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Les mutations en sourdine du financement du logement

social
Jean-Claude Driant
Dans Regards croisés sur l'économie 2011/1 (n° 9), pages 187 à 197
Éditions La Découverte
ISSN 1956-7413
ISBN 9782707168931
DOI 10.3917/rce.009.0187
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»» Les mutations en sourdine
du financement du logement
social
Jean-Claude Driant est professeur à l’institut d’urbanisme de Paris
(université Paris Est) et directeur du Lab’Urba.

L a France est l’un des très rares pays européens qui ont fait le choix de
poursuivre le développement quantitatif d’un parc de logements locatifs
sociaux. À ce titre, si l’on en croit les annonces du secrétaire d’État chargé
du logement, Benoist Apparu, l’année 2010 constitue même un record, avec
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le financement de plus de 130 000 nouvelles unités 1. Une telle performance
semble contradictoire avec les inquiétudes constamment énoncées par les
représentants du milieu des habitations à loyer modéré (HLM), les collecti-
vités territoriales et le monde associatif qui ne cessent de dénoncer un retrait
de l’État en la matière.
Cette contradiction repose principalement sur un ensemble de glisse-
ments en apparence techniques dans le mode de financement du logement
social. Ceux-ci, opérés en sourdine depuis le milieu des années 2000 et
Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

sans réforme majeure, consistent à minimiser progressivement les apports


de l’État pour chaque opération financée, soit en développant des produits
immobiliers moins coûteux, soit en multipliant des recours à d’autres sour-
ces de financement.
Pour mieux comprendre ces évolutions et en mesurer les risques pour
l’avenir, il est nécessaire de rappeler les principaux mécanismes du finance-
ment du logement social et d’en pointer les ajustements successifs au cours

1. Annonce faite notamment dans la conférence de presse de Benoist Apparu du 20 janvier 2011
(en ligne sur le site http://www.developpement-durable.gouv.fr/).
188 Pour sortir de la crise du logement

des dernières années. Cette analyse sera l’occasion, in fine, d’interroger les
scénarios d’évolution qui, d’ores et déjà, se dégagent.

Créer du logement social :


de l’agrément au circuit de financement
Le financement du logement social en France est organisé sous la forme
d’un panier composite de subventions, d’avantages fiscaux, de fonds propres
et de prêts. Il s’applique à l’accroissement de l’offre sous toutes ses formes
(construction neuve, acquisition d’immeubles existants avec ou sans travaux,
acquisition d’immeubles neufs construits par des promoteurs immobiliers).
Une fois les logements mis en location, le financement de la gestion est entiè-
rement assuré par les loyers des occupants, lesquels sont couverts, pour les
ménages les plus modestes, par l’aide personnalisée au logement (APL).
La première pierre du dispositif de financement des HLM est la déli-
vrance d’un agrément pour chaque opération. Celui-ci consiste à autoriser
la production ou l’achat d’un immeuble et engage l’État à la signature d’une
convention au moment de sa mise en service, garantissant ainsi l’application
de la législation du logement social en matière de ressources des locataires,
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de loyers et de droit à l’APL.
L’agrément entraîne avec lui un ensemble de conséquences qui consti-
tuent la base du financement du secteur :
–– Il déclenche l’attribution d’une subvention de l’État, proportionnelle à
une assiette correspondant à un coût de production normé.
–– Il fait bénéficier l’opération d’un taux réduit de TVA à 5,5  % pour la
construction.
Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte
–– Il entraîne une exonération de taxe foncière sur la propriété bâtie pour
l’immeuble financé pendant 25 ans. Le manque à gagner pour les collec-
tivités territoriales est partiellement compensé par l’État 2.
–– Il ouvre l’accès à des prêts spécifiques de la Caisse des dépôts.
Il existe, début 2011, trois types d’agrément correspondant à des pro-
duits immobiliers qui répondent à la diversité des cibles sociales des HLM.
–– Le prêt locatif à usage social (PLUS), produit principal, héritier de la
grande tradition des HLM, ciblé, au moins théoriquement, sur les ména-

