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ÉVOLUTION DU DEUIL ET DES PRATIQUES FUNÉRAIRES

Michel Hanus

L’Esprit du temps | « Études sur la mort »

2002/1 no 121 | pages 63 à 72


ISSN 1286-5702
ISBN 2913062857
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DOI 10.3917/eslm.121.0063
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ÉVOLUTION DU DEUIL
ET DES PRATIQUES FUNÉRAIRES

MICHEL HANUS
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Deux enquêtes récentes permettent de mieux saisir les attentes de nos contem-
porains. Toutes deux ont été réalisées par le CREDOC à la demande du C.I.F.
(Comité Interfilière Funéraire), la première à la fin de l’été 1999 : « le vécu et la
perception du deuil et des obsèques », la seconde à l’automne 2000 : « les
Français et le souvenir des morts ». Elles montrent que la mort et le deuil restent
des réalités difficiles auxquelles la plupart des gens ne savent pas se préparer.

Le renouveau d’intérêt pour les mourants n’est pas contestable et le dévelop-


pement du mouvement des soins palliatifs continue hardiment son chemin. Mais
il faut bien réaliser que concrètement il ne touche qu’une modique partie de la
population alors que, pour le plus grand nombre, mourir est toujours aussi
difficile. Les avis sont partagés sur la qualité des soins durant cette période
terminale. Certains se montrent très reconnaissants à l’égard d’équipes
soignantes qui les ont bien accompagnées alors qu’un bon nombre trouve que la
mort est souvent ignorée dans les hôpitaux ou traitée comme un artefact. Les
contacts avec les services de l’état civil relèvent souvent du cauchemar si bien
que les assistants funéraires sont souvent perçus très positivement comme des
spécialistes compétents capables d’aider les familles dans ces circonstances
pénibles. Il existe ainsi un décalage entre ce renouveau d’intérêt publiquement
manifesté et des pratiques qui semblent à beaucoup ne pas avoir beaucoup évolué
sur le terrain.

Une réalité permet certainement de réduire ce fossé, c’est la prise en compte


actuelle et le soulagement de la douleur. Sans crier victoire et en restant conscient
que de grands progrès restent encore à faire, il est avéré aujourd’hui que la

Études sur la mort, 2002, n° 121, 63-72.


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douleur est mieux prise en compte. Ce qui est un objectif central du mouvement
des soins palliatifs a aussi été soutenu par le Ministère de la Santé depuis bientôt
une dizaine d’années. Il est maintenant possible de pouvoir mourir sans souffrir,
même si, dans certaines situations, il n’en est pas réellement ainsi et que la
question de l’euthanasie est toujours en discussion.

Les soins palliatifs et le mouvement qu’ils ont entraîné ont déterminé un


changement important dans la philosophie des soins. Jadis les grands centres
hospitaliers étaient surtout préoccupés par les progrès techniques d’une médecine
de plus en plus performante ; actuellement les soins sont bien davantage centrés
sur la personne malade et même son entourage commence à être pris en compte.
Des droits sont officiellement reconnus aux malades. Un autre changement
d’envergure s’initie également : c’est l’entrée des soins palliatifs dans les études
des soignants et en particulier les études de médecine. Enfin les futurs médecins
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vont recevoir un embryon de formation sur la mort, le deuil et les rites.

Un autre signe indique l’importance nouvelle prise par le deuil et les réalités
de la mort : c’est l’accroissement constant, ces dernières années, des demandes
de formation sur ce thème. Elles ne viennent pas que des soignants qui en sont
cependant les principaux bénéficiaires ; elles intéressent également les
personnels de l’éducation nationale, les travailleurs sociaux, les bénévoles
d’associations, les funéraires et les religieux, toutes personnes qui se retrouvent
en particulier au sein des diplômes universitaires centrés sur le deuil qui vont se
multipliant. Le grand public également se presse nombreux à des conférences
régulièrement organisées sur le thème des nouvelles approches de la mort. La
multiplication des publications sur ce thème est un autre indice de ce renouveau.

