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L’ARBITRAGE INTERNATIONAL

Emmanuel Gaillard

Commentaire SA | « Commentaire »

2017/2 Numéro 158 | pages 333 à 342


ISSN 0180-8214
ISBN 9782916291499
DOI 10.3917/comm.158.0333
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L’arbitrage international
EMMANUEL GAILLARD

L’arbitrage dans le monde d’aujourd’hui

L’arbitrage est un mode alternatif de résolution des différends par lequel les parties
à un tel différend acceptent d’en confier la solution à une ou plusieurs personnes choi-
sies par elles plutôt que de s’adresser au juge. L’arbitrage a des origines fort anciennes,
mais s’est développé considérablement avec la mondialisation des échanges. Il joue
aujourd’hui un rôle important dans trois domaines : l’arbitrage commercial, l’arbitrage
interétatique et l’arbitrage d’investissement.
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L’arbitrage était traditionnellement le fait des commerçants. Les contrats commer-
ciaux comportaient et comportent fréquemment des clauses compromissoires à cet effet.
Cette solution conserve la faveur de nombreuses entreprises qui confient ainsi la solu-
tion de leurs difficultés contractuelles à des personnes de confiance ayant la connais-
sance du milieu et pouvant statuer en toute discrétion le cas échéant en équité. Elle
s’est institutionnalisée avec la création de nombreux centres d’arbitrage sur tous les
continents, de Londres au Caire et de Stockholm à Kuala Lumpur. La Chambre de
commerce internationale (CCI) installée à Paris et sa cour internationale d’arbitrage
ont ainsi vu leur activité se développer considérablement dans les dernières décennies.
En 2015, la CCI a reçu 801 requêtes dont 87 % concernaient des litiges entre parti-
culiers et sociétés. Les tribunaux arbitraux constitués sous son égide ont rendu cette
même année 498 sentences.
Soucieux de favoriser ce mode de règlement et son implantation sur leur territoire,
les États ont adopté des législations de plus en plus favorables à l’arbitrage. Ainsi en
France depuis l’intervention de la loi du 18 novembre 2016, celui-ci est accessible non
seulement aux commerçants, mais plus généralement dans le cadre de toute activité
professionnelle. Le Code civil ne prohibe l’arbitrage que sur les questions d’état et de
capacité des personnes et sur celles relatives au divorce ou à la séparation de corps.
En revanche, sauf disposition législative spéciale, l’État, les collectivités publiques et
les établissements publics administratifs ne peuvent compromettre.
L’exécution des sentences arbitrales a en outre été rendue de plus en plus aisée. En
cas de difficulté d’exécution, le juge doit certes être saisi et prendre une ordonnance

COMMENTAIRE, N° 158, ÉTÉ 2017 333


EMMANUEL GAILLARD

d’exequatur. Dans le cas de la France, il ne peut cependant s’y refuser que si la


sentence est manifestement contraire à l’ordre public international. L’ordonnance
d’exequatur n’est pas susceptible d’appel et la partie qui se refuse à exécuter la sentence
doit en demander l’annulation. Celle-ci ne peut être prononcée que pour l’un des motifs
limitativement énumérés par la convention de New York du 10 juin 1958 ou par les
articles 1491 et 1518 du Code de procédure civile.
L’arbitrage interétatique s’est, quant à lui, développé au cours du XIXe siècle comme
une première forme de règlement des différends entre États. À l’origine, ce règlement
a fréquemment été confié par les chefs d’État à leurs pairs, monarques ou présidents
de Républiques d’États tiers. Puis ont été constitués des tribunaux arbitraux composés
de juristes dont le premier exemple fut celui créé par les États-Unis et le Royaume-
Uni pour régler le différend qui les opposait du fait que l’Alabama, navire sudiste,
avait été ravitaillé et réparé dans un port britannique au cours de la guerre de Séces-
sion. Par la suite, la convention de La Haye du 18 octobre 1907 établit une cour
permanente d’arbitrage qui rendit une douzaine de sentences avant la Première Guerre
mondiale. En 1922 était cependant créée la Cour permanente de justice internationale
devenue en 1945 la Cour internationale de justice et l’on put s’interroger sur l’avenir
de l’arbitrage interétatique. Celui-ci connut une éclipse pendant la majeure partie du
XXe siècle avant de rencontrer à nouveau la faveur des États. Aujourd’hui, si le rôle
de la Cour internationale de justice demeure bien fourni, de nombreuses affaires sont
par ailleurs soumises à arbitrage. Ce renouveau s’explique pour l’essentiel par la liberté
dont jouissent les parties dans la désignation des membres des tribunaux arbitraux. Il
trouve ses limites dans les difficultés qu’a parfois rencontrées l’exécution de ces
sentences.
L’arbitrage en matière d’investissement a pour sa part été organisé sous l’égide de la
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Banque mondiale par la convention de Washington du 18 mars 1965 qui a créé le
Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI). Dans ce cadre ont été signées plus de 3 000 conventions bilatérales de protec-
tion des investissements par lesquelles les États acceptent que les entreprises ayant
procédé à des investissements sur leur territoire puissent en cas de litige recourir à l’ar-
bitrage. En 2014, le CIRDI administrait 209 affaires. Un mécanisme analogue a été
mis sur pied dans un cadre régional par le traité établissant une zone de libre-échange
en Amérique du Nord (ALENA). Aux termes de l’article 54 de la convention de Wash-
ington, chaque État contractant reconnaît toute sentence rendue dans le cadre de la
convention comme obligatoire et assure l’exécution des condamnations pécuniaires
prononcées comme s’il s’agissait d’un jugement définitif d’un tribunal fonctionnant sur
son territoire. Les sentences CIRDI sont donc exécutoires sans donner lieu à exequa-
tur. On sait que ce régime qui avait initialement été conçu pour favoriser les investis-
sements des pays développés dans les pays en voie de développement a suscité récem-
ment certaines critiques lorsqu’il a été envisagé de l’étendre aux rapports
transatlantiques.
Au total, cette triple évolution a fait de l’arbitrage une discipline juridique à part
entière, un secteur de l’économie non négligeable et même un champ de recherche
sociale, comme l’a souligné à juste titre le professeur Emmanuel Gaillard dans sa
remarquable communication à l’Académie des sciences morales et politiques, le
17 octobre dernier. L’arbitrage vit aujourd’hui une vie qui lui est propre. Mais, du fait
même de son succès, il est devenu un enjeu de puissance et de prospérité auquel les

