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7.

UN VOYAGE COSMIQUE À LA MAISON

Charles Stépanoff

La Découverte | « Poche / Sciences humaines et sociales »

2022 | pages 289 à 315


ISBN 9782348075247
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Un voyage cosmique à la maison
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Les tambours khakas 1
Les tambours khakas sont parmi les plus riches
de Sibérie par leur foisonnement de figurines multicolores
circulant entre montagnes et astres. Les Khakas, autrefois
­
appelés Tatars de Minoussinsk, sont un peuple turcophone
réunissant plusieurs groupes, les Kachin, les Beltir, les Kyzyl, les
Sagai et les Koibal, établis dans le bassin du haut Ienisseï sur
les contreforts septentrionaux des monts Saïan. Leur économie
traditionnelle est fondée sur l’élevage pastoral et une chasse
subsidiaire. Les Khakas ont été formellement christianisés à
partir du xixe  siècle, sans cependant que l’Église orthodoxe
ne parvienne à faire sensiblement reculer les pratiques chama-
niques. La fabrication traditionnelle des tambours n’a cessé que
dans les années  1930, à l’époque des sanglantes répressions
soviétiques 2.
On a recensé dans les collections des musées russes cinquante
tambours khakas portant des dessins lisibles. Au total, ce sont
environ mille cinq cents figures 3. Des commentaires détaillés de
chamanes expliquant les dessins ont été recueillis entre la fin du
e e  4
xix   siècle et le milieu du xx par les ethnologues russes , mais
aussi et surtout par des ethnologues eux-mêmes issus de l’ethnie
khakas : N.F. Katanov, S.D. Mainagashev et V. Ia. Butanaev que

1 Ce chapitre reprend avec des modifications substantielles un article déjà


publié : Stépanoff, 2013.
2 Sur les répressions des chamanes khakas, voir Stépanoff, 2009.
3 Ivanov, 1955, p. 178.
4 Klemenc, 1890 ; Potapov, 1981.

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j’ai rencontré en république de Khakassie 5. Selon le témoignage


des chamanes khakas eux-mêmes, les dessins de leurs tambours
les aident à « avancer » et à « s’orienter dans leur voyage 6 ».
Pour comprendre comment fonctionne cette énigmatique
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aide à l’« orientation », nous allons tenter de décrypter le rôle
des figures dans le contexte des rituels chamaniques en nous
appuyant sur les descriptions des ethnologues et de précieuses
photographies réalisées par Ø.M. Olsen et par S.D. Mainagashev
avant les persécutions soviétiques.
Le tambour (tüür) est le principal instrument des chamanes
khakas. Une personne reconnue douée des qualités de chamane
entre en fonction par le rituel d’animation de son tambour,
spécialement fabriqué pour elle par son entourage. De forme
ronde, les tambours khakas ont un diamètre de 70 centimètres
ou plus. Le manche vertical de bouleau est percé de part en part
de trous triangulaires. C’est par ces trous que les esprits sont
censés pénétrer dans le tambour à l’appel du chamane avant de
ressortir de l’autre côté à la fin la séance chamanique. Une tige
métallique sur laquelle sont suspendus cloches, pendeloques et
rubans traverse horizontalement le manche. La membrane est
faite d’une peau d’animal : cheval hongre, cervidé ou bouquetin.
Le battoir (orba) en bois de cerf maral est recouvert de fourrure
et orné de rubans.
Identifions maintenant les figures noires, rouges et blanches
qui couvrent la face externe de la membrane et tentons de
décrypter la logique de leur distribution. Dans la composition la
plus commune, le cercle du tambour est traversé par une bande
horizontale parcourue de zigzags triangulaires et placée un peu
plus haut que le diamètre (figure 64). Si l’on compare les deux
côtés du tambour, on s’aperçoit que la bande se situe au niveau
de la traverse métallique à l’intérieur du tambour : la traverse est
ainsi projetée à l’extérieur selon le principe radiographique que
nous connaissons (figure 63). Les chamanes expliquent que cette

5 Katanov, 1907 ; 1897 ; 2000. Butanaev, 2006. Mainagashev (archives du musée


d’Anthropologie et d’Ethnographie [Kunstkamera], Saint-Pétersbourg).
6 Potapov, 1981, p. 134‑135.

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Figure 63. Tambour khakas, faces interne et externe.

Figure 64. Tambour khakas (sagaï).

bande représente les couches superposées de la terre et les zigzags


les montagnes. Le grand secteur situé sous la bande correspond
aux milieux terrestre, aquatique et souterrain, tandis que le petit
secteur supérieur figure le monde céleste. Ce dernier est clos
par un arc-en-ciel longeant le bord du tambour et traversé lui

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Figure  65. Tambour khakas. (identification des figures d’après
l’inventaire du Musée d’Anthropologie et d’Ethnographie, Saint-
Pétersbourg).

aussi de zigzags. Ces espaces sont parcourus par tout un peuple


d’oiseaux, mammifères, reptiles, arbres, cavaliers, archers et
­
astres, certains d’entre eux occupant des positions stables sur
presque tous les tambours alors que d’autres sont plus mobiles.
Nous allons faire leur connaissance secteur par secteur.

