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Michel Hanus
© L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181)
DOI 10.3917/eslm.121.0063
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2002-1-page-63.htm
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MICHEL HANUS
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Deux enquêtes récentes permettent de mieux saisir les attentes de nos contem-
porains. Toutes deux ont été réalisées par le CREDOC à la demande du C.I.F.
(Comité Interfilière Funéraire), la première à la fin de l’été 1999 : « le vécu et la
perception du deuil et des obsèques », la seconde à l’automne 2000 : « les
Français et le souvenir des morts ». Elles montrent que la mort et le deuil restent
des réalités difficiles auxquelles la plupart des gens ne savent pas se préparer.
douleur est mieux prise en compte. Ce qui est un objectif central du mouvement
des soins palliatifs a aussi été soutenu par le Ministère de la Santé depuis bientôt
une dizaine d’années. Il est maintenant possible de pouvoir mourir sans souffrir,
même si, dans certaines situations, il n’en est pas réellement ainsi et que la
question de l’euthanasie est toujours en discussion.
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vont recevoir un embryon de formation sur la mort, le deuil et les rites.
Un autre signe indique l’importance nouvelle prise par le deuil et les réalités
de la mort : c’est l’accroissement constant, ces dernières années, des demandes
de formation sur ce thème. Elles ne viennent pas que des soignants qui en sont
cependant les principaux bénéficiaires ; elles intéressent également les
personnels de l’éducation nationale, les travailleurs sociaux, les bénévoles
d’associations, les funéraires et les religieux, toutes personnes qui se retrouvent
en particulier au sein des diplômes universitaires centrés sur le deuil qui vont se
multipliant. Le grand public également se presse nombreux à des conférences
régulièrement organisées sur le thème des nouvelles approches de la mort. La
multiplication des publications sur ce thème est un autre indice de ce renouveau.
L’évolution du deuil au cours des dernières décennies avait été son occul-
tation sociale et sa privatisation. Elle s’est modifiée durant les dernières années
du XX e siècle. Nous assistons à l’éclosion de nouvelles pratiques sociales.
Cependant la mort et le deuil sont toujours considérés comme relevant de
l’intimité familiale. La lecture des avis de décès dans les journaux indique que
les enterrements dans l’intimité se multiplient. Mais dans le même temps plus de
la moitié de la population souhaite personnaliser les cérémonies et les pratiques.
Les rites traditionnels sont ressentis comme trop formels, déshabités, imper-
sonnels ; ce peut être une des raisons de leur effacement. Il semble que la
nécessité du deuil, son inévitabilité, soient mieux perçues de la population de
même que l’utilité de donner cours et expression aux émotions douloureuses. Sur
ce point l’évolution du deuil entre en résonance avec une évolution sociale plus
générale. Il était jadis recommandé d’éviter l’expression émotionnelle en public ;
s’il n’en est plus ainsi actuellement mais il n’est rien moins que certain que les
pleurs attireront la compassion.
MICHEL HANUS • ÉVOLUTION DU DEUIL ET DES PRATIQUES FUNÉRAIRES 65
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services, les parents sont régulièrement accompagnés dans leur souffrance,
encouragés à rencontrer leur bébé et à participer à des cérémonies mises en place
à l’intérieur de l’hôpital. Là encore il ne faut pas croire que tous ces progrès sont
déjà réalisés dans tous les hôpitaux. Mais l’évolution générale va dans ce sens et
se généralisera de plus en plus.