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L’ARBITRAGE INTERNATIONAL

États ne sauraient demeurer étrangers. Un équilibre délicat doit dès lors être recher-
ché entre ces diverses considérations. C’est probablement à travers les mécanismes
d’exécution des sentences que cet équilibre peut être atteint.

GILBERT GUILLAUME

Une nouvelle discipline juridique (personne ne voulant plaider chez l’autre), à


la participation des parties à la nomination
’ARBITRAGE est tout d’abord une disci- des arbitres et à la définition des procédures

L pline juridique qui a connu une expan-


sion fulgurante. Après avoir longtemps
occupé quelque trois heures d’un cours de
(faut-il entendre les témoins oralement ?
avoir une semaine ou deux d’audiences ?…)
et au bénéfice de la Convention de New York
droit du commerce international, l’arbitrage a par laquelle 157 États se sont engagés à
progressivement envahi la moitié de ce cours, reconnaître et exécuter les sentences arbi-
puis est devenu un cours autonome, avant de trales sans les réviser au fond, ce qui n’a pas
justifier un diplôme universitaire tout entier, d’équivalent en matière de jugements.
un master of laws (LLM) ou un mastère, avec Cette discipline en expansion galopante
de nombreux cours spéciaux consacrés tant s’est même dédoublée. Depuis quelques
aux aspects procéduraux qu’aux aspects de années, l’arbitrage en matière d’investisse-
fond de la matière. En 2011, une Académie ment a pris son autonomie par rapport à l’ar-
de l’arbitrage a été créée à Paris et donne, bitrage commercial pour donner lieu à un
chaque été, un cours général et six cours cours, ou à une série de cours, distincts, sans
spéciaux à une centaine d’étudiants en prove- parler des nombreux travaux qui lui sont
nance du monde entier. consacrés. Près de 3 000 traités bilatéraux, des
Le succès de la matière, perceptible partout traités multilatéraux majeurs comme le traité
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dans le monde, ne fait que refléter celui de sur la Charte de l’énergie qui lie aujourd’hui
ce mode privé de règlement des différends 49 États et l’Union européenne en tant que
dans lequel, en général, chaque partie nomme telle, ou encore l’Accord de libre-échange
un arbitre, se met d’accord avec l’adversaire nord-américain (ALENA) ou l’Association
sur la nomination du président, ou délègue ce des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN),
choix à une institution. L’affaire est ensuite son équivalent asiatique, sont exclusivement
plaidée, dans une langue commune aux consacrés, ou comportent un chapitre consa-
parties ou dans une langue neutre, suivant une cré, à la protection des investissements. La
procédure qui combine – en réalité cumule – plupart contiennent, de la part de chaque
la tradition écrite continentale et celle des État, une offre d’arbitrer adressée à une caté-
longues audiences orales des droits de gorie définie d’investisseurs, ceux de l’autre ou
common law. L’intérêt de l’arbitrage ne tient des autres États, que chaque investisseur
pas, comme on l’écrivait autrefois dans les protégé peut accepter de façon à parfaire la
introductions à la matière, au fait que l’arbi- convention d’arbitrage. Ces traités ont donné
trage serait rapide, peu onéreux et maintien- lieu à un contentieux arbitral abondant, entre
drait d’excellentes relations entre les parties. États et investisseurs étrangers. Celui-ci a
On connaît des procédures qui durent dix ans, contribué à autonomiser, mais aussi à re-poli-
coûtent des fortunes et dans lesquelles les tiser, une matière que la Convention de Wash-
parties se détestent. Mais on ne devient pas ington de 1965 portant création du mécanisme
impunément le mode normal de règlement d’arbitrage de la Banque mondiale, le Centre
des différends du commerce international. On international pour le règlement des différends
ne le devient pas sans emprunter certains relatifs aux investissements (CIRDI), avait
traits des contentieux étatiques dans certaines souhaité sortir de l’agenda des négociations
parties du monde. L’avantage de l’arbitrage est des États pour en faire un processus juridic-
ailleurs. Il tient à la neutralité, géographique tionnel, et partant moins politique. Les orga-
et en termes de nationalité, des arbitres nisations non gouvernementales, en s’empa-

