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Répertoire de droit civil

Force majeure 

Fabrice GRÉAU
Professeur à l'Université Paris-Est Créteil (Paris 12)

juin 2017

Table des matières

Généralités 1 - 11

Chap. 1 - Rôle théorique de la force majeure 12 - 20

Chap. 2 - Les caractères de la force majeure 21 - 84

Sect. 1 - L'extériorité 26 - 41
Art. 1 - En matière contractuelle : de l'extériorité à l'incontrôlable 27 - 34
Art. 2 - En matière extracontractuelle 35 - 41
Sect. 2 - L'imprévisibilité 42 - 65
Art. 1 - L'exigence de l'imprévisibilité 43 - 48
Art. 2 - La relativité de l'appréciation de l'imprévisibilité 49 - 61
§ 1 - Les circonstances de l'événement 50 - 57
§ 2 - Les circonstances liées au défendeur 58 - 61
Art. 3 - Le moment de l'appréciation de l'imprévisibilité 62 - 65
Sect. 3 - L'irrésistibilité 66 - 84
Art. 1 - Définition 67 - 72
Art. 2 - Appréciation 73 - 84

Chap. 3 - Les effets de la force majeure 85 - 104

Sect. 1 - En présence d'un empêchement définitif et complet 86 - 100


Art. 1 - Exonération complète de la responsabilité pesant sur le défendeur
87 - 93
Art. 2 - Résolution de plein droit du contrat synallagmatique 94 - 100
Sect. 2 - En présence d'un empêchement temporaire ou partiel 101 - 104

Chap. 4 - Les aménagements contractuels de la force majeure 105 - 109

Bibliographie

ANTONMATTEI, Contribution à l'étude de la force majeure, 1992, LGDJ, préf.


TEYSSIÉ. – BACACHE-GIBEILI, Les obligations, La responsabilité civile
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– BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, 4  éd., 2016, LexisNexis. –
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LGDJ, préf. H. MAZEAUD. – DEJEAN DE LA BATIE, Appréciation in abstracto et
appréciation in concreto en droit civil français, LGDJ, t. 57, 1965, préf.
H. MAZEAUD. – DESHAYES, GÉNICON et LAITHIER, Réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2016. –
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LARROUMET et BROS, Les obligations, Le contrat, Économica, 8  éd., 2016. –
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blanc ou les deux visages de l'obligation in solidum, JCP 1971. I. 2369. – CARON,
La force majeure, Talon d'Achille de la responsabilité des père et mère ?,
Gaz. Pal. 1998. 2. doct. 1130. – BROS, La force majeure, Dr. et patr. juin 2016,
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1967. 310 ; Bilan de quelques années de jurisprudence en matière de rôle causal,
D. 1970. Chron. 113 . – COUTANT-LAPALUS, Variations autour de l'imprévisibilité
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analyse de l'obligation de sécurité à l'épreuve de la cause étrangère, D. 1999.
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cas fortuit ou de force majeure, Lois nouvelles 1943. 1. 73 ; De la réparation due
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civ. 1944. 155 . – HAGÈGE, La reconnaissance de la force majeure à l'occasion de
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catastrophes naturelles : mythe ou réalité ?, LPA 6 sept. 2002, n  179, p. 3. –
HOCQUET-BERG, Gardien cherche force majeure… Désespérément…, RCA 2003.
Chron. 12. – LEDUC, Catastrophe naturelle et force majeure, RGDA 1997. 409. –
MEKKI, La définition de la force majeure ou la magie du clair-obscur, RLDC
2006/ 29, p. 17. – MOURY, Force majeure : éloge de la sobriété, RTD civ. 2004.
471  . – NOGUÉRO, La maladie du débiteur cas de force majeure, D. 2006.
1566  . – OUDOT, Des remèdes aux sanctions : le retour de la faute au galop !,
JCP 2016. 769. – POHÉ, Ombre et lumière sur la force majeure dans la
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responsabilité parentale, RRJ 2002, n  1, p. 239. – SAINT-PAU, Exonération de
responsabilité contractuelle. – Inexécution imputable à une cause étrangère, J.-
Cl. Civ. Code, fasc. 11-30, 2014. – STARCK, La pluralité de causes de dommage
et la responsabilité civile, JCP 1970. I. 2339. – TUNC, Force majeure et absence
de faute en matière contractuelle, RTD civ. 1945. 235 ; Force majeure et absence
de faute en matière délictuelle, RTD civ. 1946. 171.
JOURDAIN, Recherche sur l'imputabilité en matière de responsabilités civile et
pénale, thèse dactyl., Paris II, 1982. – MARIE, Du cas fortuit et de la force
majeure, thèse, Caen, 1896. – RADOUANT, Du cas fortuit et de la force majeure,
thèse, Paris, 1920.
ACTUALISATION
Bibliographie. - REBEYROL, L'appréciation de la force majeure par la Cour de
cassation, D. 2018. 598  .

Généralités

1. Omniprésence de la force majeure et rareté de ses applications. - La


force majeure est partout mais, sans aller jusqu'à affirmer qu'on ne la voit nulle
part, ses apparitions sont pour le moins sporadiques en droit positif. La notion est
très fréquemment invoquée – elle est même l'une des rares notions juridiques à
avoir un très fort pouvoir évocateur auprès des juristes et des non-juristes –
puisqu'elle permet d'exonérer le défendeur de toute responsabilité, et en
particulier des responsabilités de plein droit, dès lors que l'événement susceptible
de recevoir cette qualification est la véritable cause du dommage et qu'il ne peut
être imputé à une personne ou à un groupe de personnes déterminé. Elle doit
ainsi permettre en théorie de tracer la frontière entre ce qui relève de l'obligation
et ce qui lui demeure étranger. Parée d'atours en apparence précis et susceptibles
de se prêter à des interprétations claires et sécurisantes – les traditionnels
critères d'irrésistibilité, d'imprévisibilité et d'extériorité de l'événement invoqué
par le défendeur pour s'exonérer –, la force majeure est en réalité le plus souvent
une qualification difficilement prévisible, en ce qu'elle dépend en grande partie
tout à la fois de l'infinie diversité des situations factuelles et, surtout, de la
consistance que la jurisprudence souhaite donner à l'obligation demeurée
inexécutée, ce qui en fait une notion assez largement fonctionnelle dont la réalité
propre est insaisissable en dépit – ou à cause – des perpétuelles discussions que
suscitent ses critères de reconnaissance. Le plus souvent, l'argument demeure
purement incantatoire : il importe en effet « de souligner le hiatus qui existe
entre la référence quasi constante qui est faite à cette notion de cause étrangère
par les plaideurs, par les tribunaux, ainsi que par les auteurs, spécialement dans
le cadre des responsabilités dites de plein droit […], et le nombre pour ainsi dire
négligeable de décisions qui prononcent l'exonération totale du défendeur sur ce
e
fondement » (BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, 4  éd., 2016,
o
LexisNexis, n  273). Omniprésente dans les esprits, la force majeure joue
pourtant en réalité un rôle relativement restreint : marginale dans la
responsabilité pour faute, elle est en théorie plus importante dans les
responsabilités de plein droit mais se trouve souvent rigoureusement restreinte
par la jurisprudence, quand elle n'est pas paralysée par le législateur dans
certains régimes spéciaux.

2. Articulation des principaux textes après la réforme du droit commun


des contrats et du régime général des obligations. - Si l'imprécision
conceptuelle s'explique naturellement par le rôle de libération du défendeur
assigné à la force majeure, source d'une tension constante mais difficilement
maîtrisable entre la nécessité de préserver la force obligatoire du contrat ou les
intérêts légitimes d'une victime et celle de permettre au défendeur de ne pas
répondre d'un événement sur lequel il n'a eu absolument aucune maîtrise, elle
tient également à l'absence, avant la réforme du droit des contrats et du régime
o
général des obligations opérée par l'ordonnance n  2016-131 du 10 février 2016,
de toute définition d'une notion qui est pourtant continuellement excipée devant
les tribunaux puisqu'elle fait figure pour le défendeur d'ultime échappatoire. Cet
écueil était d'autant plus surprenant que la force majeure est évoquée par de très
nombreuses dispositions. Son domaine de prédilection est évidemment le droit
des obligations et en particulier le droit des contrats, avec auparavant comme
point d'ancrage textuel l'ancien article 1148 du code civil qui, en matière
contractuelle, se contentait d'écarter la condamnation du débiteur à des
dommages-intérêts lorsque l'inexécution était la suite « d'une force majeure ou
d'un cas fortuit ». Depuis la réforme, les textes de droit commun appréhendant la
force majeure sont plus nombreux (quoique dispersés), mais, à raison du
domaine de cette réforme, ils se limitent encore au droit des contrats.
Aujourd'hui, la force majeure est abordée principalement à l'article 1218 du code
civil, qui, après l'énumération à l'article 1217 des différentes sanctions de
l'inexécution du contrat et avant les dispositions spécifiquement consacrées à ces
sanctions, en donne une définition – valable seulement en matière contractuelle –
et certains effets. Elle est également mentionnée à l'article 1231-1 du même
code, qui fusionne les anciens articles 1147 et 1148 en posant la règle de
l'absence de condamnation du débiteur contractuel lorsque « l'exécution a été
empêchée par la force majeure ». Au sein du titre consacré au régime général
des obligations, la section 5 relative à « l'impossibilité d'exécuter » introduit en
outre deux nouveaux textes (les articles 1351 et 1351-1) qui précisent encore les
effets de la force majeure ; ils ont en théorie vocation à s'appliquer à toutes les
obligations mais ils ne concernent en réalité à nouveau que les seules obligations
contractuelles. Le droit commun de la responsabilité extracontractuelle ne
comprend quant à lui, pour l'heure, aucun texte consacré à la force majeure,
mais celle-ci était, avant la réforme, comprise de manière quasi-similaire dans les
deux ordres de responsabilité. L'actuel [mars 2017] projet de réforme de la
responsabilité civile la mentionne toutefois dans son article 1253, avec en
particulier une définition propre à la matière extracontractuelle à l'alinéa 2.

3. Présence fréquente de la force majeure dans les textes spéciaux du


droit des contrats. - Ce contraste textuel entre les deux ordres de
responsabilité se confirme d'ailleurs au-delà du droit commun. Les textes
spéciaux se référant à la force majeure relèvent en effet le plus souvent du droit
des contrats. Sans aucune volonté d'exhaustivité, on peut citer par exemple
o
l'article 12 du décret n  66-1078 du 31 décembre 1966 (qui, en matière
d'affrètement, prévoit la résolution du contrat sans dommages-intérêts si « avant
le départ du navire, survient […] tout autre événement de force majeure qui rend
impossible l'exécution du voyage ». – V.  Contrat de transport [Civ.] ), l'article 7,
o
d) de la loi n  89-462 du 6 juillet 1989 (qui oblige le locataire à prendre à sa
charge l'entretien courant du logement, les menues réparations ainsi que
l'ensemble des réparations locatives « sauf si elles sont occasionnées par vétusté,
malfaçon, vice de construction, cas fortuit ou force majeure »), l'article L. 442-6,
o
I, 5  du code de commerce (qui, à propos de la rupture brutale des relations
commerciales établies, prévoit une « faculté de résiliation sans préavis, en cas
d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure »),
l'article L. 221-15, alinéa 2, du code de la consommation (qui, à propos des
ventes de biens et fournitures de services à distance, prévoit que le professionnel
peut s'exonérer de sa responsabilité « en apportant la preuve que l'inexécution ou
la mauvaise exécution du contrat est imputable […] à un cas de force majeure  »),
l'article L. 444-8, alinéa 2, du code de l'éducation (qui, à propos des contrats
conclus avec des établissements privés d'enseignement à distance, prévoit que
« le contrat peut être résilié par l'élève, ou son représentant légal, si, par suite
d'un cas fortuit ou d'une force majeure, il est empêché de suivre l'enseignement
correspondant. Dans ce cas, la résiliation ne donne lieu à aucune indemnité »), ou
encore l'article 1243-1 du code du travail (qui prévoit qu'un contrat de travail à
durée déterminée « ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de
faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du
travail »).
4. Vocation générale de la force majeure. - Mais la force majeure a
également droit de cité au-delà du droit de la responsabilité civile et de
l'exonération d'un potentiel responsable. Elle peut également avoir un effet
conservatoire (ANTONMATTEI, Contribution à l'étude de la force majeure, 1992,
os
LGDJ, préf. TEYSSIÉ, n  262 s. – GRAYOT-DIRX, La cause étrangère et l'usage
des nouvelles technologies dans le procès civil, Procédures janv. 2013. Étude 2).
Il en va ainsi lorsqu'elle permet de tempérer des restrictions probatoires (l'art.
er
1360  C. civ. [anc. art. 1348  al. 1 ] écarte en particulier l'exigence d'une
preuve par écrit lorsque « l'écrit a été perdu par force majeure ». V. par ex. :
re o o
Civ. 1 , 12 nov. 2009, n  08-17.791  , Bull. civ. I, n  227 ; D. 2010. 688, note
Dagorne-Labbe   ; JCP 2009. 584, note Binet ; D. 2010. 522, obs. Auroy   ;
re o
D. 2010. 2671, obs. Delebecque.  – Civ. 1 , 30 mars 2016, n  15-12.773) ou
d'allonger des délais (par exemple, l'art. 2234  C. civ., depuis la réforme de la
o
prescription extinctive opérée par la L. n  2008-561 du 17 juin 2008, prévoit que
« la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans
l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la
convention ou de la force majeure ». V. égal. l'art. R. 322-28  du code des
procédures civiles d'exécution, qui, à propos des ventes par adjudication en
matière immobilière, prévoit que « la vente forcée ne peut être reportée que pour
un cas de force majeure »). Elle joue également un rôle en droit pénal (V. Rep.
o
pén., v Force majeure) en ce qu'elle révèle une contrainte empêchant une
personne d'exécuter ses obligations ou l'obligeant à commettre un acte
répréhensible : l'article 121-3, alinéa 5, du code pénal prévoit ainsi « [qu'] il n'y a
point de contravention en cas de force majeure », l'article 122-2 du même code
évoque, lui, plus largement l'irresponsabilité pénale de « la personne qui a agi
sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister ». De
er
manière plus spécifique, l'article L. 121-3 alinéa 1 , du code de la route, qui
impose le paiement de certaines amendes au titulaire du certificat
d'immatriculation du véhicule, écarte cette solution si celui-ci établit « l'existence
d'un vol ou de tout autre événement de force majeure… » (V. par ex. Crim.
o o
6 nov. 2013, n  12-82.182  , Bull. crim. n  215). La force majeure est donc une
notion largement transversale, comme en témoigne la position du Conseil d'État
permettant d'invoquer la force majeure quand bien même les textes applicables à
un litige ne réserveraient pas cette hypothèse (CE 21 sept. 2016, req.
o o
n  386250   ; Dr. fisc. 2016, n  644, concl. Bokdam-Tognetti).

5. L'assimilation du cas fortuit et de la force majeure. - La diversité des


textes et la malléabilité naturelle de la notion de force majeure appellent
quelques précisions terminologiques car, avant même le fond du droit, des
incertitudes se font jour sur ce terrain, encore que celles-ci soient aujourd'hui
moins accusées qu'autrefois. L'ancien article 1147 du code civil faisait ainsi
référence à la force majeure ou au cas fortuit et de nombreux textes encore en
vigueur s'appuient soit sur ces deux notions (V. par ex. les art. 1733  al. 2 et
1784  C. civ.), soit uniquement (et très fréquemment) sur la seconde (V. par
ex. les art. 607  , 855  et 1647  C. civ.). Il est pourtant aujourd'hui assez
largement admis que l'expression « cas fortuit » se confond avec celle de « force
majeure » et les textes issus de la réforme se réfèrent d'ailleurs uniquement à la
o
première. Le droit romain connaissait certes l'opposition entre le v  major (force
o
majeure) et le v  minor ou casus (cas fortuit), le premier étant irrésistible même
si prévisible alors que le second est imprévisible sans être irrésistible (MOURY,
Force majeure : éloge de la sobriété, RTD civ. 2004. 471  ). L'usage commun
des deux termes par les rédacteurs du code civil, mêlé ultérieurement à la
systématisation des trois critères que l'on a ensuite considérés comme classiques,
a conduit à l'assimilation des deux notions (THIBIERGE, Le contrat face à
o o
l'imprévu, préf. AYNÈS, 2011, Economica, n  226 s., spéc. n  264 et 265). Il a
certes parfois été proposé de déduire de cette dualité d'expressions une dualité
de notions en considérant le cas fortuit comme un événement interne au
débiteur, alors que la force majeure serait, elle, un événement externe
uniquement. Cette distinction n'a pas prospéré, notamment parce que « la base
exégétique en était faible » (CARBONNIER, Droit civil, t. 4, Les obligations,
e o
22  éd., 2000, PUF, n  165. – V. égal. le TOURNEAU et alii, Droit de la
o
responsabilité et des contrats, 2014, Dalloz Action, n  1802), mais également
parce que la jurisprudence a élaboré une conception de la force majeure
exonératoire relativement proche dans les matières contractuelle et
extracontractuelle et l'objectivation de la responsabilité a conduit en matière
contractuelle à imputer au débiteur les événements qui lui sont internes (SAINT-
PAU, Exonération de responsabilité contractuelle. – Inexécution imputable à une
o
cause étrangère, J.-Cl. Civ. Code, fasc. 11-30, 2014, n  8). Force majeure et cas
fortuit désignent ainsi indifféremment tout événement, quelle que soit son
origine, présentant les caractères habituellement requis, et qui peut ainsi être
considéré comme la véritable cause du dommage en lieu et place du fait reproché
au défendeur (certains précisent encore toutefois que le cas fortuit serait une
variété de force majeure entendu comme un événement naturel ou anonyme :
BACACHE-GIBEILI, Les obligations, La responsabilité civile extracontractuelle,
e o
3  éd., 2016, Economica, n  532). On peut dès lors être surpris de voir
er
l'expression « cas fortuit » réapparaître au détour de l'article 1253 alinéa 1 de
l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la responsabilité civile, dans une
formule qui, interprétée a contrario, pourrait permettre une exonération partielle
en présence d'un événement ne présentant pas les caractères de la force majeure
os
(V. infra, n  87 s.).

6. La force majeure est une cause étrangère parmi d'autres. - L'étude de la
force majeure se fait très fréquemment dans le cadre de celle de la cause
étrangère. Cette formule figurait autrefois à l'ancien article 1147 du code civil (qui
écartait la condamnation du débiteur contractuel justifiant d'une inexécution
provenant « d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ») et ne se
retrouve plus aujourd'hui à l'article 1231-1, qui n'évoque que la force majeure.
Elle ne va toutefois probablement pas disparaître : si, dans une conception large,
la force majeure se confond avec la cause étrangère (c'est-à-dire tout
événement, quel qu'il soit, doté des trois caractères habituels), depuis l'arrêt
Jand'heur (Cass., ch. réun., 13 févr. 1930, DP 1930. 1. 57, note Ripert ;
e o
S. 1930. 1. 121, note Esmein, GAJC, 13 éd. 2015, t. 2, arrêt n  202), la Cour de
cassation distingue le « cas fortuit ou de force majeure » et la « cause
étrangère » non imputable au défendeur. De nos jours, on considère donc la force
majeure comme l'une des causes étrangères exonératoires, aux côtés du fait du
tiers et de celui de la victime. Même si les deux notions se recoupent en partie
puisque la force majeure est une application parmi d'autres de la cause
étrangère, leur distinction par la Cour de cassation semble aujourd'hui acquise.
Paradoxalement, elle apparaît clairement à la suite d'une confusion commise dans
deux arrêts d'assemblée plénière relatifs à la responsabilité des parents du fait de
leurs enfants mineurs : pour évoquer l'exonération des parents, l'un employait le
terme de cause étrangère là où l'autre utilisait celui de force majeure (Cass., ass.
o
plén., 13 déc. 2002, n  00-13.787  , D. 2003. 231, note Jourdain  ). Afin de
prévenir toute ambiguïté dans l'interprétation de ces décisions, la Cour a ensuite
rendu un arrêt rectificatif substituant l'expression « force majeure » à celle de
o
« cause étrangère » (Cass., ass. plén., 17 janv. 2003, n  00-13.787  , D. 2003.
591, note Jourdain  ), ce qui ne l'a pas empêchée par la suite de viser sur cette
e
même question « la cause étrangère ou la faute de la victime » (Civ. 2 , 17 févr.
o o
2011, n  10-30.439  , cité infra, n  41)… En dépit de ces tergiversations propres
à la responsabilité parentale, il apparaît aujourd'hui clairement que la relation
entre la cause étrangère et la force majeure est celle du genre et de l'espèce.

7. Faute de la victime et fait du tiers. - Une distinction franche reste malaisée


dans la mesure où, pour qu'ils puissent justifier l'exonération totale du défendeur,
la Cour de cassation affirme de manière constante que le fait du tiers et la faute
de la victime doivent revêtir les caractères de la force majeure (par ex., V. Com.
o e o
22 nov. 2016, n  14-25.092.  – Civ. 2 , 27 mars 2014, n  13-13.790.  –
e o re o
Civ. 2 , 4 juill. 2013, n  12-23.562.  – Civ. 1 , 28 nov. 2012, n  11-26.814  ,
o e o e
Bull. civ. I, n  248. – Civ. 2 , 5 avr. 2007, n  06-10.797.  – Civ. 2 , 15 déc.
o o e o
2005, n  03-16.772  , Bull. civ. II, n  336. – Civ. 2 , 16 déc. 2004, n  03-
o e o
18.860  , RCA 2005, n  83, note Hocquet-Berg. – Civ. 2 , 29 mars 2001, n  99-
o
10.735  , Bull. civ. II, n  68 ; Dr. et patr. juill.-août 2001. 106, obs. F. Chabas ;
e o
RTD civ. 2001. 598, obs. Jourdain  . – Civ. 2 , 15 mars 2001, n  99-11.033  ,
o e o o
Bull. civ. II, n  56. – Civ. 2 , 27 mai 1999, n  97-16.200  , Bull. civ. II, n  104).
Plus précisément, la faute de la victime est une cause étrangère qui permet
traditionnellement l'exonération partielle du défendeur, sauf lorsqu'elle présente
les traits de la force majeure puisqu'elle autorise alors une exonération complète.
Le fait du tiers a également cette conséquence s'il réunit les critères de la force
majeure, mais, dans le cas inverse, il demeure indifférent : le simple fait du tiers
n'emporte en effet aucune exonération du défendeur. Mieux, s'il est un fait
générateur de responsabilité, il n'empêche pas la condamnation complète du
défendeur via le mécanisme de l'obligation in solidum qui autorise seulement ce
défendeur à exercer éventuellement un recours en contribution contre le tiers co-
responsable.

8. Contestation du rôle partiellement exonératoire de la faute de la


victime. - Ce schéma rencontre néanmoins actuellement quelques turbulences
concernant la faute de la victime. Afin de contraindre le législateur à édicter un
régime spécial pour les accidents de la circulation, la Cour de cassation avait ainsi
un temps neutralisé son effet partiellement exonératoire sur le terrain de la
responsabilité du fait des choses pour n'admettre qu'un effet pleinement
e
exonératoire en présence d'une faute constitutive d'une force majeure (Civ. 2 ,
o o
21 juill. 1982, n  81-12.850  , Bull. civ. II, n  111 ; Gaz. Pal. 1982. 2. 391,
concl. Charbonnier ; JCP 1982. II. 19861, note Chabas, erratum 19875 ; RTD civ.
1982. 806, obs. Durry), puis était revenue à la solution traditionnelle après
o e o
l'adoption de la loi n  85-677 du 5 juillet 1985 (Civ. 2 , 6 avr. 1987, n  83-
17.194   ; JCP 1987. II. 20828, note Chabas ; D. 1988. 32, note Mouly). Plus
récemment, la première chambre civile a de nouveau neutralisé, en matière
contractuelle uniquement, l'effet partiellement exonératoire de la faute de la
victime pour les dommages corporels imputables à un transporteur ferroviaire sur
re o o
les trajets internes (Civ. 1 , 13 mars 2008, n  05-12.551  , Bull. civ. I, n  76 ;
D. 2008. 1582, note Viney   ; D. 2008. 2363, obs. Chauvin et Creton   ;
D. 2008. 2894, obs. Brun   ; RTD civ. 2008. 312, obs. Jourdain   ; JCP 2008.
re
II. 10085, note Grosser. Comp. Pour un trajet international : Civ. 1 , 13 mars
o o
2008, n  05-11.800  , Bull. civ. I, n  77). La solution, qui n'a pas été appliquée à
re o
un contrat de transport fluvial (Civ. 1 , 16 avr. 2015, n  14-13.440  , D. 2015.
o
1137, note D. Mazeaud   ; JCP 2015. 1409, n  7, obs. Bloch), est à mettre en
parallèle avec la jurisprudence de la Cour de cassation extrêmement rigoureuse à
l'égard de la SNCF en ce qu'elle n'admet quasiment jamais son exonération par la
os
force majeure (V. infra, n  60 s. et 79 s.), dessinant ainsi un régime prétorien
d'indemnisation qu'il est impossible de ne pas rapprocher de celui applicable aux
accidents de la circulation. Ce nouvel abandon de l'exonération partielle par la
faute de la victime peut en théorie s'expliquer par l'idée suivant laquelle elle
n'aurait pas sa place dans un système de responsabilité objective, car cela
reviendrait à mettre « sur le même plan une faute prouvée et une présomption,
c'est-à-dire une certitude et une hypothèse » (Le TOURNEAU et alii, op. cit.,
o
n  1888. – Pour une critique de cette idée : BRUN, obs. préc.). Mais il n'y aurait
alors aucune raison de cantonner cette solution au transport ferroviaire interne de
personnes et la Cour de cassation pourrait être tentée de lui donner une portée
générale dans les responsabilités objectives, étape qu'elle s'est pour l'instant bien
gardée de franchir. La deuxième chambre civile admet d'ailleurs toujours, en
matière extracontractuelle il est vrai (mais pourquoi faudrait-il distinguer ?),
l'exonération partielle du transporteur ferroviaire par la preuve de la faute de la
e o
victime (Civ. 2 , 3 mars 2016, n  15-12.217   ; D. 2016. 766, note Rias   ; JCP
o o e
2016. 1117, n  7, obs. Bloch, RCA 2016, n  174, note Hocquet-Berg. – Civ. 2 ,
o e o
4 juill. 2013, n  12-23.562.  – Civ. 2 , 22 oct. 2009, n  08-20.166  [RATP],
o
LPA 4 janv. 2010, n  2, p. 18, note Brusorio-Aillaud). Ces tâtonnements dessinent
l'avenir de la faute de la victime en présence d'un dommage corporel, c'est-à-dire
la neutralisation de son effet partiellement exonératoire, sauf en présence d'une
faute qualifiée (l'art. 1254 al. 2 de l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la
responsabilité civile prévoit ainsi « [qu'] en cas de dommage corporel, seule une
faute lourde peut entrainer l'exonération partielle »), et le maintien de son effet
pleinement exonératoire lorsqu'elle est une force majeure.

9. Variations terminologiques. - Cette présentation de la force majeure


comme la seule cause étrangère totalement exonératoire est toutefois parfois
troublée par le recours épisodique à des formules qui soit visent la force majeure
aux côtés d'une autre notion qui s'en distingue mal, soit éludent totalement
l'appellation de force majeure, sans que l'on sache véritablement si ces
flottements terminologiques ont une incidence sur le fond du droit. L'article
L. 221-15, alinéa 2, du code de la consommation permet ainsi au professionnel de
s'exonérer de la responsabilité de plein droit qui pèse sur lui pour la bonne
exécution d'un contrat conclu à distance en démontrant que « l'inexécution ou la
mauvaise exécution du contrat est imputable soit au consommateur, soit au fait,
imprévisible et insurmontable, d'un tiers au contrat, soit à un cas de force
majeure ». Pour l'application de l'article 568 du code de procédure pénale, la Cour
de cassation a également pu affirmer qu'il était possible de déroger au délai légal
pour former un pourvoi en cassation « à la condition que, par un événement de
force majeure ou par un obstacle insurmontable et indépendant de sa volonté, le
demandeur se soit trouvé dans l'impossibilité de s'y conformer » (Crim. 13 janv.
o o
2015, n  13-87.188  , Bull. crim. n  14). De manière plus gênante, la Cour se
réfère parfois uniquement à la notion de « cause exclusive du dommage » (Com.
o e o
2 nov. 2016, n  15-12.324.  – Civ. 3 , 5 mai 2015, n  14-12.418.  – Com.
o o o
28 janv. 2014, n  12-27.901  , Bull. civ. IV, n  22. – Com. 9 juill. 2013, n  12-
o re o
22.240.  – Com. 22 mai 2013, n  12-15.672.  – Civ. 1 , 28 juin 2012, n  11-
o e o
13.875.  – Com. 3 mars 2009, n  07-18.614.  – Civ. 3 , 8 nov. 2005, n  04-
o re
17.701  , Bull. civ. III, n  212 ; RDI 2006. 57, note Malinvaud.  – Civ. 1 ,
o o
6 oct. 1998, n  96-12.540  , Bull. civ. I, n  269 ; RTD civ. 1999. 113,
obs. Jourdain   ; JCP 1999. II. 10186, note Aubrée), voire à cette même notion
aux côtés de la force majeure et en semblant distinguer les deux (Com. 22 nov.
o
2016, n  14-25.092  ). Doit-on voir dans cette formule un succédané de la force
majeure, auquel cas ces décisions introduisent une nouvelle imprécision
terminologique regrettable, ou alors un autre type de cause étrangère, qui
permettrait de faire abstraction des critères habituels de la force majeure pour se
situer sur le seul terrain de la causalité ? Pour certains (VINEY, JOURDAIN et
e o
CARVAL, Les conditions de la responsabilité, 4  éd., 2013, LGDJ, n  394), ces
décisions peuvent s'expliquer soit par la volonté d'éluder la condition
d'imprévisibilité, soit par le souci de la Cour d'éviter des censures inutiles, soit
encore et plus radicalement par une tendance à admettre l'exonération totale en
faisant abstraction des caractères habituels de la force majeure afin d'examiner
uniquement le rôle causal de l'événement. Dans les arrêts les plus récents qui
usent de cette formule, il n'est peut-être pas inutile de souligner qu'étaient en
cause des responsabilités contractuelles pour faute et que la Cour y écarte – le
plus souvent – ou y admet – plus rarement – l'exonération totale du défendeur à
raison de la faute de la victime. Dans les deux cas, la coexistence de fautes
pourrait expliquer la réticence de la Cour à se référer à la force majeure, car il est
généralement admis que l'existence d'une faute exclut la force majeure (V. infra,
o
n  13) et que cette notion n'a qu'un rôle marginal dans les responsabilités pour
o
faute (V. infra, n  16). La Cour peut alors préférer mettre l'accent sur le rôle
causal de la faute, soit pour admettre que l'autre faute a eu un rôle très
négligeable, soit pour considérer que les deux fautes ont concouru au dommage.

10. Relativité de la force majeure. - Les hésitations terminologiques et les


hésitations conceptuelles qui peuvent leur être sous-jacentes ne sont toutefois
pas les plus prégnantes. En effet, mesurer la portée de la force majeure en droit
français nécessite surtout de mettre l'accent sur son caractère éminemment
relatif : aucun événement n'est en soi une force majeure, ni le fait du prince, ni
l'état de guerre, ni le verglas, ni la tempête, ni la maladie, ni la grève, ni une
inondation, ni un glissement de terrain, ni même un événement classé comme
catastrophe naturelle. Chaque phénomène doit être apprécié suivant toutes les
circonstances de l'espèce – en particulier son intensité causale – afin de
déterminer quel a été son impact pour le défendeur, ce qui explique pourquoi la
force majeure donne lieu à une jurisprudence très fournie qui se perd souvent
– en même temps qu'elle perd l'interprète – dans un interminable tourbillon
casuistique. L'avantage d'un tel mécanisme est évidemment de pouvoir adapter la
notion aux particularités de chaque espèce, mais on a pu souligner que ce
raisonnement n'est plus nécessairement adapté dans un système qui repose en
grande partie sur l'assurance, et préconiser une logique dans laquelle « une
énumération limitative des “causes étrangères” définies par des caractéristiques
objectives difficilement discutables apporterait une simplification appréciable […]
et fort utile au moins dans les cas où la responsabilité est obligatoirement
o
assurée » (VINEY, JOURDAIN et CARVAL, op. cit., n  398 in fine). Si elle devait
être adoptée, elle entraînerait une métamorphose conséquente de notre droit de
la responsabilité, dans laquelle la sécurité juridique aurait beaucoup à gagner,
mais la jurisprudence beaucoup à perdre. Les magistrats utilisent en effet la
relativité de la force majeure pour poursuivre des politiques jurisprudentielles
parfois très fermes à l'égard de certains débiteurs, et la conclusion de l'ancienne
controverse sur le véritable rôle de l'imprévisibilité en matière contractuelle (V.
os
infra, n  22 s.) montre qu'ils ne sont pas prêts à délaisser le caractère nébuleux
de la notion, qui leur permet d'exercer un très large pouvoir d'appréciation, et
donc de conserver une importante marge de manœuvre donnant parfois le
sentiment, lorsque la force majeure est reconnue, d'une faveur gracieuse
accordée au défendeur.
o
11. Impact de la réforme. - La réforme opérée par l'ordonnance n  2016-131
du 10 février 2016 n'infléchit d'ailleurs pas la relativité de la force majeure. Elle
aurait même plutôt vocation à l'accentuer à raison des différenciations désormais
opérées suivant la source de l'obligation en cause. Le nouvel article 1218 du code
civil donne en effet une définition très classique de la force majeure, tout en la
réservant à la matière contractuelle. Est ainsi consacrée l'idée suivant laquelle la
force majeure doit être appréhendée différemment en droit des contrats car il
s'agirait ici essentiellement de mesurer l'étendue de l'obligation du débiteur et
d'en faire sortir les risques que celui-ci n'a pas souhaité intégrer dans son
engagement au moment de la conclusion du contrat ou, plus largement, ceux
qu'il n'est pas censé devoir assumer. Si cette logique avait été suivie jusqu'à son
terme, elle aurait peut-être nécessité de faire le choix d'une appellation différente
(V. les obs. de RÉMY, Pour une réforme du droit des contrats, dir. TERRÉ, Dalloz,
o
2009, p. 259, note n  13) pour réserver l'expression de force majeure aux
obligations autres que contractuelles. À l'avenir, le droit de la responsabilité
extracontractuelle devrait également intégrer une définition qui lui sera propre
(V. l'art. 1253 al. 2 de l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la responsabilité
civile, qui fait notamment abstraction de la condition d'imprévisibilité). Dans
l'attente, le droit positif doit composer avec une définition réservée au droit des
contrats, peu éloignée de celle auparavant en vigueur pour les deux ordres de
responsabilité, et une définition jurisprudentielle parfois erratique pour les
obligations autres que contractuelles, avec une potentielle anticipation par la
jurisprudence d'une définition spécifique à la responsabilité extracontractuelle de
manière à prendre acte du principe de la distinction d'ores et déjà posé par la
réforme du droit des contrats. Pour prendre plus précisément la mesure du droit
en vigueur, il convient d'examiner le rôle théorique de la force majeure (V. infra,
os os os
n  12 s.), ses caractères (V. infra, n  21 s.), ses effets (V. infra, n  85 s.) et les
os
aménagements contractuels dont elle peut faire l'objet (V. infra, n  105 s.).

er
Chapitre 1 - Rôle théorique de la force majeure

12. Fondement de l'exonération par la force majeure. - De manière


générale, l'effet essentiel de la force majeure est de libérer celui qui l'invoque
avec succès – par hypothèse, le défendeur à l'action – de la sanction attachée à
la règle méconnue. En droit des obligations, il s'agit plus précisément d'exonérer
le défendeur de l'obligation d'indemniser le créancier d'une obligation
contractuelle demeurée inexécutée ou la victime d'un dommage relevant de la
responsabilité extracontractuelle. Si l'on admet qu'il s'agit d'un mode
d'exonération de responsabilité, on doit alors considérer que les conditions
nécessaires à la mise en œuvre de la responsabilité sont remplies mais que
l'action vient buter in fine sur la preuve de la force majeure. Mais comment
expliquer cette libération du défendeur ? Deux justifications sont généralement
proposées.

