbé par un grand nombre de facteurs dont
l'intensité d'intervention et la fréquence sont laisséesau hasard. C'est la courbe
de Gauss 1 ou courbe en cloche.
735 b) Analyse interne du test, question par question ◊ On étudie deux
aspects particuliers. Le degréde difficulté de chaquequestion; il est défini par le
pourcentage de sujets qui donnent pour chaque question la réponse correcte. En
général, on considère 9u'une question permet la meilleure discrimination quand
son degré de difficulte est de 50 % (c'est-à-dire que 50 % des sujets donnent la
bonne réponse). Mais il faut tenir compte du but visépar l'épreuve: élimination
des moins bons sujets, sélection des meilleurs, classement de l'ensemble. Cette
vérificationpermet, en fonction de ce but, d'éliminer les questions trop facilesou
trop difficiles.
L'étudedu pouvoir discriminatif de chaquequestion(ou validité interne du test),
permet de dire dans quelle mesure chacune distingue les sujets en bons et moins
bons.
On constitue deux groupes de sujets suivant la note totale du test. On établit la
distribution des fréquences des notes et l'on sépare les sujets selon un pourcen-
tage choisi. Le pourcentage optimum est de 27 % des sujets de chaque groupe.
Quelle est la valeur prédictivede ce classement ?

§ 3. La notion de validité
736 La notion de critère ◊ Déterminer la valeur objectived'un classement
d'individus, par rapport à une tâche à effectuer, revient à trouver dans la
vie concrète un critèreindépendant,qui, recouvrant la même aptitude, hié-
rarchise les mêmes sujets de façon identique. Sans doute, d'autres fac-
teurs d'influence peuvent-ils intervenir dans la réalité, mais il faut que
l'aptitude que l'on essaie de cerner dans le test exerce également une
influence dans le classement réel, établi suivant ce critère. Si tel individu
réussit les tests mettant en cause la rapidité, on pourra en déduire qu'il
réussira dans la vie dans les activités où interviendra ce facteur. Ceci
implique que l'on puisse isoler, en laboratoire, des aptitudes et que
celles-ci se retrouvent déterminantes dans les situations réelles, profes-
sionnelles ou autres, sur lesquelles porte la prédiction. Entre les épreuves
ou items des tests, mesurés en laboratoire et les performances de tel
métier ou situation, mesurées suivant un critère défini, doit exister un
élément commun: telle aptitude ou facteur d'aptitude.
Pour que la prévision soit possible, il faut donc, non seulement que
l'instrument: le test, mesure bien ce qu'il est censé mesurer: l'aptitude,
1. Cf. Annexestatistiquenos912 et s.
718 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

mais encore une autre condition, que l'aptitude mesuréeen laboratoire,soit


retrouvéedans la situation réelle.

737 Validité logique et validité empirique ◊ La méthode des tests, du


fait de son utilité pratique et de ses origines, intéresse à la fois les pratî-
dens qui l'emploient; les statisticiens qui en manipulent les résultats
chiffrés et les psychologuesqui discutent des concepts qu'elle met en
cause. Chacun de ces groupes est attiré plus particulièrement par un
aspect de la méthode et sera tenté de retenir, dans le domaine qui l'in-
téresse, une notion de validité particulière.
La validité logique.- Elle est en matière de tests particulièrement exi-
geante puisqu'elle implique une double condition: l'instrument doit non
seulement mesurer avec exactitude ce qu'il est censé mesurer, mais
encore, l'aptitude ainsi décelée doit se retrouver dans la situation réelle.
Un vague critère interne concernant plus ou moins sûrement ce que
l'on veut mesurer, ne saurait suffire. Un critère externeest indispensable.
Factorialisteset essayistesdiscutent de sa définition et de la technique
propre à le déterminer.
La validité empirique.- Les praticiens influencés par l'importance de
l'élément prévisionnel concret et de la difficulté de définir des aptitudes
complexes, ont axé leurs recherches sur la validité empirique au détri-
ment de la validité logique. Pour les disciples de Binet et les statisticiens,
une prévision juste est la meilleure preuve que le test mesurait bien ce que
l'on voulait mesurer.

738 1° Validité empirique. a) L'aptitude est identique au résultat du


test ◊ On prête à Binet la définition suivante : « l'intelligence, c'est ce
que mesure mon test». Il s'agit d'une boutade mais elle correspond à la
pensée de nombreux praticiens.
Appeler « mesure d'aptitude» tout résultat de test c'est s'enfermer
dans une tautologie : le test est le moyen de mesurer l'aptitude, l'aptitude,
c'est ce qui est mesuré par le test. La vérification du premier des aspects
de la validité: l'instrument mesure bien ce qu'il est censé mesurer,
devient de ce fait impossible.

739 b) Validité statistique ◊ L'aptitude est liée statistiquement au résul-


tat du test. C'est la tendance que N. Reuchlin (1960) qualifie d'essayiste,
car toute validation de test, implique nécessairement une corrélation avec
les résultats.
Ce qui intéresse avant tout le psychométricien, c'est de savoir quelle
attitude intervient dans tel rendement, de la mesurer, pour ensuite pré-
voir la performance ultérieure ou pronostiquer l'éducabilité des individus.
Les praticiens se préoccupent peu de théorie, leur position est stricte-
ment opérationnelle : la valeur du test sera prouvée par la justesse de la
prédiction. Ce système, d'après lequel le test est validé par la seule réussite
de sujets sélectionnés, mérite un certain nombre de réserves.
LES TESTS 719

130-
120-
110-
100-
.., 90-
~,
-~80-
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D'abord, la validité « concomitante 1 » entre le test et le critère est rare.


Dans la pratique, il faut parfois attendre un délai considérable pour
connaître les performances réelles des individus soumis aux tests. L'on
peut aussi se résigner à comparer des groupes d'individus différents, ceux
qui passent les tests et ceux qui dans la pratique réussissent. Mais, il est
difficile d'obtenir dans la vie des critères de réussite d'une objectivité
satisfaisante. En effet, la réussite professionnelle peut tenir à d'autres élé-
ments que la seule aptitude mesurée et il est dangereux de retenir un fac-
teur aussi social que la réussite, pour la détermination d'un critère d'apti-
tude, visant par définition à l'objectivité.
N. Reuchlin 2 cite le cas de la jeune apprentie qui, dans un examen de couture,
monte une manche à l'envers. Les pédagogues y verront un manque d'intel-
ligence, les professionnels jugeront moins sévèrement, parce que le mal est répa-
rable, le tissu n'étant pas gâché. Il en irait tout autrement pour juger un coup de
ciseau maladroit On peut donc dire qu'il n'existe pas une aptitude en soi au
métier de couturière, mais une aptitude par rapport à certaines conditions tech-
niques, économiques et sociales, conditionnant la notion de réussite dans l'exer-
cice de ce métier.

740 2° Validité logique. La définition du critère ◊ Le problème de


définition du critère est essentiel.
Dans certains types de tests, la conformité du critère au contenu du test est en

1. C'est-à-dire immédiatement susceptible de vérification.


2. In analyse factorielle,colloque C.N.R.S. (1955).
720 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

quelque sorte prévue d'avance. Ce sont des tests qui cherchent moins une prévi-
sion qu'un contrôle et posent, de ce fait, des problèmes de validation moins déli-
cats. C'est le cas des tests pédagogiques. Ceux-ci ne mesurent pas indirectement
l'aptitude par la performance, mais cherchent simplement, à émettre un diagnos-
tic sur les résultats d'un apprentissage, accompli dans des conditions connues et
contrôlables. Les examens d'histoire constituent un jugement porté sur l'appren-
tissage que représentent des cours d'histoire, en fonction d'un critère : les
connaissances historiques. Dans ce cas, il y a correspondance directe entre le
contenu du test et le critère. Les tests de ce type sont en revanche totalement
insuffisants pour faire une prédiction plus large. En effet, faute d'avoir su préciser
les critères de réussite de l'école moderne, par rapport à sa triple finalité : ins-
truire, éduquer, orienter, ces tests ne mesurent que les aspects les plus méca-
niques de l'instruction, les seuls vérifiables parce que les seuls précisés par des cri-
tères définis.

741 Le critère externe ◊ La prévision exige une validité externe. Le critère


doit contenir des éléments semblables à ceux que contenaient les items
du test, il doit être « saturé » des mêmes facteurs. La rapidité exigée dans
la profession, doit contenir les mêmes composantes que la rapidité mesu-
rée en laboratoire. La grande difficulté consiste à trouver un critère
externe appréciable de manière objective. Comment définir la rapidité ?
Quels indices retenir ? Ne risque-t-on pas de la confondre avec la nervo-
sité?
Nous rencontrerons cette même difficulté à propos des échelles d'attitude, qui
se contentent le plus souvent d'un critère interne 1. Renonçant pratiquement à
toute prévision, elles se préoccupent surtout de la validité au niveau de l'uni-
dimensionnalité des items, c'est-a-dire que ceux-ci ne concernent bien que l'atti-
tude envisagée. Cette prudence et cette limitation sont évidemment hors de ques-
tion dans le cas des tests, car la prévision est leur but essentiel. La correspondance
entre l'item du test et le critère de réussite dans la réalité est indispensable et fon-
damentale.

74 2 Le coefficient de validité ◊ Le degré de concordance entre le classe-


ment des individus suivant le critère et le classement par le test ( corréla-
tion obtenue mathématiquement entre les deux séries de résultats),
constitue le coefficient de validité. Si la corrélation est nulle ou très faible,
c'est que le classement par rapport au test et par rapport au critère relève
de facteurs différents, si elle est moyenne, plusieurs explications peuvent
être présentées : mauvaises conditions de passation du test, appréciation
trop peu objective du critère, etc. Le psychométricien devra rechercher ces
causes.
On trouve à côté d'erreurs techniques, qui peuvent se glisser à toutes
les étapes de passation du test, les « erreurs relatives». Elles n'existent
qu'en fonction de ce que l'on cherche et peuvent provenir du test qui ne
mesure pas bien l'aptitude ou du critère externe mal défini.
Imaginons un individu qui réussit mal dans le métier vers lequel on l'a orienté.
Les tests pouvaient être inadéquats, ne pas rendre compte des aptitudes du sujet,

1. Cf., n° 800.
LES TESTS 7 21

ou des erreurs s'être glissées dans le résultat des épreuves. L'erreur pouvait égale-
ment provenir d'une analyse insuffisante du métier et des qualités requises pour y
réussir.
La validité n'est donc pas une fonction du test, mais bien de l'usage
pour lequel le test est envisagé. C'est là le grand problème du contenu du
test, qui doit révéler ce que l'on cherche: l'aptitude de l'individu, en fonc-
tion de ce qui est supposé utile et la même aptitude, facteur de réussite
dans la réalité.
743 a) Tendance structurale et analyse factorielle 1 ◊ L'analysefacto-
rielle est née de l'idée de corrélation, d'abord mise en valeur par Ch.
Spearman, psychologue anglais, qui ne pouvait admettre la conception
unitaire de Binet De 1904 à 1930, il s'attache à démontrer dans les apti-
tudes que révèlent les réussites aux tests, la présence d'un facteur géné-
ral g, que l'on retrouve dans toutes les branches de l'activité intellectuelle
et qui explique les mêmes réussites, dans des épreuves d'ordre différent.
Utilisant des matrices, Spearman montre que lorsque les corrélations
peuvent être entièrement expliquées par ce facteur g, elles tendent à se
ranger en ce qu'il appelle un« schéma hiérarchique». Les autres facteurs
spécifiques de l'activité semblent, eux, être totalement indépendants et
différents les uns des autres.
L'originalité de Spearman consiste, avant tout, dans le fait qu'il a
considéré l'analyse factorielle et l'utilisation des corrélations, non comme
une simple technique descriptive, mais comme un moyen d'identifier de
véritables processus sous-jacents, de découvrir des «aptitudes» relevant
de causes physiques, comme les « structures nerveuses ».
La théoriemultifactorielle.- LesAméricains L. L. Thurstone et J. P. Guil-
ford, depuis 1938, s'opposèrent à la notion de facteur général et de hié-
rarchie. Utilisant les mêmes techniques de corrélation, ils s'attachèrent à
démontrer que celles-ci pouvaient être expliquées par un certain nombre
de types d'aptitudes indépendants ou de facteurs multiples, qu'il convient
d'essayer d'apurer au maximum et d'isoler, au point d'en faire des fac-
teurs primaires. C'est la théoriemultifactoriellede Thurstone,dont les expé-
riences tendent à démontrer l'existence d'un certain nombre de facteurs
distincts : verbal, numérique, spatial etc.
A grands renforts d'expériences 2, avec un lourd appareil mathématique 3, les
discussions se sont poursuivies et, comme on pouvait s'y attendre, les résultats
des tests permirent aussi bien à l'école anglaise qu'à l'école américaine 4,de justi-
fier leurs théories. En 1945, paraissait l'important rapport du service américain de
la main-d'œuvre (USES), tandis que la marine et l'année anglaise confirmaient
l'importance du facteur g.
Quelles que soient leurs tendances théoriques et l'interprétation qu'ils
donnent des facteurs, les factorialistes envisagent tous la validité sous
1. Cf. Ph. Cibois (1983) et Annexe 4.
2. Certaines, si considérables,furent appelées« opérations mammouth».
3. Rotation des axes, etc. Cf. Analysefactorielle,C.N.R.S.(1955).
4. Les auteurs américains depuis le XIX"siècle étaient portés à croire à des aptitudes multiples et
spécifiques.
722 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

l'angle mathématique. Pour eux, un test est valide, s'il mesure en


commun avec un critère donné, certains facteurs fondamentaux. Il faut
donc connaître également la teneur factorielle du critère correspondant à
ces mêmes facteurs.
Prenons pour exemple d'épreuves, des problèmes d'arithmétique impliquant
pour leur solution deux aptitudes : la vitesse de calcul et le raisonnement arith-
métique. Les problèmes exigeant surtout la vitesse, seront plus saturés dans le pre-
mier facteur que dans le deuxième. Connaissant les degrés de saturation des fac-
teurs impliqués dans les problèmes et les résultats des sujets à des tests sur chacun
de ces facteurs, nous pourrons prévoir leur performance à l'un ou l'autre pro-
blème.
Letest et le critère peuvent comprendre quelques facteurs différents et le critère
de réussite dans la vie peut aussi dépendre de facteurs non contenus dans le test
Mais, pour que le test soit valide, il faut que test et critère possèdent en nombre
suffisant des facteurs communs. J. P. Guilford (1954), propose le schéma sui-
vant:

G S1 El

2 G S2 E2 tests

3
1· B 1 • 0 SE E3

LA 1 .8
L 1•
C D
1
Sj Ej critère J

Les tests 1 et 2 ont en commun avec le critère J, et dans des proportions dif-
férentes, les facteurs A et C ; le test 3, les facteurs B et D. Les 3 tests sont donc
valides par rapport à ce critère J, mais pour des raisons différentes, c'est-à-dire en
fonction de facteurs différents.
Les tests 3 et 1 ensemble, donneront une meilleure prédiction, car ils couvri-
ront un plus grand nombre de facteurs, ABCD,que les tests 1 et 2 qui ne couvrent
qu'A et C.
Un test n'est valide que par rapport à un critère déterminé. Ajouter un nou-
veau test à une batterie n'améliore sa corrélation avec le critère que dans la
mesure où il recouvre une nouvelle variable du critère, jusque-là non représentée
dans le test. Par exemple, le facteur S dans notre tableau. L'idéal serait évidem-
ment la parfaite conformité entre les facteurs contenus dans le test et dans le cri-
tère.
LES TESTS 723

La validitéfactorielleest le degré de saturation d'un test en un facteur,


déterminé par une analyse factorielle. Cette saturation d'un test ou d'un
critère est équivalente à la corrélation du test ou d'un critère avec le fac-
teur ainsi précisé.
Cette liaison entre les facteurs, ces corrélations, impliquent des opérations
mathématiques complexes, trouvant leur origine dans l'étude des matrices de cor-
rélation. A partir de là, plusieurs solutions sont possibles. L'analyse factorielle la
plus usitée et la plus connue constitue une recherche d'axes de références. On
peut citer encore la méthodedesfacettes1, enfin, plus récente, l'analyseRadexde
Guttmann 2 .
Nous n'entrerons pas ici dans le détail de ces techniques; elles ont en
commun leur orientation structurale et la recherche des facteurs.
744 Similitude des théories bt et multtfactorlelles o Les deux écoles bi et mul-
tifactorielles sont en réalité très proches l'une de l'autre. Ce n'est pas entre elles
que passe la ligne de clivage mais entre leur conception de l'analyse factorielle, de
sa validité, et celle des essayistes.
Les essayistesfidèles à une conception plus descriptive et statistique reprochent
à Ch. Spearman et à L L.Thurstone de « réifier» les facteurs, de les assimiler à
des aptitudes et de ne pas tenir compte des influences du milieu. Pour eux la
construction du test implique la recherche de facteurs communs au critère
externe et au test. C'est le résultat réel, dans la vie, qui sera la preuve de cette cor-
rélation et de la validité du test. Si les conducteurs d'autobus, sélectionnés par
test, ont moins d'accidents que les autres, cela prouve que le test est valide et que
la corrélation entre l'aptitude mesurée par le test (habileté, réflexe, rapidité, etc.)
et l'aptitude responsable de la performance réelle dans la vie, c'est-à-dire du cri-
tère de réussite, est suffisante.
Pour les factorialistes,
c'est seulement l'analyse mathématique de la corrélation
entre les facteurs saturant le critère externe et ceux qui saturent le test, qui
valident celui-ci et doit assurer son efficacité. Ceci montre bien que les factoria-
listes se sont préoccupés de décomposer les facteurs, pour les purifier et en déga-
ger de nouveaux aspects, permettant des hypothèses sur les structures mentales,
plutôt que des problèmes de la valeur prédictive des résultats.
A cause de ces limites, trop souvent oubliées, l'analyse factorielle, malgré la
place qu'elle a prise, a déçu à la fois les praticiens et les psychologues. Les prati-
ciens, parce qu'ils s'aperçoivent que cette manipulation mathématique abstraite
n'apporte pas de réponse aux questions concrètes que leur pose la réalité. Lespsy-
chologues, parce qu'ils ne retrouvent pas, à travers les résultats de l'analyse facto-
rielle, d'éléments s'intégrant dans une théorie générale de la personnalité. Nous
répétons ce que nous avons déjà dit à propos de l'analyse de contenu, des mesures
d'attitude et de tous les problèmes de techniques des sciences sociales: l'emploi
des formules statistiques ne remplace pas une réflexion intelligente et un contrôle
rigoureux.
Thurstone 3 déclarait gue ceux qui étudient la psychologie ont parfois tendance
à faire des calculs pour eviter de réfléchir et que pour sa part, lorsqu'il commen-
çait une analyse factorielle, il passait plus de temps à méditer et à choisir

1. R. Boudon (1965).
2. P. E. Vernon (1952).
3. In L'analysefactorielle(1955).
724 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

le contenu de la batterie des tests qu'à faire les calculs ultérieurs. L Guttmann
faisait aussi remarquer avec beaucoup d'honnêteté : « Meilleurs sont la théorie
psychologique et le choix du contenu des tests, moins il y a de calculs à faire » et
enfin, P. Oleron (1957) reconnaît à son tour: « que les mathématiques utilisées
sont beaucoup plus des recettes, permettant de surmonter la complexité du maté-
riel à manier, que des moyens d'un enchaînement rigoureux de la pensée ou des
faits». C'est pourquoi H. J.Eysenck, au nom des psychologues, déclare que les
h}1>othèsesfactorielles ne peuvent trouver leur validation qu'intégrées dans une
theorie générale.
745 b) Validité critérielle d'Eysenck o Pour cet auteur, les aptitudes nous par-
viennent trop mêlées de facteurs sociaux pour pouvoir être isolées. Nous devons,
au contraire, chercher une validation de ces critères, retenus par l'analyse facto-
rielle, en accord avec les théories générales : théorie de la personnalite, de l'ap-
prentissage, etc. Ceci suppose un groupe de référence, incarnant la théorie en
question : par exemple, groupes de névrosés servant de ~roupes de référence pour
des facteurs hypothétiques sur la névrose, etc. Eysenck prend pour exemple les
facteurs : radical et tendre, qu'il retient dans le domaine politique, parce qu'ils
cadrent à la fois avec la position des partis politiques et les théories psycho-
logiques. Ce point de vue est plus intéressant par son orientation que par la préci-
sion de la technique, car l'identification des facteurs demeure hypothétique.
746 Complémentaritédes diversesconceptionset techniques ◊ Quelles
concfüsions pouvons-nous tirer de ces diverses conceptions, en ce qui
concerne les deux questions posées au départ: Le test mesure-t-ilbien ce
qu'il est censémesurer?La prévisionest-ellejuste?
Sur le premier point, nous ne possédons pas plus qu'avant de défini-
tion de l'aptitude, ni des facteurs. La plupart des auteurs sont parvenus à
une conception modérée, c'est-à-dire qu'ils veulent éviter, pour justifier
des réussites empiriques, de réifier les facteurs et ressusciter, sous le nom
d'aptitudes, les «facultés» du Moyen Age. Ils se contentent d'admettre
que toute tâche nécessite des faisceaux d'aptitudes que le sujet mobilise
ensemble, dans un rapport impossible à déceler. Une « aptitude »
implique l'existence de performances qui corrèlent fortement entre elles
et sont relativement distinctes d'autres performances. Pour concevoir un
facteur mémoire, il faut que les diverses sortes de mémoires, visuelle,
auditive, des chiffres, etc., présentent une forte corrélation les unes avec
les autres. Dans cette optique, un facteur n'est pas un pouvoirmental
hypothétique comme une faculté, c'est une interprétation (également
hypothétique) rendant compte des corrélations objectivement détermi-
nées, entre les tests. Le facteur sert, à titre de catégorie, pour classer des
performances, plutôt que comme entité causale et explicative.
Enfin, comme le note N. Reuchlin (1964), toute possibilité de prévi-
sion ne peut faire abstraction d'éléments sociaux. Ceux-ci créent une dif-
férence entre une tâche élémentaire simple : appuyer sur un bouton après
l'audition d'un stimulus sonore, et une orientation complexe, telle qu'ap-
prendre un métier. Le mot aptitude ne peut s'appliquer avec le même
contenu dans les deux cas. Il faut donc admettre, à côté de recherches
1. In op. cit. (1955), cf. n° 772.
LES TESTS 725

mettant en cause, avant tout, des éléments physiologiques, une extension


des méthodes, débordant de plus en plus les tests d'aptitudes tradition-
nels. Cette absence de définition précise est, nous l'avons vu, habituelle
dans les sciences sociales. Encore faut-il que l'on soit assuré, dans un test,
que l'on mesure bien ce que l'on cherche et que la prévision est exacte. Il
semble une fois encore que chacun des points de vue énoncés soit juste
en ce qu'il propose, mais incomplet et dangereux, sous une forme
extrême, par rapport à ce qu'il veut supprimer.
Les techniques complexes de recherches d'aptitudes exigent d'être uni-
fiées par une théorie psychologique générale.
Les mathématiques ne sauraient dispenser de penser. La validité des
tests, comme des autres méthodes des sciences sociales, dépend du res-
pect des règles techniques, condition de l'absence d'erreur, mais avant
tout des bonnes questions posées, c'est-à-dire de la valeur des items.

§ 4. La fidélité
L'exigence de prévision, qui rend essentielle la notion de validité des
tests, oblige à concevoir de façon très stricte la fidélité. Celle-ci concerne
la façon de recueillir les données, c'est-à-dire non plus la construction du
test, mais toutes les étapes de sa passation. Elle est liée, avant tout, à l'ob-
jectivité des méthodes de passation : normalisation, application, nota-
tion, etc. Cette notion de fidélité recouvre des contenus différents, qui
correspondent aux principales sources de variations, tenant soit aux sujets
eux-mêmes,à leurs dispositions particulières (santé, fatigue, attitude à
l'égard du test), soit à l'instrument,c'est-à-dire au test et aux activités pro-
posées, soit à l'opérateur.La fidélité traduit d'abord la corrélation entre les
notations de plusieursobservateurs.Ensuite, la cohérence et la stabilitédu
comportement d'un sujet, obtenues par corrélation entre deux tests
parallèles ou deux applications successives du même test 1.
747 1° Présentation, application du test ◊ Peu d'individus sont sus-
ceptibles de faire des observations objectives sans un véritable apprentis-
sage. Le plus souvent, les observateurs subissent l'effet de« halo», c'est-
à-dire ne différencient pas les aspects divers du comportement du sujet et
ont tendance à le juger en bloc, bon ou mauvais.
2
L'étude docimologique , ou étude des jugements aux examens, montre que si les
correcteurs sont en général constants dans leur tendance à la sévérité ou l'in-
dulgence, les mêmes copies, corrigées par un même professeur à des époques dif-
férentes, n'obtiennent qu'une corrélation parfois à peine égale à 58. Entre huit
professeurs, il y a 50 % de désaccord 3 •
Lorsqu'il s'agit de juger des éléments aussi divers que le rythme de travail, la
sociabilité, l'aptitude manuelle, etc., l'accord entre observateurs, même entraînés,
ne serait pas plus élevé qu'un accord réalisé par des jugements faits au hasard 4.
1. Diverses techniques statistiques, analyse de variance, corrélation, permettent de calculer le
degré de ces différents aspects de la fidélité.
2. Du grec ôonµam.am, notation des épreuves, cf. A. Picl'On (1963).
3. In N. Reuchlin (1960).
4. In A Picron (1963).
726 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

Les résultats obt.enus à des épreuves sont comparables si les épreuves


ont été subies de la même façon. Quelle que soit la croyance en la valeur
prédictive des tests, celui-ci une fois construit avec tout.e la vigilance et
réflexion possibles, ne sera valide et fidèle, qu'à condition de respect.er,
d'observer une technique très rigoureuse dans le matériel à utiliser, les
consignes à suivre, la façon de juger et de noter les résultats.
Ces détails importants concernent :
- le matérielà utiliser:qui doit être standardisé ;
- lestempsd'application exactement respectés;
- lesinstructionsoralesqui doivent être suivies à la lettre, de très légères modi-
fications pouvant changer les résultats.
748 2° La notation des résultats : Modes de notation simples ◊ Pour les
testsindividuels,il n'y a pas grande difficulté à mesurer le temps nécessaire pour
l'accomplissement d'une tâche ou compter les réponses justes ou fausses, la note
totale pouvant combiner les deux facteurs : temps et exactitude.
Pourlestestscollectifs,le maximum d'objectivité est atteint avec les réponses à
choix multiples, parmi lesquelles il suffit d'indiquer d'une croix la bonne réponse.
Mais on ne peut alors distinguer les réponses qui se rapprochent plus que d'autres
de la solution juste. Enfin, certains sujets peuvent donner au hasard la réponse
juste 1 .
Techniques complexesde notation.- Lorsque le test comporte une réponse qu'il
s'agit d'interpréter (test de Rosenzweig), l'expérience du psychotechnicien et les
consignes très complètes, fournies avec des barèmes expliquant les divers types de
réponses, évitent les différences entre les appréciations.
Quel degrédefidélitépeut-on exigerd'un test ? - Ceci dépend de l'objectif
du test et de la technique utilisée. Un coefficient d'équivalence ou d'ho-
mogénéité doit atteindre 80 à 90. Pour le coefficient de cohésion (test,
retest) on exige un minimum de 70.
Comment peut-on améliorerla fidélité d'un test? - En améliorant les
conditions de présentation et d'application. En augmentant la longueur
du test, mais on atteint assez rapidement les limites de la bonne volonté
du sujet
De toute façon, un t.est ne se lit pas comme une mesure sur un ther-
momètre. Lorsqu'il s'agit de conclusions rassemblant les résultats de plu-
sieurs tests, comme c'est le cas dans un examen d'orientation, l' expé-
rience et la valeur de celui qui interprète int.erviennent dans une
proportion difficile à déceler, variable suivant le type de test.

§ 5. Classification des tests


748-1 Distinctions ◊ Les tests sont extrêmement nombreux et chaque année
voit croître leur nombre. Divers systèmes de classification ont été propo-
1. On applique la formule suivante pour corriger le résultat du hasard. Soit un test de
30 questions. 4 choix pour chaque réponse: un point par réponse exacte. Bonnes réponses 21.
Mauvaise réponses: 6, la note corrigée sera: 21 - 4 ~ 1 = 19.
LES TESTS 727

sés. On peut ranger les tests, soit d'après leur présentation:certains néces-
sitent un appareillage, des éléments à manipuler, d'autres seulement un
papier et un crayon; soit d'après leur fonction, le but que l'on se propose
en les appliquant. Certains auteurs distinguent les tests analytiques,
s'adressant au développement d'une fonction déterminée: sensorielle,
motrice, tests d'habileté manuelle et de réactions ; ou mesurant des apti-
tudes élémentaires : mémoire concrète, intelligence verbale ; certains tests
de connaissance, ayant pour but de remplacer les compositions aux exa-
mens ; soit au contraire des tests synthétiques, étudiant des aptitudes
complexes : aptitude à la musique par exemple.
Classificationde G. Palmade(1948). Si l'on considère le but des tests,
on s'apercevra qu'ils sont utilisés suivant trois tendances. La première
inspire ceux qui se soucient d'examenspréds et étalonnés,reposant sur des
corrélations contrôlées. La deuxième, préoccupée davantage d'une solu-
tion en fonction de la vie concrètedes professions, s'attachera à un aspect
plus global et négligera certains aspects statistiques. La dernière, inspirée
davantage de la psychiatrieet de la psychologie pathologique, étudiera les
facteurs affectifs profonds d'adaptation au travail. Elle est sur le plan psy-
chologique beaucoup plus élaborée que les précédentes, mais manque
parfois de rigueur expérimentale.
L'adaptation de l'homme au travail se fait sur trois plans. Plan desapti-
tudes opérationnelles: tout métier, toute technique, comporte des opéra-
tions définies, dans lesquelles la réussite est sans ambiguïté et correspond
à des aptitudes données 1. Mais la vie de travail, la façon de travailler,
n'expriment pas tout l'individu. Il existe, en dehors des gestes concrets,
un élément plus général: le comportement.De plus, tout métier a une
signification sur le plan humain et l'on peut considérer au-delà du
comportement un domaine des conduites.Si nous admettons cette divi-
sion en trois grands groupes de facteurs, encore faut-il disposer de
moyens de déceler et mesurer ces facteurs. Dans tout examen par test, il y
a non seulement ce que l'on cherche (facteurs manifestant des apti-
tudes), mais aussi la façon dont on le cherche, qui est, nous l'avons vu,
liée aux données symptomatiques retenues pour être interprétées.
On peut classer les tests d'après la nature de ces indices, ce qui donne
huit types d'examen psychotechnique, pouvant se regrouper en trois
méthodes principales :

749 1° LA méthode des réussites ◊ Elle s'applique à un grand nombre de cas de


réussite, mettant en jeu des facteurs différents.
- Domaines sensori-moteurs : sélection des conducteurs de véhicules, des
aiguilleurs.
- Domaine intellectuel: test de Binet-Simon et son amélioration par Terrnan,
tests d'intelligence verbale ou technique, de mémoire. Ces tests ont en général
une prédictivité élevée.

1. Ces aptitudes, comme nous l'avons vu, peuvent être définies à partir de conceptions sur laper-
sonnalité et la nature de l'homme (point de vue dogmatique), à partir de la structure des opérations
(notion classique d'aptitude) ou d'une analyse expérimentale (point de vue factoriel).
728 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

750 2° La méthode d'étude du comportement o Des études approfon-


dies mirent à jour, comme responsables d'accidents, de nombreux fac-
teurs autres que les aptitudes : soucis personnels, rapports familiaux, etc.
W. Sheldon résumait ainsi ses travaux: « Les gens qui n'ont pas d'ac-
cident, ce sont les gens heureux et sains. » En dehors de facteurs psycho-
sociaux, dont ne tiennent pas compte les tests purement opérationnels,
certains traits de la personnalité jouent également un rôle non mesuré,
par exemple le sens de la responsabilité. Les praticiens ne sont pas tou-
jours d'accord sur les facteurs de réussite eux-mêmes. Quel est l'élément
le plus important pour un bon conducteur : la prudence et la réflexion,
ou la promptitude de décision et la rapidité des réflexes ? A partir de ces
constatations, deux tendances se sont affrontées. Ceux qui insistent sur
la précision des tests, leur rigueur, le respect des consignes et l'étude des
corrélations, le reste pour l'instant relevant de l'intention et n'étant pas
mesurable. Ceux qui estiment, au contraire, que l'être humain est trop
complexe pour être entièrement réductible à la mesure et qu'une attitude
clinique souple doit compléter la rigueur des résultats quantitatifs, obte-
nus en laboratoire.

751 La méthode Carrard ◊ Caractéristique de cette deuxièmeattitude, on


trouve une méthode d'étude du comportement, connue sous le nom de
méthode de A. Carrard, du nom de l'ingénieur suisse qui s'en est fait le
propagandiste actif.
Un certain nombre de psychologues et psychotechniciens (de Zurich en parti-
culier) ont réuni un ensemble de tests (double chariot, gravimètre, réglette)
propres à l'étude des aptitudes, mais surtout révélateurs du comportement. Indé-
pendamment de cette école zurichoise, des psychotechniciens de tous les pays ont
également essayé de déceler le comportement général ou particulier, à partir des
tests. Il ne s'agit plus de méthode au sens précis du terme, elle n'est ni contrôlable
ni transmissible. La richesse des observations va dépendre surtout des qualités du
psychologue. Finalement, ce n'est pas le facteur réussite au test qui compte, le
plus important est l'observation du sujet. L'on arrive à ce paradoxe: « n'importe
quoi peut servir de tests», ce qui, à strictement parler, constitue la négation
même des tests. Cependant, vu l'intérêt de cette orientation, on a tenté de systé-
matiser les observations.
Pour le professeur Lagache il ne s'agit plus de mesure quantitative: à
quel degré le sujet a-t-il réussi ? mais d'un processus qualitatif: comment
s'y est-ilpris pour réussir? On évite l'écueil de la définition philosophique
de la structure de la personnalité, pour s'attacher à la structure des
conduites. On ne se demande pas ce que signifie l'intelligence et si on la
mesure bien, mais seulement quelle est la forme d'intelligence manifes-
tée, par quoi elle se caractérise.
On se trouve ainsi sur un terrain moins dangereux et extrêmement
riche, car le concept de réussite ou d'échec représente une simplification
par rapport à la vie. L'on peut réussir plus ou moins, mais surtout réussir
grâceà des moyens différents.
LES TESTS 729

752 3° L'étude des conduites ◊ Au-delà du comportement formé par


l'ensemble des réactions concrètes d'un individu à une situation immé-
diate, en face d'un test ou devant son travail, existe un comportement
plus global, lié au caractère de l'individu et que l'on peut considérer sous
le terme général de conduite. Certaines méthodes sont plus spécifique-
ment adaptées à l'examen de ces facteurs.

753 a) La méthode synthétique des traces ◊ Le diagnostic est porté sur


des traces au sens propre du terme : écriture ou dessin. La graphologie
révèle la personnalité du sujet par les transformations qu'elle fait subir à
l'écriture. R. Bonnardel déclarait: « La graphologie doit comporter une
certaine part de vérité. Le point délicat est de déterminer laquelle. »
Même sans atteindre une grande précision elle est très utilisée en
France pour embaucher dans les entreprises. Moyen d'appre'hension glo-
bale de la personne plus que recherche d'aptitudes précises, elle offre le
grand avantage de s'effectuer en dehors de la présence du candidat et
d'éviter le traumatisme de questions indiscrètes, posées dans un entretien
en face-à-face.
754 b) Les questionnaires et inventaires ◊ D'après le professeur
P. Pichot ( 19 54) : « Les tests de personnalité comprennent les épreuves
qui explorent tous les aspects non intellectuels, au sens large, de la per-
sonnalité, c'est-à-dire ses aspects affectifs ou conatifs (volitionnels). »
La méthode du questionnaire, comme son nom l'indique, consiste à poser un
grand nombre (120 à 200) de questions, supposées avoir une valeur symptoma-
tique. Parmi les tests connus, on peut citer : l'inventaire de personnalité de Bem-
reuter; le profil de tempérament de Guilford Martin; le test 16 PF de R. B. Cat-
tell ; le test 16 PF de Mineesota ; les Pressey Cross-out tests et beaucoup d'autres.
Le défaut essentiel de ces tests (d'un point de vue psychotechnique, il
condamne presque à lui seul la méthode, écrit Palmade), c'est que les
sujets comprennent plus ou moins la valeur indicative de la réponse. A
une question telle que « les obstacles vous stimulent-ils ou vous décou-
ragent-ils ? » le jeune cadre, voulant se faire embaucher dans une grande
entreprise, saura d'emblée ce qu'il faut répondre pour que sa canditature
ait des chances d'être retenue. La méthode est surtout utilisable à titre
complémentaire.
755 c) Les tests projectifs ◊ L. K. Frank, en 1939, proposa le terme de
Méthodesprojectivespour l'étudede la personnalité.
Les tests projectifs sont nés en Europe, dans les pays de langue allemande, où
les recherches psychologiques ont porté sur une psychologie des profondeurs, très
différente de la psychologie quantifiée des Américains. Ceux-ci ont, à leur tour,
largement utilise les méthodes projectives.
La notion même de projection est psychanalytique. D'après les théories de
Freud, la projection est un mécanisme de défense du moi. Si l'idée d'un lien entre
la projection et la défense du moi est abandonnée, du moins certains postulats
concernant la notion de personnalité sont-ils maintenus. Celle-ci comporte des
730 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

processus dynamiques. Or, ce qui est dynamique implique une structure et


celle-ci résulte d'une adaptation. Le comportement de l'individu constitue une
interaction entre la structure de la personnalité et le milieu. Cette structure est
inconsciente et la projection a pour but de la découvrir. Connaissant le stimulus
du test, on peut observer ou déduire le processus d'adaptation, révélateur de la
structure.
Les tests projectifs présentent, par rapport aux autres, certaines parti-
cularités. D'abord, pour eux, il n'y a pas de réponsejuste ni de réussite,
mais une grande variété de réponses possibles. Ensuite, à l'inverse des
questionnaires, le sujet ne connaftpas la significationou l'importance de sa
réponse, celle-ci a besoin d'être interprétée par un spécialiste. Enfin, le
contexte est important, c'est-à-dire que tous les éléments de réponse
comptent et il faut un grand nombre de réponses pour permettre une
interprétation, sinon certaine, du moins plausible.
Le test de Rorschach.- Le test le plus important, le plus utilisé, est le Rorschach,
du nom d'un psychologue suisse qui l'inventa en 1921.
Il est composé de dix planches représentant des taches d'encre, de formes dif-
férentes, dont cinq sont colorées. On demande au sujet de dire ce que repré-
sentent les taches.
Voit-il l'ensemble ou plutôt le détail de la tache? perçoit-il plutôt la forme, la
couleur ou l'image d'un mouvement? quel est le contenu des interprétations du
sujet ? On tient compte également de l'originalité ou de la banalité de la réponse,
de l'ordre de succession, etc.
Les tests constructifs:
- le test de mosaïquede Lôwenfeld, comportant 46 5 petites plaques de matière
plastique, de formes et dimensions différentes que le sujet doit grouper comme il
l'entend;
- Le test du monde, très utilisé, dérivé d'une idée du romancier H. G. Wells,
élaboré par le même Lôwenfeld et perfectionné. Il comprend 150 jouets de bois :
personnages, maisons, arbres, que le sujet doit disposer ;
- le test du village ;
- le test de poupées marionnettes, personnages à grouper dans un petit
théâtre.
Méthodedeschampssignificatifs.- On demande au sujet de prendre position ou
de choisir dans un ensemble, sans qu'il puisse deviner les conséquences de son
choix.
C'est le cas du test de Szondi : 48 photographies de visages représentant un
sadique, un épileptique, un homosexuel, un paranoïaque, etc., sont présentées au
sujet, qui doit indiquer les deux qu'il préfère, les deux qu'il aime le moins. Les
choix sont reproduits sur un profil qui indique les tendances profondes.
Les tests interprétatifs.- Le T.A.T. (Thematic aperception test) de Murray est,
avec le Rorschach, un des tests les plus employés. C'est aussi le plus proche des
conceptions psychanalytiques.
On présente au sujet 30 images, figurant des personnages dans des situations à
signification ambiguë. Il doit imaginer une histoire pour ces personnages ou
s'identifier avec l'un d'eux. Le choix des images est le résultat d'un très grand
nombre d'expériences. L'interprétation des réponses du sujet concerne à la fois
ses réactions : changements de ton, hésitation et le contenu des histoires : thèmes
abordés, projection du sujet et relation avec son environnement.
Le testdefrustrationde Rosenzweig.- Une série de dessins représentent des per-
sonnages subissant une déception ou une frustration. On demande au sujet
d'écrire ce qu'il dirait, s'il se trouvait dans la situation représentée.
LES TESTS 7 31

Par exemple, on figure un étudiant dans une bibliothèque, se voyant refuser le


prêt de livres. Dira-t-il : « ce règlement est absurde», ou « vous pouvez bien faire
une petite exception pour moi?», ou « excusez-moi, je ne savais pas», etc. ? II
existe aussi des tests d'association de mots, de phrases à compléter. Tous ont été
établis par des psychologues pour découvrir des aspects de la personnalité. Peu
ont été çtendus à des domaines voisins, tels que la psychologie sociale.
Aux Etats-Unis, on cite le test de Proshansky qui transrose le T.A.T.de Murray
à l'analyse des conflits sociaux. Letest de Rosenzweiga éte également adapté pour
révéler les tendances autoritaires ou démocratiques. En France, l'Institut Français
d'Opinion Publique a proposé une série de dix photographies représentant des
scènes de grèves, d'occupations d'usines, de bagarres, d'arrestations de Nord-
Africains. Les commentaires des sujets permettraient de discerner leurs tendances
politiques de gauche ou de droite. Plus que d'un test véritable, il s'agit d'une
épreuve précédant un questionnaire d'opinion 1 .
On peut imaginer des tests de science politique, ou révélant certaines attitudes
économiques, mais il est difficile d'isoler dans la personnalité un facteur pur ins-
pirant les opinions politiques. Cependant, H. J.Eysenck (1948) a construit des
questionnaires d'opinion révélant certains traits de la personnalité liés à des atti-
tudes politiques: conservatisme, radicalisme et cherche des corrélations entre cer-
taines attitudes antisémites ou ethnocentristes.
Avant qu'un test, surtout un test projectif, soit reconnu valide, il faut une très
longue période d'utilisation et de très nombreuses expériences de validation.

§ 6. Valeur et intérêt des tests


756 Valeur ◊ Nous avons insisté sur l'élément de prévision qui donne son
intérêt à la méthode des tests. Mais ceux-ci ne représentent-ils pas, fina-
lement, un moyen peu sûr et bien compliqué de découvrir ce que l'on
trouverait, a moindre frais, avec un peu d'intuition et de bon sens ? En
tout cas, la connaissance que les parents, éducateurs ou employeurs
peuvent avoir de ceux dont ils ont la charge, n'est-elle pas plus sûre que
des tests? Pourquoi avoir recours à l'orientation professionnelle? Binet
n'avait-il pas raison de parler d'une méthode « de luxe»? Il ne semble
pas. D'abord, la méthode des tests, loin d'être un luxe, représente au
contraire un moyen relativement rapide de sélectionner un grand
nombre d'inconnus, par exemple dans l'armée. Ensuite, elle a pour but
de recueillir des informations objectives, grâce à des observateurs entraî-
nés; l'appréciation des parents est rarement objective. Enfin, le test orga-
nise le jugement en fonction du but à atteindre,alors que les parents, s'ils
peuvent connaître leur enfant, ignorent en général les qualités requises
pour les tâches à accomplir.
On peut considérer la méthode des tests comme un moyen objectif
complémentaire, pouvant aider à porter un jugement et à prendre une
décision. Suivant la nature de l'information cherchée ( aptitude physique,
personnalité), les renseignements que procurent les tests seront plus ou
moins sûrs, plus ou moins précieux.
La valeur et l'intérêt de la méthode des tests ne peuvent être niés, mais
tout le monde n'est pas d'accord sur les limites à lui assigner. On
1. Cf. Les TempsModernes,août-sept. 1954.
732 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

constate un double courant, d'une part, une extension de la méthode des


tests, sous l'influence des nécessités du monde moderne, d'autre part, des
critiques nombreuses sur son utilisation, souvent sans qu'une distinction
nécessaire soit faite entre les divers types de tests.
757 1° Extension de l'utilisation des tests ◊ La production de tests a
subi un accroissement considérable pendant ce dernier quart de siècle1 .
Malgré les nombreuses critiques dont ils continuent à faire l'objet, leur
utilisation croissante répond à certains impératifs de notre époque.
758 a) Les nécessités de l'enseignement ◊ L'extension de la scolarité, la
tendance à la démocratisation de l'enseignement, la complexité des pro-
grammes et la division des matières ont rendu plus complexes les pro-
blèmes d'adaptation et d'orientation, d'où l'utilisation de tests, pour
obtenir des renseignements objectifs, complémentaires des examens clas-
siques 2 .
759 b) Les nécessités de la fonnation et de la se1ection ◊ Depuis les
succès obtenus par Lahy dans la sélection des chauffeurs de tramways, les
compagnies de transports utilisent des tests pour le recrutement de leurs
conducteurs ou pilotes. En sélection préventive, ils sont appliqués pour
écarter des postes dangereux les sujets prédisposés aux accidents. Face au
nombre de suicides chez les policiers, on envisage un soutien psycho-
logique. Il serait aussi utile de prévoir surtout une meilleure selection.
On a perfectionné les tests en vue de la sélection du personnel, non
seulement pour les tâches parcellaires, mais aussi pour l'apprentissage des
techniques complexes de l'industrie moderne. On utilise les tests de per-
sonnalité, en particulier les questionnaires, pour la sélection des cadres
dans de grandes entreprises.
760 c) Nécessité de l'aide technique aux pays sous-dévelop-
pés ◊ L'aide technique revêt de nomôreuses formes, suivant qu'il s'agit
d'industrialisation ou de formation d'un artisanat rural. Elle implique
toujours que soient rapidement résolus des problèmes de formation ou
promotion de la main-d' œuvre. Des tests, spécialement choisis et adaptés
à des individus peu ou pas du tout scolarisés, sont apparus le moyen le
plus rapide de déterminer l'éducabilité de ces sujets. La difficulté provient
de la nécessité de tenir compte des différences culturelles.
761 2° Limites d'utilisation ◊ Il ne s'agit pas ici de reprendre le pro-
blème technique de la validité des tests, mais de considérer certaines cri-
tiques que suscite leur emploi et les cas dans lesquels on les utilise.
Celles-ci portent moins sur la méthode elle-même que sur ses excès, sur
les ambitions, jugées illégitimes, de ses utilisateurs, en particulier dans le
cas de tests de personnalité.
1. Accroissement surtout sensible en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
2. Cf. P. Pichot (1954).
LES TESTS 733

7 62 a) Le test ne donne pas de certitude, il est forcément


incomplet ◊
S. Pacaud (1955) cite le cas d'un mécanicien de locomo-
tive, responsable de plusieurs accidents qu'il expliquait par une suite de
coïncidences malheureuses. Or il fut démontré, par des tests complémen-
taires, que cet homme avait fort bien acquis les automatismes psycho-
moteurs utiles, mais qu'il était perturbé lorsque au stimulus habituel
s'ajoutait un stimulus complémentaire. On a pu constater que l'échec
d'un individu dans son métier provenait rarement de son inaptitude à
apprendre les gestes utiles, mais le plus souvent de sa difficulté à se debar-
rasser des actes inadaptés. Ceci nous paraît extrêmement important 1,car
la plupart des tests sélectionnent simplement en fonction des possibilités
d'acquisition d'automatismes de métier et sont donc de ce fait insuffi-
sants.
S'il paraît, dans tous les cas, prudent de ne pas attendre des tests plus qu'ils ne
peuvent donnçr, il faut surtout être circonspect en ce qui concerne les tests de
personnalité. Etablir des normes de jugement et de réflexes pour la sélection de
conducteurs d'autobus, paraît raisonnable. Mais les informations recueillies
concernant la personnalité des individus et surtout l'établissement de ce qui est
normal ou pas, semble infiniment plus imprudent, car, ou le test n'est pas valide
et donne des informations fausses, ou il est valide et se pose alors le problème du
respect de la personne.
763 b) Le test est établi par rapport à une moyenne ◊ Sélectionner
les individus aboutit forcément à écarter les éléments originaux, qui ne
cadrent pas avec la norme établie par les tests. Car ceci est essentiel : un
test n'estpas révélateurd'uneaptitudeen soi, mais d'une aptitude par rap-
port à celle d'autres individus. Tel sujet fait dix erreurs alors que la
moyenne des sujets en fait trente. Tel sujet réagit avec telle rapidité, alors
que la moyenne des sujets réagit deux fois plus vite. Il ne faut jamais
perdre de vue cet élément capital : la relativité du test, qui est toujours
établi par rapport à une population donnée.
764 c) Le test est établi et interprété par des hommes ◊ Dans les
tests projectifs et les questionnaires de personnalité, l'influence du créa-
teur du test est importante: le test n'est qu'un moyen de saisir une infor-
mation et ce moyen recèle toujours une part d'arbitraire.
L'influence de celui qui administreletest est également considérable. Sa
valeur, sa personnalité, son expérience professionnelle et personnelle,
comptent beaucoup dans les tests de conduite, alors que dans les simples
tests de réussite l'appréciation est réduite au minimum.
765 d) Le test projectif viole la pqsonnalité du sujet ◊ La généralisa-
tion de la méthode des tests aux Etats-Unis a été critiquée par les Améri-
cains eux-mêmes.
1. Il est tentant de transposer ceci à de nombreux domaines, par exemple à la science politique.
Les élus peuvent sans doute acquérir de nouveaux réflexes adaptés à une nouvelle constitution, mais
il est plus difficile de les débarrasser de leurs habitudes antérieures (cf. passage de la IV à la V' Répu-
blique en France, au nouveau régime en Russie).
734 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

C'est ainsi que W. H. Whyte jr, dans son ouvrage L'hommede l'organisation1
explique comment mentir aux tests, pour être embauché dans une grande entre-
prise. Le système étant établi par rapport à l'ensemble de la population, on a inté-
rêt à ne pas troP. se singulariser, à rester proche du normal, tout en essayant de
n'être pas trop eloigné de ce que l'on est vraiment.
Ces méthodes bien que de plus en plus utilisées sont beaucoup moins
répandues en France, où elles suscitent à la fois méfiance et ironie 2 • Les
syndicats se montrent réticents, d'une part dans la mesure où les services
d'embauche tendent à dépasser le simple niveau des aptitudes profes-
sionnelles et cherchent des informations sur le comportement des indivi-
dus, d'autre part et surtout, dans la mesure où le sujet n'est pas tenu au
courant des résultats de ses épreuves. Des tests, comme un examen médi-
cal, peuvent se concevoir, mais en fonction d'abord de l'intérêt du sujet,
qui doit être averti de ses aptitudes et de ses faiblesses et ensuite, dans l'in-
térêt général de l'entreprise et dans celui de la société.
Il faut cependant comprendre la tendance des psychométriciens à
essayer de porter un diagnostic au-delà des seules réussites et la tentation
des patrons de se servir de ces indications.
Comme le remarque S. Pacaud (1955): « A l'heure actuelle, l'adaptation de
l'homme à son métier, et même de la machine à l'homme, est moins urgente que
l'apaisement, à l'intérieur de l'entreprise, des conflits intrahumains et des conflits
de groupes. »
Utilisés de façon raisonnable, les tests peuvent aider l'orientation et la
sélection. Ceci à condition que soient respectés, en dehors des consignes
techniques, un certain nombre d'impératifs : respect du sujet soumis au
test, non pas mesuré comme un objet, mais comme une personne ayant
droit à la connaissance des résultats, prudence du psychotechnicien vis-à-
vis de ses conclusions. Celles-ci constituent seulement des indications.
Elles sont soumises aux aléas des interprétations et comportent de nom-
breuses lacunes.
Avec ces réserves, on peut admettre que, l'individu étant plus heureux
lorsqu'il accomplit une tâche pour laquelle il est doué, une sélection bien
faite concourt à la fois à l'épanouissement individuel et au rendement
dont bénéficie la collectivité.
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736 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

3. LA MESUREDES ATTITUDES
SECTION
ET DES CHANGEMENTS
While you and I have lips and voiceswhich
Are for kissingand to sing with
Who caresif some one eyedson of a bitch
Invents an instrument to measureSpringwith.
E. E. Cummings.

1
§ 1. Les caractéristiques des attitudes
767 1° Les changements d'attitudes ◊ Connaissantle rôle des attitudes 2
on peut émettre l'hypothèse qu'une attitude changera plus facilement,
lorsqu'elle ne remplira plus sa fonction. Il est donc utile de connaître
celle-ci. On peut imaginer qu'en supprimant certaines raisons d'anxiété
on rendra inutiles les attitudes de défense correspondantes, ou qu'en don-
nant des informations répétées sur un sujet précis, on modifiera des
cadres de références anciens, donc des attitudes fondées sur des erreurs de
jugement ou d'appréciation. Ce changement sera plus ou moins probable,
plus ou moins facile, suivant les individus et surtout suivant les caractères
de l'attitude.
Il convient d'abord de connaître le degréde consistancede l'attitude,
autrement dit sa solidité, sa persistance, lorsqu'elle se trouve en face d'un
stimulus semblable, mais aussi dans des occasions différentes. Ensuite, la
cohérencede l'attitude, son degré de corrélation avec d'autres attitudes et la
zone, l'étenduequ'elle recouvre, c'est-à-dire sa spécificitéou sa généralisa-
tion. Un individu raciste acceptera mal qu'un Noir habite dans son
immeuble, mais en embauchera facilement un comme chauffeur.
Enfin, l'intensité de l'attitude va souvent de pair avec l'étendue et la
cohérence. Plus une opinion est intense, plus elle tend à recouvrir un
grand nombre d'attributs. On ne peut traiter des changements d'attitude,
sans signaler cet élément important de la psychologie sociale que consti-
tue la résistanceau changement.Elle renforce toutes les attitudes existantes
et l'élément d'économie, de refus d'adaptation à la nouveauté, qu'elles
contiennent.
768 La ri_gidité ◊ La résistance au changement est liée à un trait de person-
nalite: la rigidité,c'est-à-dire la force de maintien des attitudes. Lesindivi-
dus sont, pour la plupart, aveugles et sourds à ce dont ils n'ont pas l'habi-
tude. Ceci explique qu'ils ne lisent que les journaux les confirmant dans
leurs opinions, écoutent seulement ceux qui sont de leur avis, etc. La rigi-
dité rend certaines personnes, non seulement incapables de s'adapter
rapidement, mais encore de tolérer l'ambiguïté,c'est-à-dire l'indécision et
1. Cf. n°' 453 et s. R. Thomas et D. Alaphilippe (1983), D. Katz (1960).
2. D. Katz (1960).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 737

le doute. Bien des individus ont un comportement apparemment coura-


geux ou décidé. La vérité c'est qu'ils refusent inconsciemment de poser les
problèmes et d'hésiter sur ce qu'il faut faire. Ils ont, certes, le courage d'ap-
pliquer les principes qu'ils ont reçus ou adoptés, mais pas celui de les
remettre en cause. Avec ce genre de sujet, la prévision du comportement
sera plus facile.
On s'est demandé si de tous les facteurs de modification des attitudes,
la réalité elle-même, ne pouvait être considérée comme le moyen le plus
puissant d'amener un changement, lorsqu'elle contredisait l'attitude. Or,
l'expérience prouve que certains individus deviennent même incapables
de percevoir la réalité. Ils vivent de préjugés, de stéréotypes. Leur pensée ne
cherche plus qu'à s'entretenir elle-même.
L'expérience faite à propos du film prodémocratique, antiraciste « Don't be a
sucker » 1 montre que les s~t.ateurs, pour la plupart, ne se rendaient pas compte
qu'un grand nombre des reactions qu'ils désapprouvaient dans le film étaient jus-
tement les leurs.
Un exemple plus frappant encore, est celui d'un groupe d' Américains qui, ayant
cru la fin du monde proche, ont par la suite réinterprété les faits de façon à justi-
fier leur croyance 2• Leur foi seule avait empêché la fin du monde qui devait surve-
nir. Ce que Festinger appelle une« dissonance »3, c'est-à-dire une contradiction
entre l'attitude et la réalité, s'est ainsi résolue sans changement d'attitude.
La possibilité de changement est inversement proportionnelle à la rigi-
dité de l'attitude et à l'intensité du besoin qu'elle satisfait.
769 2° Les recherches sur les attitudes ◊ Les Américains ont été amenés
à étudier les changements d'attitude, du fait des problèmes posés par la
guerre, l'hitlérisme et les préjugés raciaux. Leurs recherches se sont ensuite
étendues à bien d'autres domaines, tels que la modification des attitudes
des consommateurs, vis-à-vis de certains types de nourriture, des ouvriers
vis-à-vis de leur travail, etc. De même que l'armée fut aux États-Unis la
première à utiliser les tests sur une grande échelle, pour la mesure des apti-
tudes, c'est elle qui se préoccupa des mesures d'attitudes, dans un but de
prévision du comportement des soldats au front, de leur résistance à la
propagande au cas où ils seraient faits prisonniers, de leur réadaptation à
la vie civile, etc.
770 Le soldat américain ◊ La première étude import.ante, comportant un grand
luxe de détails méthodologiques, est la fameuse enquête sur le soldataméricaindiri-
gée par S. Stouffer, dans laquelle le volume IV est consacré à la mesure des atti-
tudes 4.
Y a-t-il des individus présentant des caractéristiques fascistes innées, plus ou
moins latentes, que des circonstances favorables révéleraient. Quelles sont les
causes et composantes de ces attitudes, quels sont les liens entre elles ? En décou-
vrant l'une d'elles, ne pourrait-on prévoir la probabilité d'apparition des autres?

1. E. Cooper and H. Dinerman (1951), Eunice Cooper, M. Jahoda (1954).


2. L. Festinger (1947).
3. L. Festinger (1964).
4. S. Stouffer (1950).
738 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

C'est ce qu'a essayé de faire T. W. Adorno (1950), dans sa recherche sur la person-
nalité autoritaire.

771 La personnalité autoritaire ◊ On doit à Adorno la première tenta-


tive de replacer les attitudes dans le contexte de la personnalité totale,
celle-ci étant elle-même liée à la culture. L'hypothèse de travail était la sui-
vante: la personnalité autoritaire se caractérise par des attitudes et des
opinions qui se différencient de celles des autres personnalités, en parti-
culier en ce qui concerne les types de jugements et opinions, présentant
entre eux des corrélations. Ces jugements et opinions sont sélectionnés
d'après des questionnaires, constituant d'abord l'échelle F ou échelle de
fascisme, puis l'échelle d'E ou ethnocentrisme, enfin, l'échelle socio-
économique. Sur le plan de la méthode, c'est également la première fois,
en ce qui concerne les attitudes, que plusieurs techniques sont utilisées
concurremment et avec une volonté aussi manifeste, sinon totalement
efficace, de procéder scientifiquement. Deux mille enquêtés ont été inter-
rogés. De petits échantillons ont ensuite subi des interviews en profon-
deur et des tests projectifs. Les résultats de ces diverses techniques ont
ensuite été comparés.
Il semble que la personnalité fasciste soit antisémite, ethnocentriste,
c'est-à-dire très fortement centrée sur son groupe et peu favorable aux
autres, considérés comme une menace pour sa sécurité. Le fasciste pense
fréquemment en termes de préjugés et stéréotypes : admiration pour les
hommes forts, mépris pour les intellectuels, les étrangers. Ayant une per-
sonnalité rigide, sans aucune résistance à l'ambiguïté et au doute, il
n'exerce pas volontiers son esprit critique et préfère admettre, sans remise
en question, les valeurs adoptées : sens de la hiérarchie, culte du chef, fidé-
lité au groupe. Sur le plan ~onomique et social, il est conservateur et s'op-
pose à l'intervention de l'Etat.
Nous ne pouvons critiquer ici tous les aspects de la méthode suivie, en parti-
culier dans le choix des questions, ni les simplifications auxquelles elle aboutit 1 .
Nous voulons seulement signaler cette étude importante et compléter ses résultats
par quelques remarques faites par H. J.Eysenck (1954).
772 Le schéma d'Eysenck ◊ Cet auteur est frappé, à juste titre, par les
dur
limites de la notion de continuum droite-gauche
et le fait que certains traits de personnalité auto-
ritaire, se retrouvent aussi bien chez les fascistes
que chez les communistes. Il en conclut que le
simple continuum est insuffisant et qu'une double
gauche droite distinction est indispensable. Il propose de main-
radical conservateur tenir une première opposition: conservateur-
radical, sur une ligne horizontale. Il emprunte à
James, la deuxième, verticale : durs-tendres.
Eysenck donne l'exemple des bas de soie que l'on
Tendre peut distinguer à la fois par le fil plus ou moins fin
et la maille plus ou moins serrée.
1. Cf. R. K. Merton and P. Lazarsfeld (1950).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 739

On voit ici dans le secteur en haut et à droite ce qui concerne plutôt les réac-
tions fascistes et en bas, un certain type de libéralisme. Tandis qu'à gauche, on a en
haut le point de vue communiste et en bas une certaine gauche humaniste. Les
quatre dimensions permettent de nuancer les positions, les attitudes, plus que la
simple ligne ne comportant que deux extrêmes.
773 3° Conditions et limites de la prévision des attitudes ◊ On peut
distinguer: a) D'une part, la prévision d'une attitude particulière à partir
d'une autre attitude particulière ou d'une attitude plus générale (cas de
!'ethnocentrisme et de l'antisémitisme) ; par exemple, l'attitude vis-à-vis
des Noirs, attitude particulière de tel individu appartenant à un parti de
droite ( attitude générale).
b) D'autre part, la prévision d'un comportement précis dans une situa-
tion donnée, à partir d'une attitude connue, par exemple peut-on prévoir
comment tel individu raciste, se comportera devant un Noir qui a besoin
d'être aidé? Il s'agit là de deux questions tout à fait différentes, qui
expliquent ce que pourraient avoir de contradictoires, d'une part, l'affir-
mation que les attitudes sont liées entre elles et d'autre part, la constata-
tion que l'on ne peut prévoir avec certitude un comportement réel à partir
d'une attitude.
L'exemple le plus fréquemment ava11céest celui du sociologue R.T.La Piere
(1934), qui, en 1930-32, voyageant aux Etats-Unis avec un jeune ménage chinois,
fut fort bien accueilli dans les hôtels et restaurants, alors qu'aux lettres envoyées
préalablement, posant la question : « Acceptez-vous des Chinois comme
clients?», 92 % des restaurateurs sur les 51 % qui répondirent le firent négative-
ment. La question de La Piere n'était pas, en fonction d'une prévision, une bonne
question. Révélatrice sans doute de l'opinion ethnocentriste des hôteliers, elle ne
permettait pas de prévoir comment ils adapteraient leur attitude à la réalité sociale
précise dans laquelle elle aurait à se manifester. En effet, en période de crise écono-
mique, la question écrite suggérait sans doute la venue de Chinois loqueteux. Elle
n'avait rien de commun avec la réalité: l'arrivée de clients corrects et bienvenus
parce que rares.
774 Limites à la prévision ◊ On peut seulement dire que l'attitude ou
l'opinion, extériorisée dans une situation donnée, représente l'attitude de
cet individu dans telle situation. Nous insistons ici sur la tendance regret-
table de certains à considérer certaines attitudes comme « réelles » ou
«vraies», alors que d'autres seraient fausses. Du point de vue de l'obser-
vateur, toutes les attitudes sont également réelles et vraies. Qu'il puisse
trouver entre elles des corrélations plus ou moins parfait.es, est un pro-
blème qui n'a rien à voir avec la vérité ou la réalité des attitudes. Le
comportement ne dépend pas seulement de l'attitude. Entre celle-ci, dic-
tée par des motifs intérieurs, et le comportement réel, jouent les écrans de
la politesse, de la pression sociale, de la peur, etc. Entre une attitude qui
tend à donner une certaine réponse à une situation et les éléments exté-
rieurs qui vont atténuer ou corriger cette réponse, on trouve des deux côtés
des facteurs plus ou moins contraignants. Un adolescent peut avoir vis-à-
vis de son père une attitude très hostile, dont la manifestation sera inhibée
par la crainte. Malgré ces difficultés, la mesure des attitudes garde tout son
7 40 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

intérêt, car la connaissance de l'intensité, de la cohérence, du degré de


force ou d'organisation de telle attitude, chez tel individu, donne tout de
même plus de chances de prévoir son comportement. De plus, il faut pou-
voir mesurer les attitudes pour apprécier leurs changements et évaluer l'ef-
fet des facteurs dont on cherche à connaître l'influence.

2. Les techniques de mesure des attitudes.


§
Les échelles 1
775 Comparaisons et jugements ◊ Les techniques des sciences sociales
servent à observer les réactions et attitudes humaines. Elles recueillent des
données pour ensuite les analyser. Elles ne se contentent pas de constater
en bloc des différences : il existe des opinions internationalistes et des opi-
nions nationalistes, mais elles distinguent les composantes des attitudes,
réactions et comportements.
L'analyse ne représente qu'un premier stade. Rapidement, le chercheur est
amené à comparer et chercher la proportion de tel ou tel élément par rapport à tel
autre. Pour atteindre cet objectif, il voudra recueillir les données nécessaires, de la
façon la plus apte à faciliter ses études ultérieures.
La méthode, la plus employée2, est la méthode des échelles. Elle
demande au sujet de réagir verbalement par une approbation ou une
réprobation, un accord ou un refus, à une série d'interrogations ou de pro-
positions standardisées. Le propre de l'échelle consiste à transformer des
caractéristiques qualitatives en une variable quantitative, et pour cela à
attribuer automatiquement à chaque sujet, d'après ses réponses, une posi-
tion le long d'une échelle allant d'une approbation enthousiaste à une
désapprobation totale, en passant par des stades intermédiaires.
776 1° Les échelles d'attitude ◊ L'attitude ou opinion, par rapport à une
question, peut se considérer à plusieurs points de vue : religieux, politique,
etc. Ce sont les attributs de cette attitude. Leurs relations mutuelles
rendent saisissable le champ de l'attitude. Ces attributs, dans leur
ensemble, définissent un univers, un continuum, celui de l'attitude dont
ils sont les attributs. On peut admettre que dans un questionnaire, chaque
question, ou lot de questions, se rapporte à un seul attribut et l'ensemble
des questions à une seule attitude. Tous les attributs d'une attitude ne sont
pas forcément mis en cause. Les attributs en rapport avec les questions
posées constituent alors un échantillon de l'univers d'attributs.
L'échelle de mesure d'attitude doit séparer les attributs de celle-ci, situer
le sujet interrogé et éventuellement permettre une prévision de comporte-
ment.
1. Ce paragraphe,très sommaire,vise seulement à donner une idée des problèmes.Pour une ana-
lyse plus détaillée, cf. R. Daval et al. ( 1963).
2. Une autre méthode, plus souple et moins précise,confie à un enquêteur ou observateurle soin
de juger de l'attitude de l'individu, telle qu'elle apparaît dans une interviewplus ou moins libre, ou
d'après des tests projectifs et de lui attribuer un rang sur une échelle.
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 741

777 Les items ◊ L'échelle tient sa valeur de l'ensemble des questions posées
ou items,de leur lien avec l'attitude qu'elles ont pour but de mesurer, de
leur valeur de discrimination et de diagnostic. Les items d'une échelle ne
représentent jamais qu'un échantillon de l'univers de cette attitude. Il faut
donc retenir les plus significatifs, les plus révélateurs, c'est-à-dire ceux qui
sont les plus étroitement liés à l'attitude que l'on veut mesurer. Ce lien
peut être apparent Une proposition telle que « La Russie fait des efforts
sincères pour que les Nations-Unies puissent fonctionner normale-
ment», mesure manifestement l'attitude vis-à-vis de la Russie. Étant don-
née la complexité du problème de nos croyances et attitudes, de leurs liens
cachés entre elles, un item peut relever d'une attitude autre que celle à
laquelle il semble se rattacher. Il peut même être volontairement indirect,
pour ne pas susciter de défense chez !'enquêté: par exemple un item sur
l'importance des valeurs religieuses dans une échelle d'attitude vis-à-vis
du communisme. Mais, apparent ou pas, le lien, entre l'item et l'attitude,
est toujours testé et validé avant d'être utilisé.
778 L'efflcacité ◊ Pour qu'une échelle soit efficace, les items doivent, non
seulément distinguer les individus situés aux extrémités du continuum,
mais également échelonner les autres suivant les nuances de leur attitude.
Les items ne doivent pas se chevaucher, mais être gradués, de façon paral-
lèle aux attitudes réelles. Bien entendu, il existe toujours des influences
perturbatrices, qui feront que certains sujets, pour une raison personnelle,
auront une opinion particulière sur l'un ou l'autre item. Tel individu,
d'opinion raciste, fera une exception pour la race jaune, parce qu'il a fait
un agréable séjour au Japon. Il est donc préférable d'avoir un nombre
d'items assez grand, pour que les cas particuliers s'annulent. Cependant,
un questionnaire trop long est lourd et difficile à manier. Il faut trouver
un compromis entre la sécuritéet la maniabilité.
Imaginons une question impliquant trois réponses possibles : oui, non, sans
opinion. Ceci permettrait de classer en trois groupes la population ayant répondu.
Si l'on pose deux questions, on aura, en combinant les diverses possibilites, neuf
groupes : ceux qui répondent oui aux deux questions, non aux deux questions,
sans opinion aux deux questions, oui à la première, non à la deuxième, etc. Si l'on
veut mesurer, par exemple, des attitudes raciales par trois questions, on peut
admettre, suivant le type de question, que l'individu A répondant oui aux trois
questions, a des préjugés plus forts que celui qui répond non. Mais comment
comparer ces individus, si A répond oui à la première question, non à la deuxième,
alors que B fait le contraire ? Evidemment, si la première question est « Êtes-vous
favorable à la pratique du lynchage ? » et la deuxième « Aimeriez-vous que votre
fille épouse un Noir ? », on fait aisément la différence entre les réponses aux deux.
Les items sont en général prévus de façon plus nuancée.
Pour pouvoir situer les individus d'après leurs réponses aux questions
ou items, encore faut-il que ceux-ci aient une signification, une valeur dif-
férente connue. La pondération consiste justement à donner une valeur
numérique à chaque item, ce qui permet d'attribuer un score total à l'indi-
vidu. Les procédés de pondération varient, ainsi que nous le verrons, sui-
vant les échelles.
7 42 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

779 L'unidimensionnalité ◊ La peine que l'on s'est donnée pour quanti-


fier des attitudes doit être justifiée par les services que rendra cet instru-
ment de mesure. il ne suffit pas qu'il soit commode, il faut surtout qu'il
soit juste, c'est-à-dire quel' échelle mesure bien l'attitude en question et ne
mesure que cette seule attitude. L'échelle doit être unidimensionnelle. Pour
cela, les étapes techniques qui président à l'élaboration de l'échelle,
doivent être respectées.
Par exemple, si nous voulons mesurer sur une échelle l'intérêt que Messieurs
ABCéprouvent pour Madame X et que nous retenons comme critère quantitatif le
nombre de kilomètres qu'ils sont prêts à parcourir en voiture pour la rejoindre,
notre échelle risque de mesurer l'attrait qu'exercent sur eux la conduite auto-
mobile (peut-être l'un d'eux a-t-il une nouvelle voiture 1), autant que celui de
MadameX.
780 2° Les différentes mesures ◊ La mesure est une notion complexe.
Elle va s'appliquer à des données, à des informations que l'on ne peut
mesurer directement, comme on mesure la longueur d'une table. Ces
informations sont obtenues par des procédés qui varient suivant les tech-
niques. On peut évaluer, par exemple, l'attitude d'un fasciste d'après les
réponses à des questions, ou l'analyse de contenu d'un article de journal.
Les diverses techniques d'information fournissent des données plus ou
moins riches, plus ou moins sûres. De même les procédés de mesure sont
plus ou moins certains, suivant la nature des données, la façon dont elles
ont été recueillies, le niveaude mesure qu'elles permettent En général,
plus les niveaux sont profonds, plus la complexité des éléments rend la
mesure difficile. Certaines méthodes permettent de recueillir des informa-
tions d'une certaine nature, mais excluent certains niveaux de mesures et
certaines formes. La mesure la plus simple permet d'abord de déceler une
présence. L'analyse est la première étape de la mesure. Ensuite, elle
consiste à assigner à un objet qualitatif un indice permettant de le situer
selon un système de références abstrait ou échelle. L'indice est numérique
si l'on prend le terme de mesure dans un sens restreint Dans un sens
large, on admet qu'il y a échelle, dès que l'on ramène les données qualita-
tives à un système de référence, aussi simpliste soit-il, par exemple: la hié-
rarchie dans l'armée. Suivant l'objectif poursuivi, le degré de précision de
mesure que l'on cherche, on devra utiliser un instrument plus ou moins
raffiné.
781 Les degrés de mesure ◊ Si l'on veut simplement vérifier que tel stimu-
lus, par exemple un film, produit un changement d'attitude, sans indica-
tion de direction ou d'amplitude, l'instrument devra simplement pouvoir
distinguer entre différentes attitudes. Si l'on veut s'assurer que le film
influence les spectateurs, mais dans un sens favorable à une certaine opi-
nion, il faut pouvoir situer les spectateurs en plus ou moins favorables. En
admettant que l'on veuille savoir si deux films exercent bien la même
influence, il faut avoir une unité de mesure pour comparer les résultats.
Enfin, si l'on veut prouver que tel film est deux fois plus efficace que tel
autre, c'est-à-dire produit des changements deux fois plus importants, il
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 743

faut, d'une part déterminer quel est le point de départ, le point zéro de l'at-
titude et avoir à partir de là une unité de mesure. Ceci signifie que les
échelles ne sont pas seulementcaractérisées par leurspropriétésmathéma-
tiques,maisaussipar desprocédés différentsdecollecte desdonnées.Suivant le
cas, on pourra ou non utiliser telle ou telle mathématique, parce que l'on
disposera de tel ou tel matériau et l'un et l'autre permettront un niveau de
mesure, un raffinement et une précision plus ou moins grands. Voici,
dans l'ordre croissant de précision, les divers types d'échelles:
782 a) L'échelle nominale ◊ Elle représente le degré le plus élémentaire de
l'échelle de mesure. Elle substitue des symboles et des noms hiérarchisés, à
des objets concrets : catégories de professions, de grades, tels que maître de
conférences, agrégé, professeur. Elle comprend la notion d'équivalence : si
A= B, B = A, ou d'inégalité. Elle permet des statistiques par types ou
genres, le classement des types de maladies et l'apparition successive des
symptômes dans un certain ordre de gravité : la fièvre, l'éruption, enfin
elle situe les différences, par exemple Pierre, Paul et Jacques n'ont pas le
même revenu.
783 b) L'échelle partiellement ordonnée ◊ Les objets d'une certaine
classe apparaissent comme différents de ceux d'une autre classe, mais il
peut y avoir un rapport entre ces deux groupes d'objets. Cette échelle
introduit une comparaison, un certain ordre, la notion de plus ou de
moins en moins favorable.
A>B B>C A>C
Lerevenu de Pierre est supérieur à celui de Paul et Jacques; comme nous igno-
rons la différence entre les revenus de Pierre et ceux de Jacques, notre échelle n'est
que partiellement ordonnée. Si nous voulons les comparer à la fois sur le plan du
revenu et du niveau d'instruction, en admettant que Pierre ait un revenu supérieur
à celui de Jacques et de Paul et un niveau d'instruction inférieur à celui de Paul,
nous ne pourrons plus les comparer sur la même échelle. Celle-ci ne sera que par-
tiellement ordonnée.

784 c) L'échelle ordinale ◊ Le revenu de Pierre est supérieur à celui de


Paul, lui-même supérieur à celui de Jacques.
L'échelle ordinale est à l'origine des échelles d'attitudes les plus simples.
Elles permettent de classer par ordre de préférence des personnes, des
situations ou des affirmations ayant un attribut commun et par là, de
déceler l'attitude du sujet vis-à-vis de cet attribut. Il est souvent difficile de
trouver des séries sans lacune, le plus souvent, il faut se contenter d'ordres
partiels.
Leclassement sera facilité par l'usage de définitionsopératoires,
celles dans les-
quelles le concept se définit par les opérations qui permettent de le mesurer : A est
plus populaire que B parce qu'il est choisi par C, D, E, F. Le concept opératoire de
la popularité se définit ici par le nombre de personnes qui choisissent A. Bien
entendu, il s'agit là d'une simplification, car la popularité peut aussi se définir en
termes d'attachement, d'enthousiasme; de plus, ce postulat de base oblige à consi-
7 44 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

dérer tous les choix comme interchangeables et égaux, ce qui est évidemment
contestable. Quel est le livre qui a le plus grand succès, celui qui est lu par 3 000
personnes de qualité, ou le best-seller lu par des centaines de milliers de per-
sonnes?

785 L'échelle de E. S. Bogardus (1925) ◊ L'échelle ordinale la plus


connue, est l'échelle de distance sociale de Bogardus. Elle consiste à
rechercher jusqu'où les sujets interrogés acceptent les individus de race ou
nationalité différentes.
Exemple: J'admettrais volontiers des membres de telle race:
1° comme proches parents par mariage ; 2° comme amis personnels dans mon
club ; 3° comme voisins dans ma rue ; 4° comme employes dans mes affaires ;
5° comme citoyens dans mon pays ; 6° seulement comme touristes.
On aperçoit aisément que le 6° représente une attitude moins tolérante que le
10.

786 d) Échelle métrique ordonnée ◊ Les échelles précédentes impliquent


un ordre de classement, mais ne se préoccupent pas de la distance entre
les échelons, ni de la comparaison des intervalles. Une échelle dans
laquelle les distances seraient égales, représenterait un degré plus poussé
de mesure.
C. H. Coombs (1959) donne comme exemple la comparaison entre le caporal
(commande à 10 hommes), le sergent (commande à 2 caporaux= 22 hommes),
l'adjudant (commande à 4 sergents= 92 hommes). L'intervalle entre adjudant et
sergent est le plus grand, puisque égal à 94 - 22 = 72 hommes, tandis que de
sergent à caporal = 22 - 10 = 12 hommes.
Cette mesure objective ne correspond pas toujours à la réalité. Dans la vie
sociale, l'autorité dépend au moins autant de qualités personnelles que d'un éche-
lon hiérarchique. Même dans l'armée, tel sergent peut avoir, en fait, plus d'auto-
rité sur ses hommes que tel autre, ou même que son adjudant.

787 e) Les échelles d'intervalles ◊ Il ne s'agit plus ici seulement d' ordon-
ner, mais d'ordonner suivant une évaluation des intervalles entre les éche-
lons. Ce progrès important exige que l'intervalle entre les échelons soit
mesurable à partir d'une unité commune.
Nous ne devons pas nous contenter de savoir que la différence entre le revenu
de Pierre et celui de Paul est plus ~rande que celle qui sépare le revenu de Paul de
celui de Jacques, mais dire avec precision : Pierre gagne 500 F par mois de plus que
Paul qui gagne 300 F de plus que Jacques. Grâce aux chiffres de salaire, nous avons
une possibilité de mesure plus satisfaisante que celle de la hiérarchie militaire. Le
nombre d'hommes commandés, dans l'exemple précédent, nous obligeait à postu-
ler l'égalité de tous les soldats. Si l'on peut assimiler un soldat à un autre soldat
comme unité de mesure, peut-on admettre des éléments d'unité comparables lors-
qu'il s'agit d'opinions? Comment mesurer l'égalité du plus ou du moins entre des
opinions différentes ?

