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LA FABRIQUE D'UN CLASSIQUE FRANÇAIS : LE CAS DE « WEBER »

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Michael Gemperle

Éditions Sciences Humaines | « Revue d'Histoire des Sciences Humaines »

2008/1 n° 18 | pages 159 à 177


ISSN 1622-468X
DOI 10.3917/rhsh.018.0159
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2008, 18, 159-177.

La fabrique d’un classique français :


le cas de « Weber »
Michael GEMPERLE
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Résumé
Notre étude montre la spécificité du travail de fabrication et de consécration
sociologique de « Weber » dans le contexte français. Dans les années 1960, étant donné
la place centrale de « Weber » dans la sociologie étasunienne et la force d’attraction de
celle-ci en France, il devient, en très peu de temps, un auteur consacré de la sociologie
française. Pourtant, la raison pour laquelle il acquiert le statut de « sociologue par
excellence » est plutôt liée aux conditions spécifiquement sociales, politiques et
intellectuelles de la France de cette époque. En particulier, la consécration de
« Weber » est rendue possible grâce aux dispositions et ressources spécifiques de son
importateur Raymond Aron et notamment son alliance avec Éric de Dampierre,
responsable du projet de traduction de l’œuvre de l’auteur allemand chez Plon. L’article
révèle dans un premier temps le processus de sélection et de marquage de « Weber »
par Aron dans le contexte de l’institutionnalisation de la sociologie autour de 1960. À
partir d’un recensement des occurrences des références à « Weber » dans la Revue
Française de Sociologie et dans les Archives Européennes de Sociologie dans les
années 1960, il discute enfin des raisons de la diminution de sa reconnaissance comme
symbole « antipositiviste », « antimarxisme » et « universitaire » vers la fin de cette
décennie.

Mots-clés : Sociologie des intellectuels – Sociologie française – Réception de


Max Weber – Raymond Aron – Éric de Dampierre – Pierre Bourdieu.

Abstract : The Factory of Classic French : the Case of « Weber »


Our study shows the specificity of the work of fabrication and sociological
sanctification of « Weber » in France. Given the central place of « Weber » in the US-
American sociology and the force of attraction of American sociology among French
sociologists in the nineteen-sixties, the German author becomes sanctified. Though, the
actual reason for achieving in very little time the status of the « sociologist par
excellence » is rather due to the specific social, political and intellectual conditions in
France at that time. The sanctification of « Weber » gets possible especially thanks to
the dispositions and resources of its import agent Raymond Aron and particularly his
alliance with Éric de Dampierre, the person in charge of the translation project of the
work of the German author at the publishing house Plon. The article reveals first the
process of selection and marking of « Weber » by Aron in the context of the
institutionalization of French sociology around 1960. Starting from a count of the
occurrence of references to « Weber » in the Revue Française de Sociologie and the
Archives Européennes de Sociology in the nineteen-sixties, it discusses then the
reasons of the fading of his recognition as a « antipositivist », « antimarxist » and
« academic » symbol towards the end of the decade.

Key-words : Sociology of Intellectuals – French Sociology – Reception of Max Weber –


Raymond Aron – Éric de Dampierre – Pierre Bourdieu.
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

À la fin des années 1960, des sociologues français se rendant en Allemagne ne


peuvent qu’être surpris en apprenant que « Max Weber », considéré en France comme
« le sociologue par excellence », ne jouit pas outre-Rhin d’une reconnaissance una-
nime. Deux expériences contrastées témoignent de ces différences nationales. En
novembre 1968, lors de la conférence de réception du « prix Montaigne » à
l’Université de Tübingen, Raymond Aron échoue dans son objectif d’amener, avec
« Weber », les étudiants allemands à accepter l’ordre social établi. Son discours
intitulé « Wertfreiheit jetzt ! », qu’il prononce sous protection policière, provoque des
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protestations virulentes et finit de manière tumultueuse 1. Au pôle opposé de l’espace
politique, de jeunes sociologues, initiés en France à une manière « critique » de faire
la sociologie, qui séjournent en Allemagne pendant les événements de mai 1968, sont
stupéfaits de voir que les militants du mouvement étudiant ne veulent pas entendre
parler de « Weber ». Ils suscitent l’incompréhension quand ils tentent de convaincre
leurs homologues du potentiel critique de l’auteur allemand 2. Dans les universités
germanophones de cette époque « Weber » passe pour l’auteur le plus important
contre la sociologie marxiste 3. Ces deux expériences attirent l’attention sur le mar-
quage différent de « Weber » selon les pays et les aires culturelles. Il existe pour ainsi
dire des « traditions nationales » de sa réception. Ces deux exemples soulèvent éga-
lement la question des conditions sociales, politiques et intellectuelles de l’appro-
priation sociologique de « Weber » en France. À la différence de ce que l’on observe
dans d’autres pays où l’introduction de « Weber » dans la sociologie arrive aussi
durant la prédominance internationale du « structuro-fonctionnalisme » entre 1950 et
1965, en France, à la fin des années 1960, « Weber » ne peut pas, ou ne peut plus, être
mobilisé pour défendre l’organisation traditionnelle de l’université.
Partant des travaux de Michaël Pollak 4, cet article prend pour objet la consé-
cration sociologique de « Weber » dans la France des années 1950 et 1960 5. Il se
démarque de deux approches courantes du phénomène :
1) La première se contente souvent d’évoquer des événements concernant les
représentants légitimes de « Weber ». Ainsi, on invoque l’élection de Raymond Aron
à La Sorbonne ou simplement la suprématie du « structuro-fonctionnalisme » de
Talcott Parsons sur le plan international 6. La logique de ces présentations est la
plupart du temps celle de l’histoire événementielle ou de l’histoire des « grands
hommes ». Elles négligent le travail nécessaire pour transférer un auteur d’un
contexte linguistique, politique ou disciplinaire à un autre et sont indifférentes à la
position dans le champ de référence de ceux qui font parler « Weber ».

1
Archives personnelles Raymond Aron, boîte 80, dossier 5.
2
PIALOUX, 2006.
3
Cf. WEISS, 1981.
4
POLLAK, 1986a, 1988.
5
Ce texte est issu d’une recherche en cours sur la réception de l’œuvre de Max Weber dans la
sociologie française. Il s’appuie sur le dépouillement des Archives personnelles de Raymond Aron et des
archives d'édition de la Bibliothèque Éric-de-Dampierre ainsi que sur des données extraites de la littérature
sur les personnes concernées. En outre, il se fonde sur des entretiens avec quelques témoins de l’époque
(Freddy Raphaël, Jacques Lautman, François Isambert, Michel Pialoux, Dominique Schnapper) et sur des
notes de Stéphane Bacciochi après consultation du dossier « Max Weber » des Éditions Plon en 1995, qui
semble aujourd’hui avoir disparu.
6
Cf., par ex., KAESLER, 2003, 257 ; GERHARDT, 2006.

