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DANS LA PENSÉE DE LA MORT, DU RITUEL À LA SOLITUDE FACE À LA

MORT

Xavier Blondelot

Champ social | « Psychanalyse »

2020 | pages 28 à 60
ISBN 9791034605590
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Dans la pensée de la mort,


du rituel à la solitude face à la mort

Une pédagogie obsessionnelle ?


On pourrait se risquer à concevoir la névrose obsessionnelle comme le pen-
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dant pathologique de la formation religieuse, à caractériser la névrose comme
une religiosité individuelle et la religion comme une névrose obsessionnelle
universelle35.
Bien longtemps, les services religieux dévoués aux morts ont été
réservés à une élite cléricale et aux grands de ce monde. Pour la
plupart des laïcs, les rites étaient civils, imprégnés des croyances
28 - populaires, de rites païens laissant libre court aux émotions face à la
perte inéluctable. Ce n’est que dans le courant du XIIIe siècle que va
s’opérer la récupération de la mort par l’Église. Jusque-là, l’Église
n’intervenait que fort peu auprès des laïcs. Si ce n’est auprès des
illustres. Alors qu’elle ne proposait que l’absolution, elle va
s’approprier l’ensemble des rites et pratiques qui entouraient la mort :
la veillée, le deuil, le convoi, la préparation du corps etc. Ainsi des
pratiques qui laissaient libre cours à l’expression individuelle, sans
contrôle des émotions et sujettes aux débordements collectifs, vont
se retrouver très encadrées, emplies d’une solennité nouvelle. Au deuil
sauvage de la mort apprivoisée se voit substituée une version atténuée,
silencieuse et surtout codifiée36. Cependant, ce nouveau modèle
n’occulte pas complètement celui de la mort apprivoisée. Plusieurs
modèles coexistent dans l’histoire, se superposent. Chaque époque
offre des stratifications du traitement de la mort. Des traces de la
mort apprivoisée sont ainsi décelables jusque dans l’époque moderne,
essentiellement dans les zones rurales. Le contrôle exercé sur la mort
ne se fit pas sans difficultés, difficultés liées aux résistances des
systèmes déjà en place. La persistance de la pensée magique, des
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croyances populaires, firent entrave à une mise en place aisée du


conformisme religieux.
Cette cléricalisation de la mort procède d’un déplacement de la
mort au cœur de l’existence. La mort devient l’idée, la pensée de tous
les jours reprise dans l’économie du salut. Au fur et à mesure de cette
récupération, c’est une orthopédie religieuse qui s’instaure avec tout
ce que cela peut avoir de contraintes. Le salut, le Purgatoire, le
Jugement dernier, sont les thèmes clefs de cette domestication de la
mort, au sein de laquelle les eschatologies auront comme vocation le
contrôle des âmes.
Néanmoins, ce conformisme mis en place n’empêcha pas les
croyances populaires de perdurer conjointement de la Renaissance
jusque dans l’âge baroque. La pensée magique, nouvellement baptisée
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« superstitions », imprègne toujours les choses de la mort, y compris

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parmi les élites qui y recourent pour expliquer nombre de
phénomènes : maladies, rêves prémonitoires, croyances aux esprits.
Il faudra attendre les Lumières pour que ces croyances soient
véritablement inquiétées par le savoir nouveau. Les Eglises ont adopté
des attitudes variables à ce sujet, qui s’échelonnent selon deux
voies : la voie terroriste, qui réprime et proscrit, et celle de la - 29
transaction, ou du compromis. Dans bien des cas c’est la voie
médiane qui sera choisie : concilier les pratiques populaires issues de
croyances préchrétiennes avec les nouveaux dogmes. La pédagogie
terroriste se trouva en difficulté, notamment en ce qui concerne les
pratiques entourant la mort37. C’est justement à ce niveau, celui des
pratiques, que Freud commence par rapprocher la névrose
obsessionnelle de la religion.
[…] Le cérémonial névrotique consiste en petites pratiques, petites adjonc-
tions, petites restrictions, petits règlements, qui sont accomplis, lors de cer-
taines actions de la vie quotidienne, d’une manière toujours semblable ou
modifiée selon une loi38.
C’est d’abord dans la compulsion que religion et névrose
obsessionnelle se conjoignent, dans son caractère contraignant et
répétitif. Le cérémonial religieux et celui de l’obsessionnel procèdent
par la répétition et les coupures, les pauses qui viennent sanctionner
les rituels. Des ressemblances qui se traduisent aussi dans des
« remords anxieux en cas d’omission, isolement complet par rapport
à toute autre occupation (interdiction d’être dérangé), scrupulosité
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dans l’exécution du détail39. » Dans le même temps la dimension


solitaire de la compulsion chez l’obsessionnel répond à la récupération
de la mort par l’Eglise : celle-ci se coordonne à la montée de l’individu
au détriment du collectif. Cependant, en ce qui concerne la mort, les
principaux cérémoniels s’appliquent au groupe, il n’est pas encore
temps de sacrifier la dimension collective des pratiques funéraires. Ce
qui se différencie des compulsions obsessionnelles qui, elles, sont
affaire privée.
…La publicité, la présence d’une autre personne pendant son accomplisse-
ment, sont presque toujours exclues40.
L’obsessionnel, en général, se garde bien de partager ses
compulsions et cérémonials. Il y a donc ici divergence quant à
l’expression privée, singulière, des manifestations obsessionnelles là
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où la pratique religieuse s’adresse à la communauté. Le sens de l’une
s’adresse au collectif alors que les fabrications de l’obsessionnel ne
sont pas vouées à la communication, et bien souvent elles restent dans
le secret, dans l’intime. Les actions compulsionnelles n’en restent pas
moins chargées de sens, même si celui-ci échappe même à son
instigateur, si tant est qu’il les repère comme telles. Ces formations
30 - qui jouent bien plus sur le signifiant que sur le sens sont une façon
de composer avec la mort.
Les ressemblances se poursuivent dans le traitement opéré sur la
mort. L’une et l’autre procèdent par l’escamotage de la mort. Celle-
ci se retrouve ajournée, toujours remise à plus tard. Comme nous le
verrons c’est la dénégation et le déplacement qui sont mobilisés pour
composer avec la mort et le Réel attenant. Des pratiques qui ne
reconnaissent pas ce sur quoi elles s’appuient. Elles visent la
protection, contre les pensées hostiles, éventuellement criminelles, la
maladie, et tout un tas de choses qui gravitent autour de la question
centrale de l’obsessionnel : la mort. Les mesures de protection, via les
pensées et gestuelles, pour échapper à la mort ne visent toutefois pas
le même objectif dans les deux cas. La religion et l’obsession ne
redoutent pas le même malheur et n’ambitionnent pas la même
finalité. Pour la religion c’est le salut de l’âme qui est la visée, alors
que l’obsessionnel lui, lutte pour le salut de son autonomie
subjective41. Peur de la damnation d’un côté, peur de la folie de
l’autre. Pour la première, il s’agit de s’assurer de sa destinée dans l’au-
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delà, pour le second d’éviter que des malheurs s’abattent dans l’en-
deçà, sur soi-même mais aussi et avant tout sur les personnes proches
et aimées42.
À côté de ces rapprochements notables, il y a aussi des
divergences apparentes. Là où la religion a mis en place une
stéréotypie du rite, une orthopédie gestuelle, le cérémoniel
obsessionnel offre une grande variation, non codifiée selon une
norme, mais répondant à la singularité de chaque sujet. De même,
comme nous l’avons précédemment souligné, l’expression privée du
rituel obsessionnel ne s’oppose qu’en apparence au caractère public
de l’exercice religieux. En effet, cela constitue en soi plus une
opposition de forme que de structure. Les manifestations
obsessionnelles sont de l’ordre de l’expression privée, singulière, là où
la pratique religieuse s’adresse à la communauté. C’est une
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transposition de la sphère publique (du phénomène religieux) à la
sphère privée (chez l’obsessionnel), certes. Mais plus encore, une autre
différence attire notre attention. La question du sens.
[…] Les petites adjonctions du cérémonial religieux sont conçues comme
symboliques et chargées de sens, tandis que celles du cérémonial névrotique
apparaissent comme ineptes et dénuées de sens43.
- 31
Le cérémoniel religieux adresse du sens à la communauté. Aux
travers des ontologies, c’est apporter des possibilités de réponse au
« que suis-je ? » auquel appelle chaque sujet. La religion, c’est la
réponse44. C’est venir donner réponse à la question de l’être, donner
du sens à l’existence et ainsi soutenir le rapport du sujet au Réel. Les
manifestations religieuses, y compris les rituels, sont porteuses de
cette diffusion du sens. Le sens y semble directement accessible, alors
que les idées et les manifestations obsessionnelles en semblent
dénuées. Pourtant, les actions compulsionnelles sont tout autant
chargées de sens, mais un sens inapparent au premier regard. Y
compris pour l’obsessionnel lui-même qui, bien souvent, ne repère
pas ses actions compulsionnelles comme symptomatiques. Or, avec
la mort, l’imaginaire est le domaine de prédilection de l’obsessionnel.
Ses cérémoniels sont emplis de sens, mais d’un sens qu’il méconnaît.
C’est-à-dire d’un sens qui n’est pas absent, pas indisponible mais qui
lui échappe. Et pour cause, l’obsessionnel c’est le principe de la
conscience45, c’est celui pour qui l’appui sur son Moi et sur la
rationalisation est prévalent à toute détermination inconsciente.
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Au terme de cette mise en confrontation, nous postulons que le


traitement de la mort par la religion est une pédagogie obsessionnelle.
Au travers des rites, gestuelles, pensées qui s’imposent, religion et
névrose obsessionnelle se coordonnent sur la question de la mort.
Une pédagogie qui va forcer le trait jusqu’à devenir une orthopédie de
la mort, une contrainte de tout instant. Elle va se rigidifier jusqu’à sa
mise à mort par les Lumières.