788 3° Le niveau de la mesure, l'obtention et l'analyse des don-


nées ◊ Nous retrouvons ici un des problèmes essentiels de la quantifica-
tion des sciences sociales. Il se résume dans le dilemme ainsi posé par
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 745

Coombs (1959) : vaut-il mieux que le chercheur manipule les données en


conservant seulement celles qu'il peut disposer suivant un ordre simple,
pour obtenir un niveau de mesure élevé, ou vaut-il mieux respecter davan-
tage les données et l'ordre naturel qu'elles présentent, quitte à n'atteindre
qu'un faible degré de mesure ?
Nul ne peut donner de solution définitive, ou passe-partout, à ce pro-
blème. Suivant l'objet de la recherche, le problème posé, la nature des don-
nées recueillies et le genre de réponse que l'on veut atteindre, le chercheur
est amené à choisir l'une ou l'autre solution. Le seul impératif pour lui
consiste à être conscient des raisons de son choix et des sacrifices consen-
tis pour atteindre son but. S'il vise à obtenir des corrélations très poussées,
une échelle très précise et unidimensionnelle, il ne doit jamais oublier que
cette unidimensionnalité provient de sa technique et non des données
elles-mêmes, dont les plus originales sont écartées, parce qu'aberrantes
par rapport au cadre tracé.
Comme le note C. H. Coombs 1 (1959), et nous insistons sur ce point,
ce que l'analyse permet de découvrir dans les données quelles qu'elles
soient, dépend bien ent.endu de la nature de l'information qu'elles
contiennent, mais aussi des procédésqui ont servi à extraire ces informa-
tions et de la façon dont on a obtenu ces dernières. Il faut donc recon-
naître devant quel type de donnéesl'on se trouve, ce que l'on cherche à
savoir et pour faciliter l'analyse, choisirun instrument qui corresponde à la
fois à la nature des données et au niveau de mesureauquel on se place.
Les conclusions que l'on tire d'une analyse dépendent étroitement du
niveau de mesure que l'on a imposé aux faits. Il ne faut jamais perdre de
vue la manipulation qu'implique la correspondance entre les chiffres et la
réalité qu'ils doivent exprimer, ce que celle-ci permet ou laisse passer d'in-
formations, les opérations auxquelles on se livre grâce aux chiffres obte-
nus.
789 Les diverses données ◊ Les données qualitatives doivent, pour être
quantifiables, subir un traitement. Ce sont le plus souvent des données
verbales, opinions exprimées à un niveau superficiel ou «phénotypes»,
attitudes exprimant des sources latentes ou« génotypes» qu'il s'agit d'at-
teindre. Les questions stimuli, provoquant une réponse révélatrice de l'at-
titude, sont en général les questions auxquelles les gens répondent en
déclarant quelles sont leurspréférences.
Exemple : le parti X a mes préférences, puis, Y, Z... ou telle marque a mes pré-
férences. Il importe peu, par rapport au type de mesure, que les consignes données
au sujet se réfèrent ou non à un attribut. Qu'il préfère le parti X, parce qu'il est
plus révolutionnaire, ou la marque B, parce qu'elle est solide, ne change pas le but
de la question : indiquer la préférence.
Il est possible également de poser des questions amenant les sujets à
répondre, non en fonction de leurs préférences personnelles, mais de la
façon dont ils évaluent les personnes ou attitudes par rapportd un attribut.
1. Auquel nous empruntons les réflexions qui suivent.
7 46 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Exemple : tel parti est plus révolutionnaire que tel autre, tel film plus immoral,
tel fruit plus parfumé. Deux sujets n'ayant pas les mêmes goOts peuvent cepen-
dant être d'accord sur le jugement porté sur tel ou tel attribut; par exemple, recon-
naître que tel parti est révolutionnaire, mais l'un le constatera pour le combattre,
l'autre pour s'y engager.
Dans le premier cas, celui de la préférence, on s'intéresse au sujet lui-
même, à son choix; dans le deuxième, au stimulus: le parti est révolu-
tionnaire. Coombs ajoute une deuxième distinction : la différence entre le
comportement indépendant, c'est-à-dire ne jugeant qu'un seul stimulus à
la fois, tel fruit est sucré, ou relatif, visant à établir une comparaison : tel
parti est plus révolutionnaire. Autrement dit, on aboutit à un tableau à
double entrée donnant les possibilités suivantes :

COMPORTEMENT COMPORTEMENT
INDÉPENDANT REIATIF
(COMPARAISON)
Évaluation du stimulus II I
par rapport à une pré- J'aime le parti A Je préfère les partis A et B
férence àC et D
Évaluation du stimulus III IV
par rapport à un attribut Le parti A est révolution- Les partis A et B sont les
naire plus révolutionnaires

Les données correspondent aux réponses aux questions suivantes :


Quadrant I : Parmi les partis A, B, C, D, quels sont les deux que vous préférez ?
Quadrant II : Aimez-vous le parti A ?
Quadrant III : Le parti A est-il révolutionnaire ?
Quadrant IV: Quels sont les deux partis les plus révolutionnaires parmi les par-
tis A, B, C, D ?
Ce tableau fournit un cadre à l'intérieur duquel on peut disposer différentes
méthodes d'obtention et d'analyse des données. A l'intérieur de chaque quadrant,
la nature de l'information que l'on peut tirer des données est la même, quelle que
soit la méthode de collecte employée, seule peut varier la quantité d'informations.
Comme le dit Coombs : « La methode par laquelle on procède à la collecte des
données déterminele genre d'information que l'on pourra tirer, mais c'est la
méthode d'analyse qui définitcette information 1.»
Itemscontinuset discontinus.- Signalons enfin un autre type de distinction pos-
sible, relatif aux attitudes des sujets, suivant le type de questions ou d'items. Imagi-
nons un test dans lequel nous pourrons mettre à gauche du continuum toutes les
performances réussies : a sauté 1 m, 1, 10 m, 1,20 m, et à droite du continuum, ce
que le sujet manque: 1,25 m, 1,30 m. Prenons, au contraire, une question d'opi-
nion. Une même attitude peut être adoptée à la fois par les extrémistes de gauche
et de droite, pour des raisons totalement différentes. Nous aurons donc deux caté-
gories d'individus, qui se comP,orteront extérieurement (phénotype) de la même
façon: ils votent non à un reférendum, mais pour des raisons (genotypes) dif-

1. C. H. Coombs (1959), pp. 538-611.


LA MESURE DES ATTITUDES ET DES CHANGEMENTS 747

férentes et une troisième catégorie de modérés qui se situeront au milieu de


l'échelle repoussant ce qui est aux deux extrémités. Les items du premier exemple
sont continusou monotoneset les comportements qu'ils classent relèvent d'une
même catégorie (génotypique) alors que les items discontinusou nonmonotonesdu
deuxième type peuvent classer un même comportement (phénotypique) apparent,
mais correspondre à plusieurs catégories génotypiques différentes.
790 a) Quadrant I. Obtention des données ◊ Type de question: Quels
sont Tesdeuxpartis que vous préférezparmi A, B, C, D ?
Méthode des choix (ou double choix). On obtiendra comme type de
réponse : je préfère AB ou CD, etc.
Méthode de l'ordredepréférence: je préfère ABC ou BACetc. On obtient
un ordre, donc une information plus complète que par le seul double
choix.
Méthode des intervallesapparemmentégaux,variante de la précédente.
Méthode des comparaisonspar pairesou par triades.On présente toutes
les paires ou triades possibles de stimuli au sujet qui doit chaque fois indi-
quer ce qu'il préfère. Pour construire une échelle ayant une signification
on est le plus souvent obligé de recourir à une grande quantité de stimuli.
La comparaison de chacune des propositions entre elles (190 jugements
pour seulement 20 stimuli) est fastidieuse.
La consistance.La transitivité.- Dans la méthode des triades, l'opération de
choix est répétée : A> B > C. L'intérêt de cette méthode consiste à voir si A est
toujours plus grand que B,même en face d'un autre stimulus, c'est-à-dire d'éprou-
ver la consistancedu jugement du sujet en ce qui concerne A. La méthode des
comparaisons par paires ne présente qu'une fois le stimulus. On ne peut donc
apprécier la consistance du jugement, faute de comparaison. En revanche, on peut
s'assurer de la transitivité du jugement, c'est-à-dire que si A> B dans une paire,
B > C dans une autre, A ne doit pas être plus petit que C dans une autre comparai-
son.
791 Analyse des données ◊ La technique du parallélogramme a été spéciale-
ment conçue pour classer les réponses contenant divers choix.
On construit une matrice à double entrée, en disposant les questions en
colonnes verticales et les individus en rangées horizontales. On marque d'un
+ toutes les réponses affirmatives d'un individu dans la colonne de la question, on
modifie ensuite rangées et colonnes en essayant d'obtenir une diagonale. Deman-
dons par exemple à chaque individu de choisir les deux partis qui ont ses pré-
férences, parce que les plus ou les moins révolutionnaires, ou les fruits qu'il choisit
parce que les plus ou moins parfumés. Si, d'une part, chacun des partis ( ou fruit)
est effectivement plus ou moins révolutionnaire ( ou parfumé) et que nos quatre
individus ont des goûts qui s'échelonnent également, nous aurons :
Partis
A B C D E
individus 1 + +
2 + +
3 + +
4 + +
Analyse des données obtenues par les méthodes de classement ou techniquedu
déploiement
7 48 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Imaginons que nos quatre sujets fassent trois choix, par ordre de préférence.
On obtiendra :
Partis
A B C D E
individus 1 1 2 3
2 2 1 3
3 3 1 2
4 3 2 1
On s'aperçoit que cette technique constitue une application de la technique du
parallélogramme, car, si au lieu d'un classement, l'on demandait simplement:
quels sont les trois partis que vous préférez ? on remplacerait les numéros de clas-
sement par des+ ... et les choix 1, 2, 3, 2, 3, 1, 1, 3, 2 ne pourraient être distin-
gués. Il ne resterait que trois classes d'individus (cas précédent), ceux qui pré-
fèrent ABC, BCD ou CDE.
Dans ces deux exemples, les résultats sont représentés exclusivement à partir
des données. L'instrument d'analyse n'impose aucune propriété à l'information.
L'échelle n'est obtenue que si les données satisfont aux conditions requises, si les
individus s'ordonnent sur des stimuli échelonnés. Ce n'est pas la technique qui
transforme la donnée, au contraire, il s'agit d'une technique sensible, dans le sens
donné à ce terme à propos des niveaux de mesures. Or, remarque Coombs, il est
rare que, dans le domaine psychosociologique, les conditions requises soient réu-
nies. En général, on doit se contenter d'une mesure moins fine, correspondant au
niveau que l'on trouve le plus souvent, celui de la simple échelle nominale.

79 2 b) Le quadrant IV. Obtention des données ◊ Type de question:


Quel parti est le plus révolutionnaire? - Au lieu de demander : quel parti
préférez-vous ? on pose la question par rapport à un attribut : quel parti
est le plus révolutionnaire ? Il s'agit d'abord de situer les stimuli les uns
par rapport aux autres, en ce qui concerne l'attribut, ensuite de les placer
sur une échelle d'intervalles.
Les méthodes utilisées précédemment ne sont pas adaptées à ce genre de clas-
sement, car les jugements permettant peu de choix, ceux-ci risqueraient de se por-
ter en trop grand nombre sur les mêmes stimuli, en laissant de côté les autres. On
peut retenir cependant, en les adaptant, les méthodes d'intervalles successifs,
d'ordination, de comparaison par paires et des triades. Cet ordre est celui qui cor-
respond à une sensibilité croissante aux particularités de la réalité et au nombre
décroissant de caractères imposés par les méthodes elles-mêmes, c'est-à-dire des
moins objectives aux plus objectives.

793 Analyse des données : l'échelle de Thurstone 1 ◊ La méthode la


plus souvent utilisée pour l'analyse des données du quadrant IV repose
sur la loi du jugement comparatif. Découverte par Thurstone, elle permet
de calculer des distances entre les différents stimuli ou affirmations, en
fonction de la dispersion des jugements de comparaison portés par des
experts.
L'échelle de Thurstone nécessite plusieurs étapes : dans la première,
nous sommes dans le quadrant IV (Quel est le parti le plus révolution-
1. Cf. L.L.Thurstone (1931), R. Daval et al. (1963).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 749

naire, l'affirmation la plus nationaliste, etc. ?). Nous construisons donc


une échelle, non pour juger et classer les experts d'après leurs affirma-
tions, mais pour, à partir de celles-ci, juger les stimuli. Ce n'est qu'à partir
de là que l'on utilise l'échelle ainsi construite pour que les individus se
situent, par rapport à elle, dans des affirmations relevant du quadrant II
ou éventuellement I.
1° On choisit l'attitude que l'on veut mesurer: par exemple l'attitude
nationaliste.
2° On rassemble un grand nombre d'affirmations reflétant des atti-
tudes possibles sur ce sujet.
3° On demande à un certain nombre de jugesou experts(40 en prin-
cipe, plus souvent une vingtaine) de classer ces affirmations, par piles en
nombre impair (en général) et de les numéroter suivant une échelle
allant d'une extrémité de l'attitude à l'autre, par exemple du pacifisme
intégral au nationalisme agressif. Certains items caractéristiques seront
classés par la grande majorité à l'une ou l'autre extrémité; en revanche,
certains autres peuvent être situés de façon différente.
Supposons une échelle à 7 échelons. Si un item x se trouve classé 3• pour
20 juges, et 7• pour 20 autres, il n'est pas caractéristique et doit être abandonné.
Tel autre, régulièrement classé 3• et 2• doit être retenu. On ne conserve donc que
les items auxquels la majorité des juges a décerné à peu près le même rang sur
l'échelle, c'est-à-dire ceux dont l'écart de dispersion est faible.
4° L'échelle étant établie, les propositions sont présentées au sujet,
sans respecter l'ordre de l'échelle. Le sujet marque du signe+ les items
qu'il approuve (du signe - ceux qu'il désapprouve). Si l'échelle a une
bonne consistance interne, le sujet doit normalement pointer du même
signe les items contigus sur l'échelle. Il est évidemment difficile d'établir
une série de propositions, ayant la même signification pour tous les juges.
Certains items de valeur intermédiaire risquent de ne pas être notés de la
même façon.
Particularitésde l'échellede Thurstone.- Cette échelle considère les écarts d'un
échelon à l'autre comme égaux, ce qui ne signifie pas qu'ils correspondent à des
écarts qualitatifs égaux dans l'attitude psychologique. On peut seulement estimer
que l'ordre d'intensité entre les items (phénotypes) correspond à peu près à celui
des génotypes (attitudes psychologiques).
Le sens ou l'ordre des items, donc la valeur attribuée à l'attitude, sont détermi-
nés par les juges. Ceci implique qu'une même dimension intervient et que les
juges la perçoivent objectivement 1.
Pour que l'échelle conserve toute sa valeur, il faut s'assurer que l'acceptation
d'un item n'est pas suivie du rejet d'items voisins; or, cette transitivité est rare-
ment obtenue, ce qui jette un doute sur l'unidimensionnalité de l'attitude mesu-
rée.
L'échelle de Thurstone n'est satisfaisante qu'en tant que classement
ordinal. Elle permet plutôt de dégager des normescollectives vis-à-vis de
certains items significatifs, que de préciser l'attitude d'un individu déter-
miné et de prédire sa conduite.
1. Des expériences faites prouvent que les experts jugent indépendamment de leurs préférences
personnelles, mais, bien entendu, en fonction de certaines normes culturelles.
7 50 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Nous laissons de côté les échelles de groupes et les échelles de ressemblances,


moins connues et passons à l'obtention des données des quadrants Il et III.
794 c) Quadrant II et quadrant III. Obtention des données ◊ Type
de question: « Aimez-vous le parti A?» « Le parti A est-il révolution-
naire?». - Il s'agit de deux jugements indépendants. Dans le quadrant II,
le sujet émet une appréciation en fonction de son propre idéal, dans le
quadrant III, en fonction de ce qu'il pense être objectivement vrai.
Contrairement à ce qui se passe dans les quadrants I et IV, il n'y a pas
de comparaison. Les stimuli sont présentés un par un et les réponses sont
données de façon indépendante pour chacun.
79 5 Analyse des données : l'échelle de Likert ◊ Une enquête effectuée
de 1929 à 1931 permit à R. Likert (1932) de mettre au point une tech-
nique de construction d'échelles d'attitudes plus maniable que celle de
Thurstone.
1° On réunit d'abord un grand nombre d'assertions et propositions se
rapportant au sujet de l'enquête 1 . Le classement est opéré non plus par
des experts, mais par un groupe de sujets représentatifs de la population
prévue pour l'enquête.
2° Ceux-ci donnent à chaque item une numérotation à 5 échelons ;
approbation totale: 5, approbation: 4, indifférence: 3, désapprobation:
2, désapprobation totale: 1.
3° On additionne pour chaque sujet les notes que lui valent ses
réponses à tous les items. La note totale donne le« score» de l'individu 2 .
Exemple.- Imaginons les cinq affirmations suivantes, visant à constituer une
échelle de nationalisme; chaque sujet précise s'il est tout à fait d'accord (5), d'ac-
cord (4 ), etc.
1° L'armée est la plus haute valeur morale du pays.
2° Il faut apprendre aux enfants à aimer leur pays.
3° Mon pays est au-dessus de tout.
4° Certains pays sont supérieurs à d'autres.
5° Chaque pays devrait se défendre contre les étrangers habitant chez lui.

Items ..................... 1 2 3 43 5
Individus A 5 5 5 5 5 25
B 3 5 2 5 5 20
C 1 3 1 3 4 12
D 1 1 1 4 1 8
-- -- -- -- -- --
10 14 9 17 15

1. Par exemple: « Nous devrions intervenir militairement chaque fois que nos investissements
en Afrique sont menacés. »
2. En réalité le processus est plus complexe. Pour« valider» les items on calcule le coefficient de
corrélation entre le score global de chaque sujet et le score de chaque item. On élimine les items
insuffisants avant de présenter l'échelle aux sujets. Pour ces opérations voir l'excellent exposé de R.
Daval (1963).
3. Mauvais item qui ne permet pas de classer les individus. C, est plus faible que D, alors que ce
devrait être le contraire.
LA MESUREDES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 751

Numéro de la catégorie

18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
X X X X X X X X X
1 8
X X X X X X 0 X X
X •••~•••
X X X X X X X X X 3
X X X X X X X X X 4
X X X X X X X X X 5
X X X X X X X X X 6
X X 0 X X X X X X X 7
X X X X 0 X X X X X 8 7
X X X X X X 0 X X X 9
X X X X X X 0 X X X 10
X X X X X X X 0 X X 11
X X X X X X X X 0 X 12
X X X X X X X 0 X 0 X 13
X •=i_-4 ...
X X X X X X X X

X X X X X X X X 0 X 15 6
X X X X X 0 X X X
X .••••••••• .f.~...
X X O X X X X X X X 17
X X X X X X X X X 18 5
X X X X X X X X X 19
X X X X X X X X 0 X 20
X X X X X X X X X ···········:ii'·~
X X X X X X X X 0 X
..........).~ ...
X X X X X X X X X 23
X X X X X X X X X 24
X X X X X X X X X 25
X X X X X X X X X 26
X X X X X X X X X 27 3
X X X 0 X X X X X X 28
X X X 0 X X X X X X 29
X X 0 X X X X X X X 30
X X 0 X X X X X X X 31
o = erreurs X X X X X X X X 0 X 32
x = catégo- X X X X 0 X X X X
··;········3°3···
ries aux- X X 0 X X X X X X X 34
que 11es X X 0 X X X X X X X 35
on a X 0 X X X X X X X X 36 2
« bien » X X X X X X X X X 37
répondu X X X X X X X X X 38
X X X X X X X X X
.......... }.~ ...
X X 0 X X 0 X X X X X 40
X X X X X X X X X 41
X X X X X X X X X 42
X X X X X X X X X 43
X )( )( X )( X X X X
44 l
X X X X X X X X X 45
X X X X X X X X X 46
X X X X X X X X X 47
X )( X X X X X X X 48
X X X X X X X X X
........... ~~ ...
X X X X X X X X X 50 0
Échelle de militantisme politique d'après S. Moscovici (27).
7 52 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

Postulats.- Cette technique implique un certain nombre de p<?stulats: d'abord,


que les distances psychologiques entre les cinq points de l' echelle appliqués à
chaque item sont égales, c'est-à-dire qu'entre approbation totale et approbation,
existe la même différence qu'entre désapprobation et désapprobation totale.
Ensuite, que le degré d'assentiment à un item caractérisé par un chiffre, est égal
au même degré d'assentiment, noté de la même manière, pour un autre item et
que l'on peut évaluer les parties d'un tout à partir de ce tout, puisque l'on retient
les items en corrélation significative des résultats globaux. Enfin, que les scores
numériques de chaque sujet sont équivalents quand les totaux le sont. Deux
sujets ayant un même score x doivent donc avoir la même attitude. Or, en fait, le
calcul des scores individuels peut provenir de combinaisons numériques dif-
férentes. Une attitude caractérisée par un score moyen peut provenir de réponses
extrêmes s'annulant, comme d'une attitude assez constamment neutre. Ceci
constitue une grave lacune de la méthode et nous pouvons considérer pratique-
ment que la structure des réponses par sujet plus que le score total, peut nous ren-
seigner sur son attitude véritable.

796 Comparaison entre l'échelle de Likert et celle de Thurs-


tone ◊ Sur le plan technique, qu'il s'agisse de l'établissement de l'échelle
avec recours aux experts ou avec un échantillon de sujets, il n'y a pas de
grandes différences. Sur le plan de la richessede l'information, l'échelle de
Likert, avec ses cinq nuances pour chaque item, nous offre une gamme de
renseignements supplémentaires, puisqu'elle nous permet, non seule-
ment de connaître l'attitude du sujet sur chaque item, mais encore son
score total.
Sur le plan de la signification des scores, il semble qu'il y ait une dif-
férence entre les deux techniques. Le score total obtenu par l'échelle de
Likert n'a qu'une valeur relative au groupe d'enquêtés, celle du sujet par
rapport aux autres sujets interrogés. L'échelle de Thurstone, du fait que
les items ont été classés par les juges de façon objective, offre un caractère
plus absolu. Le score des sujets les situe par rapport à cette norme objec-
tive et non les uns par rapport aux autres.
797 L'échelle de Guttman 1 ◊ L. Guttman ayant à étudier, pendant la
guerre, le moral des soldats américains, a pensé que, normalement, les
réponses des sujets devaient présenter, sur une bonne échelle, une cer-
taine consistance et une certaine hiérarchie,c'est-à-dire que l'adhésion à
certains items devait s'accompagner de l'adhésion aux items les plus voi-
sins et du rejet des plus éloignés. Un individu qui mesure 1,80 m répond
forcément oui à la question: « Mesurez-vous plus de 1,70 m, plus de
1,60 m, plus de 1,50 m ... ? »
Ne peut-on imaginer la même hiérarchie s'appliquant à des opinions?
Si les réponses s'éparpillent anarchiquement, on peut supposer, comme
nous l'avons vu, que les items se rattachent à des dimensions différentes
et non à la même attitude.
La méthode du « scalogramme » de Guttman va permettre d' e1iminer
les items ne se rapportant pas au problème étudié, de «purifier»
1. W.]. Good, P.K. Hatt (1952), p. 285-295. C.A. Moser (1958), B. Matalon (1965).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 753

l'échelle, jusqu'à ce que sa «consistance» approche de la perfection.


Cette technique ne peut s'appliquer qu'à des réponses dichotornisées,
c'est-à-dire du type« oui» ou« non», accord, désaccord. Mais elle per-
met sur cette base, de savoir si l'on peut « hiérarchiser» une opinion ou
une attitude Quelqu'un qui saute 1,80 m peut sauter 50 cm, mais quel-
qu'un qui dit aimer la musique peut aimer Brahms et ne pas aimer Cho-
pin. Ici, il n'y a pas de hiérarchisation possible.
On peut imaginer que les questions correspondent par exemple à des étapes de
militantisme politique (cf. tableau p. précédente) :
1° Voter aux élections. 2° Lire le journal. 3° Coller des affiches. 4° Assister aux
réunions. 5° ttre inscrit à un parti.
On peut aussi imaginer la gradation des manifestations de peur du soldat au
front, depuis l'impression désagréable, jusqu'à la panique avec ses conséquences
physiologiques diverses, ou les symptômes d'une maladie suivant leur gravité :
fièvre, éruptions, perte de connaissance, etc.
On classe d'abord les questions, suivant le nombre de oui ou non
qu'elles recueillent, celles qui obtiennent des fréquences aberrantes sont
éliminées. Ensuite, on classe les sujets, en prenant d'abord ceux qui ont
répondu positivement à toutes les questions, puis à toutes moins une,
etc.; on élimine les sujets qui semblent répondre de façon très anar-
chique par rapport à l'ordre qui se dessine. On manipule à nouveau les
questions pour les regrouper en se rapprochant du parallélogramme.
Exemple.Reprenons les items précédents 1 :
1° L'armée est la plus haute valeur morale d'un pays.
2° Il faut apprendre aux enfants à aimer leur pays.
3° Mon pays est au-dessus de tout.
4° Certains pays sont supérieurs à d'autres.
5° Chaque pays devrait se défendre contre les étrangers habitant chez lui.
Nous indiquons sous chaque item la position des sujets, + = oui, x = non :
- le sujet A dit oui aux 5 items,
- le sujet B dit oui à 2 items, le 2 et le 4, etc.

Items .............. 1 2 3 4 5
Individus A + + + + +
B + +
C + + +
D + + + +
E +

Nous rangeons ensuite les colonnes de façon à ce que soit en premier la


colonne de la question ayant reçu cinq oui, en second la colonne des quatre oui,
etc. 2 .

1. Dans la réalité, toutes ces échelles comportent un grand nombre d'items.


2. C'est le même travail qu'effectue avec une grande rapidité un ordinateur qui classe ses infor-
mations.
7 54 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

2 4 5 3 1 2 4 5 3 1
A X + + + +
D X + + + +
C X X + + +
B X X X + +
E X X X X +

La méthode est très proche de celle du parallélogramme, puisqu'elle construit


la matrice de la même façon, en permutant les rangées et les colonnes. Du fait
que les items ne sont pas continus, comme c'est le cas dans la matrice du parallé-
logramme, on obtient dans l'échelle de Guttman tous les oui d'un côté et tous les
non de l'autre. Il s'agit plutôt d'une analyse triangulaire que d'un parallélo-
gramme, celui-ci n'étant obtenu qu'en ajoutant le triangle des signes négatifs à
celui des positifs.
Les diverses étapes peuvent s'effectuer avec un papier et un crayon, mais elles
sont facilitées par l'emploi du scalogramme de Guttman, appareil qui ressemble à
un boulier, permettant aux numéros de glisser sur des rainures. Il est assez lourd
et peu commode à transporter.
Avantageet limites. - L'intérêt considérable de l'échelle provient de ce
qu'elle garantit l'unidimensionnalitédu groupe d'items relatifs à un pro-
blème, au lieu de les classer par des moyens arbitraires, tirés de scores par-
ticuliers. Cette unidimensionnalité est obtenue grâce à une manipula-
tion. On est sûr de ce que l'on a obtenu, mais on a simplifié le problème
en supprimant une partie des réponses. Qu'advient-il des réponses
déviantes ? Même en admettant que certains items aient été à bon droit
écartés, comme se rattachant à d'autres dimensions, que faut-il penser
des réponses marginales dont on n'a pas tenu compte?
Le coefficient de reproductibilitéexprime l'écart entre le scalogramme réel et le
modèle idéal. II correspond à la proportion de réponses prévisibles par rapport à
l'ensemble des réponses.
Pour une échelle retenant 5 items proposés à 80 sujets, le nombre de réponses
sera 400. Supposons 40 réponses imprévisibles ou erreurs (c'est-à-dire à l'écart
des lignes du scalogramme pur) par rapport au modèle, le coefficient de repro-
ductibilité sera :
1- 40 = 0 90.
400 '
Selon Guttrnan, 10 % est un taux à ne pas dépasser. Ce taux d'erreur doit se
répartir entre plusieurs items, aucun item ne devant engendrer plus de 20 % d'er-
reurs.
Bien entendu, le coefficient de re,Productibilitévarie non seulement en fonc-
tion de l'unidimensionnalité de l'echelle, mais aussi en raison inverse de la
finesse des nuances qui séparent les items. Des items distinguant des attitudes
franchement différentes, se rangeront plus facilement sur l'échelle.
Tout en reconnaissant la grande sécurité que procure le scalogramme
de Guttman, quant à ce qu'il permet d'affirmer, il faut tenir compte de ce
qu'il sacrifie pour cela, c'est-à-dire les réponses déviantes, les réactions
originales, qui peuvent être extrêmement intéressantes quant aux atti-
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 755

tudes suscitées, mais qui n'entrent pas dans le cadre général du parallélo-
gramme.
Intérêtde l'échellede Guttman. - L'échelle part d'une hypothèse, on peut
aimer Brahms et ne pas aimer Chopin, mais si l'on répond oui à la ques-
tion: êtes-vous licencié? on répond forcément oui à : êtes-vous bache-
lier ? Cette distinction est exacte. La plupart des auteurs indiquent ensuite
que si l'on saute 1 mètre on répond forcément oui à : sautez-vous 50 cen-
timètres ? C'est ici que la simplification nous paraît inconsidérée. Pre-
nons l'exemple d'individus nerveux. Capables de mobiliser leurs res-
sources dans de grandes occasions, ils ne répondent pas à ce qui est exigé
d'eux dans la vie quotidienne. Tel qui supporte un bombardement, s'exas-
père contre le bruit régulier d'une horloge. Il est donc important de savoir
dans quels domaines la gradation est possible. Des objets : cuisinière elec-
trique, télévision, voiture, forment-ils une échelle de niveaux de vie ? Les
symptômes: rougeurs, fièvre, vomissements, peuvent-ils se hiérarchiser
dans certaines maladies ? L'intérêt majeur de l'échelle de Guttman 1 nous
paraît consister, non dans ses résultats, un peu artificiels, mais dans la
distinction qu'elle permet entre ce qui est scalable,c'est-à-dire les élé-
ments d'après lesquels une population peut se classer sur une échelle cor-
respondant à la réalité et ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire les domaines
dans lesquels on ne trouve pas de critère classant régulièrement les indivi-
dus, dont les choix ou les ordres de classements sont hétérogènes,
variables et ne peuvent être hiérarchisés.
798 L'analyse de structure latente de Lazarsfeld ◊ La notion d'ordre
représente dans les sciences humaines la première étape de la classifica-
tion. Mais on classe par rapport à un concept : cet individu court plus vite
que tel autre. Le chronomètre permet une mise en ordre en fonction de la
notion de vitesse. Dans les sciences humaines, les concepts sont moins
définis : stratification sociale, mobilité, participation, nationalisme ; ils
regroupent différents éléments et ne s'observent pas directement. C'est à
partir de ces constatations que P. Lazarsfeld2 a imaginé un procédé pour
remédier à ces inconvénients.
Imaginons l'étude du comportement du personnel d'une entreprise. Nous
trouverons, par comparaison à d'autres entreprises similaires, que l'absentéisme
est faible, l'age et l'ancienneté dans la maison élevés, l'accueil des nouveaux,
satisfaisant, l'attitude vis-à-vis du travail favorable, etc., bref on trouve là des don-
nées« manifestes». Si l'on introduit, pour interpréter et coordonner ces données,
le concept de « moral du travailleur» ou de« satisfaction au travail», celui-ci ne
sera pas directement observable, ce sont les données manifestes qui le révéleront.
En termes de mesure, on admettra, comme le dit R. Daval (1959),
« que la variable par rapport à laquelle on cherche un classement est une
variable qui n'est ni directement observable en tant que telle, ni mesu-
rable». On recourt alors à des variables auxiliaires qu'on présume liées à
la première. Le problème délicat, nous l'avons vu à propos du choix des
1. J. Dubost (1955), R. Daval et al. (1963).
2. P. Lazarsfeld (1949, 1954).
756 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

items des mesures d'attitudes, c'est de découvrir les «indicateurs» ou


« données manifestes» ou « variables auxiliaires», révélateurs de la
« variable latente » et le degré de liaison qui les unit.
Il est très rare de pouvoir contrôler le lien entre chaque indicateur
reconnu et la variable latente. Il s'agit donc de découvrir les indicateurs
les plus significatifs. Le problème qui nous occupe est semblable à celui
des tests. Il s'agit de fabriquer des tests permettant une bonne estimation
de l'aptitude non observable, mais révélée par des degrés de réussite à des
épreuves, celles-ci setvant d'indicateurs de l'aptitude et devant permettre
d'estimer le degré de liaison avec cette dernière. De la même façon, il
s'agit de trouver des indicateurs révélateurs de la structure latente, per-
mettant d'établir l'existence d'un «continuum», c'est-à-dire de répartir
ou distribuer la population testée le long de ce continuum.
Dans le cas de structure latente, le test correspond à des questions ou
constatations impliquant une réponse oui-non, présence ou absence,
favorable ou défavorable. Chaque question se caractérise par une fonc-
tion de probabilité. Il est peu probable qu'un individu très raciste réponde
favorablement à tel item sur l'abolition de la ségrégation.
Prenons l'exemple emprunté par R Boudon (1962) à Chapin; celui-ci a pro-
posé un indice de statut socio-économique à partir de certaines caractéristiques de
la salle de séjour (living-roomscale).Il comporte 22 items. Sur 7 d'entre eux a été
effectuée une analyse des classes latentes et ceci donne le tableau suivant :
EFFECTIF JOUR-
CIASSES
RELATIF
CHEMINfi ALARME RIDEAUX GOur TAPIS STATUT
NAUX

1 2 3 4 5 6 7

1 0,46 0,10 0,67 0,48 0,19 0,31 0,33 0,02


2 0,36 0,04 0,66 0,79 0,59 0,12 0,81 0,07
3 0,18 0,28 0,87 0,77 0,80 0,85 1,00 0,83

La première colonne du tableau donne l'importance relative de chaque classe


observée. Les colonnes suivantes donnent les probabilités de « réponse positive »
à chaque item, pour les individus appartenant à chacune des trois classes. Les
réponses « positives » sont celles qui correspondent à un statut plus élevé (classe
3).
L'analyse permet, entre autres, d'apprécier la qualité des indicateurs. On voit
que les items 4 et 6 discriminent efficacement les classes. Les items 2 et princi-
palement 7, ne distinguent nettement que la classe supérieure des deux autres;
l'item 3 ne discrimine pas les deux classes supérieures. Le 1 et le 5 sont franche-
ment équivoques. La probabilité plus grande de trouver une cheminée dans le
logement de la classe inférieure, correspond probablement au fait que dans la
communauté étudiée, celle-ci habite généralement dans des constructions plus
anciennes.
Nous passons sous silence les moyens mathématiques complexes utilisés pour
obtenir le résultat cherché. Boudon résume ainsi le but de l'analyse de structure
latente de Lazarsfeld: « Le modèle de structure latente permet de classer une
population sur une variable latente en substituant à l'ensemble non exhaustible
des indicateurs qui définit la variable latente, un ensemble fini d'indicateurs ; on
s'assure que cet ensemble fournit une définition équivalente de la variable
latente, par l'existence d'une solution.»
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 757

Utilisée pour l'étude des opinions et attitudes, l'analyse de structure latente,


sur le plan de la logique de sa démarche, serait plutôt comparable à l'analyse fac-
torielle. L'intérêt de l'analyse de structure latente c'est de regrouper les tech-
niques servant à analyser les données obtenues à l'aide de la méthode des stimuli
isolés (quadrant II et III) ; or dans le domaine des sciences sociales, l'information
est souvent recueillie sous cette forme. Mais il faut souligner que les résultats
auxquels on parvient ne sont pour l'instant valables que pour l'échantillon
considéré et ne sont pas généralisables. Une étude de structure latente, faite à
Aix-en-Provence sur le civisme des lycéens, a donné des résultats qui n'étaient
pas transposables ailleurs 1 .
799 4° Fide1ité et validité. a) Fide1ité ◊ Une échelle est fidèle, lorsque
confiée à des observateurs différents et présentée plusieurs fois aux
mêmes sujets, elle donne les mêmes résultats.
Pour vérifier la fidélité d'une échelle, on dispose des trois techniques habi-
tuelles:
- le test-retest: consiste à présenter l'échelle deux fois à la même population
et à comparer les résultats. Il est prudent, pour éviter l'effet de répétition, d'avoir
un groupe de contrôle pour comparer ;
- le multiple-fonn : suppose que l'on présente l'échelle sous deux formes très
proches;
- le split half: l'échelle est divisée au hasard en deux lots d'items, chacun de
ces lots étant traité comme échelle séparée et les résultats comparés. Ceci sup-
pose évidemment que chacune des moitiés puisse être considérée comme égale-
ment représentative de l'attitude et que les items soient suffisamment nombreux
pour conserver une signification.
800 b) Validité ◊ Il n'existe pas de validité« générale» d'une échelle, on
ne peut qu'évaluer sa validité par rapport à la mesure particulière qu'elle
a pour but d'établir. Une échelle est valide, quand elle mesureréellement
ce qu'elleprétend mesureret permet une prédiction.
Validitélogique.Il est difficile d'apporter la preuve de ce premier point,
car l'échelle présente un continuum dont, pratiquement, l'existence est
tirée des items eux-mêmes. Ceci ne constitue pas un critère de validité
indépendant ni suffisant. La validation interne dont on doit le plus
souvent se contenter, naît d'une bonne connaissance du sujet et du fait
que les items paraissent bien caractéristiques de l'attitude. C'est une
question de bon sens au niveau apparent et superficiel, de connaissance
du sujet, à un niveau plus réfléchi.
Validitéempirique.En ce qui concerne le deuxième point, la prédiction,
la validité d'un instrument de mesure, s'évalue par rapport à l'usage par-
ticulier qui en sera fait. Pour juger de la valeur d'un pronostic de
comportement dans une situation précise, il faut pouvoir mesurer ce
comportement de façon indépendante. Le critère retenu pour caractéri-
ser et mesurer l'attitude, doit être identique à celui de la situation réelle2 •
Une mesure d'attitude, même exacte, ne permet pas de prévoir avec
certitude un comportement ultérieur. On peut seulement dire que l'atti-
1. J.W.Lapierre, G. Noizet (1961).
2. Cf., n° 773, limites à la prévision des attitudes.
758 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

tude existe, plus ou moins intense, cohérente, consistante, qu'elle a toute


les chances de se traduire par tel ou tel comportement et que seule, une
opposition puissante l'empêchera de se manifester. Mais la situation
dans laquelle les individus ont été observés peut être psychologiquement
différente de celle dans laquelle ils se trouveront ensuite. Les comporte-
ments réels peuvent ne pas sembler correspondre aux scores de labora-
toire. Ceci ne signifie pas que les mesures soient fausses, mais seulement
que les types de situation permettant une prévision n'ont pas été suffi-
samment définis.
801 Groupes connus ◊ Au lieu de mesurer l'attitude des individus d'après
les items, on commence par juger les items d'après les attitudes connues
et opposées de certains individus.
On admettra, par exemple, que les items admis par le groupe A (favorable à
l'Église) pourront être considérés comme révélateurs d'une attitude favorable à
l'Église,alors que les items approuvés par le groupe B (anti-religieux) seront rete-
nus comme caractéristiques d'une attitude antireligieuse.
Le danger, c'est 9u'il peut exister en dehors de la différence d'attitude reli-
gieuse, d'autres differences dont on n'a pas tenu compte et qui expliquent les
divergences des deux groupes. Les items qui différencient les groupespro et anti-
religieux ne sont pas forcément les plus significatifs pour distinguer entre les
attitudespro ou anti-religieuses.
Cette méthode donne une indication, une validité plausible de l'échelle, mais
aucune certitude. C'est une précaution, non un critère. Malgré ses limites, elle
est cependant très employée.
802 Les Juges ◊ On peut également faire appel à des jugesconnaissant bien les
individus. On demande par exemple à un instituteur, connaissant bien ses
élèves, de les noter en ce qui concerne leur attitude nationaliste et on comparera
les notes aux scores obtenus par l'échelle d'attitude. Dans le cas des juges, la
fidélité et la validité dépendent de nombreux facteurs : la clarté des définitions
des points de l'échelle et des indices, la compétence des juges, leur connaissance
des individus, leurs propres normes et cadres de référence. On retrouve ici cer-
tains problèmes, qui rendent peu utilisables les mesures confiées directement à
des juges, sans items préétablis. On a intérêt, pour pallier ces inconvénients, à ne
pas confier à un seul juge, mais à plusieurs juges, le soin de noter les individus.
803 Comparaison avec les autres techniques ◊ On peut enfin compa-
rer les résultats obtenus par les échelles d'attitude à ceux d'autrestech-
niques: interviews, tests projectifs, analyse de documents, etc.
804 Critère indépendant ◊ Lorsqu'il existe un critère indépendant de mesure, on
n'a généralement pas besoin de construire une échelle. Une échelle d'instruction
ou de standing social, peut être composée d'éléments réels: diplômes ou élé-
ments matériels. Dans les cas plus complexes d'attitudes, on peut construire une
échelle combinant plusieurs indices. Dans la mesure où celle-ci est conforme à
ces indices, elle sera valide, à condition évidemment que ces indices eux-mêmes
correspondent bien à l'attitude que l'on veut mesurer, ce qui n'est pas toujours le
cas.
Une échelle parfaitement fidèle, d'une validité absolue, aux intervalles
égaux à partir d'un point zéro déterminé, n'existe pas. Cependant, en
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 7 59

prenant toutes les précautions, même si l'on ne peut constituer d'échelle


d'attitude nuancée, cette technique demeure un instrument de recherche
utile dans les sciences sociales. Elle peut permettre de comparer et véri-
fier les caractéristiques de groupes de population, de mesurer les change-
ments dus à certaines influences : films, discussions, informations.
C'est une technique complexe et longue, qui ne peut être utilisée à
bon escient que par des spécialistes. Confiée à des chercheurs inexpéri-
mentés, elle risque de ne pas apporter d'éléments de certitude suffisants
pour la peine qu'elle donne, de servir à tort d'exemple de la supériorité
d'une bonne intuition sur une procédure faussement scientifique.

1
§ 3. La technique du« panel»
805 1° Définition 2 ◊ Il s'agit seulement d'entretiens répétés. Les mêmes
questions sont posées aux mêmes personnes, à intervalles réguliers. Cette
technique est généralement abordée à propos de problèmes d' échantil-
lonnage et d'interview, du fait de la répétition des entretiens. Cependant,
l'échantillonnage n'est qu'un aspect secondaire. Le but du panel, ce qui
lui est propre, c'est d'étudier des changements d'opinions, d'attitudes, de
comportement. Il ne s'agit pas d'une mesure, au sens précis des échelles
d'attitude, mais d'une technique ayant pour objectif l'étude de l'orienta-
tion des changements, de leur importance, de leur cause, en vue de per-
mettre une explication, éventuellement une prévision. C'est pourquoi
nous croyons justifié de placer l'étude par « panel » à côté des mesures
d'attitudes.
Les résultats varient en fonction de l'objectif poursuivi et de la façon
plus ou moins raffinée dont on emploie la technique. Dans le cas le plus
favorable, il s'agit d'étudier des changements d'opinions ou d'attitudes.
On limite l'observation à une période fixée dans le temps, à une opinion
ou attitude particulière, par exemple le comportement électoral.
1° Cette opinion est individualisée, c'est-à-dire que l'on situe les
changements chez tels ou tels enquêtés particuliers.
2° On recherche les facteurs de ce changement, les stimuli qui ont
influencé l'enquêté: émission télévisée, discours ou prise de position
d'un leader, d'un membre de la famille, d'un voisin. Ce double objectif
est atteint par les entretiens répétés sur les mêmes enquêtés, 2, 3 ou 4
fois (rarement davantage) pendant une période de 3 à 6 mois ou 1 an.
Dans le cas où l'on cherche à obtenir des informations plus sommaires, on se
borne en général à rechercher le sens du changement et les facteurs en cause :
enquêtes sur les communications ou la consommation. Certaines de ces études
sont organisées par des services permanents, chargés d'effectuer des enquêtes
régulièrement organisées, comme des panels, c'est-à-dire avec répétition du
même questionnaire, sur un même échantillon d' enquêtés. Les résultats de ces

1. C.Y. Glock (1955), C.A. Moser (1958), Lazarsfeld (1966), L.H. Wiggins (1973), T. Caplow
(1983).
2. Le terme désigne en anglais une liste officielle de jurés, d'experts, etc.
7 60 LESTECHNIQUES DE RAPPORTS INDIVIDUELS

enquêtes sont le plus souvent dépouillés comme de simples sondages. L'avantage


consiste alors simplement à éviter de reconstituer chaque fois un nouvel échan-
tillon d'enquêtés, ce qui représente une économie. On n'analyse pas les résultats
de chaque consultation en fonction des précédentes, l'on ne se préoccupe pas des
changements individuels, mais seulement du sens général de l'évolution et de
l'influence globale de certains facteurs. En fait, la richesse de l'information du
panel et son intérêt sont considérablement diminués.
Lespanels ont été employés dans les études de consommation, pour connaître
les habitudes d'achat de la population et également depuis 1940, aux États-Unis,
pour connaître l'évolution de l'opinion publique à propos de la position des
Etats-Unis face au conflit mondial. Une des études ayant le plus contribué à pré-
ciser la technique du panel et à en montrer l'intérêt, est celle de P. Lazarsfeld
(1949), sur le comportement des électeurs durant la campagne électorale de
1948 à Elmira 1.

806 2° Buts du panel ◊ Les deux objectifs du panel visent à situer les gens
qui changent d'opinion et à préciser les facteurs déterminants de ce
changement
Dans le cas d'une étude électorale de type classique, l'analyse des résultats sta-
tistiques porte sur des chiffres globaux. Elle donne le sens du changement, un
ordre de grandeur, mais se borne, du fait des compensations entre les positions
des électeurs, à des hypothèses sur l'ampleur du changement. L'avantage du
panel, c'est de pouvoir identifier les électeurs et par là même, de rendre plus
accessibles les facteurs de changement et les conditions dans lesquelles ils
s'opèrent.
Dans l'étude d'Elmira, les électeurs ayant déclaré durant la campagne qu'ils
avaient changé d'opinion et comptaient modifier leur prochain vote, furent
interrogés sur les diverses influences qu'ils avaient subies (radio, journaux,
influences personnelles). Il est donc nécessaire, avant de lancer une étude par
panel, de prévoir les facteurs que l'on suppose influents.
Le double objectif du panel est atteint, lorsque à partir des constata-
tions faites dans les domaines étudiés, sur les changements et leurs
causes, on peut, quel que soit le domaine (élections, consommation),
tirer des conclusions généralisables, soit sur le type d'individus, d'opi-
nions ou attitudes, les plus susceptiblesde changement: la fidélité à une
marque de café serait plus grande qu'à des boissons rafraîchissantes, ou
les individus présentant telles caractéristiques seraient particulièrement
susceptibles de changement; soit sur le type de facteurs exerçantle plus
d'influence,par exemple, on a découvert que les jeunes femmes sont plus
écoutées en matière de mode et de beauté, les plus âgées en matière
ménagère. Enfin le milieu familial, en matière de vote exerce une
influence prépondérante 2 .
807 3° Problèmes techniques. a) Quel genre de changement
veut-on observer? Quel critère retenir? ◊ A partir de quand
décide-t-on qu'il y a changement? Dans le cas du vote, on peut considé-
1. La première enquête par panel a été effectuée par S.A. Rice (1928) en 1924.
2. Cf. P. Lazarsfeld (1955).
LA MESURE DES ATTITUDESET DES CHANGEMENTS 761

rer un critère objectif et accessible: le passage d'un vote pour un parti à


un vote pour un autre, ou de la position sans opinion à un vote pour un
parti, ou le contraire (cas de l'enquête d'Erié), ou réaffirmer et tenir
compte (enquête d'Elmira), à l'intérieur du vote pour le même parti, du
degré de conviction manifesté. Pour Lazarsfeld, seul le net changement
de position présente un intérêt, mais pour le chercheur, toute indication
d'évolution peut être utile, si elle met sur la voie de facteurs d'influence
intéressants.
808 b) Comment distinguer les vrais changements ? ◊ Ceci pose le
problème habituel de la validité de la technique des interviews. Le panel
est particulièrement révélateur de ses faiblesses sur ce point. En effet, des
réponses différentes, obtenues à des questions de faits passés, donc en
principe vérifiables, par exemple: « êtes-vous bachelier ? », rendent évi-
demment sceptiques sur la confiance que l'on peut avoir dans les
réponses concernant les faits non contrôlables, tels que : « pour qui avez-
vous voté ? »
Il semble, d'après les recherches faites, que les erreurs sont plus
impressionnantes parce qu'apparentes, mais qu'elles ne sont pas plus
importantes que dans les entretiens uniques et relèvent du taux d'erreur
habituel.
809 c) Comment distinguer les vrais facteurs de change-
ment ? ◊ Comme dans toutes les expériences visant à mesurer des
variables dans une période de temps assez longue, il est très difficile
d'isoler ces facteurs. Comment savoir si tel groupe a modifié son attitude
du fait de la propagande reçue, ou de tel livre lu, ou de telle personne
rencontrée, sans que l'observateur le sache? La solution se trouve dans
la constitution d'un groupe témoin comparable, mais échappant à l'in-
fluence du facteur que l'on veut mesurer.
810 d) Combien de fois faut-il répéter l'expérience? avec quel
intervalle ? 1 ◊ Ceci depend, bien entendu, cfu type de panel dont il
s'agit. A priori, on peut déclarer qu'il convient d'interroger l'échantillon,
avant et après chaque événement pouvant exercer une influence sur l'at-
titude observée. En dehors de l'aspect financier de la question, la limite
est assez vite atteinte, du fait de la lassitude possible des enquêtés et sur-
tout de la déformation, que l'effet de répétition peut faire subir à leurs
réponses. Dans ce cas, ils risquent de ne plus constituer un échantillon
représentatif d'un ensemble, mais au contraire, un groupe soumis à l'in-
fluence particulière du panel. Ils peuvent, par exemple, développer plus
d'esprit critique, du fait qu'ils seront interrogés, ou se montrer plus inté-
ressés, etc. L'étude faite à Sandusky2 démontre que des entretiens répé-
tés, même s'ils exercent une influence, ne modifient pas les résultats de
1. T. Caplow (1983).
2. Cette enquête de Laiarsfeld (1966), comportait 7 interrogations pendant sept mois (mai à
novembre) d'un échantillon de 600 personnes. Cf. également D. Merllié (1988 B. 580 bis).
7 62 LESTECHNIQUESDE RAPPORTSINDIVIDUELS

l'enquête, tout au plus diminuent-ils le nombre des sans opinion. En


général, on se borne à trois ou cinq entretiens. En ce qui concerne les
intervalles de temps, on se trouve devant des exigences contradictoires :
d'une part, il ne faut pas trop espacer les entretiens, car les enquêtés
risquent d'avoir oublié les raisons qui les ont influencés; d'autre part, il
ne faut pas trop les rapprocher, car ils risquent de se lasser ou de se sou-
venir de leurs réponses précédentes et de se croire tenus de donner les
mêmes.
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7 66 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

CHAPITRE2
LES TECHNIQUES D'ÉTUDES
DE COLLECTIVITÉS
ET DE GROUPES

SECTION1. L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN


« Quandon fait une statue,il nefaut pas toujours
êtreassisen un lieu,il lafaut voir detous lescôtés,
de loin, de près, en haut, en bas, dans tous les
sens.»
Montesquieu. - Cahiers.

§ 1. Particularités des enquêtes sur le terrain


812 Enquêtes sur le terrain et sondages d'opinion o Lorsque, dans le
cadre d'une enquête d'opinion publique nationale, par échantillon, un
enquêteur interroge des individus dans la rue ou à domicile, il dit qu'il va
enquêter sur le terrain. Ceci est certes exact, puisque l' enquêté n'est pas
appelé dans un laboratoire ou bureau de recherche, mais demeure dans
son cadre de vie habituel. Cependant, il existe de grandes différences
entre l'enquête par interview, qui peut s'effectuer dans la rue, à domicile,
ou ailleurs (centre de recherche, mairie, école, etc.) et la véritable enquête
sur le terrain, celle à laquelle on réservera ici ce nom, parce qu'elle ne
peut être faite ailleurs que sur le terrain au sens propre, devenu partie
même de l'enquête. L'enquête sur le terrain est, avant tout, celle qui étu-
die une collectivité dans son contexte social, un groupe vivant dans son
cadre habituel : service administratif, collectivité, groupe sportif, celle qui
emploie pour atteindre son but, non pas uniquement, mais obligatoire-
ment des techniques d'observation de groupe.
813 a) La recherche de facteurs objectifs o La grande différence entre
le sondage et l'enquête sur le terrain provient des données que l'une et
l'autre techniques recueillent L'enquête par sondages atteint ce que les
individusinterrogésdisentà un moment donné.On recueille des motiva-
tions, projets, attitudes, des opinions et jugements concernant des événe-
ments ou des personnes. Comme nous l'avons vu, dans la meilleure des
hypothèses, celle où }'enquêté sait, ou pense quelque chose et accepte de
le dire, l'interview récolte l'expression du sens vécupar !'enquêté, d l'ins-
tant où il est interrogé.
Sans doute a-t-on pu observer une certaine conformité entre le dire et
le faire. L'homme qui professe des opinions racistes aura sans doute une
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 767

attitude de discrimination. Les pays dans lesquels les enquêtés déclarent


souhaiter peu d'enfants ont effectivement un taux de natalité peu élevé.
Mais on a également remarqué bien des distorsions entre les réponses
aux questions posées et la conduite réelle. Cantril a noté que seulement
87 % des enquêtés interrogés à trois semaines d'intervalle (deux fois) ont
donné la même réponse pour indiquer pour qui ils avaient voté 1. Il est
plus sûr de faire choisir à une ménagère un paquet de lessive parmi
d'autres ou mieux, de connaître la marque qu'elle utilise, plutôt que de
lui demander in abstractocelui qu'elle préfère. En dehors de ces écarts
possibles, il est de plus certain que les individus sont généralement peu
conscients des déterminismes sociaux qui pèsent sur eux, des raisons qui
les poussent à agir de telle façon, ou à adopter telle opinion. On est rare-
ment son propre sociologue, il faut donc se rendre compte de ce que l'en-
quête d'opinion peut recueillir et ne pas lui demander autre chose. Si
l'enquête sur le terrain permet d'atteindre d'autres matériaux moins sub-
jectifs que les paroles de l' enquêté, grâce à une observation directe de son
comportement, celle-ci ne peut cependant être qualifiée d'objective, car
c'est la subjectivité de l'enquêteur qui entre en jeu de manière plus dange-
reuse que dans l'enquête par questionnaire 2 .
814 b) Une recherche limitée mais globale ◊ On reproche générale-
ment à l'enquête par sondages d'atomiser les individus, de les couper de
l'ensemble de relations auquel ils appartiennent 3 • L'enquête sur le ter-
rain, elle, n'étudie qu'un seul ensemble limité dans l'espace, mais sa
recherche moins superficielle et plus globale, tend à découvrir des proces-
sus, des facteurs déterminants, mais souvent imprévisibles.
Cet ensemble de raisons est la cause d'un mouvement de désaffection
pour les sondages parmi,les chercheurs en France. La tendance irait à
l'heure actuelle après les Etats-Unis dans le sens de l'ethno-méthodologie
c'est-à-dire, malgré les difficultés, d'une adaptation des procédés eth-
nologiques à la sociologie4.
815 Exigences accrues ◊ Lesenquêtes sur le terrain comportent les obliga-
tions et les précautions indiquées à propos des enquêtes en général, mais
avec un caractère de nécessité encore plus marqué.
Du fait qu'elles observent la réalité dans sa complexité et l'événement
dans ce qu'il a souvent de fortuit, en tout cas d'éphémère, les enquêtes
sur le terrain nécessitent une préparation très poussée, des techniques à la
fois rigoureuses,afin de n'être pas débordées par les informations, et
ouvertes,pour ne pas manquer l'observation intéressante et non prévue.
S'il s'agit d'une enquête de diagnostic, le plan d'enquête devra prévoir les
variables, les facteurs à retenir de façon très précise. Il ne s'agit plus d'un
entretien manqué qui peut être compensé ou remplacé, ni d'un docu-
1. In J.-L.Simon (1969), p. 246.
2. Sauf le cas d'interviews non standardisés: interview libre où l'interprétation par l'enquêteur
est également prédominante.
3. Cf. n° 431.
4. Cf. H. Garfinkel (1967).
7 68 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

ment que l'on retrouvera identique à lui-même, mais d'événements qui


peuvent ne pas se reproduire. De même la participation à la vie d'un
groupe soulève d'autres difficultés que le fait de poser des questions à
quelques enquêtés et implique de leur part une acceptation plus complète
que de simples autorisations.
Enfin les réactions à l'enquête et à sa publication sont parfois extrême-
ment vives1 .
Les problèmes de budget sont également délicats. On peut devoir utili-
ser des techniques diverses et surtout, ignorer le temps nécessaire pour
percevoir les problèmes, le degré de coopération dont on bénéficiera, ou
les obstacles auxquels on se heurtera. Les qualités requises des chercheurs
sont également plus nombreuses et leur qualification supérieure à celle
qu'exige une enquête d'opinion. La variété des moyens à employer, le
caractère moins standardisé des techniques d'observation de groupe, l'hé-
térogénéité des matériaux à recueillir: opinions, comportements, évolu-
tions et le nombre de facteurs à déceler et observer, nécessitent une mise
au point très complète du projet d'enquête.

§ 2. Diverses formes d'enquêtes sur le terrain


816 Critères de distinction ◊ Les enquêtes sur le terrain peuvent revêtir
des formes différentes suivant le but qu'elles se proposent. Le but déter-
mine, d'une part, la population à étudier, d'autre part, les mayens de
recherche.
La technique de recherche est également influencée par deux facteurs :
la tailledu terrain soumis à investigation, mais surtout le degréde mesure
auquel on peut et veut parvenir. Ce dernier facteur est le critère de classe-
ment le plus efficace.
817 1 ° Distinction suivant la taille ◊ Il est en général recommandé de
ne pas voir trop grand, de limiter ses objectifs et géographiquement son
lieu de recherche, cependant deux types d'études constituent aux
extrêmes deux exceptions.
a) Les « area studies» (1952). - Certaines enquêtes connues sous le
nom d'« area studies » ont dès le départ un objectif large. Les facteurs à
mesurer sont d'ordres divers, l'observation fait appel à des points de vue
différents et vise une région, un pays ou même plusieurs.
Ce genre d'études s'est multiplié depuis la guerre, sous la conduite des États-
Unis. Il ne s'agit plus de faire des rapports sur le développement d'une région,
mais d'amener une équipe comprenant historiens, géographes, économistes,
sociologues, anthropologues, politicolor-ies, à étudier ensemble, dans un pays
donné, en général un pays en voie de developpement, les divers facteurs détermi-
nant son rôle international et son évolution.
D'autres recherches font également appel à des spécialistes de disciplines dif-
férentes : enquêtes préparatoires à de grands travaux par exemple. Ce type d'en-

1. Cf. l'exemple de la publication des Enfantsde Sanchezau Mexique.


L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 7 69

quête sur le terrain a tendance à se multiplier d'une part pour des raisons théo-
riques: la nécessité de ne pas détacher l'homme de son environnement, les
progrès de l'écologie, la tendance à la pluridisciplinarité; d'autre part pour des
raisons techniques: l'augmentation des moyens de traitement des données.
b) Les « casestudies» 1. - Nous n'avons pas en français de terme équivalent
pour ce que nous considérons comme un type d'enquêtes parmi d'autres. Il se
caractérise par son objectif: recueillir le maximum d'informations sur un sujet
précis et limité, en général dans un simple désir d'information, de description, ou
de classification, mais sans arrière-pensée de mesure. C'est un type d'enquête
qualitatif, idiographique, utilisant souvent la méthode clinique. Le « case study »
suggère des hypothèses à la suite d'un grand nombre de données mais n'a{>porte
pas de preuves, tandis que dans une recherche plus expérimentale, l'hypothese est
antérieure à l'observation et celle-ci aboutit plus ou moins à une vérification.
On peut parfois se demander s'il vaut mieux accumuler plusieurs « case stu-
dies » ou lancer une enquête sur un plus grand nombre de personnes 2. Ceci
comme toujours dépend de nombreux facteurs: type de problème, degré d'infor-
mation, financement, nombre de chercheurs, etc.
818 2° Distinction suivant le degré de précision ou de mesure ◊ La
précision et le niveau de la mesure dépendent du but poursuivi, de la
nature du problème et des possibilités ou moyensmis en œuvre pour y
parvenir.
Toute division paraît forcément arbitraire. Cependant, on peut consi-
dérer qu'il existe trois catégoriesprincipales d'enquêtes3 :
1° Lesenquêtes d'exploration.Elles ne sont pas suscitées par une hypo-
thèse précise et demeurent plutôt descriptives. Il s'agit de découvrir les
problèmes, par exemple ceux d'un groupe de jeunes.
2° Les enquêtes d'analyseou de diagnostic,qui cherchent souvent une
réponse à une question pratique telle que l'explication du mécontente-
ment des ouvriers de tel atelier. Il faut alors analyser les divers facteurs,
préciser les variables qui peuvent intervenir : conditions de travail,
salaires, types de commandement, etc.
3° Les enquêtes expérimentales ayant pour but de vérifier les hypothèses
émises.
Encore une fois, il s'agit ici d'une classification très souple, car il est
rare de faire une recherche sans émettre d'hypothèse et sans lui donner
un début de vérification; enfin, une enquête naît toujours d'une question
à laquelle on imagine plusieurs réponses.
819 a) L'enquête d'exploration ◊ La description.- Il s'agit du premier
niveau de la recherche, celui de l'observation et de la collecte des données
qui, scientifiquement choisies, recueillies et organisées, permettent les
étapes ultérieures. On ne doit pas sous-estimer son importance. La des-
cription du cas de Anna O. par Freud est à l'origine de la découverte de la
psychanalyse.
1. Ne pas confondre avec le« case work » procédé pratique et pédagogique utilisé par les travail-
leurs sociaux pour apprendre à ceux qui les consultent à s'aider eux-mêmes, ni avec la« méthode des
cas » procédé pédagogique de discussion en groupe sur des cas concrets.
2. Querelle de l'idiographique et du nomothétique, cf. n° 271.
3. Cf. M. Jahoda et al. (1951, B. 198), L. Festinger et Kati (1959, B. 198).
770 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

Ce sont surtout les anthropologues qui utilisent ce type d'études. Un


des premiers exemples modernes de l'extension de l'enquête descriptive
scientifique à la sociologie, est la monographie de Middletown par R. et
S. Lynd1 . Sans hypothèse précise au départ, les auteurs recherchaient les
fact.eurs de changement et d'adaptation au changement dans une petit.e
ville américaine. Ils ont observé et partagé la vie des habitants, comme
l'auraient fait des anthropologues dans une civilisation différente. De
plus ils ont étudié la documentation sociale : statistiques, procès-verbaux,
utilisé des t.echniques vivantes : interview, observations de groupe, et
découvert que chaque forme d'activité collective se transformait suivant
son allure propre, la poursuite économique des moyens d'exist.ence pré-
sentant les changements les plus marqués. Les Lynd ont décrit scienti-
fiquement les mécanismes sociaux dans un domaine déterminé. Si leurs
conclusions sont, pour la plus grande part, empruntées à leurs observa-
tions et impressions personnelles, en tant que membres participants de la
collectivité, ils ont tout de même dépassé les limites de la méthode
anthropologique classique, en employant des techniques non quantita-
tives, mais systématisées. Les enquêtes les plus récentes marquent encore
les progrès de la systématisation dans ce type de recherche. C'est ainsi,
nous l'avons vu, que E. Goffman (1968) tente, au-delà et à travers la des-
cription de l'asile, la découverte du système de l'institution.
En France, les premières études monographiques ont été menées à Vienne,
dans l'Isère 2, à Auxerre 3, et à Nouville 4. Elles se sont depuis multipliées 5. On
peut également citer Villagein the Vaucluse6 • Cette dernière étude a été faite par
un sociologue américain, sans application de techniques quantitatives mais avec
une grande finesse d'observation. Lerécit de l'émotion suscitée dans le village, par
le certificat d'études, est, en particulier, d'une justesse d'analyse et de ton remar-
quables.
Ceci nous permet d'insister une fois de plus, sur le fait que si la mesure
demeure le but à atteindre pour faire progresser les sciences sociales, une
bonne description et une analyse juste valent toujours mieux que la
quantification rigoureuse de facteurs sans intérêt Le stade d'exploration
permet normalement de découvrir les facteurs importants, les variables
qui jouent un rôle. C'est aux autres formes d'enquêtes, qu'il appartient de
vérifier ces hypothèses et de trouver les relations qui unissent ces
variables.
La classification7 • - L'observation peut aboutir à une classification des
matériaux recueillis, en catégories d'après leurs similitudes.
La classification peut être le point de départ d'une recherche d'explica-
tion. La distinction fait.e par Freud entre les différents mécanismes de
défense (répression, rationalisation, projection) incite à se demander les
1. R. et S. Lynd (1929, 1957).
2. P. Clement, N. Xydias (1955).
3. C. Bettelheim, S. Frère (1950).
4. L. Bernot, R. Blanchard (1953).
5. Cf. les recherches des divers groupes du Centre d'études sociologiques et du C.N.R.S.
6. L. Wylie (1957).
7. Cf. n°' 335 et s.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 7 71

raisons de l'utilisation de tel ou tel processus suivant les individus, les


situations, etc.
Les stades de l'observation, de l'exploration, permettent de découvrir
les facteurs les plus actifs, les caractéristiques des phénomènes, mais c'est
aux enquêtes plus poussées qu'il appartient de mesurer ces variables, de
faire un diagnostic, de trouver les relations qui les unissent et même de
fournir une explication.
820 b) L'enquête de diagnostic ◊ L'enquête de diagnostic a, plus que la
précédente, un but précis ou une arrière-pensée utilitaire. Le plus
souvent, elle ne vise pas seulement à expliquer ce qui se passe, pour en
tirer une théorie générale, mais surtout à trouver les causes d'une situa-
tion, pour y remédier.
Un des exemples les plus connus d'enquête de diagnostic, est celle publiée en
1933 par Elton Mayo, concernant l'influence des divers modes de rémunération
et des facteurs physiques et sociaux, sur la J?roductivité des ouvriers dans une
usine de la Western Electric. Mayo fut amené a reconnaître la faible influence des
facteurs physiques : éclairage, etc., sur le rendement des ouvriers, mais en
revanche, l'élément primordial que représentait le groupe de travail, l'identifica-
tion des ouvriers à leur équipe et les relations de celle-ci avec les représentants de
la direction 1 .
L'étude de E. Mayo (1933) et de ses collaborateurs allait au-delà d'une
simple analyse de la situation. Elle permit d'émettre un diagnostic, ou
plutôt une hypothèse suivant laquelle, contrairement aux affirmations de
certains sociologues présentant la société moderne en voie de désintégra-
tion par excès d'individualisme, celle-ci, au contraire, éclatait en de nom-
breux groupes antagonistes.
Cette enquête devait plus à l'intuition, à la liberté d'esprit, au sens humain de
Mayo, qu'à ses qualités proprement scientifiques. Ces hypothèses étaient envisa-
gées comme des explications générales. Elles devaient orienter des recherches
ultérieures, quantitatives, qui permettraient alors de mesurer l'importance de tel
ou tel facteur, par exemple l'influence de l'appartenance au groupe sur la produc-
tivité.
L'enquête de diagnostic se situe donc à mi-chemin de la simple explo-
ration et de la véritable expérimentation, à laquelle elle conduit.
821 c) L'expérimentation ◊ L'expérimentation sur le terrain est rarement
praticable, car elle implique la manipulation de variables. Elle est plus
limitée dans ses buts, beaucoup plus rigoureuse dans son déroulement et
nous renvoyons son étude à la section suivante 2 •

§ 3. L'Observation, ses problèmes, ses techniques


822 Distinctions ◊ L'observation sur le terrain pose un grand nombre de
problèmes, en fonction de l'objectif que l'on vise et de la situation devant
laquelle on se trouve.
1. Cf. F.J. Roethlisberger, W. Dickson (1941) et n° 537.
2. Cf. n°' 861 et s.
772 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

La taille du groupement, la complexité des interactions, la précision de


l'objectif, impliquent le choix de techniques adaptées. Il est bien certain
que l'étude d'un village soulève des difficultés différentes de celles d'un
atelier. Mais la distinctionfondamentalese situe entre l'enquêted'exploration
et l'enquêtede diagnostic.Elle entraîne l'emploi de techniques différentes,
pour résoudre deux problèmes majeurs : le rapport observateur-observé,
c'est-à-dire l'attitude plus ou moins extérieure ou participante de l'obser-
vateur et le type d'observation plus ou moins systématique.

823 1° Le rapport observateur-observé◊ Dans une enquête sur le ter-


rain, on doit observer ce qui se passe. Cette affirmation est bien théo-
rique, car on peut se demander comment l'enquêteur fera accepter sa
présence. Il ne peut se promener invisible comme l'esprit de la lampe
d' Aladin. En ce qui concerne l'enquêtede diagnostic,plus elle se rapproche
d'une expérimentation, plus l'observateur restera extérieur au groupe (à
la limite, dans l'expérimentation en laboratoire, il est invisible derrière un
écran). Les observateurs de la Western Electric ne participaient pas à la
vie des ouvriers.
Au contraire dans l'enquête d'explorationsur le terrain, l'observateur
étudiant des groupes naturels larges (une petite ville) ou restreints (une
équipe de football), pourra rarement rester extérieur au milieu observé et
devra même participer à la vie du groupe. La présence continuelle d'un
étranger dans les activités d'un groupe est certainement moins bien tolé-
rée que ses questions dans un entretien d'une heure. Il est plus facile de
mentir à un enquêteur, que de dissimuler ce que l'on est à un observa-
teur. Une enquête sur le terrain dont l'objectif, bien que précisé, s'ap-
plique à un domaine large, exige une souplesse de rapports allant, de la
part des observés, de la tolérance à l'aide, de la part des observateurs, de la
non-présence (cas de l'observateur derrière un écran), à la participation
aux activités du groupe.
Les problèmes liés à la présence de l'observateur existent dans presque
toutes les techniques. Il semble que dans l'enquête sur le terrain, ils soient
à la fois plus nombreux et plus variés, mais en même temps plus suscep-
tibles, ainsi qu'on le verra, de recevoir une solution satisfaisante. Cela
dépend de deux facteurs. D'une part de la personnalitéde l'enquêteur1 :
l'un préférera se présenter, expliquer ses motifs, tel autre aimera mieux
être moins explicite. L'un voudra recueillir davantage de documents, sera
plus actif, quitte à ce que sa présence influence le milieu enquêté, l'autre
tentera de passer inaperçu. D'autre part, des nécessités de l'enquête et de
la situation : le geme de groupe à observer, le type de problèmes, etc. Dans
certains cas, seul l'observateur considéré comme participant et même
sympathisant, accédera à la documentation et seule sa participation per-
mettra, sans perturber le groupe, d'observer ses manifestations. Dans
d'autres circonstances, l'observateur devra faire preuve de neutralité ou
rester extérieur et réduire au minimum les rapports avec les observés.
1. Cf. n° 846.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 7 73

824 a) L'observation-participation 1 ◊ Celle-ci implique que l'observa-


teur participe, c'est-à-dire qu'il soit accepté au point de s'intégrer dans le
groupe, de se faire presque oublier en tant qu'observateur, mais en restant
présent en tant qu'individu.
F.J.Roethlisberger (1941), après son expérience à la Western Electric, donne
quelques conseils à l'observateur: ne pas laisser supposer qu'il a une autorité,
donc s'abstenir de donner ordres ou conseils, ou de s'imposer dans la conversa-
tion; prendre le moins possible parti, tout en n'ayant pas l'air d'un opportuniste;
ne jamais violer le secret des confidences, ne pas les forcer, ni paraître trop préoc-
cupé de ce qui se fait; avoir l'air naturel, respecter les règles du groupe, ne pas se
singulariser.
W. Foote Whyte 2 , à propos de son expérience dans un groupe de jeunes à
Chicago, donne des conseils très semblables. D'après lui, le plus important
consiste à être personnellement accepté. Pour cela, dit-il, il faut d'abord avoir
pour soi les personnages clés, les meneurs, c'est-à-dire qu'il faut non seulement
leur faire part de ce que l'on cherche, mais surtout demander leur avis. Quand les
gens sont « dans le coup», leur sens critique s'émousse et quand les meneurs
sont acquis, les autres suivent. L'auteur conseille de donner beaucoup d'explica-
tions, pour que les enquêtés ne soient pas surpris de voir le chercheur s'orienter
vers tel ou tel problème.

82 5 Degrés de participation ◊ Il y a des degrés dans la participation. Si le


participant s'identifie trop, il risque d'être amené à prendre parti, ou de
devoir successivement se ranger à l'avis des divers groupes et de perdre
ainsi la confiance de tous. Au contraire, en restant plus extérieur, neutre
et surtout en s'abstenant d'émettre un jugement moral, en rendant ser-
vice au besoin, mais sans excès, en se conformant aux normes du groupe,
il est probable que sa présence sera bien tolérée. La vraie formule ne
consiste donc pas à s'identifier, mais à participer aux activités quoti-
diennes: jouer au ballon ou aux cartes, assister aux réunions, etc., ne pas
poser trop de questions, mais au contraire écouter. En général, les
membres du groupe sont satisfaits qu'un étranger s'intéresse à eux.
Whyte remarque que lorsque l'on est vraiment intéressé par ce que font les
gens, les distinctions sociales ne comptent plus. Il conclut en écrivant que « il ne
s'agit pas d'agir comme les autres pour se faire accepter par eux, mais de les
accepter comme ils sont, afin qu'ils vous acceptent».
Parfois, cependant, on peut simuler, s'aligner sur le groupe, c'est ainsi que Flo-
rence Kluckhohn (1940) écrit que c'est en faisant semblant de partager les anxié-
tés des femmes, à New-Mexico, qu'elle obtint des informations sur leurs
croyances, leur peur des sorcières par exemple, etc.

826 La durée ◊ L'attitude de l'observateur joue un rôle essentiel, mais un


autre facteur intervient : la durée.Le chercheur doit vivre assez longtemps
dans le groupe pour le comprendre et que ses compagnons s'habituent à
lui. L'inconvénient d'une participation trop longue et trop réussie, c'est
que le chercheur s'habitue à la façon de vivre et de réagir du groupe. Si les
1. A.J. Vidich (1964), Participantobservation(1968), J. P. Spradley (1980), S. Platt (1983).
2. W. Foote Whyte (1943, 1951).
77 4 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

choses semblent « aller de soi» leur singularité disparaît. L'obseIVateur


risque alors de ne plus poser les bonnes questions.
Un antidote utile consiste à raconter à un autre sociologue ce que l'on a vu,
pour susciter ses réactions. Parfois aussi, un départ de quelques jours, au milieu
de l'enquête, est à conseiller. Il permet de revenir avec un œil neuf.

827 b) Les participants observateurs ◊ On peut partager la vie d'un vil-


lage, d'un groupe d'ouvriers ou de sportifs, mais il est difficile de se faire
accepter comme participant d'un conseil d'administration, d'un Conseil
<l'Université,ou d'un gang de malfaiteurs. L'enquêteur qui ne peut péné-
trer dans un groupe, peut alors faire appel à des participants observateurs.
Les auteurs distinguent la participation de l'observateur, c'est-à-dire de
l'obseIVation-participation, l'observation des participants, devenus obser-
vateurs. Distinction arbitraire car les enquêtes sur le terrain démontrent
la nécessité et la réalité d'une collaboration entre observateurs et obser-
vés. Celle-ci peut-être plus ou moins étendue ou limitée, suivant les pro-
blèmes, le nombre d'individus, plus ou moins spontanée ou organisée,
mais dans la réalité, elle existe le plus souvent sous les deux formes à la
fois. L'observateur se mêle au groupe et se livre à une observation-
participation, mais, en même temps, certains obseIVéslui fournissent des
explications et se conduisent comme des participants-observateurs. Ce
moyen, fréquemment employé, l'est très spontanément sous la forme :
« Il est bon d'avoir un allié dans la place.» Sans doute, des observations
provenant de membres trop impliqués dans le groupe, risquent-elles de
n'être pas objectives. Mais on y gagne parfois la découverte beaucoup plus
rapide des problèmes cachés.
828 2° La. systématisation de l'observation ◊ Ce qui distingue l'obser-
vation scientifique de la simple impression, c'est le fait d'être recueillie de
façon systématique.
Dans l'enquête de type diagnosticles hypothèses sont déjà émises, les
matériaux à observer sélectionnés, il s'agit d'évaluer l'importance des fac-
teurs en cause, si possible de mesurer des variables. Les observations
seront donc rangées dans un système préétabli de catégories (en général
de comportements), définies de la même façon par tous les observateurs
et les résultats exprimés plus ou moins de façon quantitative ou en tout
cas systématisée.
Il est certes plus facile d'observer seulement les variables prévues pour
vérifier une hypothèse, que de devoir tout observer, parce qu'on ne sait
pas très bien au fond ce que l'on cherche.
L'enquête d'exploration, dans la mesure où elle est globale, à la
recherche des problèmes qui se posent et où elle ignore encore les
variables à mesurer, se présentera le plus souvent sous une forme non
systématisée, non codifiée à l'avance. La complexité et l'imprévisibilité
des comportements de groupe dans la vie quotidienne, la difficulté de
réduire le processus dynamique, les interactions, à leur aspect quantitatif,
rendront rares, à ce stade, l'utilisation de catégories préétablies très pré-
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 775

cises. La crainte de perdre des éléments importants, le risque en analysant


ensuite les matériaux, de voir apparaître des corrélations sans pouvoir les
vérifier, faute d'observations assez complètes, pèsent sur l'observation, en
particulier sur l'observation participation, qui ne permet pas au cher-
cheur le déploiement de techniques très sûres.
Les premières enquêtes d'exploration furent menées sur le terrain par
les ethnologues,étudiant dans leur totalité des phénomènes éloignés de
leurs cadres de pensée habituels, difficiles à prévoir et qui ne pouvaient
être systématisés d'avance. C'est cet élément d'imprévu qui caractérise
également les enquêtes d'exploration sociologiques récentes, dans les-
quelles on ne dispose pas de recherches préalables, ou de littérature, sur le
domaine à étudier. Dans les phases d'exploration, l'observation non sys-
tématisée est au debut la seule possible. Cependant, l'accumulation des
données permit aux ethnologues de concevoir au bout de quelque temps,
un certain nombre de rubriques larges, concernant des séries de pro-
blèmes qui se retrouvaient plus souvent : nourriture, cérémonies rituelles,
systèmes de parenté, etc.
De même, les types de problèmes auxquels s'attachent les sociologues,
ne sont pas non plus sans limites. Lorsqu'il s'agit de groupes humains,
larges ou restreints, on retrouve toujours les notions de valeurs du
groupe, de moral, de hiérarchie, de commandement, de décision, d'infor-
mation, de communication, d'intégration. Quant aux membres du
groupe, leurs comportements s'expriment dans un certain nombre d'atti-
tudes que l'on peut classer. Ces attitudes et phénomènes, même connus
et prévisibles, représentent une gamme de possibilités très étendues. Sans
doute, dans un groupe restreint, en laboratoire, plusieurs observateurs
peuvent-ils sélectionner, observer et noter au fur et à mesure les compor-
tements, mais, dans le déroulement rapide et complexe de la réalité un
seul observateur est rapidement debordé.
De l'enquête d'exploration purement descriptive, à l'observation de comporte-
ments standardisés, il existe toute une gamme de nuances dans la rigueur ou la
systématisation. L'observation des comportements sociaux est récente et nécessite
un long apprentissage personnel. Il est trop tôt pour prescrire des règles et la
méthodologie demeure réduite. On peut cependant donner des indications sur les
problèmes qu'elle pose.
829 a) L'observation qualitative et les difficultés de la systématisa-
tion ◊ Pour rendre compte d'une situation globale, complexe, avec plus
ou moins de précision, pour situer sa recherche, il est nécessaire de pré-
voir un cadrede référence.Comment le déterminer, comment découper
arbitrairement dans le réel, des catégories 1, pour classer les observations,
les regrouper, autrement dit, analyser le contenu visible des comporte-
ments du groupe, ou des individus dans le groupe ?
La difficulté des questions de méthode en ce qui concerne l'observation
sur le terrain, provient d'une part de leur nouveauté, mais surtout de la
1. La catégorie, comme dans l'analyse de contenu, désigne une classe donnée de phénomènes
dans laquelle on peut ranger les comportements observés.
77 6 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

variété des niveauxauxquels se situent ces enquêtes, de la différencedans la


précisiondes objectifsqu'elles poursuivent, de l'amplitude du domaine
qu'elles recouvrent

830 Les niveaux ◊ Tout d'abord, si la matière à observer et la manière de le


faire varient suivant le type d'enquête, on trouve, même à l'intérieur des
enquêtes d'exploration ou de diagnostic, plusieursniveaux d'observation,
que traduisent les catégories elles-mêmes.
Prenons l'exemple d'un match sportif. On peut résumer son déroulement
dans un résultat quantitatif précis : X a battu Z par deux buts à zéro, ou porter un
jugement d'ensemble sur la combativité des uns et des autres, ou encore, si l'on
veut expliquer ou tirer une leçon pour l'avenir, faire analyser la compétition par
des experts. Le même match sera observé, commenté, en fonction de ses dif-
férentes phases, de l'évolution de la tactique des adversaires, des performances de
leurs membres, etc. De même, le compte rendu d'une discussion opposant les
partisans de deux politiques, peut également se concevoir à des niveaux diffé-
rents : description globale du déroulement apparent, analyse plus intuitive des
motivations, ou systématisation des comportements individuels. Chacun de ces
niveaux implique une catégorisation différente.
Le niveau de rigueur de l'observation dépend évidemment de l'objectif
de l'enquête, mais aussi de la possibilité de prévoir les catégories, en
conceptualisant d'avance les phénomènes. Or, pour établir des catégories
en fonction de l'objectif, encore faut-il connaître le domaineà étudier.
Pour observer un match, il faut non seulement ne rien ignorer de la règle du
jeu, mais également des problèmes qui se posent, pour apprécier la façon dont les
joueurs essaient de les résoudre. Les concepts d'esprit d'équipe, de fair-play, de
risque, d'agressivité, de vitesse ou d'adresse, doivent avoir un sens par rapport à
des faits concrets. De même, la façon de juger les figures du patinage artistique. Si
le sport, par définition, comporte un grand nombre de comportements connus et
prévisibles, il n'en est pas toujours ainsi des collectivités et des groupements, qu'il
faut observer dans leurs activités multiformes et à différents moments.
Les catégories sont à la fois plus ou moins précises et plus ou moins
prévisibles. Une véritable enquête d'exploration dans une communauté
plus ou moins large s'orientera vers une description de type eth-
nographique, visant d'une façon générale, la totalité du système social
d'un groupe donné : institutions, rites. Dans le cas d'une communauté
restreinte: bande de jeunes, équipe de basket, groupement corporatif, il
sera souhaitable de prévoir à l'intérieur du schéma : structure, fonc-
tionnement, des dimensions plus précises à explorer : rapports hiérar-
chiques, etc. Dans ces types d'enquêtes, le plan de travail doit indiquer les
manifestations à étudier, en fonction de l'objectif. La précision du cadre
d'observation prévu, dépendra de l'état des connaissances dans ce
domaine, de l'objectif poursuivi, du budget, du temps et du nombre d' ob-
servateurs dont on dispose, enfin, de leur degré d'expérience et de leur
qualification.
On peut enfin tenter l'exploration d'un domaine encoreplus limité,
défini à l'intérieur d'une collectivité ou d'un groupe : enquête plus proche
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 7 77

du type diagnostic. Par exemple le processus de décision dans tel groupe


de jeunes agriculteurs, l'influence du logement sur le moral des ouvriers 1.
Dans ce cas, les chercheurs trouvent leur recherche circonscrite, les types
de comportements à observer sélectionnés d'avance; la systématisation
est de ce fait facilitée.
De toute manière, le schéma d'observation doit être très large, car
même lorsque l'objectif est limité, les hypothèses, n'étant pas définies
d'avance, sont susceptibles d'être reformulées plusieurs fois au cours de la
recherche. W. F. Whyte (1943) n'a découvert qu'au bout d'un certain
temps le lien entre les performances sportives et la hiérarchie du groupe.
831 Les types de catégories ◊ Lié à ce problème du niveau de l'observa-
tion, se trouve celui des typesde catégoriesà choisir.Ici encore, ce sont les
objectifs de l'enquête qui détermineront la nature des catégories.
Un cortège peut être observé sur le plan des manifestations auxquelles il donne
lieu : chants, cris, désordre ; du nombre et des caractéristiques des participants ;
du calme ou de l'excitation dont ils font preuve; mais l'analyse reste globale et ne
comprend qu'exceptionnellement un contenu verbal.
Si le chercheur s'intéresse à la participation politique dans une collectivité, les
catégories suivant lesquelles il classera les manifestations individuelles ou collec-
tives : assistance aux réunions, inscription à un parti, seront différentes des caté-
gories employées pour étudier, par exemple, la ségrégation ou les relations entre
sexes et noter les comportements intéressants : les garçons et les filles vont ou
non au cinéma ensemble, les jeunes gens sont invités ou non dans la famille de la
jeune fille, etc.
De même, dans un groupe restreint, si le chercheur veut s'attacher à la façon
dont le groupe prend des décisions, les catégories: recherche d'information, pro-
position de solution, opposition systématique, seront autres que celles choisies
pour étudier les valeurs du groupe, ou le rôle qu'il remplit pour chaque individu.
832 Les critères ◊ Enfin, dernier problème, et non le moindre, lié lui aussi
au problème des catégories et des objectifs de l'enquête: commentdécou-
vrir les faits révélateurs? Les problèmes qui se posent dans les groupes
humains, collectivités ou groupes plus réduits, sont complexes et se
situent souvent à un niveau profond. Rien n'indique au chercheur quels
sont les critères significatifs. Dans une enquête d'exploration, ils sont,
par définition, inconnus. Sans doute, le chercheur pourra-t-il à l'avance
accumuler une documentation statistique concernant la composition de
la population : âge, sexe et les divers facteurs : le niveau de vie, d'instruc-
tion, l'évolution des revenus, le nombre de télévisions ou de machines à
laver. Ces chiffres peuvent être révélateurs, permettre une hypothèse,
mais comment les membres de la communauté ressentent-ils leurs pro-
blèmes, comment manifestent-ils ce qu'ils éprouvent? C'est cela, aussi,
qu'il s'agit de découvrir, mais par quel moyen? Comment l'observateur
peut-il être sûr qu'il observe effectivement des processus présentant une
unité fonctionnelle, se rapportant à une cause commune et non des élé-
ments sans lien entre eux ?
1. Cf. W. Komhauser (1954).
778 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

Aucune technique ne peut donner ici de certitude, seule la connais-


sance de domaines analogues, l'expérience et la réflexion peuvent orien-
ter l'observateur vers la découverte de ce qui est important et significatif.
833 b) L'observation quantitative, systématisée ◊ L'idée d'organiser
l'observation est issue des laboratoires de la psychologie expérimentale,
où elle est, en général, soumise à des facteurs contrôlés et souvent
complétée par une expérimentation. Les psychologues sociaux ont voulu
essayer d'étudier l'homme dans son milieu normal, ou du moins « en
situation», c'est-à-dire en interaction avec d'autres. Mise au point dans
des conditions artificielles, l'observation contrôlée en laboratoire, a servi
de modèle pour systématiser, chaque fois que les conditions le permet-
taient, les enquêtes sur le terrain. Les progrès de cette technique corres-
pondent aux exigences de rigueur croissantes de la recherche. Mais la
situation plus complexe de la vie réelle pose de difficiles problèmes d'uni-
tés de comportements et de critères significatifs.
Les premiers travaux d'observation contrôlée datent de 1933. Proches encore
de leur origine, les observations concernent, au début, les comportements phy-
siques dans de petits groupes d'enfants: toucher, pousser, etc. Les consignes des
observateurs sont strictes et limitées. Les études sur les groupes d'enfants ont
représenté le moyen terme entre le laboratoire et la vie. En effet, la classe est
proche du laboratoire et les enfants peu sensibles à la présence d'un observateur.
Rapidement, l'observation des faits évolue vers la recherche, sinon de
théories, du moins d'explications généralisées des comportements obser-
vés. Les progrès de la méthodologie conduisent les techniques d'observa-
tion à se perfectionner. Désormais, les observateurs ne se limiteront plus
au rôle d'instruments de mesure robots, mais pourront interpréter et
classer les comportements, en fonction de leur signification.
C'est ainsi que W. F. Whyte (1943) a pu dénombrer, de la fenêtre de sa
chambre, les interactions et les modes de groupements entre les membres d'un
club de racketters, situé dans la maison d'en face. Il parvint, grâce à cela, à définir
les cliques et leurs relations, même à prévoir un conflit dans le groupe et son
issue.
On ne peut envisager d'observation véritablement systématisée, sur le
terrain, qu'en limitant les manifestations à retenir, en fonction d'un
objectif précis. Si le chercheur veut, par exemple, étudier les manifesta-
tions d'inadaptation dans un groupe de jeunes enfants, il devra définir le
concept d'inadaptation lui-même et en même temps chercher quels pro-
cessus ou attitudes celui-ci peut inspirer dans le concret, autrement dit,
prévoir des catégories d'inadaptation et des critères pour les caractériser.
Que retiendra-t-on comme signe révélateur d'inadaptation : se ronger les
ongles, ne pas lacer ses souliers, ou être constamment « dans la lune » ?
Échelleset catégories.- Deux méthodes d'observation à tendance quantitative
sont utilisées. La plus souvent employée consiste à classer les comportements en
catégories. Ceux-ci représentent, en quelque sorte, des réponses aux questions qui
se posent à leur sujet. Ou encore, l'observateur peut assigner une note aux
comportements. Il les classe de façon assez sommaire, suivant une échelle simple.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 7 79

Ceci implique, au préalable, que soient également définis les comportements à


étudier.
En fait, les deux méthodes sont, quant au fond, semblables. Qu'il s'agisse d'un
chiffre ou d'une catégorie, l'obseivateur juge tel comportement apte à entrer dans
telle ou telle classe. La difficulté dans les deux cas, consiste à specifier les dimen-
sions ou les critères de la catégorie.
Des études montrent de fortes corrélations entre les résultats des deux sys-
tèmes, cependant leur utilisation répond à des objectifs qui ne sont pas iden-
tiques.

