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DE LA SUPERPUISSANCE À L'HYPERNATION

Michel Korinman

L’Esprit du temps | « Outre-Terre »

2013/3 N° 37 | pages 7 à 41
ISSN 1636-3671
ISBN 9782847952490
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2013-3-page-7.htm
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DE LA SUPERPUISSANCE À
L’HYPERNATION
Michel Korinman

« Aristote prétend même que les malades en délire et les atrabilaires sont doués de
la faculté divine de prédire. Pour moi je penserais que ni les cardiaques, ni les phré-
nétiques ne jouissent de cette faculté, car la divination appartient à un esprit sain et
non à un corps malade » – habere aliquid in animis præsagiens atque divinum

Cicéron, De divinatione, 1, 381.

Quant à l’avenir des États-Unis (au moins) deux thèses américaines s’affrontent.
Celle de l’historien Paul Kennedy, Dilworth Professor à Yale. Le second mandat
d’Obama sera « néo-isolationniste » comme le fut celui de Roosevelt de 1937 à
1941 ; il se concentrera sur les problèmes du pays, une « médecine nécessaire » dès
lors qu’il convient de « réparer » celui-ci. Les forces armées sont dans un piteux état ;
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la Marine « presque largement déployée en Chine », l’aviation « dans le chaos » et
l’armée de terre ont pour unique ambition d’éviter une guerre en Asie et se tournent
massivement vers les drones. D’ailleurs, le système constitutionnel des États-Unis
qui pouvait convenir dans les années 1780 avec un contrat à treize protagonistes
est aujourd’hui inadéquat ; l’administration est immobilisée, paralysée dès lors qu’il
s’agit de prendre des décisions à l’extérieur par les lobbyistes, les groupes d’intérêt
et les clivages ethno-religieux. De toute façon, à la fin de la Guerre froide c’est un
monde de type bismarckien qui a émergé : cinq ou six puissances qui ne veulent plus
du leadership américain. Conclusion : « Les Américains ne doivent plus être en pre-
mière ligne », mieux vaut qu’ils se concentrent sur eux-mêmes et restaurent l’Amé-
rique2. À l’opposé Robert Kagan, l’une des figures de proue de la pensée stratégique
de la droite américaine, associé (contre son gré) au mouvement néoconservateur,
qui a conseillé Mitt Romney pendant la campagne présidentielle mais a participé
aux discussions sur le printemps arabe : « Pour moi, l’idée d’une Amérique refusant
l’engagement est un mythe ». Le courant isolationniste aux États-Unis ne serait pas
aussi fort qu’on le donne à penser. L’histoire immédiate du pays est plutôt affaire de
cycles – flux et reflux – (exemple des Balkans dans les années 1990) ; « le rythme
normal de la politique étrangère américaine » en quelque sorte. Barack Obama ne

1 Traité de la divination, trad. de M. Nisard


2 Entretien avec Alessandra Farkas, « Il nuovo mandato sarà neo-isolazionista come il primo Roosevelt », Corriere della
Sera, 9 novembre 2012. Pour les contournements de l’insolationnisme par Roosevelt, cf. Jean Edward Smith, FDR, New
York, Random House, 2008 et l’indispensable standard d’André Kaspi, Les Américains, Paris, Le Seuil, 1986.
8 Michel Korinman

s’est-il pas fait au demeurant élire sur la liquidation de Ben Laden ? Et de trancher :
« En 1979, on nous a prédit que l’URSS nous dépasserait. Si vous me demandez de
parier sur la puissance qui dominera toujours dans vingt ans, j’opte pour les États-
Unis ! ». Un monde apolaire et chaotique reste improbable. Même si de « terribles
revers stratégiques » montrent que l’hégémonie américaine a été exagérée3.

Les deux positions sont-elles si irréconciliables qu’il y paraît ? Le Président (ré)


élu prend le monde à contre-Obama ; il veut non seulement en finir avec Bush et
les aventures « civilisatrices », mais renonce plus généralement à Wilson et à la res-
ponsabilité du monde (libre) qui pesait sur l’Amérique depuis 1945 ; ce qui veut par
contre dire que les États-Unis se focaliseront désormais, comme toutes les nations,
sur leurs intérêts propres et s’y emploieront avec les moyens actuellement incompa-
rables sur la planète d’une hypernation. Au fond on peut ne plus vouloir « se précipi-
ter aux quatre coins du monde » pour y jouer les gendarmes (Kennedy) et déclencher
une nouvelle intervention par exemple en Iran « dans les dix à douze mois, un pari
raisonnable » (Kagan) si le Président juge que l’avenir du pays est à ce prix.

AMERICA, AMERICA
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D’abord, Barack Obama peut contrairement aux idées reçues s’appuyer sur un
bloc national relativement unifié et confiant dans l’avenir. Fin des années 1970, dé-
but des années 1980, l’Amérique doute jusqu’à ce que se termine la récession : « It’s
morning in America again ». L’ « école du déclin » (School of Decline) tournera à
plein huit à dix ans plus tard avec la représentation d’une économie japonaise lais-
sant derrière elle des États-Unis en perte de vitesse. Le maître livre, c’est ici justement
l’ouvrage de Paul Kennedy Naissance et déclin des grandes puissances (The Rise and Fall
of Great Powers) de 1988. Thèse 1) : il y a dans l’histoire universelle une « dynamique
du changement » portée par l’évolution de l’économie et des techniques et l’irrégula-
rité de cette croissance a justement à long terme des conséquences majeures « sur la
puissance militaire et la position stratégique relative des principaux États » qui se
succèdent à la tête de la planète : Espagne de Philippe II, Angleterre édouardienne,
États-Unis post-1945. Thèse 2) : les gouvernements sont tous tenus d’accomplir
une « triple prouesse » qui consiste dans le même temps « à assurer la sécurité mili-
taire (...), satisfaire les besoins socioéconomiques de leurs concitoyens, et garantir la
poursuite de la croissance », la contradiction entre les trois défis revenant toujours
pour les nations dominantes à une éclipse relative. Thèse 3) : Les États-Unis « ont
hérité d’une multiplicité d’engagements stratégiques contractés il y a des dizaines

3 Entretien avec Laure Mandeville, « Robert Kagan : “Nous aurons une nouvelle intervention militaire américaine d’ici
deux ou trois ans” », Le Figaro, 4 janvier 2013 et avec Olivier Guez, « Wir herrschen auch morgen noch », Frankfurter
Allgemeine Zeitung (FAZ), 6 novembre 2012.
De la superpuissance à l’hypernation 9

d’années, à une époque où leur influence politique, économique et militaire parais-


sait beaucoup plus solide ». Ils sont en conséquence exposés au danger « bien connu
des historiens qui ont étudié l’ascension et la chute des grandes puissances, et que
l’on pourrait décrire schématiquement comme une surexpansion impériale »4. Du
Spengler, du Toynbee. Une grosse décennie plus tard (début de cycle), l’ex-ministre
français des Affaires étrangères Hubert Védrine posait majestueusement qu’une fois
disparue l’Union soviétique l’Amérique touchait à l’hégémonie : « Voulant décrire
de façon plus exacte et plus rigoureuse les nouvelles réalités internationales, je ju-
geais le terme de “superpuissance” archaïque, trop connoté guerre froide et puissance
militaire. L’expression “seule superpuissance” ne me satisfaisait pas non plus. “Hy-
perpuissance” avait l’avantage, à mes yeux, de désigner quelque chose de plus grand
et d’englober à la fois le hard et le soft power de l’Amérique »5. Le même auteur/
acteur de l’histoire procédant une décennie plus tard (fin de cycle) à l’avortement de
sa progéniture conceptuelle : « Ce n’est plus le cas aujourd’hui » ; pour remarquer
cependant de façon intéressante que même s’il y a aujourd’hui la Chine et une « cin-
quantaine d’autres pays émergents », les États-Unis restent en tête6.

En réalité, ce que révèlent les sondages réalisés de 1987 à 2012 aux États-Unis
c’est que malgré la crise la population reste fidèle aux valeurs traditionnelles. Pour
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résumer une très riche étude réalisée en mai 2013 par Andrew Kohut et Michael Di-
mock à partir de sondages du Pew Research Center7 la contradiction est la suivante :
d’une part, le nombre d’Américains à constater de 2009 à 2012 une très forte ou
forte inégalité entre riches et pauvres est passé à 66 %, augmentant de 19 % ; ce
qui est compréhensible dans la mesure où le revenu moyen des ménages (ventilé
en fonction de la taille) qui était passé de 44 845 à 63 277 dollars entre 1970 et
2000 accuse une baisse à 59 127 dollars en 2010. Les personnes les plus gravement
touchées pendant la dernière décennie appartiennent aux revenus moyens et bas. La
classe moyenne s’est contractée, passant de 61 % en 1971 à 51 % en 20118. 61 %
contre 40 % en 1986 sont par ailleurs d’avis que l’écart entre la classe moyenne et
les pauvres s’est creusé. Il est donc naturel que les clivages, la « polarisation de l’opi-
nion » se soient singulièrement accusés pendant la période Bush/Obama9. Mais bien