La préparation de toute une vie, en attendant la mort


Avec la nouvelle pédagogie religieuse de la mort, c’est un
déplacement qui s’opère. Celui de l’instant de mourir, ce presque-
rien46, à une diffusion sur l’ensemble de l’existence. L’effusion
collective qui entourait le moment de la mort, celui de l’agonie dans
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la chambre du mourant alité, va être délaissée pour être remplacée
par la méditation, la pensée de la mort tout au long de la vie. Ce qui
était concentré dans l’instant final du gisant au lit malade, agonisant,
laisse place à une réflexivité de tout instant.
Pour mourir bienheureux, à vivre il faut apprendre.
Pour vivre bien heureux, à mourir faut apprendre47.
32 -
Les gestes et rites n’en demeurent pas moins présents, mais ils
vont se trouver peu à peu vidés de leur dramaturgie, et codifiés selon
l’orthopédie nouvelle. Plus question du dolorisme, de l’exaltation
autour de la mort. La mort subite et brutale a perdu de son caractère
terrifiant. La mort du juste, de celui qui a pensé sa propre mort tout
au long de la vie, et pas simplement dans l’instant final où elle
s’annonce, va devenir la mort exemplaire. La bonne mort ne fait plus
signe, elle n’est plus annoncée, mais elle n’en reste pas moins acceptée
et paisible. Si cette bonne mort garde le même caractère public,
disparaître sans s’en apercevoir prend la place de la longue agonie
emplie de peine et de souffrance. C’est globalement une vision de la
vie plus ascétique, basée sur le renoncement, la répression des choses
de la vie bien plus qu’une valorisation de la vie au détriment de la
mort. Sobriété, modération, tempérament, sont les maître-mots de
cet art de mourir tout au long de la vie.
Une pensée qui s’oppose donc à l’avaritia, soit à la jouissance
immodérée des biens de ce monde, y compris l’amour porté aux êtres
chers. Cette pédagogie n’épargne personne, quel que soit l’âge. Elle
« insiste auprès des enfants sur la précarité de l’existence, la dureté de
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la séparation d’avec leurs parents »48. L’amour des choses de ce monde


ne devrait pas se substituer à l’amour de Dieu. Au même titre que la
sorcellerie, l’avaritia est synonyme d’association avec le Diable. Ce
qui fait tant peur n’est pas la mort en elle-même, car son instant se
trouve escamoté, mais bien la damnation qui contraint les âmes dans
cette pédagogie nouvelle.
Nous retrouvons ici aussi une analogie avec la névrose
obsessionnelle. Car, comme la religion, la névrose obsessionnelle
procède par le renoncement aux motions pulsionnelles, duquel
découle la conscience de culpabilité attenante, du fait des aspirations
mises en silence. Répression en particulier des motions agressives, qui
sont à la base de la constitution obsessionnelle. Ce qui n’est pas sans
rappeler que toute mort équivaut à un meurtre. Dans le même temps,
une attente anxieuse se profile, la crainte d’un châtiment, d’une
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punition à venir. La différence se fait dans la tendance asociale que
représente la névrose au contraire de la religion. Les actions
compulsionnelles, les cérémoniels, expriment la culpabilité effet de
cette répression. Mais de manière déplacée. L’élément concernant
l’objet en cause dans le rituel ou la pensée, a subi un déplacement.
Ce n’est que le substitut de la cause, de ce sur quoi porte
- 33
l’interdiction. La religion n’est cependant pas exempte du recours au
déplacement. Au gré du temps, le motif de la répression n’est plus le
même que celui qui était à la base du renoncement édicté, d’où les
réformes répétées pour revenir aux origines des dogmes et des
pratiques. Cela s’observe notamment dans les remaniements des
eschatologies, le Jugement, le Purgatoire, ou encore les appels à un
retour à la « vraie religion ». Ainsi l’objet des pratiques concernées
n’est que la métaphore d’un élément premier ignoré. Ce qui se
comprend dans le cas de la névrose obsessionnelle du fait que
l’obsessionnel est un homme qui vit dans le signifiant49. Le principe
du signifiant est la substitution : une chose ne fait qu’en représenter
une autre. Les actions compulsionnelles de l’obsédé aussi bien que
les pratiques religieuses portent sur du signifiant. Les pratiques qui
entourent la mort sont des pratiques du signifiant. De même que
l’obsession est toujours quelque chose de verbalisé50, les rites, les
cérémonials, les préceptes mis en place en appellent au signifiant.
C’est bien parce qu’il parle que l’homme déploie des rites funéraires,
tout autant que c’est parce qu’il parle qu’il doit composer avec la
mort. Les animaux n’ont pas de rites funéraires.
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Qu’est-ce que c’est que les rites funéraires ? Les rites par quoi nous satisfaisons
à ce qu’on appelle la mémoire du mort, qu’est-ce ? si ce n’est l’intervention
totale, massive, de l’enfer jusqu’au ciel, de tout le jeu symbolique51.
Vivre dans la pensée de la mort c’est rendre la mort toujours
présente, c’est faire de la mort l’exercice du Symbolique. S’appuyer
sur le Symbolique pour composer avec le Réel, et ainsi faire subsister
l’Autre même s’il est en position idôlifiée.
Cette pédagogie va se muer en orthopédie. Elle dicte les
comportements et les pensées de tous les jours. Ceci dans la visée de
la préparation à la mort avec comme mot clef : je meurs tous les jours.
Une préparation de tout instant, le repentir dans les derniers souffles
de vie ne suffit plus. Une méthode qui s’apparente à du terrorisme
du fait de sa rigidité, qu’elle concerne actions, paroles, pensées, mais
aussi par le fait qu’elle cherche à annihiler tout ce qui provient des
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croyances populaires, de la sorcellerie et de la magie. Ce qui inclut
aussi une lutte contre une partie des rites et pratiques mis en place
comme la veillée ou encore le banquet funèbre. Cependant, cela ne
se fera pas sans mal, en particulier dans le milieu rural où la résistance
est vive, mais aussi dans l’ensemble de la population et même parmi
les élites.
34 -
Dans Hamlet nous pouvons observer les signes d’une telle
résistance. Au modèle religieux auquel font référence des éléments
comme le Purgatoire, s’immisce des éléments propres à l’avaritia. En
particulier le rapport à la nourriture. Le banquet y est bien présent.
Ou encore l’apparition du ghost qui ne respecte pas les codes du
Purgatoire et ses fins. Les passions humaines y sont exaltées, bien loin
des préceptes de modération propres à la pédagogie religieuse de la
mort exercice de toute une vie.
En réponse à cette tentative d’éradication des croyances
populaires nous assistons à une épidémie de sorcellerie, ainsi qu’à la
profusion de diables et démons dont le firmament se situe aux XVIe
et XVIIe siècles52. La figure du sorcier de ce temps pris naissance aux
alentours du XIVe siècle, et a été accompagné au fil du temps par une
littérature visant à diaboliser ces croyances et pratiques avant que cela
ne s’apaise au XVIIe avec l’arrêt de la chasse aux sorcières. Le névrosé
obsessionnel, et à degré moindre pour les autres névrosés, n’est pas
exempt du recours à la pensée magique. Croyances et superstitions
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ont une place importante dans la phénoménologie obsessionnelle. La


pensée magique, la toute-puissance des idées, y côtoient le mode
religieux de concevoir le monde. Nous insistons : le monde de
l’obsessionnel c’est la pensée, pas la seule pensée religieuse.
L’obsessionnel est très essentiellement quelqu’un qui est pense. Il est pense
avarement. Il est pense en circuit fermé. Il est pense pour lui tout seul53.
Ce qui fait que l’obsessionnel trouve aussi bien son compte dans
les croyances populaires que dans la pensée scientifique. À la
différence près que ces différentes pensées n’ont pas le même rapport
au temps et à la finitude. Ce qui place l’obsessionnel dans des logiques
subjectives différentes.
Le nouveau discours officiel, après avoir exorcisé les morts de l’imagination
populaire a placé la mort au cœur de la vie54.
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Méditations sur la mort, exercice de toute une vie. Avec un
leitmotiv : « une bonne mort est la sanction normale d’une bonne
vie. »55 Soit la résultante d’une vie qui s’est soustraite aux satisfactions
de l’existence, aux vanités. Mourir tous les jours, cela s’apprend. Qui
dit pédagogie, dit manuels, méthodes. La vie y est enseignée comme
un apprentissage continu, une longue préparation pour l’au-delà. - 35
L’art de mourir est un exercice quotidien. D’où l’édition de plus en
plus nombreux manuels, la préconisation de méthodes pour
accomplir au mieux les exercices quotidien au niveau paroissial, de
la famille mais aussi et avant tout de l’individu dans son cadre intime.
Ce qui implique tant des pratiques collectives que des exercices
individuels suivant un canevas clairement établi avec thèmes et
accessoires associés. À défaut d’un exercice quotidien, une périodicité
régulière est prescrite. Méditations sur le crâne, qu’il soit toisé du
regard, soutenu de la main ou encore qu’il fasse oreiller comme le
montre les tableaux et œuvres iconographiques de l’époque. Parfois
c’est le squelette tout entier ou bien par morceaux qui est le support
de la méditation. Le summum est atteint avec la cogitation sur sa
propre agonie, dans son lit en attente de la mort. D’autres supports
de méditation sont proposés par les manuels, comme le crucifix, ou
de saintes lectures au rang desquels la Passion du Christ tient une place
de premier ordre. De multiples méthodes et pratiques fleurissent
pendant des siècles pour cette ascèse de la mort au quotidien. Une
pédagogie qui peut pousser très loin dans la voie de l’acceptation de
la mort, peut aller jusqu’à la rendre désirable.
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Demeurons fermes dans la Foi, bravons généreusement la mort, si nous la re-


gardons avec les yeux de la Foi nous n’y trouverons rien de terrible, au
contraire, elle nous paraîtra douce et agréable, et à la fin nous nous apprivoi-
serons avec elle, mais il la faut envisager à tout moment et nous la rendre fa-
milière, si nous voulons la trouver belle. Il faut l’aimer et la désirer…56
Cette pédagogie incite à un exercice de la mort au quotidien,
contraignant, répétitif, jusqu’au dernier souffle, avec comme seule
limite l’instant de la mort. Une mort qui se doit d’être acceptée,
sereinement, sans effusion. Une pratique assidue qui se prête bien à
la productivité de l’obsessionnel. Son effort de pensée continu y
trouve son compte dans cet exercice de toute une vie. Produire du
signifiant aux travers des cogitations, des méditations, des gestuelles
et rituels est motivé par le fait que la bonne mort soit souhaitable,
mais avant tout pour son pendant. Si l’orthopédie religieuse véhicule
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la peur du trépas, c’est avant tout la damnation qui est redoutée. Ce
qui place chacun dans une position d’attente. Une attente anxieuse
de l’instant à première vue, mais plus encore de l’après.