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Michael Gemperlé

2) La seconde approche privilégie une lecture internaliste de l’œuvre. Favorisée


par la prédominance disciplinaire de la philosophie sur la sociologie, cette interpré-
tation est peut-être aujourd’hui la plus courante. Elle repose sur le présupposé que des
œuvres sont consacrées en raison des idées qu’elles véhiculent. Par conséquent, le
prestige extraordinaire de « Weber » serait à la seule pertinence de sa « pensée ».
Cette argumentation, qui postule l’unité de l’œuvre de « Weber », part de l’idée que la
« pensée » de l’auteur allemand se diffuse d’elle-même – comme des rayons du soleil
venus éclairer l’obscurité. Pour comprendre comment « Weber » est devenu un « clas-
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sique », il suffirait alors d’examiner la pénétration progressive de « sa pensée » dans
la sociologie française 7. Cette philosophie de l’histoire – qui présente généralement
l’auteur comme « ignoré », « méconnu » ou « mal compris » pour ensuite le qualifier
de « contemporain » – ignore les luttes dans lesquelles la référence à « Weber » est
mobilisée pour se concentrer sur le « sens » présumé de l’œuvre.
Notre article traite des conditions sociales, politiques et intellectuelles qui
permettent que « Weber » devienne en très peu de temps, au tournant des années
1960, le principal auteur consacré de la sociologie française. S’appuyant sur le constat
que l’introduction d’un auteur se fait à travers les opérations sociales de sélection, de
marquage et de lecture 8 et que, « en général, ce qui circule, ce sont les titres », par
« une sorte de rumeur intellectuelle où circulent des mots-clefs » et des « slogans un
peu réducteurs » 9, on présente les conditions spécifiques de la sociologie française de
cette époque qui sont responsables pour que l’auteur allemand se transforme en un
« classique sociologique ».

I - La consécration sociologique

La consécration de « Weber » est indissociable de la réorganisation des disciplines


universitaires au tournant des années 1960 et du rôle clef qu’y joue Raymond Aron.
« Weber », à l’origine une référence parmi d’autres, devient sociologiquement
rentable dans le contexte de l’institutionnalisation de la sociologie qui crée une forte
demande pour une nouvelle « tradition sociologique » académique. À une époque où
la sociologie est dominée par le modèle de la recherche empirique défini par
Paul Lazarsfeld 10 la référence s’impose, parce qu’elle permet de concilier opposition
au « marxisme » et opposition au travail empirique.
La consécration sociologique de « Weber » dépend dans une large mesure de
l’augmentation de la demande sociale pour des recherches sociologiques qui minent
de plus en plus la crédibilité des « grandes théories » 11. Un auteur qu’on peut
invoquer pour affirmer les « limites de la connaissance scientifique » justifie de

7
Cf., par exemple, HIRSCHHORN, 1988.
8
BOURDIEU, 2002, 6. On entend par 1) sélection le choix des textes de l’auteur destinés à la
publication et au commentaire, par 2) marquage le transfert des significations sociales du « setting » de la
publication (le préfacier, la maison d’édition, la collection, le traducteur…) et par 3) lecture l’usage d’une
œuvre en fonction des catégories de pensée, d’action et de perception et des problématiques spécifiques du
champ d’accueil (BOURDIEU, 2002, 6).
9
BOURDIEU, 1996, 17.
10
Les deux séjours de Paul Lazarsfeld en France en tant que professeur visiteur cernent bien la période
pendant laquelle l’empirisme quantificateur domine la sociologie : 1961-1962 et 1967-1968.
11
POLLAK, 1986a, 23.

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Revue d'Histoire des Sciences Humaines

garder à distance la recherche empirique tout en permettant de s’attribuer la


« scientificité », c’est-à-dire d’apparaître comme « moderne » d’un point de vue
théorique. Depuis le milieu des années 1950, « Weber » bénéficie d’une certaine
reconnaissance philosophique. Les philosophes connaissent « Weber » grâce à Droit
naturel et histoire 12 de Leo Strauss et Les aventures de la dialectique de Maurice
Merleau-Ponty 13, professeur au Collège de France depuis 1952, qui rend « Weber »
acceptable auprès de l’hétérodoxie universitaire.
Dans le domaine de la sociologie, la consécration de « Weber » n’aurait pas été
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possible sans la mobilisation du capital social et symbolique accumulé par Raymond
Aron depuis les années 1930. Dès l’entre-deux-guerres, Aron s’est fait connaître non
seulement pour ses travaux philosophiques, mais aussi pour ses prises de positions
politiques 14 en contraste avec le monde universitaire 15. Normalien (1924), reçu parmi
les premiers à l’agrégation de philosophie (1928), il a été placé par ses maîtres « tout
à fait au premier rang » de sa génération, comme le note Paul Fauconnet, membre de
son jury de thèse et successeur d’Émile Durkheim à la chaire de sociologie de La
Sorbonne. Les origines sociales de Raymond Aron – « haute bourgeoisie intellec-
tuelle » 16 – expliquent en partie qu’il ait cherché des formes de légitimité hors de
l’université. Bon nombre de normaliens de la génération d’Aron, également issus de
la bourgeoisie parisienne, se sont investis dans des domaines comme l’économie, le
journalisme, la politique ou la littérature, parce que les chances d’obtenir directement
un poste à l’université était très réduits et l’enseignement en province n’était pas très
estimé par les Parisiens 17. S’opposant ainsi à l’université, Aron s’est tourné vers la
politique et le journalisme, tout en restant obsédé, toute sa vie, par le devenir de ses
camarades qui ont investi la littérature, en particulier Jean-Paul Sartre 18. Grâce à son
voyage initiatique en Allemagne, entre 1931 et 1934, Aron s’est approprié des
références qui le démarquent du monde intellectuel dominé par « la passion pour la
formation du futur Front Populaire » 19. Dès lors, il voit dans ses professeurs, orientés
au socialisme de réforme, « des hommes de bonne volonté », pénétrés d’un
« idéalisme universitaire » 20. Au cours des années 1930, l’investissement d’Aron dans
le jeu politique s’accroît. Avec les deux livres de sa thèse 21, il s’est donné les moyens
philosophiques d’une position contre le communisme et le fascisme 22. La guerre l’a
confirmé dans cette posture. Il se détourne de la philosophie et s’engage en politique.
Aron a enseigné à l’ENA (1945-1948, 1952) et à Sciences-Po (1949-1951),
s’illustre comme intellectuel anticommuniste. Bien qu’universitaire, il est éditorialiste

12
STRAUSS, 1954.
13
MERLEAU-PONTY, 1955.
14
Cf., par ex., l’article d’ARON (1937) sur le Front Populaire.
15
MUCCHIELLI, 1993, 16.
16
HEPP, 1985, 9.
17
MARCEL, 2001.
18
BOSCHETTI, 1985.
19
GRAPPIN, 1993, 68 ; cf. CANGUILHEM, 1992.
20
ARON, 1971. Dans Le spectateur engagé (1981, 27), Aron se rappelle que, en 1930, répudiant son
« idéalisme universitaire », il est amené à penser que ses maîtres, Alain et Brunschvicg, ne font pas le poids
contre Hitler. Cette idée figure également dans L’opium des intellectuels (1955), lorsqu’il remarque qu’il
manque au « professeur honnête » le « sens de l’histoire ».
21
ARON, 1938a, 1938b.
22
Cf. particulièrement le chapitre « L’homme historique : la décision » de la thèse principale d’Aron
où il s’oppose au communisme et au national-socialisme.