4 Cf. Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, Paris, Payot, 1989, traduction de Marie-Claude Co-
chet, Jean-Louis Lebrave , The Rise and Fall of the Great Powers, Londres, Unwin Hyman, 1988, pp. 489, 496, 571.
5 Cf. Hubert Védrine, « Le défi du déclin », Le Débat, n° 123, janvier-février 2003, cité par Francis Sitel, « Les États-Unis
et le monde : les énigmes de la puissance », La Brèche numérique, 18 avril 2005, <www.preavis.org/breche-numerique/
article194.html> [29 mai 2013].
6 « Védrine : Les États-Unis demeurent numéro un », le JDD, 3 novembre 2012, <www.lejdd.fr/International/Actualite/
Hubert-Vedrine-Qui-gouverne-le-monde-Personne-interview-573065> [29 mai 2013].
7 Cf. Andrew Kohut, Michael Dimock, Resilient American Values Optimism in an Era of Growing Inequality and Eco-
nomic Difficulty, Council on Foreign Relations, Renewing America, mai 2013.
8 « The Lost Decade of the Middle Class : Fewer, Poorer, Gloomier », Social and Demographic Trends, Pew Resarch
Center, 22 août 2012, <www.pewsocialtrends.org/files/2012/08/pew-social-trends-lost-decade-of-the-middle-class.pdf>.
9 Cf. Andrew Kohut et al., « Partisan Polarization Surges in Bush, Obama Years : Trends in American Values : 1987-
2012 », Center for the People and the Press, Pew Resarch Center, 4 juin 2012, <www.people-press.org/files.legacy-pdf/06-
04-12 %20Values %20Release.pdf>.
10 Michel Korinman

que la récession n’en finisse pas complètement, l’optimisme continue de prévaloir


puisque en 2012 79 % des travailleurs jugeaient leur salaire suffisant pour mener la
vie qui leur convenait ou s’attendaient à ce que ce soit le cas dans l’avenir – 48 %
et 31 % respectivement – contre 77 % (39 et 38 %) au sommet du boom de 1999.
À la même date 69 % étaient d’avis que le peuple américain trouvait toujours une
solution à ses problèmes contre 68 % en 1987. 57 % pensaient que leur niveau de
vie était meilleur que celui de leurs parents, donc un peu moins mais pas tellement
moins que les 64 % de 1994. Les sondés persistent à penser que le travail paye : 63
contre 35 % ; et 88 % éprouvent un sentiment d’admiration pour les gens qui se
sont enrichis par l’effort. 62 % contre 36 % croient que le succès reste de nature in-
dividuelle. Mieux : s’il est vrai que les bas revenus adhèrent évidemment plus à l’idée
de sécurité sociale que les hauts revenus, 72 % (contre 75 % il y a un quart de siècle)
des Américains contredisent au fond le mouvement Occupy Wall Street, estimant que
la force du pays repose sur les succès obtenus par les entreprises. Et seulement 23 %
sont d’avis que les riches valent moralement moins que les autres. En somme : le fait
qu’une majorité accuse de façon croissante les différences entre classes n’implique en
aucune manière une « lutte des classes ».

Pour finir : aux États-Unis, le système de valeurs socioculturelles reste passable-


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ment compact. L’éthique du travail (Work Ethic) ne varie pas considérablement avec
le revenu puisque 7 Américains sur 10 (71 %) pensent que les pauvres sont trop
dépendants du gouvernement. Une importante enquête du Pew Research Center
montrait en 2008 (!) que les bas revenus étaient même plus nombreux – 69 % – que
les hauts revenus – 58 % – à accorder au succès dans la carrière une importance
majeure10. Résultat identique quant à la lente montée de l’agnosticisme sur le plan
religieux où le rapport s’inverse même dans la mesure où ce sont les riches qui se-
raient relativement moins enclins à manifester leur religiosité. Et puis pour les va-
leurs familiales : si les bas revenus sont nettement plus nombreux à trouver obsolète
le couple traditionnel, l’importance accordée à la vie familiale demeure.

Contrairement à ce qui se passe en Europe, ce n’est donc pas leur système de


valeurs qui est remis en cause par les Américains, mais la manière dont il fonctionne.
C’est ainsi qu’il faut comprendre le sondage de fin février 2010 réalisé par McClat-
chy-Ipsos et souvent cité : pour 80 % d’entre eux Washington serait totalement
paralysé par les querelles de partis et de clans11. En gros : ils n’aspirent pas à un
changement de système, mais à une restauration de son efficacité. Ce qui apparaît

10 Cf. Paul Taylor et al., « Inside the Middle Class : Bad Times Hit the Good Life », Social and Demographic Trends, Pew
Research Center, 9 avril 2008, <www.pewsocialtrends.org/files/2010/10/MC-Middle-class-report1.pdf>.
11 Cf. « Poll : 80 percent of Americans think Washington is broken », McClatchy NewsPapers, 2 mars 2010, <www.
mcclatchydc.com/2010/03/02/89704/poll-80-percent-of-americans-think.html#.UaKBdHaFhVU> [28 mai 2013]. Et Klaus-
Dieter Frankenberger, « Feindbild Washington Viele Amerikaner haben von der nationalen Politik die Nase voll », FAZ, 22
avril 2010.
De la superpuissance à l’hypernation 11

clairement dans les revendications d’équité. En décembre 2011, un sondage Gal-


lup montrait que pour 54 % des Américains la réduction de l’écart entre riches et
pauvres était une priorité très relative ; 52 % estimant que l’inégalité de revenus
constituait « un facteur acceptable de notre système économique » (contre 45 % en
1998 !) ; 70 %, à l’inverse, souhaitaient que les politiques fussent orientées vers plus
d’égalité des chances, ce qui est tout à fait différent12. Le système apparaît à 61 % des
personnes interrogées comme avantageant indûment les riches. D’abord par le biais
des impôts : 57 % sont d’avis que ces derniers ne paient pas une quote-part équi-
table13. Puis en ce qui concerne l’injonction de milliards de dollars dans l’industrie
automobile de Detroit récusée dès le début de façon écrasante14. En 2010, enfin, la
division quant aux plans de sauvetage des banques qui faisaient à l’origine l’objet
de débats tourne à l’opposition ouverte, une situation devant beaucoup aux bonus
perçus par les dirigeants désapprouvés par 86 % des gens, 62 % s’estimant exaspé-
rés par semblables méthodes15. En décembre 2011, 56 % des Américains avaient le
sentiment que le pouvoir des banques et des institutions financières représentait une
menace majeure pour le pays16. Mais l’opinion était dans le même temps également
clivée sur les programmes d’aide aux propriétaires touchés par l’effondrement de
l’immobilier : 46 % de personnes hostiles à une aumône injuste destinée à des irres-
ponsables ; 46 % de personnes favorables.
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En définitive, fin octobre 2012, une majorité de sondés se déclaraient au demeu-
rant de plus en plus optimistes à l’égard d’un redressement économique du pays :
30 % à portée de la main et 31 % dans un avenir immédiat17. De quoi asseoir encore
les positions ? Obama a une nation à sa disposition.

Lire le très intéressant ouvrage d’Olivier Delbard, Prospérité contre éco-


logie ? L’environnement dans l’Amérique de G. W. Bush, Paris, Lignes de re-
pères, 2006 qui mériterait assurément d’être augmenté d’un chapitre sur la
« conquête du schiste », The New Era of Shale, logiquement clamée par BHP
Billiton Petroleum18.

12 Cf. Frank Newport, « Americans Prioritize Economy Over Reducing Wealth Gap », Gallup, 16 décembre 2011, <www.
gallup.com/poll/151568/Americans-Prioritize-Growing-Economy-Reducing-Wealth-Gap.aspx>.
13 « Tax System Seen as Unfair, in Need of Overhaul », Center for the People and the Press , Pew Research Center, 20
décembre 2011, <www.people-press.org/files/legacy-pdf/12-20-11 %20Taxes %20release.pdf>.
14 « Psychology of Bad Times Fueling Consumer Cutbacks », Center for the People and the Press , Pew Research Cen-
ter, 11 décembre 2008, <www.people-press.org/files/legacy-pdf/475.pdf>.
15 « Midterm Election Challenges for Both Parties », », Center for the People and the Press , Pew Research Center, 12
février 2010, <www.people-press.org/files/legacy-pdf/589.pdf>.
16 « Frustration with Congress Could Hurt Republican Incumbents », Center for the People and the Press , Pew Re-
search Center, 15 décembre 2011, <www.people-press.org/files/legacy-pdf/12-15--11 %20Congress %20and %20Econo-
my %20release.pdf>.
17 La question se posant désormais plus nettement, cf. Pierre-Yves Dugua, « Les États-Unis sont-ils sortis de la cri-
se ? », Le Figaro, 16 avril 2013.
18 Bhpbilliton resourcing the future, supplément à Oil & Gas Financial Journal, 9 mai 2011.
12 Michel Korinman

ECCE QUI NON TOLLIT PECCATA MUNDI

Même si elle compte rester première puissance sur la planète, l’Amérique ne peut
ni ne veut plus payer pour le monde. La gauche radicale nord-américaine et euro-
péenne, soit une galaxie où confluent tant les altermondialistes et les néomarxistes
que les parfois très conservateurs ex-opposants à Bush/Blair, a parfaitement enre-
gistré le changement (shift) de paradigme stratégique révélé par Barack Obama au
Pentagone dès le 5 janvier 2012 ?19. C’en est fini des guerres longues et financière-
ment épuisantes du chapitre 11-Septembre, de l’empire à crédit. Obama va aban-
donner à leur triste sort les Européens, s’en tenir à une présence militaire extrême-
ment concentrée des porte-avions dans le golfe Arabo-Persique, la liquidation de
Ben Laden permettant de parler aux Frères musulmans (et aux salafistes !) donc de
se désengager de la région, et de redéployer les forces américaines en Asie-Pacifique
pour y encercler et endiguer la Chine tout en préservant les intérêts vitaux de la
nation « états-unienne ». Et ce d’autant que jouent dans cette région deux facteurs
essentiels : la fin espérée de la dépendance du pétrole arabe et l’indifférence des
Hispaniques, le premier groupe ethnique minoritaire montant démographiquement
en puissance, à Israël20. En somme : la (re)conquête du leadership passe par une
« déglobalisation » de la stratégie américaine.
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Le traumatisme originel, ce sont les expéditions d’Afghanistan et d’Irak de « Bush
43 » (quarante-troisième président des États-Unis) qui ont coûté une grande partie
de son prestige au pays et dont Obama paye encore aujourd’hui le prix. Le bilan de
la guerre d’Irak restant dans ce contexte un « gigantesque et inutile fiasco »21, une
catastrophe pour ce pays comme pour les États-Unis. Quelque 4 500 tués et près de
30 000 blessés et un coût estimé à un « montant astronomique » de 2 000 milliards
de dollars côté américain, alors que les États-Unis sont désormais haïs dans le pays et
que le Premier ministre Nouri al-Maliki les a éconduits alors qu’ils lui demandaient
de ne pas ouvrir l’espace aérien irakien à l’Iran allié de Bachar el-Assad. Même si
le taux de violence – enlèvements et attentats – n’est plus celui des records de la
guerre civile entre 2006 et 2008, ce sont encore 400 morts en février (contre 200
en novembre) dont la moitié à Bagdad. Le nombre ne cessant d’augmenter. Un Irak