Dans l’attente de la mort, dénégation et vérité


36 - Que la mort fasse peur ou qu’elle soit désirable, cela enjoint
qu’elle soit attente, qu’elle se fasse attendre. Ce qui implique un
rapport au temps particulier. Dans le modèle de la mort apprivoisée
l’attente coïncide avec l’apparition du signe. L’homme se met à
attendre la mort à partir du moment où il en repère un signe. Dans
le modèle religieux de la vie dans la pensée de la mort, cette attente
est perpétuelle. L’homme ne cesse de l’attendre, d’y penser tout
comme l’obsessionnel. Position d’attente d’un malheur, d’une
sanction, d’un châtiment, en lien avec la mort de soi, de l’autre ou
bien d’un malheur plus grand encore.
Une attente en lien étroit avec l’aspect terroriste de cette
pédagogie, qui suscite les visions du trépas et les châtiments auxquels
est soumis l’homme après le grand passage. À tel point que la mort
peut être souhaitée car elle devient délivrance de ce climat anxiogène.
C’est « la fin du pèlerinage, une bénédiction, le moyen d’échapper à
la misère et au péché »57. Tout autant que la mort signe la fin de la
jouissance à laquelle l’obsessionnel s’efforce d’échapper. L’obsessionnel
en se mortifiant échappe à la vie, à la jouissance de la vie. La mort
est pour lui une échappatoire à la jouissance. La mort est ainsi attente,
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parce qu’elle marque la fin de la pénitence sur terre dans l’en-deçà,


tout comme elle signe la fin des souffrances terrestres. Avec la
promesse d’une délivrance dans l’au-delà.
Une attente en rapport aussi au savoir. L’homme de cette époque
contrairement à celui d’aujourd’hui ne savait ni le quand ni le
comment de la mort. Alors que de nos jours, tout semble si
illusoirement sous contrôle, que nous semblons avoir une certitude.
Du temps de la vie dans la pensée de la mort, elle ne pouvait qu’être
attendue dans l’incertitude de sa venue. Vivre dans la pensée de la
mort, c’était vivre dans son attente. L’homme ne réalisait pas sa mort,
dans le sens où ses déterminations objectivables lui échappaient.
L’homme méconnaissait la mort dont il faisait pourtant une
orthopédie.
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[…] L’élément essentiel de la structure, qui est celui justement mis en valeur
au maximum par la névrose obsessionnelle, c’est qu’une des fonctions du désir,
la fonction majeure chez l’obsessionnel, c’est, cette heure de la rencontre dé-
sirée, la maintenir à distance, l’attendre. […] Ce jeu avec l’heure de la ren-
contre domine essentiellement le rapport de l’obsessionnel58.
Une attente qui se fait procrastination. La mort est toujours
remise à plus tard. Poussée vers une seconde mort qui permet d’éviter - 37
la première, celle de l’instant létal. La mort est transposée dans l’après,
c’est toujours pour plus tard. Cette attente permet de s’en protéger.
Jouer avec le temps, avec l’heure, ce qui se retrouve dans l’exercice de
la dénégation tant dans la pensée religieuse que chez l’obsessionnel
qui se fait méconnaissance de l’Instant. C’est une mort imaginaire
qui est articulée, celle qui est sujette à la peur du trépas, pas la mort
en tant que Réel qui vient mettre fin à l’existence. Un jeu imaginaire
en somme qui fait que la mort est remise à plus tard, l’heure de la
rencontre étant toujours remise au lendemain. Ainsi la mort pour
l’obsessionnel est toujours un acte manqué59 ; elle est au cœur de son
interrogation mais arrive toujours par inadvertance. Pour qu’elle soit
un acte réussi encore faudrait-il qu’il y ait une conscience de l’Instant,
de la reconnaître comme telle. C’est donc bien d’une dénégation qu’il
s’agit dans cette façon d’éviter la mort dans sa concrétude. D’ailleurs,
bien que sa mort soit pensée pour lui-même, ce n’est pas
l’obsessionnel que la mort concerne directement, mais toujours un
autre, un proche ou inconnu à peine croisé, qui peut se trouver affecté
par la mort par transposition. Comme dans l’ensemble de ses actes
où il y est sans y être. Ça parle de la mort, ça pense à la mort, mais
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celle-ci se trouve escamotée. La religion consiste en un évitement de


la mort, en la repoussant à plus tard ou en l’annulant du fait de la
métempsycose, des réincarnations. La mort entre dans le calcul, mais
en tant qu’elle est surmontée au travers d’une solution qui s’appuie
sur l’immortalité de l’âme.
Dans toutes ses formes, le traitement de la mort procède par la
négation. Cependant, chaque négation renvoie à une logique
subjective différente, à une autre composition avec le Réel que
représente la mort. Dans le cas de la religion c’est la dénégation qui
vient faire lien au Réel. C’est reconnaître que l’homme est mortel
tout en ne l’acceptant pas. Certes il y a la mort au bout du chemin
mais ce n’est rien. C’est la négation de la négation radicale. Il faut
penser à la mort tous les jours, mais la mort n’est rien, ce n’est qu’un
passage. Faire que la mort ne soit rien, ne fait que la renforcer. D’où
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la terreur que provoque la religion à son sujet. Malgré la promesse de
la délivrance en un autre monde, reconnaître la mort sans l’accepter
a des effets. Quand nous serons morts, nous serons encore vivants,
mais en un autre lieu. Ce qui est articulé par cette pensée c’est la non-
acceptation de l’être mortel pourtant reconnue, mais de suite annulée
par les eschatologies dans la visée de la vie éternelle. Oui il y a la mort,
38 -
mais ce n’est qu’un passage vers une autre vie. La mort n’est pas court-
circuitée, mais elle n’est reconnue que partiellement. La religion
méconnait la mort en lui donnant une structure imaginaire au travers
des fins dernières. C’est la dénégation de la mort en tant que le
parlêtre, de naître au langage, est un être mortel. C’est sa condition
de mortel qui n’est pas acceptée. Là en masque le côté Réel. La
religion procède du traitement de la mort par la Verneinung en tant
qu’elle procède à une négation de la mort au travers des eschatologies,
des fins dernières, et de toutes les élaborations de l’au-delà. C’est un
soin palliatif de l’ici-bas pour se prémunir de l’Instant sous fond de
promesse de continuité dans l’autre monde. Elle n’évide que
partiellement la mort, parce que tout en l’escamotant, elle s’appuie
dessus et lui donne sens. C’est d’ailleurs un de ses principaux effets
que de donner du sens au vide qui nous constitue. Et c’est ce qui sera
perdue avec la fin des ontologies.
Cette mort précieuse n’est donc pas la Cité céleste, mais elle en est la porte ;
elle n’est pas la terre des vivants, mais elle est le port assuré après les orages de
la mer du monde ; elle n’est pas le Paradis des délices, mais elle en est l’avenue ;
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elle n’est pas le triomphe où les justes doivent recevoir la couronne, mais elle
est la dernière victoire qui leur assure l’un et l’autre…60
La religion en recourant à la dénégation s’appuie sur la mort
comme vérité, tout en la renvoyant aux fins dernières. La mort n’est
ici pas la fin du voyage, le terminus est repoussé à plus tard. La mort
est un insu fondamental. L’insu qui est un autre nom de l’inconscient,
pris dans sa dimension d’inconscient Réel. C’est sa dimension
impossible. Dans le même temps, tout être est condamné à la même
issue funeste, ce qui la rend nécessaire : nécessité de périr. La mort
est ainsi à la fois impossible et nécessaire, c’est l’impossible-nécessaire
au-delà de toute considération logique, si ce n’est celle du langage.
La vérité, si vous le voulez, pour vous le faire sentir, étant ici à repérer, à re-
gistrer comme la question sur le rapport le plus essentiel au sujet, à savoir son
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rapport à la naissance et à la mort en tant que tout ce qu’il en est de lui est
dans leur intervalle. Ceci est la question de la vérité, au sens où je définis la
vérité comme celle qui dit : « moi la vérité je parle ». C’est de ceci, c’est de
nos fins dernières que la vérité a à nous dire quelque chose61.
Par vérité il n’est pas question de la correspondance avec la réalité
ou de l’adéquation avec quelconque objet. La vérité n’est pas la
transcription de la réalité. Si la vérité ne s’appuie pas sur le sensible
- 39
et l’intelligible, ne prend pas appui sur la fonction du regard, c’est dû
au fait que chez l’homme elle est déterminée, tient sa garantie, par
l’entrée dans le langage et l’usage de la parole. La vérité ne peut ainsi
émerger que dans les faits de parole, dans les formations de
l’inconscient : rêve, lapsus, acte manqué, mot d’esprit, acting out,
symptôme, etc. Mais, si elle se fait jour comme cause de ces
mécanismes psychiques, elle n’y est qu’en partie du fait qu’il n’y a pas
de métalangage qui viendrait énoncer une vérité toute : elle ne vient
pas énoncer le vrai sur le vrai. Cette lacune tient au fait qu’elle est en
lien avec le Réel. Vérité et Réel se tiennent de l’impossible, à tout
dire en l’occurrence. D’être liée à cet impossible, la vérité ne s’en
trouve possible à énoncer que par bribes mais jamais en entier. Ce
manque incurable tient de la limite qui définit la vérité : le statut de
la vérité repose sur le fait de la parole sur fond de l’expérience
mortelle, la mort étant à la fois la limite et l’origine de toute
énonciation.
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Limite, frontière, bord, tels sont les termes dont il s’agit. La part de la vérité
est celle de notre limite entre la naissance et la mort, limite en tant que sujet,
et tout ce qui est du savoir, c’est l’ensemble ouvert qui est compris dans l’in-
tervalle62.
La limite entre la naissance et la mort, c’est là que se situe la
vérité. Cette limite marque dans le même temps sa distinction d’avec
le savoir, soit l’inconscient. Une séparation qui s’articule autour de la
fonction du bord, soit du voisinage avec le Réel. La vérité prend appui
sur la limite de la naissance et de la mort là où le savoir, étant compris
dans l’intervalle fermé par ces limites, reste sourd aux questions de la
naissance et de la mort. L’inconscient ne sait rien de la mort :
l’homme peut s’en faire des idées somme toutes imaginaires, peut
l’appréhender par le langage, mais ne peut pas se la représenter. La
mort est ce que l’homme est supposé ne pas savoir.
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Dans cette configuration où la vérité s’articule de la limite, un
monde sans limite63 est un monde sans la limite de la mort en tant
que Réel. Celle de la naissance est à jamais révolue : nous savons
quand nous sommes nés, ou du moins il est peu aisé de nier sa
naissance, mais nous ignorons la date de notre mort à venir. Certes,
il fut des époques pas si lointaines où les actes de naissance n’étaient
40 -
pas des choses tangibles, où la date de la naissance était insue avec
précision, mais chacun était conscient d’être né, d’exister. Alors que
l’Instant de la mort est sujet à discussion, laisse en proie à
l’incertitude : la mort joue avec la limite et la temporalité. Ou plutôt,
la mort et la temporalité se conjoignent en tant que le sujet y est en
question dans son indétermination et sa vacuité. C’est d’ailleurs dans
l’attaque de la mort comme limite de l’existence que porte l’action
des Lumières contre la religion. Le projet des Lumières consiste dans
l’éradication de la mort, la mort n’est plus rien. Mettre fin aux
eschatologies et aux pratiques entourant la mort, c’est la réponse
trouvée pour mettre fin à l’emprise de l’Eglise et son agitation des
craintes de l’au-delà. Ce qui se traduit conjointement par le rejet de
la vérité comme cause par la science telle que définit par Lacan selon
le modèle aristotélicien : cause efficiente, cause finale, cause matérielle
et cause formelle.
La fonction qu’y joue la révélation se traduit comme une dénégation de la vé-
rité comme cause, à savoir qu’elle dénie ce qui fonde le sujet à s’y tenir pour
partie prenante64.
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La religion traite la vérité par la dénégation et donc ce faisant la