162
Michael Gemperlé

au Figaro et associé à des milieux du gaullisme partisan (le Rassemblement du peuple


français du général de Gaulle) ainsi que lié à la Société de Mont Pèlerin et au Congrès
pour la liberté de la culture, deux des principales institutions « libérales » de
rénovation des idées après la Seconde Guerre mondiale 23. Comme le note
Roland Lardinois 24, ses capitaux journalistiques, politiques et intellectuels, sont rares
dans l’université française. Aron s’affirme alors comme un médiateur privilégié entre
l’université et les mondes intellectuels, journalistiques et politiques. Il correspond aux
attentes des dirigeants politiques et économiques qui témoignent, depuis le milieu des
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années 1950, d’un intérêt croissant pour le savoir sur la réalité sociale qui, avec
l’instauration de la Ve République, se transforme en besoin d’ingénieurs sociaux 25.
Peu après son élection à La Sorbonne, Aron œuvre pour l’établissement de la licence
de sociologie en 1958, qui rend possible la formation systématique et bureaucratique
de sociologues à l’université. Ainsi, il s’acquiert une renommée comme « réformateur
universitaire » et représentant de la nouvelle discipline universitaire.
Un autre facteur favorable à la consécration sociologique de « Weber » est la réac-
tualisation de la production intellectuelle du Aron d’avant-guerre. Après son élection
à la chaire de sociologie à La Sorbonne en 1955, Aron s’oppose, comme dans les
années 1930, à la fois à l’engagement politique à gauche (Sartre) et à l’ambition de la
primauté de la sociologie (Gurvitch). D’une part, Aron trouve dans « Weber » un
compromis entre la philosophie et la politique qui justifie sa position 26. D’autre part,
les agents du champ intellectuel et du monde universitaire des années 1950, souvent
recrutés dans la même génération de normaliens que celle de Aron, se souviennent de
la lucidité et de « l’originalité de ses premiers travaux » 27 face à la « tempête à
venir ».
Mais la consécration sociologique de « Weber » n’aurait sans doute pas été
possible sans la collaboration entre Raymond Aron et Éric de Dampierre, ancien élève
de Sciences-Po, qui, en tant que directeur de la collection Recherches en sciences
humaines chez la maison d’édition Plon, acquiert entre 1953 et 1956 une renommée
comme introducteur des nouvelles références issues des sciences sociales anglo-

23
Aron devient un membre actif de la Société du Mont Pèlerin (fondée en 1947) de 1949 à 1957, après
avoir participé au Colloque Walter Lippmann en 1938 où s’est constitué ce groupe de partisans du
libéralisme économique (DENORD, 2002). Au milieu des années 1950, Aron devient un personnage central
dans le Congrès pour la liberté de la culture (fondé en 1950) dont il est membre depuis 1951, qui réunit
surtout les partisans du libéralisme politique : Aron est membre du comité exécutif, figure parmi les
orateurs d’ouverture du colloque à Milan en 1955 et joue un rôle clef, dans la deuxième moitié des années
1950, dans le Comité des séminaires (GREMION, 1995). Occupant une position centrale au pôle du
libéralisme politique de l’intelligentsia cosmopolite libérale, Aron est en échange avec beaucoup d’autres
membres de ce réseau, tel que Daniel Bell, Seymour Lipset, Edward Shils, Michael Polanyi, Friedrich-
August von Hayek et James Burnham.
24
LARDINOIS, 2000, 78.
25
POLLAK, 1976 ; DROUARD, 1982, 72.
26
Dans la production d’Aron, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et Le savant et le politique
(ARON, 1959), « Weber » est une référence constante, mais pas du tout privilégiée. L’article « Science et
politique chez Max Weber et aujourd’hui », publié dans la revue intellectuelle du RPF, Liberté de l’Esprit
(ARON, 1952) et repris comme première partie de la préface au Savant et le politique (ARON, 1959),
représente probablement le seul article publié en France où Aron revendique un monopole d’interprétation
de « Weber ». Raymond Aron fait appel à « Weber » surtout dans ses activités au service de la
réconciliation franco-allemande. L’article mentionné est une version développée d’une conférence qu’il
tient à Munich en 1951.
27
CANGUILHEM, 1992.

163
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

saxonnes (Friedrich-August von Hayek, Robert Merton, Leo Strauss, Talcott Parsons
et Karl Popper). Selon l’un de ses dirigeants, Plon a pour objectif de combattre le
communisme avec des « jeunes auteurs originaux » 28. Le caractère « antipositiviste »
des références « antimarxistes » importées 29 permet à Aron de s’approprier une
reconnaissance de critique (philosophique) du « positivisme » 30.
Au milieu des années 1950, la sociologie est partagée en deux sphères qui n’ont
que peu de choses en commun. D’un côté, la sociologie universitaire, par sa dépen-
dance à l’égard de la philosophie, privée de moyens et de formation pour la recherche,
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est le lieu de la « théorie » par excellence 31. De l’autre, les institutions de recherche
sociologique (surtout le Centre d’études sociologiques et la 6e section de l’EPHE) où
domine la démarche quantificateur, recrutent des enquêteurs précaires, souvent mar-
xistes et soucieux de rompre avec la philosophie à l’université, mais privés d’ambi-
tions théoriques 32. George Gurvitch, représentant de la « grande théorie », grâce à son
pouvoir institutionnel, contrôle La Sorbonne « de manière particulièrement despo-
tique » 33. Au pôle empirique, Jean Stoetzel s’impose ; il dirige le Centre d’études
sociologiques, également l’IFOP, contrôle le CNRS et enseigne la psychologie sociale
à La Sorbonne 34.
Professeur de sociologie à La Sorbonne depuis 1955, Raymond Aron mobilise des
auteurs de la « philosophie allemande » qu’il s’est approprié dans les années 1930 :
« Marx », « Weber », « Rickert », « Dilthey », comme en témoignent les manuscrits
de ses cours. À travers cette activité, Aron vise à fonder la sociologie par la philoso-
phie. Pourtant, le commentaire de l’éditorialiste du Figaro et de l’intellectuel anti-
communiste est axé davantage sur l’actualité politique que sur des problématiques
philosophiques ou sociologiques 35. Dans une université toujours dominée par la
philosophie, Aron n’arrive alors guère à acquérir une légitimité académique. La
situation change lorsqu’Aron, le « réformateur universitaire », propose avec Le savant
et le politique 36 une définition du métier du savant qui correspond à la fois aux
attentes des dirigeants politiques et administratifs et de ceux des philosophes et
historiens de l’université.

28
MOLLIER, 2005, 135.
29
Tout en s’opposant au marxisme, non seulement les ouvrages de VON HAYEK (1953) et de MERTON
(1953), mais encore celui de STRAUSS (1954), de PARSONS (1955) et POPPER (1956) avancent des fortes
critiques de la prétention universelle des sciences sociales.
30
La recommandation de Raymond Aron pour la candidature d’Éric de Dampierre à la médaille
d’argent du CNRS en 1979 témoigne de la dette du premier envers le deuxième. Raymond Aron y met en
avant qu’Éric de Dampierre, à travers son activité éditoriale, s’est acquis un « mérite immense » et qu’il
était exemplaire dans la mesure où il a travaillé « aussi et surtout pour les autres » (Archives personnelles
Raymond Aron, boîte 49, dossier Éric de Dampierre).
31
BOURDIEU, PASSERON, 1966.
32
HEILBRON, 1991.
33
BOURDIEU, 2001, 190.
34
Ibid.
35
Archives personnelles de Raymond Aron, boîte 5.
36
ARON, 1959.