Le sommet du registre supérieur est occupé par des astres  :


le soleil, la lune, la constellation Orion (appelée les « Trois
Biches »), l’étoile du soir (Ir Solbany), l’étoile du matin (Tan
Solbany) et la Grande Ourse (Chedigen). Ces astres sont réputés
se situer sous la demeure de Kudai, le dieu céleste créateur, qui
n’est jamais lui-même représenté. En dessous volent des oiseaux
(deux aigles noirs, un coucou, parfois des oiseaux blancs)
souvent placés du côté droit du tambour, dans les environs
du sommet d’un ou deux arbres. Les chamanes expliquent que

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ces volatiles les aident à voyager vers le ciel et à soigner les


maladies des yeux.
Plusieurs cavaliers se profilent  : souvent un cavalier blanc
sur un cheval blanc se rendant chez le dieu céleste Kudai, et
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un cavalier rouge sur un cheval rouge armé d’un arc, l’esprit
Seigneur Gaucher (Han Solagai). D’après les chants que les
chamanes adressent à ce dernier, on sait qu’il est le fils de
l’empereur de Chine et qu’il habite en pays tuva. À proxi-
mité de ces cavaliers se tient un cervidé, un bouquetin ou un
cheval, représentant l’animal dont la peau a été utilisée pour
créer la membrane du tambour. Comme nous l’avons signalé,
ce dessin est très important car il indique que l’âme (chula)
de l’animal est présente dans le tambour et que celui-ci est
donc vivant 7.

Passons au registre bas du tambour : on y voit évoluer diffé-


rentes figures noires de cavaliers, chevaux et piétons, globa-
lement considérés comme des serviteurs ou des envoyés du
seigneur Erlik, le maître du monde inférieur où demeurent
les défunts. Parmi eux caracole le redoutable Tuma le Noir,
un cavalier protecteur des chevaux moreaux. Les chants le
décrivent comme un « noir Mongol » venu de Mongolie avec
pour cravache un serpent noir. On l’invoque pour la protection
du bétail contre les maladies 8. Tout en bas, grouille un peuple
d’animaux noirs  : un ours, des grenouilles, des serpents, des
lézards et des poissons. Batraciens et reptiles guident le chamane
chez Erlik et sont soumis à l’esprit « maître jaune des moutons ».
Ils sont sollicités notamment pour guérir les maladies des jambes
ou les pathologies féminines. Les brochets guérissent les maladies
abdominales et l’hydropisie.

Certaines figures importantes peuvent se situer indifférem-


ment dans le secteur supérieur ou inférieur. C’est le cas de
deux bouleaux, placés soit en haut, soit en bas, mais presque

7 Ivanov, 1955, p. 202 ; Butanaev, 2006, p. 97.


8 Katanov, 2000, p. 371 ; Butanaev, 2006, p. 60 ; Ivanov, 1955, p. 204.

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toujours dans la partie senestre du tambour. Les chamanes


expliquent que ces arbres leur permettent de « monter
au ciel ». Une série de personnages se tient par la main  :
ce sont les « sept filles jaunes de la montagne », parfois
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­accompagnées de « neuf garçons noirs ». Enfants ­d’esprits
maîtres des montagnes, ils ont un rôle d’intermédiaires
dans les ­ n égociations du chamane avec leur père. Enfin,
comme  ailleurs dans ­l’Altaï-Saïan,  le  chamane est lui-même
souvent représenté parmi les dessins, armé d’un arc ou de
son tambour.
Une première surprise naît de cette vue d’ensemble : l’absence
notable des entités dominantes du « panthéon » khakas, les
principaux dédicataires des rituels ; on n’y voit ni les maîtres
des  montagnes, ni le dieu céleste Kudai, ni le dieu infernal
Erlik. Les êtres représentés sont plutôt des serviteurs et des
intermédiaires vers ces puissants seigneurs. Ce sont des guides
maîtrisant des routes dont les destinations ne sont pas figu-
rées, des repères renvoyant à différents itinéraires mentaux dans
­l’invisible. Ainsi on chercherait en vain à voir dans le tambour
une carte du monde offrant une image euclidienne de territoires
d’un point de vue surplombant. Il s’agit plutôt d’un champ
vectoriel réunissant les points de départ de différents trajets.
Plutôt que comme une carte, le tambour fonctionne comme un
GPS de voiture : le GPS ne donne pas au conducteur une image
surplombante du territoire à parcourir mais lui fournit les étapes
successives d’un trajet, de même le tambour fait office de guide
virtuel portant en réserve une série d’itinéraires potentiels. Dans
le tambour se révèle une cognition spatiale structurée par des
trajets tout à fait typique d’une tradition nomade, en contraste
avec la cartographie des sédentaires focalisée sur les territoires
et leurs frontières.
La disposition générale des figures que nous avons décrite
est ancienne  : elle se retrouve sous une forme plus élémen-
taire dans un relevé de tambour tatar kyshtim du début du
e
xviii   siècle (figure  66). En raison de sa simplicité et de son
ancienneté, ce tambour peut être regardé comme une Urform
dont sont dérivées non seulement les compositions khakas

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modernes, mais aussi celles de peuples turcs tatars voisins


comme les Teleut et les Shor. Ces tambours que l’on peut
qualifier de type « tatare » sont traversés de polarisations
­
v erticales et horizontales d’une grande constance. Entre
­
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le haut et le bas s’opposent le céleste et le terrestre, le sec
et ­l’humide, le clair et l’obscur. Les maladies que soignent
certaines des figures r­eprésentées y ajoutent une correspon-
dance avec le corps humain : les oiseaux traitent la tête, alors
que les animaux de la partie basse sont spécialisés dans le
ventre et les jambes.
Un chamane expliquait que, lors du rituel d’animation de
son tambour, il a entendu l’esprit de la montagne Kara-tag
lui dire  : « Tu soigneras les gens ; soigne les maladies pures
avec le protecteur des chevaux et les maladies impures avec le
protecteur des moutons, des lézards et d’autres auxiliaires 9. »
Les maladies « pures », qui touchent la partie haute du corps,
sont donc à la charge des esprits maîtres des chevaux, ces
cavaliers représentés dans les parties médiane et supérieure
du tambour. En revanche, les maladies impures situées dans
le bas du corps, plus particulièrement les maladies gynéco­
logiques, relèvent du maître des moutons, qu’on a vu associé
aux batraciens et aux reptiles du bas du tambour. Il existe
donc effectivement une correspondance entre la verticalité du
tambour et celle du corps humain établie par l’intermédiaire
de l’ordre spatial du paysage et de ses habitants représentés
sur la membrane.
Mais les figures du tambour sont aussi organisées sur un plan
horizontal. Nous avons déjà observé une régularité frappante  :
sur la plupart des tambours du monde turc, les figures dessinées
sont orientées vers senestre. Il nous est apparu que cette récur-
rence ne peut s’expliquer que si l’on prend en considération
les gestes et postures du chamane  : animaux et personnages
doivent avancer dans la même direction que le chamane lorsqu’il
chevauche son tambour-monture (figure 69).