renvoie après l’Instant. De même que la mort est renvoyée au
jugement divin, la religion délaisse à Dieu la responsabilité de la
vérité. La révélation renvoie la vérité aux fins dernières : une vérité
qui donc procède de la cause finale. Le sujet est ainsi destitué de son
accès à la vérité et il s’en remet à un Autre qui assigne également un
sens à son être et à sa finitude. Les pratiques sont orientées par un
Dieu qu’il faut séduire et l’installation de la vérité dans une position
de culpabilité attenante. L’homme se trouve ainsi assujetti à une
temporalité qui se fait attente.
Dans la magie, à laquelle s’apparente sur certains points le
modèle de la mort apprivoisée, la négation de la vérité est l’œuvre du
refoulement. Comme pour la religion, la vérité y est opérante mais
le sujet n’y est pas partie prenante. Le sujet croit dans l’efficacité des
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pratiques, le savoir n’y est pas communicable. La vérité répond en
l’occurrence de la cause efficiente : la cause est recherchée dans les
manifestations extérieures, dans l’environnement et la nature.
L’homme mobilise la nature, ce qui fait que le Réel y est au mieux
articulé. Mais le savoir reste inaccessible. La magie correspond au
repérage du signifiant au travers des éléments naturels qui font signe.
- 41
La mort y est repérée dans les signes, là où le croyant chrétien s’en
remet à Dieu. La temporalité y est immanente dans le sens où elle
répond à l’ordre de la nature. La magie fait parler la nature, elle opère
par le repérage de signifiants au travers des phénomènes naturels, ou
de simples percepts venant faire réponse. Elle compose avec la nature
et avec la mort là où la science n’aura de cesse de les faire taire :
composer avec le Réel contre éviction du Réel.
La science en ce qui la concerne s’oppose à la magie et à la
religion considérées comme moindres savoirs tout autant qu’elle
propose un traitement de la mort autre. Le savoir scientifique est
communicable dans sa dimension de savoir absolu, mais de la mort
il n’en veut rien savoir. Pour la science, dans le prolongement de
l’esprit des Lumières, la mort est l’ennemi à abattre. Ce rejet de la
mort préalablement repéré induit une Verwerfung similaire de la vérité
comme cause : la science répond par l’exactitude en lieu et place de
la vérité. Du fait de l’éviction de la mort comme limite, la cause est
ici repérée comme cause formelle avec comme conséquence un
rapport au temps équivalent à celui de la psychose. Faute d’appui sur
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la limite du Réel, le temps se trouve être circulaire, pris dans une


répétition infinie.
La vérité y est (dans la religion) renvoyée à des fins qu’on appelle eschatolo-
giques, c’est-à-dire qu’elle n’apparaît que comme cause finale, au sens où elle
est reportée à un jugement de la fin du monde65.
La façon dont la religion diverge de la magie et de la science dans
le traitement de la mort repose sur une mobilisation différente de la
négation, de la temporalité et de la part prise par le sujet. La mort se
fait attente, voire désirée, sur fond de dénégation de l’Instant d’où le
sujet méconnaît son implication. Ce qui octroie une place éminente
aux fins dernières et autres histoires de l’au-delà. Dieu porte la charge
de la finitude dans la perspective du Jugement dernier et les divers
aléas de l’au-delà. Nous allons voir en quoi consistent ces fins
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dernières, avec pour modèle l’invention de la fin du Moyen-âge, le
Purgatoire, sur fond d’une réflexion plus générale sur les eschatologies
et leur implication en terme de mutation de la subjectivité.

Le Purgatoire, une eschatologie reflet des mutations en cours


42 - Les indulgences, les messes et prières d’intercession furent aux morts du
IXe siècle ce que les pénitences tarifées étaient aux vivants : on est passé du
destin collectif à la destinée particulière66.
La religion a repoussé la mort aux fins dernières avec comme
conséquence, voire comme mobile, l’exaltation de la crainte de la
damnation. Agiter les peurs du trépas, mais aussi apaiser en venant
faire réponse, en donnant du sens aux mystères de l’existence. Dès la
naissance, l’homme se retrouve face à la mort, démuni. L’animal lui
n’a pas affaire à la question de la mort. La religion se fonde sur cette
détresse infantile spécifique de l’homme67 qui le place en état
d’éprouver la mort dès les premiers instants, bien avant qu’elle ne soit
pensable68. Cette prématurité constitue le manque à être sur lequel
les eschatologies s’appuient pour donner consistance à l’être, donner
un sens à la question irrésolvable du « que suis-je ? » et à la finitude.
La religion ainsi procède du contrôle des âmes par la peur et dans le
même temps vient apporter les garanties du trépas. Un mouvement
oscillatoire entre inquiétude et sécurisation du devenir. Ce qui
correspond aux deux lieux de l’au-delà que sont le Paradis et l’Enfer.
Mais c’est avec la création d’un troisième lieu au XIIIe siècle que va
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s’opérer massivement une appropriation du traitement de la mort,


qui ne concernera plus seulement les clercs. Il faudra attendre le
XVIIe siècle pour que le Purgatoire atteigne le succès populaire,
imprègne les discours et pratiques de l’au-delà. Une avancée à
nuancer aussi car elle est le fruit de la seule Église catholique.
Protestants et orthodoxes, entre autres, ne reconnaissent pas ce
troisième lieu inventé de toute pièce pour répondre aux circonstances
de l’histoire.
Ce troisième lieu qu’est le Purgatoire illustre la correspondance
entre le discours religieux et l’évolution de la société. C’est une
invention, car il ne figure nulle part dans les textes sacrés. Il est venu
répondre à l’émergence de l’individualisme en Occident tout en
s’appuyant sur les progrès scientifiques de l’époque. Ce qui lui donne
une place des plus intéressantes parmi les eschatologies. Il marque le
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changement qui s’opère dans la subjectivité par le passage du destin
collectif au destin individuel. Il répond à une demande d’un lieu où
les âmes en peine puissent trouver asile, cessent d’errer69. Avec lui
apparaissent les idées de rachat, de tarif, de dette dans les destins de
l’individualité de l’âme, auparavant absents des réflexions
eschatologiques. Ce qui s’explique par les progrès de la mathématique
- 43
au XIIe siècle. L’orientation judiciaire aussi prend un nouvel essor.
Cela signifie aussi que la perspective du jugement collectif passe au
second plan en même temps que s’amorce l’intérêt pour la destinée
individuelle. Ce qui est avant toute chose un traitement de l’âme
pensée comme immortelle, le corps n’étant pas au cœur des
préoccupations, bien qu’il faille s’en occuper70.
Le Purgatoire est toujours une arme politique aux mains de l’Eglise71.
L’organisation du Purgatoire au XIIIe siècle répond certes d’une
part à l’évolution sociale, mais c’est aussi un instrument du pouvoir
religieux. Pouvoir sur les âmes, sur la population, pouvoir
dogmatique au sein de la chrétienté. Une arme politique de l’Église
catholique contre les protestants et les Grecs, les réformés ne voulant
pas admettre un troisième lieu absent de l’Écriture. La réforme
trouvera d’autres voix pour répondre à l’évolution populaire et les
nouvelles craintes de la mort et de l’au-delà. Rejet du troisième lieu,
mais aussi de la préparation à la mort pendant toute la vie,
dédramatisation du dernier passage et suppression de l’après-mort.
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Les différentes solutions se rejoignent tout de même dans l’oscillation