L’évolution du deuil au cours des dernières décennies avait été son occul-
tation sociale et sa privatisation. Elle s’est modifiée durant les dernières années
du XX e siècle. Nous assistons à l’éclosion de nouvelles pratiques sociales.
Cependant la mort et le deuil sont toujours considérés comme relevant de
l’intimité familiale. La lecture des avis de décès dans les journaux indique que
les enterrements dans l’intimité se multiplient. Mais dans le même temps plus de
la moitié de la population souhaite personnaliser les cérémonies et les pratiques.
Les rites traditionnels sont ressentis comme trop formels, déshabités, imper-
sonnels ; ce peut être une des raisons de leur effacement. Il semble que la
nécessité du deuil, son inévitabilité, soient mieux perçues de la population de
même que l’utilité de donner cours et expression aux émotions douloureuses. Sur
ce point l’évolution du deuil entre en résonance avec une évolution sociale plus
générale. Il était jadis recommandé d’éviter l’expression émotionnelle en public ;
s’il n’en est plus ainsi actuellement mais il n’est rien moins que certain que les
pleurs attireront la compassion.
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L’éclosion de nouvelles pratiques sociales se manifeste dans différents


domaines : celle qui concerne la crémation est plus visible et prioritaire étant
donné son augmentation mais celle qui intéresse les morts in utero, les morts dans
les établissements d’enseignement et dans les maisons de retraite sont aussi du
plus grand intérêt tant pour les personnes qui en bénéficient que pour indiquer
cette évolution sociale. Nous reviendrons dans un instant sur la crémation. En
l’espace de ces quelque vingt dernières années, les pratiques ont beaucoup évolué
dans les maternités et services de réanimation néonatales. Les petits-enfants
morts in utero n’étaient, la plupart du temps, pas présentés aux parents et dispa-
raissaient sans laisser de traces. L’idée était d’éviter des souffrances
supplémentaires aux parents et c’était aussi pratiquement plus simple.
Maintenant la plupart des intervenants ont appris qu’éviter le chagrin du deuil
n’est pas la bonne voie, qu’il est inutile, voire potentiellement dangereux, de
vouloir éviter la douleur du deuil. Aussi bien maintenant, dans la plupart de ces
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services, les parents sont régulièrement accompagnés dans leur souffrance,
encouragés à rencontrer leur bébé et à participer à des cérémonies mises en place
à l’intérieur de l’hôpital. Là encore il ne faut pas croire que tous ces progrès sont
déjà réalisés dans tous les hôpitaux. Mais l’évolution générale va dans ce sens et
se généralisera de plus en plus.

La transformation des services mortuaires à l’hôpital est une évolution en


cours qui témoigne également de l’humanisation des hôpitaux. La chambre
mortuaire, jadis appelée ‘morgue’ – et malheureusement ce terme est encore
couramment employé – était centrée sur les locaux techniques : tables d’autopsie
et frigidaires de conservation des cadavres et était tenue par des personnels
techniques. Actuellement la priorité est donnée à l’espace d’accueil des familles
qui est organisé de manière plus chaleureuse. Dans plusieurs hôpitaux ce service
est géré par des soignants ; on passe ainsi de la ‘chambre mortuaire’ au ‘service
mortuaire’. C’est là un indice d’une évolution plus générale de la vie hospitalière.
Il est maintenant recommandé de laisser la personne morte dans son lit pendant
quelque temps avant de la transférer à la chambre ou au service mortuaires. De
même les enfants jadis interdits d’entrée à l’hôpital commencent à être admis afin
de pouvoir dire au revoir à leur parent qui va décéder.

D’une manière plus générale, le comportement vis-à-vis des enfants peut être
considéré comme un bon indicateur des évolutions en cours. Jusqu’à ces derniers
temps la tendance prioritaire, celle qui était la plus suivie était de les écarter de
tout ce qui concernait la mort. Les évolutions se faisant plus lentement en milieu
rural, il existe encore de nombreux villages dans la France profonde où les
enfants ne sont pas admis à l’église lors des funérailles alors qu’ils pouvaient
traditionnellement faire une brève apparition à la veillée funéraire. Mais cette
attitude est en train de se modifier et les enfants sont de plus en plus nombreux
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aux cérémonies de funérailles. De même leur désir de mettre un dessin dans le


cercueil est une nouvelle pratique de plus en plus reconnue.

Les pratiques sont également en évolution dans les maisons de retraite.


Jusqu’ici majoritairement les grands malades étaient transférés à l’hôpital pour
y mourir. Il y avait heureusement des exceptions où le vieillard pouvait mourir
dans son lieu de vie. Ce qui est la règle en Suisse dans les homes qui sont les
équivalents de nos maisons de retraite est en voie de se répandre chez nous. Des
pratiques sont mises en place lors de la mort de chaque pensionnaire.