9 Potapov, 1981, p. 133.

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Figure 66. Tambour tatar kyshtim. Manuscrit de Daniel Messerschmidt,
e  10
xviii  siècle .

Or les tambours khakas recèlent encore une autre orienta-


tion gauche-droite récurrente. Ivanov a noté que les arbres se
situent généralement dans la partie senestre, sans toutefois
pouvoir expliquer cette régularité 11. Ils se trouvent en fait en
opposition diamétrale avec les cavaliers qui occupent le bord
dextre et s’étendent vers le centre. Cette opposition, d’une
force et d’une stabilité frappantes, apparaît très nettement dès
le xviiie  siècle dans le tambour kyshtim (figure  66), mais aussi
dans les tambours modernes des Teleut et des Altaïens du Sud.
Malheureusement aucun ethnologue n’a interrogé un chamane
sur cette disposition spatiale qui caractérise les tambours de la
famille tatare depuis plusieurs siècles. À nouveau, les choses
s’éclairent si l’on regarde les figures non comme des tableaux
mais comme la surface d’un objet à trois dimensions associé à
des techniques corporelles.

10 Messerschmidt indique dans son manuscrit que ce tambour appartient aux


Tatar Kyshtim. Il a été attribué par erreur aux Turcs Barabin par Strahlenberg
en 1730, comme l’a montré Ivanov (1979, p. 143‑45). Plusieurs auteurs, dont
Lot-Falck et Diószegi (1973) et moi-même (Stépanoff, 2013), ont suivi l’attri-
bution fausse de Strahlenberg aux Barabin. Il s’agit en réalité d’un tambour
des ancêtres des Khakas.
11 Ivanov, 1955, p. 215.

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Dans sa main gauche, le chamane tient le manche du


tambour en bois de bouleau, précisément l’arbre représenté
sur le bord droit. Les chamanes altaïens disent d’ailleurs expli-
citement que ce dessin représente le bouleau dont on a fait le
manche du tambour 12. De sa main droite, l’officiant agite son
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battoir, qualifié de « cravache » (hymchy). Les cavaliers turco-
mongols tiennent en effet toujours la cravache dans la main
droite. Le bras droit du chamane est donc associé à la pulsation
et à la monte équestre, alors que son bras gauche, relative-
ment immobile, est lié à la stabilité et au bois de bouleau.
Cette répartition des tâches des mains est universelle dans le
chamanisme turco-mongol de Sibérie, et c’est ce qui explique
le positionnement stable des cavaliers à dextre et des arbres à
senestre sur ces tambours, à travers les populations et à travers
les siècles.
Comme ailleurs, les chamanes khakas commencent le rituel
assis face au feu, la tête dans le cadre du tambour, battant la
membrane de coups légers (figures 67 et 68). À mesure que les
esprits auxiliaires invoqués se présentent dans les perceptions
du chamane, il frappe et chante plus fort, jusqu’à se lever,
marquant ainsi le début de son « voyage » (chörerge) avec ses
auxiliaires vers les montagnes voisines, le ciel ou l’enfer selon
le cas. Mettons-nous à sa place  : lorsqu’il a la tête dans le
tambour, il voit apparaître à contre-jour les dessins éclairés par
le feu (figure  45). Le visage caché derrière la membrane, il se
coupe des perceptions ordinaires pour entrer ostensiblement
dans un champ relationnel et perceptif nouveau. Il laisse les
dessins et le battement de la membrane qui résonne puissam-
ment près de ses oreilles envahir sa vision et son audition. Il
voit par transparence se dessiner à sa gauche les silhouettes
des bouleaux, et à sa droite celles des cavaliers. Pour l’officiant,
mais aussi pour l’assistance, la partie senestre de la membrane
peinte s’associe clairement à son bras gauche et la partie dextre
à son bras droit.

12 Anohin, 1924, p. 56.

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Figure 67. Chamane khakas (kachin), 1894. Le côté droit du chamane
est mobile, tandis que le côté gauche est stable.

Figure 68. Un chamane khakas face au feu, 1914.

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Figure  69. Chamane khakas chevauchant son tambour, début du
e
xx  siècle.

La disposition des figures sur l’axe senestre-dextre est donc


structurée par deux ensembles d’évocations associées aux posi-
tions du tambour représentées sur la figure 59. Elle est en rapport
de projection avec la latéralisation du corps du chamane. Chez
les voisins altaïens des Khakas, nous avons vu que l’associa-
tion du tambour avec le corps chamanique est particulièrement
explicite puisqu’une figure anthropomorphe représentant un
chamane ancêtre organise l’ensemble de la composition. La
superposition du corps chamanique et du tambour apparaît aussi
parfaitement sur le pétroglyphe d’Oglahty, en région khakas, où
la traverse métallique occupe la place des bras, avec un arbre
situé du côté du bras gauche – nous savons pourquoi (figure 70).
Au cours des rituels, cette projection est donnée à voir lorsque
le tambour est parallèle à la ligne des épaules du chamane,
c’est-à-dire lorsque celui-ci frappe doucement.