19 Cf. Alfredo Jalife-Rahme, « Obama’s strategic pivot : Military deglobalization and containment of China », Voltairenet.
org, 17 janvier 2012, <voltairenet.org/article172396.html> [29 mail 2013] ; Sustaining U.S. Global Leadership : Priorities
for 21ST Century Defense, Department of Defense, janvier 2012, <www.defense.gov/news/defense_strategic_guidance.
pdf> [30 mai 2013] et Remarks by the President on the Defense Strategic Review, The Pentagon, 5 janvier 2012, <www.
whitehouse.gov/the-press-office/2012/01/05/remarks-president-defense-strategic-review> [30 mai 2013]. Sur les positions
antisionistes déclarées du journaliste, professeur à l’Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM ) et chirurgien
mexicain d’origine libanaise Alfredo Jalife-Rahme, distingué en tant que « mejor analista de asuntos internacionales de
México » par la revue Líderes Mexicanos en 2003, « ¿Quién es Alfredo Jalife-Rahme Barrios ? Informe. 5 de diciembre
2012, SDPnoticias.com, <sdpnoticias.com/columnas/2013/02/04/quien-es-alfredo-jalife-rahme-barrios-informe-5-de-di-
ciembre-2012>.
20 « Il nuovo mandato », op. cit.
21 Cf. Laure Mandeville, « L’Amérique médite les leçons d’une coûteuse aventure », Le Figaro, 1er avril 2013 ; Georges
Malbrunot, « À quoi a servi la guerre d’Irak ? », loc. cit.
De la superpuissance à l’hypernation 13

marqué par ces trois plaies majeures que sont 1) les divisions ethniques ou confes-
sionnelles exacerbées : Kurdes qui revendiquent une bande de territoire englobant
Kirkouk, ont écrasé les troupes de Bagdad au mois de novembre dernier et signent
directement avec les compagnies pétrolières vs. le gouvernement ; Chiites au pouvoir
soutenus par Téhéran (gardiens de la révolution) vs. sunnites financés par Riyad et
Doha ; 2) l’ingouvernabilité dès lors que le Premier ministre lui-même est largement
perçu comme un chef de communauté, que le système parlementaire instauré en
2003 repose sur l’appartenance confessionnelle ou ethnique et que le pays dont la
reconstruction n’a toujours pas commencé s’embourbe dans d’interminables tracta-
tions entre factions sans qu’il se soit même doté d’une loi pétrolière ; 3) la persistance
de la mosaïque tribale qui empêche peut-être paradoxalement – ultime élément de
réalité politique – la catastrophe totale.

L’opinion publique américaine, en tout cas, ne veut plus de ces aventures.

Il y a évidemment un lien, ici, avec le rapport Global Trends 2030 : Alternative


Worlds publié en décembre 2012 par le National Intelligence Council (NIC)22. Constat
explicite, celui d’une fin tendancielle et rapide du « moment unipolaire », de la Pax
Americana : même si la part des États-Unis dans le PIB mondial est encore de 24 %,
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la Chine accédera dans les années 2020 au rang de première économie mondiale
en termes de parité de pouvoir d’achat ; l’écart de la capacité militaire avec d’autres
puissances se réduit, les États-Unis restant cependant en 2030 première puissance
à cet égard ; un dernier phénomène qui s’accuse également en matière de science
et de technologie23. Sont envisagés quatre scénarios prospectifs, l’avenir consistant
selon le document dans une association probable d’éléments issus de ceux-ci24.
1) Stalled Engines (moteurs en panne) : un scénario de croissance mondiale ralentie,
de violent affrontement chiites-sunnites – Iran vs. Arabie saoudite – au Moyen-
Orient sans que les Américains et les Européens interviennent, de pandémie allant
de la Corne de l’Afrique à l’Asie du Sud en passant par des parties du Golfe ; une
époque d’instabilité régionale généralisée, d’arrêt consécutif des coopérations mul-
tilatérales combiné tant avec une volonté de séparation dans les pays riches qu’avec
une montée en puissance des ressentiments Est-Ouest et Nord-Sud ; une ère d’iso-
lationnisme chez des Américains renonçant maintenant au fardeau du leadership
mondial et plutôt désireux d’édifier une « forteresse Amérique » ; l’Europe, aux prises
avec ses troubles intérieurs, restant tout comme les États-Unis à l’écart ; le poids de
la Russie dans son « étranger proche » augmentant dans la mesure même du repli

22 Le NIC est placé sous l’égide du Director of National Intelligence, un poste créé en 2004 afin de remédier aux insuf-
fisances de coordination et d’établissement des priorités au sein des agences de renseignement, cf. Richard A. Best Jr.,
The National Intelligence Council (NIC) : Issues and Options for Congress, 27 décembre 2011, Congressional Research
Service, CRS Report for Congress, <www.fas.org/sgp/crs/intel/R40505.pdf> [31 mai 2013]>.
23 <info.publicintelligence.net/GlobalTrends2030.pdf> [31 mai 2013], p. 101-104.
24 Ibid., p. 113-137.
14 Michel Korinman

américain ; le train de réformes socioéconomiques prioritaires s’étant interrompu en


Chine où la corruption et l’agitation sociale freinent la croissance, ce qui explique
le recours au nationalisme et aux aventures extérieures – voisin indien abandonné à
lui-même du fait du retrait américain. 2) Fusion (creuset), soit l’éventualité la plus
optimiste : extraordinaire croissance de l’économie planétaire et développement de
l’innovation technologique fondées sur des coopérations voulues par des gouver-
nements forts et susceptibles de produire de la confiance entre les sociétés/les ci-
vilisations ; États-Unis et Chine affrontent ensemble les défis qu’ils soient d’ordre
stratégique – interventions communes – ou planétaire – ressources et climat – et
semblable collaboration facilite chez le partenaire asiatique, justement renforcé au
plan international, un processus de démocratisation/libéralisation ; retour dans le
même temps à l’American Dream. 3) Gini out-of-the-bottle (le génie/Gini hors la
lampe) – par allusion au coefficient de Gini (Corrado Gini) lequel mesure le degré
d’inégalité de distribution des revenus dans une société donnée : un monde où la
fragmentation généralisée se substitue à la lutte marxienne des classes et dans lequel
l’absence de cohésion sociétale reflète les contradictions internationales ; les États
faillis se multiplient, la montée en puissance du Kurdistan ébranlant à l’inverse l’in-
tégrité territoriale de la Turquie ; l’Europe, bouleversée par une opposition entre
les bourgeoisies nordiques et les prolétariats méditerranéens, éclate et vacille finale-
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ment ; en Afrique, catastrophée par la révolution énergétique du gaz et de l’huile de
schiste aux USA, le Sahel se reconfigure à partir de conflits confessionnels, tribaux
et ethniques, les États successeurs se convertissant (ce que Marx n’avait pu prévoir)
en havres pour extrémistes politiques et religieux ; les transformations du marché de
l’énergie touchent de plein fouet l’Arabie saoudite dont l’économie ne se développe
pratiquement plus alors que sa population continue de croître ; en Chine, les villes
de la zone côtière poursuivent leur développement dans le même temps que les iné-
galités se creusent et que les frustrations sociales s’aggravent – attentes insatisfaites de
la classe moyenne, la corruption et les prévarications délégitimant le pouvoir lequel
recourt aux passions nationalistes, cependant qu’un revival maoïste divise le Parti ;
de même pour l’Inde qui tente de maintenir son taux de croissance mais où le mou-
vement d’insurrection naxalite (maoïste) s’étend ; les États-Unis restent la puissance
prédominante – décollage énergétique, capacité d’innovation, retour à une fiscalité
prudente, faiblesse relative des concurrents potentiels – mais s’ils ne se désengagent
pas complètement, les Américains ne veulent plus du rôle de gendarme mondial as-
sumés par eux pendant des décennies et concluent paradoxalement des alliances avec
les États autoritaires – Russie ou Chine – dans la lutte contre la cybercriminalité.
4) Non State World (le monde des entités non étatiques) : les gouvernements n’ont
pas disparu mais ils ont pour fonction essentielle d’orchestrer des coalitions « hybri-
des » entre les États et les organismes non étatiques – ONG, entreprises multina-
tionales, institutions universitaires, unités sub-étatiques comme les mégalopoles -,
ces derniers s’étant imposés grâce aux nouvelles technologies dans le traitement des
De la superpuissance à l’hypernation 15

défis planétaires – pauvreté, environnement, législation anti-corruption, opérations


de paix ; une élite et une opinion transnationales émergent qui prennent la direc-
tion de ce mouvement ; l’urbanisation – échelle et rythme – reste en l’occurrence
un facteur déterminant ; les régimes autoritaires surtout désireux de préserver les
organes par définition centraux du pouvoir s’accommodent le plus difficilement de
semblables réseaux ; les États-Unis, dans pareil scénario, prennent un avantage parce
que les organismes non étatiques – multinationales, ONG, think tanks et grandes
universités – y ont leur origine et parce qu’ils appréhendent leur propre identité
comme mondiale.