13. Absence de faute. - La doctrine classique considérait que la force majeure


exonère le défendeur parce qu'elle exclut sa faute (RADOUANT, Du cas fortuit et
e
de la force majeure, thèse, Paris, 1920, et note ss. Civ. 2 , 13 mars 1957,
D. 1958. 73. – TUNC, Force majeure et absence de faute en matière
contractuelle, RTD civ. 1945. 235 ; Force majeure et absence de faute en matière
délictuelle, RTD civ. 1946. 171). Il n'y a pas de faute, en effet, à céder sans
l'avoir prévu à un événement auquel l'homme normal ne pouvait résister et qu'il
n'aurait pu prévoir. Certains ont même considéré que le rôle de la force majeure
n'est que d'établir cette absence de faute. Dès lors, si une faute a précédé, suivi
ou provoqué l'événement invoqué comme force majeure, c'est qu'il ne mérite pas
cette qualification et la responsabilité du défendeur demeure alors entière, ce que
semble parfois admettre implicitement ou explicitement la jurisprudence (Req.
e
9 mai 1911, DP 1912. 1. 401. – Civ. 16 mai 1922, DP 1922. 1. 130 [3  esp.]. –
Civ. 26 mars 1934, Gaz. Pal. 1934. 1. 963. – Soc. 30 déc. 1954, Bull. civ. III,
o e o o
n  629. – Civ. 2 , 14 mai 1958, Bull. civ. II, n  312. – Soc. 16 mai 1973, n  72-
o e o
40.182  , Bull. civ. V, n  308. – Civ. 2 , 8 juin 1978, n  76-14.786  , Bull. civ. II,
o o
n  157, D. 1978. IR 408, obs. Larroumet. – Soc. 7 mars 1985, n  83-45.688  ,
o re o o
Bull. civ. V, n  157. – Civ. 1 , 21 mars 2000, n  98-14.246  , Bull. civ. I, n  98.
e
– Civ. 2 , 5 févr. 2004 [en l'espèce pour l'application des troubles anormaux de
o o
voisinage], n  02-15.206  , Bull. civ. II, n  49 ; D. 2004. 2520, note
e
Beaugendre   ; RTD civ. 2004. 740, obs. Jourdain  . – Civ. 3 , 29 sept. 2015,
o
n  14-20.507.   –Spéc., la faute du transporteur exclut de reconnaître au vol les
o
caractères de la force majeure : Com. 26 sept. 2006, n  04-18.232  , CCC 2007,
o o
n  3, note Leveneur. – Com. 16 mai 2006, n  04-12.952  ). L'explication peut
toutefois paraître quelque peu anachronique, ou tout au moins insuffisante
o
(ANTONMATTÉI, Contribution à l'étude de la force majeure, 1992, LGDJ, n  200),
dans un système juridique qui accorde une place considérable aux responsabilités
objectives dans lesquelles la preuve de l'absence de faute n'a aucune incidence
sur la responsabilité du défendeur. Cette justification ne vaut donc que pour les
seules responsabilités fondées sur la faute : c'est au demandeur qu'il appartient
le plus souvent (sauf obligation de moyens renforcée ou obligation de résultat
atténuée) d'apporter la preuve d'une faute du défendeur et la réplique fondée sur
la force majeure permettra d'effacer le caractère fautif du comportement, sans
que l'on puisse ici toutefois évoquer techniquement une exonération du défendeur
puisqu'il aura été simplement démontré en amont que les conditions de sa
o
responsabilité ne sont pas réunies (BRUN, op. cit., n  275 ; VINEY, JOURDAIN et
o
CARVAL, op. cit., n  404).

14. Rupture du lien causal. - C'est pourquoi l'analyse qui a les faveurs de la


doctrine contemporaine est celle qui se situe sur le terrain de la causalité : la
preuve d'un événement de force majeure permet au défendeur de démontrer
l'absence de causalité entre le fait générateur de responsabilité qui lui est imputé
et le dommage. Plus précisément, il établit que sa participation au dommage
« est restée purement passive, c'est-à-dire qu'elle n'est devenue dommageable
que sous l'influence déterminante de la “cause étrangère”. En d'autres termes, le
fait imputé au défendeur n'aurait dû, selon le cours ordinaire des choses, produire
o
aucun dommage » (VINEY, JOURDAIN et CARVAL, op. cit., n  403). Au sens de la
causalité adéquate, la force majeure est la seule véritable cause du dommage,
elle a permis de rompre le lien de causalité avec le fait imputé au défendeur.
Dans les responsabilités de plein droit, afin de neutraliser la difficulté théorique
liée à l'affirmation, d'une part, de l'existence d'un lien de causalité entre le fait
générateur et le dommage et, d'autre part, de la rupture de ce même lien de
causalité par la force majeure, certains auteurs estiment utile de préciser que la
force majeure démontre plutôt l'absence d'imputation causale du dommage au
comportement du défendeur : la causalité primaire n'est pas remise en cause,
mais uniquement la causalité seconde, ce qui ne se confond pas avec l'absence
d'imputabilité physique (SABARD, La cause étrangère dans les droits privé et
public de la responsabilité extracontractuelle, Fondation Varenne, 2008, préf.
os os
LEDUC, n  63 s. et spéc. n  74 s. – Adde : LEDUC, Causalité civile et imputation,
o
RLDC 2007/40 [suppl.], spéc. n  9).

15. Combinaison des deux justifications. - Beaucoup d'auteurs admettent


toutefois que l'explication causaliste n'est pas exclusive de celle fondée sur
l'absence de faute. L'étude de la jurisprudence permet d'ailleurs de constater que
les magistrats prêtent très souvent attention tout à la fois à des éléments
purement objectifs et à d'autres supposant une appréciation sur le comportement
du défendeur (CHABAS, L'influence de la pluralité de causes sur le droit à
os
réparation, 1967, LGDJ, préf. MAZEAUD, n  172 s. – VINEY, JOURDAIN et
CARVAL, op. et loc. cit.). Un arrêt récent, dans lequel était en cause la
responsabilité extracontractuelle pour faute et du fait des choses du défendeur, a
ainsi pu affirmer que l'événement invoqué constituait « une cause extérieure,
imprévisible et irrésistible, exonératoire de sa responsabilité de gardien et
e o
démontrant l'absence de faute » (Civ. 3 , 23 mars 2017, n  16-12.870  ). Il
apparaît donc nécessaire de combiner les deux explications : la force majeure est
antinomique de la faute et elle montre le rôle négligeable du défendeur dans la
réalisation du dommage, ce qui suppose toutefois d'admettre le principe d'une
sélection des causes. Principe que l'on peut justifier sans peine, car « les critères
de la force majeure suffisent à imposer le rôle causal du fait perturbateur »
o
(ANTONMATTÉI, thèse préc., n  204). Cette explication duale, principalement
axée sur la causalité mais qui se refuse à briser le lien entre force majeure et
absence de faute, apparaît comme la plus réaliste car, dans la pratique judiciaire,
la preuve de la force majeure découle souvent d'éléments permettant d'écarter
toute faute du défendeur. Même si la force majeure joue essentiellement dans les
responsabilités objectives, on observe qu'en exigeant une irrésistibilité et une
imprévisibilité raisonnables de l'événement, on permet potentiellement au
défendeur de s'exonérer par la preuve de son absence de faute (BORGHETTI, La
responsabilité du fait des choses : un régime qui a fait son temps, RTD civ. 2010.
o os
1  , n  74. L'auteur estime [n  75 s.] que la disparition du régime général de
responsabilité du fait des choses permettrait « une redéfinition et une
simplification de la notion de force majeure », car celle-ci serait privée de sa
place centrale en droit positif). Ainsi, dans la responsabilité du fait des choses, qui
repose fondamentalement sur un lien causal entre le fait de la chose et le
dommage, la force majeure démontre « de façon absolue, que le gardien n'a
certainement pas commis de faute, d'imprudence ou de négligence, en relation
avec le dommage » (FLOUR, AUBERT et SAVAUX, Les obligations, vol. 2, Le fait
e o
juridique, 14  éd., 2011, Sirey, n  271).

16. Les obligations de résultat, terrain de prédilection de la force


majeure. - Cette explication hybride entre la rupture de la causalité et l'absence
de faute est d'ailleurs en lien avec l'évolution de la responsabilité civile, qui a par
contrecoup nécessairement rejailli sur l'appréhension de la force majeure.
Lorsque la responsabilité reposait exclusivement sur la faute, la doctrine, en
l'absence d'assise ferme à propos des critères qui deviendront par la suite
classiques, analysait majoritairement la force majeure à l'aune du standard du
bon père de famille (en matière contractuelle, V. notamment la doctrine
abondante citée par L. THIBIERGE, Le contrat face à l'imprévu, préf. AYNÈS,
os
2011, Economica, n  236 s.). Mais l'avènement des responsabilités objectives a
naturellement conduit les auteurs à se focaliser sur le rapport de causalité et,
parallèlement, le succès rencontré par la distinction entre les obligations de
moyens et les obligations de résultat a permis une relative émancipation de la
notion par rapport à la faute. En droit positif, le rôle de la force majeure est
essentiellement de libérer celui qui est tenu d'une obligation de résultat, et que la
preuve de son absence de faute ne peut exonérer. Son terrain d'élection est ainsi
aujourd'hui celui des responsabilités de plein droit. Cela ne signifie pas que la
force majeure soit sans utilité dans les autres cas. Traditionnellement, on jugeait
que la force majeure implique a fortiori l'absence de faute. Mais on comprend que
son rôle soit assez limité puisque, dans ces responsabilités, tant contractuelle
qu'extracontractuelle, la victime doit prouver la faute : ainsi, lorsque le défendeur
démontre en réplique qu'il n'a commis aucune faute (ce qu'il tentera souvent de
faire en s'inspirant d'un ou de plusieurs critères de la force majeure, mais
l'absence de force majeure ne permet pas à elle seule de démontrer la faute :
re o
Civ. 1 , 30 nov. 2016, n  15-20.984  ) ou que sa faute n'est pas la cause du
dommage, il ne s'exonère pas mais établit seulement que les conditions de sa
o
responsabilité ne sont pas remplies (BRUN, op. cit., n  275, qui évoque le
« défaut d'objet » de la cause étrangère dans la responsabilité du fait personnel).

17. La fermeté des obligations de résultat via une force majeure


insaisissable. - Cette utilité restreinte de la force majeure aux obligations de
résultat et responsabilités de plein droit ne réduit pas considérablement, du
moins en théorie, son champ d'application. Ces obligations sont en effet très
nombreuses en droit positif, en particulier les obligations de sécurité.
Récemment, c'est ainsi l'obligation de ponctualité à laquelle s'engage le
re
transporteur ferroviaire qui a reçu cette qualification (Civ. 1 , 14 janv. 2016,
o
n  14-28.227  , D. 2016. 981, note Gauchon  , D. 2017. 24, obs. Gout, CCC
o
2016, n   87, note Leveneur ; RDC 2016. 210, obs. Génicon. V. égal. Riom,
6 juin 1995, JCP 1995. IV. 2602.), l'obligation pour une commune de fournir une
re o
eau propre à la consommation (Civ. 1 , 28 nov. 2012, n  11-26.814  , D. 2013.
o re
591, obs. Darret-Courgeon   ; CCC 2013, n  26, note Leveneur.– Civ. 1 , 30 mai
o o
2006, n  03-16.335  , Bull. civ. I, n  279) ou encore l'obligation pour le bailleur
e o
de fournir un logement décent (Civ. 2 , 5 juin 2013, n  11-27.650 [même si
l'arrêt n'utilise pas formellement la formule obligation de résultat]). Pour
certaines, la jurisprudence montre que la force majeure n'est souvent qu'une
illusion. On peut par exemple évoquer l'article L. 1142-1, I, alinéa 2, du code de
o
la santé publique (issu de la loi n  2002-303 du 4 mars 2002 et qui consacre
partiellement la jurisprudence antérieure), qui prévoit, au moins pour les
dommages dont la gravité n'est pas suffisante pour les faire entrer dans le champ
de la solidarité nationale, que les établissements de santé « sont responsables
des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve
d'une cause étrangère ». La portée d'une telle exonération n'est pourtant
qu'apparente, puisqu'une infection nosocomiale n'est jamais imprévisible
re o o
(Civ. 1 , 18 févr. 2009, n  08-15.979  , Bull. civ. I, n  37 ; RTD civ. 2009. 543,
re o o
obs. JOURDAIN.  – Civ. 1 , 4 avr. 2006, n  04-17.491  , Bull. civ. I, n  491 ;
re er o
RTD civ. 2006. 567, obs. JOURDAIN. V. égal. Civ. 1  , 1  juill. 2010, n  09-
o
69.151  , Bull. civ. I, n  155), ni extérieure à l'établissement de santé. En droit
du travail, l'employeur est également tenu depuis 2002 d'une obligation de
sécurité de résultat à l'égard de ses salariés, dont il ne peut s'exonérer qu'en
démontrant un événement de force majeure, obligation de large portée puisque
l'agression subie par une secrétaire travaillant dans un garage, commise par la
conjointe de l'employeur, n'est pas un événement de force majeure pour
e o
l'employeur (Civ. 2 , 4 avr. 2012, n  11-10.570  , Dr. soc. 2012. 646, obs.
Radé   ; RDT 2012. 709, obs. Véricel  ). La Cour de cassation a également pu
voir une obligation de résultat dans l'engagement des fournisseurs d'accès à
internet : elle a ainsi invalidé une clause permettant à un fournisseur d'accès de
se dégager de son obligation essentielle, « justement qualifiée d'obligation de
re
résultat, d'assurer effectivement l'accès au service promis » (Civ. 1 , 8 nov.
o
2007, n  05-20.637  ), puis affirmé que « tenu d'une obligation de résultat quant
aux services offerts, le fournisseur d'accès ne pouvait s'exonérer de sa
responsabilité à l'égard de son client en raison d'une défaillance technique,
hormis le cas de force majeure », qui n'est pas caractérisé par une défaillance
re
technique, quand bien même celle-ci émanerait d'un tiers (Civ. 1 , 19 nov. 2009,
o
n  08-21.645  , D. 2009. 2927, obs. Guiomard   ; Gaz. Pal. 11 mars 2010,
o
n  70, p. 14, obs. Mekki).

18. La paralysie jurisprudentielle de la force majeure. - Ces quelques


illustrations permettent d'ores et déjà d'entr'apercevoir une présence souvent
très formelle de la force majeure (lorsque les textes le lui permettent, la Cour de
cassation trouve même parfois des ressources pour protéger les créanciers
re o
malgré l'existence d'une force majeure : Civ. 1 , 8 mars 2012, n  10-25.913  ,
o
Bull. civ. I, n  51 ; D. 2012. 1304, obs. Gallmeister et note Lachièze   ; RTD civ.
o
2012. 533, obs. Jourdain   ; JCP 2012, n  608, note Ravenne ; CCC 2012,
o re
n  145, obs. Leveneur ; RDC 2012. 808, obs. Carval. – Civ. 1 , 17 oct. 2012,
o
n  11-25.167.   – Adde : V. MAZEAUD, L'effet atténué de la force majeure sur la
o
responsabilité contractuelle de l'agent de voyages, RLDC 2012/98, n  4845 ;
BÉNABENT, Les naufragés de l'Eyjafjallajökull, D. 2010. 1136  .). La
jurisprudence relative à la responsabilité de la SNCF démontre parfaitement que
la force majeure peut être une hypothèse chimérique dès lors que la Cour de
cassation entend poursuivre une politique jurisprudentielle rigoureuse (V. infra,
os os
n  60 s. et n  79 s.). Il en va de même pour la responsabilité du fait des choses
os
(V. infra, n  83 s.) ou celle des parents du fait de leurs enfants mineurs, où la
force majeure est formellement présente tout en étant théoriquement
o
difficilement concevable (V. infra, n  41). En droit du travail, où la question se
pose différemment puisqu'il s'agit le plus souvent pour l'employeur de tenter de
justifier la rupture d'un contrat de travail en faisant abstraction des règles sur le
licenciement, la force majeure a également été largement neutralisée par la Cour
os
de cassation (V. infra, n  76 s.). Au-delà, un arrêt ambigu laisse à penser que la
reconnaissance d'un trouble anormal de voisinage lié à la simple existence d'un
risque permettrait d'exclure automatiquement la qualification de force majeure
pour l'événement (en l'espèce une tempête qui avait causé la chute d'arbres qui,
auparavant, penchaient dangereusement sur la propriété voisine) qui a
postérieurement permis la réalisation du risque, alors même qu'il est « à l'origine
e o
directe et matérielle » du dommage (Civ. 3 , 10 déc. 2014, n  12-26.361  , Bull.
o
civ. III, n  164 ; D. 2015. 362, note Dubarry et Dubois   ; RTD civ. 2015. 134,
note Barbier   ; RTD civ. 2015. 177, note Dross   ; RTD civ. 2015. 399  note
Jourdain). Une telle interprétation transformerait les troubles anormaux de
voisinage pour risque en véritable garantie du dommage survenu
postérieurement à la création du risque (DUBARRY et DUBOIS, note préc.), par
un déplacement de l'appréciation du critère de la prévisibilité de l'événement au
dommage lui-même (DROSS, obs. préc.), au moins lorsque la victime avait tenté
de mettre fin au trouble avant la réalisation du risque.

19. La paralysie législative de la force majeure. - Par le prisme des


obligations de résultat et des responsabilités de plein droit, la jurisprudence tend
ainsi parfois à se rapprocher des régimes légaux dans lesquels la force majeure a
o
ouvertement été neutralisée. En particulier, depuis la loi n  85-677 du 5 juillet
1985 relative aux accidents de la circulation, la force majeure ne constitue plus
une cause d'exonération de responsabilité pour le conducteur ou le gardien d'un
véhicule terrestre à moteur (V.  Responsabilité : régime des accidents de la
circulation [Civ.] ), solution qui témoigne de la rupture opérée avec la causalité et
qui, plus largement, manifeste « l'autonomie du système d'indemnisation de la loi
de 1985, par rapport aux mécanismes classiques de la responsabilité civile »
o
(FLOUR, AUBERT et SAVAUX, op. cit., n  343). Auparavant, d'autres textes
spéciaux avaient déjà interdit qu'elle soit prise en considération : il en allait ainsi
à propos de la responsabilité des exploitants de téléphériques pour les dommages
causés au sol (L. du 8 juill. 1941, art. 6, abrogé par l'article 2 de l'ordonnance
o
n  2015-1495 du 18 nov. 2015) et c'est encore la solution applicable à la
responsabilité des exploitants d'aéronefs (C. transp., anc. art. L. 6131-2, al. 2,
C. aviat., art. L. 141-2, al. 2). La force majeure n'est également pas mentionnée
comme cause d'exonération par les articles 1245 et suivants du code civil relatifs
à la responsabilité du fait des produits défectueux (V. C. civ., art. 1245-10   s.)
et l'injonction d'une interprétation stricte des causes d'exonération (CJCE 10 mai
2001, aff. C-203/99  , D. 2001. 3065, note Kayser   ; RTD civ. 2001. 898, obs.
Jourdain  ) paraît devoir l'exclure. Mais la doctrine s'accorde ici à penser que ce
silence n'emporte pas l'exclusion de la force majeure (contra : Toulouse, 14 déc.
2004, JCP 2005. IV. 2318), car il s'explique par les difficultés rencontrées par les
États membres dans la définition de la force majeure (V. par ex. : BRUN, op. cit.,
o e
n  764. – TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, 11  éd., 2013,
o o
Dalloz, n  995. – FLOUR, AUBERT et SAVAUX, op. cit., n  316). L'utilité de cette
cause d'exonération dans ce régime de responsabilité est toutefois très résiduelle,
puisque la victime doit démontrer le défaut du produit et sa relation avec le
dommage. L'exonération potentiellement totale du responsable à raison de la
faute de la victime (C. civ., art. 1245-12  ) peut toutefois être l'instrument
susceptible de justifier une référence aux caractères de la force majeure puisque
le texte ne précise pas les critères de l'exonération totale (BACACHE-GIBEILI, op.
o
cit., n  757). Enfin, les normes internationales ne retiennent pas toujours la force
majeure proprement dite, mais se réfèrent parfois à des causes d'exonération qui
entretiennent avec elle une parenté évidente (V. par ex. l'art. 5.3 du règlement
o
européen n  261/2004 du 11 févr. 2004 sur le transport aérien, qui prévoit la
possibilité pour le transporteur d'échapper à ses obligations en cas de
« circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes
les mesures raisonnables avaient été prises »).

20. Vers une résurgence du fondement de l'absence de faute ? - L'analyse


contemporaine est donc plutôt centrée sur la rupture du lien causal, ce qui
autorise fréquemment la jurisprudence, grâce à l'extrême malléabilité de la
causalité en droit français, à adopter une conception particulièrement rigoureuse
de la force majeure. Mais, en creux, l'absence de faute demeure plus ou moins
présente, en particulier via le critère de l'imprévisibilité. La nouvelle physionomie
de la force majeure pourrait d'ailleurs à l'avenir être le vecteur d'un retour en
grâce du fondement de l'absence de faute (OUDOT, Des remèdes aux sanctions :
le retour de la faute au galop !, JCP 2016. 769). D'abord à raison du principe
même d'une définition de la force majeure propre au contrat, qui met à elle seule
l'accent sur l'idée qu'elle est ici l'évènement qui empêche l'exécution d'une
obligation qui n'a pas été assumée par le débiteur (l'article 1218 C. civ. évoque
explicitement l'évènement qui « empêche l'exécution de son obligation par le
débiteur ») et que sa survenance permet donc d'écarter toute faute du débiteur
puisque l'obligation demeurée inexécutée ne relève pas du contenu explicite ou
implicite du contrat (cela même si les plus fervents partisans d'une définition
spécifiquement contractuelle sont souvent réticents à l'endroit de la notion même
de faute contractuelle). Ensuite parce que cette coloration subjective est
confirmée par un léger recul du critère de l'extériorité (qui pourrait toutefois
os
rester purement formel, V. infra, n  27 s.), qui est historiquement celui qui a
permis d'asseoir les responsabilités objectives, remplacé par le critère a priori
plus concret d'un évènement « échappant au contrôle du débiteur ». Ce mélange
entre classicisme et innovation donne certes encore une grande latitude à la
jurisprudence, qui pourrait se montrer réticente à perdre ses habitudes, mais il
témoigne malgré tout d'une volonté d'élargir la force majeure, ce qui lui
permettrait indirectement de renouer avec la frontière de la faute et, par
contrecoup, de faire reculer les obligations de résultat au profit des obligations de
o
moyens simples ou renforcés (OUDOT, art. préc., spéc. n  12). Ce mouvement
pourrait d'ailleurs être conforté par la « décontractualisation » partielle de la
réparation du dommage corporel inscrite à l'article 1233-1 de l'actuel [mars
2017] projet de réforme de la responsabilité civile de la Chancellerie qui aurait
pour résultat, si ce projet venait à être adopté, d'infléchir les obligations
contractuelles de sécurité qui pèsent largement en faveur d'une analyse
rigoureuse de la force majeure. Dans son article 1253, ce même projet reprend
d'ailleurs, pour définir la force majeure extracontractuelle, le critère de
l'évènement échappant au contrôle du défendeur, accolé à celui tenant à
l'impossibilité d'éviter sa réalisation et ses conséquences par des mesures
appropriées, ce qui tend plutôt à appuyer une analyse de la force majeure
centrée sur le comportement du défendeur que sur le lien causal.
Chapitre 2 - Les caractères de la force majeure

21. Apparition historiquement tardive des trois critères traditionnels. - À


l'heure où ces lignes sont écrites, la force majeure connaît une transformation qui
n'est pas encore achevée et qui pourrait conduire à une dissociation bien plus
nette qu'autrefois de la notion suivant qu'elle est invoquée en matière
o
contractuelle ou extracontractuelle. Avant l'ordonnance n  2016-131 du 10 février
2016 et en l'absence de toute définition légale, elle était le plus souvent
présentée comme un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur à celui qui
l'invoque, et ces traits étaient considérés comme communs aux deux ordres de
responsabilité, avec pour seules nuances, en matière contractuelle, l’appréciation
os
de l’imprévisibilité au jour de la formation du contrat (V. infra, n  62 s.) et la
os
possibilité d’aménagements contractuels (V. infra, n  105 s.). Ce triptyque était
célèbre au point d'être parfois considéré comme émanant du fond des âges, alors
qu'il était relativement récent dans l'histoire du droit des obligations et lié à la
confusion progressive, amorcée par le code civil en 1804, du cas fortuit et de la
force majeure. En particulier, le critère de l'extériorité ne serait apparu que
tardivement et en lien avec l'avènement des responsabilités objectives (sur cette
os
évolution, V. en particulier L. THIBIERGE, thèse préc., n  226 s., qui fait
remonter l'apparition du triptyque à 1906 sous la plume de BAUDRY-
LACANTINERIE et BARDE [Traité théorique et pratique de droit civil, Des
e os o
obligations, 3  éd., 1906, t. 1, n  345 à 349 et n  455], en ce qu'ils amalgament
les critères de la force majeure et du cas fortuit tout en ajoutant le critère de la
non-imputabilité de l'évènement perturbateur qui deviendra progressivement
celui de l'extériorité). À dire vrai, la jurisprudence est toujours demeurée
relativement incertaine car, le plus souvent, les décisions ne prennent pas la
peine de mentionner formellement les trois critères, favorisant ainsi les
spéculations doctrinales quant à leur éventuelle désuétude (en particulier pour
l'exigence d'extériorité). Mais cette discrétion s'explique surtout par la légendaire
concision des arrêts de la Cour de cassation et parce que, suivant les espèces, le
débat se focalise sur la présence ou l'absence de l'un ou l'autre, mais rarement
sur les trois.

22. Contestation avortée de l'exigence du cumul des trois critères. - Pour


autant, avant la réforme, le cumul de ces trois critères n'était pas constamment
exigé, notamment en matière contractuelle où l'examen de la jurisprudence
révélait « de lege lata l'inexactitude de la définition tripartite de la force
majeure » (STOFFEL-MUNCK, Le particularisme de la force majeure en matière
contractuelle, RDC 2003. 59). En effet, quelques arrêts, appuyés par une partie
de la doctrine (V. notamment : MOURY, Force majeure : éloge de la sobriété, RTD
o
civ. 2004. 471  . Comp. VINEY, JOURDAIN et CARVAL, op. cit., n  396) avaient
tenté de simplifier les traits de la force majeure en se concentrant sur le critère
os
de l'irrésistibilité (V. infra, n  43 s.), l'imprévisibilité étant alors reléguée au rang
de simple indice de l'irrésistibilité ou même neutralisée lorsque la prévisibilité de
l'évènement ne permettait pas d'en empêcher les effets, analyse qui mettait ainsi
os
l'accent sur l'inévitabilité (ANTONMATTÉI, thèse préc., n  62 s. ; Ouragan sur la
force majeure, JCP 1996. I. 3907. Cet auteur propose comme critères
l'inévitabilité [appréciée avant l'évènement], l'irrésistibilité [appréciée pendant
l'évènement] et l'impossibilité créée par l'évènement [appréciée après
l'évènement]). Mais ce courant n'avait finalement pas emporté l'adhésion de
l'assemblée plénière qui, dans deux arrêts remarqués, avait réaffirmé la
conception classique dans les deux ordres de responsabilité en s'appuyant sur
os
l'imprévisibilité et l'irrésistibilité (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n  02-11.168 
os
et 04-18.902  , Bull. ass. plén., n  5 et 6 ; D. 2006. 1577, note Jourdain   ;
D. 2006. Somm. 1933, obs. Brun   ; D. 2006. Somm. 2638, obs. Fauvarque-
Cosson   ; JCP 2006. II. 10087, note Grosser ; RTD civ. 2006. 775, obs.
Jourdain   ; Defrénois 2006. 1212, obs. Savaux ; RDC 2006. 1207, obs. Viney ;
Gaz. Pal. 9-11 juill. 2006, concl. de Gouttes – Adde : MEKKI, La définition de la
force majeure ou la magie du clair-obscur, RLDC 2006/ 29, p. 17). Un doute
persistait encore quant à la réelle autonomie de l'imprévisibilité (v. JOURDAIN,
RTD civ. 2007. 574  ), mais il avait postérieurement été clairement dissipé
re o o
(Civ. 1 , 30 oct. 2008, n  07-17.134  , Bull. civ. I, n  243 ; D. 2010. 49, obs.
Gout et Brun   ; RTD civ. 2009. 126, obs. Jourdain   ; Defrénois 2008. 2509,
obs. Savaux ; JCP 2008. II. 10198, note Grosser).

23. Confirmation de l'exigence du cumul des trois critères. - Par la suite, la


Cour de cassation s'est à plusieurs reprises de nouveau appuyée sur le triptyque
e
considéré comme traditionnel, en matière extracontractuelle (V. par ex. : Civ. 3 ,
o e o e
23 mars 2017, n  16-12.870.  – Civ. 3 , 9 juill. 2013, n  12-17.012.  – Civ. 2 ,
o e
2 avr. 2009, 08-11.191. – Com. 9 oct. 2007, n  06-16.744.  – Civ. 2 , 13 juill.
o e
2006, n  05-17.199  , RDI 2006. 443, obs. Trébulle. Et auparavant   : Civ. 2 ,
o e er o
28 nov. 2002, n  01-11.139  . – Civ. 2 , 1  avr. 1999, n  97-17.909  , Bull.
o o
civ. II, n  65. V. égal. pour une obligation fiscale : Com. 14 juin 2005, n  03-
o
15.214  ) comme en matière contractuelle (Soc. 23 mai 2017, n  15-27.175  . –
e o os
Civ. 3 , 15 oct. 2013, n  12-23.126.  – Com. 30 mai 2012, n  10-17.803  et
o o
10-18.527. – Soc. 16 mai 2012, n  10-17.726  , Bull. civ. V, n  151 ; D. 2012.
1864, note Fardoux   ; RDT 2012. 420, obs. Tournaux   ; Dr. soc. 2012. 744,
e o o
note Mouly.  – Civ. 3 , 17 févr. 2010, n  08-20.943  , Bull. civ. III, n  47 ;
D. 2011. 472, obs. Fauvarque-Cosson et Mekki   ; RDC 2010. 818, note
e o
Génicon ; RDC 2010. 847, obs. Carval. – Civ. 3 , 26 mai 2009, n  08-15.579.  –
o
Soc. 19 juin 2007, n  06-44.236  ), et également sur le terrain du droit de la
re o
preuve (Civ. 1 , 31 mars 2016, n  15-12.773  ).
24. Reconnaissance d'une force majeure contractuelle et évolution
possible de la force majeure extracontractuelle. - Désormais, l'article 1218
er
al. 1 , du code civil donne une définition de la force majeure pour la seule
o os
matière contractuelle (V. supra, n  11 et infra, n  47 s.). Et c'est bien la seule
innovation notable, car, alors que l'on aurait pu s'attendre à une certaine rupture
avec le droit antérieur à raison de l'abandon d'une conception unitaire, le texte
poursuit à l'inverse, avec quelques légères précisions, l'analyse devenue classique
et ses trois caractères, à tel point que l'on a pu estimer que cette définition
« serait aisément transposable hors du contrat » (BOUCARD, La force majeure
contractuelle, RDC 2015. 779). Suivant le rapport remis au Président de la
République (JO 11 févr.), cette définition s'inspire des arrêts d'assemblée plénière
o
de 2006 (préc., n  22), ce qui n'est pas tout à fait exact puisque le critère de
os
l'extériorité – même formulé différemment – est bien présent (V. infra, n  27 s.),
contrairement à ce qu'affirme pourtant explicitement ce même rapport. Puisque
l'innovation n'est qu'en demi-teinte et que la force majeure est une notion très
relative, il est peu probable que la mise en œuvre du texte ne suscite de
véritables difficultés de droit transitoire (d'autant plus que sur un terrain
différent, la Cour de cassation a déjà témoigné de sa volonté de s'inspirer des
nouveaux textes dans l'application du droit antérieur : Cass., ch. mixte, 24 févr.
o
2017, n  15-20.411   ; D. 2017. 793, note Fauvarque-Cosson  ). Mais l'adoption
d'une définition spécifiquement contractuelle pourrait peut-être inciter en retour
la jurisprudence à faire évoluer la notion en matière extracontractuelle. À quoi
servirait-il en effet d'avoir retenu une définition propre au droit des contrats si
celle-ci devait, à quelques détails près, s'appliquer au-delà ? Pour l'heure,
l'inusable triptyque a droit de cité dans les deux ordres de responsabilité, mais il
n'est pas impossible que la Cour de cassation soit tentée d'anticiper sur une
réforme globale de la responsabilité civile, notamment en abandonnant ici le
critère de l'imprévisibilité qui deviendrait alors un critère propre au droit des
contrats (alors même que c'est sur ce terrain qu'une partie de la jurisprudence
avait autrefois tenté de le reléguer au rang de simple indice). Dans son dernier
état [mars 2017], le projet de la Chancellerie donne ainsi, en son article 1253
alinéa 2, une définition propre à la matière extracontractuelle : celle-ci comprend
la même formulation rénovée du critère de l'extériorité et met ensuite l'accent sur
l'impossibilité d'éviter la réalisation de l'évènement et de ses conséquences par
des mesures appropriées, faisant ainsi abstraction de l'imprévisibilité.

25. Dans l'attente, il convient d'examiner les trois critères habituels de la force


majeure en soulignant au fur et à mesure les spécificités du droit des contrats  :
os os
l'extériorité (V. infra, n  26 s.) et l'imprévisibilité (V. infra, n  42 s.) seront donc
examinées avant ce noyau dur de la force majeure qu’est l'irrésistibilité (V. infra,
os
n  66 s.), en précisant au préalable que, si les juges du fond apprécient
évidemment souverainement les faits invoqués au soutien de la qualification de
force majeure, la Cour de cassation opère traditionnellement un contrôle de cette
qualification qui se révèle plus ou moins étroit suivant les espèces. Si elle
sanctionne habituellement les décisions qui n'expliquent pas en quoi l'événement
re o e
répondait aux critères requis (Civ. 1 , 26 avr. 2017, n  16-12.850  . – Civ. 3 ,
o o e
28 sept. 2005, n  04-13.720  , Bull. civ. III, n  175. – Civ. 2 , 16 sept. 2010,
o
n  09-68.849  ), elle se montre parfois peu exigeante lorsqu'il s'agit de rejeter la
e o
qualification de force majeure (Civ. 3 , 16 févr. 2005, n  03-18.999  , RDI 2005.
re o
225, obs. Malinvaud.  – Civ. 1 , 9 juill. 2015, n  14-13.423  ) ou, à l'inverse,
particulièrement rigoureuse (comme l'illustre parfaitement sa jurisprudence
relative à la responsabilité de la SNCF, qui est aujourd'hui le terrain d'élection des
arrêts censurant des motivations pourtant parfois soignées, au seul motif que
os
l'événement considéré ne constituait pas une force majeure, V. infra, n  60 s. et
os
n  79 s.).

re
Section 1 - L'extériorité

26. Incertitudes autour du rôle de l'extériorité. - Théoriquement rattachée à


l'idée que la force majeure est une cause étrangère, l'exigence de l'extériorité de
l'évènement par rapport au défendeur (ou encore à la chose dont il est le gardien
ou aux personnes par l'intermédiaire desquelles il exécute son obligation) a
toutefois été tardivement reconnue comme un critère à part entière. Il peut
même être considéré comme le « mal-aimé » du triptyque, parce qu'il demeure
souvent mal compris et qu'il est celui qui permet fréquemment de retenir une
analyse rigoureuse pour le défendeur. Avant la réforme, il n'apparaissait d'ailleurs
que de manière irrégulière dans les arrêts, à tel point que dans ses conclusions
o
sous les arrêts du 14 avril 2006 (préc. V. supra, n  22), l'avocat général, M. DE
GOUTTES, considérait qu'il n'était plus une condition de la force majeure (alors
que sa présence irrégulière était probablement liée au fait qu'il n'est pas toujours
discuté dans le procès) et que beaucoup estimaient sa disparition entérinée par
ces arrêts. La Cour de cassation avait pourtant par la suite exprimé sa volonté de
re o
ne pas le délaisser (V. par ex. : Civ. 1 , 14 oct. 2010, n  09-16.967  , Bull.
o
civ. I, n  198 ; RDC 2011. 454, obs. Viney ; D. 2011. 2891, obs. Delebecque.   –
o
V. égal. V. supra, n  23), quand bien même ses apparitions formelles seraient
erratiques et essentiellement justifiées par le souhait d'imposer une responsabilité
confinant parfois à la garantie. On ne peut toutefois affirmer avec certitude qu'il
est exigé parce qu'il est un élément inhérent à toute cause étrangère (la cause
est étrangère parce qu'elle est extérieure au défendeur) ou parce qu'il s'agit d'un
critère à part entière de la force majeure. La doctrine contemporaine tend à
considérer qu'il n'est pas réellement un critère imposé par une règle juridique,
mais plutôt un simple relais de l'objectivation des responsabilités (ANTONMATTEI,
o o
thèse préc., n  41 ; THIBIERGE, thèse préc., n  420, qui, en matière
contractuelle, estime qu'elle sert « principalement à pallier l'absence de théorie
de la responsabilité contractuelle du fait des choses et du fait d'autrui »). Au sein
des responsabilités objectives, l'extériorité aurait ainsi « pour fonction particulière
d'assurer l'effectivité de la garantie des dommages causés par le fait des choses
ou des personnes dont le défendeur doit répondre » (VINEY, JOURDAIN et
o
CARVAL, op. cit., n  385), elle serait « l'expression en négatif du principe,
régissant toute la responsabilité civile, selon lequel chacun doit répondre des
dommages qui trouvent leur origine dans sa sphère d'autorité » (BRUN, op. cit.,
o
n  283). Les apparitions sporadiques de l'extériorité en jurisprudence témoignent
de la volonté des tribunaux de conserver un critère quelque peu nébuleux leur
permettant d'entretenir une conception très relative et fonctionnelle de la force
os
majeure, qu'il s'agisse de la responsabilité contractuelle (V. infra, n  27 s.) ou
os
extracontractuelle (V. infra, n  35 s.).

er
Art. 1 - En matière contractuelle : de l'extériorité à l'incontrôlable

27. Nouvelle exigence d'un événement « échappant au contrôle du


débiteur ». - Contrairement à ce qui est affirmé de manière un peu abrupte par
o
le rapport remis au Président de la République, l'ordonnance n  2016-131 du
10 février 2016 a finalement maintenu l'extériorité comme critère de la force
majeure contractuelle, sans que celle-ci soit, il est vrai, mentionnée en tant que
er
tel par l'article 1218 al. 1 , du code civil mais indirectement par la précision
suivant laquelle la force majeure est un évènement « échappant au contrôle du
débiteur ». Suivant certains, cela rapproche l'extériorité de l'irrésistibilité et
« signale que l'extériorité était davantage un élément d'appréciation de
l'irrésistibilité qu'une condition autonome » (MALAURIE, AYNÈS et STOFFEL-
e o
MUNCK, Droit des obligations, 8  éd., 2016, LGDJ, n  956). D'autres vont plus
loin et estiment que le critère de l'extériorité aurait réellement disparu, remplacé
par celui de « l'incontrôlable », opinion qui peut être confortée par la disparition
de la référence à la cause étrangère dans le nouvel article 1231-1 du code civil
(OUDOT, art. préc.) au profit de la seule force majeure. Il est vrai que c'est en
matière contractuelle que le critère de l'extériorité a souvent été présenté comme
superfétatoire, car « trop de circonstances internes à l'agent, comme la maladie,
la grève ou des circonstances économiques (chômage, ressources…) ont été
considérées comme des cas de force majeure pour que l'on puisse prétendre que
l'extériorité en est une condition de portée générale » (JOURDAIN, RTD civ. 1994.
873  ).