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Figure  70. Pétroglyphe d’Oglahty, Khakassie, xviie-xixe  siècle. On
reconnaît le bonnet typique des chamanes khakas. La traverse
métallique avec ses pendeloques fusionne avec les bras du person-
nage. Comme d’habitude, l’arbre figure du côté du bras gauche du
chamane.

Mais l’orientation individuelle des figures tournées vers senestre


renvoie par ailleurs à une autre position classique, lorsque le
tambour fait office de monture enjambée par le chamane et, plus
simplement, quand l’officiant bat fort et vite du battoir et que
l’instrument se trouve perpendiculaire à l’axe des épaules. Ce
dernier n’est alors plus un double, mais un cheval compagnon
et dès lors la partie senestre se relie à l’avant du chamane et la
partie dextre à son arrière. Ces deux relations, l’identification
parallèle et la complémentarité perpendiculaire, ne sont pas en
contradiction : elles correspondent aux deux positions extrêmes
du tambour entre lesquelles le chamane va et vient au cours du
rituel dans une alternance de pauses et d’excitations.

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Les esprits dans la yourte


Nous avons discerné des liaisons profondes entre
tambour et corps chamanique. Il existe en outre une série de corres-
pondances entre le tambour et l’ordonnancement de la yourte
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khakas comme le révèle la présence commune de certains esprits
dans les deux espaces. Dans leurs explications concernant les figures
des tambours, les chamanes font souvent référence à la yourte. Le
chamane Petrov indiquait que tout en bas de son tambour figure
le « maître de l’eau », avant d’expliquer que cette entité est honorée
par les chefs de famille en posant un plat de viande d’agneau
chaude près de la porte, « pour que cela fume vers le maître de
l’eau ». En effet, dans la yourte, on conserve l’eau à droite de la
porte en entrant. Petrov indiquait aussi que les sept étoiles figurant
dans le ciel du tambour sont évoquées par les chamanes dans le
chant qu’ils adressent à kök yzyk, une amulette installée à distance
de la porte, dans la partie sud ou sud-ouest. Deux autres chamanes,
interrogés à cinquante ans d’écart, désignent l’ours situé dans le bas
de leur tambour comme le « gardien de l’entrée de la yourte 13 ».
Ces associations entre dessins et yourte sont-elles fortuites ou
indiquent-elles une correspondance générale ? Si la c­ orrespondance
est systématique, alors le tambour s’avérera ­coordonné à la fois
au corps chamanique et à l’espace environnant, ce qui pourrait
éclairer sa fonction d’instrument d’« orientation » affirmée par
les chamanes.
La yourte et le tambour sont deux cercles orientés. Chez les
peuples nomades d’Asie septentrionale, le changement régulier
de site concret d’habitat n’a rien à voir avec l’errance et l’insta-
bilité spatiale qu’imaginent les sédentaires. Au contraire, l’orien-
tation et l’organisation de l’espace domestique sont gouvernées
par des principes abstraits appliqués avec rigueur et constance
dans les différents lieux concrets habités. Preuve de la puissance
de ces principes, lorsque, au cours du xixe siècle, les Khakas ont
abandonné leurs yourtes de feutre pour des structures de bois
polygonales, ils ont conservé l’ordonnancement spatial ancien.

13 Katanov, 1907, I, p. 565 ; Potapov, 1981, p. 135.

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Figure 71. Le côté féminin d’une yourte sagai, 1912.

La yourte est un espace fortement polarisé, divisé en quatre


grandes zones dans lesquelles chaque objet et chaque activité ont
leur emplacement prévu comme nous allons le voir (figure 72).
Le coin de la porte est orienté à la façon turque vers l’est, appelé
en khakas isker, c’est-à-dire « devant ». Au centre de la yourte
est installé le foyer surmonté d’un trou à fumée dans le toit.
Au-delà du feu, à l’opposé de la porte, s’étend le coin d’honneur,
tör, où est disposé le lit des maîtres. Ici s’assoient les anciens et
les hôtes d’importance, idéalement la face éclairée par le soleil
levant. C’est le point de vue de ces personnes qui détermine
les valeurs associées à l’espace intérieur. À leur droite, s’étend
la partie pure et masculine, appelée en khakas üstünzaryh, le
« côté haut » (üstü sary), terme qui désigne le sud. À leur gauche,
la partie opposée, féminine et impure, est nommée altynzaryh,
littéralement le « côté bas » (alty sary), qui est le nom du nord.
Les murs méridionaux portent les instruments masculins  : le
fusil au sud-ouest et le harnachement des chevaux au sud-est,

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Un voyage cosmique à la maison 303
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Figure  72. Emplacement des esprits dans la yourte. L’axe qui va
nord-est au sud-ouest correspond à l’axe haut-bas du tambour. En
italique, les esprits présents dans la yourte mais absents du tambour.

près de la porte. Le long des murs septentrionaux s’étendent


les instruments des femmes, étagères de vaisselle et ustensiles
de cuisine (figure  71). Si le sud est « haut » et le nord « bas »
comme chez les Ket, c’est en raison de la géographie du pays
khakas, drainé comme le pays ket par le Ienisseï qui descend
des steppes tuva au sud vers l’Arctique.
Or une deuxième opposition verticale polarise de façon plus
latente la porte et le coin d’honneur (tör). En langue khakas,
si l’opposition sud-nord est exprimée très explicitement par le
contraste üstü-alty qui désigne un haut et un bas superposés,
l’opposition ouest-est peut être désignée par un couple proche
sémantiquement : chogar-töbin qui renvoie à un haut et bas non
superposés mais étalés selon la pente d’une montagne ou d’une
rivière 14. La partie d’honneur tör étant à l’ouest par rapport à la
porte, elle est plus « haut » (chogar) que celle-ci. Le tör peut être
nommé « tête du feu » (ot pazy) alors que le coin de la porte est