Ce qui frappe dans cette formidable élaboration du NIC, c’est qu’il n’y a pas
« pour le moment » (for the moment) d’ordre mondial de substitution à celui qu’em-
mènent les États-Unis. Quel que soit le scénario, les pays « émergents », qui reven-
diquent désormais un rôle grandissant au sein des grandes institutions multilatérales
comme les Nations unies, le FMI et la Banque mondiale et ont beau nourrir des
ressentiments contre l’ordre existant, ils en ont bénéficié et sont plus intéressés à
la poursuite de leur développement et à la consolidation de leurs régimes qu’à une
éventuelle contestation du leadership américain ; d’autant qu’ils ne forment pas un
bloc unitaire ; et sans compter que les projets géopolitiques de la plupart d’entre
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eux – Chine incluse – se limitent largement à leur région du monde. D’ailleurs,
leurs propres chercheurs sont d’avis qu’un effondrement ou repli soudain de la puis-
sance américaine déboucherait fort probablement sur une longue période d’anarchie
mondiale. Donc, et indépendamment de la date à laquelle on croit bon de ramener
la présente transition – 1815, 1919 ou 1945 –, aucune nation n’est aujourd’hui en
mesure de remplacer les États-Unis25.

Voilà probablement le cadre dans lequel s’est inscrite la réflexion du Président élu
puis réélu. La Fusion, c’était le rêve de l’Administration Obama début 2009 d’un cou-
ple américano-chinois traitant avec pragmatisme des grands dossiers du XXIe siècle,
mais qui s’est dissipé l’année suivante au point que le sigle même de G2 disparaissait
rapidement du vocabulaire américain26. Or, dans ces conditions c’est de fait à ses
intérêts vitaux que l’Amérique devait s’attacher. D’où le rééquilibrage de la présence
US en direction de l’Asie-Pacifique. Il n’y aura pas retour à l’isolationnisme des années
1930 mais Washington ne recourra plus au nation building post-invasion qui a été un
échec, l’ambition stratégique allant maintenant dans le sens d’une coopération sécuri-
taire avec les acteurs locaux27. Se produira un recadrage de l’Alliance atlantique dans le

25 Ibid., p. 108.
26 Cf. Laure Mandeville, « Obama et Hu Jintao à l’heure du réalisme », Le Figaro, 18 janvier 2011 ; Ennio Caretto, « Asse
Usa-Cina per il governo dell’economia Vertice senza precedenti a Washington Obama : “Così sarà il XXI secolo”, Corriere
della Sera, 28 juillet 2009 ; Nathalie Mattheiem, « Obama veut rapprocher la Chine et les États-Unis », 28 juillet 2009 ;
Pierre Rousselin, « L’émergence d’un G2 », loc. cit.
27 Cf. Renaud Girard, « Nouvelle stratégie américaine en Orient », Le Figaro, 28 mai 2013.
16 Michel Korinman

schéma élaboré par Ivo Daalder, ex-représentant permanent des États-Unis et à partir
de juillet président du Chicago Council on Global Affairs : l’OTAN 1.0 servait à se
défendre contre l’Union soviétique ; l’OTAN 2.0 à s’élargir en direction de l’Europe
de l’Est ; l’OTAN 3.0 à passer des alliances opérationnelles ; l’OTAN 4.0 pourrait être
une force de police de prévention des surprises militaires28.

On comprend que certains alliés se posent des questions.

– D’abord les pays de l’Est, de l’ex-New Europe de Donald Rumsfeld autrefois


favorables à l’Amérique néoconservatrice. En particulier nombre de Polonais ont
été interdits en mars dès lors que le secrétaire à la Défense Chuck Hagel évoquait
une « restructuration » du programme antimissile US destiné à contrecarrer la
menace iranienne, soit la suspension de la quatrième phase finale du bouclier
antimissile en Pologne et en Roumanie déjà revu à la baisse en septembre 2009
et abandonné en juin 2011 par la République tchèque29 : installation toujours
prévue en Turquie d’un radar TPY-2 pour détecter les lancements de missiles
balistiques et leur trajectoire ; déploiement d’ici 2018 de 24 missiles intercepteurs
SM3-IIA en Roumanie et autant en Pologne ; et surtout renforcement à partir
de l’arsenal destiné au bouclier des intercepteurs basés sur la côte Pacifique des
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États-Unis contre la menace nord-coréenne qui passeront de 30 à 44 d’ici 2017.
Le déploiement du SM3-IIB prévu pour 2022 où le « véhicule tueur exo-atmos-
phérique » embarqué avait une vélocité de 5,5km/s (contre 4,5km/s au IIA), donc
plus efficace contre les missiles intercontinentaux ce qui inquiétait précisément
les Russes, n’est plus selon le n° 3 du Pentagone James N. Miller à l’ordre du
jour30. Un infléchissement des positions américaines qui amène paradoxalement
le ministre des Affaires étrangères polonais Radosław Sikorski à prôner depuis
Berlin en novembre 2011 une conduite allemande de l’Europe afin que la Polo-
gne échappe à la domination russe ! (cf. Gracjan Cimek infra). Selon les partisans
du dialogue avec Moscou, celui-ci n’aurait jamais dû être sacrifié sur l’autel oc-
cidental. Et qui dit par ailleurs que les élites industrielles allemandes ne finiront
pas par profiter de la situation pour se tourner – avec ou sans les partenaires euro-
péens – vers une Russie où elles sont massivement présentes ?

28 Cf. Nikolaus Busse, « Nato 4.0 Die Allianz wird nach amerikanischer Ansicht in Zukunft seltener intervenieren », FAZ,
28 mai 2013.
29 Cf. Isabelle Lasserre, « Moscou enrôle Pékin contre le bouclier antimissile », Le Figaro, 17 juin 2011, <www.lefigaroint
ernational/2011/06/01003-20110616ARTFIG00724-moscou-enrole-pekin-contre-le-bouclier-antimissile.php> [31 mai 2013].
30 Cf. « Washington restructure son bouclier antimissile pour apaiser Moscou », RTBF-BE/AFP, 16 mars 2013, <www.
rtbf.be/info/monde/detail_washington-restructure-son-bouclier-antimissile-pour-apaiser-moscou?id=7949036> [31 mai
2013] ; Guido Olimpio, « Sospeso lo scudo antimissile Usa Le difese trasferite sul Pacifico Il Pentagono : non sarà comple-
tato il sistema previsto in Europa », Corriere della Sera, 17 mars 2013 ; F. William Engdahl, « China a Military Threat ? No
Wonder China is Nervous as Obama Pivots », Global Research, 21 novembre 2012, <www.globalresearch.ca/no-wonder-
china-is-nervous-as-obama-pivots/5312523> [29 mai 2013] : l’auteur devrait s’en trouver à moitié rassuré dès lors que sa
théorie de l’encerclement par le Ballistic Missile Defense (BMD) – de la Russie à partir de l’Europe et de la Chine depuis
l’Asie ne tient plus que dans le second cas avec la décision annoncée par l’ex-secrétaire à la Défense Leon Panetta en
septembre 2012 d’installer un nouveau radar d’alerte avancée dans le sud du Japon.
De la superpuissance à l’hypernation 17

– Ensuite les Israéliens. Paul Kennedy se charge sans aménité de leur rappeler ce
qu’ils savent déjà : « Obama n’est pas un ami particulièrement intime d’Israël et il
ne souhaite pas se battre pour l’État hébreu appréhendé comme un boulet traîné
par les États-Unis »31. Deux interprétations de la politique « moyen-orientale » de
Washington coexistent. 1) L’Administration Obama, au demeurant infiltrée par
des pro-islamistes identifiés, avait passé avec les Frères musulmans un compromis
géopolitique historique. La première apportait son soutien aux seconds, désormais
au pouvoir en Tunisie et en Égypte, pour qu’ils accomplissent une transition or-
donnée des pays concernés, mais à condition qu’ils se mobilisent contre les dérives
salafistes (cf. Mezri Haddad infra) ; 2) Obama et ses conseillers qui ne savaient
pas comment allait tourner le cours des événements, en particulier en Égypte,
s’étaient résolus à appuyer les Frères musulmans compte tenu des explications
programmatiques que ces derniers leur fournissaient et allaient accompagner leur
politique avec un mélange de satisfaction – efforts couronnés de succès dans la
trêve entre Israël et le Hamas à Gaza le 21 novembre 2012 – et d’embarras – le
décret constitutionnel (par la suite annulé) du 22, droits de l’homme – comme si
les deux « partenaires » étaient contraints au partenariat par le contexte (liens avec
l’armée égyptienne et sécurité d’Israël pour les États-Unis, soutien international,
économique et militaire pour l’Égypte)32 . Dans les deux cas de figure, l’exemple
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de Morsi est patent, les observateurs notant qu’il avait bénéficié lors de chaque
coup de force – destitution du maréchal HusseinTantaoui, chef de l’armée, le 12
août 2012 et récupération à travers sa propre « déclaration législative » du pouvoir
législatif dans l’attente de nouvelles élections que s’était attribué l’armée, adoption
à marche forcée en novembre du projet de Constitution – du feu vert des États-
Unis (entretien préalable avec Hillary Clinton). En quelque sorte : les Américains
voulaient selon les deux approches à tel point se dégager du Proche-Orient qu’ils
misaient sur le nouveau pouvoir en place au Caire et souhaitaient même que celui-
ci repose sur des fondations solides, au risque « de faire le lit de l’islamisme dans
le pays arabe le plus peuplé »33. Rien d’étonnant à ce que de nombreux Israéliens
comparent Obama à un pseudo Frankenstein : « ...il a fait beaucoup pour faire
émerger les problèmes ou les aggraver en cajolant les Iraniens durant presque tout
son premier mandat, en adoptant une posture modérée dans l’affaire syrienne,
en louant le régime turc malgré les activités anti-israéliennes et antisémites de ce
dernier ainsi qu’en encourageant et même en soutenant les Frères musulmans dans
leur prise du pouvoir en Égypte et leur quête du pouvoir en Syrie » (cf. Barry
Rubin infra). À suivre de nouveau Kennedy : l’élite militaire qu’il rencontre au

31 « Il nuovo mandato », op.cit.