entre salut et damnation. Côté catholique, le purgatoire vient prendre
une place intermédiaire entre le Paradis et l’Enfer, qui symbolisent le
salut et la damnation, l’espoir et la peur. La nouveauté du Purgatoire
par rapport aux autres eschatologies est de permettre au plus grand
nombre d’espérer le salut, même à ceux pour qui le jugement semblait
certain, la damnation assurée. Nombre de péchés gravissimes, d’actes
impardonnables donnant droit jusqu’alors à un aller simple pour
l’enfer, bénéficient d’un stage de rattrapage vers le salut. Les
professions honteuses, les criminels ou encore les victimes de mort
subite peuvent, si leurs proches en acceptent la charge, racheter leurs
fautes durant ce séjour transitoire. Le Purgatoire amène l’espoir
moyennant rétribution. Cette nouvelle configuration de l’au-delà
donne de l’espoir même aux usuriers, ce qui fera énoncer à Le Goff
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que nous avons peut-être là l’expression des prémisses du
capitalisme72.
Avec le Purgatoire apparaissent de nouvelles attitudes à l’égard du nombre,
du temps et de l’espace. À l’égard du nombre, car le Purgatoire va introduire
dans l’eschatologie un calcul qui n’est pas celui des nombres symboliques ou
de l’abolition de la mesure dans l’éternité mais au contraire un comput réaliste.
44 - Ce comptage est celui de la pratique judiciaire. Le Purgatoire est un Enfer
non à perpétuité mais à temps73.
La comptabilité apparaît dans les considérations de l’au-delà : le
chiffrage prend la place d’un jugement qualitatif et renvoie au passé
les Apocalypses qui ne font plus recette. Les notions de rachat, tarif,
durée, cumul, proportionnalité, apparaissent avec l’idée de
transactions entre l’en-deçà et l’au-delà. Ce qui suppose d’avoir
entretenu de bonnes relations ici-bas avec quelques-uns qui
accepteront de payer les suffrages nécessaires pour le salut de l’âme.
En général, conjoint, famille, ami, marque de l’essor de l’affectivité
nouvelle. Le calcul entre dans les considérations de l’au-delà en même
temps que la dimension judiciaire prend de l’importance dans la
société. Le jugement quantitatif remplace le qualitatif, le chiffre est
en marche.
Le schéma temporel du Purgatoire tel qu’il s’exprime dans les apparitions et
qu’il se révèle dans les rapports entre les vivants et les morts peut se décrire
ainsi : peu de temps après la mort (quelques jours ou quelques mois, rarement
davantage) un défunt dans le Purgatoire apparaît à un vivant auquel il était
lié sur cette terre, l’informe plus ou moins longuement de sa situation, de
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l’au-delà en général et du Purgatoire en particulier et l’invite à accomplir lui-


même ou à faire accomplir par quelque autre parent ou personne proche, ou
par une communauté, des suffrages (jeûnes, prières, aumônes et surtout
messes) en sa faveur. Il lui promet de l’avertir dans une prochaine apparition
de l’efficacité (ou de l’inefficacité) des suffrages accomplis. Cette réapparition
peut se faire en un ou deux temps s’il y a une première apparition le mort in-
dique en général au vivant quelle portion de sa peine a déjà été rachetée74.
La population s’est appropriée bien souvent le Purgatoire de
manière partielle, elle s’en est imprégnée sans pour autant rejeter les
croyances anciennes. Le purgatoire a orienté les pratiques, le folklore
d’une époque sans impliquer que tous y adhérent docilement et
intégralement. Dans Hamlet, les vicissitudes du ghost illustrent bien
les libertés prises avec le dogme. S’il y est bien fait référence au
Purgatoire, avec le revenant qui doit être purgé par le feu pour ses
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péchés, les codes ne sont pas respectés à la lettre. Le ghost vient du
troisième lieu, cherche à rentrer en communication avec son fils,
l’informe de sa situation, des peines qu’il endure, mais aussi du
comment de sa mort. Ce qu’il énonce est de l’ordre de la vengeance
personnelle, un péché de plus. Les passions de l’âme sont au premier
plan. Aucune demande de rédemption n’est formulée. Le ghost ne
vient pas demander des suffrages à son fils. Point question de messes, - 45
de prières, de legs, de dévotions ni de marchandage avec l’au-delà.
Pas question de rachat, de rédemption ou de quoi que ce soit de cet
ordre. Il n’est pas question d’espoir dans Hamlet, alors que c’est ce
qu’offre le Purgatoire. Le drame shakespearien témoigne du fait que
le succès du Purgatoire repose, chez les laïcs, avant tout sur
l’imaginaire qu’il développe. Bien que l’Église veuille lutter contre
cette propension imaginaire, que les croyants en reste au message75.
L’imaginaire permet de dompter les peurs de l’au-delà et de l’errance
des âmes. Les fins dernières sont des fictions qui ont valeur de
métaphores. Elles permettent de composer avec la mort en apportant
des garanties sur le trépas. Les eschatologies compensent l’horrible
de la mort première, celle physique, en repoussant la vérité à la
seconde mort, celle de la damnation éternelle dont le Purgatoire vient
adoucir la perspective. Les craintes du trépas sont des craintes somme
toute imaginaires. Les eschatologies du fait qu’elles servent à donner
du sens, à donner une réponse à la finitude, relèvent de l’imaginaire.
Mais c’est un imaginaire qui n’est pas sans histoire, contrairement
aux moyens modernes de dénier la mort. C’est au Moi qu’elles
s’adressent. C’est une mort imaginaire tout comme chez
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l’obsessionnel la mort est une mort imaginaire du fait de son


attachement prévalent au Moi. Bien plus qu’un autre névrosé,
l’obsessionnel se trouve ainsi en phase avec les fictions développées
par la religion. Le Purgatoire favorise l’appui sur le Moi en répondant
à l’individualité naissante.
Bien que ces nouvelles solidarités entre les vivants et les morts […] renforcent
les liens familiaux, corporatifs, confraternels, le Purgatoire – pris dans une
personnalisation de la vie spirituelle – favorise en fait l’individualisme76.
L’ensemble des pratiques autour de la mort vont de plus en plus
concerner la personne prise dans son individualité. L’importance de
la biographie individuelle, déjà marquée par le passage du Jugement
collectif au Jugement individuel, se trouve encore renforcée avec
l’invention du Purgatoire. C’est ce que Philippe Ariès a dénommé la
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mort de soi, une prise de conscience par l’homme de son individualité
qui s’exprime au mieux dans son rapport nouveau à la mort, à sa
propre mort.
Pendant la seconde moitié du Moyen Âge, du XIIe au XVe siècle, il s’est fait
un rapprochement entre trois catégories de représentations mentales : celles
de la mort, de la connaissance par chacun de sa propre biographie, de l’atta-
46 - chement passionné aux choses et aux êtres possédés pendant la vie. La mort
est devenue le lieu où l’homme a pris le mieux conscience de lui-même77.
Ce traitement inédit de la mort témoigne de la prise de
conscience, ou de la découverte, par l’homme de son individualité.
Le changement se repère dans le rôle pris par le mourant dans les
pratiques qui entourent sa propre mort. Il devient un mort singulier
face au Jugement, préside sur son lit de mort comme dans les temps
d’avant. Mais il adresse désormais des directives et l’idée nouvelle de
sa volonté y est exprimée. Ce qui se révèle aussi au travers du sens
pris par les suffrages qui deviennent dévoués à un mort en particulier,
par l’expression des sentiments personnels dans les testaments ou
encore par les tombes qui perdent leur anonymat. Le phénomène
collectif commence à laisser place à la destinée individuelle. C’est la
mort particulière qui prime, le souci de chaque vie, de chaque
destinée personnelle s’installe même si les rites et les pratiques restent
collectifs. Petit à petit le caractère collectif du rite va être mis à mal.
Privilégier le Moi laisse préfigurer la solitude de l’homme moderne,
qui, extirpé du dessein collectif ne pourra plus s’en remettre à un
Autre ni à quelques autres. Un changement qui annonce la solitude
des mourants, mais aussi des vivants.
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Ce choc (de l’échec, de la vie ratée), les temps froids et lents de la mort appri-
voisée ne l’ont pas connu. Chacun était promis à un destin qu’il ne pouvait
ni ne souhaitait changer. Il en fut ainsi longtemps là où la richesse était rare.
Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas
de prise78.
La mutation subjective dont témoigne la mort de soi
s’accompagne de sentiments nouveaux, d’un rapport à l’existence
autre. La prise de conscience de l’individualité coïncide avec le
développement des richesses, avec l’amour pour les biens et les êtres
de ce monde. Une avidité pour les choses qui ne se caractérise pas
encore comme dans la logique capitaliste par l’accumulation, mais
bien plus par la jouissance de ces biens ici-bas et plus encore pour
l’éternité, au-delà du trépas. La mise au premier plan de la mort
personnelle se traduit ainsi notamment chez les puissants par le
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souhait d’emporter avec soi tous les biens terrestres jusque dans la
tombe. Ce rapport aux biens n’est pas sans lien avec le fait que la
mort à ces époques était proche, menaçante, que l’homme avait une
connaissance aigüe de sa finitude par rapport aux temps d’avant.
Cette corrélation entre les attitudes devant la mort et devant les
richesses est typique de cette époque qui s’étend de la fin du Moyen
Âge jusqu’à la fin du XVIIe siècle79. Le discours de l’Eglise est venu - 47
compenser, voire pallier en ce qui concerne le Purgatoire, cette
avaritia qui condamnait à la damnation éternelle. Alors que de nos
jours il n’y a plus de lien net de ce type entre la mort et la richesse.
Tout simplement parce que de nos jours nous avons tendance à
ignorer notre mort. En partie du fait des garanties apportées par la
science et le progrès médical qui ont pris la place des garanties sur
l’au-delà. Dieu est mort, les garanties sur l’ici-bas sont suffisantes. Ce
qui ne veut pas dire que nous ne nous croyons plus mortels, mais que
la mort a comme disparue, avec comme incidence un attrait moins
viscéral pour les choses de la vie, de l’amour.
Cet attachement aux biens et aux êtres en lien avec la précarité
de l’existence est marqué par les difficultés de séparation : l’homme
commence à ne plus rien vouloir perdre. Un lien entre la mort et la
prise de conscience de l’individualité s’est affirmé. Ce rapprochement
a permis l’éclosion d’un sentiment nouveau bien connu de nos
contemporains, celui de l’échec. Un sentiment étranger aux sociétés
traditionnelles, à celles imprégnées par la mort apprivoisée80. Une
mutation qui porte dans ses prémisses le climat de dépression des
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sociétés industrielles. Des prémisses à l’essor, il faudra attendre la


volonté d’éradication de la mort par les Lumières et la mise sous
silence du modèle religieux du traitement de la mort par la Science.
Ce qui va se concrétiser plus encore que par un rejet de la mort, par
un rejet des choses de la mort