14 Radlov, 1893‑1911, t. 3, p. 410 ; Anzhiganova, 2006, p. 982.

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304 Technologies de l’imagination et hiérarchie

l’« arrière du feu » (ot soo) 15. Chez les Altaïens, cette opposition


s’exprime par les termes « tête du feu » (ottyn bazhy) et « jambes
du feu » (ottyn budy). En altaïen, comme en tuva, on invite à
s’asseoir dans le tör un hôte trop modeste qui se tient près de la
porte en lui disant : « Asseyez-vous plus haut ! » (Örü oturar 16).
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Par conséquent, un contraste radical oppose le quart nord-est,
secteur deux fois inférieur, et face à lui, le quart sud-ouest, deux
fois supérieur 17. C’est précisément dans le secteur sud-ouest
qu’est installé l’autel domestique, appelé l’« emplacement du
dieu céleste Kudai ». Ici sont suspendus les objets sacrés  : les
icônes orthodoxes et le tambour chamanique lorsqu’un chamane
est présent. À l’opposé, dans le coin nord-est, sont rangés des
seaux contenant les réserves d’eau et les produits laitiers. La
yourte s’avère ainsi traversée comme le tambour par une oppo-
sition entre le haut céleste et le bas aquatique.
La yourte entretient des liens étroits avec la structure du
monde. C’est un microcosme lié au macrocosme, bien qu’il en
soit la réduction, car la maison sert aussi de modèle au monde :
ainsi le ciel est décrit comme une coupole de yourte et l’étoile en
constitue le trou à fumée. L’ordre spatial de la yourte s’enrichit
d’évocations complexes par la présence sur ses murs d’amu-
lettes représentant des esprits protecteurs des humains et du
bétail. Chaque amulette, siégeant à un emplacement précis,
reçoit des offrandes spécifiques et se spécialise dans un soin
ou une protection particuliers 18. Sur les murs septentrionaux
trouvent place des esprits liés aux femmes, regardés avec suspi-
cion par les hommes qui les qualifient de « mauvais esprits »  :
par exemple la « femme esprit teleut » (tileg-tös), responsable des
maladies des pis de vache et des maux de ventre, et l’ours situé
au nord-est 19. Plusieurs de ces amulettes n’ont pas leur pendant

15 Communication personnelle de l’ethnologue khakas Viktor Butanaev,


30 septembre 2011.
16 Tadina, 2006.
17 Cf.  la polarisation de la yourte mongole, orientée quant à elle vers le sud
(Hamayon, 1979).
18 Adrianov, 1909 ; Butanaev, 2003 ; Katanov, 1907 ; L’vova et alii, 1988, p. 58.
19 Iakovlev, 1900, p. 107 ; Katanov, 1907, I, p. 425.

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Un voyage cosmique à la maison 305

sur le tambour, ainsi la mère Ymai, protectrice des femmes et


des enfants. Située au nord-ouest, dans la partie féminine du
coin d’honneur, elle est cependant en rapport avec un élément
constant des tambours khakas, les bouleaux plantés dans la partie
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droite. À propos de ces arbres, un chamane expliquait en effet :
« Quand nous sommes nés de notre père Ülgen [dieu créateur,
équivalent de Kudai], ces deux bouleaux ont été envoyés avec
la mère Ymai 20. » De l’autre côté, les murs méridionaux sont
ornés d’esprits cavaliers, Tuma le Noir et Seigneur Gaucher, avec
lesquels nous avons déjà fait connaissance sur le tambour. Ils
sont situés dans la moitié méridionale de la yourte, précisément
du côté d’où ils sont supposés venir, les steppes mongoles et
tuva. Ils ont face à eux, côté nord, la « femme esprit teleut », dite
aussi « esprit du nord » (altynzary tös), et l’« esprit toungouse »
(toŋaza tös), responsable des vents du nord. Or les Teleut sont
établis au nord-ouest du pays khakas et les Toungouses peuplent
toute la taïga septentrionale  : leur position dans la yourte est
donc conforme à la géographie. C’est aussi dans la partie nord
que sont installés d’autres représentants du monde de la taïga :
l’ours, le renard et le putois. Bref, c’est toute la géographie envi-
ronnant le pays des Khakas qui se trouve exposée dans leur
maison. L’espace domestique de la yourte ne constitue pas un
globe fermé sur lui-même comme dans les sociétés modernes
qui séparent autant que possible monde domestique et monde
sauvage  : avec ses amulettes, la yourte est parsemée de points
de départ vers les forêts et les steppes environnantes.
Si l’on examine maintenant les spécialités des amulettes,
on constate que les esprits du nord-est sont responsables de
maladies liées aux parties basses du corps, alors que ceux du
sud-ouest sont compétents pour le haut du corps. À partir de
l’orientation de la yourte vers le levant, le réseau des amulettes
crée un ensemble de correspondances implicites entre le plan
de l’habitat, le corps humain, le paysage environnant et une
géographie lointaine. Avec ce réseau de correspondances, le
lecteur conviendra sans doute que le parallèle entre la yourte