Une dernière évolution importante du deuil est le développement des


demandes d’aide. Jadis l’aide au cours de ces douloureuses circonstances était
attendue de l’entourage. Le médecin de famille pouvait être consulté, recevoir
des confidences et offrir une écoute et un soutien pour autant qu’il ne se lançait
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pas immédiatement dans la prescription, pratique de plus en plus mal ressentie
même si elle est parfois nécessaire dans un second temps. Restaient le psychiatre
et le psychologue en dernier recours. L’évolution est venue là encore avec les
soins palliatifs qui accompagnent les familles avec le mourant pendant la dernière
période de sa vie. Les équipes proposent presque toujours aux familles de venir
les retrouver après la mort, mais peu arrivent à le faire et préfèrent demander de
l’aide ailleurs. Ainsi progressivement au cours de la dernière décennie se sont
créé plusieurs associations d’aide et de soutien pour les personnes en deuil, en
particulier les différentes associations Vivre son deuil, maintenant regroupées au
sein d’une Fédération Européenne.

Si l’écoute téléphonique, les entretiens, le prêt de supports tels que films,


plaquettes, livres sont utiles, les demandes de participation à des groupes de
paroles sont de plus en plus nombreuses et ces groupes de soutien pour les
personnes en deuil se répandent progressivement et assez rapidement à travers
toute la France. Des groupes plus spécifiques ont également vu le jour : groupes
pour les deuils autour de la naissance, groupes pour les enfants et adolescents en
deuil, groupes pour les endeuillés après suicide.

Le développement de la crémation est un grand chapitre de l’évolution des


pratiques funéraires. Actuellement un peu moins de 20% de la population
française a recours à ce mode de sépulture en augmentation continue. La préfé-
rence pour la crémation était déclarée de 20% en 1979 et de 39% en 1998 et, dans
le même temps, les pratiques de crémation étaient respectivement de moins de
1% et de 17%. Il est à signaler que la France se trouve à mi-chemin entre les pays
nordiques et anglo-saxons où la crémation dépasse habituellement 50%, surtout
en milieu urbain et les pays méditerranéens où elle est loin d’atteindre 10%. Ne
nous arrêtons pas sur les raisons alléguées de ce choix au cours des différents
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sondages d’opinion. L’ampleur d’une telle évolution au cours des quinze


dernières années a nécessité la mise en place de pratiques rituelles pour ce mode
de sépulture qui n’a pas de réelle tradition chez nous. La réflexion est continue
sur un thème de cette importance (20 % des 535 000 morts annuelles dans notre
pays). C’est un sujet de réflexion, de discussion et de proposition continues au
sein du Comité National des Opérations Funéraires (CNOF), du Comité National
d’Éthique du Funéraire (CNEF) et du Comité Interfilière Funéraire (CIF) qui
fonctionnent en relation.

Il est tout d’abord nécessaire de mettre en place des cérémonies car rien n’est
plus désolant, inhumain en quelque sorte, que l’arrivée d’un cercueil au créma-
torium soit immédiatement suivie de sa mise à la flamme sans aucun temps de
recueillement. Les différents professionnels et intervenants concernés se sont
donc concertés afin de pouvoir proposer aux familles des cérémonies le plus
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souvent organisés par les funéraires avec l’aide éventuelle des familles, le clergé
ne se rendant habituellement pas sur ces lieux. Les recommandations cérémo-
nielles issues de ce groupe de travail sont encore officieuses, mais elles seront
sans doute soutenues dans l’avenir par les pouvoirs publics par l’intermédiaire
du CNOF.

L’évolution des lieux de crémation est également frappante. Visitez le créma-


torium du cimetière du Père Lachaise et celui, tout récent, d’Armentières dans le
Nord, vous verrez toute la différence. Bien sûr la taille n’est pas la même ni l’his-
toire, l’un a tout un passé, l’autre est tourné vers l’avenir. Le premier est profon-
dément marqué par la symbolique anticléricale qui a été à l’origine de la crémation
dans notre pays, le second donne un cadre à l’intimité familiale, les matériaux,
verre et bois, sont chaleureux l’espace également. Cependant le crématorium du
Père-Lachaise est en pleine évolution : les espaces ont été remaniés, des salons
plus intimes organisés et des lieux sont prévus pour d’éventuelles collations.