32 Cf. Karim Mezran, Tarek Radwan, « Barack e i suoi fratelli », Limes Rivista italiana di geopolitica 2013/1, L’Egitto e i suoi
fratelli.
33 Cf. Pierre Rousselin, « La stratégie implacable de l’islamiste Morsi », Le Figaro, 31 novembre 2012, <www.lefigaro.fr/
international/2012/11/30/01003-20121130ARTFIG00581-la-strategie-implacable-de-l-islamiste-morsi.php?cmtpage=0> [1er
juin 2013].
18 Michel Korinman

centre d’International Security Studies qu’il dirige à Yale reste prudente quant à une
éventuelle défense d’Israël en l’état actuel des forces armées américaines34.
Tout cela pour assister – ruse hégélienne de la logique historique – à la desti-
tution de Mohammed Morsi par l’armée le 3 juillet 2013 après une forte mobi-
lisation populaire et du même coup à l’établissement (provisoire ?) d’un pouvoir
autoritaire.

– Enfin Taiwan.Y a-t-il un « pivot [taiwanais] dans le pivot » de l’Administration


Obama comme le montre la chercheuse Aphrodite Rueipu Hung ?35. Beaucoup,
au Parti progressiste pour la démocratie (DDP) d’opposition, interprètent la
politique taiwanaise d’Obama dans le sens d’un changement d’échelle à l’inté-
rieur d’une stratégie régionale et traduisent une nouvelle interrogation américai-
ne : convient-il d’approcher la sécurité de la République de Chine (Republic of
China, ROC) dans le cadre restreint du détroit ou bien à l’intérieur de la région
Asie-Pacifique, voire même sur le plan mondial. En effet le président Ma Ying-
jeou (Kuomintang, KMT, nationaliste), intronisé le 20 mai 2008 et réélu le 14
janvier 2012 avec 51,6 % des voix, s’est engagé dans une politique semi-officielle
de rapprochement avec Pékin dans le but d’instaurer un climat de confiance et
s’en tient au triple « non » à l’unification, à l’indépendance et à l’usage de la force.
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Le développement de liens étroits entre les deux Chines sur les plans commer-
cial et financier est matérialisé dans une architecture dont l’Economic Coopera-
tion Framework Agreement (ECFA) de 2010 reste la pierre angulaire. Or, Pékin
a profité de cette évolution pour installer Taipei dans un rapport de dépendance
multivectorielle : plus de 40 % des exportations taiwanaises vont au continent ;
l’île est devenue premier investisseur « étranger » en Chine ; quelque 1,5 million
de Taiwanais y sont actifs ; la moitié des exportations chinoises sont assurées
par des entreprises taiwanaises (80 % pour les biens électroniques) ; 23 millions
de Chinois sont employés par les Taiwanais36. L’objectif stratégique clairement
affiché par ce biais à Pékin c’est le « retour » de Taipei, le chaînon encore man-
quant, dans le giron chinois par la voie économique. Un Désastre de Taiwan37 qui
ne resterait pas sans conséquences : renforcement du contrôle de la République
populaire de Chine à partir de bases insulaires sur les voies de communication
maritimes en Asie de l’Est et du Sud-Est ; aplomb grandissant de Pékin dans

34 « Il nuovo mandato », op. cit. Et en sens contraire Vali R. Nasr, doyen du Paul H. Nitze School of Advanced Interna-
tional Studies, à Johns Hopkins University et auteur de The Dispensable Nation (New York, Random House, 2013), « Un
errore lasciare mano libera a Pechino in Medio Oriente », Corriere della Sera, 9 juin 2013 : si Washington laisse un vide,
celui-ci sera occupé par Pékin vers qui se tourneront pour ce qui est du modèle des pays comme l’Égypte ou la Turquie.
35 Doctorante à l’Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, « Les ambiguïtés de l’Administration Obama devant la politique
de rapprochement de Ma Ying-jeou » (à paraître dans Outre-Terre).
36 Cf. Arnaud de La Grange, « La Chine pointe l’arme économique sur Taïpeh », Le Figaro, 13 janvier 2012, <www.
lefigaro.fr/international/2012/01/13/01003-20120113ARTFIG00680-la-chine-pointe-l-arme-economique-sur-taipeh.php> [2
juin 2013].
37 Titre (2009) du dissident et professeur de droit exilé en Australie depuis 2004 Yuan Hongbing, cf. Catherine Bouchet-
Orphelin, « L’intégration économique comme unification politique », Les Milieux des Empires, n° 29, décembre 2009.
De la superpuissance à l’hypernation 19

la formulation de ses revendications territoriales en Asie ; réorientation d’une


grande partie de l’effort naval chinois en direction de l’océan Indien; ouverture
du Pacifique aux Chinois38. Et ce dans un contexte où la République populaire
de Chine a en mars 2010 proclamé core interest, au même niveau précisément
que le Tibet ou Taiwan, la mer de Chine méridionale (cf. Daniel Schaeffer infra).
Pire : depuis l’arrivée aux affaires de Ma Ying-jeou on s’interroge à Washington
sur une coopération taiwanaise avec Pékin qui irait au-delà de la détente et s’arti-
culerait sur le nationalisme territorial commun à la ROC (constitution provisoire
de 1912 incluant non seulement le Tibet mais toute la Mongolie) et à la RPC.
Par exemple au cours de l’année 2010 quand Taiwan a protesté contre le léger
élargissement de leur Air Defense Identification Zone par les Japonais de façon à
couvrir pleinement l’île de Yonaguni (sans que cela eût un quelconque impact
sur l’île). De même au printemps-été 2012 en mer de Chine méridionale avec
le déploiement d’armements et des exercices de tir réel susceptibles d’impliquer
des armes d’origine US comme les missiles antiaériens ou des avions de patrouille
maritime P-3 Orion par les garde-côtes taiwanais sur l’île d’Itu Aba (Taiping) dans
les Spratleys. 27 juin : l’Assistant Secretary of State Kurt Campbell confirme que
Taiwan aurait donné des garanties de prudence quant à la coopération avec la
RPC. 5 août : le président taiwanais annonce son East China Sea Peace Initiative
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revendiquant de nouveau les Diaoyu. 25 septembre : Taiwan déploie (au moment
où la RPC et le Japon procèdent à des échanges diplomatiques afin de tenter
d’apaiser la situation, comme y invitent avec insistance les États-Unis) 60 garde-
côtes pour escorter quelque 60 bateaux de pêche dans les eaux territoriales de ces
mêmes îles ; et aussi des moyens militaires comme des frégates des classes Knox et
Perry, des F-16, des Mirage, des E2-K Hawkeye et des hélicoptères S-70-C pour le
contrôle aérien avancé. 4 décembre : Campbell admet que les USA ont demandé
à Taiwan de ne pas entreprendre des démarches susceptibles de provoquer des
méprises ou des tensions. En général : l’engagement taiwanais en pointillé aux cô-
tés de la RPC va provoquer un débat académique aux États-Unis sur la nécessité
de réviser la double approche traditionnelle de Washington – adhésion au prin-
cipe d’« une seule Chine » et maintien de la sécurité de Taiwan – telle que l’avait
réaffirmée Obama après son élection en 200839. On a pu relever un « essouffle-
ment et une perte d’intérêt américain envers Taiwan » à partir de fin 2011 : « Les
États-Unis finissent par admettre et accepter les progrès des relations inter-détroit
à de nombreux niveaux (économie, finances, culture...) mais aussi implicitement
leurs conséquences qui, à long terme, ne semblent être autres que l’unification » ;
ce qui apparaît comme « inévitable tant les relations inter-détroit se sont vues

38 Cf. Michael J. Green, Andrew Shearer, « Defining U.S. Indian Ocean Strategy », The Washington Quarterly, vol. 35, 2,
printemps 2012, p. 180-181.
39 Cf. pour ces aspects, Shirley A. Kan, Taiwan : Major U.S. Arms Sales Since 1990, CRS Report for Congress Prepared
for Members and Committees of Congress, Congressional Research Service, 14 mars 2013, p. 50-52.
20 Michel Korinman

apaisées et tant la puissance chinoise rayonne aujourd’hui au niveau régional »40.