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EMMANUEL GAILLARD

rant du sujet pour le faire entrer dans la poli- aujourd’hui se consacrent essentiellement à ce
tique politicienne, jusque dans chacune des secteur d’activité, est emblématique de
élections des grands États démocratiques, ont l’émergence de ce champ social. Le critère
contribué à re-politiser un sujet que des négo- anecdotique de l’existence d’un champ social
ciateurs de la Convention de Washington selon lequel les acteurs qui en font partie
avaient voulu juridiciser il y a très exactement interagissent plus fréquemment entre eux
cinquante ans. qu’avec des acteurs d’un autre champ social
Discipline juridique dédoublée, l’arbitrage est aisément satisfait. Parfois qualifié de caste
international est également un secteur impor- ou de « mafia » – surtout par ceux qui aspi-
tant de l’économie des services. Les arbitrages rent à en faire partie –, le monde de l’arbi-
représentent pour les États qui les accueillent trage international est très clairement identi-
sur leur sol une source de revenus non négli- fié, même si son extension géographique est
geable en termes de nuits d’hôtel, de services mondiale. C’est la raison pour laquelle on
annexes (sténotypie, interprétation) et, natu- peut en étudier en termes sociologiques les
rellement, de services juridiques, qu’il s’agisse acteurs, leurs stratégies, leurs rites, au premier
de services d’arbitre ou de conseil. rang desquels les « tournois de reconnais-
Même si une étude globale suffisamment sance » au cours desquels des « marchands de
sérieuse du poids de ce secteur d’activité dans reconnaissance » délivrent des prix (celui du
l’économie mondiale reste à faire, la compé- meilleur arbitre, du meilleur avocat de moins
tition intense qui existe entre les places, de 40 ans, de l’institution la plus innovante,
toujours plus nombreuses, qui aspirent à etc.), comme on peut le faire du monde de
accueillir de manière régulière des arbitrages l’industrie du cinéma ou de celui du sport
internationaux sans lien avec le pays autre que automobile (1).
le choix des parties montre l’intérêt que les C’est ce monde, ce champ social, ce secteur
États attachent à ce commerce. Les États de l’économie, cette discipline juridique, que
interviennent ici à l’égard de l’arbitrage en ce texte a pour objet de présenter, sans en
une qualité marchande, celle de prestataires méconnaître la complexité et en insistant –
de services de neutralité. L’émotion des c’est le parti pris de ce propos – sur l’apport
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milieux d’affaires et la mobilisation des de la conception française de l’arbitrage inter-
pouvoirs publics français suscités par l’éven- national à la matière. On s’efforcera de le
tualité d’un déplacement – qui aurait été faire en rappelant d’abord le fait que l’arbi-
hautement symbolique – du siège mondial de trage international constitue un mode normal
la Chambre de commerce internationale de règlement des différends internationaux,
(CCI), première institution d’arbitrage dans le avant de montrer qu’il s’agit également d’un
monde, en dehors de France – Genève et mode de production du droit.
Vienne ayant manifesté leur intérêt – en four-
nissent une autre illustration. L’arbitrage international, mode
Discipline juridique, secteur de l’économie, de résolution des différends
l’arbitrage international est aujourd’hui égale-
ment justiciable de la qualification de « champ L’affirmation serait banale – elle paraissait
social » au sens que les sociologues – ou acquise dans les années 1980 – si l’arbitrage
certains d’entre eux – donnent à l’expression. n’avait pas fait l’objet d’attaques renouvelées,
Si un champ social se définit comme un lieu sur fond d’ignorance, de quelques affaires
qui voit interagir des fournisseurs et des malheureuses, et de la politisation née de
clients, des autorités fixant les règles du jeu et l’émergence des affaires d’investissement. Il
des acteurs partageant un système de pensée, n’est donc pas inutile de redire qu’il s’agit
il ne fait aucun doute que l’arbitrage interna- d’une procédure, et d’une procédure très
tional constitue – et c’est un phénomène encadrée, dans laquelle des règles de plus en
récent – un champ social. La professionnali- plus précises, s’adressant tant aux arbitres
sation des acteurs (arbitres, conseils, tiers qu’aux conseils, sur les conflits d’intérêts,
financeurs de demandeurs qui ne peuvent ou l’éthique dans la conduite de l’arbitrage,
ne veulent supporter seuls la charge de la
procédure, etc.), qui autrefois faisaient de l’ar- (1) Sur la question, voir Emmanuel Gaillard, « Sociologie de l’ar-
bitrage international », Journal du droit international, octobre-
bitrage une activité occasionnelle et qui novembre-décembre 2015, p. 1089-1113.