Des rites à la mort interdite


Plus la société relâchait les contraintes victoriennes sur le sexe, plus elle rejetait
les choses de la mort et, en même temps que l’interdit, apparaît la transgres-
sion : dans la littérature maudite, reparaît le mélange d’érotisme et de mort
[…] et, dans la vie quotidienne, la mort violente81.
Avec la mort de soi, le discours religieux a semé les ferments de
la mort interdite. La mort de soi a promu l’idée de la biographie
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individuelle au détriment de l’aventure collective, qui jusqu’alors avait
un rôle protecteur. Les rites exprimaient l’appartenance à un destin
collectif. Dorénavant ils vont être de plus en plus orientés vers le
destin individuel avec la mise en place d’un dualisme corps et esprit
qui privilégie l’âme et met le corps au rebut. Les éléments étaient en
place pour qu’à l’avènement de la science moderne au XVIIe siècle la
48 -
mort devienne interdite : mise en place de l’individualisme et rejet
du corps. Le repli sur soi et la mise sous silence de la dimension
collective s’illustrent de plusieurs façons. La chambre du mourant
commence à se dépeupler, le voisinage, le tout-venant, ne l’envahit
plus. L’assemblée se réduit à un cercle restreint de quelques hommes
d’Eglise, la famille et quelques proches. Les enfants y sont toutefois
encore présents. De même le convoi funèbre suscite moins de suiveurs
pour se réduire à une portion congrue. La mort devient intime.
L’affectivité nouvelle, la valorisation de la famille, orientent vers la
désacralisation et la clandestinité de la mort. La toilette funéraire
change, le cercueil commence à prendre la place du suaire. L’annonce
de la mort qui était l’affaire du voisinage va être confiée de plus en
plus à des annonceurs spécialisés avant qu’à leur tour ils ne
commencent à être destitués de leur rôle par les faire-part vers la fin
du XVIIe siècle. La formalisation du faire-part de décès remplace
l’annonce publique et ainsi participe à l’intimisation de la mort tout
autant qu’elle substitue la transmission écrite, une annonce sans
parole, à la diffusion orale. La mort tend à être réduite à un acte de
communication. Dans le même temps, les tombes s’individualisent
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là où précédemment la fausse commune était de mise pour le plus


grand nombre. Ce qui correspond à une volonté de cacher le corps,
de le vêtir pour cacher l’horreur devenue insupportable de la vision
du cadavre. Le mort n’est plus exhibé au regard de tous, une pudeur
mortuaire s’installe au siècle des Lumières82.
Il convient de détruire le système de préparation de la mort, en remplaçant
l’imagination du trépas par l’idée (vraie) de la mort, qui permettra de l’ac-
cueillir d’un œil paisible et d’un front serein83.
Les Lumières ont remis en cause l’hégémonie de l’Église quant
au traitement de la mort et en particulier les peurs inspirées par l’au-
delà. La désacralisation de la mort avait pour visée de dédramatiser
les craintes de l’au-delà, de désamorcer la pédagogie de la peur. La
mort ne doit plus être la méditation de toute une vie, il ne faut plus
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y penser, ne point en parler84. Ce qui fait que ce n’est pas tant Dieu
qui est remis en cause mais l’agitation des terreurs du trépas et la
crainte de la damnation. La mort n’est plus perçue comme une
sanction divine, mais devient un phénomène naturel, épuré de
l’imaginaire collectif. Il faut objectiver la mort, la mépriser pour
montrer qu’elle n’est rien si ce n’est le scandale de l’existence. Cette
vision nouvelle de la mort s’associe de fait avec l’idée nouvelle de trop - 49
vivre et l’inquiétude grandissante des affres de la vieillesse. La bascule
s’opère dans les pas de la Révolution, qui ne fait que sanctionner
historiquement la mutation en marche dans le traitement de la mort.
La suppression des pratiques religieuses entourant la mort, auxquelles
se substituent un rituel laïc positiviste, vidé de sens, aboutit à un
partage entre pratiques religieuses et pratiques funéraires85. Une
transformation progressive, ce sont d’abord les élites, les éclairés, qui
abandonnent la complexité de l’ancien système de préparation à la
mort, au moins en partie. Les rituels chrétiens subsistent tout de
même massivement dans le monde rural aux côtés de ceux de la mort
apprivoisée jusque dans les fins fonds du XIXe siècle86. La religion et
la magie sont disqualifiées en tant que moindres savoirs, la mort
commence à être objectivée et disjointe des essais de symbolisation
mis en place. La solution par l’appui sur le Symbolique pour
composer avec le Réel qu’est la mort n’est plus de saison. La baisse
de la mortalité en lien avec les progrès de l’hygiène, le développement
de la puériculture ou encore la formation de sages-femmes au siècle
des Lumières participent, avec la hausse progressive de l’espérance de
vie, à la mise à distance de la mort de la conscience collective. Mais
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ces faits concrets n’expliquent pas, ou qu’en partie, l’éviction des


pratiques en place depuis des millénaires et le rejet de la mort. Là où
la religion procédait par dénégation de la mort en la remettant à plus
tard, en méconnaissant l’Instant pour porter l’inquiétude sur la
seconde mort, la science procède par le rejet de la mort. Déjà par son
caractère non réitérable la mort fait obstacle à une science qui a motif
de tout contrôler, de tout savoir. La mort n’est ni prévisible, ni
reproductible et échappe irrémédiablement au calcul. Impossible à
rationaliser, à faire entrer dans les normes scientifiques, la mort
devient l’ennemi à combattre. Ce qui implique la fin de l’appui sur
le signifiant et la parole pour composer avec la mort, d’où le rejet des
choses de la mort. Ce caractère non rééditable limite d’autre part la
portée d’une équivalence directe avec le sexe et les choses de l’amour.
Car si la mort est un voyage sans retour, la « petite mort », en général,
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on en revient. La mort et le sexe se conjoignent tout de même dans
leur caractère révoltant, qui choque la médecine de cette époque. Le
sexe et la mort qui étaient régulés par la religion se trouvent déliés, et
suscitent de nouvelles craintes. Sexe et mort, deux impossibles
auxquels il n’y aura plus de réponse possible, laissent place à une
grande peur inconnue jusque-là. La transgression et des pratiques
50 - insoupçonnées apparaissent87.
Ils (les médecins) découvrent le sexe et la mort sous des formes insolites et
sauvages qu’ils dénoncent avec la conviction et l’autorité du guetteur : le vice
solitaire et l’état « soporeux ». Dans les deux cas, on sent monter chez ces
hommes de science et de lumières la peur, la peur du sexe, laissons-la hors de
notre analyse, et la peur de la mort, la vraie peur. Car, jusqu’à présent […] ja-
mais cette angoisse ne dépassait le seuil de l’indicible et de l’inexprimable elle
était traduite en mots apaisants et canalisée dans des rites familiers88.
La mort n’est plus pensée comme une fatalité, elle devient le
scandale. En particulier les épidémies, les catastrophes naturelles ne
sont plus perçues comme le fait d’une sanction divine et ne sont plus
tolérées. La religion consistait en une « tentative d’humaniser les
forces de la nature en vue de les contrôler »89. La pensée religieuse
donnait un sens, une réponse, aux catastrophes naturelles et autres
épidémies. Avec l’avènement de la science moderne impulsée par les
Lumières elles ont perdu leurs oripeaux protecteurs et deviennent
intolérables, scandaleuses. La raison de la sanction divine ne tient
plus, la mort devient crue. La science a pour fondement d’épurer de
leurs motifs humains les phénomènes : c’est une tentative de
déshumanisation de la mort. Les émergences du Réel ainsi reléguées
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au rang de phénomènes rationnels et quantifiables confine à


l’insupportable. Faute de réponse, faute de sens, ce qui échappe à la
justification scientifique se trouve hors sens et objet de rejet. La mort
qui ne se trouve plus balisée par le signifiant, par le jeu du
Symbolique, devient dangereuse et menaçante. Le passage d’une mort
toute religieuse à une mort commerciale réglée par les codes de
l’hygiène et la médecine techno-scientiste ne se fait pas sans
encombre. Ce qui est rejeté, ce qui n’est plus pris dans les filets de la
symbolisation, tend à revenir de manière terrifiante, hors contrôle.
Et ce quel que soit la multiplicité des procédés employés, aucune
totalisation de savoir ne peut rendre compte de la mort. Remplacer
les fictions en place par un savoir, une connaissance « vraie », ne
restera pas sans conséquences, avant tout pour le sujet qui va être de
plus en plus confronté au désarroi de sa solitude.
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Le rejet des choses de la mort, la fin des ontologies et le désarroi du sujet contem-
porain
Autant le discours des Lumières sur la mort est profus, multiple, parce que
c’est l’ennemi à vaincre et à combattre par tous les moyens, autant la préoc-
cupation des fins dernières peut paraître limitée. L’histoire naturelle remplace - 51
l’eschatologie, les étapes de la nature, l’histoire sainte90.
Le rejet des choses de la mort signe l’annonce de la fin des
ontologies. Une désacralisation qui vise avant toute chose l’au-delà
et les fins dernières qui jusque-là permettaient de composer avec
l’Instant, donner sens au trépas et à l’être. Ce n’est pas tant Dieu que
les Lumières cherchaient à destituer mais bien l’autre monde et ses
frayeurs, l’emprise qu’il pouvait avoir sur les vivants. Les fins dernières
mises de côtés, ce sont les garanties sur l’au-delà qui s’envolent.
L’homme reste seul face à la mort crue. La destruction de la
codification des gestes et des pratiques place l’homme dans le
désarroi. Si la mort n’est rien, qu’est-ce que l’existence ? Quelle est sa
valeur ?
Les sujets sont en panne de sens du fait même de la disqualification des on-
tologies par la science moderne91.
La mort n’est plus l’objet de la préparation de toute une vie. Elle
tend à s’objectiver, passe dans le domaine des phénomènes naturels
et n’est plus l’expression d’une sanction divine, ce qui a comme effet
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secondaire la banalisation de l’existence. La mort est l’ennemi, il faut