2. Les dotations de compensation versées aux collectivités ne sont pas actualisées.


Les mutations en sourdine du financement du logement social 189

ges à revenus modestes et moyens. Ses conditions d’accès rendent éligi-


bles près des deux tiers de la population du pays.
–– Le prêt locatif aidé d’intégration (PLA-I), produit plus social, dont les
principes ont été mis au point dès le début des années 1990, moment où
il est apparu que le parc HLM ordinaire pouvait s’avérer trop cher pour
les ménages à bas revenu qui parfois avaient aussi besoin d’un accompa-
gnement social. Les plafonds de ressource des PLA-I couvrent environ
40 % des ménages vivant en France.
–– Le mal nommé prêt locatif social (PLS) qui cherche à constituer un seg-
ment d’offre « intermédiaire » pour les ménages dont les revenus sont supé-
rieurs aux plafonds des PLUS, mais qui peinent à se loger aux conditions
du marché dans les villes où les prix sont élevés. Le PLS vise une popu-
lation située entre les septième et huitième déciles de la répartition des
revenus, c’est-à-dire des ménages relevant des couches supérieures de la
classe moyenne, qui font rarement la démarche de demander un logement
social, notamment parce que 68 % d’entre eux sont déjà propriétaires.
Ces trois catégories de logements sont comptabilisées dans l’obligation
d’atteindre 20  % de logements sociaux dans les communes urbaines 3. En
2010, 20 % des logements financés étaient des PLA-I, 45 % des PLUS et 35 %
des PLS. Entre 2000 et 2010, l’accroissement de la part des logements à loyers
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plus élevés est patente : alors que la production de logements PLUS a aug-
menté de 77  %, celle des PLS a été multipliée par dix. Dans les villes où
le marché immobilier est peu tendu, l’usage du PLS est plus limité ; 60 %
des PLS sont concentrés sur trois régions (Île-de-France, Rhône-Alpes et
PACA).
Dans la plupart des cas, chaque immeuble mêle les trois catégories d’ha-
bitat, sauf s’il s’agit de petites opérations à finalité spécifique qui peuvent ne
contenir que des PLA-I ou des PLS. Ces derniers sont également utilisés pour
Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

le financement de logements sociaux destinés aux étudiants, ou de maisons


de retraite. Certains acteurs tels que l’association Foncière logement, qui se
situe hors du strict cadre des HLM, ne peuvent pas accéder aux finance-
ments PLUS et PLA-I et recourent donc exclusivement aux PLS 4.

3. En application de l’article 55 de la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) du 13 décem-


bre 2000.
4. Foncière logement est un organisme relevant du secteur immobilier du « 1 % logement » (voir
plus loin dans cet article). Sa mission est double : produire et gérer des logements locatifs à loyers
libres dans les opérations de rénovation urbaine (sans financement public) ainsi que des logements
sociaux dans les communes ayant un déficit en la matière. Pour cette part de son activité, Foncière
logement a donc recours aux financements PLS.
190 Pour sortir de la crise du logement

Les avantages fiscaux s’appliquent à l’identique pour l’ensemble des opé-


rations agréées ; ils représentent une dépense totale de l’ordre de 1,7 milliard
d’euros incluant le taux réduit de TVA et la compensation de l’exonération
de taxe foncière. Les autres dimensions du financement varient selon les
produits.
Les subventions de l’État, qui correspondent à l’aide à la pierre directe,
représentent une dépense totale de l’ordre de 500 millions d’euros. Elles ne
s’appliquent pas au PLS et elles s’élèvent au maximum à 5 % de l’assiette pour
les PLUS et à 20 % pour les PLA-I. Dans les faits, ces taux ne sont plus appli-
qués depuis le milieu des années 2000. La pratique la plus courante consiste
à subventionner les PLUS à hauteur de 2 % ou 2,5 % et les PLA-I à hauteur
de 10 %, ce qui a permis de maintenir constante l’enveloppe budgétaire tout
en accroissant le nombre d’unités financées, à partir du plan de cohésion
sociale mis en œuvre entre 2005 et 2009 5. La baisse continue de ces subven-
tions justifie l’inquiétude des acteurs du logement social qui craignent, sans
doute à juste titre, leur disparition prochaine.
Quant aux prêts de la Caisse des dépôts, ils constituent le dernier circuit
fermé du financement du logement en France, tout le reste ayant été progres-
sivement banalisé entre les mains des établissements bancaires ordinaires.
Le système est assis sur l’épargne que les particuliers mettent sur leur Livret
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A, qui est partiellement centralisée à la Caisse des dépôts et sert au finan-
cement de diverses missions de service public, dont la principale est la pro-
duction de logements sociaux. Les prêts, de longue durée, atteignent 40 ans
pour le financement de la construction (ou de l’acquisition) et 50 ans pour la
charge foncière ; leurs taux d’intérêt sont calés sur le niveau de rémunération
du Livret A et varient selon le produit :
–– Livret A plus 0,6 point pour le PLU (soit 2,6 % depuis le 1er février 2011)
Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte
–– Livret A plus 0,2 point pour le PLA-I (soit 1,8 % depuis le 1er février 2011)
–– Livret A plus 1,1 point pour le PLS (soit 3,1 % depuis le 1er février 2011)