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L’ARBITRAGE INTERNATIONAL

garantissent l’intégrité du processus, dont le comporte un vice et que ce vice contamine à


juge étatique aura le contrôle ultime. Cette son tour la clause compromissoire et donc la
procédure constitue un mode normal, sinon le compétence des arbitres.
mode normal, de règlement des différends La règle a été posée en France par la Cour
internationaux parce que des parties lui font de cassation dans l’arrêt Gosset en 1963 et fait
confiance et parce que les États l’ont voulu. l’objet d’une jurisprudence constante depuis.
De par son caractère réellement internatio- La jurisprudence et la doctrine anglaises ont
nal, physiquement international (où l’on voit eu plus de mal à l’admettre. Si une clause fait
s’affronter quotidiennement à Paris, à Singa- partie d’un contrat, comment peut-on l’iso-
pour ou au Caire des avocats de traditions ler ? Ce n’est qu’en 1993 avec l’arrêt Harbour
diverses), l’arbitrage international est le lieu v. Kansa de la Court of Appeal que la règle a
idéal de l’hybridation des cultures juridiques. été finalement admise, trente ans après sa
Si l’on s’efforce de démêler ce que l’arbitrage consécration en France. Il s’agit sans doute
international contemporain, qui s’est grande- aujourd’hui d’un des rares exemples de règle
ment standardisé, doit à telle ou telle tradi- universellement reconnue en droit comparé.
tion juridique, on peut dire, au risque de La loi-type de la CNUDCI, qui a eu pour
grossir le trait, que la tradition juridique fran- objet de codifier le droit de l’arbitrage sous
çaise a exporté des règles de droit et que la l’égide des Nations unies en 1985, l’a consa-
tradition anglo-américaine a exporté des crée à son article 16-1, deuxième phrase. Il
pratiques. Vu de Paris, qui a toujours été une n’existe pas un seul règlement d’arbitrage qui
place vibrante d’arbitrage international, nous ne l’incorpore, pas une seule loi qui ne la
avons donc exporté des règles et importé des reprenne.
pratiques. Une autre manière de dire la même La règle dégagée par l’arrêt Gosset en 1963
chose est que nous exportons du droit savant a aujourd’hui une valeur universelle.
et importons du droit populaire, fondé sur la
répétition des comportements des plaideurs. La compétence des arbitres pour statuer sur
leur propre compétence
L’exportation de règles L’autonomie de la clause compromissoire
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L’exportation de règles propres à l’arbitrage n’a pas suffi à calmer l’ardeur procédurale des
international qui ont été développées par la parties désireuses de faire dérailler l’arbitrage.
jurisprudence et la doctrine française peut Ne pouvant plus attaquer la compétence des
être illustrée par deux exemples. arbitres par contamination du contrat de fond,
elles ont entrepris de l’attaquer directement.
L’autonomie de la clause compromissoire La clause compromissoire elle-même est
Lorsqu’un contrat contient une promesse nulle, disent-elles, car je ne l’ai pas voulue,
d’arbitrer les différends susceptibles d’en pas comprise, elle ne couvre pas la matière
découler (c’est la clause compromissoire), litigieuse. De plus – et c’est là la beauté de
cette promesse est, par la fiction juridique la l’argument –, puisque l’on ignore, à ce stade
plus solidement établie du droit de l’arbitrage, du raisonnement, si les arbitres sont compé-
et ce partout dans le monde, juridiquement tents, ceux-ci ne peuvent se prononcer sur leur
isolée du contrat principal, le contrat de compétence. Ce serait parfaitement illogique.
vente, de construction, de services, qui la L’arbitrage doit s’arrêter. C’est pour faire
contient. De ce fait, les vices susceptibles d’in- pièce à un tel argumentaire qu’a été inventée
fecter le contrat de fond ne s’étendent pas à la règle de la compétence-compétence. Une
la clause compromissoire. L’arbitre peut, sans règle objective du droit de l’arbitrage donne
que cela soit une absurdité, constater la nullité aux arbitres dont la compétence est contestée
du contrat de fond sans que cela n’affecte sa compétence pour connaître de leur propre
compétence. De même, l’attaque par l’une des compétence. L’arbitrage ne s’arrête pas et des
parties de la validité du contrat de fond n’a arbitres peuvent dire, sans absurdité logique,
pas d’incidence sur la compétence des arbitres qu’ils ne sont pas compétents. En jugeant
qui repose sur la convention d’arbitrage qu’ils ne sont pas compétents, par exemple
réputée autonome. Sans cette règle, la partie parce que la matière n’est pas couverte par la
défenderesse pourrait aisément faire dérailler convention d’arbitrage ou que celle-ci a été
l’arbitrage en alléguant que le contrat de fond surprise par dol, extorquée par violence, les