28. Rôle de l'extériorité en jurisprudence. - Une telle affirmation était


probablement excessive, car la jurisprudence témoigne d'une présence régulière
du critère de l'extériorité : par exemple à propos de l'incarcération du débiteur,
e
qui n'est pas « un fait imprévisible étranger à la personne elle-même » (Civ. 3 ,
o e o
14 mai 1969, Bull. civ. III, n  387. Rappr. Civ. 3 , 19 déc. 2001, n  00-13.731  ),
re o
d'une tempête exonérant un bailleur (Civ. 1 , 22 nov. 1994, n  92-21.116  ), de
o
l'incendie d'un local commercial pour l'employeur (Soc. 30 sept. 2005, n  03-
45.914  ), du dopage de deux coureurs à l'égard de l'employeur d'une équipe
cycliste (Rennes, 5 mars 1998, JCP 1998. IV. 3429). Sa malléabilité naturelle
permet en réalité aux magistrats de l'apprécier soit par rapport à la personne du
défendeur – et plus largement sa sphère d'activité – ou à une chose objet du
contrat ou utilisée pour l'exécution du contrat (pour écarter la force majeure),
soit par rapport à l'origine de l'événement invoqué (pour admettre
potentiellement la force majeure). La jurisprudence fait donc preuve d'une
certaine souplesse lorsqu'elle se sert de l'extériorité pour rechercher si
l'évènement peut véritablement être imputé au défendeur (l'on estime souvent
que l'extériorité permet de vérifier la non-imputabilité au défendeur, l'ancien
article 1147 du code civil visant d'ailleurs la cause étrangère qui ne peut être
o
« imputée » au débiteur, V. SAINT-PAU, art. préc., n  23), mais elle se montre
plus draconienne lorsqu'elle souhaite garantir le créancier contre les dommages
causés par une chose (se rapprochant ainsi de la responsabilité
extracontractuelle) ou par une personne chargée par le débiteur d'exécuter sa
propre obligation (appliquant ainsi ce que certains estiment être une
responsabilité contractuelle du fait d'autrui).

29. Évolution seulement formelle de la condition d'extériorité ? - Le


passage de l'extériorité à l'absence de contrôle du débiteur est-il alors susceptible
d'avoir un réel impact sur la jurisprudence ? Conclure à la disparition de
l'extériorité peut paraître quelque peu excessif car la formule de l'article 1218
er
alinéa 1 , paraît reprendre certaines des applications qui en étaient faites en
jurisprudence. Elle pourrait être comprise comme opérant le choix d'une
conception matérielle de l'extériorité au détriment d'une conception
os
psychologique (sur cette distinction : THIBIERGE, thèse préc., n  403 s. ;
o
ANTONMATTEI, thèse préc., n  33 s.), les deux cohabitant actuellement en
jurisprudence en fonction des questions posées. Mais on ne peut affirmer avec
certitude qu'elle marque un infléchissement dans l'appréciation de l'extériorité
tant la formule demeure ouverte à l'interprétation (comp. LARROUMET et BROS,
e o
Les obligations, Le contrat, Économica, 8  éd., 2016, n  723, qui opèrent une
distinction entre l'extériorité et l'absence de contrôle en rapprochant ce dernier de
l'irrésistibilité). En d'autres termes, si le caractère incontrôlable de l'évènement
marque clairement une évolution formelle du critère de l'extériorité en matière
contractuelle, il est pour l'heure loin d'être acquis que cette légère rénovation ait
une réelle portée substantielle (comp. OUDOT, art. préc., qui estime que cette
évolution participe à une définition subjective de la force majeure). Plus que cette
nouvelle formule, il faudrait pour cela une réelle volonté politique de la Cour de
cassation de revenir sur des solutions bien acquises.
30. Le dommage causé par une personne exécutant l'obligation du
débiteur. - L'évolution ne devrait ainsi normalement pas affecter la
jurisprudence relative à la responsabilité du débiteur à raison d'une défaillance
d'un de ses préposés ou d'une personne qu'il s'est substitué dans l'exécution de
son obligation, car un tel évènement demeure, à raison même de l'existence d'un
lien contractuel, sous le contrôle du débiteur ou, plus largement, dans sa sphère
d'activité. L'objectif est évidemment de ne pas permettre au débiteur de se
défausser trop facilement de son obligation dès lors qu'il n'est pas celui chargé de
l'exécuter personnellement : l'exigence d'extériorité ou d'un événement
échappant au contrôle du débiteur permet dès lors de garantir une large étendue
de certaines obligations et donc de reconnaître de manière informelle une
responsabilité contractuelle du fait d'autrui. La Cour de cassation a pu ainsi
affirmer que « par principe, le fait du débiteur ou de son préposé ou substitué ne
re o
peut constituer la force majeure » (Civ. 1 , 14 oct. 2010, n  09-16.967  , préc.
o o
n  26. – Com. 30 mai 2012, n  10-17.803.   – V. égal., pour le préposé ayant
re o
commis une faute intentionnelle, Civ. 1 , 18 janv. 1989, Bull. civ. I, n  32 ; RTD
civ. 1989. 330, obs. Jourdain ; ou pour un sabotage dont il n'était pas démontré
re
qu'il n'avait pas été commis par un préposé : Civ. 1 , 3 oct. 1967, Bull. civ. I,
o
n  272 ; JCP 1968. II. 15365, note Durand ; RTD civ. 1968. 383, obs. Durry) dès
lors que ces personnes ne sont pas extérieures à la sphère d'activité du débiteur.
En d'autres termes, il ne s'agit pas du fait d'un tiers susceptible d'exonérer le
débiteur de sa responsabilité. Dans le sillage de ce précepte, elle a pu ainsi
considérer que l'intervention d'un prestataire de services indépendant ne
permettait pas de s'extraire de la sphère d'influence du débiteur (V. toutefois, à
propos d'un incident technique survenu dans une banque mandataire du débiteur,
e o o
Civ. 3 , 17 févr. 2010, n  08-20.943  , préc. n  23), par exemple lorsqu'un
bailleur fait appel à un plombier qui se trouve dans l'incapacité de procéder à une
e o
réparation immédiate (Civ. 3 , 29 avr. 2009, n  08-12.261  , Bull. civ. III,
o
n  88 ; D. 2009. AJ 1481, obs. Rouquet   ; D. 2010. 1168, obs. Damas   ; AJDI
2009. 875, obs. Zalewski  ), lorsqu'un fournisseur d'accès à internet subit une
re o
défaillance technique émanant d'un tiers (Civ. 1 , 19 nov. 2009, n  08-21.645  ,
o
préc. n  17) ou encore lorsqu'un vendeur à distance expédie ses marchandises
par un transporteur qui les égare, car celui-ci n'est pas un tiers au sens de
re o
l'article L. 221-15 du code de la consommation (Civ. 1 , 13 nov. 2008, n  07-
o
14.856  , Bull. civ. I, n  263 ; D. 2009. 393, obs. Poillot   ; RDC 2009. 515, obs.
o
Deshayes ; JCP 2009. I. 138, n  8, obs. Sauphanor-Brouillaud). La solution a
même pu s'appliquer à raison du comportement de deux chirurgiens travaillant
pour une clinique mais indépendants de celle-ci, l'arrêt prenant toutefois soin de
re
signaler qu'ils « assumaient dans la société un rôle prépondérant » (Civ. 1 ,
o o
3 févr. 1993, n  90-19.262  , Bull. civ. I, n  61 ; D. 1994. 265, note Dorsner-
Dolivet   ; D. 1994. Somm. 12, obs. Delebecque   ; D. 1995. Somm. 93, obs.
Penneau   ; RTD civ. 1994. 873, obs. Jourdain  ).

31. L'extériorité de la grève en fonction de son origine. - Cette analyse


rencontre ses limites lorsqu'est en cause la grève des salariés du débiteur. La
jurisprudence en la matière confirme pourtant la présence de l'extériorité en
matière contractuelle, mais avec ici une appréciation plus fine qui ne permet pas
de poser en principe qu'une grève qui frapperait le débiteur constituerait ou non,
par une pétition de principe, une hypothèse de force majeure. Si de nombreux
arrêts ont pu admettre qu'une grève du personnel du débiteur remplissait les
conditions de la force majeure, ce n'est pas tant par une neutralisation de
l'extériorité que par une distinction suivant la cause de la grève. L'extériorité dont
il est ici question ne concerne pas l'entreprise qui subit la grève mais l'origine du
mouvement, ce qui rejoint d’ailleurs le nouveau critère d'un événement
échappant au contrôle du débiteur. Il y a ainsi une distinction à opérer suivant
que la grève a des causes externes auxquelles ne peut résister l'entrepreneur, ou
qu'elle a des causes purement internes que l'entrepreneur a provoquées ou qu'il
peut pallier en cédant à son personnel. Si cette idée n'est pas toujours mise en
œuvre (un arrêt a pu sembler neutraliser la condition d'extériorité en admettant
l'origine interne de la grève tout en n'écartant pas la possibilité qu'elle puisse être
re
une force majeure si elle est imprévisible et irrésistible : Civ. 1 , 6 oct. 1993,
o
n  91-16.568  , RTD civ. 1994. 873, obs. Jourdain, JCP 1993. I. 22154, note
o o
Waquet   ; CCC 1994, n  3, obs. Leveneur ; JCP 1994. I. 3773, n  7, obs. Viney.
o
Comp. Com. 9 oct. 2007, n  06-16.744  , qui affirme l'extériorité de la grève
alors que celle-ci semblait bien avoir une cause interne), on la trouve néanmoins
dans de nombreux arrêts qui concernent le secteur public. Lorsque la grève est
motivée par la fixation du salaire, la satisfaction des agents dépend fréquemment
d'une décision qui échappe à l'entreprise. L'intervention de l'État est alors
considérée comme un élément extérieur à l'entreprise (en ce sens bien que
o
focalisés sur l'imprévisibilité : Cass., ch. mixte, 4 févr. 1983, n  80-12.977  et
o o o
n  80-14.853  , Bull. ch. mixte, n  1 et n  2 ; RTD civ. 1983. 549, obs. Durry ;
Gaz. Pal. 1983. 1. Pan. 163, note F. Chabas. V. égal. Paris, 11 juill. 1991, JCP
re o o
1991. IV. 422. – Civ. 1 , 24 janv. 1995, n  92-18.227  , Bull. civ. I, n  54 ;
D. 1995. 327, note Paisant   ; D. 1995. Somm. 229, obs. Delebecque.  – Soc.
o
31 oct. 2006, n  04-47.014  , JCP S 2007. 1019, not Drai. Plus implicite : Com.
o
21 nov. 1967, Bull. civ. IV, n  378 ; JCP 1968. II. 15462, note Le Galcher-Baron ;
D. 1968. 279, note Sinay ; RTD civ. 1968. 733, obs. Durry). Le mouvement de
grève de décembre 1995 a ainsi pu être considéré comme extérieur à la SNCF
dès lors qu'il avait été déclenché « pour contester les projets du Gouvernement
concernant le régime de la sécurité sociale et ses répercussions sur le régime
spécial de retraite des cheminots », revendications qui ne pouvaient être
o o
satisfaites par la SNCF (Soc. 11 janv. 2000, n  97-18.215  , Bull. civ. V, n  16 ;
Dr. soc. 2000. 404, note Cristeau  ). Dans le secteur privé, la grève justifiée par
des licenciements dans l'entreprise ne semble pas pouvoir être considérée comme
e o
une force majeure (implicite : Civ. 3 , 12 nov. 2015, n  13-19.885  ).

32. L'absence d'extériorité à raison du vice d'une chose. - L'extériorité est


encore bien présente en jurisprudence lorsque le contrat porte sur une chose ou
qu'une chose est utilisée pour son exécution. À l'instar de ce qui est jugé en
o
matière délictuelle (V. infra, n  36 s.), le principe est que le vice de cette chose,
même indécelable, ne peut exonérer le débiteur d'une obligation de résultat, ce
qui permet de neutraliser le « risque de développement » (VINEY, JOURDAIN et
o
CARVAL, op. cit., n  391-1). Ainsi, le vice des matériaux, même normalement
indécelable à l'époque de la construction, ne constitue pas, en lui-même, une
e
cause exonératoire de responsabilité pour les constructeurs (Civ. 3 , 22 oct.
o os e
1980, n  78-40.830  , Bull. civ. III, n  161 et 162. – Civ. 3 , 24 juin 1987,
o e o
n  86-11.976  , Gaz. Pal. 1987. 2. Pan. 215. – Civ. 3 , 7 mars 1990, n  88-
o
14.866  , Bull. civ. III, n  69 ; RTD civ. 1990. 488, obs. Jourdain   ; RDI 1990.
374, obs. Malinvaud.   – Sur le contrat d'entreprise en général, V.  Contrat
d'entreprise [Civ.] ) ; mieux encore, « l'absence de normes parasismiques
applicables à l'époque de la construction n'exclut pas à elle seule un vice de
e o o
construction » (Civ. 3 , 18 sept. 2013, n  12-17.440  , Bull. civ. III, n  108). La
même solution s'applique au vice d'une prothèse dentaire pour le chirurgien-
re o o
dentiste (Civ. 1 , 29 oct. 1985, n  83-17.091  , Bull. civ. I, n  273 ; D. 1986.
417, note Penneau ; RTD civ. 1986. 762, obs. Huet), et à celui d'une pièce
re
installée par un garagiste et fournie par une entreprise tierce (Civ. 1 , 30 oct.
o
2008, n  07-17.148  ). Il en va de même en matière de bail, où « l'existence
d'un vice caché ne saurait être assimilée à un cas de force majeure, lequel a
e
nécessairement une origine extérieure à la chose louée » (Civ. 3 , 2 avr. 2003,
o o
n  01-17.724  , Bull. civ. III, n  74 ; AJDI 2003. 409, obs. Rouquet  ), dans un
contrat de restauration lorsqu'un aliment contient des bactéries toxiques
indécelables (Poitiers, 16 déc. 1970, JCP 1972. II. 17127, note Mémeteau ; RTD
civ. 1971. 666, obs. Durry). De même, la Cour de cassation a pu affirmer, à
propos de la fourniture d'eau corrosive par une commune, que « le cas fortuit
suppose nécessairement un événement extérieur à l'activité du débiteur de
l'obligation » et que « la corrosion était exclusivement due à l'agressivité de l'eau
re o
dont la composition chimique attaquait le cuivre » (Civ. 1 , 26 mai 1994, n  92-
o
21.602  , Bull. civ. I, n  190 ; JCP 1994. I. 3809, obs. Viney). La solution est
similaire lorsque la chose viciée n'est pas l'objet même du contrat : ainsi pour le
toit d'un poulailler dont « l'effondrement ne résultait pas d'un phénomène
re o
extérieur à l'activité » des éleveurs (Civ. 1 , 19 juill. 1988, n  86-11.859  , Bull.
o
civ. I, n  249 ; RTD civ. 1989. 96, obs. Jourdain. Comp. pour une disquette
infectée par un virus et fournie avec une revue : la force majeure est écartée
o
faute d'imprévisibilité et d'irrésistibilité : Com. 25 nov. 1997, n  95-14.603  ,
o
Bull. civ. IV, n  308 ; RTD civ. 1998. 386, obs. Jourdain   ; D. 1999. Somm. 16,
o
obs. Tournafond   ; CCC 1998, n  43, note Leveneur). Ce n'est que lorsque la
chose viciée n'est pas fournie directement ou indirectement par le débiteur que la
condition d'extériorité semble alors pouvoir être remplie : ainsi, la composition
anormale d'une eau qui avait endommagé les canalisations a pu être considérée
e
comme une force majeure à l'égard des architectes et entrepreneurs (Civ. 3 ,
o o e
19 mars 1985, n  83-16.539  , Bull. civ. III, n  57. V. égal. Civ. 3 , 10 oct. 1972,
D. 1973. 378, note J. M. ; RTD civ. 1974. 161, obs. Durry), de même qu'une
e
prolifération microbienne après des travaux de drainage (Civ. 3 , 26 mai 1982,
o
n  81-11.252  ) ou que le vice indécelable d'un immeuble préexistant à
e o
l'intervention de l'entrepreneur (Civ. 3 , 26 févr. 2003, n  01-16.441  , Bull.
o
civ. III, n  46 ; RDI 2003. 281, obs. Malinvaud  ).

33. Sang contaminé et infections nosocomiales. - Cette jurisprudence a reçu


des applications notables en matière médicale. D'abord à propos des transfusions
sanguines, puisqu'il a été jugé que le vice interne du sang, même indécelable, ne
constitue pas pour l'organisme fournisseur une cause qui lui est étrangère (à
propos du Sida : Paris, 28 nov. 1991, D. 1992. 85, note Dorsner-Dolivet   ; JCP
re os
1992. II. 21797, note Harichaux. – Civ. 1 , 12 avr. 1995 [2 arrêts], n  92-
11.950 et 92-11.975, RDSS 1995. 765, obs. Mémeteau   ; RDSS 1995. 724, obs.
Dubouis   ; RDSS 1995. 766, obs. Leroy   ; JCP 1995. II. 22467, note
e
Jourdain. – Pour d'autres maladies, V. Civ. 2 , 17 déc. 1954, JCP 1955. II. 8490,
note Savatier ; D. 1955. 269, note Rodière ; RTD civ. 1955. 301, obs. H. et
re
L. Mazeaud. – Pau, 13 mai 1993, JCP 1994. IV. 505. – Civ. 1 , 9 juill. 1996,
o
n  94-12.868  , Dr. et patr. déc. 1996. 72, obs. Chabas). En ce qui concerne les
cliniques, la Cour de cassation avait mis à leur charge l'obligation de fournir du
re
sang non vicié (Civ. 1 , 4 févr. 1959, JCP 1959. II. 11046, note Savatier ;
D. 1959. 153, note Esmein ; RTD civ. 1959. 317, obs. H. et L. Mazeaud).
Appliquant à la lettre l'idée que les cliniques ne sont tenues que d'une obligation
de moyens, elle a jugé le contraire à propos de la contamination par le sida
re
(Civ. 1 , 12 avr. 1995, préc.). Les centres de transfusions sanguines sont
aujourd'hui soumis au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux
(V.  Responsabilité du fait des produits défectueux [Civ.] ) avec un régime
particulier d'exonération excluant le risque de développement [C. civ., art. 1245-
11  ]). Plus récemment, c'est en matière d'infections nosocomiales, pour la mise
en œuvre de la responsabilité de plein droit imposée par l'article L. 1142-1 I du
code de la santé publique aux établissements de santé, que la jurisprudence a
estimé que l'action d'un germe pourtant étranger à l'établissement ne permettait
pas de caractériser la force majeure dès lors que c'est « l'intervention chirurgicale
qui avait rendu possible la migration du germe saprophyte dans le site
re o o
opératoire » (Civ. 1 , 4 avr. 2006, n  04-17.491  , préc. n  17. Rapp. CE 4 juill.
o o
2012, req. n  341418.   – CE 17 févr. 2012, req. n  342366  ).

34. La maladie du débiteur. - Cette acception rigoureuse de l'extériorité n'est


toutefois pas celle qui prévaut lorsqu'il est question de la maladie du débiteur.
Pris à la lettre, le critère devrait conduire à écarter systématiquement la force
majeure (Req. 15 juin 1911, DP 1912. 1. 181, où les juges du fond affirment que
« la maladie peut et doit être prévue » et où la Cour de cassation les approuve en
évoquant « la mort, encore qu'à peu près subite ») puisqu'une maladie ne peut
être physiquement externe à la personne du débiteur. La jurisprudence admet
pourtant que la maladie puisse constituer une force majeure dès lors qu'elle est
suffisamment grave (Civ., 20 déc. 1926, Gaz. Pal. 19271.457 [maladie du
o e
salarié]. – Com. 4 janv. 1967, Bull. civ. III, n  6 [a contrario]. – Civ. 3 , 19 févr.
o o
1975, n  74-11.119  , Bull. civ. III, n  72. Comp. un arrêt plus strict : Com.
o
23 janv. 1967, Bull. civ. IV, n  39 ; RTD civ. 1969. 136, obs. Durry) et que ses
traits la rendent imprévisible (la simple existence d'une information préalable
quant à la possibilité de souscrire une « assurance-annulation » peut suffire à
re o
rendre une « indisposition de santé » prévisible : Civ. 1 , 2 oct. 2001, n  99-
o
19.816  , CCC 2002, n  24, note Leveneur) et insurmontable (pour un refus
e o
apparemment fondé sur l'absence d'irrésistibilité : Civ. 3 , 22 janv. 2014, n  12-
o
28.246  , RDC 2014. 398, obs. Seube ; Gaz. Pal. 9 avr. 2014, n  100, obs.
Houtcieff). La solution a été nettement réaffirmée par l'assemblée plénière dans
une espèce où un artisan, qui s'était engagé à livrer une machine que lui seul
pouvait réaliser, n'avait pu remplir son obligation en raison d'un cancer qui avait
o o
entraîné son décès (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n  02-11.168  , préc. n  22).
La Cour de cassation avait même auparavant affirmé explicitement que la
maladie peut constituer un cas de force majeure « bien que n'étant pas
re o
extérieure [au débiteur] » (Civ. 1 , 10 févr. 1998, n  96-13.316  , Bull. civ. I,
o
n  53 ; D. 1998. 539, note D. Mazeaud   ; RTD civ. 1998. 689, obs. Jourdain   ;
o
JCP 1998. I. 185, n  16, obs. Viney ; JCP 1998. II. 10124, note Paisant ; CCC
o re
1998, n  70, note Leveneur. – V. égal. Civ. 1 , 6 nov. 2002 [qui s'appuie
o o
uniquement sur l'irrésistibilité], n  99-21.203  , Bull. civ. I, n  258 ; RTD civ.
o
2003. 301, obs. Jourdain   ; JCP 2003. I. 152, n  32, obs. Viney ; RDC 2003. 59,
o
obs. Stoffel-Munck ; CCC 2003, n  53, note Leveneur. Mais contra : Soc. 25 févr.
o
1992, n  89-43.724  , qui refuse de voir une force majeure dans « l'état de santé
grave de l'employeur, rendant impossible la continuation de l'établissement »).
L'exclusion de l'extériorité est ici toutefois plus apparente que réelle, puisque
c'est en réalité l'origine de la maladie qui est extérieure à la personne et que c'est
donc l'absence d'imputation de l'évènement au débiteur qui s'exprime à travers la
condition d'extériorité. Elle peut en cela être rapprochée de celle relative à la
er
grève. Pour coller au nouvel article 1218 alinéa 1 du code civil, on peut
considérer que la maladie échappe au contrôle du débiteur (comp. la position de
M. BÉNABENT, qui estime que ce nouveau critère « laisse peut-être entière la
question de la maladie pour les prestations de service intuitu personae » [Droit
e o
des obligations, 15  éd., 2016, LGDJ, n  349]). Cette jurisprudence est
néanmoins désapprouvée par un auteur qui estime qu'en matière contractuelle,
« la faute est objective au sens large » et que la maladie, fait juridiquement
interne au débiteur, ne devrait pas pouvoir justifier son exonération. Il est vrai
que la position de la jurisprudence conduit à traiter différemment le débiteur
malade et le débiteur en état de démence (NOGUÉRO, La maladie du débiteur cas
de force majeure, D. 2006. 1566  ), solution qu'il est difficile de justifier en
me
équité. Selon M  VINEY (RDC 2006. 1213), l'article 414-3 du code civil (anc.
art. 489-2) devrait ainsi être écarté en matière contractuelle dès lors que les
régimes de responsabilité délictuelle sont plus objectifs et plus stricts que celui de
la responsabilité contractuelle.

Art. 2 - En matière extracontractuelle

35. Un critère encore sous l'emprise de la jurisprudence. - Au-delà du droit


des contrats, la force majeure demeure pour l'heure une notion exclusivement
jurisprudentielle. L'extériorité reste donc présente en tant que telle, mais elle
pourrait à l'avenir également être remplacée dans la responsabilité
extracontractuelle par le même critère que celui évoqué par l'article 1218, alinéa
er
1 du code civil. L'article 1253, alinéa 2 de l'actuel [mars 2017] projet de
réforme de la responsabilité civile précise en effet qu'en matière
extracontractuelle « la force majeure est l'évènement échappant au contrôle du
défendeur ou de la personne dont il doit répondre » (ce critère ne figurait pas
dans l’avant-projet de réforme [avr. 2016]). Comme en matière contractuelle, ce
nouveau critère, si ce texte venait à être adopté, pourrait marquer une évolution
vers une approche plus concrète – et donc plus souple – de l'extériorité. Mais il
pourrait également – la malléabilité de l'idée de « contrôle » le permettrait,
comme l'a déjà montré la jurisprudence relative à la garde d'une chose – ne rien
changer en jurisprudence où la condition d'extériorité sert clairement à sécuriser
les responsabilités objectives. TUNC considérait même en 1946 qu'en matière de
responsabilité du fait des choses, l'extériorité constitue le seul vrai critère de la
force majeure : les « prétendus » critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité n'y
auraient « aucune valeur propre » car ils « imposent seulement au gardien de
prouver qu'il n'a pas commis de faute » (Force majeure et absence de faute en
o
matière délictuelle, RTD civ. 1946. 171, n  19). Dans la responsabilité pour faute,
l'influence d'une telle évolution serait encore plus réduite à raison du rôle
o
marginal qu'y joue la force majeure (V. supra, n  13).
36. Le vice de la chose exclut l'extériorité de l'évènement. - Dans la
er
responsabilité du fait des choses fondée sur l'article 1242 alinéa 1 du code civil
er
(art. 1384 al. 1 anc.), la Cour de cassation apprécie ainsi de manière très
objective l'extériorité, afin de ne pas restreindre la portée d'une responsabilité qui
peut parfois s'analyser en une véritable garantie (V.  Responsabilité du fait des
choses inanimées [Civ.] ). Avec l'arrêt Jand'heur, la Cour de cassation avait posé
en principe « qu'il n'est pas nécessaire [que la chose] ait un vice inhérent à sa
nature et susceptible de causer le dommage, l'article 1384 rattachant la
responsabilité à la garde de la chose, non à la chose elle-même » (Cass., ch.
réun., 13 févr. 1930, DP 1930. 1. 57, rapp. Le Marc'hadour, concl. Matter, note
Ripert ; S. 1930.1.121, note P. Esmein) et elle s'est par la suite efforcée de
consolider cette règle lorsque sont en cause non plus les conditions de mise en
œuvre de cette responsabilité mais les conditions de l'exonération du gardien, en
affirmant nettement que le vice inhérent à la chose ne constitue pas une force
majeure et entre « dans les risques dont le gardien assume envers les tiers la
e
responsabilité » (Civ. 2 , 6 mars 1959, Gaz. Pal. 1959. 2.12), ou encore que « le
vice inhérent à la chose qui cause le dommage ne constitue pas, au regard de
celui qui exerce sur cette chose les pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage
corrélatifs à la garde, une cause étrangère de nature à l'exonérer de sa
e o
responsabilité envers les tiers » (Civ. 2 , 4 déc. 1969, Bull. civ. II, n  333). La
condition d'extériorité paraît ici essentielle car « c'est par elle que l'article 1384
[auj. 1242] cesse de poser une simple présomption de faute et établit une
obligation de garantie des vices » (MAZEAUD et TUNC, Traité théorique et
pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. 2, Montchrestien,
e o o
5  éd., 1958, n  1595 et note n  9. Comp. BLAEVOET, Le cas fortuit et le vice
caché, Gaz. Pal. 1966. 1 doct. 135, qui estime que le vice de la chose devrait
exonérer le gardien car il lui est impossible d'agir pour empêcher l'accident).
o
37. Applications. - Avant l'adoption de la loi n  85-677 du 5 juillet 1985 sur les
accidents de la circulation, dont l'article 2 empêche le défendeur d'opposer la
force majeure à la victime (bien que la jurisprudence ait pendant un temps repris
les critères de la force majeure pour reconnaitre la faute de la victime conductrice
e
permettant d'écarter la réparation de son préjudice, V. par ex. Civ. 2 , 27 mai
o o
1988, n  86-18.663  , Bull. civ. I, n  119), la jurisprudence s'était largement
nourrie de ce contentieux pour donner à l'extériorité un rôle lui permettant de
garantir la victime contre les vices de l'objet et les défaillances mécaniques (par
e
ex. : Civ., 11 mars 1940, Gaz. Pal. 1940. 2.15 [rupture d'un frein]. – Civ. 2 ,
6 mars 1959, préc. [rupture d'un boulon provoquant le blocage de la direction
d'un tracteur]. – Req., 22 janv. 1945, S. 1945, S. 1945.1.57 [détachement de la
e o
rotule de direction]. – Civ. 2 , 16 juill. 1969, Bull. civ. II, n  253. Rapp. plus
récemment en droit pénal et sur le terrain de l'imprévisibilité : Crim. 6 nov. 2013,
o o
n  12-82.182  , Bull. crim. n  215). Mais la solution trouvait également à
s'appliquer lorsque la défaillance mécanique n'était pas nécessairement liée à un
vice de la chose : sans se référer ouvertement à l'extériorité, la Cour de cassation
avait par exemple jugé que l'éclatement d'un pneu par suite de l'enfoncement
d'un clou « est un fait de la chose » qui n'est pas nécessairement imprévisible et
e o o
insurmontable (Civ. 2 , 12 févr. 1970, n  68-13.115  , Bull. civ. II, n  51 ;
Gaz. Pal. 1970. 1. Somm. 40 ; RTD civ. 1970. 780, obs. Durry. Plus net encore :
e
Civ. 2 , 4 déc. 1969, préc.), alors qu'une distinction aurait pu être opérée suivant
l'origine de l'éclatement du pneu (implicitement en ce sens, mais sur le terrain de
e o
la responsabilité pour faute : Civ. 2 , 12 juin 1969, Bull. civ. II, n  209. Rapp.
avec un arrêt qui, dans le contexte d'un recours en contribution, estime que
l'éclatement du pneu est une force majeure qui écarte la faute du conducteur :
e o o
Civ. 2 , 24 janv. 1996, n  94-10.923  , Bull. civ. II, n  7 ; Dr. et patr. avr.
1996. 76, obs. F. Chabas). Au-delà des accidents de la circulation, il a par
exemple été jugé que la chute, pourtant provoquée par une tempête, d'un arbre
aux racines pourries n'était pas nécessairement une force majeure à raison du
e o
rôle causal du vice inhérent à cette chose (Civ. 2 , 5 mai 1975, n  74-10.466  ,
o
Bull. civ. II, n  135, Gaz. Pal. 1975. 2.528, note Plancqueel ; RTD civ. 1975. 717,
obs. Durry), de même qu'un glissement de terrain dû à l'instabilité d'une colline
e
et au relèvement de la nappe phréatique (Civ. 2 , 20 nov. 1968, Bull. civ. II,
o
n  275 ; JCP 1970. II. 16567, note Dejean de la Bâtie), que la défectuosité d'une
canalisation (qui ne peut être invoquée comme force majeure car il appartenait
au gardien de « mettre en œuvre les moyens nécessaires à la conservation de la
e o o
chose » : Civ. 3 , 30 mai 1990, n  89-10.356  , Bull. civ. III, n  129) ou encore
que l'implosion d'un poste de télévision (TGI Melun, Gaz. Pal. 1978. 1.139,
confirmé par substitution de motifs [application de l'art. 1242 al. 2 en lieu et
er
place de 1242 al. 1 ] par Paris, 26 juin 1979, Gaz. Pal. 1979. 2.493).

38. Glissements de terrain. - La jurisprudence relative aux glissements de


terrain demeure toutefois incertaine. Ces phénomènes peuvent en effet
s'expliquer par l'action des forces naturelles (par ex. une tempête) et par un
défaut du terrain. La force majeure peut être admise lorsque seule l'action des
forces naturelles semble être en cause et qu'elle était normalement imprévisible
et irrésistible, car la source du phénomène est alors externe, par exemple lorsque
le glissement est dû à des infiltrations d'eau qui, sous l'effet du gel puis du dégel,
e
avaient désagrégé les assises du terrain (Civ. 2 , 20 nov. 1963, Bull. civ. II,
o
n  748, Gaz. Pal. 1964. 1.256. Dans le même sens à propos de la chute d'un
e o o
rocher : Civ. 2 , 4 mars 1976, n  74-13.817  , Bull. civ. II, n  87 ; JCP 1977.
II. 18544, note Mourgeon ; RTD civ. 1977. 329, obs. Durry ; à propos de la
e
présence d'eaux souterraines provenant d'autres terrains : Civ. 2 , 21 janv. 1981,
JCP 1982. II. 19814, note Dejean de la Bâtie ; RTD civ. 1982. 611, note Durry ;
e o
pluies d'une violence exceptionnelle : Civ. 2 , 13 juill. 2006, n  05-17.199  , RDI
2006. 443, obs. Trébulle   ; éboulement imprévisible et irrésistible dans une
e o
zone pourtant classée en risque « très élevée » : Civ. 2 , 2 juill. 2015, n  14-
21.914  ). Mais lorsque le glissement de terrain s'explique à la fois par un
phénomène naturel et par un vice du terrain, la force majeure peut alors être
e
écartée (instabilité d'une colline et relèvement de la nappe phréatique : Civ. 2 ,
o e o
20 nov. 1968, préc. n  37 ; vice du terrain et pluies : Civ. 2 , 24 juin 1971, n  70-
o
11.542  , Bull. civ. II, n  236) et a fortiori lorsqu'il trouve uniquement sa cause
e
dans une fragilité du terrain (ravinement progressif d'un terrain friable : Civ. 2 ,
o o
9 juin 1977, n  76-12.212   ; Bull. civ. II, n  151, D. 1978. IR 29, obs.
Larroumet). Il en va de même lorsque la condition d'extériorité est remplie mais
e
que font défaut celles d'imprévisibilité et d'irrésistibilité (Civ. 2 , 12 déc. 2002,
o o o
n  98-19.111  , Bull. civ. II, n  287 ; CCC 2003, n  53, note Leveneur).

39. Altérations des facultés intellectuelles du gardien. - L'extériorité est


encore prise en considération lorsque le gardien de la chose est victime d'un
o
trouble mental. Dès avant la loi n  68-5 du 3 janvier 1968 (qui a posé le principe
de la responsabilité civile des personnes sous l'empire d'un trouble mental,
cf. C. civ., art. 414-3  [anc. art. 489-2]. Sur l'interprétation de ce texte en
matière de force majeure, V. VINEY, Réflexions sur l'article 489-2 du code civil,
RTD civ. 1970. 262 et 263), la Cour de cassation avait jugé qu'une obnubilation
passagère des facultés intellectuelles du gardien telle qu'une absence épileptique
ou un quelconque malaise physique n'est pas un événement susceptible de
e
constituer une cause de dommage extérieure ou étrangère au gardien (Civ. 2 ,
o
18 déc. 1964, Bull. civ. II, n  836, D. 1965. 191, note Esmein ; JCP
e
1965. II. 14304, note Dejean de la Bâtie. Dans le même sens : Civ. 2 , 19 déc.
o e er o
1966, Bull. civ. II, n  977. – Civ. 2 , 1  mars 1967, Bull. civ. II, n  96. Pour une
idée de garantie des « vices » du gardien, V. MAZEAUD et TUNC, op. cit.,
o o
n  1298-2, note 6, et n  1604).