5. Le plan de cohésion sociale, renforcé par la loi sur le droit au logement opposable (DALO)
de mars 2007, a programmé un fort accroissement de la production de logements sociaux tout en
maîtrisant la dépense budgétaire en mobilisant fortement le PLS qui ne coûte rien en subvention tout
en rappelant que les taux légaux des subventions PLUS et PLA-I sont des taux maximum et que rien
n’empêche de pratiquer des niveaux inférieurs.
Les mutations en sourdine du financement du logement social 191

Les conditions de la délivrance des agréments


Dans le cadre du droit commun, les agréments sont distribués localement
par les services déconcentrés de l’État 6. Depuis 2005, en application de la loi du
14 août 2004 sur les libertés et responsabilités locales, la ligne budgétaire cor-
respondante peut être déléguée par l’État aux intercommunalités et conseils
généraux qui en font la demande et prennent en charge leur répartition sur
leurs territoires. On parle alors de « délégation des aides à la pierre ».
Ce processus important, qui fait que plus de la moitié de l’enveloppe
nationale est désormais distribuée par des collectivités territoriales, illus-
tre le lent processus décentralisateur qui marque les politiques du logement
depuis le début des années 1980 [Cordier et Driant, 2009]. Les premières lois
de décentralisation ont volontairement ignoré le logement social, au nom
de l’exigence de solidarité nationale. Mais la montée de l’intercommuna-
lité à partir de la fin des années 1990 et le rapprochement des dimensions
sociales et urbaines des politiques du logement ont progressivement donné
une légitimité d’action aux intercommunalités et aux départements. La loi
d’août 2004 prend acte de ce contexte nouveau et donne aux collectivités qui
le souhaitent les moyens d’une meilleure maîtrise locale des moyens natio-
naux. C’est à partir de ce moment que se consolide l’idée de constituer les
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intercommunalités comme « chefs de file » des dimensions locales des poli-
tiques de l’habitat.
Mais ce mouvement décentralisateur est accompagné de dynamiques
contraires. Le plan de cohésion sociale a limité les marges de manœuvre des
collectivités délégataires en leur imposant des objectifs quantitatifs énoncés
d’en haut et sans rapport avec les analyses remontant du terrain et portées
par les programmes locaux de l’habitat (PLH) élaborés sous la responsabi-
lité des structures intercommunales. Dans un autre registre, mais de façon
Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

tout aussi contradictoire avec le processus de décentralisation, les aides de


l’agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) 7 sont établies à l’échelle
nationale par le comité d’engagement de l’agence, sur la base de projets pré-

6. C’est-à-dire par les directions départementales des territoires (DDT), les ex-directions dépar-
tementales de l’équipement (DDE), ou en Île-de-France, par les unités territoriales de la Direction
régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL).
7. En ce qui concerne le logement social, l’ANRU, créée en 2004, finance la démolition d’immeubles
et leur remplacement par des logements neufs selon la règle du « un pour un », avec un programme
quantitatif global de plus de 130 000 unités ente 2004 et 2013. Le programme comporte également
un important effort d’amélioration du parc des quartiers concernés portant sur 300 000 logements à
terme.
192 Pour sortir de la crise du logement

sentés par les communes concernées par la géographie prioritaire de la poli-


tique de la ville. Le budget annuel global de l’ANRU est proche du milliard
d’euros  ; en 2010, elle a financé 16  500 logements neufs dans le cadre du
remplacement des immeubles démolis.
Au début des années 2010, le processus de décentralisation du finance-
ment du logement social reste partiel et inachevé, et pourrait être remis en
cause par la réforme de la fiscalité locale.


Le recul progressif des subventions de l’État impose
aux organismes de logement social de trouver des moyens
complémentaires de financement pour limiter le recours à la dette.