834 Les échelles d'appréciation ◊ Appliquées à une seule catégorie de


comportements, elles représentent un progrès, bien qu'elles soient rare-
ment soumises à une procédure d'échelonnement, comme les échelles
d'attitude individuelle. Les échelles les plus connues sont celles de Guetz-
kow et de Heyns.
L'échelle de N.T. Fouriezos, M. L. Hutt et H. Guetzkow1, s'applique à des
observations de groupes. Elle ne s'attache qu'aux manifestations impliquant une
mise en cause personnelle de l'individu et ne s'occupe pas des autres types d'in-
tervention. L'échelle retient cinq types de comportements, considérés comme
révélateurs de l'égocentrisme, qu'elle note de O à 10: dépendance, agressivité,
besoin de domination, de considération, catharsis2. Il est apparu que les individus
qui cherchent à s'imposer, mais dont le prestige n'est pas reconnu par le groupe,
tendent à faire preuve d'un comportement de plus en plus égocentrique.
L'échelle de R. W. Heyns 3,vise plusieurs types de comportements possibles des
membres du groupe, qu'elle classe en items: degré de compréhension entre les
membres, sentiment d'urgence envers une solution à trouver, attitude tendue ou
cordiale, etc.
Dans tous les cas il s'agit de noter l'intensité des comportements
observés. Au véritable problème que l'on retrouve dans tout classement
par catégorie, s'ajoute ici la difficulté d'une évaluation: suivant quels cri-
tères juger la signification de tel ou tel comportement, pour le classer
dans telle ou telle rubrique.
C'est en comparant et en étudiant la nature des indices et la pondéra-
tion utilisée par les observateurs que l'on arrive à améliorer les systèmes
d'observation et à perfectionner les échelles. Pour l'instant, on peut dire
que l'échelle d'appréciation, plus superficielle, moins raffinée que le sys-
tème de catégories, est utile dans les cas où l'on veut avoir une idée som-
maire de la présence ou de l'intensité de certains facteurs.
835 Le classement par catégories de comportements ◊ Nous trouvons
ici, amplifiées et adaptées à la vie des groupes, un certain nombre de diffi-
cultés, déjà rencontrées à propos de l'analyse de contenu de documents.
La variété des types de comportements, le nombre des interactions entre
les participants, la rapidité de déroulement, enfin la richesse du mélange
d'expression orale et de comportement extérieur, compliquent la tâche de
1. In L Festinger et D. Katz (1959), p. 452.
2. Au sens propre signifie purge, au sens figuré se libérer.
3. R. W. Heyns (1958, 1959).
780 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

l'observateur. Une catégorie, avons-nous dlt, correspond à une classe de


manifestations, de phénomènes: agressivité, impatience, compréhen-
sion, etc., parmi lesquels on peut ranger un segment de la conduite obser-
vée. Alors que dans l'observation non systématique, on prévoit des caté-
gories très larges, très souples, auxquelles on peut toujours ajouter une
dimension, lorsqu'il s'agit d'observation systématique, la catégorisation
est beaucoup plus rigoureuse et doit recouvrir avec plus de précision les
comportements prévus. De ce fait, une enquête systématisée ne peut pas
se mener dans n'importe quelle situation, vis-à-vis de n'importe quel
groupe. La quantification rend obligatoire la prévisiondes catégories.On
peut difficilement ajouter, lorsque l'on est sur le terrain, des cadres de
référence nouveaux et précis. La difficulté consiste à prévoir les catégories
les plus adéquates, celles qui correspondent à l'objectif poursuivi, à l'hy-
pothèse émise et surtout aux problèmes de la réalité observée, c'est-à-dire
aux comportements révélateurs. Les catégories sont en quelque sorte des
questions posées aux faits ou individus observés. Il est toujours difficile de
découvrir les bonnes catégories. Celles-ci doivent aider l'observateur à
percevoir et classer toutes les observations intéressant l'objectif sans en
omettre et pour cela, l'obligent à avoir prévu les types de comportements
qui peuvent survenir, en relation avec les vrais problèmes. Quel que soit
le type d'observation retenu, l'important n'est pas que tous les comporte-
ments soient prévus, mais bien qu'aucun comportement relatif au pro-
blème ne soit laissé de côté.
836 Catégories ad hoc ou généralisations ◊ Certains auteurs se sont
demandé (comme dans le cas de l'analyse de contenu), si certaines situa-
tions de groupes, dans des collectivités différentes, ne donnaient pas lieu
à des comportements ou manifestations semblables et dans ce cas, si des
catégories préétablies ne pourraient être utilisées régulièrement par tous
les chercheurs. Ceci offrirait l'avantage de faciliter l'observation et sur-
tout de rendre comparables des résultats. Ne pourrait-on admettre que les
déjeuners d'anciens élèves, d'anniversaires, ou autres, suscitent chaque
fois un déroulement semblable de comportements et de thèmes de
conversations ?
Les chercheurs ont tendance à n'utiliser que des catégories spéciales, rendant
finalement impossible toute comparaison avec d'autres travaux du même ordre.
Le plus souvent, ce ne sont pas les catégories qui ne conviennent pas, mais les
comportements retenus qui diffèrent. Par exemple, les attitudes de leadership
dans un hôpital ou dans une entreprise, peuvent s'exprimer concrètement de
manière dissemblable, mais cependant se rattacher à des catégories, à des signifi-
cations ou motivations identiques.
Il y aurait intérêt (sauf cas vraiment J?articulier) à travailler le plus possible
avec des catégories souvent utilisées, c'est-a-dire se situant à un niveau de généra-
lisation, leur permettant de recouvrir un grand nombre de comportements.
La plupart des systèmes qui tentent une systématisation visent uniquement
l'observation d'un type de conduite détermine. C'est le cas du système de Jack 1,

1. In G. Lindzey (1954).
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 781

centré sur l'attitude de domination ou de soumission des enfants durant leurs


jeux. D'autres catégorisations, ont au contraire l'ambition de s'appliquer à tous
les types de groupements et de réunions, recouvrant tous les comportements pos-
sibles. Même les systèmes se prétendant exhaustifs ne considèrent jamais, en fait,
que quelques aspects de conduites probables dans certaines situations collectives.
Le plus connu est celui de R.F. Baies, qui étudie les processus d'interaction, inter-
venant dans les groupes sans leader désigné, ayant un problème à résoudre.
837 Le système de R. F. Baies 1 o Il part de l'hypothèse qu'il existe en fait
deux sortes de difficultés avec lesquelles tout groupe à la recherche d'une
solution se trouve confronté. D'une part, le problème de la solutionelle-
même, d'autre part, la façon de mobiliserles énergiesdu groupe pour
résoudre le problème. Le processus d'interaction sera inspiré par ces deux
types de motivations.
Pour Baies, l'interaction, c'est ce qui se produit quand une unité d'action signi-
ficative et déterminée, émanant d'un sujet : parole, comportement, agit comme
un stimulus sur un autre sujet, c'est-à-dire le fait réagir. Baies s'efforce de classer
les types d'interactions et d'établir leur fréquence, de suivre le déroulement de ces
interactions, de dégager les rôles et niveaux de contribution des différents
membres du groupe. Il distingue 12 types essentiels de comportements :
1° montre de la solidarité, encourage les autres, cherche à soutenir le moral du
groupe ; 2° se montre détendu, manifeste sa satisfaction ; 3° approuve, montre
tacitement son adhésion; 4° suggère, indique une direction, un but d'action;
5° donne une opinion, émet un vœu, évalue ; 6° donne une information, éven-
tuellement répète et clarifie ; 7° demande des informations et orientations ; 8°
demande une évaluation, une opinion ; 9° demande une direction, un but ;
10° désapprouve, refuse sa participation ; 11° manifeste une tension (gêne,
inquiétude, frustration) ; 12° manifeste de l'agressivité, cherche à abaisser le
moral du groupe.
Baies nomme profils,le total des interactions au niveaudu groupe,c'est-à-dire
qu'il trace le pourcentage de chaque catégorie par rapport à l'ensemble.
Ces profils peuvent être également établis par individus: tel individu se montre
négatif dans 50 % des cas, tel autre apparaît au contraire comme un leader par le
pourcentage de ses propositions positives. On peut aussi étudier le volume et la
direction des interactions, c'est-à-dire: qui parle? à qui? Tel individu parle plus
souvent au groupe ou à tel ou tel individu.
Baies a remarqué, que celui qui émet le plus, reçoit le plus et que tous les sujets
(sauf dans le cas du leader), parlent d'abord aux membres actifs et ensuite seule-
ment, au groupe. On trouve d'autres systèmes de catégories: celui de R. W. Heyns
(1959), qui énumère les fonctions instrumentales mises en jeu par le &roupe
pour résoudre un problème; celui de B. Steinzor (1949) qui s'attache a l'at-
mosphère du groupe et aux motivations des participants (18 catégories) ; les 92
catégories de L.Carter, qui se préoccupe surtout du problème du leadership dans
un petit groupe 2.

838 Nombre de dimensions des catégories ◊ Certains systèmes, comme


celui de Baies, prévoient plusieurs aimensions : affective, intellectuelle,
etc. Heyns, au contraire, ne sélectionne que ce qui est fonctionnel dans le
1. R.F. Baies (1947, 1951, 1955, 1959).
2. In G. Lindzey (1954).
782 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

groupe. La pluralité des dimensions complique évidemment le travail de


l'observateur, dont l'attention est dispersée. De plus, certaines catégories
peuvent n'être pas exclusives les unes des autres, tout en relevant de
dimensions différentes. Peut-on admettre qu'une même phrase soit
codée à la fois comme exprimant de l'hostilité et en même temps, suggé-
rant une solution au problème posé au groupe ? Autrement dit, doit-on
autoriser un codage multiple? L'unidimensionnalité des catégories est-
elle possible et correspond-elle à la réalité? Il s'agit ici, comme dans
l'analyse de cont.enu, de cas d'espèces. Certaines catégories ne concernent
qu'une seule dimension et parfois même une dimension continue.C'est le
cas lorsqu'elles visent une attitude assez bien définie, par exemple l'agres-
sivité. On peut alors parvenir à graduer la catégorie et à constituer une
échelle.
839 Observation brute ou interprétation ◊ L'observateur doit-il classer directe-
ment toutes les manifestations et attitudes concrètes du groupe considéré, lais-
sant au codeur le soin de les interpréter ensuite, ou devra-t-il, si la catégorie est
plus e1aborée, se livrer lui-même à une appréciation rapide, à une inférence ?
Dans le premier cas, l'observateur notera par exemple, parmi ses observations,
que tel membre du groupe chuchote avec son voisin, ou frappe du poing sur la
table en parlant. Dans le deuxième cas, il indiquera: l'individu B a besoin d'un
soutien, ou C se montre agressif.
En général, les observateurs notent purement et simplement les faits bruts, les
codeurs les interprètent et les classent. Pour que les inférences soient semblables
et justes, il faut d'abord qu'elles soient prévues par les catégories. Un observateur
ne pourra noter « manifeste de l'agressivité» si cette catégorie n'est pas prévue
dans le code. Ensuite, pour que tous les observateurs apprécient de la même façon
les comportements, encore faut-il qu'ils aient des indications très précises sur les
critères significatifs et les éléments à retenir pour l'interprétation. Parmi ceux-ci,
nous trouvons le contexte et le niveau d'inférence.
840 Le contexte 1 ◊ Imaginons l'intervention d'un membre du groupe. Quel décou-
page de temps ou d'activité retenir pour expliquer cette intervention ? Si l'obser-
vateur situe celle-ci dans le contexte général et prend toute la réunion comme sys-
tème de référence, il codera la phrase par rapport à ce qui l'a précédé depuis le
début et notera, par exemple : l'individu A poursuit son idée. Si, au contraire, il
code l'intervention dans un contexte limité à celle-ci, il pourra noter : l'individu A
fait montre d'agressivité. La plupart des experts, par sécurité et souci de fidélité,
entre les codeurs, admettent la règle du contexteimmédiat
841 Le niveau d'inférence ◊ C'est un des points les plus délicats. Perçue objec-
tivement de l'extérieur, la question d'un membre du groupe peut être jugée sur un
plan fonctionnel et classée dans la catégorie : demande d'information. Un autre
observateur, connaissant les conflits qui opposent les membres du groupe, verra
dans cette même question du sujet A, la manifestation d'un esprit d'opposition à
tel autre membre du groupe et le notera ainsi. Enfin, un troisième observateur
pourra retenir le ton ironique de la demande et la classer en tant que manifesta-
tion d'hostilité. Il est donc indispensable pour éviter des différences de codage,

1. R. W. Heyns and R. Lippitt in G. Lindzey (1954), R. W. Heyns and A. F. Zander in L. Festinger


et D. Katz (1959), pp. 436-477.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 783

que les observateurs sachent à quel niveau ils doivent juger et dans le cas où ils
peuvent interpréter les intentions, quels indices ils doivent retenir. Les observa-
teurs ont parfois tendance à être impressionnés ou à justifier leur interprétation
des intentions, par les réactions qu'elles suscitent dans le groupe. Dans l'exemple
ci-dessus, l'observateur peut estimer avoir eu raison de noter: esprit d'opposition
plutôt que demande d'information, si la question a effectivement suscité une
réaction violente de la part de celui à qui elle était adressée ; ici encore, le proto-
cole d'observation doit avoir prévu dans le codage si l'influencede l'effetest accep-
tée ou non.

842 Les unités ◊ Le choix des unités d'enregistrement et de numération pose un


problème délicat dans l'analyse de contenu des documents. Il est encore plus dif-
ficile à résoudre dans les comportements de groupe. Comment découper un
comportement ? Dans un texte, on peut retenir le thème ou l'idée, compter par
centimètre, par paragraphe, ou par colonne, mais où commence et où se termine
le comportement, même oral, d'un individu?
Le découpage suivant le temps peut être utilisé, il correspond au découpage en
terme d'espace (cm ou ligne) des documents écrits, mais il offre beaucoup plus
d'inconvénients.

Il n'y a pas de formule absolue, sauf une règle très générale : tout sys-
tème de catégorie, tout codage, doit donner le maximum de précision
concernant la taille de l'unité, l'interprétation des données, des indices,
etc. Faute de mieux, on a été amené à définir de façon empirique l'unité
de comportement Bales la considère comme étant le plus petit segment
repérable de conduite verbale ou non verbale, qui puisse être classé dans
l'une des catégories, au cours d'une observation continue, autrement dit,
les manifestations pouvant servir à illustrer la catégorie dans laquelle on
les range. Tout comportement composite peut être signalé à part, mais ne
doit pas être retenu et codé en tant qu'unité de comportement, sous
peine de compromettre la clarté et la rigueur des résultats.
On distingue en général des unités non verbales: mimiques, gestes, manifesta-
tions et les unités verbales.Celles-ci comprennent la séquence : sujet, verbe, attri-
but, qui constitue la phrase. Il paraît commode, en pratique, d'appliquer la règle
d'unité de signification et de noter une seule fois plusieurs phrases signifiant la
même chose dans la même intervention. (Mais, comme le note Baies, ceci ne per-
met pas de distinguer l'intervention longue ou courte.)
La variété des comportements, la rapidité du déroulement, surtout la multi-
plicité des interactions, dans de petits groupes, obligent à sacrifier une part des
phénomènes. On peut décider de n'observer que certains membres du groupe, ou
de les observer chacun pendant un certain laps de temps, ou de sélectionner les
comportements intéressant seulement certaines catégories et d'abandonner les
autres. Enfin, on partagera souvent le travail entre différents observateurs, se
relayant, ou observant des éléments différents, l'un le contenu général, l'autre le
ton, le troisième les processus au niveau des individus. Les observateurs bien
entraînés savent distribuer leur attention entre les différents membres du groupe
et consignent dans un p:oupe de 6 ou 7 membres environ, 15 observations par
minute, le degré de fidelité entre les observateurs dépassant 75.
784 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

843 La prévision ◊ Les modifications qui peuvent survenir dans une situation de
groupe sont imprévisibles et ne permettent pas d'essayer d'appliquer en cours
d'observation des catégories différentes, alors qu'un texte est une donnée sur
laquelle un code peut être essayé et modifié s'il y a lieu. Cependant, lorsqu'il s'agit
de l'observation d'une série de réunions d'un même groupe, un gang de jeunes
par exemple, l'observateur peut mettre au point, dans les premières réunions, son
plan d'observation et ses unités de comportement, pour les confronter ensuite
avec la réalité et les améliorer.
Ceci n'est évidemment pas possible dans le cas d'une seule réunion, où tout
doit être prévu à l'avance. Il est vraisemblable que les interactions sont plus nom-
breuses et le niveau visé plus profond, lorsqu'il s'agit d'un groupe restreint se réu-
nissant souvent, que dans une grande réunion occasionnelle. On peut donc pen-
ser que la possibilité de mise au point du cadre d'observation croît avec la
complexité d'expression des comportements et le niveau que l'on veut atteindre.
844 Moyens de faciliter la notation des observations sur le terrain ◊ Vu la
rapidité de déroulement des interactions dans les groupes et le travail de plus en
plus complexe exigé des observateurs, on a essayé de faciliter leur tâche, en prépa-
rant les catégories et en facilitant la notion matérielle des comportements, pour
limiter au maximum le temps enlevé à l'observation.
RF. Bales (1951) utilise une machine dans laquelle glissent des feuilles où
sont inscrites les catégories. Le codeur note rapidement les manifestations corres-
pondantes, un voyant s'allume toutes les minutes et un compteur les totalise.
L Carter 1,utilisant des catégories non verbales, em~loie une sorte de machine de
sténotypie, dans laquelle les touches correspondent a des chiffres ou lettres repré-
sentant les catégories. E. D. Chapple (1949) utilise ce qu'il appelle « an inter-
action chronograph », permettant de coder les individus séparément. Ici, la
machine a été prévue en fonction des catégories de Chapple et ne peut être utili-
sée pour d'autres types d'observations.
845 Moyens de conserver le déroulement verbal des interactions ◊ L'enre-
gistrement est un moyen précieux de conserver tous les processus de discussion
pour pouvoir les étudier. Mais il a ses limites, car il manque les expressions,
mimiques etc. ; de plus, il est difficile d'identifier les interlocuteurs, simplement
par l'audition. Sur ce dernier point, la sténotypie est préférable 2 • Lorsqu'il s'agit
d'observation par catégories verbales simples, c'est-à-dire sans inférence, ni inter-
prétation, le codage d'après document (enregistrement ou sténotypie) ou d'après
observation réelle, donne un résultat à peu près semblable. Dès qu'il s'agit d'ob-
servation plus complexe, le magnétophone, ou le camescope, sans remplacer l' ob-
servateur, peut l'aider. On a peu étudié l'influence de ce genre d'outils sur les
réactions des individus. L'accoutumance supprime assez rapidement les inhibi-
tions (probablement plus rapidement dans les groupes que dans les entretiens
individuels).
On peut résumer les difficultés techniques de l'observation des
comportements de groupe, en disant qu'elle implique des problèmes de
choix des catégories d'organisation, mais surtout de mise au point, en
fonction d'une conceptualisation des problèmes de la recherche. Les
résultats de l'observation de groupe dépendent donc en grande partie de
1. In G. Lindzey (1954).
2. Qu'il s'agisse d'enregistrement ou de sténotypie, le coût de la dactylographie indispensable
pour travailler sur document est toujours élevé.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 785

la préparation technique de celle-ci, mais aussi de la qualification des


observateurs.
846 3° Les observateurs. a) La personnalité et les aptitudes de
l'observateur ◊ Les qualités nécessaires à un bon observateur appar-
tiennent à deux genres différents, pour ne pas dire opposés. Les divers
types d'enquêtes les requièrent toutes les deux, mais avec un dosage
presque inversé. Dans l'enquêted'explorationnon systématisée,surtout
lorsque l'observateur travaille seul, ce sont les qualités d'intuition, le sens
des problèmes, l'imagination, la perception des autres, un facteur de sym-
pathie positive qui jouent. Dans l'enquêtede diagnosticsystématisée,les
observateurs travaillent souvent en équipe et doivent jouer le rôle d'ins-
truments de mesure. Lorsque le plan d'étude des comportements est très
précis, ce sont les qualités de rigueur, de précision, qui sont les plus
importantes.
Les propres besoins et valeurs de l'observateur pèsent sur la façon dont
il classe, note ou interprète les données. Là où un observateur sensible
notera que tel membre du groupe parle d'un ton sec, un autre indiquera :
parle clairement. Ces différences, difficiles à réduire, posent des pro-
blèmes sur le plan de la fidélité des résultats.
Les limitesau perfectionnement.- On peut toujours se perfectionner. Même s'il
s'agit d'enquêtes d'exploration, on peut acquérir de l'expérience, tant sur le plan
des problèmes à percevoir, que de la technique. Il est bien connu que les débu-
tants ne savent pas voir et n'observent que le plus a\'parent. Les observateurs les
moins entraînés des Nations Unies avaient remarque l'explosion, mémorable, de
Khroutchev frappant sur la table avec son soulier. Mais percevoir dans un iroupe
vivant, des associations d'idées, des éléments significatifs peu visibles, necessite
une grande expérience. Il faut du temps pour développer l'aptitude à percevoir les
problèmes, encore faut-il qu'elle existe, que le chercheur possède cette forme d'in-
telligence mêlée de sensibilité aux autres, qui ne s'acquiert pas. Même dans le cas
d'observateurs au travail très codifié, les auteurs signalent une corrélation positive
entre l'empathie, l'aptitude à participer aux sentiments, émotions d'autrui et l'ap-
titude à « percevoir » ce qui se passe dans une situation sociale. L'interprétation
de données qui demeurent complexes, même avec une codification précise, exige
toujours, elle aussi, intelligence et sensibilité.
L'apprentissage des observateurs et leur adaptation au travail sont plus
faciles dans le cas d'enquête codifiée. Le rôle de l'observateur dans
l'observation-participation est beaucoup moins structuré que dans l'ob-
servation systématique. 11improvise davantage en fonction de sa person-
nalité, des buts de la recherche et de la situation, c'est pourquoi la valeur
de l'enquête dépendra davantage de ce qu'il est, de son expérience, que de
sa méthode, au sens étroit du terme. Au contraire, dans le cas d'observa-
tion contrôlée, la formation est très importante, car il s'agit d'une tech-
nique précise, appliquée à des situations qui ne le sont pas toujours.
847 b) La nécessité d'un apprentissage ◊ L'apprentissage porte à la fois sur
l'aptitude à déceler les problemes et les comportements significatifs, l'aptitude à
noter avec exactitude et également sur le développement de la mémoire, indispen-
sable à un observateur.
786 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

Un des moyens pour l'observateur de progresser, consiste, au de'but, à noter le


maximum d'éléments, en distinguant soigneusement les faits observés et les
remarques qu'ils suggèrent. La formation des observateurs de groupe s'effectue
par des exercices d'observation sur des groupes en laboratoire, ou des situations
de groupe, jouées ou filmées. On a remarque que les observateurs ayant participé
à la préparation de l'enquête et du code, connaissant bien les objectifs poursuivis
et ayant eu la possibilité de faire des suggestions, obtiennent des résultats bien
meilleurs que ceux auxquels on a seulement appris le sens des catégories et la
manière de les utiliser 1.
Les auteurs américains ont aussi remarqué que les capacités des observateurs
étaient en corrélation négative avec leur niveau de formation académique. Autre-
ment dit, il ne faut pas avoir trop de connaissances livresques pour rester concret,
objectif... et passionné de recherche.
L'observateur doit aussi savoir utiliser et même souvent imaginer un système
de fiches facilitant son travail, car il faut presque chaque fois inventer une nou-
velle méthode.
848 4° L'analyse des matériaux. L'interprétation ◊ La première étape
de l'analyse consiste, comme dans les autres enquêtes, à établir pour
toutes les variables des distributions de fréquences, permettant de faire
ressortir les comparaisons à effectuer.
Lorsqu'il s'agit d'enquête sur le terrain avec objectif précis, le plan
d'enquête prévoit à l'avance les catégories du code et le travail se trouve
simplifié. Mais, dans les enquêtes d'exploration menées par un chercheur
ou une petite équipe, l'analyse d'une partie des matériaux se fait souvent
au fur et à mesure. Parfois, ce n'est qu'au bout d'un certain temps que
des constantes, des facteurs d'influence apparaissent. On peut alors juger
souhaitable la recherche de tel élément, non prévu dans le plan initial. Il
peut aussi être trop tard et telle variable non observée, non mesurée,
devient irrécupérable. C'est pourquoi il est d'usage dans les enquêtes d'ex-
ploration, de noter tous les éléments très largement et même au-delà du
sujet prévu.
Whyte a rapidement découvert l'importance du jeu pour le prestige du leader
dans le groupe, mais il regrettait de n'avoir pas note au de'but tout ce qui concer-
nait certains faits, dont la signification lui avait échappé. Quelquefois, en dehors
de toute qualification, c'est la phrase isolée, recueillie par hasard, qui fera appa-
raître tout un lot de problèmes vers lesquels orienter la recherche. M. Jahoda
(1951) raconte comment, faisant en Autriche une enquête sur les effets psycho-
logiques et sociaux d'un chômage prolongé, la remarque d'un petit garçon ouvrit
aux enquêteurs des perspectives auxquelles ils n'avaient pas songé. L'enfant,
interrogé sur ses projets d'avenir, confia à l'enquêteur qu'il comptait devenir chef
d'une tribu indienne et il ajouta« mais j'ai peur que ce soit dur d'obtenir ce bou-
lot 2 ». Cette réaction représentait-elle un cas isolé ou la réalité du chômage
pesait-elle même sur l'univers imaginaire des enfants ?
849 L'hypothèse ◊ L'hypothèse coordonne l'interprétation. Elle est indis-
pensable, car elle assure la continuité et l'unité de la recherche. On inter-
prète, en général, en fonction d'études déjà faites et l'on prépare la voie à
1. C'est ce que nous avons déjà noté dans le cas des interviews.
2. M. Jahoda et al. (1951), p. 298.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 787

des recherches plus précises. Parce qu'elle est une explication, l'hypothèse
crée également des liens entre théorie et recherche, en perlectionnant les
concepts utiles à la compréhension des mécanismes psycho-sociaux.
Enfin, bien comprise, elle évite les généralisations hâtives auxquelles
aboutissent ceux qui franchissent trop rapidement les étapes de vérifica-
tion, de comparaison des données, sur lesquelles doit être fondée une
interprétation scientifique.
R. K. Merten 1 montre comment, étudiant l'influence des habitations à
mélange racial sur les préjugés raciaux, il avait été amené à quantifier tous les élé-
ments de diminution des préjugés : fréquence des contacts de voisinage, signes de
sentiments amicaux, etc. Lesrésultats semblaient très encourageants. Une enquê-
tée avait déclaré qu'elle entretenait des relations si amicales avec les familles
noires, que souvent, dans la rue, certaines l'interpellaient joyeusement : « Hello
Hélène 1» « Mais, ajouta-t-elle après une pause, bien sûr, je m'évanouirais si ceci
se produisait dans la Grand-Rue, devant tout le monde. » Cette seule phrase
montrait les limites de la quantification, réelle par rapport à ce qu'elle mesurait,
mais bornée aux seuls rapports nés du voisinage. Une enquête sur la persistance
des attitudes, en dehors des lieux où on les observait et mesurait leur change-
ment, s'imposait. Cet exemple montre qu'en tout cas, l'interprétation des élé-
ments quantifiés demande une grande prudence et qu'il ne faut jamais générali-
ser en dehors du contexte observé et soigneusement vérifié. A ce stade de
l'analyse, les qualités d'imagination et de rigueur sont indispensables.
L'interprétation des résultats obéit aux considérations générales déjà
évoquées au sujet des enquêtes. Lorsqu'il s'agit d'enquêtes sur le terrain,
c'est là un moment particulièrement important, celui où il faut être assez
honnête pour abandonner les hypothèses auxquelles on tenait, si les élé-
ments rassemblés ne les confirment pas, assez souple et inventif pour en
imaginer d'autres, assez humble pour voir toutes les lacunes de son tra-
vail, mais assez passionné pour le continuer tout de même, en y trouvant
des satisfactions.

§ 4. Valeur de l'enquête sur le terrain.


Validité, fidélité des techniques d'observation 2
850 Le degré d'exigence dépend de l'objectif ◊ Il est particulièrement
difficile de juger de la validité et de la valeur cfestechniques d'observation
de groupes. Elles ne constituent pas, comme les techniques de rapports
individuels, un jeu d'outils circonscrits, indépendants, à utiliser dans des
buts bien précis avec des résultats distincts, mais elles recouvrent un
domaine très large, du petit groupe à la collectivité, et des façons d'obser-
ver, qui vont de la codification stricte à la recherche très intuitive.
La notion de validité, en ce qui concerne les enquêtes sur le terrain,
varie suivant l'objectif de l'enquête et les techniques employées. Dans
1. In op. dt., p. 304.
2. R. Kluckhohn (1940), W. F. Whyte (1943, 1951), H. E. Moore (1954), M. S. Schwartz, Char-
lotte Green Schwartz (1955), H. S. Becker (1958).
788 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

l'enquête d'exploration, on vise avant tout l'élément intéressant, alors


que l'observation quantifiée espère obtenir, par l'addition de nombreux
éléments, moins importants mais justes, des résultats significatifs. On ne
peut donc poser le problème de la validité des techniques dans les mêmes
termes pour les unes et les autres. Les observationsquantifiéesdoivent être
jugées en fonction des critères habituels de fidélité et validité: similitude
des résultats, justesse, prévision; l'observation qualitative ne peut être
appréciée qu'en fonction de la richesse de son contenu, de ce qu'elle
apporte de plus que d'autres techniques.
851 1° Avantages et intérêt de l'observation qualitative non systé-
matisée ◊ Rappelons d'abord que la supériorite de toutes les techniques
d'observation de groupe, provient de ce que l'observation est directe.Elle
permet de considérer les événements au fur et à mesure de leur déroule-
ment dans la vie du groupe et d'analyser le comportement réel de ses
membres.
Telle femme, qui, dans un interview, peut déclarer ne pas donner de sucette à
son bébé, tel adolescent prétendre ne jamais fumer, tel industriel ne pas être auto-
ritaire, ne pourront, lorsqu'ils seront soumis dans leur vie quotidienne à une
observation d'une certaine durée, camoufler ce qu'ils font ou sont. De même,
l'accident, la bagarre ou la discussion ne seront pas racontés après coup, mais sai-
sis pendant qu'ils ont lieu.
On a pu remarquer que les groupes en compétition étaient plus sen-
sibles à l'observation que les groupes coopératifs..La rapide accoutumance
des petits groupes à la présence de l'observateur a été souvent signalée,
bien que des signes d'intolérance se manifestent parfois au bout de quel-
que temps. Il semble que l'imprécision du rôle de l'observateur ait pu en
être cause.
En ce qui concerne plus particulièrement l'observation-participation,
la plus utilisée dans les enquêtes qualitatives, elle est irremplaçable sur le
plan d'une certaine spontanéité et qualité de l'information. Elle permet
l'accès à des éléments moins précis, mais souvent plus significatifs, que
ceux auxquels on accède par des questionnaires. Certains détails ne
peuvent faire l'objet de questions et une interview ne rend compte qu'im-
parfaitement de la vie elle-même. Un autre avantage de l'observation-
participation par rapport à l'interview, c'est qu'elle permet de mieux
résoudre, semble-t-il, les problèmes de rapports entre observateurs et
observés.
852 Le rapport observateur-observé◊ On a vu que le rapport enquê-
teur-enquêté était considéré comme l'une des importantes sources d'er-
reurs dans l'interview. En ce qui concerne les enquêtes sur le terrain, les
études sur ce point ont été moins nombreuses, et les résultats moins pré-
cis. La variété des situations rend toute comparaison difficile, car la réac-
tion des observés dépendra avant tout de facteurs objectifs, tels que la
nature du groupe et le genre d'activités auxquelles il se consacre: une
équipe de rugby ou une réunion du conseil général ne seront pas gênées
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 789

par la présence d'un observateur, alors qu'un gang de jeunes acceptera


difficilement un étranger.
En général, l'observation-participation résoud mieux que les interviews
le problème des rapports enquêteurs-enquêtés. En effet, la durée de l'en-
quête permet aux observés de s'habituer aux observateurs. Leur neutralité
ou leur participation, le fait que les situations soient moins structurées,
moins établies, facilitent un climat de compréhension. Enfin et surtout,
la situation n'est pas artificielle, les observés ne sont pas arrachés à leurs
activités, comme c'est le cas dans l'observation en laboratoire ou dans
l'interview. Ils continuent à vivre leurs problèmes et le tonus du groupe,
les impératifs de la vie, seront en général rapidement plus forts que la
gêne d'un regard indiscret La présence de l'observateur peut sans doute
exercer une influence plus ou moins perceptible sur les événements, mais
la situation reste naturelle, alors que dans l'interview, elle est artificielle,
suscitée par l'enquêteur, qui domine un enquêté solitaire et en état d'in-
fériorité.
De plus, le participant peut connaître les rumeurs, les potins, ce qui se
raconte, se chuchote et surtout ce dont on ne parle pas. Le problème de ce
qui est admis ou pas, les normes du groupe, l'atmosphère dans laquelle il
évolue, ne peuvent se percevoir qu'en vivant parmi ses membres. C'est
encore là une supériorité de l'observation-participation: elle permet d'ac-
céder non seulement à des réactions individuelles, mais encore à ce quel-
que chose de plus total et complexe, que représente le contextesodal dans
lequelvivent les membresd'une communauté.Enfin, certaines hypothèses
naissent directement des données, elles ne sont pas limitées à ce qui est
préétabli, ou à ce qui ressort de l'analyse des fiches, elles peuvent naître
du choc de la réalité.
853 2° Inconvénients de l'observation qualitative non systémati-
sée ◊ A côté de ces avantages, l'observation-participation présente des
inconvénients et des limites. Pour observer certains événements, il faut
d'abord qu'ils se produisent. L'observateur ne peut être partout à la fois. Il
peut manquer tel fait symptomatique qui s'est produit brusquement ou
qui, au contraire, s'est fait trop attendre.
La variété des matériaux recueillis nuit à leur homogénéité. Les ren-
seignements obtenus au hasard des contacts sont moins standardisés que
les réponses à un questionnaire porte-à-porte. Ils se présentent sous une
forme dispersée, rendant toute comparaison difficile. Enfin, si l'on sup-
pose qu'il est parfois plus instructif de bavarder librement, au lavoir, avec
les femmes du village, que de les interroger chez elles de façon systéma-
tique, encore faut-il que les données vivantes recueillies, soient ensuite
transposées au niveau conceptuel. De plus, l'individu qui refuse de parler
de ce qui intéresse l'observateur, n'est généralement pas remplaçable par
un autre, comme c'est le cas dans les enquêtes par échantillon. Si un
sous-groupe ne veut pas être observé, les résultats de l'enquête en souffri-
ront Sur le plan scientifique, l'inconvénient le plus grave de l'observa-
tion-participation, c'est d'être souvent le résultat du travail d'un seul
chercheur (mis à part quelques exceptions) et de devoir plus aux qualités
790 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

personnelles de celui-ci et à son expérience, qu'à l'application de tech-


niques particulières. Même dans le cas d'une étude relativement bien
ordonnée, il est très difficile de vérifier les événements passés et les résul-
tats stricts de l'enquête, d'après ses données. Une enquête d'exploration
peut amener à faire une enquête de diagnostic ou une expérimentation,
pour vérifier les hypothèses qu'elle suggère. Elle ne peut en général être
elle-même recommencée par quelqu'un d'autre, d'où l'impossibilité de
mesurer la validité et la fidélité.
854 3° Fide1itéet validité des techniques d'observation systémati-
sée ◊ Comme dans l'interview, plus une observation est structurée,
codifiée à l'avance, moins intervient la personnalité de l'observateur.
Dans le cas de l'observation systématisée considérée comme instrument
de mesure rigoureux, visant une quantification, la méthode et la façon
dont on l'applique, prennent toute leur importance.
855 a) La fide1ité ◊ Les problèmes de fidélité ou d'accord entre observa-
teurs mettent directement en cause et de façon très apparente, la
méthode et ses résultats. Le fait que deux observateurs puissent apprécier
un même comportement de façon différente, présente un inconvénient
visible par tous.
Dans le cas d'observation systématisée, il existe plusieurs points sur
lesquels mesurer la fidélité des différents observateurs. D'abord, la fidélité
de tout observateur par rapport à lui-même, c'est-à-dire sa rigueur, sa vigi-
lance, mais aussi la régularité avec laquelle il note suivant les mêmes
normes. Ensuite, l'observation de groupe pose le problème de fidélité de
façon assez particulière. Il concerne à la fois le comportement observé et
la catégorisation de ce comportement, problème de méthode. Ce n'est
qu'après avoir comparé les comportements retenus, que l'on peut vérifier
la fidélité des observateurs quant à la qualification de ces comportements
et à leur classement dans les diverses catégories. Avant de vérifier si tous
ont bien classé le comportement: « est parti en claquant la porte» dans
la même catégorie : hostilité et non l'un découragement, l'autre violence,
et le troisième déception, encore faut-il être sûr que tous aient noté cette
unité de comportement: « départ en claquant la porte» et que les uns
n'aient pas noté seulement le contenu des interactions verbales et les
autres le ton de ces interactions.
856 Facteurs influençant la fide1ité ◊ Un certain nombre d'éléments
influencent la fidélité: c'est la qualification des observateurs et la tâche
qui leur est demandée. Une observation concrète, limitée à des manifesta-
tions extérieures simples, obtiendra plus facilement un taux élevé de
concordance entre observateurs, qu'une observation nécessitant une
interprétation et un degré d'inférence élevé. La précision des définitions
des catégories, des indices à retenir, le codage préétabli de manifestations,
sont autant de facteurs facilitant le travail des chercheurs et leur permet-
tant une grande similitude de résultats. On a également démontré que la
fidélité augmentait avec le nombre des items ou comportements retenus.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 791

Ce moyen extérieur ne peut remédier à une catégorisation ambiguë. En


revanche, il est admissible de simplifier les catégories pour réduire des
divergences et hésitations des observateurs ; à vouloir trop les nuancer, on
risque de n'obtenir que des résultats confus et inutilisables. Enfin, rappe-
lons qu'il est souhaitable d'utiliser le plus souvent possible des catégories
semblables et dans ce cas, de concevoir la notion de fidélité, non seule-
ment à l'intérieur d'une seule enquête entre tous les codeurs, mais égale-
ment par rapport aux codeurs d'autres enquêtes, dans lesquelles les
mêmes catégories sont utilisées. Ceci pour s'assurer d'une fidélité plus
générale.
857 b) La validité◊ Le problème de la validité a été beaucoup plus négligé
en ce qui concerne les mesures d'interaction sociale, que dans les tech-
niques de rapports individuels. Il serait souhaitable qu'un effort fût pour-
suivi de ce côté-là. Considérons les deux acceptions habituelles de la
notion de validité.
1° Validitélogique.Les observationsmesurent-elles cequ'ellesdoiventmesu-
rer?
Faute d'un étalon de mesure pouvant servir de critère indépendant, les
auteurs ayant à juger un système d'observations, se sont surtout préoc-
cupés de la validitéinterne des catégories: le fait qu'elles concernent ce
dont il s'agit.
Notons qu'un critère extérieur, lorsqu'il existe, peut n'être pas utilisable. Un
observateur qui déclarerait, à la suite d'une enquête de diagnostic dans un atelier,
que les ouvriers sont mécontents parce que le contremaître ne leur plaît pas, ne
pourrait avec certitude retenir comme critère de validation de son étude, les résul-
tats parallèles de questionnaires demandant aux ouvriers quels sentiments leur
inspire le contremaître. Le diagnostic peut être juste, mais si les ouvriers redoutent
de s'exprimer dans un questionnaire, la corrélation risque d'être très faible. II
s'agit là de difficultés d'ordre théorique autant que méthodologique, qui gênent la
validation par des critères extérieurs, ou les résultats obtenus par d'autres tech-
niques. On peut cependant, sur des points précis, concernant des individus,
comparer parfois les résultats d'observations de groupes avec des interviews et
analyses de documents, mais le plus souvent, il ne s'agit pas des mêmes pro-
blèmes.
2° Validitéempirique.Lesobservationspennettent-ellesune prévision? La
réponse est sur ce point plus réconfortante. La justesse des remarques
concernant des oppositions entre tels individus dans le groupe, la multi-
plicité des relations entre tels autres, l'insatisfaction ou le besoin de
commander de certains, peuvent se vérifier par la scission d'une clique ou
des manifestations extériorisées. Mais la justification par l'événement
demeure une preuve que l'on ne peut déclencher à volonté et qui se fait
souvent attendre.
858 c) Valeur et intérêt de l'observation systématisée ◊ Les méthodes
d'observation de groupe, en particulier les tentatives de systématisation
sur le terrain, les efforts faits pour établir des catégories, fragmenter des
comportements, tout ce qu'implique cette forme d'analyse de contenu
792 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

vivante, ne méritent-ils pas les mêmes mises en garde contre des exagéra-
tions possibles, que l'analyse de documents ? Est-il vraiment utile de
savoir que, dans tel groupe, 25 % des comportements ont traduit de
l'agressivité, 10 % de la compréhension, etc. Tout ce déploiement de tech-
niques ne représente-t-il pas un certain gaspillage? Explique-t-on quel-
que chose de plus? Pour répondre, il faut considérer l'observation systé-
matique sous des aspects différents.
Sur le plan du niveau de profondeurde l'explication,peut-on dire qu'à
des observations plus systématiques et rigoureuses, correspond une possi-
bilité d'explication plus complète ? Certes, ce n'est pas toujours le cas,
nous retrouvons ici le problème du « vertige des faits». En principe, la
quantification, l'observation systématique ont pour but d'aller pas à pas,
de ne rien laisser perdre, pour permettre ensuite de proposer une hypo-
thèse, rendant compte de tous les aspects de la réalité observée. Or, n'ou-
blions pas que les problèmes en cause sont des problèmes collectifs de
groupe, nécessitant une vue globale.Bien souvent, les arbres cachent la
forêt. L'observateur accaparé par sa tâche de transcription rapide des phé-
nomènes fractionnés ne peut chercher leur signification, tandis que le
chercheur travaillant ensuite sur ces fiches, n'a pas le contact avec la réa-
lité du groupe. Parfois, au niveau de l'explication, l'observateur partici-
pant aura intuitivement et globalement une vue plus juste et plus pro-
fonde, parce que globale, du problème, que des observateurs qui
décortiquent et quantifient des processus.
Cependant, même si l'observation quantifiée n'a pas toujours plus
d'intérêt, il faut poursuivre l'effort accompli dans ce sens, car c'est un
procédéscientifiquequi substitue un ordre de grandeur, des indications,
une orientation à une simple intuition et peut, comme l'analyse de
contenu ou les sociogrammes, révéler des corrélations qu'on ne soup-
çonne pas ou même détruire des impressions fausses. Ces procédés d' ob-
servation systématique (ou ordonnée) ont été très utilisés en psychologie
en particulier pour l'étude des enfants. Ils ont fait progresser ces dernières
années la recherche des comportements de groupes et découvrir de nom-
breux problèmes 1. Le fruit de ces travaux est communicable à d'autres
chercheurs et des applications pratiques sont possibles.
On suppose, comme cela s'est produit dans d'autres domaines, qu'en
accumulant des observations, on pourra généraliser certaines constata-
tions, découvrir des régularités, donc prévoir,ce qui demeure un des buts
de la science. Dans ce passage de la collecte des faits à l'interprétation,
nous retrouvons la nécessité de l'intuition, de l'expérience acquise sur le
terrain, tant dans la participation que dans l'observation. Ici encore, les
deux techniques d'observation ne s'opposent pas, mais se complètent.
Ellescorrespondent à des objectifs différents, à des moments différents de
l'enquête. De toute façon, l'observation systématisée est indispensable,
par la mise en ordre qu'elle implique et l'effort de conceptualisation
qu'elle impose.
Il est certes difficile de rendre sensibles et même compréhensibles les
problèmes que posent les techniques d'observation. Il nous semble à peu
1. Cf. sect. III.
L'ENQUÊTE SUR LE TERRAIN 793

près impossible de convaincre in abstractoles sceptiques, ceux qui doutent


de l'intérêt d'une quantification des comportements humains. Comme
pour l'inteIView, nous dirons que rien ne vaut une expérience vécue,
même limitée.
Nous serons, sinon plus convaincants, du moins beaucoup plus affir-
matifs, en ce qui concerne l'intérêt pédagogique de l'apprentissage de
l'observation de groupe. C'est un excellent moyen de formation, qui
développe le sens des situations et interactions sociales et intéresse beau-
coup les étudiants.

1
§ 5. L'interview de groupe
859 Particularités propres à l'interview de groupe ◊ Il s'agit là d'une tech-
nique hybride, en partie d'une interview : l'enqueteur cherche à obtenir une
information orale de la part des enquêtés, mais non dans un rapport individuel,
l'élément de groupe étant prédominant. Cette technique est utilisée, le plus
souvent, pour des recherches de motivations, dans le cadre d'enquêtes de marché.
Elle peut s'adresser à un groupe naturel : une étude de marché sur les postes de
télévision recueillera les opinions de groupes familiaux; ou à des groupes artifi-
ciels: ménagères possédant une machine à laver. Il s'agit bien ici d'une technique
de groupe, car il apparaît que les informations recueillies sont un peu différentes
de celles obtenues par une simple addition d'opinions individuelles. Ble peut éga-
lement être utile au stade de la préenquête pour voir apparaître rapidement les
problèmes.
Le comportement des ménagères possédant une machine à laver n'est pas
identique. Pour certaines de plus en plus rares, le linge personnel doit être lavé à
la main. Ceci sans doute apparaîtrait dans une enquête d'opinions individuelles,
mais la mise en présence de ménagères ayant des comportements différents, favo-
rise l'expression de certaines opinions, permet même à certaines révoltes de se
manifester 2 • L'interaction entre les membres du groupe favorise une mise en évi-
dence des attitudes et justifie la place de cette technique parmi les techniques de
groupe.

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2. L'EXPÉRIMENTATION
SECTION
SUR LETERRAINOU EN LABORATOIRE
« A l'aide de ces sdences expérimentalesactives,
l'hommedevientun inventeurdephénomènes,un
véritablecontremaîtrede la création».
C. BERNARD.
861 Historique ◊ « C'est moi qui fonde la médecine expérimentale dans
son vrai sens scientifique, voilà ma prétention » écrit Claude Bernard.
Cependant, le grand chimiste organicien M. E. Chevreul avait déjà défini
la méthode : « Le raisonnement suggéré par l'observation des phéno-
mènes institue donc des expériences d'après lesquelles on reconnaît les
causes dont ils dépendent et ce raisonnement constitue la méthode que
j'appelle expérimentale.» Mais c'est tout de même C. Bernard qui fera
accepter par son argumentation et surtout la réussite de ses expériences la
notion de médecine expérimentale. La difficulté de faire admettre la
méthode en sciences sociales demeurait. Le développement d'une sociolo-
gie de type philosophique a enrayé les progrès que les savants avaient
accomplis. Les tentatives d'application des mathématiques au comporte-
ment humain (Condorcet sur le vote, Laplace sur le témoignage) mais
également les réflexions de Laplace sur l'expérimentation n'ont pas été
suivies d'effet C'est chez les socialistes utopistes (Fourier) quel' on trouve
le recours le plus explicite à l'expérimentation comme moyen de preuve.
li s'agit d'un procédé que R. Pagès1 intitule l'expérimentationactiviste,qui
consiste à attribuer plus d'importance aux effets de l'intervention qu'au
contrôle exact de la source des effets, montrant ainsi la voie à l'interven-
tion active (Lewin, Moreno, cf. n°5 882, 885).
Sous l'influence des idées socialistes,des expériences ont été tentées comme
cellesde J.B.A.Godin, à l'intérieur d'une associationde production : le familistère
de Guise. C'est ensuite Ch. Pellarin, qui prône le rapprochement avec la méthode
expérimentale de C. Bernard.
L'opposition à l'expérimentation est liée d'une part à la préférence
pour la méthode comparative, qui privilégie l'histoire : variation dans le
temps, et l'ethnographie: variation dans l'espace, tendance représentée
par Comte et Durkheim. C'est à la psychologie, surtout à la psycho-
physiologie allemande que l'on doit les progrès de l'expérimentation en
laboratoire. Triplett aux États-Unis (1897) organise une expérience pour
1. Cf. R. Pagès (1969), pp. 103-118.
800 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

mesurer l'influence de la présence d'un entraîneur sur des coureurs


cyclistes1. Il transpose cette situation en laboratoire. Enfm A. Binet en
France, tente les premières expérimentations sur la psychologie des
groupes, groupes qui deviendront, comme on va le voir, terrain d'élection
de l'expérimentation.

§ 1. Le plan d'expérience
862 1 ° Les conditions d'établissement du plan 2 ◊ L'organisation d'un
plan d'expérience suppose que soit posée une question.Celle-ci doit cor-
respondre à un problème pouvant être sinon résolu, du moins analysé
et expliqué par les techniques et instruments du sociologue. L'analyse
aboutit à une hypothèse, proposition de réponse à la question posée. La
validité de cette hypothèse dépend de la façon dont elle résout le pro-
blème. L'expérimentation apportera la preuve de la vérité ou de la faus-
seté de l'hypothèse.
Le plus souvent, il s'agit de déterminer les liens qui unissent deux
variables: sont-elles toujours présentes en même temps, varient-elles
dans le même sens? Quelle est la cause et quel est l'effet? Parfois, il s'agit
de comparer les effets de deux facteurs, leur efficacité : comparaison entre
l'effet du psychodrame et celui d'une discussion de groupe, comparaison
des résultats de moyens publicitaires, etc.
Prenons un exemple : le groupe de recherche de l'Université de Michigan, sous
la direction de French, a constaté que dans les usines étudiées, les équipes de tra-
vailleurs qui présentaient le meilleur rendement, étaient celles où l'autorité
s'exerçait de façon démocratique. L'observation permettait de constater une cor-
rélation, mais comment distinguer la cause... et l'effet 3 ?
Rappelons que la variable indépendante est celle que l'on manipule pour
découvrir dans quelle mesure elle influence les autres facteurs : variables dépen-
dantes.
Dans l'exemple ci-dessus, la variable indépendante:attitude du contremaître, se
compose de plusieurs variablesindépendantes: degré de rigueur de la surveillance
en corrélation avec la discipline, attention du contremaître aux besoins des
employés, façon dont il les fait participer aux décisions ou à la marche de l'atelier.
Le rendement des ouvriers est la variabledépendante.La simple enquête ne peut
qu'indiquer ces facteurs. L'expérimentation seule permettra de manipuler la
variable indépendante : le comportement du contremaître, et de juger des résul-
tats.
Le plan d'expérience a pour but, et c'est son avantage sur la réalité, de
ne faire varier qu'un seul facteur à la fois. Pratiquement ce n'est pas
facile.
1. Cf. R. Pagès, op. dt., p. 112.
2. E. Greenwood (1945), M. Jahoda et al. (1951), A. L Edwards in Lindsey (1954), H. Kelley,
J. W. Thibaud in Lindzey (1954), L. Festinger in Festinger et Katz (1959), J. R. P. junior French in
Festinger (1959), D. Katz (1959), R. Lippitt, R. D. White (1965), G. Lemaine J. M. Lemaine (1969),
R. B. Zajonc (1972).
3. In J. R. P. junior French (1959), pp. 118, 161.
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 801

Il faut pour juger de l'action de la variable indépendante comparer


deux populations ou deux éléments dont un seul sera soumis au facteur à
étudier. D'où la nécessité de créer un groupede contrôle.Ensuite il ne faut
pas seulement mettre en évidence le facteur en cause, mais encore élimi-
ner lesfacteursextérieurs.Enfin en admettant leur neutralisation, restent
les facteurs qui le plus souvent sont liés entre eux, l'indépendance de la
variable n'est alors que théorique, et sa relation avec la variable dépen-
dante difficile à épurer.
Quelles que soient les difficultés de l'expérience, les conditions d'exé-
cution de celle-ci peuvent se ramener au schéma suivant. On constitue
deux groupes les plus semblables possible, le groupe expérimental A et un
groupe de contrôle C. On fait intervenir la variable à mesurer x sur le seul
groupe A et l'on observe les résultats sur les deux groupes. Si l'hypothèse
est exacte, le phénomène z lié à la variable x doit être présent en A et
absent ou plus faible en C. La différence entre z dans A et C marque l'in-
fluence de la variable x.
Imaginons que nous voulions mesurer l'influence d'un cours de science poli-
tique (x) sur l'intérêt porté par les étudiants à la politique. Nous pourrons mesu-
rer 1 leur attitude (z) vis-à-vis de la politique au début et à la fin de l'année. Mais
comment distinguerons-nous dans la courbe croissante d'intérêt, ce qui ?revient
du cours, ou des événements eux-mêmes? Pour mesurer ce facteur exterieur, il
faut pouvoir l'évaluer et pour cela, le meilleur moyen consiste à mesurer parallèle-
ment les attitudes dans un !iroupe d'étudiants n'ayant pas suivi le cours (groupe
de contrôle C). Si leur intéret croît par exemple de 5 à 6, alors que celui des étu-
diants ayant suivi le cours (groupe A) passe de 5 à 8, nous ne retiendrons que les
2 points et non 3. Mais pour que la comparaison soit juste, encore faut-il que le
groupe de contrôle soit semblable au groupe expérimental. S'il est composé d'étu-
diants en droit privé n'ayant pas la même orientation, la comparaison risque
d'être faussée.
Pour qu'une expérience soit significative, il convient : 1° de créer un
groupe de contrôle semblable au groupe d'observation; 2° d'écarter au
maximum les influences extérieures.
863 a) Établissement de groupes de contrôle ◊ Établir un groupe de contrôle
semblable au groupe expérimental n'est pas toujours facile. Les différences les
plus dangereuses sont celles dont on ne se doute pas, et qu'on ne peut donc pon-
dérer.
Pour rendre les deux groupes semblables, on utilise diverses techniques :
- Contrôledeprécision: il consiste à composer le groupe de contrôle C, avec des
individus dont on vérifie un par un la similitude avec celle de chaque individu du
groupe A. Cette technique difficile est rarement appliquée.
- Contrôlestatistique: il consiste à vérifier la frequence de distribution des fac-
teurs en rapport avec l'expérience. Mais la moyenne (par exemple l'âge: 40 ans)
peut être la même dans les deux groupes, mais obtenue d'un côté par une majo-
rité d'individus de près de 40 ans et de l'autre, par deux sous-groupes, de 60 et
30 ans. Ensuite, certains facteurs qualitatifs peuvent être difficiles à équilibrer.

1. En construisant une échelle ou simplement en retenant certains indices: lecture du Monde,


etc.
802 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

- Contrôlepar le hasard: certains auteurs déclarent que les facteurs inconnus


étant trop nombreux, la meilleure façon de les réduire consiste à les neutraliser
par un échantillonnage au hasard.
864 b) Suppression de l'influenœ de facteurs extérieurs pendant la durée
de l'expérience ◊ Imaginons qu'un chercheur tente de mesurer, sur un groupe
d'écoliers, l'effet d'un füm contre les préjugés racistes. L'expérience a lieu en trois
temps : 1° on montre à des enfants des images de jeunes Noirs et on note leurs
réactions ; 2° les enfants assistent à la projection du film ; 3° on leur montre à
nouveau ces mêmes images et l'on note la différence des réactions pour mesurer
l'influence du film. Il faut d'abord s'assurer que les images mesurent bien la réac-
tion des enfants aux Noirs et non au fait que les enfants noirs sont sur les images
demi-nus, ou mal habillés, mais surtout il faut être sûr, qu'en dehors du film
dont on veut mesurer la portée, les deux groupes n'auront pas subi d'autres
influences : sermon du pasteur ou du curé sur l'égalité des hommes et la charité,
ou lecture de la Case de !'OncleTom, etc.
Ici encore il est difficile d'imaginer ces variables extérieures.
J.L Simon (1969) rapporte l'histoire d'une petite ville très fière du taux de fré-
quentation élevé de son musée, taux qui une année baissa brusquement. On avait
édifié une vespasienne à proximité du musée 1
Pour diminuer les risques d'intervention de causes extérieures inconnues, il y a
intérêt à ne pas faire durer trop longtemps les expériences, mais parfois la durée
fait justement partie de l'expérience (exemple du cours).
865 2° Les types d'expériences ◊ On peut ramener les diverses expé-
riences possibles à quelques types essentiels suivant le genre de manipula-
tions et de vérifications pratiquées.
Ces deux éléments sont souvent parallèles et la difficulté de la vérifica-
tion croît en général avec l'ampleur de la manipulation, l'une et l'autre
dépendant de la complexité de la situation dans laquelle se déroule l'ex-
périence, de la difficulté d'isoler et mesurer la variable, de la possibilité de
quantifier les résultats 1 . Citons enfin des cas dans lesquels le chercheur
ne manipule pas lui-même, mais peut isoler, après coup, certains fac-
teurs.
866 a) Avant-Après ◊ Les expériences dites avant-aprèssont celles qui
impliquent le maximum de conditions. Le groupe expérimental est
observé avant l'introduction de la variable et après.
Par exemple une expérience ayant pour but de mesurer l'influence exercée par
une propagande suscitant la peur des caries dentaires 2 sur l'accroissement des
lavages des dents.
La méthode permet d'étudier une évolution. Pour mesurer l'effet de tel
film, de telle propagande, il est indispensable de connaître l'opinion des
sujets avant et après l'expérience. On peut ainsi comparer les résultats sur
des sujets présentant des caractéristiques différentes. Enfin, sur le plan
statistique, la répétition de l'enquête sur les mêmes sujets, donne de meil-
leurs résultats.
1. Cas des nombreusesexpériencessur les effets des mass media.
2. J. Janis and S. Feshbach(1954).
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 803

L'inconvénient de la méthode provient de ce qu'il est souvent difficile


de ne pas prévenir les sujets, ce qui peut modifier leurs réactions et les
résultats de l'expérience. Ensuite, le temps qui s'écoule entre les deux
expériences, multiplie les chances d'interventions extérieures incontrô-
lables, susceptibles de modifier l'attitude des sujets.
867 b) Le contrôle après seulement ◊ Ici, le groupe n'est observé qu'a-
près l'introduction de la variable. Cela suppose un groupe de contrôle
identique pour comparer. Ce genre d'expérience est plus discret que le
précédent Même avec l'introduction d'une variable par le chercheur, le
groupe visé peut n'être pas au courant de l'expérience.
C'est le cas de l'insertion faite dans un journal d'étudiants de certaine infor-
mation dont on voulait mesurer l'effet 1.Lors d'une discussion ultérieure, on a pu
comparer les réactions du groupe ayant lu le journal contenant l'information et
de ceux ayant reçu le journal sans l'information.
868 c) Ex post facto ◊ L'expérience ex post facto, étudiée par E. Green-
wood (1945), relève plus de l'analyse que de l'expérimentation. Il s'agit
d'étudier les conséquences d'une variable qui n'a pas été introduite par le
chercheur, mais peut être isolée dans la situation même.
C'est le cas de l'étude faite par H.F. Christiansen (1938) sur les relations entre
l'instruction reçue et la réussite sociale. L'auteur a comparé la façon dont les
diplômés avaient résisté à la dépression économique de 1930, par rapport aux
non diplômés.
Cette méthode, très proche de « l'après seulement», ne permet pas
toujours de s'assurer de la similitude des deux groupes que l'on compare.
Elle a l'avantage de ne pas exiger de manipulation, de prendre ses élé-
ments dans la réalité, sans artifice. C'est en fait une expérience naturelle
ou plus exactement, qui se présente comme naturelle pour le chercheur,
les variables ayant été introduites le plus souvent involontairement, par
d'autres que lui.
869 d) La simulation ◊ La notion de simulation est liée à celle de théorie
et de modèle. Rappelons qu'une théorie se définit par une série de
concepts et comprend un ensemble fini de propositions (axiomes avec
leurs conséquences) constituant un système hypothético-déductif. « Le
modèle a rapport à la fois avec la théorie dont il est une réalisation, et
avec une réalité physique à laquelle il se rattache par une mesure 2 • » La
simulation est une concrétisation d'un modèle, distincte de l'objet auquel
il s'applique.
Le terme de simulation provient de la recherche opérationnelle et s'ap-
plique aux techniques issues de la méthode de Monte Carlo 3 • Indiquons,
sans pouvoir ici commenter cette division que l'on distingue la simula-
tion numérique, la simulation analogique et le modèle réduit.
1. In J. R. P. junior French (1959), p. 125.
2. P. Achard (1969), p. 331.
3. On met dans une urne, des états déjà pris par un système (cas du pluviomètre) et par des tech-
niques de tirage au hasard, on étudie certaines caractéristiques de ce système.
804 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

Issue des recherches sur la décision, la simulation a été utilisée en


économie puis en sociologie, plus particulièrement dans l'étude des
groupes et enfin en sociologiepolitique surtout dans le domaine des rela-
tions internationales 1.
On distingue généralement dans son utilisation :
1) les jeux, expériences de simulation avec des individus, sans l'aide de
machines : jeux pédagogiques, jeux stratégiques, jeux à but de recherche
théorique.
2) les simulations mixtes: hommes aidés de machines.
3) les simulations sur ordinateur. Celles-ci permettent grâce à la rapi-
dité de calcul, l'exploitation de nombreuses données.
Les résultats de ces expériences sont, comme le note J.G. Padioleau
(1969), d'une « éclatante pauvreté théorique». De plus, un grand
nombre de simulations utilisent des données qui ne reposent pas sur des
observations réelles. En fait le problème essentiel de la validation de l'ex-
périence est totalement escamoté, réduisant« les expériences de simula-
tion à des expériences de science-fiction». Cependant, la simulation
étant encore à ses débuts on peut penser qu'elle étendra encore son
champ d'action. Une expérience comme celle de R. Abelson2 compte
parmi les plus intéressantes et le laisse espérer.
870 3° Validité de l'expérimentation en laboratoire o Selon sa défi-
nition, elle permet au chercheur de contrôler certaines variables et d'en
manipuler d'autres.
En dehors des difficultés soulevées par l'organisation technique du
plan d'expérience, cette dernière se heurte à certains obstacles inhérents à
la situation même et qui vont tracer des limites à sa validité, donc à son
utilisation. La validité, nous le savons, est toujours relative à un objectif
donné.
D'abord et surtout, le cadre du laboratoire est artificielce qui amène à
se demander dansquellemesurele comportement dessujetsest-ille mêmeen
laboratoireet dans la vie. Les motivations des sujets peuvent n'être pas
comparables et le stimulant de la situation est différent. Pour L. Festinger,
l'expérience « miniature » est artificielle et ne constitue pas une maquette
réduite de la situation réelle, puisqu'il s'agit d'isoler un seul facteur. Il
faut donc « créer une situation dans laquelle l'opération de certaines
variables pourra être mise en lumière grâce à des conditions spécialesbien
identiques et clairement définies. Peu importe qu'une telle situation ne se
rencontre pas dans la vie réelle 3 ».
On ne peut dit G. Lemaine4 « gagner sur les deux tableaux du concret
et de la rigueur, l'incompatibilité entre l'un et l'autre est fondamentale».
Deuxième question : les individus, presque toujours des volontaires,
peuvent-ils être considéréscomme représentatifsde l'ensembledes groupes
1. H. Guetzkow (1957, 1969).
2. R. Abelson (1963, 1968).
3. L. Festinger (1959) in Festinger et Katz, p. 166.
4. In G. Lemaine, J.M. Lemaine (1969), p. 86.
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 805

sociaux? ou ne peut-on penser avec Mac Nemar 1 que « la science actuelle


du comportement humain est en grande partie celle du comportement
des étudiants américains de première année».
Ceci nous amène à une troisième question qui recouvre les deux
autres : quelle est la portée du résultat de l'expérience en laboratoire ?
Peut-on la généraliserd d'autresgroupes, la transposerd la vie réelle?C'est
le problème de la validité des expériences.
La tentative de généraliser les résultats obtenus dans les expériences sur
les petits groupes, s'est révélée décevante. Les expériences de groupes lais-
sés sans leader, pour détecter chez les participants des aptitudes au lea-
dership, ont donné des indications partiellement vérifiées dans la vie,
mais la corrélation demeure faible.
Vouloir transposer à la société, les résultats obtenus dans des groupes
restreints c'est méconnaître la nature des groupes et des mouvements
sociaux. Même la généralisation à d'autres groupes est risquée. L'expéri-
mentation dépend non seulement du type de situation vécu en labora-
toire, mais aussi des conceptions de l'expérimentateur, de celle des volon-
taires observés et de nombreux facteurs culturels.
Les femmes américaines réagissent de façon plus positive à une discussion de
groupe qu'à une conférence. Mais une autre expérience a montré que pour obte-
nir un changement d'attitude chez des étudiants indiens, la méthode la plus effi-
cace était la conférence faisant appel à des réactions émotionnelles 2 • Dans le pre-
mier cas il s'agissait de consommation alimentaire, dans le second du problème
des castes, peut-on alors comparer des expériences portant sur des sujets si diffé-
rents?
Pour conclure, nous dirons que la situation sociale du laboratoire est
artificielle et ne peut se substituer aux observations de situations réelles.
Ceci ne signifie pas que l'expérimentation soit inutile mais simplement
qu'elle convient seulement à certains types de problèmes, et apporte rare-
ment une preuve définitive. Le plus souvent dans le va-et-vient indispen-
sable entre la vie réelle mais complexe et le laboratoire, artificiel mais
clair, celui-ci suggère des hypothèses précises, plus qu'il ne les démontre.
Ce constat a détourné les chercheurs des laboratoires pour tenter, malgré
ses difficultés, l'expérimentation dans la vie réelle.
871 4° L'expérimentation sur le terrain ◊ La distinction entre labora-
toire et milieu naturel est parfois difficile à préciser. Ce n'est pas le cadre
du laboratoire qui compte, mais le côté artificiel de l'expérience et surtout
la façon dont elle est perçue par les sujets.
Comment classer l'expérience de Maya à Hawthorne 3 ? Il s'agissait bien d' ob-
server des ouvrières dans l'usine où elles travaillaient habituellement, mais la salle
où se poursuivait l'expérience était isolée du reste de l'usine et les sujets perçurent
si nettement l'élément artificiel de la situation, que celui-ci devint le facteur
déterminant de la recherche.

1. R. Rosenthal cit. in G. Lemaine, op. cit., p. 71.


2. M. Sherif in G. Lemaine, J.M. Lemaine (1969), p. 155.
3. Cf. E. Mayo (1933, B. 170).
806 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

Les conditions à réunir pour entreprendre une expérimentation sur le


terrain sont encore plus difficiles que celles qu'impose une enquête. Les
qualités nécessaires, le degré de formation de l'expérimentateur sont for-
cément élevés, l'aide des enquêtés le plus souvent indispensable. Il faut
obtenir plus que des autorisations, des conditions très particulières de
réussite.
L'expérimentation pose, à partir d'un certain degré d'intervention, un
problème d'ordre moral. Les manipulations que nécessitent l'expérience,
peuvent encore plus que l'enquête d'exploration, perturber le milieu
enquêté. Lesdirigeants intéressés ne font appel au sociologue qu'en cas de
difficulté, c'est-à-dire dans des conditions rendant l'intervention de
celui-ci particulièrement délicate. Pour ne pas troubler les résultats, on
dissimule souvent la variable observée, parfois même on simule des fac-
teurs. Toutes ces conditions rendent l'expérimentation sur le terrain diffi-
cile. C'est pourquoi les chercheurs se sont le plus souvent orientés, pour
mener à bien leurs expériences, vers des groupes habitués à un certain
rythme d'activités en commun 1 : étudiants acceptant le rôle de cobaye
par intérêt scientifique ou économique, enfants et soldats par soumission
ou curiosité. Ces choix rapprochent finalement ces expériences de celles
des laboratoires. Elles constituent cependant un échelon intermédiaire
entre l'enquête de laboratoire rigoureuse, mais artificielle et l'enquête
d'exploration ou de diagnostic.
Aux États-Unis a été reprise sous une forme nouvelle l'expérimentation sur le
terrain. En fait, il ne s'agissait pas d'une expérience rigoureuse où l'on isole une
seule variable, mais de l'observation d'incidents provoqués, un genre de« happe-
ning». Il n'est pas surprenant que ce soit le représentant de l'ethnométhodolo-
gie: H. Garfinkel 2 qui ait organisé ce type d'expériences pour vérifier son hypo-
thèse suivant laquelle nous sommes tous « theoriciens-praticiens » et la société
persiste, non grâce à des croyances sacrées, parta~ées, mais par un accord tacite
sur ce que chacun sait et comprend des activites humaines quotidiennes. Les
consignes données aux étudiants consistaient à amener un point de rupture, soit
dans leur entourage par des questions 3,soit par un incident (lâcher de poulets sur
la place d'une ville).
Ces expériences avaient pour but d'arrêter la routine, de briser la surface des
habitudes pour montrer leur aspect conventionnel. C'était en quelque sorte un
substitut accessible à l'impossible révolution, d'où son succès auprès des jeunes 4.

§ 2. Théorie et recherche en matière de groupes


872 Variété des recherches sur les groupes ◊ Il n'existe pas encore de
véritable théorie du comportement humain en groupe.
Lewin est le psycho-sociologue qui a le plus contribué à unir la théorie et la
recherche et donné l'impulsion à de nombreux travaux, en fondant le centre de
recherche de dynamique de groupe du Michigan.
1. Cf. M. Sherif (1953, 1962, 1965, 1966, 1967).
2. H. Garfinkel (1947, B. 170).
3. Un« qu'est-ce que vous voulez dire» indéfiniment répété.
4. Dans les années 1960, cf. A. W. Gouldner (1970).
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 807

Historiquement, c'est l'influence du groupe sur la productivité de l'in-


dividu qui a retenu d'abord l'attention. Nombre d'autres problèmes ont
été soulevés depuis. A l'heure actuelle, on dispose d'une grande quantité
de travaux, de concepts, d'orientations (Rogers), de quelques explications
générales (Lewin), mais il n'y a pas encore de véritable théorie d'en-
semble. L'étude systématique des groupes est trop récente, leur variété,
leurs dimensions et le nombre des problèmes posés par des variables diffi-
ciles à isoler trop grand, pour permettre une synthèse ou même une
conceptualisation homogène. Cependant, ces études ne se contredisent
pas, mais le plus souvent se complètent. Chaque auteur ne cherche dans
le groupe qu'une explication partielle et n'observe qu'un aspect du pro-
blème.
L'expérimentation en laboratoire a tout de même permis un certain
nombre de mises au point et la conjonction entre recherche fonda-
mentale et recherche appliquée a fait ces dernières années de grands pro-
grès.
873 1 ° Le 8!oupe comme facteur de conf onnisme ou de changement.
a) InJluence sur la perception ◊ La première expérience menée de
façon rigoureuse sur l'influence du facteur de groupe l'a été par M. Sherif
(1947).
Elle a consisté à demander à des sujets, placés dans une chambrenoire, de por-
ter sur une feuille blanche la façon dont ils situent un point lumineux (effet
autokinétique). L'expérienceprouve que ce point étant fixe, certains sujets le
voient plus à droite, d'autres plus à gauche,mais surtout que certains modifient
inconsciemmentleur façon de voir pour se rapprocherdu jugementde la majo-
rité.
S.E. Asch (1947), pour mesurer l'effet du groupe, organise une deuxième
expérience.On trace au tableau des lignes de longueur inégale. Legroupereçoit la
consigne de donner une réponse fausse. Seuls quelquessujets l'ignorent et l'on
distingue alors leur comportement : ceux qui finissent par voir faux, ceux qui
pensent qu'ilsvoient faux, ceux qui pensent qu'ilsvoient juste mais font comme
s'ils voyaient faux pour ne pas se singulariser.

874 b) Influence sur les opinions et les comportements ◊ De nom-


breuses enquêtes ont montré l'influence de la famille, des amis, du milieu
social sur les opinions politiques 1.Toute société, tout groupe exerce une
pression sur ses membres pour assurer le conformisme des opinions,
comportements et la cohésion de l'ensemble. Il est intéressant de mesurer
la force de l'emprise mais aussi la résistance de certaines personnalités à
l'ambiance générale, à la propagande comme au lavage de cerveau.
Une expérience particulièrement frappante est celle de S. Milgram
(1974). Dans un soi-disant but de recherche scientifique, des étudiants
volontaires payés reçoivent l'ordre de faire passer des décharges élec-
triques d'intensité croissante sur des individus, en fonction d'erreurs
dans un exercice de mémoire. Les faux patients simulaient des réactions
1. Cf. P. Lazarsfeldet al. (1949).
808 LESTECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉSET DE GROUPES

de douleur de plus en plus vives. De nombreux étudiants demandaient


alors d'arrêter l'expérience mais, recevant l'ordre de poursuivre, conti-
nuaient 1.Il est apparu que les anorniques et les conformistes obéissaient,
pour fuir la responsabilité de la liberté en dehors du groupe et de la déso-
béissance, à l'ordre reçu.
875 c) Influence sur la production ◊ L'influence du travail en groupe
sur la production a fait l'objet d'expériences américaines 2 puis françaises,
dirigées par Cl. Faucheux et S. Moscovici (1965).
Ceux-ci tentent de répondre aux questions suivantes: les groupes réussissent-
ils mieux que les individus ? y a-t-il un effet de groupe positif ou négatif sur les
performances des individus ? les individus sont-ils supérieurs aux groupes ? les
groupes travaillent-ils d'une manière différente? sont-ils plus ou moins originaux
que les individus ?.
A partir de travaux différents à effectuer, il est apparu que la supériorité
du groupe dépend du type de tâche et particulièrement de la collaboration
qu'elle permet. Dans ce cas, ce qui est normal, les groupes épuisent
davantage toutes les possibilités de découverte.

876 2° Les fonctions du groupe 3 ◊ Elles sont diverses et l'on doit se sou-
venir en les étudiant : 1° que les besoins apparents ou avoués des
membres du groupe ne sont pas toujours leurs besoins réels et que les
fonctions réelles du groupe ne coïncident pas forcément avec ses fonc-
tions apparentes ; 2° que les besoins satisfaits par un groupe peuvent ne
plus être ceux que le même groupe a satisfaits dans le passé. On retrouve
ici la notion de fonction latente. Il faut d'abord envisager le rôle que joue
le groupe pour chacun de ses adhérents. En général, l'appartenance au
groupe diminue l'anxiété de l'individu. De plus le groupe assure la satis-
faction de certains besoins de ses membres : sécurité ou domination ; en
particulier chez les dirigeants : être écouté, admiré, décider, commander,
etc. L'appartenance de l'individu à plusieurs groupes posera des pro-
blèmes d'équilibre, de conflit parfois. C'est pourquoi les groupes, cher-
chant à exercer une influencey lus complète, tentent de satisfaire tous les
besoins de leurs membres. L'Eglise,outre sa fonction religieuse, poursuit
une œuvre éducative, culturelle, etc. Le parti communiste le faisait égale-
ment
Le problème des croyances est aussi lié aux fonctions du groupe. Même
sans viser une propagande, l'information, dans la mesure où elle est issue
d'une même source, tend à uniformiser l'opinion des membres du
groupe. C'est une des raisons pour lesquelles les opinions collectives
résistent mieux au changement que les croyances individuelles. On arrive
parfois à cette situation extrême où personne ne croit plus, mais chacun

1. Les psychiatres prévoyaient que seulement 4 % des étudiants dépasseraient 300 volts, or 78 %
ont continué jusque-là.
2. A. Bavelas in Lasswell (1951), H. Kelley,J.W. Thibaud (1968).
3. D. Krech, S. Crutchfield (1952), tome II, pp. 498 à 600.
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 809

croit que les autres croient et tous font comme s'ils croyaient 1. En fait, la
conformité de croyance avec le groupe satisfait l'individu qui a besoin de
sentir qu'il fait effectivement partie d'un ensemble qui le dépasse. Ceci est
important pour comprendre le rôle des groupes dans l'évolution sociale et
leur résistance au changement, enfin la stabilité et l'instabilité des
groupes et leur possibilité tant de résoudre leurs tensions intérieures que
de s'opposer aux pressions extérieures.
8 7 7 3° La structure du groupe2 ◊ Lepremier elémen t important est ici le
volumedu groupe. Il est probable qu'il existe, suivant les tâches à accom-
plir, une dimension optimale. Tout le monde sait que l'atmosphère d'une
réunion à 15 ou à 50 est très différente. Chaque groupe a son atmosphère
propre, que détermine son volume habituel.
Le rôle des individus dans le groupe, la façon dont ils se comportent
vis-à-vis des autres, dépendent en partie de la personnalité de chacun, en
partie de la structure du groupe et du rôle que chacun y joue, ou aspire à y
jouer. Plus la structure du groupe est précise, plus il faut s'attendre à ce
que les rôles soient déterminés d'avance et exercent sur les rapports entre
les membres, parfois plus d'influence que les personnalités. Cependant, il
arrive aussi que le groupe, tel qu'il est officiellement défini, ne représente
qu'imparfaitement la réalité.
La sociologie industrielle a appris à distinguer les hiérarchies formelles
des informelles, dans lesquelles tel individu, parce qu'il sait tout, ou
entretient de bons rapports avec tout le monde, finit pas détenir une
grande influence, malgré un poste officiel subalterne. Une part du
comportement de certains membres du groupe n'est donc pas entière-
ment déterminée par sa structure apparente ou formelle. Structure étroi-
tement liée à trois problèmes qui sont : le commandement, le moral et les
communications.
878 a) Le commandement ◊ Un grand nombre d'auteurs ont cherché à
3

établir les caractéristiques physiques, intellectuelles, morales du chef.