164
Michael Gemperlé

II - « Le savant et le politique »

La maquette du livre annonce déjà l’événement intellectuel : le livre réunit la


traduction de deux textes d’un auteur dont le nom est connu, mais qui n’est guère lu ;
deux textes portant sur un sujet d’actualité et préfacés par un intellectuel de renom. La
préface fait référence à des interprétations de « Weber » connues : Les aventures de la
dialectique de Merleau-Ponty 37, qui a connu un retentissement énorme, et Droit natu-
rel et histoire de Leo Strauss 38 qui défend la culture humaniste contre le « positi-
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visme ». Avant la sortie du livre, Le Figaro littéraire diffuse un extrait de la préface
et les revues Esprit et L’Expansion un extrait des deux traductions.
En reproduisant sa présentation des années 1930, Raymond Aron 39 présente
« Weber » dans sa préface Du savant et le politique comme « un homme de science »
qui « n’a cessé de souligner que la politique n’avait rien à faire dans les salles de
cours », mais qui était « occasionnellement journaliste politique » et « soucieux de la
chose publique ». Il affirme que la tâche du savant consiste à produire un savoir
objectif « qui est susceptible de servir l’homme d’action ». Contre la conception
dominante de « l’intellectuel engagé », Aron proclame que « les vertus du politique
étaient incompatibles avec celles du savant » 40. Contre Gurvitch, promouvant la
suprématie et l’objectivité de la sociologie, Aron défend que les vérités scientifiques
sont « partielles », « plurielles » et « limitées » , la science « toujours inachevée » et
que l’histoire n’est à interpréter que de façon « probabiliste ». La notion au cœur de
son argumentation, l’« indifférence par rapport aux valeurs » 41, exprime clairement
l’objectif poursuivi par Aron. L’objectivité de la science est la condition préalable à
l’utilité du travail scientifique pour « l’homme politique ». Cette définition de la
finalité du travail intellectuel, déjà exposée dans L’opium des intellectuels 42, est en
résonance avec l’idéologie de la haute fonction publique moderne. Aron 43 exhorte
cependant « l’homme d’action » à reconnaître sa dépendance vis-à-vis du « savoir
objectif », car « la décision raisonnable n’en exige pas moins que l’on applique à la
conjoncture de l’ensemble des connaissances abstraites dont on dispose » 44. Ainsi,
avec « Weber », Raymond Aron peut proposer, dans le cadre de la Ve République, à la
fois la subordination des sciences sociales à la volonté des dirigeants politiques et
économiques, et valoriser, comme dans les années 1930, l’engagement politique par
les moyens de la philosophie.
L’intelligentsia parisienne reçoit Le savant et le politique avec un grand intérêt.
Les principales revues (Les Temps Modernes, Esprit, Critique) publient des comptes
rendus. Certaines sortent des numéros spéciaux portant sur l’auteur ou l’objet du livre.
D’autres reproduisent des extraits de l’œuvre (Arguments, Archives de Sociologie des

37
MERLEAU-PONTY, 1955.
38
STRAUSS, 1954.
39
ARON, 1959, 10.
40
Ibid.
41
Il est intéressant de constater qu’Aron traduit d’abord le concept « Wertfreiheit » par la formule
« indifférence par rapport aux valeurs ». L’interprétation ultérieure comme « neutralité axiologique »,
inspiré par la traduction américaine « value neutrality », connaît un retentissement beaucoup plus grand.
42
ARON, 1955.
43
ARON, 1959, 11.
44
Selon Stéphane BACCIOCHI (1996), la présentation de la sociologie comme « objective » et
« politiquement neutre » favorise sa reconnaissance auprès des dirigeants politiques.

165
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

Religions, Les Temps Modernes, Esprit). La publication de la traduction est largement


félicitée. Très vite, l’intérêt pour de nouvelles traductions de textes de l’auteur
allemand est éveillé. Le savant et le politique semble rendre possible des positions qui
étaient auparavant impossibles ou improbables.
L’examen des comptes rendus Du savant et le politique permet de comprendre les
raisons de ce succès. Paul Ricœur 45, agrégé de philosophie, professeur de philosophie
à La Sorbonne depuis 1956 et protestant, cherchant à redéfinir le lien entre
l’engagement politique et l’existentialisme chrétien, remarque par exemple dans son
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compte que « c’est ici que Max Weber, penseur politique, révèle le philosophe qu’il a
toujours été, le critique du système et du savoir absolu, l’homme de la connaissance
approchée et du savoir limité ». Edgar Morin, licencié en droit (1942), ancien membre
du PC, sociologue au CNRS depuis 1950, chroniqueur occasionnel pour France-
Obervateur, explicite davantage dans son texte intitulé « Un grand sociologue :
Max Weber », paru dans les Annales, ce qui est revendiqué à travers la référence à
Weber : « Max Weber s’affirme comme théoricien d’un "monde désenchanté". (…) Il
récuse tous les espoirs mythiques que l’on peut placer dans la science comme dans la
politique » 46. Comme le montrent ces deux comptes rendus, Aron affirme à travers
« Weber » une position philosophique contre le « marxisme » s’affaiblissant et contre
le « positivisme » des sciences sociales en plein essor. Ce positionnement d’Aron ne
pouvait pas ne pas susciter l’intérêt des philosophes, puisqu’il ne promet rien de
moins que d’assurer la prédominance de la philosophie dans un contexte où, sous
l’emprise de la demande sociale de production de savoir positif, les sciences sociales
s’imposaient de plus en plus à l’université. Ainsi, Aron reçoit les faveurs des
philosophes et des historiens en proposant la subordination du travail empirique des
sciences sociales à la philosophie (et à l’histoire), dans une situation où les disciplines
se trouvent à la fois dans un processus d’extension et de restructuration. « Weber »
devient dès lors l’auteur le plus philosophe et le plus historique des sociologues en
France. Et on lui accorde les propriétés principales de la position d’Aron, il devient
« antimarxiste », « antipositiviste » et « universitaire ».
Après Le savant et le politique, qui consacre « Weber » comme sociologue, celui-
ci devient pour Aron une référence permanente et omniprésente dans sa fondation
philosophique de la sociologie. Dans son article programmatique des Archives
Européennes de Sociologie de 1960 47, « Weber » est l’auteur de référence et le garant
de « l’objectivité rigoureuse, seule conforme à la finalité du métier du savant ». Aron
présente aussi « Weber » dans son cours 48 comme la référence centrale. Partant des
concepts qu’il a mis en avant dans sa réception de Weber dans les années 1930
(contre le positivisme et toute sorte de déterminisme social ou économique), Aron
utilise « Weber » à la fois comme source symbolique à partir de laquelle il tente
d’élargir sa galerie d’auteurs et comme point d’aboutissement de la « famille de
sociologues qui sont des politiciens manqués ». Dans Les étapes, Aron présente
« Weber » comme rien moins que « notre contemporain » et le seul parmi les « fonda-
teurs de la sociologie contemporaine » qui ne l’« irrite jamais même quand (…) (il)

45
RICŒUR, 1959.
46
MORIN, 1960, 180 et suiv.
47
ARON, 1960.
48
ARON, 1960-1962.

166
Michael Gemperlé

lui donne tort » 49. Après avoir dissous, grâce à ce symbole, les tensions qui le tra-
versent et auxquels il est exposé comme professeur d’université, intellectuel de droite,
éditorialiste au Figaro et conseiller du prince, Aron devient alors pour une deuxième
fois pleinement « Weber ».