Au mois de janvier 2011, l’ex-secrétaire à la Défense Robert Gates déclarait en
RPC que sur le long terme l’évolution des relations entre Pékin et Taipei allait
peut-être créer les conditions d’un réexamen du cadre sécuritaire. Hillary Clin-
ton, l’ancienne secrétaire d’État n’ignorait-elle pas Taiwan dans son article de
Foreign Policy sur le pivot, « America’s Pacific Century », en octobre 2011 (pour se
« rattraper » avec son discours du mois suivant où elle « applaudissait » néanmoins
aussi aux progrès marqués par l’évolution des relations inter-détroit41). En janvier
2012, les Américains, tout comme les Chinois, préféraient à l’évidence que Ma
Ying-jeou soit réélu pour un deuxième mandat ; Washington qui se méfiait du
DDP et avait en mémoire ses embarrassantes sorties indépendantistes du passé
n’avait pas été rassuré par la capacité de Tsai Ing-wen, alors présidente de celui-ci,
en matière de stabilité dans le détroit. Certes, les contradicteurs ne manquent
pas lesquels font, eux, valoir que renoncer à Taiwan équivaudrait à admettre le
déclin – justement proclamé par la RPC – des États-Unis dans le monde et en
tant que puissance de l’Asie-Pacifique42. Et le DDP de souligner que la côte de
Ma est au plus bas, qu’une majorité de la population est hostile à sa politique
chinoise, que les législatives de 2014 sont dès à présent perdues pour le KMT qui
doit chercher au chef de l’État un successeur pour les présidentielles de 2016.
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Quoi qu’il en soit : la littérature « informée » outre-atlantique laisse perplexe. Car
on s’interroge : ne risquait-on pas, en annonçant urbi et orbi le pivot pour convaincre
les acteurs régionaux de s’y associer en confiance, de propager dans d’autres régions
du monde un sentiment de désengagement et de fluctuation ? D’où certainement
l’adoption consécutive par l’Administration de rebalancing (rééquilibrage) de façon
à éviter une perte d’influence des États-Unis dans les régions désormais négligées,
bien que l’usage du premier terme ait perduré, ce que regrettent les spécialistes43.
Attention à ne pas désespérer les alliés, donc ! Et puis ne s’agit-il pas, compte tenu
des moyens relativement modestes programmés, par exemple les 2 500 Marines
en territoire australien, plutôt d’une doxa destinée à produire de l’« impact large-
ment symbolique » sur les partenaires et inciter ceux-ci à s’engager eux-mêmes plus
avant. Mais attention à ce que les partenaires néo-libéralisés ne s’interrogent pas sur
d’éventuelles complications par la nouvelle politique US des processus économiques

40 Cf. Margaux Cerutti, La relation triangulaire Chine/Taiwan/États-Unis de 2008 à 2012 Orientations et représentations
de la relation à travers les presses écrites chinoises et taiwanaises, mémoire de Master 1, Institut national des langues et
civilisations orientales (Inalco), juin 2012, p. 61-70.
41 Cf. Hillary Clinton, America’s Pacific Century – official speech, 10 novembre 2011, <www..state.gov/secretary/
rm/2011/11/176999.htm> cité par Margaux Cerutti.
42 Cf. Nancy Bernkopf Tucker, Bonnie Glaser, « Should the United States Abandon Taiwan ? », The Washington Quarterly,
34, 4, automne 2011.
43 « Pivot to the Pacific ? The Obama Administration’s “Rebalancing“ Toward Asia », Mark E. Manyin et al. (éd.), CRS
Report for Congress, Congressional Research Service 7-5700, www.crs.gov, R42448, 28 mars 2012, p. 9-10 au chapitre
« The Framing and Credibility of the “Pivot“ » : s’il y eut jamais sino-centrisme de la politique asiatique des États-Unis en
2009, la notion de pivot s’appliquerait plutôt à l’abandon de cette approche.
De la superpuissance à l’hypernation 21

introduits par eux à l’intérieur ! Sans compter que des pays comme le Japon et la
Corée du Sud pourraient s’inquiéter de l’émergence du « pivot » en pleine période
d’austérité fiscale et d’un alourdissement potentiel de leurs contributions respectives
du fait des États-Unis44. Certes : si l’approche américaine de la Chine se présente
comme two-track (binaire) – coopération plus robuste vs. confrontation par le « pi-
vot »/rebalancing -, c’est jusqu’ici sur le second versant qu’elle a enregistré le plus de
résultats puisque cela a amené les Chinois à rejoindre des négociations multilatérales
avec les nations d’Asie du Sud-Est sur le code de conduite en mer de Chine méridio-
nale. Mais attention aux réactions de l’Armée populaire de libération ! Elle nourrit
depuis longtemps des soupçons quant aux intentions des États-Unis dans la région
et pourrait se voir renforcée face au pouvoir civil. Et attention à une moindre vo-
lonté de compromis du géant économique sur les grandes décisions liées au système
mondial ! Et encore attention à une tentation du recul dans des pays tiers se sentant
poussés à ou obligés de « choisir » entre les deux partenaires cruciaux par un plus fort
engagement des USA dans la région45. Voilà les élus de la nation auxquels s’adresse le
chapitre conclusif « Implications for Congress » parfaitement orientés.

CHIMÉRIQUE... DU SUD
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Les Chinois ont parfaitement reçu le message du pivot. L’étrange rencontre au
sommet des 7-8 juin à Rancho Mirage (Sunnylands, Californie) a pu un instant
ranimer le G2 et Chimerica, l’espoir d’un dialogue de type nouveau entre la pre-
mière et la deuxième puissance du monde, dès lors qu’elle avait lieu avant terme
(les deux hommes pouvant aisément se rencontrer au sommet du G20 de Saint-
Pétersbourg en septembre) et se déroulait dans une mise en scène favorable, un
contexte d’évidente garantie qu’au risque de blesser les paranoïaques les banquiers
de l’Amérique souhaitaient rien moins que ruiner leur client ; un axe semblait même
s’esquisser sur des dossiers comme la menace nord-coréenne (le grand-frère chinois
haussant le ton), les émissions polluantes (convergence inattendue) et les pratiques
de dumping (à négocier bilatéralement)46. Pas de communiqué conjoint, cependant,
en fin de réunion. Et contrairement aux attentes d’Henry Kissinger, artisan secret du
dégel sino-américain en 1971-1972, les sujets de discorde comme le cyberespion-
nage – avec un Président américain sous pression (imprévisible) à cause des révéla-
tions du Guardian – n’ont pu, bien au contraire, être passés sous silence47. D’où les
nombreuses et monumentales comparaisons historiques, puisées comme toujours

44 Ibid., p. 7.
45 Ibid., p.8.
46 Cf. Maurin Picard, « Barack Obama et Xi Jinping créent un climat pour l’image », Le Figaro, 10 juin 2013.
47 Cf. M. Ga. (Massimo Gaggi), « Strette di mano e niente cravatta all’ombra della “cyberguerra” Nel giorno di Obama e
Xi, svelati piani USA di attacco informatico », Corriere della Sera, 9 juin 2013.
22 Michel Korinman

de préférence dans l’Antiquité, et apparaissant régulièrement en période d’insécurité


géopolitique : le « syndrome de Carthage » évoqué par l’ex-ambassadeur d’Italie à
Moscou (1985-1989) et actuel éditorialiste au Corriere della Sera Sergio Romano à
propos du désir US (en l’occurrence pas vraiment éperdu) de rival (chinois) à ter-
rasser48 ; le « piège de Thucydide » quant au conflit Athènes-Sparte préfigurant les
onze cas sur quinze, à partir de 1500, d’opposition entre une puissance montante et
une puissance établie qui se sont conclus par une guerre49. Ian Bremmer, fondateur
et président d’Eurasia Group (et auteur de réflexions sur la notion d’État pivot), et
l’ancien ambassadeur des États-Unis à Pékin de 2009 à 2011 Jon Huntsman allant
jusqu’à déclarer que « les intérêts chinois et américains n’ont jamais été aussi décalés
qu’aujourd’hui » et que « l’écart continue à se creuser »50.

Justement : les commentateurs latino-américains n’ont pas manqué de le noter,


Xi courtise (enamora) le bassin caribéen. Personne n’étant bien sûr capable de mesu-
rer l’intensité personnelle de cette passion subite, mais tout le monde comprenant
qu’il s’agit là du pivot, ou plutôt du « contre-pivot » parallèle du dragon51. Les Amé-
ricains ont-ils décidé de se réorienter vers l’Asie-Pacifique ? Les Chinois règlent leurs
comptes avec la doctrine Monroe. Mieux : Xi Jinping débarque tout de suite après
Obama et le vice-président Joe Biden. Et ce immédiatement avant de se rendre en
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Californie : « une manière de faire comprendre que l’heure de la compétition a sonné
jusque dans le pré carré de Washington », comme le fait remarquer Ding Gang,
éditorialiste du Global Times52.

D’abord à Trinité-et-Tobago, du 31 mai au 2 juin. Ici les relations commerciales


restent modestes avec des échanges bilatéraux tournant autour de 600 millions de
dollars par an ; mais il s’agit d’un pays dont la production (doublée en dix ans) de
gaz se monte à 42,2 milliards de m3/an, soit 1,3 % de la production mondiale et un
quart de la production en Amérique centrale/du Sud ; China Investment Corporation
y a acquis l’année dernière 10 % dans une des usines de liquéfaction du gaz opérées
par l’entreprise mixte Atlantic LNG Company of Trinidad and Tobago, de même que
les sociétés Chaoyang Petroleum (Trinité) et Sinopec (China Petroleum & Chemical
Corporation) participent à l’exploitation de nombreux blocs pétroliers et gaziers.
Auparavant le gaz de ce 6e exportateur de la planète était vendu sur les marchés

48 Cf. Sergio Romano, « Sindrome da Egemonia una nuova Cartagine ? »Corriere della Sera, 6 juin 2013.
49 Cf. Guido Santevecchi, « Il cinese Xi sbarca in America “Dialogo fra grandi potenze” Pechino cerca una relazione
politica oltre l’economia », Corriere della Sera, 8 juin 2013 ; Laure Mandeville, « Obama et Xi s’attaquent à la “méfiance
stratégique” Le président américain reçoit son nouvel homologue chinois en Californie », Le Figaro, 7 juin 2013.
50 Cf. « Intesa difficile, i due mai stati così lontani », entretien de Ian Bremmer avec Massimo Gaggi, Corriere della Sera,
8 juin 2013 : le premier se déclare cependant favorable à la rencontre californienne.
51 Cf. Oscar Ugarteche, Ariel Noyola Rodríguez, « El pivote del Dragón : Xi Jinping enamora a la Cuenca del Caribe »,
<www.obela.org/contenido/pivote-del-drag-n-xi-jinping-seduce-cuenca-del-caribe> [20 juin 2013].
52 Cf. Laure Mandeville, « Xi Jinping défie les États-Unis dans leur arrière-cour Attiré par les ressources énergétiques
de la région, le président chinois se rendra en Amérique centrale et au Mexique avant de gagner la Californie », Le Figaro,
1er juin 2013.
De la superpuissance à l’hypernation 23

des États-Unis, d’Espagne, du Royaume-Uni et d’Argentine ; or, Trinité-et-Tobago,


« l’un de ses partenaires majeurs dans la Caraïbe anglophone », pourrait être incité à
le rediriger vers la Chine par la « révolution énergétique » aux États-Unis53.