20 Katanov, 1907, I, p. 565.

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306 Technologies de l’imagination et hiérarchie

et le tambour est évident. Tentons de superposer ces deux cercles


cosmiques que sont le plan de la yourte et celui du tambour pour
voir si s’en dégagent des principes d’organisation communs.
Dans le cercle des esprits de la yourte, l’opposition la plus
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constante est celle qui met face à face l’autel du céleste Kudai
au sud-ouest et l’esprit ours, au nord-est, près du seau d’eau.
L’ours est en effet installé sur le côté féminin (nord) de la
porte. Hibernant dans une tanière, le plantigrade est souvent
associé dans le chamanisme hiérarchique au monde inférieur, à
­l’obscurité et à la féminité. Dans la yourte khakas, il est figuré
par un bâton couvert de fourrure d’ours et orné d’un anneau
de bronze évoquant probablement l’entrée de sa tanière et les
lieux de communication entre les mondes qu’il surveille, porte
et orifices inférieurs du corps. Nourri par une vieille femme, il est
invoqué pour lutter contre la diarrhée et les maladies vénériennes.
Les figures situées dans le secteur inférieur du tambour,
comme Tuma le Noir et le serpent, se retrouvent dans l’est, le
nord-est et le nord de la yourte. Les « trois hommes noirs » situés
dans le secteur inférieur d’un tambour sont désignés comme
des « intermédiaires » de la femme esprit teleut qui est installée
dans le nord de la yourte 21.
Le secteur supérieur de l’instrument correspond ainsi aux
régions ouest, sud-ouest et sud de la yourte. En effet, les astres
du tambour, situés « sous la maison de Kudai », ont évidemment
pour équivalent dans la yourte l’autel de Kudai. Dessinés sous
les astres, les oiseaux (hus tös) du tambour se retrouvent dans
la région sud de la yourte avec pour fonction de soigner la tête,
les yeux, les oreilles et les dents (figure 73). Les cavaliers blanc
ou rouge, comme Seigneur Gaucher, qui cavalcadent dans le
secteur supérieur du tambour se retrouvent dans le sud et l’ouest
de la yourte. La cavalière blanche Salyg, visible sur le tambour
de la figure 65 tout en haut du cercle, a sa place dans le secteur
ouest de la yourte, entre le lit et l’autel 22. Bref, en superposant
yourte et tambour, nous voyons que l’axe haut-bas du tambour

21 Katanov, 1907, I, p. 598, 611


22 Adrianov, 1909, p. 524 ; Ivanov, 1955, p. 204.

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Figure 73. Esprit coucou, khakas.

a pour équivalent dans la yourte l’axe sud-ouest/nord-est avec les


oppositions communes  : céleste/souterrain, sec/humide, clair/
obscur. Ceci n’est d’ailleurs pas surprenant si l’on se souvient
que, en dehors du rituel, le tambour est suspendu dans la partie
sud-ouest de l’habitat. Sur sa membrane se projettent en quelque
sorte les esprits de la yourte, vus de l’endroit où il se trouve.
Qu’en est-il de l’axe gauche-droite du tambour, organisé
autour de l’opposition cavalier-bouleau ? Le monde des cava-
liers des steppes, concentré à dextre sur le tambour, est réuni
dans la moitié méridionale de la yourte. Les bouleaux situés à
senestre sur le tambour sont liés et la déesse Ymai qui siège dans
la partie nord-ouest de la yourte. En outre, dans le côté nord
sont concentrées des références animales et humaines au monde
forestier  : le renard, le putois, mais aussi l’esprit toungouse. Il
apparaît donc que le contraste cavalier-bouleau du tambour est
converti dans la yourte en un contraste sud-nord entre animaux
domestiques et animaux sauvages et, à travers eux, entre steppe
et taïga. La partie dextre du tambour se retrouve donc globale-
ment dans le sud de la yourte et la partie senestre dans le nord.

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308 Technologies de l’imagination et hiérarchie

Le rituel et ses espaces de référence


Si yourte et tambour présentent tant de correspon-
dances, c’est que ces deux surfaces circulaires obéissent à des
schémas spatiaux communs les coordonnant à un paysage visible
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et invisible. À tel point que le tambour peut apparaître comme
une sorte de modélisation graphique de la yourte et de ce qui
s’y passe. Par exemple, sur l’instrument de la figure 65, on voit
danser un chamane accompagné à sa gauche de sept person-
nages rouges, qualifiés de « filles jaunes », et à sa droite de neuf
personnages noirs appelés « garçons noirs » 23. Or cette disposi-
tion correspond à des danses collectives exécutées au cours des
rituels. Il arrivait que le chamane demande à neuf garçons de
se placer dans le côté masculin de la yourte, à sept filles dans
le côté féminin, et tous dansaient ensemble. Dans son chant,
il les appelle les « filles jaunes » et les « garçons noirs », enfants
du Maître de la montagne 24. Ils ne sont pas censés incarner ces
esprits mais simplement aider le chamane à représenter l’action
qu’il accomplit dans l’espace virtuel. Le tambour de la figure 65
constitue donc comme un modèle réaliste de ce dispositif rituel,
confirmant la correspondance entre dextre-côté masculin et
senestre-côté féminin.
Afin d’y voir plus clair, nous allons examiner de plus près
le scénario d’un rituel accompli au début du xxe  siècle par
un chamane khakas appelé Pituk. Nous utiliserons la descrip-
tion qu’en donne l’ethnologue Butanaev pour identifier les
espaces de référence auxquels peuvent se rapporter les entités
invoquées 25. Pituk est venu soigner un malade dans sa yourte,
environné de sa famille. Il a diagnostiqué que le patient a
perdu son âme (hut) et qu’un esprit pathogène (aina) en a
profité pour s’installer dans son corps. La procédure de cure
aura pour objectif de récupérer l’âme du patient et de chasser
le mauvais esprit.

23 Description de l’inventaire n° 2390‑1, musée d’Anthropologie et d’Ethnologie,


Saint-Pétersbourg.
24 Gmelin 1767, III, p. 336‑337 ; Butanaev, 2006, p. 195.
25 Ce rituel est décrit par Butanaev, 2006, p. 196‑207.

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Figure 74. Rituel dans une yourte khakas : le chamane se tient face
à la porte, dans la partie est de la yourte, 1914.