40. Responsabilité du fait d'autrui. - Dans les responsabilités du fait d'autrui,


la question se pose de savoir par rapport à quelle personne doit s'apprécier la
force majeure, lorsque celle-ci peut être invoquée par le défendeur. On souligne
fréquemment que l'effectivité de ces responsabilités impose d'empêcher le
défendeur d'invoquer comme élément extérieur le fait de celui dont il doit
o
répondre (VINEY, JOURDAIN et CARVAL, op. cit., n  388. En matière
o
contractuelle, V. supra, n  30), ce qui permet en amont d'empêcher purement et
simplement le commettant de se prévaloir du fait imprévisible et irrésistible de
son préposé dès lors que celui-ci était dans ses fonctions et, en aval dans les
autres responsabilités du fait d'autrui, d'user de la présence de l'extériorité au
sein des critères de la force majeure pour verrouiller des responsabilités
objectives (l'art. 1253 al. 2 de l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la
responsabilité civile marque un recul de cette logique puisqu'il considère que la
force majeure est l'événement qui échappe au contrôle du défendeur « ou de la
personne dont il doit répondre » et dont « ceux-ci » ne pouvaient empêcher ni la
réalisation ni les conséquences). En jurisprudence, la question avait certes pu se
poser à propos de la responsabilité du commettant, mais pris en qualité de
gardien de la chose maniée par son préposé : la Cour de cassation avait
considéré que le malaise du préposé exerçant l'usage, la direction et le contrôle
d'une chose « pour le compte de son commettant » n'était pas une cause
e
étrangère exonérant ce propriétaire gardien (Civ. 2 , 4 nov. 1965, Bull. civ. II,
o
n  849 ; D. 1966. 394, note Plancqueel), de même que la mutinerie du personnel
o o
d'un navire (Cass., ch. mixte, 4 déc. 1981, n  79-14.207  , Bull. ch. mixte, n  8 ;
D. 1982. 365, concl. Cabannes et note F. Chabas ; JCP 1982. II. 19748, note
H. Mazeaud).

41. Responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur. - Mais c'est


surtout à propos de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur
que cette question a été discutée, depuis que la Cour de cassation y voit une
responsabilité de plein droit dans laquelle seule la force majeure ou la faute de la
victime est susceptible d'exonérer les parents de leur responsabilité. La doctrine a
considéré que la force majeure ne pouvait être appréciée que par rapport aux
parents car, appréciée par rapport à l'enfant, elle aurait pour conséquence de
rompre la causalité et d'empêcher ainsi en amont la mise en œuvre de la
responsabilité des parents (V. en particulier CARON, La force majeure, Talon
d'Achille de la responsabilité des père et mère ?, Gaz. Pal. 1998. 2.
Doctr. 1130. – POHÉ, Ombre et lumière sur la force majeure dans la
o
responsabilité parentale, RRJ 2002, n  1, p. 239. V. égal. un arrêt qui reproche
aux juges du fond de ne pas avoir démontré que la faute de la victime «  avait été
e
pour le responsable un événement imprévisible et irrésistible » [Civ. 2 , 17 févr.
o
2011, n  10-30.439  , D. 2011. 1117, note Bouteille   ; D. 2012. 47, obs.
o
Gout   ; RTD civ. 2011. 544, obs. Jourdain   ; RCA 2011, n  164, note Leduc]).
Mais la condition d'extériorité rend alors illusoire la reconnaissance de la force
majeure : exigée par rapport aux parents mais sans que le fait de l'enfant puisse
être considéré comme extérieur, afin de préserver la logique des responsabilités
du fait d'autrui, elle n'est en pratique guère concevable. La Cour de cassation
semble suivre cette voie rigoureuse, comme le montre particulièrement une
décision dans laquelle les caractères imprévisible et irrésistible du fait de l'enfant
auraient pu être retenus sans difficulté, mais où la Cour décide qu'aucune des
e o
causes d'exonération n'a été caractérisée (Civ. 2 , 2 déc. 1998, n  96-22.158  ,
o
Bull. civ. II, n  292 ; RTD civ. 1999. 410, obs. Jourdain   ; Dr. et patr. avr.
1999. 78, obs. F. Chabas ; JCP 1999. II. 10165, note Josselin-Gall  ). Pour ne
pas mettre à mal le système de garantie souhaitée par elle, la Cour vise ainsi une
cause d'exonération « au mieux pratiquement inefficace […] et au pire
e
théoriquement inconcevable » (V. JOURDAIN, obs. ss. Civ. 2 , 20 avr. et 18 mai
2000, D. 2000. Somm. 468  ). Ainsi, depuis que la responsabilité des parents est
devenue une responsabilité de plein droit, aucune décision de la Cour de
cassation n'a reconnu l'exonération des parents par la force majeure, seule
e
l'exonération partielle par la faute de la victime semble avoir droit de cité (Civ. 2 ,
o o
29 avr. 2004, n  02-20.180  , Bull. civ. II, n  202 ; D. 2005. Pan. 185, obs.
e o
D. Mazeaud.  – Civ. 2 , 19 oct. 2006, n  05-17.474  ).

Section 2 - L'imprévisibilité

42. Après quelques tumultes en doctrine et en jurisprudence, l'imprévisibilité de


l'événement a finalement été maintenue comme condition autonome de la force
majeure. En droit des contrats, où il avait été contesté, ce critère est aujourd'hui
er
clairement affirmé par le nouvel article 1218 alinéa 1 du code civil. Sauf à ce
que la jurisprudence évolue pour prendre acte du dualisme désormais souhaité
o
(V. supra, n  24), il devrait également continuer à être exigé au sein de la
responsabilité extracontractuelle. Mais la réforme annoncée de la responsabilité
civile entreprend de le faire disparaître en ce domaine (article 1253 al. 2 de
l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la responsabilité civile), sans que l'on
sache réellement si cet effacement annoncé se justifie par le constat de l'inutilité
de l'imprévisibilité en matière extracontractuelle ou par volonté d’en faire la
victime expiatoire de la nouvelle différenciation de la force majeure dans les deux
ordres de responsabilité. Pour tenter de saisir ces tergiversations autour de
l'imprévisibilité, il convient de s'arrêter sur son exigence en elle-même (V. infra,
os
n  43 s.) avant d'examiner la relativité de son appréciation en jurisprudence (V
os os
infra, n  49 s.), puis le moment de son appréciation (V. infra, n  62 s.).

er
Art. 1 - L'exigence de l'imprévisibilité

43. Interrogations autour de l'utilité de l'imprévisibilité. - L'imprévisibilité


de l'événement est un critère presque constamment exigé en jurisprudence pour
caractériser la force majeure. Son véritable rôle n'en a pas moins suscité
quelques hésitations : s'agit-il d'un simple indice de l'irrésistibilité ou d'une
véritable condition autonome ? La doctrine traditionnelle estimait nécessaire de
conserver à chaque expression son propre sens : « la notion d'irrésistibilité ou
impossibilité s'arrête à la constatation du fait, sans en rechercher la cause. La
notion d'imprévisibilité précise au contraire cette cause. Ainsi les deux caractères
sont bien distincts », chacun pouvant exister indépendamment de la présence de
o
l'autre (MAZEAUD et TUNC, op. cit., n  1575). Mais il avait par la suite été avancé
« que la jurisprudence applique mécaniquement un critère séculairement attaché
à la qualification de force majeure sans se préoccuper de sa finalité »
o
(ANTONMATTEI, thèse préc., n  75) afin de favoriser une garantie
d'indemnisation plus qu'une véritable responsabilité, ce pourquoi un courant
jurisprudentiel avait autrefois tenté de se focaliser sur l'irrésistibilité. Certains
arrêts avaient ainsi clairement dispensé le défendeur de la preuve de
e o
l'imprévisibilité (Civ. 2 , 21 janv. 1981, préc. n  38, qui admet comme force
majeure la présence d'eaux souterraines alors que le phénomène était connu.
L'arrêt se fonde uniquement sur l'irrésistibilité et l'extériorité) et une divergence
était apparue à ce sujet entre plusieurs formations de la Cour de cassation (sur la
question, V. par ex. COUTANT-LAPALUS, Variations autour de l'imprévisibilité de
o
la cause étrangère, LPA 26 févr. 2002, n  41, p. 15 s.).

44. Ancienne divergence jurisprudentielle relative au rôle de


l'imprévisibilité. - Alors que la deuxième chambre civile exigeait le cumul de
e o
l'irrésistibilité et de l'imprévisibilité (Civ. 2 , 15 déc. 2005, n  03-16.772  , Bull.
o e
civ. II, n  336 ;  RTD com. 2006. 557, obs. Bouloc.  – Civ. 2 , 23 sept. 2004,
o o e
n  03-13.160  , Bull. civ. II, n  432 ; RDI 2005. 259, obs. Trébulle.  – Civ. 2 ,
os os
23 janv. 2003 [2 arrêts], n  00-15.597 et 00-14.980, Bull. civ. II, n  17 et 18 ;
D. 2003. 2465, note Depadt-Sebag   ; RTD civ. 2003. 301, obs. Jourdain  . –
e o o
Civ. 2 , 12 déc. 2002, n  98-19.111  , Bull. civ. II, n  287 ; RTD civ. 2003. 301,
o e
obs. Jourdain   ; CCC 2003, n  53, note Leveneur. – Civ. 2 , 13 juill. 2000,
o o
n  98-21.530  , Bull. civ. II, n  126 ; RTD civ. 2000. 847, obs. Jourdain   ; RCA
o
2000, n  324, note Groutel), suivie en ce sens par la troisième chambre civile
e o o
(Civ. 3 , 26 févr. 2003, n  01-16.441  , Bull. civ. III, n  46 ; RDI 2003. 281, obs.
Malinvaud  ), la première chambre civile et la chambre commerciale se
contentaient de l'irrésistibilité de l'événement dans de nombreuses décisions
o o
(Com. 26 juin 2001, n  97-18.410.  – Com. 29 mai 2001, n  98-17.247  , Bull.
o
civ. IV, n  109 ; RTD com. 2001. 699, obs. Bouloc   ; Dr. et patr. déc. 2001. 95,
o
obs. F. Chabas ; RGDA 2001. 1037, note Rémy. – Com. 16 mars 1999, n  97-
o o
11.428  , CCC 1999, n  86, note Leveneur. – Com. 28 avr. 1998, n  96-13.607 
re o
, D. 1999. 469, note B. M. et F. L  . – Civ. 1 , 17 nov. 1999, n  97-21.823  ,
o
Bull. civ. I, n  307 ; RTD com. 2000. 436, obs. Bouloc   ; RGDA 2000. 194, note
Rémy. – En ce sens égal., mais pour le refus de la force majeure justifié par le
re
seul motif que l'événement n'était pas insurmontable, V. Civ. 1 , 8 déc. 1998,
o o o
n  96-17.811  , Bull. civ. I, n  346 ; CCC 1999, n  36, note Leveneur ; Defrénois
1999. 369, obs. Delebecque. – Toutefois, mentionnant l'irrésistibilité et
o o
l'imprévisibilité, Com. 11 oct. 2005, n  03-10.975  , Bull. civ. IV, n  206 ; JCP
o
2006. I. 111, n  13, obs. Stoffel-Munck ; D. 2006. AJ 2869, obs. Delpech  ),
entraînant bientôt dans leur sillage la chambre sociale (Soc. 12 févr. 2003
os o
[3 arrêts], n  00-46.660, 99-42.985 et 01-40.916, Bull. civ. V, n  50 ; D. 2003.
Somm. 1656, obs. Daimez   ; RDC 2003. 59, obs. Stoffel-Munck).
45. Simple indice de l'irrésistibilité ? - Ce courant jurisprudentiel – qui ne
touchait toutefois que la seule responsabilité contractuelle – ne faisait cependant
pas disparaître totalement le critère de l'imprévisibilité : il le reléguait au rang de
simple indice de l'irrésistibilité de l'événement. Il fallait que si elle eût existé, la
prévision du phénomène n'eût rien changé : une tempête annoncée lorsqu'on est
déjà en mer et qu'on ne peut regagner le port est une force majeure. C'est en ce
re
sens précisément que se prononçait déjà un arrêt plus ancien (Civ. 1 , 7 mars
o
1966, Bull. civ. I, n  166 JCP 1966. II. 14878, note J. Mazeaud ; RTD civ. 1966.
823, obs. Durry) : « si l'irrésistibilité de l'événement est, à elle seule, constitutive
de la force majeure, lorsque sa prévision ne saurait permettre d'en empêcher les
effets, il n'en est plus ainsi lorsque le débiteur pouvait normalement prévoir cet
événement [une grève] lors de la conclusion du contrat », formule reprise par la
re o o
suite (Civ. 1 , 9 mars 1994, n  91-17.464, Bull. civ. I, n  91 ; JCP 1994. I. 3773,
o
n  6, obs. Viney ; RTD civ. 1994. 871, obs. Jourdain  ). Dans ces arrêts, la Cour
de cassation exigeait ainsi des juges du fond qu'ils recherchent si toutes les
er o
mesures requises avaient été prises (Com. 1  oct. 1997, n  95-12.435  , Bull.
o
civ. IV, n  240 ; RTD civ. 1998. 121, obs. Jourdain   ; Dr. et patr. févr. 1998. 72,
o o
obs. F. Chabas ; JCP 1998. I. 144, n  13, obs. Viney ; CCC 1998, n  4, note
Leveneur ; D. 1998. Somm. 199, obs. Delebecque   ; D. 1998. Somm. 318, obs.
re o
Mercadal.  – Civ. 1 , 7 juill. 1998, n  96-15.356  , RGDA 1998. 841, note
Vincent ; Defrénois 1999. 544, obs. Périnet-Marquet. – Com. 29 févr. 2000,
o o
n  97-17.707  , Bull. civ. IV, n  45). Si cette approche semblait donner à
l'imprévisibilité sa juste place, celle d'un simple indice du caractère inévitable de
l'événement ou de ses conséquences, et permettre incidemment le retour d'un
aspect subjectif de la force majeure de par « l'absence de faute de prévention de
la part de celui qui souhaite s'en prévaloir » (COUTANT-LAPALUS, art. préc.,
o
n  18), elle était toutefois peut-être inadaptée en matière contractuelle – qui était
pourtant son terrain d'élection – en raison du rôle particulier que doit y jouer la
prévisibilité pour imputer les risques du contrat à l'un des deux contractants.

46. Maintien de l'imprévisibilité comme condition autonome. - L'assemblée


plénière avait finalement tranché cette discordance jurisprudentielle par la
réaffirmation d'une conception classique et unitaire dans laquelle l'imprévisibilité
et l'extériorité sont considérées comme deux conditions distinctes (Cass., ass.
o o
plén., 14 avr. 2006, n  02-11.168  , RDC 2006. 1207, préc. n  22). L'analyse
classique ressortait plus nettement du communiqué officiel de la Cour que du
contenu même de ces arrêts, dont la formulation demeurait un peu timide. Des
re o o
arrêts postérieurs (V. not. Civ. 1 , 30 oct. 2008, n  07-17.134  , préc. n  22)
avaient, eux, clairement affirmé que le cumul de l'irrésistibilité et de
l'imprévisibilité était toujours nécessaire pour caractériser la force majeure. Ce
qui importe est surtout l'appréciation de l'imprévisibilité, appréciation d'ailleurs
très souple dans les deux arrêts de 2006. Autrement dit, la Cour de cassation
avait conservé une définition commune aux deux ordres de responsabilité, et
rejeté l'idée d'une force majeure se réduisant à une impossibilité d'exécution.
o
L'ordonnance n  2016-131 du 10 février 2016 ne reprend qu'en partie cette
position. En posant une définition spécifique à la responsabilité contractuelle à
er
l'article 1218 alinéa 1 du code civil, elle rompt en effet avec la classique
conception unitaire de la force majeure. Mais cette définition intègre
l'imprévisibilité : la reconnaissance de la force majeure suppose ainsi un
événement « qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du
contrat ».

47. Imprévisibilité et force majeure en droit des contrats. - Ce maintien de


l'imprévisibilité par la réforme peut a priori paraître curieux, puisque les tenants
d'une force majeure propre aux contrats – ou au moins d'une appréciation
différenciée – défendaient à l'origine la jurisprudence la transformant en un
simple indice de l'irrésistibilité (VINEY, obs. ss. Cass., ass. plén., 14 avr. 2006,
o
n  02-11.168  , préc., qui ne prône toutefois pas la disparition de
l'imprévisibilité). Mieux, certains auteurs hostiles ou simplement méfiants à
l'égard de la notion de responsabilité contractuelle poussaient le raisonnement
encore plus loin en neutralisant l'imprévisibilité : dans cette analyse, la force
majeure contractuelle ne sert pas à démontrer la rupture du lien de causalité,
mais uniquement l'impossibilité d'exécution, l'intervention d'un risque qui n'est
re
pas normalement assumé par le débiteur (RÉMY, note ss. Civ. 1 , 17 nov. 1999,
RGDA 2000. 194). L'analyse de la force majeure devrait alors se faire en
contemplation de la volonté des parties, afin de déterminer si le débiteur peut
être excusé pour l'inexécution : pouvait-on raisonnablement attendre de lui qu'il
supporte ce risque ? La recherche de la volonté des parties et des attentes
légitimes du créancier se substituerait dès lors à celle des critères traditionnels de
la force majeure, qui pourrait ici être définie comme « la difficulté d'exécution
dont le créancier ne pouvait raisonnablement espérer la prise en charge par le
débiteur » (STOFFEL-MUNCK, Le particularisme de la force majeure en matière
contractuelle, RDC 2003. 59). Dans cette optique, il faudrait répondre à deux
questions : l'événement était-il irrésistible ? Le cas échéant, quelle partie doit
supporter le risque de l'inexécution ? Cette idée pouvait peut-être expliquer un
arrêt qui, en matière contractuelle, avait affirmé sans nuances que « la seule
re
irrésistibilité de l'événement caractérise la force majeure » (Civ. 1 , 6 nov. 2002,
o o
n  99-21.203  , préc. n  34).

48. L'utilité manifeste de l'imprévisibilité en droit des contrats. - En


définitive, l'exclusion radicale de l'imprévisibilité est apparue en contradiction
avec l'idée que ce sont les prévisions des parties qui doivent permettre de
déterminer le contenu de la force majeure, un événement défavorable mais
prévisible devant conduire soit à prendre des mesures de précaution, soit à
« s'abstenir de contracter plutôt que de braver le risque » (CARBONNIER, op. cit.,
o
n  162). « Là est le propre de la force majeure contractuelle » (BOUCARD, La
force majeure contractuelle, RDC 2015. 779). Le projet TERRÉ donnait ainsi déjà,
dans son article 100, une définition propre à l'inexécution du contrat qui
n'abandonnait pas l'imprévisibilité, afin de prendre en considération les prévisions
raisonnables des parties (TERRÉ [dir.], Pour une réforme du droit des contrats,
2009, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, p. 258). Cette persistance de
l'imprévisibilité peut être approuvée puisqu'en matière contractuelle, elle seule
permet d'établir « avec certitude que l'inexécution n'est pas imputable au
o
débiteur » (SAINT-PAU, op. cit., n  22). Outre le rapport évident entre cette
solution et l'article 1231-3 du code civil (anc. art. 1150), il serait envisageable
d'établir un lien entre l'absence d'exonération à raison d'un évènement irrésistible
mais prévisible et la règle suivant laquelle « les contrats expriment non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur
donnent l'équité, l'usage ou la loi » (C. civ., art. 1194  , anc. art. 1135  ). À
l'avenir, c'est peut-être même l'imprévisibilité qui constituera le marqueur de la
force majeure contractuelle, puisque ce critère est absent de l'article 1253 de
l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la responsabilité civile qui définit la
force majeure extracontractuelle : absente de la définition, elle deviendrait par
contrecoup un simple indice de l'irrésistibilité, solution qui était précisément celle
recherchée avant 2006 pour la responsabilité contractuelle… Sa disparition
radicale paraît en effet improbable car « il demeure, logiquement, que la
prévisibilité n'est à prendre en compte que dans la mesure où la prévision peut
permettre des précautions utiles. Mais il en est presque toujours ainsi en
re
pratique » (DEJEAN DE LA BATIE, note sous Civ. 1 , 21 janv. 1981, JCP 1982.
II. 19814).

Art. 2 - La relativité de l'appréciation de l'imprévisibilité

49. Une appréciation in abstracto circonstancielle. - Une fois admise


l'exigence de l'imprévisibilité de l'évènement, il reste à savoir comment celle-ci
doit être appréciée : de manière relative, afin de prendre en considération les
particularités de la situation à laquelle a été confronté le défendeur, ou de
manière absolue, par comparaison avec un type abstrait. La seconde solution a
parfois été défendue : « l'imprévisibilité, comme l'irrésistibilité, doit être absolue.
Une imprévisibilité spéciale au débiteur ne pourrait donc pas être admise »
o
(MAZEAUD et TUNC, op. cit., n  1576), sauf à trop favoriser les personnes
imprévoyantes ; qui plus est, une appréciation au cas par cas pourrait s'avérer
beaucoup trop délicate en pratique. Mais ce n'est pas la position du droit positif :
l'on ne peut que constater que la jurisprudence « a toujours répondu en optant
franchement pour la méthode "relativiste" » (VINEY, JOURDAIN et CARVAL, op.
o
cit., n  398), solution en réalité incontournable dès lors que toutes les calamités
sont théoriquement prévisibles. Il ne faudrait pour autant pas en conclure que les
magistrats optent pour une pleine appréciation in concreto de l'imprévisibilité.
L'opposition entre une conception absolue, qui supposerait une appréciation très
abstraite, et une conception relative, qui imposerait une analyse très concrète,
est en effet trop réductrice. Si la jurisprudence apprécie certainement
l'imprévisibilité de manière relative (un même événement peut, suivant les
circonstances, être qualifié ou non de force majeure), elle le fait toutefois en
suivant une « appréciation in abstracto circonstancielle » (SAINT-PAU, art. préc.,
o
n  16) qui permet de comparer (comme pour la faute, où ce sont les
circonstances externes à la personne qui sont prises en considération et non les
circonstances internes) le comportement du défendeur en fonction de celui qui
aurait été adopté par une personne raisonnable présentant les mêmes
compétences et placée dans les mêmes circonstances (l'appréciation in abstracto
est donc nuancée par la prise en considération de particularités physiques – mais
non psychologiques – ainsi que celle des aptitudes supérieures à la normale de
certains sujets : DEJEAN DE LA BATIE, Appréciation in abstracto et appréciation in
o
concreto en droit civil français, LGDJ, t. 57, 1965, préf. H. MAZEAUD, n  102 s.).
En formulant en matière contractuelle l'exigence d'un événement « qui ne pouvait
er
être raisonnablement prévu », le nouvel article 1218 alinéa 1 du code civil
s'inscrit donc dans la continuité. Il convient donc de prendre en considération les
os
circonstances de l'événement (V. infra, n  50 s.) ainsi que certaines qualités de
os
celui qui l'invoque (V. infra, n  58 s.).

er
§ 1 - Les circonstances de l'événement

50. Relativité de l'imprévisibilité. - Affirmer que l'imprévisibilité est relative


signifie qu'un événement est jugé imprévisible en fonction du temps et du lieu où
il se produit ou des circonstances qui l'accompagnent. La plupart des événements
susceptibles d'être qualifiés de « force majeure » font ainsi l'objet de décisions
très variables, sans que l'on puisse y voir nécessairement la manifestation de
positions contradictoires dès lors que la jurisprudence s'attache « à des critères
accessoires d'anormalité, de soudaineté, de rareté » (TERRÉ, SIMLER et
o
LEQUETTE, op. cit., n  582). Mais il est vrai que le règne de la casuistique en la
matière n'aide guère à assurer la prévisibilité des solutions. Le choix opéré par la
Cour de cassation de conserver l'autonomie de l'imprévisibilité (V. supra,
os er
n  43 s.), confirmé par le nouvel article 1218 alinéa 1 du code civil, est
d'ailleurs peut-être lié à cette relativité, car elle donne aux magistrats un large
pouvoir d'appréciation qui permet de faire de l'imprévisibilité la variable
d'ajustement de la notion de force majeure (avec une appréciation aujourd'hui
régulièrement rigoureuse lorsqu'est en cause un préjudice corporel : V., à propos
os
de la responsabilité de la SNCF, infra n  60 s. V. égal. à propos de la
e o
responsabilité du fait d'un animal : Civ. 2 , 27 mars 2014, n  13-15.528   ;
e o
D. 2015. 124, obs. Gout   ; comp. auparavant : Civ. 2 , 19 févr. 1992, n  90-
o e o
14.470  , Bull. civ. II, n  53. – Civ. 2 , 25 janv. 1978, n  77-10.106  , Bull.
o
civ. II, n  23.) afin de l'adapter aux diligences attendues du défendeur, pouvoir
qui aurait été moins marqué si l'imprévisibilité avait été reléguée au rang de
simple indice de l'irrésistibilité.

51. Phénomènes climatiques : tempêtes. - Une tempête peut ainsi par


exemple être ou non une force majeure suivant les circonstances locales ou
temporelles. En un mot, il faut un effet de surprise. Elle peut ainsi être considérée
comme un événement prévisible en bord de mer (Poitiers, 8 févr. 2000, JCP
e
2002. IV. 1311) – parfois encore plus à certaines périodes (Civ. 2 , 15 avr. 1964,
o e o
Bull. civ. II, n  287) –, en zone tropicale (Civ. 3 , 27 févr. 2008, n  06-19.348  ,
o
Bull. civ. III, n  32 ; RDI 2008. 283, obs. Malinvaud  ), en zone montagneuse
e o
(Civ. 2 , 14 déc. 1978, n  77-12.245  , Gaz. Pal. 1979. 2. 401, note Plancqueel)
ou plus largement lorsqu'il est « notoire que la région concernée n'est pas à l'abri
des vents soufflant en rafale » (Paris, 15 févr. 1985, Gaz. Pal. 1985. 2.
Somm. 249) ou s'il n'est pas démontré que la tempête « avait dépassé par sa
e
violence les tempêtes qui se produisent habituellement dans la région » (Civ. 2 ,
o e
5 janv. 1962, Bull. civ. II, n  36. V. égal. Civ. 2 , 5 déc. 1961, Bull. civ. II,
o e
n  828. – Civ. 2 , 11 févr. 1970, D. 1970, somm. 95). Mais, si elle est de grande
ampleur, elle n'est pas nécessairement prévisible même en zone tropicale
e o o
(Civ. 2 , 5 janv. 1994, n  92-13.853  , Bull. civ. II, n  13) et a fortiori en région
parisienne (Versailles, 18 nov. 2004, Gaz. Pal. 2005. Somm. 2223) ou ailleurs
e o e o
(Civ. 2 , 13 mars 1974, Bull. civ. II, n  91. – Civ. 3 , 29 juin 1988, n  86-
o e o
13.926  , Bull. civ. III, n  119. – Civ. 2 , 16 sept. 2010, n  09-66.800.  –
e o e
Civ. 2 , 13 juill. 2006, n  05-17.199  , RDI 2006. 443, obs. Trébulle.  – Civ. 3 ,
o
10 déc. 2013, n  12-25.331  ), d'autant plus si les vents se révèlent supérieurs à
la vitesse envisagée par les caractéristiques techniques du matériel (Com.
o
27 févr. 2007, n  05-14.304  ) ou aux valeurs définies par un document
e o
technique applicable à une construction (Civ. 3 , 11 mai 1994, n  92-16.201  ,
o
Bull. civ. III, n  94). En matière maritime, une simple houle n'est pas imprévisible
(Com. 14 févr. 1956, JCP 1956. II. 9214, note de Juglart), mais des vents
o o
violents peuvent l'être (Com. 12 mai 1987, n  84-15.812  , Bull. civ. IV, n  113),
ainsi qu'une tempête « d'une extrême violence à caractère de cyclone » (Com.
19 juin 1951, D. 1951. 717, note Ripert ; S. 1952. 1. 89, note Nerson). De
même, la survenance d'un orage n'est pas en soi imprévisible, mais le lieu et la
violence de la chute de la foudre peuvent l'être (Versailles, 2 juill. 1999, D. 1999.
IR 226  ). C'est donc souvent l'intensité exceptionnelle de l'événement qui va
permettre d'y voir une force majeure : sa prévisibilité objective s'atténue
lorsqu'elle est mise en balance avec sa violence inattendue. Cela ne suffit
toutefois pas toujours, la Cour de cassation exigeant parfois des juges du fond
qu'ils démontrent en quoi l'intensité anormale de l'événement a pu constituer une
force majeure pour le défendeur qui n'a pas pris les dispositions nécessaires pour
e o o
y faire face (Civ. 3 , 12 mai 2010, n  09-13.707  , RCA 2010, n  202, note
Vigneron). Plus abruptement, elle considère parfois qu'il ne suffit pas d'invoquer
un « épisode climatologique soudain et défavorable » (à propos d'un contrat
o
d'affrètement d'hélicoptère : Com. 2 oct. 2012, n  11-21.362  , D. 2012. 2866,
note Tosi  ).

52. Autres phénomènes naturels. - Le même raisonnement s'applique au


e
verglas, qui peut être (Crim. 27 févr. 1958, D. 1958. 586. – Civ. 2 , 29 juin 1966,
e
D. 1966. 645, note Tunc ; JCP 1967. II. 14931, note Savatier. – Civ. 2 , 24 mai
o o
1971. – Crim. 18 déc. 1978, n  78-92.468  , Bull. crim. n  357 ; JCP 1980.
re
II. 19261, note Alvarez) ou ne pas être (Civ. 1 , 4 mars 1957, Bull. civ. I,
o e e
n  110. – Civ. 2 , 21 mars 1957, Gaz. Pal. 1957. 2. 11. – Civ. 2 , 5 oct. 1961,
o e o o
Bull. civ. II, n  636. – Civ. 2 , 30 juin 1971, n  70-10.845  , Bull. civ. II, n  240.
e o o e
– Civ. 2 , 30 nov. 1972, n  71-12.483  , Bull. civ. II, n  307. – Civ. 2 , 14 déc.
o o o
1978, n  77-11.520  , Bull. civ. II, n  274. – Soc. 29 sept. 2004, n  02-40.221 
) un cas de force majeure suivant les circonstances. Il en va de même pour les
inondations, qui sont une force majeure si les troubles atmosphériques à l'origine
e o
de la crue revêtent une violence exceptionnelle (Civ. 2 , 6 janv. 1982, n  80-
o re o
16.120  , Bull. civ. II, n  3. – Civ. 1 , 26 janv. 1999, n  97-10.028  , RGDA
1999. 387, note d'Hauteville), mais qui ne méritent pas cette qualification s'il
n'est pas démontré que les précipitations ont été « absolument exceptionnelles »
e o e o
(Civ. 2 , 7 oct. 1987, n  86-13.328.  V. égal. Civ. 2 , 8 juin 1978, n  76-
o
14.786  , Bull. civ. II, n  157) ou si la rivière en cause sort régulièrement de son
o o
lit (Soc. 19 mai 1988, n  86-41.947, Bull. civ. V, n  297), ou si un règlement
e
prévoyait la possibilité d'une mesure permettant d'éviter le dommage (Civ. 2 ,
er o o
1  avr. 1999, n  97-17.909  , Bull. civ. II, n  65). En matière contractuelle, le
débiteur doit en particulier se renseigner « sur les possibilités de fluctuation du
niveau de la nappe phréatique sur une période de temps suffisamment longue »
e o o
(Civ. 3 , 15 juin 1988, n  87-11.119  , Bull. civ. III, n  109). Pareillement, une
sécheresse exceptionnelle pour laquelle aucune précaution n'aurait pu éviter le
re o
dommage est une force majeure (Civ. 1 , 7 juill. 1998, n  96-15.356  , RGDA
1998. 841, note Vincent ; Defrénois 1999. 544, obs. Périnet-Marquet), alors
e o
qu'elle n'est en soi pas imprévisible (Civ. 3 , 9 déc. 1998, n  97-12.913.  –
e o
Civ. 3 , 28 nov. 2001, n  00-14.320  ). La même logique s'applique à une chute
e e
de neige (Civ. 3 , 19 nov. 1975, JCP 1977. II. 18544, note Mourgeon. – Civ. 3 ,
o o e
28 oct. 1992, n  90-16.726  , Bull. civ. III, n  281. – Civ. 3 , 16 févr. 2005,
o re
n  03-18.999  , RDI 2005. 225, obs. Malinvaud  ), une avalanche (Civ. 1 ,
o
24 janv. 2006, n  03-18.045  ), ou encore au brouillard (Paris ; 31 janv. 1997,
D. 1997. IR 68  ), ainsi qu'à des événements non climatiques (irruption
prévisible d'un sanglier sur une route montagneuse à la fin du mois de
septembre, Chambéry, 2 nov. 1999, Gaz. Pal. 2000. 2. Somm. 1449).

53. Fait du prince. - Le fait du prince est soumis à la même relativité. Il peut


fréquemment être anticipé et il n'est dès lors pas imprévisible (fermeture d'un
e o
débit de boissons après une mise en garde : Civ. 3 , 11 oct. 1989, n  87-
19.490   ; reconduite à la frontière d'un salarié : Versailles, 12 avr. 1995, JCP
1995. IV. 2775 ; refus d'octroi d'une nouvelle concession par une municipalité :
o
Soc. 7 avr. 1993, n  90-43.022   ; refus ministériel d'un cumul d'activités : Soc.
o o
4 févr. 1987, n  84-40.142  , Bull. civ. V, n  54 ; contraintes d'urbanisme
o
rendant prévisible le refus d'un permis de construire : Com. 31 janv. 2006, n  04-
15.164   ; suppression d'une autorisation donnée à titre précaire : Soc. 21 janv.
o o re
1987, n  84-41.232  , Bull. civ. V, n  28 ; augmentation de la TVA : Civ. 1 ,
o
18 mai 2005, n  01-16.243   ; arrêté de fermeture au public d'un magasin pour
e
des raisons sanitaires qui pouvaient être anticipées : Civ. 3 , 28 nov. 2007,
o o
n  06-17.758  , Bull. civ. III, n  213 ; D. 2008. 85, obs. Roquet   ; D. 2008.
1645, obs. Rozès   ; prescription de travaux de sécurité à raison de l'adjonction
e o
par le locataire d'activités complémentaires : Civ. 3 , 13 juin 2007, n  06-
o
13.661  , Bull. civ. III, n  106 ; D. 2007. 1968, obs. Mbotaingar   ; D. 2008.
1645, obs. Rozès   ; intervention d'un décret « moratoire », possibilité envisagée
par la loi, pour le raccordement des installations photovoltaïques au réseau
o
d'ERDF : Com. 9 juin 2015, n  14-15.074   ; D. 2015. 2205, obs. Tréard   ;
RGDA 2015. 490, note Barbaro ; retrait d'une habilitation par l'autorité publique
en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation : Soc. 12 sept.
o
2012, n  11-12.547   ; arrêté de cessation des fonctions prévisible dès lors que
o
l'hypothèse était mentionnée dans le contrat de travail : Soc. 16 mai 2012, n  10-
o
17.726  , Bull. civ. V, n  151 ; D. 2012. 1864, note Fardoux   ; Dr. soc. 2012.
744, note Mouly. Sur la rigueur de la jurisprudence en droit du travail, V.  infra,
os
n  76 s.). Mais la décision des pouvoirs publics peut parfois prendre brutalement
de court le défendeur et elle sera alors considérée comme imprévisible
e
(modification du plan d'occupation des sols imprévisible pour un bailleur : Civ. 3 ,
o e er
9 juill. 2013, n  12-17.012   ; retrait du permis de construire : Civ. 3 , 1  juin
o o
2011, n  09-70.502  , Bull. civ. III, n  89 ; D. 2011. 2679, obs. Monge   ; RDI
2011. 447, obs. Poumarède   ; intervention d'un arrêté municipal réglementant
re o
la publicité : Civ. 1 , 29 nov. 1965, Bull. civ. I, n  655 ; abrogation d'un arrêté
ministériel réglementant le taux de commissionnement des intermédiaires
d'assurance : Versailles, 13 nov. 1998, Gaz. Pal. 2000. 1. Somm. 260).

54. Indices de la prévisibilité d'événements naturels. - Si les magistrats se


montrent parfois peu diserts sur la justification de l'imprévisibilité, par exemple
lorsqu'il est seulement affirmé que « l'effritement d'une falaise calcaire sous
e
l'effet de l'érosion n'était pas un événement imprévisible… » (Civ. 2 , 17 mars
o
1993, n  91-18.731  ) ou que la pollution atmosphérique a « un caractère
re o
général et en conséquence prévisible » (Civ. 1 , 5 juill. 1988, n  86-18.725  ),
ils appuient toutefois souvent leur décision sur des indices importants, voire
évidents (un billet anonyme avec menace de sabotage rend l'événement
re o o
prévisible : Civ. 1 , 26 janv. 1971, n  68-12.567  , Bull. civ. I, n  27, RTD civ.
1971. 863, obs. Durry). Outre les circonstances temporelles et locales déjà
évoquées, les indications fournies par les services météorologiques sont
précieuses dans l'appréciation de l'imprévisibilité d'un phénomène climatique :
des vents localement très violents pourront ne pas caractériser la force majeure
e o
s'ils ont fait l'objet d'un communiqué préventif (Civ. 2 , 2 avr. 2009, n  07-
e o
22.005  ) ou d'une procédure d'alerte graduée (Civ. 2 , 18 mars 1998, n  95-
o o
22.014  , Bull. civ. II, n  97 ; JCP 1998. I. 144, n  13, obs. Viney), de même que
le ruissellement naturel des eaux conjugué à l'instabilité des sols dans un secteur
e o
géographique (à l'origine d'une pollution : Civ. 2 , 23 sept. 2004, n  03-13.160  ,
o
Bull. civ. II, n  432 ; RDI 2005. 259, note Trébulle  ), alors que des coulées de
boues consécutives à un orage violent peuvent recevoir cette qualification si la
e
périodicité de l'événement est statistiquement faible sur un même site (Civ. 2 ,
o o
2 avr. 2009, n  08-11.191  , RLDC 2009/61, n  3456, obs. Bugnicourt). De
même, l'existence d'un rapport et d'autres documents laissant pressentir
e
l'événement rendent l'effondrement d'une falaise prévisible (Civ. 2 , 29 avr.
o o
1998, n  96-17.286  , Bull. civ. II, n  144. Et, a contrario, l'absence de signes
avant-coureurs d'un éboulement de grande ampleur, même dans une zone à
e o
risques élevés, rend un éboulement imprévisible : Civ. 2 , 2 juill. 2015, n  14-
21.914  ). La jurisprudence prend également en considération les antécédents
re o e
dans la zone concernée (Civ. 1 , 19 févr. 1964, Bull. civ. I, n  98. – Civ. 2 ,
o o e o
5 févr. 1992, n  90-19.675  , Bull. civ. II, n  45. – Civ. 3 , 28 janv. 1998, n  96-
e
10.696  [attentat]) ou la fragilité particulière du sol (Civ. 3 , 24 mars 1993,
o o
n  91-13.541  , Bull. civ. III, n  46 ; RTD civ. 1993. 594, obs. Jourdain  ).