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EMMANUEL GAILLARD

arbitres ne font pas disparaître l’intégralité de le fait pas alors qu’il aurait dû le faire, le juge
leur compétence et, par là même, la sentence censurera sa décision. Cela est vrai également
qu’ils viennent d’écrire. C’est le droit objectif lorsque l’arbitre se déclare incompétent alors
de l’arbitrage qui leur donne ce pouvoir. La qu’il aurait dû se déclarer compétent, ce qui
règle est essentielle. Sans elle, là encore, toute arrive également. Les intérêts de la partie qui
partie pourrait faire arrêter l’arbitrage dès son aurait raison sur l’invalidité ou l’insuffisance de
démarrage, en attendant qu’un juge se la convention d’arbitrage ne sont pas sacrifiés,
prononce sur la validité et l’étendue de la ceux du déroulement normal de l’arbitrage non
convention d’arbitrage. En dépit de son plus. La règle est connue sous le nom de l’effet
absence apparente de logique (comment peut- négatif de la compétence-compétence.
on être compétent tant que l’on ne sait pas si Si elle n’est pas encore unanimement admise
on est compétent et, pire, comment est-on en droit comparé, comme c’est le cas de l’au-
compétent pour dire qu’on ne l’est pas ?), la tonomie de la clause compromissoire ou du
règle poursuit une politique essentielle de principe de compétence-compétence en tant
protection de l’arbitrage et de lutte contre les qu’il s’adresse aux arbitres dont la compétence
manœuvres dilatoires. C’est, là encore, une est contestée, la règle de l’effet négatif de la
invention de la jurisprudence française, même compétence-compétence, qui s’adresse au juge
si, pour lui donner un brevet de respectabi- étatique, a considérablement progressé au
lité, on a parlé de la kompetenz-kompetenz, cours des dernières années. Elle est admise non
more germanico. Le contresens – volontaire ou seulement en France et en Suisse, deux États
non – était évident, le droit allemand utilisant qui possèdent une solide tradition d’arbitrage,
l’expression dans un tout autre sens et ne l’ad- mais également à Hong-Kong et aux Philip-
mettant pas, à l’époque, en matière d’arbi- pines. Elle a été consacrée par la Cour suprême
trage. La règle n’en est pas moins devenue du Venezuela par un arrêt de 2016, par la Cour
constante en France depuis l’arrêt Impex de d’appel de Singapour en 2015 et par la Cour
1971 et a été codifiée dans les réformes du suprême indienne en 2005. Elle a également
droit de l’arbitrage de 1981 et de 2011. Cette fait son apparition dans la jurisprudence
règle également possède aujourd’hui une récente rendue en Colombie et au Brésil. L’Al-
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portée universelle. Elle a été adoptée en 1985 lemagne, restée frileuse en matière d’arbitrage,
par la loi-type de la Commission des Nations et les États-Unis, pays où le contentieux
unies pour le droit commercial international étatique est roi, répugnent encore à l’adopter.
(CNUDCI) à l’article 16-1, première phrase. Il n’empêche que le mouvement d’exporta-
Elle est reprise par tous les règlements d’ar- tion de règles de droit spécifiques à l’arbitrage
bitrage, et le droit allemand lui-même a fini qui permettent et accompagnent son déve-
par l’admettre, du bout des lèvres, lors de la loppement est très puissant.
réforme de l’arbitrage de 1997, à l’arti- En contrepartie, nous importons des tech-
cle 1040, alinéa 1er du Code de procédure niques.
civile.
Mais la compétence de l’arbitre pour connaî- L’importation des techniques
tre de sa compétence serait vidée de son sens L’importation des techniques, spécialement
si, en parallèle, le juge étatique entreprenait des techniques de présentation de la preuve,
d’examiner la question de manière approfondie est manifeste si l’on observe la manière dont
par une décision qui l’emporterait naturelle- se déroule aujourd’hui un arbitrage, y compris
ment sur celle des arbitres. Ce serait reprendre sur le continent européen, dès lors que l’enjeu
de la main gauche ce que l’on donne de la main litigieux revêt une certaine importance. Il ne
droite. Aussi, le juge auquel la matière litigieuse s’agit plus là de règles spécifiques à l’arbitrage
est présentée et qui constate l’existence d’une mais de pratiques propres au contentieux de
convention d’arbitrage couvrant la matière doit tradition anglo-américaine dont l’application
se contenter d’un examen prima facie de celle- s’étend, par un effet de répétition, à la procé-
ci, de façon à donner à l’arbitrage une priorité dure arbitrale.
chronologique dans l’examen du sujet. L’arbitre
peut se prononcer sur sa compétence sous le Le contre-interrogatoire
contrôle ultérieur du juge étatique. Il peut Le contre-interrogatoire (cross-examination)
constater lui-même son incompétence et, s’il ne des témoins de fait et des experts de droit