III - Une collaboration faite de et pour la croyance en « Weber »

Le succès du « Weber » devient possible grâce à un ensemble d’institutions qui


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assurent la production et la reproduction du capital symbolique associé à son nom. En
particulier, quatre institutions contrôlées par le couple Aron-de Dampierre semblent
produire et mettre en circulation la croyance sociologique dans l’auteur allemand :
1) la position de grand professeur à La Sorbonne qui permet de créditer des
auteurs et de les diffuser à grande échelle 50 ;
2) l’accès privilégié aux ressources de la nouvelle discipline en voie d’expansion,
notamment à travers la position de président de la commission de sociologie du
CNRS au début des années 1960 pendant quatre ans 51 et d’interlocuteur privilégié des
dirigeants d’entreprises publiques et privées ;
3) le monopole sur les traductions de « Weber » qui assure non seulement une
certaine lecture et donc interprétation, mais aussi le contrôle du marquage de
« Weber » dans le monde universitaire 52 ;

49
ARON, 1967, 21.
50
D’après Roland LARDINOIS (2000, 81), les hauts représentants de l’institution universitaire peuvent
instituer des auteurs comme des « classiques » ne serait-ce que par la désignation comme « grandes doc-
trines » ou « contemporains ». Notamment à travers la transcription de ses cours dans les « Cours de
Sorbonne », le professeur à La Sorbonne peut alors bien baptiser et diffuser sa généalogie imaginaire
d’auteurs « libéraux ». Alors que le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, son cours sur les Grandes
doctrines de la sociologie historique (1960-1962), en particulier, est fréquemment utilisé par des profes-
seurs ou enseignants subalternes de province, car, souvent de formation philosophique, ceux-ci jugent la
présentation philosophique dans le cours d’Aron d’utilité didactique pour introduire les étudiants à la nou-
velle discipline universitaire.
51
La commission de sociologie se détache de la section « psychologie et sociologie » en 1957 et le
nombre de postes au CNRS en sociologie entre 1960 et 1964 augmente de 56 à 90 (DROUARD, 1982, 69 ;
CHENU, 2002, 47). Le témoignage d’ARON (2005, 359) lui-même semble confirmer son importance dans
ces années-là : « Président de la Commission de sociologie pendant quatre années, je réussis dans quelque
mesure à influer sur notre travail et à l’améliorer ». Les trois autres patrons, pourtant, contrôlent aussi des
ressources administratives : Jean Stoetzel dirige le CES de 1955 à 1968 (dans lequel les membres passent
entre 1948 et 1964 de 6 à 35) et – intronisé par Georges Davy qui était auparavant doyen de la Faculté des
lettres – siège au Comité consultatif des universités jusqu’en 1968 où il pèse sur le recrutement des
universitaires dans les domaines de la sociologie, de la psychologie, de l'ethnologie, de la démographie
(PRADOURA, 1986). Georges Gurvitch, occupant à La Sorbonne la « position clef » du « mandarin poten-
tiel », qui n’accède pas à ce statut, mais par qui « passaient la plupart des thèses » (ARON, 2005, 136), pos-
sède le pouvoir institutionnel sur la sociologie. Georges Friedmann, directeur d’études à la VIe section de
l’EPHE, « distribue » les champs de la recherche sociologique « par pans entiers » (MENDRAS, 1995, 56).
52
Selon les règles de la shkolé philosophique, dominante à l’université, le commentateur d’un texte
rédigé dans une langue étrangère ne peut faire valoir son monopole d’interprétation que si les textes
commentés sont traduits dans sa propre langue. Le monopole sur les traductions de « Weber » est garanti
par le droit exclusif de la maison d’édition Plon sur les droits de traduction, obtenu en août 1955 (Archives
Plon). Éric de Dampierre commence à œuvrer pour le projet de traduction « Weber » peu après sa
désignation comme directeur de collection chez les éditions Plon en 1952 (Archives d'édition de la
Bibliothèque Éric-de-Dampierre).

167
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

4) la revue Archives Européennes de Sociologie qui publie une production


internationale non pas homogène, mais toujours issue de la mouvance libérale. Au
début des années 1960, Aron et de Dampierre (sous sa houlette) disposent ainsi des
ressources nécessaires pour accroître le prestige théorique de « Weber ».

Comme représentant de la sociologie théorique moderne et gate keeper privilégié


pour l’accès aux postes et au financement de la recherche, Raymond Aron s’impose
comme incontournable pour les membres de la première génération de sociologues
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souhaitant s’affirmer au pôle théorique de la discipline avec des moyens
« modernes ». Aron est favorable au recrutement des normaliens et agrégés de
philosophie, surtout à ceux d’entre eux qui disposent de la « combinaison rare de
culture philosophique et d’expérience empirique » 53. Ainsi « Weber » devient-il un
objet d’investissement et un « terrain de discussion » 54 inévitable pour les apprentis
sociologues qui entendent jouer un rôle important dans la discipline 55.
La collaboration entre Raymond Aron et Éric de Dampierre, leur « complicité » 56,
tient d’abord à un objectif commun : combattre les communistes avec les moyens de
la philosophie. Éric de Dampierre, né en 1928, voit en Raymond Aron un mentor
intellectuel. Pour Aron, de Dampierre, grand aristocrate parisien, est le seul parmi les
membres de la première génération de sociologues qu’il estime 57. Cependant,
l’alliance entre Aron et de Dampierre, est la synthèse de deux projets concurrents.
Tandis qu’Aron veut faire de la philosophie allemande le socle de la sociologie, Éric
de Dampierre prône la construction d’un univers de références intellectuelles
« érudites », d’après le modèle du Committee on Social Thought à Chicago 58.
En tant que descendant d’une famille de la grande noblesse d’Ancien Régime,
héritier d’un capital familial à la fois social, culturel et économique 59, membre de la
génération qui vit la jeunesse dans l’après-guerre et s’engage dans la reconstruction,
ancien élève de la toute catholique Abbaye de Royaumont quand y règne « l’huma-
nisme du XXe siècle », diplômé d’une licence de Littérature et de Droit, de l’IEP de
Paris, et d’un diplôme d’études supérieures à La Sorbonne, et initié à la sociologie
notamment au Committee on Social Thought à Chicago de 1950 au 1952, qui se
53
Archives personnelles Raymond Aron, boîte 55, dossier A.
54
ISAMBERT, 2007.
55
La raison pour laquelle certains de ces apprentis sociologues se réfèrent à « Weber » réside alors
moins dans le fait qu’ils étaient « inévitablement » amenés à rendre compte de « l’apport weberien »
d’Aron, comme le suggère Monique HIRSCHHORN (1988, 135). Aron, normalien « armé (…) de (…) (sa)
seule intelligence » (BOURDIEU, 2004, 39), n’a pas les dispositions pour rassembler des gens autour de lui,
qui reconnaissent et diffusent son paradigme scientifique, comme Claire LE STRAT et Willy PELLETIER
(2006, 179) l’ont souligné. Les gens qui l’entourent constituent plutôt un « front de refus » ou une
« coalition d’ambitions » (ibid.). Au mieux, les apprentis sociologues accordent à Aron une autorité
intellectuelle comme « esprit de synthèse » et « critique » de la production intellectuelle. Ceux qui peuvent
se reconnaître dans les luttes d’Aron contre Gurvitch, Sartre et Stoetzel, sont ceux qui se servent de
« Weber ». Il n’est alors guère étonnant que les différentes lectures qui vont êtres diffusés autour d’Aron
dans les années 1960 ne correspondent guère à l’interprétation du nouveau « patron » de la sociologie.
Pourtant, grâce à sa position centrale pour l’accès aux carrières, Aron peut imposer son monopole
d’interprétation contre chaque lecture qui remet celui-ci en cause – ce qu’il fait avec d’autant plus de
passion que sa légitimité académique dépend de « Weber ».
56
MENDRAS, 2003, 37.
57
Ibid., 35 ; SCHNAPPER, 2007.
58
MENDRAS, 2003, 34.
59
Ibid. ; LAUTMAN, et al., 1998, 4.