D’une manière plus générale, le comportement vis-à-vis des enfants peut être
considéré comme un bon indicateur des évolutions en cours. Jusqu’à ces derniers
temps la tendance prioritaire, celle qui était la plus suivie était de les écarter de
tout ce qui concernait la mort. Les évolutions se faisant plus lentement en milieu
rural, il existe encore de nombreux villages dans la France profonde où les
enfants ne sont pas admis à l’église lors des funérailles alors qu’ils pouvaient
traditionnellement faire une brève apparition à la veillée funéraire. Mais cette
attitude est en train de se modifier et les enfants sont de plus en plus nombreux
66 ÉTUDES SUR LA MORT
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pas immédiatement dans la prescription, pratique de plus en plus mal ressentie
même si elle est parfois nécessaire dans un second temps. Restaient le psychiatre
et le psychologue en dernier recours. L’évolution est venue là encore avec les
soins palliatifs qui accompagnent les familles avec le mourant pendant la dernière
période de sa vie. Les équipes proposent presque toujours aux familles de venir
les retrouver après la mort, mais peu arrivent à le faire et préfèrent demander de
l’aide ailleurs. Ainsi progressivement au cours de la dernière décennie se sont
créé plusieurs associations d’aide et de soutien pour les personnes en deuil, en
particulier les différentes associations Vivre son deuil, maintenant regroupées au
sein d’une Fédération Européenne.
Il est tout d’abord nécessaire de mettre en place des cérémonies car rien n’est
plus désolant, inhumain en quelque sorte, que l’arrivée d’un cercueil au créma-
torium soit immédiatement suivie de sa mise à la flamme sans aucun temps de
recueillement. Les différents professionnels et intervenants concernés se sont
donc concertés afin de pouvoir proposer aux familles des cérémonies le plus
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souvent organisés par les funéraires avec l’aide éventuelle des familles, le clergé
ne se rendant habituellement pas sur ces lieux. Les recommandations cérémo-
nielles issues de ce groupe de travail sont encore officieuses, mais elles seront
sans doute soutenues dans l’avenir par les pouvoirs publics par l’intermédiaire
du CNOF.
deuil, les relations avec l’urne se modifient. Sa présence ressentie comme indis-
pensable au début se révèle peu à peu encombrante. Alors mal à l’aise les
endeuillés ne pensent pas souvent à une autre destination possible de l’urne dont
ils pourraient aller parler avec l’assistant funéraire ou les services municipaux.
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il convient d’ajouter le développement de la crémation car les dépôts d’urnes
dans les tombes sont très minoritaires. Alors quelle évolution pour les cimetières
dans l’avenir ? Faisons avec les personnes interrogées dans l’enquête, la diffé-
rence entre les cimetières ruraux et ceux des grandes métropoles ; ce sont surtout
ces derniers qui encourent les reproches. Il y a déjà le problème de la place, de
l’espace ; pour n’être pas récent il ne fait que s’accentuer. C’est pour tenter d’y
pallier que la durée des concessions a été réduite. Urbanistes, architectes et thana-
tologues ont depuis longtemps préconisé des cimetières verticaux, constructions
en hauteur ou plutôt souterrains. Mais ces projets ne soulèvent pas l’enthou-
siasme des familles intéressées. En milieu urbain, la répartition de l’espace donne
lieu à des arbitrages serrés entre différentes destinations où le cimetière entre en
compétition avec les logements, d’autres équipements collectifs. Le respect (et
la crainte) des morts allant diminuant, il est possible que l’utilité du cimetière soit
moins facilement perçue.
et qu’ils ont à cœur de réaliser de leur mieux. Après avoir montré l’urne à l’issue
de la crémation, ils proposent de la garder quelques jours, le temps que la famille
puisse discuter de sa destination l’informe qu’elle pourra ultérieurement changer
d’avis sur cette destination et notifiera que la meilleure solution reste toujours la
mise en terre. Les avis des différents comités de réflexion iront dans le même
sens. L’information continue des professionnels et de la population permettra de
savoir que la crémation est déjà une pratique difficile pour le deuil dans la mesure
où elle scotomise le temps et où elle privatise le mort. L’évolution pourra alors
se faire plus franchement vers le dépôt des cendres dans les lieux de souvenir
publics, essentiellement les cimetières qui garderont ainsi leur utilité et leur
légitimité.
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bien d’autres domaines. Je signalais plus haut les changements dans les mater-
nités et la prise en charge des familles dans les situations de mort in utero.