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L’ARBITRAGE INTERNATIONAL

présentés par chacune des parties fait désor- Si l’arbitrage est, pour les parties, d’un point
mais partie du quotidien de l’avocat spécialisé de vue micro-juridique, si l’on peut dire, un
en matière d’arbitrage. Pour cette seule mode normal de règlement des différends, il
raison, les audiences s’allongent et il n’est pas est aussi, d’un point de vue macro-juridique,
rare que celles-ci durent une semaine, deux un mode de production du droit.
semaines, voire davantage. Après une plai-
doirie d’ouverture, de tradition plus civiliste, L’arbitrage international,
les témoins et experts présentés par chaque mode de production du droit
partie sont entendus et interrogés non seule-
ment par les arbitres, qui conservent naturel- Appréhendé de manière globale, l’arbitrage
lement la police de l’audience, mais surtout est un système et un système qui, lui-même,
par les avocats de la partie adverse qui les engendre des règles de droit. Sa nature de
confrontent à la documentation et testent la système dépassant les frontières d’un seul
logique et la crédibilité de leurs affirmations, ordre juridique, fût-il celui du siège de l’arbi-
selon une démarche dont les séries télévisées trage, soulève la question de l’existence d’un
américaines n’auraient pas à rougir. ordre juridique arbitral. On rappellera ce que
recouvre cette expression, avant de montrer,
La production de documents de façon plus empirique, comment se forme
De façon moins immédiatement spectacu- la règle de droit à travers la jurisprudence
laire mais peut-être plus importante encore, arbitrale.
la possibilité pour une partie de demander à
l’autre de produire les documents qui se trou- L’ordre juridique arbitral
vent en sa possession et qui sont susceptibles La notion d’ordre juridique arbitral est née,
d’avoir une incidence sur la résolution du là encore, des efforts conjugués de la doctrine
différend est devenue monnaie courante dans et de la jurisprudence françaises.
les arbitrages internationaux, quel que soit le La doctrine a mis en évidence le fait que
lieu où ils se déroulent et qu’il s’agisse d’ar- trois visions, trois représentations de l’arbi-
bitrage commercial ou d’arbitrage en matière trage international, qui toutes ont vocation à
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d’investissement. Les parties s’échangent des rendre compte de l’intégralité du phénomène,
listes de demandes de documents dans un s’opposent (2). La première, qui reste domi-
tableau à colonnes auquel un arbitre de nante dans la pensée juridique anglaise,
renom, de nationalité britannique, a donné conçoit l’intégralité du système autour du
son nom, le Redfern Schedule. Les arbitres siège de l’arbitrage. Dans cette vision,
décident ensuite s’il y a lieu d’ordonner la lorsqu’une partie japonaise et une partie
production de telle ou telle catégorie de docu- américaine s’opposent dans un arbitrage à
ments et l’on ne compte plus les affaires dans Londres à propos d’un contrat soumis au droit
lesquelles la production défavorable à la japonais, l’arbitrage est « anglais ». C’est le
partie qui la possédait a fait basculer le cours droit anglais qui lui donne sa légitimité et sa
de l’arbitrage. valeur contraignante. Si les mêmes parties à
Le vecteur de propagation de ces pratiques propos du même contrat ont choisi Paris
a essentiellement été l’International Bar Asso- comme siège, l’arbitrage et la sentence qui en
ciation qui, en les codifiant, par des comités résultent seront « français ». Cette vision stric-
composés de juristes de différents pays, en a tement territoriale correspond mal à la réalité
banalisé et généralisé l’application. du phénomène. Les mêmes arbitres siégeant
La règle de droit de portée générale demeure successivement à Pékin et à Genève ne
que l’arbitre est tenu, dans l’administration de deviennent pas chinois un jour, puis suisses le
la preuve, par l’accord des parties et, en cas de lendemain. Le même personnel arbitral inter-
désaccord, apprécie souverainement tant la vient régulièrement partout dans le monde,
manière de présenter la preuve que sa force applique les mêmes règles de procédure, suit
probante, dans les seules limites du respect de les mêmes pratiques et rend les mêmes
l’égalité des parties et du contradictoire. Dans sentences. De ce fait, il est de plus en plus
l’exercice de cette liberté, l’échange de
demandes de production de documents est (2) Sur l’ensemble de la question, voir Emmanuel Gaillard,
Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, Martinus
devenu la norme. Nijhoff, 2008.

339
EMMANUEL GAILLARD

artificiel d’attacher une étiquette géogra- La jurisprudence française porte haut et