168
Michael Gemperlé

prétend le creuset d’une « nouvelle culture humaniste », Éric de Dampierre ne peut


pas avoir le même projet intellectuel qu’Aron. De Dampierre, « qui s’est toujours
voulu philosophe et classiciste » 60, œuvre pour la fondation de la sociologie sur
« l’érudition la plus scrupuleuse » 61. Comme éditeur (directeur de la collection
Recherches en sciences humaines depuis 1952 et directeur de la revue Archives
Européennes de Sociologie depuis 1960), Éric de Dampierre introduit des œuvres
consacrées des sciences sociales américaines et allemandes 62 et affirme un « souci de
la valeur du texte » 63. Parallèlement, l’héritage familial, le conduit à s’intéresser à
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l’ethnologie et à ses méthodes et, durant l’essor des sciences humaines, à créer le
Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (1965) à la toute nouvelle
université de Paris-Nanterre, après avoir mis sur pied, chez Plon, la collection
Classiques africains (1963) et l’Association Classiques africains (1964).
On comprend alors que les investissements d’Aron et de Dampierre dans l’entre-
prise commune « Weber » se distinguent. Pour Aron, « Weber » est un moyen très
efficace pour acquérir une légitimité universitaire tout en conservant le soutien de
l’élite politique. Pour Éric de Dampierre, l’auteur allemand permet de se faire recon-
naître comme universitaire « cultivé » et « érudit ». Tandis qu’Aron ambitionne
surtout de mettre en circulation des références de la « philosophie allemande »,
Éric de Dampierre est plutôt conduit à aborder les traductions avec l’ambition de
contribuer à une culture universaliste 64. Toutefois, faute de soutien financier et
institutionnel de la part du CNRS 65, Éric de Dampierre est contraint de rester dans le
cadre imposé par le projet intellectuel de Raymond Aron.

IV - Rattrapé par la demande sociale

Les chances pour qu’une sociologie « théorique » ait une utilité et suscite l’intérêt
des sociologues diminuent pourtant progressivement. Dans le contexte de l’extension
de la recherche sous contrat, l’impératif de production de savoir positif s’impose de
plus en plus. En même temps, avec la psychologie sociale de Jean Stoetzel, une
conception du métier de sociologue se diffuse qui n’accorde guère d’intérêt à la
production « théorique ». Les conditions de possibilité de la reconnaissance d’une
production sociologique séparée du travail empirique se réduisent.

60
MENDRAS, 2003, 36.
61
Ibid.
62
La correspondance entre Éric de Dampierre et différents universitaires américains et allemands
témoigne de cette intention. Dans une lettre d’Éric de Dampierre du 16 décembre 1952, par exemple, il
demande à Robert Angel, professeur au département de sociologie de l’université de Chicago, de lui indi-
quer « quelques titres d’ouvrages (travaux théoriques ou recherches proprement dites) qui seraient suscep-
tibles de faire l’objet d’une traduction française, dans le domaine des sciences sociales » (Archives
d'édition de la Bibliothèque Éric-de-Dampierre). Aussi, il ne faut pas oublier que pour les cinq traductions
de « Weber » publiées par Plon entre 1959 et 1971, il existait déjà une traduction anglaise.
63
MENDRAS, 1998, 7.
64
MENDRAS, 2003, 35. Très caractéristique de cette attitude est qu’Éric de Dampierre « ne trouve
jamais que les traductions sont assez bien », selon le témoignage de Jacques LAUTMAN (2007), et qu’il
préfère, à la limite, ne pas publier une traduction si, à ses yeux, elle ne remplit pas ses exigences. Par
exemple, la traduction de « Confucianisme et Taoïsme » ne paraît pas, mais va être retrouvée, après la mort
d’Éric de Dampierre, tapée à la machine, avec un grand nombre de corrections, sous son lit (ibid.).
65
POLLAK, 1986a, 45.

169
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

Cette production marquée comme « antimarxiste », « antipositiviste » et « univer-


sitaire » est surtout éclipsée par les entreprises qui tentent de combiner le travail
empirique et la réflexion théorique. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, notam-
ment, ont le projet de faire dialoguer l’analyse de données statistiques et concepts.
Issus des fractions inférieures des classes moyennes, ces deux chercheurs sont
beaucoup plus inclinés que leurs collègues normaliens ou philosophes à s’intéresser
aux phénomènes sociaux qu’à étudier la vérité des auteurs ; ils se référent à
« Durkheim », « Marx » et « Weber » essentiellement pour élucider la réalité sociale
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dans une perspective critique 66. Cette manière de faire la sociologie, qui mine
l’autorité de l’unité de l’œuvre en la mettant à l’épreuve du travail de terrain, se
diffuse particulièrement à travers Les héritiers 67 – un ouvrage qui connaît un énorme
retentissement à sa sortie. Les héritiers introduit dans la discussion sur la réforme de
l’institution scolaire, qui après la fin de la guerre d’Algérie (1962) est « en pleine
effervescence » 68, une analyse novatrice.
Le travail sociologique de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron se démarque
des études sociologiques sur la scolarisation. Amenés par leur ambition théorique, ces
deux auteurs proposent un usage des statistiques, inspiré par la philosophie des
sciences de G. Bachelard, G. Canguilhem et A. Koyré, qui rompe avec celui des
recherches antérieures, qui prend le point de vue des étudiants comme « valeur
faciale » 69. En même temps, Bourdieu et Passeron s’affirment contre les théories
sociologiques dominantes sur la « culture de masse », avancées par des représentants
de la première génération de sociologues 70. Ainsi, Bourdieu et Passeron arrivent à
dépasser le clivage entre des enquêtes statistiques qui se contentent d’établir des
« constats », d’un côté, et des « grandes » analyses de style philosophico-littéraire, de
l’autre 71. Ni les « empiristes », ni les « théoriciens » en sociologie peuvent rester
indifférents à l’égard de cet usage des statistiques qui « n’est pas fréquent dans la
sociologie française avant 1965 » 72. Cette manière de combiner travail philosophique
et travail statistique, dont les présupposés épistémologiques vont être explicités dans
Le métier de sociologue 73, a toutes les chances de recevoir les faveurs des sociologues
grâce aux caractéristiques des deux chercheurs : normaliens, agrégés de philosophie,
jeunes représentants d’une nouvelle discipline en essor, associé à Raymond Aron,
représentant de la sociologie « moderne », et à La Sorbonne. Bourdieu est secrétaire
général du Centre de sociologie européenne d’Aron depuis 1962, devient directeur
d’études à l’EPHE en 1964 et lance la collection « Le sens commun » chez Minuit.
Un vecteur de diffusion important est cependant aussi le fait que ce travail s’oppo-
se aux visions politiques dominantes : en prouvant le rôle primordial de l’origine
sociale pour les inégalités scolaires, Bourdieu et Passeron vont à l’encontre à la fois
de la vision de la « démocratisation » scolaire par la « technocratie » et de son inter-