Le chamane se tient pour le moment près de la porte. Il


entonne une invocation de ses auxiliaires :
Esprits de mon père-khan,
Envoyés de ma mère-khan,
Mes gens qui avez secoué mes épaules et mon cou,

Vous me faites sauter à fendre mes semelles,


Vous me faites hurler à me déchirer la voix.
Mes odžan [esprits] tenant le battoir,
Enroulez-vous sur ma main droite.
Mes tüben [esprits] tenant le tambour,
Entourez ma main gauche.

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310 Technologies de l’imagination et hiérarchie

Dans ce passage introductif classique, le chamane nomme


de façon générique ses esprits en rappelant qu’il les a hérités
de ses ancêtres et en remémorant les souffrances qu’il a traver-
sées. L’expression « Mes gens qui avez secoué mes épaules et
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mon cou » est presque mot pour mot celle que nous avons
relevée auprès d’une chamane tuva contemporaine (cf. supra
p.  264). Nous avions vu que ce passage évoque à la fois la
crise chamanique et les mouvements actuels de l’officiant qui
chante en dansant. L’invocation se poursuit par une description
du costume rituel :

Les bandelettes de mon costume


Se sont tordues comme des roseaux ;
Cinquante clochettes de mon costume blindé,
Vous chantez comme des oiseaux.

Puis commence l’évocation précise d’esprits individuels :

Mes serpents comme des flèches sifflantes,


Comme des flèches, sont tirés.
Mes grenouilles rugueuses,
Volant dans la clarté jaune,
Mes grenouilles aux doigts écartés,
Mes ours aux pattes tordues.

Les animaux cités dans ce passage, serpents, grenouilles et


ours, se localisent tous dans la strate la plus basse de l’éco­
système. Ils sont aussi associés à trois espaces de référence immé-
diatement présents dans la scène rituelle. Ainsi, les serpents sont
figurés dans le bas du costume sous la forme de bandes de tissu.
Mais serpents et ours sont aussi présents dans la yourte près
de la porte, l’endroit même où se trouve le chamane quand il
prononce ces mots. Enfin, les trois espèces ont généralement
leurs représentants dessinés dans le bas du tambour. Le chant
glisse d’une description explicite du costume (« les bandelettes de
mon costume ») à une référence possible aux dessins du tambour
et aux murs de la yourte, mobilisant ainsi trois espaces de réfé-
rence immédiats. Il poursuit :

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Un voyage cosmique à la maison 311

Mon esprit teleut, âme du troupeau,


Ours brun, qui regarde à travers un anneau,
Mes esprits oiseaux, âme de l’homme ;
À la tête du meuble de tête [pas paraan],
Âme de la tête du petit enfant,
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Grande mère Ymai,
Des coquillages blancs, du bouton de bronze,
Tu tires du fil de soie rouge.

Cette fois, le chant se réfère sans ambiguïté à l’espace de


la yourte. L’esprit teleut, absent des costumes et des tambours
chamaniques, a son amulette dans la partie nord de la yourte.
L’ours cité ensuite est ici clairement celui de la yourte, car
l’« anneau » évoqué fait partie des éléments dont est consti-
tuée son amulette. L’ours est donc apparu à deux reprises,
une première fois dans l’espace de référence du tambour en
compagnie des serpents et des grenouilles, puis sous son aspect
d’amulette dans la yourte. Ensuite, la description de la déesse
Ymai fait référence à la « tête du meuble de tête », c’est-à-dire
aux environs du coin d’honneur tör. Le chant se poursuit ainsi :
Créé par le khan chinois,
Venu de la célèbre Tuva,
Arrivé du mont Sabyna,
Toi, dont les flèches ne tombent jamais à terre,
Tu tires sans rater, Seigneur Gaucher.
Sorti de la noire Mongolie,
Attaché au pieu d’acier au centre de la terre,
Tuma le Noir au visage plus noir que la terre.
Racines de la terre noire,
Étoiles du grand ciel,
En montant ouvrez la route.

Dans ce passage, le chamane nomme des cavaliers que nous


savons situés dans la partie gauche du tambour et le coin sud
de la yourte. Les trois derniers vers évoquent un mouvement
de « montée » menant de la terre noire vers le ciel. Tout en
prononçant ces paroles, le chamane a quitté la porte et s’est
avancé jusqu’au lieu d’honneur, un déplacement qui lui fait
traverser la yourte d’est en ouest.

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Figure  75. Le chamane se tient dans la partie d’honneur devant
l’autel et face au feu, dans le coin sud-ouest de la yourte, 1914.

Se tenant maintenant dans le coin d’honneur face au


foyer, il entonne une louange de l’esprit mère du feu, suivie
de ­l’invocation  : « Que les Trois Biches [Orion] donnent le
bonheur ! » L’assistance lui répond  : « Oui, qu’il en soit ainsi.
Que les Ciels nous le donnent. Qu’ils ne brisent pas l’âme ! »
L’espace de référence de cet échange de prières est le ciel (Kudai),
représenté dans la yourte par l’autel du ciel au pied duquel se
tient maintenant le chamane et, dans le tambour, par la partie
la plus haute où les trois biches de la constellation d’Orion sont
souvent figurées.
Si l’on résume la progression décrite par le chant, on voit
que l’on a suivi l’axe d’opposition principal de la yourte en
passant des êtres les plus bas de la partie « basse » (nord), comme
l’ours, à l’être le plus élevé de la partie « basse », Ymaj, avant

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Un voyage cosmique à la maison 313

d’évoquer les cavaliers appartenant à la partie « haute » (sud)


pour accéder aux entités célestes, les plus éminentes de la partie
« haute ». Cette ascension en paroles est en concordance avec le
déplacement physique accompli par le chamane depuis la porte
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jusqu’au coin d’honneur.
Le chamane fait ensuite trois fois le tour du foyer, ce qui
indique un changement de scène. Les participants exécutent des
libations tandis que le chant invoque les esprits des montagnes
environnantes. Le chamane obtient d’eux la restitution de l’âme
du malade et fait le geste de l’installer dans son tambour. Il
emmène alors avec lui le patient près de la porte et prononce
ces paroles :
Devenu une grenouille, bondis !
Devenu un serpent, rampe !
Ne sois plus un démon [aina] qui ne se sépare pas et ne part pas,
Ne sois plus un diable [irlik] toujours lancinant,
Que la tête du démon soit en bas [töbin],
Que la tête de l’humain lunaire soit en haut [chogar],
Que les invisibles soient en bas [töbin],
Que les humains solaires 26 soient en haut [chogar].