55. Indices de la prévisibilité d'événements non naturels. - La diversité des


événements susceptibles d'être qualifiés de force majeure permet à la
jurisprudence d'avoir recours à toutes sortes d'indices lorsque l'incident n'est pas
naturel : ainsi, pour le ricochet d'un plomb de chasse, c'est la nature du sol, outre
e
les circonstances de l'accident, qui pourront être prises en considération (Civ. 2 ,
o
29 avr. 1966, Bull. civ. II, n  503) ; une série d'attentats pour un simple risque
d'attentat (Paris, 14 mars 1990, RTD civ. 1990. 488, obs. Jourdain. Mais pour
re o
l'annulation d'un festival 4 mois à l'avance   : Civ. 1 , 14 janv. 1997, n  95-
o
11.145  , Bull. civ. I, n  21 ; Dr. et patr. juill.-août 1997. 83, obs. Chauvel) ; le
e o e
contexte local (Civ. 3 , 2 oct. 2012, n  11-21.589.  – Civ. 3 , 3 avr. 2007,
o
n  06-12.681  , AJDI 2007. 560, obs. Forest  ), les précautions prises par un
e o
locataire ou l'absence de négligence de ce dernier (Civ. 3 , 15 oct. 2013, n  12-
e o e
23.126.  – Civ. 3 , 14 sept. 2010, n  09-69.051.  V. égal. Civ. 3 , 26 mai
o e o
2009, n  05-15.579. – Civ. 3 , 18 mars 1998, n  96-10.769  , RGDA 1998. 832,
obs. Rémy) pour un incendie criminel, ou les risques spécifiques à une usine
o o
(Com. 30 mai 2012, n  10-17.803.  Plus rigoureux : Soc. 19 juin 2007, n  06-
o
44.236.  Péremptoire : Com. 11 oct. 2005, n  03-10.975  , Bull. civ. IV,
o o
n  206 ; JCP 2006. I. 111, n  13, obs. Stoffel-Munck) pour un incendie d'origine
e o
inconnue (V. égal. Civ. 3 , 18 mai 2017, n  16-12.467  , qui écarte la force
majeure en s’appuyant uniquement sur l’origine indéterminée de l’incendie). Mais
certains événements plus particuliers apparaissent toutefois naturellement
prévisibles, tels que des signaux sonores et visuels liés à l'intervention des
secours, ainsi que le déclenchement intempestif de l'alarme d'un véhicule, dans
e
un spectacle organisé dans une agglomération très fréquentée (Civ. 2 , 13 juill.
o o
2000, n  98-21.530  , préc. n  44), ou la fuite d'un oléoduc et les dommages
er o o
pouvant en résulter (Com. 1  juill. 2008, n  04-17.902  , Bull. civ. IV, n  133).
Paradoxalement, l'existence de moyens préventifs peut parfois être considérée
comme un indice de la prévisibilité de l'événement (présence de grillages aux
abords d'immeubles pour un dommage causé par un arbuste : Versailles, 18 juin
1999, D. 1999. IR 226  ).

56. Indifférence à l'égard de l'état de catastrophe naturelle. - La


conception relative de la force majeure est par ailleurs parfaitement illustrée par
la jurisprudence concernant l'état de catastrophe naturelle déclaré par
l'Administration. En effet, une telle décision ne constitue pas nécessairement un
cas de force majeure : l'arrêté interministériel, qui va permettre la mise en œuvre
de la garantie obligatoire contre les risques de catastrophe naturelle (figurant
impérativement dans certains contrats visés par la loi), est une simple décision
e o
administrative qui ne lie pas le juge (Civ. 3 , 24 mars 1993, n  91-13.541  ,
os o
préc. – Soc. 25 oct. 1995, n  93-40.868 et 93-40.870, Bull. civ. V, n  285. –
e o
Civ. 3 , 4 juin 1997, n  95-17.322  , RGDA 1997. 785, note Périnet-Marquet ;
e er o
Gaz. Pal. 1998. 2. Somm. 514, note Peisse. – Civ. 3 , 1  déc. 1999, n  98-
e o o
10.106.  – Civ. 3 , 10 déc. 2002, n  01-12.851  , Bull. civ. III, n  256 ;
Defrénois 2003. 261, obs. Savaux ; D. 2004. Somm. 843, obs. Pierre  . –
e o
Civ. 3 , 27 févr. 2008, n  06-19.348  , préc. – Contra : Nîmes, 22 sept. 1992,
o
RGAT 1992. 872, obs. Bigot. – Paris, 7 déc. 1988, RCA 1989, n  180),
principalement si les circonstances atmosphériques n'ont fait que provoquer la
re
réalisation d'un risque préexistant (Civ. 1 , 15 juill. 1993, RGAT 1994. 185, note
Périnet-Marquet). Les critères de la catastrophe naturelle que sont l'intensité
anormale d'un agent naturel et l'inassurabilité du risque (C. assur., art. L. 125-
1  , al. 3) ne sauraient en effet se confondre avec les caractères de la force
majeure (sur cette question, V. LEDUC, Catastrophe naturelle et force majeure,
RGDA 1997. 409). Mais les deux qualifications ne sont pas pour autant
re o
exclusives, l'une de l'autre et coïncident parfois (Civ. 1 , 26 janv. 1999, n  97-
re o
10.028  , et Civ. 1 , 7 juill. 1998, n  96-15.356  , préc. – Comp., en droit public
et dans une perspective plus large, HAGÈGE, La reconnaissance de la force
majeure à l'occasion de catastrophes naturelles : mythe ou réalité ?, LPA 6 sept.
o
2002, n  179, p. 3).

57. Transports de marchandises. - La jurisprudence est fluctuante à l'égard du


transporteur de marchandises lorsque celui-ci a subi une agression (alors que la
sévérité est de mise lorsqu'est en cause un préjudice corporel d’une personne
transportée). On pourrait ici estimer, en prenant appui sur l'idée de répartition
des risques dans le contrat, qu'une telle agression ne constitue jamais une force
majeure pour le transporteur à l'égard de son client, d'autant plus qu'une
re
assurance peut être souscrite (élément pris en considération par Civ. 1 , 4 févr.
o re
1997, n  94-22.203  , Dr. et patr. nov. 1997. 81, obs. Chauvel. Rappr. Civ. 1 ,
o o
9 mai 1994, n  91-21.876  , Bull. civ. I, n  164, qui écarte la force majeure à
propos du vol d'une lettre simple, car les services postaux offraient à l'usager la
possibilité de se prémunir contre ce risque). C'est ce que la Cour de cassation
semble admettre dans certains cas. Par exemple, le vol de matériel informatique
à la suite d'un guet-apens paraît difficilement imprévisible dès lors que le contrat
o
en cause est un contrat de transport sécurisé (Com. 8 mars 2011, n  10-
o
12.807  , RD transp. 2011, n  79, note Paulin) ou lorsque le transporteur
connaissait la nature de la marchandise transportée et s'était engagé à prendre
les précautions nécessaires pour assurer la sécurité du convoi (Com. 3 oct. 1989,
o o
n  87-18.479  , Bull. civ. IV, n  246 ;  JCP 1990. II. 21423, concl. Jéol ; RTD
civ. 1990. 488, obs. Jourdain   ; JCP 1990. II. 21423, concl. Jéol ; RTD civ.
1990. 658, obs. Mestre   ; D. 1990. Somm. 269, obs. Rèmond-Gouilloud   ; RTD
com. 1990. 255, obs. Bouloc).  Mais, au-delà, la jurisprudence s'attache aux
circonstances de l'agression. Elle peut être ainsi une force majeure à raison de sa
e
rapidité rendant impossible toute réaction du chauffeur (Civ. 2 , 9 févr. 1983,
Gaz. Pal. 1983. 2. Pan. 212, note F. C.), ou ne pas l'être si des indices
o
permettaient de prévoir l'événement (Com. 23 févr. 1988, n  86-17.604  , Bull.
o
civ. III, n  87. – Paris, 12 nov. 1996, Gaz. Pal. 1997. 1. 73, concl. Benas
[transport aérien de personnes]). Plus encore, le courant jurisprudentiel se
os
fondant sur la seule irrésistibilité (v. supra, n  43 s.) avait pu admettre que
l'agression du transporteur est un cas de force majeure, « quels qu'aient été les
systèmes de sécurité mis en place » lorsque ses circonstances « excluaient toute
o o
résistance du chauffeur » (Com. 29 mai 2001, n  98-17.247  , préc. n  44.
er o o
V. égal. Com. 1  oct. 1997, n  95-12.435  , préc. n  45), mais écarter cette
qualification dès lors que la prévisibilité de l'agression aurait dû permettre d'en
o o
éviter les effets (Com. 29 févr. 2000, n  97-17.707  , préc. n  45). L'autonomie
retrouvée du critère de l'imprévisibilité, allié à une force majeure spécifiquement
contractuelle, pourrait laisser augurer d'une appréciation globalement plus sévère
(comp. dans le contexte de l'application de la Convention de Genève du 19 mai
o
1956 [CMR] : Com. 14 juin 2016, n  14-11.664  ).

§ 2 - Les circonstances liées au défendeur

58. Appréciation in abstracto circonstancielle. - L'exigence d'une


appréciation in abstracto de l'imprévisibilité, qui s'infère aujourd'hui de l'article
er
1218 alinéa 1 du code civil en matière contractuelle et qui est classique en
e o e
matière extracontractuelle (Civ. 2 , 6 juill. 1960, Bull. civ. II, n  439. – Civ. 2 ,
o e
4 oct. 1961, Bull. civ. II, n  627 ; D. 1961. 755, note Esmein. – Civ. 2 , 6 avr.
o e o e
1965, Bull. civ. II, n  355. – Civ. 2 , 29 juin 1966, préc. n  52. – Civ. 3 , 29 juin
o o
1988, n  86-13.926  , Bull. civ. III, n  119), n'interdit pas de prendre en
considération certaines qualités du défendeur dès lors qu'il s'agit seulement
d'affiner l'appréciation in abstracto, que l'on peut alors qualifier « [d']
o
appréciation in abstracto circonstancielle » (SAINT-PAU, op. cit., n  16), sans
pour autant verser dans une appréciation purement psychologique (v. supra,
o
n  49). À propos d'une grève, la Cour avait par exemple exigé des juges du fond
qu'ils recherchent si « les circonstances particulières du conflit qui opposait la
SNCF à son personnel rendaient raisonnablement prévisible l'extension à d'autres
re o
régions du mouvement de grève entamé » (Civ. 1 , 18 mai 1989, n  87-
o
16.051  , Bull. civ. II, n  205), formule qui mêle une appréciation abstraite à des
considérations concrètes.

59. Compétences particulières du défendeur. - Ce sont en particulier les


qualités professionnelles du défendeur qui sont prises en considération dans
l'appréciation de l'imprévisibilité, parfois de manière implicite lorsque la Cour
précise qu'un événement « ne présentait pas, pour [la société débitrice], les
re o
caractères d'une cause étrangère » (Civ. 1 , 23 févr. 1994, n  92-11.378  , Bull.
o
civ. I, n  76 ; D. 1995. 214, note Dion  ), ou une défaillance technique – même
re
lorsqu'elle émane d'un tiers – pour un fournisseur d'accès à internet (Civ. 1 ,
o o
19 nov. 2009, n  08-21.645  , préc., n  17). Mais le raisonnement est également
parfois plus explicite, par exemple lorsqu'il est jugé que la liquidation judiciaire
d'un prestataire et la démission successive de deux maîtres d'œuvre ne sont pas
e o
imprévisibles pour un promoteur immobilier (Civ. 3 , 13 juill. 2016, n  15-
20.190  ), ou que l'occupation de locaux pendant plus de deux ans par des
squatters n'est pas un événement imprévisible pour un professionnel de
o o
l'immobilier (Com. 8 déc. 2009, n  08-70.331  , Dr. fisc. 2010, n  74. V. égal.
re o o
Civ. 1 , 19 juin 1990, n  89-10.127  , Bull. civ. I, n  181 ; RTD civ. 1990. 658,
obs. Mestre  . Rappr. pour une société informatique, la présence d'un virus sur
o o
une disquette : Com. 25 nov. 1997, n  95-14.603  , préc. n  32), ni un
revirement de jurisprudence pour un juriste averti qui connaissait la controverse
finalement tranchée par le nouvel arrêt (Paris, 9 juin 1961, D. 1961. 297, note
e
Radouant. V. égal. la référence à un" cultivateur averti" par Civ. 2 , 24 déc. 1957
o
Bull. civ. II, n  816). Mais le raffinement de l'appréciation in abstracto peut aussi
s'opérer au-delà des connaissances professionnelles, par exemple par la
connaissance de caractéristiques locales telle que la formation d'une plaque de
verglas pour un automobiliste des hauts-plateaux jurassiens par temps brumeux
e o e o
(Civ. 2 , 19 oct. 1966, Bull. civ. II, n  85. Rappr. Civ. 2 , 30 nov. 1972, n  71-
o e o
12.483  , Bull. civ. II, n  252. – Civ. 2 , 5 oct. 1961, Bull. civ. II, n  636).

60. Imprévisibilité illusoire pour la SNCF. - Cette logique est poussée à une


grande extrémité à propos de la responsabilité de la SNCF, aussi bien
contractuelle qu'extracontractuelle lorsqu'est en cause un préjudice corporel
(V. déjà à propos de la prévisibilité d'un attentat [déboulonnage d'un rail] en
re
période de troubles sociaux : Civ. 1 , 30 juin 1953, D. 1953. 642. Et à propos
re o o
d'un trolleybus : Civ. 1 , 31 mai 1977, n  75-14.483, Bull. civ. I, n  203). Une
longue série d'arrêts témoigne de la grande sévérité de la Cour de cassation à
os
son égard, sur le terrain de l'irrésistibilité (V. infra, n  79 s.) comme sur celui de
l'imprévisibilité (les deux sont ici souvent mêlés puisque la Cour se contente le
plus souvent d'affirmer que le comportement en cause ne présentait pas les
caractères de la force majeure) : ni le fait pour un accompagnateur de vouloir
e o
descendre en marche du train (Civ. 2 , 19 nov. 2009, n  09-10.849  ), ni le
heurt par un train d'un véhicule immobilisé sur la voie malgré les barrières de
e o e
protection (Civ. 2 , 27 mars 2014, n  13-13.790.  – Civ. 2 , 10 nov. 2009,
o o o
n  08-20.971  , RCA 2010, n  5, obs. Groutel ; Gaz. Pal. 11 mars 2010, n  70,
e o
p. 14, obs. Mekki. – Civ. 2 , 5 avr. 2007, n  06-10.797   ; RTD civ. 2007. 574,
e
obs. Jourdain  ), ni la présence d'un piéton sur un passage à niveaux (Civ. 2 ,
o o
23 janv. 2003, n  00-14.980  , Bull. civ. II, n  18 ; D. 2003. 2465, note Depadt-
Sebag   ; RTD civ. 2003. 301, obs. Jourdain  ), ni le fait pour un passager en
e o
retard de tenter de prendre le train en marche (Civ. 2 , 21 déc. 2006, n  06-
e
10.976  , RTD civ. 2007. 574, obs. Jourdain. V. égal. Civ. 2  , 3 mars 2016,
o e
n  15-12.217   ; D. 2016. 766, note Rias  ) ou de sauter en marche (Civ. 2 ,
o o
23 janv. 2003, n  00-15.597  , Bull. civ. II, n  17 ; D. 2003. 2465, note Depadt-
Sebag   ; RTD civ. 2003. 301, obs. Jourdain  ), ni le fait du tiers qui tire
re o
importunément le signal d'alarme (Civ. 1 , 23 juill. 1979, n  78-12.985  , Bull.
o
civ. I, n  228), ni la hâte d'un passager à descendre d'un train et qui provoque
re o o
une bousculade (Civ. 1 , 29 oct. 1975, n  74-11.540  , Bull. civ. I, n  302), ni la
présence d'une personne au comportement imprudent dans une gare désaffectée
e o
dépourvue de signalétique préventive (Civ. 2 , 4 juill. 2013, n  12-23.562  ) ni,
e
de manière générale, les agressions subies par les passagers (Civ. 2 , 3 juill.
o o
2002, n  99-20.217  , Bull. civ. II, n  183 ; D. 2002. 2631, note Gridel   ;
Gaz. Pal. 2002. 1756, concl. Sainte-Rose et note F. Chabas ; RTD civ. 2002. 821,
o
obs. Jourdain   ; JCP 2003. I. 152, n  31, obs. Viney) ne sont considérées
comme imprévisibles.

61. Admission exceptionnelle de l'imprévisibilité pour la SNCF. - Cette


politique jurisprudentielle éloigne le régime applicable à la SNCF d'une logique de
responsabilité pour le faire tendre vers une logique d'indemnisation quasi
automatique proche de celui des accidents de la circulation. De manière à peine
voilée, l'objectif est d'inciter la SNCF à mettre en œuvre sur son réseau toutes les
mesures de précaution nécessaires, mais plus celle-ci « s'emploie à prévoir toutes
les hypothèses les plus inattendues, moins les événements qui surviennent ne
e
sauraient être imprévisibles à son égard » (TERRÉ, obs. sur Civ. 2 , 13 juill. 2006,
JCP 2006. Actu. 428). Dans ce flot de décisions, un seul arrêt a pu récemment
reconnaître une force majeure. Il s'agissait en l'espèce d'une agression subie par
un voyageur, événement que les autres arrêts estiment prévisible pour la SNCF,
mais qui était ici « soudaine », consécutive à un comportement totalement
« irrationnel » et sans au préalable aucune « manifestation d'une agitation
re o o
anormale » (Civ. 1 , 23 juin 2011, n  10-15.811  , Bull. civ. I, n  123 ; D. 2011.
1817, obs. Gallmeister   ; D. 2011. 2891, obs. Gelbard-Le Dauphin   ; D. 2012.
47, obs. Gout   ; D. 2012. 1439, obs. Kenfack   ; RTD civ. 2011. 772, obs.
o o
Jourdain   ; CCC 2011, n  230, obs. Leveneur ; Gaz. Pal. 6 oct. 2011, n  279,
o
p. 13, obs. Mekki ; JCP 2011. Doctr. 1333, n  9, obs. Bloch). Faut-il y voir le
signe d'une inflexion de la jurisprudence relative à la responsabilité de la SNCF ou
simplement une admission exceptionnelle de la force majeure au regard de la
gravité et de la soudaineté des faits ? La seconde hypothèse est la plus probable,
car la Cour s'attache dans cette décision à reprendre avec une rare précision les
éléments de la force majeure, ce qui permet de penser qu'elle va continuer à y
voir une hypothèse exceptionnelle (en ce sens : MEKKI et BLOCH, obs. préc.).
L'agression en cause échappait à la sphère de l'obligation de sécurité de résultat
de la SNCF, car aucune mesure n'aurait pu la prévenir.

Art. 3 - Le moment de l'appréciation de l'imprévisibilité

62. Distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité


extracontractuelle. - L'imprévisibilité a une raison d'être plus affirmée en
o
matière contractuelle qu'en matière extracontractuelle (V. supra, n  48).
Puisqu'elle doit permettre de rechercher ce que les parties ont souhaité intégrer
dans l'obligation contractuelle du débiteur qui invoque une force majeure, il est
er
logique que l'article 1218 alinéa 1 du code civil ait pris soin d'affirmer que
l'événement en cause ne doit pas avoir été raisonnablement prévu « lors de la
conclusion du contrat » et au non au jour de sa réalisation comme il est admis en
matière extracontractuelle. Défendue depuis longtemps par la doctrine (MAZEAUD
o re
et TUNC, op. cit., n  1576. – J. MAZEAUD, note ss. Civ. 1 , 7 mars 1966, JCP
1966. II. 14878), cette solution avait déjà été clairement affirmée par la Cour de
re o
cassation (Civ. 1 , 20 juin 1962, Bull. civ. I, n  323, connaissance par les
vendeurs de l'immeuble au jour de la vente de l'obstacle légal pour expulser un
re o
occupant. – Civ. 1 , 7 mars 1966, préc. n  45, les juges du fond auraient dû
rechercher si une grève ayant empêché EDF de fournir du courant de façon
permanente à un professionnel était normalement prévisible lors de la formation
re o
du contrat) et constamment été réaffirmée depuis (Civ. 1 , 30 oct. 2008, n  07-
o re o o
17.134  , préc. n  22. – Civ. 1 , 4 févr. 1997, n  94-22.203  , préc. n  57. –
er
TGI Paris, 1  juill. 1991, JCP 1991. II. 21762, note Harichaux [prévisibilité d'une
contamination par le sida à la suite d'une transfusion sanguine au jour de la
re o o
transfusion]. – Civ. 1 , 19 juin 1990, n  89-10.127  , préc. n  59. – Com. 3 oct.
o o re o
1989, n  87-18.479  , préc. n  57. – Civ. 1 , 18 mai 1989, n  87-16.051  , Bull.
o
civ. I, n  205. – Com. 11 janv. 1984, Gaz. Pal. 1984. 2. Pan. 165, obs. Dupichot.
o o o
– Cass., ch. mixte, 4 févr. 1983, n  80-12.977  et n  80-14.853  , préc. n  31.
o
– Com. 21 nov. 1967, préc. n  31. V. toutefois un arrêt qui semble écarter cette
solution affirmant que l'imprévisibilité d'une grève est liée à sa durée
o o
exceptionnelle : Com. 6 mars 1985, n  83-17.40, Bull. civ. IV, n  90 ; D. 1986.
IR 213, obs. Vasseur) et notamment par l'assemblée plénière (Cass., ass. plén.,
o o
14 avr. 2006, n  02-11.138, préc. n  22).

63. Respect des prévisions des contractants. - La solution s'explique par la


volonté de prendre en considération les prévisions des contractants, et en
particulier celle du débiteur : celui-ci a conclu le contrat en mesurant les données
prévisibles lors de la conclusion du contrat (pour une appréciation critique :
o
L. THIBIERGE, thèse préc., n  389). Apprécier l'imprévisibilité à ce moment
permet ainsi de ne pas aller au-delà des obligations acceptées par ce débiteur.
Par conséquent, un événement prévisible lors de la conclusion du contrat mais
irrésistible en cours d'exécution ne doit en principe pas être qualifié de force
majeure. Inversement, l'événement qui devient prévisible seulement en cours
d'exécution du contrat pourra accéder à cette qualification dès lors qu'il est
également irrésistible. La règle peut présenter un réel avantage pour le débiteur
dans un contrat de longue durée puisque beaucoup d'événements peuvent ne
devenir prévisibles qu'au cours de l'exécution ; elle peut à l'inverse être drastique
dans ces mêmes contrats dès lors que le débiteur sera tenu de garantir tous les
événements qui pouvaient être jugés prévisibles lors de l'échange des
o
consentements (VINEY, JOURDAIN et CARVAL, op. cit., n  397).

64. Difficultés d'appréciation de l'imprévisibilité contractuelle. - La


fermeté de cette règle ne résout évidemment pas toutes les difficultés : faut-il
apprécier cette imprévisibilité initiale de manière absolue (tel type d'événement
était objectivement prévisible pour tel contrat) ou plus précise (tel événement
précis était prévisible pour un contrat en particulier) ? La jurisprudence relative à
la grève témoigne des incertitudes en la matière. Il va de soi que si, non
seulement la cause, mais la date précise de la grève sont connues lors de la
conclusion du contrat, l'événement n'est pas une force majeure. Pourtant, la
chambre sociale a pu juger que, même entamée avant la conclusion du contrat
(en l'espèce un contrat de transport conclu au moment de la prise en charge des
marchandises), la grève peut demeurer imprévisible pour le débiteur dans son
ampleur et dans sa durée (à propos de la grève des cheminots de décembre
1995, car « nul ne pouvait prévoir au moment où le préavis de grève a été
déposé » que celle-ci durerait plus d'un mois et paralyserait la vie économique du
o o
pays tout entier : Soc. 11 janv. 2000, n  97-18.215  , préc. n  31), ce qui
témoigne d'une appréciation très concrète de l'imprévisibilité. De manière plus
classique mais toujours par une analyse circonstanciée, la Cour avait pu juger
une grève probable en raison du climat social, sans que l'on sache toutefois si
cette prévisibilité existait lors de la conclusion du contrat ou à l'approche de son
o
exécution (Com. 12 nov. 1969, Bull. civ. IV, n  327 ; JCP 1971. II. 16791, note
de Juglart et du Pontavice), ou encore que, lors de la conclusion d'un contrat en
1968, une grève survenue en 1977 était imprévisible car « le mouvement
revendicatif qui avait rendu nécessaires les interruptions de courant intervenues
dans l'entreprise, en décembre 1977, avait été décidé par les organisations
syndicales et par la majorité des employés en raison de nouvelles et récentes
directives gouvernementales en matière de salaires » (Cass., ch. mixte, 4 févr.
o o
1983, n  80-12.977  , préc., n  31), mêlant ainsi l'imprévisibilité à l'extériorité.
Plus récemment, la première chambre civile paraît avoir prôné une appréciation
très abstraite de la prévisibilité de la grève par la censure d'un arrêt qui avait
admis la force majeure à propos de coupures de courant délibérées et annoncées
re o o
par leurs auteurs (Civ. 1 , 30 oct. 2008, n  07-17.134  , préc. n  22), c'est-à-
dire un événement devenu concrètement prévisible seulement en cours
d'exécution du contrat (mais la cassation peut aussi s'expliquer parce que les
juges du fond s'étaient fondés sur la seule irrésistibilité). La Chambre
commerciale a quant à elle mis en œuvre une appréciation plus concrète, dans
une affaire où la grève du personnel d'un port est reconnue comme une force
majeure pour un prestataire à l'égard d'un armateur, car il « n'était pas en
mesure de prévoir cette paralysie pendant la période des travaux », mais pas
o
pour le port lui-même (Com. 16 juin 2015, n  13-24.698  ).
65. Répartition des risques du contrat. - Puisqu'il s'agit ici de tenter de
respecter les prévisions des parties au contrat, l'essentiel est surtout de s'atteler
à la détermination de ce qu'elles ont réellement souhaité intégrer dans le champ
o
contractuel (pour un bon exemple d'une telle analyse : Com. 18 juin 2013, n  11-
26.975  ). En effet, rechercher la prévisibilité de l'événement au moment de la
conclusion du contrat « signifie que la force majeure en matière contractuelle doit
être appréhendée à la lumière des prévisions des parties et qu'elle s'apprécie par
rapport à ce qu'ont voulu et envisagé les contractants » (GÉNICON, note ss
re
Civ. 1 , 30 oct. 2008, RDC 2009. 62) afin de sonder la répartition explicite ou
implicite des risques d'inexécution, et non le contenu précis des obligations
contractuelles. Certains risques prévisibles dans l'absolu peuvent ainsi avoir été
légitiment pris en compte par le débiteur, peut-être parfois par le simple silence
du contrat, alors que d'autres, tout aussi prévisibles, n'auront pas été pris en
considération. En d'autres termes, le juge appelé à apprécier cette imprévisibilité
contractuelle doit se livrer « à un calcul de probabilité lors de la conclusion du
contrat » (GÉNICON, note préc.). Il ne faut toutefois pas se dissimuler qu'une
telle logique, aussi rationnelle puisse-t-elle paraître au premier abord, repose sur
le postulat contestable d'une volonté des parties embrassant très largement le
contexte contractuel puisqu'elle inclurait les risques d'inexécution plus ou moins
prévisibles et pas uniquement le contenu du contrat (« sous couvert de vérifier ce
que l'on pouvait prévoir, on juge en réalité ce que l'on devait prévoir »,
o
L. THIBIERGE, thèse préc., n  389). C'est accorder beaucoup d'importance à la
rationalité supposée des parties, ce qui peut parfaitement se comprendre pour les
grands contrats d'affaires ou encore pour certaines prestations particulières (par
ex., le risque de vol est prévisible pour le transport de biens précieux et devrait
être assumé par le débiteur), mais l'on peut estimer qu'une interprétation aussi
poussée de la volonté des parties est difficilement transposable à tous les
contrats. Qui plus est, une analyse trop brutale de la prévisibilité contractuelle
irait certainement à l'encontre du critère désormais légal d'un événement
er
raisonnablement prévisible (C. civ., art. 1218  al. 1 ).

Section 3 - L'irrésistibilité

66. L'irrésistibilité est le noyau dur de la force majeure, l'élément vers lequel les
deux précédents critères doivent permettre de converger, « elle traduit la
supériorité de la force face à celle de l'homme qui l'affronte » (ANTONMATTEI,
o
thèse préc., n  77) ou, plus simplement, l'idée qu'elle est un phénomène contre
lequel on ne peut rien. Ce qui ne signifie pas qu'elle soit la seule condition
pertinente, contrairement à ce qu'avait pu affirmer de manière abrupte la
première chambre civile (« la seule irrésistibilité de l'événement caractérise la
re o o
force majeure » : Civ. 1 , 6 nov. 2002, n  99-21.203  , préc., n  34). Elle
présente plusieurs facettes qu'il faut d'abord tenter d'appréhender dans sa
os
définition (V. infra, n  67 s.) avant d'examiner la manière dont elle est appréciée
os
(V. infra, n  73 s.).

er
Art. 1 - Définition

67. L'irrésistibilité en matière contractuelle. - En matière contractuelle,


er
l'article 1218 alinéa 1 du code civil précise désormais que la force majeure est
l'événement « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures
appropriées » et qui « empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».
Sur ce point, le texte est peu satisfaisant car il semble réduire l'irrésistibilité à
l'impossibilité d'empêcher les effets de l'événement et à l'impossibilité d'exécuter
(cette dernière peut même être perçue comme une simple conséquence de la
force majeure : la structure du texte le laisse entendre et les articles 1350 et
1350-1 C. civ. prévoient justement certaines des conséquences de
« l'impossibilité d'exécuter »), là où il eût été utile d'évoquer également (et
alternativement à l'impossibilité de prévenir ses effets à la manière de l'article
100 du projet Terré de réforme du droit des contrats) l'impossibilité de prévenir
l'évènement lui-même. On peut certes considérer que la condition tenant à un
« événement échappant au contrôle du débiteur » traduit moins une survivance
de l'extériorité que l'idée d'un événement inévitable (en ce sens : BROS, La force
o
majeure, Dr. et patr. juin 2016, n  259, p. 40, qui y voit « l'autre aspect de
l'irrésistibilité »), mais le projet Terré, duquel provient le critère de l'absence de
contrôle, évoquait cet élément et l'impossibilité de prévenir l'événement lui-
même. On peut également être tenté de voir dans l'exigence d'imprévisibilité de
l'événement une forme de redondance de l'irrésistibilité (suggérant cette
hypothèse : BOUCARD, art. préc.). Mais, en définitive, force est de reconnaître
que la clarté n'est pas de mise dans la formulation de ce qui est pourtant la
quintessence de la force majeure ! Le texte mêle en effet le projet Terré, la
position de la Cour de cassation émanant de ses arrêts du 14 avril 2006 et les
idées de M. ANTONMATTEI (qui se concentrait sur l'irrésistibilité en la déclinant en
3 caractères : inévitabilité – appréciée avant l'événement – irrésistibilité stricto
sensu – appréciée pendant l'événement – et impossibilité d'exécuter appréciée
o
après l'intervention de l'événement : thèse préc., n  77 s. ; Ouragan sur la force
majeure, préc. Comp. SABARD, thèse préc., qui voit deux éléments dans
l'irrésistibilité : « son inévitabilité (irrésistibilité dans sa survenance) et son
o
insurmontabilité (irrésistibilité dans ses effets) » [n  101]), sans parvenir à une
synthèse claire.

68. L'irrésistibilité en matière extracontractuelle. - En matière


extracontractuelle, dans l'attente d'une réforme de la responsabilité civile, la
jurisprudence continuera probablement à se référer simplement à l'irrésistibilité.
Mais la Cour de cassation pourra également être tentée de prendre acte de
l'existence d'une définition propre au droit des contrats et vouloir ainsi démarquer
la force majeure extracontractuelle, éventuellement en s'inspirant de l'actuel
[mars 2017] projet de réforme dont l'article 1253 alinéa 2 fait disparaître la
condition d'imprévisibilité de la force majeure, reprend celle d'un événement
incontrôlable et précise qu'elle est l'évènement dont l'on ne pouvait « éviter ni la
réalisation ni les conséquences par des mesures appropriées », manière de se
focaliser sur l'inévitabilité tout en ajoutant un critère d'extériorité formellement
édulcoré. Dans les deux ordres de responsabilité, il est loin d'être certain que ces
modifications s'accompagneront de réelles modifications substantielles tant la
jurisprudence a toujours exercé sur la notion de force majeure un pouvoir
prépondérant.

69. Impossibilité d'exécution et exécution plus difficile. - En matière


contractuelle, l'impossibilité d'exécuter doit être distinguée d'une difficulté accrue
dans l'exécution ou de l'exécution plus onéreuse que prévue, insuffisante pour
constituer la force majeure (Civ. 5 déc. 1927, DH 1928. 84. – Orléans, 30 juill.
1942 DC 1943. 17, note Tunc. – Com. 18 janv. 1950, D. 1950. 227. – Soc.
o o o
8 mars 1972, n  71-40.429  , Bull. civ. V, n  190. – Com. 31 mai 1976, n  75-
o
14.625  , Bull. civ. IV, n  186. – Com. 31 oct. 1978, Gaz. Pal. 1979. 1. Pan. 38.
e o
– Com. 3 janv. 1979, JCP 1979. IV. 79. – Civ. 3 , 16 avr. 1986, n  84-14.782  ,
o
Bull. civ. III, n  41. – Versailles, 6 janv. 1993, D. 1993. IR 52  . – Com. 6 mai
1997 [transport ferroviaire international de marchandises : les effets d'une grève
o
auraient pu être évités par le recours à un autre trajet], n  94-15.589  , Bull.
o
civ. IV, n  127 ; RTD com. 1998. 196, obs. Bouloc.  – Paris, 28 janv. 2009, RTD
civ. 2009. 529, obs. Fages.  – Com. 3 mars 2015 [cassation d'un arrêt qui avait
justifié la résiliation d'un contrat à durée déterminée par la fermeture définitive
o
de l'établissement de l'auteur de la rupture], n  13-22.573.  V. égal.
l'affirmation de ce principe dans une affaire de fraude à l'assurance maladie :
e o
Civ. 2 , 10 mars 2016, n  10-26.135). Lorsqu'est en cause une maladie, on peut
ainsi estimer que l'irrésistibilité est acquise si le contrat n'est pas en mesure
d'être exécuté par un tiers qui viendrait se substituer au débiteur empêché (dans
o o
l'un des deux arrêts du 14 avril 2006 [n  02-11.168, préc. n  22], la Cour prend
ainsi soin de préciser que seul le débiteur était en mesure de réaliser la machine
commandée).