L'hétérogénéité des résultats a amené à considérer le leader, non plus
comme un individu doué d'aptitudes en général, mais de capacités en
relation avec une situation donnée; son action est donc envisagée en
fonction des besoins du groupe.
Pour R M. Stodgill (1974), le chef est celui qui est reconnu comme tel par les
autres membres du groupe et aide le groupe à atteindre ses buts. Il existe donc
autant de types de leader et de commandement, qu'il existe de situations ou de
fonctions dans le groupe.
D. Krech et S. Crutchfield (19 52) polarisent les fonctions du groupe autour du
leader, mais admettent que celui-ci ne saurait les remplir toutes. Fritz Redl4 centre
également le problème de la formation du groupe sur le type de fonction assumée
par le leader qui est objet d'identification, de désir, un soutien pour le
1. In D. Krech et S. Crutchfield (1952), p. 531.
2. G. Homans in Lindzey(1934).
3. H. Guetzkow (1951), D. Krech, S. Crutchfield (1952), S. Verba (1961), C.A. Gibb (1968).
4. In Lindzey(1954), p. 907.
810 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

moi des membres du groupe. Les premières recherches véritablement scientifiques


dans le domaine du commandement sont celles des élèves de Lewin, lequel avait
déjà insisté sur l'influence des styles de commandement sur les conduites des
membres du groupe.
R Lippitt et R.O. White (1947) 1 étudient quatre groupes d'enfants, compa-
rables quant au niveau mental et au milieu socio-économique. Les groupes sont
réunis en clubs ayant des activités de même type (confection de masques et autres
objets). L'expérience a consisté à faire diriger ces quatre groupes par des meneurs
de jeu adultes, adoptant un commandement soit autoritaire,soit démocratique,
soit de style laissez-faire.Tous les groupes sont commandés suivant chacune de
ces méthodes, dont les modalités sont prévues d'avance. Des observateurs notent
toutes les interventions du meneur, les réactions des enfants, leurs attitudes,
paroles, etc. Les comparaisons ont porté sur divers points. Le rendementau point
de vue travail : mauvais dans le groupe laissez-faire, bon dans les deux autres, la
motivation paraissant élevée dans les groupes conduits démocratiquement ; mais
la baisse de rendement était nette en cas d'absence momentanée du leader auto-
ritaire. L'attitudevis-à-visdu leader:dépendance dans le groupe autoritaire, mani-
festations de soumission, besoin d'approbation, perte d'individualité, moins
d'originalité; bonne entente dans le groupe démocratique. L'attitudevis-à-visdes
autres membresdu groupe: bavardage, indiscipline, agressivité dans le groupe lais-
sez-faire; cohésion, esprit de communauté et d'entraide dans le groupe démocra-
tique; agressivité ou au contraire apathie et comportements dominateurs de cer-
tains, dans le groupe autoritaire.
Enfin le sentimentdeplus ou moinsgrandesatisfactionéprouvée par les enfants :
ils semblent ne pas apprécier le laissez-faire, être satisfaits du meneur démocra-
tique, un certain nombre étant également satisfaits du leader autocratique assu-
rant leur sécurité.
Des remarques intéressantes ont été faites lorsque dans un but expérimental,
on a perturbé le déroulement des séances de travail (présence d'un ouvrier dépla-
çant les objets en l'absence du leader). Les groupes démocratiques ont réagi en
s'attaquant aux difficultés, alors que dans les groupes autoritaires, on assistait à
des disputes et explosions d'agressivité, non contre le leader absent, mais contre
les membres du groupe les plus faibles.
Cette expérience a orienté les recherches vers l'influence des types de
commandement plus que vers les types de leaders et dans la pratique, sur
la formation des cadres autant que sur l'évaluation de leurs capacités de
commandement
De même les notions d'efficacité, de réussite, de moral, vont être cher-
chées en dehors de la personnalité même du leader, non seulement dans
le style de commandement, mais également dans le type d'échanges qu'il
favorise ou suscite, c'est-à-dire dans la structure des communications.
879 b) Le moral du groupe ◊ Il est difficile de trouver des critères conve-
nant à tous les groupes. Dans l'industrie on connaît plutôt les indices de
mauvais moral : différentes formes de grèves, freinage de la production,
absentéisme, accidents. On a longtemps cru que productivité et moral
allaient de pair, d'où l'effort pour améliorer ce dernier par le moyen des
relations humaines. De nombreuses expériences ont montré que le style
1. Trad. in A. Levy(1965).
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 811

de commandement, l'attitude du contremaître, influençaient moral et


productivité sans qu'il y ait corrélation positive entre ces deux derniers
s'ils étaient isolés.
Cependant, quels que soient le but du groupe, sa production au sens
large, il existe tout de même, qu'il s'agisse de l'armée, de l'industrie, d'un
groupe culturel, sportif ou politique, des éléments qui traduisent le moral
du groupe. C'est d'abord sa cohésion interne, en dehors de pressions
extérieures, l'absence de discussions, de cliques séparatistes, l'aptitude à
surmonter les difficultés, l'attitude positive vis-à-vis des buts, la commu-
nauté d'aspiration et le désir de maintenir l'union.
M. et C. Sherif (1953) ont organisé des expériences dans des camps de
vacances de jeunes garçons pour étudier les processus de tension et d'harmonie.
Nous rappelons également les études faites sur la cohésion et la désintégration de
la Wehrmacht 1, auxquelles on peut ajouter les analyses de comportement de
groupes réels en cas de crise 2 •
La façon dont le groupe remplit ses fonctions, donne aux participants
l'impression de progresser vers le but cherché. C'est un des éléments
concourant au bon moral du groupe. Elle permet d'atteindre un niveau
assez élevé de participation : croyances, rites, etc. Elle assure la correspon-
dance entre le niveau d'aspiration et de réalisation : dosage d'idéalisme et
d'action concrète dans les partis politiques. Enfin elle garantit ou exige
une certaine égalité dans les sacrifices : cas des bombardements systéma-
tiques de l'East End à Londres pour rompre l'unité du peuple anglais. Le
plus souvent, étant donné ce que les individus cherchent dans le groupe
(solidarité, etc.), ils le trouvent d'autant mieux et le sentiment de cohé-
sion sera d'autant plus ressenti qu'ils ont la possibilité de s'exprimer et
d'être informés. Ceci dépend en partie du style de commandement, mais
aussi de la structure des communications.

880 c) La structure des communications ◊ Retenant dans l'organisa-


tion du groupe ce seul aspect de structure des communications, on s'est
d'abord demandé quelle était son influence sur l'émergence du leader.
A. Bavelas (1951), élève de Lewin, a procédé à l'expérience suivante: un
groupe de cinq personnes effectue un certain nombre de travaux. L'une des expé-
riences porte sur un échange de cartes entre les sujets, qui communiquent seule-
ment par des messages écrits, suivant le schéma de communication prévu. L'indi-
vidu ayant une position privilégiée, c'est-à-dire plus de possibilités de
communications, réussit mieux que les autres. Ceci a donné à Leavitt l'idée de
compléter l'expérience par une désignation de leaders 3 •
Les chiffres indiquent le nombre de fois où les individus occupant cette posi-
tion sont choisis par les autres. H. Leavitt (1947) a ensuite fait varier la quantité
d'information, en la reportant au centre et aux extrémités 4.

1. E. A Shils, M. Janowitz (1948).


2. B. Bettelheim (1947).
3. R. Leavitt (1947), trad. in A. Levy(1965), p. 295 et Bavelas (1951), p. 193.
4. Indices de centralité et de périphéralité.
812 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

couronne chaîne étoile

Il apparaît à travers ces diverses recherches, qu'en dehors de la person-


nalité, la position de l'individu à l'intérieur d'un réseau de communica-
tion, conditionne ses occasions de commandement, ses possibilités de
prendre des décisions opérationnellement valables. Ceci explique que cer-
tains individus, du fait d'un statut qui les tient à l'écart des circuits d'in-
formation, prennent des décisions regrettables, alors que ceux qui, bien
informés, pourraient les prendre, n'ont pas ce pouvoir. L'information
devient un facteur aussi important que l'aptitude et le commandement
apparaît ainsi moins un attribut de l'individuqu'un aspectde l'organisation.
Si le système de communications conditionne celles-ci et affecte les
décisions, leur efficacité dépend également de la possibilité, pour les
récepteurs, d'émettre de leur côté, pour demander des explications
complémentaires. L'importance de ce« feedback », ou échange en retour,
est très bien mise en lumière par l'expérience de H. Leavitt et R. A. Muel-
1er (1951).
Il s'agit, pour un sujet A, d'indiquer verbalement,sans montrer le modèle, la
position d'une série de rectangles à un groupe de personnes B qui doivent les
reproduire.
1° A invisible, explique - B ne pose pas de
questions.
2° A visible, explique - B ne pose pas de
questions.
3° A peut répondre oui ou non aux ques-
tions posées par les membres de B. 2
4° A répond à toutes demandes d'éclair-
cissements.
La précision ou la conformité entre les des-
sins des membres du groupe et le modèle croît
évidemment de 1 à 4.
La rançon de cette précision est le coût 5
du temps. Cette expérience plus limitée,
nous paraît aussi intéressante que les précédentes, sinon sur le plan théo-
rique, du moins sur le plan pratique. Elle est d'abord moins artificielle.
Dans le cas d'étude sur le leader, d'autres éléments entrent en jeu, systé-
matiquement ignorés en laboratoire, alors qu'il est très fréquent de don-
ner des ordres par téléphone, ou verbalement et rapidement L'expérience
L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 813

se rapproche donc de la réalité et permet aux participants de se rendre


compte de la difficulté d'être compris et de la nécessité de toujours véri-
fier la bonne réception et l'interprétation des messages1.
Les études de groupe ont dicté, avons-nous dit, certaines modifications
concrètes (hôpitaux, etc.), cependant elles n'exercent pas encore l'in-
fluence qu'elles méritent. Les problèmes de groupe appartiennent encore
au domaine de recherche des psychosociologues et les savants des autres
sciences sociales n'ont pas utilisé les progrès accomplis. Il est surprenant
par exemple que l'on étudie les partis politiques sans se référer à ce qu'ils
sont d'abord: desgroupes.
Une expérience concluante consiste à faire chercher par des étudiants ayant
étudié les problèmes de groupes, le plan d'une étude sur les partis. Ils l'établissent
sans peine, retrouvant tous les problèmes de structure, de hiérarchie, de comman-
dement, problèmes d'appartenance, de rôles, de buts, de relations inter-
personnelles, de rapports du groupe avec l'extérieur, etc.
Voulant dépasser le stade artificiel du laboratoire expérimental, un
grand nombre de chercheurs se sont, à la suite de Lewin, orientés vers
une méthode de recherche dans les groupes, visant à la fois une recherche
fondamentale et des applications pratiques plus immédiates, que nous
allons maintenant aborder.
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pas eu d'erreur de transmission et non comme le plus souvent se contenter de dire oui, ce qui prouve
seulement qu'il croit avoir compris.
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SECTION3. L'« ACTION-RESEARCH»


OU RECHERCHEACTIVE
ET L'INTERVENTIONPSYCHOSOCIOLOGIQUE
« Je suis seul et ils sont tous, me disais-je,
et celame rendaitpensif.»
Dostoïevsky.
Mémoiresécritsdans un souterrain.

§ 1. Recherche active et intervention


882 Précisions ◊ On a jusqu'ici indiqué divers types d'enquête, en se pla-
çant du point de vue de l'observation scientifique la plus objective pos-
sible, qu'il s'agisse d'exploration, de diagnostic ou d'expérimentation. On
a indiqué toutes les mesures prises par l'observateur pour que sa présence
trouble le moins possible le milieu enquêté et neutralise l'effet, considéré
comme perturbant, de l'enquête.
Un autre type de recherche va justement utiliser ce facteur, non pas
troublant, au sens péjoratif, mais actif, de l'enquête. La façon d'utiliser
cet élément dynamique, qui obéit à des processus encore mal connus, est
l'un des objectifs de la recherche, que Lewin appelle l'actionresearchet
que l'on traduit habituellement par rechercheactive.
La notion de recherche active implique non seulement comme son
nom l'indique, l'efficacité d'une recherche appliquée, mais également un
lien étroit avec la recherche fondamentale. Cependant, la simple consta-
RECHERCHEACTIVEET INTERVENTIONPSYCHOSOCIOLOGIQUE 821

tation des effets de l'observation n'aurait pas suffi à faire progresser


l'étude des interventions, si, au-delà de cet empirisme, on n'avait pu
généraliser, utiliser des théories, des concepts. Les uns et les autres sont
issus de la recherche appliquée. Ceci explique comment, l'évolution
s'étant faite en fonction de façons d'agir personnelles, de techniques
variées, on a trouvé des résultats, des explications, des théories dif-
férentes, qui ont à leur tour modifié les conceptions et expériences des
recherches actives ultérieures.
La littérature anglo-saxonne entend par rechercheactive ce qui corres-
pond en gros à ce que l'on appelle en France intervention psycho-
sodologiquealors que les deux pratiques ne sont pas identiques. J. Dubost
(1987) 1 maintient la distinction en notant que certaines interventions se
limitent à un but technique ou économique, même parfois de propa-
gande 2. D'autres au contraire n'acceptent pas le rôle directeur de
« l'agent de changement» tel qu'il est conçu dans la recherche active de
Lewin.
Avant d'aborder les expériences et les orientations qui les inspirent, il
est nécessaire de mieux distinguer les deux appellations en cause.
L'action researchpart de la conception lewinienne des rapports entre
l'individu et ce qui l'entoure en terme de champ (cf. n° 190 bis). La
recherche active telle que la conçoit Lewin, a pour objectif une produc-
tion de connaissance : comprendre ce qui se passe, mais en même temps,
elle implique la participation des membres du groupe concernés par cette
recherche. J. Dubost retient quatre caractéristiques de l'action-research.
C'est d'abord une recherche fondamentale,ensuite une recherche sur l'ac-
tion et du fait de l'intérêt porté à son efficacité, une recherche pour l'ac-
tion. De plus, la participation des sujets à la réflexion en fait une
recherche en action.
Les disciples de Lewin insisteront sur le changement qu'entraîne la
recherche, changement volontaire (planned change) qui implique
comme le note Lippitt la relation entre le client auteur de la demande
d'intervention et le consultant. La recherche active devient alors déve-
loppement organisationnel (D.O.).
Comment définir la recherche-action alors qu'elle recouvre tant d'am-
biguïtés. Pour J. Dubost, c'est « une action délibérée visant un change-
ment dans le monde réel, engagée sur une échelle restreinte, englobée
dans un projet plus général et se soumettant à certaines disciplines pour
obtenir des effets de connaissances ou de sens » 3 •
Si cette définition peut schématiquement convenir à toute inter-
vention elle se distingue du moins par l'accent porté sur des points dif-
férents. L'intervention psychosociologiqueconstitue la réponse à une
demande d'aide, elle a pour objectif premier un changement non une
production de connaissance. Cependant, l'intervenant n'est pas seule-
1. Auquel nous empruntons ces réflexions.
2. Cas de l'action psychologique de l'armée lors de la guerre d'Algérie pour inciter les jeunes gens
à s'engager.
3. J. Dubost (1987), p. 140.
822 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

ment un expert appliquant une technique, son observation, sa réflexion


produisent tout de même un savoir. Plus encore que la recherche active,
l'intervention psychosociologique n'est pas instrumentale, les membres
de l'organisation participent à la recherche et conditionnent le change-
ment Enfin, dernière remarque déontologique: l'intervenant n'est pas
qu'un consultant extérieur rémunéré, il est impliqué dans la recherche et
son attitude, pendant l'intervention, s'inspire de valeurs au principe
même de la démarche, une éthique démocratique.
Lesthéories et expériences des psychosociologuesqui ont procédé à des
recherches-actives ou à des interventions, présentent au-delà de leurs dif-
férences un point commun : toutes visent à obtenir un changement.
Concrètement se posent alors les questions : comment ? pourquoi ?
où ? C'est là que les points de vue divergent.
1°) L'intervention est-elle demandée, par qui et pourquoi? Des fac-
teurs variés vont intervenir suivant le lieu et l'objectif. Changement
o.
demandé par un institut de rééducation L. Moreno, 1954), le gouver-
nement (K. Lewin, 1959), une entreprise (E. Jaques, 1976, M. Pagès,
1959, Floyd Mann, 1961), une commune (J. Dubost, 1972), une admi-
nistration (M. Crozier, 1971), une minorité (G. Lapassade, 1971).
Malgré les conséquences que peuvent entraîner des demandes de pro-
venances si diverses, toutes se résument en une demande d'aide. Le
demandeur attend un diagnostic, mais surtout un debut de solution, un
changement dû à l'intervention elle-même. Ce peut être une modifica-
tion vis-à-vis d'une décision : refus, acceptation ou contreproposition, un
nouvel état d'esprit, la réduction d'une tension. On imagine les pro-
blèmes que posent l'acceptation de la présence de l'intervenant par le
groupe, l'entière liberté que doit lui accorder l'organisme demandeur. Si
l'intervention n'est pas réclamée par une des parties en cause, mais
dépend de l'initiative du psychosociologue, le pourquoi est alors d'une
autre nature. Quel est son objectif puisqu'il ne s'agit plus de répondre à
une demande d'aide ? A part une rémunération financière (facteur qui
joue un rôle plus ou moins important), ce qui motive l'intervention, c'est
le désir de comprendre ce qui se passe, une volonté de recherche plus
active, on l'a vu, dans l'action-research, que dans l'intervention où l'élé-
ment d'aide est, lui, prépondérant. Si le demandeur joue un rôle non
négligeable, celui de l'intervenant est, lui, essentiel : sa formation, sa
nature, sa personnalité dicteront son attitude et le déroulement de l'in-
tervention. Cynique et intéressé profitera-t-il de la mode, de la naïveté de
certains PDG, pour intervenir, sans trop se soucier de ce qui se passe, ou
tel un saint-bernard trouve-t-il dans cette relation d'aide une gratification
particulière et toute son affectivité est-elle en cause dans les remous du
changement, ou encore gourou paranoïaque jouit-il de sa position d'au-
torité en gardant ses distances ou en projetant ses fantasmes, enfin
savant Cosinus observe-t-il comme un entomologiste, l'agitation des
membres du groupe en recueillant des données pour une théorie défini-
tive?
La pondération différente de ces divers éléments distinguera les types
d'intervenants et leurs conceptions, attitudes et pratiques.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 823

L'énumération de pratiques si hétérogènes rend assez surprenant de les


voir rangées sous la même rubrique. Il ne s'agit pas seulement d'une
opposition classique entre recherche et action, c'est à l'intérieur de l'ac-
tion qu'interviennent, comme on l'a vu, de nombreux risques de déra-
page. Pour s'en tenir aux problèmes sérieux, espérant que les autres dispa-
raîtront d'eux-mêmes (les mauvais produits ne se vendent pas
longtemps), le plus important est le lien à maintenir entre la théorie et
l'action, autrement dit le maintien, dans tous les cas, d'un objectif scien-
tifique. Il ne s'agit pas là de se soumettre à la mode par un discours tech-
nocratique, mais ce maintien constitue la meilleure protection contre les
pressions de la demande et la tentation de céder à des intérêts parti-
culiers. Comme l'écrit J. Dubost: « Une pratique de consultation qui se
veut réellement collaborative doit tenter d'échapper au rapport de dépen-
dance hiérarchique, comme au rapport paternaliste, au rapport mar-
chand de prestation de service... comme à " la violence symbolique " de
l'activité éducative ou enseignante.» 1 Ni la satisfaction d'avoir atteint
l'objectif d'aide ou résolu le problème ne suffisent pour définir le projet.
« Il faut encore que le travail produit par le processus prennent sens en
un point qui soit en quelque sorte extérieur aux partenaires de la rela-
tion 2 • »
En réclamant un objectif scientifique pour offrir à ces pratiques un
point commun les unissant, J. Dubost n'entend ni réclamer pour elles
un statut d'autonomie, ni imaginer qu'elles puissent remplir les condi-
tions d'expérimentation classique.
Souhaiter un travail et un statut scientifique signifie une complète
intégration à l'enseignement universi_taireet une plus large participation
aux recherches qui s'y poursuivent. Etant donné la nature du domaine
étudié, on ne peut exiger l'application de la méthode expérimentale, mais
seulement les règles assurant la rigueur de l'approche clinique.
J. Dubost connait les écueils de l'intervention psychosociologiquemais
aussi ce qu'elle contient de possibilités. Parce qu'il est conscient de la fré-
quente dérive commerciale des pratiques et de l'incompréhension de cer-
tains sociologues, il insiste dans chacune de ses publications sur la néces-
sité de tenir ferme cet objectif scientifique.
Un autre danger plus grave menace aujourd'hui la recherche-action :
l'alliance objective de la technocratie des appareils d'État avec une cer-
taine conception des sciences sociales. Le cognitivisme, le comporte-
mentalisme, etc., gomment les contacts et particularités interindivi-
duelles pour leur substituer des schémas mécaniques et généraux. De
même, on assiste dans les sciences sociales à la disparition ou à l'éloigne-
ment des responsables d'activités d'intervention. Ce que J.-P. Lebrun qua-
lifie de rupture de l'énoncîateur avec l'énoncé 3 •
A la place du cabinet d'études envoyant des chercheurs sur le terrain
pour établir un diagnostic, après avoir créé des liens plus ou moins étroits
1. J. Dubost (1987).
2. Op. dt., p. 327.
3. On retrouve la même évolution dans la substitution des médicaments à la cure par la parole
(psychanalyse, psychothérapie) en psychiatrie.
824 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

avec le groupe à observer, on se contente de quelques informateurs non


impliqués et peu rémunérés (ex.: correspondants de cage d'escaliers) ou
encore de faire appel à un consultant plus onéreux mais qui ne bouge pas
de son bureau.
Deux domaines cependant résistent encore: l'éducation et l'urba-
nisme. Devant l'urgence des solutions à trouver on ne peut négliger
aucun moyen. La tendance est malheureusement à des crédits octroyés
d'en haut, pour des profits ne tenant pas compte de la réalité humaine et
des éléments favorables qu'une recherche-action au niveau du groupe
observé pourrait développer.
Dans ce domaine extrêmement complexe, encore mal exploré, où les
opinions évoluent, il est particulièrement difficile de classer les diverses
techniques d'intervention et les théories qui les inspirent Max Pagès
(19 72) propose une classification imparfaite et provisoire, mais tenant
compte des diverses tendances. Le niveaude l'interventionet le but pour-
suivi: intervention au niveau des structureset intervention d'informa-
tion; d'autre part l'attitude du chercheur: intervention de type distancié,
plus ou moins directif, dans laquelle le chercheur intervient par le truche-
ment d'une enquête ou d'un sociodrame et approche cliniquenon direc-
tive, dans laquelle l'observateur est directement en contact avec le groupe
qu'il réunit Cette classification ne comporte aucune séparation tranchée,
mais des dosages dans lesquels un élément l'emporte sur les autres, sans
toujours les exclure.

§ 2. L'apport théorique
882-1 1° Kurt Lewin: l'action-research et la notion de change-
ment ◊ L'action-research part de la conception lewinienne des rapports
entre l'individu et son environnement en termes de champ. Les groupes,
dans la théorie lewinienne, forment des ensembles définis par des liens
d'interdépendance entre leurs membres et possédant un champ psycho-
logique spécifique. Le champ des phénomènes inclut le chercheur et l' ob-
jet de la recherche. Celle-ci, dans le groupe, a pour but une production de
connaissances, c'est-à-dire un objectif épistémologique. Dans le cas de
Lewin, on trouve également une inspiration idéologique : un idéal démo-
cratique et concrètement, un désir de participer à l'action du pouvoir.
La rupture avec le behaviorisme et l'idéologie technocratique régnant
aux États-Unis est très nette, mais cette réaction de rejet avait commencé
avant les expériences de Lewin et celle d'Elton Mayo (cf. n° 166) qui
montraient l'importance du facteur humain et des réactions de groupe.
La théorie lewinienne du changement, a donné à la recherche active
son point de départ et son orientation. Cette théorie est issue d'une expé-
rience pratique .
Lewin fut chargé pendant la guerre, par le gouvernement américain, de tenter
de modifier les habitudes alimentaires des ménagères. Il organisa d'abord une
1. K. Lewin (1941), cf. Levy(1965).
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 825

série de conférences pour expliquer aux femmes la valeur calorique des abats et
diminuer la demande de viande de bœuf. L'influence de ces réunions fut chiffrée
à 3 % de modifications, dans le comportement des consommateurs. Lewin entre-
prit alors une série de réunions-discussions dans lesquelles, au lieu de mono-
loguer, il incitait les participantes à donner leur opinion, faire part de leurs essais,
etc. Les résultats furent spectaculaires puisqu'on enregistra 32 % de modifications
dans les achats.

883 a) L'équilibre quasi stationnaire ◊ Lewin explique cette différence


dans l'efficacité du type d'intervention de la façon suivante. Il existe dans
tout groupe un équilibre quasi stationnaire, supporté par un champ de
forces comprenant deux composantes : 1° l'ensemble des forces qui
agissent pour maintenirle niveaude comportementdu groupe à un point
donné d'équilibre, par exemple dans le cas des habitudes alimentaires, la
rapidité de préparation, le coût, etc. A côté de ces éléments objectifs on
trouve: 2° un ensemble de forces qui agissent pour maintenir le compor-
tement de chaquemembredu groupeau niveaud'équilibredu groupe.Ces
forces constituent ce que l'on appelle les normes (ou standards) du
groupe : croyances, préjugés, habitudes. Ellespeuvent être institutionnali-
sées (loi punissant l'adultère, interdiction de manger du porc), avec des
sanctions extérieures ou intérieures. Ces normes ont un effet plus ou
moins contraignant, suivant les domaines qu'elles règlementent et la
nature des individus.
L'intérêt des remarques de Lewin n'a pas consisté simplement à nom-
mer équilibre quasi stationnaire, ce que d'autres considéraient comme
attitudes collectives, mais à tirer les conséquences de cette distinction
entre les deux types de forces en présence dans le groupe. Pour Lewin, si
l'on veut obtenir un changement, ce n'est pas comme on le croyait
jusque-là, sur le premier ensemble de forces qu'il faut agir, mais sur le
second. Or la conférence agit sur le premier. On veut modifier le
comportement du groupe et pour cela on essaie de persuader chaque
individu de l'intérêt de manger des abats. L'individu veut demeurer
conforme aux normes du groupe, or celles-ci ne pourraient changer que
par une modification des croyances de l'ensemble des individus, qui jus-
tement veulent rester conformes au groupe, d'où blocage et échec.
Dans la discussion au contraire, c'est l'équilibre de l'individu au niveau
de l'équilibre du groupe, qui se modifie. Il suffit d'un léger mouvement
non conformiste d'un des membres du groupe, pour que les autres per-
çoivent une possibilité de changement. Il se produit ce que Lewin appelle
une « décongélation». Au lieu d'avoir l'impression d'être isolé s'il
change, l'individu sent qu'il le sera, s'il ne suit pas le mouvement qu'a-
morce le groupe.
Il ne s'agit pas seulement de la prise en considération de l'efficacité
d'un engagement et d'une participation active, mais d'une explication
des mécanismes de changement à l'intérieur d'un groupe. Elle servira de
point de départ à la recherche active et à toutes les expériences, menées
ensuite par Lewin et ses disciples, sur la dynamique des groupes.
826 LESTECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉSET DE GROUPES

884 b) L'application pratique : la recherche active ◊ La discussion


provoquee suscite des changements. Elle est donc en même temps un
passionnant sujet d'observation, puisqu'elle permet d'étudier les processus
en train de sefaire. Pour Lewin, recherche et intervention s'appuient l'une
sur l'autre. L'intervention bénéficiera de la recherche, dans la mesure où
celle-ci portera sur la solution de problèmes pratiques (technique
d'action). La recherche, de son côté, sera plus approfondie et complète si
elle vise les sujets eux-mêmes, car elle suscite leurs réactions. Mais pour
Lewin, ces deux directions: recherche et intervention, bien qu'inter-
dépendantes, restent distinctes et ne diffèrent pas des formules classiques
antérieures, étudiant l'une ou l'autre. La recherche active, suivant la
conception de Lewin, se rapproche en l'enrichissant, d'une notion de
rechercheappliquéeou d'une technique d'action
Lewin, malgré son intérêt pour la théorie, était sensible aux problèmes
humains concrets tels que la naissance des préjugés, les attitudes vis-à-vis des
minorités, en particulier à cette notion de conflitqu'il aborda sous des formes dif-
férentes : conflits industriels, conjugaux, etc. Il fut l'un de ceux pour lesquels, non
seulement la recherche fondamentale ne pouvait se dissocier de la recherche
concrète, mais même de la fonction sociale. Les travailleurs sociaux plus parti-
culièrement chargés de résoudre les difficultés des individus, au niveau de la vie
quotidienne, ont, sur tous les problèmes un point de vue peut-être limité, mais
riche de toute la complexité du réel, qui échappe souvent aux chercheurs. Ces der-
niers, sous prétexte d'expérimentation, se servent indéfiniment des populations
cobayes, d'étudiants et de militaires et finissent par se couper de la réalité. Sans
doute les objectifs de l'action sociale ne sont-ils pas toujours compatibles avec
ceux de la recherche, mais ils ne doivent pas non plus être systématiquement
séparés.
A côté des expériences de Lewin, nous trouvons celles, déjà citées, de R Lippitt
et R. D. White (1965) 1 sur les résultats des différents types de commandement et
celles, également très connues, de L Cochet J.R. P. French (1947), comparant
les effets sur le rendement d'ouvrières de la confection, de différents modes de
participation à la décision.
On peut dire que ces expériences, visant à tester différents types de lea-
dership et différents types de participation, tentent, au sens lewinien du
terme, d'intervenir dans ce qui constitue les structures psychologiques du
groupe (communications, rôles, buts, etc.). C'est une des premières
formes sous laquelle est apparue la notion d'intervention.
L'action-research demeure vivante aux États-Unis mais elle n'est plus à
la mode et si un jeune étudiant peut encore présenter une thèse sur ce
sujet, un chercheur, lui, obtiendra difficilement un crédit de recherche.
885 2° Moreno et la sociométrie. a) Notions générales ◊ Le terme de
sociométrie 2 a été composé par J. L. Moreno 3,psychiatre roumain émigré
aux États-Unis. Il s'agit d'un procédé permettant d'introduire la quantifi-
cation et la mesure, dans l'étude des interactions sociales.
1. Cf. n° 878 et in J. Levy(1965).
2. J.Uc:'tpov
= mesure, socius = homme social.
3. Né a Bucarest en 1892, naturalisé américain en 1935.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 827

Moreno eut, dit-il, l'idée de la sociométrie en regardant jouer des enfants dans
un jardin public. Chargé après la première guerre mondiale de l'administration
d'un camp de réfugiés dans le Tyrol, il s'aperçut que les individus s'adaptaient
mieux et trouvaient plus facilement leur équilibre lorsqu'ils pouvaient former des
groupes suivanJ leurs affinités, au lieu d'être réunis arbitrairement ou au hasard.
Rentré aux Etats-Unis, Moreno se livra à de nombreuses études sur les groupes.
Il déclare dans son ouvrage Psychodrame, avoir élaboré ses conceptions à partir de
trois doctrines très différentes : celles de Bergson, de Freud et de Marx.
Pour Moreno, la spontanéitéet la créativité,sont la source des relations
entre individus. Il existe dans l'homme une spontanéité socio-affective,
qui s'exprime dans des préférences ou des rejets. Cette spontanéité est à
l'origine de la structuration des relations dans le groupe et de leur évolu-
tion. La réalité sociale est pour Moreno fondamentalement affective.
« Pour le sociométricien, toutes les unités sociales sont d'abord des systèmes de
préférences positives et négatives.» Notre siècle, déclare Moreno (1954), a vécu
sur le principe de la conservation de l'éner~ie, au sens propre de la physique, mais
aussi au sens figuré. En effet la spontaneité, énergie psychique, est freinée, car
l'homme, pour assurer sa sécurité, a développé des «conserves» individuelles :
mémoire, habitude, et des conserves sociales et culturelles, qui lui évitent de per-
pétuels efforts pour s'adapter à des situations sociales nouvelles.
Ces modèles, d'une part, constituent la culture, mais d'autre part
empêchent les attractions et répulsions de s'exprimer. En maintenant des
rôles traditionnels rigides, ils sont source de tension et d'inadaptation
pour les individus, de déséquilibre pour la collectivité. La sociométrie vise
donc, d'une part à acquérir une connaissance théorique des interactions
dans les groupes, d'autre part à jouer un rôle thérapeutique, en libérant la
spontanéité créatrice des individus, dans leurs rapports sociaux.
Après Marx, Moreno affirme que l'on ne peut découvrir la structure
propre d'une société, qu'en essayant de la modifier. Alors que Marx tirait
de ces affirmations des conséquences en termes de lutte de classes,
Moreno entend améliorer le statut de tous les individus en tant que tels.
Ses recherches sur les structures de groupe ont pour but d'améliorer la vie
en société. On laissera de côté les théories philosophiques de Moreno 1
qui n'entrent pas dans le cadre de cet ouvrage pour s'attacher ici à leurs
applications pratiques.
886 b) Aspects techniques: l'obtention des données ◊ On peut
concevoir sous le terme sociométrie deux méthodes. La première, objec-
tive, relève des techniques d'observation systématique que Moreno a for-
tement inspirées, sans que cette influence soit toujours reconnue. Il s'agit
d'observer les interactions dans le groupe: qui parle ? à qui ? qui sourit?
à qui ? etc. Les premières expériences eurent lieu sur des enfants.
La deuxième est proprement sociométriqueet vise selon Moreno, à
conjuguer objectivité et subjectivité. Il s'agit de rendre manifestes,objec-
1. Moreno ne jouit pas en France du crédit qu'il mérite. Sans dout.e ses conceptions philo-
sophiques sont-elles, d'expression souvent confuse, mais la richesse de son imagination, de sa sensi-
bilité en font un auteur qui a tout de même marqué les sciences sociales de notre époque.
828 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

tives,lesrelationsentrelesmembresd'un groupe,tellesqu'ellessont ressenties


subjectivementpar les sujets. Pour cela, on posera à chaque membre du
groupe la question suivante : quelles sont les personnes de votre groupe
que vous choisiriez de préférence comme camarades de travail ? La
mesure sera introduite par le dénombrement des réponses. Elle s'effec-
tuera en fonction des sujets qui les ont données et suivant ceux qui ont
été choisis. La valeur de la mesure dépend de la validité des données obte-
nues. Il est donc indispensable que les sujets interrogés répondent le plus
franchement possible. La meilleure façon d'obtenir ce résultat consiste à
ne pas figer le groupe dans une situation artificielle de laboratoire, mais à
le laisser vivre dans la situation la plus normale possible. Il convient de
prendre des groupes restreints, existant depuis un certain temps, pour que
tous les membres se connaissent Il s'agit, comme dans l'interview, de
susciter des motivations positives, de choisir un moment favorable, soit
que le groupe puisse attendre de l'expérience une modification souhaitée:
dédoublement d'une classe, changement de groupe ; soit qu'il désire
résoudre ses propres problèmes: tension, nomination d'un leader, etc.
Les questions (posées oralement ou par écrit) doivent être formulées claire-
ment et le verbe mis au conditionnel, le sujet devant exprimer ce qu'il souhaite.
Le choix peut être libre: quels sont les camarades avec lesquels vous souhaite-
riez travailler ? ou fixe : désignez trois camarades avec lesquels vous souhaiteriez
travailler.
Le choix libre répond à une exigence clinique et permet de mieux juger l'expan-
sivitédu sujet et celle du groupe.
Le choix fixe est plus commode pour établir des comparaisons statistiques.
Dans les deux cas, on demande au sujet de hiérarchiser son choix, suivant un
ordre de préférence.
Une amélioration du test a consisté à diviser le choix en fonction de critères de
situations différentes. H. Jennings (1965) (disciple de Moreno) propose de se
limiter à trois :
- un critère de vie commune : avec qui souhaiteriez-vous habiter ?
- un critère de travail intellectuel ou physique : avec qui souhaiteriez-vous tra-
vailler?
- un critère de loisir : avec qui souhaiteriez-vous jouer ?
Ceci permet de distinguer des critères affectifs: loisirs, vie commune et
des critères fonctionnels,qui comportent âla fois l'agrément du travail en
commun, mais aussi l'efficacité supposée des sujets choisis. On peut
encore concevoir un critère hiérarchique, impliquant un choix unilatéral,
chaque membre du groupe devant désigner le plus apte à représenter le
groupe ou le diriger. H. Jennings pense que ces choix sont indépendants,
cependant il semble qu'il y ait une forte convergence entre choix affectifs
et choix fonctionnels. Les critères dépendent bien entendu de l'objectif
poursuivi.
887 c) Notions e1aborées à partir des données ◊ Au niveaudu sujet: L'atome
social représente non l'individu, mais le tissu des interrelations dont chacun est le
sujet. Cette notion est complétée par celle de tele1 qui serait en quelque sorte le
courant, la cause des choix et rejets figurés dans l'atome.
1. Prononcer te1é.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 829

Un sujet est caractérisé par son expansivité,c'est-à-dire le nombre de choix


qu'il émet et par son statut: le nombre de choix qu'il reçoit. L'étude des statuts
permet de distinguer le sujet souvent choisi : l'étoile, le leader et l'isolé, le rejeté,
que personne ou presque ne choisit.
Dans une étude approfondie on tient compte de :
- l'ordredes choixreçus: être 5 fois choisi, en premier n'a pas la même valeur
que d'être choisi 5 fois, mais en dernier;
- l'origine de ceschoix: être choisi par un leader, n'a pas la même signification
que d'être choisi par un isolé.
Ces améliorations ont pour but d'atténuer le fait que les choix et écarts de rang
sont normalement considérés comme équivalents.
Les résultats des choix sont transposés sur des sodomatrices.En abscisse sont
inscrits les choix, en ordonnée les sujets choisis.
On utilise les signes suivants:
+ + attrait réciproque
- - rejet
oo indifférence
chacun pouvant se combiner en:+ - ; -+; ++; - -.
Au niveau interpersonnel:Les interférences entre les différents atomes
forment des réseaux : la paire, le triangle, et le carré. Ces deux derniers
types de réseaux ont tendance à s'isoler, se suffire, parfois à former une
clique.
Parmi les réseaux ouverts on peut citer la chaîne favorable à la propa-
gation des rumeurs : A - B B - C C - D, etc 1.
Moreno a pu appliquer ses schémas dans une maison de jeunes filles de1in-
quantes d'Hudson. Quelques jeunes filles s'étaient échappées. Le sociogramme
révéla qu'elles appartenaient à un même réseau ou à des cliques reliées entre elles.
De même à l'occasion d'un vol, on put suivre en quelque sorte la propagation de
l'information, très rapide dans les premiers réseaux, puis progressant plus lente-
ment à travers les autres, suivant les structures du groupe.
Enfin, au niveaudu groupe,le sociogramme met en évidence les phéno-
mènes de polarisation autour des étoiles ou leaders, les clivages entre les
réseaux, les cliques, etc., tous facteurs importants en ce qui concerne la
cohésion du groupe.
888 d) Extension aux problèmes de perception sociale o On a cherché à
déterminer le degré de conscience sociométrique des sujets ou du ~roupe, en
posant une question supplémentaire : « Par qui pensez-vous avoir éte choisi ? »
ou même: « Par qui, à votre avis, ont été choisis x, y, z? ». La perception des
choix suppose une forte sensibilité aux sentiments d'autrui. Ceci permet de déter-
miner: les choix émis par le sujet, ou son expansivité;les choix et les rejets, c'est-
à-dire sa popularitéou son impopularité;mais aussi l'idée qu'il a de sa popularité
ou de son impopularité ; enfin l'impression qu'un sujet donne aux autres de les
choisir, ou l'expansivitéperçue.On peut ainsi étudier l'exactitude des impressions,
les erreurs commises (optimisme ou pessimisme). On a remarqué que les choix
réciproques sont mieux perçus que les choix unilatéraux. Au point de vue corréla-
tion, la seule très apparente est celle qui existe entre la popularité réelle et l'expan-
sivité perçue. Le sujet populaire donne aux autres l'impression qu'il s'intéresse à
eux.
1. Cf. tableau n° 890.
830 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

889 e) Limites théoriques et applications pratiques ◊ D'après


Moreno, le caractère original de la sociométrie consiste à unir, comme le
marxisme, théorie et pratique dans une praxis. Cette liaison fonda-
mentale étant acquise, on peut insister dans une recherche particulière
sur l'un ou l'autre aspect.
Sur le plan théoriqueil s'agit, à partir des données recueillies, de dégager
les structures de groupe. Moreno, à juste titre, reproche à Lippitt de
n'avoir, dans ses expériences sur les groupes autoritaires et démocra-
tiques, retenu que la variable du commandement, sans tenir compte de la
composition du groupe lui-même. Que deviendrait tel type de leadership,
s'il se heurtait dans le groupe, à une clique opposante et fermée?
Malgré l'apport intéressant de la sociométrie, on peut cependant lui
reprocher de demeurer à un niveau descriptif. Elledéfinit les statuts, mais
s'abstient de chercher les causes. Pour formuler des hypothèses explica-
tives, il faut mettre les données sociométriques en relation avec des fac-
teurs sociologiques et psychologiques, recherchés par les méthodes clas-
siques. Le sexe, l'âge, les facteurs éthiques ou écologiques, les statuts
socio-économiques, socio-professionnels ou sociologiques, sont suscep-
tibles d'expliquer partiellement l'affinité ou l'antipathie entre certains
individus.
Si l'on veut, par exemple, étudier un sociogramme établi dans un collège tech-
nique, on pourra se demander si les origines urbaines ou rurales, la profession des
parents ou les projets d'avenir des jeunes gens, influencent les affinités per-
sonnelles et psychologiques.
Applicationspratiques. La sociométrie est un précieux outil d'analyse
qui permet d'obtenir une image socio-affective réelle du groupe. Elle fait
apparaître les interrelations, révèle la cohésion du groupe, facteur de bon
moral, son équilibre hiérarchique ou démocratique, ses risques de scis-
sion, s'il comporte des cliques. De nombreux problèmes concernant les
structures et communications, clivages raciaux, études de leadership,
peuvent bénéficier d'un traitement sociométrique.
Un exemple souvent cité, est celui de l'étude de J. Jenkins 1 sur deux escadrilles
d'aviation navale pendant la guerre du Pacifique, l'une présentant les signes d'un
tonus excellent, l'autre d'un moral déprimé. Le sociogramme reproduit (p. 742)
est révélateur.
Dans le groupe A on remarque que le commandant CO a été choisi par 8
hommes et l'officier en second XO par 6, alors que dans l'escadrille B le
commandant n'est ni choisi ni rejeté et que le second est rejeté 9 fois. De plus les
sociogrammes indiquent l'existence de deux sous-groupes fermés dans l'escadrille
B, alors que dans le groupe A, les chefs officiels polarisent les choix. Enfin tous
ceux-ci se produisent à l'intérieur du groupe tandis qu'en B on note 4 choix à
l'extérieur.
890 f) Applications thérapeutiques ◊ Le but de Moreno est de rééquili-
b'rer fes individus, de les adapter à la vie en société par la libération de leur
spontanéité2 et de son réapprentissage.
1. ln M. Jahoda (1951), (B. 198).
2. Son livre, paru en 1927, s'intitulait« Le théâtre de la spontanéité».
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 831

« L'homme a eu peur du feu jusqu'à ce qu'il ait appris à l'allumer, de même il


craindra de vivre en faisant appel à sa spontanéité, jusqu'à ce qu'il ait appris com-
ment la provoquer et l'éduquer.» Moreno veut dépasser la psychanalyse, qui se
contente de faire revivre au sujet, par un récit, le souvenir des événements passés.
Le moyen de provoquer la spontanéité sera le jeu dramatique 1.
Les diverses techniques sont le psychodrame,le sociodrameet le role
playing.Elles ont pour but de faire jouer librement des rôles tirés de situa-
tions de la vie réelle, afin d'expliciter certains conflits demeurés
inconscients et de permettre aux sujets de se rendre compte de la façon
dont ils perçoivent l'attitude des autres, vis-à-vis d'eux. Moreno est un de
ceux qui ont le plus contribué à élargir et utiliser le concept de rôle.
Ce thème de l'individu prisonnier de ses rôles, de son personnage, des autres, a
inspiré toute l' œuvre dramatique de Pirandello, qui a représenté en partie pour
l'auteur même, un psychodrame: « Tu ne comprends donc pas, s'écrie Dujo,
dans Commeced ou commecela,que ta conscience ce sont les autres en toi. »
Lepsychodrame. « Il ne s'agit pas de transformer les patients en acteurs,
mais plutôt de les inciter à être sur la scène ce qu'ils sont, plus profondé-
ment et plus explicitement qu'ils n'apparaissent dans la vie réelle2 • »
L'action dramatique, la communication symbolique qui s'établissent
entre les acteurs, permettent au sujet de se libérer de certaines tensions en
les exprimant Moreno a souvent assimilé le processus de cristallisation
qu'opèrent le psychodrame et le sociodrame, à la «catharsis» des
anciens. Le drame parvenait à libérer les spectateurs de leurs passions, en
les portant sur la scène.
Le psychodrame permet au malade, aidé par son médecin et d'autres
acteurs (ego auxiliaires), de jouer des scènes exprimant ses difficultés. Il
peut jouer soit son propre rôle, soit ceux des personnages avec lesquels il
est en conflit, dans ce cas il projette la façon dont il les perçoit et les
ressent.
Le sociodrame présente la même technique de jeu théâtral, mais au lieu
de s'attacher à l'individu, il vise à rééquilibrer le groupe lui-même, en
révélant les conflits entre les divers rôles.
Enfin, le role pl'!}'ing représente une forme réduite et circonscrite du psycho-
drame. Il est utilise dans le cadre d'examens psychologiques de sélection profes-
sionnelle: vendeur, hôtesse d'accueil. Le rôle thérapeutique au sens strict, auprès
des malades, peut être également conçu sous un aspect plus large de formation,
de prise de conscience de soi et des autres, de l'effet de son personnage. Le rôle
playing est ainsi parfois utilisé dans des sessions de formation de cadres. Il faut
signaler une dérive ludique et sans doute commerciale des jeux der6le3• Un Améri-
cain Gary Cyga amateur de simulation et doué d'imagination eut l'idée en 1974
de créer et vendre des scénarios. Les acteurs s'identifient aux personnages (4 ou 5
en général) qui leur sont attribués par tirage au sort et inventent au fur et à
mesure le développement de l'histoire. Le jeu gagne la France et en 1980 fait de

1. <<L'idées'est imposée à moi qu'il fallait jouer les situations et non se contenter de les observer
et de les analyser.»
2. Moreno (1954).
3. Cf. Le Monde du 6 juin 1995.
832 LESTECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉSET DE GROUPES

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RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 833

nombreux adeptes, surtout chez les garçons âgés de 15 à 20 ans 1. Cette mode
inquiète : elle prend du temps (4 à 8 h au moins pour une séance et parfois tout
un week-end) et détourne les jeunes de leurs études mais surtout elle déstabilise
les individus fragiles qui parfois « décrochent d'une réalité, à laquelle ils sont mal
adaptés », d'où des accidents possibles : suicides, violences 2 et les thèmes des jeux
peuvent être humanitaires, idéalistes, de science-fiction mais d'autres sont fantas-
tiques, cyniques parfois même pervers. Le jeu développe-t-il l'imagination ou inté-
resse-t-il les individus qui ne trouvent pas dans la vie l'occasion d'exprimer celle
qu'ils possèdent ?
Psychodrame et sociodrame, en dehors des séances de cure, sous surveillance
médicale, sont moins bien acceptés dans les pays latins qu'aux États-Unis. En
France, les tentatives faites sont peu convaincantes. Les expériences conservent
un caractère artificiel, les sujets n'arrivant pas à libérer leur spontanéité.
Les psychologues sociaux sont d'accord pour affirmer que si role
playing et sociodrame sont susceptibles de modifier les attitudes, dans des
cas de tension ou difficultés, ils ne sauraient résoudre les conflits impli-
quant des facteurs objectifs : salaires, rythmes de travail, etc.
Dans ce cas comme le note J.Maisonneuve (1959), loin de neutraliser le poids
des faits et de la situation, ils renforcent au contraire la perception des lignes de
partage entre les intérêts en présence et les forces qui les opposent
Quel que soit le jugement porté sur l'œuvre de Moreno, il a indiqué
une nouvelle voie d'approche de certains problèmes essentiels que la vie
moderne rend très aigus. li a également modifié la conception du rôle du
thérapeute.
890-1 3° Le changement social: A. Touraine ◊ L'évolution de A. Tou-
raine lui a valu des détracteurs parmi les sociologues. Elle est mieux
comprise par les psycho-sociologues car il s'agit d'intervention psycho-
sociologique.
Les événements de mai 68, ceux du Chili provoqueront « la rupture
épistémologique» dont fait état Touraine dans la Voix et le Regard(1978).
S'y ajoute un « traumatisme » : le fait que les catégories de pensée des
acteurs « étaient complètement étrangères aux catégories de leur pra-
tique».
Sans entrer dans les détails d'une pensée complexe, on indiquera seule-
ment sur le plan de la méthode l'évolution de Touraine (qu'il en soit
conscient ou non) d'une sociologie liée à l'histoire, vers une psycho-
sociologie. Les faits ne sont pas seulement saisis au niveau immédiat du
«ressenti» ou du vécu mais replacés dans les cadres dans lesquels ils sont
apparus. A partir de là s'opère le glissement, car cette analyse ne peut s'ef-
fectuer à trop grande distance des faits, sous peine de ne plus les voir, ni
négliger ceux qui les vivent, acteurs de la lutte. Ceci impose une double
condition, la participation du sociologue observateur, mais surtout celle
1. On compterait en France 100 000 passionnés et 300 000 joueurs irréguliers, répartis dans 500
clubs.
2. 3 accidents en 15 ans c'est moins que la moto, mais on ne comptabilise pas les désordres psy-
chologiques que peut entraîner le jeu du rôle.
834 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE GROUPES

des acteurs qui, impliqués au premier chef, doivent pouvoir eux aussi
réfléchir collectivement et participer au processus d'analyse. C'est ainsi
que la pratique nouvelle de Touraine va se traduire en de nombreuses
interventions 1 et aboutir à une recherche-action dont elle présente les
caractères, même lorsqu'il s'agit d'une offre de consultation plus que
d'une demande. Touraine privilégie l'analyste par rapport au groupe. Il
prépare l'intervention par une construction théorique que le travail de
groupe, son auto-analyse confirmera, infirmera ou nuancera. Ce qui gêne
un psychosociologuecomme J. Dubost (1980) dans cette démarche, c'est
que les deux termes théorie et action restent encore séparés. D'un côté les
penseurs, « agents d'historicité», chercheurs, tout en s'imposant dis-
tance et indépendance, proposent tout de même leur interprétation ; de
l'autre, les acteurs sociaux prisonniers de leurs luttes et devant se conten-
ter d'apporter à l'analyste « les matériaux vivants» dont celui-ci a besoin
pour « écrire l'histoire sociale de demain». L'intervention risque de se
limiter à une action de démonstration et de formation, négligeant la
fonction heuristique, réduisant ainsi l'aspect scientifique au profit d'une
technique pédagogique. Dubost note que pour le psychosociologue, l'in-
tervention ne consiste pas à considérer l'événement comme « ce qui doit
être analysé», mais comme le delmt d'une analyse qui doit encore se faire
travail.Il ne s'agit pas d'une simple dynamique d'un groupe limité à lui
même (cf. n° 904) mais de l'analyse d'un groupe qui doit être reconnue
pour« l'intégrer au champ d'analyse».

3. L'intervention par l'information du groupe


§
891 L'infonnation facteur de changement: Floyd Mann o Une des
difficultés essentielles sur lesquelles butent les réformes tentées par des
interventions psychologiques, c'est que trop souvent l'analyse de la situa-
tion, les décisions prises dans le groupe, amènent une adaptation
momentanée, purement formelle, des participants. Elle ne correspond
pas à des changements réels, durables, d'attitudes et de comportements.
La théorie lewinienne reste vraie quant au processus du changement,
mais elle ne donne pas le moyen de le consolider. On s'est alors aperçu
qu'un élément stabilisateur du changement intervenu, paraissait être la
connaissance, par les membres du groupe, de cette évolution, et la façon
dont chacun d'entre eux se situait par rapport à ce changement En bref
un des eléments d'efficacité d'une recherche active, paraissait être l'infor-
mation même, contenue dans la recherche, c'est-à-dire la connaissance
de ses résultats.
La technique du feedback,utilisée par Floyd Mann à la Detroit Edison
Company, emploie les informations recueillies dans l'enquête, pour obte-
nir une prise de conscience et un changement de la part des responsables
des divers postes de l'entreprise. L'élément le plus actif de cette trans-
formation est l'information elle-même. Les membres de l'entreprise,
1. A. Touraine (1978, 1978, 1980, 1981, 1982, 1984, 1984).
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 835

grâce aux réponses faites aux questionnaires d'enquête, sont renseignés


sur l'état d'esprit général et en particulier sur la façon dont on les juge. Ce
type d'intervention utilise un processus réel, mais agit de façon un peu
sommaire, sans tenir compte des résistances qui peuvent en réalité s'op-
poser à l'utilisation de l'information transmise. Il faut noter un élément
nouveau en ce qui concerne l'attitude du chercheur. Celui-ci n'intervient
plus au niveau des structures, mals facilite et provoque l'information du
groupe, d'une façon plus active que dans l'intervention clinique parfaite-
ment non directive.
Ces deux types d'intervention (au niveau des structures et de l'infor-
mation) peuvent être considérés, en ce qui concerne les rapports entre le
chercheur et le groupe, comme des techniquesdistanciées : le chercheur
intervient dans le groupe, par le truchement de l'enquête ou du socio-
drame et facilitantes: dans les deux cas, le chercheur aide le groupe à évo-
luer.
Il faut marquer dès à présent la différence entre la notion lewinienne
de la recherche active et les formes non directives, que nous allons abor-
der maintenant. Il ne s'agit plus ici des notions classiques d'une
recherche et d'une intervention indépendantes, mais d'un acte de
recherche qui s'accomplit dansl'intervention. Celle-ci doit donc être plei-
nement acceptée par le chercheur jouant un rôle non directif, pour que se
révèlent les tendances affectives profondes qui conduisent le groupe.
Comme le dit M. Pagès: « Il s'agit d'une action qui curieusement s'abstient au
niveau de tout ce sur quoi l'on agit habituellement, objectifs, méthodes, normes,
tâches, mais qui se porte explicitement et exclusivement sur ce que le groupe a de
plus profond, c'est-à-dire la signification qu'il attache à ce qu'il fait, le sens que
ses membres donnent au fait d'exister ensemble. Il s'agit aussi d'une intervention
qui se refuse à modifier ce sens, à exercer sur lui une contrainte et qui paradoxale-
ment, de ce fait, exerce sur le groupe la plus puissante des influences 1.»

892 Une stratégie du changement: Michel Crozier ◊ Pour M. Crozier


l'intervention désigne l'action que l'acteur d'une organisation peut déve-
lopper à l'intérieur du système et de la zone de liberté dont il dispose.
Crozier conserve son attitude d'enquêteur. Les informations recueillies et
transmises aux acteurs constitueront la base de la négociation plus ou
moins ouverte, entre le réformateur et les acteurs et introduiront le chan-
gement.
Mals pour Dubost 2 , l'attitude de Crozier demeure celle d'un expert ou
d'un chercheur, moins impliquée que celle de Touraine et des psycho-
sociologues professionnels. Ce que l'on pourrait appeler le premier stade
de l'intervention (apres l'information) : la communication aux intéressés
de la théorie et du diagnostic du sociologue, doit suffire pour que ceux-ci
puisent dans cette connaissance un nouveau pouvoir de changement.
L'allusion à Floyd Mann (cf. n° 891) et au phénomène du feed-back,
1. « Recherche en vue de définir une théorie et une méthodologie du changement» (ronéo).
2. Cf. J. Dubost (1987), p. 171.
836 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

changement que peut provoquer la connaissance de l'information, paraît


l'élément le plus important, comme si Crozier (1977) se désintéressait de
la façon dont l'acteur peut s'approprier ce savoir et ne considérait pas ce
moment de l'intervention comme l'essentiel et sans doute le plus riche 1.
Les Américains ont porté toute leur attention à ce processus de change-
ment des acteurs, alors que Crozier, sans doute encore trop proche de son
orientation première, concentre son effort sur la connaissance de l'orga-
nisation, l'élaboration d'une théorie scientifique et l'analyse concrète de
chaque système.
892-1 L'expérience de Prfsunic: Max Pagès (1959) o Cette recherche a donné
lieu à des réflexions théoriques. Elle était importante par sa durée, le nombre de
problèmes d'organisation, de coordination, que posaient l'expansion du chiffre
d'affaires et la multiplication des magasins; enfin l'ampleur et la variété des tech-
niques utilisées : enquête, recherche psychosociologique, organisation des feed-
backs, des résultats, consultation clinique des groupes et consultations indivi-
duelles. Les organisateurs ont voulu entreprendre une recherche active au sens
plein, c'est-à-dire abordant l'entreprise « comme une totalité dynamique, à la fois
ensemble de groupes humains en interaction les uns avec les autres et avec l'ex-
térieur et ensemble de domaines d'activités et de perception, réagissant eux aussi
les uns sur les autres». Il s'agissait de dépasser l'utilisation pure et simple du feed-
back, de faciliter les communications dans l'entreprise, en réduisant les phéno-
mènes de blocage et de censure. Nous ne pouvons retracer ici les étapes de cette
recherche, mais résumons les réflexions qu'elle a inspirées.
On trouve définie d'abord la caractéristique de la recherche active, le lien entre
la recherche théorique et l'intervention, qui est en même temps expérimentation
scientifique. Il ne s'agit pas de n'importe quelle expérimentation possible, l'ob-
jectif demeure thérapeutique au sens large. A côté de cette orientation lewinienne,
on retrouve l'influence rogérienne, l'absence de toute pression sur les sujets.
Conseil, réconfort, sont naturellement considérés comme des pressions, au
même titre que le seraient la menace ou la contrainte. En fait, on considère
comme suffisamment active en elle-même, la communication au client du dia-
gnostic de son cas, tel qu'il apparaît d'après l'enquête. On l'encourage simple-
ment à exprimer ses propres reactions. Le but de l'action thérapeutique consiste,
suivant la tradition non directive, à faciliter la communication des individus avec
eux-mêmes, à propos des informations qui leur sont transmises. Le critère de la
réussite, c'est la prise de conscience des problèmes qui se posent aux individus et
aux groupes, la façon dont chacun les découvre et découvre la place qu'il tient
dans l'esprit des autres, enfin réagit et s'adapte à cette découverte. Dans ce pro-
cessus, le rôle de l'observateur est essentiel. Il ne consiste jamais à manipuler, ni à
exercer la moindre pression. Pourtant ce n'est pas un rôle passif, car c'est la façon
dont il dirigera l'enquête, l'atmosphère qu'il aura su créer et la manière dont il
facilitera l'information, qui créeront les conditions favorables à une bonne
communication.
892-2 L'intervention au niveau de l'infonnation dans le cadre d'une
enquête non directive: ]. Dubost ◊ 11s'agit encore de technique
distanciée: l'enquête sert de moyen d'intervention, l'information pro-
voque la prise de conscience et la modification d'état d'esprit dans le
1. Crozier n'est pas d'accord sur cette interprétation de son attitude.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 837

groupe, mais l'approche clinique et l'observation non directive dis-


tinguent cette expérience de celle de Floyd Mann. Ce dernier, après avoir
organisé une enquête de type classique et directif, porte à la connaissance
des intéressés les résultats de celle-ci et observe à ce moment-là, de façon
non directive, les effets du« feedback ». L'expérience de Serre-Ponçon ne
comporte pas ces deux étapes distinctes, et constitue un type de recherche
très particulier.
Il s'agissait, au départ, d'une enquête ayant un objectif pratique :
quelles solutions apporter aux difficultés soulevées, dans une vallée
alpine, par la suppression d'un village qu'un lac artificiel devait inonder ?
Un certain nombre de problèmes administratifs, économiques et psycho-
logiques se posaient. La communauté représentant le groupe perturbé, devait-elle
se reconstituer ailleurs, sous quelle forme ? Les individus devaient-ils accepter
telle ou telle indemnité, etc. ? Indemnisation et évacuation étaient les problèmes
majeurs pour l'autorité expropriante. Les conséquences de cette solution globale
se diversifiaient au niveau des individus et pouvaient susciter quantité de réac-
tions différentes.
L'originalité de l'expérience provient de la conception que le psycho-
sociologue eut dès le départ de son rôle. Il ne s'agissait pas d'une équipe
de chercheurs, chargés d'une enquête d'opinion, mais d'un individu
vivant avec sa famille dans la localité elle-même. Sans doute, cet observa-
teur a-t-il bien pour mission d'observer le groupe perturbé, mais il ne fait
pas que cela, il est avant tout un agentde liaisonentre les parties. Son rôle,
comme il l'écrit lui-même 1, consiste à dégagerde nouvellesinfonnations
sur le problème et à favoriserleur drculation.La recherche et l'action sont
continuellement liées dans les différents types d'opérations de l'interven-
tion. Entretiens individuels, réunions, interviews ou discussions de
groupe, voyages d'études de délégués des expropriés dans les régions d'ac-
cueil possibles, sont autant de moyens de mieux comprendre les pro-
blèmes, de mieux connaître les attitudes et de tenter de provoquer une
évolution dans un sens constructif.
L'étude vise ainsi« à élever quantitativement et qualitativement le niveau d'in-
formation des deux parties, pour obtenir une perceptionplus objectivedes uns par
les autres, faciliter la réduction des tensions et la recherche de solutions pratiques,
adaptées aux besoins et aux possibilités...
« Quelle que soit l'ambition de l'administrateur, de l'économiste, du politique,
tout programme, tout plan, passera nécessairement par les canaux d'une action
sur les attitudes, les comportements 2 ».
L'attitude du psychosociologue est essentiellement« compréhensive»,
c'est-à-dire centrée sur la personne. Il ne conseille pas, ne porte pas de
jugement de valeur, ne présente pas ses opinions, ne cherche pas à rassu-
rer, pose peu de questions. Il cherche seulement à refléter les sentiments,
les idées et à éclairer les interlocuteurs sur leurs propres attitudes, ce qu'ils
sont prêts à accepter.
1. J. Dubost (1959), p. 189.
2. Op. dt., p. 191.
838 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

On assiste ici à une forme d'action très subtile et extrêmement effi-


cace. Elle ne se propose en aucune façon de perturber le milieu, de l'in-
fluencer par des pressions ou une propagande, ni même une information
brutale ou globale, issue du milieu, mais de données apportées de l'ex-
térieur, comme dans l'expérience de F. Mann. L'information se situe au
niveau des membres du groupe, individuellement.
Malgré le caractère exceptionnel de l'expérience, on est amené à penser
avec J.Dubost, que dans une recherche visant l'étude de changements ou
d'évolutions dans un groupe, le moindre effort d'investigation, la simple
mise en lumière de multiples aspects, dont tous ne perçoivent pas les
significations de la même manière, prennent nécessairement« le carac-
tère d'une inteivention et l'on est toujours plus ou moins amené à s'ins-
pirer des principes de « l'action research ».
En ce sens, les distinctions habituelles entre types d' obseivations 1
paraissent superficielles et arbitraires, car elles ne tiennent pas suffisam-
ment compte des processus fondamentaux que déclenchent inévitable-
ment toute recherche et surtout toute connaissance de ses résultats.

§ 4. L'intervention clinique
Ce type d'inteivention est caractérisé non plus par le niveau auquel se
situe son action sur le groupe (structure ou information), mais par la
technique employée et la façon de concevoir le rôle du psychologue.
Celui-ci obseive les problèmes de groupe à un niveau de plus grande pro-
fondeur. Cette technique recouvre des inteiventions ayant entre elles une
orientation commune, qui les distingue des autres types. Ellessont cepen-
dant difficiles à classer du fait des éléments complexes qui les inspirent et
de la variété des démarches qu'elles utilisent.

893 1° Les tendances. a) L'analyse institutionnelle: G. Lapassade,


R. Lourau 2 ◊ En thérapeutique
Durkheim définissait la sociologie comme l'étude des institutions.
Hauriou reprenait le terme sous un aspect restrictif plus juridique. En
1952, deux psychiatres français qualifient d'institutionnelle une orienta-
tion de la thérapeutique des psychoses3 • Celle-ci n'était pas entièrement
nouvelle car dès le ~ siècle on se posait la question de savoir si la patho-
logie mentale pouvait être réduite à des déterminismes biologiques ou si
la part des facteurs sociaux n'était pas aussi importante. Cependant la
psychiatrie traditionnelle se montrait réticente devant un mouvement qui
conduisait à la libéralisation des hôpitaux.
A partir de la théorie freudienne, s'organise une psychothérapie insti-
tutionnelle. Elle se révèle immédiatement révolutionnaire dans sa pra-
1. En particulier la distinction entre observation-participation et participation-observation.
2. A quitté le mouvement
3. G. Daumezon et Ph. Koechlin.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 839

tique car elle abandonne la relation duelle, isolée de l'environnement


social, celle du cabinet de l'analyste pour, comme le note J. Dubost « por-
ter la psychanalyse au sein de l'institution». Il ajoute que le terme est uti-
lisé dans deux sens différents : « celui d'établissement spécialisé - organi-
sation sociale spécifique structurée notamment par des lois - et celui plus
vague de cadre général de la vie sociale, de cité, de lieu public, de sec-
teur, etc. 1 ».
Mais à partir du moment où l'on considère non seulement l'individu,
mais l'hôpital qui le prend en charge, on est amené à s'intéresser à tous
les facteurs agissant sur le processus de guérison.
Vouloir traiter l'institution, c'est non seulement utiliser des concepts
analytiques tels que celui de contretransfert, mais également « viser une
problématique politique 2 » : qui détient le pouvoir ? Quel est le rapport
de force ? etc. A partir de là, on peut admettre que toute analyse critique
ne peut se limiter à l'établissement lui-même, mais le replace forcément
dans un contexte social plus large dont il dépend 3 et dont il constitue en
même temps une des expressions, un révélateur, ce que certains appellent
un « analyseur 4 ».
Mais si l'institution implique des liens avec la société qui la sécrète, à
son tour, par son action, elle crée des activités instituantes dans la mesure
où elle provoque une recherche-action auprès des médecins, infirmiers,
malades, mais aussi des familles, etc.
Cette orientation du mouvement institutionnel paraissait claire et
cohérente mais certains (F. Tosquelles, 1966, J.Oury, 1972) se sont éle-
vés contre la confusion entre les notions d'établissement- ou d'organisa-
tion - et d'institution 5 . A partir de là, le langage s'obscurcit, sinon la pen-
sée. On est réduit à des hypothèses sur ce que recouvrent les définitions.
En gros on devine, grâce à des commentaires, que le plus important réside
peut-être moins dans la nature du sujet - le collectif - et dans l'acte créa-
tif, instituant, que dans l'aspect fonctionnel du dynamisme des activités
« d'institutionnalisation » : assurer le fonctionnement des échangeset
créer des systèmes de médiation6 . Finalement on semble se référer aux
notions d'organisation, de production plutôt qu'à « l'analyse de groupe »
et les concepts utilisés ne semblent ni très clairs, ni utilisés par tous avec
la même signification.

1. J. Dubost (1973), p. 10 auquel nous empruntons une part de ces réflexions.


2. Op. dt., p. 11. A noter le rôle joué par C. Castoriadis (1946) sur le plan théorique.
3. Le courant de !'antipsychiatrie privilégie l'aspect de critique globale.
4. Cf. M. Lobrot (1966), R. Lourau (1970, 1972), G. Lapassade (1971). Suivant les auteurs le
terme a des significations différentes.
5. En tout cas, écrit Tosquelles, lorsque j'entends discourir à propos de psychothérapie institu-
tionnelle, comme d'une action ou d'un « projet intra hospitalier, confondant institutions et éta-
blissements de soins, espérant même, et c'est la pire des erreurs, que l'établissement en tant que tel
puisse constituer une action psychothérapeutique quelconque, j'ai envie de hurler et de me tirer les
cheveux de désespoir» (1973), p. 14.
6. J. Dubost (1973), J.M. Vincent (1973).
840 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

En pédagogie
L'école offre des caractéristiques assez semblables à celles de l'hôpital,
aussi n'est-ce pas surprenant que les enseignants se soient rapidement
emparés du terme 1.
Ici aussi les idées, avec les méthodes actives, étaient présentes avant
l'utilisation du terme. Comme dans le cas de l'hôpital, le groupe-classe
devient l'agent essentiel de l'action pédagogique à la place du Maître. La
classe, l'école, apparaissent comme produits de la société.
Cependant a l'intérieur de cette orientation générale, les inter-
prétations diffèrent. Certains s'inspirent à la fois de C. Freinet et de
Freud 2 , alors que d'autres insistent sur l'auto-gestion 3 mais se retrouvent
surtout unis dans une idéologie politique. L'analyse institutionnelle de
G. Lapassade paraît plus inspirée par Mai 1968, la critique sociale et ses
propres besoins de contestation, que par la thérapeutique institutionnelle
dont elle est chronologiquement issue.
1
894 b) L Î}1Spiration lewinienne. Les Training Group Laboratories
aux Etals-Unis ◊ Il s'agit là des expériences des National Training
Laboratories, fondés par les disciples de Lewin. Elles ont lieu à Bethel et
sont connues sous le nom de training group ou T-group.
L'idée initiale du groupe de base est la suivante: la plupart des indivi-
dus sont appelés à vivre et travailler dans des groupes, mais le plus
souvent ne se rendent pas compte de leurs façons d'agir, de la façon dont
les autres les voient, des réactions qu'ils suscitent. La vie représente pour
la plupart des êtres un dialogue de sourds. Il importe donc de faciliter le
dialogue, d'obtenir une meilleure communication. Celle-ci n'est possible
que lorsque les obstacles intérieurs, les défenses que chacun oppose aux
autres sont levés.
Comme l'avait bien vu Lewin, on ne peut modifier des comportements
à partir de conférences demeurant au niveau didactique et rationnel, en
expliquant ce qu'il faut éviter et pourquoi. Ce que cherche le groupe de
base, c'est à faire vivre, sentir, au lieu d'expliquer.
Le T-group à l'état pur (il existe des formes atténuées), consiste à réu-
nir, en général en séminaire résidentiel, parfois à la campagne, des gens
qui ne se connaissent pas et proviennent d'horizons divers, ceci pendant
une dizaine de jours 4.
Les groupes comprennent dix à quinze membres et les réunions occupent envi-
ron une moitié de la journée, l'autre partie étant réservée à d'autres methodes de

1. Au congrès du mouvement Freinet, J. Oury propose en 1958 l'utilisation du terme institution-


nel qui sera repris par Lapassade en 1963 puis par Lobrot dans sa thèse sur l'analyse institutionnelle
(1966).
2. W. R. Bion (1965). Ses expériences sont d'ordre thérapeutique.
3. E. Jaques (1972).
4. Ces méthodes ont été importées en France en 1955 sous les auspices du Commissariat à la
Productivité. On les appelle le plus souvent groupes de diagnostic ou groupes de base ou plus souvent
dynamique de groupe. Leur usage s'est répandu, en particulier pour la formation des cadres indus-
triels et des éducateurs mais aussi dans un but thérapeutique : toxicomanes, alcooliques, déprimés.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 841

formation : conférences, exercices, psychodrames, etc. Chaque groupe possède un


animateur. Son rôle peut être conçu de manières assez différentes, mais de toute
façon, il ne dirige pas le groupe. Il l'observe en silence, se contentant lorsque cela
lui semble utile, d'indiquer la nature des obstacles que rencontre le groupe; c'est
ce que Lewin appelait une fonction d'évaluation.Il est essentiel de noter que le
groupe n'a aucun programme, ne reçoit pas de consigne. Il doit lui-même décider
de ses activités 1.
Il s'agit d'une expérience de déconditionnement social. Les membres
du groupe abandonnent leurs rôles habituels et toute hiérarchie. Ils
vivent dans une atmosphère d'égalité, symbolisée par le seul usage des
prénoms et un tutoiement de rigueur. Aucun comportement n'est stabi-
lisé dans le groupe, du fait de son absence de structure, d'habitudes col-
lectives et surtout de l'absence de but et de programme définis. Dans ce
vide, cette parenthèse, les moindres initiatives, propositions, tentatives
d'action s'amplifient et sont perçues par tous avec un relief particulier.
Tel qui supporte mal l'oisiveté, se montrera dès le départ autoritaire, pro-
posant des activités que tous n'apprécieront pas. Les attitudes des
membres du groupe sont perçues et explicitées par les autres, avec une
franchise de plus en plus grande, parfois très brutale. Des adultes qui
s'entendent rarement jugés et n'ont pas l'occasion de s'entendre dire
l'impression qu'ils produisent, se voient subitement confrontés avec une
réalité parfois traumatisante, car il s'agit de la façon dont les autres les
perçoivent 2.

895 c) L'inspiration psychanalytique ◊ Ajoutant aux techniques améri-


caines une interprétation plus nettement psychanalytique, les Anglais
W. R. Bion (1965) et E. Jaques (19 51) ont particulièrement étudié la psy-
chothérapie de groupe 3 •
La formation médicale et psychanalytique de E. Jaques donne à son
entreprise un caractère de thérapie sociale non technocratique. Comme
Lewin, il pense que les sciences sociales doivent pouvoir aider les organi-
sations à résoudre leurs difficultés. La nouveauté de la démarche se situe
sur deux plans. D'une part il conçoit l'entreprise comme un tout, sans
traiter avec des sous-ensembles: tel service, tel groupe. Mais surtout,
Jaques tente d'adapter les concepts freudiens utilisés dans le tête-à-tête de
la cure, à la situation d'un groupe large (une entreprise londonienne),
agité par de nombreuses relations interpersonnelles. Sans recourir à une
vague notion d'inconscient collectif, Jaques appréhende plus concrète-
ment une « mentalité de groupe», dont il recherche les processus
inconscients. Il découvre, par exemple, que la confusion des rôles, au
niveau de la direction, constitue un mécanisme de défense, pour éviter
l'anxiété provoquée chez les dirigeants, par les contradictions entre les
besoins de leur personnalité et les rôles qu'ils doivent assumer. Passion-
1. Plus habituel aux E.-U. qu'en France.
2. Moins traumatisant aux E.-U. qu'en France.
3. S. Beckett avait commencé à Londres (1934) une cure psychanalytique avec Bion, espérant
améliorer ses troubles psychosomatiques.
842 LESTECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

nante sur le plan de la réflexion, l'expérience ne tient pas assez compte du


cadre de l'entreprise et des conflits sociostructurels que la démarche psy-
chanalytique a tendance à réduire à des conflits sociopsychologiques.A la
différence des groupes de thérapie classiques, dans l'entreprise, les indivi-
dus ne sont pas seuls en cause, mais en interaction avec une hiérarchie,
une structure de communication, des impératifs économiques et tech-
niques, enfin une organisation qui, à la différence de nombreux groupes
de psychothérapie, n'est pas occasionnelle ni artificielle mais permanente
et insérée dans la vie réelle.
En France, D. Anzieu (1975) et son groupe de psychanalystes orga-
nisent des séminaires résidentiels, pour mettre au point des interventions
dans des institutions en crise. Ils transposent la notion d'aire transi-
tionnellede D. W. Winnicott 1 (1971), au groupe représentant une« aire
provisoire » où se constitue un « appareil psychique groupai ».
Anzieu utilise également le psychodrame en groupe large 2 • De nom-
breux psychosociologues: E. Enriquez (1972), A. Levy(1978), M. Pagès3 ,
J.-C. Rouchy (1972) sont également influencés par Freud, mais sans
application précise au champ social dans leurs techniques d'intervention.

896 d) L'inspiration rogérienne en France ◊ Il s'agit là d'un essai de


transposition sur le plan du groupe, des hypothèses et techniques utilisées
par Carl Rogers en psychothérapie individuelle. Hypothèse d'une ten-
dance à la maturation (growth) et à l'intégration de la personnalité de
l'individu, technique qui consiste (on l'a vu à propos de l'interview) à
aider le sujet à prendre conscience de sa perception du monde et de lui-
même.
Peut-on adapter hypothèse et technique de psychothérapie individuelle
à des interventions de groupe ? C'est ce qu'ont tenté de faire les praticiens
français.
L'attitude non directive aide d'abord le sujet à communiquer avec lui-
même, elle facilite un feedback.L'hypothèse de l'existence de tendances
spontanées, de feedbacks régulateurs, est l'hypothèse centrale qui sous-
tend l'attitude non directive. Elle peut se transposer du domaine indivi-
duel ou interpersonnel, au domaine du groupe.

897 2° Réflexions sur les phénomènes de groupes ◊ Ce qui se passe


dans un groupe est extrêmement mystérieux. Qu'est-ce qui fait que, venu
dans un état d'esprit donné, tel participant d'un jury se trouve au bout
d'une heure avoir changé d'avis? Au niveau rationnel, se posent nombre
de problèmes de communication, d'influence, que l'on peut inventorier,
sinon résoudre. Dans la vie des groupes apparaissent également des phé-
nomènes irrationnels. Une intervention psychosociologique doit en tenir
1. Pédiatre, Winnicott (1971) émet l'hypothèse que l'objet transitionnel, le nounours, sert
d'étape à l'enfant pour prendre conscience de son moi, le distinguer de l'autre en commençant par sa
mère.
2. D. Anzieu (1968, 1972, 1975).
3. M. Pagès (1959, 1965, 1968, 1972, 1985).
RECHERCHEACTIVEET INTERVENTIONPSYCHOSOCIOLOGIQUE 843

compte, les expliquer, agir sur eux, donc les connaître. En dehors des
groupes de psychothérapie, la simple réunion de formation pour cadres et
éducateurs, assemblant des gens supposés normaux, même pas spéciale-
ment sensibles ou émotifs, permet assez rapidement de percevoir, au-delà
d'échanges à un niveau banal, la naissance de liens ténus, de sentiments
inconscients. Ces sentiments individuels, liés à l'histoire personnelle de
chacun, vont cependant, par une alchimie mystérieuse, s'organiser en
sentiments de groupe. Quelle est la nature et l'origine de ces sentiments,
leur mode d'évolution, leur influence sur le groupe, leur façon de réagir à
des interventions extérieures ? Ces problèmes ont été perçus par Le Bon,
Freud et plus près de nous S. R. Slavson (1953), H. A. Thelen (1962)
(États-Unis) et W. R. Bion (1965) (Grande-Bretagne) et ont suscité en
France un grand intérêt.
Il est certes difficile de décrire des réunions de groupes et de formuler
des hypothèses sans déformer, grossir, caricaturer les sentiments si
complexes et mobiles qui les animent. On constate que tous les groupes
franchissent les mêmes étapes, éprouvent les mêmes résistances à expri-
mer leur anxiété, retrouvent les mêmes problèmes vis-à-vis du leader et
entre membres du groupe quant aux tâches à entreprendre 1.
Max Pagès, en France, tente des recherches sur ces problèmes. Nous lui
empruntons quelques-unes des observations qui suivent.
898 a) La vie émotionnelle des groupes ◊ L'étude de Bion, bien qu'il
s'en défende, est influencée par la psychanalyse. Le reproche que lui fait à
juste titre M. Pagès, c'est d'opposer émotion et rationalité, sans tenir
compte de la totalité de la vie émotionnelle, enfin d'accorder une part
trop grande au besoin rationnel de progrès des membres du groupe.
I.eprogrès tel que l'imaginent et l'éprouvent certains participants (les cadres de
l'industrie en particulier ...) ne correspond jamais à ce qu'ils trouvent. Les activités
rationnelles du groupe fonctionnent le plus souvent comme des résistances et des
échappatoires. Pagès considère que le moteur de la vie du groupe ( sans que les
membres en soient conscients, du moins au début) c'est« l'expérience de ce lien
positif, dont l'éclaircissement, le renforcement, constituent un but permanent
pour le groupe et pour chacun de ses membres».
Dès le de'but de la vie d'un groupe, s'établit entre ses membres un lien
de solidarité non perçu, mais qui explique le dynamisme, l'orientation
des activités du groupe, cherchant à préciser ce lien. En même temps naît
un sentiment d'anxiété,dont les composantes sont multiples: anxiété
d'être jugé, influencé, manipulé. Surtout apparaît l'anxiété la plus pro-
fonde ( celle qui, dans les groupes de base, s'exprime en dernier, mais sans
doute le plus clairement) : l'anxiété d'être abandonné, qui se confond à
un niveau plus profond, avec la crainte de la mort et la peur de la vie.
Il ne faut certes rien exagérer. Toute fin de vacances implique pour les
groupes d'adolescents l'anxiété de la séparation. Il est cependant remar-
quable qu'un groupe artificiel où les participants adultes ne se sont pas
1. Cf. les réactions au colloque de Sannois, P. Arbousse-Bastide(1959).
844 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

choisis et vivent peu de temps ensemble, permette une constatation du


même ordre. I.e groupe de discussion met en quelque sorte les problèmes
« sous cloche». Il les mûrit plus vite et amplifie les réactions. L'observa-
teur entraîné les perçoit ainsi plus facilement que dans la vie où jouent de
multiples facteurs extérieurs.
Il semble que chaque participant, dans cette expérience de communi-
cation qui ne peut réussir, ressente plus douloureusement sa solitude. Le
plus extraordinaire, c'est qu'au moment où ils ont pris pleinement
conscience de l'irréductibilité de leurs différences, de leur impossibilité de
communiquer d'une manière totalement satisfaisante, du caractère
contingent de leurs liens ... c'est à ce moment que les membres du groupe
font l'expérience d'un lien qui survit à toutes ces expériences négatives et
les englobe sans les nier. I.e paradoxe et l'ambivalence paraissent sans
aucun doute caractéristiques des phénomènes de groupe. Ambivalencedu
groupe qui éprouve, recherche, une solidarité qu'il redoute, se tourne vers
un leader traduisant d'une façon fidèle la position émotionnelle du
groupe, c'est-à-dire aussi bien ses anxiétés que ses résistances à l'anxiété.
Ambiguïtéégalement, dans la relation entre cette anxiété, éprouvée dans
les rapports entre membres du groupe et celle qu'ils ressentent face à des
figures d'autorité: le leader du groupe, mais surtout l'observateur.

899 b) Le rôle de l'observateur ◊ Dans le T-group et le groupe de base


classique, l'observateur intervient fort peu. D'après Lewin, il aide simple-
ment parfois le groupe à comprendre ce qui se passe (fonction d'évalua-
tion). On était jusqu'ici habitué à envisager la conduite dans les groupes
comme dépendant d'un animateur, d'un leader. La dynamique de
groupes fait découvrir quelque chose de beaucoup plus important: l'effi-
cacité d'une intervention ... non interventionniste, pourrait-on dire, que
l'on appelle, pour éviter ce paradoxe, non directive.

900 c) Mises en garde ◊ Un fait est certain: les réunions de groupe


recèlent un surprenant potentiel émotif. La réflexion et surtout l'expé-
rience imposent quelques remarques et mises en garde.
1° En ce qui concernel'observateur.- L'observateur même apparemment et
volontairement non directif, peut être entraîné plus ou moins consciemment par
les phénomènes affectifs du groupe. Le non-directivisme risque alors de consti-
tuer la forme la plus subtile et la plus dangereuse parce que dissimulée, de mani-
pulation. Certains membres de groupes ont parfois été gênés par la « boulimie
affective» que recouvrait l'aspect« américain tranquille» de psychothérapeutes
soit-disant non directifs.
2° En cequi concerne legroupe.- Le sens critique et le bon sens semblent étouf-
fés sous les impulsions que le groupe libère chez certains. On imagine assez bien
d'après les témoignages manifestés en fin de sessions ou de réunions, le processus
de naissance des sectes et les besoins auxquels ils correspondent.
3° Il faut enfin distinguer la recherchedans laquelle la vérité des hypo-
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 84 5

thèses est en cause et l'utilisation qui exige beaucoup de prudence. En


matière de groupes les deux étant liés il convient d'être toujours cir-
conspect.