66
Pierre BOURDIEU (1983) explicite plus tard cette posture dans un article de journal : « Je pense qu’on
peut penser avec Marx et contre Marx ou avec Durkheim et contre Durkheim, également on peut penser
avec Marx et Durkheim contre Weber ou vice-versa. La science fonctionne ainsi ».
67
BOURDIEU, PASSERON, 1964.
68
PASSERON, 2005, 53.
69
MASSON, 2001, 480, 503.
70
Ibid., 498-499.
71
CHAPOULIE, 2005, 44.
72
Ibid., 50.
73
BOURDIEU, CHAMBOREDON, PASSERON, 1968.

170
Michael Gemperlé

prétation par les syndicats étudiants 74. Avec leur manière de faire, Bourdieu et
Passeron réintroduisent les rapports de classes dans la sociologie. Le succès Des
héritiers auprès des étudiants est cependant aussi lié au fait que l’analyse du caractère
ambivalent de la culture légitime rencontre l’humeur d’un nouveau public étudiant qui
accède à l’université grâce à l’expansion de l’enseignement supérieur.
Ce travail sociologique, qui se veut davantage en prolongation qu’en contradiction
avec « Marx », remet d’autant plus en question le commentaire et la traduction de
« Weber » que celui-ci est une référence constante 75. Tandis que, en 1962-1963,
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« dans les milieux intellectuels politisés, « Weber » est encore très marqué comme
penseur de droite » 76 à la suite Des héritiers, il devient acceptable même pour les
communistes – et va alors perdre sa qualité d’auteur de droite 77. Dans La Nouvelle
Critique, la revue du Parti communiste, on commence à parler de « Weber » à partir
de 1966 78. Tout laisse croire que, à travers Les héritiers, Bourdieu et Passeron,
arrivent à imposer un nouvel usage de « Weber » dans la sociologie française.
Le recensement des occurrences de « Weber » dans la Revue Française de
Sociologie entre 1960 et 1970, revue mainstream de la sociologie française, contrôlé
par Jean Stoetzel, illustre bien l’impact Des héritiers sur les usages de « Weber »
(cf. tableau 1) 79. Si on distingue des usages fondamentalement différents – « usage
théorique » et « usage empirique » 80 – on peut constater qu’au cours des années 1960,
s’effectue un déplacement de l’usage « théorique » vers l’usage « empirique ». Dans
la première moitié des années 1960, « Weber » est surtout associé à des usages
« théoriques » qui, en défendant sa qualité philosophique, soulignent la pertinence de
l’interprétation qu’en fait Aron. On s’y réfère principalement dans des comptes ren-
dus et dans la rubrique « Revue des Revues ». Les comptes rendus, surtout, représen-
tent un moyen privilégié pour poser un auteur comme référence. Entre 1960 et 1964,
« Weber » est cité en tant qu’auteur « théorique » 44 fois dans des comptes rendus et

74
MASSON, 2001, 484-485.
75
Cf. BOURDIEU, 1963, 1966, 1971a, 1971b.
76
FRITSCH, 2005, 28.
77
Il ne faut cependant pas sous-estimer l’apport de l’enseignement pour la diffusion de l’usage
« empirique » de « Weber » par Bourdieu et Passeron. Jean-Claude Passeron, assistant d’Aron de 1961 à
1964, est demandé d’enseigner « Weber » à La Sorbonne (PASSERON, 1996). Aussi chez Pierre Bourdieu,
chargé d’enseignement à la faculté de lettre de Lille depuis la rentrée 1961, l’auteur allemand est une
référence centrale dans son enseignement (PIALOUX, 2006). Un recueil de textes qu’il utilise dans ses cours
à Lille témoigne que Bourdieu apporte aux textes de « Weber » un poids considérable : dans ce manuscrit,
divisé en quatre sections, les textes de « Weber » sont mobilisés pour la section « méthode » et, surtout,
pour la section « la spécificité de la société moderne ». Dans ses travaux ethnologiques en Algérie,
Bourdieu a déjà utilisé « Weber » pour expliquer la région du M’zab (EGGER, et al., 2000 ; FRITSCH, 2005,
89). Quand il est arrivé à La Sorbonne en 1960, Aron demande à Bourdieu d’enseigner « Durkheim », ce
qui l’« emmerde affreusement » ; « j’aurais beaucoup plus aimé qu’il me demande Weber », comme il
raconte dans un entretien avec un de ses anciens élèves de Lille, Philipe FRITSCH (2005, 89 et suiv.).
78
BOSCHETTI, 1985.
79
On a recensé les occurrences dans des articles, des comptes rendus ou des entrées dans la rubrique
« Revue des revues ». Les chiffres du tableau 1 représentent le nombre d’occurrences de « Weber » ou de
« Max Weber ».
80
On distingue les deux usages de la manière suivante : en tant qu’usage « théorique », on considère
toutes les références à « Weber » dans le cadre d'une argumentation visant l'élucidation de la réalité à
travers une réflexion philosophique. On y ajoute aussi l'usage à caractère « ornemental », sans réelle
importance pour la démonstration. L'usage « empirique » se caractérise par la mobilisation des concepts
dans une argumentation qui tente d'expliquer la réalité en s'appuyant sur les données recueillies.

171
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

25 fois dans la rubrique « Revue des Revues », tandis qu’on ne se réfère pas du tout
dans des citations à usage « empirique ». Une caractéristique de cet usage de
« Weber » est cependant la forte prépondérance de références à la discussion anglo-
saxonne, dans lesquelles, souvent, on se distingue en même temps des interprétations
de « Weber » avancées aux États-Unis. Dans la deuxième moitié des années 1960, les
usages « théoriques » sont de plus en plus fréquents dans des articles et ils sont
beaucoup moins souvent associés à la discussion anglo-saxonne. On peut voir là
l’expression d’une certaine appropriation de « Weber » par une partie de la sociologie
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française. Le fait que ces occurrences s’imposent à partir de 1965 semble indiquer que
« Weber » devient une référence légitime, après que le congrès pour le centenaire de
Max Weber en 1964 à Heidelberg consacre Aron comme interprétateur légitime sur le
plan international.