La seconde question essentielle soulevée par la crémation est celle du devenir


des cendres, les lieux du souvenir. La législation française permet plusieurs
éventualités : la dispersion des cendres qui est possible partout à l’exclusion de
la voie publique, en particulier dans un espace spécifique du cimetière « le jardin
du souvenir », la conservation de l’urne à la maison, son dépôt dans le caveau
familial ou dans le columbarium. Le choix est habituellement déterminé par
l’expression des volontés du défunt. Une évolution se dessine également dans ce
domaine. Si la loi privilégie les désirs du défunt, les souhaits des survivants
commencent à être mieux pris en compte et peuvent avoir leur mot à dire dans
ces dernières dispositions. Il semble qu’un grand nombre de familles préfèrent
emmener l’urne à la maison, sans doute dans l’idée de conserver le plus
longtemps possible le défunt auprès d’eux. Mais très souvent au fil du temps du
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deuil, les relations avec l’urne se modifient. Sa présence ressentie comme indis-
pensable au début se révèle peu à peu encombrante. Alors mal à l’aise les
endeuillés ne pensent pas souvent à une autre destination possible de l’urne dont
ils pourraient aller parler avec l’assistant funéraire ou les services municipaux.

À ce niveau, de nouvelles pratiques se mettent en place dans les cimetières.


Des espaces particuliers sont réservés à des monuments centrés sur l’urne ainsi
mise en valeur. D’autres monuments réalisent des sépultures mixtes qui
permettent de recevoir les restes des membres d’une famille, qu’ils soient
inhumés ou crématisés. L’enquête dont nous parlions au début montre que les
Français ne sont pas réellement satisfaits des cimetières : « c’est donc tout un
faisceau d’éléments négatifs : baisse de la fréquentation, dégradation de
l’entretien, abandon des concessions perpétuelles... qui, au fond, déstabilise la
symbolique du cimetière et, par là, tend à le délégitimer. » Aux raisons invoquées,
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il convient d’ajouter le développement de la crémation car les dépôts d’urnes
dans les tombes sont très minoritaires. Alors quelle évolution pour les cimetières
dans l’avenir ? Faisons avec les personnes interrogées dans l’enquête, la diffé-
rence entre les cimetières ruraux et ceux des grandes métropoles ; ce sont surtout
ces derniers qui encourent les reproches. Il y a déjà le problème de la place, de
l’espace ; pour n’être pas récent il ne fait que s’accentuer. C’est pour tenter d’y
pallier que la durée des concessions a été réduite. Urbanistes, architectes et thana-
tologues ont depuis longtemps préconisé des cimetières verticaux, constructions
en hauteur ou plutôt souterrains. Mais ces projets ne soulèvent pas l’enthou-
siasme des familles intéressées. En milieu urbain, la répartition de l’espace donne
lieu à des arbitrages serrés entre différentes destinations où le cimetière entre en
compétition avec les logements, d’autres équipements collectifs. Le respect (et
la crainte) des morts allant diminuant, il est possible que l’utilité du cimetière soit
moins facilement perçue.

Les français souhaitent encore que les cimetières soient davantage


paysagés, qu’ils donnent plus de place à la végétation, ce qui est le cas en parti-
culier dans les pays anglo-saxons. Souhaitons qu’ils soient entendus par nos
édiles. Ils désirent également rompre la monotonie et le conservatisme des
monuments ; ils préconisent de nouvelles formes, de nouvelles couleurs, de
nouveaux matériaux. C’est alors des fournisseurs funéraires qu’ils doivent se
faire entendre.

Les professionnels funéraires de mieux en mieux formés à partir de la prise


de conscience de l’importance du relationnel dans leur métier et de répondre aux
attentes pas seulement technique des familles se rendent de plus en plus compte
des dimensions de leur rôle de conseillers. En matière de crémation, ils parti-
cipent activement aux cérémonies dont ils sont, la plupart du temps, responsables
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et qu’ils ont à cœur de réaliser de leur mieux. Après avoir montré l’urne à l’issue
de la crémation, ils proposent de la garder quelques jours, le temps que la famille
puisse discuter de sa destination l’informe qu’elle pourra ultérieurement changer
d’avis sur cette destination et notifiera que la meilleure solution reste toujours la
mise en terre. Les avis des différents comités de réflexion iront dans le même
sens. L’information continue des professionnels et de la population permettra de
savoir que la crémation est déjà une pratique difficile pour le deuil dans la mesure
où elle scotomise le temps et où elle privatise le mort. L’évolution pourra alors
se faire plus franchement vers le dépôt des cendres dans les lieux de souvenir
publics, essentiellement les cimetières qui garderont ainsi leur utilité et leur
légitimité.