§ 5. L'intervention par la formation


901 Formation et thérapie ◊ Il est deux domaines dans lesquels la
recherche et l'application ont été surtout utilisées : le plan thérapeutique
et celui de la formation. Il est difficile de les séparer, car toute formation
profonde exerce une action de thérapie et toute thérapie constitue une
formation. La thérapie de groupe, en tant que technique, n'offre pas de
particularités, mais ses objectifs, le type d'observation et de réflexion
qu'elle suggère, lui sont propres. On laissera de côté l'aspect médical,
pour insister sur l'aspect thérapie au sens social, celui qu'entend Max
Pagès, lorsqu'il parle d'une sociothérapie.
902 Formation et intervention. 1 ° L'aspect technique. a) Taylo-
risme et T.W.I. ◊ Cette méthode visait la rééducation accélérée des
travailleurs, embauchés dans les industries travaillant pour la défense
nationale. Ce fut le Training within Industry (T.W.I.).
Dérivant du taylorisme, il comporte non seulement une rationalisation des
gestes et étapes de travail, mais aussi une façon de penser, de résoudre les pro-
blèmes, de commander. Les mementos, assez primaires, imprimés sur de petits
cartons, tiraient parti, en les simplifiant au niveau de recettes de bon sens, des
découvertes récentes sur l'information, la communication, etc.
Ces méthodes ont été utilisées avec succès depuis 1950 en Grande-Bretagne et
en France, en particulier pour la formation des contremaîtres.
La guerre exige un rendement accru. La paix revenue, les Américains
reprennent les conclusions de Mayo (cf. n° 167) et convaincus de l'im-
portance des facteurs psychologiques, ont fait appel aux psychologues
sociaux pour animer le mouvement en faveur de l'amélioration des rela-
tions humaines dans les entreprises.
Notre époque de division du travail éprouve un constant besoin de
regroupement et de synthèse : travail d'équipe, réunions, commissions, se
multiplient. Or on apprend aux techniciens, fonctionnaires, etc., beau-
coup de choses, mais pas à «collaborer», comme s'il s'agissait là d'un
processus spontané. Quantité de questions se posent alors: comment
travailler en groupe sans perdre trop de temps? Comment sommes-nous
avec les autres ? Savons-nous écouter, commander ? Inspirons-nous
confiance ? A l'heure actuelle, il ne suffit plus d'un avantage hiérarchique
pour se faire obéir. Il faut convaincre, stimuler, animer, faire participer.
En France, ce sont des ingénieurs, des polytechniciens et des énarques
qui, le plus souvent, occupent des postes de direction. Leur formation ne
les a pas spécialement préparés à comprendre les problèmes humains. De
nombreux responsables, éducateurs, etc., connaissent l'aspect théorique
de certains problèmes, mais ils ignorent la façon dont eux-mêmes se
comportent et agissent, souvent en contradiction avec ce qu'ils affirment.
846 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

Les sessions de formation portent sur les problèmes de sécurité, de


commandement, mais aussi de communication et de compréhension.
Problèmes importants quel que soit le régime, partout où les hommes tra-
vaillent ensemble: une escadrille d'aviation, une usine de machine-outils
ou un hôpital.
Deux écueils étaient à éviter: d'une part que les entrepreneurs s'ima-
ginent pouvoir compenser par des gestes peu coûteux (vestiaires plus
propres, attitude moins distante) des salaires insuffisants ou l'absence de
conventions collectives1,d'autre part, que les syndicats considèrent des
améliorations non négligeables comme un « nouvel opium » pour le
peuple ou à rejeter parce que susceptibles de casser l'agressivité ouvrière.
Les relations humaines ne méritaient pas les craintes ni les espoirs
qu'elles suscitaient. Après une période de grande faveur, aux États-Unis
comme en France, on doit revenir à des vues plus raisonnables. Les agents
de maîtrise et les cadres pouvaient bénéficier de conseils ponctuels (atti-
tudes à éviter, façon de donner un ordre) mais ils ne pouvaient en une
session de huit jours changer leurs comportements. Pratiquer de véri-
tables relations humaines implique d'abord une prise de conscience de
soi-même, de la façon dont on se comporte avec les autres et comment
ils vous perçoivent Pour atteindre ce niveau plus profond de la personna-
lité, les Américains ont proposé dans le cadre de la formation, d'utiliser
les expériences sur les groupes (cf. n°5 834 et s.).
903 b) La conduite des réunions ◊ Un des secteurs aujourd'hui rationa-
lisé, est celui de la classification des types de réunions. G. Palmade
(1959) distingue trois types de fonctions que peuvent remplir les réu-
nions : une fonction communication,comme c'est souvent le cas dans les
entreprises où il s'agit d'échanges d'informations, de coopération ou d'af-
frontement entre responsables de divers services ; une fonction traitement
de l'information, qui correspond à l'étude de problèmes en commun,
enfin une fonction conduite,c'est-à-dire que la façon dont les membres du
groupe seront dirigés aura des effets sur la manière dont ils travailleront
ensemble, prendront des décisions, etc. Cette notion de conduite est
entendue dans un sens large, elle comporte à la fois la conduite au sens
strict et la caractérisation.
L'analyse de ces fonctions permet de comprendre comment les réu-
nions sont utiles à la vie de l'entreprise et de classer les divers types que
l'on rencontre le plus souvent Palmade distingue encore:
1° Les réunionsde commandement.
Il s'agit :
soit de transmissiond'ordre,soit d'infonnationdu conducteur du groupe vers les
participants (cf. 1) ;
soit de sondagesdans lesquels l'information va des participants au conducteur
( cf. 2).
Dans ces trois cas c'est le conducteur qui décide.

1. L'attitude vis-à-vis des syndicats peut être retenue comme critère des intentions patronales.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 84 7

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I 2
2° Les réunionsd stratégie.
Le conducteur possède une solution du problème, mais il ne veut pas la révéler
et cherche à amener le groupe à la découvrir et l'adopter. Dans ce cas, il n'y a pas
de but commun entre le groupe qui cherche et le conducteur qui sait où il veut en
venir.

3° Les réunionsde discussion(cf. 3).


C'est dans ce groupe que se discute et se prend la décision. On peut distinguer :
La discussionde groupecentréesur le problème: le conducteur
de groupe donne la méthode de travail, mais laisse le groupe
aux prises avec la recherche de la solution du problème.
La discussion de groupe centréesur le groupe: elle est en
général considérée comme non directive, car c'est le groupe
lui-même qui choisit son plan de travail.
Il existe encore un type mixte : discussion centrée sur la
relationentre legroupeet le problème.Dans ce cas l'animateur
3 aide le groupe sur le plan de la méthode, mais n'intervient
pas au niveau du problème à résoudre.
Enfin la discussionde groupenon dirigée,sans conducteur,dans laquelle l'anima-
teur s'abstient totalement, ne joue même pas le rôle non directif qui est le sien
dans la discussion centrée sur le groupe.
Les réunions de discussion, telles qu'elles se présentent dans la réalité, en
dehors de la psychothérapie, ont surtout pour but de mettre ensemble des gens
qui ont à résoudre des problèmes et à prendre des décisions.
On retrouve dans la réunion-discussion trois types de fonction indi-
qués par Palmade :
une fonction de production,qui correspond au fait que le groupe a des
problèmes à résoudre ;
une fonction de « fadlitation » spontanée chez certains participants et
visant à aider la prise de décision, donc la production ;
une fonction de conduite«ou régulation».Il s'agit d'induire le groupe à
adopter des conduites qui permettront de résoudre les problèmes. Elle
concerne le moral du groupe.

904 c) La discussion de groupe ◊ Il s'agit ici d'un domaine en constante


évolution, car chaque chercheur est influencé par les résultats de ses
propres expériences.
1° Dans l'entreprisela dynamique de groupe (cf. n° 894) est une
méthode de formation limitée, mais utile. Elle offre en effet à des adultes
848 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

figés dans des rôles, une occasion unique de prendre conscience de la


façon dont les autres les voient.
Pour l'ingénieur, le patron, habitués à commander, il s'agit là d'une
prise de conscience qui s'accompagne le plus souvent d'anxiété. Peu d'in-
dividus supportent facilement cette absence de structure, ce vide où s'ins-
crit seul le jugement des autres. Pour éviter ces effets traumatisants et
surtout accélérer le processus, vraiment long, de ce genre d'expériences,
on adopte en France à l'heure actuelle, dans les stages de formation, une
formule plus souple de groupe semi-structuré. Ce groupe, au départ, dis-
cute un sujet, le plus souvent un cas proposé par l'observateur. Parfois on
scinde le groupe en participants et observateurs, chargés de rendre
compte de ce qui se passe. Les uns et les autres confrontent ensuite leurs
impressions. Alors que la méthode des cas, telle qu'elle est pratiquée à
Harvard, demeure à un niveau purement intellectuel, la discussion de
groupe conserve de son origine, le T group, son objectif d'observation du
groupe par lui-même. Le travail se fait en quelque sorte sur deux plans,
celui du thème dont on discute et celui du groupe en train de délibérer.
En dehors de toutes les formules plus ou moins« cadrées» de discussion,
on utilise également pour la formation des animateurs et des formateurs
aussi bien que pour la prise de conscience par le groupe de ses problèmes :
l'enquête. Soit effectuée par le consultant avec la participation du groupe
enquêté qui en suit toutes les phrases, soit suivant une formule récente,
dans laquelle certains membres du groupe deviennent eux-mêmes enquê-
teurs de leurs collègues1.
Certaines sessions, plus courtes, comportent plusieurs journées réunissant des
cadres d'entreprise (S.N.C.F.; E.D.F.), appelés à travailler ensemble ou intéressés
par des problèmes communs (sécurité). Tout en poursuivant le même but, de
prise de conscience de soi-même en face des autres, on cherche moins la mise à
nu, plus ou moins brutale, des défenses psychologiques des participants, qu'une
sensibilisation aux problèmes de groupe. L'A.R.I.P.(Association pour la recherche
et l'intervention psychosociologique) a d'ailleurs choisi ce terme de « sensibilisa-
tion » pour nommer certaines de ces séances de travail 2 .
Utilisée de façon beaucoup plus souple et variée, la discussion de
groupe devient un moyen, non de manipuler les autres, mais de
comprendre ce qui se passe quand ils sont ensemble, les divers types d'in-
cidents qui peuvent se produire et d'y faire face..Depuis la simple recette
de bon sens, jusqu'à la compréhension profonde, tous les niveaux sont
accessibles par la méthode qui s'adapte, comme l'interview, à l'objectif
poursuivi et comme l'interview, dépend en grande partie de celui qui
l'utilise.
905 2° Dans l'enseignement ◊ Les expériences d'intervention psycho-
sociologique et les notions qui en découlent sont en contradiction avec
notre enseignement traditionnel. Peut-on adapter celles-ci à celui-là?
1. On manque de recul et d'expérience pour comparer les résultats: quantité et qualité des infor-
mations obtenues suivant les formules employées.
2. Après des périodes de tension, l' A.R.I.P. se dissout, une nouvelle association est en voie de
création.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 849

Sans doute, les méthodes actives mènent-elles depuis longtemps un dur


combat contre un enseignement passif et trop abstrait. Mais le malaise,
accru par des difficultés matérielles, augmente et le problème des
méthodes d'enseignement est à l'ordre du jour des réflexions des profes-
seurs, élèves et étudiants, tous insatisfaits.
Le maître, préparé par des concours et une cooptation, à perpétuer une
conception purement directive de son rôle, est-il adapté aux tâches modernes ? La
finalité de l'éducation vise la transmission d'un savoir qui se modifie sans cesse,
mais aussi un épanouissement de la personnalité, une possibilité d'apprendre à
apprendre. Dans ce cas ne faut-il pas réviser les méthodes et en particulier ce rap-
port maître-élève ? En dehors des classes trop nombreuses, cette transformation
implique un bouleversement non seulement dans les programmes, la conception
des examens, mais encore dans la formation des maîtres. Ceci non sur le plan des
connaissances, mais sur celui beaucoup plus fondamental des attitudes.
Outre la résistance au changement, le plus grand obstacle à cette nou-
velle relation maître-élève c'est le risque qu'elle implique pour le maître:
abandonner la protection dont il a l'habitude dans son rôle traditionnel.
Or, la notion d'autorité a perdu dans la vie sociale une grande part de son
pouvoir.
L'acceptation d'autrui est inséparable d'une attitude ouverte et non
défensive, vis-à-vis de soi. Une des premières conditions de véritable réus-
site, pour un professeur, c'est qu'il se connaisse non pas seulement sur le
plan professionnel, mais qu'il ait conscience de son attitude réelle vis-à-
vis de lui-même, de ses élèves et de ce qu'il attend de ses rapports avec
eux 1.
906 Dangers d'une utilisation abusive de l'intervention psycho-
sociologique. a) Maladresse. Abus. Influence excessive de la
psychothérapie ◊ Il existe 2 , en dehors des risques de manipulation,des
risques d'utilisation inopportune,maladroiteou exagérée. Certaines expé-
riences peuvent en effet être traumatisantes parce que conduites sans la
prudence nécessaire.
Ces méthodes et en particulier le « rogérisme », proviennent de la psy-
chothérapie.Il ne faudrait pas les appliquer directement sans adaptation
aux problèmes de formation et surtout d'enseignement.
Les résultats des recherches sur les groupes devraient être présentés sous une
forme stimulante mais raisonnable. Surévaluer, par exemple, l'importance d'une
peur inconsciente du professeur, que l'élève en sache autant que lui, c'est oublier
que ce même professeur se heurte constamment à une réalité beaucoup plus évi-
dente: le fait que l'élève... ne sait rien.
906-1 b) Méconnaissance des structures ◊ Dans l'entreprise.- Le peu
d'efficacité des programmes de Relationshumaines dans les entreprises,
s'explique en partie parce que l'on n'a pas tenu suffisamment compte du
contexte économique et social dans lequel ils se situaient. Par-delà les
1. Cf. n° 900.
2. Cf. n° 765.
850 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

relations interpersonnelles, existent des rapports de fait et de force : hié-


rarchie, système économique, etc.
Un chef d'atelier non directif ne remplacera jamais une bonne conven-
tion collective et ne rendra pas plus supportable des cadences de travail
excessives. Le danger n'est pas, comme l'avaient craint les syndicalistes,
de « casser l'agressivité ouvrière». Elle est entretenue par le système
économique. Le danger, c'est l'alibi que crée l'appel aux bons sentiments.
Certains cadres en particulier, risquent de bonne foi, de trouver dans ces
techniques une justification, évitant de mettre en cause le système écono-
mique et social.
◊ Dans l'enseignement.- On retrouve en pédagogie le même problème
que dans l'entreprise. On ne peut méconnaître les structures générales de
l'enseignement, ses contraintes, ni les conditions objectives dans les-
quelles on enseigne: programmes, examens, nombre d'élèves, manque de
locaux et de moyens matériels. Les textes de Rogers, pour intéressants
qu'ils soient, ne paraissent pas adaptés à de grands effectifs, ni à tous les
objectifs. Ils sont en particulier inapplicables à un enseignement compor-
tant l'exercice de la mémoire, l'acquisition de connaissances. Un maître
non directif aura peut-être des élèves plus ouverts intellectuellement, pas
forcément des élèves obtenant de meilleurs résultats aux examens.
Ici encore il ne suffit pas de changer l'attitude des maîtres, si l'on ne
modifie pas également le système scolaire et l'opinion, c'est-à-dire la hié-
rarchie des valeurs de la société.
907 c) Méconnaissance des problèmes collectifs. Extrapolation du
groupe à la collectivité ◊ Un autre danger guette les praticiens et
théoriciens: transposer aux groupements plus larges les processus obser-
vés dans les petits groupes.
Les chercheurs ont tenté d'éclaircir les phénomènes affectifs plus ou
moins irrationnels et inconscients, que l'on devine ou suppose dans le
groupe : crainte de la séparation, besoin de solidarité. Ils ont espéré
découvrir ainsi des réactions fondamentales, qui se retrouveraient au
niveau collectif. Sans doute tout ce qui est humain comporte-t-il un
fonds commun : besoin de sécurité, de compréhension. En admettant
qu'il existe des éléments semblables dans les petits et les grands groupes,
ils se manifesteront de façon très différente. Si dans une réunion à propos
d'une décision de grève, on peut observer certaines interactions indivi-
duelles et certaines prises de conscience de groupe, elles mettent en cause
des mécanismes psychologiques très différents des réactions collectives
qui suscitent une grève ou une émeute étendue au niveau national. Dans
les collectivités, des facteurs complexes : économiques, historiques, idéo-
logiques, modifient considérablement l'influence et l'expression des sym-
boles de l'inconscient collectif.
Cette mise en garde sur le double plan pédagogique et scientifique per-
met d'insister, sur l'efficacité de la discussion de groupe au point de vue
de la formation, au sens le plus large. A chaque expérience de ce genre
organisée pour des étudiants, cadres d'entreprises, etc., on éprouve au
départ la même impression de lenteur, un peu exaspérante, mais chaque
RECHERCHEACTIVEET INTERVENTIONPSYCHOSOCIOLOGIQUE 8 51

fois, on s'aperçoit également du caractère extrêmement enrichissant de


l'expérience et de son utilité pour les participants, qu'elle sensibilise aux
problèmes des autres, en même temps qu'elle les éclaire sur leurs propres
comportements.

§ 6. Un nouveau besoin : l'affectivité


908 Une nouvelle orientation dans les groupes ◊ La découverte fonda-
mentale de l'action dans et par le groupe n'a pas épuisé les expériences
possibles ni les orientations de recherche. Les tendances récentes conçues
au départ pour compléter ou remplacer des thérapies individuelles
atteignent un grand nombre de ceux que les psychiatres nomment des
« névrosés normaux » : presque tous les habitants des grandes villes !
Ces groupes dits « de rencontre » présentent des caractéristiques
communes qui les distinguent des formes conventionnelles mais chacun
présente des aspects particuliers.
Si, suivant l'expression de H. M. Ruitenbeeck (1969), on assiste à une
« épidémie de rencontres thérapeutiques», on peut supposer que les pre-
miers touchés sont les plus vulnérables. Mais lorsque ces rencontres se
multiplient non seulement dans les hôpitaux, cliniques, mais aussi dans
les Universités, les instituts, etc., on est amené à s'interroger sur les
causes d'une vulnérabilité si répandue, faite de sentiments d'isolement,
d'anomie, qui envahissent non les classes moyennes ou supérieures en
tant que telles, mais avant tout les classes instruites 1.
Sans doute les besoins d'affection, de confiance, de compréhension, de
communauté, d'expression émotionnelle sont-ils propres à tous les
hommes. Chaque époque a tenté de les satisfaire, mais il semble que
notre société urbaine et industrielle soit plus qu'une autre frustrante.
Les Américains 2 n'éprouvent pas le même besoin de réserve que les
Européens en ce qui concerne leur vie privée, mais en revanche le confor-
misme et le puritanisme les ont marqués et inhibés sur le plan des mani-
festations extérieures, d'où l'insistance des groupes sur les bienfaits de
l'expression corporelle.
Le succès des nouveaux groupes de rencontre provient à la fois de l'in-
capacité de la société à satisfaire les besoins psychiques des individus et de
l'échec des psychothérapies individuelles. L'orientation nouvelle va donc
prendre le contre-pied des thérapies de groupe et des thérapies indivi-
duelles traditionnelles. Toutes deux, en effet, utilisaient des eléments
empruntés à la psychanalyse : dynamique du transfert et du contre-
transfert, non-engagement de l'animateur, technique de non-inter-
vention et d'écoute. Tout ceci est totalement modifié. Non que les trans-
ferts n'existent plus, mais l'utilisation de ces phénomènes ne donne plus
lieu aux mêmes manipulations. En effet, l'application souvent très rigide
1. La religion, le réarmement moral et les nombreuses sectes aux États-Unis répondent à ce
besoin.
2. Sur la mentalité américaine, cf. H. M. Ruitenbeeck (1970), p. 42.
852 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

des concepts freudiens et surtout le rapport personnel distant ne corres-


pondent plus aux besoins de contacts réciproques, libres, chaleureux de
nos contemporains. Il ne s'agit plus seulement d'une modification du
cadre de référence, mais de sa suppression. Cette absence de structure
correspond à une aspiration à la liberté qui explique les constantes inno-
vations techniques à l'intérieur des groupes 1 .
Dans le groupe traditionnel, l'élément historique est essentiel.L'expli-
cation des troubles de l'individu se trouve dans son passé, d'où l'impor-
tance des questions « pourquoi ? » et « où ? ». Au contraire dans les
groupes de rencontre, l'orientation est non historique. Le passé importe
peu, seule compte l'expérience ici et maintenant. Cet élément commun à
tous les groupes récents et mis particulièrement en avant dans les groupes
marathon et ceux d'Esalen 2 .
Liée à la notion du maintenant nous trouvons celle du ressenti.Alors
que la psychanalyse constitue entre autres, un traitement par la parole,
les groupes marathon mais surtout ceux d'Esalen et les bic-énergétiques,
insistent sur la nécessité d'utiliser pour communiquer, l'expression cor-
porelle non verbale, laquelle implique naturellement d'abord, la possibi-
lité de sentir. Ce que résume l'impératif de F. S. Perls (1972) « oubliez
votre esprit au profit de vos sensations».
Enfin la différence qui paraît fondamentale, c'est la nécessité du rac-
courci.Alors que la psychothérapie individuelle et la thérapie de groupe
durent, à raison de quelques heures par mois, plusieurs années, la dyna-
mique de groupe non thérapeutique 10 à 15 jours, les groupes de ren-
contre eux se distinguent par leur rapidité (2 jours). L'expérience pour
être efficace doit donc être brutale. Aucun des intéressés n'a le temps de
réfléchir, ni ce qui est plus inquiétant, le thérapeute. S'il existe un élé-
ment parfois traumatisant, en revanche, l'approbation du groupe paraît
plus encourageante que l'écoute passive du thérapeute, dans la relation
individuelle.
Chaque membre du groupe est menacé et tente donc d'aider les autres.
L'acceptation de la confrontation serait liée à un besoin d'approbation
dans lequel certains voient le prolongement de la société permissive qui
est la nôtre. Interprétation assez surprenante et contradictoire, le succès
des groupes étant en partie attribué à l'aspiration à la liberté, née du
besoin de compenser notre société répressive ou du moins contraignante.
Ce temps limité ne permet pas aux membres du groupe de faire
connaissance, de subir progressivement des influences, bref de « mijo-
ter ». Comme le note G. R. Bach ( 19 66) : « En cela le marathon peut être
comparé à un autocuiseur : la vapeur factice s'échappe et les émotions
vraies (y compris celles qui sont négatives) apparaissent »
L'impératif du temps implique également que soit favorisé « l'acting
out 3 ». Celui-ci se produit d'autant plus facilement que si l'individu est
traité dans le groupe, il l'est aussi individuellement c'est-à-dire chaque
1. In H. M. Ruitenbeeck (1973), p. 58.
2. Esalen est le nom d'une tribu indienne qui vivait autrefois sur la côte californienne.
3. Cf. lexique, p. 1077.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 853

personne est à son tour mise sur la sellette et encouragée à manifester ce


qu'elle éprouve.

908-1 Les différents groupes. a) Les groupes marathon ◊ Le marathon


a complètement modifié la conception de la thérapie de groupe en rac-
courcissant sa durée 1.
« On connaît encore mal, écrit H. M. Ruitenbeeck (1970) son fonde-
ment, son histoire et ses méthodes. » On peut en tout cas citer quelques
noms parmi ceux qui le pratiquaient avec le plus de sérieux : G. R. Bach
(1972), E. Mintz (1966), et F. Stoller (1968).
L'inadéquation des mots à exprimer certains sentiments complexes,
ont incité à chercher dans l'expression corporelle non verbale, un moyen
d'atteindre ces phénomènes non exprimables.
E. Alexander (1972) pense trouver dans la thérapie de jeu, un proces-
sus identique à celui du marathon.
[ ...]«Dans la thérapie de jeu, les enfants vivent dans le monde immé-
diat de l'expérience. Ils expriment dans « l'ici et maintenant» ce qu'ils
sentent réellement 2 . » On retrouve dans cette dernière expression: le
caractère a-historique du groupe. Seule compte dans le marathon l'expé-
rience id et maintenantet rien d'autre.
E. Mintz (1972) soulève le problème des contacts physiques auxquels
sont incités les participants du groupe. Ce contact n'est « ni une gratifi-
cation sexuelle directe, ni une évasion, mais plutôt une expérience émo-
tionnelle corrective, réellement thérapeutique. Dans notre société étran-
gère à l'émotion, il est assez facile de trouver des contacts sexuels, même
s'ils n'ont pas de signification, mais notre tradition est fortement oppo-
sée au contact physique entre adultes pour exprimer l'affection, la sympa-
thie, le soutien ou même simplement la camaraderie humaine 3 ».
Lesexercices non verbaux se traduisent par des manifestations telles que l'exer-
cice du rock and roll. Une jeune femme, sujet de l'exercice a de graves problèmes
personnels. Le groupe pour la réconforter forme un cercle autour duquel elle va
tourner. Chacun la prend dans ses bras et l'embrasse. Cet exercice est d'après Rui-
tenbeeck extrêmement émouvant et inévitablement des membres du groupe se
mettent à pleurer. D'autres exercices sont prévus pour créer la confiance, aider le
travail d'expression de la tendresse, de l'estime, de la peur et pour supprimer la
peur ou le dégoût du sexe4.
La rencontre dans le marathon se déroule suivant quatre phases :
a) réactions aux expressions individuelles i b) communication de ces réactions
dans un « feed back» ; c) qui à son tour provoque des contre-réactions de ceux
qui se sont exprimés ; d) puis des autres membres du groupe.

1. Le marathon commence en général le samedi à midi, dure de 12 à 14 h, le jour suivant il


reprend à 10 h du matin et dure jusqu'au soir.
2. In J. C. Rouchy (1972).
3. In op. dt.
4. J. Durand-Dassier (1973).
854 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

908-2 b) La gestalt 1-thérapie ◊ La gestalt-thérapie inventée et pratiquée


par F. S. Perls (1969), est une des thérapies de groupe qui a connu le plus
de succès2. Elle se caractérise par l'importance accordée au« ressenti» et
à la continuité de la prise de conscience pour qu'apparaisse l'élément per-
turbateur sans qu'il soit intellectualisé par la parole, comme c'est souvent
le cas dans la thérapie individuelle.
L'inspiration gestaltiste se retrouve dans deux éléments. D'une part,
« la notion que le tout déterminelesparties,notion qui est en contradic-
tion avec l'hypothèse antérieure selon laquelle le tout n'était que la
somme totale de ses éléments[ ...]». D'autre part l'intérêt pour ce qui est
exprimé ici et maintenant, même sous une apparence superficielle. [ ...]
Nous ne bêchons pas dans les régions dont nous ne savons rien, dans ce
qu'on appelle l'inconscient. Je ne crois pas aux régressions. Toute la théo-
rie des régressions est une fantaisie.
Le moyen le plus efficace d'interpréter le matériel du passé de la per-
sonnalité, c'est de l'introduire aussitôt que possible, dans le présent. Dans
les groupes on s'efforce de ne pas dire « c'est terrifiant, cela fait peur »,
mais« je suis terrifiée, j'ai peur». Un des lieux qui connut le plus grand
succès est celui d'Esalen. Les particularités d'Esalen sont d'abord qu'il
existe un institut ne visant pas en principe le profit 3 mais cherchant à
« découvrir les moyens d'améliorer le potentiel humain». Ensuite l'Insti-
tut n'a pas pour objectif d'adapter les gens à leur environnement social
mais au contraire s'intéresse aux personnalités rigides qui se contrôlent
trop bien et doivent être assouplies, détendues, pour accroître leurs possi-
bilités de maturation. Les animateurs les plus connus ont été F. S. Perls
(1966), B. Gunther (1968) et W. Schutz (1967). On peut résumer la
position du groupe d'Esalen par cette affirmation de Perls : « Les deux
pieds sur lesquels repose la gestalt-thérapie sont le maintenantet le com-
ment (...) Le maintenantcouvre tout ce qui existe. Le passé n'est plus, le
futur n'est pas encore. [ ...] Le commentcouvre tout ce qui est structure,
comportement, tout ce qui se passe actuellement, le processus en action.
Tout le reste est superflu - calculer, appréhender, etc. 4 »
Actuellement la mode semble détourner de ce type de rencontre en
faveur de pratiques d'inspiration orientale visant davantage l'accès à la
sérénité par la voie spirituelle.
909 c) Les groupes bioénergétiques ◊ La technique psychanalytique
impose une deîense proche du tabou: le patient et l'analyste ne doivent
pas se toucher. L'éducation anglo-saxonne exclut les manifestations de
tendresse, enfin la rupture de la famille traditionnelle, le travail de la
1. Cf. n° 185-1).
2. En France sous des formes diverseset plus ou moins sérieuses,elle connaît égalementdu suc-
cès. Le profit n'est pas exclu des buts de certains de ses promoteurs. Cf. le Nouvel Observateur,
9.5.1992.
3. L'Institut fonctionne en séminairesde week-endde 75 participants, en ateliersde 5 jours pour
environ 35 personnes enfin 22 résidents font un apprentissagede 9 mois. Je ne connais pas les tarifs
actuels: ceux appliquésen 1985 n'avaient rien de philantropique.
4. P. S. Perls (1969), p. 42.
RECHERCHEACTIVEET INTERVENTIONPSYCHOSOCIOLOGIQUE 8 55

femme hors du foyer, la fatigue de la vie moderne semblent agir dans le


même sens dans les pays industrialisés. « Le fait que la simple introduc-
tion du contact physique signifie presque une révolution dans les mœurs,
me paraît être une triste illustration de la condition de la personne alié-
née et solitaire dans notre monde d'aujourd'hui» écrit H. M. Ruiten-
beeck 1.
Les groupes bioénergétiques sont issus des réflexions de W. Reich
( 1967). Ils utilisent le contact physique pour détendre les individus et
développer chez eux la spontanéité.
Après Reich, A. Lowen insiste sur la relation entre le corps et l'esprit :
Ce qui se passe dans nos esprits est essentiellement un reflet de ce qui se
passe dans nos corps 2 • » C'est ainsi que la tension musculaire apparaît
comme un facteur essentiel dans les troubles émotionnels car les senti-
ments s'expriment à travers les mouvements et le spasme musculaire les
bloque.
Les bioénergétistes se distinguent des autres groupes par l'utilisation
qu'ils font du contact physique. Le corps est engagé dans le processus
d'analyse. Lesparticipants sont en maillot pour permettre l'interprétation
des mouvements. Ceux-ci sont utilisés ainsi que la respiration, pour faci-
liter la détente musculaire et l'expression des sentiments, enfin le contact
physique entre participants mais surtout entre les patients et le théra-
peute constitue un conflit dont la solution est très importante.
Pour justifier la levée du tabou de la psychanalyse, A. Burton écrit:« Il
est paradoxal que le médecin qui doit avoir une formation fondamentale
en biologie, abandonne le corps lorsqu'il devient psychiatre ou tout au
moins ne sait pas ce qu'il doit soigner d'abord, lorsqu'il reçoit son pre-
mier patient 3 • »
D'autres groupes suppriment un important tabou social: celui de la
nudité. Pour A. Lowen : « la nudité est le grand niveleur des distinctions
sociales4 » ... Habitué à se considérer tel que l'on est physiquement, on
pourra peut-être se débarrasser d'autres défenses. La nudité favorisant le
contact du corps entier avec l'air paraît thérapeutique en elle-même. Il
semble que loin d'aboutir à des excitations sexuelles, la nudité amène au
contraire une sensualité diffuse et moins localisée.
Dans les groupes de drogués : Synanon et Daytop, le thérapeute est pratique-
ment évacué au profit du camarade qui a connu les mêmes expériences. Il s'agit
de groupes d'entraide qui ne s'appuient sur aucune théorie particulière. Freud, le
Christ sont utilisés, mais surtout la franchise et le soutien du groupe constituent
les points d'appui des participants. A l'opposé du marathon au point de vue de la
durée ils sont plus proches d'une vie de communauté.
On peut encore citer les groupes centrés sur un thème tels que la libération de
la créativité, la formation de la capacité émotionnelle, groupes utilisés par Ruth
Cohn.

1. L. M. Ruitenbeeck (1973), p. 113.


2. In op. dt. p. 119.
3. Op. dt.
4. Op. dt.
856 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

909-1 Bilan des groupes de rencontre ◊ Si ces orientations récentes ont


pour origineles besoins des participants, elles paraissent au moins autant
correspondre aux désirs de certains thérapeutes .. La non-participation ne
convenait pas à un certain nombre d'entre eux, avides de projeter leurs
phantasmes, de manipuler ou de susciter l'intérêt et l'affection du
groupe.
On imagine les dangers que courent dans ce cas des participants fra-
giles, comme on peut prévoir le profit que tirent de cette mode, des orga-
nismes plus ou moins scrupuleux.
Il est actuellement impossible de dresser un bilan même approximatif
de l'ensemble. On ne peut que rassembler quelques appréciations portées
par les auteurs peu nombreux qui ont résumé leur expérience.
Les groupes de rencontre peuvent compléter une thérapie individuelle.
Ils offrent l'avantage d'atteindre ceux qui ne pourraient pas ou ne vou-
draient pas se lancer dans une cure longue, mais ont besoin d'un appren-
tissage dans leurs relations avec les autres.
Le plus important paraît être que les individus éprouvant des difficultés
dans leurs situations familiales, professionnelles ou autres ne sont plus
traités dans un rapport individuel par le thérapeute, ni collectivement
dans une thérapie de groupe traditionnelle, mais individuellement dansle
groupe. Celui-ci devient une microsociété dans laquelle l'individu peut à
la fois éprouver ses difficultés habituelles, attirance, crainte, difficultés
d'expression, et non pas les expliquer mais les manifester. En les affron-
tant grâce à l'aide des autres, qui l'approuvent et l'encouragent, il est sup-
posé se débarrasser des phobies, tabous, conflits qui le paralysent
Comme l'écrit M. M. Châtel:« Les groupes de rencontre offrentla possi-
bilité exceptionnelle pour les individus de se donner pour un temps l'illu-
sion de violer les interdits sans entrer en conflit direct avec la société 1.»
Enfin l'importance accordée aux techniques non verbales, en parti-
culier à Esalen, privilégie l'expression au détriment de la rationalisation
desséchante de notre époque de technocrates. Elle soulage ceux qui dans
« la foule solitaire » supportent mal ce monde de tours de béton et d'or-
dinateurs.
On ne saurait reprocher aux groupes certaines pratiques déraison-
nables puisqu'ils ont pour but de lutter contre l'abus de rationalité ! Le
plus dangereux paraît l'impossibilité de tracer une frontière entre les
techniques, jeux, etc., susceptibles de constituer un contrepoids utile, et
les dérapages, par exemple, l'absence de différence entre tabou et raffine-
ment La négation de l'intimité du couple, pourrait à la limite aboutir à
des « partouzes thérapeutiques 2 ». R. Ruitenbeeck a raison de reprocher à
ces groupes non d'insister sur l'expression corporelle, si utile, mais de la
renforcer de tendances anti-intellectuelles: L'insight ne doit pas être
séparé du savoir et ceux qui ne dépendent que des émotions finiront par
se trouver dans de graves difficultés 3 • »
1. M. M. Chatel (1972), p. 181.
2. C'est déjà le cas parfois.
3. H. M. Ruitenbeeck (1970).
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 857

Ces séances risquent de traiter des êtres vulnérables sans leur procurer
un équilibre véritable, mais d'accentuer par des séances gratifiantes, la
partie la plus refoulée mais aussi la plus instable d'eux-mêmes.
Une critique essentielle et plus générale c'est qu'une expérience aussi
brève que celle d'un marathon ou d'un week-end à Esalen ne peut suffire
à modifier le comportement d'un individu. Dans la meilleure des hypo-
thèses, c'est-à-dire, en cas de réussite, le groupe n'est qu'une bouffée
d'oxygène. Elle peut aider les participants à mieux saisir leurs problèmes
mais sans leur donner les moyens de les résoudre. Les participants
trouvent dans l'action, l'illusion de pouvoir satisfaire leurs désirs à l'abri
de toute répression. Ils risquent fort de se leurrer sur leurs capacités
propres et d'être d'autant plus déçus. La fête terminée, chacun se retrouve
isolé dans un monde qui lui, n'a pas changé et n'est pas devenu plus cha-
leureux.
Enfin une dernière critique, c' eJt celle que l'on adresse à toutes les
sciences sociales appliquées, aux Etats-Unis. Certains estiment que les
groupes de rencontre semblent mieux répondre aux problèmes qui se
posent, que d'autres formes de thérapies, parce ~u'ils sont« en liaison
directe avec la crise de l'individu dans la société ». Mais celle-ci n'est
jamais remise en cause. On traite les individus, leurs symptômes, leurs
problèmes personnels, à partir de leurs idiosyncrasies, mais sans chercher
les raisons extérieures de leur angoisse, ce qui la provoque : éducation,
mode de vie, tabous, etc. On s'occupe des individus seulement sur le
mode de ce qu'ils éprouvent, surtout dans leurs relations inter-
personnelles, en ignorant totalement l'aspect sociologique de ce monde
qu'ils doivent affronter.

§ 7. Un impératif : l'efficacité
909-2 Une nouvelle mode : la gestion des ressources humaines ◊ Passé
l'enthousiasme excessif inspiré par les « relations humaines », l'on
constate dans les entreprises un engouement pour des méthodes regrou-
pant les techniques classiques de gestion sous le titre fourre-tout de« ges-
tion des ressources humaines ».
Le terme de gestion en français a une signification précise et limitée
d'administration de biens, d'affaires. Sous l'influence sans doute de
l'américain management,il a pris un sens plus large et ambigu, qualifiant
toute intervention, toute stratégie visant à obtenir un objectif précis avec
un maximum d'efficacité. C'est ainsi que l'on parle de gérer son divorce,
sa carrière, etc.
Leterme de ressourcesau figuré dans le langage courant, correspond de
façon imprécise à des capacités individuelles. L'expression: « il est plein
de ressources» s'applique au sujet capable de se débrouiller dans de nom-
breuses situations même imprévues. La juxtaposition des deux termes :
gestion sous son acception élargie, et ressources humaines au sens cou-
1. M. M. Chatel (1972), p. 182.
858 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

rant et vague, paraît très regrettable. En effet, on gère une entreprise, on


exploite des ressources minières. Proclame-t-on maintenant sans hypo-
crisie que l'entreprise, pour atteindre un rendement maximum, doit
exploiter les individus ? Plus grave, alors que Taylor ne s'intéressait qu'aux
gestes, les ressources humaines visent la personnalité tout entière. L'idée
de gérer celle-ci, avec ce que cela suggère de manipulation et d'exploita-
tion, est évidemment inacceptable. A l'influence américaine s'ajoute ici le
modèle japonais : le travailleur doit exister pour et par la firme.
Les relations humaines visaient certes à augmenter le rendement mais
des motivations moins matérialistes les inspiraient aussi. L'orientation
préconisée: dialogue, prise en compte de l'autre, information, participa-
tion, enfin remise en question des modes du commandement et de l'atti-
tude de la hiérarchie par des sessions de dynamique de groupe, représen-
taient un réel progrès.
Les directeurs de personnel devenus aujourd'hui directeurs de gestion
des ressources humaines (D.G.R.H.) n'écartent pas a priori les solutions
données à certains de leurs problèmes, mais ces problèmes sont loin de
leur paraître prioritaires. Ils continuent à accorder dans une attitude qua-
lifiée de «prudente» 1 leur attention aux questions économiques clas-
siques: salaires, productivité, horaires, gestion quantitative de l'emploi,
formation technique. Les termes même de leur nouvelle qualification
proclament aujourd'hui avec une surprenante maladresse et un
inconscient cynisme le but de leur mission, l'exploitation des ressources
humaines pour atteindre l'objectif: le maximum de profit.
Une redoutable contagion américaine et un goût excessif pour les
changements d'étiquette privilégiant les termes économiques ont fait
perdre aux journalistes, aux chefs d'entreprise, mais aussi, ce qui est plus
grave, aux administrations publiques et même aux universitaires 2 , le sens
de la langue française et ses risques de perversion.
Les syndicats ont réagi 3 puis abandonné ce combat perdu et sans grand
intérêt Pour eux, la réalité des rapports de force demeure inchangée. Il ne
s'agit que de langage. Sans doute ... mais n'est-il pas révélateur d'un état
d'esprit?
910 Le management a) les consultants ◊ Comme un malade prêt
pour guérir à recourir à tous les moyens suscite la multiplication de
médecines parallèles, les Français, pour sortir de la crise, résorber le chô-
mage, sont prêts à essayer les remèdes miracles, d'où une prolifération de
propositions pour répondre à cette attente.
Dans un ouvrage réaliste sinon cynique, l'auteur démontrait le méca-
nisme du système de rapports créés entre le dirigeant et le consultant.
L'objectif du dirigeant: « obtenir un plus grand zèle au travail sans aug-
menter la rémunération, éliminer une génération de salariés vieillissants
sans altérer la confiance des jeunes dans l'avenir, empêcher toute activité
1. Cf. A Lebaube, La prudence européenne des directeurs du personnel, LeMonde,29 juin 1989.
2. Certains DESS s'intitulent : gestion des ressources humaines.
3. De nombreux tracts ont circulé dans quelques entreprises. (E.d.F.)
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 859

syndicale efficace, en respectant à la lettre les prtncipes de notre Consti-


tution ( ...). Il leur faut mêler l'épicerie et le snobisme et inventer un" art
distingué " de gérer la main-d' œuvre. C'est ainsi que le rude dégraissage
devient un processus " de reconversion " ( ...) Les consultants appa-
raissent tour à tour comme des conseillers du prince, des exécuteurs de
basses œuvres, des poules de luxe chargées de la distraction intellectuelle
des états-majors ou comme des agents de renseignement, des médiateurs
de conflit. Bref, comme des missionnaires chargés de diffuser un dogme
d'entreprise» 1.A défaut pour les dirigeants d'entreprise d'être capables
de juger par eux-mêmes ce qui leur est offert, c'est la marque plus ou
moins prestigieuse du cabinet auquel il est fait appel, qui dictera leur
choix.
Ayant à son actif des diplômes : sociologie, psychologie, mieux encore,
un stage aux États-Unis, ou une expérience dans quelque firme connue,
le consultant a pour objectif de vendre ses servicesle plus cher possible et
de satisfaire les besoins de son client, c'est-à-dire lui indiquer les moyens
de mieux résoudre ses problèmes. Ceci implique qu'il tienne compte des
résistances du milieu: travailleurs, concurrents, etc. On voit ici la dif-
férence entre le travail du psychologue social, à la fois plus engagé et plus
indépendant, nécessitant objectivité et participation sur le terrain, et l'at-
titude du consultant moderne travaillant au niveau hiérarchique supé-
rieur et de ce fait, finalement coupé de la réalité : les travailleurs dans le
cas d'une industrie, le public-cible s'il s'agit de promotion des ventes.
Au-delà de la mode, certains éléments: expérience, connaissances
sociologiqueset psychologiqueset surtout le fait d'être extérieur à la firme
peuvent rendre l'avis du consultant utile à des dirigeants, dont on sait
qu'ils ont peu de temps et peut-être peu d'aptitudes pour le type de
réflexion qu'exigerait cette part de leur rôle. Une étude d'ensemble sur
l'efficacité des consultants par rapport à leur coût, serait intéressante
mais difficile à effectuer.
910-1 b) Dérapages: gourous et shamans ◊ « La différence dans la
compétition ne se fera pas par la technologie mais par les hommes et
leurs motivations» reconnaissait José Bidegain, alors directeur général
adjoint de Saint-Gobain, tandis que Élizabeth Dodinet, directrice des res-
sources humaines chez Schweppes déclarait à la fois que « le temps que
l'on perd en réunions on le gagne en action» ... et que« l'affectivité dans
une entreprise, c'est hyper important» 2 • Jusque-là, on semble simple-
ment redécouvrir le rôle du facteur humain et de la communication à
l'origine du mouvement pour les relations humaines de 19 50 (cf. n°
902). Les choses ont-elles si peu changé? On observe une évolution de la
conception de l'entreprise et des rapports hiérarchiques, mais des cas
spectaculaires3, ou les exemples moins voyants de nombreuses PME,
1. Le Monde,6 octobre 1989, p. 31.
2. Patrick Bonazza. Ces boîtes qui ont des idées: et les autres. NouvelObservateur,
28.12.1988,
n° 1259, p. 51-53 et 9.5.1992.
3. La grève chez Peugeot à l'automne 1989.
860 LES TECHNIQUES D'ÉTUDES DE COLLECTMTÉS ET DE GROUPES

sans parler du secteur public, laissent penser qu'il reste beaucoup de pro-
grès à faire.
Au-delà du langage, qui marque une différence superficielleentre 1950
et 1990, on note un point plus important: le public visé. Alors qu'en
1950, le 1WI (cf. n° 902) s'adressait à une population étendue: contre-
maîtres, chefs de service, délégués, la tendance actuelle se limite d'après
les experts, au domaine le plus riche en ressources humaines : l'encadre-
ment 1. Ce qu'il importe de «cibler», disent-ils, ce sont les cadres. Il
s'agit d'abord de détecter les individus possédant le maximum de possibi-
lités, d'où la multiplication de recettes de sélection proposées. A côté de
tests de personnalité, la graphologie est déjà utilisée depuis de nom-
breuses années, l'astrologie, plus récemment, enfin, la numérologie jouit
d'une certaine faveur. On peut y ajouter d'autres moyens plus personnels
et inattendus, tarots, etc.
La sélection accomplie, les techniques d'exploitation des ressources
vont se multiplier pour motiver, dynamiser, «positiver» (pauvre langue
française!) ces« élus». Il s'agit de les inciter à aller jusqu'au bout d'eux-
mêmes. L'objectif n'est plus d'adapter, d'équilibrer, de réconforter des
individus anxieux, frustrés (cf. les groupes marathon n° 908 bis) mais
s'adressant à des responsables, sûrs d'eux, ayant à prendre des décisions
importantes, de leur faire connaître leurs limites pour les dépasser grâce à
des expériences contrôlées, de les armer contre la peur ou le doute de soi.
Cet objectif est supposé devoir être atteint, grâce à des exercices tels que
sauts en parachute ou du haut d'un pont (benji). Ces épreuves sont
toutes d'ordre physique et suscitent la peur et l'apprentissage des moyens
de la surmonter 2 .
Alors que la dynamique de groupe avait pour but de faire prendre
conscience à chacun de son comportement avec les autres, et s'adressait à
des individus pris en groupe, mais en dehors de leur contexte profession-
nel, les expériences actuelles s'adressent à des groupes existant dans la
firme. Ils partagent la même épreuve pour mieux se connaître et ensuite
travailler plus efficacement ensemble. L'objectif est directement la pro-
ductivité de la firme, grâce au meilleur rendement d'individus adaptés
aux buts de l'entreprise. S'ajoutent à ces épreuves de « haut risque»,
toute la gamme des exercices de relaxation, dépaysement, d'expériences
de survie, de voyages, etc. Ce que les gourous doués d'imagination
peuvent inventer n'a d'égal que la stupéfiante crédulité des demandeurs.
Jusqu'ici, la pratique du sport paraissait efficace pour compenser une
vie trop rationnelle, trop tendue, et permettait d'échapper à l'ambiance
de l'entreprise ... ce que l'on veut aujourd'hui au contraire éviter. De plus,
alors que les nouvelles expériences ne sont généralement pas renouve-
lables, le sport représente un contrepoids (ou contrepoison) continu et
certainement beaucoup moins coûteux. On croit rêver devant le prix de

1. De nombreux cadres sont opposés à ces pressions et à cette orientation.


2. E. Johnson et J. Varandemel: « Chamanes d'entreprises», Actuel, février 1989, n° 116,
p. 115.
RECHERCHE ACTIVE ET INTERVENTION PSYCHOSOCIOLOGIQUE 861

revient de ces stages. Ce qui limite évidemment leur multiplication en


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CONCLUSION

« Il semble que l'on ne puisse rien dire de plus que:


soyez heureux J »
L. Wittgenstein,
Carnets.

911 D'après le sociologue Merten, c'est une vue utopique de croire que dans
une société, toutes les valeurs peuvent être en même temps maximales.
C'est au sociologue à montrer aux hommes le prix qu'ils paient leurs
convictions, leurs pratiques, leurs désirs et leurs choix.
Jean Rostand faisait remarquer qu'à côté de ceux qui aiment les mathé-
matiques ou les lettres, existent aussi ceux qui aiment la vie, le réel.
« Ce que les sciences naturelles ont de plus extraordinaire, c'est que ce sont les
seules qui enseignent la complexité des choses. Toutes les autres sciences
recherchent des constantes, veulent simplifier, pas la biologie... Les biologistes
sont des gens qui connaissent la complexité de la nature, qui savent qu'il est dan-
gereux de toucher à son équilibre. Supprimer une forêt, cela paraît simple à l'ingé-
nieur, mais cela représente des dangers insoupçonnés, car la nature se venge... Le
biologiste connaît aussi l'importance de l'impondérable: l'organisme, pour fonc-
tionner, a besoin de" traces II de métaux, de manganèse, cobalt et d'autres infini-
ment petits. Le biologiste sait que tout est lié, qu'on ne peut toucher à rien sans
toucher à tout 1.»

Ces notations, si justes, comment ne pas les transposer de la biologie à


l'homme en société. Supprimer l'air pur, augmenter le bruit, accélérer le
rythme du travail et de la vie, entasser les gens dans les grands ensembles,
n'est-ce pas l'équivalent de supprimer la forêt?
On commence seulement à s'en apercevoir !
« La première leçon des sciences sociales, écrit C.W. Mills, consiste à
aider l'individu à se situer dans le contexte de son époque.» En effet, les
sciences sociales sont, peut-être plus que les autres, révélatrices de l'état
d'esprit d'une génération. Comme la philosophie, l'art et la littérature,
elles sont directement influencées par le progrès des techniques et tra-
duisent les réactions des hommes à ces modifications de leur mode de
vie.
La caractéristique, à l'heure actuelle, de toutes les sciences sociales,
c'est une vision dynamique, qui se retrouve en sociologie comme en
économie, en science politique, en psychologie sociale, etc. Une analyse
de contenu du vocabulaire nous donnerait une indication de cette ten-
dance, par l'utilisation fréquente des mots : «interaction», «situation»,
«processus», «dynamique», «opératoire». Il ne s'agit plus seulement
de l'étude statique de l'homme et des institutions mais surtout de l'étude
1. Inte!VÎewpublié dans !'Express(1963).
872 CONCLUSION

de l'homme agissant, et des changements sociaux. D'où l'importance de


tous les moyens par lesquels les hommes communiquent entre eux,
(notions d'information, de communication)et des processus par lesquels
ils s'expriment (étude des mass media et des réactions de l'opinion
publique). La notion de fonction remplace celle de cause génétique et per-
met une explication utilitariste de certains mécanismes psychologiques et
sociaux (mythes, idéologies,opinions, attitudes). La notion de rôle, aspect
dynamique du statut social, permet d'apprécier l'équilibre personnel de
l'individu, l'intégration de sa personne dans la société.
Au milieu de ces changements incessants, en liaison les uns avec les
autres, les sciences sociales sont également à la recherche d'un dénomi-
nateur commun et découvrent la notion de structure, dont chaque
science s'efforce de déceler les lignes stables qui conditionnent et
ordonnent l'ensemble, tandis que la notion de totalité essaie de tenir
compte du mouvement dialectique. Paradoxalement, les faiblesses même
de la dialectique, son incapacité à nous fournir l'explication dernière,
pourront sauver les sciences sociales de ce qui représente pour elles un
danger bien plus grave que l'incertitude: l'esprit de système. Les progrès
accomplis, tout le savoir acquis, seraient compromis, si les sciences
sociales se fermaient sur des interprétations définitives, des modèles
pseudo-scientifiques, un code ultime de décryptage du réel, qui tôt ou
tard aboutiraient à des tautologies 1,ou recréeraient les idéologies qu'elles
ont pour but d'analyser.
Plus la crise est profonde, plus grande est la tentation de se raccrocher
à des vérités considérées à tort comme définitives. Souvenons-nous de
l'évolution des sciences naturelles, cette longue « suite d'erreurs recti-
fiées». C'est pourquoi dans les sciences sociales, c'est la notion de problé-
matique qui paraît aujourd'hui essentielle 2 . Problématique ouverte,
capable de fournir des hypothèses théoriques à plus ou moins long terme,
et de proposer des interprétations souples des mutations en cours.
Sur le plan des techniques,l'enseignement des méthodes ne vise pas à
former des techniciens des sondages ou des mesures d'attitudes, en équi-
librant une spécialisation historique, juridique ou géographique par une
autre spécialisation. Les techniques ne sont qu'un moyen. Le plus impor-
tant dans ce cours, n'est pas la somme de connaissances qu'il permet
d'acquérir, mais la réflexion qu'il suscite.
Sartre a pu écrire:« L'enfer, c'est les autres», parce qu'ils sont à la fois
cause de nos plus grandes joies et aussi de la plupart de nos difficultés.
Mais nous sommes les autres et ces difficultés viennent de nous.
On apprend aux hommes beaucoup de choses, mais ce qui leur serait
le plus utile: comment travailler, collaborer, vivre ensemble, est laissé au
hasard, comme s'il s'agissait d'une connaissance spontanée. Or, il y a un
« art de vivre» qui ne provient pas d'une morale d'interdictions et d'obli-

1. Cf., le risque, souvent évoqué, de retrouver dans les techniques ce que l'on y a mis.
2. Malheureusement le mot est à la mode et utilisé en dehors de sa définition.
CONCLUSION 873

gations, mais de l'intelligence de notre condition humaine et de la prise


en considération de nos besoins de liberté, de justice et de fraternité.
Les sciences sociales, comparables aux sciences naturelles par les tech-
niques qu'elles utilisent et la rigueur de l'attitude intellectuelle qu'elles
exigent, sont également proches de la philosophie, par les valeurs qu'elles
mettent en cause. C'est à un véritable humanisme qu'elles engagent, non
verbal ou intellectuel, mais réel et vécu.
Sans doute y a-t-il quelque risque à essayer de comprendre les autres,
sans garantie de réciprocité. Les sciences sociales ne sont pas une école de
sécurité ou de certitude. Lesvérités y sont relatives, les totalités en marche
ne se rattrapent jamais, le partiel seul est atteint, la dialectique se renvoie
les contraires et la problématique ne nous affirme rien. C'est le règne de
l'ambiguïté, ce n'est pas celui de la facilité. Mais à notre époque, le pari de
Pascal ne vise plus Dieu, mais l'homme. Nous sommes embarqués sur
cette planète, il faut y croire.
ANNEXES

1. ~L~MENTS DE STATISTIQUE1
911-1 La statistique est liée à chaque étape de la recherche. Elle est à la fois
dépendante de l'objectif poursuivi : c'est un moyen ; mais en même
temps, elle pèse sur les décisions puisqu'elle permet ou non d'atteindre tel
ou tel but. Nous l'avons vu, le choix de la technique est lié au choix de la
population.
La statistique ne devrait donc pas être séparée du contexte de la
recherche, ce n'est pas un système de règles à part. Cependant, si nous
avons renvoyé en annexe quelques notions essentielles, c'est parce que
dans l'état actuel des programmes et de la formation des professeurs et
étudiants, il est préférable d'avoir recours à un spécialiste 2 pour enseigner
les rudiments nécessaires, donner au moins une idée des problèmes qui
se posent et du genre de services que la statistique peut rendre aux
sciences sociales. Comme le disait M. Richardson à propos de l'algèbre,
les étudiants doivent se rendre compte qu'il s'agit d'un langage logique et
non d'une branche de la magie noire.
La statistique, conçue comme science, présente deux aspects différents
et d'ailleurs complémentaires: description et mise en ordre matériel des
observations quantifiées pour traduire les faits d'une manière claire et
condensée; traitement théorique de ces données afin d'en tirer les déduc-
tions logiques associées aux observations. On ne peut aborder la
deuxième phase qu'à partir de résultats déjà classés et présentés de
manière utilisable. Une présentation même claire des résultats d'observa-
tion ne donnera en effet qu'une idée grossière et souvent gênante des
incidences causales, si elle n'a pas été effectuée en fonction des utilisa-
tions possibles.

1. Aux ouvragesdéjà cités, on peut ajouter :


(C.) - Introductionà lastatistiqueen sdmas
ARAGON(Y.),TRINQUJER-Ai.coUFF sociales,Privat, 1979, 256 p.
DAVAL (R.) et GUil.llAUD (G. T.). -La méthodestatistique,Paris, P.U.F.,1951, 104 p.
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maticalprogramming, Columbia research Center, U.S.A.,1962, 112 p.
WYATT (W. W. BRIDGES (G. M.). - Statisticsfor the behavioral
sdences,HIAmBosroN,1967, 389 p.
2. Nous remercions R. Redon, chargé de Travaux pratiques à la Faculté de Droit et des Sciences
Économiquesde Lyond'avoir bien voulu rappeler ici qudques notions élémentairesde statistique.
876 ANNEXES

§ 1. Étude descriptive des données statistiques

911-2 La notion de population. Échantillons ◊ Le terme de « popula-


tion» désigne un ensemble dont les éléments sont choisis parce qu'ils
possèdent tous une même propriété et qu'ils sont de même nature. Il peut
s'agir d'un ensemble de personnes classées suivant un critère donné (eth-
nique, social, national, etc.), comme d'un ensemble d'objets: « popula-
tion» de plantes, d'animaux, de pièces de fabrication, d'étoiles, etc. Par
analogie, chacun des constituants d'une population sera appelé un indi-
vidu. Le nombre total des individus est appelé l'effectif de la population.
Une partie de cet ensemble sera appelé échantillon ou lot. En général c'est
sur cette partie que pourront se faire les observations et les mesures, sur-
tout dans le cas où l'effectif de la population est élevé.
Le problème se posera ensuite de savoir à quelles conditions et dans
quelle mesure des résultats établis sur un échantillon peuvent être consi-
dérés comme valables pour toute la population.
912 Groupement des données. Distribution de fréquences ◊ On
rangera les données d'observations par catégories,par valeurs, par prove-
nance, par ressemblance ou assimilation, etc., en fonction des caractéris-
tiques de cette population qui sont l'objet de l'étude du statisticien. Pour
chaque catégorie on obtiendra un nombre appelé fréquence,c'est le
nombre d'observations entrant dans cette catégorie.
On étudiera la distributionde fréquences: c'est la liste des catégories et
de la fréquence de chacune d'elles.
Les données étant quantifiées, nous dirons que l'étude portera sur une
variable qui prendra, suivant les cas, diverses valeurs, ces valeurs pourront
d'ailleurs permettre le rangement en catégories. Certaines de ces variables
seront considérées comme pouvant prendre n'importe quelle valeur
située dans un intervalle ; ce sont les variables continues : âge de cessa-
tion d'activité, coût réel d'un produit, quotient intellectuel d'élèves, etc.
D'autres au contraire ne progressent que par bonds ; ce sont les
variables discrètes: nombre de mariages dans une ville, nombre d'enfants
dans les familles d'un village, nombre de refusés au permis de conduire,
etc.
Très souvent les variables considérées comme continues seront en fait
traitées comme variables discrètes. Elles sont toujours enregistrées par
quantités finies: nombre d'hectolitres de vin produits dans une région,
milliers de kilowatt-heure consommés dans une période. Si nous
connaissions les valeurs exactes, la présentation des données nécessiterait
un si grand nombre de catégories, que les statistiques deviendraient illi-
sibles, bien que ce nombre soit nécessairement un nombre fini. On est
obligé de grouper les diverses mesures en classes, pour lesquelles les
valeurs de la variable sont comprises dans certains intervalles.
La détermination de ces classes sera le premier travail du statisticien.
Leur choix modifiera fortement l'allure descriptive des données.
ANNEXES 877

913 Représentation graphique des distributions de fré-


quences ◊ Une distribution cfefréquences peut être représentée par un
tableau. Mais il est alors difficile de saisir rapidement les particularités de
la distribution étudiée, ou de mettre en évidence ses différences ou ses
similitudes avec certains types connus.
On utilise alors une représentation graphique à deux dimensions (par-
fois à trois dimensions s'il y a deux variables) qui revêt le plus souvent
l'une ou l'autre des formes suivantes.
Diagrammeen points- diagrammeen bdtons (variables ou mesures dis-
crètes)

(/)
Q,
0
C:
CU
::,
CT
• Cl>
L..
u..
0 ____ __.__...__.___._
___ .___.,_......,
__
Variables
Pour chaque valeur de la variable, on porte sur la verticale, à partir de
l'axe des abscisses, un segment ayant une longueur proportionnelle à la
fréquence observée. Si l'on ne représente que l'extrémité de ce segment
on a un diagramme en points, si tout le segment subsiste on a un dia-
gramme en bâtons.

Polygonedesfréquences.

La ligne brisée joignant les extrémités du diagramme de points sera le


polygone des fréquences. Ce genre de représentation est commode, mais
à l'inconvénient de laisser supposer qu'une fréquence pourrait être attri-
buée pour des valeurs de la variable intermédiaires à celles ayant effective-
ment servi aux observations.
On utilise le plus souvent la présentation suivante :
878 ANNEXES

Histogramme.
Les données sont groupées en classes. On marque sur l'axe des abs-
cisses les limites des classes, on construit le rectangle ayant pour largeur
l'intervalle de la classe considérée et pour hauteur la fréquence corres-
pondante.

U)
a,
u
C
(tJ
:::,
0-
..a,
L.
LL

Classes
Remarque: les largeurs des rectangles (les intervalles de classe) ne sont
pas nécessairement égales entre elles.
Pour une même distribution de fréquences, la forme de l'histogramme
variera suivant la largeur des classes. D'une façon générale le diagramme
amortira les variations de la distribution d'autant plus que ces classes
auront un intervalle important
Si les classes sont trop fines, toutes les irrégularités locales de la distri-
bution apparaîtront, mais il sera plus facile de saisir l'allure générale et
globale du phénomène.
Il sera donc courant de tracer, pour un même phénomène, plusieurs
histogrammes, correspondant à des répartitions en classes différentes.
L'étude complète en sera facilitée.
Remarque: Lorsque la variable étudiée n'est pas un nombre, mais une
qualité (couleur, catégorie socio-professionnelle, etc.) l'ordre dans lequel
on écrira les classes sur l'axe «variable» du diagramme est arbitraire.

Courbesdefréquences.
Dans le cas d'une variable considérée comme continue, si l'on pouvait
multiplier à l'infini le nombre des observations faites, on pourrait
connaître, pour toute valeur de la variable, la fréquence considérée. Les
points du diagramme de points ne seraient plus séparés, mais constitue-
raient une courbe continue, que l'on pourrait d'ailleurs considérer
comme la limite du polygone de fréquences.
ANNEXES 879

Ceci n'est bien entendu qu'une abstraction, car nous savons bien
qu'une telle observation sera toujours impossible. Mais notre but est de
trouver le modèle mathématique qui nous permettra de décrire au mieux
l'allure du phénomène, or les modèles mathématiques que nous connais-
sons le mieux se traduisent par des tracés continus. Nous pourrons donc
espérer, par exemple en resserrant à l'extrême les intervalles d'observa-
tion, obtenir un polygone de fréquences très voisin de cette courbe idéale
continue, que nous appellerons courbede fréquences.

Variable
Puis nous essayerons de trouver dans le matériel mathématique dont
nous disposons une courbe dont l'équation soit aussi voisine que possible
de la courbe de fréquences.
Les mathématiques nous permettront de déterminer à quelles condi-
tions et dans quelle mesure on peut considérer comme valable ce rem-
placement de la courbe de fréquences par la courbe théorique.
Ce travail de description mathématique de la distribution de fré-
quences porte le nom d'ajustementdes distributions.
Les principaux types de courbe de fréquences seront :

~
1
1
1

Courbe •en cloche•


_}f\_

1
1

f
Courbe •en cloche•

l_j Courbe •en J •
symétriqi.e disymétrique

u Courbe •en u• Courbe •en s•.


880 ANNEXES

914 Paramètres caractéristiques d'une distribution de fré-


quences ◊ Les représentations graphiques étudiées permettent de saisir
rapidement l'allure d'une distribution de fréquences par comparaison
avec des types connus. Mais l'étude ainsi faite demeure qualitative, car
l'ajustement précis est une opération longue, délicate et suivant la nature
des données, hasardeuse.
On cherchera donc à repérer les caractéristiques de la distribution par
des nombres calculables directement à partir des données et non à partir
de la courbe de fréquences. Ces nombres seront appelés paramètres de la
distribution. Nous les rangerons en deux catégories : 1° les paramètres
typiques ; 2° les paramètres de dispersion.
a) Les paramètrestypiques.- 1° Le mode. - Le mode est la valeur de la
variable pour laquel1ëla fréquence est maximum : c'est donc l'abscisse du
point le plus haut de la courbe de fréquence, c'est la valeur la plus pro-
bable de la variable.
Si la distribution est connue par ses répartitions en classes on ne
peut plus parler de
mode, mais de
classe modale, qui
sera la classe de fré-
quence maximum.
Remarque: Une
courbe de fré-
quences peut avoir
plusieurs modes.
2° La moyenne arithmétique. - La moyenne arithmétique de n
nombres est le quotient par n de la somme de ces n nombres. Si les don-
nées ont été réparties en p classes, dont les points médiants ont !our
valeur X1, Xi... Xp, ayant respectivement pour fréquences fi, fi, ... p, le
n?mbre total d'observations sera fi+ fi+ ...fr,, la ~om~~ des valeurs o ser-
vees sera alors: x1fi + xifi +...xpfr,la moyenne anthmetique sera donc:
X1fi + X2f2 + ..... + Xph,
x=---------
f1+f2+ ...... +fr,
que nous représentons symboliquement par :
_I
x= -Xifi
fi
la sommation étant étendue pour les valeurs de l'indice i comprise entre
1 et p (nombre de classes). Cf. Tab. 1.
3° Moyenne géométrique. - La moyenne géométrique den nombres est
la racine ne du produit de ces n nombres.
Le calcul de la moyenne géométrique est alors long, il est facilité par
l'usage des logarithmes :
g=
I
V X1 X X2 •..•• Xn

car logg = - (log x1 + log x2 + ......... + log x,,)


n
ANNEXES 881

l'emploi de la moyenne géométrique est extrêmement limité. On a pour-


tant intérêt à la faire intervenir pour l'étude des distributions de rapports.
4° Moyenne quadratique. - La moyenne quadratique de n nombres est
le nombre qui a pour valeur la racine carrée de la moyenne arithmétique
des carrés des n nombres :

q=
n
Employée comme valeur centrale, elle peut toutefois intervenir dans un
calcul d'autres paramètres.

q -- ... -~n,y.2
-
n,
5° La médiane. - La médiane d'une suite de nombres X1, Xn rangés par
ordredegrandeurest le nombre situé au milieu de la suite. Si n est impair
il existe alors effectivement un nombre de la suite qui est
la médiane, celui de rang n + 1 la médiane est alors une donnée.
2
Si n est pair il n'existe pas de nombre de la suite placé au milieu. On
adopte comme médiane la moyenne arithmétique des deux
nombres centraux de rang !! et n + 2 .
2 2
La médiane d'une courbe de fréquences est donc la valeur de l'abscisse
pour laquelle la courbe de fréquences est séparée en deux aires égales.

b) Lesparamètresde dispersion.- Les valeurs centrales donnent déjà une


bonne connaissance de la distribution des fréquences.

(/) (/)
a, 41.1
u u
C ---- C
a, (1/
:, :,
O' O'
~a, • t,
'-- '--
1.L 1.L

Variable Variable
882 ANNEXES

Mais plusieurs distributions d'allures différentes peuvent donner la


même médiane, ou la même moyenne. On ne sait pas à l'examen du
paramètre central calculé, si la distribution comporte un grand nombre
de données toutes peu différentes de la moyenne ou bien si cette
moyenne est le fait d'un petit nombre de données dont la valeur est très
supérieure ou très inférieure à la moyenne. On aura donc intérêt à repré-
senter par un nombre la manière dont les données sont groupées autour
de la moyenne 1.
Deux distributions très différentes peuvent donner la même moyenne.
On appelle ces nombres caractéristiques : les paramètres de dispersion.
Les plus courants sont :
1° l'écartmoyen: On calcule d'abord la moyenne arithmétique de la
distribution. Six est la valeur de cette moyenne et x la valeur d'une don-
née quelconque, on appellera écartà la moyenne(ou plus simplement :
écart), pour chaque donnée x, la différence x - x donc e = x - x
par définitionmêmede la moyenne,la sommedesécartsest nulle car:
Ie, = I(x, - x) = Ix1 - nx = nx - nx = o
n désignant le nombre total de données.
On ne pourra donc pas prendre comme indicateur de la dispersion la
moyenne arithmétique des écarts, mais la moyenne arithmétique des
valeurs absoluesdes écarts pourra jouer ce rôle ; on désignera cette
moyenne par écartmoyen.

Ile,1
écart moyen em ---
n

Si la distribution est définie par un rangement en p classes ayant cha-


cune pour valeur médiane Xp, l'écart moyen sera alors :

em = In,lel, avec e, = x, - x
n

Cf tab. Il.

2° La varianceet l'écarttype: Dans le cas de distributions théoriques


assez usuelles (loi de Laplace-Gauss, par exemple), il est, au point de vue
opératoire, plus commode d'utiliser comme indicateur de la dispersion la
1. Ure Khi-Deux, ou Khi-Carré.
ANNEXES 883

moyenne arithmétique des carrés des écarts: cette moyenne est la


variance:

La racine carrée de cette quantité sera donc homogène à un écart: on


l'appelle l'écart quadratique moyen ou plus couramment l'écarttype.

0 = V' k (x,-
n
x)
2

L'écart type est très employé pour les distributions en cloche et pour la
théorie des erreurs. Cf. tab. Il.

EXEMPLEDE CALCULD'UNE MOYENNE,


D'UN ÉCART-MOYEN,D'UNE VARIANCE
TABLEAU I
Évaluation de la population active (hommes) au Jer janvier 1962 (INSEE).

AGE
ANNfiES VALEUR
FRtQUENCE f,x,
RtVOLUES CENTRALE
CLASSES

-
I 5-19 17 1 033 17 561
20-24 22 I 351 29 722
25-29 27 1 609 43 443
30-34 32 1 647 52 704
35-39 37 1 580 58 460
40-44 42 1 187 49 854
45-49 47 l 151 54 097
50-54 52 1 322 68 744
55-59 57 1 104 62 928
60-64 62 785 48 670
65-69 67 372 24 924
70-74 72 189 13 608
-- --
TOTAL,, ................. 13 330 524 715

d'où la moyenne arithmétique:

x = Lnp;; = 524.715 = 3936


Ln; 13.330
884 ANNEXES

TABLEAU Il
Calcul de l'écart moyen et de la variance.

VALEUR ~CART
CENTRALE
FR~QUENCE
A LA MOYENNE
/,e, f,e,•

17 1 033 - 22,36 - 23.097,88 516 485,60


22 l 351 - 17,36 - 23.453,36 407 150,33
27 1 609 - 12,36 - 19.887,24 245 806,29
32 1 647 - 7,36 - 12.121,92 89 217,33
37
42
l 580
l 187
-+ 2,36
2,64
- 3.728,80
+ 3 133,68 8
8 799,97
272,92
47 1 l 5l + 7,64 + 8 793,64 67 183,41
52 1 322 + 12,64 + 16 710,08 2Il 215,41
57 1 104 + 17,64 + 19 474,56 343 531,24
62 785 + 22,64 + 17 772,40 402 367,14
67 372 + 27,64 + 10 282,08 284 196,70
72 189 + 32,64 + 6 168,96 201 354,85

82 289,20 82 335,40 2785 581,19

164 624,60

l'écart moyen est: 164 •624 •60 12,35.


13.330

Remarquessur le TableauII:
1. On a séparé dans la 4e colonne ceux des produits fce1qui sont posi-
tifs de ceux qui sont négatifs. Seules les valeurs absolues servent au calcul
de l'écart moyen, mais on peut vérifier les calculs en constatant que la
somme des premiers fre1 est bien à peu près opposée à celle des fre1 néga-
tifs (par définition de la moyenne arithmétique).
2. Pour établir la colonne 5 f, ( e1)2 il suffit de multiplier, éléments à
éléments, la colonne 4 par la colonne 3, on a donc :
If,ef = 2 785 581,19

d'où la variance: If,et = 2 785 581, 19 = 208 1971


f, 13 330
et par suite l'écart type ou écart quadratique moyen sera :
V 208,971 ::::,14,45
ANNEXES 885

Histogramme d~ la distribution étudiée

16
14
12
10
8
6
4
2
0
15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75
3° Interquartile.- On partage la suite des données en quatre parties
égales, par un procédé analogue à celui de la médiane. On obtient ainsi
un fractionnement en quatre groupes, les valeurs de séparation s'ap-
pellent les quartiles, les groupes de données s'appellent les interquartiles.
Le deuxième quartile est donc la médiane et les premier et troisième
quartiles sont les médianes des groupes séparés lors du calcul de la
médiane.

médiane
1er quartile 3e quartile

X1 X2 1 Xn
La moitié des données est située entre le premier et le troisième quar-
tile. La différence entre ces deux quartiles permet donc de mesurer la dis-
persion de la distribution. Il est d'usage d'utiliser la moitié de cette quan-
tité comme paramètre de dispersion : c'est le semi interquartile:
Siq = 3e quartile - 1er quartile_
2
4° Obliquité d'une distribution « en cloche».- Il arrive fréquemment
qu'on ait à comparer une distribution en «cloche» dissymétrique avec
une distribution en « cloche » symétrique (par exemple la distribution
normale) on peut utiliser alors comme coefficient d'obliquité (Pearson)
la quantité:
0 = Moyenne - Mode
écart type •
Cette quantité sera nulle pour une distribution symétrique.
886 ANNEXES

§ 2. Recherche des relations entre phénomènes


Dans une population (au sens statistique) il nous arrivera fréquem-
ment de constater les présences simultanées de deux ou plusieurs phéno-
mènes et de désirer savoir si cette simultanéité n'est qu'une coïncidence
due au hasard ou si elle provient d'une relation de causalité (par exemple
existence d'une cause commune ou relation directe de cause à effet).
Nous ne pouvons bien entendu pas répondre de façon définitive à de
telles questions par le seul secours de la statistique, mais donner une pro-
babilité pour qu'il existe ou qu'il n'existe pas de relation.
D'ailleurs en sciences sociales, les relations existant entre phénomènes
ne sont pas, comme les relations en sciences physiques classiques, par-
faitement déterminées.
En physique, connaissant la valeur prise par la variable, nous pouvons
en déduire la valeur d'autres quantités; lorsque nous connaissons exacte-
ment la loi mathématique, il ne s'agit alors que d'un calcul numérique. A
une valeur de la variable correspond une valeur et une seule de la
deuxième quantité : on dit alors que la deuxième quantité est fonction de
la première. La relation est dite fonctionnelle.
En revanche très souvent dans les sciences sociales, connaissant la
valeur de la variable, nous ne déterminerons qu'une possibilité pour la
deuxième quantité de se trouver dans un certain intervalle, ou une proba-
bilité pour qu'elle prenne une valeur déterminée à partir de la variable: la
relation est alors une relation stochastique.
On se doute donc que la recherche des lois et relations ne se fera pas
par les mêmes méthodes que la détermination des lois régissant les phé-
nomènes physiques. Nous distinguerons deux cas, suivant que les phéno-
mènes étudiés peuvent être quantifiés ou non.
Nous nous bornerons à étudier la simultanéité de deux phénomènes.
915 Phénomènes qualitatifs, présence ou absence d'un carac-
tère ◊ Les caractères ne sont pas donnés par des nombres, mais par
l'appartenance à des classes ( classes sociales, nationalité, race, sexe,
appartenance politique, etc.).
Il s'agit alors d'une recherche d'associationou d'indépendance.Dési-
gnons par C1 et C2 les deux caractères. Dans la population totale nous
ANNEXES 887

distinguons deux sous-ensembles : l'ensemble des individus possédant le


caractère C1 et son complémentaire, c'est-à-dire l'ensemble des individus
qui ne possèdent pas le caractère C1.
Nous dirons qu'il y a indépendance entre C1 et C2 si la proportion
d'individus possédant le caractère C2 est la même dans les deux sous-
ensembles (c'est-à-dire est la même en présence de C1 ou en son
absence).
Si cette proportion est différente on dira qu'il y a association.
On voit immédiatement que :
- une association peut être positive (proportion plus forte pour C2 en
présence de C1) ou négative (proportion plus forte en l'absence de C1).
La différence de proportion peut être plus ou moins grande en valeur
absolue. Si elle est très grande on dira que la probabilité d'association est
forte; si elle est petite on dira que la probabilité d'association est faible.
On dressera le tableau suivant, dit tableau de contingence, dont les élé-
ments sont les fréquences dans le cas de présence ou d'absence des carac-
tères C1 et C2.

PRÉSENCE ABSENCB
c. c,

Présence c, ........... x, x.

Absence C, ........... X1 x,

Tableau réel

On comparera ce tableau avec le tableau théorique établi dans l'hypo-


thèse d'indépendance des deux caractères.

PRÉSENCE ABSENCB
c. c.

Présence C 1 ••••••• • • • • y, Y•

Absence c, ........... Y• y,

Tableau théorique

Si les différencesentre ces deux tableaux sont faibles,il y a indépendance.


On est amené à calculer la quantité suivante :
x2 = (x1 - Y1) 2 + (x2 - Y2) 2 + (X3 - y3) 2 + (X4 - y4) 2
~ ~ ~ ~
888 ANNEXES

les valeurs du è- * mesurent l'écart entre tableau théorique et tableau


réel.

F.xemple.
A la suite d'une représentation de théâtre d'avant-garde on a remis aux
spectateurs un questionnaire. On a obtenu les résultats suivants (on sup-
posera l'échantillon représentatif) :

HOMME FEMME

Satisfait ...... ......... 26 48

Pas satisfait ............ J.l 43

donc l'enquête a porté sur 149 individus (58 hommes et 91 femmes) 74


ont été satisfaits, 75 n'ont pas été satisfaits. Y a-t-il association entre le
sexe et l'opinion des spectateurs? S'il y avait indépendance, la proportion
des hommes satisfaits serait la même que dans l'ensemble de l'échantil-
lon. Dans cette hypothèse le nombre Y1 des hommes satisfaits serait tel
que Yt = 74 le premier rapport exprime le pourcentage des satisfaits
58 149
parmi les hommes, le second le pourcentage des satisfaits parmi les spec-
tateurs interrogés.

d'où: Y1 = 58 x 74 = 4.292 = 29
149 149
91 X 74 _ 6.734 =
de même: 45
149 149
58 X 75 _ 4,350 =
29
149 149
91 X 75 _ 6.825 =
46
149 149
d'où le tableau théorique :

HOMME FEMMB

Satisfait .............. 29 4S

Pas satisfait .......... 29 46


ANNEXES 889

On va comparer le tableau réel et le tableau théorique.


c2 = (29 - 26) 2 + ( 48 - 45) 2 + (32 - 29) 2 + ( 46 - 43) 2 = 1,017
29 45 29 46
la valeur X2 est très petite. Il n'y a vraisemblablement pas d'association
entre le sexe et l'opinion.
916 Étude quantitative ◊ Si les caractères à comparer sont mesurables,
c'est-à-dire si leur importance peut être repérée par un nombre, on
cherche alors à étudier la corrélationdes phénomènes et à la caractériser
elle aussi par un nombre.
Souvent, en sciences sociales, il nous suffira de savoir si la corrélation
(positive ou négative) est forte ou faible, les données statistiques n'étant
pas connues avec une précision suffisante. On peut obtenir ce renseigne-
ment par une méthode graphique : les diagrammesde régression.
En revanche si les données sont plus assurées et si nous avons besoin
de résultats plus précis nous pouvons caractériser l'importance de la cor-
rélation par un paramètre : c'est le coefficientde corrélation.
Les diagrammesde régression. - Pour chaque élément de la population
on représente le point ayant pour abscisse la mesure X1 du caractère et C1

pour ordonnée la mesure Yidu caractère Cz. On obtient ainsi une famille
de points (nuage de points).
S'il n'y a pas corrélation, ces points se trouveront bien entendu répartis
au hasard sur le graphique. Mais s'il existe une corrélation entre les deux
caractères, les points auront tendance à se grouper le long d'une courbe
dont l'équation pourra servir à étudier la relation entre les deux carac-
tères. Par exemple s'il existe une corrélation entre la taille et le poids, en
portant la taille en abscisse et le poids en ordonnée nous trouverons une
progression régulière.
Depuis Galton (1886) on appelle ce phénomène la régression (bien
que ce terme n'ait plus la signification que lui avait donnée Galton).
Lorsque les points du diagramme ont tendance à se grouper le long d'une
droite, on dit que la régression est linéaire (positive ou négative).
Cette corrélation serait parfaite si tous les points étaient alignés (cas
théorique d'une relation fonctionnelle linéaire); pour une loi stochas-
tique ils seront seulement groupés autour de la droite. Si les points
s'éloignent peu de la droite, on dit que la dispersion est faible et la corré-
lation forte. S'ils s'étalent loin de cette droite, la corrélation sera dite
faible.
On étudiera de la même façon le cas où la courbe n'est pas une droite
(régression curvilinéaire) et on définira une corrélation forte ou faible.
890 ANNEXES

..
u ..
u
"'O
-0

.. ..
:5
:5
.. ______
"'
E.__ _
..
Ill
E._________ _
mesure x 1 de C1
mesure 1
1 de C1 Groupement autour d'une droite
RPpar t,toon au hasard,
..xislence d'une corréla lion, cas
pas de corrélation d'une corrplat,on !orle pos1l1ve

N
u
"O•
;:;
..
...
..
::,
"'
E'---------
mesure "ide C1
Groupement autour d'une droite
existence d'une corrlitation, cas
d'une corrélation faible positive

La droite ainsi définie est appelée droitede régression.


Remarques.
1. Il y aura autant de points dans le diagramme que d'individus dans
la population. La constitution du diagramme risque d'être longue si
l'échantillon utilisé est important
2. On pourra ainsi définir une droite de régression du premier carac-
tère dans le second et une droite de régression du second dans le premier
(permutation du rôle des abscisses et ordonnées).
La deuxième droite de régression peut être tracée, mais n'avoir aucune
signification. On peut tracer la droite de régression de la taille des pères
en la taille des fils : il y a bien corrélation entre les deux phénomènes ; on
peut tracer la droite de régression de la taille des fils en celle des pères : on
ne peut en conclure que la taille des fils influe sur celle des pères !
3. Si pour une corrélation forte la détermination graphique de la
droite de régression est aisée, pour une corrélation faible elle demeure peu
précise.
On peut séparer le groupement de points en sous-ensembles disjoints
pour lesquels on déterminerait le centre des moyennes distances. En joi-
gnant les points obtenus, on déterminera la droite de régression cherchée.
4. La pente de chaque droite est appelée coefficient de régression du
deuxième phénomène dans le premier (voir ci-dessous).
2° Coefficientde corrélation.Pour caractériser l'importance de la corré-
lation on utilise le paramètre suivant appelé : coefficient de corrélation.
Soit eu,l'écart à la moyenne pour chaque valeur de la variable aléatoire
ANNEXES 891

x et ey1l'écart à la moyenne pour les valeurs de y, le coefficient de la corré-


lation sera :

Si l'on a déjà calculé les écarts types O"xet Or on aura

où N est le nombre total de couples d'observations.