lutter contre elle avec les promesses que laissent entrevoir la médecine
moderne : faute de l’éliminer, il faut la combattre. Dans cette
économie nouvelle du trépas, l’au-delà vacille, les fins dernières
inquiètent moins, l’arrière-décor s’étant vidé. La damnation ne doit
plus faire peur. Ce qui pourtant ne veut pas dire qu’elle n’agite plus
les consciences, c’est encore loin, il faudra attendre l’expansion
industrielle pour atteindre un tel souhait. Mais ce qui tend à être
chassé va faire retour. Un Réel ensauvagé, sans ses arrimages
symboliques, ne peut être que menaçant. Mais ce n’est pas tant que
la nature devienne folle, car le Réel ne bouge pas : il reste en place.
C’est bien plus que, faute de s’appuyer sur lui, d’y être articulé par le
langage nous ne pouvons pas être étonné de le voir faire retour de
façon brutale, violente, faisant effraction dans le champ subjectif,
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dans un foisonnement de plus en plus bruyant, dans des formes
parfois impromptues. L’effort de détruire les croyances, la pensée
magique de la mort, va avoir pour effet leur retour sous d’autres
apparences. Faute de sens, l’homme va se trouver désemparé face à la
mort et contraint d’inventer d’autres façons de composer avec la mort
sans le recours aux constructions symboliques en place. Ainsi, en
52 - réponse à leur éviction, en contrecoup de l’émergence du scientisme,
nous assistons dans un premier temps vers la fin du siècle des
Lumières à la profusion de croyances surnaturelles qui se matérialisent
dans les fantômes, les monstres et autres créatures qui symbolisent
les terreurs du trépas. Puis, des thématiques connexes apparaissent
au siècle suivant avec l’émergence de la figure du vampire, la hantise
du retour des morts et toute une pléiade des démons qui vont venir
garnir l’imaginaire et les productions littéraires. Le XIXe siècle va
connaître aussi, en contrecoup du scientisme entourant dorénavant
la mort, la naissance du spiritisme et la diffusion de l’occulte là où
les croyances populaires permettaient de laisser une place à la mort
et aux morts92. Les pratiques en voie d’extinction laissent place à de
nouvelles. Ce qui peut s’entendre comme un retour de pratiques
magiques en lieu et place des anciennes pratiques populaires rejetées.
Un retour dans le champ social qui en fait se fait dans un
rapprochement avec la pensée scientifique. Ce qui consiste en un
passage des pratiques à la technique. Sous couvert de science, les
nouvelles technologies et les nouveaux savoirs sont mobilisés :
télépathie, photographie, répétition des phénomènes sensibles,
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écriture automatique etc. La magie s’associe à la science pour faire


retour. De même le traitement religieux va suivre une voie analogue
et se rapprocher de la science. Ou plutôt des démarches qui se
réclament de la science vont prendre pour base des éléments de la
pensée religieuse de la mort, car elles se trouvent structurellement
incapables d’apporter quelconque réponse ou sens aux questions
auxquelles répondaient les ontologies.
Les Lumières confrontent les sujets à la nécessité de s’expliquer avec une théo-
rie qui les rend orphelin de l’Autre de la religion dont la doctrine est renvoyée
du coup quasiment à l’irrationnel. Or, si la science est capable d’expliquer
comment les choses fonctionnent, elle est incapable de répondre du « pour-
quoi les choses sont ce qu’elles sont » ni du « pourquoi y a-t-il quelque chose
plutôt que rien93. »
La pensée religieuse avait régulé l’imaginaire des hommes, leur
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avait apporté des garanties sur la mort. La désacralisation de la mort
implique qu’il n’y a dorénavant plus d’Autre à qui se fier pour aborder
sereinement le trépas. Si les cycles de réincarnations, croyances en
l’immortalité, vies après la mort, sont des négations de la mort, il
n’en demeure pas moins qu’elles permettaient de supporter
l’impossible nécessaire qu’est la mort. Les fins dernières permettaient
- 53
d’acclimater la mort, de la métaphoriser faute de la contrôler. La
tentation d’un retour impossible au modèle religieux de la mort
trouve comme réponse un recyclage de certains éléments dans des
techniques actuelles. S’il n’y a plus d’Autre pour donner du sens et à
qui se fier, les désabonnés de l’Autre n’en sont pas moins en quête de
sens et d’un modèle de substitution. La science, à contrepied du
projet initial des Lumières, va venir alimenter la religion, vraie ou
fausse. Elle va lui permettre de faire son retour pour injecter du sens
face au Réel qu’elle, la science, ne peut résorber. En ce qui concerne
le traitement de la mort nous pensons notamment aux fameux stades,
ou phases du mourir94, qui, de façon assez transparente, se réfèrent à
cette pensée religieuse et placent la communication au centre d’une
psychothérapie qui viendrait donner réponse à tout, et pour tous,
face à l’impossible nécessaire.
L’idéal serait que le patient en fin de vie et sa famille parviennent à la phase
d’acceptation avant que survienne la mort95.
L’acceptation est déjà dans le chapeau, ce n’est pas un caractère
« naturel » comme dans la mort apprivoisée mais bien une induction
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de l’acceptation vue comme idéal. Cette acceptation correspond à


l’idéal chrétien de la bonne mort qu’est la mort sereine et acceptée,
auquel il faut rajouter d’autres termes comme la dignité ou la sérénité
qui ne manquent pas à ce modèle psychothérapeutique. Si,
cependant, cela ne vire pas jusqu’à l’orthopédie religieuse, il s’agit
indéniablement d’une pédagogie du mourir avec les bonnes étapes,
les bonnes marches à suivre : le déni, la colère, le marchandage, la
dépression et l’acceptation. La référence à Dieu y est explicite et
récurrente comme dans la phase de marchandage qui évoque la
négociation avec le Tout-Puissant. La phase d’acceptation rime avec
impératif et suppose une éthique universelle là où l’éthique ne peut
être qu’individuelle et en acte, pas en savoir. La dimension
pédagogique s’exprime aussi au travers d’un processus d’acceptation
évolutif qui prône l’éducation à l’acceptation dès le plus jeune âge.
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Une conception qui fait écho à la conception chrétienne d’une vie
guidée par la finitude, dans la pensée de la mort. Le sens vient
coaguler l’angoisse, au bénéfice de l’individu, au détriment du sujet.
La difficulté vient du fait de rabattre les pratiques sur la
technique. Ce qui a pour conséquence d’exclure la parole, de limiter
l’audience au formel, à la communication. Cela se retrouve dans les
54 -
propos de personnes qui viennent pour trouver « une réponse » au
« quoi faire avec la mort » de proches, ou de façon générale : « Il y a
un enterrement, que pensez-vous que je doive faire ? Dois-je y
aller ? », « On ne parle plus de ces choses-là… enfin à la télé mais
c’est pas pareil. » La communication ne remplace pas la parole. Des
éléments qui peuvent paraître fortuits mais qui révèlent un manque,
le vide révélé par la chute des ontologies. Plus d’Autre qui vienne faire
réponse, faute de quoi on va voir le psy, peut-être qu’il y en a un qui
a la réponse ? Cela s’exprime aussi sous forme de plaintes : « Pourquoi
on n’en parle jamais ? ». Ce qui pourrait se traduire par un « pourquoi
il n’y a plus d’Autre pour faire réponse ? » qui marque le désarroi du
sujet contemporain face à la mort. Faute d’Autre religieux sur qui
s’appuyer, on tente d’en inventer des factices, des virtuels. C’est une
sorte d’effet placebo, qui ne résorbe pas le vide apparu avec la fin des
ontologies ni le fait que la solution par appui sur le Symbolique pour
composer avec le Réel qu’est la mort est, non pas indisponible, mais
inopérante faute d’appui sur la fonction de la castration.
Le cas de Stéphane vient donner un reflet de cette impossibilité
d’un retour au rituel symbolique faute d’adéquation avec la
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subjectivité de l’époque. Le discrédit de l’approche rituelle se


manifeste de façon singulière dans le cas de ce garçon d’une dizaine
d’année pour qui la question de la mort montre bien son insolubilité
tout autant que son caractère opératoire pour la subjectivité.
Dans ses jeux, la mort est toujours équivalente à un meurtre, il
y a toujours un responsable de la mort de l’autre, qu’il soit en chair
et en os ou qu’il appartienne à l’ordre de la nature. Bien qu’ils
meurent, les personnages reviennent pourtant toujours, la mort y est
toujours « pour de faux » comme l’avait déjà fait remarquer Freud.
Les thèmes du silence, du mutisme reviennent souvent avec
notamment le faire taire qui souligne la continuité entre l’absence de
parole et le trépas : « Si on fait taire le petit’homme, il est mort. » Les
thèmes connexes à la mort relevés par Freud comme le mutisme ou
le silence sont autant d’évocation de l’absence d’un appui possible
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sur l’ordre Symbolique. La dimension rituelle se repère avec des
immuables : les fleurs, les pleurs, le « cercueil en verre », la « mise
dans la terre » ou encore « les gens qui viennent pour voir la tombe ».
Une mobilisation du rite pour composer avec la question de la mort
comme émergence du Réel qui ne résistera pas à la disqualification
de cette solution par l’Autre parental.
- 55
Stéphane était venu pour « qu’il apprenne mieux », « qu’il arrête
de raconter des histoires et travaille mieux à l’école ». Une volonté de
mettre fin à ce que ses parents appelaient « ses fantaisies », en
particulier à ses jeux qui tournaient inlassablement autour de la mort.
La mort avait un caractère dérangeant, encombrant, était mal venue
dans une économie familiale qui n’avait foi qu’en la réussite scolaire
de leur enfant. D’où les questions de Stéphane : « Est-ce que tu sais
apprendre à jouer en travaillant ? », « est-ce que c’est possible de
travailler en jouant ? »
Dans les faits, conjointement à cet impératif d’accumulation de
savoir, ce garçon était inlassablement submergé par l’angoisse. Cela
se manifestait notamment dans le fait qu’il était happé par les sources
lumineuses, ou encore par des toux inextinguibles ou des mises en
acte à l’école : dégradation de matériel, agression de ses camarades
sans « raison apparente » selon les propos de ses enseignants rapportés
par ses parents. En fait la pression scolaire était trop forte pour ce
garçon. Il peinait à suivre dans un dispositif scolaire trop exigeant
pour lui, un impératif à savoir trop écrasant. Cependant, il avait réussi
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à se saisir de l’espace qui lui était offert par nos rencontres pour mettre
en forme ses questions autour de la mort et donc du comment
composer avec le Réel qui nous constitue, auquel il n’y a pas de
réponse définitive, suturante.
Le discours parental est venu attaquer cette solution que
Stéphane avait trouvée pour loger sa singularité : « arrêtes de raconter
des histoires, il faut travailler ! » Une gageure qui pousse ce garçon à
« travailler en jouant » ou « à jouer en travaillant ». Pas de temps mort
possible, pas de temps laissé aux jeux de l’enfance qui ont un caractère
structurant pour la pensée et le sujet.
Les premières séances avaient vu une bête sauvage venir tuer les
petit’hommes. Suite à quoi se répétait sous des formes renouvelées
des rites mortuaires, avec quelques variations mais toujours la même
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base : recouvrement du corps, mise dans le cercueil de verre, fleurs,