L’évolution va se faire vers la diffusion progressive de ces bonnes pratiques qui
ne sont pas techniques mais des gestes élémentaires d’humanité. L’intérêt pour
ce sujet est partagé par les familles et par les professionnels. L’association Vivre
son deuil a voulu participer à cette évolution lors de son Ve congrès l’an dernier
à Bruges, à cette même époque sur le thème « Deuils d’enfants : de la conception
à la naissance » qui a réuni plusieurs centaines de participants. Des formations
sont régulièrement organisées, des livres paraissent sur ces sujets signes qu’ils
sont une préoccupation actuelle.
Autre nouveauté qui marque aussi une évolution : les demandes de formations
sur la mort, le deuil, le suicide par les rectorats des universités en direction de tous
les personnels des établissements d’enseignement. Des journées de formation et
de réflexion sont mises en place régulièrement dans différentes académies. Elles
sont surtout fréquentées par les médecins, psychologues, infirmières et assis-
tantes sociales scolaires ; il est très rare d’y voir des enseignants et des chefs
d’établissement. Pour ce qui concerne les enseignants l’évolution ne peut venir
que des IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres). La démarche
commence très doucement, mais elle suivra son chemin. Un enseignant est néces-
sairement confronté à la mort, si ce n’est dans sa matière d’enseignement, un jour
ou l’autre dans sa classe ; cette prise de conscience est en train de s’opérer
progressivement. Ces journées de formation débouchent habituellement sur la
mise au point de protocoles d’interventions en cas de suicide ou de mort dans
l’établissement, document largement diffusé dans l’ensemble du rectorat et qui
donne un appui lorsque l’établissement est confronté à de telles situations. Mais
l’essentiel est sans doute le changement dans les mentalités. La prise de
conscience est maintenant faite d’une manière presque générale que, lorsque de
70 ÉTUDES SUR LA MORT
Les changements dans la vie hospitalière ne s’arrêtent pas à ceux que nous
avons déjà signalés : changement dans la philosophie des soins et prise en compte
des proches de la personne malade. Ces pratiques qui ont été promotionnées par
les soins palliatifs existaient cependant déjà dans la grande majorité des services
de pédiatrie et dans quelques institutions s’occupant avec des soins des personnes
en fin de vie. Mais tout un effort a été fait et continue de se faire dans les grands
hôpitaux afin d’améliorer les pratiques dans ce sens. L’Assistance Publique-
Hôpitaux de Paris a réuni, il y a quelques années, une commission sur le thème
de la mort à l’hôpital ; elle a publié un livre de recommandations à mettre en
pratique progressivement « le décès à l’hôpital » où l’on peut mesurer les progrès
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qui sont en voie d’accomplissement. La création récente de l’Espace Éthique est
une autre pratique qui va dans le même sens.
une nouvelle occasion d’insister sur les diversités régionales des pratiques
funéraires. Des journaux de province, en Belgique et en Suisse et sans doute dans
d’autres pays encore, plusieurs pages sont consacrées à la rubrique nécrologique
et les différents avis tiennent souvent de la place. Dans les Flandres, de grandes
affiches imprimées en blanc et noir portant le nom des récents défunts sont
collées aux portes des églises.
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à tous les intéressés.
Les tendances actuelles telles qu’elles se discernent dans les enquêtes ci-
dessus et dans notre rencontre des pratiques funéraires vont dans le sens de la
réappropriation des rites, l’expression des émotions et la resocialisation de la
mort et du deuil. La réappropriation se manifeste particulièrement dans la person-
nalisation de plus en plus demandée non seulement des cérémonies auxquelles
les familles participent plus activement, que dans l’art funéraire où davantage de
diversité et d’originalité est demandée par la population. Mais il ne s’agit là que
d’une tendance qu’il ne faudrait pas voir comme universelle ; beaucoup de
familles s’en remettent encore plus ou moins complètement aux professionnels
funéraires auxquels sont déléguées maintenant de manière générale les forma-
lités administratives du décès.
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décembre dernier, le cycle sur la mort dans le cinéma au Forum des images au
début de l’année auquel plusieurs d’entre nous ont participé jusqu’à l’exposition
du Musée d’Orsay l’an prochain sur « le dernier portrait ».
Michel HANUS
Psychiatre, psychanalyste
Président de la Fédération Européenne Vivre son deuil
et de la Société de Thanatologie