Remarques.
1. Ce coefficient indiquera la façon dont les couples d'observations
(xi y1) sont dispersés.
2. Ce coefficient est compris entre o et 1, la valeur de o correspondant
à l'absence théorique de corrélation, la valeur 1 à la corrélation maxi-
male.
3. Bien entendu l'existence d'un coefficient de corrélation peu dif-
férent de 1 ne signifie pas l'existence absolue d'une corrélation.
4. Le calcul est assez long; on ne l'introduira donc qu'à bon escient
dans l'étude statistique d'une relation, pour laquelle on a intérêt à
connaître avec une grande précision le degré de la corrélation. Il faudra
en effet également connaître au mieux les erreurs d'échantillonnage :
elles créent une incertitude sur la valeur du coefficient de corrélation.

2. LE CALCUL DES PROBABILITIËS


916-1 L'ensemble des possibilités ◊ Si nous jetons en l'air un dé et obser-
vons celle de ses faces qu'il présente en tombant, nous réalisons une
expérience dont il ne nous paraît pas possible de prévoir le résultat Nous
considérons celui-ci comme déterminé par le hasard et nous disons que
les six événements, apparition du 1, du 2, du 3, etc., sont des événements
aléatoires. Le calcul des probabilités nous fournit le moyen de donner une
mesure à la vraisemblance de chaque résultat possible.
La première chose à faire est de déterminer sans ambiguïté l'ensemble
despossibilitésque nous désignerons par la lettre U ; on appelle événement
toute partie de cet ensemble et réalisationd'un événement toute possibi-
lité appartenant à cet événement.
Dans l'ensemble ci-dessus, l'événement X: « le chiffre apparu est
pair», peut se réaliser par l'apparititon d'un 2, d'un 4 ou d'un 6. C'est la
partie [2, 4, 6] de l'ensemble U = [1, ..., 6].
Un événement est dit élémentaires'il ne comprend qu'un élément de
l'ensemble des possibilités, impossibles'il ne peut pas se réaliser ; c'est la
892 ANNEXES

partie vide de U. Deux événements sont incompatibless'ils ne peuvent se


réaliser ensemble, leur intersection est alors vide.
Si U a n événements élémentaires, il a 2" parties ou sous-ensembles ;
cet ensemble de parties de U peut être organisé par la relation d'inclu-
sion : « X est inclus dans Y», ce qui signifie que chaque fois que X est réa-
lisé, Y est réalisé lui aussi.
Le calcul des probabilités permet d'attribuer à chaque événement X de
l'ensemble U, un nombre P (X) dit probabilité de X qui mesure « le degré
de vraisemblance» d'un événement sur une échelle allant de O à 1 et ceci
en respectant l'organisation des parties de U; si X est inclus dans Y, on
veut P(X) < P(Y). On peut opérer de la manière suivante; on affecte
à chaque événement élémentaire un nombre positif de telle sorte
que la somme de ces nombres soit égale à un. Ainsi, on a P (U) = 1. La
probabilité d'un événement est la somme des probabilités des
événements élémentaires le constituant. En reprenant l'exemple
ci-dessus, on peut admettre que chaque face a la même probabilité
d'apparaître et comme P (1) = P (2) = P (3) = P (4) = P (5) = P (6) = 1,
6
on a P = P ( 2) = P ( 3) = P ( 4) = P ( 5) = P ( 6) = ; cherchons la proba-
bilité de voir apparaître un nombre pair :
P ( « un nombre pair») = ... = ¾= ½·
D'une façon générale, si deux événements X, Y sont incompatibles,
alors:
P (X ou Y)= P (X)+ P (Y) : c'est la condition d'additivité.
On peut en déduire que si A et B sont des événements quelconques:
P (A ou B) + P (A et B) = P (A) + P (B).

Espérancemathématique.
Dans le cas où les résultats d'une expérience peuvent se traduire par
une suite de nombres a1,a2,..., an avec les probabilites P1,Pi, ..., Pnrespec-
tivement, on appelle moyenne ou espérance mathématique de cette suite
le nombre E = p1a1+ p2a2+ ... Pn-an,
La loi des grands nombres nous dit que si on répète un grand nombre
de fois une expérience d'espérance mathématique E, et si on calcule la
moyenne arithmétique des résultats obtenus, la moyenne arithmétique
empirique se rapproche de l'espérance mathématique à mesure que le
nombre d'expériences augmente.

Probabilitésconditionnelles.
Lorsque l'ensemble des événements possibles se réduit de U à un sous-
ensemble A de U de probabilité non nulle, comment modifier la probabi-
lité des événements V ?
On désigne par PA (X), la probabilité de l'événement X si A est réalisé,
si A et X sont incompatibles, on a évidemment PA (X) = O.
ANNEXES 893

Si X est inclus dans A, on prend comme règle de modification des


mesures de probabilités, une règle de proportionnalité :

P,..(X) = p (X)_
p (A)
Si X n'est ni inclus dans A ni incompatible avec A, alors on a :
P,..(X) = P (A et X)_
p (A)
Le calculdes probabilitéspermet de construiredes mesuresdes degrésde
vraisemblanced'événementsd'une manièrecohérente.La statistiquemathé-
matiquepermet d'estimerlesprobabilitéset d'étudiersi cesprobabilitéssont
compatiblesavecl'observation.

3. M~THODES DE PR~SENTATION GRAPHIQUE


EN SCIENCES SOCIALES
La représentation graphique est la transcription dans le système gra-
phique des signes, d'une pensée, d'une « information » connue par l'in-
termédiaire d'un système de signes quelconques 1.

§ 1. Généralités sur l'utilisation


des présentations graphiques 2• 3
917 Utilisation ◊ Considérées au double point de vue de la recherche et de
l'exposé, les méthodes graphiques peuvent viser plusieurs objectifs.
Synthèseet découverte.Les données statistiques sont toujours difficiles à
étudier et nécessitent souvent une longue analyse pour extraire les ren-
seignements qu'elles contiennent. Le graphique donne au contraire
d'emblée les principales caractéristiques d'une série statistique, mettant
en valeur les faits essentiels, dégageant les tendances, situant les ordres de
grandeur; mais cet effort supplémentaire de synthèse implique le plus
souvent des choix et des simplifications dont il ne faut pas oublier qu'ils
nous éloignent parfois de la« réalité».
Contrôle. Plus sûrement qu'un tableau de nombres, un graphique révé-
lera des anomalies éventuelles. Certaines pourront être expliquées par la
nature même du phénomène étudié; d'autres, provenant d'erreurs tou-
jours à craindre, pourront être éliminées.
1. BERTIN
Q.). - Sémiologie
graphique,coll. N. Barbut,S. Bonin, Paris,Mouton 1967, 431 p., pag. 8.
2. BERTINo.). - Lagraphiqueet le traitementgraphiquede l'infonnation,Flammarion,1977, 273 p.
3. Nous ne pouvons donner ici que des indications. Il est recommandé aux étudiants ayant à
composerdes graphiquesou des cartes de consulter auparavantles deux ouvragescités ci-dessus.
894 ANNEXES

Comparaisonet recherchedesrégularités.Si l'analyse d'une série est diffi-


cile, la comparaison de deux séries l'est plus encore, d'autant plus que les
ordres de grandeur peuvent être, même s'ils portent sur des phénomènes
de nature semblable, très différents. Le graphique à (deux ou plusieurs
courbes) simplifiera cette tâche.

§ 2. L'Analyse de l'information
918 Composantes et invariant ◊ L'information représente un contenu
composé de correspondances entre certains points (variables, facteurs tels
que le temps, l'âge, les prix) appelés composanteset un point qui subit
l'influence de ces composantes mais dont l'unité qu'il représente le fait
nommer: l'invariant.Par exemple, l'influence de l'âge, du sexe, du niveau
scolaire (composantes) sur le taux de délinquance (invariant).
Les composantes peuvent regrouper plusieurs catégories: partis poli-
tiques, P.C., P.S., etc. Elles se distinguent également par leur longueurou
nombre d'éléments ou catégories qu'elles permettent d'identifier. Le sexe
= longueur 2, l'état civil= 4. 1
Enfin les composantes se situent, « s'organisent» à des niveaux dif-
férents:
Le niveauqualitatifqui permet soit de distinguer (agriculteurs différents
des artisans) soit d'associer (catholiques et protestants sont chrétiens).
Le niveau de l'ordre qui permet de classer en plus ou moins: grand,
moyen, petit.
Le niveau quantitatif qui permet de classer en fonction d'une unité
comptable : les prix sont trois fois plus élevés à telle date qu'à telle autre.
918-1 Les moyens ◊ Le graphique peut indiquer un déroulement dans le
temps, mais il est statique et ne peut varier que par rapport aux deux
dimensions du plan papier où il s'inscrit On appelle implantationl'utili-
sation des trois significations qu'une tâche visible peut recevoir par rap-
port aux dimensions du plan. Ce peut être un point: une ville sur une
carte (position sans surface) ; une ligne: augmentation du prix de la vie
(position linéaire sans surface), ou une zone: un département (représen-
tant une surface).
Ces images peuvent varier en taille, valeur, forme, grain, couleur,
orientation.
Ceci permet une grande multiplicité de combinaisons, d'où la tenta-
tion d'intégrer trop de données et la nécessité de choisir l'image la plus
compréhensible. L'efficacitéde l'image dépend du temps nécessaire à sa
compréhension. Celle-ci est d'autant plus rapide que le graphique est
simple, c'est-à-dire intègre moins de données ou composantes, répond à
moins de questions. Le taux de délinquance par rapport au sexe se voit
1. Célibataire,marié,veuf, divorcé.
ANNEXES 895

facilement, le graphique sera efficace. Si l'on veut intégrer plus de trois


composantes dans la même image, il faudra distinguer les questions
importantes aux réponses immédiatement visibles, des questions
secondaires nécessitant un examen plus long.
De toute façon, il est indispensable que le lecteur connaisse les compo-
santes et l'invariant pour comprendre un graphique. Le titre doit être
explicitemais il ne faut pas oublier la légendequi donne le code, l'explica-
tion des signes.

§ 3. Différents types de graphiques


Une classification est nécessaire, mais elle se heurte au problème du
critère à choisir : ce peut être la technique utilisée (graphiques à coordon-
nées cartésiennes ou à coordonnées polaires, emploi de longueurs, sur-
faces ou volumes, graphiques triangulaires), la nature du phénomène
étudié (statique ou dynamique) ou encore le but recherché (graphique de
recherche ou d'exposé, graphique de présentation d'un phénomène ou de
confrontation de plusieurs). Ces trois considérations, n'étant pas sans
influence l'une sur l'autre, se combineront dans le classement adopté.

919 1 ° Graphiques à base de longueurs, surfaces, volumes o En pré-


sence d'une série de nombres, on dessine des longueurs, surfaces,
volumes, proportionnels à ces nombres.
Le plus simple consiste évidemment à se servir de segments, horizon-
taux ou verticaux, gradués ou accompagnés d'une échelle. Mais ces seg-
ments sont assez peu expressifs et l'on est assez vite amené à leur donner
de l'épaisseur: ce sera le graphiqueen barres.(Il faut noter ici que malgré
l'introduction de la largeur, ce sont toujours les longueurs qui sont pro-
portionnelles aux nombres, non les surfaces ; c'est pourquoi il ne faut pas
que les barres soient trop larges: plus ou moins consciemment, le lecteur
aura tendance à comparer des surfaces et son jugement sera faussé.)
Ce procédé peut d'ailleurs s'enrichir de variantes qui permettent l'in-
troduction d'une variable, ou même des comparaisons : fractionnement
des barres (graphiques en barres composées) ou disposition des barres
côte à côte (graphique en tuyaux d'orgue).
Les nombres peuvent aussi être représentés par des surfaces: carrés,
cercles, autres figures géométriques ou petits symboles, dont les dimen-
sions seront proportionnelles aux racines carrées des nombres, ou des
volumes,dessinés en perspective cavalière : cubes, sphères, pyramides, que
l'on appelle stéréogrammes. Le recours aux volumes réduit l'en-
combrement des signes plus importants, puisque les dimensions linéaires
sont proportionnelles aux racines cubiques des nombres. Là encore une
amélioration peut être introduite par la division du cercle (en secteurs) 1,
du carré, ou même du cube. De plus, dans le cas du cercle, on peut expri-
mer une seconde variable en corrélation avec la première au moyen d'une
1. Ces représentations graphiques sont très connues, nous ne les reproduisons pas.
896 ANNEXES

couronne circulaire; mais les différences d'angles au centre peuvent


rendre ardue la lecture d'un tel graphique : c'est pourquoi il peut être pré-
férable de conserver les mêmes angles au centre et de faire varier les
rayons des secteurs de couronne.
Lespyramidesenfin, ne sont pas exactement des graphiques en barres,
mais un cas particulier d'histogramme, dans lequel les axes ont été inver-
sés (classes en ordonnées et nombre d'unités en abscisse), généralement
pour placer côte à côte les deux ordonnées et permettre d'utiles compa-
raisons. Les applications sont fréquemment d'ordre démographique, mais
sont également utiles pour suivre l'évolution des« populations» de per-
sonnes ou de biens, pour lesquels l'âge a une importance.
920 2° Graphiques à coordonnées cartésiennes. Graphiques à coor-
données polaires ◊ a) Coordonnéescartésiennes.Les coordonnées car-
tésiennes permettent de manière générale d'étudier les variations d'un
phénomène en fonction d'une donnée quelconque.

Construction. Deux droites y


orthogonales, dont la verticale est
appelée axe des ordonnées et l'ho-
rizontale axe des abscisses, déter-
minent dans le plan quatre qua-
drants. On oriente ces droites, par
convention le sens positif est en
haut pour les ordonnées et vers la 8
droite pour les abscisses, et on les
gradue à partir du point d'intersec-
tion O appelé origine des coordon-
nées. Un point M quelconque du
plan (choisi ici dans le premier
quadrant, le plus souvent utilisé
car on a rarement affaire à des
mesures négatives) est déterminé O
par son abscisse (OA) et son A X
ordonnée (OB), c'est-à-dire par Graphique I
les perpendiculaires abaissées de ce
point sur les axes. (Graphique 1.)
Dans les graphiques chronologiques, on portera, par convention, le
temps en abscisse et le phénomène étudié en ordonnée. Les points repré-
sentant les diverses valeurs du phénomène dans le temps seront reliés
entre eux par des segments de droite : l'ensemble donnera un schéma de
variations du phénomène (cf. graphique II).
Précautionsà prendre dans les graphiqueschronologiques. En ce qui
concerne l'unité de temps,il faut la définir de manière précise et indiquer
aussi si la grandeur en ordonnée est une moyenne de la période choisie
comme unité de temps, ou une valeur particulière au début, au milieu ou
à la fin de cette période car les différences peuvent être considérables. Par
ANNEXES 897

exemple pour l'indice de production industrielle en France (1952 = 100),


l'année 1959 peut être représentée aussi bien par:
152 = moyenne mensuelle calculée sur douze mois.
149 = résultat observé en début d'année.
172 = résultat - fin d'année.
162 = - - milieu d'année.

En outre, quelle que soit l'unité de temps choisie, des intervalles égaux
devront toujours représenter des périodes égales (échelle arithmétique).
En revanche, sous réserve de ce qui est dit à l'alinéa suivant, il est tou-
jours possible de choisir pour les variations du phénomène une échelle
logarithmique.
134