Pourtant, le recul progressif des subventions de l’État dans un contexte



marqué par les hausses des valeurs foncières et des coûts de construction
impose aux organismes de logement social de trouver des moyens complé-
mentaires de financement pour limiter le recours à la dette. Ceux-ci relèvent,
pour l’essentiel, de trois rubriques : les apports des collectivités territoriales,
ceux en provenance du « 1 % logement » et les fonds propres des organismes
eux-mêmes.
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Les apports des collectivités territoriales :
une inconnue déterminante
Si les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne dispo-
sent à ce jour d’aucune compétence formelle en matière de financement des
politiques du logement, certaines d’entre elles assurent la distribution des Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

fonds d’État sur leur territoire via la délégation des aides à la pierre. La plu-
part n’ont pas attendu cette innovation législative pour apporter des contri-
butions additionnelles aux aides nationales de droit commun.
De fait, tant les régions que les départements, les établissements publics
de coopération intercommunale (EPCI) et certaines communes ont déve-
loppé, depuis les années 1990, des mécanismes d’aides financières extrê-
mement diverses pour la production de logements sociaux, en complément
des aides d’État. Selon les cas, ces aides prennent une forme de subvention
forfaitaire et automatique, ajoutée aux mécanismes nationaux, ou sont, de
plus en plus souvent, assorties de conditions formulées en fonction des prio-
Les mutations en sourdine du financement du logement social 193

rités de la collectivité, généralement sociales ou environnementales. Dans


la plupart des grandes villes se cumulent ainsi des aides de la région, du
département et de l’agglomération, répondant à des critères différents qui
conduisent les opérateurs à optimiser leurs projets pour capter le maximum
de ressources. Ces aides ne donnent lieu à aucune consolidation nationale et
restent de ce fait très mal connues, même si les constats formulés localement
montrent qu’elles atteignent souvent des niveaux bien supérieurs à ceux des
subventions directes de l’État. Une récente étude menée conjointement par
l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) et l’Assemblée
des communautés de France (ADCF) évalue l’apport global des collectivités
entre 900 millions et un milliard d’euros, dont la moitié en provenance des
communes et intercommunalités. L’ensemble représenterait une contribu-
tion globale aux plans de financement de 10 % à 14 % [Delpech, 2011].

L’avenir incertain du « 1 % logement »


La participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), connue
sous le terme de « 1 % logement », a été créée en 1953. Le principe initial est
le versement d’une cotisation au taux de 1 % de la masse salariale des entre-
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prises privées de plus de 10 salariés, afin de contribuer au financement du
logement des salariés. Le prélèvement n’est plus aujourd’hui que de 0,45 %.
Les cotisations sont versées à des organismes collecteurs administrés par les
partenaires sociaux, les comités interprofessionnels du logement (CIL).
À ce jour, les moyens de la PEEC sont principalement composés de la
cotisation des entreprises et du remboursement des prêts qu’elle a garantis
dans le cadre de ses emplois. En 2009, l’ensemble représentait un peu plus de
4 milliards d’euros, dont 1,7 de collecte et 2,3 de remboursements.
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Les emplois de la PEEC ont connu d’importantes modifications, surtout


depuis la fin des années 1990, sous l’impulsion de l’État.
Les emplois traditionnels de la PEEC sont les prêts directs aux salariés
et les contributions au financement du logement social. Dans les deux cas,
ces ressources permettent d’octroyer des conditions de crédit extrêmement
favorables, avec des taux d’intérêt beaucoup plus bas que ceux du marché
(1 % à 2 % selon les cas). Compte tenu des prélèvements opérés par l’État, ces
prêts aux salariés sont promis à une disparition inéluctable.
Ensuite, les prêts et subventions destinés à la construction ou à l’acqui-
sition de logements sociaux représentaient, en 2009 18 % des emplois de la
194 Pour sortir de la crise du logement