Grenouille et serpent ici évoqués font référence à la porte de


la yourte, près de laquelle on se trouve, mais aussi au bas du
tambour où ils sont figurés. Les paroles du chant s’adressent
d’abord à un destinataire ambigu qui est à la fois le patient et le
démon pathogène fixé en lui. Puis les deux entités sont incitées
à se dissocier, l’officiant exigeant du démon qu’il reparte vers
le monde inférieur (töbin) qu’il n’aurait pas dû quitter (« Que
la tête du démon soit en bas »). En même temps, il doit faire
remonter (chogar) le malade vers le monde du milieu (« Que la
tête de l’humain soit en haut »).
Le chant passe ensuite à une invocation des étoiles, c’est-à-dire
des entités célestes à l’opposé diamétral de l’ours et du serpent
précédemment cités. Ce nouveau bond du plus bas au plus haut

26 Les humains sont qualifiés de « lunaires » et « solaires » dans les chants chama-
niques, par opposition aux habitants du monde inférieur qui n’a ni lune ni
soleil.

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314 Technologies de l’imagination et hiérarchie

est suivi d’une redescente inverse à travers les amulettes de la


yourte. Le chamane nomme Ymaj « à la tête du meuble de tête »,
puis les esprits médians, la « femme esprit teleut au nord » et
face à elle l’« esprit oiseau au sud », et la descente s’achève près
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de la porte avec l’ours au « vieil anneau ».
Après cet aller et retour en paroles du plus bas au plus haut
de la yourte, vient l’action finale décisive de la restitution de
l’âme (hut). Le chamane réalise ce transfert en donnant à boire au
patient du lait dans lequel il a « versé » l’âme. Invoquant les ciels
créateurs, l’officiant fait alors accomplir au malade le parcours de
la porte vers l’autel qu’il a lui-même exécuté au début du rituel,
le faisant ainsi passer des bas-fonds obscurs de l’ours au nord-est
à la clarté céleste de l’autel au sud-ouest. La formule « Que la
tête de l’humain soit en haut » (chogar) s’entend simultanément
dans l’espace cosmique et dans l’espace de la yourte. Chogar « en
haut » peut désigner l’ouest, et l’on sait que üstü est à la fois
le haut et le sud, de sorte que le mouvement vers l’autel, au
sud-ouest, est doublement ascendant. La terminologie verticale
du voyage chamanique s’appuie directement sur la terminologie
et les références associées aux parties de l’espace domestique.
La technique de cure menée par le chamane Pituk se fonde
sur la création d’un espace complexe, riche d’évocations, qui sert
de cadre à des déplacements rétablissant une topologie cosmique
perturbée. Les quelques pas du patient de la porte aux environs
de l’autel se donnent ainsi à percevoir comme un mouvement
cosmique, une remontée depuis le funèbre monde d’en bas vers
le monde du milieu. Simultanément, les présences pathogènes
qui s’étaient installées dans son corps sont abandonnées près de
l’ours qui est chargé de les maintenir à leur place.

Un rituel chamanique est un dispositif ayant pour objet de


créer une situation de coprésence entre le chamane, ses patients
et des esprits invisibles 27.
Le « voyage chamanique » khakas procède par un enrichisse-
ment progressif de l’espace visible où se situe l’assistance afin

27 Hanks, 2009.

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Un voyage cosmique à la maison 315

de faire émerger un cadre spatial modifié. Au début du rituel, le


chant énumère des références à des esprits associés à des paysages
lointains et inaccessibles pour le public –  steppes mongoles,
ciel, monde souterrain – qui constituent un espace virtuel, c’est-
© La Découverte | Téléchargé le 14/02/2023 sur www.cairn.info via Université Bordeaux Montaigne (IP: 147.210.116.181)

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à-dire un espace de référence différent de l’ici et maintenant. Ces
entités sont figurées dans l’espace immédiat de la scène rituelle
par des projections indicielles sur les diverses surfaces des espaces
de référence immédiats  : le costume chamanique, le tambour,
les murs de la yourte. Ces points de connexion sont activés au
fil du chant, qui glisse entre les espaces de référence et les fait
se chevaucher dans des relations ambiguës d’identification et
de projection.
On saisit mieux maintenant en quoi les dessins peuvent
aider les chamanes à « s’orienter ». Si l’espace virtuel, la yourte
et le corps du chamane se nouent dans le schéma spatial du
tambour, l’officiant peut facilement se repérer dans l’univers par
de simples gestes dans la yourte. À partir de sa proprioception,
des sensations de sa main droite et de sa main gauche, il peut
faire dériver des asymétries entre gauche et droite, stabilité et
mouvement, arbres et cavaliers, taïga et steppe, et les différents
itinéraires qui en dérivent. Il doit mémoriser ses dessins non
pas seulement visuellement mais de façon synesthésique en les
couplant à la perception de ses fonctions motrices. L’importance
de la motricité dans l’imagination, mise en évidence par les
neurosciences, nous aide à mieux comprendre comment cela
est possible. Les dessins chamaniques sont en définitive moins
des supports expressifs de croyances qu’une technologie subtile
et efficace contribuant à transmettre et stabiliser des modèles de
coordination sensorimotrice du corps dans un espace hybridé,
enchâssant le cosmique dans le quotidien.

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