phique exclusive d’une justice dont le carac- fort cette reconnaissance. Elle l’a manifestée
tère itinérant a été observé de longue date. d’abord en affirmant dans un arrêt Putrabali
La seconde, que l’on a pu qualifier de west- de 2007 que « la sentence est une décision de
phalienne, voit la source de la légitimité et du justice internationale dont la régularité est
caractère obligatoire de la sentence dans le ou examinée au regard des règles applicables
les droits qui se déclarent prêts, à certaines dans le pays où sa reconnaissance et son
conditions qu’ils définissent, à reconnaître la exécution sont demandées ». L’arbitre est
sentence. La troisième, plus résolument inter- ainsi élevé à la dignité de « juge internatio-
nationale, est celle de l’ordre juridique arbitral. nal ». Dans son arrêt Ryanair de 2015, la Cour
Elle consiste à accepter l’idée que les États ont, de cassation a évoqué de manière plus directe
à l’égard de l’arbitrage international, une acti- encore les textes – au premier rang desquels
vité normative collective intense et qu’ils ont la Convention de New York – « constitutifs
ainsi engendré un corps de règles qui régit de de l’ordre arbitral international ». Belle
manière très compréhensive l’arbitrage, sans reconnaissance de l’existence d’un ordre juri-
qu’il soit nécessaire, ni même réaliste, de le dique autonome. Il est vrai que la Conven-
réduire à une annexe de la manière dont la tion de New York avait amorcé l’évolution
justice est rendue dans chaque ordre juridique dès 1958 en supprimant le système antérieur
national. Le socle en est la Convention de de « double exequatur ». Dans le régime
New York de 1958 qui impose aux États ancien, qui résultait de la Convention de
membres de reconnaître tant les conventions Genève de 1927, pour faire reconnaître une
d’arbitrages (article II) que les sentences en les sentence, il fallait la faire valider par les juri-
soumettant à un contrôle qui ne peut excéder dictions du siège de l’arbitrage avant d’ex-
les limites posées par la Convention (article V). porter cette décision. La représentation était
Il a été complété en 1985, par la loi-type, clairement territoriale. En supprimant le
amendée en 2006 sur la forme que peut double exequatur, la Convention de New York
prendre une convention d’arbitrage, et, en 1996 a invité chaque État partie à contempler la
puis 2016, par un Aide-mémoire « sur l’orga- sentence elle-même, et non les décisions
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nisation des procédures arbitrales », toutes ces étatiques accessoires, comme matériau
normes ayant été adoptées par voie de consen- premier de son analyse. Un premier pas vers
sus des États sous l’égide de la CNUDCI. La la reconnaissance de la juridicité autonome
Convention des Nations unies sur la transpa- de la sentence était ainsi franchi. La juris-
rence dans l’arbitrage entre investisseurs et prudence française a parachevé l’analyse en
États, fondée sur des traités et adoptée en 2014 reconnaissant l’existence d’un ordre juridique
(dite Convention de Maurice sur la transpa- arbitral autonome.
rence), est venue compléter le dispositif en Cet ordre juridique produit à son tour des
imposant, pour les arbitrages en matière d’in- normes qui s’expriment essentiellement dans
vestissement, des standards de publicité qui la jurisprudence arbitrale.
n’étaient pas de mise dans l’arbitrage commer-
cial. Cette activité normative collective des La jurisprudence arbitrale
États, complétée par celle des organisations Même si la question continue de soulever
professionnelles internationales, et par la quelques discussions doctrinales, l’existence et
multitude de lois nationales sur l’arbitrage qui la valeur normative de la jurisprudence arbi-
peuvent toujours être plus favorables à l’insti- trale ne font aucun doute. Il suffit de lire le
tution que la Convention de New York, a créé moindre mémoire échangé dans la plus banale
un corps de règles qui régit tous les aspects de procédure arbitrale, voire la moindre lettre,
l’arbitrage international. Admettre la notion pour constater que chaque affirmation est
d’ordre juridique arbitral, c’est tout simplement appuyée par de nombreuses références à d’au-
admettre l’existence d’un ensemble organisé de tres sentences ou à d’autres décisions de
règles susceptible d’être appréhendé en tant procédure. La recherche du précédent est
que tel sans passer par le détour des droits constante. Elle se constate aussi bien dans
nationaux pris individuellement. Cette évolu- l’arbitrage commercial que dans l’arbitrage en
tion est très exactement celle qu’a connue le matière d’investissement.
droit international un siècle auparavant.

340
L’ARBITRAGE INTERNATIONAL

La jurisprudence dans l’arbitrage commercial nation, d’absence d’arbitraire, de respect de


Dans l’arbitrage commercial, le trait le plus l’attente légitime des parties et, pour certains,
frappant du mode d’argumentation des parties celle d’offrir à l’investissement un cadre juri-
tient au fait que la recherche du précédent dique stable et prévisible. L’importance de la
transcende le droit applicable à chaque jurisprudence arbitrale dans sa formation
affaire. Même dans la situation la plus créatrice de droit est ici manifeste.
fréquente, dans laquelle les parties ont choisi Ce n’est pas à dire qu’il n’existe aucune
le droit d’un État déterminé pour régir leur place pour un droit spécial des traités.
relation, l’accumulation de précédents rendus Lorsque les traités utilisent des formules
dans d’autres affaires, même si le droit appli- différentes ou une structure différente, il
cable à celles-ci était différent, leur paraît appartient à la jurisprudence d’en tirer les
essentielle. Il s’agit de conforter l’arbitre dans conséquences et de donner effet à la volonté
l’idée que la solution suggérée est raisonna- de leurs rédacteurs de prendre un parti ou un
ble puisque d’autres tribunaux arbitraux l’ont autre sur telle ou telle question de politique
déjà retenue. L’exemple le plus net de ce législative. Ainsi, certains traités assortiront la
mode de développement de la règle de droit définition de l’investissement protégé d’une
dans l’arbitrage est peut-être l’obligation de condition de conformité au droit de l’État
minimiser les pertes. Le fait que le droit fran- d’accueil, d’autres ne feront de la légalité
çais par exemple n’appréhende pas la ques- qu’une question de fond. Certains traités ont
tion des dommages de cette manière mais à des clauses étroites de règlement des diffé-
travers le prisme de la causalité n’a pas rends, parfois limitées au quantum de l’ex-
empêché les arbitres de se référer de manière propriation, d’autres beaucoup plus larges.
constante à l’obligation de minimiser ses Certains traités contiennent des clauses de
pertes pour ne pas accorder à un demandeur respect des engagements, d’autres non. Les
des dommages qui auraient pu être évités s’il clauses permettant à l’État de refuser la
n’était pas resté passif alors que des solutions protection du traité à certains investisseurs ne
réalistes lui auraient permis de contenir son sont pas toutes rédigées de la même manière.
dommage. Celle du traité sur la Charte de l’énergie ne
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L’utilisation du précédent arbitral est plus s’applique pas à la compétence du tribunal
naturelle encore lorsque les parties ont choisi, arbitral, celle inspirée du traité type américain
comme elles en ont la possibilité, de soumet- est beaucoup plus large. Il appartient à la
tre leur relation à des règles transnationales, jurisprudence de respecter ces divergences
principes généraux du droit, etc. La méthode volontaires, même si le jeu de la clause de la
repose tout entière en effet sur l’utilisation du nation la plus favorisée peut en atténuer la
droit comparé et de la jurisprudence arbitrale. portée.
Ce n’est pas à dire non plus qu’un bris de
La jurisprudence dans l’arbitrage en matière jurisprudence n’est pas concevable. C’est ainsi
d’investissement que le législateur européen a imposé, dans la
Le caractère répétitif des questions de droit génération de nouveaux traités conclus entre
que soulèvent les arbitrages en matière d’in- l’Union européenne et ses partenaires commer-
vestissement, conséquence naturelle du fait ciaux, appelés à remplacer ceux qu’avaient
que les traités bilatéraux ou multilatéraux sur conclus les États membres avec ces mêmes
le fondement desquels l’essentiel de la partenaires, une définition beaucoup plus
matière s’est développé contiennent des précise – et singulièrement plus restrictive –
formules semblables ou identiques, en fait un des agissements susceptibles de caractériser
terreau idéal de développement de la juris- une violation du traitement juste et équitable.
prudence arbitrale. C’est en effet aux arbitres De même, la notion d’expropriation a été
qu’il a appartenu de définir les contours des aménagée et restreinte, la clause de respect
notions cadres (expropriation, traitement des engagements éliminée.
juste et équitable, pleine protection et sécu- Interprétation prétorienne, bris de jurispru-
rité, etc.) figurant dans les traités. C’est ainsi, dence, articulation du droit général et du droit
par exemple, que la notion de traitement juste spécial, tous ces mécanismes classiques du
et équitable a été comprise comme contenant développement de la règle de droit ne sont
des obligations plus précises de non-discrimi- pas propres aux systèmes juridiques étatiques.