70. Force majeure et imprévision. - Mais cette distinction permettait surtout


autrefois de ne pas admettre indirectement la théorie de l'imprévision (V.
Imprévision [Civ.] ). Depuis que cette dernière a fait son entrée en droit positif
o
avec l'ordonnance n  2016-131 du 10 février 2016, elle doit servir à distinguer la
force majeure, qui permet de libérer le débiteur empêché par l'événement, des
« circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat » qui ont rendu
« l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté
d'en assumer le risque », qui autorisent le débiteur incommodé par un
changement de circonstances, à demander la renégociation du contrat (C. civ.,
nouv. art. 1195  ). L'événement peut ainsi se voir refuser la qualification de
force majeure parce que l'on pouvait en pallier les inconvénients par une
o
exécution par substitution, même plus onéreuse (Com. 12 nov. 1969, préc. n  64.
o
– Com. 18 janv. 1958, Bull. civ. III, n  257. – Com. 12 nov. 1952, Bull. civ. III,
o
n  350). Une approche plus souple serait théoriquement concevable (V. la
position de la Cour de cassation belge qui, par application de la Convention de
Vienne sur la vente de marchandises, a jugé qu'une partie peut être exonérée de
sa responsabilité en cas non pas de force majeure, mais de circonstances non
raisonnablement prévisibles, avec le droit de réclamer une renégociation du
contrat : Cass. belge, 19 juin 2009, RDC 2010. 1405, note Fauvarque-Cosson),
par l'intermédiaire d'une analyse plus subjective de la répartition contractuelle
des risques, et permettrait d'ailleurs peut-être d'amoindrir les difficultés de mise
en œuvre de la distinction entre l'impossibilité d'exécution et la simple difficulté
d'exécution (GÉNICON, Les traitements légaux : mesures préventives, in Crise
économique et contrat : les remèdes, RDC 2010. 456), avec toutefois la difficulté
d'avoir à rechercher une volonté des parties souvent mystérieuse. Cela
supposerait surtout de revenir sur la rigueur très prononcée avec laquelle la
jurisprudence apprécie la force majeure depuis l'avènement des responsabilités
contractuelles objectives, recul auquel la jurisprudence contemporaine ne paraît
guère disposée. Une analyse plus subjective de la force majeure, dont certains
estiment qu'elle serait induite par la réforme des obligations (OUDOT, art. préc.),
pourrait y encourager, mais, à l'inverse, la nécessité de distinguer les champs
respectifs des nouveaux articles 1218 et 1195 du code civil incite plutôt au
maintien d'une démarcation nette (sur cette question et plus largement,
o
V. L. THIBIERGE, thèse préc., n  509 s., qui propose d'unifier les conditions
d'application de l'imprévision et de la force majeure avec comme seule critère de
démarcation la gravité de l'imprévu, afin d'instaurer un traitement progressif de
l'imprévu en distinguant l'imprévu menaçant, qui imposerait aux parties un devoir
de renégocier de bonne foi, de l'imprévu dirimant, qu'il identifie comme
l'impossibilité définitive d'atteindre le but contractuel et qu'il propose de
sanctionner par la caducité du contrat. Cette seconde hypothèse correspond selon
l'auteur à la force majeure, qu'un traitement progressif de l'imprévu permettrait
selon lui de prévenir).

71. Inexécution d'une obligation monétaire. - On estime traditionnellement


qu'il est impossible, ou a minima très difficile, d'invoquer avec succès la force
majeure si l'obligation litigieuse porte sur une chose fongible (Paris, 21 déc.
1916, DP 1917. 2. 33 note Capitant), solution que l'on relie classiquement à
l'adage genera non pereunt (les choses de genre ne périssent pas) qui permet
d'affirmer que le débiteur d'une chose de genre « est toujours à même de la
o
remplacer en en rachetant une autre » (MAZEAUD et TUNC, op. cit., n  1585).
Ainsi, le débiteur d'une chose fongible, même spécifique, ne peut se prévaloir de
la défaillance de son fournisseur, événement non irrésistible dès lors que ce
re
dernier ne jouissait d'aucun monopole dans sa production (Civ. 1 , 12 juill. 2001,
o o
n  99-18.231  , Bull. civ. I, n  216, à propos d'une substance agroalimentaire).
En pratique, la solution concerne essentiellement les obligations monétaires
re o o
(Civ. 1 , 23 avr. 1969, Bull. civ. I, n  138 et n  141. – Paris, 19 avr. 1991,
D. 1992. Somm. 199, obs. Paisant  ), qui ne pourraient guère être concernées
par la force majeure : en raison de la possibilité de remplacement de la
monnaie, « il n'existe pas de force majeure financière » (BÉNABENT, op. cit.,
o
n  347). La Cour de cassation a récemment rappelé cette règle, avec une formule
péremptoire (« le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent
inexécutée ne peut s'exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force
o o
majeure » : Com. 16 sept. 2014, n  13-20.306  , Bull. civ. IV, n  218 ; JCP
2014. 1117, note V. MAZEAUD, D. 2014. 2217, note FRANÇOIS   ; RDC 2015.
21, obs. Laithier) qui ne sied pas nécessairement à la réalité. À première vue,
l'affirmation peut se comprendre (même si elle se justifie plus par le droit de gage
général que par l'adage genera non prereunt puisque la perte du patrimoine du
débiteur est « rigoureusement impossible » [FRANCOIS, note préc.]) car il serait
dangereux pour la sécurité juridique de permettre au débiteur d'une obligation
monétaire d'invoquer une notion aussi variable que la force majeure et que le
droit positif organise de multiples procédures d'insolvabilité et délais de grâce (où
la force majeure peut permettre d'apprécier la bonne foi du débiteur) qui
permettent d'appréhender les difficultés financières du débiteur. Admettre ici la
force majeure pourrait éventuellement être compréhensible en équité, mais cela
o
serait théoriquement critiquable (CARBONNIER, op. cit., n  162). Il est en effet
préférable pour le juge d'accorder des délais de grâce au débiteur de bonne foi
plutôt que de le libérer de sa dette, car « ce n'est jamais une pénurie objective de
monnaie qui paralyse l'exécution […], mais toujours l'insolvabilité du débiteur »
(LIBCHABER, Recherches sur la monnaie en droit privé, thèse, LGDJ, t. 225, préf.
o
MAYER, 1992, n  469).

72. Retard dans le paiement d'une obligation monétaire. - La Cour de


cassation avait pourtant un temps été tentée par un relâchement de cette
solution lorsqu'une situation de chômage était invoquée comme force majeure
e o o
(Civ. 3 , 19 avr. 1972, n  71-10.505  , Bull. civ. III, n  247 ; D. 1973. 205, note
Souleau ; JCP 1972. II. 17153, note P. L. ; RTD civ. 1973. 583, obs. Durry), mais
e o
cette tendance n'avait pas eu de suite (Civ. 3 , 10 avr. 1975, n  74-10.379  ,
o e
Bull. civ. III, n  115 ; RTD civ. 1976. 151, obs. Durry. Plus récemment : Civ. 3 ,
o
20 mai 2014, n  13-16.534  , qui ne relie toutefois pas la question à l'adage
genera non pereunt puisqu'il est affirmé que « l'impossibilité d'exécution n'était
pas démontrée faute d'être définitive et absolue »). Il est pourtant envisageable
d'admettre ici la force majeure, même de manière marginale, notamment lorsque
le débiteur a subi une contrainte extérieure l'empêchant de percevoir la somme
avec laquelle il aurait dû exécuter son obligation rapidement et que l'exécution
tardive n'est plus satisfactoire (V. MAZEAUD, note préc.). En outre, la force
majeure pourrait jouer pour neutraliser les éventuelles conséquences de
o
l'inexécution d'une obligation monétaire (FRANCOIS, note préc. V. supra, n  71) :
par exemple, la mise en œuvre d'une clause résolutoire après un incident
e
technique ayant empêché l'exécution d'un virement bancaire (Civ. 3 , 17 févr.
o e o
2010, préc. n  23. – V. égal. Civ. 3 , 16 avr. 1986, n  84-14.782  , Bull. civ. III,
o
n  41), la dette d'intérêts moratoires que l'article 1231-6 [anc. 1153] du code
o
civil impose au débiteur d'une obligation monétaire (Soc. 15 avr. 1970, n  69-
o
40.253  , Bull. civ. V, n  249. – Toulouse, 12 déc. 1984, Gaz. Pal. 1985.
Somm. 111. V. égal. pour l'application d'une clause écartant l'effet exonératoire
re o
de la force majeure pour le défaut de paiement : Civ. 1 , 16 mars 2016, n  14-
20.204  ) ou une déchéance consécutive au retard (Civ. 11 avr. 1922, S. 1923.
20). Dans ces exemples, la force majeure ne libère pas le débiteur de l'obligation
monétaire, elle lui permet simplement de ne pas avoir à subir les conséquences
d'un manquement à la ponctualité qui ne lui est pas imputable. La reconnaissance
légale du possible effet suspensif de la force majeure (C. civ., art. 1218  al. 2)
devrait rationnellement pouvoir permettre d'envisager plus largement la force
majeure lorsqu'il s'agit d'absoudre le débiteur de son retard et non pas de le
libérer du paiement de l'obligation monétaire elle-même. Il est même possible de
libérer le débiteur lorsqu'il invoque la force majeure en qualité de créancier d'une
o
prestation (sur ce point, V. infra, n  96 et FRANCOIS, note préc.).

Art. 2 - Appréciation

73. Diversité des événements potentiellement irrésistibles. - Si l'on songe


spontanément à des événements naturels pour illustrer l'irrésistibilité (V. à
o
propos de la condition d'imprévisibilité, supra, n  51) dès lors qu'ils ont eu une
e o e
gravité exceptionnelle (Civ. 3 , 10 déc. 2013, n  12-25.331.  – Civ. 2 , 27 juin
o o e o
1973, n  72-11.881  , Bull. civ. II, n  209. – Civ. 3 , 15 févr. 1972, n  70-
o
13.240  , Bull. civ. III, n  96 ; JCP 1972. II. 17213 note Liet-Veaux.), l'examen
de la jurisprudence témoigne que les circonstances les plus variées peuvent
constituer un événement irrésistible : la perte d'un testament olographe suite au
re
décès de l'expert judiciaire auquel il avait été remis (Civ. 1 , 30 mars 2016,
o
n  15-12.773) ; l'impossibilité de procéder à la réintégration du locataire expulsé
malgré la nullité de la procédure d'expulsion à raison de la présence d'un nouveau
e o
locataire (Civ. 2 , 5 juin 2014, n  13-18.599  ) ; une maladie orpheline apparue
e o
après des travaux de ravalement (Civ. 3 , 17 juin 2014 [bail], n  13-15.162  ) ;
la grève du barreau qui permet à une juridiction de se dispenser d'assurer
o
l'effectivité du droit à l'assistance d'un avocat (Crim. 23 mai 2013, n  12-
o o
83.721  , Bull. crim. n  114 ; JCP 2013, n  875, note Bolze ; l'arrêt ne permet
toutefois pas à la juridiction de retenir l'état de récidive légale relevé au cours de
o
l'audience sans la présence de l'avocat. – V. déjà Crim. 9 mai 1994, n  94-
o o
80.802  , Bull. crim. n  174. – Crim. 11 juill. 1990, n  90-82.613  , Bull. crim.
o
n  282) ; la dissimulation par un syndic de copropriété de travaux de surélévation
d'un immeuble à l'origine de fissures au cours de travaux réalisés sur l'immeuble
e o
voisin (Civ. 3 , 15 janv. 2013, n  11-28.371  ) ; un incident technique au sein
d'un établissement bancaire au cours de la période estivale, en fin de semaine, et
e o
qui a empêché l'exécution d'un virement bancaire (Civ. 3 , 17 févr. 2010, n  08-
o
20.943  , préc. n  23) ; une hospitalisation d'office rendant impossible la
o
régularisation d'un appel (Crim. 27 oct. 2004, n  04-85.037  , Bull. crim.
o
n  258 ;  RSC. 2005. 103, obs. Giudicelli  ) ; une manifestation qui dégénère
en émeute et échappe au contrôle des forces de l'ordre (Com. 26 juin 2001,
o
n  97-18.410  ) ; le décès subit d'un nourrisson de moins de six mois (Grenoble,
11 déc. 2000, JCP 2002. IV. 1560) ; une réquisition des forces de gendarmerie
qui a rendu impossible l'audition d'un mis en examen par le juge d'instruction
o o
(Crim. 28 avr. 1998, n  98-80.754  , Bull. crim. n  143 ; Dr. pénal 1998.
o
Chron. 29, par Lesclous et Marsat) ; le fait du prince (V. supra, n  53. Adde : Soc.
o o
7 mai 2002, n  00-42.370  , Bull. civ. V, n  143) ; un incendie (Soc. 12 janv.
o e o
1967, Bull. civ. IV, n  44. – Civ. 3 , 21 déc. 1987, n  86-14.626  , Bull. civ. III,
o e o o
n  211. – Civ. 3 , 12 déc. 1990, n  89-14.919  , Bull. civ. III, n  260).

74. Incertitudes sur les modalités d'appréciation de l'irrésistibilité. -


Comme pour l'imprévisibilité, le principe est celui d'une appréciation in abstracto
o o
circonstancielle (V. supra, n  49 et n  58), c'est-à-dire par comparaison avec un
individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances
externes que l'agent, si bien que « les obstacles particuliers au débiteur sont
o
rejetés » (MAZEAUD et TUNC, op. cit., n  1572. – Plus nuancé : DEJEAN DE LA
os
BÂTIE, thèse préc., n  102 s.), ce qui n'exclut pas de prendre en considération
« toutes les circonstances réelles (…), voire certaines circonstances personnelles
au débiteur (…) dès lors qu'elles sont compatibles avec le caractère normatif du
o
standard de référence » (SAINT-PAU, art. préc., n  10). Dans des arrêts déjà
anciens, la Cour de cassation a ainsi pu se référer à un événement
e o e
« normalement » irrésistible (Civ. 2 , 6 juill. 1960, Bull. civ. II, n  439. – Civ. 2 ,
o
4 oct. 1961, Bull. civ. II, n  627, D. 1961. 755, note Esmein), mais elle a
également pu censurer un arrêt pour n'avoir pas recherché si « concrètement »
re
une grève avait mis le débiteur dans l'impossibilité absolue d'exécuter (Civ. 1 ,
o
31 mai 1989, n  87-17.236   ; RTD civ. 1990. 488, obs. Jourdain  ). Il est vrai
qu'il n'est guère simple en la matière de faire le départ entre une appréciation in
abstracto circonstancielle et une appréciation in concreto (certains y voient
d'ailleurs une véritable appréciation in concreto : VINEY, JOURDAIN et CARVAL,
o
op. cit., n  399). Aucune règle de principe ne peut véritablement constituer un
guide fiable tant l'appréciation de l'irrésistibilité est susceptible de varier en
fonction de l'intensité que la jurisprudence souhaite donner à l'obligation
litigieuse. Les standards classiques sont finalement ici un peu dépassés
(l'appréciation in concreto – si on veut bien admettre qu'elle existe sur cette
question –, traditionnellement plus favorable à l'agent objet de la comparaison,
est même ici la source d'une plus grande sévérité) et toutes les tentatives de
systématisation se heurtent à la diversité des situations et à des considérations
externes à la force majeure.

75. Rigueur de la jurisprudence dans l'appréciation de l'irrésistibilité. -


On constate ainsi le plus souvent en jurisprudence une grande rigueur dans
l'appréciation de l'irrésistibilité de l'évènement, souvent sans grande explication
(V. par ex. à propos des résolutions défavorables d'une copropriété à l'installation
e o
de boîtes aux lettres par un bailleur : Civ. 3 , 3 oct. 2012, n  11-22.308.  À
re
propos des conséquences d'une maladie : Civ. 1 , 23 janv. 1968, Bull. civ. II,
o
n  39 ; RTD civ. 1969. 136, obs. Durry. À propos du manquement d'un
contribuable à ses obligations déclaratives à raison de son incarcération : Crim.
o
15 mai 2008, n  07-86.262  ), même lorsque le défendeur avait mis en place des
moyens préventifs pour éviter le dommage (présence de panneaux d'interdiction
e er
pour empêcher le public de donner à manger à un double poney : Civ. 2 , 1  avr.
o
1999, n  97-16.283  , JCP 1999. II. 10218, note Reboul) et que le
comportement de la victime était particulièrement imprudent (absence de preuve
de l'impossibilité de mettre en place un système de protection adéquat ou une
re
information plus précise sur une ligne électrique à haute tension : Civ. 1 ,
o
11 févr. 1999, n  96-22.598  , Dr. et patr. juill.-août 1999. 85, obs. F. Chabas).
Certains arrêts évoquent même une « impossibilité absolue » d'exécuter le
contrat ou de résister à l'événement (par exemple : Soc. 28 févr. 1947, D. 1947.
o
212. –Soc. 12 janv. 1967, Bull. civ. IV, n  44. – Soc. 7 mai 1969, Bull. civ. I,
o e o re o
n  297. – Civ. 3 , 3 mars 1987, n  85-14.003.  – Civ. 1 , 31 mai 1989, n  87-
o o
17.236  , préc., n  74. – Soc. 23 mars 1993, n  91-42.543.  – Soc. 31 mai
o re o e
1994, n  91-45.646.  – Civ. 1 , 14 nov. 2012, n  11-22.853.  – Civ. 2 ,
o e o
14 févr. 2013, n  12-13.339.  – Civ. 2 , 30 mai 2013, n  12-12.089.  – Crim.
o e o
20 janv. 2015, n  13-86.006.   –Civ. 2 , 4 juin 2015, n  14-16.694.  – Crim.
o o
30 mars 2016, n  14-87.183.  – Crim. 30 nov. 2016, n  16-81.526.  Comp.
CJCE 17 sept. 1987, D. 1988. Somm. 171, obs. Cartou), ce qui peut être
interprété comme un choix en faveur de l'appréciation in abstracto. Cette rigueur
est également présente lorsque l'appréciation in abstracto devient
circonstanciée : ainsi, des émeutes ne justifient pas l'annulation du voyage et la
demande de restitution du prix dès lors que la situation s'était apaisée et que
re
l'organisateur avait proposé une modification du circuit (Civ. 1 , 20 janv. 1998,
o o
n  96-12.446  , Bull. civ. I, n  20), ni un attentat dans un pays étranger dès lors
que les participants au séjour avaient pu poursuivre la croisière jusqu'à son terme
re o o
(Civ. 1 , 16 nov. 2004, n  02-17.381  , Bull. civ. I, n  277), ni une grève du
personnel de la SNCF dès lors que les effets de cette grève auraient pu être évités
par le recours à un autre trajet (Com. 6 mai 1997 [application de la Convention
o o
de Berne du 9 mai 1980], n  94-15.589, Bull. civ. IV, n  127 ; RTD com. 1998.
196, obs. Bouloc  ), ni une grève dont les effets auraient pu être amoindris par
o
l'appel à la force publique (Cass., ch. mixte, 4 déc. 1981, n  79-14.207  , préc.
o
n  40), ni l'effritement d'une falaise dès lors que des « purges artificielles
e
pouvaient être réalisées et des parades installées pour l'empêcher » (Civ. 2 ,
o o
17 mars 1993 n  91-18.731  , Bull. civ. II, n  116). De manière exceptionnelle, il
a toutefois été admis que des « difficultés sérieuses » mais « non
insurmontables » pour exécuter des travaux pendant la période des congés payés
e o
dans la région parisienne pouvaient être irrésistibles (Civ. 3 , 24 juin 1971, n  70-
o
12.017  , Bull. civ. III, n  404) ou que l'événement était irrésistible dès que lors
que le débiteur avait pris toutes les précautions nécessaires pour en éviter les
o o
conséquences (Com. 16 mars 1999, n  97-11.428  , préc., n  44) ou pour éviter
er o o
l'évènement lui-même (Crim. 1  oct. 1997, n  95-83.471  , Bull. crim. n  316).

ACTUALISATION
75, 80 s. Caractère imprévisible et irrésistible du fait du tiers. - La
force majeure est caractérisée lorsqu'un tiers, schizophrène, ceinture un
autre homme sur le quai et se jette avec lui sur les rails dans un laps de
temps très court. Compte tenu de ces circonstances caractérisant un
évènement imprévisible et irrésistible, c'est à bon droit que les juges du fond
ont pu écarter la responsabilité de la SNCF sans qu'il puisse être reproché à
re
cette dernière de ne pas avoir installé des façades de quai (Civ. 1 , 8 févr.
o
2018, n  17-10.516   ; Dalloz actualité, 5 mars 2018, obs. Hacene).

Nécessité de caractériser le caractère prévisible et résistible de


l'évènement. Doit être cassé l'arrêt qui se borne à exclure par une
affirmation d'ordre général le caractère imprévisible et irrésistible du heurt et
de la chute d'un usager poussé par un tiers, sans expliquer en quoi ces
évènements ne l'étaient pas et en affirmant sans plus de précision que le
re
transporteur ferroviaire avait les moyens de les empêcher (Civ. 1 , 8 févr.
o
2018, n  16-26.198  , Dalloz actualité, 5 mars 2018, obs. Hacene).

76. Extrême rigueur de la jurisprudence en droit du travail. - Mais que dire


alors de la jurisprudence en droit du travail ? Certes, la grève, dès lors qu'elle
o
échappe au contrôle de l'entreprise qui la subit (V. supra, n  31) et qu'elle était
imprévisible, peut parfois constituer une force majeure dans les relations entre
l'entreprise et ses partenaires contractuels s'il n'existait aucun autre moyen
o o
d'exécuter (Soc. 6 oct. 1971, n  71-40.105  , Bull. civ. V, n  542 ; JCP
o
1973. II. 17323, note Lazerges-Rothe. – Cass., ch. mixte, 4 févr. 1983, n  80-
o o o
12.977  , et n  80-14.853, préc. n  31. – Com. 8 mars 1993, n  81-11.075, Bull.
o re o re
civ. IV, n  99. – Civ. 1 , 24 nov. 1993, n  91-19.308.  – Civ. 1 , 24 janv. 1995,
o o o o
n  92-18.227  , préc. n  31. – Soc. 11 janv. 2000, n  97-18.215  , préc. n  31),
si le débiteur avait vainement demandé l'intervention de la force publique après
e
l'obtention d'une ordonnance portant expulsion des salariés (a contrario : Civ. 3 ,
o
12 nov. 2015, n  13-19.885  ) et lorsqu'elle était illicite et ne permettait pas à
re o
l'employeur de s'organiser pour en pallier les effets (Civ. 1 , 11 juin 1996, n  94-
14.125  , Dr. soc. 1997. 377, note Antonmattei  ). Mais aucune mansuétude ne
semble aujourd'hui être de mise lorsqu'un employeur invoque la force majeure à
l'égard d'un salarié. La relativité de la force majeure est en effet à l'heure actuelle
un argument chimérique lorsque l'employeur souhaite se délier immédiatement
du contrat de travail. La volonté de protection du salarié, conjuguée parfois avec
l'existence de règles spéciales, fait, dans l'immense majorité des hypothèses,
obstacle à la reconnaissance de la force majeure (il n'en a pas toujours été ainsi :
o o
Soc. 30 juin 1988, n  85-43.921  , Bull. civ. V, n  403. – Soc. 6 mars 1986
o
[chômage technique comme conséquence d'une grève], n  83-43.062  , Bull.
o
civ. V, 80. – Soc. 12 janv. 1967, Bull. civ. IV, n  44. – Soc. 7 mai 1969, Bull.
o
civ. I, n  297), à l'aide d'affirmations péremptoires plutôt que de justifications
o
circonstancielles (V. cependant : Soc. 8 janv. 1987, n  84-42.924  , Bull. civ. V,
o o
n  7. – Soc. 3 mars 1993, n  89-42.272   ; D. 1994. Somm. 306, obs. Vacarie 
).

77. Droit du travail : contrats à durée déterminée. - Ainsi, pour condamner


la rupture anticipée de contrats de travail à durée déterminée (l'art. 1243-1
er
al. 1  C. trav. prévoit pourtant la possibilité de rompre un contrat à durée
déterminée avant l'échéance du terme en cas de force majeure), il est affirmé
sans nuances que « la liquidation judiciaire, quand bien même elle entraîne la
disparition de l'entreprise, ne constitue pas un cas de force majeure » (Soc.
o o
20 oct. 1993, n  91-43.922  , Bull. civ. V, n  240), de même que le
o
redressement judiciaire (Soc. 6 mai 1998, n  96-40.867  , Dr. soc. 1998. 835,
obs. Karaquillo   ; D. 1998. 611, note Lagarde   ; D. 2000. Somm. 5, obs.
o
Derrida  ), la cessation complète d'activité (Soc. 16 juin 1993, n  92-42.342.  –
o
Soc. 22 sept. 1993, n  91-43.693.  ) ou les simples difficultés économiques (Soc.
o o
28 avr. 1986, n  84-40.538  , Bull. civ. V, n  179 ; D. 1987. 474, note
o o
Karaquillo. –Soc. 20 févr. 1996, n  93-42.663  , Bull. civ. V, n  59 ; D. 1996.
633, note Puigelier   ; RDSS 1997. 614, obs. Alfandari et Hennion-Moreau  ),
quand bien même celles-ci seraient liées à un « état de santé grave de
l'employeur rendant impossible la continuation de l'établissement » (Soc. 25 févr.
o
1992, n  89-43.724  ). Il n'est pas non plus surprenant de constater que la Cour
de cassation considère que la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail
o
n'est pas un cas de force majeure (Soc. 23 mars 1999, n  96-40.181  , Bull.
o o
civ. V, n  136 ; D. 1999. 470, obs. Lagarde.  – Soc. 12 juill. 1999, n  97-
o
41.131  , Bull. civ. V, n  344 ; JCP 2000. II. 10273, note Lachaise ; Dr. soc.
o
1999. 952, obs. Savatier.  – Soc. 23 juin 1988, n  86-42.304  , Bull. civ. V,
o
n  385), ni même le décès de l'employeur d'un employé de maison (Soc. 5 déc.
o o
1989, n  86-43.165  , Bull. civ. V, n  695). Il en va également ainsi dans des
circonstances plus singulières, telles que la suppression du poste d'un salarié
o o
remplacé (Soc. 26 mars 2002, n  00-40.652  , Bull. civ. V, n  103),
o
l'incarcération du salarié (Soc. 25 mars 1998, n  96-40.724   ; JCP 1998.
II. 10178, note Petit.), la dissolution d'une équipe cycliste pour cause de dopage
(Rennes, 5 mars 1998, JCP 1998. IV. 3429), la rupture des relations entre un
producteur et un réalisateur de films (Paris, 3 avr. 1998, D. 1999. Somm. 121,
obs. Hassler et Lapp  ), le décès de l'acteur principal d'une série télévisée (Soc.
o o
12 févr. 2003, n  99-42.285, préc. n  44), la fermeture provisoire de
l'établissement à raison de travaux rendus nécessaires par un incendie (Soc.
o o o
2 févr. 1994, n  90-42.104  , Bull. civ. V, n  37. Rappr. Soc. 10 mai 2006, n  04-
46.067  ), l'exclusion définitive du salarié d'un organisme de formation dans le
o
cadre d'un contrat de professionnalisation (Soc. 31 oct. 2012, n  11-21.734  ,
o o
Bull. civ. V, n  283 ; Rev. proc. coll. 2013, n  53, obs. Taquet), l'échec d'un
salarié aux épreuves théoriques d'une formation professionnelle de chauffeur-
routier dans le contexte d'un contrat de qualification et alors même que le contrat
o
qualifiait un tel échec d'événement de force majeure (Soc. 29 oct. 2008, n  07-
o
40.066  , Bull. civ. V, n  205), des difficultés relationnelles entre un professeur
o o
et un étudiant salarié (Soc. 15 juin 1999, n  96-42.791  , Bull. civ. V, n  276), la
décision d'un directeur de thèse d'arrêter l'encadrement à raison des lacunes du
doctorant qui avait conduit à la rupture d'une convention CIFRE (Soc. 4 nov.
o
2015, n  14-22.851   ; Dr. soc. 2016. 9, obs. Tournaux  ), l'impossibilité pour
un patron-pêcheur de prendre la mer pour des raisons médicales suivie d'une
o
procédure de saisie du bateau (Soc. 19 juin 2013, n  11-22.269  ).

78. Droit du travail : contrats à durée indéterminée. - L'attitude de la Cour


de cassation est similaire lorsqu'il est question d'un contrat à durée indéterminée
dont la rupture pour cause réelle et sérieuse serait défendue par le prisme de la
force majeure ou lorsque sont en cause des indemnités de préavis et de
licenciement. La force majeure n'est pas admise lorsque l'événement émane de
l'employeur ou touche à son activité : ainsi, l'expropriation d'un fonds de
commerce, au moins lorsqu'elle n'entraîne pas inéluctablement la cessation de
o
l'exploitation, ne constitue pas un cas de force majeure (Soc. 22 juin 1994, n  89-
o
44.891  , Bull. civ. V, n  203 ; JCP 1985. II. 22361, note Antonmattei), ni la
o
destruction partielle d'une chaîne de fabrication (Soc. 11 juill. 2006, n  04-
45.265  ), ni la suspension temporaire de l'activité à raison d'un incendie (Soc.
o
25 juin 1997, n  94-44.931), ni un événement climatique ayant détruit une
o
grande partie des vignobles d'un producteur de cognac (Soc. 25 oct. 1995, n  93-
o
40.866  , Bull. civ. V, n  285), ni l'incarcération de l'employeur qui n'a pas d'effet
o
suspensif sur le contrat de travail (Soc. 5 mai 2004 n  03-10.010  , Bull. civ. V,
o
n  122). Mais la tendance est la même quand l'événement touche le salarié, par
o
exemple, et à nouveau, lorsque celui-ci est incarcéré (Soc. 15 oct. 1996, n  93-
o er o
43.668  , Bull. civ. V, n  326. – Soc. 1  juill. 1998, n  96-41.403.  – Soc.
o
3 avr. 2001, n  99-40.944.  V. auparavant : Soc. 19 avr. 1961, Bull. civ. IV,
o o o
n  419. – Soc. 24 avr. 1986, n  83-43.220  , Bull. civ. V, n  171.). Il en va de
même pour le « retrait d'une habilitation par l'autorité publique en raison du
comportement du salarié titulaire de l'habilitation », qui « ne constitue pas, en
o
soi, un cas de force majeure » (Soc. 19 oct. 2016, n  15-23.854.  V. égal. : Soc.
o o
9 avr. 2015, n  13-25.813.  – Soc. 10 déc. 2014, n  13-21.102. Comp. Soc.
o
26 févr. 1964, Bull. civ. IV, n  172). Dans de telles circonstances, la Cour a
toutefois pu admettre que, sans constituer un cas de force majeure, le retrait de
l'agrément pouvait justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse (Soc.
o o
5 mai 1993, n  90-41.639  , Bull. civ. V, n  126 ; D. 1994. Somm. 306, obs.
o
Vacarie  . Mais en sens inverse : Soc. 7 mai 2002, n  00-42.370  , Bull. civ. V,
o
n  143). Cette rigueur dépasse la seule question du licenciement puisqu'il a pu
être jugé que la carence du salarié qui n'a pas rempli le questionnaire de santé
n'exonère pas l'employeur de son obligation de souscrire l'assurance décès
re o o
(Civ. 1 , 30 mars 2004, n  01-03.971  , Bull. civ. I, n  101).

79. Extrême rigueur de la jurisprudence à l'égard de la SNCF. -


L'appréciation de l'irrésistibilité se révèle extrêmement sévère lorsque la force
majeure est invoquée par la SNCF et qu'est en cause la réparation d'un préjudice
corporel, sur terrain extracontractuel comme sur le terrain contractuel (Comp.
re
auparavant à propos de la faute d'une passagère d'un tramway : Civ. 1 ,
30 mars 1954, JCP 1954. II. 8421, note Savatier). La Cour de cassation impose
ici en réalité une véritable obligation de garantie en dépit de toutes les
précautions dont la SNCF tente de se prévaloir (V. déjà, à propos de
os
l'imprévisibilité, supra, n  60 s.). Cette sévérité se manifeste d'abord au regard
des imprudences parfois très lourdes des usagers, qui ne reçoivent que très
rarement la qualification de force majeure. Beaucoup de décisions, pourtant
soigneusement motivées afin de mettre en lumière le comportement totalement
extravagant de certains passagers, sont sèchement censurées par le simple motif
que le comportement de la victime « ne présentait pas les caractères de la force
o
majeure » (Cass., ch. mixte, 28 nov. 2008, n  06-12.307  , Bull. ch. mixte,
o
n  3 ; D. 2009. 461, note Viney   ; D. 2009. Pan. 972, obs. Kenfack   ; D. 2010.
49, obs. Gout   ; RTD civ. 2009. 129, obs. Jourdain   ; JCP 2009. II. 10011,
o o
note Grosser ; JCP 2009. I. 123, n  12, obs. Stoffel-Munck ; RCA 2009, n  4, note
e os
Hocquet-Berg. – Civ. 2 , 21 déc. 2006, n  06-10.172  et 06-10.976  . –
e o o
Civ. 2 , 13 juill. 2006, n  05-10.250  , Bull. civ. II, n  216 ; JCP 2006. Actu. 428,
e o
obs. Terré ; JCP 2007. I. 115, obs. Stoffel-Munck. – Civ. 2 , 15 déc. 2005, n  03-
o e o
16.772  , Bull. civ. II, n  336. – Civ. 2 , 27 févr. 2003, n  01-00.659  , Bull.
o e
civ. II, n  45 ; Dr. et patr. 2003. 90, obs. F. Chabas. – Civ. 2 , 11 janv. 2001,
o o
n  99-10.417  , Bull. civ. II, n  9 ; RTD civ. 2001. 374, obs. Jourdain   ;
e
Gaz. Pal. 2001. 23 avr. 2002, somm. ann., obs. F. Chabas. – Civ. 2 , 25 juin
o o
1998, n  96-19.752  , Bull. civ. II, n  238 ; Dr. et patr. mars 1999. 87,
obs. F. Chabas ; D. 1999. 416 note Lapoyade Deschamps   ; JCP
e o
1998. II. 10191, note Fromion-Hebrard. – Comp. Civ. 2 , 10 nov. 2009, n  08-
o
20.971  , préc. n  60, où la Cour retient le caractère irrésistible du
comportement mais estime qu'il était prévisible). Rares sont à l'heure actuelle les
arrêts de rejet, sauf lorsque les juges du fond n'ont pas retenu la force majeure
e o
(Civ. 2 , 4 juill. 2013, n  12-23.562  , où les juges du fond avaient écarté
e
l'hypothèse d'un comportement suicidaire en dépit de faits troublants. – Civ. 2 ,
o
3 mars 2016, n  15-12.217   ; D. 2016. 766, note Rias  . Adde en matière de
re o
transport fluvial de personnes : Civ. 1 , 16 avr. 2015, n  14-13.440  , préc.
o
n  8).

80. Agressions. - La conception extensive de l'obligation de sécurité mise en


œuvre par la Cour de cassation se retrouve à l'égard des agressions subies par
les voyageurs qui, outre qu'elles ne sont jamais entièrement imprévisibles, ne
re
sont également jamais jugées irrésistibles pour la SNCF (Civ. 1 , 21 nov. 2006,
o o
n  05-10.783  , Bull. civ. I, n  511 ; D. 2007. 15, obs. Gallmeister   ; RTD civ.
e o
2007. 574, obs. Jourdain.  – Civ. 2 , 3 juill. 2002, n  99-20.217  , Bull. civ. II,
o
n  183 ; D. 2002. 2631, note Gridel   ; Gaz. Pal. 2002. 1756, concl. Sainte-Rose
et note F. Chabas ; RTD civ. 2002. 821, obs. Jourdain   ; JCP 2003. I. 152,
o e o o
n  31, obs. Viney. – Civ. 2 , 15 mars 2001, n  99-11.033  , Bull. civ. II, n  56 ;
re o
RTD civ. 2001. 374, obs. Jourdain  . – Civ. 1 , 12 déc. 2000, n  98-20.635  ,
o
Bull. civ. I, n  323 ; Dr. et patr. avr. 2001. 100, obs. F. Chabas ; D. 2001. 1650,
o
note Paulin   ; D. 2001. Somm. 2230, obs. Jourdain   ; CCC 2001, n  53, note
Leveneur ; RCA 2001. Chron. 6, par Groutel, la SNCF n'établissait pas que des
re
rondes aient été effectuées pour assurer la sécurité des voyageurs. – Civ. 1 ,
o o
21 oct. 1997, n  95-19.136  , Bull. civ. I, n  288, ouverture d'une portière par un
tiers agresseur. – V. auparavant, en sens contraire en matière contractuelle, Req.
er
1  août 1929, DP 1930. 1. 25, note Josserand. – Sur ce contenu de l'obligation
de sécurité, V. DEFFERRARD, Une analyse de l'obligation de sécurité à l'épreuve
de la cause étrangère, D. 1999. Chron. 364  ). La SNCF est ainsi tenue de
garantir la sécurité des voyageurs : l'agression n'est jamais jugée irrésistible de
manière à donner toute son utilité à l'obligation de sécurité, qui ne peut être
cantonnée aux situations où la SNCF a commis une faute évidente (SAINTE-
ROSE, concl. préc.) en raison du pouvoir d'ordre qu'elle détient sur des lieux où
chacun peut s'introduire (GRIDEL, La responsabilité contractuelle du transporteur
o
ferroviaire de personnes, RLDC 2012/93, n  4656). On a pu pourtant se
demander si de tels risques entrent réellement dans l'obligation de sécurité du
transporteur. Ainsi, selon M. PAULIN (note préc.), l'obligation de sécurité du
transporteur ne devrait concerner que les seuls risques liés aux opérations qu'il
accomplit et au matériel qu'il utilise, le risque d'agression lui n'étant pas lié au
transport, mais à la concentration de personnes en un même lieu.

ACTUALISATION
75, 80 s. Caractère imprévisible et irrésistible du fait du tiers. - La
force majeure est caractérisée lorsqu'un tiers, schizophrène, ceinture un
autre homme sur le quai et se jette avec lui sur les rails dans un laps de
temps très court. Compte tenu de ces circonstances caractérisant un
évènement imprévisible et irrésistible, c'est à bon droit que les juges du fond
ont pu écarter la responsabilité de la SNCF sans qu'il puisse être reproché à
re
cette dernière de ne pas avoir installé des façades de quai (Civ. 1 , 8 févr.
o
2018, n  17-10.516   ; Dalloz actualité, 5 mars 2018, obs. Hacene).