Mais les changements dans les pratiques funéraires intéressent également


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bien d’autres domaines. Je signalais plus haut les changements dans les mater-
nités et la prise en charge des familles dans les situations de mort in utero.
L’évolution va se faire vers la diffusion progressive de ces bonnes pratiques qui
ne sont pas techniques mais des gestes élémentaires d’humanité. L’intérêt pour
ce sujet est partagé par les familles et par les professionnels. L’association Vivre
son deuil a voulu participer à cette évolution lors de son Ve congrès l’an dernier
à Bruges, à cette même époque sur le thème « Deuils d’enfants : de la conception
à la naissance » qui a réuni plusieurs centaines de participants. Des formations
sont régulièrement organisées, des livres paraissent sur ces sujets signes qu’ils
sont une préoccupation actuelle.

Autre nouveauté qui marque aussi une évolution : les demandes de formations
sur la mort, le deuil, le suicide par les rectorats des universités en direction de tous
les personnels des établissements d’enseignement. Des journées de formation et
de réflexion sont mises en place régulièrement dans différentes académies. Elles
sont surtout fréquentées par les médecins, psychologues, infirmières et assis-
tantes sociales scolaires ; il est très rare d’y voir des enseignants et des chefs
d’établissement. Pour ce qui concerne les enseignants l’évolution ne peut venir
que des IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres). La démarche
commence très doucement, mais elle suivra son chemin. Un enseignant est néces-
sairement confronté à la mort, si ce n’est dans sa matière d’enseignement, un jour
ou l’autre dans sa classe ; cette prise de conscience est en train de s’opérer
progressivement. Ces journées de formation débouchent habituellement sur la
mise au point de protocoles d’interventions en cas de suicide ou de mort dans
l’établissement, document largement diffusé dans l’ensemble du rectorat et qui
donne un appui lorsque l’établissement est confronté à de telles situations. Mais
l’essentiel est sans doute le changement dans les mentalités. La prise de
conscience est maintenant faite d’une manière presque générale que, lorsque de
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tels événements se produisent, il n’est pas possible de se comporter comme s’il


ne s’était rien passé et que les établissements se doivent de réagir en tant qu’ins-
titution.

Les changements dans la vie hospitalière ne s’arrêtent pas à ceux que nous
avons déjà signalés : changement dans la philosophie des soins et prise en compte
des proches de la personne malade. Ces pratiques qui ont été promotionnées par
les soins palliatifs existaient cependant déjà dans la grande majorité des services
de pédiatrie et dans quelques institutions s’occupant avec des soins des personnes
en fin de vie. Mais tout un effort a été fait et continue de se faire dans les grands
hôpitaux afin d’améliorer les pratiques dans ce sens. L’Assistance Publique-
Hôpitaux de Paris a réuni, il y a quelques années, une commission sur le thème
de la mort à l’hôpital ; elle a publié un livre de recommandations à mettre en
pratique progressivement « le décès à l’hôpital » où l’on peut mesurer les progrès
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qui sont en voie d’accomplissement. La création récente de l’Espace Éthique est
une autre pratique qui va dans le même sens.

Le développement des contrats de prévoyance, obsèques est également un


bon indice des changements en cours. L’intéressé signe un contrat à l’avance avec
un organisme funéraire ou une compagnie d’assurances où il fixe à la fois le
déroulement de ses obsèques dans tous les détails et en règle le montant à
l’avance, le plus souvent sous forme de mensualités. Le motif avancé par ces
usagers est de soulager la famille de ces formalités et ces dépenses qui ne sont
jamais programmées et se révèlent habituellement plus élevées que prévues.
Mais on peut y voir aussi le désir de maîtriser les choses et d’assurer que tout se
déroulera comme on le désire si bien que, à l’arrière-plan, se dessine comme une
ombre de manque de confiance dans ses descendants. Il est bien probable que
cette pratique ne fera que s’accentuer car la majorité des français pense que les
frais d’obsèques ne devraient pas incomber aux familles. Un sondage de 1979 le
montrait déjà très nettement. Une autre méthode dont on parle moins bien qu’elle
soit assez répandue est la souscription d’une assurance obsèques qui fournit une
aide matérielle suffisante et laisse les survivants libres d’organiser les choses à
leur idée, certainement en accord avec celle du défunt.