341
EMMANUEL GAILLARD

Ils jouent un rôle de premier plan dans l’ordre complexité, juridique, économique et sociolo-
juridique arbitral. gique.
*
Voilà ce qu’est, selon moi, l’arbitrage inter- EMMANUEL GAILLARD
national contemporain, dans sa richesse, sa

PORTRAIT PRÉMONITOIRE

Emmanuel Macron va-t-il annoncer prochainement sa candidature à l’élection prési-


dentielle ?
J’étais l’un de ceux qui le suppliaient de ne pas tarder à démissionner de manière
à ne pas entretenir la confusion avec Hollande. J’aurais aimé qu’il le fasse plus tôt.
Emmanuel Macron a repris sa liberté, il ne doit pas encore parler de campagne prési-
dentielle. Il sera candidat s’il y a un mouvement d’opinion suffisamment fort pour
que ce soit bénéfique à l’intérêt général et non à son propre intérêt.
Ancien banquier, il n’a jamais été élu. Quels sont ses atouts pour se présenter à
l’élection présidentielle ?
En juillet 2014, il pensait à créer une sorte de société d’études autour de la poli-
tique. Il avait envisagé de faire des conférences à Londres, à Berlin. Il a fallu l’af-
faire Montebourg et l’appui de Valls et Jouyet, plus que celui du Président, pour
nommer Macron. Hollande souhaitait lui laisser seulement le secrétariat d’État au
Budget. Depuis la commission Attali, Emmanuel a eu l’occasion d’avoir un réseau
très important. Il apparaît aujourd’hui comme un recours. L’une de ses qualités est
de s’ouvrir au monde, de comprendre ce qui se passe.
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Vous avez été témoin de son mariage avec Brigitte Trogneux, qui est de plus en plus
visible auprès de lui…
Elle est très importante. Elle a orienté ses lectures, joué un rôle dans ses cercles
d’amis, veillé à ce qu’il ne se disperse pas. Il a eu la chance, étant très jeune, d’être
en vie commune. Il n’a pas, au contraire de la majorité des gens brillants de son âge,
multiplié les copines. Cela a joué un rôle important dans son travail ! Il n’a pas été
sollicité ou, du moins, il a refusé.
Une partie de la gauche exècre Emmanuel Macron. A-t-il commis des erreurs poli-
tiques ?
Cette gauche est ringarde. Il a cependant fait des choses que je n’ai pas appréciées.
Il a fait apparaître Chevènement comme parrain, alors qu’il était le pire ennemi de
Rocard ! Emmanuel est trop jeune pour avoir connu ces périodes, il a besoin d’être
recadré sur des connaissances historiques. Les couvertures de Paris Match, c’était
une erreur, et je lui ai dit. C’est people, c’est médiocre, notamment la photo avec le
nudiste. Même chose pour le Puy-du-Fou. Il n’avait pas besoin de s’afficher avec
Villiers. Ce désir qu’il a de serrer toutes les mains, même des personnes qui ne sont
pas d’accord avec lui, est regrettable. Il perd parfois son temps, c’est un peu ridicule.
Avec sa femme, on lui demande d’arrêter. On veut freiner ses tentatives de trop
convaincre.

Henry HERMAND (1924-2016), Le Figaro, 19 septembre 2016.

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