Nécessité de caractériser le caractère prévisible et résistible de


l'évènement. Doit être cassé l'arrêt qui se borne à exclure par une
affirmation d'ordre général le caractère imprévisible et irrésistible du heurt et
de la chute d'un usager poussé par un tiers, sans expliquer en quoi ces
évènements ne l'étaient pas et en affirmant sans plus de précision que le
re
transporteur ferroviaire avait les moyens de les empêcher (Civ. 1 , 8 févr.
o
2018, n  16-26.198  , Dalloz actualité, 5 mars 2018, obs. Hacene).

81. Exceptionnelle exonération de la SNCF. - Si l'on fait abstraction des


décisions des juges du fond, les décisions récentes ayant pu admettre
re o
l'exonération totale de la SNCF sont rarissimes (Civ. 1 , 6 oct. 1998, n  96-
o
12.540  , Bull. civ. I, n  269 ; RTD civ. 1999. 113, obs. Jourdain)  . Dans la
jurisprudence récente, l'arrêt de la première chambre civile du 23 juin 2011 (Civ.
re o o
1 , 23 juin 2011, n  10-15.811  , préc. supra, n  61), qui a pu voir dans une
agression soudaine et violente un événement de force majeure, fait ainsi figure
de pièce de musée et il est peut-être pour l'heure prématuré d'y voir l'annonce
d'une jurisprudence moins ferme. En effet, si la doctrine témoigne régulièrement
de son étonnement face à une force majeure devenue ici chimérique, elle n'en
trouve pas moins des justifications à cette jurisprudence. D'abord parce qu'elle
aurait des vertus prophylactiques en invitant la SNCF à améliorer
considérablement ses mesures de sécurité (ce qui permet de comprendre l'arrêt
du 23 juin 2011 puisqu'en l'espèce aucune mesure de sécurité raisonnable
n'aurait pu permettre d'éviter l'agression). Ensuite parce que, couplée avec
l'abandon (qui reste toutefois à confirmer et qui ne concerne que la responsabilité
contractuelle) de l'exonération partielle par la faute de la victime en matière de
o
transport ferroviaire interne de personnes (V. supra, n  8), elle participe d'une
politique jurisprudentielle favorable à la réparation intégrale des préjudices
corporels, ce qui invite à voir dans ces solutions une construction prétorienne
o
proche du régime d'indemnisation mis en œuvre par la loi n  85-673 du 5 juillet
1985 pour les accidents de la circulation.

82. L'anticipation jurisprudentielle d'un régime d'indemnisation


automatique. - Parallèlement à cette jurisprudence, il n'est pas anodin de
rappeler que certains auteurs ont pu critiquer l'exclusion des accidents
ferroviaires du champ d'application de la loi de 1985, notamment parce que les
critères assurantiels invoqués à son soutien auraient manqué de pertinence
(VINEY, Conclusion prospective, in Loi Badinter : le bilan de 20 ans d'application,
dir. BRUN et JOURDAIN, 2007, coll. Bibl. Inst. A. Tunc, LGDJ, p. 133 s.). L'article
1285 de l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la responsabilité civile mettant
fin à cette exclusion, cette appréciation fort rigoureuse pourrait, si le texte venait
à être adopté, s'éteindre avec le déplacement de son objet dans un véritable
régime d'indemnisation automatique. Dans l'attente, forte de ce mouvement qui
légitime sa politique, la Cour de cassation poursuivra probablement sur cette voie
en ne laissant que deux échappatoires à la SNCF pour une exonération totale :
l'agression contre laquelle elle ne pouvait absolument rien, ainsi que la recherche
volontaire du dommage par la victime (à propos d'un suicide permettant
o
d'exonérer la RATP de sa responsabilité : Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n  04-
o
18.902  , préc. n  22). Cette dernière hypothèse semble être ouverte par la
décision d'une chambre mixte du 28 novembre 2008 (préc.), qui évoque « la
faute d'imprudence de la victime » qui n'exonère le défendeur que lorsqu'elle
présente les traits de la force majeure, « Quelle qu'en soit la gravité ».
M. GROSSER (note préc.) a pu en inférer que la faute intentionnelle, par
opposition à la faute d'imprudence, pouvait désormais soit être purement et
simplement assimilée à la force majeure (ce qui suppose d'apprécier le
comportement du défendeur. – V. en ce sens les motifs des juges du fond non
e o
critiqués par Civ. 2 , 4 juill. 2013, n  12-23.562  ), soit devenir une cause
autonome d'exonération totale aux côtés de la force majeure (ce qui ouvrirait une
nouvelle voie d'exonération portée sur la seule appréciation de l'attitude de la
victime).
83. Responsabilité du fait des choses et force majeure. - La lumière portée
sur la jurisprudence relative à la SNCF ne doit toutefois pas faire oublier que cette
sévérité ne la concerne pas elle seule : cette conception très restrictive de la
force majeure s'applique en effet à tous les gardiens dont la responsabilité est
er
recherchée sur le fondement de l'article 1242, alinéa 1 , du code civil (anc.
er
art. 1384 al. 1 ). Pour la Cour de cassation, la faute de la victime ne présente
e o
jamais les caractères de la force majeure (Civ. 2 , 8 janv. 2009, n  07-20.711. 
e o o
– Civ. 2 , 16 déc. 2004, n  03-18.860  , RCA 2005, n  83, note Hocquet-Berg. –
e o o
Civ. 2 , 18 mars 2004, n  02-19.454  , Bull. civ. II, n  139 ; D. 2005. 125, note
o e
Corpart   ; LPA 10 nov. 2004, n  225, p. 5, note Laydu. – Civ. 2 , 23 oct. 2003,
o o e o
n  02-16.155  , Bull. civ. II, n  329. – Civ. 2 , 22 mai 2003, n  02-11.692  ,
o e
Bull. civ. II, n  154 ; D. 2004. 523, note Beaugendre  . – Civ. 2 , 27 mars 2003,
o o e o
n  01-13.653  , Bull. civ. II, n  88. – Civ. 2 , 28 nov. 2002, n  01-11.139  . –
e o o
Civ. 2 , 11 juill. 2002, n  01-10.016  , Bull. civ. II, n  174 ; Dr. et patr. nov.
e o
2002. 102, obs. F. Chabas. – Civ. 2 , 27 mai 1999, n  97-16.200  , Bull. civ. II,
o e o e
n  104), ni le fait d'un tiers (Civ. 2 , 13 sept. 2012, n  11-19.941.  – Civ. 2 ,
o
19 nov. 2009, n  08-21.770  ). Les décisions ayant pu admettre l'exonération
totale du gardien sont déjà anciennes et concernent des situations dans lesquelles
la Cour de cassation se montrerait certainement aujourd'hui moins clémente
e o o e
(Civ. 2 , 20 janv. 1993, n  91-17.558  , Bull. civ. II, n  21. – Civ. 2 , 29 mai
o o
1996, n  94-19.823  , Bull. civ. II, n  108 ; D. 1997. 213, note Blanc.   –
e o
V. toutefois, à propos d'une tempête, Civ. 2 , 16 sept. 2010, n  09-66.800.  –
e o o
Civ. 2 , 2 avr. 2009, n  08-11.191  , RLDC 2009/61, n  3456, obs. Bugnicourt. –
e o
Civ. 2 , 13 juill. 2006, n  05-17.199  , RDI 2006. 443, obs. Trébulle  ), sauf
e o
dans la situation particulière de la légitime défense (Civ. 2 , 22 avr. 1992, n  90-
14.586  , D. 1992. 353, note Burgelin   ; RTD civ. 1992. 768, obs. Jourdain  ).
Un arrêt récent a certes pu admettre l'exonération complète du concessionnaire
d'un réseau de gaz pris en sa qualité de gardien, mais dans une affaire où la
faute du demandeur (une société de construction) était patente et pleinement
causale, même si la Cour ne prend pas la peine en l'espèce de se référer
e o
ouvertement à la faute de la victime (Civ. 3 , 23 mars 2017, n  16-12.870  ).

84. Rôle simplement théorique de la force majeure dans la responsabilité


du fait des choses. - La situation du gardien dont la chose a joué un rôle actif
apparaît en réalité sans issue : s'il a pris des précautions utiles pour éviter le
dommage, c'est que celui-ci était prévisible ; s'il est resté passif, son
comportement négligent lui sera reproché. La force majeure présente donc ici
également un « caractère plus théorique que réel » (HOCQUET-BERG, Gardien
cherche force majeure… Désespérément…, RCA 2003. Chron. 12). On sort ici à
nouveau d'une logique de responsabilité au profit d'une logique de garantie
finalement peu éloignée du régime spécial de l'indemnisation des victimes
d'accident de la circulation. Afin de prendre acte de cette évolution et pour tarir
un contentieux important sur une force majeure « introuvable » (GROUTEL, RCA
2003. Repères 4), on propose ainsi parfois de supprimer la force majeure des
causes d'exonération du gardien, cela d'autant plus que, formellement, elle n'est
reconnue qu'en matière contractuelle, et de limiter le rôle de la faute de la
victime à celui d'une simple cause d'exonération partielle (HOCQUET-BERG,
chron. préc.). Ce n'est pas le parti pris par l'actuel [mars 2017] projet de réforme
de responsabilité civile, qui maintient la force majeure comme cause
d'exonération totale mais qui limite l'exonération partielle par la faute de la
victime, pour son préjudice corporel, à la seule hypothèse d'une faute lourde
(art. 1254 al. 2).

Chapitre 3 - Les effets de la force majeure

85. Pourquoi tant de plaideurs s'évertuent-ils à invoquer la force majeure quand


bien même les décisions qui en admettent l'existence sont relativement rares ?
Parce qu'ils espèrent évidemment la libération que leur promet cette qualification
de l'événement auquel ils estiment avoir été confrontés. Mais qu'entend-on
exactement par ce terme de libération ? Il est aujourd'hui plus facile qu'autrefois
de répondre à cette question puisque le code civil comprend désormais une
définition de la force majeure – au moins en matière contractuelle et peut-être
bientôt sur le terrain extracontractuel –, mais également des précisions
concernant ses effets. Formellement, le résultat n'est pas parfait, puisque la
recherche de ces effets suppose d'articuler, parfois fastidieusement, les nouveaux
articles 1218 alinéa 2, 1351 et 1351-1. Sur le fond, les solutions classiques sont
reprises, avec parfois quelques corrections ou précisions. Tenter de les présenter
clairement suppose de distinguer la situation dans laquelle la force majeure crée
os
un empêchement définitif et complet (V. infra, n  86 s.), ce qui est toujours le
cas en matière extracontractuelle, et le plus fréquent en matière contractuelle, de
celle où la force majeure est la source d'un empêchement seulement temporaire
os
ou partiel (V. infra, n  101 s.), question propre aux contrats.

re
Section 1 - En présence d'un empêchement définitif et complet

86. La réalisation d'un événement de force majeure qui met le défendeur dans
l'impossibilité complète d'empêcher la réalisation du dommage soulève
classiquement deux questions, qu'il convient aujourd'hui de résoudre en
articulant les nouveaux articles 1218 alinéa 2, 1351 et 1351-1 du code civil. La
première relève de la responsabilité civile et porte sur l'étendue de l'exonération
permise par la force majeure (sauf évidemment dans les régimes spéciaux
d'indemnisation, en particulier celui des accidents de la circulation, où cette cause
d'exonération a été écartée). La seconde est propre au droit des contrats et
consiste à s'interroger sur le sort du lien contractuel une fois l'empêchement
définitif et complet d'exécuter survenu, au moins en présence d'un contrat
synallagmatique. À la première, le droit positif répond par l'exonération complète
os
de la responsabilité pesant sur le défendeur (V. infra, n  87 s.) ; à la seconde, il
os
répond par la résolution de plein droit du contrat (V. infra, n  94 s.).

er
Art. 1 - Exonération complète de la responsabilité pesant sur le
défendeur

87. La solution classique de l'exonération totale. - Classiquement, la force


majeure a l'effet du tout ou rien. Dès lors qu'elle est démontrée, elle exonère
totalement le défendeur de sa responsabilité (à propos de la responsabilité du fait
d'un animal : Req. 19 août 1878, DP 1879. 1. 215), encore que certains préfèrent
considérer en matière contractuelle que la force majeure est une cause
d'extinction de l'obligation « et par suite de l'obligation aux dommages-intérêts
qui en constitue l'accessoire » (ZENATI-CASTAING et REVET, Obligations,
o
Régime, PUF, 2013, n  120). Dans la jurisprudence contemporaine, la solution est
le plus souvent rappelée à propos de la faute de la victime (V. par ex. : Com.
o re o
22 nov. 2016, n  14-25.092.   – Civ. 1 , 16 avr. 2015, n  14-13.440  , préc.
o
n  8), en dehors évidemment des régimes spéciaux dans lesquels le législateur l'a
neutralisée. En matière contractuelle, la solution n'est qu'implicite dans la
rédaction du nouvel article 1231-1 du code civil (« le débiteur est condamné, s'il
y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de
l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que
l'exécution a été empêchée par la force majeure »), alors que l'ancien article
1148 du même code précisait « [qu'] il n'y a lieu à aucuns dommages et
intérêts » en présence d'une force majeure ou d'un cas fortuit (V. égal. l'anc.
C. civ., art. 1302  , en des termes surannés et uniquement pour la perte de la
er
chose due). En matière extracontractuelle, l'article 1253 alinéa 1 de l'actuel
[mars 2017] projet de réforme de la responsabilité civile est plus explicite (« le
cas fortuit, le fait du tiers ou de la victime sont totalement exonératoires s'ils
revêtent les caractères de la force majeure »). L'exonération totale, que l'on
explique soit par la rupture du lien causal, soit par la preuve de l'absence de faute
os
(V. supra, n  12 s.), distingue ainsi la force majeure des autres causes
étrangères. La faute de la victime n'emporte en effet qu'une exonération partielle
(par contraction des deux phases de l'obligation et de la contribution à la dette),
sauf à ce qu'elle revête les traits de la force majeure. Quant au fait du tiers, il
emporte également exonération totale s'il est qualifié de force majeure ; à défaut,
il demeure indifférent s'il n'est pas un fait générateur de responsabilité pour le
tiers et, dans le cas inverse, il ne permet pas au défendeur, par le jeu de
l'obligation in solidum, d'échapper à une condamnation intégrale, mais il l'autorise
seulement à exercer ensuite un recours en contribution (le fait du tiers intervient
donc alors au stade de la contribution à la dette mais aucunement à celui de
l'obligation à la dette). Mais, dans le projet de réforme de la responsabilité civile,
que fait alors le simple cas fortuit dans la liste des évènements emportant
l'exonération totale s'ils ont les caractères de la force majeure ? Sa présence peut
être anodine pour éviter un truisme (la force majeure exonère totalement… si elle
est une force majeure), mais elle ouvre potentiellement la voie à une
interprétation a contrario du texte (le cas fortuit qui n'est pas une force majeure
n'exonère que partiellement) qui pourrait permettre au simple fait de la nature
partiellement exonératoire de faire son retour !

88. Causalité partielle, force majeure et fait de la nature. - La règle de


l'exonération totale avait en effet un temps été contestée. Plusieurs auteurs
avaient défendu l'idée selon laquelle la faute ou le fait de la chose peut coexister
avec la force majeure (ou, disaient certains, avec le fait de la nature) et entraîner
pour son auteur l'obligation de réparer le dommage seulement en partie
(RADOUANT, thèse préc. et notes D. 1958. 73, 1961. 68 et 1962. 297. –
DEREUX, Du dommage causé par le concours d'un délit et d'un cas fortuit ou de
force majeure, Lois nouvelles 1943. 1. 73 ; De la réparation due par l'auteur
d'une seule des fautes dont le concours a causé un préjudice, RTD civ. 1944.
e
155. – TUNC, note ss. Civ. 2 , 17 déc. 1963, D. 1964. 569. – BORÉ, La causalité
partielle en noir et blanc ou les deux visages de l'obligation in solidum, JCP
o e
1971. I. 2369, n  32 ; note ss. Civ. 2 , 23 avr. 1971, JCP 1972. II. 17086. –
NERSON, note ss. Com. 19 juin 1951, S. 1952. 1. 89). Ce raisonnement, appliqué
par ces auteurs à d'autres causes étrangères que la force majeure, comme le fait
du tiers ou celui de la victime, repose sur un postulat causaliste. Pour ces
auteurs, la théorie de la causalité adéquate oblige à rejeter la règle du « tout ou
rien », et donc à fractionner le résultat, c'est-à-dire le dommage, en autant de
parts qu'il y a de causes adéquates du dommage : chaque auteur se voit donc
imputer une fraction du dommage, fraction qui est elle-même fonction du degré
d'adéquation de la cause. S'il existe plusieurs causes adéquates, chacune n'est
considérée que comme une cause partielle. Parmi ces causes, peut, dit-on, figurer
la force majeure ou sa version édulcorée qu'est le fait de la nature (ce qui a
conduit à un certain flottement conceptuel et terminologique). C'est donc ainsi
que le défendeur sera libéré pour partie de son obligation de réparer, grâce à
cette cause partielle du dommage. C'est là une conception originale de la force
majeure, qui devient un fait autonome dont l'appréciation peut se faire
indépendamment de celle du comportement ou même de l'obligation de l'agent.
On a pu parler d'une véritable « personnalisation » de la force majeure, ce pour
quoi certains auteurs préféraient utiliser, pour évoquer cette responsabilité
fractionnée, l'expression de fait de la nature (BORÉ, art. préc. – MAZEAUD et
o
TUNC, op. cit., n  1611). Y aurait-il donc une notion de fait de la nature distincte
de celle de force majeure ?
89. Application de la causalité partielle. - La Cour de cassation s'était laissé
convaincre à plusieurs reprises, en admettant le fractionnement du préjudice en
autant de parts qu'il y a de causes, et libérant ainsi pour partie le défendeur. En
dehors de l'hypothèse d'un fait de la nature, le raisonnement avait ainsi été
e o
appliqué en présence du fait d'un tiers (Civ. 2 , 15 janv. 1960, Bull. civ. II, n  46.
e o e
– Civ. 2 , 24 avr. 1964, Bull. civ. II, n  328. – Civ. 2 , 3 févr. 1965, Bull. civ. II,
o e o
n  113. – Civ. 2 , 29 mars 1966, Bull. civ. II, n  436. À raison de l'absence de
recours du défendeur contre le transporteur bénévole ou un tiers non identifié :
e o
Civ. 2 , 9 mars 1962, Bull. civ. II, n  295 ; D. 1962. 625, note Savatier ; JCP
e o
1962. II. 12728, note Esmein. – Civ. 2 , 21 déc. 1965, Bull. civ. II, n  1069 ; JCP
e
1966. II. 14736, note Dejean de la Bâtie. – Civ. 2 , 7 juin 1968, Bull. civ. II,
o e
n  165.), du fait, même non fautif, de la victime (Civ. 2 , 29 nov. 1967, JCP
e o
1968. II. 15446, note Mourgeon. – Civ. 2 , 25 janv. 1968, Bull. civ. II, n  35. –
e
Civ. 2 , 12 mai 1971, JCP 1972. II. 17086, note Boré). Il l'est encore en présence
d'une faute de la victime que l'on oppose à ses ayants droit qui se prévalent d'un
préjudice par ricochet, les obligeant à se contenter d'une indemnisation partielle
(Cass., ch. réun., 25 nov. 1964, D. 1964. 733, concl. Aydalot ; JCP
o
1964. II. 13972, note Esmein. – Cass., ass. plén., 19 juin 1981, n  79-11.193 
o o
et n  78-91.827  , Bull. ass. plén. n  3 et 4 ; D. 1982. 85, concl. Cabannes, note
F. Chabas. – Pour les accidents de la circulation, V. la transposition de cette règle
par l'art. 6 de la loi du 5 juill. 1985. V. égal. sa reconnaissance générale par
l'article 1256 de l'actuel [mars 2017] projet de réforme de la responsabilité
civile). Mais l'exemple avait déjà été donné auparavant par la jurisprudence,
certes réduite, relative à la force majeure ou, tout au moins, à des événements
susceptibles d'être reconnus comme force majeure mais auxquels certains
critères faisaient défaut et qui n'étaient donc que de simples « faits de la nature »
(ce pourquoi certains auteurs prennent soin de préciser que ces arrêts n'ont pas
reconnu une force majeure partiellement exonératoire, mais seulement des cas
fortuits prévisibles ou évitables à l'effet partiellement exonératoire : VINEY,
o
JOURDAIN et CARVAL, op. cit., n  402). Le partage avait été ainsi opéré entre le
gardien d'un navire et la cause étrangère (une tempête et un fait du prince) sur
er
la base de l'ancien article 1384 al. 1 du code civil (Com. 19 juin 1951, 2 arrêts,
D. 1951. 717, note Ripert ; S. 1952. 1. 89, note Nerson) et même dans la
responsabilité extracontractuelle pour faute pour exonérer partiellement l'auteur
e
d'une faute antérieure à un cas de force majeure (Civ. 2 , 13 mars 1957,
D. 1958. 73, note Radouant ; JCP 1957. II. 10084, note Esmein ; S. 1958. 77,
note Meurisse).

90. Contestation de la causalité partielle. - Malgré quelques précédents en


matière délictuelle ou contractuelle (Req., 22 févr. 1910, S. 1910. 1. 448. – Civ.
o
31 juill. 1912, DP 1914. 1. 144. – Civ. 10 mars 1948, Bull. civ. I, n  83), ces
solutions étaient relativement nouvelles. Elles ont pu être inspirées par le désir
d'indemniser au moins pour partie des victimes qui auraient pu tout aussi bien
être déboutées si la force majeure avait été reconnue, mais elles conduisaient
surtout à laisser à sa charge une partie d'un dommage qu'elle n'avait pourtant
pas contribué à réaliser, alors même que le fait pris en considération pour
prononcer cette responsabilité partielle lui était le plus souvent étranger,
parfaitement normal et non susceptible d'être reconnu comme un fait générateur
o
de responsabilité (SAINT-PAU, op. cit., n  52). Partant, elles constituaient une
menace importante pour le principe de la réparation intégrale. Le raisonnement
en lui-même n'était guère convaincant, car, dans la réalisation d'un dommage,
l'intervention des forces ou tout au moins des lois de la nature est toujours
nécessaire, ce qui devrait conduire à ne jamais réparer entièrement (« le
dommage a toujours deux causes – et même bien davantage », FLOUR, AUBERT
o
et SAVAUX, op. cit., n  275). Comment trouver un critère qui permette de savoir
quand le simple fait de la nature peut exonérer pour partie, et pour quelle
fraction ? À ces questions, personne n'a pu répondre de manière satisfaisante. En
effet, quelques méthodes qu'aient proposées les causalistes allemands, on ne
peut chiffrer avec certitude le degré d'adéquation. De plus, c'est un contresens
que d'affirmer que degré d'adéquation équivaut à part dans la production. Le
degré d'adéquation signifie seulement le nombre de chances qu'a telle cause de
produire un résultat, la probabilité du résultat, face à telle cause. En outre, il
paraissait difficile de trouver le critère permettant à la jurisprudence de juger le
fait de la nature assez grave pour libérer partiellement le défendeur, mais pas
assez pour l'exonérer totalement, d'autant plus que la Cour de cassation y voyait
une question de fait relevant de la compétence des juges du fond.

91. Retour à la solution classique. - Cette application de la causalité partielle


ne fut toutefois qu'une éclipse, la jurisprudence étant progressivement revenue à
e
la solution de l'exonération totale, tant à propos du fait du tiers (Civ. 2 , 4 mars
os o o o
1970, 4 arrêts, n  67-11.136, n  62-12.124, n  68-13.424, n  68-10.835, Bull.
os
civ. II, n  76 à 80 ; « le gardien de la chose qui a été l'instrument du dommage,
hors le cas où il établit un événement de force majeure totalement exonératoire,
est tenu, dans ses rapports avec la victime, à réparation intégrale ». V. égal.
e e
Civ. 2 , 10 mars 1977, D. 1977. IR 328, obs. Larroumet. – Civ. 2 , 15 juin 1977,
o o
n  76-11.225  , Bull. civ. II, n  153) qu'à propos du simple fait de la nature
e
(présence prévisible de verglas : Civ. 2 , 30 juin 1971 [« ayant déclaré que la
présence du verglas était prévisible, la cour d'appel a mis à bon droit l'entière
o
responsabilité du dommage à la charge » du défendeur, n  70-10.845  , Bull.
o e
civ. II, n  240). Cette jurisprudence est désormais constante (V. par ex. Civ. 2 ,
o o
26 avr. 1990, n  88-19.820  , Bull. civ. II, n  79).

92. Indivisibilité du lien de causalité. - Il est aujourd'hui communément


admis que chaque cause d'un dommage est à l'origine de son entière production,
ce qui explique rationnellement le rôle de la force majeure. La force majeure
exonère totalement le défendeur parce qu'elle est la vraie et seule cause
adéquate du dommage (en matière de responsabilité du fait des choses, la chose,
ayant dû être l'instrument du dommage, est et reste une condition sine qua non).
Le défendeur ou la chose dont il est le gardien n'a été qu'un instrument pour
l'événement fortuit contre lequel rien n'était possible (pour une critique de cette
idée, V. JOURDAIN, Recherche sur l'imputabilité en matière de responsabilités
os
civile et pénale, thèse dactyl., Paris II, 1982, n  573 s. et 636 s., où l'auteur voit
dans le caractère lointain du lien de causalité une conséquence éventuelle de
l'absence d'imputabilité physique qui est l'effet principal de la force majeure).
C'est la question de l'aspect quantitatif du lien de causalité (l'aspect qualitatif
étant celui qui va permettre de retenir les causes juridiques du dommage) où
prédomine aujourd'hui la théorie de la causalité intégrale qui repose sur
l'indivisibilité du lien de causalité et empêche le fractionnement du dommage. Dès
lors, en présence d'un événement présentant les caractères de la force majeure,
le défendeur ne peut qu'être totalement exonéré ; si l'événement ne présente pas
ces caractères, il reste intégralement tenu. Une telle solution est « simple, voire
logique, et de nature à satisfaire l'esprit de géométrie » (TERRÉ, SIMLER et
o
LEQUETTE, op. cit., n  799). On reproche parfois à cette explication d'être
tributaire des théories causalistes de l'équivalence des conditions. Mais le
raisonnement est seulement fondé sur l'idée que la force majeure, comme toute
cause d'un dommage, l'a causé en entier et que, dès lors, elle ne peut à la suite
d'un quelconque partage s'en voir imputer une simple fraction (sur ces points,
V. F. CHABAS, L'influence de la pluralité de causes sur le droit à réparation, 1967,
os
LGDJ, préf. H. MAZEAUD, n  160 s. ; Remarques sur l'obligation in solidum, RTD
civ. 1967. 310 ; Bilan de quelques années de jurisprudence en matière de rôle
causal, D. 1970. Chron. 113. – Et, plus nuancé, STARCK, La pluralité de causes
de dommage et la responsabilité civile, JCP 1970. I. 2339).

93. Force majeure et astreinte. - Au-delà du droit de la responsabilité, les


solutions peuvent être plus nuancées. Il en va ainsi à propos de l'astreinte
o
judiciaire. Sous l'empire de la loi n  72-626 du 5 juillet 1972 (D. 1972. 361), le
juge était en droit, lors de la liquidation, de modifier les astreintes définitives
lorsque l'inexécution de la décision judiciaire provenait « d'un cas fortuit ou de
force majeure », solution qui est aujourd'hui reprise à l'article L. 131-4, alinéa 3,
o
du code des procédures civiles d'exécution (anc. art. 36, al. 3, L. n  91-650 du
9 juill. 1991) qui dispose que « l'astreinte provisoire ou définitive est supprimée
en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de
l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère ». Cette
suppression ne peut être prononcée qu'à la condition que soit réellement
caractérisée une cause étrangère, il ne suffit pas d'invoquer l'absence de
e o
préjudice du créancier (Civ. 2 , 18 sept. 2003, n  01-17.769  , Bull. civ. II,
o e o
n  278) ou l'absence de mauvaise foi du débiteur (Civ. 2 , 7 mai 2008, n  03-
o
16.080  , Bull. civ. II, n  102 ; D. 2008. AJ 1489  ).
Art. 2 - Résolution de plein droit du contrat synallagmatique

94. Sort du contrat inexécuté. - Lorsque la force majeure vient perturber


l'exécution d'un contrat se pose également la question du sort du contrat
demeuré inexécuté, plus précisément celui du sort du contrat synallagmatique à
exécution successive ou différée. Par hypothèse, l'un des contractants est
empêché par la force majeure et libéré de son obligation. Mais qu'advient-il de
l'obligation du créancier de l'obligation atteinte par la force majeure ?
« L'hésitation est permise, puisque aucun reproche ne peut être adressé à l'un ni
à l'autre des contractants » (MAZEAUD et CHABAS, Leçons de droit civil, t. 2,
er e o
1  vol., Obligations, 9  éd., 1998, Montchrestien, n  1107). Classiquement, le
créancier du débiteur empêché se trouve également libéré de son obligation.
Généralisant les solutions particulières figurant dans le code civil (l'art. 1722
C. civ. prévoit ainsi que, dans le contrat de bail, la perte totale de la chose louée
par « cas fortuit » a pour conséquence que « le bail est résilié de plein droit ». Le
bailleur est dans l'impossibilité d'exécuter son obligation de mise à disposition de
la chose, le locataire est quant à lui libéré de son obligation de payer les loyers. –
V. égal. l'art. 1790  C. civ. à propos du contrat d'entreprise), et sur le
fondement contesté de l'ancien article 1184 du même code (qui, avant la
réforme, était le siège de la résolution judiciaire pour inexécution et ne distinguait
pas formellement entre les différentes causes de résolution), la jurisprudence
avait admis la règle dite res perit debitori : la résolution judiciaire jouait quel que
soit le motif ayant empêché l'une des parties de remplir son engagement, même
si l'empêchement résultait de la force majeure (Civ. 14 avr. 1891, arrêt Ceccaldi,
DP 1891. 1. 329, note Planiol ; CAPITANT, TERRÉ, LEQUETTE et CHÉNEDÉ, GAJC,
e o
t. 2, 13  éd., 2015, Dalloz, n  180. – Civ. 11 avr. 1918, DP 1921. 1. 224. – Civ.
re o e
5 mai 1920, DP 1926. 1. 37. – Civ. 1 , 4 avr. 1976, Bull. civ. I, n  43. – Civ. 3 ,
o o re o
9 oct. 1979, n  78-10.014  , Bull. civ. III, n  169. – Civ. 1 , 2 juin 1982, n  81-
o
10.158  , Bull. civ. I, n  205 ; RTD civ. 1983. 340, obs. F. Chabas ; Defrénois
o re o
1983. 334, n  14, obs. Aubert. – Civ. 1 , 12 mars 1985, n  84-100.169, Bull.
o e o
civ. I, n  94 ; RTD civ. 1986. 345, obs. Mestre. – Civ. 3 , 6 mai 2009, n  08-
o re
13.824   ; JCP 2009. Chron. 273, n  31, obs. Grosser. – Civ. 1 , 13 nov. 2014,
o
n  13-24.633   ; D. 2015. 529, obs. Amrani-Mekki et Mekki  ). On observera
toutefois que beaucoup d'arrêts ne font ici référence qu'à la seule impossibilité
d'exécution et non pas nécessairement à la force majeure, accréditant ainsi l'idée
que la force majeure permet de déterminer si le débiteur est ou non responsable
alors que l'impossibilité d'exécuter concerne le sort du contrat (sur cette
distinction : GROSSER, note ss. Cass., ass. plén., 28 avr. 2006, JCP 2006.
II. 10087).
95. Théorie des risques. - En application de la théorie doctrinale des risques
qui appréhende les effets de la force majeure sur le contrat (sur laquelle, V. 
Théorie des risques [Civ.]. – GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, Les effets du contrat,
e os
3  éd., 2001, LGDJ, n  639 s.), on affirme ainsi traditionnellement que les
risques de l'inexécution reposent sur le débiteur de l'obligation dont l'exécution a
été rendue impossible par la force majeure, à l'exception importante des contrats
translatifs de propriété (C. civ., art. 1196  [C. civ., anc. art. 1138  al. 2]) où
o
s'applique la règle res perit domino (V. infra, n  100). Il serait peut-être plus
juste de considérer que la disparition du contrat permet de partager les risques
entre les contractants : si aucun des deux ne peut recevoir la prestation promise,
aucun des deux n'est également contraint de verser la prestation promise. Ainsi,
la maxime « selon laquelle les risques pèsent sur le débiteur, en soi ne signifie
rien, puisque dans un contrat synallagmatique chaque partie est à la fois
créancier et débiteur. Il faut préciser que les risques pèsent sur le débiteur de
l'obligation qui ne peut plus être exécutée en raison de la force majeure : celle-ci
le libère mais l'empêche d'obtenir la prestation qu'il espérait » (MALAURIE, AYNÈS
o
et STOFFEL-MUNCK, op. cit., n  900. – V. égal. ANTONMATTEI, thèse préc., qui
o
trouve « contestable l'expression même de théorie des risques » [n  228] : d'une
part, parce qu'est simplement visée la question de l'inexécution fortuite, d'autre
part, parce que l'idée de la charge du risque est ici trop manichéenne, ce qui ne
correspond pas à la diversité des situations. – V. égal. RADOUANT, thèse préc.,
p. 264 s.). Pour refuser de transmettre une question prioritaire de
constitutionnalité qui estimait que l'article 1722 du code civil porte une atteinte
au droit de propriété en ce qu'il permet au bailleur de la chose détruite de ne pas
avoir à verser une indemnité d'éviction au locataire commerçant, la Cour de
cassation a pu ainsi très justement affirmer que ce texte « ne fait manifestement
que tirer la conséquence nécessaire de la disparition de l'objet même de la
convention que les parties avaient conclue et poursuit un objectif d'intérêt général
en assurant, lors de l'anéantissement de leurs relations contractuelles dû à une
cause qui leur est étrangère, un équilibre objectif entre leurs intérêts respectifs »
e o
(Civ. 3 , 4 janv. 2011, n  10-19.975   ; RTD com. 2011. obs. Kendérian),
formulation plus nuancée que l'alternative un peu manichéenne qui consiste à
faire reposer le risque du contrat soit sur le débiteur, soit sur le créancier de
l'obligation inexécutée.

96. La libération du créancier empêché par la force majeure. - En


s'écartant des termes traditionnellement un peu trop étriqués de la théorie des
risques et en mettant l'accent sur l'équilibre des relations entre les parties, cette
formule de la Cour de cassation permet d'ailleurs de justifier l'idée suivant
laquelle la force majeure peut également être invoquée par le créancier de
l'obligation qui se trouve dans l'impossibilité d'exercer son droit. Dans l'immense
majorité des hypothèses, c'est le débiteur empêché qui se prévaut de la force
majeure, mais il arrive parfois que le créancier ne soit plus en mesure de profiter
d'une obligation que le débiteur peut pourtant encore parfaitement exécuter. Si la
Cour de cassation n'a pas encore affirmé clairement par une formule de principe
la possibilité pour le créancier d'être libéré (et ainsi de ne pas avoir à exécuter sa
propre obligation – en général une contrepartie monétaire – ou d'obtenir la
restitution de la prestation déjà exécutée), elle en a toutefois déjà implicitement
re o o
fait application (Civ. 1 , 10 févr. 1998, n  96-13.316  , Bull. civ. I, n  53 ;
D. 1998. 539, note D. Mazeaud   ; RTD civ. 1998. 689, obs. Jourdain   ; JCP
o o
1998. I. 155, n  12, obs. Jamin ; JCP 1998. I. 185, n  16, obs. Viney ; JCP
re o
1998. II. 10124, note Paisant. – Civ. 1 , 2 oct. 2001 [a contrario], n  99-
o
19.816  , CCC 2002, n  24, note Leveneur) et la solution est même présente à
l'article L. 444-8 du code de l'éducation, qui, dans son alinéa 2, prévoit à propos
des contrats d'enseignement privé à distance que « le contrat peut être résilié par
l'élève, ou son représentant légal, si, par suite d'un cas fortuit ou d'une force
majeure, il est empêché de suivre l'enseignement correspondant. Dans ce cas, la
résiliation ne donne lieu à aucune indemnité ». Dans d'autres contrats de
formation, la Cour de cassation juge même abusives les clauses permettant aux
établissements d'enseignement d'exiger le paiement de l'intégralité de la
formation en ne prenant pas en considération d'autres motifs légitimes impérieux
re o
que la force majeure : Civ. 1 , 13 déc. 2012, n  11-27.766  , D. 2013. 818, note
o
Lemay   ; D. 2013. 949, obs. Sauphanor-Brouillaud   ; JCP 2013, n  140, note
o re o
Paisant ; CCC 2013, n  65, obs. Raymond. Rapp. Civ. 1 , 2 avr. 2009, n  08-
11.596  , RDC 2009. 1426, note Fenouillet). Le principe de la libération du
créancier a d'ailleurs été remarquablement défendu en doctrine avec les nuances
nécessaires (GRIMALDI, La force majeure invoquée par le créancier dans
l'impossibilité d'exercer son droit, D. 2009. 1298  ) et mériterait d'être
clairement affirmé.