PEEC. Il s’agit de contributions complémentaires, visant principalement à


minorer la part des prêts de la Caisse des dépôts et dont la contrepartie est
la réservation de logements par le CIL financeur, qui proposera des candi-
dats locataires au bailleur, offrant ainsi un service logement aux salariés des
entreprises cotisantes. Ces financements sont particulièrement nécessaires
dans les villes où les coûts de production sont élevés, notamment en région
parisienne, où les apports de la PEEC se font désormais sous forme de sub-
ventions forfaitaires de 40 000 euros par logement réservé. Ces subventions
se sont substituées, au cours des années 2000, à des prêts à taux très bas ; plus
avantageuses pour les constructeurs, elles compensent, là encore, la baisse
des apports directs de l’État et la hausse des coûts de production.
Enfin, l’évolution la plus importante des emplois du 1 % depuis le milieu
des années 1990 est son apport aux politiques de l’État. Après avoir contri-
bué au financement des aides à l’accession à la propriété entre 1995 et 1999,
la PEEC a été sollicitée pour abonder à hauteur de 50 % les subventions de
l’ANRU à partir de 2004 et, depuis 2009, à en assumer la totalité, ainsi qu’à
se substituer intégralement à l’État pour alimenter l’Agence nationale de
l’habitat (ANAH) qui aide les propriétaires de logements privés à engager
des travaux d’amélioration. Ces deux dernières catégories d’emploi repré-
sentent désormais plus du tiers des contributions du 1 %.
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Ces tendances font peser de fortes incertitudes sur l’avenir du « 1 % loge-
ment » dont les partenaires sociaux perdent progressivement la maîtrise, ce
qui limite leur attachement au système. De plus, sa capacité financière ne
pourra que s’amenuiser au fur et à mesure que les financements par subven-
tions non remboursables se substitueront aux prêts.

Les fonds propres des organismes Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

et leur mutualisation autoritaire


Depuis la fin des années 1980, un nombre croissant d’organismes de
logement social contribue directement aux plans de financement des opéra-
tions de construction en y injectant des fonds propres générés par leur acti-
vité. Il s’agissait surtout, jusqu’à la fin des années 1990, des sociétés HLM de
droit privé (les entreprises sociales pour l’habitat – ESH) qui, compte tenu
de leur clause de non-lucrativité, sont tenues de réinvestir leurs bénéfices.
Les offices publics, qui pratiquaient souvent des politiques plus sociales, ont
commencé plus tardivement à générer une capacité d’autofinancement. Pour
Les mutations en sourdine du financement du logement social 195

eux aussi, surtout là où les coûts de production sont très élevés, il est pro-
gressivement devenu nécessaire de financer les opérations avec une certaine
dose de fonds propres.

“ L’accroissement de la contribution des fonds propres à la


production des HLM pose la question cruciale du modèle économique
du logement social qui, de fruit de la solidarité nationale,
se transforme progressivement en mécanique autofinancée.

On estime aujourd’hui que les fonds propres représentent de 10  % à



15 % des plans de financement des opérations de construction de logements
sociaux, et ce taux tend à augmenter pour les mêmes raisons que les apports
des collectivités territoriales et les subventions du 1 % logement. L’État encou-
rage d’ailleurs de plus en plus les organismes à accroître cette part d’autofi-
nancement en réinvestissant les capacités dont ils disposent.
C’est ainsi que sont de plus en plus souvent stigmatisés les bailleurs
sociaux dont l’activité de construction est faible malgré d’importantes réser-
ves financières. Ces « dodus dormants », très minoritaires ou situés dans des
bassins d’habitat à faible développement, servent de justification à l’idée d’un
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prélèvement par l’État sur ces organismes. Ce prélèvement, mis en place par
la loi de finances pour 2011, est présenté comme un moyen de mutualisation
nationale du potentiel financier généré par l’activité des bailleurs sociaux. Il
devrait atteindre quelque 175 millions d’euros et, une nouvelle fois, venir se
substituer à des financements de l’État.
En complément, l’État encourage de plus en plus vigoureusement les
bailleurs sociaux à accroître leur potentiel financier en vendant une part de
leur patrimoine amorti à leurs locataires, ce qui permet de générer des res-
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sources importantes à réinvestir en fonds propres dans la production neuve.


Alors que les bailleurs ont vendu ces dernières années entre 5 000 et 6 000
logements par an, l’État affiche un objectif égal à 1 % du parc, soit quelque
40 000 logements par an.
Cet accroissement de la contribution des fonds propres à la production
des HLM pose la question cruciale du modèle économique du logement
social qui, de fruit de la solidarité nationale, se transforme progressivement
en mécanique autofinancée. Alors que les loyers ne finançaient jusque-là que
le remboursement des dettes souscrites, ils se substituent désormais de plus
en plus souvent aux subventions de l’État.
196 Pour sortir de la crise du logement