Le Costa-Rica, les 3-4 juin, sera encore plus intéressant dès lors qu’il s’agit du pre-
mier pays d’Amérique centrale à avoir renoncé en 2007 aux relations diplomatiques
avec Taipei. Xi espère à coup sûr que San José facilitera l’abandon par la région de la
République de Chine. D’où la promesse de financement d’une raffinerie exploitée
conjointement dans la province de Limón via un prêt de 900 millions de dollars
consenti par la China Development Bank et l’approbation par l’Eximbank (Export-
Import Bank of China) d’un autre prêt à hauteur de 100 millions de dollars équiva-
lant à une ligne de crédit au Banco de Costa Rica (d’État) à fins de modernisation
écologique de 12 000 taxis et 4 000 autobus54.

Pour finir et last but not least le Mexique, 5 et 6 juin, est la destination majeure du
voyage de Xi en Amérique centrale. D’abord il s’agit de la plus grande économie de
la région, mais surtout c’est un partenaire majeur des États-Unis. Ce qui compte ici,
c’est l’ambition chinoise de faire du Mexique une plateforme de réexportation pour
pénétrer le marché américain. Et à cet égard les positions pourraient bien conver-
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ger. La Chine est deuxième partenaire commercial mais avec un déficit de plus de
50 milliards de dollars en 2012 (73 % d’augmentation au premier trimestre 2013)
côté mexicain et l’investissement chinois n’y atteint même pas selon la Cámara de
Comercio y Tecnología México-China les 300 millions de dollars, loin derrière le
Japon, Singapour, la Corée du Sud et Taiwan ; à des années lumières des 50,6 %
aux États-Unis ou 14,7 % à l’Espagne sur la période 1999-2011, avec un résultat
atrophié de 0,05 % (12e position)55. Or, ce 17e producteur de pétrole et 4e pour
le gaz de schiste aspire à réduire sa dépendance du puissant voisin septentrional :
80 % du commerce extérieur selon Luis Miguel González, directeur du quotidien
El Economista ; 62 % d’après Enrique Dussel Peters, professeur d’économie à
l’UNAM (Universidad Nacional Autónoma de México) ; son économie n’avait-elle
pas été abattue en 2009 à cause de la crise des subprimes ? Même si la partie mexi-
caine, tout en se réjouissant d’une alliance stratégique privilégiée avec un pays d’(au

53 « China apuntala sus negocios en el Caribe », El País Internacional, 1er juin 2013, <internacional.elpais.com/
internacional/2013/06/01/actualidad/1370120365_173609.html> [20 juin 2013]. Xi devait rencontrer le dimanche 2 juin à
Port of Spain des leaders du CARICOM (Caribbean Community, mixte entre communauté supranationale et marché
commun) : Antigua et Barbuda, Barbade, Dominique, Grenade, Guyana, Surinam, Jamaïque et Bahamas qui ont bénéficié
entre 2007 et 2010 de prêts en millions de dollars pour l’aménagement d’infrastructures et d’installations touristiques.
Hong-Kong ayant annoncé son intention de percer un canal inter-océanique alternatif au canal de Panama, une certaine
méfiance était également alors perceptible.
54 « Xi Jinping deja Costa Rica para continuar su gira americana en México », ElPaís.cr, 4 juin 2013, <elpais.cr/frontend/
noticia_detalle/1/82020> [20 juin 2013].
55 Cf. François Duhamel, Diana Bank (éd.), Características de la inversión extranjera directa china en América Latina
(UNAM).
24 Michel Korinman

moins) 1,3 milliard de consommateurs, redoute la concurrence56. Mais Pékin va


beaucoup plus loin : le Mexique pourrait jouer un rôle de « pont » entre l’Alliance
du Pacifique (Chili, Colombie, Pérou et Costa Rica depuis le 23 mai), d’une part,
la Chine de l’autre57. La Chine est prête, explique Amapola Grijalva, vice-président
de la Cámara de Comercio y Tecnología México-China, à investir 81 milliards de
dollars d’ici 2018 dans les infrastructures, le secteur pétrolier et les télécommuni-
cations ; l’ambassadeur de Chine déclarant qu’elle est disposée à financer le train
rapide Mexico-Toluca, un projet déclaré du président Enrique Peña Nieto lors de
son entrée en fonction le 1er décembre dernier. Mexico accueillera l’année 2015 le
sommet des entrepreneurs chinois en Amérique latine58. Tout cela naturellement
aussi en échange d’une contribution à l’isolement de Taiwan.

Sans compter un pays où le président Xi Jinping ne s’est pas rendu, le Nicaragua


de Daniel Ortega, avec lequel la Chine a passé un contrat de 30 milliards de dollars
en août 2012 par le biais d’un mémorandum d’entente entre le président de l’Auto-
ridad del Gran Canal Interoceánico - société approuvée en juillet par le gouverne-
ment et créée ad hoc par le gouvernement de Managua, 51 % à l’État nicaraguayen
et 49 % à l’« allié stratégique » chinois – Manuel Coronel Kautz et son homologue
Wang Jing de la nouvelle HK Nicaragua Canal Development Investment Company
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pour le percement d’un couloir océanique alternatif au canal de Panamá mais plus
long, plus large et plus profond et qui devrait être partiellement opérationnel en
201959.

Obama sait pertinemment que la Chine a éclipsé les États-Unis au Brésil et au


Chili, devenant le premier partenaire commercial de ces deux pays, et que les ex-
portations latino-américaines y sont passées de 5 milliards de dollars en 2000 à 104
milliards en 2012 alors que son premier mandat avait été marqué de ce point de vue
par une certaine passivité ; il jouera sans doute la déception relative de l’Amérique
latine face à une Chine qui s’est jusqu’ici massivement concentrée sur ses besoins

56 Cf. Capucine Pêtre, « La Chine courtise le Mexique à la barbe de Washington Le président Xi Jinping est reçu à
Mexico comme un partenaire privilégié pour diminuer la dépendance à l’égard des États-Unis », Le Figaro, 5 juin 2013.
57 Luis Prados, « México busca dar un golpe de timón a las relaciones con China El Gobierno de Peña Nieto pretende
aprovechar la visita del presidente Xi Jinping para corregir el déficit comercial y atraer inversiones del gigante asiático », 3
juin 2013, <internacional.elpais.com/internacional/2013/06/03/actualidad/1370279526_327384.html> [20 juin 2013].
58 Cf. Luis Prados, « Xi Jinping : “Cuanto más se desarrolle América Latina, mejor para China », El Pais Internacional, 6
juin 2013, <internacional.elpais.com/internacional/2013/06/06/actualidad/1370477106_178427.html> [20 juin 2013].
59 « Nicaragua ofrece contrato de firma china para construir alternativas al Canal de Panamá », MIAMIDIARIO.com (avec
agences), 8 juin 2013, <www.miamidiario.com/economia/economia/america-latina/canal-de-panama/daniel-ortega/xi-
jinping/nicaragua-china/contrato-por-30000-milliones-de-dollares/gran-canal-acuatico-interoceanico-de-nicaragua/310015>
[20 juin 2013]. Au point que les deux diplomates colombiens Noemí Sanín et Miguel Ceballos, auteurs d’un livre à paraître
sur les projets de la Chine en Amérique latine, imputent à une conspiration le verdict de la Cour internationale de Justice
qui a tranché en faveur du Nicaragua le 19 novembre 2012 attribuant à Managua une zone maritime de 75 000 km2 ; la
Colombie conservant en revanche la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina désormais en-
clavées dans les eaux territoriales nicaraguayennes ; un jugement dû à la présence passée sous silence d’un juge chinois,
madame Xue Hanqin ; tout cela s’ancre selon les deux commentateurs dans une alliance géopolitique « nica-china », le
Nicaragua devant servir au géant asiatique de « porte d’entrée dans l’hémisphère ». Même si subsiste entre les deux
« alliés » nicaraguayen et costaricain de la Chine la « dispute de l’île Calero » le long du fleuve San Juan.
De la superpuissance à l’hypernation 25

énergétiques. Le « partenaire préféré » ne dispose plus, de toute façon, d’un parte-


nariat garanti60.

Comment faire toutefois concrètement ? Barack Obama a évoqué le 23 mai, dans


son discours à la National Defense University, la fin de la guerre planétaire, large-
ment secrète, menée par son prédécesseur depuis le 11-Septembre 2001 contre le
terrorisme et déclaré vouloir parler avec le Congrès d’une révision puis de l’abolition
de l’Authorization for Use of Military Force, accordant au Président des pouvoirs spé-
ciaux d’intervention ; semblable war on terror illimité pourrait éroder la démocratie
et s’accompagner d’une perte des valeurs. Est revendiquée la guerre technologique,
soit la liquidation de terroristes par drone, un instrument efficace et qui a fait ses
preuves du Pakistan à la Somalie en passant par le Yémen parce que plus précis et
entraînant moins de dommages collatéraux que les attaques de troupes au sol, les
bombardements aériens et le lancement de missiles ; le Président assortissant cette
analyse d’un engagement à transférer le contrôle de ces opérations de la CIA au
Pentagone où il sera soumis à un examen plus étroit et à en restreindre l’usage dans
les zones hors statut d’overt war61. Un discours destiné à finir dans les livres d’his-
toire, peut-être, mais le Washington Post pointe une contradiction : que le Président
souhaite à juste titre ne plus embarquer la nation dans des guerres illimitées est une
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chose ; le problème qui demeure, c’est que les adversaires de l’Amérique pourraient
avoir leur mot à dire en ce qui concerne l’agenda ; et le journal de placer son espoir
dans une harmonieuse coopération entre Président et Congrès62.