Tableau 1. Occurrences de « Max Weber »


dans la Revue Française de Sociologie de 1960 à 1970

1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 Total
Occurrences usages « théoriques » dans
Articles 0 1 0 0 0 8 1 (1) 3 4 5 7 29
26 6 2 2 8 3 22 4
Comptes rendus 5 1 1 80
(16) (2) (1) (1) (4) (2) (5) (3)
« Revue des 4 2 2 4 13 25
3 11 3 1 5 73
Revues » (2) (2) (2) (2) (11) (16)
Total occ.
30 9 4 6 21 36 26 19 8 10 13 182
« théoriques »
Occurrences usages « empiriques »
dans
Articles 0 0 0 0 1 6 3 7 8 2 1 28
Comptes rendus 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
« Revue des
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Revues »
Total occ.
0 0 0 0 1 6 3 7 8 2 1 28
« empiriques »
Occurrences
30 9 4 6 22 42 29 26 16 12 14 210
totales
(Entre parenthèses) = nombre d’occurrences référant à des discussions dans la sociologie américaine.
Source: Revue Française de Sociologie sur JSTOR Journal Archive.

Cependant, l’usage « empirique » de « Weber », complètement absent au début


des années 1960, se répand dans la deuxième moitié de la décennie. Il n’est pas sur-
prenant que l’usage « empirique » ne se retrouve guère dans des rubriques d’évalua-
tion de la production sociologique (comptes rendus et « Revue des Revues »). Cet
usage s’inspire moins du souci de confirmer ou contester une certaine lecture de
« Weber » que de celui de mobiliser ses concepts à des fins heuristiques. Dans des
articles, les occurrences de cet usage deviennent au moins aussi nombreuses que
celles de l’usage « théorique ». Et parmi elles, on retrouve une proportion importante
de travaux de sociologie de l’éducation, ce qui semble confirmer l’hypothèse de l’im-
portance de la réception des Héritiers sur la diffusion de cette forme d’appropriation
de « Weber ».
Le tableau 1 fait ressortir également qu’à la fin des années 1960, l’intérêt à se
référer à « Weber » semble soudainement décliner, ce dont témoigne aussi la dimi-

172
Michael Gemperlé

nution du nombre d’articles et de livres le concernant 81. On peut voir l’expression


d’une coïncidence : le « Weber » de Aron, « antimarxiste », « antipositiviste » et
« universitaire », perd sa force, d’une part parce qu’un usage s’impose qui voit en
l’œuvre de l’auteur allemand plutôt une boîte à outils conceptuels parmi d’autres
qu’une théorie unifiée, et d’autre part parce que, avec les événements de mai 1968, la
sociologie « politiquement neutre » que Raymond Aron tente de justifier avec son
appropriation de « Weber » se trouve presque complètement discréditée.
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Tableau 2. Occurrences de « Max Weber »
dans les Archives Européennes de Sociologie de 1960 à 1970

1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 Total
Occurrences usages « théoriques » dans
45 20 11 2 193* 3 15 2 112 43 153*
Articles 599
(23) (20) (8) (2) (2) (1) (1) (88*) (43) (19)
20 58 5 52 48* 14 47 15 2 1 77
Comptes rendus 339
(6) (58) (5) (52) (2) (1) (46*) (1) (1) (77)
Total occurrences
65 78 16 54 241 17 62 17 114 44 230 938
« théoriques »
Occurrences usages « empiriques » dans
Articles 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Comptes rendus 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Total occurrences
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
« empiriques »
Occurrences
65 78 16 54 241 17 62 17 114 44 230 938
totales
(Entre parenthèses) = nombre d’occurrences référant à des discussions dans la sociologie américaine.
* [Astérisque] = texte portant sur l’œuvre de « Max Weber ».
Source : Comptage effectué dans les Archives européennes de sociologie.

Il ne faut cependant pas oublier que la référence à « Weber » en général, dans les
années 1960, semble plutôt être l’exception que la règle pour la production sociolo-
gique moyenne. Durant toute la décennie, les occurrences de citations dans l’ensem-
ble de la Revue Française de Sociologie ne dépassent pas le nombre de 12 par an et
aucun des auteurs ne manifeste la prétention de se présenter comme représentant
d’une pensée weberienne présumée. « Weber » est un auteur qui n’est pas beaucoup
plus cité que les autres auteurs de références Des étapes d’Aron. Ce faible nombre de
références à « Weber » dans une revue qui rassemble et reflète la production socio-
logique de l’époque contraste cependant avec les références abondantes à « Weber »
dans les Archives Européennes de Sociologie, dirigées par Éric de Dampierre
(cf. tableau 2 82). C’est dans cette revue que paraissent la plupart des articles sur
« Weber », rédigés soit par de jeunes sociologues proches d’Aron, soit par des auteurs
étrangers.
Pourtant, devant l’extension de l’usage « empirique » de « Weber », la collabo-
ration entre Aron et de Dampierre, qui est à l’origine de la consécration sociologique
de l’auteur allemand, ne peut pas continuer sous la même forme. Éric de Dampierre,

81
Cf. POLLAK, 1986b.
82
Pour la comparaison avec la Revue Française de Sociologie, on a repris la distinction entre usage
« théorique » et usage « empirique » de plus haut.

173
Revue d'Histoire des Sciences Humaines

dont l’autorité sociologique dépend essentiellement de l’entreprise de production et


reproduction de « Weber », doit voir dans la montée en puissance de la recherche une
menace pour sa place au sein de la sociologie. Son refus de publier les travaux du
Centre de Sociologie Européenne indique peut-être à quel point il entrevoit le déclin
inéluctable de son projet intellectuel en sociologie. Il montre aussi comment la
« complicité » entre lui et Aron est en train de s’achever. Après avoir signalé dans une
lettre du 25 novembre 1963 qu’il ne trouve pas la séparation entre « son » centre de
recherche et « sa » revue « pleinement satisfaisante », Raymond Aron décrète dans
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une lettre du 7 mai 1965 l’incorporation du nom du Centre de sociologie européenne
dans les mentions légales de la revue, et menace de se retirer de la revue si de
Dampierre n’accepte pas au moins cette concession 83. Aux yeux d’Aron, certes, c’est
« la culture philosophique » qui est la plus importante en sociologie, mais le travail
« empirique » n’en fait pas moins partie intégrante. Pourtant, la prise de position
d’Aron semble être surprenant parce que depuis 1964, après la publication Des
Héritiers, il est déjà à distance avec Pierre Bourdieu 84. Mais, elle montre peut-être
que la position sociologique du « théoricien » de l’expansion de la recherche, rattrapé
par la dynamique qu'il a soutenu, est désormais fragile.

Michael GEMPERLE
Université de Bâle, Suisse
michael.gemperle@unibas.ch

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83
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84
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