Conclusion : transformation du modèle


économique ?
Ces évolutions des modalités du financement du logement social tracent
les contours d’une réforme globale qui avance en sourdine, au rythme des
ajustements techniques qui se sont accélérés au cours de la seconde moitié
des années 2000. S’agit-il d’une transformation du modèle économique de la
production des HLM ?
Si le mouvement se poursuit, ce sera sans doute le cas, et l’on en perçoit sans
grandes difficultés ses principales composantes. Les aides budgétaires directes
se verront concentrées sur les produits les plus sociaux, ce qui sera compensé,
là où ce sera possible, par les apports des collectivités territoriales et des méca-
nismes de mutualisation des capacités d’autofinancement. Ces apports seront
organisés sur la base de prélèvements obligatoires ou de concentration des
organismes de droit privé sous la forme de grands groupes nationaux.
Quelles seront les conséquences à moyen terme  de ces mutations déjà
amorcées ? D’abord, on observera une concentration du soutien de l’État sur
le logement très social, prenant acte de la paupérisation de son peuplement
et rompant ainsi avec le modèle « généraliste » dont le système français fut
longtemps l’archétype, mais aussi avec la contribution historique du loge-
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ment social à l’aménagement du territoire [Ghekière, 2007 ; Lévy-Vroelant
et Tutin, 2010 ; Houard, 2011]. Ensuite, on assistera à une concentration de
la production dans des villes considérées comme prioritaires et un assè-
chement des ressources ailleurs, au mépris des enjeux du développement
territorial et de restructuration du parc existant. Enfin, on verra une dif-
férenciation accrue entre un secteur public (les offices) étroitement dépen-
dant des apports des collectivités locales et un secteur privé hyper-concentré
(les ESH), piloté par des stratégies patrimoniales et financières nationales et Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

tenté d’opérer une diversification de ses domaines d’intervention en coopé-


ration de plus en plus étroite avec les autres acteurs de l’immobilier privé.
Dans un second temps, les évolutions actuelles font craindre la fragilisa-
tion de deux piliers essentiels du financement du logement social :
Le « 1 % logement », mis sous tutelle et, de ce fait, de moins en moins
défendu par des acteurs historiques qui en perdent la gouvernance, risque
un assèchement de ses ressources et de sa capacité à maintenir des contribu-
tions à la hauteur des attentes des maîtres d’ouvrage HLM.
L’avenir du système des prêts de la Caisse des dépôts est fragilisé par les
velléités des banques qui commercialisent désormais le Livret A de disposer
Les mutations en sourdine du financement du logement social 197

d’une part croissante des dépôts des épargnants 8. Il s’agit pour elles à la fois
de mieux intégrer cette épargne dans leurs stratégies globales et de se poser
comme alternative crédible pour développer un nouveau marché de prêts ban-
caires au financement du logement social.
De telles évolutions, plus incertaines, mais dont les indices se multi-
plient, auraient à plus long terme pour conséquence une mutation radicale
du système français du logement social. Le développement du parc s’en trou-
verait considérablement ralenti, voire stoppé, ou placé sous la responsabilité
d’acteurs banalisés, financés par le système bancaire commercial, bénéficiant
d’avantages fiscaux (TVA réduite, exonération de taxe foncière) et éventuel-
lement soutenus par les collectivités territoriales qui se verraient confier la
pleine responsabilité de l’aide à la pierre.
On rejoindrait ainsi le modèle actuel de la majorité des pays européens,
alors même que plusieurs d’entre eux s’interrogent sur l’opportunité d’un retour
en arrière en constatant les effets de la « résidualisation » du logement social et
de la privatisation globale de la question du logement [Houard, 2011].
© La Découverte | Téléchargé le 23/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 81.80.163.110)

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Bibliographie
Cordier M. et Driant J-C. (2009), «  La délégation des aides à la pierre. Bilan
d’étape », Études Foncières, n°141.
Ghekière L. (2007), Le développement du logement social dans l’Union européenne,
Dexia.
Lévy-Vroelant C. et Tutin C. (dir.) (2010), Le logement social en Europe au début
Regards croisés sur l’économie n° 9 – 2011 © La Découverte

du XXIe siècle : la révision générale, Presses universitaires de Rennes.


Herbert B. et Delpech C. (2001), Les politiques de l’habitat des communautés
urbaines et d’agglomération depuis la loi libertés et responsabilités locales. For-
mes d’intervention et budgets, ANIL/ADCF.
Houard N. (dir.) (2011), Loger l’Europe. Le logement social dans tous ses états, La
Documentation française.

8. A l’heure où nous rédigeons cet article se poursuit un débat à l’issue incertaine entre le lobby
des banques et celui du logement social autour de la fixation du taux de centralisation à la Caisse des
dépôts des ressources du Livret A. De l’issue de ce débat et de la décision qui sera prise par le minis-
tère des Finances dépendra beaucoup de l’avenir des modalités du financement du logement social.

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