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pleurs, visites, puis retour à la vie. Dans un deuxième temps pris place
une brève période apocalyptique où ce sont les forces naturelles qui
vont être cause de la mort, la tempête, les météorites, les volcans mais
en particulier l’orage. Ce qui est une sorte de clin d’œil
phylogénétique à l’histoire de la mort, évoque l’horreur suscité par
56 -
les catastrophes naturelles suite à la mise au rebut des ontologies par
la science, à la désacralisation de la mort.
Ainsi dans ses jeux les attaques sont maintenant diffuses, la mort
frappe sans annonce. Les rites restent mais il n’y a presque plus de
narration qui les précède. La mort devient brutale, sans
explication : « C’est l’orage ! Hahahaha ! Il va tout détruire ! » Et dans
les faits l’orage dévastait le bureau, rien ne devait rester debout, tout
objet devait être mis à terre. Alors que dans ses précédents jeux
l’histoire prenait le dessus sur les actes. La mise en mot, la narration
de ce qui le traversait ne tenait plus. Cela se traduisait à l’école par
une impossibilité à tenir en classe sans s’en prendre à un camarade
ou dégradation de matériel. Une situation incontrôlable qui le faisait
beaucoup souffrir, en particulier parce que ses parents « ne sont pas
contents », qu’il avait peur « qu’ils ne m’aiment plus ».
Le discours parental restait le même : « Arrêtes de raconter des
histoires, il faut travailler ! » Nos rencontres étaient aussi interprétées
par les parents comme un espace de travail, où il fallait apprendre à
« se contrôler pour réussir à l’école », rien d’autre n’était audible. Le
discrédit porté à la solution mise en place déboucha sur une nouvelle
solution suite à l’interlude de l’orage. Celle-ci consiste en une ellipse
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de la façon d’opérer de la mort. La mort ne devient plus rien, c’est la


mort sèche de la science. Le meurtrier redevient personnifié, sous
l’apparence récurrente d’un voleur qui vient dans l’hôpital pour tuer
les gens. La mort semble en général frapper au hasard, bien que
parfois ce soient des personnes précises qui sont visées. Il est toujours
question de parole, mais la prestidigitation médicale prend le dessus
sur la mise en récit, sur les histoires racontées du trépas. La technique
médicale se substitue aux rites funéraires. Il n’y a plus d’enterrement,
plus de pleurs ni de mort en fait. Les personnes mortes passe une
radio, reçoivent des médicaments, une opération chirurgicale suite
aux résultats de la radio et sont « de nouveau vivant ».
La mort y semble comme effacée par un effet imaginaire. Les
objets de la technique viennent cautériser, suturer ce qu’il en était de
la violence de la mort. Une solution qui, si elle ne se traduit pas par
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de meilleurs apprentissages, évacue les « fantaisies » pour laisser
entendre des choses bien plus acceptables, plus valorisante, le médecin
a meilleure presse que la bête sauvage, et laisse la question de la mort
sans réponse. Les gens ne meurent plus du tout, la mort est évacuée,
mise sous silence. La solution par le signifiant se trouve éclipsée par
une solution imaginaire où la mort ne serait qu’un épiphénomène,
- 57
le Réel quelque chose d’étranger et le sujet absent. Les rencontres
s’arrêteront là, Stéphane étant devenu un enfant au discours
convenable au regard des parents, répondant aux critères du discours
commun, même si au lieu de parvenir à loger sa singularité dans le
social il devenait un produit du social dans lequel il perdait sa
singularité. L’arrêt, impromptu et non concerté, a d’ailleurs était très
mal pris par lui, son cheminement n’était pas fini, il n’avait pas encore
trouvé une solution pour loger sa singularité compte tenu des
exigences sociales qui se présentaient à lui.
Ce cas illustre une des conséquences de l’évacuation de la
solution par appui sur le signifiant : le désarroi du sujet moderne.
Celui-ci s’exprime dans la difficulté à loger sa singularité face à la
normalisation du discours de la science et se traduit en ce qui
concerne les choses de la mort par la solitude du mourant, mais aussi
des vivants face à la mort. La mort de soi n’est plus une évidence
portée par le destin collectif. Il n’y a plus de réponse déjà prête, portée
par l’Autre religieux, il faut dorénavant que le sujet s’en invente une
qui lui permette « de rejoindre la subjectivité de son époque »96 sans
pour autant se sacrifier, devenir hors-sujet.
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Les implications du changement de subjectivité vont appeler


d’autres réponses, d’autres formes de réponse. À commencer par le
rapatriement de la religion dans l’intime avec la promotion de la
névrose comme religion privée, puis la nécessité d’inventer de
nouvelles solutions singulières une fois que la castration se fera
inopérante suite à la mainmise effective du techno-scientisme et de
l’économie capitaliste sur le lien social contemporain. Mais avant
d’évoquer le lien social contemporain, nous devons d’abord définir
en ce qui concerne les choses de la mort ce à quoi renvoie ce signifiant
« choses » et repérer ce que l’émergence de la science a induit comme
solutions pour pallier au rejet des pratiques en place jusque-là.
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NOTES

35. Sigmund Freud, Actions compulsionnelles et exercices religieux, p. 141.


36. Philippe Ariès, op. cit., pp. 161-162.
37. Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, pp. 283-285.
38. Sigmund Freud, op. cit., p. 134.
58 - 39. Ibid., p. 135.
40. Ibid.
41. Jacques Lacan, Les formations de l’inconscient, p. 581.
42. Les pensées de l’obsessionnel visent bien souvent les proches, sont alimentées
par la peur qu’il leur arrive du mal, ce qui marque son ambivalence caractéristique.
Ce qui se retrouve toutefois dans le religieux, notamment dans les pratiques qui se
rapportent au Jugement ou au Purgatoire.
43. Sigmund Freud, Actions compulsionnelles et exercices religieux, p. 135.
44. Jacques Derrida, La religion, Séminaire de Capri, p. 39.
45. Jacques Lacan, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, p. 131
46. Vladimir Jankélévitch, La mort, p. 268.
47. Cité par Philippe Ariès, L’homme devant la mort, la mort ensauvagée, p. 12.
48. Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, pp. 300-301.
49. Jacques Lacan, Les formations de l’inconscient, p. 544.
50. Ibid., p. 542.
51. Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, p. 369.
52. Michel Vovelle, op. cit., p. 285.
53. Jacques Lacan, Conférence à Genève sur le symptôme, p. 21.
54. Michel Vovelle, op. cit., p. 289.
55. Ibid., p. 295.
56 R. P. Pierre Lalemant, Les saints Désirs de la mort, ou recueil de quelques pensées
des pères de l’Eglise, pour montrer comment les Chrétiens doivent mépriser la vie, et
souhaiter la mort, pp. 147-148.
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57. Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, p. 300.


58. Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, p. 323.
59. Jacques Lacan, R.S.I., p. 101.
60. Laurence Gigault de Bellefonds, Les Œuvres spirituelles de Madame de Bellefonds,
religieuse, fondatrice du couvent de Notre-Dame des Anges, de l’Ordre de Saint Benoist
à Rouen, p. 194.
61. Jacques Lacan, L’objet de la psychanalyse, p. 122.
62. Jacques Lacan, Ibid., p. 122.
63. Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite.
64. Jacques Lacan, La science et la vérité, p. 352.
65. Ibid., p. 353.
66. Philippe Ariès, L’homme devant la mort, le temps des gisants, p. 154.
67. Sigmund Freud, Correspondance Freud / Ferenczi, tome I, p. 129.
68. Jacques Lacan, Propos sur la causalité psychique, p. 158.
69. Jacques Le Goff, La naissance du Purgatoire, p. 388.
70. Ibid., p. 369.
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71. Ibid., p. 428.
72. Ibid., pp. 409-410.
73. Ibid., p. 307.
74. Ibid., p. 394.
75. Ibid., pp. 384-387.
76. Ibid., p. 315.
77. Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos
jours, p. 41. - 59
78. Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Le temps des gisants, p. 139.
79. Ibid., pp. 192-193.
80. Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos
jours, pp. 40-41.
81. Philippe Ariès, op. cit., pp. 65-66. Des propos qui se réfèrent à la fin du
XIXe siècle.
82. Michel Vovelle, La mort en Occident de 1300 à nos jours, pp. 447-460.
83. Ibid., p. 396.
84. Ce qui dans les faits n’a été que partiellement appliqué, le silence sur la mort
n’a pas été appliqué à la lettre. Y compris chez les penseurs de la démystification
de la mort.
85. Ibid., pp. 492-493.
86. Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos
jours, p. 81.
87. Nous pouvons évoquer des jeux macabres où s’invite l’érotisme, comme les
pratiques qui incitent à coucher avec le cadavre.
88. Philippe Ariès, L’homme devant la mort, La mort ensauvagée, p. 114.
89. Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 17.
90. Michel Vovelle, op. cit., p. 404.
91. Marie-Jean Sauret, L’effet révolutionnaire du symptôme, p. 59.
92. Michel Vovelle, op. cit., p. 662.
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93. Marie-Jean Sauret, Malaise dans le capitalisme, p. 225.


94. Élisabeth Kübler-Ross, Les derniers instants de la vie.
95. Élisabeth Kübler-Ross, Un message d’espoir pour tous ceux qui ont perdu un
proche, p. 46.
96. Jacques Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage, p. 321.
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