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Rencontre avec Michael Walzer, propos recueillis par Catherine Halpern et Martha
Zuber
in Véronique Bedin, Philosophies et pensées de notre temps
2011 | pages 64 à 69
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ISBN 9782361060152
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.infophilosophies-et-pensees-de-notre-temps---page-64.htm
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Rencontre avec Michael Walzer
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Une guerre peut-elle être juste ?
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convaincu aujourd’hui que les théoriciens de la guerre juste
n’ont pas prêté suisamment d’attention à ce qui vient après la
guerre. Aux questions du jus ad bellum (l’entrée en guerre est-elle
juste ?) et du jus in bello (la guerre est-elle conduite de manière
juste ?), nous devons ajouter désormais le jus post bellum pour
déterminer ce qui constitue une issue juste du conlit et réléchir
sur ce qu’il convient de faire concernant les forces occupantes et
la reconstruction politique après la guerre.
On peut concevoir qu’il y a une issue juste à une guerre
injuste de même qu’il peut y avoir une conduite juste d’une
guerre injuste ou qu’une guerre juste peut être menée de manière
injuste et aboutir à une terrible occupation ensuite. Nous devons
donc distinguer trois types de jugements qui sont indépendants
ou relativement indépendants les uns des autres.
L’autre point sur lequel j’ai été amené à réviser ma position
concerne la question des interventions armées pour des motifs
humanitaires. À l’époque de Guerres justes et injustes, je posais
de très lourds obstacles : une intervention humanitaire pou-
vait être justiiée, mais je restais assez sceptique. Après ce qui
s’est passé notamment en Bosnie, au Kosovo, au Rwanda ou
au Timor oriental, je suis davantage prêt à justiier l’usage de
la force face aux meurtres de masse. De plus, il y a trente ans,
une intervention humanitaire devait pour moi répondre au « in-
and-out test », c’est-à-dire que les forces intervenantes mettent
in aux violences puis s’en vont. C’est ce que les Indiens ont
fait au Bangladesh, mais pas les Vietnamiens au Cambodge.
Aujourd’hui, je considère (ce qui m’a d’ailleurs amené à réléchir
au jus post bellum) que l’on ne peut pas simplement renverser un
gouvernement sanguinaire et partir. Il faut songer à la manière
de construire l’autorité politique. Le in-and-out test n’est proba-
blement pas le bon.
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Penser le monde à l’heure de la globalisation
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leraient quand on les emploie mal ! Quand la Bulgarie com-
muniste se qualiiait de démocratie populaire, auriez-vous dit
que le discours prodémocratique facilitait la tâche des tyrans ?
L’obligation des démocrates est de dire : « Voilà les caractéris-
tiques d’une vraie démocratie, ces démocraties populaires ne les
ayant pas ne sont donc pas de véritables démocraties. » C’est
également tout ce que l’on peut faire concernant la théorie de la
guerre juste. Si le président George W. Bush abuse de la théorie
de la guerre juste, il faut dire que la théorie est mal employée :
« Voilà ce que la justice signiie en guerre et celle-ci ne répond
pas à ces normes. »
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Une guerre peut-elle être juste ?
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démocratiques ou capitalistes, mais qui ne soient ni meurtriers
ni anarchiques. Objectif qui réclame une coopération. L’Europe
doit être sur ce terrain le partenaire des États-Unis.
Je suis contre l’idée d’un État international parce que j’ai
peur que cela donne lieu à une tyrannie globale. Pour créer un
régime centralisé pour toute l’humanité, il faut dépasser le plura-
lisme des cultures et politiques humaines. Vous risquez d’aboutir
à un régime centralisé tyrannique et particulièrement virulent.
Pour trouver des modèles alternatifs à ce régime mondial, il ne
nous resterait plus qu’à aller sur Mars ou Jupiter ! Alors que si les
choses vont mal dans un endroit du monde, il y a toujours un
espoir possible ailleurs.
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Penser le monde à l’heure de la globalisation
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les frontières. Et l’on obtient alors quelque chose comme le droit
des gens (jus gentium) dans l’Empire romain qui est simplement
un efort pour déinir une loi entre les diférents peuples de
l’Empire concernant par exemple la fraude, le vol. Il faut que
cette loi fasse sens aux peuples des diférentes cultures. La mora-
lité commune, la morale minimale, vient donc après les morales
particulières maximales et résulte du passage des frontières.
Considérer la guerre comme un combat entre des combattants,
dont les civils sont donc épargnés, est un exemple de consensus
par recoupement (« overlapping consensus » pour reprendre l’ex-
pression de John Rawls) : on en trouve des versions dans la Chine
ancienne, en Inde, dans l’islam, le judaïsme, le christianisme,
toujours légèrement diférentes, parfois avec des listes diférentes
déinissant ceux qui sont tenus pour des non-combattants.
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Une guerre peut-elle être juste ?
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Défendre une troisième voie n’est pas défendre un entre-deux
mais quelque chose de diférent des deux autres termes. Je
crois que nos vies morales déient souvent les doctrines philo-
sophiques. Un de mes articles, « Dirty hands » (« Des mains
sales »), tenu pour un exemple d’incohérence philosophique,
illustre bien la troisième voie. Prenons le cas de savoir s’il est
juste de bombarder des villes si cela permet d’écourter la guerre,
ou si l’on peut torturer ain de découvrir où des terroristes ont
placé une bombe. Certains jugeront cela juste, d’autres non.
Dans mon article, je soutiens qu’il y a du vrai dans les deux
positions : il est très important de défendre le principe de la
valeur des vies innocentes, de dénoncer la torture et de considé-
rer ces principes comme absolus. Mais il y a des moments excep-
tionnels où nous voudrions que nos chefs politiques enfreignent
ces principes. Et nous voulons qu’ils jugent ces principes abso-
lus de sorte qu’ils ne les transgressent que dans des conditions
extrêmes. J’utilise l’exemple classique du dirigeant politique qui
arrive au pouvoir en ayant juré qu’il s’opposerait à la torture et
qui, soudainement, découvre que sa police a capturé un homme
dont ils ont de bonnes raisons de penser qu’il connaît la locali-
sation d’une bombe devant exploser dans une école primaire.
Alors que faisons-nous ? Eh bien, je pense que la plupart des per-
sonnes vivant dans cette ville diraient qu’il faut tout faire pour
obtenir de cette personne l’information. Le paradoxe est donc
que je prétends que dans certains cas il est bon de faire ce qui est
mal. Ce qui n’exempte ni de la culpabilité ni du repentir.
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