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James McDougall
in Abderrahmane Bouchène et al., Histoire de l'Algérie à la période coloniale
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https://www.cairn.info/histoire-de-l-algerie-a-la-periode-coloniale---page-387.htm
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Abdelhamid Ben Badis
et l’Association des oulémas
James McDougall
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tactique avec l’État colonial.
Dans le même temps (années 1880 et 1890), émergeait au sein du monde
arabe un mouvement de « renaissance » (Nahda) culturelle – linguistique,
littéraire, religieuse –, dont l’une des composantes était le programme de
réforme – ou rectification (islah implique aussi correction, purification) –
islamique qui prenait pour cibles nombre des pratiques de mysticisme et de
religion quotidienne, populaire, souvent liées aux zaouïas. En Algérie, ces
idées ne pouvaient échapper au contexte d’une société coloniale où le
discours français liait domination politique et « évolution » sociale et cultu-
relle. À l’aspiration de renouveau et de modernité en matière culturelle – en
littérature et dans les formes de la langue –, s’ajoutait donc une querelle
autour de la légitimité de formes de pratique et de savoir religieux tenues
désormais non seulement pour illicites du point de vue doctrinal mais pour
« arriérées » : ainsi, les prières d’intercession auprès des marabouts ou la
visite des tombeaux (surtout pratiquée par les femmes) étaient à présent
perçues comme des gestes « irrationnels », des comportements « indisci-
plinés » qui donneraient aux colonisateurs le spectacle d’une société
toujours inapte à assumer ses pleins droits. La situation coloniale influait
ainsi sur le sens de la réforme, où les questions de pure orthodoxie étaient
mêlées à l’anxiété induite par une image de soi modelée sous le regard
dominant de l’autre.
Si l’Islah algérienne est souvent attribuée au cheikh Ben Badis et à l’Asso-
ciation des oulémas musulmans algériens fondée sous sa présidence à Alger le
5 mai 1931, il y eut pourtant des précurseurs ; à la fin du XIXe siècle, un « islah
local », selon l’historien Allan Christelow, émergeait dans le Constantinois
avec le cheikh d’origine tlemcénienne Abd al-Qadir al-Majjawi. D’autres
personnages pensaient et écrivaient dans le sens de la réforme, notamment les
cheikhs Attfiyash au Mzab et Ibnou Zekri, d’origine kabyle, qui devint mufti
de la grande mosquée à Alger. À Constantine même, le mufti Mouloud Ben
Mawhub proclamait dans ses conférences au « cercle Salah Bey » (qui réunis-
sait des gens issus d’une élite citadine, français et algériens confondus) d’avant
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démarche – de s’inscrire pour un poste « officiel ». Plus tard, il établit une
école libre, l’Association d’éducation et d’instruction. Son premier journal,
Al-Muntaqid (Le Censeur), parut à Constantine en 1925 et, en 1931, il fonda
à Alger une « Association des oulémas », forme résolument moderne d’orga-
nisation destinée à répandre les idées et pratiques de la Nahda et de l’Islah à
travers l’Algérie. La matrice de la mission réformiste s’organisait donc en
trois volets : enseignement, journalisme et cercle associatif.
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ou du retour de pèlerinage. Comme lieu de socialisation, le nadi créait un
espace public élémentaire ; il disputait en même temps l’espace symbo-
lique et l’observance rituelle à d’autres lieux et à d’autres acteurs, surtout à
la mosquée « officielle » et à la zaouïa…
À ses débuts, le mouvement réformiste avait l’ambition de fédérer tous
les acteurs du champ religieux algérien ; d’ailleurs, les représentants des
différentes confréries furent présents lors de la création de l’Association des
oulémas et on compta des partisans de l’Islah aussi bien parmi les cheikhs
des mosquées « officielles » (c’est-à-dire sous tutelle de l’administration
coloniale) que parmi les tenants du mysticisme. Bon nombre de familles
« maraboutiques » prirent aussi parti pour la réforme. Mais, dès le début des
années 1930, des lignes de fracture se dessinèrent entre l’association de Ben
Badis et les confréries, qui se propagèrent dans les espaces urbains et entre
générations. Dans les vieilles villes de province comme Mila (à l’est) ou dans
les pôles religieux comme Constantine ou Tlemcen, apparut ce que l’admi-
nistration coloniale qualifia de « guerre des idées », conflit qui, selon
Lakhdar Ben Tobbal, futur chef du FLN, divisa « jusqu’aux membres d’une
même famille ». La campagne « antimaraboutique » des réformistes fut
pour eux une « révolution, […] non pas contre le pouvoir colonial, mais
contre l’ignorance », selon la formule recueillie dans les Aurès par la socio-
logue Fanny Colonna.
C’est sans doute par ses prises de parole et son refus des compromis-
sions – affirmation des droits dans le champ religieux hors tutelle de l’admi-
nistration, opposition juridique à la « naturalisation » individuelle pour les
musulmans – que le mouvement réformiste se démarquait. Mais, en même
temps, l’Association des oulémas a pris part aux tentatives de réforme poli-
tique dans le cadre français. Lors du Congrès musulman algérien de 1936,
les réformistes ont ainsi partagé les objectifs des élus et des communistes,
qui voyaient dans le Front populaire un moment possible d’amélioration
du sort des Algériens [s p. 401]. L’Association fournissait aussi des lieux
partagés entre ces différentes tendances politiques : à Oran, par exemple, les
cercles des oulémas furent des lieux où se rencontraient adhérents des partis
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mosquées « officielles » à toute prédication non autorisée. Dès 1933 et
surtout à partir de 1938, les fermetures d’écoles se sont multipliées. À la
mort de Ben Badis en avril 1940, la rupture semblait donc consommée entre
administration et réformistes. Les tentatives de détente après le débarque-
ment allié de novembre 1942 (avec notamment l’abrogation de la circu-
laire Michel) tournèrent court. Puis, dans le sillage des insurrections et de la
grande répression de mai 1945 [s p. 502], perquisitions, fermetures d’écoles
et répressions ont repris de plus belle. Sous la présidence de Bachir El-Ibra-
himi puis de Larbi Tebessi (1891-1957), l’Association essaya de garder son
autonomie de manœuvre et sa position d’interlocuteur éventuel tout en
soutenant les débuts de l’action armée ; elle devait rallier enfin le FLN, en
même temps que les formations politiques, au printemps 1956.
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riens en devenir.
À partir de 1956, pris comme tant d’autres dans le courant d’événe-
ments politiques qu’ils ne maîtrisaient pas, les réformistes ont dû subor-
donner leur mission à l’effort plus pressant de la guerre et à l’hégémonie du
FLN. L’Algérie allait se libérer dans le domaine profane (dunya) de la poli-
tique. Mais le projet plus lointain de moralisation et de fondation d’une
société culturellement « décolonisée », restaurée dans son « authenticité »,
demeurait. Il sera légué, d’une part, aux institutions d’un État autoritaire et,
d’autre part, aux courants d’un islam tourné en idéologie politique et autre-
ment revendicatif – ceux qui allaient, dès les années 1960, contester à
l’ordre établi par le pouvoir FLN le parrainage et l’héritage de la révolution.