Ce fut une relative surprise de constater au cours de l’enquête de 2000


l’intérêt manifesté pour l’Internet. Les personnes enquêtées ont souligné son
intérêt pour choisir tranquillement chez soi les prestations funéraires en pouvant
faire des comparaisons entre les différentes offres. Il n’est pas certain que les plus
proches endeuillés soient capables de se livrer à ce genre de travail mais un parent
plus éloigné peut le faire. Dans ce domaine, il est également possible que le
courrier électronique devienne le mode principal d’annonce des décès d’ici à
quelques années. Ces annonces de décès telles qu’elles se font actuellement sont
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une nouvelle occasion d’insister sur les diversités régionales des pratiques
funéraires. Des journaux de province, en Belgique et en Suisse et sans doute dans
d’autres pays encore, plusieurs pages sont consacrées à la rubrique nécrologique
et les différents avis tiennent souvent de la place. Dans les Flandres, de grandes
affiches imprimées en blanc et noir portant le nom des récents défunts sont
collées aux portes des églises.

L’Internet permet également la mise en place de sites du souvenir qui ne sont


encore que dans les limbes mais vont vraisemblablement beaucoup se
développer. Un membre de la famille endeuillée, un jeune le plus souvent, ouvre
un site dont l’accès est protégé par un code, site où peuvent être rassemblés des
textes, des images et des sons en relation avec le défunt. Les autres membres de
la famille peuvent y avoir accès et l’enrichir d’autres contributions. Ainsi peuvent
être rassemblé un ensemble de documents qui sont en permanence accessibles
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à tous les intéressés.

Il est toujours délicat de vouloir anticiper l’avenir avec un degré suffisant


d’exactitude. Tout juste peut-on dégager les changements récents afin de projeter
leur évolution probable. Et des manifestations imprévues peuvent toujours
advenir. Concrètement de nouvelles pratiques se mettent en place en fonction des
besoins – ce qui est le cas actuellement pour la crémation et l’accompagnement
des morts in utero – et lorsqu’elles se révèlent correspondre aux attentes de nos
contemporains, elles se répètent, elles se confortent, elles se généralisent et elles
deviennent alors des rites. Contrairement à une manière de parler très répandue
actuellement on ne créé pas des rites, tout juste peut-on mettre en place des
pratiques qui deviendront éventuellement rituelles si elles se révèlent efficaces.

Les tendances actuelles telles qu’elles se discernent dans les enquêtes ci-
dessus et dans notre rencontre des pratiques funéraires vont dans le sens de la
réappropriation des rites, l’expression des émotions et la resocialisation de la
mort et du deuil. La réappropriation se manifeste particulièrement dans la person-
nalisation de plus en plus demandée non seulement des cérémonies auxquelles
les familles participent plus activement, que dans l’art funéraire où davantage de
diversité et d’originalité est demandée par la population. Mais il ne s’agit là que
d’une tendance qu’il ne faudrait pas voir comme universelle ; beaucoup de
familles s’en remettent encore plus ou moins complètement aux professionnels
funéraires auxquels sont déléguées maintenant de manière générale les forma-
lités administratives du décès.

La nécessité d’exprimer les émotions douloureuses du deuil et même


celle de les partager est maintenant mieux comprise. Encore faut-il trouver des
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interlocuteurs. Si bien que les professionnels naturellement concernés ont pris


conscience de la nécessité de se former sur ces sujets et le mouvement associatif
orienté vers l’aide aux personnes en deuil ne cesse de se développer, en particulier
au travers des groupes de paroles et de soutien pour les endeuillés.

Resocialiser la mort est un des buts de la Société de Thanatologie depuis sa


création et un des buts également des associations de bénévoles de soins palliatifs
comme JALMALV. Celles-ci comme celle-là mettent en place des rencontres,
conférences, colloques et congrès pour parler de la mort dans le champ social ;
elles se prêtent aux contacts avec les médias qui montrent actuellement un plus
grand intérêt pour ces thèmes. Elles encouragent la publication d’articles, en
dehors même de notre revue Études sur la mort et d’ouvrages qui paraissent de
plus en plus nombreux. Les manifestations publiques se multiplient depuis, par
exemple les conférences sur les contes de la mort au Centre Pompidou en
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décembre dernier, le cycle sur la mort dans le cinéma au Forum des images au
début de l’année auquel plusieurs d’entre nous ont participé jusqu’à l’exposition
du Musée d’Orsay l’an prochain sur « le dernier portrait ».

Michel HANUS
Psychiatre, psychanalyste
Président de la Fédération Européenne Vivre son deuil
et de la Société de Thanatologie

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