... 135

133
I
~~~ 13ob=h=bd==t=i=tl=t1=cJ
~~-

132
l 12 0 t---+--+--+--+----+--l-----+--1-----+---<I----I

13t 110t---+--t----+--t----+--t---+--1---t----l'--~

\/
13 100'--_,__.___,___....___,___..___,___,J.___,___,_~
AMJ JASONOJFM A M J J A S O N D J. F M
1960 1961
A)T hise de l'aug- B) Thèse de la stabilisation effective du coût de
mentation du coût la vie.
de la vie
PR~SENTATIONS 11 ORIENT~ES" DE L'~VOLUTION DES PRIX de D~TAIL
en FRANCE (Indice do 250 articles, base 100 du 1-7-56 au 30 6-57.)
Source : PIATIER Statitisque p. 2◄9, op. cit., n° 599 (12.)
Graphique II
Le choix du rapportdes échellesn'est régi par aucune règle. Tout ce que
le dessinateur peut faire est de se demander si le graphique produira une
impression très différente avec un rapport d'échelles différent A la limite
en effet, un truquage, ou du moins une présentation très orientée est pos-
sible. ( * Exemple : graphique Il.)
b) Coordonnéespolaires.Autour du point appelé centre de rotation ou
pôle, un système d'axes gradués de la même manière et que séparent des
angles égaux, forme ce que l'on appelle des coordonnées polaires. Les gra-
phiques à coordonnées polaires sont très utilisés pour la représentation
des séries chronologiques (chaque axe représente une période, les gradua-
tions de ces axes les variations du phénomène) et sont particulièrement
suggestifs lorsqu'il s'agit d'événements marquant dans certaines périodes
898 ANNEXES

des augmentations ou des diminutions régulières (phénomènes saison-


niers, cycliques). (* Cf. : graphique III.)
Avril1 .
al
/. Mars
Fevr.

Oct.

Contraction du Commerce mondial 1929-1933


(millions de dollars)
PIATIER Statistique p. 255.
921 3° Comparaisons graphiques. Graphiques à deux ou trois
variables: a) Comparaisons graphiques systématiques ◊ Une
des utilités possibles des graphiques, avons-nous dit, consiste à permettre
des comparaisons systématiques.
Graphiquesà plusieurscourbes.Lorsque les phénomènes que l'on veut
comparer sur un même graphique sont de même nature, il n'y a, en prin-
cipe, aucune difficulté particulière, à condition toutefois que la même
échellesoit employée pour tous les phénomènes, sous peine d'arbitraire.
Mais lorsque les variations des phénomènes se situent dans des ordres de
grandeur si différents que la composition du graphique ne permet pas de
les contenir toutes, il vaut mieux pratiquer une coupure d'échelle, ou
employer une échelle semi-logarithmique.
Lorsque les phénomènes sont de nature différente, il faut les ramener à
une expression commune, soit par la méthode des indices (à une date
donnée, tous les phénomènes sont considérés comme égaux à 100 et les
valeurs prises par eux aux différentes dates sont transformées en valeurs
relatives par rapport à cette base), soit en remplaçant les termes de
chaque série par les écarts qu'ils font avec la moyenne de la série, préa-
lablement calculée.
ANNEXES 899

Graphiquesen nuages.Un système de coordonnées cartésiennes porte


une des variables en abscisse et l'autre en ordonnée. Le groupement des
points en une sorte de nuage permet d'étudier la relation entre ces
variables, une forte concentration des points indiquant, comme nous
l'avons vu, une relation étroite, la dispersion des points semblant au
contraire prouver l'indépendance des deux phénomènes 1. (* Exemple:
graphique IV.)
On peut en outre introduire dans ce genre de graphiques une variable
supplémentaire, le temps généralement. Pour chaque point du graphique,
l'évolution de sa position entre deux dates est indiquée par une flèche
ayant pour origine la première de ces dates et pour pointe la deuxième.
.....
-...
C
ns
-êen m 3
ru
~ 150000
CIi
a.
:::,
U)
+
CIi
u
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~ 100000
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50000
·.;::
ni
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E
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Il)
C
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u
10000 20000 30000 40000 50000 60000 70000 80000
Voitures particulières ( un'ttés)
- Rela~ion entre le nombre de voitures particulières
immatriculées et la consommation annuelle de car•
burants( essence et supu) par département en
1952 Source (C.R.E.0.O.C.)
Source PIA Tl ER Stat1st1que p. 278
1. Cf. n° 916.
900 ANNEXES

922 b) Les graphiques triangulaires ◊ Dans un triangle équilatéral, la


somme des ilistances de tout point intérieur aux trois côtés est égale à la
hauteur. Si l'on traite d'un ensemble de trois variables dont la somme est
constante (prix de revient global décomposé en trois postes : matières
premières, frais généraux, salaires), on pourra de cette manière représen-
ter toutes les décompositions possibles de cet ensemble. (* Cf. : gra-
phique V. L'enquête mensuelle sur l'évolution de la demande groupe les
réponses en+, -, =.)
1. EnquÔI• d• M•i 1956
2.... J.anvirr 1957
3. Mal 1i57 ,
4. Oclobro 1957
5. F•vri~r 1958
6. Mai 1958
7. Oclobr. 1958
8. Fé-vrirr 1959

9. Mai 1959
10. Novembre 1959
11. Mars 1960
12. Juin 1960
13. Novrmbre 1960
14. Mars 1961
15. Juin 1961

100.,/. dt .....

EVOLUTION DE LA CEMANDE OBSERVEE OMIS L'ENSEMBLE, DES INDUSTRIES

Sourc;e- J. MERAVO in''Revut de Statistique apptique'.e .. 1962.rl

Graphiqut!IV

4. EXEMPLED'ANALYSE DES DONN~ES: L'ANA-


LYSEFACTORIELLEDES CORRESPONDANCES

923 Les deux dimensions de l'espace social ◊ L'analyse des données


comporte un certain nombre de variantes 1.Nous avons retenu ici la plus
1. Deux grands groupes : méthodes de classification automatique et méthodes d'analyse factorielle
qui comprend: l'analyse des correspondances, l'analyse en composantes principales, l'analyse discrimi-
nante et l'analyse canonique.
BENZECRJ (J.P.) - Histoireet pre'histoire
de l'analysedesdonnées,p. 15-25 cah. Anal. Données, 1977, 2,
n° 1, p. 953.
D= (E.), LEBARr (L.). - L'analysedesdonnées,Recherche 1977, 8, n• 74.
HARMAN (H. H.). - Modemfactoranalysis.Chicago, Univ. Press, 1967, 474 p.
LEBART(L.), MoRimAu(A.), TABARD (N.). - Techniquesde la description
statistique.Dunod, 1977.
MARrIN (D.). - Basede données:méthodespratiques.Bordas, 1977, VIII, 182 p.
Vow; (M.). - L'analysedesdonnées,« Économie et statistique», n° 96, janvier 1978, p. 3-23, revue de
!'INSEE.
ANNEXES 901

usitée : l'analyse factorielle des correspondances. Les sociologues l'ont


empruntée aux psychologues. Elle a pour but de convertir un jeu de
variables partageant des dimensions communes, en un nombre restreint
de facteurs : il s'agit, à partir de l'idée de corrélation, de découvrir des
relations d'interdépendance, une certaine hiérarchie dans les résultats.
Par exemple, la relation entre les niveaux de vie et les causes de décès 1.
Nous empruntons à A. Desrosières2 , un exemple d'analyse factorielle
montrant l'importance du rôle du capitaléconomiqueet du capitalculturel
dans le mariage. On peut imaginer le marché matrimonial comme un
lieu d'échanges et la probabilité d'une union d'autant plus forte, que
l'échange est plus équilibré. La recherche utilise les statistiques annuelles
d'état civil portant sur environ 400 000 mariages et retient les catégories
socioprofessionnelles des deux conjoints et de leurs deux pères.
Les deux tableaux analysés posent des problèmes différents. Lepremier,
celui des origines sociales, décrit des pères, c'est-à-dire des hommes de la
même génération: les distributions marginales sont assez voisines, condi-
tion que les probabilités de mariage soient les mêmes pour les garçons et
les filles, ce qui n'est faux qu'en milieu rural. De fait, les analyses présen-
tées ci-dessous montrent très peu de dissymétrie entre les «lignes»
(pères des époux) et les « colonnes » (pères des épouses), sauf justement
en milieu rural [ ...]. En revanche le second tableau, celui des dots
sociales, est plus complexe, car les hommes décrits appartiennent à deux
générations différentes et les professions exercées sont moins directement
comparables: les dissymétries entre «lignes» et «colonnes» sont plus
perceptibles [ ...].
Le principal résultat qui ressort des analyses de ces deux tableaux est
que les classes et fractions constituent un espace fortement structuré,
tant par rapport au volume total de capital détenu (les tableaux sont, on
le verra, fortement « diagonaux ») que du point de vue de la structure des
diverses espèces de capital ( capital économique et capital culturel). Cette
différenciation est d'autant plus nette que le capital total est plus élevé:
très marquée pour les classes supérieures, elle l'est moins pour les classes
moyennes et est absente pour les classes populaires. Ces résultats sont
aussi nets dans les cas du tableau des origines sociales que dans celui des
dots sociales. Ils montrent une des limites de l'analyse : si les probabilités
de mariage sont liées au volume et à la structure du capital, on rendra
d'autant moins compte des systèmes de mariages que les classes décrites
sont plus dénuées de capital, c'est-à-dire en particulier pour les classes
populaires.
Les proximités entre catégories peuvent être lues de plusieurs façons à
travers de tels tableaux, selon que l'on s'attache aux casesdu tableau,
significatives des flux entre deux catégories, ou aux profilsdes lignes ( ou

1. BOYER (P.), CAru.or(P.). -Analysedescorrespondances


et analysecanonique
descausesdedécèspardge
et par département.«Population», n° 2, mars-avril 1978, pp. 448-455.
2. DESRosltREs (A.),« Marchématrimonialet structuredes classessociales»,Actesde laRecherche
en
SciencesSociales,n° 2, 1978, p. 97-107.
902 ANNEXES

colonnes) de celui-ci: dans ce dernier cas, deux catégories sont


« proches » si elles marient leurs fils ( ou filles) avec des filles ( ou fils)
ayant des origines sociales voisines. Dans le premier cas, on propose une
expression particulière comparant la fréquence observée dans une case à
une fréquence «théorique» de la même case dans le tableau « produit
des marges». Dans le second, l'analyse des correspondances permet de
comparer les profils et de bâtir des cartes des catégories à partir de ces
comparaisons. Tous ces tableaux ont une structure mathématique bien
particulière due à la forte homogamie sociale : ils sont très éloignés d'un
tableau théorique ( dit « produit des marges ») dans lequel les fréquences
des mariages seraient indépendantes des catégories sociales. La diagonale
est très fortement chargée, et si de plus on a déjà ordonné les lignes et les
colonnes selon un critère de proximité sociale a priori, les cases voisines
de cette diagonale sont aussi très chargées, alors que les coins « Sud-
Ouest »et« Nord-Est» de la matrice, correspondant aux mariages entre
classes très opposées, le sont très peu.
924 Analyse des correspondances o L'analyse des correspondances
appliquée aux tableaux de mariages permet de comparer les « profils »,
c'est-à-dire les structures en pourcentage des lignes (et des colonnes) et
de représenter ces points dans des graphes-plans: deux points, représen-
tant deux catégories de pères, sont proches si les origines sociales des
gendres (ou belles-filles) des membres de ces catégories sont voisines
(graphiques II et III, issus de l'analyse des tableaux croisant les csp 1 des
pères des deux conjoints). L'analyse a été également faite à partir du
tableau croisant les professions du mari et du père de la femme (gra-
phiques IV et V, dits des « dots sociales»). Très généralement, si la struc-
ture analysée est fortement ordonnée, ce qui est le cas ici, le graphe-plan
des deux premiers axes présente un nuage en forme de parabole ( effet
Guttrnann) 2 • Ainsi les deux tableaux des origines et des dots sociales per-
mettent de construire de t.elsnuages (graphiques II et IV), de formes très
1. C.S.P.: catégoriessocio-professionnelles.
2. On le montre simplement en raisonnant sur un découpageen M
trois classes(supérieureS, moyenne M et inférieure!). Si l'homogamie
était totale (tableau parfaitementdiagonal),les trois points représenta-
tifs des trois classesseraient aux trois sommets,S, M et I d'un triangle
équilatéral,et les axes seraient indéterminés.Si l'homogamien'est pas
totale, et qu'il y a quelquesmariagesentres les catégoriesS et M d'une
J
part, et M et I d'autre part, mais aucun entre S et I, les trois points obte-
nus S', M' et I' dessinentla forme de parabolecaractéristiquede l'effet
Guttmann. On peut aussi interprétercette forme de parabolequi appa- ---------a
raît toutes les fois que l'on étudie une structure fortement hiérarchisée,
ce qui est le cas de la structuresociale,d'une autre façon.Lepremieraxe,
qui expliquela plus grandepart de la variance,opposeles deuxextrémi-
tés de la hiérarchie.Le second,qui est en gros l'axe de la parabole,opposeles catégoriesmoyennesaux
catégoriesextrêmes.Or, tant en matièrede mobilitésocialeque de mariage,les catégoriesmoyennessont
dans des positions de mouvement, d'instabilité, de transition, que connaissent moins les catégories
extrêmes.Lesplacesdes catégoriessur ce deuxièmeaxe (souventlié à l'âge) sont donc significatives:la
formede parabolen'est pas un simpleartefactmathématique.Sur ces sujets,voir L. Lebart,A. Morineau
et N. Tabard,Techniquesde la desaiptionstatistique,Paris,Dunod, 1977.
Graphique III. Les origines sociales des conjoint5:(axe 1 x axe 3)

Axe 3 A\ 5 ,
J-ndua.Indu•. --1
1
1

CAPITAL Q.E
Eca«l'-11
'P. Lib•
P. Lib.

c·ro, coa.
Cros Com. P•t.conr.
Pet.Cca.
Artia.2"11 ~~iaana O.S.
SMed ·t O.S.
1 Axel
- - - - - - - - - ____ _ Aniie ~..Si,"!:!'.:.-- _________ -i)
- - -- - - - - - -- - - -·- - - - l'ortiatu ~•d A"'"'• 1 Elllp.a11r,Contr.A11tr.Se.rv. o.Q. 12,
C.At:"1.Sur. C,l'o&i.sup. C.Aàri.Moyffl D,rp.COl'I. Drrp,Bur. Autr,S.MI. O,q.
Artietu C,Adlll.Hoyen Elllp,Coa,
I,ig. Techn. •1
tng. :tnatit, Inatit. T1c1at. 1
Prof. Prot. 1 ~-
14an.
CAPITAL
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Graphique IV. Les dots sociales (axe 1 x axe 2) 0

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ArttstH
C.Ada.Moy. ArU ■an-, Contr. Awt:r-,S■rv.
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ANNEXES 907

similaires [ ...]. Par ailleurs, si certaines catégories sont nettement plus


homogames que les autres (par exemple ici: les agriculteurs et salariés
agricoles), elles déterminent chacune un axe et les graphes-plans des pre-
miers axes ne sont plus significatifs du système des proximités. On a
donc retenu pour l'analyse des correspondances les seules 21 csp
urbaines présentant un nombre appréciable de pères de conjoints.
Chaque tableau analysé, comportant 21 lignes et 21 colonnes correspon-
dant aux 21 csp 1 urbaines, est à l'origine de deux graphes-plans, présen-
tant respectivement les axes 1 et 2 (avec le nuage en forme de parabole)
et les axes 1 et 3 où cet effet disparaît. Sur ces graphes, chaque csp appa-
raît deux fois, en tant que point-ligne et en tant que point-colonne. Le
premier axe décrit toujours l'essentiel de la variance du tableau (72 %
dans le premier cas, 77 % dans le second), en ordonnant les csp des pro-
fessions libérales aux manœuvres. Le second axe oppose les catégories
extrêmes, les plus fortement homogames, aux catégories moyennes, qui
se dispersent plus largement dans tout l'espace social (graphiques II et
IV). Déjà par rapport à cette forme générale de parabole, les catégories
plutôt dotées de capital économique (le groupe des« patrons»), se dis-
tinguent assez clairement de celles où le capital culturel prédomine (pro-
fesseurs, instituteurs), se situant respectivement vers l'intérieur et vers
l'extérieur de la parabole.
Mais cette différenciation apparaît plus nettement dans les graphes
décrivant les axes 1 et 3 (graphiques III et V). Bien que la variance expli-
quée par le troisième axe soit faible (respectivement 5 % et 4 %), l'oppo-
sition selon la structure du capital y apparaît nettement pour les classes
supérieures, un peu moins pour les classes moyennes, et n'est pas per-
tinente pour les classes populaires. Il semble que pour ces dernières le
« capital culturel» (diplômes) soit étroitement corrélé avec le revenu, et
non en relative opposition comme pour les catégories moyennes et sur-
tout supérieures : l'étude sur le goût faisait aussi apparaître cette décrois-
sance du pouvoir explicatif de la structure du capital, quand on passait
des classes supérieures aux classes populaires. Dans les graphiques des
origines sociales (II et III), on ne peut pas interpréter les écarts entre les
points-lignes et les points-colonnes correspondant à une même catégorie.
Cela confirme que, au moins pour les csp urbaines 2, il n'y a pas de cas de
dissymétrie perceptible entre les origines sociales des époux et des
épouses, c'est-à-dire de cas où les fils d'une classe A épouseraient plus
souvent les filles d'une classe B, que ne le feraient les filles de A avec les
fils de B. Du moins, l'instrument utilisé ici ne permet pas de percevoir de
telles dissymétries. De tels graphiques reflètent indirectement les phéno-
mènes de mobilité sociale intergénérationnelle, puisqu'ils décrivent les

1. Ont donc été exclusde l'analysedes correspondancesd'une part les agriculteurs,les salariésagri-
coles,les mineurs, les patrons et marins-pêcheurs,fortement homogames,et d'autre part les catégories
comportant peu de « pères» : apprentis,clergé,femmesde ménages,gens de maison.
2. Il n'en est pas de même pour les csp rurales,où, on l'a vu, les fils d'agriculteursse marient beau-
coup plus fréquemmentavecdes fillesdes salariésagricolesque ne le font les filsde ces derniersavecdes
fillesdes premiers.
908 ANNEXES

effets des situations sociales des pères sur les mariages des enfants. Ainsi,
sur les graphiques II et Ill relatifs aux origines sociales, sont « tirées » vers
le « haut» de l'échelle (c'est-à-dire vers la gauche du graphique) les csp
particulièrement bien placées par rapport à l'école et favorisant donc,
toutes choses égales par ailleurs, l'« ascension sociale»: les professeurs et
les instituteurs marient leurs enfants un peu « au-dessus » de la place qui
serait la leur par exemple dans une échelle de revenus.
Ces phénomènes de mobilité intergénérationnelle sont plus percep-
tibles dans les graphiques IV et V qui décrivent deux générations dif-
férentes (beaux-pères et gendres). Lespoints« pères» sont plus« hauts»
( à gauche sur le graphique) que les points « maris » dans deux cas : pour
les professeurs et surtout les instituteurs; ceci reflète d'une part le fait
que le « statut social » de ces professeurs a baissé d'une génération à
l'autre, et d'autre part le fait que les filles d'hommes exerçant ces profes-
sions font relativement plus d'études, ce qui leur permet de se marier plus
« haut » [ ...]. En revanche, dans deux cas les points « maris » sont situés
plus« haut» que les points« pères»: les personnels médico-sociaux[ ..],
et les autres personnels de services. Ces deux catégories ont vu leur
contenu changer assez nettement d'une génération à l'autre, par appari-
tion de professions «nouvelles», paramédicales dans le premier cas, de
«service» tels que steward, guide, coiffeur, esthéticien, moniteur d'auto-
école, etc., dans le second cas. Ceci a eu pour effet d'élever la place de ces
catégories : les maris qui y figurent sont situés plus « haut » que les
beaux-pères.
Lesplaces relatives des quatre catégories constituant les patrons de l'in-
dustrie et du commerce sont aussi intéressantes : dans les deux cas, on
trouve, nettement séparés et dans cet ordre, les industriels, dans les caté-
gories «supérieures», les gros commerçants et les petits commerçants,
respectivement aux franges supérieures et inférieures des catégories
moyennes, et les artisans, à peu près au niveau des employés. Un tel ordre
n'était pas évident a priori : la place plus élevée des industriels par rapport
aux gros commerçants peut s'expliquer par le fait que les limites entre
«gros» et« petits» sont arbitrairement hétérogènes (plus de cinq sala-
riés pour les industriels, plus de deux pour les gros commerçants). Mais si
cette explication suffisait, les artisans (5 salariés et moins) devraient être
situés plus« haut» que les petits commerçants (2 et moins), ce qui n'est
justement pas le cas. Ceci suggère que la population des commerçants est
beaucoup plus homogène que celle des industriels et artisans, qui ras-
semble de véritables patrons et des petits artisans assez proches de la
classe ouvrière [ ...] 1.

1. Tiréde OESROSIÈRES, « Marchématrimonialet structure des classessociales»,Actesde la Recherche


en SciencesSociales,n° 2, 1978, p. 97-107.
ANNEXES 909

1. BIBLIOGRAPHIES
COURANTES

a) BIBUOGRAPHŒSGÉNÉRALESDES SCIENCESSOCIALES
Bibliographie internationale des sciences sociales. - London, Tavistock
Publications; Chicago (Ill.), Aldine Publishing Co. Annuel.
Bibliographie internationale de sociologie. Depuis 1951.
Bibliographie internationale de science politique. Depuis 1952.
Bibliographie internationale de science économique. Depuis 1952.
Bibliographie internationale d'anthropologie sociale et culturelle. Depuis
1955.
Recent publications in the social and behavioral sciences. The ABS
guide... supplement - New York, American Behavioral Scientist. Depuis
1965. Annuel.
* Bulletin signalétique. Sections 19-24 : Sciences humaines, philosophie.
Centre national de la recherche scientifique. - Paris. Depuis 1946. Tri-
mestriel.
* Bulletin analytique de documentation politique, économique et sociale
contemporaine. Fondation nationale des sciences politiques. - Paris.
Depuis 1946. Mensuel.

b) BIBLIOGRAPHIES
SPÉOAIJSÉESPOUR UNE SOENŒ
Cours et travaux inédits de science politique. Fondation nationale des
sciences politiques. - Paris. Depuis 1959. Annuel.
* Documen~tion politique internationale/International political science
abstracts. Etablie par l'Association internationale de science politique. -
Oxford, B. Blackwell. Depuis 1951. Trimestriel.
Sociological abstracts. - New York. Depuis 1952. 8 fois par an.

Il. BIBLIOGRAPHIES
RÉTROSPECTIVES

Current sociology/La sociologie contemporaine. Établi pour l' Associa-


tion internationale de sociologie, sous les auspices du Comité inter-
national pour la documentation des sciences sociales. - La Haye, Mou-
ton. Depuis 1953, 3 fois par an.
* La science politique en France, 1945-1958. Bibliographie commentée éta-
blie sous la direction de Jean Meyriat. - Paris, Fondation nationale des
sciences politiques, 1960, 136 p.
London bibliography of the social sciences. Studies in economics and
political science. Edited by the Director of the British Library of Political
and Economie Science. - London. Depuis 1931 (vol. 12 paru en 1967).
Reader's guide to the social sciences. Edited by Bert F. Hoselitz. - Glencoe
(Ill.), Free Press. 1959, 256 p.
* Sociologieet psychologie sociale en France, 1945-1965. Bibliographie éta-
blie et annotée par la Bibliothèque du Centre d'études sociologiques. -
Paris, 1966, 252 p.
910 ANNEXES

* Sources of information in the social sciences. A guide to the literature by


C.M. White and associates. - Totowa (N.J.), Bedminster Press. 1964,
XIII, 498 p.

III. RÉPERTOIRESBIBLIOGRAPHIQUES

Guide to reference material in political science. A selective biblio-


graphy.Vol. 1 by L.R. Wynay with the assistance of L. Fystrom. Denver
(Colo.), Bibliographie lnstitute, 1966, 318 p.
Guide sommaire des ouvrages de référence en sciences sociales sous la
direction de Jean Meyriat. Colin, 1969, 61 p. 1.
* Index bibliographicus. 4e éd. Vol. Il. Sciences sociales. - La Haye Fédéra-
tion internationale de documentation, 1964, 34 p.
Liste mondiale des périodiques spécialisés dans les sciences sociales 3eéd.
- Paris, Unesco, 1966, 448 p.

IV. ENCYCLOPÉDIESGÉNÉRALES

* Encyclopaedia britannica. - Chicago (Ill.), Encyclopaedia Britannica Ltd.


Depuis 1768 (au Royaume-Uni). Rééditions fréquentes, maintenant
annuelles, 24 vol.
* Encyclopédie française. Mise en œuvre par Lucien Febvre et par Gaston
Berger et dirigée par Julien Cain et Jacques Robichez. - Paris, Société nou-
velle de }'Encyclopédie française, 1935-1966, 21 vol. Grand Larousse
encyclopédique en 10 volumes (et 2 suppl.). - Paris, Larousse, 1960-
1964.

V. ENCYCLOPÉDIESET DICTIONNAIRESSPÉCIALISÉS

* Encyclopaedia of the social sciences. Editor in-chief E.R.A. Seligman,


associate editor A. Johnson. - London, Macmillan, 1930-1935, 15 vol.
Dictionary of politics, by Florence Elliott and Michael Summerskiff 5th
ed. - Harmondsworth, Penguin Books, 1966, 423 p.
Dictionary of politics and economics/Dictionnaire de politique et
d' économie/Wërterbuch für Politik une Wirtschaft, 2e éd. - Berlin. W. de
Gruyter, 1967, XVI-1037p.
Dictionary of Sociology. - New York, 1944.
Dictionary of the social sciences. Editors Julius Gould, William L. Kolb.
cornpiled under the auspices of the Unesco. - London, Tavistock Publica-
tions, 1964, XVI-761p.
Dictionnaire économique et social. Maurice Bouvier-Ajam, Jésus Ibarola,
Nicolas Paquarelli - Éditions Sociales, 1974.

1. Auquelnous empruntons une partie de ces références.


ANNEXES 911

Dictionnaire de l'ethnologie. Michel Panoff, Michel Perrin - Payot, 1973.


* Dictionnaire de sociologie, par Emilio Willems. Adaptation française par
Armand Cuvillier. - Paris, M. Rivière, 1961, 275 p.
Dictionnaire de sociologie. Joseph Sumpf, Michel Hugues - Larousse,
1973.
Dictionnaire de sociologie. R. Baudon et F. Bourricaud. P.U.F., 1982.
Qictionnaire général des Sciences humaines. G. Thènes, A. Lempereur -
Editions Universitaires, 1974.
La sociologie. Guide alphabétique. Jean Duvignaud (dir.). Denoël-
Gonthier, 1972.
Les Dictionnaires du savoir moderne : l' Anthropologie, André Akoun,
1972 - La Sociologie,Jean Cazeneuve, Daniel Victoroff (dir.), 1970 - La
Sociologieet les sciences de la société, Jean Cazeneuve (dir.) assisté d'An-
dré Akoun, 1975. - La politique, Jean-Luc Parodi (dir.) 1971. - Centre
d'étude et de promotion de la culture.
Les cinquante mots clés de l'anthropologie. François Laplantine. Privat,
1974.
Les cinquante mots clés de la sociologie. Jean Golfin. Privat, 1972.
** Lexique des science? sociales, Arlette et Roger Mucchielli. Entreprise
moderne d'édition. Editions sociales françaises, 1969.
Lexique des sciences sociales. Madeleine Grawitz, Dalloz, 5e éd. 1991.
Vocabulaire des sciences sociales. Paul Foulquiè. P.U.F., 19?8.
Vocabulaire pratique des sciences sociales. Alain Birou. Ed. ouvrières,
1966.
LISTEDESPRINCIPALES
REVUES
DE SCIENCES
SOCIALES

Actes de la recherche en Sciences sociales. - Paris.


Acta Sociologica Copenhague. - (depuis 1956).
American Anthropologist. - Washington, D.C.
American behavioral Scientist. - California.
Annals of the american Academy of political and social Science. - Sage.
American Journal of Sociology.- Chicago, Illinois.
American political Science Review. - Washington, D.C.
American sociological Review. - Washington, D.C.
American,Sociologist. - Washington, D.C.
Annales. Economies, Sociétés, Civilisations. - Paris.
Annales de géographie. - Paris.
Année politique, économique, sociale et diplomatique en France. - Paris.
Année psychologique. - Paris.
Année sociologique (L'). - Paris.
Anthropologie (L'). - Paris.
Archives européennes de Sociologie. - Paris.
Archives de Philosophie du Droit. - Paris.
Archives de Sociologie des Religions. - Paris.
Australian and New Zealand Journal of Sociology. - Camberra.
Behavioral Science. - Ann Arbor, Michigan.
Bibliographie internationale des Sciences Sociales. - London.
- Anthropologie sociale et culturelle.
- Science économique.
- Science politique.
- Sociologie.
British (The) Journal of Sociology.- London.
Bulletin analytique de Documentation politique, économique et sociale
contemporaine. - Paris.
Bulletin de méthodologie sociologique. - Paris.
Bulletin du Mouvement Anti Utilitariste en Sciences Sociales (MAUSS).-
Paris.
Bulletin de Psychologie. - Paris.
Bulletin signalétique. C.N.R.S. - Paris.
Bulletin de la Société française de Philosophie. - Paris.
Bulletin de la Société,de Linguistique de Paris. - Paris.
Cahiers du Centre d'Etudes socialistes. - Paris.
Cahiers d'Études africaines. - Paris.
Cahiers de l'Institut international d'Études sociales. - Genève.
Cahiers de l'Institut de Science économique appliquée (Économie et
Société). - Paris.
LISTEDES PRINCIPALESREVUESDE SCIENCESSOCIALES 913

Cahiers internationaux de Sociologie. - Paris.


Canadian Review of Sociology end Anthropology. Concordia Univ. -
Montréal.
Communications. - Paris.
Communication Abstracts. - Sage pub.
Communication Research. - Sage pub.
Comparative political Studies.- BeverleyHills, Calif.
Comparative Politics. - New York.
Contemporary Sociology.- Amer. Sociol. Assoc. Albany New York.
Critica Sociologica. - Rome.
Current Sociology.- Univ. of Durham. London.
Daedalus. - Cambridge, Mass.
Diogène. - Paris.
Économie et Humanisme. - Paris.
Économie et Statistique. - Paris.
Épistémologie sociologique. - Paris.
Esprit. - Paris.
Ethnographie (L'). - Paris.
Études rurales. - Paris La Haye.
Études sociologiques. - Paris.
European sociological Review. - Oxford.
Group Psychotherapy. - Beacon, N. Y.
Harvard Business Review. - Boston, Mass.
Homme (L'). - Paris.
Homme (L') et la société. - Paris.
Human Relations. - London.
Industrial and Labor Relations Review. - Ithaca, N. Y.
Industrial Relations. - Berkeley,Calif.
Information sur les Sciences sociales. - Paris.
International Journal of comparative Sociology.- Toronto.
Jahrbuch für Sozialwissenschaft. - Hambourg.
Journal of the international Societyof political Psychology.- Los Angeles.
1979.
Journal of Personality and social Psychology.- Washington, D.C.
Journal de Psychologie normale et pathologique. - Paris.
Journal (The) of social Issues. - Worcester, Mass.
Këlner Zeitschrift für Soziologieund Sozialpsychologie.- Cologne.
Langage (Le) et l'Homme. - Bruxelles.
Linguistique (La). - Paris.
Mathématiques et Sciences humaines. - Paris.
Monthly Labor Review.- Washington, D.C.
Nef (La). - Paris.
New Left Review. - Londres.
Papers, Revista de sociologie. - Barcelone.
Pensée (La). - Paris.
Pouvoirs. - Paris.
Political theory. - Sage pub. London.
914 LISTE DES PRINCIPALES REVUES DE SCIENCES SOCIALES

Praxis (Édition internationale). - Zagreb.


Preuves. - Paris.
Psychological Bulletin. - Washington, D.C.
Psychologie française. - Paris.
Public (The) Opinion Quaterly. - Princeton, N.J.
Quality and Quantity. - Padova.
Rassegna Italiana de Sociologia. - Bologne.
Recherche sociale. - Prais.
Recherches sociologiques. Univ. catholique Louvain. - Belgique.
Revista italiana de Sociologia. - Rome.
Revista Internationale de Sociologia. - Madrid.
Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l'étranger.
- Paris.
Revue française de Psychanalyse. - Paris.
Revue française de Science politique. - Paris.
Revue française de Sociologie. - Paris.
Revue de l'Institut de Sociologie Solvay. - Bruxelles.
Revue internationale des Sciences Sociales. - Paris.
Revue de Métaphysique et de Morale. - Paris.
Revue politique et parlementaire. - Paris.
Revue Suisse de sociologie. - Berne.
Social Forces. - Baltimore, Mar.
Sociétés. - Paris.
SociologicalAbstracts. - New York.
Sociologie contemporaine. - Paris.
Sociologie, Deutsche gesellschaft fur Sociologie.- Stuttgart
Sociological Quarterly. Columbia Ma.
Sociological Review. - Keeie (Grande-Bretagne).
Sociological methods and research. - Sage pub. London.
Sociologie et Sociétés. - Montréal ..
Sociologie du Travail - Paris.
Sociology. - Londres.
Sociologyand Social Research. Univ. of South California. - Los Angeles.
Sociometry. - New York.
Sondages. - Paris.
Socius. - Paris.
Soviet Sociology. - New York.
Studi di Sociologica. Univ. cath. dei Sacro Cuvre. - Milano.
Temps Modernes. - Paris.
World Politics. - Princeton, N.J.
Zeitschrift für Soziologie,Bielefeld, R.F.A.
PETITLEXIQUE

ACCULTURATION. - Ce terme désigne les transformations qui


affectent la culture de groupes mis en contact direct et continu.
ACTING OUT. - Action impulsive, marque de l'émergence du refoulé.
Ne pas confondre avec passageà l'acte,le plus souvent passage d'une ten-
dance à un acte violent et délictueux.
ALÉATOIRE. - Qui relève du hasard, de la probabilité.
ANALYSEFACTORIELLE. - Technique d'analyse mathématique utili-
sée surtout par les psychologues pour dégager des corrélations sous-
jacentes dans un ensemble de variables.
ANALYSEUR. - Ce qui permet de révéler la structure de l'institution,
de la forcer Jiparler.
ANAMNESE.- Terme utilisé en médecine et en psychologie, signifie
l'histoire du sujet
ANOMIE.- Du grec a (sans) nomes (loi). Terme employé par Durk-
heim avec des significations différentes que l'on peut résumer comme
une rupture de la solidarité (cf. La division du travail social) une rupture
également entre les désirs des hommes et la possibilité de les satisfaire
conformément aux lois (cf. Le suicide). Cette notion implique une
absence d'intégration de l'individu dans la société.
AXIOLOGIE.- Science des valeurs, théorie critique de la notion de
valeur.
AXIOME.- Proposition, évidente ou non, qui ne se déduit pas d'une
autre et que l'on pose au début de la déduction (cf. système hypothético-
déductif).
CATHARSIS. - Au sens propre signifie purge, au sens figuré, se libérer.
Terme utilisé par Freud.
DIACHRONIQUE.- Qualifie ce qui évolue dans le temps par opposi-
tion à synchronique,qui §e passe en même temps.
DOCIMOLOGIE.- Etude de la notation des examens.
ÉCOLOGIE. - Terme proposé en 1869 par Hackel: science de l'habi-
tat. Branche de la biologie qui s'occupe des relations des êtres vivants
entre eux et avec leur milieu, leur environnement naturel, leurs réactions
aux facteurs physiques et biologiques qui conditionnent leur présence ou
absence en un lieu déterminé.
ÉTIOLOGIE. - Science des causes.
EIDÉTIQUE.- Terme créé en 1920 par E. R. Jaensch pour désigner une
disposition à voir des choses imaginaires. Husserl appelle « eidétique » ce
qui concerne l'essence des choses, et non leur existence ou leur présence.
EMPATHIE. - Capacité d'un individu de se mettre à la place d'un
autre pour essayer de comprendre ses réactions.
ENDOGAMIE. - Régime matrimonial qui ne permet le mariage qu'a-
vec des personnes du même groupe social (contraire= exogamie).
916 PETIT LEXIQUE

ENTROPIE. - Mesure de la perte, du degré de désordre dans un sys-


tème physique donné, doté d'une quantité constante d'énergie. Permet de
donner une expression quantitative au second principe de thermodyna-
migue. _ _
EPISTEMOLOGIE. - Etude critique des principes, des hypothèses et
des résultats des diverses sciences, destinée à déterminer leur origine
logique, leur valeur et leur portée objective (Lalande).
ETHNOCENTRISME. - Terme employé par Wife Summer pour carac-
tériser une attitude suivant laquelle on juge les sociétés de civilisations
différentes selon les critères de celle à laquelle on appartient. Cette atti-
tude de mépris peut dans les sociétés complexes se manifester vis-à-vis de
groupes différents : professionnels, économiques, etc.
ETHOS. - Terme employé par certains auteurs pour désigner un
ensemble de caractères culturels, de règles et croyances propres à un
groupe donné.
GNOSÉOLOGIE.- Théorie de la connaissance.
HERMÉNEUTIQUE. - Interprétation de textes philosophiques et reli-
gieux, au sens large de ce qui est symbolique.
HEURISTIQUE(adj.). - Qui sert à la découverte. Se dit d'une hypo-
thèse que l'on adopte à titre provisoire pour sa fécondité dans la
recherche, sans se préoccuper de sa justesse.
HOLISME.- Du grec o')..ov,tout entier. Théorie d'après laquelle le tout
est plus que la SO!Ilffiedes parties.
MONEME.- Elément minimum pouvant correspondre à un contenu
de signification.
ONTOLOGIE. - Partie de la philosophie qui spécule sur « l'être en
tant qu'être».
PANEL. - Technique consistant à interroger plusieurs fois le même
échantillon de population pour observer les changements.
PATTERN. - Mot anglais qui signifie modèle, type, schéma, agence-
ment
PHÉNOTYPE.- En biologie, manifestation visible, extérieure du géno-
typequi est l'ensemble des caractères biologiques innés, déterminé par les
gènes ou particules héréditaires des chromosomes.
PHONEME.- Les phonèmes sont des unités segmentales et discrètes,
se présentant dans chaque langue en nombre restreint et fini, destinées à
constituer, seules ou en se combinant en une succession, les signifiants.
POTLATCH.- Échanges somptuaires et compétitions, ritualisés chez
les Indiens d'Amérique du Nord en vue d'acquérir ou d'élever leur statut
social.
PRAXIS.- Étymologiquement action ou activité. Terme marxiste fort
discuté, caractérise l'interaction entre théorie et pratique, l'homme et son
activité. Selon J.-P. Sartre: « faire et en faisant, se faire».
RÉIFICATION. - Erreur méthodologique qui conduit à confondre une
notiçm avec la réalité gu' elle est censée décrire.
SEMANTIQUE. - Etude des significations. Au sens large étude de la
correspondance entre les signes et ce qu'ils représentent
PETIT LEXIQUE 917

SÉMIOLOGIE. - Science qui étudie la vie des signes au sein de la vie


sociale. Science des moyens de communication par signes.
SOCIALISATION.- Mécanisme par lequel la société intègre ses
membres en leur transmettant ses valeurs, normes et croyances.
SOCIOGRAMME.- Technique de représentation graphique des rela-
tions sociométriques c'est-à-dire des relations à l'intérieur des petits
groupes.
STÉRÉOTYPE. - Cliché, préjugé, image toute faite que la société four-
nit à ses membres.
STOCHASTIQUE.- Indique que l'on se place au point de vue de la
probabilité. Une liaison stochastique entre E et F, associe à E un élément
dont on sait seulement qu'il appartient à un sous-ensemble déterminé de
F.
TABOU. - Interdit lié à des représentations magiques ou religieuses
dont la violation entraîne automatiquement des sanctions surnaturelles.
Concerne souvent la mise à mort ou la consommation de certains ani-
maillC.
TOPIQUE. - (Du grec 14,E4x,)signifie théorie des lieux. Pour Aristote:
lieux ou rubriques (à valeur logique et rhétorique) dont sont tirées les
prémisses de l'argumentation. Kant a repris le terme. La topique trans-
cendantale implique « ...la détermination par le jugement de la place qui
convient à chaque concept». Enfin Freud conçoit une première topique
très liée à une localisation anatomique. Elle comporte trois systèmes :
inconscient, préconscient et conscient. A partir de 1920, ce que l'on
considère comme une seconde topique, correspond à l'opposition des
trois instances : çà, moi et surmoi. A l'heure actuelle on abuse de l'utilisa-
tion de ce terme devenu ambigu. Le terme anglais topic signifiant sujet
augmente la confusion.
TRANSFERT.- Caractérise un processus de répétition de prototypes
infantiles, qui se réactualisent dans la relation entre thérapeute et malade
en psychanalyse.
1
BIOGRAPHIES

ADLERAlfred (1870-1937). - Médecin et psychologue autrichien. Dis-


ciple puis dissident de Freud. Le tempéramentnerveux(1948).
ADORNO Théodor Wiesengrund (1903-1969). - Philosophe, socio-
logue et musicologue américain né en Allemagne, membre fondateur
de l'école de Francfort. La personnalitéautant.aire,trad. ( 19 50).
ALLPORTGordon William (1897-1967). - Psychologue social améri-
cain. Personality,a psychologicalinterpretation ( 19 3 7). The useof perso-
nal documentsin psychologicalscience(1942). The resolutionof intergroup
tensions(1952).
ALLARDTErik. - Sociologue finlandais contemporain, éditeur des Acta
Sociologica,Mass Politics 19 70 ( en collab.).
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(Les chiffres correspondent aux numéros des paraip-aphes. Pour les mati~es_ les chiffres en gras
renvoient aux développements plus importants et ceux en italiques
aux bibliographies pour les noms d'auteurs)

A Albrecht (M. C.) 580-1.


Albritton (R.) 416.
Abel (E.) 576, 587.
Aldridge (A. O.) 395.
Abeles (M.) 225, 239.
Aléatoire (caractère) 289, 326, 517.
Abelson (R.) 414,869,881.
- erreur 289, 517.
Abdel-Malek (A.) 170.
- sondage 506.
Abrahamson (M.) 170.
Alembert (D') 62, 66.
Abrams 159-1. Alexander (E. O.) 908-1, 910-2.
Abt (L. E.) 766.
Alexander (J. C.) 86, 110.
Abu-Lughod (1.) 632. Alexandre (V.) 811.
Accardo (A.) 170. Algorithme de recherche 399.
Ackermann 632. Alker (Hayward Jr.) 239, 299, 416.
Achard (P.) 869, 881. Allais (M.) 223.
Achenwall (G.) 95. Allix (A.) 214.
Acot (P.) 214, 239. Allport (G. W.) 187, 190-1, 198, 271,
Adam (D.) 170. 272, 275, 453, 478, 574, 580-1.
Adler (G.) 184,199,200. Almond (G. A.) 169-1, 233, 234, 239,
Adorno (T. W.) 77, 86, 159-1, 163-1, 257,356,359,383,395.
170, 277, 478, 770, 771, 811. Althusser (L.) 13, 90, 93, 104, 159-1,
Affelbaum (E.) 881. 165,247, 254-1.
Agassi (J.) 222, 223. Amado (G.) 881.
Affichard Q.) 580-1. Amado Levy-Valensi (E.) 202.
Agel (H.) 584, 587. Amar (A.) 264, 329.
Agressivité200, 252, 835, 837, 839, 878, Ambacher (M.) 264.
907. Amerio (P.) 632.
Agulhon (M.) 206, 201, 587. Amione (F.) 632.
Aktouf (O.) 299. Amselle (J. L) 181.
Alaluf (M.) 110. Analyse:
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Albau (P.) 478, 725. - de contenu 589-1 et s.
Albouy (S.) 198. - des correspondances 924.
944 INDEXALPHABÉTIQUE

- directe, indirecte 593. - des sciences sociales 251, 253, 254,


- dirigée, non dirigée 591. 420 et S.
- d'exploration 591. - géographie 212, 213.
- évaluatrice 594. - psychanalyse 201.
- factorielle 462, 488, 743, 923. Apprentissage 186,191,455, 740.
- fonctionnelle 363 et s. Apter (O.) 239, 383, 395.
- institutionnelle, 893. Aptitude 731 et s.
- littéraire 589. Arber (S.) 554.
- multivariée 119. Arbousse-Bastide (P.) 159-1, 910-2.
- primaire 542. Archibald (K. A.) 428.
- qualitative 536 et s., 592, 623. Archimède 32, 52.
- quantitative 541 et s., 592, 623. Ardoino Q.) 428, 910-2.
- secondaire 542, 546. Arendt (H.) 237,239.
- structure latente 798. Argyle (M.) 478.
- structurale 367 et s. Argyris (E.) 910-2.
- systémique 382 et s. Aristote 1, 5, 6, 7, 17, 18, 21, 22, 26,
- thématique 589. 32, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 45, 46, 47,
- vérification 591. 49, 5Z 56, 5~64,79, 87,165, 185-1,
Anamnèse 276. 224, 241, 349.
Anaximandre 30. Armengaud (L.) 219.
Ancelin Schutzenberger (A.) 910-2. Arnaud (A.) 170.
Anderson (N.) 155, 159-1. Arnaud (P.) 113, 116, 159-1, 112.
Andler (D.) 198. Aron (R.) 92, 117, 118, 120, 128, 130,
Ando (A.) 416. 137, 144, 148, 159-1, 165-1, 170, 207,
Andrews (F. M.) 428. 225, 236, 237, 239, 352, 587.
Andrieux (R.) 170. Aronson (E.) 198.
Andreski (S.) 428. Arrive (M.) 249.
Angell (R.) 271, 275, 575, 580-1, 632. Arrow (K.) 237,239.
Ansart (P.) 159-1, 165-2, 237, 239. Arrow (K. Y.) 237,239,416.
Anscombre (C.) 245, 249. Asch (S.E.) 185-1, 873,881.
Anomie 119, 440. Ashby (W. R.) 382,411,416.
Anthony (E.J.). Ashley Montagu (M.F.) 264.
Anthropologie culturelle 171. Athias (C.) 170.
- sociale 171. Authier (M.) 910-2.
Antoine (S.) 587. Assoun (P. L.) 170.
Antoine o.) 518. Atkinson (O.) 181.
Anxiété898. Attali (J.) 223, 263, 264.
Anzieu (O.) 198, 202, 474, 587, 766, Attitudes 452 et s., 470.
895, 910-2. - caractéristiques 454.
Apfelbaum (E.) 198, 183. - changements 767 et s.
Aposte! (L.) 416. - définition 45 3.
Applications : - fonction 458 et s.
INDEX ALPHABÉTIQUE 94 5

- importance 271, 458. Baldwin (J. M.) 183, 184, 198.


- mesure, échelles 776 et s. Bales (R.F.) 609, 837 et s., 842, 844,
Auber-Montpeyssen (T.) 168, 110. 860, 881, 910-2.
Augé (M.) 181. Balibar (E.) 159-1.
Auster (D.) 632. Ball (R. A.) 395.
Austin (J. L) 245,249. Balle (C.) 110.
Austry (J.) 299. Balle (F.) 239, 416.
Authier (M.) 910-2. Bandura (A) 186, 198.
Autobiographie 271, 573 et s. Bandwagon 547.
Auzias (J. M.) 181, 395.
Banks (J. A) 860.
Averroes 36.
Bany (M. A) 910-2.
Avril (P.) 239.
Baran (P.) 264.
Avron (H.) 170.
Baraquin (Y.) 110.
Axiologique 430.
Baray (B.) 239.
Axiomatique, axiome, 211-1, 282.
Ayres (C.) 220-2. Barber (B.) 395.
Azouvi (A.) 580-1. Barber (J. D.) 860.
Barbier (R.) 264, 910-2.
B Barbut (M.) 299, 416.
Barday (J. R.) 766.
Bach (G. R.) 908, 908-1, 910-2. Bardin (L.) 632.
Bachelard (G.) 3, 4, 45, 63, 64, 65, Barley (N.) 181.
66, 69, 83, 84-1, 85, 86, 122, 165, Barnard (C.) 389.
166-1, 290, 301, 303, 305, 306, 312, Barnes (H. E.) 104, 159-1.
581, 587, 589. Barraqué (B.) 239.
Bachelard (S.) 13. Barrault (J.) 181.
Bacon (Francis) 41 et s., 49, 52, 54, 55,
Barre (R.) 223.
56, 57, 64, 66, 78, 85, 91, 301.
Barrows (H.) 210-1, 214.
Bacon (Roger) 7, 38.
Barrows (Suzanne) 196, 198.
Bacri (N.) 632.
Bartels (O.) 214.
Badie (B.) 239, 366, 395.
Barthélemy (C.) 428.
Badin (P.) 198.
Barth (K.) 26.
Badiou (A.) 414,416.
Bailey (H. D.) 395. Barthes (R.) 367, 369, 395, 589, 631,
Bailly (A.) 214. 632.
Bajoit (D.) 159-1, 110. Bartholomew (D. J.) 416.
Baker (G. W.) 860. Bartoli (H.) 223, 263, 264.
Bakounine (M.) 111, 444. Barton (AH.) 239, 341, 536, 554,
Balandier (G.) 165-2, 170, 179, 860.
180-1, 181, 226, 239, 264, 358, 395. Bartos (O. J.) 881.
Balaz (B.) 587. Basaglia (F.) 910-2.
Baldwin (J. B.) 159-1. Bastin (G.) 910-2.
946 INDEX ALPHABÉTIQUE

Bastide (R.) 159, 159-1, 174, 179, 181, Bennis (W. G.) 428, 860, 881, 910-2.
201, 202, 255, 264, 350, 354, 360, Bensman (J.) 860.
365-1, 395, 478. Bentham Q.) 184.
Bataille (G.) 239. Benveniste (E.) 245, 249.
Bates (F. L.) 416, 465, 467, 478, 881. Benzecri (J. P.) 562-1, 580-1, 923.
Batten (T. R.) 910-2. Berelson (B.) 565, 580-1, 585, 587,
Baud (F.) 110, 478. 590, 595, 596, 606, 610, 614, 615,
Baudelot (C.) 119, 580-1, 910-2. 623, 627, 628, 629, 629-1, 632, 811,
Baudoin (J.) 4, 86, 239. 860, 881.
Baudrillard (J.) 131, 132, 159-1, 587. Berge (G.) 398,416.
Baudry (J. L) 585, 587. Berger Q.) 170.
Bauer (R. A) 632. Berger (Peter) 159-1, 312, 580-1.
Baulig (H.) 208, 214. Bergeron (G.) 239, 392, 395.
Bavelas (A.) 374, 398-1, 416,874,880, Berghe (P. Vanden) 395.
881, 910-2. Bergman 584.
Baverez (N.) 580-1. Bergson (H.) 6, 65, 85, 885.
Beals (R. L.) 181, 264. Berkeley (G.) 6, 62.
Beaujeu-Garnier (J.) 214. Berkoffer (R.F.) 207.
Beck (LW.) 101. Berkowitz (L.) 198.
Beck (S. J.) 275. Bernard (C.) 58, 73, 86, 119-1, 159-1,
Becker (H.) 25, 104, 159-1, 110, 181, 263, 300, 301, 312, 322, 328, 329,
261-1, 265, 269, 297, 337, 340, 341, 861, 881.
395, 580-1, 860. Bernard (P.) 478.
Becquemont (D.) 104. Bernard (Y.) 583, 587.
Beetham (D.) 159-1. Berne (E.) 881.
Behaviorisme 186, 233, 260-1. Bernd (J.) 416.
Bejarano (A.) 910-2. Bernheim 200.
Belier (G.) 110. Bernot (L.) 860.
Bellaev (E.) 170. Bernoulli (J.) 48, 62, 215-1, 280.
Bellak (L) 766. Bernoux (B.) 170.
Bellamy (R.) 170. Bernreuter (R. G.) 754.
Belley (J. G.) 169, 110. Bernstein (A.) 881.
Belson (W. A.) 585, 587. Bernstein (B.) 246, 249.
Benassy Q. P.) 223. Bernstein (E.) 2 54-1.
Ben David Q.) 554. Bernstein (H.) 571.
Benclix (R.) 138, 159-1, 239, 395. Berque (J.) 179, 181.
Benedict (Ruth) 176, 181, 540, 860. Berr (H.) 205.
Benett (E. B.) 881. Berreman (G. D.) 260, 264.
Benezé (G.) 86. Berry (B. J. L.) 214.
Benguigui (G.) 860. Berry (D.) 170.
Benjamin (W.) 163-1, 170, 910-2. Bertalanffy (L. Von) 383, 395, 411,
Benne (K. D.) 428, 860, 910-2. 416.
INDEX ALPHABÉTIQUE 94 7

Bertaulay (K.) 214. Blanché (R.) 4, 24, 28, 45, 49, 51, 55-1,
Bertaux (O.) 275, 554, 573, 580, 56, 59, 61, 66, 67, 69, 72, 73, 74, 75,
580-1. 83, 86.
Berthelot (J. M.) 159-1. Blanchet (A.) 725.
Berthoud (G.) 165-1, 170. Blatner (H.) 910-2.
Bertillon (A.) 215-1. Blau (P. M.) 170, 860.
Bertillon (J.) 215-1. Blaug (M.) 222-2, 223.
Bertin ( C.) 202. Bloch (Marc) 203, 205, 206, 207.
Bertin (J.) 917. Bloch (J. M.) 211.
Besançon (A.) 202. Bloch (Joseph) 132.
Beshers (J. M.) 219. Blondel (J.) 239.
Besnard (P.) 159-1, 198. Bloomberg (W.) 442.
Besson (J. L.) 562, 580-1. Bloomfield (L) 86,243,249.
Bettelheim (B.) 604, 632, 881. Blum (A. J.) 554.
Bettelheim (C.) 223, 860. Blumberg (A.) 860.
Betz (H. K.) 220, 223. Blumberg (H. H.) 725.
Beveridge (W.) 860. Blumer (H.) 22, 162, 170, 271, 297.
Biais 661, 696, 723, 724. Blumler (J. G.) 585, 587.
Bichat 110. Boas (F.) 176, 177.
Bidegain (J.) 910-1. Bode (K.) 223.
Bie (P. de) 170, 428. Bodin (J. L.) 580-1.
Bienayme (A.) 223. Bogardus (E. S.) 137,785,811.
Bierstedt (R.) 159-1. Bogdan (R.) 299.
Billon-Grand (J.) 239. Bogner (A.) 159-1.
Bindrim (P.) 910-2. Bogue (O.) 219.
Binet (A.) 193, 727, 729, 730, 737, Bohr (N.) 82, 83, 84.
738,743,749,756,861. Bois du (Cora) 176.
Binion (R.) 201. Boissomat (G.) 168.
Bion (W. R.) 893, 895, 897, 898, Boland (L.) 222-2, 223.
910-2. Bolle de Bal (M.) 170.
Birnbaum (N.) 159-1, 264. Boil (M.) 478.
Birnbaum (P.) 159-1, 165-1, 110,226, Bollème (G.) 201.
239, 395, 432. Bolles (B. C.) 473, 478.
Bismarck 150. Boltansky (L) 170, 417, 565, 580-1,
Blache (J.) 214. 587, 632, 937.
Black (F.) 223. Bon (F.) 170, 239, 518, 632.
Black (J.) 554. Bonafé-Schmidt (J. P.) 169, 170.
Black (M.) 395. Bonaparte (Marie) 199.
Blake (R. R.) 881, 910-2. Bonjean (C. M.) 811.
Blalock (H. M.) 416, 860, 881, 910-2. Bonnardel (R.) 753, 766.
Blancard (R.) 211-2, 860. Bonnetain (P. H.) 239.
Blanchard (O.) 223. Booth (C.) 152, 154, 159-1, 860.
948 INDEX ALPHABÉTIQUE

Bopp (F.) 242. Bradford (L P.) 910-2.


Borelly (M.) 255. Brams (S. J.) 239.
Borgatta (E. F.) 159-1, 881, 910-2. Braud (P.) 225, 226, 239.
Borko (M.) 416. Braudel (F.) 165-2, 206, 201, 361, 395.
Boskoff (A.) 25, 201, 265, 269. Bréal (M.) 248-1.
Bossuet (L.) 112. Bréchon (P.) 239.
Bott (Elizabeth) 416. Brehm (J. W.) 881.
Bottomore (T. B.) 159-1, 110. Brémond (Cl.) 632.
Boudon (R.) 126, 129, 136, 159-1, 160, Breslau (D.) 155, 159-1.
162-2, 165-1, 166, 170, 239, 269, Breton (Ph.) 170.
270, 299, 309, 311, 312, 349, 354, Breton (R.) 214.
367, 368 et s., 395, 414, 416, 554, Brethe de la Gressaye 169, 170.
766, 798, 811, 881. Brett (S. H.) 725.
Boughey (A. S.) 239. Breuer (K.) 199, 200.
Bouglé (C.) 119. Breven (S.) 159-1.
Bougnoux (O.) 202. Brewster-Smith (M.) 181, 478.
Boulanger (J.) 632. Brezinski (Z. K.) 239, 264.
Boulding (K.) 223, 239, 383, 395. Bridger (H.) 881.
Bourbalà (N.) 370. Bridgman (P.) 308, 312.
Bourdet (C.) 663. Brinton (L) 239.
Bourdieu (P.) 123, 162-1, 165, 167-2, Britvin (V.) 110.
110, 181, 186, 226, 237, 239, 246, Broadbeck (M.) 170, 416.
249, 290, 299, 301, 304, 306, 308, Brocard (L.) 220-2.
312, 329, 430, 431, 432, 442, 497, Brochier (H.) 165-1, 223.
518, 565, 580-1, 581, 632, 707, 720, Broglie (L. De) 72, 83, 84, 86.
725,860. Broom (L.) 110, 860.
Bourdin (A.) 587. Broseta (B.) 223.
Boureau (A.) 201. Brown (L.) 219.
Bourgeois-Pichat (J.) 215-1, 219. Brown (N. O.) 206,201.
Bourguin (M.) 133. Brown (R. W.) 198.
Bouroche (J. M.) 580-1. Brubaker (R.) 142, 159-1.
Bourricaud (F.) 136, 159-1, 162-2, Bruckner (P.) 239.
170, 198, 239, 378, 395, 478, 811. Bruhnes (J.) 210-2, 214.
Bouthoul (G.) 159-1, 219. Bruner (J. S.) 478.
Boutot (A) 84-1, 86. Brunet (P.) 66.
Bouveresse (J.) 86, 181. Brunet (R.) 214.
Bowles (E. A) 632, 416. Bruning ( G.) 580-1.
Bowles (S.) 220, 221-1, 223, 632. Brunschwig (L.) 6, 13, 79, 86.
Bowley (A.) 152. Bruyn (S. T. H.) 881.
Boy (D.) 239. Bruyne (P. de) 554.
Boyer (P.) 923. Bryant (C. G. A.) 110.
Bradbrun (N. M.) 725. Bryce (H. J.) 234.
INDEX ALPHABÉTIQUE 949

Bryman (A.) 299. Camelot (projet) 260.


Brzezinski (Z.) 264. Carnilleri (C.) 486.
Buchanan 222-1. Campbell (S. Q.) 811.
Buckley (W.) 382, 392, 395, 416, 587. Campbell (A. A.) 239, 518, 860.
Budo (R. W.) 632. Carnpelli (E.) 580, 580-1.
Buffon (G. L.) 62, 209, 210. Canguilhem (G.) 85, 86, 119-1, 159-1,
Bulmer (M.) 159-1, 428, 554. 416, 478.
Bunge (M.) 329, 354. Cannon (W. B.) 395,416.
Bunge (W.) 214. Cannel (C. F.) 652, 662, 665 et s., 704,
Buquet (L.) 219. 725.
Burger (T.) 144, 159-1. Cantoklein (M.) 632.
Burguière (A.) 219 Cantor 396.
Burguière (D.) 207. Cantril (H.) 198, 518, 540, 601, 632,
Burckardt (K.) 134. 725, 811, 813.
Burdeau (G.) 225,236, 239. Capdevielle O.) 170.
Burgess (E. W.) 137, 170. Caplow (T.) 170,810,811, 881.
Burgess (R. L) 137, 159-1, 234,860. Capranico (S.) 428.
Buridan Q.) 38. Carbonnier Q.) 169, 170, 556.
Burns (T.) 170. Cardin Q. C.) 595, 632.
Burton (A.) 909, 910-2. Carmille (R.) 215-1.
Busino (G.) 170, 198. Carnap (R.) 18, 25, 28, 77, 86.
Butery (A.) 416. Caro Q.Y.) 239.
Butler (D.) 239. Carpentier (R.) 414,416.
Butorin (P.) 170. Carrard (A.) 751.
Carrère d'Encausse (Hélène) 239.
Buttimer (A.) 214.
Carré (A.) 595, 632.
Carron (R.) 239.
C Carruthers (W.) 423.
Carson (R.) 239.
Ça (sur-moi, moi) 200. Carter (L) 239, 837, 844, 860, 881.
Cabanis (P.J. G.) 110. Cartwright (D.) 486, 524, 554, 575,
Cadre de référence 426, 607, 651, 692, 580, 580-1, 597 et s., 607, 632, 881,
700, 802, 829. 910-2.
Cahnrnan (W. J.) 159-1, 206, 207. Cas (méthode des) 904.
Caille (A.) 107, 170, 222, 223, 264. Casanova (A.) 725.
Cailleux (A.) 218, 218-1, 219. Castel (R.) 202.
Caillot (P.) 923. Castels (M.) 104.
Caillot (R.) 860. Cassirer (E.) 25, 104.
Calas (M. F.) 587. Castellan (Y.) 198.
Caldwell (B.) 222-2, 223. Castoriadis (C.) 166-1, 170, 893,
Calot (G.) 215-1, 219. 910-2.
Calvez (J. Y.) 159-1. Catani (M.) 580, 580-1.
950 INDEX ALPHABÉTIQUE

Catastrophes (Théorie) 84, 84-1. Chaos (Théorie) 84-1, 86.


Catégories 336, 562, 831. Chapin (F. S.) 284,299,328,329,416,
- d'analyse de contenu 605 et s., 710. 798, 860, 881.
- démographiques 503. Chapman (R. A) 416, 860.
- dans l'interview 712. Chapple (E. D.) 844, 860.
- dans l'étude des groupes 831. Chapoulie o. M.) 159-1, 110, 860.
- grammaticales 246. Chapsal Q.) 239.
- psychiques 246. Charaudeau (P.) 247, 249.
- de comportement 830, 835. Charbit (Y.) 580-1.
Catharsis 199, 834. Charbonnier (G.) 428.
Catlin (G.) 225. Charcot (J. M.) 184, 200.
Cattell (R.) 187, 189, 198, 374, 728, Charlesworth Q.G.) 239.
729, 754, 766. Charlot (M.) 239.
Causalité 61, 185, 348 et s., 365-1 et s. Chateaubriand (A. de) 204.
- externe, interne 350. Chatel (M. M.) 909-1, 910-2.
- rapport aux valeurs 142.
Châtelet (F.) 107, 239.
- relations de 543, 545.
Chauchat (Hélène) 554, 725.
- singulière 350.
Chaumier Q.) 416, 580-1.
Cauters (B.) 239.
Chaunu (P.) 205-1, 201.
Cavozzi Q.) 239.
Chazan (J.) 202.
Cazeneuve (J.) 124, 126, 159-1, 428,
Chazel (F.) 170, 239, 395, 881.
585,587.
Chenu (A.) 219.
Cazes (P.) 518, 632.
Cherry (C.) 416.
Cedronio (M.) 159-1.
Certeau (M. de) 207. Chesnais Q. C.) 219.
Cesari (Y.) 725. Chevalier (L.) 215-1.
Cézard (M.) 562, 580-1. Chevalier (M.) 211, 214, 238.
Chabbi Q.) 632. Chevallier Q.) 170, 239.
Chabrol (C.) 632. Chevallier Q.J.) 87, 88, 92, 104, 117,
Chaffee (S. H.) 239. 224, 236, 239.
Chaix-Ruy (J.) 910-2. Chevallier (Y.) 580, 587.
Chalmers (A. P.) 28. Chevassu (F.) 587.
Chaline (C.) 214. Chevreul (M. E.) 861.
Chamboredon o.
C.) 120, 159-1, 305, Chevry (C.) 518, 561, 580-1.
312, 428, 562. Cheylan a. P.) 239.
Chamoux (Marie-Noëlle) 168, 110. Chifres (A.) 632.
Champagne (P.) 164, 164-2, 170, 214, Chiland (C.) 202.
237, 239, 518, 585, 587, 725. Chin (R.) 428, 860, 910-2.
Champ psychologique 190-1, 374. Chiva (1.) 428.
- des attitudes 776. Cholley (A) 214.
Champenois-Marrnier (M. P.) 170. Chombart de Lauwe (P. H.) 159-1,
Champion (D. J.) 554. 264, 329, 478, 860, 881.
INDEX ALPHABÉTIQUE 9 51

Chomsky (N.) 162-1, 244-244-1, 246, Colas (D.) 239.


249, 264, 367, 369. Colbert 57.
Charley (R. J.) 214. Colby (B. N.) 629, 632.
Christaller (W.) 214. Cole (J. C.) 214.
Christen (Y.) 159-1. Cole (S.) 269.
Christiansen (H. F.) 868, 881. Coleman (J. S.) 170, 299, 395.
Chua (B. L.) 159-1, 110. Colin (L.) 910-2.
Churchill-Semple (E.) 210. Colletti (L) 159-1.
Churchman (C. W.) 395,416. Colley 0- P.) 181.
Ciarlo 0- A.) 161, 170. Collins (B. E.) 881.
Cibois (Ph.) 743, 766. Collins (C.) 416.
Cicourel (A. V.) 159-1, 162-1, 170, Colliot-Thélène (C.) 159-1.
299. Collomb (P.) 580-1.
Clair (R.) 584. Collowald (Anny) 239.
Clammer (J.) 76-1, 86. Colomb (C.) 97.
Clapier-Valadon (S.) 580-1. Colonomos (A.) 416.
Clark (A. W.) 910-2. Combe (M.) 170.
Clark 0- T.) 299, 428, 580-1. Combessie 0- C.) 580-1.
Classes (lutte des) 117, 130, 885. Commaille (Y.) 110.
Clastres (P.) 181, 239. Commoner (B.) 219,239.
Claunch (J. M.) 416. Communication 169-1, 408 et s.,
Clausewitz 401. 589-1, 903.
Clavai (P.) 104, 210-1, 211,214. - direction 604.
Clemence (A.) 554. - instrumentale 593.
Clément (P.) 860. - moyens 695.
Ciergue (M.) 632. - nature 596.
Clinique 275. - représentative 593.
Clique 400, 879, 887, 889. - structure 431, 880.
Clos (R.) 632. - two step flow 431.
Clozier (R.) 214. Comportement ( cf. behaviorisme)
Coch (L.) 524, 554, 881, 884, 910-2. 186, 750.
Codage 710 et s., 841 et s. - démographique 217.
Coefficient de variation (écart type) - politique 233.
517, 541, 914. Commons (R. C.) 220-2.
Coenen-Huther (J.) 312, 364-1, Comte (A.) 68, 76, 86, 91, 108 et s.,
365-1, 395. 109-1, 110, 112, 112 et s., 116, 117,
Cohen (A. P.) 180, 181. 118, 119, 121, 125, 126, 128, 140,
Cohen (E.) 395. 149, 158, 159, 159-1, 167, 172, 176,
Cohen (M. R.) 25, 86, 107, 249, 264. 183, 254-1, 25~ 352,401,861.
Cohen (P. S.) 428. Comte (M.) 580-1.
Cohen-Seat (G.) 587. Canant 0- B.) 101, 264.
Cohn (R.) 909. Conditionnement 184, 257, 455.
952 INDEX ALPHABÉTIQUE

Condorcet (A. N. de) 114, 215-1, 280, Cotteret a. M.) 239, 632.
282, 401, 861. Cotton a. W.) 518.
Conduites. Coulon (A.) 110.
-de réunion 903. Courchet a.
L.) 860.
-domaine des 748-1. Cournot (A.) 52, 66, 73, 86, 282.
-et caractérisation 462, 643. Cournot 0-) 220-2.
-étude des 752. Courthenay (B. de) 241.
Conring (H.) 95. Cousteau a.
Y.) 219.
Consensus 116, 162, 222. Couturier (M.) 205-1, 201.
Constantinescu (M.) 170. Cowell (F. R.) 264.
Contrainte 120. Cox (K. R.) 214.
Contre culture 259. Crawford (F.) 264, 428.
Converse (P.) 518, 860. Crawford (V.) 223.
Conway (F.) 518. Crecine a. P.) 869.
Cook (S. W.) 97, 198, 329, 478, 486, Crespi (1.) 587.
518, 606, 725, 860, 881.
Cresswell (R.) 181.
Cooley (C. H.F.) 183, 186.
Crombie 38.
Coombs (C. H.) 299, 786, 788, 789,
Crone (G. R.) 214.
791,811.
Cros (R. C.) 632.
Coombs (P.) 395.
Crossley (H.) 725.
Cooper (C. L.) 910-2.
Crotty (W. J.) 587.
Cooper (E.) 768,811.
Crouzet (Ph.) 725.
Cooper (R.) 223.
Crozier (M.) 162-1, 166, 167-1, 168,
Copans 0,) 260, 264.
170, 238, 860, 882, 892.
Copernic (N.) 39.
Coquet a.
C.) 632. Cruse (H.) 110.
Crutchfield (R.) 182-2, 198, 264, 486,
Corbin (A.) 206, 207.
Corcuff (P. H.) 110. 691, 811, 876, 878, 881.
Cornaton (M.) 486, 881. Cubeddu (R.) 223.
Cornu (R.) 159-1. Cues (N. de) 39.
Corrélation 539, 542, 543, 545, 916. Cuin (Ch. H.) 159-1.
- empirique 324. Cuisenier 0-) 181.
- et causalité 542, 543. Culioli (A.) 244-1, 249.
- fonctionnelle 350. Culture (notion de) 176, 187.
Corsini (R. J.) 910-2. Curie (A.) 910-2.
Cortes (F.) 416. Curtis (A.) 910-2.
Corvez (M.) 395. Curtis a. H.) 110.
Coser (L. A.) 110, 239. Curtis (M.) 239.
Costa-Pinto a.A.) 219. Cuvier (G.) 27.
Cot 0- P.) 239. Cuvillier (A.) 132, 133, 159-1, 354.
Cotgrove (J.F.) 170. Cybernétique 382, 383, 388, 389, 390,
Cotinaud (O.) 910-2. 392,410.
INDEX ALPHABÉTIQUE 9 53

D Delay (J.) 7 66.


Deleage (J. P.) 62, 238-1, 239.
Dabene (Odile) 239.
Deleuze (G.) 202, 910-2.
Dahl (R. C.) 110, 239. Delfendhal (B.) 181.
Dajos (R.) 239.
De Leornardis (O.) 110.
Dale (A.) 542, 554. Delfosse (P.) 249.
Dampierre (E. de) 537, 580, 580-1. Dell (F.) 249.
Darbel (A.) 860. Deloye (Y.) 239.
Dardel (E.) 207, 214. Delsaut (Y.) 497, 580-1, 587.
Dahrendorf (R.) 110, 910-2. Delumeau 0.) 207.
Dammame (D.) 239. Delvallée (B.) 416.
Darwin (C. R.) 98, 209, 218-1, 238-1, Demailly (A) 223.
323. Demangeon (T.) 211-2.
Daumezon (G.) 893, 910. Desmarez (P.) 167-1, 170.
Daval (R.) 182-2, 186, 198, 401, 416, Démocrite 52.
454, 478, 775, 793, 798, 811, 911. Denis (H.) 222, 223.
Daves (C. W.) 159-1, 766. Denitch (B.) 164-1, 264.
David (M.) 110, 416. Denni (B.) 239.
David (R.) 395. Dennis (J.) 391, 395.
Davidovitch (A) 110. Denquin Q.M.) 239.
Davis (A.) 156, 159-1. Denzin (N. K.) 170.
Davis (K.) 215, 219, 365,395. Dererath (N. J.) 395.
Davis (M. D.) 416. Derivry (D.) 239, 632.
Davis (W. K. D.) 214. Deroche-Gurcel (L.) 136, 159-1.
Davy (G.) 123, 169. Deroy (M.) 518.
Dautriat (H.) 725. Derruau (M.) 214.
De Alessi (L.) 223. Désabie (J.) 518.
Dean Q.) 881. Descamps (M. A.) 910-2.
Debaty (L) 811. Descartes (R.) 6, 27, 28, 41, 45, 49, 51,
De Bruyne (P.) 554. 54, 56, 66, 70, 79, 83, 301, 322.
Deconchy (J. P.) 198. Descles Q.P.) 249.
Déduction 17, 56. Desjardins (B.) 110.
Définitions 19, 22, 23. Desrosières (A.) 239, 312, 561, 580-1,
- des concepts 19. 923.
- opératoires 308, 784. Déterminisme 73, 83.
- réelles, nominales 23. Deutsch (E.) 239, 860.
Debray (R.) 239. Deutsch (H.) 202.
Defalvard (H.) 223. Deutsch (K. W.) 239, 383, 388, 395,
Degenne (A.) 239,400, 416. 414, 416, 518.
Dejours (C.) 264. Deutsch (M.) 198, 478, 486, 606, 632,
Delahodde (J.) 170. 725, 860, 881.
Delamotte (Y.) 62,198,478,811. Deutsch (S.E.) 264.
954 INDEX ALPHABÉTIQUE

Deutschmann (P.J.) 580-1, 587. Dognin (P. D.) 159-1.


Devereux (G.) 202. Doise (W.) 198, 554.
Dewey 0-) 28, 155,162,255. Dolan (E.) 223.
Dewivry (D.) 239. Dollard (J.) 156, 159-1, 186, 580-1.
Diachronique 158, 351, 360, 362. Dollfus (O.) 214.
Diagnostic. Domarchi (J.) 223.
- enquête 276, 551, 818, 820, 822, 846. Doob (L. W.) 478.
- groupe 893 et s. Don 126, 304, 581.
- dialectique10, 37, 69, 393 et s. Don Bushell (J. R.) 159-1.
Dezalay (Y.) 169, 110. Dora (H.) 725.
De Shooteete (M.) 554. Dorna (A.) 239.
Dickermann 910-2. Doron (R.) 198, 478, 811.
Dickson (W.) 110, 860. Dorozenski 632.
Didry (C.) 170. Dotson (L) 811.
Dierkes (M.) 110. Doubrovsky (S.) 589, 632.
Dieterlen (Germaine) 179, 181. Douglas (J. D.) 725.
Dilthey (W.) 134. Downs (A.) 239.
Dimension 309, 310. Doxiadis (C.A.) 219.
- continue 838. Doyle (C.) 401.
- unidimensionnel 779, 797. Doyle (D.) 162-1, 170.
Dinerman (H.) 768,811. Draï (R.) 239.
Diogène 170. Drevillon O.) 881.
Dion (R.) 211. Dobratz (B.) 239.
Dion (M.) 264. Drouard (A.) 107, 170.
Directif, non directif. Drouin a. M.) 239.
- attitude, orientation 896, 899, 900. Droysen 141.
- interview643, 644 et s., 651. Drucker (P. F.) 110.
Di Renzo (G. J.) 25, 312. Dubet (F.) 110, 910-2.
Dissonance 768. Dubois (C.) 910-2.
Doby a. T.) 329, 341. Dubois 0-) 248-1, 249.
Dobry (M.) 239. Dubost 0-) 165-2, 182, 195, 198, 239,
Docimologie 747. 725, 811, 882, 890-1, 892, 892-2,
Documents 528. 893, 910-2.
- expressifs576, 579, 580. Duby (G.) 206,201.
- audiovisuels315, 584 et s. Duchac (R.) 159-1.
- privés 555, 572 et s. Dudos (D.) 239.
- officiels555, 557ets. Dudos (L.S.) 264.
- personnels275 et s. Ducrot (O.) 245, 249.
Dodd (S.) 881. Dufour (J. P.) 238-1.
Dodinet (Elizabeth) 910-1. Dufour (S.) 881.
Dofny 0-) 167-1, 168, 110. Dufourt (D.) 223.
Dogan (M.) 239, 395. Dufrenne (M.) 198.
INDEX ALPHABÉTIQUE 9 55

Duguit (L.) 169, 170. Dwight (W.) 860.


Duhamel (O.) 239. Dyson (J. W.) 239.
Duhem (P.) 40, 66, 72, 80, 86.
Dumas (fils) 204, 571. E
Dumas Q. B.) 119-1.
Earl (P. E.) 223.
Dumazédier (J.) 170, 860.
Easton (D.) 162, 169-1, 181, 225, 233,
Dumézil (G.) 170.
237,239, 260-1, 264, 383, 390, 391,
Dummet (M.) 86.
392, 395, 414.
Dumont (F.) 170, 181, 239. Eatwell (J.) 223.
Duncan (D. D.) 219. Écart moyen, écart type 914.
Dunlop (F. T.) 170. Eckberger (D. L.) 170.
Dunn (W. N.) 239. Écologique 238-2.
Dupaquier Q.) 219. Échantillon 501 et s., 541-2, 911.
Dupeux (G.) 234, 239. - de presse 616, 617.
Dupront (A.) 206,207. Eckstein (H.) 239.
Dupuis (F.) 170. Edelman (H.) 169-1, 239.
Dupuy Q.P.) 222-1. Edison (Th.) 421.
Durand (Ch.) 632. Edgerton (H. A.) 725.
Durand (D.) 395. Edwards (A. L) 811, 862, 881.
Durand (G.) 166-1, 170. Effet autokinétique 873.
Durand (J. P.) 160, 165, 165-1, 165-2, - de halo 697, 747.
166 et s., 168-1, 170, 416, 587. Edwards (R.) 220, 221-1, 223.
Durand (P.) 167, 170. Egmond (E. W.) 428.
Durand-Dassier Q.) 908-1, 910-2. Ehrard Q.) 104.
Durandin (G.) 473,476,478. Ehrlich (P. R. et A. H.) 219.
Durbin (M.) 714. Ehrlich Q.S.) 169, 664, 725.
Einstein 18, 22, 52, 68, 72, 81, 83, 86,
Durkheim (E.) 108, 109, 110, 116,
307, 352.
117, 118, 119 et s., 126, 135, 136,
Eisenstadt (S. N.) 159-1, 239, 395.
140, 141, 142, 143, 149, 158, 159,
Eiser Q. R.) 185-1, 198.
159-1, 160, 160-1, 162, 162-1, 163,
Eliaeson (S.) 159-1.
165, 165-1, 167, 169, 170, 173, 176,
Elias (N.) 159-1, 170.
180, 187, 191, 199, 218, 243, 248-1, Ellis (A.) 725.
254-1, 301, 302, 312, 313, 337, 342, Ellison (G.) 223.
346, 347, 356, 365-1, 366, 372, 380, Ellul (J.) 86, 239, 298-1.
440, 479, 543, 561, 562, 632, 798, Elster (J.) 159-1, 239, 416.
861, 893, 910. Elton (G. R.) 207.
Duruy (V.) 119-1. Emeri (C.) 632.
Dussay (Anne-Marie) 518. Emery (F. E.) 395, 416.
Duverger (M.) 234, 236, 237, 239, Emmet (D. M.) 478.
435, 436, 442, 860. Emmer (R.) 223.
Duvignaud Q.) 159-1, 165-2, 264. Empathie 184, 644.
956 INDEX ALPHABÉTIQUE

Empiriste, empirique 37, 44, 83, 85, Euclide 32.


114, 160, 237, 322, 393. Eugène a.) 403, 416.
Enfantin (B. P.) 167, 258. Eulau (H.) 110, 239.
Engelman (P.) 76-1, 86. Euler (L.) 62.
Engels (F.) 3, 9, 128, 130, 132, 133, Evans (A.) 416.
159-1, 170, 174. Evans (R.) 170.
English (P. W.) 214. Evans-Pritchard (E. E.) 29, 66, 181,
Enriquez (E.) 66, 239, 895, 910-2. 239.
Enriquez (F.) 66, 73. Expansivité 887, 888.
Entropie 409. Expérimental 37, 62, 186, 275.
Epicure 7. Expérience, expérimentation 54, 56,
Epistemon 910-2. 58, 64, 69, 85, 300, 328, 484, 551,
Épistémologie 5, 26, 85, 222, 274, 430. 818, 821, 833, 861 et s., 896.
- obstacle 53, 63, 101, 301. - en laboratoire 861 et s.
- rupture 114, 301, 429. - ex post facto 543, 868.
- vigilance 301, 430. - provoquée, invoquée 328.
Équilibre quasi stationnaire 883. - sur le terrain 492, 861, 871.
Erben (M.) 170. Explication.
Erbès-Seguin (Sabine) 167-1, 168, - économique 222.
170. - génétique 351, 362.
Ergès (A.) 725. - historique 360, 361.
Erlich (E. R. et A. H.) 219. - sociologique342 et s., 3 5 5 et s.
Erreur 285, 515, 562. - synchronique, diachronique 351, 360,
- aléatoire 289, 516, 517. 362.
- dans l'échantillon 515 et s., 541, 616. - théorie (et)
- dans l'enquête 657 et s., 695, 698 et s. 352.Exploration 551, 605, 819, 848.
- dans le document 574. - dans l'analyse de contenu 591.
- externe 741. - enquête (d') 542, 551, 818, 819, 822,
- de fait 286. 846.
- interne 741. Eysenck (H. J.) 186, 457, 478, 744,
- de mesure 515. 745,755,766, 771,772,811.
- nette 723. Eymard-Duvemay (F.) 222-1.
- relative 287, 742.
- totale 515, 723, 724. F
Escarpit (R.) 416, 580-1.
Escat (G.) 66. Facarello (G.) 223.
Espinas (A) 109, 159-1. Facilitation 656, 903.
Essence 19, 22, 78, 147, 377, 379, 394. - techniques facilitantes, 891.
Establet (R.) 190-1, 580-1. Fagen (R. E.) 395.
Ethnométhodologie 162-1, 170, 871. Fahrenheit (G. D.) 62.
Etzioni (A.) 170, 239. Falk a. L.) 275.
Eubank (E.) 307, 312. Faraday (M.) 68.
INDEX ALPHABÉTIQUE 9 57

Fararo (T. J.) 416. Finkielkraut 181.


Faris (E.) 386, 395. Firth (R.) 181, 860.
Faublée (J.) 181. Fischer (G.) 170, 219, 264.
Faucheux (Cl.) 875, 881, 910-2. Fishbein (M.) 811.
Faucheux (Sylvie) 239. Fisher (F.) 416.
Fauconnet (P.) 120, 123, 159-1, 169. Fisher (R. A.) 881.
Faure (R.) 416. Fishman (J. A.) 249.
Fauvet (J.) 239. Fiske (M.) 725.
Favereau (O.) 222-1, 223. Flacks (R.) 264.
Faverge (J.H.) 168. Flam (L.) 170.
Favre (P.) 159-1, 165-1, 170,225,236, Flament (C.) 398, 400, 416, 725, 881,
239, 395, 629-2, 630-1, 631, 632. 910-2.
Favret-Saada (J.) 181. Flechter (R.) 159-1.
Faye (J. P.) 239, 632. Fleislhmann (J.) 159-1.
Febrajo (A) 382, 395. Fleouter (G.) 583, 587.
Febvre (L.) 205, 205-1, 207, 214. Fleron (F. J.) 170.
Feedback 407, 410, 547, 604, 880, 891, Fliess 199.
892, 895, 896. Florand (M.F.) 632.
Feldman (J.) 299. Florens (J. P.) 580-1.
Ferero (T.) 442. Floyd (J. F.) 725.
Ferguson (A) 102. Focused interview 639.
Fermat (P. de) 215-1, 401. Foerster von (H.) 218,219.
Ferrarotti (F.) 275. Fombeur (J. J.) 910-2.
Ferras (R.) 214. Fonction. Voir méthode fonctionnelle
Ferreol (G.) 159-1. 363 et S.
Ferro (M.) 587. - d'adaptation 386.
Ferry (G.) 881. - et culture 176.
Ferry (L.) 239. - et dysfonction 364.
Ferry (J. M.) 170, 239. - d'évaluation 894, 898.
Feshbach (S.) 866, 881. - de facilitation 903.
Festinger (L.) 185-1, 198, 416, 454, - d'intégration 386.
486, 518, 575 et s., 597, 725, 768, - latente 364, 876.
811, 818, 830, 860, 861, 870, 881, - manifeste 364, 798.
910-2. - mathématique 914.
Feuerbach (A.) 9, 163-1. - normative 386.
Feyerabend (P.) 86, 222-2, 269. - et structure 384, 386.
Fichte (J. G.) 68. Fontenilles (A.) 587.
Fichter (J.H.) 170. Ford (G. S.) 395.
Fied.1er(F. E.) 881. Forse (H.) 239, 416.
Filion (F. L.) 725. Forster (H. von) 163-1, 218-1, 219.
Filloux (J. C.) 159-1, 202, 910-2. Forster (S.) 590.
Finifter (B. M.) 554. Fortes (M.) 239.
958 INDEX ALPHABÉTIQUE

Fortin (A) 198, 881. Friedberg (E.) 162-1, 166.


Foss (D. C.) 159-1, 554. Friedlander (S.) 200,207.
Fossaert (R.) 159-1. Friedman (D.) 575.
Foster (P. M.) 910-2. Friedman (G.) 162-1, 167-1, 167-2,
Foucault (M.) 165,247,249, 278, 341, 168, 168-1, 170, 238.
367, 369, 395. Friedman (M.) 222-2, 223.
Fouchard (R.) 910-2. Friedman (Y.) 416.
Fougeyrollas (P.) 395, 587. Friedrich Q.) 239.
Fouillée (V.) 109. Friedrichs (R. W.) 159-1, 264.
Foulkes (S. H.) 910-2. Frisch 0-) 562-1, 580-1.
Foulquié (P.) 4, 101. Frisby (O.) 159-1.
Fourez (G.) 264. Frobenius 175.
Fourier (Ch.) 167, 861. Fromm (E.) 163-1, 164-1, 176, 201,
Fouriezos (N.T.) 834, 881. 202, 540, 554.
Fraisse (P.) 478, 486, 881, 910-2. Fuchs (P.) 159-1.
Frank (AG.) 264. Fuller (C.) 725.
Frank (L K.) 755. Funly (P. H.) 254.
Frank (Pl.) 86, 198. Furet (F.) 205-1, 201.
Frankard (P.) 766. Furfey (P. H.) 264.
Franklin (B.) 62, 64. Fustel de Coulanges (N. O.) 205,207.
Frazer CT.)174, 181.
Freeman (L.) 198, 432, 442. G
Freeman (T. W.) 214, 910-1.
Freedman (D.) 176, 181, 580-1, 587. Gabel 0-) 159-1, 910-2.
Freedman (R.) 632. Gadamer (H. G.) 86.
Freinet (C.) 893. Gadet (F.) 249.
Fremont (A.) 211,214. Galilée (G.) 38, 39, 48, 52, 54, 55-1,
French CT.) 524, 554, 575, 860, 862, 59, 68, 185-1.
867, 881, 884, 910-2. Gall (P.J.) 189.
Frenkel-Brunswik (E.) 478. Gallup 182.
Frère (S.) 860. Galmiche (M.) 249.
Fresnel (A. J.) 65. Galois (E.) 370.
Freud (Anna) 200. Galton (F.) 729, 916.
Freud (S.) 138, 162, 165-2, 166-1, 176, Galtung CT.)860.
181, 184, 187, 190, 196, 199, 200, Galvani (L.) 62.
201, 202, 252, 432, 593, 642, 653, Gambier (D.) 580-1.
719, 755, 819, 885, 893, 895, 897, Gamson (W. A) 239.
909. Gans (H. J.) 170.
Freund (J.) 140, 142, 148, 159-1, 169, Gapotcha (M.) 170.
170, 239. Garcia (R.) 354.
Frey a.H.) 725. Gardin (B.) 246, 249.
Freyssinet 0-) 580-1. Gardin a.C.) 632.
INDEX ALPHABÉTIQUE 959

Gardner (E. F.) 881. Giddens (A.) 159-1, 239.


Gardner (H.) 198. Giddings (F. H.) 109-1.
Garfinkel (H.) 162, 162-1, 170, 181, Gierke (von) 167.
249, 814, 860, 871, 881. Gillespie (C. C.) 881.
Gamaty (J. A.) 275. Gilli (G. A.) 486, 881.
Garraud (Ph.) 239. Gillin (J.) 159-1, 181, 202.
Garrouste (P.) 223. Ginger (A. et S.) 910-2.
Gauche (B.) 562-1, 580-1. Ginnekan (J.) 239.
Gaudet (H.) 628,632, 811, 860, 881. Girard (A.) 198, 215-1, 218,219, 518,
Gaulle (Ch. de) 444. 554, 580-1, 587.
Gauss (Ch. F.) 517, 734, 914. Girard (L.) 163.
Gaxie (D.) 239. Girard (Th.) 400,416, 725.
Gay (P.) 202. Girard (V.) 202.
Gayon (J.) 104. Girod (R.) 344, 354, 881, 910-2.
Geistdoerfer (A.) 181. Glad (Betty) 580, 580-1, 587.
Gellner (E.) 202. Glasser (W.) 910-2.
Gendre (F.) 543, 554.
Glazer (M.) 811,860.
Gemeinschaft Gesellschaft 135, 479.
Gleeson (D.) 110.
Généralisable 541, 561.
Gleick (J.) 84-1, 86.
Geny (F.) 169, 110.
Glock (C. Y.) 198,811.
Génotype 252, 608, 789, 793.
Gluckman (M.) 162, 181.
George (A. L.) 239, 591, 592, 624, 632.
Gluge (M.) 725.
George (F. H.) 416.
Gobineau (J. de) 109, 158.
George (P.) 110,208, 211-1, 213,214,
Goblot (E.) 341.
263.
Gode! (K.) 1.
Georgescu-Roegen (N.) 239.
Gérard (H. B.) 219, 881. Godelier (M.) 181,223, 264, 395, 554.
Gerbner (G.) 632. Godin (J. B. A.) 861.
Germain (C.) 249. Goethe (W.) 130, 204.
Gerschenkron (A.) 207. Goffrnan (E.) 162, 169-1, 110, 245,
Gershom (Suzanne) 159-1. 246, 249, 304, 312, 318, 352, 478,
Gerstlé (J.) 169-1, 110, 239, 587, 819, 860, 881.
629-2, 630-2, 631, 632. Goguel (F.) 239.
Gerth (H. H.) 137, 159-1. Goguelin (P.) 239.
Gestalt 185-1, 373, 376, 377. Goldberg (T.) 860.
Gessain (R.) 215-1, 219. Goldmann (L.) 4, 13, 128, 580-1, 587,
Ghiglione (R.) 239, 554, 632. 589,632.
Giani (A.) 860. Goldschmidt (W. R.) 395.
Giard (Luce) 163-1. Goldthorpe (J.H.) 167-1, 170.
Gibb (J. R.) 910-2. Good (K.) 181.
Gibb (C.A.) 878, 881. Goode (W. K.) 198, 518, 552, 554,
Giacobazzi (H.) 632. 725, 860, 881.
960 INDEX ALPHABÉTIQUE

Goodman (N.) 77, 78. Green (B.F.) 138, 159-1, 237,811.


Goodman (M. J.) 159-1. Green (D.) 237, 239.
Goodrich (H. B.) 264. Greenfeld (L.) 170.
Gordon (D.) 691. Greenstein (F. 1.) 238-1, 239.
Gordon (R. 1.) 162-1, 110, 725. Greenwald (A. G.) 811.
Gore (W.) 239. Greenwood (E.) 328, 329, 428, 862,
Gorer (G.) 201. 868,881.
Goriely (G.) 264. Greer (S.) 25, 269, 312.
Gottmann 299. Gregor (A. J.) 395.
Gottschalk (L. A.) 271, 275, 574, Greimas (A. J.) 249, 631.
580-1, 587, 910-2. Gremion (P.) 239, 416.
Goubert (P.) 205-1. Gremy (J. P.) 416, 580-1, 587.
Gougenheim (L.) 249. Grenier Q.Y.) 201.
Gough (K.) 264. Greslé (Françoise) 159-1, 239.
Gouhier (M. L.) 910-2. Griaule (M.) 179, 181, 417.
Gouldner (A. W.) 239, 257, 258, 259, Grice (H. P.) 249.
Grignon (L) 587.
264, 352, 366, 395, 428, 860, 871,
Grimm (J.) 242.
881.
Grimshaw (A.) 249.
Gouliane (C.) 395.
Grineweld Q.) 239.
Govaerts (F.) 632.
Grisez Q.) 198.
Gournay (B.) 239.
Grmek (M. D.) 329.
Goy (J.) 580-1.
Gross (L.) 25, 245, 395, 416.
Graebner 175.
Grosser (A.) 239.
Grafmeyer (Y.) 159-1. Grossman Q.B.) 110.
Gramsci (A.) 254-1, 259. Groupe 459, 480 et s., 872 et s.
Granai (G.) 434, 442, 860. -de base 893.
Granet (M.) 123. -de contrôle 862, 863.
Granger (G.) 222-2, 223, 274, 275, -de référence 459 (voir cadre) 607.
276,278. -diagnostic 893 et s.
Granovetter (H.) 400, 416. -discussion (de) 903.
Graphe 398,400. -dynamique (de) 899.
Graphologie 753. -larges et restreints 481 et s.
Graunt 95. -primaire 479.
Gras (A.) 163-1, 110. -technique (de) 492.
Grawitz (M.) 107, 169, 170, 198, 206, Grouchine (B.) 164-1.
207, 239, 258-1, 275, 301, 312, 423, Groves (R. M.) 725.
428, 430, 442, 452, 470, 478, 518, Guattari (F.) 202.
573, 580, 580-1, 646, 693, 700, 725, Guéraud (P.) 629-2, 632.
910-1. Guerassimov (J. P.) 212.
Gray Q.) 239. Guerguen (K. J. et Mary) 186-1, 198.
Grazia (de) 618, 632. Guesnerie (R.) 223.
INDEX ALPHABÉTIQUE 961

Guespin (C.) 248-1. H


Guespin (L) 629-1, 632.
Habermas (J.) 148, 163-1, 169-1, 110,
Guest (L.) 662.
239.
Guetzkow (H.) 416, 834, 869, 878, Haeckel (E.) 238-1.
881.
Hagège (C.) 249.
Gugliehno (R.) 214. Haggett (P.) 210-1, 211,214,400,414.
Guiart (J.) 181. Haire (M.) 110, 472.
Guilbaud (G.) 281,283,299, 370, 396, Hakim (C.) 542, 554.
401,402,416, 911. Halbwachs (F.) 123, 159-1, 218, 219,
Guilford (J. P.) 478, 743, 754, 766. 354, 580-1.
Guillard (A) 215, 215-1. Halevy (E.) 224.
Guillaume 101. Hall (A O.) 395.
Guillaume (G.) 244-1, 249. Hall (AR.) 86.
Guillaume (M.) 221-1, 222, 223, 263, Hall (C. S.) 202, 478, 632.
264. Hall (R. T.) 159-1.
Guillaume (P.) 198. Halle (M.) 245.
Guillot (A.) 587. Halloman (J.) 585.
Guillot (F.) 580-1. Halloran (J.) 587, 811.
Guinberg 170. Hallowell (1. A) 181.
Guiraud (P.) 249, 629-2, 632. Halphen (G.) 204.
Guittet (A) 881. Halsey (AH.) 110.
Guitton (H.) 222,223, 517,518. Halstead (M. N.) 170.
Gumperz (J. J.) 170, 181, 245, 246, Hamel (J.) 881.
249.
Hammersley (M.) 181.
Hamon (L.) 239.
Gumplowicz (L.) 109.
Hanan (C.) 554.
Gunn (G.) 860.
Hannan (E. J.) 518.
Gunnel (J.) 239.
Hansen (M. H.) 518, 625, 680.
Gunnior (B.) 170.
Harary (F.) 398,416.
Gunther (B.) 908-2, 910-2. Hare (A. P.) 881.
Gurley (J.) 477, 478. Hannann (H. H.) 923.
Gurr (F.) 239. Harris (Z. S.) 243, 249, 632.
Gurvitch (G.) 90, 116, 126, 128, 130, Harsanyi (J. C.) 223.
132, 138, 147, 150, 159-1, 160-1, Hart (N.) 176, 178, 181, 599, 629.
165-2, 169, 170, 176, 189-1, 206,257, Harthe 211.
340, 341, 343, 349, 350, 351, 352, Hartley (E. L.) 198, 405, 860, 881,
354, 360, 368, 376, 378, 386, 393, 910-2.
394, 395, 480, 486, 910-2. Hartshome (R.) 210-2, 214.
Gusdorf (G.) 26, 28, 204, 205, 201, Harvey (C. C.) 416.
264. Harvey (D.) 214.
Guttmann (L.) 743, 744, 797, 924. Harvey (W.) 48.
962 INDEX ALPHABÉTIQUE

Haskins Q.B.) 476, 478. Hibert (T.) 219.


Hatt (P. K.) 198, 518, 544, 552, 554, Hicks Q.R.) 223.
725, 811, 860, 881. Higgin (G.) 239, 881.
Haumont (N.) 860. Higgins (M.) 910-2.
Hauriou (A) 169, 395, 893. Hildebrandt 220-2.
Hauser (P. M.) 219, 518. Hilgard (E. R.) 254, 264.
Hausen 680. Hill (R.J.) 811.
Hausman (D.) 222-2, 223. Hinkle (G.) 202.
Hayek (F. von) 221, 223. Hinton (B. L.) 881.
Hayes (D.) 239. Hippocrate 30, 33, 447.
Hays (M. R.) 181. Hirsch (M.) 163-1, 170.
Hawes (B. L.) 583, 587. Hirschl (J.) 860.
Hegel (G. F.) 2, 3, 4, 6, 10, 11, 68, 93, Hirschman (A. D.) 110, 223, 239.
102, 127, 131, 134, 138, 149, 163-1, Hirschom (Monique) 159-1.
346, 349, 352, 360, 394. Hirst (D.) 249.
Heise (D. R.) 395. Hirst (P. Q.) 159-1.
Heisenberg (W.) 83, 84, 86. Histogramme 913.
Heller (J. L) 168, 170. Hitler 444, 597.
Helbo (A.) 249. Hjelmslev (L.) 249.
Held (D.) 395. Hobbes (Th.) 41, 89, 90, 93, 102, 135,
Helle (H. J.) 159-1. 158, 184.
Heldung (R.) 239. Hoerl (R. T.) 910-2.
Helmholtz (von) 67. Hobhouse (L. T.) 109-1.
Hempel (G.) 25, 77, 308, 354, 395. Hoffmann (B.) 86.
Henaff (M.) 181. Hoffman (P.J.) 416.
Henry (H.) 471, 478. Hoffman (S.) 239.
Henry (L.) 215-1, 219. Hoffstater (R.) 207, 910-2.
Henry (M.) 202. Hoggart (R.) 860.
Henry (P.) 629-1, 632. Hoijer (H.) 181.
Héraclite 7, 346. Hollis (M.) 223.
Heran (F.) 170, 580-1. Holt (C.) 223.
Herman Q.) 159-1, 110, 554. Holt (R. F.) 395.
Hermet (B.) 239. Holt-Tensen (A.) 214.
Herodote 150. Holter (H.) 478.
Herpin (N.) 159-1, 160-1, 161, 162, Holsti (O. R.) 629, 632.
170. Homans (G. C.) 118, 239, 387, 395,
Herschel (W.) 62. 860, 877, 881.
Herz (T. A) 170. Hopkins (T. K.) 395.
Herskovits (M. J.) 181. Horkheimer 163-1, 170.
Hess (R.) 264, 428, 860, 910-2. Hormann (H.) 246,249.
Heymans 191. Horney (K.) 176, 181, 184, 200, 202.
Heyns (R. W.) 834, 837, 838, 860, 881. Horsley (Ph. D.) 473, 478.
INDEX ALPHABÉTIQUE 963

Horster (D.) 239. Indicateur 310 et s., 798.


Horowitz (1. L.) 260, 264, 395, 680. - de dimension 310.
Horwitz (H.) 312. Indices 310, 311.
Hovland (C.) 186, 860, 881. - hiérarchisés 310.
Howard Q.) 152, 198. - interchangeabilité 311.
Hozelitz (B.F.) 104, 223. - synthétiques 310.
Hughes (E. C.) 160, 162, 162-1, 167-1, Induction 18, 56.
170. - analytique 274.
Humbolt (A. de) 97, 209. - énumérative 274.
Huber (M.) 198, 215-1. Inférence 625, 839, 841.
Hugo (V.) 204. Information 402 et s., 433, 436, 675,
Hugon (P.) 219. 677, 685, 687, 880, 893-2.
Hume (D.) 4, 69. Input, output 391.
Hungtington (S. P.) 239. Insko (C.A.) 811.
Hurtig (S.). 236. Instrumental 593 (représentatif).
Hurwitz (W. N.) 680,725. Intervention 106, 893 et s.
Husserl (E.) 8, 13, 52, 66, 162-1, 165. Introversion 336.
Hutchison (T. W.) 222-2, 223. Ions (E.) 186, 198.
Huteau (M.) 198. lpola (E. de) 104.
Hutt (M. L.) 834, 881. Irigaray (L.) 200-1, 202.
Huxley (T. H.) 323. Isambert O.P.) 110.
Huyghens 49, 215-1. Isambert (F. J.) 170.
Huyghe (F. B.) 110. Isard (W.) 210-1, 214.
Huyse (L) 239. Isnard (H.) 214.
Hyman (H.) 543, 554, 658, 659, 661, Item 621, 733, 777, 795, 796.
719, 725. - continus 789.
Hymes (D. H.) 249. - monotones 789.
Hyperfactualisme 297. Izunquiza (l.) 163-1, 110.
Hyppolite Q.) 6.

J
I
Jaccard (R.) 200-1, 202.
Idéologie 10, 132, 256, 260, 352, 366, Jacob (F.) 264.
393. Jacob (P.) 86.
ldiart (P.) 860. Jacobs (M.) 264.
ldiographique 140, 271, 274. Jacoby (R.) 202.
Ihl (O.) 239. Jack (L. M.) 836.
ll'icev (F.) 164. Jacquard (N.) 219.
lloornis (C. et Z. K.) 110. Jacquart (A.) 219.
Impact 428. Jacquinot (G.) 587.
Indétermination 83. Jaffé (Élise) 138.
964 INDEX ALPHABÉTIQUE

Jahoda (M.) 198, 478, 486, 518, 550, Jones (R. E.) 214, 395, 632.
606, 632, 661, 725, 811, 818, 848, Jones (E. E.) 881.
860, 881. Jorion (E.) 110.
Jakobson (R.) 245,249, 367, 415-1. Joseph (I.) 159-1.
Jalling (F.) 110. Joutard (Ph.) 580, 580-1.
Jambu (M.) 811. Jouvenel (B. de) 225, 239.
James (P. F.) 214. Jules-Rosette (B.) 110.
James (W.) 134, 192-1, 772. Julliard (J.) 170.
Jamous (H.) 25, 269, 416. Jung (C. G.) 199,200,202, 252, 447.
Janet (P.) 200. Junker (B.) 860.
Janik (A.) 76-1, 86.
Janis (1.) 866, 881. K
Janne (H.) 110, 395.
Janning (F.) 110. Kabongo (I.) 264.
Janov (A.) 910-2. Kaës (R.) 910-2.
Janowitz (M.) 580-1, 585, 587, 603, Kagel (J.H.) 223.
632. Kahl (P.) 354.
Janson (C. G.) 170. Kahn (R. L.) 652, 661 et s., 665, 697 et
Jaques (E.) 882, 893, 895, 910-2. s., 725.
Jarosson (B.) 198. Kalaora (B.) 159-1.
Jaspers (K.) 26, 148, 276, 554. Kalinowski (G.) 170.
Javeau (C.) 159-1, 518, 554, 725. Kalleberg (AL.) 395.
Jaulin (R.) 264. Kalven (H.) 170.
Javillier (J. C.) 170. Kandel (I.) 725.
Jay (M.) 163-1, 170. Kansky (K. J.) 211,214, 254-1, 400.
Jeammaud (A.) 167, 170. Kant (E.) 1, 2, 4, 6, 21, 68, 138, 209.
Jenkins (J. G.) 889. Kaplan (A) 14, 25, 431, 432, 442.
Jennings (H.) 886, 910-2. Kaplan (H. A.) 239.
Jenny (J.) 299. Kapferer (J. N.) 587.
Jequier (F.) 580-1. Karady (V.) 159-1, 173, 181.
Jespersen (O.) 242. Kardiner (A.) 174, 176, 181, 198, 201.
Jessua (C.) 223. Kariel (H. S.) 395.
Jeu 162, 166, 402. Karlsson (G.) 881.
Jevons (W. S.) 220-2. Karsten (S. G.) 223.
Jewkes (J.) 428. Kasler (D.) 159-1.
Jobert (B.) 110,239. Kasperson (R.) 214.
Jodelet (D.) 110, 182-2, 198,239. Katchourine (A) 478, 910-2.
Joffre-Dumazedier 860. Katona (G.) 201, 518.
Johnson (N. R.) 239, 910-2. Katz (O.) 110, 198, 431, 442, 454, 458,
Johnston (R. T.) 214. 478, 486, 518, 632, 725, 811, 818,
Jonas (F.) 159-1. 860, 881.
Jonas (S.) 395. Katz (Z.) 259.
INDEX ALPHABÉTIQUE 96 5

Kaufman (F.) 223. Kling (A J.) 881.


Kaufmann (P.) 478, 910-2. Kluckhohn (C.) 181, 271, 275, 580-1,
Kautksy (K.) 254-1. 587, 719.
Kavka (G. S.) 239,400,416. Kluckhohn (Florence) 825, 860.
Kavolls (Y. M.) 587. Knapp (V.) 110.
Kaye (H. J.) 159-1, 170. Knapp (R. H.) 264.
Kayser (J.) 580-1, 632. Knies 220.
Kelkel (L.) 13. Knight (F.) 223.
Kelle (V.) 170, 254-1, 264. Knoke (D.) 416.
Kelley (H.) 186, 861, 881. Knutson a.) 238-1, 239.
Kelsen (H.) 169, 170. Kœnig (P.) 159-1.
Kelsey (C. C.) 181. Kœnig (R.) 170.
Kemeny (Y. G.) 299. Kœchlin (P.) 893, 910.
Kempthorne (O.) 881. Kogan (N.) 881.
Kendall (P. L.) 412,543,725. Kahler (W.) 373.
Kende (P.) 478. Kojeve (A.) 4.
Kent (R. A) 159-1, 170. Kolak (S.) 428.
Kepler (J.) 39, 55-1, 352. Kolakowski (L.) 86.
Kerbrat-Orecchioni (C.) 245, 249. Kolm (S. C.) 220, 223.
Kervasdoué a. de) 239. Komarovsky (M.) 159-1, 110, 198,
Kesley (C. C.) 181. 207, 539.
Kettler (D.) 159-1. Kon (1.) 206, 201.
Keyfitz (N.) 219. Konig 170.
Keynes 0-) 221, 221-1, 223,407. Kornhauser (W.) 159-1, 110, 196,
Khroutchev 178. 239, 428, 830.
Kidd (B.) 109-1. Korsch (K.) 163-1, 254-1, 264.
Kiecolt (K. J.) 542, 554. Kotz (S.) 403,416.
Kiesler (C.A.) 198. Kourganoff (V.) 428.
Kilmann (R. H.) 264. Koyano (S.) 170.
King (J. E.) 220, 223. Koyré (A) 34, 35, 38, 39, 40, 52, 54,
King (L. J.) 214. 66.
Kinget (G. M.) 910-2. Kracauer (S.) 288,299, 632.
Kinsey (A. C.) 551, 694, 699, 719, Krais (B.) 170.
725,860. Krauss (R. M.) 198.
Kirman (A) 223. Krech (D.) 182-2, 198,264,486,811,
Kish (L.) 518. 876, 878, 881.
Klages (H.) 110. Kreml (W. P.) 239.
Klein (J.) 910-2. Kretschner (E.) 191.
Klein (M.) 200. Kreweras (G.) 282, 299.
Kleinmutz (B.) 478. Kriegel (A.) 239.
Klima 245. Krippendorff (K.) 632.
Klineberg (O.) 193-1, 198. Kristeva a.) 249.
966 INDEX ALPHABÉTIQUE

Kroeber (A. L.) 176, 178, 181. Lambert 0-) 219.


Kroutchev (N.) 590. Lambert (R.) 169, 881.
Krupp (S. R.) 223. Lambert (Th.) 169.
Kuczynski 216. Lancelot (A) 236, 239, 452, 478, 926.
Kuhn (A.) 159-1, 395,416. Landau (L.) 84-1.
Kuhn (Th. S.) 86, 264, 354, 415-1. Landowski (E.) 632.
Kuper 0-) 239. Landry (A.) 215-1, 216, 219.
Kurauté (K.) 170. Landry (M.) 395.
Lane (R.) 110, 239, 264.
L Lang (K.) 196, 198, 587.
Lang (G. E.) 196, 198, 587.
Labasse 0-) 208,214. Lange (E.) 239.
Labbé (D.) 632. Langlois (Ch. V.) 204, 205, 201.
Labedz (L.) 264. Lanson (G.) 589.
Labica (G.) 170. Lantz (P.) 159-1, 110, 264.
Labordère (A) 554. La Palombara (J.) 395.
Laborit (H.) 395. Lapassade (G.) 159-1, 110, 882, 893,
Labov (W.) 246, 249, 632. 910-2.
Labovitz (S.) 811. La Pérouse (G.) 97.
Labrousse (E.). 205-1, 201. Lapierre (J. W.) 239, 392, 395, 798,
Lacam 0- P.) 239. 811.
Lacan 0-) 200-1, 202, 248, 587. La Piere (R. T.) 773,811.
Lacombe (P.) 205. Laplace (P. S.) 73, 401, 861, 914.
Lacoste (Y.) 214. Laplanche (J.) 202.
Lacroix (B.) 239, 259-1, 395. Laplantine (F.) 202.
Lacroix (Jean) 13, 159-1. Laponce (J. A) 881.
Ladd (E. C.) 110. Lapouge (De) 109, 881.
Ladouceur (R.) 198. Laroque (P.) 159-1.
Ladrière 0-) 107,416. Lascoumes (P.) 133, 159-1, 169, 170,
Ladrière (P.) 139, 169, 170. 239.
Laffont O.J.)223. Lasslet (P.) 201,334,341.
Lagache (D.) 200-1, 202, 276, 277, Lassudrie-Duchêne (B.) 223.
278, 471, 751. Lasswell (H. O.) 169-1, 201,202, 225,
Lagneau 0-) 159-1, 110. 238-1, 239, 398-1, 414, 416, 428,
Lagroye 0-) 226, 239, 400, 416. 554, 590, 596, 598, 602, 610, 632,
Lahy 759. 860.
Laing (R. O.) 910-2. Laszlo (E.) 416.
Lakatos (1.) 222-2. Latent (e):
Lalande (A.) 5, 25, 26, 159-1, 307. - fonction 201, 364, 876.
Lalonde (B.) 239. - structure 798.
Lamartine (A.) 204. - variable 798.
Lambert (E.) 169, 110. Latouche (S.) 239, 223.
INDEX ALPHABÉTIQUE 967

Latour (B.) 181. Lecomte (P.) 239.


Latsis (S.) 222-2, 223. Lecourt (D.) 86.
Laubier (P. de) 159-1. Lecuyer (B.) 201.
Lavau (G.) 236, 239, 391, 392, 395, Le Dantec 184.
470,478. Leenhard (M.) 179.
Lave (A.) 416. Leenhart (J.) 587.
Lavergne Q. F. de) 223. Lefebvre (H.) 3, 4, 6, 9, 10, 12, 13, 18,
Lavigne (M.) 354. 19, 21, 128, 129, 133, 159-1, 165-2,
Lavigne (P.) 110. 169-1, 214, 249, 326, 329, 331, 332,
Laville (P.) 395. 341, 343, 345, 349, 354, 377, 379,
Lavoisier (A. L.) 62. 394, 395, 405, 409, 416, 632.
Law Q.) 428. Lefort (C.) 170, 181.
Lawrence (D. H.) 416. Legavre (J. P.) 239.
Lazareff (A.) 518, 578, 720, 725. Legendre (P.) 170, 202.
Lazarsfeld (P.) 104, 133, 140, 151, Léger (F.) 159-1.
159-1, 160-1, 161, 162, 198,206,207, Léger (J. M.) 632.
239, 263, 297, 299, 301, 309 et s., Le Goff (J.) 206, 201.
312, 329, 339, 340, 341, 354, 395, Le Grand (A) 38.
416, 428, 536 et s., 543, 551, 554, Legros Bawin (B.) 518.
603, 604, 628, 632, 650, 651, 688, Le Guen (G.) 202.
691, 692, 725, 798, 805, 807, 811, Leibenstein (H.) 477, 478.
860, 874, 881. Leibniz (G. W.) 6, 27, 41, 62, 241.
Lazega (E.) 416. Leik (R. K.) 299.
Lambiri-Dimaki (J.) 554. Leinhardt 159-1, 269, 554.
Lazlo (E.) 411,416. Leiris (M.) 181.
Leach (E. R.) 162, 181, 395. Leites (N.) 632.
Leader (leadership) 250,432,483,485, Lejeune (P.) 580-1.
878 et s., 887, 898. Le Lannou (M.) 214.
Leary (T.) 910-2. Lemaine (G.) 198, 329, 428, 870, 881.
Leavitt (H.) 880, 881. Lemaine (J. M.) 198, 329, 862, 881.
Lebart (L.) 923. Lemaire (A.) 202.
Lebaube (O.) 909-2. Lemaitre (J. M.) 910-2.
Le Bon (G.) 196, 198, 897. Lemel (Y.) 274, 275.
Le Bras (G.) 556. Lemieux (V.) 416.
Le Bras (H.) 215-1, 219. Lemke (1.) 86.
Le Bras (K.) 219. Lemoigne a. L.) 223.
Lebrun (J. P.) 882. Lendennann (P. H.) 110.
Lebret (L. J.) 725, 860. Lenine (V. 1.) 3, 4, 7, 9, 10, 11, 13,
Lebreton (Ph.) 219. 254-1, 259.
Leca (J.) 165-1, 170, 225, 237, 239, Lenoble (R.) 43, 45, 47, 48, 52, 57, 60,
395, 415-1. 66.
Leclerc (G.) 159-1, 110. Lenoir (R.) 312, 442.
968 INDEX ALPHABÉTIQUE

Lenzen Q.F.) 86. Lhomme Q.) 223.


Leontieff (V.) 279. Libido 255.
Lepetit (B.) 206, 207. Lieberman (E.J.) 202.
Le Play (F.) 153, 159-1, 167,479,860. Lignon o.) 170.
Leresche (G.) 414, 416. Likert (R.) 264, 428, 427, 518, 795,
Leridon (H.) 580-1. 796, 811.
Lemer (D.) 239, 254, 264, 414, 416, Lindberg 395.
428, 554, 725, 860. Linden Q.) 766.
Leroi-Gourhan (P.) 158, 207. Linden (K.) 766.
Leroy (M.) 249. Lindenfeld (Jacqueline) 110, 249.
Leroy (P.) 62. Lindgard 191.
Le Roy Ladurie (E.) 205-1, 207. Lindon (D.) 239, 860.
Lesne (M.) 170. Lind.zey (G.) 198, 202, 478, 725, 860,
Le Senne (R.) 191. 881, 910-2.
Levan-Lemesle (L.) 223. Line (M.) 264.
Levine (R. A.) 239. Linné (K. von) 62, 478.
Levinson (D. J.) 478. Linton (R.) 176, 181, 201, 464, 469,
Levi-Strauss (Cl.) 106, 107, 124, 125, 478.
126, 159-1, 165, 173, 179, 180-1, Linz (J.) 239.
181, 206, 218-1, 222, 223, 248, 260, Lion (R.) 239.
282, 283, 299, 367, 368, 369, 372, Lippitt (R.) 264, 427, 428, 860, 862,
377, 378, 395, 411, 414, 416, 417, 878, 881, 882, 884, 889, 910-2.
580-1, 631. Lipset (S. M.) 164-1, 170, 207, 239,
Le Vita (Béatrice) 181. 259,554,587,811,860.
Levy (A) 198, 881, 895, 910-2. Liska (A E.) 198, 811.
Levy (F.) 632. Liske (C.) 395.
Levy (M.) 395, 580-1. Littré (E.) 248-1, 861,881.
Levy (P.) 198. Lloyd (P. G.) 264.
Levy-Bruhl (H.) 123, 159, 169, 170, Lobotchevsky (N.) 84-1.
173, 239, 514. Lobrot (M.) 893, 910-2.
Lewin (H.) 186, 239, 598, 632. Lockhart (D. C.) 672, 725.
Lewin (K.) 160-1, 165, 185-1, 190-1, Locqueneux (R.) 86.
198, 297, 374, 478, 861, 870, 872, Locke (J.) 7, 89, 102.
878, 880, 882, 882-1 et S., 893, 894, Lockwood (D.) 395.
899, 910-2. Loehr (W.) 395.
Lewis (J. M.) 179, 206, 201, 260. Lofland 0-) 239.
Lewis (W. A) 223. Logan (C. H.) 264.
Lewis (O.) 306, 312, 547, 548, 578, Lojkine 170.
580-1, 587, 860. Lombard (J.) 181.
Lewita (B.) 181. Long (J.) 223.
Leyens (J. P.) 198. Loomis (C.) 910-2.
Leys (S.) 239. Lopata (H. Z.) 271, 275.
INDEX ALPHABÉTIQUE 969

Lorenz (K.) 86. Lyotard Q. F.) 13.


Lorenzen (P.) 416. Lyssenko 254-1.
Lorenzi-Rioldi (F.) 554.
Loridon (H.) 580-1. M
Loschak (D.) 170, 238, 239.
Lotka 216, 218-1.
Maanem a.
von) 299.
Mabileau (A.) 239.
Lotman 0-) 631, 632.
Macaulay (T.) 206.
Loubet del Bayle 0- L.) 170.
Maccoby (E.) 198, 725, 811,860,881,
Loubrer Q.J.) 107. 910-2.
Loubser 0-J.) 107. Maccoby (N.) 725, 811, 860, 910-2.
Lourau (R.) 159-1, 893, 910-2. Mac Camant (J.) 395.
Low 0- O.) 860. Mac Closkey (D.) 222, 223.
Lowen (A.) 909, 910-2. Mac Clung (L.) 428.
Lowenfeld (H.) 755. Mac Dougall (W.) 183, 184, 198.
Lowenthal 163-1. Mac Grath a.
E.) 881.
Lowie (R. H.) 174, 181. Mac Guigan (F. J.) 881.
Lowy (E.) 254-1, 255. Mach (E.) 68, 72, 76-1, 80, 83, 86.
Lowy (H.) 264. Machlup (F.) 222-2, 223.
Lowry (R.) 170. Machiavel 88, 90, 206, 225.
Loye (D.) 239. Machines:
Lubek (L.) 198. - électroniques 359, 717.
Luckmann (T.) 312, 580-1. - à cartes perforées 561.
Lucas (L.) 239. Mac Hugh (P.) 554.
Lucas (R. E.) 222-1, 223. Mac lver (R.) 354.
Luft Q.) 910-2. Mac Kay (D. M.) 403,416.
Luhman (N.) 163-1, 169-1, 170, 382, Mac Kinney (J. C.) 25, 265,269.
Mac Kinney (R.) 395.
395.
Macku (J.) 170.
Lukacs (G.) 163-1, 164-1, 110.
Mac Lemore (S. D.) 811.
Lundberg (G. A.) 22, 25, 269, 298,
Mac Lennan 174.
299, 308, 518, 562.
Mac Luhan (M.) 580-1, 587.
Lunghint 223.
Mac-Lung Lee (A.) 159-1.
Lunsdaine (A.) 860. Mac Nall (S. G.) 352.
Lunt (P. S.) 860. Mac Nemar (Q.) 811, 870.
Luporini (C.) 13, 264. Mac Phee (W. N.) 860.
Lüschen (G.) 170. Mac-Quail (D.) 587.
Lutz (B.) 110. Macpherson (C.B.) 239.
Luxembourg (Rosa) 254-1. Macridis (R.) 395.
Lynd (H. etR.) 156, 159-1, 254,264, Macro, micro économie 222.
538, 819, 860. - sociologie 380.
Lyon-Caen (G.) 170. Madalenat (D.) 580, 580-1.
Lyons Q.) 241,249. Madge (J.) 123, 159-1, 278, 860.
970 INDEX ALPHABÉTIQUE

Madron (T. W.) 881. Mannoni (P.) 198.


Madsen (K. B.) 473, 478. Mantoux (P.) 205.
Maffesoli (M.) 166-1, 170. Mapteuzi (M. LM.) 354.
Magdoff (H.) 260, 264. Marble (D. F.) 214.
Magellan (F. de) 97. Marc (E.) 910-2.
Maget (N.) 860. Marcellesi (J. B.) 249, 632.
Magnin (A.) 239. Marenco (C.) 715.
Maho (J.) 395. March (J.) 166, 237, 238, 239, 416,
Mahony (D.J.) 202. 910-2.
Mailhiot (G. B.) 910-2. Marchais (P.) 202.
Maine (H. J.S.) 174. Marchal (A.) 223.
Maingueneau (D.) 247, 249, 630-1, Marchal (J.) 220-2, 222, 223.
632. Marchand (O.) 580-1.
Mair (L.) 264. Marcilio (M. L.) 219.
Maisonneuve (J.) 182-2, 198, 890, Marchiso (R.) 249.
910-2. Marcus Steiff (J.) 472, 473, 476, 478,
Maistre (J. de) 112. 534, 646, 651, 725.
Maître (J.) 395, 554, 725. Marcuse (H.) 148, 163-1, 259, 264.
Makarius (R. et L) 181, 395, 910-2. Marechal (A.) 428.
Malcolm (N.) 86. Marineau (R.) 910-2.
Malebranche (N. de) 49. Markiewicz-Lagneau (J.) 159-1, 275.
Malherbe (J. L.) 86. Markov 409.Marouzeau 247.Marrou
Malinowski (B.) 121, 163, 174, 176, (A.) 142, 207.
181, 201, 252, 258, 363-1, 364, 365, Marschall (T. H.) 353.
395, 419, 573, 587, 860, 910-2. Marsh (R. M.) 395.
Mal.invaud (E.) 223,414, 554, 580-1. Martin (J. Y.) 910-2.
Mallaurie (G.) 206, 207. Martin (E.) 249.
Mallet (S.) 110, 910-2. Martin (R.) 13.
Malmberg (B.) 249. Martindale (Don) 341.
Maloin (J. P.) 395. Martin du Gard (M.) 571.
Malthus (J. R.) 158, 218, 218-1, 219, Martineau (P.) 472,478.
221. Martinet (A.) 242, 243, 245, 246, 247,
Malysev (1. S.) 344. 249.
Man (H. de) 159-1. Martins (A. A.) 811.
Mandelbrot (B.) 84-1, 86, 403, 416. Martonne (E. de) 214.
Mandrou (R.) 66,206,201. Marty (J.) 241, 587.
Manickegyôc (S.) 159-1. Maruani (Margaret) 170.
Mankiw (G.) 223. Maruyama (M.) 428.
Mann (F.) 860, 882, 891, 892, 892-2, Marx (K.) 3, 7, 10, 11, 13, 108, 111,
910-2. 117, 118, 127, 128 et s., 135, 138,
Mannheim (K.) 127, 159-1, 254-1, 139,149,158,159, 159-1, 163-1, 165,
264, 352. 165-2, 166-1, 169,174,176,199,220,
INDEX ALPHABÉTIQUE 971

221-1, 222, 224, 254, 254-1, 259, Mehl (L) 383, 389, 395.
304, 346, 347, 352, 376, 394, 496, Meidinger (C.) 223.
885. Meillassoux (C.) 181.
Maslow (A. H.) 189-1, 192-1, 252, Meillet (A.) 249.
264, 473, 478. Melese (J.) 395.
Mass (V.) 169. Melucci (A) 165-2, 170.
Mass media 604, 632. Memling (H.) 340.
Mastrogregori (H.) 207. Menmi (D.) 239.
Matalon (B.) 554, 632, 811. Mendel (G.) 196, 254-1, 210-1, 910-2.
Matarazzo Q.D.) 725. Mendelsohn (H.) 587.
Mathelot (P.) 416. Mendras (H.) 159-1, 110, 181, 239.
Matoré (G.) 246. Menger (C.) 220, 220-2, 221,223.
Mattenzi (M. L. M.) 352, 354. Menger (P. M.) 170.
Matter (W.) 167-1. Menninger (K.) 910-2.
Maturana (H.) 163-1. Meny (Y.) 239.
Maucorps (P.) 198, 860. Menzel (H.) 554.
Mauron (Ch.) 589. Mercier (P.) 181.
Maury (R.) 239. Merle (M.) 239.
Mause (L. de) 207. Merleau-Ponty (M.) 8, 13, 25, 125,
Mauss (M.) 120, 123, 124 et s., 159, 159-1, 165, 442.
159-1, 169, 173, 176, 179, 181, 218, Merlin (P.) 214.
302, 304, 312, 313, 329, 346, 354, Merllié (D.) 119, 562, 580-1.
376, 417, 497, 581, 589. Merrell (F.) 367, 395.
Mauser (P. H.) 219. Merriam (Ch.) 238-1.
Max (A) 518. Merrien (F. X.) 170.
Maxwell Q.) 72, 119. Merrit (R. L.) 395.
May (B.) 580-1. Mersenne (de) 41, 54, 57, 60.
Mayer Q.R.) 68. Merton (R. K.) 101, 148, 159-1, 161,
Mayer (Mona) 239. 162, 170, 223, 263, 264, 298, 299,
Mayfield (R. C.) 214. 322, 323, 329, 339, 349, 353, 354,
Mayo (E.) 167-1, 170, 537, 820, 860, 363, 364 et S., 389, 395, 417, 419 et
871 cf. Western, 882-1, 902. s., 428, 537, 542, 543, 554, 587, 639,
Mazoyer (M. A.) 428. 651,725,811,849,860, 910-2, 911.
Mayone-Stycos Q.) 725. Mesure (Sylvie) 159-1.
McCaman Q.) 395. Metraux (A.) 179.
Mead (G. H.) 155, 162, 169-1, 181, Metz (C.) 249, 580-1, 587.
183, 184, 186, 468. Meyer (F.) 219.
Mead (Margaret) 176, 191, 350, 860. Meyerson (E.) 71, 86.
Meadow (C. T.) 416. Meyerson (1.) 207.
Medard (J.F.) 239. Meynaud (J.) 239, 452, 478.
Meeker (Barbara) 299. Meynier (A) 214.
Mehan (H.) 170. Miaille (M.) 110.
972 INDEX ALPHABÉTIQUE

Michel 0,) 119-1, 159-1, 165-1, 170. Monroe (K. R.) 239.
Michelat (G.) 239, 580-1, 585, 587, Montages (A.) 252,264.
725, 811, 860. Montaigne 173.
Michelet 0-) 91,204,205. Montchretien (A. de) 94, 220.
Michels (R.) 239. Montesquieu (Ch. de) 90, 92, 93,
Michiels 101. 104, 112, 116, 117, 125, 209, 224,
Michon (F.) 110. 236, 372, 380.
Middletown (enquête) 819.
Montgolfier 0-) 62.
Miege (B.) 587. Montlibert (G. de) 110, 428.
Mignet (F. A.) 204.
Montmollin (G. de) 766, 881.
Milbraith (L.) 239.
Montmort 56.
Milgram (S.) 874, 881.
Milher (G.) 632. Montudard (M.) 170.
Miliband (R.) 223. Moore (B.) 239.
Miller a. C.) 395,411,416. Moore (H. E.) 860.
Miller (E.) 186, 860. Moore (F. W.) 395.
Millet (L.) 186, 395. Moore (W. E.) 110.
Millican (M. F.) 428. Moral (étude du) 544, 798, 879, 889.
Mills (T. M.) 881, 910-2. Morazé (Ch.) 207.
Mills (C. W.) 159-1, 161, 110, 239, More (Th.) 88.
290, 299, 339, 340, 341, 386, 395, Moreau (J.) 264.
430,442,538,540,911. Moreau (R.) 239, 249, 632.
Milner (J.) 244-1, 249, 725. Moreau de Bellaing (L.) 170.
Mine (A.) 400,416. Moreau-Desfanges (P. H.) 239.
Mingat 222-2, 223. Moreno (L.) 110.
Mintz (E.) 908-1, 910-2. Moreno (J. L.) 160-1, 465, 469, 478,
Mintz (S.) 580-1. 861, 881, 882, 885 et S., 889, 910-2.
Mises (L. von) 18, 221, 223. Morero 881.
Mishler (E. G.) 860. Morf (A.) 403,416.
Mitchell (C.) 400, 416.
Morgan (L. H.) 174, 372.
Mitchell (Duncan) 109-1, 133, 159-1.
Morgenstern (O.) 401, 416.
Mitchell (W. C.) 220-2, 395.
Morin (E.) 159-1, 165-2, 170, 181,
Mitroff (1.) 264.
239, 263, 264, 269, 416, 469, 478,
Mitzmann (A.) 138, 159-1.
Modèle 211-1, 391,415. 579, 580, 580-1, 585, 587, 860.
Moeschler (J. J.) 245, 246, 249. Morin (G. H.) 587.
Moles (A.) 299, 403, 404, 408, 416, Morin (M.) 428.
580-1, 587. Morineau (A.) 923.
Mornière (D.) 395. Mornet (D.) 66.
Mommsen (W. A.) 159-1. Morris (Ch. W.) 86, 247-1, 249.
Mongin (P.) 223. Morse (N. C.) 412.
Monod 0,) 65, 66, 73,264, 860. Mosca (C.) 239.
INDEX ALPHABÉTIQUE 973

Moscovid (S.) 159-1, 170, 182, 182-2, Nask 0- F.) 223.


196, 198, 202, 239, 454, 478, 629-1, Naville (P.) 159-1, 167-1, 170, 587.
632, 725, 795, 811, 875, 881. Nell (E.) 223.
Moser (C.A.) 198, 517, 518, 541, 554, Neuberg (M.) 86.
682, 714, 725, 811, 860, 910-2. Neuman 0- von) 222,401,416.
Mosschler 0.) 249. Neumann (Noëlle) 518, 725.
Mothes 0-) 416. Neuschwander (G.) 587.
Mottez (B.) 167-1. Newcomb (Th.) 159-1, 198, 459, 478,
Mouchot (C.) 107, 223, 299. 632, 860, 881, 910-2.
Mouillaud (M.) 565, 580-1, 587. Newman 0- H.) 26,405.
Moulin (R.) 170. Newton (1.) 41, 48, 51, 68, 93, 209.
Mouloud (N.) 395. Nicolaidoa (Silia) 214, 279, 478.
Mounier 0- P.) 239. Nicolaidou (Silia) 470, 478.
Mounio (G.) 242, 249, 630, 632. Nicole (P.) 241.
Mouriaux (R.) 170. Nicolet (D.) 76-1, 86.
Mucchielli (R.) 632. Nietzsche (F.) 184.
Mueller (R. AH.) 880, 881. Nioche (J. P.) 239.
Mudler (M.) 881. Nisbet (R. A) 159-1, 264, 352.
Mülder (R. D.) 587. Niskanen 222-1.
Mullins (N. C.) 486. Noelle-Neumann (Elizabeth) 239.
Muller (Ch.) 249. Noin (D.) 219.
Müller (H.) 198. Noirie! (G.) 170.
Müller (P.) 239. Noizet (G.) 798,811.
Multifactoriel 744. Nominalisme 23, 37, 70, 78.
Mumford (L) 158. Nomothétique 104, 106, 140, 270,
Muraz (R.) 518. 271 et S.
Murdock (G. P.) 181, 196. - idiographique 140, 271 et s.
Muren (G.) 170. Nomssen (W.) 143, 159-1.
Murphy (W. F.) 170. Nora (P.) 207.
Murray (H.) 239, 478, 755. Nora (S.) 400,416.
Mus (P.) 179. Norf (A.) 416.
Museur (M.) 264. Norman (R. Z.) 398,416.
Myrdal (G.) 264, 299, 860. North (R.) 632.
Northrop (F. S. C.) 23, 25, 306, 312,
395.
N
Northway (M. L.) 910-2.
Nacht (S.) 200-1, 202. Novak (M.) 162-2.
Nadel (S. F.) 395. Novikov (N. V.) 264.
Nagel (E.) 4, 25, 77, 86, 276, 299, 395. Nowotny (H.) 427,428, 554.
Nahoum (C.) 725. Numération
Nam (C.B.) 218, 219. - et mesure 284, 321.
Narbonne 0-) 239. - unité de 621.
974 INDEX ALPHABÉTIQUE

Nunez (D.) 170. p


Nuttin (J.) 110, 811.
Pacaud (S.) 762, 765, 766.
Packard (V.) 198.
Padioleau Q.) 395,414,416, 518, 554,
0 869, 881.
Page (Ch. H.) 264.
Oberschall (A) 170. Pagès (M.) 263, 264, 882, 891, 892-1,
Objectif 61. 897, 898, 901, 902, 905, 908, 910-1.
Objectivité 255 et s., 260-1, 590, 666. Pagès (R.) 167, 110, 198, 395, 416,
Observation 56, 114, 115. 589-1, 632, 861, 881, 882, 910-2.
- armée 317. Paige Q.M.) 632.
- de groupe 493, 852. Paillot (P.) 215-1.
- directe 483, 494, 499. Palmade (G.) 223, 263, 264, 642,
- niveau 830. 643, 651, 725, 734, 748-1, 754,
- non systématique 314, 853. 766, 903, 910-2.
- participation 162, 824, 852. Palombaza (La J.) 395.
- préparée 317. Panel 775, 805 et s.
- qualitative 318, 540, 829, 851, 853. Panini 241.
- quantitative 318, 833.
Pannekoek (A) 13.
- surprenante 537.
Panoff (M. et S.) 181, 264.
- systématisée 106, 828, 854, 858.
Papaioannou (K.) 4.
Papin (D.) 48.
Odum (E. P.) 239.
Paradeise (C.) 110.
Offerlé (M.) 239.
Parain-Vial (J.) 264, 395.
Ohm (G. S.) 74.
Pareto (W.) 117,118, 159-1, 160,162,
Oleron (P.) 744, 766.
382, 387, 432.
Oliver Q.) 391, 395. Park (R. E.) 137,152,155, 159-1, 162,
Ollandini (F.) 881. 860.
Olmsted (M. S.) 881, 910-2. Parker (C. H.) 201.
Oison (M.) 110. Parlebas (P.) 910-2.
Ombredanne (A.) 168. Parodi Q. L.) 239.
Oppenheim (AN.) 811. Parochia (D.) 416.
Oppenheimer (1. R.) 86, 127. Parsons (T.) 107, 118, 123, 148, 159-1,
Orlean (A) 222-1, 223. 161, 162, 162-1, 165-1, 170,223,233,
Orstrom (Elinor) 239. 237, 297, 365, 366, 380, 381, 383,
Osgood 594, 629-1. 384 et s., 390, 395, 881.
Osterlind Q.J.) 766. Parry (H.) 725.
Ostwald 72, 80. Parten (M. B.) 518.
Oulif Q.) 587. Pascal (B.) 50, 54, 56, 215-1, 280,401,
Oury (J.) 893, 910, 910-2. 911.
Ozouf Q.) 207,632. Passeron Q.C.) 110, 306, 312, 860.
INDEX ALPHABÉTIQUE 975

Passet (R.) 218-1, 219. Peytard 249.


Pasteur (L) 119-1, 307,420. Pharo (P.) 139, 159-1, 169, 170.
Pattison (E. M.) 910-2. Phénotype 252, 608, 789, 793.
Paty (M.) 86. Philip (A.) 223.
Paulne (B.) 223. Phlipponneau (M.) 213, 214.
Pavlov (1. P.) 186, 191. Phonème 242.
Payne (S. L) 701, 725, 881. Piaget (J.) 13, 14, 25, 29, 96, 106, 107,
Peabody (R. 1.) 239. 159-1, 246, 261-1, 262, 345, 347,
Peak (Helen) 860. 351, 354, 362, 367, 369, 374, 395,
Peaucelle Q.L.) 403,416. 416,478, 486, 881, 910-2.
Pecheux (M.) 198, 248-1, 249, 264, Piatier (M. A) 506, 507, 508, 511,
630-2, 632, 692. 518, 926.
Pedersen (H.) 241. Piault (C.) 416.
Pelassy (D.) 239, 395. Picard (P.) 299, 758.
Pellarin (Ch.) 861. Picard (R.) 369, 395, 589, 632.
Pelletier (F.) 587. Piccone (P.) 170.
Pelta (P.J.) 181. Pichot (P.) 754, 758, 766.
Pels (D. G.) 428. Pican (G.) 8, 13, 589.
Pemose (R.) 198. Pierce (C. S.) 155.
Pepe (P.) 911. Pieron (H.) 168, 190, 478, 726, 766.
Percheron (A) 239, 391, 395. Piettre (A.) 223.
Perevedentsev 164. Pigafetta 97.
Perlman (F.) 264. Pinchemel (P.) 211-1, 214.
Perls (F. S.) 908, 908-2, 909, 910-2. Pineau (G.) 275.
Pernoud (R.) 34, 66, 207. Pinto (Diana) 170.
Perrault (C.) 27. Pirenne (H.) 34, 66, 207.
Perrin (G.) 118, 159-1. Pirou (G.) 220-2.
Perrin Q.F.) 170. Pisier (E.) 239.
Perrin Q.P.) 160, 169. Pitrou (A) 223.
Perrineau (P.) 181. Pitt-Rivers (J.)
Perron (R.) 202. Pivasset (J.) 202, 587.
Perrot (A.) 223. Pizarre (F.) 97.
Perrot Q.) 249. Planck (M.) 71, 82, 86, 307.
Perroux (F.) 220-2, 375. Platon 1, 6, 22, 26, 31, 32, 34, 35, 36,
Perrow (C.) 239. 37, 45, 60, 87, 90, 93,159,224,225,
Perry (N.) 264,411,416. 240, 415-1, 726.
Petard (J. P.) 860. Platt (J.) 159-1.
Peterfalvi Q.M.) 246, 249. Platt (S.) 860.
Peterson (R. A.) 395. Plan (M.) 402, 416.
Petitot (J.) 84-1, 86. Plosser (C.) 223.
Petty (W.) 95. Plotin 34.
Peyrefitte (A.) 218-1. Plutarque 32.
976 INDEX ALPHABÉTIQUE

Podgoracki (A.) 170. Preble (E.) 181.


Poe (Ed.) 401. Praxeologie401.
Poincaré (H.) 70, 86, 444. Praxis10, 159.
Poirier (H.) 86, 264, 580-1. Préjugés 63, 253.
Poirier 0-) 126, 181, 275, 580-1. - idées préconçues 301.
Poisson (S. O.) 282, 401. - prénotions 301, 432.
Poisson a. P.) 580-1, 587. - présupposés 2 58.
Poitou 0- P.) 811, 881. Prelot (M.) 224, 225, 236, 432.
Pôle Pressat (R.) 215-1, 219.
- caractérisation 454, 463, 643. Prescott (E.) 223.
- conduite 463. Presser (S.) 811.
- individuel, sociologique 4 5 5. Préteœille (E.) 414,416.
Polin (R.) 89. Prévision 661, 843.
Pollak (M.) 159-1. - des attitudes 773, 774.
Pollock (A. B.) 163-1, 239. Prevost (M.) 278.
Polsby (N.) 239. Priestley 0-) 62.
Pons (E.) 910-1. Prieto (L. J.) 247-1, 249.
Ponsard (C.) 214. Prigogine (A.) 354.
Ponsard (J. P.) 416. Prigogine (I.) 84-1, 86.
Ponty 0-) 632. Problématique 2, 432.
Pool (1. de Sola) 169-1, 239, 414, 416, Propp (1.) 632.
587, 593, 607, 609, 632, 881. Proshansky (H. M.) 755.
Pope (W.) 159-1. Prost (A.) 239.
Popkin (S.) 414,416, 881. Prou (C.) 222-2, 223.
Popovitch (M.) 264. Proust (M.) 571.
Popper (K.) 4, 18, 21, 25, 86, 110, Proudhon (P.J.) 111, 167.
200-1, 207,244,285,299,325,406. Przeworski (A.) 416.
Porcher (L) 170, 587. Ptolemée 33, 55-1.
Portalis (J. B.) 202. Pudal (B.) 239, 289.
Postpone (M.) 239. Pumain (O.) 214.
Potlatch 126. Pythagore 1, 30, 31.
Pottier (B.) 249.
Postulat 11, 23.
Poulantzas (N.) 159-1, 239, 395.
Q
Poulet (G.) 589, 632. Quermonne a.
L.) 239.
Poursin 0- M.) 219. Quesnay (F.) 94.
Pourtois 0- P.) 4. Questions.
Powell (G. B.) 395. - pièges 724.
Pouillon 0-) 181. - préformées 706.
Powderwalker (H.) 606. - probe 662.
Prades 0- A.) 159-1, 239. Quetelet 0-) 95, 112.
Proctor (Ch.) 910-2. Quine 77.
INDEX ALPHABÉTIQUE 977

R Relations humaines 166, 904, 907.


Rémond (R.) 207, 239, 586, 587.
Racine Q.B.) 214, 369.
Renan (E.) 224.
Racisme 768 et s., 785, 849, 864. Rendall 412.
Radcliffe-Brown (A R.) 176, 181,
Renoir (P. A) 340.
258, 365, 372, 395.
Renouvier (P.) 69.
Radex 743. Rens (1.) 219, 239.
Raffel (S.) 554. Représentatif 500, 516, 616.
Ranger (G.) 239. Reproductibilité 797.
Raillard (G.) 632. Réseau 211, 398, 398-1, 400, 880, 887
Ramade (F.) 239. et S.
Ramognino (N.) 632. Résistance au changement 250, 703,
Rancière Q.) 168, 170. 767, 768, 876, 882.
Rank (O.) 199, 202. Restivo (S. P.) 264.
Rankin (R. P.) 170. Revet (T.) 170.
Rankine 72. Reuchlin (M.) 275, 278, 478, 726,
Raphaël (F.) 275, 580-1. 739, 746, 766.
Raphael (F.) 587. Reuss (C. F.) 725.
Raphel (C. M.) 910-2. Rex Q.) 170.
Rapoport (S. A.) 395, 416. Rey (A.) 66, 276, 278.
Rapoport (R.N .) 910-2. Reymond (H.) 214, 282.
Rashewsky (N.) 205-1, 207,414. Reynaud (E.) 170.
Rask (R.) 242. Reynaud 0- D.) 168, 170, 223.
Ratzel (F.) 175, 209, 210, 210-1. Reynaud (P. L) 223.
Ratzenhofer (G.) 183. Rhoads 0- K.) 170.
Rauler (G.) 170. Ribot (Th.) 184.
Rausch de Travenberg (M.) 766. Ricardo (D.) 220, 221, 221-1.
Ravis-Giordani (G.) 275. Rice (S. A.) 554,805,811.
Rawls Q.) 237,239. Richardson (M.) 911.
Raybaud (P.) 580-1. Richardson (coll.) 725.
Raymond (H.) 632,725. Richelle (M.) 198.
Raynaud (P. H.) 159-1, 170. Richta (R.) 264.
Réaumur 64. Rickert (R.) 134, 140.
Recanati (F.) 245, 249. Ricketts (M.) 220, 223.
Redfield (M.) 159-1. Ricœur (P.) 202, 207, 239.
Redfield (R.) 306, 312, 860. Riecken (H.) 881.
Redl (F.) 878. Rieman 84-1, 370.
Redondance 408. Riesman (D.) 170, 196, 198, 340, 352,
Regnier (A) 4, 299, 428. 632, 664, 811.
Reich (W.) 196, 239, 909, 910-2. Riffaterre (M.) 249.
Reichenbach (H.) 77, 83, 86. Riffault (Hélène) 518.
Reitz Q.) 428, 881. Riley Q.\V.) 561, 580-1, 587, 632.
978 INDEX ALPHABÉTIQUE

Riker (R. N.) 237, 239. Rose (A. M.) 159-1.


Rioux (M.) 264. Rose (R.) 239, 395.
Riskin (G.) 477, 478. Rosen (A) 881.
Ritter (K.) 209. Rosenau (J. N.) 239.
Rivière (C.) 165-2, 170, 239, 312. Rosenberg (A.) 222-2, 223, 395, 416,
Roach Q. L.) 170, 264. 811, 860.
Roazen (P.) 202. Rosenfeld (L) 354.
Rabbins (L.) 220, 223. Rosengren (K. E.) 632.
Rabbins (M. C.) 181. Rosentiehl (P.) 416.
Robert (M.) 202. Rosenthal (R.) 870, 881.
Roberts Q. M.) 264, 864. Rosenzweig (L.) 239, 748, 755.
Robic (M. C.) 214. Ross (D.) 159-1.
Robin (R.) 201. Ross (1. G.) 137, 245.
Robins (N.) 238-1, 239. Rossi (P. H.) 159-1.
Robins (R. H.) 249. Rossignol (C.) 881.
Robinson Q.) 222, 223. Rossi-Landi (F.) 159-1, 248.
Robinson (R.) 23, 25. Rossi-Landi (G.) 239.
Robinson (W. S.) 554. Rostand Q.) 667,911.
Rocheblave-Spenlé (A M.) 478. Rosten (L.) 606.
Rocher (G.) 159-1, 395. Rostow (N.) 206,207.
Rodell (F.) 170. Roszak (T.) 264.
Roethlisberger (F. J.) 170, 824, 860. Rotemberg (J.) 223.
Roheim (G.) 176, 181, 202. Roth (A. E.) 223.
Rogers (C.) 644, 645, 652, 657, 725, Roth (D. F.) 239.
872, 896, 905, 906-1, 910-2. Rouchy Q. C.) 895, 908-1, 910-2.
Roig (C.) 239, 391, 395. Roudinesco (E.) 202.
Roistacher (R. C.) 910-2. Roulet (E.) 249.
Rokkan (S.) 239, 359, 395, 562-1, Round robin 605.
580-1. Roupnel (G.) 211.
Roland-Levy (C.) 223. Roure (F.) 86, 416.
Rôle playing 162, 470, 890. Rousseau (J. J.) 89, 172, 173, 183, 241,
Roll (C. W. J.) 518. 344, 574.
Rolle (Ch.) 578. Roussel (A) 219.
Rolle (P.) 170, 395. Rousset Q.) 589.
Ramer (M.) 398, 416. Rousset (P.) 580-1.
Roncayolo (N.) 207. Rousselot (Abbé) 244.
Ronchi (V.) 55-1, 66. Roussin (A.) 571.
Roosevelt (F. D.) 154, 597, 600. Rouvier (C.) 198.
Rorschach (H.) 755. Rowland (R.) 421.
Rosanvallon (P.) 170. Rowntree (B. S.) 152, 860.
Rosa Q. J.) 222-1, 223. Roy (E.) 70.
Roscher 220-2. Royaumont (fondation) 910-2.
INDEX ALPHABÉTIQUE 979

Royer-Collard (P. P.) 117. Saporta (G.) 580-1.


Rubinstein (R.) 860. Sarano Q.) 264.
Rucœt (B.) 359, 395. Sargent (T. J.) 222, 222-1, 223.
Rude (G.) 196, 198. Sardon Q. P.) 580-1.
Ruelland (J. G.) 86. Sarbin (Th. R.) 478.
Ruelle (D.) 84-1, 86. Sartori (G.) 233,239, 259.
Rufin Q. C.) 219. Sartre Q. P.) 165,110, 589, 910-2, 911.
Ruitenbeeck (H. M.) 908, 908-1, 909, Saussure (F. de) 165, 242, 243, 249,
909-1, 909-2, 910-2. 306, 371, 415-1, 632.
Runciman (W.C.) 159-1, 110. Sauvy (A.) 215-1, 218, 219, 452, 478,
Rupp-Eisenreich (Britte) 181. 580-1.
Ruse (M.) 170. Savatier Q.) 170.
Russel (B.) 76-1, 86, 184. Savoye (A) 159-1.
Rutman (L S.) 239. Sawers (O.) 428.
Ruwet (N.) 245, 249. Sayad (A.) 580-1.
Ruyer (R.) 416. Scaling 811.
Ryder (N.B.) 580-1. Scalogramme 797.
Scelle (G.) 167.
s Schachter (S.) 860.
Schad (S.) 110.
Sache (A.) 398, 416. Schaeffer (F. K.) 214.
Sachs (H.) 202. Schaeffer (R.) 202.
Sachs Q.) 223. Schaff (A) 249, 254-1, 264.
Sahlins (M.) 162-2, 170, 181. Schaffle (A E. F.) 109.
Sainsaulieu (R.) 166, 170, 585, 587. Schaffner (E. C.) 239.
Saint Augustin 1, 35. Schebel (M.) 239.
Saint Simon (C. H.) 108, 110, 111, Scheerer (M.) 186-1.
112, 116, 119-1. Schein (E.) 276, 278, 881, 910-2.
Saint Thomas 36, 79. Scheler (M.) 184.
Salais (R.) 168, 110, 222-1, 580-1. Schelling (F. C. J.) 68.
Sallach (D. L.) 395. Schemeil (Y.) 170, 239, 415-1.
Salmon 222-2, 223. Schenkel (W.) 264.
Salomé (L. A) 202. Scherer (R.) 13.
Salomon (J.) 85, 86, 138. Scheuch (E. K.) 580-1.
Salomon (J. J.) 239. Schiller (F.) 204.
Saloner (G.) 223. Schilpp (P. A) 86.
Sampson (E. E.) 186-1. Schlick 77.
Samuels (W. J.) 223. Schmidheiny (S.) 219.
Samuelson (A) 222-2, 223. Schmidt (C.) 222, 223.
Samuelson (R. J.) 257, 264. Schmidt (R. H.) 239.
Sanguin (AL.) 214. Schmutzer (M.) 416.
Sapir (E.) 176, 181, 249, 632. Schnapper (D.) 170.
980 INDEX ALPHABÉTIQUE

Schneider (P. B.) 910-2. Serendipity 419.


Scholem (G.) 110. o.
Séris P.) 416.
Scholes (M.) 223. Serres (M.) 86, 170, 239.
Schoutheete de (M.) 554. Serverin (Évelyne) 169, 110.
Schram (W.) 110, 632. Serviet (J.) 181.
Schreber (O. P.) 202. Seve (L.) 159-1.
Schreier (F. J.) 478. Seys (B.) 580-1.
Schubert (G.) 170, 239. Sewell (W. H.) 159-1.
Schuhl (P. M.) 41, 55, 66. Sfez (L.) 110, 239.
Schuler (E. A.) 264. Sharlin (R.N.) 142, 159-1.
Schulte Q.) 86. Shakespeare (W.) 43.
Schuman (H.) 725, 811. Shannon (C.) 405.
Schumpeter (J.) 148, 220, 221-1, 223. Shapiro 0-) 237, 239.
Schutz (A.) 8, 13, 159-1, 162-1, 163, Shapiro (M.) 170, 237.
170, 223. Sharpe (L. J.) 554.
Schutz (W.C.) 632, 908-2, 910-2. Shaw (M. E.) 811, 910-2.
Schwartz (C. G.) 860, 881. Shaw (C. R.) 576.
Schwartz (M. S.) 860. Sheffield (F.) 860.
Schwartzenberg (R. G.) 239. Sheldon (W.) 191, 478, 750.
Schwendinger (H.) 159-1. Shepard (H. A.) 910-2.
Schwendinger Oulia R.) 159-1. Sherif (C. W.) 478, 881.
Seller (O. L.) 239. Sherif (M.) 198, 478, 860, 870, 873,
Scitovsky (T.) 223. 879, 881.
Scolastique 60. Shils (E.) 239,395,428, 603, 632, 881.
- antiscolastique 42. Sbubik (M.) 402,416.
Scott (M. B.) 860. Shure (G. H.) 881.
Scott (W.) 204. Sica (A.) 159-1.
Searle (J. R.) 249. Sicard (E.) 110.
Seashore (Ch.) 428. Sieca (Elizabeth) 164-1, 170.
Sebagh (P.) 395. Siegfried (A.) 224, 236.
Secord (P. F.) 198. Sighele (S.) 198.
Sée (E.) 370. Sigmund (K.) 162-2.
Segalen (Martine) 180, 181. Significatif:
Segrestin (O.) 110. - catégorie 610.
Seignobos (Ch.) 123, 204, 205, 207. - élément 623.
Seller (O. L) 239. - indices 560.
Sellars (W.) 86. - information 643.
Sellier (F.) 110. - objets 581.
Selltiz (C.) 329. - par rapport au problème 689.
Selten (R.) 223. - statistiquement 541.
Selvin (H.) 554, 860. Silberman (O.) 239.
Selznick (P.) 386, 395. Silbermann (A.) 170.
INDEX ALPHABÉTIQUE 981

Simiand (E.) 123,201, 220-2, 223,335, - (fait) 116, 120, 121.


351. - fait social total 126.
Simmel (G.) 127, 136, 137, 141, - survey 154, 433.
159-1, 165-1. Socialisation 187, 381, 391.
Simon (H.) 222, 223, 585, 587. - des enfants 391.
Simon (H. A) 166, 237, 238, 239, sociologie:
414,416, 910-2. - administrative 238.
Simon 0- L.) 310, 312, 860, 864, 881. - compréhensive 141.
Simon (M.) 239. - juridique 169.
Simon (P. H.) 589. - politique 232.
Simon (P.J.) 159-1. Sociométrie 885.
Simmonet (D.) 239. Sociopsychanalyse202.
Sineau (Marcelle) 239. Sociothérapie 901.
Singly (F. de) 580-1. Socrate 1, 18, 22, 31.
Siran 0- L.) 181. Sohl 0-) 910-2.
Siu-Lun (W.) 110. Solidarité, mécanique, organique 119,
Sivre (V.) 165-1, 170. 881-1.
Skinner (B.F.) 186, 198. Somit (A) 239, 416.
Slakta (P.) 248-1, 249. Sorano 0-) 264.
Slavson (S. R.) 897, 910-2. Sorensen (A. B. et A) 416.
Slonim (M. J.) 518. Sorlin (P.) 587.
Small (A B.) 159-1. Sorokin (P.) 160-1, 166, 110,296,299,
Small (A W.) 183. 382, 386, 395, 430, 442, 910-2.
Smelser (N.) 159-1, 110, 223, 322, Sorzand (J. S.) 395.
354, 395, 554, 860. Sorre (M.) 210-1, 213, 214.
Smirnov (S.) 110. Sotto (R.) 170.
Smith (Adam) 94, 116, 184, 220, Soubiran (F.) 169.
220-1. Souyri (P.) 159-1.
Smith (G.) 473, 478. Spearman (Ch.) 189, 368, 743, 744.
Smith (Elliot) 312. Spécification 109-1, 119-1, 386.
Smith (B. O.) 478. Spencer (H.) 109-1, 119-1, 121, 150,
Smith (K.) 537. 158, 159-1, 184, 372, 376, 382.
Smith (H. L) 725. Spencer (M. E.) 486.
Smith (N.) 170. Spengler (O.) 160, 163.
Smith (T. W.) 725. Spengler 0-J.) 428.
Smith (V. L.) 223. Sperber (O.) 181, 183, 239.
Smouts (M. C.) 239. Splenger (D.) 181.
Smuts 0- C.) 165. Spiegelman (M.) 219.
Snell 0- G.) 299. Spinoza (B.) 76, 90, 93.