97. Consécration légale d'une résolution de plein droit. - Sans que le texte


n'aborde la situation spécifique du créancier empêché, la solution de la résolution
du contrat figure aujourd'hui à l’article 1218 alinéa 2 du code civil, qui prévoit que
« si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties
sont libérées de leurs obligations », tout en renvoyant aux nouveaux articles
1351 et 1351-1 du même code qui figurent dans le titre consacré au régime
général des obligations (alors même que la question ne se pose que pour les
obligations contractuelles) et qui sont consacrés aux conséquences de
« l'impossibilité d'exécuter ». L'innovation introduite par la réforme réside dans la
résolution « de plein droit » du contrat à la suite d'une force majeure créant un
empêchement définitif. Auparavant, la doctrine était plutôt divisée sur cette
question : là où certains estimaient nécessaire d'exiger l'intervention du juge afin
que celui-ci puisse vérifier l'existence de la force majeure et apprécier l'incidence
o
d'une inexécution partielle (TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE op. cit., n  650),
beaucoup estimaient inutile d'avoir recours au juge (MAZEAUD et CHABAS, op.
o
cit., n  1110. Pour une critique d'une résolution automatique, V. GÉNICON, La
o
résolution du contrat pour inexécution, préf. LEVENEUR, LGDJ, 2007, n  140) ou
précisaient que, s'il était saisi, le juge devait se borner à constater l'extinction des
obligations et non pas prononcer la résolution ou résiliation du contrat
o
(CARBONNIER, op. cit., n  191. L'art. 1722 C. civ., qui a inspiré la solution de
principe, prévoit d'ailleurs la résiliation de plein droit du bail). Puisque la
jurisprudence fondait la solution sur l'ancien article 1184 du code civil (V. supra,
o
n  94), elle exigeait l'intervention du juge (V. toutefois, Com. 28 avr. 1982,
o o
n  80-16.678  , Bull. civ. IV, n  145 ; RTD civ. 1983. 340, obs. F. Chabas ;
o
Defrénois 1983. 334, n  14, obs. Aubert), ce pourquoi il lui était souvent reproché
de confondre la résolution pour inexécution avec la théorie des risques du contrat
o o
(MAZEAUD et CHABAS, op. cit., n  1097 et n  1107), cette dernière reposant sur
l'interdépendance des obligations qui naissent d'un contrat synallagmatique et sur
o
la volonté présumée des parties (MAZEAUD et CHABAS, op. cit., n  1109).
Désormais, le contrat est résolu sans qu'il soit nécessaire de saisir le juge pour
constater l'événement de force majeure, ce qui illustre la tendance
contemporaine au « retrait du juge » (LAITHIER, Les sanctions de l'inexécution du
contrat, RDC 2016, hors-série, p. 39). La radicalité de cette solution aurait pu
être adoucie par une obligation imposée au contractant empêché de notifier à
l'autre contractant la survenance de l'empêchement et la résolution du contrat
dans un délai raisonnable (ce que prévoyaient les articles 100 et 101 du projet
Terré de réforme du droit des contrats). Il eût été plus prudent de permettre
clairement au juge, en cas de litige, de vérifier tout à la fois l'existence de la force
majeure, le caractère irrémédiable de l'inexécution (BOUCARD, art. préc.) ainsi
que sa gravité (pour admettre par exemple la réduction du prix – qui plus est
aujourd'hui prévue par l'article 1223 C. civ. ! – en présence d'une inexécution peu
grave), et il n'est d'ailleurs pas certain qu'il pourra en aller autrement en
pratique.

98. La résolution, une cote mal taillée ? - Au-delà, pourquoi avoir conservé la
technique de la résolution alors que celle-ci aurait pu utilement être recentrée sur
l'inexécution imputable au débiteur et que l'article 1224 du code civil, qui
énumère les sources de la résolution, ne mentionne pas cette résolution de plein
droit, pas plus d'ailleurs que l'article 1229 qui porte sur le moment où prend effet
la résolution ? La technique employée semble ainsi plutôt être la caducité que la
résolution (BROS, art. préc. ; BOUCARD, art. préc. – En ce sens avant la
o
réforme : ANTONMATTEI, thèse préc., n  236 ; L. THIBIERGE, thèse préc.,
os
n  835 s., à propos de ce que l'auteur nomme « l'imprévu dirimant »), quand
bien même le spectre des restitutions consécutives à une rétroactivité incontrôlée
de la résolution serait aujourd'hui canalisé par l'article 1229 alinéa 3 du code civil.
On constate d'ailleurs que le mécanisme de la résolution n'est pas compatible
avec l'un des effets de l'impossibilité d'exécuter envisagé à l'article 1351-2
alinéa 2 du code civil : à propos de la perte de la chose due et de la libération du
débiteur mis en demeure si celui-ci prouve que la perte se serait produite
pareillement si l'obligation avait été exécutée, il est en effet précisé que le
débiteur empêché « est cependant tenu de céder à son créancier les droits et
actions attachés à la chose », solution qu'il est difficile de concilier – puisqu'elle
sous-entend une relative continuation du contrat – avec la destruction du lien
contractuel qu'opère la résolution et le jeu éventuel des restitutions (DESHAYES,
GÉNICON et LAITHIER, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la
preuve des obligations, LexisNexis, 2016, p. 479). Au-delà, c'est l'idée d'une
résolution des contrats portant sur une chose détruite ou perdue par force
majeure qui pose difficulté, alors que l'article 1218 alinéa 2 renvoie à l'article
1351-1 qui envisage ce cas de figure, puisque la règle res perit domino libère le
débiteur de l'obligation de délivrer la chose (s'il n'est plus propriétaire) mais non
son créancier (DESHAYES, GÉNICON et LAITHIER, ibid).

99. L'absence de libération du débiteur mis en demeure. - Classiquement,


la libération du débiteur définitivement empêché et la résolution du contrat
os
peuvent être écartées par des stipulations contractuelles (V. infra, n  105 s.), ce
que précise l'article 1351 (qui ne vise toutefois formellement que la seule
libération du débiteur…). Mais ce texte introduit une autre exception, ou plutôt
élargit une exception autrefois réservée aux seules obligations portant sur un
er
corps certain. L'ancien article 1302 alinéa 1  prévoyait l'absence de libération du
débiteur dont l'objet de l'obligation porte sur un corps certain lorsque la chose a
péri ou a été perdue par cas fortuit mais qu'il avait été mis en demeure de la
livrer, solution qui est la conséquence du transfert des risques de la chose au
débiteur qui n'en est plus le propriétaire par sa mise en demeure (C. civ.,
anc. art. 1138  al. 2 ; nouveaux art. 1196  al. 3 et 1344-2  C. civ.). Le
nouvel article 1351 étend curieusement cette solution à toutes les obligations,
mais il est difficile d'en mesurer la véritable portée. Puisque la résolution du
contrat est censée s'accomplir de plein droit, la libération du débiteur doit se
produire au jour où l'exécution devient impossible. S'agit-il alors d'inciter le
créancier à prévenir la survenance de la force majeure par une mise en demeure
en l'absence même d'un quelconque retard du débiteur (ce qui supposerait peut-
être d'admettre que l'évènement était prévisible et qu'il ne mérite donc pas la
qualification de force majeure, si bien que la question des effets de l'impossibilité
d'exécution ne se pose pas) ou, plus radicalement, d'empêcher le débiteur qui
était en retard au jour de la survenance de la force majeure, et qui avait été pour
cette raison préalablement mis en demeure par son créancier, de se prévaloir de
l'effet libératoire de la force majeure ? Dans la première hypothèse, cette
nouvelle règle serait probablement inutile ; dans la seconde, elle constituerait
« une sanction très rigoureuse du retard dans l'exécution » (BROS, art. préc.)
puisque le moindre retard du débiteur viendrait ainsi annihiler les effets de la
force majeure dès lors qu'il aurait été constaté par une mise en demeure. On
peine à percevoir les motifs d'une telle sévérité (comp. DESHAYES, GÉNICON et
LAITHIER, préc., p. 797, qui approuvent la règle et estiment que « le retard du
débiteur établit que l'événement n'était pas inévitable ou insurmontable »), et
mieux vaudrait donc s'en tenir à l'idée que l'existence de la mise en demeure
constitue un indice absolu de la prévisibilité de l'événement, au moins lorsqu'elle
est en lien avec l'événement finalement survenu.

100. Aménagements de la règle res perit domino. - Les nouveaux articles


1218 alinéa 2 et 1351 reprennent ainsi les solutions de la théorie des risques, en
généralisant l'exception de la mise en demeure. Ce pour quoi l'article 1351-1
confirme ensuite, sur le seul terrain des contrats portant sur une chose et dont
l'exécution devient impossible à raison de la perte de la chose due, une exception
déjà connue à l'absence d'effet libératoire du fait de la mise en demeure.
Conséquence de la règle du transfert immédiat de la propriété, le principe
classique est en effet ici que les risques de la chose pèsent sur le propriétaire (res
perit domino), qui est aussi le créancier de l'obligation de délivrer la chose. Dans
cette situation, le postulat est donc que les risques pèsent sur le créancier de
l'obligation inexécutée (et non sur le débiteur comme cela est traditionnellement
présenté avec la règle res perit debitori) parce qu'il est devenu le propriétaire de
la chose. Celui-ci reste donc tenu d'exécuter sa propre obligation, avec comme
exception tout aussi classique la situation où le débiteur de l'obligation de délivrer
avait été mis en demeure car la charge des risques revient alors sur les épaules
du débiteur de l'obligation de délivrer (C. civ., art. 1196  al. 3 et 1344-2  ).
L'article 1351-1 se contente de reprendre, en des termes plus contemporains, la
nuance autrefois prévue à l'article 1302, alinéa 2, du code civil : « le débiteur mis
en demeure est néanmoins libéré s'il prouve que la perte se serait pareillement
er
produite si l'obligation avait été exécutée » (al. 1 ), mais « il est cependant tenu
de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose » (c'est-à-dire
ceux qui doivent permettre de remplacer la chose). Ces raffinements de nuance
concernant les contrats portant sur un corps certain auraient certainement mérité
une présentation formellement plus claire, si ce n'est une tentative de
simplification sur le fond. Elles n'ont guère de conséquences pratiques car les
exceptions au transfert immédiat de la propriété sont nombreuses et les contrats
prennent fréquemment soin de régler expressément la question de la charge des
risques.

Section 2 - En présence d'un empêchement temporaire ou partiel

101. Force majeure et maintien du contrat. - Soucieux de préserver un


contrat qui, bien que menacé par la force majeure, peut encore présenter une
utilité pour les parties, le droit positif s'écarte de la solution radicale de sa
disparition en tentant, lorsque cela est possible d'aménager les effets de la force
majeure par le jeu, en cas d'empêchement temporaire, de la suspension du
contrat ou, en cas d'empêchement définitif mais qui n'atteint pas l'intégralité des
obligations contractuelles, d'une libération seulement partielle du débiteur
empêché. Dans ces hypothèses, bien que les nouveaux textes ne le disent pas
clairement, il y aura malgré tout exonération complète de la responsabilité du
défendeur, mais uniquement pour la durée au cours de laquelle la force majeure
produit ses effets ou pour la partie de l'obligation qui n'est plus susceptible d'être
exécutée.

102. La suspension de l'obligation en cas d'empêchement temporaire. -


Lorsque le contrat s'inscrit dans un temps plus ou moins long, qu'il soit à
exécution successive ou seulement à exécution différée, la force majeure peut
n'être que temporaire (par ex. une maladie) et empêcher pendant une certaine
période seulement l'exécution de son obligation par le débiteur (ce que l'on admet
parfois en dehors d'un événement de force majeure, V. par ex. C. assur,
art. L. 113-3  al. 2 ou C. trav., art. L. 2511-1  ). Cette situation est désormais
envisagée à l'article 1218 alinéa 2 du code civil qui, avant même d'aborder
l'empêchement définitif, prend soin de préciser que « si l'empêchement est
temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue » (comp. avec le projet
initial, qui prévoyait que « le contrat peut être suspendu »), formule qui recèle
une automaticité qui devrait permettre d'éviter un débat sur une éventuelle
obligation de faire appel au juge, ce qui serait contraire à la souplesse qui doit
imprégner la suspension. La réforme consacre ainsi une solution déjà admise de
e
longue date en jurisprudence. Dès le XIX siècle, la Cour de cassation avait ainsi
affirmé que « si l'empêchement est momentané, le débiteur n'est pas libéré, […]
l'exécution de l'obligation est seulement suspendue jusqu'au moment où la force
majeure vient à cesser » (Civ., 15 févr. 1888, DP 1888. 1. 203. – V. égal. Req.
23 févr. 1872, DP 1872. 1. 186) et cette solution était rappelée de temps à autre
(Req. 15 nov. 1921, DP 1922. 5. 14. – Civ. 24 oct. 1922, DP 1924. 1. 8. – Civ.
o
12 déc. 1922, DP 1924. 1. 186. – Soc. 19 avr. 1961, Bull. civ. IV, n  419. –
re o e
Civ. 1 , 24 févr. 1981, Bull. civ. I, n  65 ; D. 1982. 479, note Martin. – Civ. 3 ,
o o
22 févr. 2006, n  05-12.032  , Bull. civ. III, n  46 ; D. 2006. 2973, note
Beaugendre   ; D. 2006. AJ 782, obs. Rouquet   ; RTD civ. 2006. 764, obs.
Mestre et Fages   ; RDC 2006. 763, note Seube ; RDC 2006. 829, note Carval ;
RDC 2006. 1087, note Laithier). La jurisprudence avait également admis que la
force majeure temporaire puisse suspendre le jeu d'une clause résolutoire (V. par
e o o
ex. Civ. 3 , 17 févr. 2010, n  08-20.943  , préc. n  23). La solution exprime
l'idée très simple que « le contrat ne doit pas être anéanti à la légère »
(LAITHIER, Les sanctions de l'inexécution du contrat, RDC 2016, hors-série,
p. 39). DEMOGUE expliquait cet effet suspensif par la précision de l'ancien article
1147 du code civil, qui écartait la condamnation à des dommages-intérêts en cas
de cause étrangère en visant l'inexécution de l'obligation mais également le
retard dans l'exécution de l'obligation (Traité des obligations en général, t. VI,
1931, p. 677) et M. ANTONMATTEI avait, lui, préféré y voir une simple
conséquence du devoir de loyauté dans l'exécution du contrat qui imposerait au
débiteur empêché « d'invoquer la suspension plutôt que l'extinction du lien
o
contractuel » (thèse préc., n  293). La force majeure seulement temporaire doit
ainsi inciter le débiteur à agir de manière à préserver l'existence du contrat. Dès
lors que l'empêchement temporaire vient à cesser, sa responsabilité (et les autres
sanctions de l'inexécution du contrat) peut de nouveau être mise en œuvre si
l'inexécution persiste.

103. Limite au jeu de la suspension. - Cette solution s'accompagne toutefois


d'une nuance importante. L'article 1218 alinéa 2 du code civil précise en effet que
l'obligation est suspendue « à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la
résolution du contrat ». L'hypothèse visée est celle dans laquelle l'exécution à
l'échéance initialement prévue est essentielle au bon déroulement de l'opération
contractuelle et où une légère inexécution ne lui permet plus de survivre. Elle
pourra également concerner des situations dans lesquelles une certaine souplesse
est envisageable, mais où la suspension ne peut cependant trop durer sans porter
atteinte de manière substantielle au contrat lui-même. Faute pour le texte d'être
en mesure d'apporter plus de précisions, les tribunaux s'en remettront au critère
de la gravité de l'inexécution corrélé à celui de l'utilité que peut encore présenter
le contrat pour les parties.

104. Résolution partielle ou réduction du contrat en cas d'empêchement


partiel. - Au-delà de la seule suspension, un autre aménagement permettant
d'assurer la pérennité du contrat est possible, même s'il n'est pas nécessairement
simple à mettre en œuvre. Il n'est pas évoqué à l'article 1218 alinéa 2 du code
civil (signe d'une mauvaise organisation des nouveaux textes entre la définition et
les effets de la force majeure), mais à l'article 1351 sur les conséquences de
« l'impossibilité d'exécuter ». Ce texte prévoit en effet que l'impossibilité
définitive d'exécuter due à une force majeure libère le débiteur « à due
concurrence », reconnaissant ainsi la possibilité d'une libération seulement
partielle (pour une solution proche à propos du bail, V. C. civ., art. 1722  ). Cela
suppose d'être en présence d'un contrat divisible dans lequel l'exécution
seulement partielle présente une réelle utilité pour le créancier ; à défaut, il
faudrait en revenir à la solution de la libération complète. La force majeure n'est
ici pas temporaire, mais définitive et partielle. Bien que le texte n'ait pas pris soin
de le préciser, cette libération partielle doit s'accompagner de celle du créancier
pour son obligation corrélative à raison de l'interdépendance des obligations (il
aurait fallu clairement étendre à l'art. 1218  C. civ. [inexécution non imputable
au débiteur] la solution de la réduction du prix de l'art. 1223  C. civ.
[inexécution imputable au débiteur]). Le mécanisme pourra susciter des
difficultés – au moins lorsque les obligations contractuelles sont relativement
étoffées – puisqu'il faudra établir un lien entre l'obligation partiellement
inexécutée, pour laquelle le débiteur est libéré, et celle qui, en retour, devra
également être éteinte pour conserver l'équilibre contractuel. La question
d'éventuelles restitutions peut alors se poser (puisque, à suivre la trace de
l'article 1218 al. 2, la sanction semble s'apparenter à une résolution partielle)
mais – conformément à l'article 1229 alinéa 3 – uniquement lorsque les
prestations déjà exécutées ne trouvaient leur utilité que dans l'exécution
complète du contrat (BROS, art. préc.). Pour assurer l'effectivité de cette
libération partielle, il aurait été nécessaire de la sécuriser par quelques précisions
supplémentaires, et éviter l'idée, de par la filiation avec l'article 1218 alinéa 2,
d'une résolution partielle au profit d'une réduction du contrat. C'est cette notion
de réduction qui avait été envisagée par M. ANTONMATTEI (thèse préc.,
os
n  331 s.).

Chapitre 4 - Les aménagements contractuels de la force


majeure

105. Clauses relatives à la force majeure. - Il a toujours été admis que la


définition ou les effets de la force majeure puissent faire l'objet d'aménagements
contractuels (MESTRE et RODA [dir.], Clause de force majeure, in Les principales
clauses des contrats d'affaires, 2011, Lextenso, p. 397. – LAMETHE, La clause de
force majeure dans les contrats internationaux, CJEG 1987. 467). Le code civil le
précisait autrefois de manière un peu clandestine à l'ancien article 1302 alinéa 2,
qui prévoyait, à propos de la perte de la chose due, que le débiteur, même en
demeure, était libéré si la chose avait également périe entre les mains du
créancier, solution applicable « s'il ne s'est pas chargé des cas fortuits ». La
solution est aujourd'hui réaffirmée dans un texte de portée générale, mais avec
une formule tout aussi minimaliste. L'article 1351 du code civil précise ainsi que
la libération du débiteur à raison de l'impossibilité d'exécuter joue « à moins qu'il
n'ait convenu de s'en charger ». La phrase est quelque peu réductrice car ces
clauses peuvent certes avoir pour objet d'étendre les obligations du débiteur
lorsque celui-ci accepte de prendre en charge la force majeure (clause de
garantie), mais elles peuvent également tenter d'élargir la force majeure, soit par
une définition plus accueillante que celles qui ont cours dans la loi ou en
jurisprudence, soit et plus fréquemment par l'énumération d'évènements qui
doivent être contractuellement considérés comme une force majeure alors même
que ferait défaut l'un des caractères habituellement requis (clause
d'élargissement de force majeure, qui s'apparente à une clause élusive de
responsabilité).

106. Clause de garantie. - La clause de garantie est celle par laquelle le


débiteur s'engage à supporter les risques d'inexécution même si la véritable
cause de l'inexécution est la force majeure (en matière de fermage, V. les textes
spéciaux au bail à cheptel, C. civ., art. 1811  , 1825  et 1827  ), à la manière
d'un assureur de biens qui peut être amené à couvrir les conséquences d'une
force majeure (« rien n'interdit à un assureur d'assurer un risque afférent à un
re o
événement de force majeure » : Civ. 1 , 23 mai 2000, n  97-18.129  , RGDA
2000. 839, note Kullmann), avec très probablement un coût plus élevé pour le
créancier. La jurisprudence est peu fournie sur ces clauses, mais deux arrêts
témoignent d'une évolution de la Cour de cassation. Celle-ci avait en effet pu
considérer qu'une telle clause pouvait être simplement révélée par la recherche
e o
de l'intention commune des parties (Civ. 3 , 17 nov. 1993, n  91-17.925  , RGAT
1994. 640, note Rémy. En l'espèce, un entrepreneur est jugé responsable, car il
avait donné sa garantie contractuelle pour dix ans quant à la bonne tenue des
peintures, « sans aucune réserve sur l'origine des désordres ». Mais l'événement
invoqué comme force majeure [des jeux d'enfants] avait, il est vrai, peu de
chances d'accéder à cette qualification). Depuis, la troisième chambre civile paraît
avoir exigé une stipulation expresse pour que le débiteur puisse répondre d'un
événement de force majeure : dans une affaire où un bailleur invoquait une
clause très générale quant à l'origine des désordres pour imposer la réalisation
des grosses réparations à son locataire, elle affirme en effet que « sauf stipulation
expresse contraire, l'obligation de réparer pesant sur le locataire cesse en cas de
e o o
force majeure » (Civ. 3 , 31 oct. 2006, n  05-19.171  , Bull. civ. III, n  212 ;
o
AJDI 2007. 296, obs. Beaugendre   ; JCP 2007. I. 115, n  13, obs. Stoffel-
Munck), solution parfaitement légitime « devant le caractère extraordinaire d'une
telle prise de risques » (STOFFEL-MUNCK, obs. préc.), qui justifierait également
une interprétation restrictive. Il est regrettable que les auteurs de la réforme
n'aient pas jugé nécessaire de reprendre formellement cette exigence.

107. Clauses élargissant la force majeure. - Les clauses donnant une


définition large de la force majeure ou énumérant des événements
automatiquement considérés comme une force majeure permettent d'atténuer (si
elles sont restreintes) ou d'écarter (si leur rédaction est large) la responsabilité
du débiteur. L'hypothèse n'est certes pas mentionnée par l'article 1351 du code
civil, mais on doit considérer qu'elle relève de la liberté contractuelle, avec
toutefois les limites qu'imposent le droit commun ou les droits spéciaux et, plus
généralement, la méfiance du droit positif à l'égard de telles clauses. Ainsi, entre
professionnels, une clause élargissant la force majeure est valable (Com. 8 juill.
o o
1981, n  79-15.626  , Bull. civ. IV, n  312 ; RTD civ. 1982. 425, obs. Durry),
sauf à priver de sa substance l'obligation essentielle du débiteur (la clause sera
alors réputée non écrite : C. civ., nouv. art. 1170   – Pour une application de
cette idée avant la réforme dans un contrat de construction dans lequel le
constructeur avait considérablement élargi les hypothèses de force majeure :
o
Pau, 16 févr. 2012, Juris-Data n  10/01278) – ce qui pourrait être facilement
admis dès lors qu'il s'agit d'une clause élusive de responsabilité et non d'une
simple clause limitative – ou, dans un contrat d'adhésion, lorsqu'elle crée un
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (la sanction est
également celle du réputé non écrit : C. civ., nouv. art. 1171  ), ce à quoi on
pourrait ajouter qu'une telle clause ne doit pas octroyer au débiteur la faculté
arbitraire de ne pas exécuter le contrat, car il s'agirait alors d'une condition
o
potestative prohibée (MALAURIE, AYNÈS et STOFFEL-MUNCK, op. cit., n  953).
Mais une clause visant un événement particulier et bien identifié comme étant
une force majeure sera a priori mieux accueillie (V. par ex. à propos d'un contrat
de bail considérant comme une force majeure une absence d'autorisation
e o
administrative de plantation : Civ. 3 , 27 nov. 2012, n  11-22.047.   – Plus
lointain et au-delà des relations entre professionnels, une grève a pu être
considérée comme un cas de force majeure car prévue comme telle dans les
conditions de transport imprimées sur le billet : Paris, 13 févr. 1970, JCP
nde
1971. II. 16791 [2  esp.], note de Juglart et du Pontavice). Il a toutefois été
jugé que si le contrat se contente d'énoncer, à titre indicatif, des événements qui
pourront être retenus comme force majeure, cela ne privait pas le juge de son
pouvoir d'interprétation et d'appréciation de la force majeure : il peut ainsi
vérifier que ses caractéristiques étaient ou non présentes (une clause prévoyant
que « de convention expresse entre les parties, sont considérés comme cas de
force majeure, exonérant le prestataire de toute responsabilité, tous les
phénomènes naturels, tels que tempêtes, orages et cyclones, etc… » ne prive
ainsi pas le juge de son pouvoir d'apprécier l'imprévisibilité et l'irrésistibilité de
l'événement : Paris, 28 févr. 1990, RTD civ. 1990. 669, obs. Jourdain  ). Toute
ambiguïté dans la rédaction de la clause est donc susceptible de la neutraliser
o
(Com. 19 juin 2007, n  06-13.706  ).

108. Influence de la réglementation des clauses abusives. - Dans les


relations entre professionnels et consommateurs, ces clauses doivent
évidemment être conformes à la réglementation des clauses abusives
o
(C. consom., art. L. 212-1   s. et R. 212-1   s.). L'article R. 212-1, 6  du code
de la consommation fait en particulier figurer dans la liste noire des clauses
abusives (celles qui sont présumées abusives de manière irréfragable), toute
clause qui vise à « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi
par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le
professionnel à l'une quelconque de ses obligations ». Généralisée avec le décret
o
n  2009-302 du 18 mars 2009, cette condamnation des clauses élusives ou
limitatives de responsabilité dans les relations entre professionnels et
consommateurs semble proscrire les clauses qui, par un élargissement de la force
majeure, permettent au professionnel d'échapper à sa responsabilité
o
(V. Recomm. n  12-01 du 18 mai 2012 de la Commission des clauses abusives à
propos des contrats de services à la personne qui estime abusives les clauses
prévoyant que « tout événement indépendant de la volonté de la société et
faisant obstacle à son fonctionnement normal est considéré comme un cas de
force majeure », RDC 2013. 153, obs. Sauphanor-Brouillaud). La jurisprudence
antérieure avait d'ailleurs déjà jugé abusive la clause qui, dans un contrat de
téléphonie mobile, assimile de nombreuses circonstances à des cas de force
majeure, car « elle tend à supprimer le droit à réparation de l'abonné au cas de
manquement par le professionnel à ses obligations » (TGI Grenoble, 7 sept.
2000, D. 2000. AJ 395, obs. Avena-Robardet  . – V. égal. Versailles, 4 févr.
o
2004, D. 2004. AJ 635, obs. Avena-Robardet   ; CCE 2004, n  57, note Stoffel-
o
Munck ; CCC 2004, n  99, note Raymond). Il avait été jugé de même à propos
d'une clause qui, dans le contrat de bail, met à la charge du preneur le risque de
perte ou de détérioration de la chose louée, même en cas de force majeure
re o o o
(Civ. 1 , 17 mars 1998, n  96-11.593  , Bull. civ. I, n  116 ; CCC 1998, n  104,
note Raymond ; Gaz. Pal. 1998. 2. Pan. 230), ou encore d'une clause définissant
de manière trop générale la force majeure dans un contrat de voyage conclu avec
une société par internet (TGI Paris, 4 févr. 2003, D. 2003. 762, obs. Manara   ;
JCP 2003 II. 10079, note Stoffel-Munck ; Defrénois 2004. 56, obs. Raynouard),
ou assimilant à un cas de force majeure tout dysfonctionnement résultant de
perturbations dans la fourniture de moyens de télécommunication (TGI Paris,
20 oct. 1998, D. Affaires 1999. 860, obs. Avena-Robardet) ou, plus largement,
toute clause restreignant la responsabilité d'un fournisseur d'accès à internet
re
« au-delà des cas de force majeure ou de fait du cocontractant » (Civ. 1 , 8 nov.
o
2007, n  05-20.637  ).

109. Validité limitée de ces clauses entre professionnels et


consommateurs. - Cela signifie-t-il que toute clause relative à la force majeure
est désormais exclue dans les relations entre professionnels et consommateurs ?
Pas nécessairement si l'on en juge par un arrêt qui, en droit de la construction, a
estimé valable une clause prévoyant des majorations de délai en cas
d'intempéries et de défaillance d'une entreprise et qui conférait
systématiquement les effets de la force majeure à des événements qui n'en
e o
présentaient pas nécessairement les caractères (Civ. 3 , 24 oct. 2012, n  11-
o
17.800  , Bull. civ. III, n  152 ; D. 2013. 949, obs. Sauphanor-Brouillaud   ; RDI
o
2013. 93, obs. Tournafond   ; JCP E 2012, n  1723, note Dupont ; Defrénois
2013. 525, obs. Périnet-Marquet). Mais la mansuétude de la Cour de cassation
peut ici peut-être s'expliquer par le fait que, pour son application, la clause
renvoyait à l'appréciation de l'intempérie par un architecte ou un bureau d'études,
c'est-à-dire des professionnels tenus de rendre un avis indépendant (en ce sens :
SAUPHANOR-BROUILLAUD, obs. préc.). Dans le contexte de la construction d’une
maison individuelle, la Cour a ainsi pu estimer que le garant de la livraison ne
peut limiter la portée des dispositions légales et d’ordre public applicables à cette
e o
garantie au-delà des cas prévus par la loi (Civ. 3 , 15 juin 2017, n  16-18.047  ).
Seules les clauses n'apportant aucune précision sur la force majeure, visée
simplement comme cause de résiliation du contrat, peuvent donc être
considérées comme parfaitement valables (Rennes, 13 nov. 2003, JCP
2004. IV. 2124). Mieux vaut donc pour le contractant professionnel définir
précisément l'étendue de ses obligations et les restreindre s'il l'estime nécessaire
plutôt que de passer par le détour d'un élargissement de la force majeure.

Index alphabétique

■Absence de faute 12 s.


V. Faute

■Accident de la circulation 8, 19, 37, 61, 81, 84, 86



conducteur, gardien 19

pneumatique, éclatement 37

recours 37

verglas
V. Verglas

■Administration 56
V. Fait du prince

■Aéronef 19

■Affrètement 3, 51

■Arbre (Chute d') 18, 37

■Assurances 10, 34, 53, 57, 69, 78

■Astreinte 93

■Attentat 54, 55, 60, 71

■Avalanche 52

■Bactéries 32

■Bail 94, 106, 107



chose louée 32, 94, 108

■Brouillard 52

■Caractères 21 s.

extérieur 27 s.

imprévisible 42 s.

inévitable 45, 67, 99

insurmontable 9, 34, 37, 44, 75, 99

irrésistible 73 s.

preuve 12 s., 43
V. Extériorité, Imprévisibilité, Irrésistibilité

■Cas fortuit 1, 3, 5, 6, 21, 32, 87 s., 93, 94, 105, 97

■Catastrophe naturelle 10, 56

■Causalité (théories sur la) 9, 14s., 19, 20, 41, 47, 88 s., 92

causalité partielle 90

■Cause étrangère 6, 7, 9, 14, 16, 17, 26 s., 36, 39, 43, 59, 80, 89, 93, 102

■Cause exclusive 9

■Chasse 55

■Chômage 27, 72, 76

■Chose fongible 71

■Clauses
V. Contrat

■Concession 53, 83

■Contrat

absence de faute 13

clause résolutoire 72, 102

clauses relatives à la force majeure 105

conclusion 11, 45, 46, 62 s., 70

prévision des cocontractants 48, 63, 65

réduction 97, 104

suspension 78, 101 s.

synallagmatique 86, 94 s.

■Contrat de travail 3, 18, 53, 76, 78



à durée déterminée 3, 69, 77

à durée indéterminée 78

fait du prince 53

inaptitude du salariée 3, 77

maladie prolongée ou inaptitude du salarié 3, 34, 77

rupture 18, 77

suspension 78

■Décès 33, 73, 77, 78



employeur 77

■Définition 1 s.

■Délit 88

■Domaine 2

■Droit pénal 4

■Eau

composition anormale 32

corrosive 32

infiltrations 38

propre 17

ruissellement 54

souterraine 38, 43

■EDF 62

■Effets 85 s.

conservatoire 4

exonération
V. Exonération

■Empêchement définitif 86 s.

■Empêchement momentané 102

■Empêchement partiel 104

■Empêchement temporaire 101 s.



réduction 104

résolution 104

suspension 103

■Exécution

impossibilité 2, 3, 46, 47, 67, 70, 72, 97 s.

absolue 74, 75

exécution plus difficile 69

retard 72

■Exonération 1, 4 s., 12, 13, 17, 19, 34, 36, 41, 81 s., 86 s., 101

partielle 5, 8

faute de la victime 7, 41, 81, 84, 87

SNCF 81

totale 1, 7, 9, 19, 82, 87 s., 91

■Expropriation 78

■Extériorité 1, 20 s., 25, 26 s., 43, 46, 64, 67 s.



définition 27

grève 31

vice d'une chose 32, 36

gardien 40 s.
V. Gardien

■Fait de la chose 14, 37, 88

■Fait de la nature 88 s.

■Fait du prince 10, 53, 73, 89

■Fait du tiers 6, 7, 60, 87, 88, 91

■Falaise 54, 75

■Faute

absence de faute 13 s., 20, 35, 45, 86

grave 3

lourde 8, 85

preuve 8

de la victime 7 s.

■Fonds de commerce 78

■Gardien 15, 19, 26, 83 s., 89, 91



exonération totale 83

responsabilité 35 s., 39, 40 s.
■Glissements de terrain 38

■Grève

effets 75

extériorité 31

grève 45, 58

■Guerre 10

■Impossibilité d'exécuter
V. Exécution

■Imprévisibilité

contrat 47

grève 45, 58

moment de l'appréciation 62 s.

SNCF 60, 61

■Imprévision 70

■Incarcération

du contribuable 75

du débiteur 28

de l'employeur 78

du salarié 77, 78

■Incendie 28, 55, 73, 77, 78

■Inexécution

obligation monétaire 71
■Infection nosocomiale 17, 33

■Informatique

virus 59

vol 57

■Inondation 10, 52

■Irrésistibilité 66 s.

appréciation 73 s.

définition 67

droit du travail 76 s.

SNCF 79

■Licenciement 18, 31, 78

■Liquidation judiciaire 59, 77, 93

■Maladie

du débiteur 34

infection nosocomiale 17, 33

de l'employeur 34, 77

du salarié 34

sida 33, 62

■Météorologie 54

■Mise en demeure 99, 100

■Mutinerie 40

■Neige 52
■Obligation

suspension 102

empêchement temporaire 101 s.

■Pluralité de causes 15, 92

■Pollution

atmosphérique 54

eau 54

■Préposé 30, 40

■Présomption 8, 36

■Preuve 8

■Prix 75, 97, 104

■Projet de réforme de la responsabilité civile



cas fortuit 5

dommage corporel 8

exonération 84

imprévisibilité 11

responsabilité extracontractuelle 35

■Redressement judiciaire 77

■Réforme du droit des obligations 2 s.



impact 11

■Responsabilité

contractuelle 80, 81

et extracontractuelle (distinction) 62 s.

du fait des choses 83 s.

du fait d'autrui 40

pour faute 1

des parents 41

de plein droit 1

■Responsabilité extracontractuelle 35 s.



d'autrui 40

gardien 35 s.
V. Gardien

des parents 41

■Revirement de jurisprudence 59

■Ricochet

plomb de chasse 55

préjudice 89

■Risque de développement 32, 33

■Sabotage 30, 54

■Sang contaminé 33

■Sécheresse 52

■Sida 33, 62

■Téléphérique 19

■Tempête 18, 28, 45, 51, 89

■Terrain
V. Glissements de terrain

■Théorie des risques 95

■Transport

aérien 19

ferroviaire 8, 17, 69, 80, 81

fluvial 8, 79

marchandises 57

■Trouble mental 39

■Verglas 10, 52, 59, 91

■Victime

faute de la victime 7 s.

■Vol 4, 13, 57, 65


Actualisation

Bibliographie. - REBEYROL, L'appréciation de la force majeure par la Cour de


cassation, D. 2018. 598  .
75, 80 s. Caractère imprévisible et irrésistible du fait du tiers. - La force
majeure est caractérisée lorsqu'un tiers, schizophrène, ceinture un autre homme
sur le quai et se jette avec lui sur les rails dans un laps de temps très court.
Compte tenu de ces circonstances caractérisant un évènement imprévisible et
irrésistible, c'est à bon droit que les juges du fond ont pu écarter la responsabilité
de la SNCF sans qu'il puisse être reproché à cette dernière de ne pas avoir
re o
installé des façades de quai (Civ. 1 , 8 févr. 2018, n  17-10.516   ; Dalloz
actualité, 5 mars 2018, obs. Hacene).

Nécessité de caractériser le caractère prévisible et résistible de


l'évènement. Doit être cassé l'arrêt qui se borne à exclure par une affirmation
d'ordre général le caractère imprévisible et irrésistible du heurt et de la chute
d'un usager poussé par un tiers, sans expliquer en quoi ces évènements ne
l'étaient pas et en affirmant sans plus de précision que le transporteur ferroviaire
re o
avait les moyens de les empêcher (Civ. 1 , 8 févr. 2018, n  16-26.198  , Dalloz
actualité, 5 mars 2018, obs. Hacene).
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