Signalons aux lecteurs italophones le texte passionnant de Dario Fabbri: « The Ro-
man factor : I cattolici alla conquista di Washington » paru dans Limes Rivista italia-
na di geopolitica63. Le poids politique et culturel des catholiques américains se révèle
bien supérieur à leur nombre demeuré stable à quelque 25 % depuis un peu plus de
50 ans. Sans doute l’assimilation des composantes irlandaise, allemande, italienne,
polonaise, mitteleuropéenne et hispanique (54 % contre 28 % de protestants – net-
tement plus religieux – au mois de janvier 2013) au sein d’un bloc n’est-elle pas ache-
vée mais elle a beaucoup progressé durant les dernières décennies. La majeure partie
60 « Xi Jinping défie les États-Unis », op. cit. qui cite Kevin P. Gallagher, Robert Porzecanski, The Dragon in the Room :
China and the Future of Latin American Industrialization, Stanford University Press, 2010. En n’oubliant pas que le rapport
Chine-Nicaragua fut recommandé par feu Chávez qui avait lui-même impulsé une importante coopération avec Pékin. La
Chine était en 2012 le deuxième partenaire commercial du Venezuela avec des échanges à hauteur de plus de 20 milliards
de dollars, les deux pays ayant passé des accords dans les domaines de l’énergie, de la construction, de l’industrie et de
la technologie ; Caracas vend actuellement à Pékin 640 000 barils de pétrole/jour dont 264 000 vont au paiement de la
dette compte tenu des crédits accordés ces dernières années par le géant asiatique pour plus de 30 milliards de dollars.
61 Cf. Simon Tisdall, « Barack Obama struggles to redefine the “war on terror” » The president’s heavily leaked speech
appears to mark a shift away from Bush-era tactics even as his rhetoric defends them », theguardian, <www.guardian.
co.uk/world/2013/may/23/barack-obama-redefine-war-terror> [24 mai 2013] ; Massimo Gaggi, « “Basta con la guerra illimi-
tata al terrorismo” La svolta di Obama : rischiamo di perdere i nostri valori. Freno all’uso dei droni », Corriere della Sera, 24
mai 2013.
62 « Obama renews his anti-terrorism strategy », The Washington Post, 23 mai 2013, <articles.washingtonpost.
com/2013-05-23/opinions/39476247_1_u-s-combat-role-attacks-congress> [24 mai 2013].
63 n° 3, 2013, L’Atlante di Papa Francesco.
26 Michel Korinman

des catholiques sont souvent des urbains, établis à proximité des centres du pouvoir
financier et institutionnel ; ils résident dans les États les plus avancés et les plus dyna-
miques : Pennsylvanie, Massachusetts, Californie, New York, Illinois, Floride. Sont
catholiques aux États-Unis le vice-président Jo Biden, le président républicain de la
Chambre des représentants John Boehner, le président pro tempore du Sénat Patrick
Leahy, le secrétaire d’État John Kerry (famille juive autrichienne convertie au début
du XXe siècle), 25 sénateurs et 134 représentants, le nouveau chef de cabinet Denis
McDonough, les quatre derniers directeurs de la CIA, les trois derniers chefs d’état-
major interarmées, six des neuf juges de la Cour suprême ; de même pour presque
tous les candidats potentiels à la présidence qu’ils soient républicains (y compris Jeb
Bush, ex-gouverneur de Floride, frère cadet de George W., converti en 1995 et qui
incarne la branche catholique romaine de la famille) ou démocrates, soit les adver-
saires les plus redoutables de Jo Biden – à moins que la méthodiste Hillary Clinton
n’entre en lice, seule à pouvoir redistribuer les cartes, dont le mari Bill a cependant
été formé chez les jésuites de Georgetown. Cette dernière institution figure sur la
liste des universités les plus prestigieuses de la Catholic Ivy League avec Notre Dame,
Boston College, Fordham, Villanova, Holy Cross, l’excellence de la formation liée
au catholicisme romain s’avérant. Si un épigone de Kennedy accède à la présidence
en 2016, le soft power des États-Unis ira s’amplifiant encore. Et ce a fortiori au cas
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où le prochain pape serait issu de deuxième groupe de cardinaux électeurs (après les
Italiens) au sein du conclave, représentant 77,7 millions d’Américains et 60 % des
richesses de l’Église catholique sur la planète.

OBSERVATIONS D’ESTHER BARON, CORRESPONDANT


D’OUTRE-TERRE À DAMAS, LE 16 SEPTEMBRE 2013

Qui est Barack Obama ? Hamlet à la Maison-Blanche comme le veut le Christian


Science Monitor ? Un va-t-en-guerre à blocages selon le Corriere della Sera ? Le chef
affligé de Spaltung (clivage) freudienne entre l’aile interventionniste du parti démo-
crate emmenée par Susan Rice (National Security Advisor) et Samantha Power (am-
bassadrice aux Nations unies), les deux « faucons humanitaires », d’une part, et des
représentants qui se refusent à jouer leur siège pour sauver le Président, de l’autre ?
Obama tenaillé en quelque sorte à la fois par une condamnation absolue – morale et
juridique - du massacre à l’arme chimique à laquelle il adhère sincèrement (alors que
le pape François s’est élevé contre le principe d’une intervention) et ses réticences
profondes à s’embourber dans une opération armée dont les objectifs et les limites
restent flous.

Ce qu’exigeait du locataire de la Maison-Blanche une conformité aux nouvelles


thèses de l’Administration US en matière de politique internationale, donc la cohé-
De la superpuissance à l’hypernation 27

rence, c’eût été en revanche une pré-poutinisation, la suprême habileté de proposer


lui-même, avant son homologue russe, de placer les stocks d’armes chimiques d’el-
Assad sous contrôle international, indépendamment certes de l’extrême difficulté
d’application de semblable stratégie (sans parler du démantèlement de cet arsenal).
Le quotidien Haaretz n’avait-t-il pas au demeurant insinué il y a quelques jours un
scénario de négociations souterraines préalables64 ? Les Américains ne voulaient plus
être les gendarmes du monde, mais la première puissance de la planète frapperait si
nécessaire parce que la question des armements non conventionnels touchait à la
sécurité du monde et à la sienne propre.
Du coup, plus n’était besoin de recourir au vrai-faux argument consistant à expli-
quer le « recul » d’el-Assad par la menace d’intervention après avoir sollicité l’appui
du Congrès.
Obama aurait restauré la crédibilité des États-Unis ? Rien n’est moins sûr.

« To Strike Or Not To Strike », titrait le 11 septembre 2013 The Santa Barbara


Independent.

PS Toujours et encore Dominique de Villepin. L’ancien ministre des Affaires


étrangères de Jacques Chirac suggérant d’accepter une « partition » qu’il espère tem-
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poraire de la Syrie en tenant compte des « intérêts russes légitimes »65.

64 L’auteur du projet aurait de fait été... Sikorski qui aspire au poste de secrétaire général de l’OTAN ou à celui de Haut
représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité et voulait se doter d’une stature d’acteur
international, cf. Konrad Schuller, «Ein bisschen Eigenlob darf sein Der Vorschlag zu Syriens Chemiewaffen soll von Polens
Aussenminister Sikorski gekommen sein », FAZ, 13 septembre 2013.
65 « Dominique de Villepin : “Acceptons une partition temporaire de la Syrie” », Le Figaro, 10 septembre 2013.
28 Michel Korinman

Le réseau mondial des bases militaires américaines


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Source : <www.nationalpostnews.files.wordpress.com/2011/10/fo1029_usbases12001.gif>
De la superpuissance à l’hypernation 29

États-Unis

Balance commerciale énergétique avec le Mexique et le Canada (2010-2035)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
30 Michel Korinman

États-Unis

Importations mensuelles de pétrole (2007- 2011)

Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
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Importation annuelle d’essence (2005-2011)

Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
De la superpuissance à l’hypernation 31

Trinité-et-Tobago

Blocs pétroliers offshore


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Source : <www.bg-group.com/OurBusiness/WhereWeOperate/Pages/TrinidadandTobagoOperations-
maps.aspx>
32 Michel Korinman

Mexique

Indice de risque selon l’OCDE


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Source : <geo-mexico.com/wp-content/uploads/2013/04/energy-security.jpg>
De la superpuissance à l’hypernation 33

Mexique

Infrastructures énergétiques nationales (I)


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Source : <geo-mexico.com/wp-content/uploads/2012/09/Figure-15-5-pemex-.jpg>
34 Michel Korinman

Mexique

Infrastructures énergétiques nationales (II)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
De la superpuissance à l’hypernation 35

Mexique

Blocs pétroliers offshore dans le golfe du Mexique (I)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
36 Michel Korinman

Mexique

Blocs pétroliers offshore dans le golfe du Mexique (II)


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Source : <www.alcione.org/FAM/campech.gif>
De la superpuissance à l’hypernation 37

Mexique

Gisements de gaz de schiste


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Source : <www.bizjournals.com/houston/print-edition/2012/12/14/houston-companies-poised-for.html>
38 Michel Korinman

Mexique

Consommation d’énergie (2010)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
De la superpuissance à l’hypernation 39

Mexique

Production de pétrole (2011)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
40 Michel Korinman

Mexique

Production et consommation de pétrole (2000-2011)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>
De la superpuissance à l’hypernation 41

Mexique

Production et consommation de gaz (2000-2011)


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Source : <www.eia.gov/countries/analysisbriefs/Mexico/Mexico.pdf>

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