Snyder (R. C.) 416. Spiro (H. G.) 395, 416.
Social: Split ballot 724.
- (activité) 141. Spontanéité 885, 890.
982 INDEX ALPHABÉTIQUE

Spradley (J.) 860. Stouffer (S.) 162, 298, 329, 542, 554,
Sprague (J.) 170,416. 563, 575, 695, 725, 770, 811, 860,
Spranger (E.) 338. 881.
Sprott (W. J. H.) 198. Stratégie 238, 266, 401, 402.
Sraffa (P.) 220, 223. Strauss (A) 170, 167-2, 910-2.
Starobinski Q.) 92, 104, 589. Strauss (L) 239.
Stacey (M.) 198, 860. Strayer Q.) 206,207.
Stafford Q.) 312. Streiffeler (F.) 860.
Staline 156, 590. Strodtbeck (F. L.) 881.
Stamm (A.) 580-1. Stoyanovitch (K.) 170.
Stamp (D.) 211-2, 212. Stuart (A) 714.
Statut et status 464 et s. Stuart Mill (J.) 47, 401.
Steedman (1.) 220, 223. Study (case) 153,272, 817.
Steffens (L.) 154. - (area) 817.
Stegemann (H.) 170. - (field) 154.
Stein (M. R.) 860. - suggestion 184.
Steiner (I. D.) 881. Stycos Q.M.) 665, 725.
Steinberg (H.) 632. Suchman (E. A.) 725.
Steinzor (B.) 837, 860. Sudman (S.) 518, 725.
Stengers (Isabelle) 84-1, 86, 261-1, Suessmilch (J. P.) 95,219.
264. Suleiman (E.) 239, 478.
Stenzen (N.) 322. Sullerot (E.) 587.
Stepansky 199. Sumpf (J.) 248-1, 249.
Stern (F.) 587. Sunshine (M.) 442.
Sternberg (B.) 587. Supiot (A.) 170.
Sternhell (Z.) 239. Suret-Canale (J.) 264.
Steward (D. W.) 542, 554. Sussmann (L. A.) 598, 632.
Stiglitz Q.) 223. Süssmilch (J. P.) 219.
Stillermann (R.) 428. Sutherland (J. D.) 202, 416.
Stirner (M.) 184. Swaan (A. de) 416.
Stochastique 914. Swartz (M. J.) 181,239.
Stock (O.) 910-2. Swedberger (R.) 223.
Stodgill (R. M.) 878, 881. Symes (M.) 154.
Stoetzel Q.) 110, 188, 189-1, 192-1, Synchronique 351, 380.
193, 193-1, 195, 196, 198, 215-1, Système 62, 116, 118, 139, 162, 367,
219, 296, 298, 420, 428, 454, 478, 368, 382 et s., 391,411, 819.
518. - systémique 166, 382 et s., 411.
Stoller (F.) 908-1, 910-2. Szacki (S.) 159-1.
Stomier (A.) 223. Szaluta Q.) 207.
Stone (J.) 202. Szczepanski Q.) 159-1.
Stone (Ph. J.) 416, 632. Szondi (L) 755.
Stone (W. F.) 239. Sztompka (P.) 170.
INDEX ALPHABÉTIQUE 983

T Thoenig Q.C.) 138-1, 170, 238-1, 239.


Thom (R.) 84-1, 86.
Tabah (L.) 215-1, 219.
Thomas (A.) 198.
Tabard (N.) 923.
Thomas Q.P.) 811, 860.
Taine (N.) 196, 198.
Thomas (R.) 454,478.
Takens (F.) 84-1. Thomas (W. 1.) 271, 275, 453, 478,
Tallman (1.) 239. 576.
Tanenhaus Q.) 239. Thompson (G. L.) 299, 881.
Tanham Q.) 632. Thompson (K.) 86.
Tanguy (L.) 170, 860. Thompson (P.) 275, 580-1.
Tapinas (G.) 219. Thompson (R. G.) 911.
Tarde (G.) 116, 120, 159, 159-1, 184, Thorndike (E. L.) 186, 198.
187, 191, 198. Thoverot (G.) 587.
Tarter (D. E.) 811. Thrasher 155, 159-1, 170.
Taton (R.) 66. Thuillier (P.) 104.
Tayler (E. B.) 176. Thuillier (G.) 207.
Taylor (G. L.) 166, 239. Thurstone (L. L.) 189, 297, 743, 744,
Taylor (S. J.) 299, 580-1, 909-2. 793,796,811.
Technologie 168, 421, 581. Tibbets (B.) 170.
Teevan (B. G.) 478. Tibbetts (P.) 159-1.
Teilhard de Chardin 65. Timsit (G.) 239.
Telquel 632. Tinbergen Q.) 395.
Tenzer (N.) 239. Tippet 508.
Terman 749. Tisserand Perrier (M.) 911.
Terrenoire Q. P.) 587. Tissier Q. L.) 214.
Terrou (F.) 587. Tixier (J.) 910-2.
Thales de Milet 1, 7, 30. Toailles 109.
Theil (H.) 416. Toby Q.) 170.
Thelen (H.) 881, 897, 910-2. Tocqueville (A. de) 117, 159-1, 224,
Thélot (C.) 580-1. 236.
Theodorson (G. A.) 170. Todorov (T.) 207, 249.
Thérapie 901. Tomassone (R.) 518.
Thevenin (N. E.) 159-1. Tomasic (R.) 170, 173.
Thevenot (C.) 168, 580-1. Tominaga (K.) 170.
Thevenot (L.) 222-1. Tonnelat (M. A.) 86.
Thibaudet (A.) 224. Tônnies (F.) 127, 135, 137, 151,
Thibaut Q.W.) 186, 861, 881. 159-1, 332, 479.
Thibault-Laulan (A. M.) 584, 587. Topolov (C.) 170.
Thiec (Y.J.) 196, 198. Torrance o.) 159-1.
Thierry (A.) 205. Torres (F.) 580, 580-1.
Thiers 204. Torricelli (E.) 48.
Thionet (P.) 507. Tort (M.) 766.
984 INDEX ALPHABÉTIQUE

Tort (P.) 159-1. Tylor (E. B.) 174, 175.


Tosquelles (F.) 893, 910, 910-2. Typologie360.
Totalité 93, 116, 126, 176, 345, et s.,
352,411.
- faits totaux 126.
u
- phénomènes totaux 360. Ullman (J.) 249.
Touchard (J.) 236, 239. Ullmo (J.) 66, 72, 73, 74, 75, 81, 86.
TouJhins (S.) 86. Umpleby (S. A.) 219.
Touraine (A.) 165-2, 167-1, 168, 169, Unrug (M. C.) 632, 910-2.
170, 890-1, 892, 910-2. Useem (M.) 428.
Tournier (M.) 249.
Touzard (M.) 310, 312.
Transfert 199. V
Trasher (F.M.) 155, 159-1.
Valade (B.) 159-1, 110.
Treanton Q.R.) 170, 198.
Valensi (L.) 207.
Trèves (R.) 169, 170.
Valette (F.) 110.
Tricart 213.
Validité 289 et s., 720, 724, 742.
Trinquier Alcouffe (C.) 911.
- critérielle 74 5.
Triplett 861.
- empirique 291, 737, 738.
Tripier (P.) 167-1, 170.
Trist (E. L.) 239, 395, 428, 532, 554. - factorielle 743.
- interne, externe 291, 737, 741.
Troland (L. T.) 478.
- logique 291, 737, 740.
Trognon (A.) 630, 632.
- Statistique 739.
Trotzky 159-1, 254-1.
Troubetzkoy (N. S.) 243, 249. Vandana (Shiva) 239.
Trudgill (P.) 249. Van Bockstade (J. et H.) 910-2.
Truffaut ( ) 584. Van Rillaer (J.) 200-1, 202.
Trystram (J. P.) 400, 416, 725. Vancouver 97.
Tuchfeld (B. S.) 170. Varela (1. J.) 163-1, 186-1, 198.
Tuden (A) 181, 239. Varenius 209,210.
Tulard (J.) 207. Variable 433, 541, 544.
Tullock (G.) 222-1, 239. - analytique 324.
Tunstall (J.) 580-1, 585,587. - dépendante 525, 541, 544.
Turgot (A P.) 248. - extérieure 544.
Turner (B.) 162-1. - indépendante 433, 525, 862.
Turner 0- E.) 395. - intervenante 119, 54 5.
Turner Q.H.) 159-1. - latente 798.
Turner (R. N.) 860. Variance 914.
Turner (Roy) 170, 159-1. Varin d'Ainvelle (M.) 395, 580-1, 587.
Turner (S.P.) 159-1. Vasco de Gama 97.
Turner (V. W.) 181, 239. Vasquez (A) 910.
Twain (M.) 210-1. Vauban 213, 215-1.
INDEX ALPHABÉTIQUE 985

Vax (L.) 76, 77, 79, 86. Voltaire 172, 236.


Veblen (T.) 158, 159-1, 220-2. Voss (A.) 259.
Vedel (G.) 225, 234, 236. Vovelle (M.) 580-1.
Vedrine (H.) 52, 66. Voyenne (B.) 580-1, 587.
Verba (S.) 359, 395, 878, 881. Vulbeau (A.) 587.
Vergnaud 0- R.) 249. Vulliermé 0- L.) 239.
Verhaegen (B.) 201.
Verhulst 218-1. w
Vermorel (H.) 910-2.
Vernières (M.) 580-1. Wachtel (N.) 207.
Vernon (P. E.) 766. Waechter (A) 239.
Verret (H.) 170. Wagner (J. D.) 159-1.
Verrière 0-) 219. Wahl 0-) 393.
Veuille (M.) 110. Wakeford (J.) 860.
Vexliard (A.) 395. Waldo (S.) 239.
Veyne (P.) 201, 239. Wallace (A. R.) 218-1, 416.
Vico (G. B.) 90, 91. Wallach (M.) 881.
Vidal de la Blache (P.) 209, 210, Wallerstein (1.) 260 et s., 264, 395.
211-2, 213, 214. Walliser (C.) 222-2, 223, 416.
Viderman (S.) 200-1, 202. Walpole (H.) 419.
Vidich (A. J.) 860. Walras (L.) 118, 369.
Vierkandt (A.) 127, 137, 155. Waples (O.) 632.
Viet (J.) 198,219,395,416,428. Walters (R. H.) 186.
Vignaux (G.) 198. Ward (L.) 109-1, 183.
Vigny (A. de) 204. Warner (W. L.) 162, 162-1, 860.
Vùard (P.) 201. Wartburg (W. von) 246, 249.
Vùleneuve-Barjemont 0- P.) 153. Wassermann 254-1.
Villermé (L. R.) 153, 167, 110. Watson (J. B.) 186, 198, 428, 881.
Villette (M.) 910-2. Watanuki (J.) 170.
Villey (O.) 219. Watt 421.
Vùtard (Y.) 239. Wattrer (P.) 170.
Vmacke (W. E.) 870. Wax (L.) 176.
Vmcent 0- M.) 159-1, 170, 219, 239, Wax (M. L) 860.
893, 910-2. Wax (Rosalie) 860.
Vmcent (P.) 215-1, 216,219. Waxler (H. E.) 860.
Vmci (L. de) 40, 66. Weber (Alfred) 127, 143.
Vrret 54. Weber (Max) 115, 116, 117, 118, 127,
Vrrieux-Reymond (A) 13. 135, 136, 138, 139 et s., 159-1, 160,
Vrrton (P.) 159-1. 160-1, 162-1, 163, 163-1, 165, 165-1,
Vischer (P.) 910-2. 166, 169, 170, 199, 254-1, 264, 318,
Volkaert 189-1. 337, 340, 346, 366, 430, 432, 496,
Voile (M.) 923. 497.
986 INDEX ALPHABÉTIQUE

Weber o.P.) 589, 632. Wildasky (A.) 239.


Weber (Marianne) 138, 159-1. Wilenski (H. L.) 110, 860.
Wechsler (R.) 725. Wilenski (J. L) 860.
Weigert (A. J.) 264. Wilkie 601.
Weil (R.) 165-1, 110. Willcox 215-1.
Weill (P.) 239, 860. Willemer (A. R.) 167, 167-1.
Weintraub (S.) 222-2, 223. Willems (E.) 159-1.
Weisberg (H.) 395. Willer (D. E.) 275, 329.
Weiss (C. H.) 428. William (P.) 110.
Wells (H. G.) 601, 755. William (R.) 580-1.
Wenger 149. Williams (A. F.) 725.
Wepsieg Q.) 159-1. Williams Q.A.) 725.
Werkmeister (W. H.) 4, 264. Williams o.D.) 401,403,416.
Wertheimer (M.) 373. Williams (R. M. jr) 159-1.
Western electric (expérience) 250, Williams (S. B.) 881.
820, 824, 871. Cf. Maye. Williamson 222-1.
Westley (B.) 881. Willner (D.) 264, 274.
Whewell (W.) 71, 86. Wilson (A.) 881.
White (L. D.) 110, 416, 538. Wilson (E. O.) 162-2, 170.
White (R. D.) 862, 878, 881, 884, Wilson (F. L) 239, 415, 416.
910-2. Wilson (W.) 421.
White (R. K.) 597, 609. Windelband (W.) 140, 271.
White (R. W.) 478. Windelsham (L.) 580-1, 587.
Whitehead (T. H.) 860. Winkin (Y.) 162, 110, 181.
Whiteley (P.) 416. Winnicott 200, 202, 895, 910-2.
Whiting 0- G.) 197. Wirth (H.) 339.
Whitney (D. R.) 240, 241. Wisan (G.) 170.
Whyte (L Jr.) 239. Wiseman (H. V.) 395.
Whyte (W. F.) 309, 312, 318, 539, Witmer (L.) 276.
552, 554, 824, 825, 830, 833, 848, Wittfogel (K.) 239.
860. Witkouski (N.) 86.
Whyte (W. H.) 238-1, 239, 423, 428, Wittgenstein (L. de) 76-1, 86, 246,
538, 765. 910-2.
Wiatr o.) 239. Wolf (A.) 910-2.
Wiener (G.) 239. Wolf (A. H.) 159-1.
Wiener (N.) 405,416. Wolf (J.) 223.
Wiens (A. N.) 725. Wolfe (D.) 215-1.
Wiersmer 191. Wolfelsperger (A.) 222-2.
Wiese (Von) 127, 136, 339, 386. Wolfenstein (E. V.) 238-1, 239.
Wiggins (LM.) 811. Wolff (C.) 26, 62.
Wù<ln (Y.) 181. Wolff Q.) 223.
Wilczynski o.) 159-1. Wolin (S.) 239.
INDEX ALPHABÉTIQUE 987

Wolman (B. B.) 206,201. Young (L. C.) 170.


Wolpe Q.) 186, 198. Young (O. R.) 395.
Wong Siu-Lun 170. Young (P. V.) 159-1, 110,518,860.
Woodrum (E.) 628, 632. Ysmal (Colette) 239.
Woodford (M.) 223.
Woodward (J. L) 632.
Wool (H. K.) 223.
z
Wootton (B.) 159-1, 254, 264. Zajonc (R. B.) 198, 478, 862, 881.
Worms (R.) 109. Zalba 860, 881.
Worsley (P.) 264. Zander (A.) 159-1, 486, 860, 881,
Wright Q.M.) 811. 910-2.
Wright Mills (C.) 239, 430. Zaninovitch (G.) 632.
Wrightsman (L. S.) 329. Zaslavsky (V.) 170.
Wrigley (E. A) 219. Zazzo (R.) 728, 730, 766.
Wrong (D. H.) 110. Zeeman (C.) 84-1, 86.
Wundt (W.) 74,728. Zeisel (H.) 170, 473, 478, 554, 811.
Wunsch (G.) 219. Zeitoun (J.) 416.
Wyatt (W. W.) 911. Zeldin (Th.) 110.
Wylie (L.) 552,819,860. Zelditch (M. J.) 170.
Wynar (L R.) 239. Zelinsky (W.) 211,214.
Zempleni (A) 725.
X Zenon d'Elée 1, 30.
Zetteberg (H. L) 25, 354, 395, 416.
Xydias (N.) 860.
Zigouris 632.
y Zima (P. V.) 163-1, 110.
Zimmerman (D. H.) 162-1, 170.
Yamane (T.) 518. Zingerle (A) 159-1.
Yang (H. P.) 860. Znaniecki (F.) 186, 271, 275, 453,
Yanowitch (M.) 170. 478, 576.
Yates (F.) 518. Zola (E.) 196.
Ymonet (M.) 159-1. Zolberg (A. R.) 239.
York Qames) 84-1. Zubaida (S.) 428.
Young (K.) 198. Zvorikine (A.) 110.
TABLEDES MATIÈRES

UVRE1 SCIENCE ET SCIENCES SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

CHAPITRE1 LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE .................... 3


SECTION1 LES CONDITIONS DE LA VÉRITÉ: LA LOGIQUE . . . . . . . . . . . . . . 3
§ 1 Logique et connaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Le sujet et l'objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
§ 2 Logique formelle, logique concrète . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Forme et contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
§ 3 La dialectique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Hegel.................................................... 5
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
SECTION2 LES PROBLÈMES DE LA CONNAISSANCE: L'ÉPISTÉMOLOGIE 7
§ 1 Définitions .. ... .. .. .. .. .. .. .... .. ... .. .. .. .. .. ... .. .. .. 7
Science et philosophie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
§2 L'idéalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
§ 3 Le matérialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
L'évolution............................................... 9
§4 La phénoménologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Husserl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
§ 5 Le matérialisme dialectique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Friedrich Engels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Karl Marx................................................ 12
Lénine................................................... 13
Conclusion sur le matérialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
SECTION3 LES MOYENS DE LA CONNAISSANCE : MÉTHODE, THÉORIE
ET PROCÉDURE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
§ 1 La méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Ambiguïté de la notion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
§ 2 La théorie............................................... 16
Le rationalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
L'empirisme.............................................. 16
§ 3 La procédure, les types de raisonnement : déduction,
induction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
La déduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
L'induction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
990 TABLEDES MATIÈRES

§ 4 Les outils : les concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18


Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Extension.Compréhension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Concept et jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Concept et définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Définition nominale. Définition réelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

CHAPITRE
2 L'ÉVOLUTION DE LA RÉREXION SCIENTIFIQUE . . . . . . . . . . 22
SECTION1 LA NOTION DE SCIENCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Évolutionde la définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Distinction entre scienceset lettres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
SECTION2 L'ÉVOLUTION DES SCIENCES JUSQU'AU XIXe SIÈCLE . . . . . . . . 25
§ 1 Les origines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
L'expériencepremière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
§ 2 L'Antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
La Grèce................................................. 25
Platon (428-347) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Aristote (384-329) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
La science gréco-romaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
§ 3 Le Moyen Age . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L'influence arabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L'influencegrecque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
a) Platon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
b) Aristote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
c) La querelle des universaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Le développementdes sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
§ 4 La Renaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Progrèset obstacles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Léonard de Vmci (1452-1519) . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Francis Bacon (1561-1626) ................................ 31
a) La rupture avec le passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
L'unité de la nature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Le rationalisme et l'empirisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
La méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
b) La critique de la tradition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
c) Le maintien de l'influence du passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
§ 5 Le XVII• siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Le changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
René Descartes (1596-1650) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
BlaisePascal (1623-1662) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
TABLEDES MATIÈRES 991

Isaac Newton {1642-1727) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36


Galileo Galilei (1564-1642) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
§ 6 Bilan du développement de la pensée scientifique . . . . . . . . 38
1° Lesobstacles aux progrès des sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
a) L'insuffisancedes moyens d'observation.................. 39
b) Lesobstaclesphilosophiqueset sociaux.Le primat de la théo-
rie sur la pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
c) Le respect de la nature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
d) La mentalité préscientifique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2° Lesprogrès de l'esprit scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
a) Le rejet de l'autorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
b) L'institutionnalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
c) La notion d'expérienceet de méthode expérimentale . . . . . . 41
d) La mathématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
e) La réalité et l'objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
f) La notion de causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
§ 7 Le XVIII"siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
1° La vulgarisationde la science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2° Lesobstacles au développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
a) La contre-pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
b) L'expériencepremière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
c) La connaissance générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
d) Le substantialismeet l'animisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
SECTION3 LA SCIENCE DU XIX• SIÈCLE A NOS JOURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
§ 1 Le XIX"siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Lesoppositions théoriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Positivismeet scientisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
a) Auguste Comte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
b) Le scientisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
L'oppositionau dogmatisme positiviste...................... 48
a) Le conventionalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
b) Causalisme et réalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Énergétiqueet mécanisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
L'évolutiondes notions fondamentales...................... 50
a) Le déterminisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
b)Laloi ................................................. 51
c) La vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
§ 2 Le xx• siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
* L'empirismelogique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
a) L'atomisme logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
b) Néo-positivismeou positivisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
c) La philosophie logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
La réticence des Français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Bilan de l'empirisme logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
1° La première révolution: la théorie de la relativité . . . . . . . . . . . . . 55
992 TABLEDES MATIÈRES

2° La seconde révolution: la mécanique quantique. a) Les quanta 55


b) Les inégalitésd'Heisenberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
c) L'écolede Copenhague et l'école de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
La révolution morphologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Réalismeet rationalisme au XX•siècle: l'épistémologieconcor-
dataire................................................... 62
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

CHAPITRE3 L'ÉVOLUTION DES SCIENCES SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


SECTION1 L'ÉVOLUTIONDES SCIENCES SOCIALESJUSQU'AU XIXe
SIÈCLE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
§ 1 Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
1° L'Antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
2° Moyen Age et Renaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3° Le XVII siècle.Thomas Hobbes (1588-1679) . . . . . . . . . . . . . . . .
0
68
Baruch Spinoza (1562-1677) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
4° Le XVIII•siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
a) La sciencepolitique. Vico (G.B.) (1668-1744) . . . . . . . . . . . . 69
Charles de Montesquieu (1689-1755) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
La notion de loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
b) L'économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
c) La statistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
§ 2 Facteurs de développement et obstacles aux sciences
sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
1• Les facteurs de changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
a) Changement et comparaison............................ 72
b) Histoire et évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
c) Le modèle des sciences de la nature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
d) La délimitation des problèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
2° Obstacles au développement des sciences sociales . . . . . . . . . . . . 74
a) La difficulté d'utiliser une méthode scientifique . . . . . . . . . . . 74
b) La confusion entre État et société........................ 74
c) Le réformisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
SECTION2 L'ÉVOLUTIONDES SCIENCESSOCIALESDEPUIS LE XIX0
SIÈCLE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
1° Impérialismeet division . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
2° Sciencessocialeset sciences humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

CHAPITRE4 LES DIFFÉRENTES SCIENCES SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79


SECTION1 LESDÉBUTSDE LA SOCIOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Les tendances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

1 LE COURANT ÉVOLUTIONNISTE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SOUS-SECTION 79
TABLEDES MATIÈRES 993

1° En Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
2° En Grande-Bretagne et aux États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

2 LE COURANT THÉORIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SOUS-SECTION 80
§ 1 La sociologie en France . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . 81
Saint-Simon (1760-1825) . .. .. . .. .. . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 81
Proudhon (1805-1865) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Auguste Comte (1798-1857) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
La méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
La statique et la dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Les méthodes comparative et historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
La spécificitédes faits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Alexisde Tocqueville(1805-1859) . .. . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 85
Vùfredo Pareto (1848-1923)............................... 87
** Émile Durkheim (1858-1917) .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . . . . . 88
** a) L'homme et l'œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
** b) Durkheim et l'exemple de la physiologie: C. Bernard et L.
Pasteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
** c) Existe-t-ildes faits sociaux? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
** d) L'explication des faits sociaux........................ 92
** e) La méthode d'étude des faits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
** Influence de Durkheim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
** Marcel Mauss (1872-1950) . . . .. . . . . . . .. .. .. . . . . . .. .. . . 94
** Interdépendance des sciences humaines.................. 95
** Le fait social total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
§ 2 La sociologie en Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
** Les tendances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
** Karl Marx (1818-1883), F. Engels (1820-1895) . . . . . . . . . . 97
** La dialectique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
** Notions essentielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
** L'aliénation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
** La superstructure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
** Influence du marxisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
* Wùhelm Dilthey (1833-1912) .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 103
* Ferdinand Tonnies (1855-1936) . . . . . .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 103
* Georg Simmel (1858-1918) . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 104
* Alfred Vierkandt (1867-1953) . .. . . . . .. .. .. . . . . . . . .. .. . . 105
** Max Weber (1864-1920) . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 105
** Idéalisme et matérialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
** Sciencesde la nature et faits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
** 1° La sociologiecompréhensive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
** Causalité et rapport aux valeurs......................... 110
** L'objectivitédu savant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
** 2° Le type idéal . .. .. . . . .. .. .. . . . . . . .. .. .. .. . .. .. .. .. . . 111
994 TABLEms MATIÈRES

Typeet concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 111
Type,catégorieet théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 111
Critique du type idéal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 112
Influence de Weber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
** 112
Comparaison entre la sociologieallemande et la sociologie
**
française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
§ 3 La tendance empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
En Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Les enquêtes sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
En Grande-Bretagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
En France................................................ 114
Aux États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
* a) L'écolede Chicago . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
b) Le culturalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
§ 4 Interrogations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
a) Où allons-nous ? Où va la société ? Où va le monde ? . . . . . 118
b) Facteur prédominant et lois sociologjques . . . . . . . . . . . . . . . . 119
c) L'individu et la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
SECTION2 LA SOCIOLOGIE MODERNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
La crise de la sociologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
§ 1 Les États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
a) Le fonctionnalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
b) L'interactionnisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
c) L'ethnométhodologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
d) La sociobiologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
§2 La sociologie en Grande-Bretagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Les oppositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
§ 3 La sociologie en Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
* L'écolede Francfort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
§4 La sociologie en Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
L'évolution............................................... 145
Les obstaclespolitiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
Les obstaclestechniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
§ 5 La sociologie en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
1)Les auteurs............................................. 150
a) Le métier de sociologue: Pierre Bourdieu . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
b) Holisme ou individualisme: RaymondBoudon . . . . . . . . . . . 152
c) Sociologiedynamique: GeorgesBalandier,Alain Touraine.. 153
d) L'analysestratégique: Michel Crozier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
e) L'importance de l'imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
C. Castoriadis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Gilbert Durand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
M. Maffesoli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
2)Développementde sociologiesparticulières . . . . . . . . . . . . . . . . 158
a) La sociologiedu travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
TABLEDES MATIÈRES 995

De la sociologiede l'entreprise à la sociologiedu travailleur . . . 160


Méthode et orientation de la sociologiedu travail . . . . . . . . . . . . 162
b) La sociologiedu droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Le terrain vague des sciencessociales: la communication . . . . . 17 4
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 5
SECTION3 L'ANTHROPOLOGIE ET L'ETHNOLOGIE ..................... 193
Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 3
§ 1 Évolution de l'anthropologie jusqu'à la Deuxième Guerre
mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
La conquête de l'autonomie................................ 194
L'écolefrançaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
L'écoleévolutionnisteanglaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
Le diffusionnismeen Allemagne............................ 197
Les notions de culture et de fonction aux États-Unis . . . . . . . . . 197
§ 2 Évolution depuis la Deuxième Guerre mondiale . . . . . . . . . 199
Les nouveaux problèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
Aux États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
En France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
L'anthropologieeuropéenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Originalitéde l'anthropologieet liens avec la sociologie. . . . . . . 205
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
SECTION4 LA PSYCHOLOGIE SOCIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Psychologiesocialeet psychosociologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Domaine et évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Évolutiongénérale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Lespremiers auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
Lespremières notions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
Lestendances principales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
* a) La psychologiede la forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
* b) Lesthéories du renforcement: le behaviorisme . . . . . . . . . 215
c) Les sciencescognitives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Les principaux secteurs de la psychologiesociale.La personna-
lité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Théoriessubstantialistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
a) Lestypes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
b) Lesfacteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
c) Lestraits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Lesaptitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Théoriessituationnelles.................................... 219
Lesprincipaux secteursde la psychologiesociale . . . . . . . . . . . . . 220
1° Le problème des rapports de l'individu et de la culture . . . . . . . . 220
L'influencedes conditions sociales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
a) La perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
996 TABLEDES MATIÈRES

b) La mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
c) Les comportements d'intelligence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
d) La vie affectiveet les attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
2° Les niveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
* Les liens entre la psychologie sociale et les autres sciences
sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
1° Psychologiesocialeet sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
2° Psychologiesocialeet psychologiecollective. . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
3° Psychologiesocialeet ethnologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
SECTION5 LAPSYCHANALYSE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Origine et évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Les dissidenceset les scissions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
* Lesliens de la psychanalyseavec les autres sciencessociales . 232
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234

SECTION6 L'HISTOIRE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236


Le problème des origines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
L'histoire jusqu'en 1850. Le romantisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
Historicismeet méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Les tendances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
a) Le quantitatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
* b) Le qualitatif et l'apport des autres sciencessociales . . . . . . 240
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
SECTION7 LAGÉOGRAPHIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Définition et nature de la géographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Évolutionde la géographie.Lesde'buts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Déterminisme et environnementalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
La géographieclassique: le possibilisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
La crise de la géographie.La mathématisation . . . . . . . . . . . . . . . 249
Les nouvellesgéographies.La quête d'une identité . . . . . . . . . . . . 250
L'état d'esprit et les difficultésactuellesdes géographes . . . . . . . 252
La situation de la géographieà l'étranger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
La géographieappliquée en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
SECTION8 LADÉMOGRAPHIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
Définition et objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
Évolutionet institutionnalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
Définitions et conceptions de la démographie. . . . . . . . . . . . . . . . 263
a) La démographiepure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
b) La démographie,étude des comportements démographiques 263
c) La démographie,science sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
TABLEDES MATIÈRES 997

d) La démographieglobaleou planétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265


Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

SECTION9 L'ÉCONOMIE POLITIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271


Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
L'écoleclassiqueou l'intemporalité des structures . . . . . . . . . . . . 272
De l'école historique allemande aux courants institutionnalistes
américains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
L'écolenéoclassique: une genèse économique des phénomènes
dépourvue d'ancrages structurels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
Lestendances critiques: marxistes,radicaleset anti-utilitaristes 273
Les principaux débats de méthode depuis la Deuxième Guerre
mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27 4
Deux ruptures théoriques majeures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Lestendances récentes en méthodologieéconomique . . . . . . . . . 278
Des orientations actuellesprometteuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280

SECTION10 LA SCIENCE POLITIQUE .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 285


Le retard de la sciencepolitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 5
L'objetde la science politique . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 286
Le domaine de la sciencepolitique : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
a) Le pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
b) Les structures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
c) Les forces et les intérêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
d) Lesidées et les aspirations . . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 289
e) Lesrapports politiques . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 290
f) Les comportements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290
Définition proposée . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . .. .. . . 291
Science politique, sociologiede la politique et sociologiepoli-
tique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Évolutionde la sciencepolitique dans les diverspays : Aux États-
Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
291
En Grande-Bretagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292
En France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
292
Tendances récentes de la sciencepolitique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
a) La théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
293
b) La spécialisation . .. . . . . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 296
c) Psychologieet politique . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . .. . . . . 297
d) Lespolitiquespubliques . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 297
e) L'écologie,l'environnement et la politique . . . . . . . . . . . . . . . . 298
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301

SECTION11 LA LINGUISTIQUE . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 315


§ 1 Une scienceancienne.................................... 315
La linguistiquecomme science sociale....................... 315
998 TABLEDES MATIÈRES

L'antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Les temps modernes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317
La linguistiquestructurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318
§ 2 La linguistique contemporaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
La grammaire générative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Les autres théories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
La pragmatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
Les disciplinesconnexes de la linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323
L'analysedu discours...................................... 325
La linguistiquedans les sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
SECTION12 PROBLÈMES
ACTUELSDES SCIENCESSOCIALES. . . . . . . . . . . . . 329
§ 1 * Le développement des sciences sociales ................ 329
Les causes de développement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
a) Raisons scientifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
b) Réticencespsychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
Que peut-on répondre à ces critiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
§ 2 * L'objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
1° Points de vue sur l'objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
2° Difficultésde l'objectivité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
a) Facteurspolitiques et objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
b) Facteurssocio-économiqueset objectivité................. 335
c) Facteurspersonnels et objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
3° Sciencessociales,responsabilitéet révolution . . . . . . . . . . . . . . . . 336
a) La sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
b) L'anthropologie........................................ 337
c) La science politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
d) La scienceéconomique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
§ 3 * La recherche de l'unité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
L'interdisciplinarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340
1° Interdisciplinaritéentre sciencessocialeset sciencesde la nature 340
2° Interdisciplinaritéentre les diversessciencessociales . . . . . . . . . . 341
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344

LIVRE2 IA LOGIQUE DE IA RECHERCHEDANS LES


SCIENCESSOCIALES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349

CHAPITRE1 ** LESCONFLITS DE MÉTHODES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 351


Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 351
1° La méthode et les méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 51
2° Les techniques............................................ 352
L'approche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353
Limitesdes méthodes et techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354
SECTION1 HOLISME OU INDIVIDUALISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354
Un vieux débat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354
TABLEDES MATIÈRES 999

SECTION2 NOMOTHÉTIQUE, IDIOGRAPHIQUE 355


Comparaison ............................................ . 355
Conséquencesdu conflit ................................. . 355
Position des rationalistes ................................. . 356
Position des empiristes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 356
Bibliographie . .. .. .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. . . . . 357

SECTION3 MÉTHODE CLINIQUE, MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. . . . . . . . . . 358


Notion générale .. .. .. .. .. .. . . . . .. . . . .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 358
limites des deux méthodes . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . .. . . . . 360
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362
SECTION4 QUALITATIFET QUANTITATIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362
§ 1 Évolution des sciences sociales et des mathématiques . . . . 362
Mathématiques et sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362
Quelles sciencessociales? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363
Quelles mathématiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363
SECTION5 LATRANSFORMATIONDE L'OUTILMATHÉMATIQUE. . . . . . . . 364
L'évolution............................................... 364
Les mathématiques qualitatives . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 365
Quantification et mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 366
§ 1 Qualités requises de l'instrument de mesure . . . . . . . . . . . . . 366
1° Erreur et vérité . .. .. .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. . . . . 366
a) La vérité d'une théorie scientifique. . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 366
b) Erreur de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367
c) Erreur relative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367
d) Erreur dans le passagedu qualitatif au quantitatif . . . . . . . . . 367
2° Notions de fidélitéet de validité . . .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . .. . . 368
3° La précision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369
4° Vérificationde la fidélitéet de la validité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370
Relativitéde la validité . . . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. .. . . 371
§ 2 Comparaison entre méthodes qualitatives et quantitatives 371
Lespoints de comparaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371
1° Comparaison sur le plan de la fidélité et de la validité . . . . . . . . 372
2° Comparaison sur le plan de l'intérêt des résultats . . . . . . . . . . . . 372
3° Que reproche-t-on à la quantification? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373
Excèsde la quantification.................................. 374
Complémentarité du qualitatif et du quantitatif . . . . . . . . . . . . . . 37 4
Bibliographie . .. .. .. . . . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. .. . . . .. .. .. . . 375

CHAPITRE2 ** LESEXIGENCES DE LA RECHERCHE.................... 378


SECTION1 LESÉTAPESDE LA RECHERCHE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378
Lesétapes classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378
§ 1 Les conditions de l'observation .......................... 378
1• Lesprénotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378
1000 TABLEDESMATIÈRES

2° La définition provisoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381


§ 2 Construction de l'objet.................................. 382
L'objet à construire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382
Réalitésocialeet réalité sociologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382
Objet réel, objet construit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383
L'objet construit et l'objectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 384
§ 3 Les concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 384
1° Le rôle des concepts....................................... 384
L'opérationnisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 386
2° La construction du concept . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 387
Indicateurs et dimensions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 388
L'interchangeabilitédes indices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 390
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 392

SECTION2 OBSERVATION,HYPOTHÈSE,EXPÉRIMENTATION . . . . . . . . . . . 393


§ 1 Particularités de l'observation dans les sciences sociales . . 393
1° L'objet à observerest humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 393
2° L'observateurest aussi un être humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 394
3° Les instruments d'observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 394
La réflexion,outil de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 5
§ 2 Observation plus ou moins systématisée . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 5
Le degré d'organisation de l'observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395
§ 3 Observation plus ou moins quantifiée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 396
Utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 396
1° Les éléments sont directement quantifiables . . . . . . . . . . . . . . . . . 396
a) Les statistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 396
b) La mesure des opinions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397
2° Les données qualitativesdoivent être quantifiées . . . . . . . . . . . . . 397
§ 4 L'hypothèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398
1° Définition et rôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398
2° L'originedes hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 399
3° Typesd'hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 400
4° Conditions de validité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 400
Élément aléatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 401
5° Valeur des hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402
§ 5 L'expérimentation ou vérification de l'hypothèse . . . . . . . . 402
Diverstypes d'expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403

CHAPITRE3 ° LES NIVEAUX DE IA RECHERCHE ...................... 404


Généralités sur la notion de niveau : notion évolutionniste . . . . 404
Notion hiérarchique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404
Notion dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405
SECTION1 DESCRIPTION ET CLASSIFICATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405
§ 1 La description . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405
TABLEDES MATIÈRES 1001

Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
405
Écueilsà éviter . .. .. . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 406
§ 2 La classification . . . . . . . . . . . . .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 406
La notion de typologie . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. .. .. .. . .. .. .. . . 406
Typeet catégorie .. .. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 407
Évolutionde la notion de type . . . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. . . . . 407
Le type concret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 408
La typologiesystématique . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. .. . . . . . .. . . . . 408
La construction du type . .. . . . . . . .. . .. .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 409
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410
SECTION2 * L'EXPLICATION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 410
1° La crise de l'explication et ses causes . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. .. . . 410
a) La fragmentation des sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 411
b) Le décalagechronologique . . . . .. . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 411
c) L'exigencede totalité . . . . . . .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 412
La totalité, notion philosophique .. . . . . . . .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 412
La totalité, notion sociologique............................. 413
2° Explicationet causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
a) La causalité dans les sciences. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
b) La causalité dans les sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
c) Causalité interne, causalité externe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415
d) La causalité et le temps . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . .. .. . . 416
3° Explicationet théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 417
Théorie généraleou théorie moyenne ? . .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 417
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 418
SECTION3 MÉTHODESPROPOSÉESPOURAITEINDREL'EXPLICATION. 419
Lesdifférentes méthodes proposéesen sociologiepour atteindre
l'explication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
§ 1 * * La méthode comparative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
1° Historique . . . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 419
2° Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
3° Limitesde la méthode . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. .. . . . . . . . .. .. . . 420
4° Progrèsrécents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 420
§ 2 ** La méthode historique .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 421
Histoire et Sociologie.. .. .. . . . . . .. . . . . .. .. .. . . . . . . . . . . . .. . . 421
Ce qu'est l'histoire . . . . . . . . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 422
§ 3 ** La méthode génétique . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 423
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
§ 4 * * La méthode fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
La notion de fonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
B. Malinowski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424
R.K.Merton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424
Fonctionnalisme,anthropologieet sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . 425
Fonctionnalismeet causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 426
1002 TABLEDESMATIÈRES

Fonctionnalismeet idéologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427


§ 5 ** Le structuralisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427
La notion de structure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427
Les définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 428
Existe-t-ilune méthode structurale 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 429
En mathématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 430
En linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 430
En ethnologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 430
En psychologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 431
En psychologiesociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 431
En économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
En sociologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
Conceptions principales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
Conception de G. Gurvitch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432
Critique de H. Lefebvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433
L'opposition entre les divers structuralismes . . . . . . . . . . . . . . . . . 434
Le structure-fonctionnalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435
§ 6 ** L'analysesystémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . 435
1° Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435
2° Définitions et orientation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 436
a) La tendance structuro-fonctionnaliste: Talcott Parsons . . . . 437
La structure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437
La fonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437
G. C. Homans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 438
b) La tendance cybernétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 438
Lucien Mehl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439
D. Easton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439
Exemplesd'application du schéma d'Easton . . . . . . . . . . . . . . . . . 439
3° Extension et limites de l'utilisation de l'analyse systémique . . . . 440
§ 7 * La méthode dialectique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 441
Dialectiqueet empirisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 441
Dialectiqueet explication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 442
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 443

CHAPITRE4 L'UTILISATION DES MATHÉMATIQUES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451


Caractéristiquesdes mathématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451
§ 1 Théories mathématiques utilisées dans les sciences
sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451
1° Le calcul des probabilités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452
2° La théorie des graphes ou des réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452
Terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452
Utilisation des ordinateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453
Utilisation des graphes et des réseaux dans les sciencessociales 454
TABLEDES MATIÈRES 1003

3° La théorie des jeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 5 5


Conditions d'utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457
§2 Les applications mathématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 458
* 1° La théorie de l'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 459
a) La quantité d'information ou la mesure de l'information . . 459
L'unité d'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 460
b) La circulation de l'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 460
Le feedback . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461
c) Applicationsde la théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462
d) Nature de l'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 463
La cybernétique........................................... 464
2° La théorie générale des systèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 464
3° La recherche opérationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 465
Étapesd'utilisation........................................ 465
* 4° La notion de modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 466
Limitede l'emploi des modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 468
* 5° La notion de paradigme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 468
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 469

CHAPITREs THÉORIEETRECHERCHE
DANS LESSCIENCESSOCIALES 476
SECTION1 RECHERCHE THÉORIQUE ET RECHERCHE CONCRÈTE . . . . . . . 476
Le problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 476
1° Ce que la théorie apporte à la recherche..................... 477
2° Ce que la recherche apporte à la théorie..................... 477
SECTION2 RECHERCHE FONDAMENTALE ET RECHERCHE APPLIQUÉE .. 478
Difficultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 478
§ 1 L'évolution des rapports entre recherche fondamentale et
recherche appliquée dans les sciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 479
1° Avant la guerre de 1940 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 479
2° Pendant la seconde guerre mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 479
3° Depuis la guerre: les avantageset inconvénients de la recherche
appliquée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 481
§ 2 Évolution des rapports entre recherche fondamentale et
recherche appliquée dans les sciences sociales . . . . . . . . . . . . 482
La tradition humaniste des sciencessociales . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
1° Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
2° Difficultéspsychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482
3° Lescommunications entre chercheurs et utilisateurs . . . . . . . . . . 483
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 484

LJVRE
3 LES TECHNIQUES AU SERVICEDES SCIENCES
SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487
CHAPITRE1 ** MISES EN GARDE, PRÉCISIONS, CIASSIFICATIONS . . . . 489
§ 1 La fin des illusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489
1° L'illusionde la facilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489
1004 TABLEDES MATIÈRES

2° L'illusion de la neutralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489


a) Le choix de la technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 490
b) L'utilisationdes techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 491
§ 2 Précisions de terminologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492
1° Rechercheset enquêtes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 492
2° La notion d'observation directe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 493
3° Les notions d'intensif et d'extensif.......................... 494
Intensifou profond ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 5
Extensifou extensible? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 5
§ 3 Tentatives de classification des techniques des sciences
sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 496
1° Classificationd'après les domaines de recherche . . . . . . . . . . . . . 496
2° Classificationd'après la nature des problèmes étudiés . . . . . . . . 496
3° Essaide classificationpar les techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 497
Techniquesde rapports individuelset techniques de groupe . . . 498
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 498

CHAPITRE
2 QUE CHERCHE-T-ONETCOMMENT? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 500
SECTION1 QUE CHERCHE-T-ON OU LE CHOIX DE L'OBJET D'ÉTUDE... 500
Différents domaines de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 500

1 Les individus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SOUS-SECTION 501
§ 1 La personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501
Intérêt des problèmesde personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501
§ 2 ** Opinions et attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
Importance de la notion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
1° Définition de l'attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 502
2° Caractéristiquesde l'attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
3° Distinctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
a) Attitude et personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
b) Opinion et attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504
Le schéma d'Eysenck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504
4° A quoi servent les attitudes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504
a) Fonction d'ajustement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
b) Fonction de défense.................................... 505
c) Fonction d'expression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
d) Fonction de connaissance ou caractérisation . . . . . . . . . . . . . . 505
5° L'expressiondes attitudes. Rôleet status . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
Le status . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 507
Le rôle................................................... 508
a) Niveau des rôles : niveau sociologiqueet collectif. . . . . . . . . . 508
Niveau interpersonnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508
Niveau individuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508
b) Le rôle comme moyen d'intégration et d'adaptation . . . . . . . 509
Importance des notions de rôle et de status . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510
TABLEDES MATIÈRES 1005

§ 3 La motivation . .. .. .. .. . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. .. . .. .. . . . . 510
1° Définition et origine .. . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. . . . .. .. .. . . 510
Motif réel et motif exprimé . . . . . . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. .. . . 511
2° L'analysede motivation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 511
Besoinet désir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 512
Évolutiondu but de l'analyse de motivation . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
3° Lesrésultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
Influence et limites . .. .. .. . . . . . . .. . .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 514
Nouveau domaine de recherche: la Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515

2 ** LESCOLLECTIVITÉS
SOUS-SECTION ETLESGROUPES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
§ 1 Classification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
1° Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
2° Caractéristiques .. .. .. . . . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 519
3° Groupements importants et groupes restreints . . . . . . . . . . . . . . . 520
§ 2 Les groupes restreints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
1° Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
2° Domaine de recherches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
a) Lesindividus .. .. . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 522
b) Les groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
§ 3 Les groupements larges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
SECTION2 ** COMMENf CHERCHE-T-ON OU LE CHOIX DES TECH-
NIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524

1 LES TECHNIQUES D'ÉTUDE DES INDIVIDUS . . . . . . . . . . . . . . . . .


SOUS-SECTION 524
§ 1 Les techniques vivantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524
1° Interviewset questionnaires individuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524
2° Lestests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 525
3° Leséchelles d'attitudes .. .. . . . . . . .. . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . . . 525
Caractéristiques .. .. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . .. .. . . 525
§ 2 Les techniques documentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 526
Caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 526

2 LES TECHNIQUES DE GROUPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


SOUS-SECTION 527
§ 1 L'étude des groupes restreints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 527
1° Lestechniques vivantes . . . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 527
L'observationest faite dans le cadre du groupe . . . . . . . . . . . . . . . 527
L'observationest directe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 527
2° Lestechniques d'étude de documents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 528
§ 2 Les groupements larges . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 528
1° Lestechniques vivantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 528
2° Lestechniques d'étude de documents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529
§ 3 Comparaison entre les diverses techniques . . . . . . . . . . . . . . 5 30
1006 TABLEDES MATIÈRES

Similitudeset différencesdans les buts et moyens utilisés par les


diversestechniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 530
SECTION3 ** LA TECHNIQUEDES SONDAGES. LA DÉTERMINATIONDE
LA POPULATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 533
§ 1 Étapes techniques et types de sondages................... 533
Origine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 533
limites et avantages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 3
Principeset conditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 534
§ 2 Le prélèvement de l'échantillon . . .. . . . . .. .. . . . . . . . . . .. .. 535
1° Le sondage empirique . .. .. .. . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. 535
a) La méthode des quotas . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. 535
Catégorieset plan d'enquête . . . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. 536
Inconvénients et avantages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 536
b) La méthode des itinéraires . . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. 536
2° Le sondage aléatoire ou probabiliste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 37
a) Basesde sondage et tirage au sort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 37
La méthode aréolaire...................................... 537
b) Divers types de sondages probabilistes : les sondages
complexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 38
Le sondage par grappes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 38
Le sondage à plusieurs degrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 538
Le sondage à plusieurs phases . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . 539
Le procédé de l'échantillon-maître (master sample) . . . . . . . . . . 539
Le sondage stratifié . .. .. . . . . . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. .. . . . .. .. 5 39
§ 3 La représentativité de l'échantillon . .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. 540
1° La précision des résultats et la notion d'erreur . . . . . . . . . . . . . . . 540
2° La représentativitéde l'échantillon.......................... 541
a) Les causes d'erreur dues à l'échantillon . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541
b) L'erreur aléatoire .. . . . . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. 541
Mise en garde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543

CHAPITRE3 ** ÉTAPES COMMUNES À TOUS LES lYPES D'ENQUÊTE.. 546


§ 1 Les étapes préliminaires . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. 5 46
1° La préparation intellectuelle. . . . . . . . . . .. . .. .. .. .. .. . . . .. .. .. 5 46
a) L'idéede l'enquête . . . . . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. 546
b) L'objectifde l'enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 547
c) La construction de l'objet . . . . .. . . .. . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. 547
d) Les critères à retenir et les définitions . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . 548
e) limites de l'enquête.................................... 548
f) Nécessité d'émettre des hypothèses vérifiablesen vue d'ob-
tenir des résultats généralisables. . . . . . .. . .. .. .. .. . . . . . .. .. .. 5 49
g) Le choix et le nombre des variables , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 49
h) La préenquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 50
i) Le rôle des travaux antérieurs et de la bibliographie . . . . . . . . 5 51
j) Le rôle des documents .. . . . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 5 51
TABLEDES MATIÈRES 1007

2° Questions pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
a) Renseignements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
b) Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
c) Autorisationset informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 51
3° Le budget de l'enquête .. .. . . . . . . .. . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. .. . . 552
a) Origine des fonds .. .. . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 5 52
b) Diverspostes du budget . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 552
c) Lescauses de dépassement du budget prévu............... 553
§ 2 Étapes terminales de la recherche . . .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . 553
1° Analyseet interprétation des résultats de l'enquête . . . . . . . . . . . 553
a) L'enquête de type qualitatif . . . .. . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 553
Lesdonnées qualitativessoulèvent de nouveaux problèmes . . . . 554
Lesdonnées qualitativesrévèlent des faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 554
Les données qualitatives suggèrent des corrélations ou des pro-
cessus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555
Lesdonnées qualitativessuggèrent une idée centrale . . . . . . . . . . 555
b) Les enquêtes à réstùtats quantifiés: La présentation statis-
tique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 556
L'analysesecondaireet les corrélations multiples . . . . . . . . . . . . . 558
Lescorrélations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 59
L'explicationou contrôle des variablesextérieures . . . . . . . . . . . . 560
L'antériorité des facteurs ou l'interprétation. Comment distin-
guer la cause et l'effet?.................................... 561
La spécification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561
2° Effet des enquêtes......................................... 562
3° Propriété,publication et présentation des résultats de l'enquête 562
a) Propriété des résultats de l'enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 562
b) La publication de l'enquête . . . .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . . . .. . . 563
Le compte rendu d'enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563
La méthodologie.......................................... 564
Le langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565
Lesutilisateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 567
TITRE1 LES TECHNIQUES DOCUMENTAIRES ................. 571

CHAPITRE1 LES SOURCES DE DOCUMENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 573

SECTION1 LA DOCUMENTATION ÉCRITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 573


Diverstypes de documents officiels .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. 57 3
Le document n'est pas établi par le chercheur . . . . . . . . . . . . . . . 573
§ 1 Documents officiels et documents privés . . . . . . . . . . . . . . . . 574
1• Archivespubliques .. .. .. . . . . . . . .. . . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 574
2° Archivesprivées .. .. .. . . . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 57 4
3° Statistiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 5
a) Établissementdes statistiques .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 57 5
1008 TABLEDESMATIÈRES

b) Utilisationdes statistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 576


c) Validitédes statistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 577
4° Les banques de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 580
§ 2 La presse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581
1° La presse en elle-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 582
a) L'indépendancede la presse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 582
b) Le contenu de la presse et son orientation . . . . . . . . . . . . . . . . 582
c) La diffusion de la presse et son influence . . . . . . . . . . . . . . . . . 582
2° La presse comme source de documentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583
§ 3 Documents distribués ou vendus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583
1° La publicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583
2° Annuaires et bottins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 584
3° Les œuvres littéraires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 584
a) La littérature pour enfants et adolescents . . . . . . . . . . . . . . . . . 584
b) La littérature elle-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 584
§ 4 Les documents personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 584
Variétéde documents personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 584
La mode des documents personnels et des récits de vie . . . . . . . 585
a) Lespossibilitésd'erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585
b) Lespossibilitésde prédiction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 586
c) Intérêt, avantageset inconvénients de l'étude des documents
expressifspar rapport aux autres techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . 587
Les limites de l'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 587
La gêne de l'écriture....................................... 588
La difficulté d'analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 588
Valeur scientifiquedes récits de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
SECTION2 DOCUMENTATION D'UNE AUTRENATURE: DESSINS, ENRE-
GISTREMENTS,OBJETS, PHOTOGRAPHIES, FILMS............ 595
§ 1 Les objets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 595
Aspectsde leur étude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 5
§ 2 L'iconographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 596
Domaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 596
Tags et graffiti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 596
§ 3 L'étude des chansons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598
Leur signification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598
§ 4 Cinéma, radio, télévision, enregistrements . . . . . . . . . . . . . . 598
1° L'aspect technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598
2° Nature de l'influence exercéepar ces moyens . . . . . . . . . . . . . . . . 599
3° Le type d'information, le contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600

CHAPITRE2 LES MÉTHODES EI TECHNIQUES D'ÉTUDE DE DOCU-


MENTS ..................................................... 604
SECTION1 L'ANALYSEDES TEXTES...................................... 604
TABLEDES MATIÈRES 1009

Différentesméthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604
Renouveaude la critique littéraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604
SECTION2 ** L'ANALYSE DE CONTENU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605
§ 1 Notions générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605
La communication........................................ 605
Évolutionet définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 606
Diverstypes d'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608
1° Analysed'explorationou de vérification.Analysedirigéeou non
dirigée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608
2° Analysequantitative,analyse qualitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608
3° Analysedirecte ou indirecte, communication représentativeet
instrumentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 609
4° Analysede contingence et analyse évaluatrice . . . . . . . . . . . . . . . . 611
5° Analyseconceptuellecombinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611
§ 2 L'utilisation de l'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611
1° Étude de la communication dans le cadre du rapport émetteur-
récepteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611
a) Qui parle? ou étude de l'émetteur....................... 611
b) Pour dire quoi? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 612
c) A qui ? ou étude du récepteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 612
d) Comment? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 613
e) Avecquel résultat? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 613
2° Élargissementrécent du cadre de l'analyse de contenu . . . . . . . . 613
a) L'auditeur............................................. 614
b) L'émetteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 615
§ 3 Étapes techniques de l'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . 616
1° Premièreétape: le choix des catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 616
a) Formulation des catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 616
b) Caractéristiquesdes catégories........................... 617
Le cadre de référence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
Difficultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
c) Standardisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 619
Typesde catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 620
Lescatégoriesde forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
d) Exempleconcret d'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 621
2° Deuxièmeétape : la quantification du contenu . . . . . . . . . . . . . . . 622
a) Le problème de l'échantillon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
Choix de la source . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
Nombre de messageset période . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 624
Le contenu observé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 624
b) Diversesunités de quantification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625
L'unité d'enregistrement................................... 625
L'unité de contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 5
L'unité de numérotation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 626
Exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 626
1010 TABLE DES MATIÈRES

§ 4 Valeur de l'analyse de contenu comme instrument de


recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 627
1° Fidélitéet validité de l'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 628
a) La fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 628
b) La validité logique . . .. .. .. .. .. .. .. . . . . . . . .. .. .. .. . . . . . . 629
L'inférence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 629
c) Validitéempirique et mesure de la validité . . . . . . . . . . . . . . . . 630
2° Utilité et intérêt de l'analyse de contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631
a) Conditions à remplir: précision, objectivité. . . . . . . . . . . . . . . 631
b) Résultat généralisable . .. .. .. .. .. . . . . . . . . . .. .. .. . . . . . . . . 631
La valeur dépend des catégories . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . . . . . . . 6 32
SECTION3 * NOUVELLESTENDANCES.................................. 633
Analysede contenu et linguistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 633
§ 1 Les analyses paralinguistiques .. .. .. .. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . 6 34
L'analyselexicologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 634
a) Quantitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 634
b) La lexicologiestructurale .. .. .. .. .. . . . . . . . .. .. .. .. . . . . . . 634
L'analysedu discours...................................... 634
L'analyseautomatique..................................... 635
§ 2 Les analyses supralinguistiques . .. .. .. . . . . . .. .. .. .. . . . . . . 635
L'analysestructurale du récit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
La linguistiquetextuelle et l'argumentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 636
TITRE2 LES TECHNIQUES VIVANTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 641

CHAPITRE1 LESTECHNIQUES DE RAPPORTSINDMDUELS . . . . . . . . . . . 643


SECTION1 ** L'INTERVIEW OU ENTRETIEN . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . . . . . . . 643
§ 1 Divers types d'interview .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. . . . . 643
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 3
Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 644
1° Classificationdes entretiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
Degré de liberté. Niveau de profondeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
a) L'entretien clinique, psychanalytiqueou psychiatrique . . . . . 646
b) L'entretien en profondeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 7
c) L'entretien à réponses libres ou guidé et l'entretien centré . . 647
d) L'entretien à questions ouvertes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 648
e) L'entretien à questions fermées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 648
Que recueillent les questionnaires ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 649
L'information significative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 650
2° Différentesfaçons de conduire un entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . 651
a) Entretien directif ou non-directif . .. . . . . . . . .. .. .. . . . . . . . . 651
Extensionde la méthode . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. . . . . . . . . . . 652
b) Entretien direct ou indirect .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. . . . . . . 6 53
Question directe interprétée de façon indirecte . . . . . . . . . . . . . . . 654
Question indirecte interprétée de façon directe . . . . . . . . . . . . . . . 654
TABLE DES MATIÈRES 1011

Question indirecte interprétée de façon indirecte ............ . 655


c) Entretien extensif ou intensif .......................... . 655
3° Utilisation successive et combinée des divers types d'entretien . 656
§ 2 Le rapport enquêteur-enquêté et les difficultés de l'inter-
view ................................................... . 657
Les difficultés de l'entretien ............................... . 657
1° Motivation de !'enquêté .................................. . 658
a) Les facteurs négatifs. Les défenses de !'enquêté ........... . 658
Les mécanismes de défense ............................... . 659
b) Les facteurs positifs. Ce qui incite !'enquêté à répondre ... . 660
2° L'attitude de l'enquêteur .................................. . 661
Qualités de l'enquêteur ................................... . 661
3° Le rapport enquêteur-enquêté comme source d'erreurs ....... . 662
a) Erreurs provenant de !'enquêté ......................... . 662
b) Erreurs provenant de l'enquêteur ....................... . 663
La réaction de !'enquêté à l'apparence de l'enquêteur ........ . 663
Les opinions de l'enquêteur et la façon dont il perçoit !'enquêté 664
Les moments dangereux de l'entretien ..................... . 665
4° Sélection, formation et motivation de l'enquêteur ........... . 666
a) La sélection .......................................... . 666
b) La formation ......................................... . 667
c) Motivation des enquêteurs. Intérêt pour l'enquête elle-même 668
Intérêt pour la recherche ................................. . 668
5° Les divers types d'enquêtés ................................ . 669
6° Conseils techniques et pratiques ........................... . 669
a) Façon d'obtenir l'entretien ............................. . 669
b) Le déroulement de l'entretien .......................... . 669
c) La fin de l'entretien ................................... . 670
§ 3 Le questionnaire ....................................... . 671
1° Questionnaires écrits et questionnaires d'interviews ......... . 671
a) Les critères de choix : la précision de l'hypothèse ......... . 672
La sincérité des réponses .................................. . 672
Le niveau d'information .................................. . 672
Le genre d'enquêté à atteindre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 673
Le prix de revient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 673
b) Le problème des non-réponses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 673
Comment augmenter le taux des réponses aux questionnaires
écrits 7................................................... 67 4
L'interprétation des non-réponses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 675
2° Rôle et importance des questionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 676
Contenu et forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 676
Le questionnaire est un compromis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
Le questionnaire doit être une œuvre collective . . . . . . . . . . . . . . 677
3° Établissement du questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
a) Première étape : le contenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 677
1012 TABLEDES MATIÈRES

Questions de fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 678


Questions d'opinion ou de croyance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 679
La question. Le pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 680
Les exigencesmajeures du questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 680
b) Deuxième étape: le choix d'un type de questions ou com-
ment obtenir la réponse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 681
Lestypes de questions. Questions ouverteset questions fermées 682
Avantageset inconvénients . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 683
Les questions préformées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 684
Questions directes,questions indirectes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 685
c) Troisièmeétape. Le libelléde la question: le choix des mots. 685
Ce qu'est une bonne question.............................. 686
d) Quatrième étape : nombre et place des questions . . . . . . . . . . 687
4° Les causes d'erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 688
a) Erreurspropres à tous les types de question . . . . . . . . . . . . . . . 688
Le niveau d'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 689
Le cadre de référence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 690
Les mots ambigus......................................... 691
Mots et tournures de phrases empêchant la question d'être
neutre ou objective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 692
Utilisation des tendances psychologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 692
Les référencesou influences extérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 693
b) causes d'erreurs particulièresà certains types de questions :
les questions ouvertes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 693
Les questions ferméeset préformées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 694
c) Le cas des sondagesd'opinion politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 695
§ 4 Analyse et interprétation des interviews . . . . . . . . . . . . . . . . . 695
1° La vérification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 695
2° Le rassemblementdes questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 696
3° Le codage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 697
a) L'établissementdes catégories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 697
b) Analysede contenu d'interviews. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 698
c) Nombre de catégories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 698
d) Le classementdes réponses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 698
4° Validitéet fidélitédu codage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 699
Les codeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 700
5° Le dépouillement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 700
Erreurs à éviter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 701
6° L'interprétation des résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 701
§ 5 Validité, fidélité et valeur de l'interview comme instru-
ment de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 701
1° La fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 702
2° La validité des entretiens utilisés dans un sondaged'opinion . . 703
L'influencedes sondagesd'opinion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 704
Validitédes autres interviews. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 705
TABLEDES MATIÈRES 1013

L'erreur relative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 705


Leserreurs, d'après l'influence qu'elles exercent sur les résultats
de l'enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 706
Erreur nette, erreur totale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 706
Estimation et réduction de certaines erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 707
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 708
SECTION2 LESTESTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 712
§ 1 Évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 712
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 712
Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 712
Lesorigines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 713
L'apport de la statistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 713
Le test de Binet-Simon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 714
§ 2 La construction des tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 714
1° Lespostulats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 715
a) Il existe des aptitudes différentes suivant les individus . . . . . 715
b) Lesaptitudes se manifestant dans certaines activitéssont res-
ponsables de réussites ou d'échecs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 715
2° Mesure de l'aptitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 716
a) Lesprocédésd'étalonnage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 716
b) Analyseinterne du test, question par question . . . . . . . . . . . . 717
§ 3 La notion de validité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 717
La notion de critère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 717
Validitélogique et validité empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 718
1° Validitéempirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 718
a) L'aptitude est identique au résultat du test . . . . . . . . . . . . . . . . 718
b) Validitéstatistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 718
2° Validitélogique.La défmition du critère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 719
Le critère externe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 720
Le coefficientde validité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 720
a) Tendance structurale et analyse factorielle . . . . . . . . . . . . . . . . 721
Similitudedes théories bi et multifactorielles. . . . . . . . . . . . . . . . . 723
b) Validitécritérielled'Eysenck............................. 724
Complémentarité des diversesconceptions et techniques . . . . . . 724
§ 4 La fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 725
1° Présentation, application du test............................ 725
2° La notation des résultats: modes de notation simples . . . . . . . . 726
§ 5 Classification des tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 726
Distinctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 726
1° Méthode des réussites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 727
2° Méthode d'étude du comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 728
La méthode carrard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 728
3° L'étude des conduites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 729
a) La méthode synthétique des traces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 729
b) Lesquestionnaires et inventaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 729
1014 TABLEDES MATIÈRES

c) Les tests projectifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 729


§ 6 * Valeur et intérêt des tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 731
Valeur................................................... 731
1° Extensionde l'utilisation des tests . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 732
a) Lesnécessitésde l'enseignement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 732
b) Les nécessitésde la formation et de la sélection . . . . . . . . . . . 732
c) Nécessitéde l'aide technique aux pays sous-développés . . . . 732
2° Limitesd'utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 732
a) Letest ne donne pas de certitude, il est forcément incomplet 733
b) Le test est établi par rapport à une moyenne . . . . . . . . . . . . . . 733
c) Le test est établi et interprété par des hommes . . . . . . . . . . . . 733
d) Le test projectif viole la personnalité du sujet . . . . . . . . . . . . . 733
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 734
SECTION3 LA MESUREDES AlTITUDES ET DES CHANGEMENTS . . . . . . . . 736
§ 1 ** Les caractéristiques des attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 736
1° Les changements d'attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 736
La rigidité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 736
2° Les recherches sur les attitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 737
Le soldat américain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 737
La personnalité autoritaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 738
Le schéma d'Eysenck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 738
3° Conditions et limites de la prévisiondes attitudes . . . . . . . . . . . . 739
Limitesà la prévision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 739
§ 2 Les techniques de mesure des attitudes. Les échelles . . . . . 7 40
* Comparaisons et jugements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 40
* 1° Les échellesd'attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 40
* Les items . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 741
* L'efficacité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 741
* L'unidimensionnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 42
2° Les différentes mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 42
Les degrésde mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 42
a) L'échellenominale..................................... 743
b) L'échellepartiellement ordonnée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 43
c) L'échelleordinale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 43
L'échellede E.S.Bogardus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 44
d) Échellemétrique ordonnée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 744
e) Les échellesd'intervalles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 44
3° Le niveau de la mesure, l'obtention et l'analyse des données... 744
Les diversesdonnées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 45
a) Quadrant I. Obtention des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 47
Analysedes données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 47
b) Quadrant IV. Obtention des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 748
Analysedes données: l'échelle de Thurstone . . . . . . . . . . . . . . . . . 748
c) Quadrant II et quadrant III. Obtention des données . . . . . . . 7 50
* Analysedes données : l'échelle de Likert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 50
TABLE DES MATIÈRES 1015

Comparaison entre l'échelle de Likert et celle de Thurstone . . . 752


* L'échellede Guttman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 752
* L'analysede structure latente de Lazarsfeld. . . . . . . . . . . . . . . . 7 55
* 4° Fidélitéet validité .. .. . . . . . . . . .. . .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 757
* a) Fidélité . .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . .. . 757
* b) Validité............................................. 757
* Groupes connus........................................ 758
Lesjuges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 758
Comparaison avec les autres techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 758
Critère indépendant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 58
§ 3 ** La technique du « panel » . . . . . .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 7 59
1° Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 759
2° Buts du panel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 760
3° Problèmestechniques . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. .. . . . . . . . .. . . . . 760
a) Quel genre de changement veut-on observer? quel critère
retenir? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 760
b) Comment distinguer les vrais changements ? . . . . . . . . . . . . . 7 61
c) Comment distinguer les vrais facteurs de changement? . . . . 761
d) Combien de fois faut-il répéter l'expérience? avec quel inter-
valle? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 761
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 762

CHAPITRE2 LES TECHNIQUESD'ÉTUDES DE COLLECTIVITÉS ET DE


GROUPES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 766

SECTION1 L'ENQUÊTESUR LETERRAIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 766


§ 1 * * Particularités des enquêtes sur le terrain . . . . . . . . . . . . . 7 66
Enquêtes sur le terrain et sondages d'opinion . . . . . . . . . . . . . . . . 766
a) La recherche de facteurs objectifs . . . . . . . .. .. .. . . . . . .. . . . . 766
b) Une recherche limitée mais globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 767
Exigencesaccrues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 767
§ 2 ** Diverses formes d'enquêtes sur le terrain............. 768
Critères de distinctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 768
1° Distinction suivant la taille . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. . .. . . .. .. . . 768
2° Distinction suivant le degré de précision ou de mesure . . . . . . . 769
a) L'enquête d'exploration................................. 769
b) L'enquête de diagnostic................................. 771
c) L'expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 771
§ 3 * L'observation,ses problèmes, ses techniques . . . . . . . . . . . 771
Distinctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 771
1° Le rapport observateur-observé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 772
a) L'observation-participation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 773
Degrésde participation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 773
La durée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 773
b) Les participants observateurs . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 774
1016 TABLEDES MATIÈRES

2° La systématisationde l'observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 774


a) L'observationqualitative et les difficultés de la systématisa-
tion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 775
Les niveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 776
Les types de catégories..................................... 777
Les critères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 777
b) L'observationquantitative, systématisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 778
Les échellesd'appréciation . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . 779
Le classement par catégoriesde comportements . . . . . . . . . . . . . . 779
Catégoriesad hoc ou généralisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 780
Le systèmede R.F.Bales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 781
Nombre de dimensions des catégories. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 781
Observation brute ou interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 782
Le contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 782
Le niveau d'inférence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 782
Les unités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 783
La prévision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 784
Moyens de faciliter la notation des observationssur le terrain . 784
Moyens de conserverle déroulement verbal des interactions . . . 784
3° Les observateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 785
a) La personnalité et les aptitudes de l'observateur . . . . . . . . . . . 785
b) La nécessitéd'un apprentissage.......................... 785
4° L'analysedes matériaux. L'interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 786
L'hypothèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 786
§ 4 * Valeur de l'enquête sur le terrain. Validité, fidélité des
techniques d'observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 787
Le degré d'exigencedépend de l'objectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 787
1° Avantageset intérêt de l'observation qualitative non systémati-
sée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
788
Le rapport observateur-observé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 788
2° Inconvénients de l'observation qualitativenon systématisée . . . 789
3° Fidélitéet validité des techniques d'observation systématisée. . . 790
a) La fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .790
Facteurs influençant la fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 790
b) La validité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 791
c) Valeur et intérêt de l'observation systématisée. . . . . . . . . . . . . 791
§ 5 L'interview de groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 793
Particularitéspropres à l'interviewde groupe................. 793
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 793

SECTION2 L'EXPÉRIMENTATION SUR LE TERRAIN OU EN LABORATOIRE 799


Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 799
§ 1 ** Le plan d'expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . 800
1° Les conditions d'établissement du plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 800
TABLE DES MATIÈRES 1017

a) Établissementde groupes de contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 801


b) Suppressionde l'influence de facteurs extérieurspendant la
durée de l'expérience . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . 802
2° Lestypes d'expériences .. .. .. .. . .. . . .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. . . 802
a) Avant. Après . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 802
b) Le contrôle après seulement . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . 803
c) Ex post facto .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. . . 803
d) La simulation . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. . . . . . . . . . . . . . 803
3° Validitéde l'expérimentation en laboratoire . . . . . . . . . . . . . . . . . 804
4° L'expérimentationsur le terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 805
§ 2 * * Théorie et recherche en matière de groupes . . . . . . . . . . 806
Variétédes recherches sur les groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 806
1° Le groupe comme facteur de conformisme ou de changement . 807
a) Influence sur la perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 807
b) Influence sur les opinions et les comportements . . . . . . . . . . 807
c) Influence sur la production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 808
2° Les fonctions du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 808
3° La structure du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 809
a) Le commandement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 809
b) Le moral du groupe .. .. .. . . . .. . . . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 810
c) La structure des communications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 811
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 813
SECTION3 L'« ACTION-RESEARCH » OU RECHERCHEACTIVEET L'IN-
TERVENTIONPSYCHOSOCIOLOGIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 820
§ 1 ** Recherche active et intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 820
Précisions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 820
§ 2 L'apport théorique .. . . . . . . . . . . .. . . . .. .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 824
1° Kurt Lewin: l'action research et la notion de changement . . . . 824
a) L'équilibrequasi stationnaire . .. . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. . . 825
b) L'applicationpratique: la recherche active................ 826
2° Moreno et la sociométrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 826
a) Notions générales. . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. .. .. . . . . . . . .. . . 826
b) Aspectstechniques: l'obtention des données . . . . . . . . . . . . . 827
c) Notions élaboréesà partir des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 828
d) Extensionaux problèmes de perception sociale............ 829
e) Limitesthéoriques et applicationspratiques . . . . . . . . . . . . . . . 830
f) Applicationsthérapeutiques . . . .. . . . . . .. .. .. .. . . . .. .. .. . . 830
3° Le changement social: A. Touraine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 833
§ 3 L'intervention par l'information du groupe . . . . . . . . . . . . . . 834
L'information facteur de changement: FloydMann . . . . . . . . . . 834
Une stratégiedu changement: Michel Crozier . . . . . . . . . . . . . . . 835
L'expériencede Prisunic: Max Pagès (1959) . . . . . . . . . . . . . . . . . 836
L'intervention au niveau de l'information dans le cadre d'une
enquête non directive: J. Dubost . .. . . . . . .. .. . . . . . . . . . .. .. . . 836
§ 4 L'intervention clinique . . . . . . . .. . . .. .. .. .. .. .. . .. . . .. .. . . 838
1° Lestendances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 838
a) L'analyseinstitutionnelle : G. Lapassade,R. Lourau . . . . . . . . 838
b) L'inspiration lewinienne. Les Training Group Laboratories
aux États-Unis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 840
1018 TABLEDES MATIÈRES

c) L'inspirationpsychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 841
d) L'inspirationrogérienneen France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 842
2° Réflexionssur les phénomènes de groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 842
a) La vie émotionnelle des groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 843
b) Le rôle de l'observateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 844
c) Mises en garde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 844
§ 5 L'intervention par la formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
Formation et thérapie .. . . . . . . . . . . . .. . .. . .. . . . . . . . . . . . .. . . . 845
Formation et intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
1° L'aspecttechnique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
a) Taylorismeet T.W.I.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 845
b) La conduite des réunions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 846
c) La discussionde groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 847
2° Dans l'enseignement...................................... 848
Dangers d'une utilisation abusive de l'intervention psycho-
sociologique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 849
a) Maladresse.Abus. Influence de la psychothérapie . . . . . . . . . 849
b) Méconnaissancedes structures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 849
c) Méconnaissance des problèmes collectifs. Extrapolationdu
groupe à la collectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 850
§ 6 Un nouveau besoin: l'affectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 851
Une nouvelleorientation dans les groupes................... 851
Les différentsgroupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 853
a) Les groupes marathon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 853
b) La gestalt-thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 854
c) Les groupesbioénergétiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 854
Bilan des groupes de rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 856
§ 7 Un impératif: l'efficacité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 857
Une nouvelle mode: la gestion des ressourceshumaines . . . . . . 857
Le management . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 858
a) Lesconsultants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 858
b) Dérapages: gourous et shamans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 859
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 861

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 871

ANNEXE1 ÉLÉMENTSDE STATISTIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 875


§ 1 Étude descriptive des données statistiques . . . . . . . . . . . . . . . . 87 6
La notion de population. Échantillons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 876
Groupement des données. Distribution de fréquences . . . . . . . . 87 6
Représentationgraphiquedes distributions de fréquences . . . . . 877
Paramètrescaractéristiquesd'une distribution de fréquences. . . 880
§ 2 Recherche des relations entre phénomènes . . . . . . . . . . . . . . 886
Phénomènes qualitatifs,présence ou absenced'un caractère . . . 886
Étude quantitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 889
TABLE DES MATIÈRES 1019

ANNEXE2 LE CALCUL DES PROBABILITÉS 891


L'ensembledes possibilités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 891

ANNEXE3 MÉTHODES DE PRÉSENTATION GRAPHIQUE EN


SCIENCES SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 893
§ 1 Généralités sur l'utilisation des présentations graphiques 893
Utilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 893
§ 2 L'analysede l'information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 894
Composanteset invariant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 894
Lesmoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 894
§ 3 Différents types de graphiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 5
1° Graphiques à base de longueurs,surfaces,volumes . . . . . . . . . . . 895
2° Graphiquesà coordonnéescartésiennes.Graphiquesà coordon-
nées polaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 896
3° Comparaisonsgraphiques.Graphiquesà deux ou trois variables 898
a) Comparaisonsgraphiquessystématiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . 898
b) Lesgraphiquestriangulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 900

ANNEXE4 EXEMPLED'ANALYSEDES DONNÉES: L'ANALYSEFACTO-


RIELLEDES CORRESPONDANCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 900
Lesdeux dimensions de l'espace social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 900
Analysedes correspondances. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 902
Bibliographies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 909

LISTEDES PRINCIPALESREVUESDE SCIENCES SOCIALES.............. 912


PEill LEXIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 915
BIOGRAPHIES . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 919
INDEX ALPHABÉTIQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 943
TABLEDES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 989
70411.3 (IV) (1) OSB-P 50g HER (CDR)
Dépôt légal réimpression : juillet. 2008

Imprimé en France
Achevé d'imprimer en juillet 2008
dans les ateliers de ormandie Roto Impression s.a.s., 61250 Lonrai
0
d'impression: 082173
Les méthodes des sciences sociales connaissent un dévelop-
pement continu; chaque édition nouvelle en tient compte.
Destiné à des publics variés: étudiants, enseignants, respon-
sables et professionnels d'horizons différents, cet ouvrage
apporte à tous une meilleure compréhension des problèmes
de notre époque.

Après une rapide histoire des sciences, l'ouvrage aborde les


diverses sciences sociales, les problèmes qu'elles soulèvent
(qualitatif, quantitatif, clinique, expérimental, etc.), les diverses méthodes
(fonctionnalisme, systémisme, etc.) proposées pour l'étude des faits sociaux,
les instruments techniques dont disposent les chercheurs : techniques
vivantes (interviews, tests), techniques documentaires (analyse de contenu).
Une part importante de l'ouvrage est consacrée aux divers types d'enquête et
précautions à prendre à chacune de leurs étapes. Enfin, sont abordés les
moyens d'intervention pour prévenir ou tenter de résoudre les conflits.

Sans escamoter les difficultés, le livre est clair et se lit facilement.

Madeleine Grawitz, professeur émérite à l'Université de Paris/, est licenciée ès


lettres (philosophie), agrégée de droit public, fondateur et directeur honoraire de
l'Institut de formation syndicale de l'Université Lyon Il.
Elle est l'auteur d'un autre ouvrage aux Éditions Dalloz: Lexique des sciences
sociales.

ISBN 2 247 04113 2

11111111111111
782247 041138

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